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1 © Editions Achab, Tizi Ouzou, 2018 Ce livre a été édité en 2018 par Editions Achab, Tizi Ouzou. Son auteur, Ramdane Achab, a décidé de le mettre gra- cieusement à la disposition des lecteurs. Toute exploitation commerciale de ce fichier est interdite, sous quelque forme que ce soit : numérique, papier, etc. La publication d’extraits à des fins de citation, d’illustration, etc., est permise, à condition de se confor- mer aux règles d’usage : citer l’auteur, l’éditeur, l’année de publication, le numéro de la page d’où provient l’extrait. La citation des textes rédigés en kabyle doit se conformer en tout point à l’original : orthographe, lexique, syntaxe, etc. L’orthographe des textes kabyles est basée pour l’essentiel sur les recommandations de l’Inalco. Pour tout complément d’information, prendre contact avec Editions Achab à l’adresse email suivante : [email protected]

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© Editions Achab, Tizi Ouzou, 2018 Ce livre a été édité en 2018 par Editions Achab, Tizi Ouzou. Son auteur, Ramdane Achab, a décidé de le mettre gra-cieusement à la disposition des lecteurs. Toute exploitation commerciale de ce fichier est interdite, sous quelque forme que ce soit : numérique, papier, etc. La publication d’extraits à des fins de citation, d’illustration, etc., est permise, à condition de se confor-mer aux règles d’usage : citer l’auteur, l’éditeur, l’année de publication, le numéro de la page d’où provient l’extrait. La citation des textes rédigés en kabyle doit se conformer en tout point à l’original : orthographe, lexique, syntaxe, etc. L’orthographe des textes kabyles est basée pour l’essentiel sur les recommandations de l’Inalco. Pour tout complément d’information, prendre contact avec Editions Achab à l’adresse email suivante : [email protected]

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à la mémoire d’Ahsène Taleb et de Saïd Boukhari

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Recueil de textes Ammud n yeḍrisen

(1981-2018)

Editoriaux de la revue Tafsut, communications,

entretiens, articles, extraits choisis, document inédit.

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Du même auteur : Tira n tmaziγt. Quatre éditions : - 1979. Groupe d’Etudes Berbères. Langue berbère (ka-byle). Introduction à la notation usuelle en caractères latins. Editions Imedyazen, Paris. Disponible sur internet. - 1988. Tira n tmaziγt. Revue Tafsut, Série scientifique et Pédagogique, Tizi-Ouzou. Disponible sur internet. - 1990. Tira n tmaziγt. A compte d’auteur, Imprimerie de l’Eniem (ex-Sonelec), Tizi-Ouzou. 15 000 exemplaires. - 1998. Langue berbère. Introduction à la notation usuelle en caractères latins. Editions Hoggar, Paris. - Isefra, revue Tisuraf, n° 6, Paris, 1979. Co-auteur avec Mohand Laïhem et Hend Sadi, de : - Amawal n tusnakt Tafransist-Tamaziγt. Lexique de mathématiques. 1984, revue Tafsut, Série scientifique et pédagogique, n° 1, Tizi-Ouzou. Disponible sur internet. - La néologie lexicale berbère (1945-1995). Préface de Salem Chaker. 1996. Paris-Louvain : Editions Peeters. - L’aménagement du lexique berbère de 1945 à nos jours. Préface de Salem Chaker. 2013. Tizi-Ouzou : Editions Achab. - Traduction en kabyle de Yahia, Pas de Chance, un jeune homme de Kabylie, de Nabile Farès, sous le titre : Ilemẓi n tmurt Iqbayliyen. 2015. Tizi-Ouzou : Editions Achab.

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Ramdane Achab

Recueil de textes Ammud n yeḍrisen

(1981-2018)

Editoriaux de la revue Tafsut, communications,

entretiens, articles, extraits choisis, document inédit.

Editions Achab

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© Editions Achab, Tizi Ouzou (Algérie), 2018 ISBN : 978-9947-972-44-1 Dépôt légal : 1er semestre 2018 [email protected] Infographie : Khaled Zirem

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Table des matières

Revue Tafsut 11

- Editorial Tafsut n° 1, 1981 - Editorial Tafsut n° 10, 1985 - Editorial Tafsut. Tadyant unebdu, 1985 - Editorial Tafsut n° 11, 1986 - Editorial Tafsut n°12, 1989 Néologie, terminologie 31 - Présentation de l’Amawal n tusnakt Tafransist-Tamaziγt. Lexique de mathématiques. 1984, revue Taf-sut, Série scientifique et pédagogique, n° 1, Tizi Ouzou. - Problèmes de néologie berbère, Etudes et documents berbères, n°8, Paris, 1991. - Entretien avec Imaziγen Ass-a : La place de la néologie, 1995. - Inalco : Synthèse Terminologie, 1998. - Encyclopédie berbère : notice Néologie. Volume XXXIV. Paris-Louvain : Editions Peeters, 2012.

Généralités 99 - Retour sur les événements de Kabylie. Réalités algériennes, n°2, mars 2004. - L’Etat algérien face à la revendication berbère et ses outils (médias, édition…), mai 2015. - Langue Tamazight : questions d’actualité (statut, gra-phie, académie, etc.). El-Watan, dossier culturel, 12 jan-vier 2018. - Coup d’œil aux années 1970 : Le Groupe d’Etudes Ber-bères de l’Université Paris VIII.

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Edition 153 - Communication sur l’édition, Bruxelles, 2011. - Entretien Algérie Express, février 2013. - Entretien Café littéraire de Bgayet, avril 2013.

Extraits choisis 182 Extraits de L’aménagement du lexique berbère de 1945 à nos jours : - A propos de l’orthographe utilisée en Algérie. - Le mauvais usage des néologismes. - Situation sociolinguistique de la langue berbère.

Nabile Farès s teqbaylit 199 - Extraits de la traduction en kabyle de Yahia, Pas de Chance, un jeune homme de Kabylie, de Nabile Farès.

Document inédit 206 - Lionel Galand et la notation usuelle du berbère en ca-ractères latins.

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Revue Tafsut

Revue Tafsut : revue emblématique du mouvement cultu-rel berbère, comprenant : a) Une série ordinaire1 imprimée clandestinement en Algérie, 1981-1989, 14 numéros parus + un numéro hors série : Tadyant unebdu Spécial événements été 1985, septembre 1985. b) Une série scientifique et pédagogique2, imprimée clandestinement en Algérie. Dans cette série ont été pu-bliés :

- Amawal n tusnakt Tafransist-Tamaziγt. Lexique de mathématiques Français-Berbère3. 1984. [Auteurs : Mohand Laïhem, Hend Sadi et Ramdane Achab].

- Tamusni tamezwarut di lebni. (Eléments d’architecture), 1986. [Auteur : Abdennour Abdesslam].

- Un abécédaire : Macahu, awal-iw ad yettaru. Avril 1987. [Auteur : Mohand Laïhem].

- Tira n tmaziγt, 1988 [Auteur : Ramdane Achab].

- Une bande dessinée traduite de l’arabe vers le kabyle. [Auteur de la traduction : Abdenour Achab]. c) Une série spéciale Etudes et Débats4, dirigée par Salem Chaker, paraissant en France d’abord, réimprimée ensuite clandestinement en Algérie. 3 numéros parus.

1 Les articles n’étaient pas tous signés. 2 Les publications n’étaient pas signées. 3 Ce lexique a été piraté en Algérie, imprimé avec nom « d’auteur » et commercialisé. Une mise au point a été faite dans le journal Liberté au début des années 1990. 4 Les articles étaient signés.

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Editorial de la revue Tafsut n°1, Tizi Ouzou, 19811

Tagejdit

Tasγunt-agi d isegmi n tefsut. D tasγunt s

Tmaziγt γef Tmaziγt, γef Imaziγen, γef tmurt-nneγ, γef tmetti-nneγ. D amezruy neγ d isefra, d agmay neγ d tasekla, d ayen iɛeddan neγ d ayen d-iteddun, abernus meqqwer : win ibγan ad yaru tajmilt ines. Tasγunt agi, ifadden-is d nekkni ma nbedd-as akken nella. S anda yella wul i ssaramen iḍarren. Tasγunt-agi, mačči d tamezwarut, mačči d taneggarut. N zik neγ n tura, llant tesγunin nniḍen γef Tmaziγt. A d-nebder aγmis « Imaziγen » d-issufuγ Wegraw Imaziγen di Fransa, tura yessusem ; tella tesγunt « Taftilt » d-iffγen aseggas 1972-1973 di Lezzayer, « Itri » fell-as i d-yesgem, uγalen mse-glan di sin ; yella weγmis « Iṭij », kra n tallit akken yesseγfal asigna, am tseḍsay n wedfel-nni qqaren, tura yeḥzen wudem-is ula d netta ; « Afud Ixedda-men » di Fransa, di tdikelt ufus i d-ilul, yemmut d ilemẓi ; « Tisuraf », d tasγunt n Tesdawit Paris VIII, terna-d γef « Bulletin d’Etudes Berbères » ; deg yi-wen wexxam i d-lulen ; « Tisuraf » tebda-d tikli-s ddac-ddac, tura tewweḍ d tameṭṭut talemmast, d tameṭṭut s warraw-is, d lalla-s n tilawin ; ur d-mazal ara lḥenni n teslit deg iḍarren-is.

1 L’orthographe des cinq éditoriaux publiés ici a été actualisée, dans le sens des recommandations de l’Inalco.

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Ihi tasγunt-agi mačči d tamezwarut. Neẓra daγen mačči d taneggarut, acku a d-ilint tesγunin nniḍen, ama di Tesdawit, ama di tuddar, ama deg iγerbazen. Tisγunin-agi ad myuṭṭafent ifassen, ad snint ta γer ta am tezrart. D itran deg igenni n tillas, yis-sent ara neflu amendil n ṭṭlam. Tisγunin-agi ad fkent amkan i win yuran kra ibγa a t-id-yessufeγ, ad fkent ul i win yebγan ad ya-ru. Aṭas i yettarun s Tmaziγt, ayagi neẓra-t, mačči armi d assagi i d-yennulfa. Wa d isefra, wa d ungal, wa d tullizt, wa d amezgun, wa d amezruy. Aṭas i yettarun. D acu kan, ar ass-a n wussan, aṭas i yetta-run i yiman-nnsen kan. Win yuran kra a t-iffer. Us-san diri-ten, ayen akken turiḍ a t-yali uγebbar, am iγuraf n tessirt m’ara ḥebsen. Yewweḍ-d wass tura deg yal yiwen ad idlu s ayen yellan γur-s, ad idlu s ayen illan γer wid yessen, ad as-izwi aγebbar, a t-id-yefk a t-ẓren medden, a t-γren, a t-lemden, ad leq-men fell-as tamusni-nnsen d tmusni d-ifka lweqt-nnsen. Si teqdimin neγ si tejdidin. Aseγwen s aseγwen, ad tmed taffa.

Yerna, s tesγunin-agi, s yeγmisen-agi, ad myussanen lγaci ugar. Ad myussanen, ad lḥun ak-ken, ad jeṛṛben uguren n tira, uguren n tuddsa. Ad wten ddunit a ten-tewwet. Ilaq a d-tafeḍ win ara ya-run, win ara yeγren, a d-tafeḍ timacinin d wayen yernan γer-sent. Annect-agi irkel d ccγel, d tamusni, d tuddsa. Aṭas n lγaci i yebγan ad xedmen, d abrid kan i ttnadin. Seg wecrured γer tikli. Win izemren i cwiṭ azekka ad yizmir i waṭas. Win ijerrben ddunit yiwwas a t-yaf γer zdat.

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Tikwal nettru am igujilen. Neqqar-as ulac, d lekdeb, ulac acu ara d-nesbin, neγ ma yella, mačči d ayen ara d-tesbineḍ. Tuṣṣra kan ay axir. Ad ḥeqren medden. Ad ḍsen. Izem ur ileqqeḍ ara tiweḍfin : wagi d asefru kan, tagi d tamacahut kan, wagi d awal kan. Wagi d amγar, d inebgi n tmeddit, fiḥel ma rniγ-as aγbel ; tagi d tamγart, meskint, ur tessin ara. Acu ara d-ixdem usefru ? Acu ara d-texdem tmaca-hut ? Acu n tmusni ara d-yefk wagi neγ tagi ? Dγa teqqim kan akken. Ulawen d imuḍan. Ussan mačči d nekkni kan i d-ksan, ad ttɛeddin ḥeffren deg-neγ am iqerdacen. Mi d-tukiḍ, ma tukiḍ-d, tewteḍ ger ifas-sen-ik, neγ tsuγeḍ, neγ.

Netta d lekdeb. Assagi, win iḥemmlen

Tamaziγt, win ibγan ad tidir, win ibγan ad timγur, tamezwarut ad ixemmel ifassen-is. D ussan n tmara i deg nella. Nebγa neγ ur nebγi, tirni i γ-ittṛaǧun tella tella. Tella tagi n teqdimin, d ayen d-ǧǧan wussan, d usu i wussan d-iteddun. Yella wudem nniḍen, acku mačči γer teqdimin kan i tella. Udem-agi nniḍen, tura beddlen wussan, ihi Tamaziγt ilaq ad asen-telḥu tikli nniḍen. Akken yella wass a t-yeks umeksa. Mačči s wayen teṭṭef Tmaziγt iḍelli ara teṭṭef assagi, neγ ara timγur. Ulac axxam assagi ur tekcim ara Ṛṛadyu, neγ Tilibizyu. D inebgawen n kullas, d inebgawen n tmara. Arrac d tullas ttruḥun s aγerbaz deg lemmden tutlayin tiberraniyin, qqaren iγmisen, qqaren idlisen. Imeqqranen keččmen teffγen, keččmen timdinin, ttinigen ; aγrum-nnsen ibeddel amkan, ibeddel isem. Rnu i wannect-a, d amkan ugujil i d-yeγlin i Tmaziγt. Adabu, aṭas i yewwet amek ara yesfeḍ lǧeṛṛa-s, neγ amek ara s-yerr tadimt.

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Ar assa n wussan, tezga-yas di tyersi am tessegnit. Am tfunast-nni d-yurwen inisi. Izerfan ulac, iγmisen ulac, aselmed ulac. Tinṭ-as imiren i Tmaziγt a d-terfed s uqerru, neγ ad as-teḍs i ddunit.

Ihi tura beddlen wussan. Tamaziγt ilaq-as

wakal d ajdid. Ilaq a tt-γren inalmaden deg iγerbazen, di Tesdawit. Laqent-as tesγunin, laqen-as yeγmisen, laqen-as imusnawen, laqen-as izerfan ara iḥarben fell-as. Mačči d tiγaltin yesleγ wedfel ara yeṣṣren Tamaziγt assagi, neγ d itran d waggur n tziri.

Annect-agi d ayen illan. Ccγel-agi γ-ittṛaǧun,

ur ilaq ara a t-nagad, neγ a t-neḥqer, neγ a t-nγunfu. Ccγel d izem, mi t-txedmeḍ d awtul. Yella wayen umi nezmer a t-nexdem tura kan, icban taγuri n Tmaziγt, ammud n tmusni taqdimt (isefra, timucuha, atg.), tira s Tmaziγt.

Di tama nniḍen, ixṣimen begsen. Iles-nnsen d

lkif, afus-nnsen d aɛekkaz, akken s-inna Ayt Men-gellat. Iles-nnsen d iles n tkerkas, d iles n rregmat, d iles n cckama. Afus-nnsen, iḍelli kan i d-yesmekti wid yettun. Uzzal nnsen, lǧennet nnsen, rnan lehduṛ sufella.

Yerna d yir lehduṛ. Asmi rran Tamaziγt sed-

daw uḍar-nnsen, imir ad ttihin, ad as-d-snulfun leɛyub. Mi yeγli wezger, ṭṭuqqtent tferyin. Mi teγli Tmaziγt, d nitni i tt-yesseγlin, ad ak-inin d tazmert ur tezmir ara. Ur tezmir ara, ur tessaweḍ ara, ur zed-diget ara. Irgazen rsen γef waggur, keččini…

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Annect-agi d lekdeb. Ulac tameslayt d-ikkan sennig tayeḍ, neγ ma tekka-d sennig tayeḍ alarmi s tin n yiγil. Llant tmeslayin yellan zik beddent, ulac am nitenti, sakkin γlint ; d amezruy i tent-irnan. Llant tmeslayin yellan zik γef tizi n lmut, tura uγalent-d γer ddunit, refdent s uqerru ; d amezruy i sent-ifkan. Tameslayt, γas teγli, neγ txuṣṣ, tezmer a d-teḥyu aẓar-is, ad tuγal am zik neγ ugar. Ulac tame-slayt yifen tayeḍ tafenṭazit. S wayen izmer yiγil i iheddeṛ yiles.

D wagi i d annar deg ara nesserwet. D annar

n tidi, d annar n tdukli, d annar n tissas. Ma neγfel, ad aγ-ččen d asfel ; am tadla yečča yilef. Mačči deg yiwen wass ara nebnu ddunit, maca yal ass ilaq a d-yawi leḥq-is. Neẓra abrid yessawen. Ma mlalent tuyat, ul ad yennerni. Am yiḍelli, am wassa, am zek-ka, d iγallen-nneγ kan ara yessufγen targit. Amawal Tasγunt (revue) ; timetti (société) ; amezruy (histoi-re) ; agmay (recherche) ; tasekla (littérature) ; aγmis (journal) ; tasdawit (université) ; aγerbaz (école) ; ungal (roman) ; tullizt (nouvelle littéraire) ; amezgun (théâtre) ; tuddsa (organisation) ; acku (parce que) ; tutlayt (langue) ; adlis (livre) ; adabu (pouvoir) ; izerfan (droits) ; aselmed (enseignement) ; ammud (recueil) ; maca (mais).

Tafsut n°1, Tizi Wezzu, 1981

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Editorial de la revue Tafsut, n°10, Tizi Ouzou, avril 1985

Imakaren umezruy

Qqaren-d aggur n Furar irḍel-as i waggur n Yennayer yiwen deg wussan-is. Aseggas-agi, d Amezruy i yas-d-ireḍlen sebɛa wussan i waggur n Furar… Sebɛa wussan deg d-ukin wulawen, sebɛa wussan deg d-ukin iberdan n Tizi Wezzu d iberdan n kra n temdinin nniḍen yecban Laṛbaɛ n At Yiraten neγ Iɛeẓẓugen. Mačči d igenni i d-yeγlin, mačči d lebḥeṛ i yerγan. D awal agujil, d awal n tidet, d awal n tlelli, d awal igujilen i d-igren tiγri i taddart iguji-len. D ayen yugaren igenni ma yeγli-d, d ayen yuga-ren lebḥeṛ ma yerγa. Yessawel ugujil i gma-s, tessa-wel taddart i weltma-s, ssawlent tissas i tissas, isuγ-d wawal n tidet γef lehduṛ n tkerkas… Jebd-d amrar ad yenhez wedrar, tanfeḍ i win yexlan ad yini tiẓgi te-xla…

Qqaren daγen : ur d-smektay ara agujil γef

imeṭṭawen. Neγ smekti-t-id meqqar γef idammen n baba-s d wakal i ten-iswan. Smekti-t-id γef wawal fkan wid yeγlin, d wawal i sen-fkan wid i sen-imedlen allen. Smekti-t-id γef targit ur neffiγ, neγ γef imakaren umezruy i yebγan assagi ad akren ula d ismawen n yemjuhad, a d-nefqen iγsan-nnsen, a ten-γellten, a ten-id-rren d ayla-nnsen.

Ad as-tafeḍ tawwurt i win yeṭṭfen (γas s

yiγil) tisura n tmurt d wuzzal. I win yettnadin a d-issexdem ulawen d wallaγen ? I win yettnadin a d-

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isseḍfer tiregwa umezruy s amdun-is netta, s amdun n tiddas ? I win yettnadin ad yeḍlu tament ur nettnuz γef iqeccucen-is yellan d ilmawen ? I win yettnadin a d-isers tacḍaṭ n Tjaddit γef ijufaṛ-is yerkan ?

D imakaren-agi umezruy i d-yusan γer Tizi

Wezzu ad xedmen timlilit γef… tira umezruy n la Wilaya III. Err-iyi-d cwiṭ seg wayla-w… Bedden-d warraw n yemjuhad, ibedd-d wegraw-nnsen, bγan ad ilin di temlilit, bγan a ten-id-iṣaḥ wawal (meqqar d awal) ula d nitni. D acu i k-yewwin a win yewwi nnif ? D acu i k-yewwin ay awal s axxam n tsusmi ? D acu i k-yewwin a Mqidec s axxam iwaγezniwen ? Yerna teẓram ula d Amezruy tura nnsen, d nitni kan ara t-yarun, ger-asen kan, ger yir tasa d way turew, akken i sen-ihwa ara t-arun, akken kan ara sen-d-yezg am tkustimt.

Ihi nudan a ten-id-iṣaḥ wawal, d lḥebs i ten-

id-iṣaḥen. Di setta yid-sen di tazwara (lexmis 7/02/1985), yerna γur-sen wis sebɛa sell-azekka-nni, d ṭṭbib : rnu-yas lmelḥ i umerγan. Tamacahut-nnsen i sebɛa tedda-d di tewriqin-agi n Tefsut (3-4-5-6-7-8-9-10-11) segmi tebda alarmi tekfa. A d-nesmekti kan dagi lγaci d-innejmaɛn s waṭas, ama d arraw n yemjuhad ama d wiyaḍ, deg wexxam n Ccṛeɛ, neγ deg iberdan lawan iberdan (ass n ssebt 9/02 d wass n lḥed 10/02) neγ zdat lḥebs as-mi d-ffγen imeḥbas (13/02/1985). A d-nesmekti daγen agraw Ibugaṭuten i ixedmen ccγel d ameq-qran ; d nitni i s-ifkan udem-is n tidet i tedyant iḍran, udem n tsertit (politique), kecfen-d lbaṭel yezgan di

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tmurt, kksen sserr γef Temsulta (police) d iqeddacen akk yettaγen abrid-is. A d-nesmekti dγa sserr yett-wakksen γef umeqqran n temsulta n Tizi Wezzu : imeḥbas, ibugaṭuten, inezzurfa (juges) d lγaci d-iffγen s iberdan qublen-t udem s udem, rẓan awal-is, sxerben-as targit. D awal n tlelli i d-issawlen, yerẓa uzzal n lbaṭel d ẓẓur. Teḍra yid-s am tteryel-nni taderγalt d-ttawin di tmacahut : iṭṭef aẓar iγil d aḍar, u taggara d netta i yettwaṭṭfen.

Usan-d imakaren umezruy ad arun amezruy, rnan-as ur faqen tardast n sebɛa yyam. At zik qqa-ren : ayen yuran ad iɛeddi. Nekkni tura a d-nini : ayen iɛeddan a t-naru.

Tafsut n°10, Tizi Wezzu, 1985

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Editorial de Tafsut, Tadyant unebdu, Spécial Evénements « été 1985 »

Septembre 1985

Tagejdit

Ticraḍ unebdu

Cfiγ di 1980 nni, nruḥ neẓra-d yiwen umuss-naw, tedda yid-neγ yiwet n tmeṭṭut argaz-is mazal-it di lḥebs, di lḥebs n Beṛwagiyya. Nebda nheddeṛ, nettawi-d γef wayen yeḍran. Amussnaw-nni igezm-aγ awal, yezzi γer tmeṭṭut-nni yini-yas : « Teẓriḍ a leflantegga, lḥif yella, lɛaṛ ulac ».

Lḥif yella, nessen-it. Yella iḍelli, yella assa-

gi, ad yili azekka. Lḥif yella, d ameddakkel aqdim, d inebgi n kullas. Lḥif yella, nemsaγ yid-s tannumi, deg yiwet n tmellalt i d-nefrurex.

Lɛaṛ ulac. Ulac lɛaṛ γef win ikecmen lḥebs

γef tidet, γef tlelli, γef Tmaziγt. Ulac lɛaṛ γef wid yuzzlen, γef wid yeṭṭafaṛen targit n tirga, γef wid ibeddlen aγrum s wedrum, γef wid ibeddlen timucu-ha n wass s tid useggas d wid ibeddlen timucuha useggas s tid n kullas. Lɛaṛ ulac, ur t-neqbil ara, ur t-nqebbel ara, ur t-nettaǧǧa ara ad yaγ amkan, ad yaγ aẓar.

Nessked s igenni : xuṣṣen yetran. Mi nessked

s igenni d asigna, mi nessked tiziri naf xuṣṣen yetran s idisan-is.

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D amussnaw-nni n 1980 i yuran mačči aṭas ayagi : « Tura ṭṭlam la yetteftutus, d tikli ad ifnu yiḍ, attaya tfejrit-nneγ ».

Nehda-yas taγect n Lunis i Ferḥat, nehda-yas

taγect n Ferḥat i Lunis. Adrar asmi d-yerra ṣṣut… S ifadden n tdukli-nneγ… Yidir di Fransa yecna-d tuγac-nnsen di sin, nehda-tent i imeḥbas. Mlalen isefra, mlalen imedyazen, mlalen yergazen. Yidir, Lunis d Ferḥat : w’ibγan ad yasem yasem.

Si 1980 γer 1985, si tefsut ar unebdu, ger lḥif

yellan d ṭṭlam yetteftutusen… Tadyant n tefsut, tadyant unebdu, tadyant n

Tmaziγt, tadyant n tlelli, tadyant n tegrawla. Ticraḍ unebdu, ticraḍ umezruy. Nekkni awal

d amejṭuḥ : ad nkemmel abrid-nneγ. S ifadden n tdukli-nneγ… Adrar asmi d-yerra

ṣṣut…

Tafsut, Tadyant unebdu, Tizi Wezzu, 1985

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Editorial de Tafsut n°11, Tizi Ouzou, avril 1986

« Le procès des hommes libres »

Anta tasa ur nefriḥ, anta tasa ur neqriḥ ? Lemmer d awal n tasa kan, tfeggeḍ targa tunef tem-da, ur iferru ara wawal. Imeḥbas-agi nessen-iten, nessen imawlan-nnen d yexxamen-nnsen. Tejreḥ tasa jerḥent akk taswin. Ddwa ma yella a t-neg kan s ifassen-nneγ.

D acu, deg webrid-agi n tmaziγt d webrid n

tlelli, tasa d aqelmun kan i tettalas. Mačči d nekkni i yebγan, d abrid n tderray d wuguren. Ticraḍ s idam-men, yella di lemtel. Seg wecrured γer tikli, si tmec-kukal γer lḥif, si lḥif γer lḥebs, si lḥebs wissen sani nniḍen : akka ay d annar, annar akka i yetterwat, ma d leɛtab ur yettuneḥsab. Yiwen usefru yeqqar : « ddunit akka i tebγa, d taqabact kan i tessen ». D ddunit i yebγan, d nekkni neγ d wiyaḍ, ur iferru ara daγen wawal.

Wid yeṭṭfen tamurt, wid iḥekmen ur llin d

imawlan-nneγ, nekkni ur nelli d arraw-nnsen. Ger-aneγ yid-sen yuzzel iγisi. Iḍelli, assagi neγ azekka, d lweqt kan i yetturaren, lḥebs-agi nebna fell-as. D tagi i d tidet yellan. Tidet yellan, tidet ur nettwabdar, tidet ur yenni ḥed i ḥed, mkul yiwen a tt-yini kan i yiman-is deg wul-is.

Nebγa tamaziγt, nitni ugin-tt. Nebγa tamaziγt

a tt-id-iṣaḥ wemkan-is deg wakal n tmurt-is, nebγa a tt-nγer di llakul mačči di lbaḍna, mačči s takerḍa, a

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tt-nγer deg ijeṛnanen, a tt-nettwali, a s-nsell, ad timγur, ad tennerni. Nekkni nebγa-tt, nitni ugin-tt, ufrarent fell-as wallen-nnsen, iluγ wul-nnsen fell-aneγ. Ur nelli ara d arrac ad aγ-kellxen neγ ad aγ-ssedhun s yesmawen n Massennsen d Yugurten ma bedren-ten-id yiwwas i useggas, d inebgawen n tma-ra. Nebγa tamaziγt n yiḍelli, nebγa tamaziγt n wassa, nebγa-tent i wassa d uzekka.

Nebγa tilelli, nitni ugin-tt. Tilelli umeslay, ti-

lelli unejmeɛ, tilelli n tiddukla. Tilelli am taduṭ : ulac deg-s iγsan, ulac acu ara tḍeggreḍ deg-s. Nitni ugin-tt, smenyafen tasusmi, ṭṭfen ijeṛnanen d ṛṛadyuwat, rran tasadelt i yimi, sbedden-d zzeṛb i wawal, i tikli, i unejmeɛ, i tiddukla.

Nebγa izerfan n wemdan (les droits de

l’homme), nitni ugin-ten. Izerfan n wemdan d atma-ten n tlelli. Izerfan n lxedma, n tnezduγt, n leqraya, n tmeslayt, n yedles d isalan (culture et informations), izerfan n wemdan zdat ccṛeɛ atg. Izerfan-agi ttwaqe-blen di tmura irkelli, d lferḍ yersen ger leǧnas, d awal amezwaru d awal aneggaru. Deg waṭas n tmura lbaṭel yezga, yesmenγuγud di lγaci am tmes deg wa-frasen. D aḥkim ur nesɛi ara aḥkim-nni yeqqar Lu-nis. Lbaṭel yeẓẓiẓiyen tilisa, lbaṭel ur nessin talast.

D uccen i s-yennan : lemmer mačči d aḍad ad

sewwqeγ. Izerfan n wemdan d aḍad yekksen ssuq i lbaṭel, ndin γef yemdanen d afrag n nnif d lḥeṛma. Am tfunast igujilen, ur ttnuzun ur ttmessan.

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Tamurt-nneγ tefka awal-is fell-asen, tekkat fell-asen di beṛṛa, teṛwa fell-asen tuddna, tettu-yaγ nekkni d-ḥuzant tewwura γer daxel. Si tewwurt γer daxel, tamurt-nneγ terkeḍ izerfan n wemdan, neγ tsumm-iten, terra-ten d ijeγlalen ilmawen seddaw uḍar-is. Si tewwurt γer daxel, deg webrid izerfan-agi, ḥaca « lǧeṛṛa uṣubbu » i nettwali.

Yerna, wid iḥekmen ur ḥemmlen ara ad iffeγ

wawal. Ilaq ger-aneγ kan. Mi teḍra tbaxixt ad berken fell-as : zemmem-qemmem, xemsa f yimi, keč ur d-qqar nekkni ur d-neqqar. Ur ḥemmlen ara yiwen ma yeṭṭef aberraḥ yessufeγ lbuq-nnsen. Ḥemmlen kan wid i sen-d-ittawin tibuγarin.

Agraw izerfan n wemdan (ligue des droits de

l’homme) mačči d agraw n tbuγarin. D agraw n lḥeq ifettun s lḥeq. D agraw i s-yennan i tmurt-agi nneγ : tura mi tekfiḍ tuddna, ers-d ad neẓẓall.

Izerfan n wemdan, tilelli, tamaziγt : ta tett-

cuddu aggus i ta. D tagi i d targit-nneγ, d tagi i d tafellaḥt-nneγ, d wagi i d aẓeṭṭa-nneγ, d wagi i d uzzal-nneγ. S wulawen yemlalen, s tuyat yedduklen, s ufus ger ifassen.

D wagi i d iγisi yekkan ger-aγ d wid

iḥekmen. Nitni cerken afus, leḥṛam, tiḥluqin, cerken taxeṛṛazt, cerken tiddas tikerkas. Tidet d lḥeq nnul-fan-d d igujilen ger ifassen-nnsen. Meslen tamurt d wakal-is alarmi tuγal am teqjunt-nni itetten arraw-is.

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Arraw-is kenwi arraw n tmurt. Arraw-is kenwi ay imeḥbas, arraw-is kenwi a wid yettargun targit n tirga, targit n tmaziγt, targit n tlelli, targit izerfan n wemdan. Arraw-is kenwi a wid yeffuden aman-nni γef ttnaγen idurar. A k-ččeγ ččeγ tamurt ffi tettedduḍ, deg wakal n tmurt-agi nneγ, mačči kan di tmucuha.

Wanag imeḥbas-agi nessen-iten, neẓra ayen

xedmen, neγra ayen d-nnan, yelha wul-nnsen γur-m a tamurt-nnsen tamurt-nneγ. Wanag inebgawen ibeṛṛaniyen d inagan usan-d. Wanag suγen-d iber-dan, suγent-d tuddar. Wanag ibugaṭuten bedden-d s tlaba n sser am yezmawen γef tizza, ur ffiren ara ccada, wwin-d tamacahut-nnsen nitni, tamacahut n Mqidec ger iwaγezniwen, sbanen-d tixidas yellan, ssulin aẓeṭṭa n tidet ger ifeggagen n tissas, rran-d awal i wawal, ssawḍen lehduṛ s anda yessusem wa-wal. Awal ifeddun, awal iḥeggun : dinna kan, teqqed teḥla, lemmer d tamurt yettagaden lḥecmat.

Tlata iseggasen, sin, yiwen neγ azgen : ad

rnun γer leɛmer n tmaziγt. Di tmura n medden irkel-li. Lǧeṛṛa n tegrawla d imeṭṭawen d idammen, di tmura n medden irkelli. Tamaziγt tura tettimγur, tettwabdar deg yedlisen (livres), tettwabdar di tsertit (politique), tettwabdar deg yexxamen, deg iberdan, deg wulawen. Tettwabdar agemmaḍ-a agemmaḍ-in. Inna-yas yiwen : nefka-ten-id d arrac, ur nγil ara ad imγuren…

Semmeḍ lḥal ass n lexmis-nni tameddit di

temdint n Lemdiyya. Ccṛeɛ yebda ass n lḥed. Xems

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yyam. Inezzurfa (juges) nnan-d, imeḥbas nnan-d, inagan nnan-d, ibugaṭuten nnan-d. D awal-nni kan aneggaru i d-yegwran. Tillas γlint-d, lγaci bedden di beṛṛa zdat wexxam n ccṛeɛ. Ur nfaq ara mi d-ssawlen, d amur amejṭuḥ kan i yufan abrid. Awal aneggaru. Ger setta wagguren d tlata iseggasen. Imeḥbas d tirni refden tuγac-nnsen wwin-d « taγect umeḥbus », d taγect d-ttawin imeḥbas di lgirra-nni m’ara awin yiwen deg-sen s anda ur d-ittuγal.

Tilawin ttrunt, yiwet teγli, di beṛṛa mi d-iffeγ

lexbar d asyax i yewwten, yuder wakal yemmut wa-wal, ussan ceqqen, lγaci zzin-d uγalen-d am iderγalen, wa yesserwal allen-is γef wallen n wiyaḍ. Ddez tasa-k ma tzemreḍ. Yiwen n bugaṭu abeṛṛani ula d netta…

Ur d-necfi ara anta tameṭṭut i d-yezwaren…

Tezdi tamgerṭ-is d lqedd-is, tekkes-d taγect-is si ger leqyud n tyersi-s, tebda tiγratin. Dγa tilawin nniḍen, a s-tiniḍ imir-nni i d-ukint, rnant-d γur-s ; ulint teγratin deg igenni, mseḍfarent, snint ta γer ta am tezrart. Dγa lγaci merra ndekwalen-d, ttun awal-nni aneggaru, ttun asemmiḍ-nni yudfen s iγes, tuγal-d tmuγli-nnsen si targit taberkant, uγent-d deg-s tefti-lin, targit n Mqidec yeṭṭafaren ttaṛ n watmaten-is, msuγalent wallen-nnsen, msuγalen wussan…

Tazrart n tissas yerran lexyuḍ s aẓeṭṭa, tazrart

n tissas yerran lexyuḍ d aẓeṭṭa. Ur d-necfi ara anta tameṭṭut i d-yezwaren, d

tiγratin-nni kan iwumi d-necfa.

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Editorial de Tafsut n°12, Tizi Ouzou, janvier 1989

Tafsut n Tubeṛ

Akal-agi n tmurt-agi nneγ, si zik n zik akka-

gi : tayerza-ines s idammen. Yuγal umezruy-nneγ am tlafsa-nni n tmacahut : si tallit γer tayeḍ, taddart ilaq ad as-tefk kra seg warraw-is d asfel. Si tallit γer tayeḍ, tamurt-nneγ ilaq-as ad tebzer tabzert tazeggaγt, tabzert idammen.

Aseggas-agi, d tamurt i yeččan arraw-is s

rrṣaṣ, d imeyyaten i yemmuten, amur ameqqran d ilmeẓyen, d izellafen, tcerref-iten twenza, ula d leḥsab-nnsen ur t-neẓri, ula d leḥsab-nnsen sersen fell-as timedlin n tsusmi.

D lḥewj i ten-id-imekknen s iberdan, d lḥewj

n kullec : leqraya, tanezduγt, lxedma, tilelli, atg. : tasγart-nnsen teγli teγli, d ayen ẓran akk medden. Lḥewj-agi, ur ufin ara amek ara t-id-inin akken nniḍen, ur ufin ara anda ara t-id-inin. Tidet-nnsen wezzilet : nnan-tt-id deg iberdan s yedmaren-nnsen, s tazzla-nnsen, s truẓi, s tmes, s idammen-nnsen, s lmut-nnsen.

Yettwakkes-asen kullec, d taṛwiḥt-nnsen kan

i sen-d-igwran d ayla, s teṛwiḥt-nnsen kan ara d-neṭqen, s teṛwiḥt-nnsen kan i zemren ad wwten, d tamettant kan i sen-d-igwran a d-teḥyu neγ a d-tefdu tudert-nnsen. Tella-d ssebba, msawalen nitni d lmut ad mlilen, ad fken idisan-nnsen i ccḍef. Immuger-

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iten-id webruri n terṣaṣin, yendeḥ ujajiḥ n tmes deg weksum-nnsen iḥeḍmen, xnunsent teṛwiḥin-nnsen yewwan deg weḥrir idammen, ger teγratin n tlawin, isuγan n warrac d rriḥa n lbaṛud. Idammen akken ḥman i d-rennun fad n tlelli.

Ulawen ččuṛen kkuffren, ifwaden rγan, lem-

mer ufin d tamurt s lekmal-is ara d-igrurjen, yerna γur-sen lḥeq. A d-rsen leḥyuḍ-agi d-yekkan sennig-neγ, a d-rsen yexxamen-agi yettalin, a d-rsen wigi nettwali… Tamurt tṛebba-d lbaṭel deg irebbi-s, tet-tawi-t deg ifassen-is, d tiremt n kullas. Lbaṭel yuγal amzun d amdan, iteddu deg iberdan ger yemdanen. Maca lbaṭel si zik yettawi ttaṛ di tqelmunt-is.

Aγref aṭṭan-is d win izgan. Uγalen Izzayriyen

d iγriben di tmurt-nnsen, d iγriben ur nunag. Tett-wakkes-asen tmurt yettwakkes-asen igenni, tettwak-kes-asen teḍsa tettwakkes-asen targit, yettwakkes-asen usirem. Ssufγen-ten seg umezruy-nnsen, ukren-ten seg yedles-nnsen, si tmeslayin-nnsen. Ula d allaγen-nnsen uraden, kkawen, nneclen, nzan. Ur-zen-ten s leqyud n wuzzal, rnan-asen leḥrir n tker-kas. Kateb Yasin yura aṭas ayagi : Wi izemren ad yerr leḥsab i yetran, wi izemren ad yerr leḥsab i wurfan n weγref ?

Mi k-ṭṭfen a k-arzen, mi k-urzen a k-rẓen neγ

a k-ssedwiwsen, mi k-rẓan ad rnun awal sufella, a k-d-awin tamacahut-nnsen, tamacahut n lekdeb, tama-cahut n txidas, tamacahut n tkerkas : ilaq d keč ara yerren aḍar, d keč ara sen-isemmḥen, d keč ara yer-ren aqerru-k di tcacit-nnsen.

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Nitni ṭṭfen tamurt sfenṭizen, rran-as tasadelt, sersen tafekkalt γef tuyat-is, rṣan fell-as tigusa. Ṭṭfen tiwwura igenni, ṭṭfen tisura d wuzzal, fkan i yiman-nnsen s lufa, ččan ddunit, ččan lḥeq, blulγen di lew-sex, ula d amezruy ukren-t. Ṭṭfen tamurt i yiman-nnsen d warraw-nnsen, ṭṭfen-tt i tejlibt-nnsen, ṭṭfen-tt i wid iqeddcen fell-asen, ttḍeggiɛen rennun.

Ṭṭfen tamurt alarmi tennefcucel, maca ur tt-

ḥkimen ara. Mi d-ikker weγref ad rgagin, ad nqu-qlen, dayen iffeγ-iten leɛqel, tekfa fell-asen ddunit, tennegdam texxamt-nnsen, ikcem-iten waḍu d ufer-fud, d uzzal kan i sen-d-igwran, d uzzal kan i d nitni. Mačči d ferru i tent-ferrun, d ḍellu i tent-ḍellun.

Mi slan awal a t-cleqfen, a t-akren, a t-rren

nnsen, a t-ssalin γer teɛrict-nnsen, a t-ssexnunsen, a s-ḍlun abux neγ abazin-nnsen, imiren ad fettun yes-s kra n wussan, a d-awin yes-s tazwayt, taggara ad ṭṭsen fell-as. Mi d-ikka wawal imi-nnsen a d-iffeγ yumes, ad ibeddel udem neγ ad yuγal d ilem : Ta-nemla (socialisme), Tagrawla (révolution), Tugdut (démocratie), Tilelli (liberté), Izerfan n wemdan (droits de l’homme), atg. Mi ṭṭfen awal ad ḍeggren tacḍaṭ-nnsen fell-as. Mačči cwiṭ i tessefruri tqem-muct-nnsen.

Maca tura yeffukti wawal n tlelli, yuγ-d ta-

murt d wi tt-yuman, lγaci merra tewweḍ-iten teftilt s anzaren. Awal n tlelli ur yettruẓ ur yettnefḍas. Mi t-id-tjebdeḍ ad yenhezz wedrar. Awal ma yella deg wul-ik tmelkeḍ-t, mi d-yeffeγ imelk-ik.

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Maca tamurt teffeγ-d tura s iberdan, tettnadi iman-is, tessawal, tebda tuttra, tettnadi γef warraw-is, arraw-is yensan anda tensa. Rran-as-d awal si Tizi Wezzu, si Bgayet, si Tubiret, si Wehṛan, si Qṣentina, si Гerdaya, si Lezzayer, si Mestγanem, si Tahert, si Ɛennaba, si Ssṭif, si Batna, si Belɛebbas, rran-d awal si yal tama, suγen-d ula si lebḥeṛ akkin. Aman sgamen ttjuṛ, idammen sgamen timura.

Assagi fkan-d tunṭict, d tunṭict kan i d-fkan,

bessif fell-asen a tt-id-fken, mačči d ul-nnsen i yel-han. Bessif fell-asen ad ḥnunfen zdat idammen yuz-zlen. Anwa ara ten-yamnen tura ? Yettbeddil mejjir aẓar ? S tidet ad kksen seg yiri-nnsen ? S tidet ad snefsusin tasertit (la politique) n tmurt ?

Nekkni ad nkemmel abrid-nneγ alamma d

asmi ara d-nsers tiremt zeddigen : γef Tlelli, γef Tmaziγt, γef izerfan n wemdan, γef tugdut, γef Iz-zayriyen irkelli anda ma llan.

Di tmurt-agi deg d-kkren imezura-nneγ, ger

wedrar d uẓaγar, ger waman d yejdi, ger wuzzal d usirem, ger wenzel d usefru.

Tafsut, Tizi Wezzu, 1989

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Néologie, terminologie - Présentation de l’Amawal n tusnakt Tafransist-Tamaziγt. Lexique de mathématiques. 1984, revue Taf-sut, Série scientifique et pédagogique, n° 1, Tizi Ouzou. - Problèmes de néologie berbère, Etudes et documents berbères, n°8, Paris, 1991. - Entretien avec Imaziγen Ass-a : La place de la néologie, 1995. - Inalco : Synthèse Terminologie, 1998. - Encyclopédie berbère : notice Néologie. Volume XXXIV. Paris-Louvain : Editions Peeters, 2012.

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Présentation du lexique de mathématiques, 1984

Amawal n tusnakt Tafransist-Tamaziγt

Présentation

- ansi d-tekkiḍ ay awal ?

- seg uẓar.

Ce lexique a été réalisé par des enseignants de Mathématiques des Universités d’Alger et de Tizi Ou-zou1, avec la collaboration de linguistes spécialistes de la langue Tamaziγt2. Le résultat présenté ici n’est pas défi-nitif. Il ne s’agit en fait que d’une première mouture, destinée essentiellement à recueillir des suggestions, des critiques et des corrections de la part de linguistes, de berbérophones usagers des Mathématiques (enseignants, étudiants), et de tous ceux qui s’intéressent au domaine berbère.

La méthode utilisée a été en gros la suivante : I) Recensement du volume lexical à traduire

Dans une première étape il a fallu fixer le volume lexical à traduire en Tamaziγt. Le travail proposé ici cou-vre l’ensemble de tout le vocabulaire nécessaire aux en-seignements primaire, moyen et secondaire, ainsi qu’aux quatre premières années de l’enseignement supérieur (niveau DES). Le recensement de ce vocabulaire a été

1 [Note de l’éditeur : Mohand Laïhem, Hend Sadi et Ramdane Achab]. 2 [Note de l’éditeur : Salem Chaker et Mouloud Mammeri].

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fait pour l’essentiel à partir des ouvrages suivants, dont les trois premiers sont très connus des mathématiciens : - R. Godement, Cours d’Algèbre, Hermann, Paris, 1978 (3ème édit.). - J. Dieudonné, Eléments d’Analyse, tome 1 (Fondements de l’Analyse moderne), Gauthier-Villars, Paris, 1979. - M. Métivier, Notions fondamentales de la théorie des probabilités, Dunod-Université, Paris, 1979. - Dictionnaire de Mathématiques Modernes, Librairie Larousse, par L. Chambadal, Paris, 1969. - Lexique de Mathématiques, Français-Arabe ; Arabe-Français, Institut Pédagogique National, Alger, 1972. - Lexique de Mathématiques (enseignement supérieur) Français-Arabe, Polycopié ENS-Kouba, Alger.

Bien sûr un Lexique de Mathématiques, à l’instar

de tout autre lexique, n’est jamais terminé. Comme toute discipline, les Mathématiques évoluent. Des découvertes sont faites, de nouveaux concepts voient le jour, des concepts anciens sont abandonnés ou voient leur sens redéfini, des besoins nouveaux inaugurent de nouvelles disciplines. Le dispositif lexical répercute les résultats de cette évolution, au double plan de la qualité et de la quan-tité. Par ailleurs, ce lexique n’inclut pas le vocabulaire « trop » spécialisé, c’est-à-dire celui qui n’est introduit qu’avec la post-graduation (Magister, 3ème cycle) ou la recherche.

II) Dépouillement des dictionnaires de la langue berbère

Le dépouillement des dictionnaires de la langue Tamaziγt a pour buts : - De trouver des équivalents berbères aux mots recensés à l’étape précédente ; - De relever les racines berbères susceptibles de servir à la création lexicale par dérivation de forme (à partir d’une

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seule racine on peut tirer plusieurs verbes, plusieurs subs-tantifs, plusieurs adjectifs, etc.), par dérivation de sens (recours au « sens figuré »), ou bien par préfixation pour certaines classes de mots (voir ci-dessous la liste des préfixes utilisés).

Les ouvrages et dictionnaires suivants ont été dé-pouillés : - Amawal n Tmaziγt tatrart (Lexique de berbère moder-ne), Imedyazen, Paris, 1980. - J.M. Cortade et M. Mammeri, Lexique Français-Touareg (dialecte de l’Ahaggar), CRAPE-Alger, Arts et Métiers Graphiques, Alger, Paris, 1967. - J.M. Dallet, Dictionnaire Kabyle-Français (Parler des At Manguellat Algérie), SELAF, Paris, 1982. - Justinard, Manuel de Berbère Marocain (dialecte Ri-fain), Paul Guethner, Paris, 1926. - E. Destaing, Vocabulaire Français-Berbère, Etude sur la Tachelhit du Sous, Librairie Ernest Leroux, Paris, 1938. - J. Lanfry, Ghadamès – II – Glossaire (Parler des Ayt Waziten), Le Fichier Périodique, Alger, 1973. - H. Mercier, Vocabulaire et Textes Berbères dans le dialecte des Aït Izdeg, René Céré, Rabat (Maroc), 1937. - E. Laoust, Mots et choses berbères (dialectes du Ma-roc), Challamel, Paris, 1920. - G. Alojaly, Lexique Touareg-Français (Azawagh-Agr), Copenhague, 1980. - G. Huyghe, Dictionnaire Français-Chaouia, Alger, 1906. III) Création lexicale

On a eu recours, dans le cadre de ce travail, à la dérivation de forme et de sens, mais aussi à l’utilisation

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de nombreux préfixes (tirés de racines berbères) dont voici la liste :

N° Préfixe en Tamaziγt

Préfixe en Français

Exemple

01 ar- an- (négation)

aramsasi (anharmonique)

02 mgel- anti- amgelsikel (antidéplacement)

03 zun- - oïde (suffixe)

azungur (astroïde)

04 man- auto- tamnalγa (automorphisme)

05 aful- - nome (suffixe)

agetful (polynôme)

06 asin-/asen- bi- ambi-

asendis (bilatère)

07 azzi- circum- azzisfaylu (circumpolaire)

08 azdi- co- azdisirew (comatrice)

09 issin- - logie (suffixe)

tasnimirt (chronologie)

10 mgel- contra- contre-

amgelamedya (contre-exemple)

11 azin- demi- semi- hémi-

azinagwni (demi-plan) azinagraw (semi-groupe) azinallus (hémicycle)

12 agens- endo- tagensalγa (endomorphisme)

13 afel- épi- tafelγa (épimorphisme)

14 agdu- équi- agduγmir

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iso-

(équiangulaire) tagdulγa (isomorphisme)

15 - ẓer -scope (suffixe)

izziẓri (gyroscope)

16 ayeḍ- hétéro- ayeḍẓar (hétérogène)

17 amed- holo- amdaful (holonome)

18 aken- homéo- aknalγan (homéomorphe)

19 alu- homo- talulγa (homomorphisme)

20 - deg - tope- - trope -

tasnidegt (topologie)

21 afel- hyper- afelgasas (hypercube)

22 adu- hypo- sous- sub-

adullus (hypocycle) adugraw (sous-groupe)

23 aful- méro- afulγan (méromorphe)

24 adfer- méta- adefrawal (métalangage)

25 ayen- mono- ayenẓar (monogène)

26 aget- multi- poly-

agtummid (multientier) agetful (polynôme)

27 ṭam- octo- aṭamdis (octogone)

28 azun- para- azunkussem (paracompact)

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29 semmus- penta- asemmusdis (pentagone)

30 ket- - mètre azzikit (périmètre) 31 - tama - èdre agettama

(polyèdre) 32 azar- pré- azarkussem

(précompact) 33 akuz- quadr- akuziγmer

(quadrangle) 34 aẓ-

azun-

quasi- pseudo-

aẓkussem (quasicompact)

35 afel- aneg-

sur- trans-

afelgir (surjectif) anegfaku (transfini)

36 akerḍ- tri- akerdis (triangle) 37 aneg- ultra- anegmeccaq

(ultradistance) 38 ayen- uni- taynazmert

(unipotence)

Bien évidemment, le recours à la préfixation comme procédé de création lexicale pose de nombreux problèmes théoriques et pratiques que nous ne prétendons pas avoir définitivement réglés. Au moment où la réalisa-tion de lexiques scientifiques commence à connaître un début de concrétisation, il appartient aux spécialistes de la langue Tamaziγt de donner à ce travail les bases néces-saires, en dégageant avec un maximum de précision les différentes méthodes de création lexicale à utiliser.

Janvier 1984

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Problèmes de néologie berbère : Remarques sur l’Amawal

Etudes et Documents Berbères n°8, 1991, pp. 97-111

Il existe actuellement, dans le domaine berbère, un certain nombre de travaux et de publications consacrés à la néologie. On peut citer, sans que la liste soit exhaus-tive : - Tajeṛṛumt n tmaziγt (M. Mammeri, 1976, Paris, Maspé-ro), où se trouve proposé le vocabulaire technique de la grammaire. - Amawal, 1980, Paris, Imedyazen. - Rhelli (I. Ag) / Mazou (R.). Initiation aux enquêtes linguistiques : résultats d’enquêtes. Proposition pour quelques néologismes. Tamajaght, Niamey, MEN, 1983-1984, 32 p. - Séminaire-atelier sur l’élaboration de la terminologie des mathématiques en langues nationales (Dosso, 13-18 août 1984), Niamey, INDRAP, 1984, 187 p. - Afragna alzahalat : Exseb (Vaincre l’ignorance. Cal-cul), Bamako, DNAFLA, s.d., 37 p. - Alxisab, CEM, A2 (Calcul, CEM, A2), Bamako, MEN (IPN), 1983, 81 p. - Lexique français-berbère de Mathématiques, Tafsut, 1984, Tizi Ouzou. Auteurs : MM. M. Laîhem, H. Sadi et R. Achab, avec la collaboration de MM. S. Chaker et M. Mammeri. - Tamusni tamezwarut di lebni. A. Abdesslam, Tafsut, 1986, Tizi Ouzou. - Lexique français-berbère de géographie. Slimane Toua-ti, Tizi Ouzou, inédit. - Lexique français-berbère de technologie. Ahsène Taleb, Tizi Ouzou, inédit.

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Ces travaux portent principalement sur le voca-bulaire « moderne » et « abstrait » (Amawal) et l’élaboration de quelques lexiques spécialisés. Les termes proposés ont connu et continuent de connaître des for-tunes très inégales.

Les pages qui vont suivre se proposent de mettre

le doigt sur un certain nombre de problèmes de la néolo-gie berbère, à travers les expériences déjà existantes. Quelques remarques sur l’Amawal

L’Amawal est le fruit d’un travail réalisé au début des années 1970 à Alger (CRAPE) par une équipe de jeunes chercheurs, sous la direction de M. Mammeri. De ce travail sortira en 1974 à Alger un polycopié à tirage limité. Quelques années plus tard (1980), la coopérative Imedyazen de Paris en fera une première édition, qui sera réimprimée et diffusée en 1990 par l’Association cultu-relle Aẓar de Béjaïa en plusieurs milliers d’exemplaires.

Les néologismes proposés par l’Amawal peuvent donner lieu à plusieurs types de remarques. Nous com-mencerons par les plus apparentes, les remarques de forme, qui vont des erreurs de frappe à un certain nombre de conflits, en passant par les contradictions entre les parties berbère-français et français-berbère du lexique. Quelques questions de fond seront abordées par la suite. 1. Les erreurs de frappe

L’édition faite par Imedyazen (et, par consé-quent, sa réimpression littérale par l’Association Aẓar de Béjaïa) est entachée de nombreuses erreurs de frappe. Il n’est pas inutile de les signaler, même si certaines sont bénignes : un lecteur non averti peut confondre une

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« ligne » et une « ligue », un « style » et un « stylo ». Si j’ai délibérément omis d’en signaler quelques-unes, trop évidentes, il n’est pas exclu que d’autres, par contre, aient pu échapper à mon attention. Les corrections sont appor-tées dans la dernière colonne du tableau (voir Annexe) indépendamment de toute discussion du choix des termes proposés.

Des erreurs d’impression sont également à signa-ler : les pages 2 et 3 de la préface en kabyle de M. Mam-meri ont été interverties, tout comme ont été interverties les pages 6 et 7 : la page 7 fait partie de la préface en français et non pas de l’avertissement, elle fait donc suite aux pages 4 et 5. L’avertissement ne comprend que la seule page 6. 2. Quelques contradictions

A ces erreurs de frappe s’ajoutent un certain nombre de contradictions entre les parties berbère-français et français-berbère du lexique Amawal : mots figurant dans l’une des parties et ne figurant pas dans l’autre, non-correspondance entre les équivalents propo-sés en passant d’une partie à l’autre.

a) Non-correspondance entre les lexiques berbère-français (noté B-F) et français-berbère (noté F-B)

B-F Page F-B Page adeblan 9 adebli 67 (administratif) aglawan 11 aglawi 99 (horizontal)

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B-F Page F-B Page alsaw 15 talsa 99 (humanité) tazdit 58 tanmegla 110 (opposition) amagan 15 agmawi 108 (naturel) almessaw 15 akati 95 (familial)

b) Mots figurant dans la partie berbère-français (B-F) et ne figurant pas dans la partie français-berbère (F-B)

agawes (10) : famille agemmir (11) : dignité agennay (11) : faibleur ( ?) amaẓlay (17) : particulier ameqqal (19) : (arriéré) existe en F-B avec le sens « arrêté » (71) anessemdu (23) : conseiller (anesγamu, p. 23) asehwu (27) : accident axaman (30) : sérum imalas (36) : semaine taγuyit (52) : interjection tajṛut (52) : cas tamenḍat (53) : obstination tugrint (60) : discipline (aneḍfar, p. 85 figure

dans la partie B-F avec le sens de « discipline »)

c) Mots figurant dans la partie berbère-français (F-B) et ne figurant pas dans la partie français-berbère (B-F)

tanmegla : opposition (110) aneḍfar : disciple (85) amγun : annexion (69)

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akati : familial (95) tamendit : joie ? jeu ? (103) azemmul : séquelle (125) 3. Quelques problèmes de fond a) La documentation

Le lexique français-touareg de J.M. Cortade et M. Mammeri (1967) est la source principale d’où sont tirés les mots et les racines ayant servi à la fabrication des néologismes proposés dans l’Amawal. Cette seule source est loin d’être suffisante. La lexicographie berbère était déjà riche d’un certain nombre d’autres titres : - Dictionnaire français-chaouia (Huyghe, 1906) ; - Dictionnaire kabyle-français (Huyghe, 1905) ; - Dictionnaire français-kabyle (Huyghe, 1905) ; - Dictionnaire touareg-français, 4 vol., (de Foucauld) ; - Vocabulaire français-berbère (tachelhit) (Destaing, 1938) ; - Vocabulaire et textes berbères (Mercier, 1937) ; - Dictionnaire rifain-espagnol (Ibañez, 1949) ; - Dialectes berbères du Rif (Reniso, 1932) ; - Manuel de berbère marocain (Justinard, 1926) ; - Mots et choses berbères (Laoust, 1920).

A ce lot ancien de dictionnaires et de lexiques s’ajoutent les publications postérieures à l’Amawal : - Lexique touareg-français (Alojaly, 1980) ; - Dictionnaire kabyle-français (Dallet, 1982) ; - Dictionnaire français-kabyle (Dallet, 1985) ; - Dictionnaire mozabite-français (Delheure, 1985) ; - Dictionnaire ouargli-français (Delheure, 1988).

D’autre part, des travaux universitaires (thè-ses…), des publications diverses (textes, Encyclopédie

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Berbère…) continuent d’apporter de nouveaux éclairages sur le lexique berbère. Enfin, un projet de grande enver-gure est en cours de réalisation sous la direction de M. S. Chaker (Aix-Paris) : le Projet de dictionnaire général informatisé de la langue berbère. Il connaîtra très pro-chainement un début de concrétisation. b) Le choix du touareg

Cette deuxième remarque est liée à la précéden-te : la primauté accordée aux racines tirées du touareg de l’Ahaggar est très discutable : à échelle pan-berbère, ce dialecte est largement minoritaire. Dès lors, la plupart des termes qui en sont tirés « ne disent rien » à la plupart des berbérophones et leur sont complètement inconnus. Il y a lieu, à chaque fois que cela est possible, de tenir compte du poids statistique des racines à utiliser. D’ailleurs, l’Avertissement de l’Amawal le dit bien : … Cette racine étant en général particulière au toua-reg n’éveille rien dans l’esprit des locuteurs des autres parlers, qui n’ont pas le terme simple d’où est tiré le néologisme. La solution est dès lors (peut-être) de reprendre tout le lexique à l’aide du lexique pan-berbère et de prendre comme racines formatrices plutôt celles des parlers du Nord les plus nombreux, à condition naturellement que la racine soit berbère. c) Quelques conflits

Si les remarques a) et b) peuvent paraître trop gé-nérales, la remarque c) se propose d’approcher plus concrètement, à travers des exemples précis (voir ci-dessous), un certain nombre de problèmes et de conflits directement liés aux termes proposés dans l’Amawal.

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En règle générale, chaque exemple porte en lui non pas un mais plusieurs conflits. Il est par conséquent très difficile de classer les nombreux cas par type précis de problème.

Ainsi, si l’on prend comme premier exemple la série de termes suivants : Exemple 1 : (les numéros de page sont indiqués entre parenthèses) aleγ se former (14) aleγ former (96) alγawi formel (15) alγu communiqué (78) avertissement, avis (72) selγu communiquer (44-78) informer (48-101) lleγ annoncer (38-70) tullγa annonce (61-70) ttwaleγ être formé (61) sileγ améliorer (69) former, améliorer (46) mmelγu être informé (39) amellaγ annonciateur (70) talγa forme (52) talγut information (101) amselγu informateur (101)

Nous pouvons établir le constat que la racine

« lγ » qui intervient ici est sur-utilisée. Le recours à la variation vocalique (sileγ, selγu) ou morphologique ne résoud pas le problème de la quasi-homonymie, avec tous les risques de confusion et d’arbitraire que celle-ci com-porte.

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D’autre part, si l’on revient à la source d’où est tirée cette racine (unique ?) « lγ », le Lexique français-touareg de Cortade-Mammeri (qui par la suite sera noté C-M), nous pouvons lire (les numéros de page renvoient à la seconde édition, revue et augmentée, Inalco, 1985) : avertir (annoncer) (42) : lγet avertissement (42) : tasuslit avis (43) : tanaṭ affaire (10) : talγa forme (indistincte) (235) : tugna forme (être de forme allongée) (236) : helmey manière (d’être) (315) : talγa informateur (277) : amellγet

On voit bien qu’il n’y a pas de parfaite corres-pondance entre les sens attribués par l’Amawal et les sens originels. La racine « lγt » (avertir, annoncer, informer…) se retrouve dans l’Amawal sous la forme « lγ ». Les deux racines « lγt » et « lγ » peuvent-elles être confondues ? Ces écarts se complexifient si l’on remarque que : - Dans C-M, le mot tanaṭ traduit « avis » et « ordre » (359). Il traduit « décret » dans l’Amawal (82) où le mas-culin anaḍ désigne l’impératif (100). - Dans C-M, le mot tugna désigne une « forme indistinc-te ». Il traduit dans l’Amawal (60) « personnalité » (113) et « image » (100). - Pour un locuteur kabyle, certaines formes de la racine « lγ » peuvent évoquer autre chose que les sens proposés par l’Amawal.

Les remarques tirées de l’Exemple 1 peuvent s’appliquer à de nombreuses autres séries de néologismes de l’Amawal.

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Exemple 2 : nfali (41) : être exprimé senfali (44) : exprimer tanfalit (55) : expression, devise taneflit (55) : développement snefli (47) : développer tanfalit (96) : formule asenfel (120) : réciprocité Dans C-M (page 2), le terme nufli signifie « avoir en abondance ».

Exemple 3 :

tawuri (58) : fonction, travail amahil (16) : travail anemhal (23) : directeur anmahal (129) : travailleur anmahal (69) : ambassadeur tanmahelt (69) : ambassade tamehla (54) : direction asmihel (116) : programmation sihel (116) : programmer ahil (116) : programme ahel (116) : être programmé amessihel (116) : programmeur

Dans C-M, tanemhalt désigne une « chose comparable » (page 110) ; nemhal signifie « être comparable » (110) ; anemmahal signifie « apôtre » Exemple 4 : aneγrum (23) : civilisé

seγrem (43) : civiliser taγerma (51) : civilisation tiγremt (59-76) : château uγrim (62-76) : citadin

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aγaram (76) : cité aγerman (76) : citoyen tiqqermi (77) : citoyenneté aγarim (77) : civil

Exemple 5 :

ssef (47) : extraire tussfa (61) : extraction tussfa (88) : égoïsme anassaf (88) : égoïste

Dans Tajeṛṛumt, le terme asuf traduit « singulier ». Exemple 6 :

tugna (100) : image amagnu (108) : normal agnu (116) : problème sugen (48) : imaginer amagnu (11) : ordinaire

Exemple 7 :

tugdut (83) : démocratie tugdut (88) : égalité tulut (61) : égalité

Exemple 8 :

akatar (14-75) : cadre, charpente kter (38) : importer

Exemple 9 : tasγunt (79) : conjonction tasγunt (123) : revue (journal) aγan (128) : traité tazγunt (56) : conjonction uzγin (63) : critique amγun (69) : annexion

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zγen (64) : critiquer asγun (73) : bijou Dans Tajeṛṛumt, amaγun désigne le participe. Exemple 10 : tamsulta (114) : police amsaltu (114) : policier tamsetla (54) : gendarmerie amestul (19) : gendarme Exemple 11 : aγrud (124) : salaire aγrud (128) : total Exemple 12 : asmil (29) : promotion, classe asmil (77) : comète tasmilt (78) : commission taserkemt (77) : classe taneγrit (55) : classe d’école Exemple 13 : awlal (105) : marin tagriwa (105) : marine Exemple 14 : sentel (45) : objecter, subordonner asentel (127) : substance asentel (127) : sujet (thème) smentel (46) : causer (créer) tamentilt (54-75) : cause Exemple 15 : tawinest (76) : cercle tawinest (113) : phrase

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Exemple 16 : anmalu (127) : syndicat anmali (127) : syndical anmalay (127) : syndicaliste tanemla (126) : socialisme anemlay (126) : socialiste

Là encore, les séries précédentes peuvent donner

lieu à différents types d’objections : - Les exemples 5,7,11,15,9,3,12,14 et 2 posent le problè-me de l’homonymie qui bien entendu peut constituer un choix, mais à condition que celui-ci soit conscient et jus-tifié : tussfa : extraction tugdut : démocratie tussfa : égoïsme tugdut : égalité aγrud : salaire tawinest : cercle aγrud : total tawinest : phrase tasγunt : conjonction anmahal : travailleur tasγunt : revue anmahal : ambassadeur asmil : promotion, classe asentel : substance asmil : comète asentel : sujet tanfalit : expression, devise tanfalit : formule - Des mots phonétiquement très proches et probablement tirés de la même racine traduisent des réalités différentes (exemples 2,6,10 et 16) : senfali : exprimer amagnu : normal, ordinaire snefli : développer agnu : problème

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tamsulta : police anmalay : syndicaliste tamsetla : gendarmerie anemlay : socialiste - Dans l’exemple 4, la racine « γrm » est sur-utilisée. Peut-être que l’Amawal aurait gagné à différencier lexica-lement les notions de civilisation, de château et de ci-toyen, même si celles-ci sont culturellement et histori-quement proches.

Un certain nombre de néologismes peuvent évo-quer autre chose en kabyle : - Aneγrum (« civilisé ») (exemple 4) signifie « compensa-tion » (aγram, aneγrum : de la racine « γrm » : « dédom-mager, compenser, donner en compensation). - Lleγ (« annoncer ») (exemple 1) signifie « lécher ». - Sentel (« objecter, subordonner) (exemple 14) renvoie à la forme factitive sentel qui signifie : « dissimuler, ca-cher ». - Dans l’exemple 13, les équivalents des mots « marin » et « marine » ont été construits à partir de deux racines différentes : awlal et tagriwa. - Dans l’exemple 8, c’est la même (?) racine « ktr » qui intervient dans les équivalents des mots « cadre, char-pente » et « importer », bien que ces notions n’appartiennent pas au même champ sémantique. L’Amawal entre parfois en contradiction avec d’autres lexiques spécialisés : - « annexion » est traduit par amγun (amaγun ?) dans Amawal. Le même mot est rendu par amaruz dans Tajeṛṛumt. Amaγun signifie « participe » dans Tajeṛṛumt. - Asentel signifie « substance » et « sujet » dans Amawal. Il signifie « subordination » dans Tajeṛṛumt. - « Dérivé » est rendu par azellum dans Amawal, et par asuddim dans Tajeṛṛumt.

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Les contradictions qui peuvent exister entre des lexiques de différentes spécialités posent notamment le problème de la nécessaire coordination des recherches.

Ajoutées aux remarques et aux objections qui

précèdent, et à celles que l’on pourrait formuler au sujet d’autres travaux comme le Lexique français-berbère de Mathématiques, elles disent aussi l’extrême prudence avec laquelle il faut aborder la question de la création lexicale et celle, concomitante, de la rédaction de ma-nuels pédagogiques spécialisés. L’absence ou le manque de documentation, de formation et de coordination, l’inexistence d’un cadre institutionnel compétent et re-connu sont autant d’arguments lourds que l’on ne peut ni ignorer ni évacuer.

Ces pages auront atteint une grande partie de leur objectif si elles peuvent contribuer à faire en sorte que particulièrement en matière de néologie, des précautions maximales doivent être prises, dans l’intérêt de la langue et de ses locuteurs. La seule volonté, même animée des meilleures intentions du monde, ne suffit pas. Peut-on espérer que la création de mots nouveaux n’engendre pas de nouveaux maux ?

Autres exemples Exemple 17 : aγlal (80) : constant aγlal (120) : recordman Exemple 18 : taγara (105) : manière taγara (118) : qualité aγaran (113) : physique (adj.)

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Dans C-M (page 208), taγara signifie « état » (manière d’état). Exemple 19 : tamunt (54) : évidence tamunt (55) : compagnie tammunt (93) : évidence mmun (40) : être évident Dans C-M (27) tamunt signifie « apparition », le verbe « uman » signifie « apparaître » Exemple 20 : agawes (10) : famille (Ce terme n’existe pas dans la partie F-B) almessi (15) : foyer, famille takat (52) : famille Exemple 21 : anesγamu (79) : conseiller anessemdu (23) : conseiller anessemdu (83) : défunt Exemple 22 : coopérant (80) : amadhal coopération (80) : amedhel coopérateur (80) : anmarag coopérer (80) : nmireg coopérative (80) : tanmiregt Deux racines sont ici sollicitées (« DHL » et « MRG ») pour traduire des termes appartenant au même champ sémantique.

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Exemple 23 : défendre (83) : sten défensive (83) : taγensa Pourquoi deux racines différentes ? Exemple 24 : amenḍar (83) : délai Le mot amenḍar évoque autre chose en kabyle1. La no-tion de « délai » existe dans ce parler ; elle est rendue par le mot tafada qui figure dans le dictionnaire Dallet (1982 : p. 19) avec un sens voisin. Exemple 25 : asalay (107) : musée amekraz (18) : possessif taslekt (56) : conquête kreḍ (110) : opprimer Les quatre mots de cet exemple renvoient aux verbes suivants : ali (monter), krez (labourer), slek (échapper, être sauf, épargner), kreḍ (gratter) qui n’ont aucun rap-port sémantique avec, respectivement, « musée », « pos-sessif », « conquête » et « opprimer ». Exemple 26 : tinneflest (60) : magistrature taflest (79-95) : confiance, foi fles signifie en kabyle : « ruiner, être ruiné ».

1 Amenṭar / Anemḍar : vagabond, errant (Dallet, 179). Amenṭer, anemḍer : vagabondage, errance.

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Annexe Erreurs de frappe1

Page Erreur Correction 8 adaru adabu 11 agejga igejda 11 agedun ageldun 11 igensir igensi 12 agnu (ignal) agnu (igna) 12 aγanib : style aγanib : stylo (iγynab) iγunab 13 aγudar aγuḍar 14 akfud akfuḍ 15 iminey (almud) imineg 15 alwiwiḍ alwiweḍ 15 amagan agaman 18 amḍal amaḍal 18 amḍif amḍaf 18 ameγdad ameγḍaḍ 20 ameẓṛigzen ameẓẓigzen 20 amγir amγiz 20 amidan amiḍan 20 amqin amqim 21 amsieran amsihran 22 anagbas anagbar 22 anasaf anassaf

1 [Note de l’éditeur : il s’agit ici des erreurs de frappe qui figu-rent dans l’édition de l’Amawal faite en 1980 par la coopérative Imedyazen de Paris. Les mêmes erreurs se retrouvent bien évidemment dans les nombreuses duplications de l’Amawal qui ont été faites en Algérie (celles de l’Association Aẓar de Bgayet par exemple), le fichier PDF disponible sur internet, les piratages éditoriaux, etc. On en trouve encore dans les éditions plus récentes, y compris, mais en quantité plus faible, dans celle qui a été faite par le CNRPAH d’Alger en 2008.]

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Page Erreur Correction 22 anazal (imuzal) anazal (inuzal) 23 anemhay anemlay 30 atramman atrar 30 awanak awanek ? 34 ibebber igebber 35 itguggul iţguccul 35 (ur) iγunef (ur) iγunej 36 imadreg imedreg 38 kfed kfeḍ 38 lyem lyem être dessous être dissous 39 maga maca 39 ur immezeγ ur immenzeγ (mmenzeγ) 41 nḍeb (indeb) inḍeb 41 iţţinγiwis iţţenγiwis (nγiwes) 41 nnefli nnegmi 42 Iray iţray 42 ruhed rured 43 sa ṣa 43 isḍerṛmis isḍermis 46 iskufuṣ iskufuḍ 46 slγmu sluγmu 47 smiwel smiḍwel 51 s et γara s tγara 51 taγerna taγerma 52 talemmiht talemmiḥt 52 talemmizt talemmiẓt 53 talil talilt 53 tam ṭam 53 tinekrawin tinekriwin 54 jeu (tamendit) joie 57 tasreγfa tasreγta

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Page Erreur Correction 57 tausqqist tasuqqist 60 tizerγt tizeγt 61 tuţţura tuţţra 62 ugur n… ugar n… 62 ujjur ujjuṛ 65 zreg ẓreg 65 izzernin iţzernin 65 izzunu iţẓunu 69 igemmayer igemmayen 69 amswaḍ (amateur) amaswaḍ 69 tawernat (anarchie) tawernaṭ 72 abγur (avantage) abaγur 75 causer (crier) causer (créer) 78 taywalt taγwalt (52) (communication) 89 taγdert (élite) tadγert 22 anaram anaṛam 94 anaram anaṛam (explorateur) 104 ligue ligne 105 timqiwin timsiwin (tamsiwt) 107 akfud akfuḍ (multiplication) 112 paire pair 112 amni (imman) amni (imnan) 114 amedyas amedyaz 115 tanzaγt tanzeγt (préposition) 118 ahellel (psaume) ahellil 119 swassaγ γer… s wassaγ γer… (par rapport à) 119 timmerẓent timmeγẓent 122 tγbalut taγbalut

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Page Erreur Correction 123 amenzay amenzaγ (rival) 124 tγersawt taγersawt (sacrifice) 128 tour tourisme 130 andi anḍi (varié) 130 tiytas tiγtas (victime) 131 imayzalen imaγzalen (volontaire) 131 ittedyar iţţedγar (voter) 131 timayezlin timaγezlin (volontariat)

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Entretien

Imazighen Ass-a n° 2-3, Paris, 1995, pp. 24-28 Réalisé par Saïd Chemakh, février 1995

Aménagement du berbère

La place de la néologie Imazighen Ass-a : Des mathématiques à la linguistique, pouvez-vous nous retracer votre itinéraire ? R. Achab : Permettez-moi de dire, avant tout, que j’ai eu l’occasion de prendre connaissance du premier numéro du bulletin d’information de votre association. J’en ai beaucoup apprécié le contenu, et je voudrais profiter de cette occasion pour vous présenter mes meilleurs vœux de succès dans toutes vos activités.

Parallèlement à mes études de mathématiques, j’ai commencé à m’intéresser à la grammaire berbère à partir de 1970 en assistant aux cours que M. Mammeri donnait à l’Université d’Alger. En 1972 ou en 1973, avec quelques autres étudiants, nous avons lancé les petits bulletins culturels Taftilt et Itri qui disparurent assez vite de la circulation. En France ensuite où, de 1974 à 1979, j’ai participé aux activités du Groupe d’Etudes Berbères de l’Université Paris VIII en assurant, avec le feu vert de Mbarek Redjala, un cours de transcription de la langue berbère. La matière de ce cours a d’ailleurs fait l’objet d’une publication de la Coopérative Imedyazen sous le titre "langue berbère (Kabyle) : initiation à l’écriture". A Paris, j’ai eu également l’occasion d’assister à des sémi-naires de Lionel Galand (EPHE) et de Salem Chaker (INALCO).

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En 1979, j’ai rejoint comme enseignant de ma-thématiques l’Université de Tizi-Ouzou où, à la demande des étudiants, j’allais donner un cours non officiel de grammaire et de notation de la langue berbère. Le pre-mier cours a eu lieu le 16 avril 1980, en pleine occupa-tion de l’Université par la communauté universitaire. Ce cours est ensuite devenu une sorte de tradition : les comi-tés de cités universitaires le programmaient à chaque rentrée à Oued-Aïssi et à Hasnaoua. D’autres enseignants se sont par la suite joints à l’animation de ce cours. J’ai eu également l’occasion de donner quelques cours dans des lycées de Kabylie (Draa-el- Mizan, Tizi-Ouzou, etc.), ainsi qu’à l’Université Bab-Ezzouar d’Alger où des acti-vités culturelles berbères étaient organisées par le collec-tif Imedyazen.

J’ai participé parallèlement au lancement et à

l’animation de la série ordinaire de la revue Tafsut où j’ai écrit quelques éditoriaux en kabyle, ainsi qu’au lance-ment de la série pédagogique et scientifique de cette même revue. En 1985 je crois, nous avons également tenté, à partir de l’Université de Tizi-Ouzou, une expé-rience d’enseignement du berbère à distance. L’expérience ne fît pas long feu à cause des difficultés matérielles et de la conjoncture.

De façon plus officielle, j’ai eu l’occasion de par-

ticiper à des jurys ou d’encadrer des étudiants d’informatique qui ont fait des mémoires de fin d’étude se rapportant au domaine berbère : traitement de texte en caractères néo-tifinagh (mémoire dirigé par un collègue informaticien : M. Arezki Bouzefrane), conjugaison ka-byle assistée par ordinateur, base de données textuelles berbères.

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De retour en France au début de l’année 1989, c’est grâce à M. Salem Chaker que j’ai pu m’inscrire en doctorat à l’INALCO, en choisissant de travailler sur la néologie lexicale berbère.

Depuis près de vingt-cinq ans, il y a donc tou-

jours eu à mon niveau une sorte de concubinage entre ma vie professionnelle (études et enseignement des mathé-matiques) et des préoccupations plus personnelles. Mais cette situation est, je crois, loin d’être singulière. Elle constitue au contraire la règle pour les personnes de ma génération qui se sont intéressées, de façon active, à la question berbère. Les exemples abondent autour de nous. Pour n’en citer qu’un seul, je rappellerai que Muhend-u-Yehya a également fait des études de mathématiques à l’Université d’Alger avant de se mettre à traduire Sartre, Brecht, Beckett, Molière et d’autres encore.

Sur un autre plan, je pense qu’il y a une identité

de principe à la base de toutes les activités d’ordre intel-lectuel. Il n’y a ni incompatibilité ni exclusion entre les sciences exactes et les disciplines littéraires. Le seul con-flit que je connaisse personnellement est d’ordre maté-riel : la gestion du temps.

Quelle est votre expérience dans le domaine de la re-cherche berbère ?

Pas grand chose. Pendant de nombreuses années, je ne me suis intéressé qu’aux questions de grammaire et de notation. De 1982 à 1984, j’ai contribué à l’élaboration d’un lexique français-berbère de mathéma-tiques publié par la revue Tafsut, et nous voilà revenus aux mathématiques mais en berbère cette fois-ci.

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En 1986, M. Chaker m’a associé, avec d’autres collaborateurs, à son projet de dictionnaire général in-formatisé de la langue berbère.

Le lexique de mathématiques a été fait par trois

personnes : H. Sadi, M. Laïhem et moi-même. Chaker et Mammeri nous ont apporté leur contribution pour les questions de méthodologie, le choix des préfixes et des racines, etc. M. Mammeri nous a prêté quelques diction-naires berbères.

Après un an de travail, le gros était déjà terminé.

Par la suite, M. Chaker était, je crois, reparti en France, H. Sadi également. Comme nous ne voulions plus déran-ger outre mesure M. Mammeri qui nous recevait occa-sionnellement à son domicile d’Alger, nous nous sommes retrouvés à deux pendant les six derniers mois de travail. J’étais personnellement au service militaire à EI-Harrach ; M. Laïhem qui enseignait les mathématiques à l’ENS de Kouba terminait parallèlement ses études de médecine. On travaillait chacun de son côté et on se re-trouvait les fins de semaine pour faire le point. Pour la petite histoire, nous avons passé plusieurs week-ends à travailler dans une clinique de psychiatrie de Kouba où M. Laïhem assurait un service de garde. Vous voyez un peu la situation : un officier de réserve et un médecin-mathématicien, en train de faire des mathématiques en berbère dans une clinique de psychiatrie !

Comment avez-vous procédé pour le choix des termes ?

En gros de la façon suivante : La liste des termes avait d’abord été fixée à partir de dictionnaires de ma-thématiques et d’index d’ouvrages. Pour les équivalents en berbère, nous avions commencé par prendre les termes de l’Amawal se rapportant aux mathématiques. Nous

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avons ensuite travaillé sur les résultats des dépouille-ments des dictionnaires berbères d’où nous avons pris des termes ou des racines pouvant servir en maths. Sur ces termes ou ces racines, nous avons appliqué les procédures traditionnelles de dérivation et de composition. Enfin, à partir de notre liste de préfixes et de suffixes, nous avons créé un certain nombre de classes de termes.

Les besoins couverts sont ceux des mathéma-tiques des niveaux primaire, secondaire et supérieure (jusqu’au niveau Licence). Nous considérons cependant notre travail comme un brouillon susceptible d’être amé-lioré. Ce lexique de maths a eu un certain écho en Kaby-lie où des enseignants de l’Université ou du secondaire se sont mis à rédiger des chapitres ou des leçons de maths en berbère.

Vous venez de soutenir une thèse de doctorat sur la néo-logie lexicale berbère. Pour quelles raisons avez-vous choisi de travailler sur ce sujet ?

Il y a toujours des raisons multiples à l’origine du choix d’un sujet : le hasard, la curiosité, l’intérêt person-nel pour tel ou tel domaine, l’actualité du sujet, les dispo-nibilités documentaires, etc.

Le lexique en général m’a toujours intéressé.

Dans les années 1970, j’étais abonné au Fichier de Do-cumentation Berbère. Je prenais toujours des notes en lisant les publications de ce Fichier : des mots que je ne connaissais pas, des expressions, des proverbes, etc. J’ai ainsi rempli plusieurs petits cahiers dont je me suis tou-jours dit qu’ils pourront servir à quelque chose, ne serait-ce qu’à des besoins personnels. Aujourd’hui encore, je prends plaisir à lire les dictionnaires berbères comme on lit un roman.

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Mon intérêt pour la néologie est né progressive-ment, à la lecture de publications comme la grammaire en berbère de M. Mammeri, l’Amawal (lexique de berbère moderne) etc. Il est né aussi des observations de l’usage qui était fait des néologismes de l’Amawal : les poèmes de Ben-Mohammed, la néo-chanson kabyle, la littérature moderne, les émissions radiophoniques etc.

Je pense que les néologismes ont beaucoup ap-

porté non seulement sur le plan lexical, mais aussi au niveau du déblocage psychologique des acteurs de berbé-rité. Ils apportaient la preuve concrète qu’il était possible d’intervenir sur la langue (une langue qui par ailleurs était soumise à de multiples phénomènes d’érosion), de décomplexer, de donner le ton pour aller de l’avant.

Dans la mouvance berbériste des années 1970, de

nombreuses personnes étaient outrées par la grande pro-portion d’emprunts arabes dans le lexique kabyle. Ces emprunts étaient vécus, ainsi que je l’ai écrit dans mon travail, comme des souillures. Des poètes, des chanteurs, des écrivains en herbe partaient en quête d’une impos-sible pureté. Les néologismes remplissaient donc un vide, une fonction compensatoire. Les jeunes cherchaient à prendre une revanche sur leur propre langue, d’autant plus qu’ils en avaient généralement perdu aussi bien une partie du lexique traditionnel que les possibilités expres-sives.

Plus tard, j’ai été frappé par le manque

d’élégance qui était quelquefois fait de ces néologismes dans certaines émissions radiophoniques (en Algérie et en France), mais surtout, à partir de 1989, dans la presse politique kabyle (Asalu et Amaynut).

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Je voulais donc essayer de voir plus clair dans tout cela, proposer un bilan en quelque sorte. Il fallait, pour cela, faire le voyage à l’intérieur de ces matériaux néologiques, chercher l’origine dialectale des termes proposés, retrouver les procédures de création lexicale utilisées, classer les néologismes, tenter de quantifier le tout, faire un état des usages et dresser les grandes carac-téristiques de l’ensemble.

Il y a aussi, bien sûr, des raisons plus fondamen-

tales : le sujet était d’actualité et l’est toujours : quelle que soit la façon de procéder, le lexique berbère a en tout cas besoin d’être aménagé. Je voulais aussi tirer la son-nette d’alarme sur certains aspects que je trouvais néga-tifs de cette action néologique. Je savais, ce faisant, que je m’engageais sur un terrain "chaud" ayant des possibili-tés de développement infinies.

Par qui l’Amawal a-t-il été fait et pourquoi ne porte-t-il pas de signature ?

L’Amawal a été fait par une équipe de quatre per-sonnes : M. Mammeri, Amar Zentar, Mustapha Benkhemmou et Amar Yahiaoui. Il y avait aussi des par-ticipants occasionnels. Professeur à l’Université d’Alger, M. Mammeri assurait aussi, à l’époque, la direction du CRAPE. Les trois autres personnes étaient des étudiants.

Le tirage limité qui a été fait en 1974 à Alger por-tait le nom de Mammeri au bas des préface et avertisse-ment. Par contre, l’édition faite par la Coopérative Ime-dyazen en 1980 ne porte aucune signature.

Quelque temps avant cette édition, j’ai rencontré

par hasard M. Mammeri à Paris, au Quartier latin. Je l’ai informé qu’une édition de l’Amawal était en préparation.

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M. Mammeri a refusé que son nom apparaisse en couver-ture comme à l’intérieur. Comme j’invoquais des motifs de crédibilité ou même commerciaux, il a répondu que si l’Amawal répondait effectivement à un besoin, il se ven-drait quel qu’en soit l’auteur. Son nom, d’après lui, n’en ferait vendre que cinquante exemplaires de plus. Il a refu-sé également des formules du genre : "ouvrage collectif sous la direction de Mammeri" etc.

Il y a aussi les productions marocaines et touarègues

Effectivement, il n’y a pas que la néologie ka-byle. Au début des années 1980, des productions néolo-giques ont été réalisées au Mali et au Niger dans le do-maine des mathématiques de niveau primaire par exemple. Au Maroc, une traduction berbère de la déclara-tion universelle des droits de l’homme a été faite en 1990 autour de Hassan Id Balkasm, avocat et poète ; les au-teurs ont dû prendre des termes dans l’Amawal, mais aussi construire les nouveaux termes dont ils avaient besoin. Au Maroc encore, en 1993, un vocabulaire de l’éducation a été fait par Bélaïd Boudris qui a dû, lui aussi, emprunter à l’Amawal et proposer de nouveaux néologismes et de nouveaux préfixes. Même en Algérie la source de production n’est plus exclusivement kabyle : j’ai eu l’occasion de prendre connaissance, par l’intermédiaire de Mme Yacine, d’une liste inédite de néologismes élaborée par un groupe de mozabites.

La diversification géographique concerne aussi l’usage des néologismes : des chanteurs chaouis utilisent des termes pris dans l’Amawal. Pour le Maroc, on peut citer le journal culturel Tasafut, la revue Tifawt, la chan-son, les émissions radiophoniques et, depuis quelques mois, les informations en berbère à la télévision. Au Ma-roc comme en Algérie, l’usage des néologismes est deve-

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nu chose courante, surtout dans les productions plus ou moins élaborées. Quel bilan faites-vous de ce demi-siècle d’action néolo-gique ?

Il est toujours délicat de faire un bilan dans des domaines où les considérations subjectives sont difficiles à éviter.

Il y a effectivement aujourd’hui un demi-siècle

d’action néologique dans le domaine berbère puisque les premiers essais sont apparus en 1945 dans les chants berbéro-nationalistes (Aït-Amrane principalement).

Depuis, l’aménagement du lexique a touché plu-sieurs domaines : des domaines assez généraux (sciences humaines) par l’Amawal, la grammaire (M. Mammeri), les mathématiques (Algérie, Niger, 1984), le droit (Ma-roc, 1993), la géographie (manuscrit inédit de Slimane Touati), la religion (traductions kabyles de l’Evangile et du Coran), l’informatique, etc.

Au total, plus de sept mille mots ont été créés, quelques centaines connaissent un certain usage, quelques dizaines un certain succès. Les productions touarègues (Mali, Niger) sont numériquement faibles, mais présentent la particularité d’avoir été menées dans des cadres officiels puisque les parlers touaregs de ces pays ont statut de langue nationale. Plus globales et plus systématiques, les productions algériennes et marocaines ont été faites, quant à elles, dans des contextes politiques et idéologiques hostiles. En Algérie comme au Maroc, l’aménagement de la langue berbère en général et celui du lexique en particulier continuent de se faire de façon "sauvage". Dans ces pays l’action néologique est depuis

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cinquante ans caractérisée par le volontarisme et le spon-tanéisme.

Au niveau interne, les nomenclatures produites sont caractérisées dans leur ensemble par une forte ten-dance au purisme lexical, la chasse aux emprunts étran-gers, la quasi-inexistence des formations expressives, un calque systématique à partir du français : calque de l’univers extra-linguistique, calque des catégories syn-taxiques, calque des structures composées, calque des modalités du genre, etc. Le calque syntaxique s’ajoute dans l’usage et produit, comme dans la presse politique kabyle, des chefs-d’œuvre d’opacité.

Des insuffisances multiples peuvent être relevées à l’intérieur de chacune des nomenclatures prises sépa-rément : nombreux cas d’homonymie, dans l’Amawal par exemple, mais aussi, chose inadmissible pour une telle discipline, dans le lexique français-berbère de mathéma-tiques fait en Algérie en 1984. A ces défaillances dont on peut dire qu’elles sont d’ordre matériel s’ajoute l’isolement morpho-sémantique des unités produites, isolement aussi bien à l’intérieur du stock néologique qu’au regard du lexique ordinaire.

Il y a aussi les très nombreuses divergences de choix entre les nomenclatures : divergences entre l’Amawal et le lexique de mathématiques, divergences entre l’Amawal et les productions marocaines, diver-gences entre l’Amawal et le document mozabite inédit que j’ai évoqué précédemment, etc. Ces divergences por-tent sur des centaines de termes. Elles montrent en parti-culier que l’action néologique risque de creuser encore plus les écarts entre les dialectes si l’aménagement du lexique continue de se faire de façon séparée.

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Mais il y a, heureusement, des aspects positifs. Au-delà des insuffisances, il convient à mon avis de sa-luer le travail qui a été fait depuis un demi-siècle. Il a permis d’inaugurer un domaine sensible et complexe, de produire quelques succès, mais surtout d’expérimenter sur le terrain de la création néologique les différentes possibilités de génération lexicale offertes par le système linguistique berbère. Il a permis aussi d’introduire de nouveaux formants comme préfixes ou suffixes afin de régulariser les classes de termes. L’aménagement du lexique berbère est également caractérisé par l’aspect pan-berbère de la démarche des néologues. S’il est bien mené, il pourra contribuer à résorber les écarts entre les dialectes par la constitution d’un lot commun de néolo-gismes. Quelles sont vos propositions pour remédier à la situa-tion ?

Ce n’est pas par modestie, mais je me demande sincèrement si des propositions personnelles dans un domaine comme l’aménagement linguistique peuvent avoir une signification, un poids ou un impact quel-conques.

Sous d’autres cieux (di tmura irebḥen, comme on dirait en kabyle), l’aménagement d’une langue ou d’une variété de langue fait intervenir des Etats, des Universi-tés, des organismes publics ou privés, des administra-tions, des moyens matériels et humains, des structures multiples de pilotage et de suivi sur le terrain, etc.

Chez nous, c’est de déménagement linguistique qu’il faudrait parler, pour le berbère en tout cas !

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Mais essayons de jouer le jeu. Les propositions se situent à mon avis à deux niveaux.

1. Un niveau externe qui consisterait à rapprocher de façon formelle ou informelle : chercheurs, usagers insti-tutionnels (radios et télévisions algériennes et maro-caines, rédacteurs des revues et journaux berbères, etc.), écrivains, poètes, artistes, etc. Faire le bilan des besoins et des usages, harmoniser les pratiques, mettre sur pied des cadres communs de travail (cadres maghrébins, na-tionaux ou sectoriels) feraient partie des urgences. Sur le long terme, l’intervention des universités nationales (Al-gérie, Maroc) et étrangères (INALCO) pourra être d’un très grand apport dans la définition d’une stratégie glo-bale et d’une méthodologie, dans la définition des priori-tés aussi. Sur le terrain, le mouvement associatif berbère et les médias, en Algérie comme au Maroc, pourront servir de relais avec le grand public.

Il sera bien entendu très difficile de mettre tout ce monde en mouvement, mais il me semble possible de commencer par un bout, si modeste soit-il : un cadre commun algéro-marocain par exemple qui s’élargirait progressivement, y compris, bien sûr, au monde touareg (Mali, Niger).

Il est important, cependant, que ces structures, si elles venaient à voir le jour, agissent avec une extrême prudence et ne se transforment pas en gendarmes de la langue.

Il faut aussi que la pression continue de s’exercer sur les Etats afin que la langue berbère bénéficie d’une reconnaissance officielle ainsi que des moyens néces-saires non seulement à sa survie mais à son développe-ment.

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2. Un niveau interne où il faudrait, à mon avis, corriger certains travers du travail déjà accompli : le purisme lexi-cal, la chasse aux emprunts étrangers, l’exclusion des formations expressives, la marginalisation des procédés de la néologie sémantique, etc. Les matériaux déjà pro-duits peuvent faire l’objet d’une refonte globale. Les procédures de création lexicale déjà utilisées peuvent être enrichies par de nouvelles possibilités : un travail de complétion des lexiques dialectaux, des formations hy-brides qui associeraient des bases lexicales berbères à des affixes étrangers (grec, latin). Il faudrait aussi un rééqui-librage des contributions dialectales au bénéfice des par-lers du Nord. Concernant l’usage, il y aurait la formation berbérisante des journalistes et des rédacteurs, la docu-mentation sérieuse qu’il faudrait mettre à la disposition des usagers, etc.

Peut-on savoir quels sont les travaux les plus prioritaires à réaliser dans le domaine berbère ? Et particulièrement en néologie berbère ?

Dans le domaine berbère... la question est bien

trop vaste. Concernant l’aménagement du lexique je plai-derais personnellement pour une trêve néologique, au niveau de la production en tout cas, en attendant que les conditions d’une meilleure intervention soient réunies. Mais je sais très bien que cette attitude n’est pas réaliste parce que la langue, elle, n’attend pas.

Au niveau de l’usage, on peut souhaiter une cer-taine modération, surtout chez les consommateurs ka-byles, mais cela relève de la responsabilité de tout un chacun, et en particulier des rédacteurs et des journa-listes : le purisme lexical et la chasse aux emprunts font tout simplement des ravages...

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Comme en de nombreux autres domaines, c’est le long terme qui est urgent, c’est-à-dire, ici, la mise sur pied de cadres et de structures de travail et d’intervention à vocation pan-berbère.

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INALCO Centre de recherche berbère

Atelier "Aménagement de la langue berbère" (du 5 au 9 octobre 1998)

Ont participé aux débats de l’Atelier :

S. Chaker (Inalco-Crb), A. Bounfour (Inalco-Crb), M. Aghali (Inalco-Crb), M. Lafkioui (Inalco-Crb), K. Naït-Zerrad (Cologne, Crb), R. Achab (Univ. de Provence, Crb), R. Douchaïna-Ouammou (Iera, Rabat), A. Elmoun-tassir (Univ. Agadir), V. Brugnatelli (Milan), C. Castel-lanos (Univ. Aut. de Barcelone), M. Oussalem (Univ. Tizi-Ouzou), M. Chacha (Amsterdam), A. Rachid-Raha (Grenade), M. Elayoubi (Inalco), A. Boumalk (Inalco-Paris 3), N. Smaïl (Inalco-Paris 5), M. Ferkal (Inalco), N. Abrous (Inalco), M. Brun (Inalco), A. Taleb (Inalco), S. Chemakh (Inalco), H. Ghanes (Inalco), Kh. Madoui (Inalco), O. Manseri (Paris), F. Chekri (Inalco), A. Kh. Attayoub (Niger), F. Bouteldja (Inalco), J. Irizi (Inalco), O. Tilikete (Inalco).

Thème 3 : Terminologie berbère Synthèse des travaux

(R. Achab) Sommaire 1. Contributions écrites concernant le thème. 2. Résumé des discussions. 3. Les priorités retenues. L'équivalent d'une journée de travail a été consacré au Thème 3 (après-midi du jeudi 8 et matinée du vendredi 9 octobre).

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1. Contributions écrites concernant le thème - La standardisation de la langue berbère : orientations générales (S. Chaker) ; - Thème 3 : Terminologie berbère. Document de travail préparé par R. Achab ; - Vocabulaire usuel du Tachelhit (A. Bounfour et R. Douchaïna-Ouammou) ; - Agraw n wawalen n tmaziγt tatrart (isumar). Proposi-tions d'un lexique de berbère moderne (K. Bouamara, A. Rabhi, Université de Béjaïa) ; - Points de vue sur quelques éléments relatifs à l'aména-gement du berbère. La terminologie (A. Houache, B. Abdesselam, A. Nouh-Mefnoune. Ghardaïa) ; - Notation usuelle et standardisation du berbère méridio-nal (touareg). La néologie (M. Aghali-Zakara) ; - Remarques de méthode pour l'élaboration d'un vocabu-laire fondamental. Cas du tachelhit (A. Boumalk) ; - Du projet Terminologie berbère (Termber) (A. Harche-ras, Goulmima) ; - Quelques propositions néologiques pour l'étude du récit en langue amazighe (M. A. Salhi, Université de Tizi-Ouzou) ; - Aménagement linguistique du berbère. II. Le lexique (R. Achour, Université de Tizi-Ouzou) ; - Lexique "traditionnel" et néologie : récupération de termes berbères en différents secteurs (V. Brugnatelli) ; - A propos de la construction de l'Amazigh commun (C. Castellanos). 2. Résumé des discussions Les discussions concernant le Thème 3 (Terminologie berbère) ont soulevé de nombreux aspects de l'aménage-ment du lexique berbère, même si le temps imparti, né-cessairement limité, n'a pas toujours permis de les abor-

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der tous dans le détail. Les interventions et les échanges ont notamment porté sur le bilan critique de l'action néo-logique berbère, les questions de méthode, les contraintes de terrain, la diversité des situations sociolinguistiques (Algérie, Maroc, Niger), la dimension institutionnelle, l'urgence et l'immensité des besoins et, par conséquent, la nécessaire définition de priorités. Un survol rapide du Document de travail préparé pour introduire le Thème 3 donne l'occasion de rappeler les grandes caractéristiques de l'aménagement du lexique berbère, tel qu'il a été mené depuis plusieurs décennies (1945) : volontarisme et spontanéisme, absence de cadre institutionnel pour le Maroc et l'Algérie, prédominance de l'amateurisme, groupes de travail quantitativement et qualitativement limités et isolés les uns des autres, ab-sence d'une stratégie globale qui laisse en particulier en suspens la définition précise des besoins prioritaires ainsi que les questions de méthode, divergences importantes entre les listes rendues publiques (Algérie, Maroc, Ni-ger), etc. L'action néologique entreprise depuis un demi-siècle a néanmoins réussi, en partie, à passer avec un certain succès au travers de ces obstacles majeurs, pour finalement s'imposer sur le terrain en imposant le fait accompli de l'usage : une partie relativement importante des néologismes ainsi mis en circulation, ceux de l'Ama-wal surtout (Alger, 1974), sont très vite happés par une demande sociale pressante (et globalement indifférente aux procédés purement techniques de création lexicale utilisés), adoptés et repris par des usagers de plus en plus nombreux à travers des canaux de diffusion de plus en plus diversifiés (écrit moderne, journalisme, néo-littérature, chanson, poésie, etc.). Les principaux domaines partiellement couverts par cette action néologique sont la grammaire, les sciences

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humaines (administration, politique, éducation, droit, religion), la géographie (manuscrit inédit), les mathéma-tiques (Algérie, Niger) et l'informatique. Une action qui par ailleurs ne semble pas prendre fin, mais qui au con-traire peut connaître et connaît déjà, sporadiquement, de nouveaux développements généralement imprévisibles. A cette tradition volontariste et spontanéiste déjà an-crée dans la pratique pourraient s'ajouter encore, à l'ave-nir, les interventions d'autres pôles de normalisation, ceux-là institutionnels, comme le HCA ou le Ministère de l'Education en Algérie. Qui pourrait exclure enfin que des pôles similaires voient prochainement le jour au Maroc ? Terrain difficile donc en bien des aspects, en tous ses aspects, que ce terrain de l'aménagement du lexique sur lequel se propose de venir se greffer le projet Termber du Centre de recherche berbère : mettre sur pied une équipe internationale de berbérisants et de collaborateurs (insti-tutions, créateurs divers, journalistes, auteurs des nomen-clatures terminologiques, etc.) qui ait la maîtrise du plus grand nombre possible de dialectes, s'assurer la collabo-ration de spécialistes dans chaque domaine, définir une méthode de travail, fixer des priorités en fonction de la demande réelle enregistrée sur le terrain, tenir compte des usages déjà en cours et en particulier des succès, étendre et systématiser le travail entrepris à toutes les disciplines, se constituer enfin, progressivement et sans prétendre à un quelconque monopole, en pôle de référence régulier, crédible et ouvert à la discussion et aux contre-propositions. - La maîtrise du plus grand nombre possible de dialectes est d'une évidente nécessité : l'équipe doit être en mesure, de façon à la fois la plus large et la plus fine possible, d'avoir accès directement et rapidement aux possibilités

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offertes par les lexiques dialectaux traditionnels. Si l'ex-haustivité est comme chacun sait impossible lorsqu'il s'agit de lexique, la seule consultation des dictionnaires existants n'est cependant pas suffisante, à cause bien sûr de leurs lacunes éventuelles et quelquefois réelles, mais aussi et peut-être surtout parce que seuls des locuteurs natifs peuvent apporter, à travers la perception intime et familière qu'ils ont de leur lexique, des jugements d'ordre qualitatif qui permettront d'une part d'éviter des erreurs, et d'autre part d'assurer aux néologismes qui seront cons-truits de plus grandes chances de réussite. Des enquêtes de terrain, auprès des artisans par exemple pour le voca-bulaire technique traditionnel, pourraient contribuer à compléter les matériaux lexicographiques déjà existants. - La nécessité de s'assurer la collaboration de spécialistes dans chaque domaine a été également soulignée : un ma-thématicien pour les mathématiques, un biologiste pour la biologie, etc. Le travail des spécialistes et des linguistes sera complémentaire. De par sa maîtrise du champ scien-tifique qui le concerne, le spécialiste aura en particulier en charge de bien expliquer les concepts et les notions de sa discipline, d'expliciter les relations internes qui peu-vent régir le vocabulaire de sa spécialité, d'aider à dépas-ser la seule carcasse du mot pour aller plus en profon-deur, de signaler les proximités et les différences de con-tenu (le couple "internationalisation" / "mondialisation" en économie), et d'informer ainsi précieusement les choix des linguistes. A été soulignée aussi la nécessité d'abor-der et de traiter les vocabulaires de spécialités non pas terme à terme de façon isolée, mais globalement par champs lexico-sémantiques. Enfin des manuels de base viendront s'ajouter aux vocabulaires spécialisés. - Il y a donc, en amont de toute création lexicale, un tra-vail définitoire qui est fondamental. Les concepts et les notions à rendre en berbère doivent recevoir au préalable une définition précise. La compréhension en profondeur

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des concepts implique en particulier que le terminologue arrive à se libérer autant que possible de la langue étran-gère de référence. Le travail définitoire pourra être com-plété par le recours à non plus une seule langue mais à plusieurs (français, anglais, arabe, catalan, etc.), afin d'éviter les crispations, les inhibitions, voire l'hypnose résultant du face-à-face avec le lexique d'une seule langue, et d'élargir ainsi l'éventail des possibilités. La lexicalisation ne doit pas être recherchée à tout prix, et bien des syntagmes traditionnels ou à construire pour-raient être versés à l'enrichissement du lexique : "lmizan n tawla" pour "thermomètre" dans le dictionnaire de Taïfi ; "takurt uḍar", "takurt ufus" pour "football" et "handball" (anciennes créations de la radio kabyle) ; le traditionnel "tamacint n ..." ("tamacint n tarda" : machine à laver, "tamacint n tira" : machine à écrire, etc.), "ameq-qran n tmurt" pour "président", etc. - Aux procédés traditionnels de création lexicale (dériva-tion verbo-nominale, formations expressives, composi-tion, néologie sémantique) viendra s'ajouter une batterie de nouveaux formants (préfixes, suffixes, racines très productives) qui peuvent être tirés aussi bien du stock berbère que du stock gréco-latin pour les termes savants (azu- pour iso-, qui pourra donner, pour isomorphisme par exemple, la forme gréco-berbère tazulγa à défaut de l'emprunt azumurfizm). - Cependant, un principe méthodologique unique ne pourra pas s'appliquer partout de façon uniforme et ri-gide. Au niveau pan-berbère, le lexique est la partie de la langue qui présente les divergences dialectales les plus marquées. La méthode de travail devra donc avoir suffi-samment de souplesse pour s'adapter localement, voire ponctuellement, à tel ou tel problème particulier. - Une attitude plus ouverte à l'égard des emprunts est vivement recommandée, notamment pour les usages in-ternationaux qu'il faudra adopter. Dans le vocabulaire

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arabe des mathématiques, les termes isomorphisme et homomorphisme ont été par exemple conservés, tout comme a été conservé phonème en linguistique (alfu-nim) ; après avoir cédé au début à la tentation puriste, l'hébreu a fini par ouvrir aux emprunts la modernisation de son lexique. Il serait donc déraisonnable, pour le ber-bère, de ne pas tenir compte des expériences des autres langues ainsi que de l'environnement linguistique domi-nant, c'est-à-dire de la présence de l'arabe et du français notamment. La recherche du purisme lexical a des moti-vations idéologiques et non pas linguistiques. Le purisme lexical et la pratique du calque (jusqu'au calque syn-taxique) sont contre-productifs et aboutissent très vite à l'ésotérisme. Est-il besoin de rappeler qu'aujourd'hui la langue la plus internationale, l'anglais, est la langue la moins pure qui soit au monde ? Un certain enrichisse-ment lexical peut tout simplement engendrer, en bout de ligne, un appauvrissement linguistique. - Les usagers autant et peut-être encore plus que les ter-minologues devront faire l'effort de se libérer de la tenta-tion du calque, de déjouer le piège de la "phrase à tra-duire", le piège des cases prédéterminées à remplir vaille que vaille. Il ne s'agit pas de "traduire" mais d'écrire, c'est-à-dire de faire appel avant tout aux possibilités propres à la langue, possibilités irréductibles au seul lexique traditionnel ou moderne, mais également riches d'emprunts, de syntagmes, de locutions, d'expressions et de façons de dire de toutes sortes. Le déficit expressif de l'action néologique berbère n'a pas été rattrapé à l'usage : il s'y est au contraire aggravé (surtout en milieu kabyle). - Il s'agit là d'un problème d'orientation fondamental que devra intégrer l'équipe de recherche. Les résultats qui seront rendus publics ne seront pas seulement des listes de néologismes "lexicaux", des listes de mots, mais con-tiendront aussi des expressions, des locutions, des syn-tagmes, etc. Les informations linguistiques élémentaires

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(pluriel, annexion, thèmes verbaux, origine dialectale, mode de construction, etc.) devront bien sûr y figurer, mais aussi des indications diverses et des exemples con-cernant l'emploi, le non-emploi, etc. Même pour les néo-logismes lexicaux, les propositions ne seront pas toujours univoques : pour un terme donné en français par exemple, plusieurs équivalents berbères peuvent à l'occa-sion être offerts au choix des usagers. - En tout état de cause, le travail qui sera fait ne sera qu'un instrument à la disposition du pédagogue, notam-ment pour les vocabulaires destinés à l'enseignement. Le travail du pédagogue ne relève pas de la compétence du linguiste. La mise en oeuvre pédagogique et l'installation des néologismes dans l'usage scolaire sont des opérations délicates et cruciales : introduction à dose homéopathique des termes nouveaux (qui doivent être recouverts par la langue la plus ordinaire), adaptation, mesure des phéno-mènes d'acceptation et de rejet, contre-propositions éven-tuelles, etc. Ont été soulevées également, au sujet de l'enseigne-ment, des questions plus générales de pédagogie et d'éthique : nécessité de partir, pour l'action pédagogique, de l'environnement naturel de l'enfant ; problèmes de contenu des manuels (exclure la violence, le machisme, les considérations idéologiques quelles qu'elles soient, etc.). Quelques autres aspects ont été également évoqués, relatifs à l'action pédagogique en Algérie : télescopage, chez les étudiants formés en arabe, des catégories gram-maticales de la langue arabe avec celles de la grammaire berbère ; calques à partir du français ou de l'arabe ; be-soin urgent, pour les cours d'anthropologie et d'analyse littéraire, de vocabulaires spécialisés (parenté, etc.) et d'instruments de référence.

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Sur le terrain en général, pédagogique ou autre, il y a des termes qui sont admis, d'autres qui sont tangents, d'autres enfin qui "ne passent pas", qui "sonnent mal" et qui sont rejetés. En milieu kabyle, des termes très sollici-tés comme agraw (groupe, assemblée, fédération...) et leqdic sont par contre surutilisés. - Quelles qu'en soient les faiblesses et les insuffisances, somme toute normales en l'état actuel des choses, les expériences nigérienne et algérienne demeurent d'un très grand intérêt pour la pédagogie du berbère en général, et un éventuel enseignement au Maroc ne pourra ultérieu-rement qu'en tirer profit. - Au niveau institutionnel et au-delà des questions de statut juridique de la langue, les situations sont on ne peut plus diverses : un groupe unique de normalisation qui s'occupe du touareg au Niger (Ministère de l'Education nationale), plusieurs pôles réels ou potentiels en Algérie (individus, deux départements universitaires de langue et culture amazigh, HCA, Ministère de l'Education natio-nale, CPN, radio et télévision), aucun cadre institutionnel au Maroc où, en l'absence de tout enseignement du ber-bère1, ne peuvent exister et agir que des individus généra-lement sans contact régulier avec les berbérisants. Se pose donc, devant cet éclatement, le problème de la coor-dination (centralisation ?) des différents pôles, problème qui n'est pas seulement d'ordre pratique, mais sur lequel pourraient peser lourdement des résistances et des cli-vages de toutes sortes, ainsi que des soucis de légitimité (légitimité politique, légitimité scientifique) à distribution potentiellement conflictuelle. Aux données nationales s'ajoute l'ancrage institutionnel français du Centre de recherche berbère de l'Inalco.

1 [Note de l’éditeur : cette synthèse est antérieure à la création de l’IRCAM et à l’introduction de l’amazigh dans le système éducatif marocain.]

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- Ouverte aux collaborations individuelles et institution-nelles et faute de ne pouvoir répondre d'emblée à l'im-mensité et à la diversité de la demande, l'équipe du projet Termber concentrera son travail de proposition, d'évalua-tion et d'impulsion sur un certain nombre de secteurs-clés. Son action s'appuiera aussi bien sur une coordina-tion souhaitable et souhaitée entre les principaux pôles de normalisation (solution idéale) que sur la réceptivité di-recte du terrain, à travers un travail d'explication, de con-viction, d'échanges avec les utilisateurs, de pré-diffusion (relectures qui seront faites par le plus possible d'interve-nants) et de diffusion. 3. Les priorités retenues La définition des priorités a été faite sur la base d'une analyse aussi objective que possible des besoins réels exprimés sur le terrain, et en particulier des besoins de l'enseignement du berbère. Pour les deux prochaines années : 1) Une réédition revue et corrigée de l'Amawal. 2) Vocabulaire scolaire : environnement scolaire ("craie", "table", "compas", etc.) et matières de base (histoire, géographie, calcul, sciences naturelles). 3) Vocabulaire grammatical. A différencier selon les niveaux (primaire, secondaire, supérieur). 4) Des anthologies de textes de référence, immédiatement utilisables. Sources : textes traditionnels, néo-littérature, textes journalistiques, chansons, poésie, traductions, etc. Prévoir différents niveaux (primaire, secondaire, supé-rieur). Introduire, dans le niveau 2, des textes appartenant à d'autres dialectes.

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Notice Néologie de l’Encyclopédie Berbère1

La langue berbère est une langue essentiellement orale, objectivement dominée par de grandes langues de civilisation, sans reconnaissance institutionnelle jusqu'à une période très récente. Elle est répartie sur un territoire immense, sous forme d'un nombre important de variétés dialectales qui, à partir de structures de base communes, ont évolué séparément en fonction des besoins particu-liers à chacune des communautés linguistiques. Aucune politique centralisée d'aménagement linguistique la con-cernant n'a été entreprise tout au long de l'histoire, si l'on fait abstraction de quelques expériences avortées au Moyen Âge dans le domaine de la théologie et du droit. Dans le domaine du lexique en particulier, la langue ber-bère a résolu le gros de ses problèmes d'adaptation par le recours à l'emprunt aux langues dominantes présentes sur son territoire ; un emprunt dont les grandes caractéris-tiques peuvent varier considérablement d'une aire dialec-tale à une autre en fonction des contacts et des besoins propres à chacune d'elles.

Cette notice ne traite pas de la néologie au sens large du terme, mais seulement de l'action néologique engagée au cours des six dernières décennies afin de répondre à de nouveaux besoins et, ce faisant, de donner au lexique berbère les instruments méthodologiques et pratiques de sa modernisation.

1 Volume XXXIV. Editions Peeters, Paris, Louvain, 2012. Rédigée antérieurement, la notice ne signale pas le statut de langue officielle de la langue tamazight au Maroc (2011). La version publiée ici ne comprend pas la partie bibliographique.

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Les débuts de cette action néologique se situent en Kabylie et remontent au milieu des années 1940. Autour de Mohammed-Idir Aït-Amrane (1924 - 2004), une ving-taine de termes nouveaux sont introduits dans des chants berbéro-nationalistes composés en kabyle, dont le plus connu est kker a mmi-s umaziγ. ("Lève-toi, fils de Ber-bère"). On utilise les procédés de l'emprunt interne (em-prunt aux autres parlers berbères), de dérivation et de composition. Ainsi, les auteurs de ces chants adoptent tilelli (liberté), attesté en touareg, et forgent tagreγlanit ("L'Internationale") à partir de la préposition ger ("entre") et du terme mozabite aγlan ("pays", "nation").

En raison du contexte historique et politique d’alors

(luttes de décolonisation), cette première action néolo-gique ne connaîtra pratiquement pas de prolongement immédiat, dans le temps comme dans l'espace, et il faut attendre les années 1970 pour voir la création lexicale prendre place dans la dynamique de passage à l'écrit et connaître un nouvel essor sous l'impulsion de Mouloud Mammeri (1917-1989) qui publie une grammaire berbère en berbère : Tajeṛṛumt n tmaziγt, et initie et dirige l'élabo-ration d'un lexique de berbère moderne de près de 1950 termes : Amawal n tmaziγt tatrart (co-auteurs : Mustapha Benkhemou, Amar Yahiaoui et Amar Zentar).

Tajeṛṛumt propose ainsi la première terminologie ber-

bère de spécialité, celle de la grammaire (environ 180 termes), tandis que le lexique Amawal se donne l'ambi-tion plus large de répondre aux besoins en termes abs-traits et en termes de civilisation. L'Amawal, qui a béné-ficié dès les années 1970 de conditions de diffusion rela-tivement favorables (usage radiophonique, poésie, néo-chanson kabyle, édition en bonne et due forme en 1980, duplications diverses, piratage), deviendra très vite la référence obligée en matière de néologismes, voire le

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centre de gravité de l'action néologique berbère en Algé-rie et, quoique dans une moindre mesure, au Maroc. Car au-delà des termes qu'il propose, l'Amawal contient un ensemble de procédés et de techniques de fabrication qui, bien que non explicitement formulés, sont faciles à déga-ger de la liste des néologismes, pour être ensuite réinves-tis dans l'élaboration d'autres terminologies : la méthode utilisée dans l'Amawal s'imposera de fait comme la voie royale de l'aménagement du lexique berbère.

La démarche des auteurs de l'Amawal est pan-berbère,

en ce sens que les disponibilités lexicales de tous les par-lers sont susceptibles d'être utilisées. La recherche de la motivation est systématique : amezruy ("histoire") par exemple est construit à partir du verbe zry (passer). La création lexicale elle-même fait appel aux procédés tradi-tionnels de dérivation et de composition, à l'emprunt in-terne (emprunt à l'intérieur du domaine berbère), à la néologie sémantique (abelkim "poussière" > "atome"), à la revivification de quelques formants en perte de vitesse (le préfixe privatif war-) et, fait entièrement inédit, à l'introduction de quelques nouveaux formants tirés de racines existantes et destinés, en position de préfixes (sn ; azar- ; zn-) ou de suffixes (-ẓri ; -man), à servir d'équiva-lents aux préfixes et suffixes -logie, pré-, semi-, -isme et auto-, et à régulariser ainsi les classes de termes par calque du modèle français. A titre d'exemple, azar (pré-) est préfixé à amezruy ("histoire") pour donner azarme-zruy ("préhistoire").

L'Amawal contient surtout des nominaux (1600, soit

plus de 82%) dont une bonne proportion de noms d'agents construits au moyen des préfixes traditionnels. Les 300 verbes représentent plus de 15% de l'ensemble avec, dans les formes dérivées, une très forte domination de la dérivation en s- (actif-transitif). Les parlers berbères

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les plus sollicités sont le touareg (plus de 60%), le chleuh et le kabyle (10% chacun). Plus de 10% des termes et autres racines appartiennent simultanément à plusieurs parlers et peuvent ainsi être considérés comme étant pan-berbères. Les formations expressives ne sont pas repré-sentées. Les emprunts aux langues étrangères sont qua-siment inexistants. La place importante accordée au toua-reg s'explique par le poids lexicographique de ce parler, mais aussi, chez les auteurs, par une très forte propension au purisme lexical.

En 1984, la revue Tafsut publie un Lexique français-berbère de mathématiques élaboré par trois enseignants (Achab, Laïhem, Sadi). Il contient plus de deux mille termes censés répondre aux besoins des niveaux primaire, secondaire et supérieur. Les auteurs ont utilisé les mêmes procédés que l'Amawal : ils y ont même repris un certain nombre de termes et ont élargi la liste des préfixes afin de répondre aux besoins spécifiques de la spécialité ; ainsi, la base pan-berbère get- ("être nombreux"), utilisée pour traduire le préfixe poly-, est composée avec idis (côté) pour former ageddis (polygone) après assimilation pho-nétique. Dans la même spécialité, on trouvera également quelques termes de base dans des manuels de calcul éla-borés par le Ministère malien de l'Education nationale (1987) ainsi que dans un lexique français-tamajaq de mathématiques publié en 1987 par le Ministère nigérien de l'Education nationale : une quarantaine de pages con-cernant la numération, les figures géométriques, les uni-tés de mesure, les instruments de mesure, le temps, la monnaie, l'économie et les couleurs. A titre d'exemples : tigdawt, "classement" ; tartit, "addition" ; semmegdu, "équilibrer" ; taγmert, "angle" ; tasaγlit, "périmètre", etc.

La fin des années 1980 et le début des années 1990 verront l'élaboration d'autres terminologies :

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– En Algérie : un lexique inédit de géographie (S. Touati), un cahier de l'électricité (M. Chemime), une liste inédite de soixante néologismes provenant du Mzab (Houache, Nouh-Mefnoune, Abdesselam, Tirichine), un lexique d'informatique (S. Saâd 1991) ;

– Au Maroc : une Traduction de la déclaration uni-verselle des droits de l'homme (autour de H. Id Belka-cem ; Rabat, 1990) et Tamawalt usegmi, vocabulaire de l'Education (B. Boudris ; Casablanca, 1993) qui propose plus de 3200 termes et introduit de nouveaux préfixes : wf- pour traduire -phobie ; yr- pour traduire -philie, etc. ;

– En France : une traduction kabyle de la Bible (Paris, 1991).

Les travaux de ce premier demi-siècle d'action néolo-gique ont été élaborés pour la plupart dans des contextes politiques et idéologiques hostiles. En effet, ni en Algérie ni au Maroc la langue berbère ne jouissait d'une quel-conque reconnaissance institutionnelle. Bien plus, elle était frappée d'ostracisme et les actions visant à sa dé-fense et à sa promotion, voire à sa seule évocation, étaient systématiquement et sévèrement réprimées. Les auteurs des nomenclatures de néologismes sont par ail-leurs, à l'exception de Mouloud Mammeri, des amateurs plus ou moins éclairés. Les travaux ont été faits dans l'isolement des équipes et sans grande concertation. La documentation lexicographique enfin, déjà déséquilibrée et lacunaire, n'était pas toujours accessible dans son inté-gralité et pouvait varier sensiblement dans son utilisation d'une équipe à une autre. Sur le plan de la méthode, le trait commun à tous ces travaux est l'adoption des procé-dés inaugurés par l'Amawal.

Un autre trait commun, négatif celui-là, est la non-

indication de l'origine dialectale des néologismes propo-sés. Les publications les mieux renseignées ne contien-

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nent que des références bibliographiques d'ensemble et des indications morphologiques (état libre et état d'an-nexion pour les noms, formes verbales pour les verbes).

Une méthode commune ne préserve cependant pas de tout, et les divergences de choix entre les différentes no-menclatures se comptent par centaines. A titre d'exemples :

– Plus de 850 termes sont communs à l'Amawal (1950 termes) et au Vocabulaire de l'Education de Boudris (3200 termes), mais 230 sont différents ;

– 170 termes sont communs au Vocabulaire de Bou-dris et au Lexique français-berbère de mathématiques ; une cinquantaine sont différents ;

– Près de 70 choix de la traduction berbère de la Dé-claration universelle des droits de l'homme (200 néolo-gismes) sont différents de ceux de l'Amawal, contre une trentaine de propositions communes ;

– Quelques rares racines seulement se retrouvent dans les deux terminologies de mathématiques publiées en Algérie (1984) et au Niger (1987).

Au total, quelque dix mille néologismes sont proposés

par l'ensemble de ces travaux, mais tous, loin de là, ne sont pas mis en circulation. Si l'on retient la classification de Guilbert pour en dresser la typologie, c'est la néologie syntagmatique (dérivation et composition) qui se taille la part du lion, avec, à l'intérieur, un très fort déséquilibre en faveur de la dérivation verbo-nominale. Dans la caté-gorie des nominaux domine la sous-catégorie des noms d'agents. Parmi les verbes simples, si l'on se base sur les données de l'Amawal, le schème c1c2ec3 est le plus repré-senté. Les verbes dérivés sont quant à eux dominés par les formations en s- ("actif-transitif"). La composition lexématique est faiblement représentée, même si son importance peut varier selon la spécialité. La composition

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par préfixation (ou suffixation) a vu son champ s'élargir considérablement par l'introduction de nouveaux for-mants (Amawal, Lexique de mathématiques, Tamawalt usegmi). Les composés sont quelquefois soumis, comme c'est le cas traditionnellement, à des transformations morpho-phonologiques.

Viennent ensuite les emprunts internes, c'est-à-dire les

emprunts faits à l'intérieur du lexique berbère tradition-nel. Ces emprunts sont soit repris en l'état, soit soumis à quelques transformations morpho-phonologiques desti-nées à les adapter au parler d'accueil. La néologie séman-tique, qui consiste à donner un sens nouveau à un signi-fiant déjà existant, est également attestée comme procédé de création. L'emprunt externe, arabe ou français, est très peu représenté. Quelques rares cas seulement pourraient relever de la néologie phonologique. Les formations ex-pressives sont, quant à elles, totalement exclues.

Mais au-delà de leur classement typologique, un trait commun essentiel traverse toutes ces créations lexicales, dans la méthode comme dans le détail des procédés et des choix : il s'agit du calque à partir du français. L'action néologique berbère est dans les faits une vaste opération de traduction à partir du français, avec tous les pro-blèmes, théoriques et pratiques, de la traduction. Les listes de termes à traduire sont faites à partir du français, ce qui implique l'adoption des référents extralinguistiques français ainsi que le découpage linguistique qui en est fait. Les catégories syntaxiques et les procédés de fabri-cation sont calqués au plus près, les modalités du genre et du nombre également : on traduit un verbe par un verbe, un nom par un nom, un féminin par un féminin, un pré-fixe par un préfixe, un composé par un composé, etc. Mais ce calque et ses implications sur le système linguis-tique berbère, voire sur les représentations mentales, la

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culture et la civilisation de façon générale, constituent très probablement un mal nécessaire impossible à éviter dans la pratique, sauf à envisager un développement civi-lisationnel en vase clos qui relèverait de l'utopie. Bouscu-lant les référents extralinguistiques traditionnels comme les systèmes linguistiques qui servent à les exprimer, les différents éléments de la culture matérielle et intellec-tuelle qui sont véhiculés par les grandes langues sont devenus, bon gré mal gré, universels. L'ancrage institutionnel

C’est à partir des années 1980 que les spécialistes (S. Chaker, M. Chafik notamment) commencent à se pencher sur les questions d'aménagement linguistique, rompant avec l'amateurisme et le spontanéisme des années précé-dentes, rompant également, par l'intégration de plain-pied des questions de linguistique appliquée, avec une tradi-tion berbérisante essentiellement descriptive. Les années 1990 et 2000 voient apparaître des changements très im-portants sur le plan institutionnel comme dans les préoc-cupations d'un nombre de plus en plus grand de berbéri-sants, majoritairement autochtones. Un Département de langue et culture amazigh voit le jour en 1990 à l'Univer-sité de Tizi-Ouzou, suivi, en 1991, par un département analogue à l'Université de Bejaia. Les besoins urgents de l'enseignement et de la recherche remettent sur le métier les questions de didactique et d'aménagement linguis-tique, celles en particulier de la création lexicale et des terminologies de spécialité. S. Chaker organise à l'Inalco de Paris les premiers Ateliers de travail (1993, 1996, 1998 et 2000) qui regroupent des chercheurs algériens, marocains et touareg, autour des problèmes posés par l'enseignement, la standardisation, la notation usuelle et l'élaboration de terminologies de spécialité. Les différents aspects de l'aménagement de la langue berbère sont ainsi

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abordés, pour la première fois dans l'histoire de celle-ci, dans un cadre institutionnel, universitaire en l'occurrence, qui réunit des berbérisants appartenant à plusieurs aires dialectales, avec comme objectifs communs de dresser l'état des lieux, de donner des orientations méthodolo-giques, de formuler des recommandations, de proposer quelques projets jugés prioritaires et, pour les probléma-tiques arrivées à maturité comme celle de la notation usuelle en caractères latins, de prendre, de façon consen-suelle, des décisions.

L'année 2001 voit la création au Maroc de l'Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM) qui comprend plusieurs départements dont le Centre d'Aménagement Linguistique (CAL). Au Maroc toujours, plusieurs univer-sités ouvrent des formations berbérisantes (Agadir, Ouj-da, Fès, Tetouan). En 2002 en Algérie, la révision consti-tutionnelle dote la langue tamazight du statut de langue nationale.

Cette assise institutionnelle inédite dans l'histoire de la

langue renforce encore l'intérêt pour les questions d'amé-nagement linguistique. Des conventions bilatérales sont signées (INALCO-IRCAM), les séances de travail, les ren-contres et les colloques se multiplient : Tizi-Ouzou (2000), Rabat (2005), Agadir (2008), INALCO de Paris (2008), etc.

Dans le domaine du lexique, les initiatives et les pro-ductions continuent, individuelles pour la plupart. On signalera l'Amawal azerfan. Lexique juridique français-amazighe (Rabat, 1996 ; auteurs : Adghirni, Afulay et Fouad) qui compte plus de 1300 termes. Les besoins pressants de l'enseignement en berbère donnent lieu à l'élaboration, par des enseignants universitaires, de termi-nologies spécialisées : un Lexique de la rhétorique

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(Bouamara), un Lexique de la linguistique (Berkaï) et un Lexique d'électrotechnique (Mahrazi) à l'Université de Bejaia, un Lexique de la littérature (Salhi) à l'Université de Tizi-Ouzou, un Lexique amazighe de géologie (S. Kamel) publié par l'IRCAM (Rabat, 2006).

Contrairement à celles des années 1970 et 1980, les

productions récentes ont ceci de particulier qu'elles donnent pour la plupart des informations précises sur les néologismes qu'elles proposent : renvois bibliographiques, origine dialectale, procédés utilisés, etc.

Le travail de Kamal Naït-Zerrad dans le domaine de la religion (1998) pourrait justement servir de modèle pour les travaux à venir comme pour la reprise éventuelle à des fins de correction des travaux antérieurs. Dans son Lexique religieux berbère et néologie : un essai de tra-duction partielle du Coran (1998), Naït-Zerrad explore dans un premier temps la documentation lexicographique disponible afin de recenser le vocabulaire religieux tradi-tionnel, avant de s'attaquer à la création de néologismes (asγan, "religion" ; aneglus, "ange" ; arusfus, "manus-crit", etc.) ou à la reprise de néologismes déjà publiés (talkint, "certitude"). Chaque terme est accompagné d'une description complète, d'une fiche d'identité en quelque sorte : références bibliographiques précises, origine dia-lectale, procédé de fabrication, indications diverses, justi-fication de l'utilisation ou de la non-utilisation de tel ou tel néologisme, etc. L'usage des néologismes

L'usage des néologismes, au sens que nous leur avons retenu dans le cadre de cette notice, remonte aux années 1940 : une vingtaine de termes contenus dans des chants berbéro-nationalistes (Kabylie) qu'il ne faut pas con-

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fondre intégralement avec les versions éditées ultérieu-rement et qui ont fait l'objet, elles, d'un travail de réécri-ture. Dans les années 1960, le chanteur Farid Ali utilise le mot amaziγ dans une de ses chansons : amaziγ est un néologisme en kabyle, alors qu'il ne l'est pas dans les parlers marocains et, sous ses formes locales, en touareg.

Dans les années 1970, Mammeri utilise ses propres créations pour rédiger une grammaire berbère en berbère, après avoir introduit quelques néologismes dans la pré-sentation kabyle des Isefra (1969). Il donne des cours de berbère à l'Université d'Alger et dirige parallèlement les travaux de l'Amawal qui se déroulent, entourés d'une certaine discrétion, au CRAPE (Alger). De ces travaux et de ces cours sortent des néologismes qui sont repris à la radio kabyle (RTA, Chaîne II) par des animateurs et des journalistes audacieux (Ben Mohamed, Saïd Dilmi et Ali Nacib notamment) – car il fallait de l'audace pour dire ne serait-ce qu'ar tufat ! ("à demain matin !") ou azul ! ("sa-lut !") à la radio, étant donné le contexte de censure, d'au-to-censure et de répression de l'époque.

Dans le domaine de la poésie, Ben Mohamed fut le

premier à intégrer quelques néologismes dans ses produc-tions. Cinq d'entre eux figurent dans les dix poèmes de sa composition qui seront interprétés par le chanteur Idir dans son premier album. Toujours dans les années 1970, des traductions kabyles de pièces de théâtre de Kateb Yacine (Mohammed prends ta valise, La guerre de deux mille ans) utilisent quelques néologismes.

L'usage des néologismes ira ensuite en s'élargissant. Les principaux canaux d'utilisation et de diffusion sont les suivants :

– La néo-chanson berbère en Algérie et au Maroc : en Kabylie par exemple, Ferhat, Mennad, Matoub, Aït-

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Menguellet…, avec des nuances cependant : les néolo-gismes contenus dans l'immense répertoire d'Aït-Menguellet peuvent se compter sur les doigts d'une main, alors que leur nombre est plus important chez Ferhat. Parmi les chanteurs de la génération précédente, seul Slimane Azem (1917-1983) a utilisé un seul néologisme (tamaziγt) vers la fin de sa vie. Au Maroc : Amouri Mba-rek, Fatima Tabaamrante, Inechaden de Ayt Youssi et d'autres chanteurs encore utilisent des néologismes (ameγnas, "militant" ; asinag, "institut"...) ;

– La néo-littérature (poésie, écrit romanesque, théâtre) : Azaykou (1942-2004), R. Aliche (1953-2008), S. Sadi, A. Mezdad, Tamesna, A. Ikken, M. Akounad, M. Bouzgou, etc.

– L'écrit moderne de façon générale, dont un livre de mathématiques récréatives, Tusnakt s wurar (H. Sadi) qui utilise la terminologie publiée en 1984 par la revue Taf-sut ;

– Les publications périodiques : la revue Tafsut en Algérie, le journal culturel Tasafut, le journal Amaḍal amazighe, la revue Tifawt au Maroc, etc.

– Les chaînes radiophoniques d'expression berbère et, depuis 1991 pour l'Algérie, la télévision ;

– La presse, en Algérie (depuis 1989) et au Maroc ; – Les conférences et débats publics ; – Les panneaux routiers et les enseignes en Kabylie

(tasdawit, "université" ; taγiwant, "commune", etc.) ; – L'enseignement du berbère en Algérie comme au

Maroc.

Usage oral et usage écrit donc, mais quelques cen-taines de termes seulement peuvent prétendre au statut de néologisme de discours d'une part (premier usage) et à celui de néologisme de langue d'autre part (usage répété), sur un stock néologique qui dépasse aujourd'hui les quinze mille unités. C'est dire que la plupart des créations

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n'ont d'autre existence que celle, à la limite virtuelle, de figurer dans une liste.

L'usage institutionnel (radio, télévision, enseigne-ment) et l'usage dans l'écrit moderne dominent aujour-d'hui très largement tous les autres, contrairement à la situation qui prévalait dans les années 1970 où n'étaient attestés que les usages volontaristes de quelques auteurs. L'usage spontané des néologismes dans les échanges ordinaires est cependant exceptionnel et très limité (azul, "salut" ; tanemmirt, "merci"). En Algérie, l'Amawal dé-tient le monopole dans les usages destinés au grand pu-blic, la radio et la télévision notamment (aγerbaz, "école" ; tiddukla, "association" ; aγelnaw "national" ; aselway, "président" ; idles, "culture" ; tussna, "science" ; ahil, "programme", etc.). Au Maroc, des productions locales sont également utilisées (tamagit, "identité" ; tinmel, "école" ; tamesmunt, "association" ; anamur, "na-tional" ; axatar ou anemγur, "président" ; tussna, "cul-ture" ; fumya, "de rien", en réponse à tanemmirt ; etc.). A la radio, à la télévision comme chez les grands auteurs (romanciers, poètes, chanteurs), les néologismes sont en général utilisés sans excès et sont bien accordés à la langue. Au Maroc, l'usage dans les médias est encore relativement éclaté, alors qu'il est plus homogène dans l'enseignement.

Certains usages cependant, en Algérie comme au Ma-roc, et très certainement certains usagers aussi, ont con-fondu l'action néologique avec une opération de purifica-tion lexicale, autant dire une croisade, contrairement aux recommandations des spécialistes. A la chasse systéma-tique aux emprunts, les emprunts arabes notamment, et à l'utilisation excessive et abusive des néologismes, s'ajoute dans l'usage écrit le calque syntaxique à partir du français pour produire le monstre linguistique que Chaker pres-

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sentait déjà dès les années 1980. La version la plus cari-caturale de cet usage peut se lire, non sans peine, dans la presse politique kabyle des années 1990.

Usage d'un côté, non-usage et rejet de l'autre. Un au-teur aussi prolifique que Mohia (1950-2004) n'a utilisé que deux ou trois néologismes (amnir, "guide" ; tagra-wla, "révolution") dans ses toutes premières traductions-adaptations théâtrales (Sartre, Brecht), avant de les ex-clure complètement de ses écrits, voire de développer à leur encontre une véritable aversion. Deux raisons inti-mement liées expliquent ce rejet. Sur le plan linguistique d'une part, Mohia accorde non seulement la priorité mais l'exclusivité aux seuls mots de la tribu, c'est-à-dire à la langue orale telle qu'elle est pratiquée réellement par le plus grand nombre, avec ses locutions, son expressivité, ses emprunts arabes ou français, ses onomatopées, ses mots tronqués, ses phrases inachevées, ses accidents, sa diversité, etc. Au niveau sociolinguistique d'autre part, le rejet des néologismes est une protestation contre la fatuité et l'inconsistance d'un usage inopérant et sans prise au-cune sur le monde réel, une protestation également contre leur utilisation comme activité sociale de positionnement et de signalisation à visées élitistes.

Mohia affectionne par contre l'expressivité de cer-

taines manipulations morpho-phonologiques comme la dislocation (sinistré > Si Nistri ; Tartuffe > Si Pertuf). Il les utilise notamment dans les noms de personnages à des fins de péjoration, de réduction et de fragilisation.

Dans Tixurdas n Saɛid Weḥsen (2008), adaptation des

Fourberies de Scapin de Molière, on trouve un nombre relativement important de néologismes pris dans l'Ama-wal, mais leur utilisation est faite sur le mode de la déri-sion et de la stigmatisation de leur impuissance et de leur

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vacuité, celles des mots comme celles des acteurs sociaux qui en sont les promoteurs.

On est d'ailleurs tenté de relever une protestation de

même nature contre l'utilisation abusive des néologismes, sous la plume de Mammeri cette fois-ci, dans l'étude qu'il a consacrée au Cheikh Mohand (1989). Non seulement ses textes d'explication qui accompagnent les poèmes et autres dits du Cheikh ne contiennent qu'un nombre relati-vement faible de néologismes, mais ils ne se privent pas de faire appel aux emprunts arabes déjà intégrés dans la langue, y compris ceux pour lesquels Mammeri avait lui-même contribué, dans l'Amawal, à forger des substituts néologiques. Quel avenir ?

L'aménagement du lexique berbère se trouve aujour-d'hui à la croisée des chemins. Prendra-t-il des voies sé-parées, une en Algérie et une autre au Maroc, en partie seulement concordantes, ou fera-t-il l'objet d'une prise en charge commune, d'une stratégie globale commune avec des objectifs communs qui couvriraient tous les aspects et toutes les étapes de l'intervention lexicale, de la produc-tion de terminologies à leur évaluation et leur suivi sur le terrain ?

Sur le plan interne, les six décennies de production et d'utilisation de néologismes ont permis de faire le tour complet des procédés et de les tester. Elles ont permis parallèlement de faire l'inventaire des problèmes et de proposer des solutions. L'intervention lexicale pourra à l'avenir tirer profit de toute l'expérience acquise, des suc-cès comme des échecs, mais aussi d'une meilleure con-naissance du lexique traditionnel, de l'outil informatique et plus particulièrement des systèmes de bases de don-

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nées lexicales, du dictionnaire des racines de Naït-Zerrad, d'un travail de complétion des lexiques dialectaux qui consisterait à remplir les cases vides des arborescences dérivationnelles, etc. Les intervenants devraient envisager également une plus grande ouverture à l'emprunt aux langues étrangères, surtout pour les termes et les préfixes universels, ou bien des formations hybrides qui associe-raient des préfixes grecs ou latins à des racines berbères. Le travail de revivification devrait également retenir une plus grande attention : revivification d'unités en perte de vitesse, mais aussi revivification de nature structurelle lorsque l'on constate par exemple que les dérivés verbaux complexes sont de moins en moins utilisés, à l'oral comme à l'écrit. Enfin, le recours à la composition syn-tagmatique et aux locutions devrait permettre non seule-ment d'éviter la "fixation lexicaliste", mais aussi de don-ner à l'expressivité, cette grande exclue des nomencla-tures existantes, une place plus importante.

L'action néologique ne doit cependant pas faire perdre

de vue les menaces qui pèsent par ailleurs sur la langue de façon générale : déperdition lexicale, perte de terrain dans les centres urbains, extinction progressive de la ber-bérophonie en certaines zones, etc.

Au niveau externe, nul doute que les études berbères se déroulent aujourd'hui, en Algérie comme au Maroc, dans un climat plus serein que par le passé. La constitu-tionnalisation de Tamazight et le statut de langue natio-nale en Algérie, les ancrages institutionnels nationaux (IRCAM, Universités algériennes et marocaines, Minis-tères de l'Education nationale, Radio et Télévision), et l'enseignement à tous les échelons des systèmes scolaires seront très certainement d'un poids déterminant pour l'avenir. Cet ancrage institutionnel s'ajoute au statut de langue nationale du touareg au Mali et au Niger.

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La perspective d'une action commune dans le domaine de l'intervention lexicale suppose en amont une volonté partagée, un niveau de concertation et de coordination adéquat qui intégrerait en les élargissant les conventions bilatérales déjà existantes, en tout cas la mise en place d'un partenariat multilatéral qui associerait toutes les institutions concernées : universités algériennes et maro-caines, IRCAM, Ministères algérien, marocain, malien et nigérien de l'Education nationale, INALCO, chaînes de Radio et de Télévision. Cela suppose en particulier que l’axe Algérie-Maroc ne fonctionne plus en simple bi-nôme, avec, si la tendance actuelle se poursuit, des diver-gences de choix de plus en plus nombreuses et un pay-sage néologique de plus en plus contrasté, mais se trans-forme en véritable couple dans le but de recadrer l'inter-vention lexicale dans son ensemble et de favoriser les convergences.

La mission n'est pas impossible, si le souhait est tou-

jours celui exprimé par Mammeri dans la préface de l'Amawal, qu'un ensemble identique de termes modernes pallie aux diversités lexicales anciennes.

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Généralités - Retour sur les événements de Kabylie. Réalités algériennes, n°2, mars 2004 - L’Etat algérien face à la revendication berbère et ses outils (médias, édition…), mai 2015 - Langue Tamazight : questions d’actualité : statut, gra-phie, académie, etc. El-Watan, dossier culturel, 12 jan-vier 2018 - Coup d’œil aux années 1970 : Le Groupe d’Etudes Ber-bères de l’Université Paris VIII.

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Réalités algériennes, n°2, mars 2004

Retour sur les événements de Kabylie Au printemps 2001, la Kabylie a connu des événements tragiques marqués par le soulèvement de la population civile et une répression ouverte et sanglante qui a fait plus de 120 morts. Si le point de départ de ces événe-ments fut l’assassinat d’un jeune lycéen par des gen-darmes, à l’intérieur même d’une brigade de gendarme-rie, la toile de fond du soulèvement était tissée, quant à elle, des mille et une révoltes qui couvaient dans le cœur et l’esprit des citoyennes et des citoyens victimes, quoti-diennement et dans tous les domaines, de l’arbitraire et de toutes sortes d’injustices. Le mouvement de révolte s’est donné des structures or-ganisationnelles propres, désignées abusivement par le terme d’Arouchs : tribus, ainsi qu’une plate-forme de revendications. Il a révélé les grandes capacités d’auto-mobilisation de la population. La répression menée par les forces de l’ordre a rappelé quant à elle une fois de plus, une fois de trop, la nature fondamentalement fasci-sante d’un régime qui panique au moindre sursaut popu-laire et qui ne perdure que par la manipulation, la terreur et la loi d’airain qu’il impose à tout le pays. Aux revendi-cations essentielles des citoyennes et des citoyens, reven-dications sociales, politiques, économiques, culturelles, etc., les autorités n’ont su répondre que par des tirs à balles réelles, le mépris et la fuite en avant. Si l’on revient ici sur ces événements, ce n’est pas pour les ressasser ou les encenser une nouvelle fois, mais pour mettre le doigt sur un certain nombre de faits et d’aspects les concernant qui, à notre avis, n’ont pas été suffisam-

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ment soulignés. Un de ces aspects est celui que nous désignerons sous le terme de violence interne, c’est-à-dire la violence exercée par des acteurs et des animateurs du mouvement à l’encontre de leur propre société. On ne ferait pas grand cas de cette violence si l’on pen-sait qu’elle n’était qu’un épiphénomène, un dérapage sans lendemain, un accident ou un dommage collatéral inévitable comme il peut s’en produire dans tout mou-vement social de grande ampleur. Nous pensons au con-traire que cette violence interne appartient à l’essence même du mouvement des Arouchs, en tout cas dans la configuration et l’orientation émeutière que celui-ci a prises au lendemain de la marche du 14 juin 2001. Des acteurs et des observateurs avertis du mouvement distinguent bien, en effet, les deux phases de celui-ci : la dissidence citoyenne d’abord comme réponse politique à l’arbitraire et au terrorisme d’Etat, le basculement ensuite de toute une région, à partir du 14 juin 2001, dans ce que l’on pourrait appeler l’ordre arouchiste, c’est-à-dire le désordre et la confusion, les cogitations de conclave, les luttes d’appareils, les grenouillages et les manipulations, la pensée unique et le slogan, le culte de l’émeute et de la violence comme moyens d’action et principaux supports de la relation avec une population chauffée à blanc, prise en otage et doublement terrorisée. Les voix qui, de l’intérieur même du mouvement, ont appelé à la sagesse et à la raison ont été systématiquement visées, mises à l’index et réduites au silence ; des animateurs jugés trop modérés ont été l’objet de menaces et ont vu leurs noms affichés dans les villages sous l’étiquette infamante de traîtres. Des cocktails explosifs à base d’essence ont été brandis et utilisés comme arguments dans telle ou telle circonstance

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pour faire pression sur des citoyens et pour imposer le diktat et le bon vouloir des nouveaux maîtres. Le racket, la délinquance, l’insécurité et le développement d’activités maffieuses (drogue et prostitution notamment) ont fait un grand bond en avant à la faveur de la confusion générée par des troubles non seulement provoqués mais savamment entretenus. Lors des élections locales de 2003, des menaces ont été proférées, et quelquefois mises à exécution, contre des candidats et leurs proches, comme du reste à l’encontre de l’ensemble des électeurs pour les dissuader ou les empêcher d’aller voter. Dans tel village, des tombes dédiées aux candidats et aux futurs élus ont même été creusées. Violence politique aussi, parce qu’une fois ramenés à l’essentiel, les événements de Kabylie avaient bien, entre autres objectifs, celui de punir et de normaliser une région frondeuse connue pour son opposition à la dictature, de l’isoler du reste du pays, de la précipiter dans le chaos le plus total, d’y réaliser enfin une opération de curetage politique destinée à nettoyer le terrain, si possible à y faire le vide pour y installer des implants organiques et des scénarii plus favorables au régime. Comment expliquer autrement l’acharnement avec lequel le mouvement des Arouchs a tenté et continue de tenter de se substituer aux forces politiques déjà présentes sur le terrain, sur le double plan de l’action et de la représentation, tout en proclamant par ailleurs, hypocritement et cyniquement, ne pas faire de politique ? Acharnement qui rejoint parfaitement, en termes d’objectifs politiques, le souci du régime de renouveler ses relais en se donnant de nouveaux interlocuteurs régionaux faits sur mesure, comme il en avait d’abord été question par le biais des projets d’ACB (Association des

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citoyens de Béjaïa) et d’ACT (Association des citoyens de Tizi-Ouzou) initiés par un membre du sérail. Dans les faits, cela ne signifie-t-il pas tout simplement la remise en cause du multipartisme politique, ou en tout cas la réduction de celui-ci à l’insignifiance ? Le poids de la manipulation a échappé à bon nombre d’observateurs du mouvement. A l’auberge espagnole des interprétations et des analyses, des anarchistes ont senti le parfum d’une anarchie rédemptrice et salvatrice, des sociologues ont vu le retour en force des ancestrales tribus berbères - une sorte de téléportation qui aurait fait fi de l’espace et du temps - oubliant ou feignant d’oublier que ces tribus ne sont même plus l’ombre de ce qu’elles étaient jadis et qu’elles ont perdu, et définitivement perdu l’initiative historique depuis plus d’un siècle. Des berbéristes enfin, dans la diaspora kabyle notamment, ont salué dans ces événements la énième réplique du mouvement de revendication identitaire : le tambour pavlovien de l’amazighité a fait le reste. On a travesti la réalité et tenté de faire passer un mouvement aux relents fascisants pour un mouvement salutaire pour toute une région, voire un modèle à proposer au pays tout entier. Une certaine presse notamment s’est beaucoup investie et particulièrement illustrée dans la fabrication des leaders et plus généralement dans le travail, monumental, de falsification de la réalité et de manipulation de l’opinion. Car de quelles vertus démocratiques les délégués des Arouchs peuvent-ils se prévaloir, eux qui ne sont les délégués de personne et qui ne rendent compte qu’à des tutelles occultes ? Quelle est la place de la violence dans leur rapport avec la société ? Le poids de l’infiltration et

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du noyautage par les services de sécurité ? L’absence de toute représentation féminine ? Qui a décidé de la stratégie de la tension et de l’orientation émeutière du mouvement, alors que la poursuite des manifestations pacifiques aurait mis le pouvoir dans le plus sérieux des embarras ? De quel droit ces indus délégués se posent-ils aujourd’hui comme les représentants de la Kabylie ? Qui tire aujourd’hui les ficelles pour tenter de donner telle ou telle orientation électoraliste au mouvement ? Autant de questions et d’autres encore sur lesquelles on a fait pudiquement l’impasse. L’irruption, soudaine et brutale, du mouvement des Arouchs sur la scène publique s’explique aussi en partie par la faiblesse des organisations - partis politiques et associations culturelles - présentes dans la région. Le MCB a subi l’usure du temps et les contrecoups de l’ouverture politique qui l’a vidé de sa sève militante et en partie de sa raison d’être, à tel point qu’il n’en reste plus aujourd’hui que la symbolique que quelques prédateurs continuent encore de se disputer pour en tirer des effets de baraka. Le FFS, cible privilégiée du pouvoir, était déjà rongé par l’opportunisme d’une partie de son encadrement et se trouvait, au début des événements, en situation de faiblesse organique et de flottement stratégique, malgré le succès, au demeurant non capitalisé, de la marche du 31mai. Mais les événements de Kabylie révèlent aussi l’extrême fragilité d’une société devant les grandes manœuvres d’intoxication et de manipulation orchestrées par le pouvoir. Une machine répressive qui a définitivement levé le tabou du sang, une presse en grande partie aux ordres, des moyens matériels et humains colossaux, des clientèles locales serviles, fidèles et corrompues, des relais politiques régionaux à l’instar du RCD engagé

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depuis ses débuts dans des jeux et des enjeux claniques, et un machiavélisme à toute épreuve ont eu et continuent d’avoir l’effet d’un rouleau compresseur qui réduit à néant toute velléité de structuration autonome et saine de la société, que celle-ci soit de nature syndicale, politique ou même culturelle. Ces mêmes événements révèlent aussi la capacité du pouvoir et de ses services de mobiliser la société contre elle-même, sa capacité de jouer sur tout l’éventail des contradictions héritées de l’histoire comme sur les mille et une frustrations sociales à des fins de neutralisation, de résorption ou de détournement des colères et des révoltes, comme un lutteur qui capterait et utiliserait l’énergie et la force de l’adversaire pour les retourner contre lui. En Kabylie on a utilisé les marabouts contre les laïcs et les laïcs contre les marabouts, les montagnards contre les citadins et les citadins contre les montagnards, les commerçants contre les démunis et les démunis contre les commerçants, etc. Le même procédé partout et toujours, aussi vieux que le monde, mais toujours d’une aussi incroyable efficacité, surtout dans une société non seulement faiblement encadrée, mais dont l’encadrement participe en grande partie à la curie. C’est dans les bras de l’épouvantail que le sanglier a dévasté le jardin, dit un vieux poème kabyle. L’épouvantail, c’est-à-dire ceux qui sont censés contribuer à protéger les citoyennes et les citoyens et qui non seulement ne le font pas, mais font cause commune avec le sanglier. Le désencadrement de la société met brutalement celle-ci en face de ses propres excès et de ses propres démons, sans possibilité d’intercession ou de médiation aucune, comme en face d’un pouvoir et de gouvernants qui recourent sans état d’âme aucun à la violence blanche des

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institutions et à celle, malheureusement plus colorée, de la force. Aux Arouchs et à tous les autres apprentis-sorciers qui ont usé et abusé de la violence comme philosophie et méthode de gouvernance sociale et politique, la Kabylie - et à travers elle le pays tout entier - doit la situation peu reluisante dans laquelle elle se trouve aujourd’hui, dans les domaines politique, social, économique et culturel.

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L'Etat algérien face à la revendication berbère et à ses outils (éditions, médias...)

Ce texte provient de la communication présentée au col-loque « la question berbère après la colonisation. Amné-sie, renaissance, soulèvements » qui s’est tenu les 19 et 20 mai 2015 à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Il diffère sur certains points de la présentation orale qui en a été faite, ainsi que de la version écrite, plus courte, desti-née à la publication dans les Actes du colloque.

1. Introduction

De nos jours, la langue berbère est attestée sous forme d’un nombre relativement important de variétés régionales réparties sur une dizaine de pays, le Maroc et l’Algérie étant les plus importants sur les plans de la dé-mographie et de la revendication identitaire. Aux com-munautés linguistiques des pays d’origine s’ajoutent celles des pays d’adoption. Sans être unique, la langue reste le marqueur le plus immédiat, le plus manifeste, le plus emblématique, mais aussi le plus fragile, le maillon faible de l’identité berbère, celui sur lequel pèsent et con-vergent toutes les menaces, de la plus anodine à la plus ultime. La langue berbère s’est trouvée très tôt confron-tée à la présence de grandes langues de civilisation et de pouvoir (punique, latin, grec, arabe, turc, français) qui ont exercé leur domination, voire leur monopole, dans les domaines « nobles » et les échanges formels de façon générale. L’impact le plus fort et le plus durable dans les

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domaines de la langue, de la culture, de la civilisation, de l’identité en général, est très certainement celui de la conquête arabo-musulmane, surtout à partir du 11ème siècle. Les avancées de la langue arabe lui ont permis de ravir la première place à la langue berbère, jusque dans les échanges informels. Le recul de la langue berbère est un phénomène historique qui se poursuit de nos jours.

Recul en termes de perte de territoires, de baisse de la démographie relative, de statut social, en termes d’une accentuation de la variation et de la fragmentation linguistiques, en termes de démantèlement des sociétés traditionnelles dans ce qu’elles avaient de plus essentiel, comme ce fut le cas, pendant la colonisation française (1830-1962), de la Kabylie dans le dernier tiers du 19ème siècle et du monde touareg au début du 20ème, à titre d’exemples, compromettant ainsi, sérieusement, les pos-sibilités de régénération et de redéploiement, surtout que les Etats postindépendance, au lieu de s’atteler à la ré-sorption des violences et des traumatismes hérités de l’histoire, se sont au contraire inscrits dans leur prolon-gement par la négation, la marginalisation, la répression, la réduction et la destruction de la dimension et des es-paces berbères, langue, culture, histoire, civilisation et identité.

2. L’Etat algérien Bien avant le déclenchement en 1954 de la guerre d’indépendance, le mouvement national algérien était dominé par l’idéologie de l’arabo-islamisme qui n’envisageait et n’admettait pour l’Algérie future que la seule identité arabe et musulmane, à l’exclusion de la dimension identitaire berbère. L’identité de l’Algérie était déjà scellée pour l’essentiel bien avant le début de la guerre, ce qui ne signifie pas qu’il y eût unanimité ou

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consensus à son sujet, puisque la berbérité et la revendi-cation de la berbérité étaient bien présentes dans la socié-té bien sûr, mais aussi, quoique de façon minoritaire, dans les structures du mouvement national, au sein de l’Etoile Nord-Africaine dans les années 1920, au sein du PPA-MTLD vers la fin des années 1940, et pendant la guerre de 1954 à 1962.

L’Etat algérien est né dans la violence, la vio-lence de la guerre bien sûr (1954-1962), mais aussi la violence des luttes claniques de pouvoir qui ont commen-cé plusieurs années avant l’indépendance : liquidation physique de concurrents potentiels, liquidation de « ber-béristes » avant et pendant les années de guerre, liquida-tions en nombre de maquisards lors de purges internes, crise de l’été 1962 qui a culminé avec des affrontements meurtriers entre « l’armée des frontières » et les combat-tants de l’intérieur, installation d’un pouvoir autoritaire, répression violente de la révolte du FFS en 1963, coup d’Etat militaire en 1965, parti unique, omniprésence et omnipotence de la police politique, arrestations, empri-sonnements, liquidations d’opposants politiques à l’intérieur du pays comme à l’extérieur, etc. En un mot, tous les attributs d’un régime de dictature, avec l’arabo-islamisme comme idéologie, l’adoption de l’Islam comme religion d’Etat (1976) et comme projet de société. Utilisant tous les leviers de l’Etat et portée par des forces politiques ascendantes, cette idéologie tentaculaire s’est très vite imposée dans des secteurs-clefs comme l’éducation, la justice, l’administration, l’armée, etc. La politique d’arabisation de l’enseignement par exemple, menée tambour-battant avec des moyens illimités, n’a pas consisté en une simple opération de substitution linguis-tique, le remplacement du français par l’arabe, elle a été l’occasion d’une redéfinition et d’une réorientation poli-tique et idéologique des contenus : formatage politique et

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idéologique des élèves (et à travers eux, de la société), mise sous le boisseau de tout esprit critique et des ma-tières « subversives » (sciences humaines), etc. Un jeune élève algérien par exemple connaît « tout » du Prophète de l’Islam et de ses compagnons, mais il ignore tout de l’histoire de son village ou de sa ville, il est même loin de se douter que son village ou sa ville ont une histoire.

3. La revendication identitaire berbère

De notre point de vue, la revendication identitaire

berbère n’est pas réductible à des événements, des dates, des lieux, des personnes, une chronologie, un folklore, etc. Elle n’est pas réductible à une lecture de type racial ou ethnique (telle « race », telle « ethnie » contre telle autre), elle n’est pas réductible à une lecture de type es-sentialiste (les Berbères ont toujours été ceci ou cela), elle n’est pas non plus réductible à une lecture de type unanimiste (tous les Berbères sont ceci ou cela). Ces quelques définitions par la négative permettent de se prémunir contre un certain nombre de dérives dans l’analyse et l’interprétation des faits.

Nous entendons par revendication identitaire ber-

bère le mouvement historique par lequel et dans lequel se sont exprimées, individuellement ou collectivement, à l’extérieur ou à l’intérieur de structures quelles qu’elles soient, l’une et/ou l’autre de ces attitudes : - l’attachement à l’identité berbère, déclinée sous un ou plusieurs de ses aspects : langue, culture, société, histoire, civilisation, etc. ; - la défense et la promotion de cette identité.

Ce cadre définitoire nous semble correspondre aux principales données du terrain. De notre point de vue, il exclut toute considération d’ordre « ethnique ». Il inclut

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au contraire la diversité des régions, des nations et des origines, la diversité des idéologies et des croyances.

Ce mouvement historique n’est uniforme ni dans le temps ni dans l’espace. Sur le plan politique et idéolo-gique par exemple, toutes les tendances sont présentes et actives en son sein. Il a connu des périodes de continuité et de croissance, d’apogée même, mais aussi des périodes de doute, d’attente, de rupture, de régression et de déclin. C’est un mouvement multiforme et multipolaire qui est soumis aux lois de l’histoire, et non pas à de prétendues « lois du sang », de la génétique ou de la psychologie des peuples.

4. L’Etat algérien face à la revendication berbère

La revendication identitaire berbère heurte de fa-çon frontale et remet en cause de façon radicale les fon-dements mêmes de l’Etat algérien dans ce que celui-ci a de plus essentiel : son idéologie arabo-islamique, son monolithisme politique, culturel, linguistique, son autori-tarisme, sa conception centralisée de l’Etat, etc. Elle avance les valeurs et les principes politiques de plura-lisme linguistique, de démocratie, de libertés indivi-duelles et collectives, de justice sociale, de décentralisa-tion, etc.

Du côté de l’Etat algérien, deux attitudes assez

nettement différenciées, correspondant à deux périodes distinctes, caractérisent son face-à-face avec la revendica-tion identitaire berbère : 1) La négation et la répression jusqu’à la fin des années 1980 ; 2) Et, à partir des années 1990, une nouvelle stratégie qui, sans exclure ni la violence (2001) ni quelques conces-sions concrètes ou purement symboliques, s’attèle à un

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travail systématique de démantèlement qui touche non seulement le mouvement de revendication identitaire, mais la société dans son ensemble et particulièrement des bastions importants comme la Kabylie. Cette nouvelle stratégie est, nous semble-t-il, caractérisée par les trois principaux niveaux d’action suivants :

a) Un niveau « macro » qui agit sur les grands pa-ramètres de la société (les facteurs économiques par exemple) ;

b) Un niveau « micro » de suivi et de traque sur le terrain avec comme objectif de réduire les différents obstacles et les différentes poches de résistance ;

c) Un troisième niveau qui consiste : - à dévoyer la revendication identitaire par

l’introduction en son sein d’un véritable cheval de Troie : le paradigme « ethnique » comme paradigme d’analyse et de perception des problèmes, identitaires ou autres. Les questions quelles qu’elles soient se résolvent alors, mira-culeusement, dans ce paradigme, qu’elles relèvent de l’histoire, de la sociolinguistique, de la politique, de l’anthropologie, etc. « Nous les Kabyles, on est ceci ou cela, on est comme ceci ou comme cela… », c’est le sé-same qu’on trouve en amont ou à la conclusion de bien des discours, de bien des explications, et qui se décline sous toutes les coutures, prose, poésie, chanson, etc., avec les imparables évidences et assurances du sens commun.

- à manipuler la même revendication identitaire, notamment en favorisant l’émergence d’acteurs et d’organisations capables d’assurer la promotion politique du même paradigme. Une manipulation qui peut re-joindre des aspirations de type nationaliste et qui peut rencontrer en écho le désespoir et l’impatience d’une partie de la population.

Ainsi dévoyée et manipulée, la revendication

identitaire est détournée de ses objectifs ; elle devient

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disponible pour toutes sortes d’aventures et de marchan-dages, à l’échelle du pays pour servir au besoin de déto-nateur à une confrontation violente de type « intereth-nique », ou bien, à l’échelle de l’Afrique du Nord, pour défaire le tissu de solidarités avec les autres régions ber-bérophones afin d’affaiblir, sinon de neutraliser le mou-vement dans son ensemble.

Il n’est pas inutile de rappeler ici que ce dévoie-

ment et cette manipulation de la revendication identitaire se sont faits à l’occasion et à la faveur des événements de 2001 et l’assassinat resté impuni de près de 130 citoyens par les gendarmes en Kabylie. Après la phase ascendante du Mouvement citoyen qui a culminé avec l’imposante marche du 14 juin, le cours de ces événements a été dé-tourné pour ne plus servir qu’à disqualifier la politique et le politique en général. Faire table rase du passé, neutrali-ser les acteurs politiques, les forces de médiation, net-toyer la Kabylie politique au kärcher, faire émerger de nouvelles forces, de nouveaux acteurs, de nouveaux « porte-paroles », de nouveaux « guides », de nouveaux « héros », installer la violence, l’émeute, la jacquerie, le vandalisme, les barricades et la fumée des pneus brûlés comme nouveaux codes du militantisme et nouveau mode de gouvernance : telle fut la mission historique, tel fut l’héritage des Arouchs, force aux relents fascisants fabri-quée et gérée dans les cabinets secrets chargés d’élaborer et d’implanter des stratégies d’éradication des racines mêmes de la revendication et de la fronde.

Les événements de 2001 ne sont pas une réplique

du printemps berbère de 1980, ils en sont non seulement la caricature mais la négation la plus absolue, tant au niveau des principes et des valeurs que dans celui du fonctionnement et des objectifs. Ils illustrent les capacités illimitées du régime en matière de manipulation de la

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société, la capacité de retourner la société contre elle-même. C’est dans le sillage de ces événements et dans une volonté de reconfiguration au forceps du paysage politique régional, que se sont profilées les premières expressions autonomistes (et aujourd’hui indépendan-tistes) et que sont apparus les tuteurs politiques autopro-clamés de la région, chargés de tenir leur rôle dans la polarisation de la vie politique, et de travailler de l’intérieur à la réduction, à l’implosion et à l’effondrement de la revendication identitaire et de la contestation en général.

Dévoiement et manipulation n’excluent pas, ce-

pendant, l’existence intrinsèque et relativement ancienne, de positions berbéro-nationalistes, entrevues en termes d’autonomie, d’autodétermination, de régionalisation, de fédéralisme, etc., à l’échelle d’un pays comme l’Algérie ou à celle de l’Afrique du Nord toute entière. La première formation politique à s’être engagée formellement sur ce terrain est le FFS clandestin qui, vers la fin des années 1970, a avancé le concept de « démocratie décentralisa-trise » ainsi que le triptyque « autonomie individuelle, autonomie locale et autonomie régionale ». Mais ces concepts ont été proposés par le FFS clandestin pour l’Algérie toute entière, alors que des formations plus récentes voguent sur le paradigme « ethnique » et se fo-calisent sur la seule Kabylie.

Dans la mise en application de cette stratégie de

dévoiement-manipulation, à partir des années 1990, plu-sieurs leviers sont actionnés : - dégradation de la situation sociale, avec, notamment, un taux de chômage significativement élevé par rapport aux taux des autres régions du pays ; - politique de découragement des investisseurs : rejets arbitraires des dossiers, insécurité voulue et entretenue,

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enlèvements d’entrepreneurs et de membres de leurs fa-milles, etc. ; - apparition rapide de maux sociaux à grande échelle : lieux de débauche, drogue, prostitution, avec la complici-té des autorités ; - militarisation de toute la région, sous prétexte d’une insécurité volontairement entretenue ; - destruction ou neutralisation de tous les espaces où peut s’exprimer, s’organiser et se développer le lien social : structures traditionnelles, partis politiques, réseaux so-ciaux, etc. ; - offensive islamisante destinée, avec la complicité des autorités, à encadrer idéologiquement la population, à la dresser à l’obéissance et à la soumission, à la traumatiser par la remise en cause des rituels d’enterrement par exemple, tout en servant de véhicule et de force d’appoint à l’arabisation ; - stratégie de pollution et de brouillage des repères et des valeurs, de nivellement par le bas, etc. - etc.

5. Les outils de la revendication (médias, édition…)

Les deux périodes suivantes se dégagent assez nettement : Avant l’ « ouverture politique » de 1989 ; Après l’ « ouverture politique » de 1989. 5 a) Outils de la revendication avant l’ « ouverture poli-tique » de 1989 Dans les premières années de l’indépendance, l’identité berbère était taboue, mais l’hostilité envers elle ne faisait pas l’ombre d’un doute au plus haut sommet du pouvoir. Ben Bella livre les opposants touaregs maliens à Modibo Keita. Le gouvernement algérien s’applique à

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détruire les liens entre les Touaregs du nord et du sud1. La règle d’or du pouvoir politique est le silence absolu, consolidé par la peur, la censure, l’autocensure et toutes sortes de culpabilités héritées de l’histoire et savamment entretenues.

Mais la société n’est pas totalement soumise, sur-

tout que les déceptions et les frustrations de l’indépendance sont nombreuses, sur les questions de l’identité bien sûr, mais aussi en matière de démocratie et de libertés individuelles et collectives. Le sentiment iden-titaire berbère est bien réel, et pas seulement en Kabylie, même s’il n’est pas toujours formulé de façon très nette par le plus grand nombre. Des chanteurs, des poètes, des intellectuels sont là pour le faire. Ces déceptions, ces frustrations et ce sentiment identitaire vont nourrir en sourdine une révolte qu’il est possible de retracer à tra-vers un certain nombre de faits, d’événements, de jalons et d’ancrages : la rébellion armée du FFS en 1963 (bien que ne portant pas sur la revendication identitaire de fa-çon explicite, mais sur la démocratie de façon générale) et la répression qui s’en est suivie ; le travail de conscien-tisation, discret mais efficace, de quelques journalistes de la radio kabyle d’Alger ; les cours de berbère de Mouloud Mammeri à l’Université d’Alger et son activité de re-cherche au sein du CRAPE, en ce qu’ils ont permis d’initier un nombre relativement important de personnes au domaine berbère (langue, culture, civilisation), mais aussi en ce qu’ils ont donné lieu à des rencontres fertiles et durables ; la naissance de la néo-chanson kabyle, iden-titaire et contestataire, au début des années 1970 ; le tra-

1 Claudot-Hawad (Hélène), 1987. – Des Etats-Nations contre un peuple : le cas des Touaregs. In : Berbères : une identité en construction (sous la responsabilité de Salem Chaker). Aix-en-Provence : Edisud.

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vail de conscientisation fait par les étudiants autour des cours de Mammeri (théâtre, excursions, activités cultu-relles organisées par les comités de cités universitaires1) ; la production d’œuvres littéraires importantes (poésie, théâtre…) ; l’apparition de bulletins culturels clandestins dans la capitale dans les années 1970 ; certaines expres-sions de colère, de révolte et de défi comme à l’occasion de la fête des cerises de Larbaa-Nath-Irathen en 1974 et la finale de la coupe d’Algérie de football en 1977 ; les débats autour de la Charte nationale de 1976 qui ont donné l’occasion de poser publiquement la question de la place de la langue berbère en Algérie ; l’affaire dite des « poseurs de bombes » au cours de laquelle de jeunes militants berbères structurés dans l’ADEF2 et l’OFB3

1 Dès la fin des années 1960 se créent à la cité universitaire de Ben Aknoun le Centre de culture berbère et le Centre Drama-tique universitaire. En 1973, une troupe de théâtre jouera à Tunis une traduction en kabyle de Mohamed prends ta valise de Kateb Yacine, dans le cadre d’un festival international de théâtre universitaire. La même pièce sera jouée à Tigzirt en plein air, au milieu des ruines romaines, ainsi qu’à la salle de cinéma de Boghni à l’occasion de sorties culturelles organisées autour des cours de Mammeri. L’activité théâtrale en général, écriture et mise en scène, a toujours suscité un certain engoue-ment de la part des lycéens et des étudiants notamment. A titre d’exemples (Source : Salah Oudahar), les pièces de théâtre en français montées au tout début des années 1970 au lycée Ami-rouche de Tizi-Ouzou (la déchirure, la valise ou le cercueil). 2 ADEF : Afus deg ufus (la main dans la main). 3 OFB : Organisation des forces berbères. Les militants arrêtés furent condamnés à de très lourdes peines de prison. Si plu-sieurs témoignages existent aujourd’hui sur cette « affaire », un aspect reste toujours tabou : la très probable infiltration du groupe par les polices française et algérienne. Les « bombes » n’ont occasionné que des dégâts matériels mineurs, mais « l’affaire » a donné lieu en Algérie à une exploitation média-

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proches de l’Académie berbère sont passés à l’action violente (1976) ; le travail des partis d’opposition clan-destins, le FFS notamment, en Kabylie et dans l’Algérois vers la fin des années 1970 ; et, enfin, le printemps ber-bère de 1980 (marches des mois de mars et d’avril 1980, grève générale du 16 avril 1980, répression du 20 avril, etc.) que l’on considère désormais comme l’acte fonda-teur de la revendication berbère, en ce qu’il a donné lieu aux grandes manifestations publiques en faveur de la berbérité et inauguré, pour l’Algérie entière et pour les pays voisins, l’ère de la remise en cause, de la contesta-tion et de la révolte.

C’est dire aussi que les événements de 1980 ne

sont pas tombés du ciel, mais qu’ils ont été précédés, préparés par toute une série d’autres événements qui se sont étalés sur la longue durée. Que l’on précise bien cependant que, sur cette longue durée, il n’y avait pas de pôle organisationnel unique. Une multitude de pôles plu-tôt, avec une certaine mobilité des acteurs d’un pôle à l’autre, d’une période à l’autre, d’un pays à l’autre (Algé-rie-France). A l’approche du printemps berbère de 1980, la présence en Kabylie et dans l’Algérois de structures politiques clandestines d’opposition (FFS, PRS, FUAA, extrême-gauche, etc.) a été d’un apport relativement im-portant dans le travail de structuration de la société d’une part, et d’encadrement du mouvement d’autre part. A titre d’exemples, les appels à la marche du 7 avril 1980 à Al-ger et à la grève générale du 16 avril 1980 ont été lancés par des militants du FFS clandestin, sous couvert de si-gnatures de circonstance (comité de soutien aux étudiants en grève). Les événements de 1980 ont été aussi, on ne

tique disproportionnée, à des fins de stigmatisation de la chose berbère et de manipulation de l’opinion.

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l’a pas toujours souligné, une école du compromis et de la responsabilité, la première expérience de multipartisme jamais faite en Algérie : à l’université de Tizi-Ouzou, les grandes orientations du mouvement, les décisions, les déclarations étaient le résultat de discussions très serrées et contradictoires en assemblée générale. Le caractère pacifique du mouvement a toujours été rappelé avec in-sistance, rappelé, apprécié et respecté, qualité essentielle dont ne peuvent se réclamer d’autres événements, d’autres moments, ceux de 2001 par exemple que la tra-dition berbériste inscrit trop rapidement dans la même lignée. On n’a pas toujours souligné non plus la présence de militants arabophones, dont quelques enseignants (cadres du PRS) à l’université de Tizi-Ouzou qui ont assumé jusqu’au bout, jusqu’à l’arrestation et la torture, le combat identitaire et la revendication des libertés dé-mocratiques et de la justice sociale.

Bien évidemment, la présence et l’expression de la berbérité ne se limitaient pas à ces événements. La berbérité au sens large du terme s’exprimait quotidien-nement par tous les pores de la société, elle en était à la fois la respiration la plus immédiate et la plus profonde, de l’expression linguistique à l’organisation sociale, en passant par les pratiques culturelles, les rites, les croyances, etc. Elle était également non seulement pré-sente mais essentielle, dans l’œuvre des écrivains, des chanteurs, des artistes d’une façon générale.

Au sein de la diaspora en France, et à partir de

celle-ci en direction notamment de l’Algérie et du Maroc, il y avait aussi le travail de conscientisation fait par l’Académie berbère de Paris à partir de la fin des années 1960, les enseignements académiques de linguistique berbère (EPHE, Inalco), les activités d’enseignement,

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d’animation1 et de publication du Groupe d’Etudes Ber-bères (GEB) de l’Université Paris VIII-Vincennes (an-nées 1970), les articles de Mbarek Redjala dans Les temps modernes et L’homme et la société, un travail d’animation culturelle à travers le théâtre2 et la chanson, la production culturelle de la Coopérative Imedyazen de Paris à partir de la fin des années 1970, quelques articles de presse (Libération), etc.3 A l’étranger, c’est l’Amicale des Algériens en Europe, prolongement du parti unique au pouvoir, qui fait le travail de contrôle et de surveil-lance de la communauté émigrée.

Toujours avant 1980 au sein de l’immigration

mais sur un terrain plus politique, il y avait aussi les acti-vités de structuration, de formation et de propagande du FFS et du PRS, sans oublier de signaler le travail des

1 Sous forme de conférences dans l’enceinte universitaire. 2 La troupe de théâtre Imesdurar animée par Mohia a participé à Suresnes au 1er Festival de Théâtre Populaire des Travailleurs Immigrés (juin 1975). 3 Cette présentation sous forme de liste pourrait laisser croire à une certaine unanimité dans les façons de voir les choses. S’il y avait consensus sur ce qui à l’époque représentait l’essentiel (travail de sensibilisation et de production notamment), les acteurs n’étaient pas tous logés à la même enseigne sur les plans idéologiques et politiques. Les différences étaient en particulier assez nettes entre la ligne de l’Académie berbère et celle du Groupe d’Etudes Berbères de l’Université Paris VIII-Vincennes ou bien des auteurs de la « contre-charte » qui a circulé à Alger en 1976. Ces différences se trouvaient certes à l’état latent, elles étaient vécues de façon plutôt passive et ne s’exprimaient qu’exceptionnellement sur le terrain, mais elles n’en constituent pas moins, et sur le long terme, une question taboue qu’il faut intégrer dans une analyse plus fine et politi-quement plus différenciée du mouvement de revendication berbère.

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trotskystes algériens1 qui se positionnaient sans complexe aucun en faveur de la langue berbère. Rejoint par un nombre important de membres du GEB ainsi que par les militants du « groupe d’Alger », le FFS clandestin se prononce en 19792 en faveur d’un statut de langue natio-nale pour la langue berbère, après une prise de position de Hocine Aït-Ahmed sur une chaîne de télévision fran-çaise.

Le printemps berbère de 1980 allait connaître des

prolongements et des répercussions sur la longue durée dans tous les pays d’Afrique du nord et au sein des dias-poras berbères.

Localement, en Kabylie et dans l’Algérois, des

cours non officiels de langue berbère, sont organisés au sein de l’université de Tizi-Ouzou3 occupée par la com-munauté universitaire, à Yakouren au mois d’août 1980 à l’occasion du séminaire destiné à l’élaboration du Dos-sier culturel, ainsi que dans quelques établissements à partir de la rentrée 1980 (campus de Oued Aïssi et de Hasnaoua, Université de Bab-Ezzouar (collectif Imedya-zen), à Boumerdès, au Lycée de Draa-el-Mizan, etc. Une expérience de cours par correspondance sera même tentée en 1981, après l’interdiction de l’université d’été qui avait programmé une session de formation de formateurs, interdiction consécutive à l’occupation du campus uni-versitaire de Oued Aïssi par l’armée qui y avait déployé quelques chars (été 1981).

1 CLTA : comité de liaison des trotskystes algériens. 2 Dans l’avant-projet de plateforme politique intitulé : « Pour une alternative démocratique révolutionnaire à la catastrophe nationale », mars 1979. 3 Le 1er cours a été donné par moi-même le 16 avril 1980.

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Dans le domaine littéraire, on assiste dans les an-nées 1980 à de nouvelles incursions dans des genres nou-veaux tels que le roman, après les premières expériences modernes d’écriture que l’on peut faire remonter aux années 1950 ou même au début du 20ème siècle.

Face à cette montée en puissance de la revendi-

cation berbère, sur près de vingt ans, l’Etat algérien a usé des armes de l’intimidation, de la provocation, de la ca-lomnie, de la répression, de la torture physique et morale à l’occasion des arrestations, de juridictions d’exception et de mesures de détention, sans jamais rien céder quant au fond pendant toute cette période.

S’agissant de l’édition et des médias, il faut dis-

tinguer les deux versants : le versant étatique ou officiel, et celui de la revendication berbère. Signalons aussi que la France a toujours servi de base arrière, notamment pendant les périodes d’interdiction ou de répression en Algérie. Edition étatique

En Algérie, l’édition a été placée sous le contrôle étroit de l’Etat pendant plusieurs décennies. La SNED, Société Nationale d’Edition et de Diffusion, exerçait dans ce domaine un quasi-monopole sur toutes les publications destinées au grand public. Pour les besoins spécifique-ment universitaires, la mission éditoriale était dévolue à l’OPU, l’Office des publications universitaires, égale-ment sous le contrôle de l’Etat. Destinés à l’école pu-blique, la seule qui existait jusqu’à une époque récente, les manuels scolaires étaient, eux, élaborés par le Minis-tère de l’éducation nationale. Pour toutes ces publica-tions, les deux langues utilisées étaient l’arabe classique et le français.

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Le contrôle de l’Etat signifie avant tout le con-trôle strict des contenus et de l’instrument linguistique, la censure, l’autocensure de la part des auteurs, la promo-tion des écrits serviles, etc. Aucun écart, aucune contesta-tion, aucune dissonance par rapport aux options idéolo-giques officielles ou aux choix politiques du pouvoir n’étaient non seulement permis, mais envisageables. L’importation d’ouvrages publiés à l’étranger était éga-lement le fait de services étatiques : elle était soumise aux mêmes types de contrôle. Le contrôle de l’instrument linguistique était particulièrement sévère, voire sans appel. Dans les pre-mières décennies de l’indépendance (1962) du pays, il était tout simplement inconcevable pour un Algérien berbérophone de publier le moindre écrit dans sa langue, en Algérie, quel que soit son contenu. Quelques rares auteurs qui ont eu l’outrecuidance de proposer leurs ma-nuscrits berbères à la SNED se sont vu répondre négati-vement par… le département des langues étrangères.

Exceptions

Quelques rares exceptions seulement ont pu échapper à ce contrôle que les pouvoirs publics ont exer-cé sur l’activité éditoriale dans son ensemble, avant l’ouverture politique de 1989 et la libéralisation du sec-teur de l’édition : - Les publications du Fichier de Documentation Berbère (FDB), créé en 1946 par des missionnaires religieux, les Pères Blancs. Le FDB allait assurer pendant une trentaine d’années, jusqu’à son interdiction en 1976 et la mise sous scellés de ses locaux par le Ministère algérien de l’intérieur, la publication de plusieurs dizaines de fasci-cules, généralement bilingues (berbère-français) portant sur la langue, la culture et la société berbères. La plupart

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des publications concernent la Kabylie, quelques autres ont porté sur d’autres régions berbérophones (Mzab, Ouargla, Ghadamès). Signalons au passage que ce sont les animateurs du FDB qui sont à l’origine des principes de base de l’orthographe actuelle du berbère en caractères latins, orthographe qui a subi par la suite un certain nombre de modifications ; - L’Amawal (lexique de termes modernes) imprimé au CRAPE (Alger) en 1974 ; - Le Dossier culturel issu du séminaire de Yakouren (août 1980). Ronéoté en Algérie à la rentrée 1980 (et publié ensuite en France par la coopérative Imedyazen sous le titre : Algérie : quelle identité ?) ; - Un livre de poésies mozabites : Imeṭṭawen n lfeṛḥ (larmes de joie), publié à Ghardaïa en 1985.

Edition du côté de la revendication berbère Les exceptions signalées précédemment mises à part, l’édition berbérisante se fait à l’extérieur du pays, en France surtout, qu’il s’agisse de la production acadé-mique (Mammeri, Chaker, Tassadit Yacine, berbérisants étrangers, etc.) ou de la production militante. - Les quelques publications de la Coopérative Imedyazen de Paris, coopérative financée par le FFS et animée par des membres du GEB : un manuel d’initiation à la nota-tion de la langue berbère en caractères latins (reproduit plus tard en Algérie en milieu associatif)1, une bande dessinée (Briruc)2, un conte (Tafunast igujilen)3,

1 Auteur : Ramdane Achab (Groupe d’Etudes Berbères). 2 Auteur : Arezki Graïne. 3 Une version du célèbre conte. [Selon Hend Sadi, la version du conte a été obtenue à partir d’un enregistrement de Mme Fer-roudja Aït-Ahmed. Sur cet enregistrement sont ensuite interve-nus Malika Chertouk et Abdallah Mohia.].

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l’Amawal (lexique de termes modernes)1, le premier 33 tours de Ferhat-Imazighen Imula, le Dossier culturel de Yakouren ; - La néo-chanson identitaire et contestataire : (Idir, Fer-hat, Mennad, Matoub, Aït Menguellet, etc.) Une néo-chanson qui s’ajoute à la production des chanteurs des générations précédentes (Slimane Azem notamment dans le domaine de la contestation et de la critique sociale) ; - Cassettes de Muhend-u-Yahia (en reproduction libre dans un premier temps, éditées ensuite par les éditions Iles / Fnar de Paris) : poésie, critique sociale, etc.

Médias du côté de l’Etat algérien - Journaux et revues sont écrits en arabe ou en français. Médias aux ordres soumis à un contrôle strict des conte-nus ; - Télévision : une seule chaîne, étatique, au service du pouvoir politique. Seule exception tolérée pour l’expression berbérophone : la chanson, de façon très parcimonieuse ; - Radio nationale : 3 chaînes généralistes (arabe, français, kabyle) héritées de la période coloniale. Contrôle strict des contenus, contrôle de la qualité de la langue kabyle (censure des innovations lexicales) ; - Cinéma : Production sous le contrôle de l’Etat. Seules langues utilisées : arabe et français, y compris lorsque l’action se déroule en région berbérophone (Kabylie, Aurès…).

1 Auteurs : Mustapha Benkhemou, Amar Yahiaoui, Ammar Zentar, sous la direction de Mouloud Mammeri.

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Médias du côté de la revendication berbère : en Algérie

- Des bulletins culturels clandestins, à Alger, dans les années 1970 : Itij (le soleil), en caractères tifinagh, animé par des mili-tants proches de l’Académie berbère de Paris, dont plu-sieurs seront impliqués dans l’affaire des « poseurs de bombes » (1976) ; Taftilt (la lampe), qui deviendra ensuite Itri (l’étoile). Bulletins à contenu culturel, en caractères latins, animés par des étudiants proches du cours de Mammeri ; - Certaines émissions de sensibilisation (très discrète) de la radio kabyle d’Alger (radio d’Etat) ; - Renouveau de la chanson kabyle, années 1970 ; - Du théâtre en kabyle au début des années 1970, Alger, en milieu universitaire ; - Le « Texte d’Alger », premier texte à avoir posé, no-tamment, la question berbère dans ses dimensions lin-guistique, culturelle et identitaire (1976) ; - Mars 1980 : Inscriptions murales du FFS clandestin sur l’axe routier Alger – Tizi-Ouzou : slogans politiques hostiles au régime. Revendication de la démocratie ; - Eté 1980 : le Dossier culturel de Yakouren. Publié et diffusé en Algérie d’abord, en France ensuite ; - A partir du printemps berbère de 1980, très nombreux tracts, déclarations, etc. distribués à la population et pu-bliés par la suite dans la revue Tafsut notamment et des revues de presse ; - A partir de 1981 : la revue Tafsut (le printemps), publi-cation emblématique du mouvement de revendication berbère. Les deux langues utilisées dans la revue sont le berbère (kabyle) et le français. Couverture en caractères néo-tifinagh, intérieur en caractères latins. Contenu poli-tico-culturel : Informations diverses sur le mouvement de revendication berbère, publication de tracts, entretiens (y

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compris avec des opposants politiques), textes littéraires en berbère, etc. En plus de la série ordinaire (14 numé-ros), la revue Tafsut avait une série pédagogique et scien-tifique (3 numéros1) et une série spéciale2 Tafsut Etudes et débats (3 numéros). La revue Tafsut a été lancée à l’université de Tizi-Ouzou par un petit collectif composé d’enseignants et d’étudiants, mais elle sera très vite « ex-ternalisée » et prise en charge en dehors de l’université. Le tirage était fait clandestinement, aux domiciles de militants, sur du matériel de récupération de type graveur électronique et ronéo ; - Autres : Revue Tilelli, université de Tizi-Ouzou (quelques numéros) ;

Médias du côté de la revendication berbère : en France

- Fin des années 1960 : Bulletin Imazighen (les Berbères) de l’Académie berbère, paraissant à Paris. Contenu cultu-rel (sensibilisation à la langue, l’histoire et la civilisation berbères) et politique. Diffusion en France, en Algérie et au Maroc ; - Bulletin d’Etudes Berbères (12 numéros, de 1973 à 1977), Groupe d’Etudes Berbères, Université Paris VIII-Vincennes. Suivi de la revue Tisuraf (7 numéros ordi-naires et 5 numéros spéciaux) ; - 1973 : articles de Mbarek Redjala dans Les temps mo-dernes (n° 323) et L’homme et la société (n°28), sur les problèmes linguistiques en Algérie, la spécificité cultu-relle et l’unité politique ; - Quelques articles de presse (Libération) ;

1 Tamusni tamezwarut di lebni (Abdenour Abdesslam) ; Tira n tmaziγt (Ramdane Achab) ; Lexique français-berbère de ma-thématiques (Hend Sadi, Mohamed Laïhem, Ramdane Achab). 2 Dirigée par Salem Chaker.

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- Troupe de théâtre Imesdurar, juin 1975, 1er Festival de Théâtre Populaire de l’Immigration, Suresnes ; - Juin 1977 : une expérience de journal rédigé entière-ment en berbère (kabyle) : Afud ixeddamen (la force des travailleurs), 1 seul numéro, précédé de quelques tracts en langue berbère dont certains sous le label du Parti communiste français, section du 14ème arrondissement de Paris ; - Années 1980 : Très nombreux articles de presse concer-nant le printemps berbère de 1980. Une revue de presse en a été faite. Editée par la coopérative Imedyazen de Paris ; - France et international : très bonne couverture média-tique des événements du printemps berbère ; - France notamment : structures de soutien, comités, FFS, tracts, appels, rassemblements, meetings de soutien… ; - 1985 : Revue Awal (la parole, le mot), créée à Paris par Mouloud Mammeri, Tassadit Yacine, avec le soutien de Pierre Bourdieu ; - Revue Etudes et Documents Berbères, créée par Ouah-mi Ould-Braham ; - Partis et groupes politiques (FFS, PRS, groupes trots-kystes algériens) : tracts, déclarations diverses, prises de position, Bulletin du Parti de la Révolution Socialiste qui prône en 1978 le passage à l’écrit pour la langue berbère. Journal Libre Algérie du FFS clandestin ; - Télévision française : Hocine Aït-Ahmed revendique pour la langue berbère un statut de langue nationale en Algérie. La proposition est reprise dans l’avant-projet de plateforme politique du FFS (1979) intitulé « Pour une alternative démocratique révolutionnaire à la catastrophe nationale » ; - Radios libres en France à partir de 1981.

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5 b) Outils de la revendication après l’ « ouverture poli-tique » de 1989

Dans le domaine de l’édition et des médias, la pé-riode qui suit l’ « ouverture politique » de 1989 est carac-térisée par la fin des monopoles de l’Etat algérien, mais cela ne signifie ni la levée de tous les obstacles, ni même l’existence d’une volonté politique réelle de libéralisa-tion. La libéralisation de l’édition et des médias est dans son ensemble à l’image de « l’ouverture politique » qui a été faite l’échelle du pays : un certain nombre de conces-sions certes, concrètes ou symboliques, mais le régime dispose toujours de leviers importants qu’il peut action-ner dans le but de limiter, de détourner ou de neutraliser les effets de cette même libéralisation : la publicité pour les médias, les aides à l’édition, la distribution des livres dans les structures publiques comme les bibliothèques municipales, les volumineux marchés de l’édition sco-laire, etc. L’allégeance politique et la corruption consti-tuent les règles de base pour qui veut profiter des mannes de l’Etat.

L’édition Une bonne dizaine d’éditeurs privés publient au-

jourd’hui des livres écrits en langue berbère, quelquefois dans des variétés linguistiques « appartenant » à d’autres pays (Maroc, Libye). A ces publications s’ajoutent celles du HCA dont les moyens, qui sont des moyens publics, sont beaucoup plus importants.

La libéralisation de l’édition reste cependant

handicapée par le fait que des segments entiers ne sont que très difficilement accessibles à la distribution privée : bibliothèques scolaires, bibliothèques municipales, bi-bliothèques universitaires.

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Les moyens matériels des éditeurs privés sont li-mités. L’édition du livre berbère, en plus d’être confron-tée aux problèmes de l’édition en général (lectorat, distri-bution, faiblesse de la critique littéraire, etc.) connaît des problèmes spécifiques dus à sa nouveauté et au statut social de la langue, ainsi que des problèmes plus tech-niques relevant de l’aménagement linguistique (graphie, orthographe, terminologie, etc.).

Certains auteurs préfèrent recourir à l’édition à

compte d’auteur, d’autres à l’édition numérique (sur in-ternet). De nombreux auteurs n’arrivent pas à faire pu-blier leurs œuvres.

Médias

On peut parler d’une libéralisation relative du champ médiatique. Relative parce que les journaux, les chaînes de télévision (étatiques ou privées) et les radios restent tributaires des puissances d’argent (l’Etat en est une), des organisations politiques et des clans.

La langue berbère est présente, sous plusieurs va-

riétés, dans ces médias : presse écrite, chaînes nationales et chaînes privées de télévision, radio nationale et radios régionales (Tizi-Ouzou et Bgayet) qui appartiennent à l’Etat, les radios libres en France notamment. Mais il faut préciser que la place de la langue berbère dans la presse écrite est aujourd’hui proche de l’insignifiance, après avoir connu, au tout début des années 1990, deux organes partisans (Asalu du RCD et Amaynut du FFS) qui lui étaient entièrement dédiés.

A cette situation peu reluisante sur le plan quanti-

tatif pourraient s’ajouter des considérations sur la qualité de la langue utilisée dans ces médias : manque

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d’expressivité, souvent manque de maîtrise de la langue, abus de néologismes, calques à partir du français et de l’arabe, alternance de code linguistique ou code-switching, probablement encouragé à la radio et à la télé-vision pour favoriser l’étiolement de la langue et accélé-rer son extinction. Enfin, certaines émissions télé et cer-tains films semblent destinés à renforcer la haine de soi en donnant une image dégradante de la société berbère.

Signalons l’existence de quelques revues ou bul-

letins associatifs qui accordent une certaine place, voire toute la place, à la langue berbère. Aussi la présence de la langue sur internet de façon générale et les réseaux so-ciaux en particulier.

Signalons aussi les représentations théâtrales, les

festivals de poésie, de cinéma amazigh (berbère), les cafés littéraires, les conférences-débats qui sont autant de situations où la langue est utilisée et valorisée.

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Langue Tamazight : questions d’actualité : Statut de la langue, graphie, académie, etc.

Contribution publiée dans El Watan

du 12 janvier 2018

Chacun des thèmes que vous souhaitez qu’on aborde mériterait bien sûr de plus amples développements, mais il faut faire avec les contraintes d’espace et de temps. Je vais essayer d’aller à l’essentiel et de m’exprimer claire-ment. Sur la seule question de l’aménagement du lexique, j’ai déjà fait un travail universitaire qui remonte au début des années 1990 et qui a été publié en France, travail que j’ai actualisé et réédité en 2013 en Algérie. Ce travail con-tient des propositions qui sont toujours d’actualité dans leur esprit et leurs grandes lignes. J’utilise le mot Tamazight dans un sens générique. Tama-zight est constituée pour moi de la diversité de ses ex-pressions concrètes que l’on peut observer sur le terrain, dans tous les pays où la berbérophonie est attestée.

Puisqu’on aborde des questions comme celles de l’aménagement linguistique et des institutions, etc., il faut rappeler que ce sont le Mali et le Niger qui ont les premiers accordé un statut de langue nationale à leurs variétés de Tamazight, à l’instar d’autres langues afri-caines, une dizaine pour le seul Niger. S’agissant des institutions et des collaborations entre institutions berbé-risantes, c’est l’INALCO de Paris qui a fait un travail de pionnier en organisant, dans les années 1990, pour la première fois dans l’histoire de notre langue, des ateliers de travail sur les questions de l’orthographe et des termi-

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nologies, des ateliers qui ont réuni autour de la même table des chercheurs algériens, marocains et nigérien. Pour la première fois de notre histoire également, ce sont l’INALCO et l’IRCAM qui les premiers ont signé une convention de collaboration, institutionnelle et non plus individuelle, pour élaborer le vocabulaire de la gram-maire, près de 400 termes, collaboration dans laquelle se sont investis solidairement des chercheurs algériens et des chercheurs marocains. Lorsque des pays dits pauvres comme le Mali et le Niger font la leçon à un pays riche comme l’Algérie, on voit bien que les véritables richesses ne se trouvent pas dans les puits de pétrole ou le gaz de schiste. De son côté, le Maroc tant décrié présente au moins l’avantage de la lisibilité institutionnelle, à travers l’IRCAM, alors qu’en Algérie règne une confusion institutionnelle voulue et entretenue. J’aimerais poursuivre par quelques rappels qui me sem-blent essentiels pour donner un cadre et du sens à mon propos. 1) La langue Tamazight est une langue dominée. Elle est dominée par l’arabe et le français notamment. C’est cette position de langue dominée, de langue « basse », qui détermine son véritable statut, celui dont personne ne parle, son statut social, c’est-à-dire la place réelle, objec-tive, effective, qu’elle occupe dans la société, qui déter-mine aussi l’image ou la représentation, peu reluisante, qu’en ont les citoyens en général, les locuteurs et les non-locuteurs. C’est le statut social seul qui est décisif dans la survie d’une langue, pendant que les statuts juridiques (langue nationale, langue officielle) et l’Académie retien-nent toute l’attention, font fantasmer, entraînent les can-didats et enflamment la piste de danse.

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2) La langue Tamazight est une langue menacée de dispa-rition. Voir le livre de Claude Hagège sur La mort des langues, ou le site québécois : Les langues du monde, la mort des langues, qui contient une vingtaine de pages. Les gens sont souvent étonnés lorsque vous leur dîtes que la langue Tamazight est menacée de disparition. Ils vous répondent : nous avons tenu jusqu’à maintenant, pour-quoi voulez-vous que subitement on disparaisse ? Comme quelqu’un qui vous dirait : je n’ai jamais eu le cancer, pourquoi voulez-vous que subitement je l’attrape ? Nous avons tenu jusqu’à maintenant, sur le plan linguistique, parce qu’un certain nombre de condi-tions étaient réunies : la géographie, la structure sociale, le système d’appropriation des sols, la résistance, la den-sité de population, une certaine autarcie, un ensemble de valeurs qui servaient de liant et de repères à la commu-nauté, etc. Voir les 10 ou 15 premières pages du livre Imazighen ass-a de Chaker. De nos jours, ces conditions ne sont plus présentes avec la même force que par le pas-sé. La géographie par exemple, les montagnes ou même le désert ne protègent plus à l’ère des nouveaux moyens de communication, de l’école, etc. A ces conditions ob-jectives qui ne sont plus réunies s’ajoutent les politiques volontaristes, agressives, répressives, les politiques d’éradication qui viennent des pouvoirs centraux, en Al-gérie comme au Maroc notamment. L’objectif ultime de ces politiques n’est rien d’autre que la disparition de la langue Tamazight. Il y a une certaine accélération de ces politiques depuis les dernières décennies, parce que les pouvoirs sentent bien que le moment est venu de porter l’estocade, le coup fatal, le coup de grâce. Tous les moyens sont mis à contribution, tous les leviers possibles et imaginables sont actionnés simultanément pour déraci-ner Tamazight, langue, culture, identité, société, valeurs et civilisation : l’arabisation, l’islamisation, le chômage,

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la drogue, la prostitution, la délinquance, l’insécurité volontairement entretenue, une politique de peuplement, la militarisation, une image-repoussoir, dévalorisée et dévalorisante, de la société amazighe à travers certaines émissions de télévision, l’ethnicisation de la revendica-tion, la promotion et l’encouragement des expressions extrémistes, etc. Même les médias censés être des médias de promotion de la langue Tamazight comme la télévi-sion et la radio, ces médias-là ont chacun leur feuille de route, ils sont là pour contribuer à servir les desseins ina-vouables du pouvoir.

On oublie aussi, trop facilement, que cette langue a DÉJÀ disparu d’un grand nombre de contrées, de régions, elle est DÉJÀ morte dans la plus grande partie de l’Afrique du Nord. Elle continue de disparaître chaque jour, elle meurt chaque jour un peu plus, sans crier gare. La mort d’une langue, c’est connu, est une maladie silencieuse. On ne parle plus à Tizi-Ouzou comme on parlait il y a 20 ou 30 ans, ou à Draa-ben-Khedda, Tizi N At Aycha (Thenia), Tubirett, Draa-el-Mizan, Isser, etc. La langue est généralement attaquée sur la périphérie et les brèches, mais cette périphérie se rapproche de plus en plus du centre. Pourquoi n’y a-t-il pas d’études sur ces pro-blèmes, des mémoires, des thèses, des articles de presse, des reportages ? La mort d’une langue est un processus qui s’étale en gé-néral sur la longue durée, plusieurs siècles pour Tama-zight. Les villes, les plaines, les centres importants de pouvoir (économique, politique, religieux) constituent le plus souvent autant de cimetières pour les langues domi-nées, des cimetières encore plus silencieux que les autres, sans pierres tombales et sans registre de décès, lavés de la mémoire comme de l’oubli. La langue Tamazight ne fait

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pas exception. Contrairement à ce que l’on entend ou lit ici ou là, en prose, en vers ou en chansons, elle ne meurt pas « à cause de ses locuteurs qui ne l’aiment pas ou ne l’aiment pas assez », elle meurt parce que des forces ob-jectives, économiques, politiques, linguistiques, cultu-relles, militaires, idéologiques, etc., la poussent puis-samment vers la sortie. La situation de langue dominée engendre auprès des locuteurs concernés un phénomène d’auto-minoration, des complexes, des inhibitions, de la haine de soi, etc., autant de facteurs qui à leur tour vien-nent alimenter, aggraver et accélérer le processus de dis-parition. La situation de la langue Tamazight ne s’explique pas par le facteur ethnique, elle ne s’explique pas au travers du paradigme ethnique, elle s’explique par des lois de sociolinguistique qui sont universelles dans leurs grands principes, au-delà des spécificités de cha-cune des situations. Oui, il s’agit bien de lois universelles, alors que certains ont tendance à les ethniciser, par calcul politicien ou par ignorance. Il y a quelques siècles, les enseignants bretons affichaient dans des écoles de Bretagne, pour les élèves bretons : il est interdit de cracher par terre et de parler breton. De leur côté, les Catalans qui vivent de nos jours en France ne sont pas loin de disparaître linguistique-ment, alors que les Catalans qui vivent en Catalogne se portent beaucoup mieux sur le même plan. Il s’agit pour-tant de la même « ethnie », si ce mot a encore un sens, mais ce sont les environnements dans lesquels ils vivent qui sont différents et qui sont déterminants. Nous sommes donc en présence d’une langue dominée, menacée de disparition, et l’on nous promet de traduire en Tamazight les principaux textes des administrations centrales, des traductions, vous le savez très bien, qui seront forcément indigestes, qui ne serviront absolument

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à rien et que personne ou presque ne lira. On nous promet aussi des factures en langue Tamazight ! La belle trou-vaille ! Pendant qu’on y est, pourquoi ne pas traduire en Tamazight les guides d’installation des cuisinières et des machines à laver ? C’est à l’aune de ces deux caractéristiques (langue domi-née, langue menacée de disparition) que doit être jaugée (jugée ?) toute mesure : statut juridique de langue natio-nale et de langue officielle et création d’une Académie, notamment. Telle mesure permet-elle ou non de relever le statut social de la langue ? Telle mesure permet-elle d’endiguer l’érosion, de freiner la déperdition, de contri-buer vraiment à sauver la langue ? Ce sont à mon avis les seules questions qui vaillent la peine d’être posées. 3) De par le monde (Suisse, Finlande, Canada, etc.), deux grands principes servent à donner une base juridique à la résolution des problèmes linguistiques dans les pays mul-tilingues : le principe de la territorialité et le principe de la personnalité. J’ai déjà eu l’occasion de les aborder au département de langue et culture amazighes de l’Université de Tubirett en mai 2016, et tout récemment dans un cadre associatif à At Bugherdan. a) Le principe de la territorialité consiste à accorder la primauté à une langue dans la ou les régions où son usage est prépondérant sur les autres langues. Ce principe est appliqué par exemple en Suisse où coexistent plusieurs langues. Si l’on applique ce principe à l’Algérie, la pri-mauté reviendrait à Taqbaylit en Kabylie, Tacawit dans les Aurès, Tamzabit au Mzab, Tazennatit dans le Goura-ra, etc. La primauté ne signifie pas l’exclusion des autres langues, mais elle doit être reconnue, respectée et appli-quée par les administrations quelles qu’elles soient, les

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institutions publiques ou privées, les services de sécurité (police et armée), les commerces, la Justice, etc. b) Le principe de la personnalité : au Canada par exemple, lorsqu’un citoyen se présente à une institution publique ou privée, il est reçu par le préposé à l’accueil avec deux mots « Welcome » et « Bienvenue ». Si le citoyen répond en anglais, le préposé poursuit en anglais. Si le citoyen répond en français, le préposé poursuit en français. La loi reconnaît et respecte la personnalité lin-guistique du citoyen, d’où cette appellation de principe de la personnalité. Ces deux principes ne sont pas exclusifs l’un de l’autre. Ils sont au contraire complémentaires. Leur conjugaison pourrait contribuer à inscrire les problèmes linguistiques dans un environnement juridique favorable à leur résolu-tion. Leur mise en place devrait bien sûr se dérouler dans un climat d’apaisement et bénéficier de mesures d’accompagnement. 4) Les toponymes et les ethnonymes : le hold-up topo-nymique déjà pratiqué pendant l’époque coloniale a été reconduit, prolongé et aggravé par l’Algérie indépen-dante : effacement pur et simple des toponymes et des ethnonymes traditionnels, falsifications, altérations, con-torsions et tortures linguistiques diverses pour les rappro-cher de l’arabe. Au nom de quoi Imcheddalen par exemple (qui signifie : fourmis rouges) est-il devenu Mchedellah ? La volonté politique du pouvoir, qui pour le moment fait cruellement défaut, doit s’exprimer rapidement par un certain nombre d’actions concrètes claires et sans équi-voque, de véritables signaux en direction de la société : le principe de la territorialité, le principe de la personnalité,

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le rétablissement des toponymes et des ethnonymes, no-tamment. Elle ne saurait se contenter de déclarations de principe qui resteront lettre morte, de gesticulations, d’engagements qui n’engagent à rien, ni même de postes budgétaires. 5) Le problème de la graphie. Les caractères latins, ce n’est pas seulement un alphabet, c’est plus de deux siècles d’histoire et de production, ce sont des monu-ments d’écriture, aussi importants que tous les monu-ments qui nous ont été légués par l’histoire et la préhis-toire. Le premier dictionnaire kabyle était déjà prêt à la fin du 18ème siècle (son auteur est mort en 1799), avant la colonisation française, même s’il n’a été publié que beaucoup plus tard, dans les années 1840. Les partisans de la graphie arabe veulent effacer cette histoire, cette production, le nom des auteurs, tout le travail ardu, pa-tient, qui a été fait pour fixer petit à petit les règles d’orthographe, à partir des acquis de la linguistique ber-bère et de la pratique des usagers. La graphie arabe, ce sont plus de deux siècles d’histoire et de production qui seront jetés aux oubliettes. Les partisans de la graphie arabe n’ont rien à envier aux intégristes qui de par le monde détruisent les traces des autres civilisations. Dé-truire ce qui a été fait, effacer les traces, les noms, les livres, etc., le désert intégral comme seul projet civilisa-tionnel ! On efface tout et on ne recommence rien ! Plus prosaïquement, il s’agit aussi, bien sûr, de dresser de nouveaux obstacles sur le chemin de la revendication de Tamazight. Les promoteurs de la graphie arabe sont des personnes qui n’ont jamais écrit le moindre mot de Ta-mazight dans leur vie, et qui ne l’écriront jamais, dans aucun alphabet au monde. L’alphabet arabe est utilisé à des fins répressives, voilà une chose contre laquelle de-

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vraient, normalement, se révolter les amoureux de la langue arabe ! Il s’agit aussi, bien sûr, de tenter d’amener Tamazight dans le giron arabo-musulman, en la camouflant dans la graphie arabe, comme on camoufle une femme dans un hidjab ou une burqa. 5) L’Académie. De mon point de vue, nous sommes très loin du compte. Le statut de langue nationale, celui de langue officielle, l’Académie, que sais-je encore, tout cela est loin, très loin, de pouvoir apporter une véritable solution à ces deux données fondamentales : Tamazight est une langue dominée, Tamazight est menacée de dispa-rition. Vous verrez que cette Académie sera caractérisée avant tout par l’allégeance politique, surtout pour le ou les postes de direction. Je pense qu’une partie au moins de son travail sera consacrée à la destruction des acquis : remise en cause des règles d’orthographe, remise en cause des acquis de l’aménagement du lexique, etc. Une Académie digne de ce nom devrait être indépendante du pouvoir politique, de tous les pouvoirs politiques, dans les textes et dans les faits. Elle devrait s’inscrire dans la continuité de ce qui a été fait jusqu’à maintenant, dans le prolongement des acquis de l’aménagement de la langue Tamazight (graphie, lexique, terminologies), même si celui-ci a été fait dans des conditions difficiles d’hostilité politique, idéologique, et de clandestinité. Elle devrait travailler la main dans la main avec toutes les autres insti-tutions berbérisantes, les Universités algériennes et maro-caines où Tamazight est enseignée, l’IRCAM, l’INALCO, ainsi que les Ministères malien et nigérien de l’éducation nationale, sur des questions d’intérêt commun

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comme l’aménagement du lexique et l’orthographe. Cette collaboration entre les différentes institutions, à défaut d’une institution unique à l’échelle de toute l’Afrique du Nord et même au-delà, ce n’est pas une prise de position conjoncturelle. Je l’ai déjà évoquée dans le travail que j’ai fait au début des années 1990, dans le chapitre consa-cré aux propositions. Enfin, plus que tout cela, les statuts juridiques et l’Académie ne sont pas une fin en soi. Ce sont des outils, des instruments, des éléments d’une politique linguistique qui n’existe toujours pas, une politique linguistique qui doit traduire une volonté politique qui n’existe pas non plus. Pour être crédible, cette volonté politique doit mon-trer patte blanche, elle doit se traduire sur le terrain par la mise en application, franche et honnête, des deux prin-cipes évoqués ci-dessus : la territorialité et la personnali-té. Mais cela suppose une désinstallation complète du logi-ciel politique algérien, une refonte profonde de l’État, et l’installation de nouvelles mœurs politiques adossées à un Etat de droit. C’est seulement à ce prix que les Amazighophones pour-ront, sur le plan linguistique, sortir du code de l’Indigénat dans lequel ils se débattent depuis l’indépendance du pays. Ce n’est pas demain la veille.

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Coup d’œil aux années 19701

Le Groupe d’Etudes Berbères de l’Université Paris VIII

Bref aperçu sur :

- Le contenu du Bulletin d’Etudes Berbères - Le prolongement des activités du GEB en de-

hors de l’Université : théâtre, coopérative Imedyazen…

***

Notes de l’éditeur

Ce volume réunit les douze numéros du Bulletin d’Etudes Berbères publiés par le Groupe d’Etudes Ber-bères de l’Université Paris VIII-Vincennes, de 1973 à 1977. Afin d’en améliorer la lisibilité, cent cinquante pages environ ont fait l’objet d’une nouvelle saisie, sur ordinateur au lieu de la machine à écrire d’origine, sans modification aucune de contenu. En particulier, l’orthographe des textes berbères a été fidèlement rappor-tée.

L’objectif des notes qui suivent est de mettre des

noms sur les auteurs des publications, et d’identifier les principaux acteurs qui ont assuré les activités du Groupe d’Etudes Berbères, qu’il s’agisse des activités au sein de l’Université Paris VIII ou de leur prolongement à l’extérieur.

1 Ce texte se trouve en introduction de la réédition des douze numéros du Bulletin d’Etudes Berbères (1973-1977), Préface de Lionel Galand, Editions Achab, Tizi Ouzou, 2016. 610 pages.

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Pseudonymes et identités des auteurs

Les articles publiés dans le Bulletin d’Etudes Berbères (BEB) ne sont pas tous signés, certains le sont avec des pseudonymes ou seulement des initiales1.

Mbarek Redjala a signé de son vrai nom les ar-ticles suivants : Ecriture et communication en Algérie (BEB n°2) ; Si Muḥend et sa famille dans la tourmente de 1871 (BEB n°3) ; Un toponyme berbère : tisira (BEB n°4) ; Un texte inédit de l’Histoire des Berbères (BEB n°6) ; Déclaration universelle des droits des peuples (BEB n°9-10). Il a utilisé le pseudonyme de Mbarek Awaḍi pour les articles suivants : Ger yiḍelli d wassa (BEB n°5) ; La poésie kabyle en 1974 (BEB n°5) ; Tenta-tive d’explication étymologique du terme Bazina (BEB n°5) ; Tadyant imaziγen (BEB n°5) ; Aujourd’hui ou ja-mais (BEB n°6) ; Retour à Ben Mohammed (signé M.A.) (BEB n°6) ; Suite à « La poésie kabyle en 1974 » (signé M.A.) (BEB n°6) ; Un écrivain d’expression kabyle : Si Amr u Sseyd dit Boulifa (BEB n°6) ; Awal atrar (signé M.A.) (BEB n°6). Enfin, de nombreuses autres contribu-tions de M. Redjala ne sont signées ni de son vrai nom ni d’un quelconque pseudonyme, notamment : Une expé-rience pédagogique à Vincennes : le Groupe d’Etudes Berbères (BEB n°1) ; Nous les Berbères (BEB n°2) ; Où en est le Groupe d’Etudes Berbères (BEB n°2) ; Leq-bayel zzwayel (BEB n°2) ; Aγilas d sin yiḍan (BEB n°2) ; Les Berbères et leur langue (BEB n°3) ; Un précurseur de Si Muḥend : Lḥaǧ Rabeḥ (BEB n°4) ; Diversité cultu-relle et unité nationale (BEB n°4) ; A propos de la tenue 1 Plusieurs personnes ont contribué à l’identification des au-teurs, notamment : Boussad Ben Belkacem, Hend Sadi, Mo-hand Ouamer Oussalem, Ben Mohammed et Saïd Sadi. La liste des membres de la troupe de théâtre d’Alger nous a été com-muniquée par Mohand Loukad.

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du VIIIème congrès de la pensée islamique (BEB n°4) ; Textes sur les Banû Hilâl et les Banû Sulaym (BEB n°4) ; Bilan de l’année universitaire 1973-1974 (BEB n°4) ; Introduction aux contes kabyles recueillis par Auguste Mouliéras (BEB n°9,10) ; Notes de lecture : Tajeṛṛumt n tmaziγt (BEB n°9,10).

Signalons également les trois articles suivants de

Mbarek Redjala publiés en dehors du Bulletin d’Etudes Berbères : 1) Remarques sur les problèmes linguistiques en Algérie, revue L’homme et la société, n°28, Linguistique, structu-ralisme et marxisme, 1973, pp. 161-177. 2) Spécificité culturelle et unité politique, revue Les Temps Modernes n°323, juillet 1973, pp. 2242-2252. 3) Mohia Abdellah. Un prosateur et poète kabyle con-temporain. Etudes et documents berbères, n°24, 2006.

Abdellah Mohia utilisait tout au plus ses initiales M.A. (à ne pas confondre avec le M.A. de Mbarek Awaḍi / Mbarek Redjala) pour signer ses contributions. L’article Taluft yiwet, iberdan aṭas (BEB n°1) et le poème Ayen bγiγ (BEB n°2) sont de lui mais ne sont pas signés. Il en est de même pour le texte Γef wemγar ikerrec weqjun (BEB n°1) et la traduction en kabyle de Morts sans sépul-ture de Jean-Paul Sartre (BEB n°2 et BEB n°3 dans le-quel les ajouts manuscrits sont de sa propre main) ; Sin d atmaten (BEB n°4) ; Une réalisation en cours (BEB n°4) ; Extrait d’un recueil de proverbes (BEB n°4) ; Ay arrac nneγ (signé M.A.) (BEB n°5) ; Slimane Azem : préparation d’un recueil (BEB n°5) ; Projet (BEB n°5) ; Llem ik ddu d uḍar ik (B. Brecht) (BEB n°7) ; Tiqdimin (BEB n°7) ; Slimane Chabi : un chanteur à suivre (BEB n°7) ; Uccen yufa tayaziṭ (BEB n°7) ; Tiqdimin (signé M.A.) (BEB n°8) ; Anwi i d imawlan is. Une version kabyle de l’Internationale (BEB n°8) ; Aneggaru ad yerr

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tabburt : adaptation kabyle de « La décision » de B. Brecht (BEB n°9,10) ; Tiqdimin (signé M.A.) (BEB n°9,10) ; Aneggaru ad yerr tabburt (suite) (BEB n°11) ; Tiqdimin (signé M.A./Yidir) (BEB n°11) ; Tiqdimin (si-gné M.A.) (BEB n°12).

Boussad Ben Belkacem signait ses contributions de son nom traditionnel : Said U Blaid : Le discours his-torique dans le mouvement national (BEB n°8) ; Docu-ments : Voyageurs européens en Algérie dans la seconde moitié du XXème siècle (BEB n°11) ; Traduction d’un poème de la résistance rifaine (BEB n°11) ; Etudes : La Kabylie au XIXème siècle (BEB n°12) ; Présentation d’un article d’Etudes Vietnamiennes : Préservez la pureté et la clarté de la langue vietnamienne (BEB n°12). L’Intervention du Groupe d’Etudes Berbères au Col-loque sur « structures et cultures précapitalistes » (BEB n°11) est également de lui.

Hend Sadi utilisait le pseudonyme H. Čučan : Enquêtes : Γef Yusef U Qasi (BEB n°11) ; Timeγriwin (BEB n°11) et la présentation des poèmes de B. Amezyan (pseudonyme de Saïd Boudaoui/Boudaoud) : (BEB n°12). Deux autres contributions de Hend Sadi ne sont pas signées : Anda tewweḍ tmaziγt et Taneffust b-bwemγar azemni (BEB n°1). Signalons également la con-tribution suivante publiée dans Etudes et documents ber-bères, n°24, 2006 : Muḥend u Yeḥya dramaturge de langue kabyle. Itinéraire d’un créateur en milieu militant.

Saïd Boudaoui/Boudaoud a utilisé le pseudonyme B. Amezyan pour signer Une expérience de théâtre popu-laire (BEB n°8) et Isefra (BEB n°12). Sous différents pseudonymes, Saïd Boudaoui/Boudaoud est par ailleurs l’auteur de la préface du premier 33 tours de Idir, ainsi que de quelques articles parus dans les années 1970 dans

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la presse française, Libération notamment, sur la question identitaire berbère. Ramdane Achab prend le pseudo-nyme R. Hemmu pour signer Choix de développement et politique linguistique (BEB n°8) ; c’est également lui qui a écrit la présentation non signée de « Ddem abaliz ik a Mu » de Kateb Yacine (BEB n°5), et qui a recueilli la version de Taqsiṭ n Sidna Musa publiée dans (BEB n°9,10). Mohand Ouamer Oussalem est l’auteur de Imenγi n Yugurten, traduction non signée des premières pages de La guerre de Jugurtha de Salluste (BEB n°12). Saïd Yacine est l’auteur du poème non signé « Aux vo-leurs de terre noire… » publié dans (BEB n°12). Enfin, S. Mounira et Georges Lapassade ont signé leurs contribu-tions de leurs vrais noms : Hammou ou Namir et son complexe (BEB n°7) et Recherche sur les Gnaoua et les religions populaires extatiques en Afrique du Nord (BEB n°11), respectivement. La traduction en kabyle de Mohammed, prends ta valise, de Kateb Yacine Publiée en trois parties dans les numéros 5, 8 et 9-10 du Bulletin d’Etudes Berbères, la traduction en kabyle de Mohammed, prends ta valise, de Kateb Yacine, a été faite en Algérie dans les années 1970. Voici le témoignage du poète Ben Mohammed sur les auteurs de la traduction1 : Pour "Mohammed prends ta valise", si mes souvenirs sont bons, j'avais travaillé essentiellement avec Arezki Si Mohammed et accessoirement, il y avait Saïd Sadi qui participait et suivait surtout l'évolution du travail. Par la suite, il ramènera son neveu Mohand Aït Ahmed qui, en tant qu'élève de l'école d'art dramatique de Bordj-El-Kiffan, assurera la mise en scène. Parmi les étudiants qui allaient jouer dans la pièce, Mumuh Loukad se joignait

1 Message privé, 10 novembre 2015.

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parfois à nos séances de travail. On se retrouvait dans un café situé au début de la rue Hassiba Ben Bouali (côté Maurétania, face à l'armurerie du père de Omar Oula-mara) et appartenant à un parent d'Arezki Si Mohammed. C'est ce dernier qui s'était intéressé, avant nous tous, à l'expression théâtrale en kabyle. D’ailleurs c'est lui qui avait déjà innové dans la tradition artistique de son vil-lage, Achallam, en introduisant des sketchs en intermède dans les célébrations de mariages, naissances ou autres. La troupe de théâtre qui en 1972-1973 a joué Mo-hammed prends ta valise en kabyle en Algérie était com-posée de1 : Mohand Loukad, Amar Mezdad, Ali Ouabadi, Muhend Aït Ahmed, Sakina Slimani, Salah Oudahar, Saïd Yacine, Saïd Doumane, Moussa Zénia, Slimane Krouchi, Ahmed (Amzabi, originaire du Mzab), Ali At-tab, Hacène Hirèche, Houari Mohammed dit Si Muḥ, Nadira, Nassira, une autre étudiante. Les représentations ont eu lieu à : CUBA (Cité universitaire de Ben Aknoun), Lycée Amara Rachid (mitoyen de CUBA), Lycée Ami-rouche Tizi-Ouzou, Tigzirt-sur-Mer (dans la cour d’une école), Iwaḍiyen-centre (sur la place publique), Buγni (salle de cinéma), Tunis (théâtre municipal le 22 mars 1973). Dans un témoignage recueilli par Loukad, Amar Mezdad écrit : (…) Notre troupe a participé au Festival International du Théâtre Universitaire de Tunis avec la pièce Mohammed, prends ta valise de Kateb Yacine en 1973 (en kabyle : Ddem tabalizt-ik, a Muḥ). Nous avons représenté l’Algérie, pour ainsi dire par défaut puisque

1 Mohand Loukad dans un message privé du 28/11/2015 dans lequel il indique : Je t'envoie une première liste où il y a pro-bablement un ou deux oublis. Je te transmets en outre la ré-ponse à ma demande de Amar Mezdad.

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nous étions la seule troupe universitaire en Algérie ! A Tunis, nous avons décroché le 1er prix. A notre retour, le Ministre de l’Enseignement Supérieur de l’époque nous a reçus mais il nous a tancés d’avoir joué dans notre « dialecte » (…). Saïd Sadi écrit de son côté1 : (…) Je raconte dans mon livre " l'échec recommencé ?" comment Ali Attab, étudiant en économie, retenu par un examen à Alger n'a pas pu faire le déplacement avec la troupe sur Tigzirt où devait se donner une représentation. Il est arrivé le len-demain à Tizi-Ouzou et a fait le trajet Tizi-Ouzou - Tig-zirt à pied pour pouvoir tenir son rôle dans la soirée. Ce genre de témoignages formels a l'avantage de parler aux nouvelles générations sur la ferveur et les conditions qui ont présidé à l'éveil politique d'une génération (…). « Le texte d’Alger » (1976)

Signalons aussi le document publié dans le numé-ro double 9-10 du Bulletin sous le titre : Contribution au débat socio-culturel en Algérie : un texte d’Alger. Le texte en question a été élaboré en 1976 à Alger, à l’occasion du débat sur la charte nationale. Ben Moham-med écrit dans le même message : S'agissant de la con-tribution au débat sur la charte nationale, je me rappelle de Saïd Sadi, Rachid Tigziri, Salem Djebara, Mokhtar Larbi (un économiste marxiste), le défunt Ameur Soltane. Saïd Sadi jouait le rôle de coordinateur et, à ce titre, il avait sollicité un certain nombre d'autres personnes. Pour la partie économie, c'étaient Mokhtar, Rachid et Salem qui en étaient chargés. Alors que pour la partie médecine c'étaient Saïd, Arezki et Ameur. Enfin, pour la partie culture c'était un devoir que j'avais fait au Centre

1 Message privé du 27 novembre 2015.

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de Formation Administratif que Saïd avait repris intégra-lement avec juste quelques retouches pour l'adapter à cette publication. J'espère que ma mémoire ne m'a pas trop trahi. Concernant ce même texte, Saïd Sadi écrit1 : (…) nous avons été plusieurs à le fabriquer. Il est composé de deux sources. Des papiers existants, c'est-à-dire anté-rieurs à l'annonce de la " Charte" - nous avons ainsi extrait quelques parties d'un travail de Ben Mohammed à l'époque où il étudiait au centre de formation administra-tive de Hydra - et des contributions plus circonstanciées. L'introduction a été rédigée par Mokhtar Larbi, étudiant en économie, qui a été très actif dans notre groupe (…). Je sais qu'il a associé Rachid Tigziri et Salem Djebara dans l'élaboration de cet écrit mais il me sera difficile de te dire précisément quel a été l'apport de l'un et de l'autre. Arezki Benchabane était aussi du lot (…). J'ai cependant le souvenir que Mokhtar était l'animateur principal du groupe de sciences économiques. Outre la coordination et l'avant-propos, j'ai aussi rédigé la con-clusion. (…) Des tracts, un numéro de journal et du théâtre en kabyle

Parallèlement aux activités d’enseignement et de publication, des membres du Groupe d’Etudes Berbères (GEB) lancent des actions en direction de la communauté immigrée, notamment : - des représentations théâtrales (troupe de théâtre Imesdu-rar2 mise sur pied par Mohia pour jouer la pièce Llem ik

1 Message privé, 18 novembre 2015. 2 Abdellah Mohia, Mustapha Bounab, Boussad Ben Belkacem, Rabah Maamar, Mohamed-Ameziane Saïb, Mohand-Oulhadj Laceb, Saïd Boudaoui / Boudaoud, Ramdane Achab.

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ddu d uḍar ik). Voir, notamment, l’article Une expérience de théâtre populaire (BEB n°8) de B. Amezyan (Saïd Boudaoui / Boudaoud) ; - quelques tracts en kabyle qui connaîtront un prolonge-ment sous la forme d’une double feuille de grand format Afud Ixeddamen1 (un seul numéro paru en juin 1977). La revue Tisuraf La revue Tisuraf prendra la suite du Bulletin d’Etudes Berbères dont le dernier numéro, le 12, est pu-blié en 1977. Le titre de la revue et le sous-titre (Seddaw webrid, sennig webrid, leqrar is d abrid) sont de Mohia. Tisuraf publiera 7 numéros dans sa série ordinaire, dont un numéro double (4-5) Femmes berbères élaboré par Ali Sayad et Hanifa Cherifi. Des numéros spéciaux parais-sent : Mazal lxir ar zdat, signé Muḥend-u-Yeḥya (nom d’auteur de Mohia) qui réunit une partie de sa production poétique ; Akken qqaren medden (Muḥend-u-Yeḥya / Mohia), recueil de proverbes qui reprend le même titre que le recueil publié par le Fichier de documentation berbère2 ; un recueil de poèmes signé Amar Wakli (pseu-donyme d’Amar Mezdad) publié sous le titre Tafunast igujilen, avec une préface de Mohia ; un recueil de poèmes signé Lwennas Iflis (pseudonyme de Saïd Bou-daoui / Boudaoud) publié sous le titre Isefra, avec une préface de Mohia ; un recueil de poèmes de Idir Ahmed-Zaïd publié sous le titre Isefra umeḥbus. La revue Tisuraf a eu trois responsables de publication (dans l’ordre chro-nologique : Boussad Ben Belkacem, Dominique Casajus

1 Le numéro grand format de juin 1977 a été fait en groupe : Abdellah Mohia, Aumer U Lamara, Mohand Oulhadj Laceb, Ramdane Achab, et deux ou trois autres personnes. 2 Fort-National, 1955 (1ère édition).

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et Mohand Khellil) ainsi que des collaborateurs honori-fiques. La coopérative Imedyazen1

Vers la fin des années 1970, des membres du GEB créent la Coopérative Imedyazen (Paris, dans le quartier de la Bastille). Le GEB et Les Compagnons Bâ-tisseurs organisent début 1978, à la salle de la Mutualité de Paris, un gala avec Aït Menguellet et Idir qui se pro-duisent bénévolement, ce qui permet à la Coopérative Imedyazen de financer ses premières activités. Un fait survenu lors de ce gala : impatient de voir et d’écouter les chanteurs, le public siffle la troupe de théâtre Imesdurar qui jouait en ouverture du spectacle et la contraint à quit-ter la scène. De leur côté, Ali Mecili et Hocine Aït-Ahmed apportent également leur soutien financier à la Coopérative. Celle-ci publie Langue berbère (kabyle) : initiation à l’écriture (signé : Groupe d’Etudes Berbères / Auteur : Ramdane Achab), une bande dessinée Briruc (signée Akli Aderbal, pseudonyme d’Arezki Graïne) et une version du conte Tafunast igujilen2. La Coopérative Imedyazen édite également les deux premiers 33 tours de Ferhat - Imaziγen Imula (l’un d’eux est préfacé par Saïd Boudaoui/Boudaoud qui signe avec un pseudonyme). Signalons enfin le gala organisé en novembre 1978 par la Coopérative Imedyazen, à la Mutualité, sous l’animation de Ben Mohammed, avec : Slimane Azem, Hanifa, Idir, Ferhat, Naït-Issad, un groupe Iḍebbalen et Matoub, invi-

1 Membres fondateurs (1er conseil d’administration) : Boussad Ben Belkacem, Hend Sadi, Mustapha Aouchiche, Rabah Aït-Messaoud, Yahia Djafri, Arezki Hamami, Ramdane Achab. 2 [Selon Hend Sadi, la version du conte a été obtenue à partir d’un enregistrement de Mme Ferroudja Aït-Ahmed. Sur cet enregistrement sont ensuite intervenus Malika Chertouk et Abdallah Mohia.]

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té-surprise, dont ce fut la première apparition sur scène en France1. Enseignement : langue, histoire et civilisation berbères

En matière d’enseignement, le GEB a dès sa

création en 1972 fixé les trois axes suivants : langue, histoire et civilisation berbères. C’est Mbarek Redjala qui assure les tâches d’enseignement dès 1972. A partir de la rentrée 1974, il est secondé de façon informelle par Ram-dane Achab qui prend en charge les cours de langue. Après la démission de Redjala en 1976, Achab le rem-place et continue d’assurer les cours de langue, tandis que Boussad Ben Belkacem prend en charge les cours de civilisation et d’histoire qu’il organise et anime sous forme de conférences-débats. A partir de la rentrée 1979, Hacène Hirèche prend en charge les cours de langue et s’assure la collaboration de Hamid Salmi, Saïd Bou-daoui/Boudaoud et Mhenna Mahfoufi pour les cours de civilisation. A partir de 1987, c’est Hirèche qui assure seul la quasi-totalité des cours.

1 Concernant ces deux galas de l’année 1978, les témoignages de Boussad Ben Belkacem, Ben Mohammed, Hend Sadi, Ra-bah Aït-Messaoud, Mustafa Bounab, Arezki Hamami et Mo-hand Oulhadj Laceb ont été sollicités.

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Edition - Communication sur l’édition, Bruxelles, 2011. - Entretien Algérie Express, février 2013. - Entretien Café littéraire de Bgayet, avril 2013.

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Une expérience d’édition en Algérie

[Communication présentée en novembre 2011 au col-loque « Francophonies d’Europe, du Maghreb et du Ma-chrek. Littératures et libertés » organisé à Bruxelles par les Archives et Musée de la Littérature et l’Association Italiques. Les actes du colloque ont été publiés en 2013 par P.I.E. Peter Lang, sous la direction de Marc Quaghe-beur].

* En Algérie, l’édition a été placée sous le contrôle étroit de l’Etat pendant plusieurs décennies. La SNED, Société Nationale d’Edition et de Diffusion, exerçait dans ce domaine un quasi-monopole sur toutes les publications destinées au grand public. Pour les besoins spécifique-ment universitaires, la mission éditoriale était dévolue à l’OPU, l’Office des publications universitaires, égale-ment sous le contrôle de l’Etat. Destinés à l’école pu-blique, la seule qui existait jusqu’à une époque récente, les manuels scolaires étaient, eux, élaborés par le seul Ministère de l’éducation nationale. Pour toutes ces publi-cations, les deux langues utilisées étaient le français et l’arabe classique. Le contrôle de l’Etat signifie avant tout le con-trôle strict des contenus et de l’instrument linguistique, la censure, l’autocensure de la part des auteurs, la promo-tion des écrits serviles, etc. Aucun écart, aucune contesta-tion, aucune dissonance par rapport aux options idéolo-giques officielles ou aux choix politiques du pouvoir n’étaient non seulement permis, mais envisageables. L’importation d’ouvrages publiés à l’étranger était éga-lement le fait de services étatiques : elle était soumise aux mêmes types de contrôle. Quelques rares exceptions seu-

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lement ont pu échapper à ce contrôle que les pouvoirs publics ont exercé sur l’activité éditoriale dans son en-semble : à titre d’exemple, un recueil de poésies moza-bites1 écrites en caractères arabes a été imprimé à Ghar-daïa quelques années avant l’ouverture politique de 1989 et la libération du champ éditorial. Le contrôle de l’instrument linguistique était particulièrement sévère, voire sans appel. Dans les pre-mières décennies de l’indépendance (1962) du pays, il était tout simplement inimaginable pour un Algérien ber-bérophone de publier le moindre écrit dans sa langue, le berbère ou tamazight, en Algérie, indépendamment du contenu. Quelques rares auteurs qui ont eu l’outrecuidance de proposer leurs manuscrits berbères à la SNED se sont vu répondre négativement par… le dé-partement des langues étrangères. Car l’Algérie, faut-il le rappeler, est un pays plu-rilingue. A la langue des ancêtres, le berbère ou Tama-zight, sont venues s’ajouter les langues des différents conquérants, l’arabe et le français notamment2. De nos jours donc, une sorte de triangle très fortement contrasté se partage le champ linguistique. Langue essentiellement orale, qui ne résiste plus véritablement qu’en quelques grandes régions monta-gneuses ou désertiques, la langue berbère a perdu beau-coup de terrain au cours de son histoire, y compris pen-dant la période coloniale française (1830-1962) et depuis l’indépendance. Eclatée en plusieurs variétés régionales,

1 La langue mozabite est une des variétés du berbère. 2 Les autres langues ont disparu en tant que telles de l’espace public, même si elles y ont laissé des traces, sous la forme d’emprunts lexicaux notamment.

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elle ne jouit d’un statut de langue nationale que depuis le début des années 2000. Depuis deux décennies, sous la poussée du mouvement revendicatif berbère, son ensei-gnement est introduit dans quelques universités et, sans grande préparation, dans les établissements scolaires des régions berbérophones : cet enseignement ne s’est cepen-dant maintenu qu’en Kabylie. La langue arabe classique jouit depuis l’indépendance du pays d’un statut de langue nationale et officielle ; elle a toujours bénéficié de moyens colossaux, illimités, pour sa promotion, son enseignement, son in-troduction dans les institutions, les médias lourds, son imposition à la société, etc. Elle a bénéficié notamment d’une vigoureuse politique d’arabisation du système édu-catif, ainsi que d’une politique d’arabisation de l’enseignement universitaire à partir des années 1980. Politique qui, il importe de le préciser, ne s’est pas limi-tée à l’arabisation de l’instrument linguistique, en l’occurrence le remplacement du français par l’arabe, mais qui a été aussi l’occasion d’une réorientation des contenus à des fins de contrôle idéologique. Langue sa-cralisée par le Coran, la langue arabe classique, qui pour-tant n’est la langue maternelle d’aucun Algérien, est une pièce maîtresse du dispositif politique et idéologique du pouvoir. Un écolier algérien par exemple connaît tout des compagnons du Prophète, mais il ignore tout de l’histoire de son propre village ou de sa propre ville ; il est même loin de se douter que son village ou sa ville a une histoire. L’arabisation-islamisation est donc, aussi, une opération de délocalisation identitaire, d’imposition au forceps d’une autre identité, en même temps qu’un instrument de domestication et de contrôle idéologique et politique. L’arabe algérien ou arabe dialectal, quoique ne bénéficiant jusqu’à nos jours d’aucun statut juridique ni

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d’enseignement, n’a pas eu à subir le même ostracisme que la langue berbère (tamazight). En plus de la commu-nication quotidienne, l’arabe algérien a été utilisé et con-tinue de l’être dans la production culturelle comme le cinéma et le théâtre, les relations avec l’administration, voire dans certains discours officiels. Il s’agit cependant d’une langue essentiellement orale qui n’a pas connu de passage à l’écrit sur le territoire national. La langue française ne jouit, quant à elle, d’aucun statut en Algérie. En 1962, à l’indépendance, elle était très largement utilisée, au niveau des institutions comme au niveau de la rue en général : enseignement, adminis-tration, armée, justice, médias, environnement, etc. Elle sera très vite concurrencée par l’arabe classique au ni-veau des institutions et des usages officiels notamment, mais on continue de considérer l’Algérie comme un grand pays francophone. Le recul relatif de la langue française par rapport à l’arabe classique n’a pas vraiment entamé son aura de langue d’ouverture sur la modernité, sur le patrimoine intellectuel universel, les sciences, etc. Elle est l’objet d’un phénomène ambivalent fait d’attraction et de répulsion, mais aussi d’une hypocrisie de la part des pouvoirs publics qui l’utilisent au plus haut niveau de l’Etat, jusqu’aux conseils des ministres, tout en faisant mine de la décrier à l’occasion, à des fins de pro-pagande nationaliste ou à l’occasion des crises cycliques, réelles ou simulées, avec l’ancienne puissance coloniale. Ainsi, on a voulu culpabiliser les écrivains francophones qui continuaient d’écrire en français après l’indépendance. La tentative n’a pas été vaine auprès de certains d’entre eux qui se sont alors abandonnés à un véritable mea culpa, une abdication, une soumission de-vant l’injonction, s’en remettant à une formule vide de sens mais qu’ils investissaient du pouvoir magique de les laver du terrible péché d’écrire dans la langue du coloni-

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sateur : « j’écris en français, mais je pense en arabe ». D’autres, par contre, n’ont pas cédé à ce qui n’est rien d’autre qu’un chantage, une tentative de mise au pas, une atteinte à la liberté de choix et de conscience. La formule de Kateb Yacine est connue : la langue française est un butin de guerre, mais, sur des aspects moins martiaux mais plus essentiels, Mouloud Mammeri est allé encore beaucoup plus loin en déclarant dans un entretien avec Tahar Djaout : la langue française a été pour moi un incomparable instrument de libération. Libération… sans doute avons-nous ici un maître-mot qui nous permet de mieux appréhender, a contrario, la signification profonde de cette clôture lin-guistique que les régimes autoritaires imposent aux socié-tés qu’ils asservissent, une clôture linguistique qui est aussi et surtout une clôture du sens, une clôture épistémo-logique, une ablation à la source de tout accès à une cul-ture de la réflexion, de la tolérance, de la critique, de la contestation et de la remise en cause de l’ordre établi, tout simplement une clôture de la vie et de ses contradic-tions, ses révoltes, ses pulsions, ses émotions, etc. En Algérie, ce sont très probablement ces objectifs qui ont été recherchés dans l’exclusion partielle du français du système éducatif, et son remplacement par la langue arabe classique. Ce ne sont pas seulement les instruments linguistiques en tant que tels qui sont visés, exclusion relative pour l’un et promotion pour l’autre, mais aussi les contenus, existants ou potentiels, surtout que la pro-duction écrite en langue arabe classique est strictement contrôlée et que toute production intellectuelle un tant soit peu réformiste dans cette langue - une production qui par ailleurs existe - est mise sous le boisseau. Il suffit d’une poussée de fièvre nationaliste, toujours simulée, théâtralisée, survoltée, hypocrite et anachronique, pour que la langue française et la civilisation occidentale en

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général soient dénoncées en tant que langue et civilisa-tion du colonialisme et de l’impérialisme. Mais on passe allègrement sous silence le fait que cette même civilisa-tion occidentale, comme le précisait Mammeri dans le même entretien, offre les moyens intellectuels de sa propre contestation, une qualité essentielle dont ne peut malheureusement se prévaloir la production intellectuelle en arabe classique trop soumise aux impératifs idéolo-giques et politiques de ses promoteurs. C’est dans cette Algérie plurilingue, mouvante et contrastée, que s’exerce l’activité éditoriale. Une Algérie où les langues maternelles sont le berbère et l’arabe dia-lectal, dans leurs variantes régionales. Une certaine élite formée en français, une nouvelle élite formée en arabe classique, aujourd’hui plus nombreuse et en ascension sociopolitique. L’activité éditoriale a été libéralisée depuis une vingtaine d’années. Le droit de regard de l’administration n’a pas complètement disparu, mais la censure ne s’exerce plus comme avant, du temps du monopole abso-lu. Pour qui veut se constituer éditeur, plusieurs questions se posent a priori : En quelle(s) langue(s) éditer ? Pour quel public ? Quelle ligne directrice ? Quoi éditer ? Avec quels moyens, quel réseau de distribution, de librairies, etc. ? S’agissant de la production écrite en langue ber-bère (tamazight) : Quel alphabet utiliser ? Quelle ortho-graphe1 ? Comment faire face aux desiderata, en la ma- 1 En caractères latins, la norme usuelle est stabilisée en grande partie, mais il n’existe toujours pas de norme institutionnelle. Il n’existe pas non plus, en Algérie, de normes institutionnelles pour les autres systèmes alphabétiques, arabe et tifinagh, d’écriture de la langue berbère.

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tière, de certains auteurs ? Faut-il exiger un certain ni-veau de qualité ou céder au populisme, par « militan-tisme » ? Faut-il baisser les bras devant la faiblesse du lectorat, ou au contraire contribuer à son émergence, son entretien, son développement, et parier sur l’avenir ? Trop de questions à la fois, toutes les questions à la fois. J’avais conscience des difficultés et des obstacles avant de m’engager dans l’édition. Mon ambition était de contribuer un tant soit peu à la diffusion de la production intellectuelle de nos auteurs, par la publication d’œuvres qui apporteraient aux lecteurs de l’information, des con-naissances, des analyses, de l’ouverture d’esprit, de l’esprit critique, de l’émotion s’il s’agit de littérature, etc. Pour moi le contenu devait primer avant toute autre con-sidération, y compris celle de l’instrument linguistique. S’agissant du domaine berbère, mon parcours personnel me mettait d’emblée en contact avec de nombreux au-teurs, avec une exigence de qualité quant au contenu et de respect de l’essentiel des règles usuelles de l’orthographe, sans cependant m’enfermer de façon rigide dans quelque système que ce soit. J’ai édité vingt et un titres1 en trois années d’activité (2009-2011) : des études et des essais (sociolo-gie, histoire culturelle, critique cinématographique, arti-sanat traditionnel, etc.), des œuvres littéraires en français, des œuvres littéraires en kabyle, des adaptations d’œuvres littéraires françaises en kabyle (Prévert, Franck Pavloff, Raymond Queneau, Molière), des écrits poli-tiques, des travaux sur la langue berbère : une terminolo-gie de la linguistique, un dictionnaire de proverbes, un dictionnaire de berbère libyen (Ghadamès), etc. A aucun

1 [Nombre de publications, en 2011, à la date de la communica-tion.]

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moment je n’ai eu à souffrir de la moindre entorse admi-nistrative : j’ai toujours obtenu auprès de la Bibliothèque nationale d’Alger les numéros d’ISBN et de dépôt légal dans des délais extrêmement courts qu’il faut d’autant plus souligner qu’ils sont rares en Algérie lorsqu’on est confronté à l’administration. Un confrère m’a cependant fait part des difficultés, finalement passagères, qu’il a rencontrées pour l’obtention des mêmes numéros, pour telle ou telle publication. Sur des sujets très sensibles, il arrive encore que des ouvrages soient bloqués alors qu’ils sont en cours d’impression, ou saisis dans les librairies après le tirage. Le premier constat que je fais est celui du nombre important de personnes qui écrivent et qui attendent que leurs ouvrages soient édités. Je reçois régulièrement des propositions de publication, si régulièrement que je n’arrive plus à faire face. C’est bien la preuve que la pro-duction intellectuelle, tous domaines confondus et toutes langues confondues, continue d’avoir les faveurs d’une partie de l’élite cultivée, par ailleurs souvent décriée : littérature, études de sciences humaines, traductions-adaptations, témoignages divers, livres pour enfants, jeux éducatifs, etc. L’envie d’apporter sa pierre, sa petite pierre à l’édifice, de témoigner, de partager, d’aller vers soi et vers les autres, de créer ou recréer du lien social, de l’espoir, de l’humanité… Le second constat est que le lectorat existe aussi, mais à condition de ne pas se contenter du réseau actuel de distribution, qui reste insuffisant : si les ventes en li-brairies sont bien sûr nécessaires, le public apprécie par-ticulièrement les événements organisés autour du livre, comme les ventes-dédicaces, mieux encore les confé-rences-débats en présence de l’auteur, les activités des Cafés littéraires, les salons et les mini-salons du livre, etc.

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Ces événements créent une atmosphère particulière qui est faite de retrouvailles et de communion. Ils tranchent singulièrement avec la morosité, la tristesse et les gestes du quotidien. Se retrouver autour d’un livre et d’un au-teur, cela traduit bien sûr l’intérêt pour la connaissance et la culture au sens large du terme, mais cela exprime aussi le besoin, individuel et collectif, de se retrouver ailleurs et autrement que dans les gesticulations du quotidien dont tout un chacun perçoit, ne serait-ce que confusément, les limites, la stérilité et les dangers. Une bonne activité au-tour d’un livre est un facteur puissant d’apaisement et de lien social. Le troisième constat concerne les faiblesses et les insuffisances du réseau de distribution du livre. Son état actuel ne lui permet pas d’assurer une couverture opti-male des besoins. A ces problèmes de couverture s’ajoute celui de la gestion du produit des ventes et des recouvre-ments par l’éditeur des sommes qui lui sont dues. Ces délais de recouvrement sont particulièrement longs, trop longs quelquefois. J’ai été confronté à ces difficultés, voire à des mauvais payeurs qu’il faut relancer réguliè-rement, sans même l’assurance que les relances puissent aboutir un jour. Aux faiblesses et autres insuffisances du réseau de distribution s’ajoutent les difficultés propres aux librairies qui ne tiennent que péniblement devant la concurrence des autres commerces, autrement plus lucra-tifs. Concernant la diffusion institutionnelle du livre, celle qui est faite notamment par l’intermédiaire des bi-bliothèques municipales, je crois savoir qu’elle relève toujours du monopole de l’Etat. A ma connaissance, une bibliothèque municipale par exemple n’a pas la possibili-té d’acquérir des ouvrages de son choix directement au-près d’un libraire ou d’un éditeur. La liste des ouvrages à

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acquérir, obligatoire et exclusive de toute autre, est éta-blie par les directions départementales de la culture qui sont, elles, sous la tutelle du ministère. Des dispositions similaires régissent très probablement les bibliothèques scolaires. Il s’agit donc d’un contrôle des pouvoirs pu-blics sur une part très importante de la diffusion du livre, avec les risques évidents et réels d’arbitraire, de censure, et d’asphyxie des ouvrages dont les contenus ne rentrent pas dans les rangs. L’importation de livres à partir de l’étranger souffre de nombreuses contraintes administra-tives et financières. Il en va de même pour les aides de l’Etat à l’édition. Les opérations de soutien initiées par le minis-tère de la culture manquent à mon avis de transparence. Aucune information concernant ces opérations n’est par exemple disponible sur le site internet du ministère : dates, dossier à constituer pour demander une aide, mo-dalités pratiques (devis, facturation, etc.) si l’aide est octroyée, etc. J’ai personnellement déposé en mars 2010 une demande d’aide à l’édition concernant une dizaine d’ouvrages, en mains propres auprès du directeur du livre au ministère de la culture. Parmi ces ouvrages figuraient un dictionnaire de proverbes kabyles de 600 pages, une monographie villageoise, l’œuvre complète de la plus grande poétesse kabyle, une adaptation kabyle de La ferme des animaux de George Orwell, etc. Non seulement la publication de ces ouvrages n’a bénéficié d’aucune aide, mais je n’ai reçu aucune réponse, pas même néga-tive. J’ai par contre pu obtenir quelques soutiens finan-ciers de la part de sponsors privés, pour la publication du même Dictionnaire de proverbes et celle du Dictionnaire de berbère libyen (Ghadamès). Ces difficultés et autres obstacles ne devraient pas faire baisser les bras aux éditeurs conscients de

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l’importance de leur travail, tant il est vrai que la publica-tion et la promotion d’œuvres intellectuelles contribuent à l’élévation du niveau culturel des citoyennes et des ci-toyens, et par conséquent de celui de la société en géné-ral. Si l’objectif à atteindre est bien celui-là, il s’agit alors d’un combat de longue haleine, et non de quelque chose qui serait acquis au départ une bonne fois pour toutes. Ce combat concerne tous les aspects de l’activité d’édition : les insuffisances du terrain comme celles de la distribution, les verrous administratifs, le prix trop élevé du livre, une certaine désaffection du grand public pour la lecture parce que celle-ci est devenue un luxe, en face de toutes les préoccupations, les difficultés et les urgences de la vie quotidienne, etc. L’école, bien sûr, devrait jouer un rôle prépondérant dans l’initiation des jeunes élèves à la lecture, à la découverte des genres littéraires, à la cu-riosité intellectuelle de façon générale, à l’esprit critique. Les médias ont bien évidemment un rôle important à jouer dans l’information en matière d’édition, mais aussi la critique littéraire et le débat d’idées. Quelques rares Cafés littéraires font un très bon travail, mais leur nombre reste très insuffisant pour non seulement répondre à la demande, mais aussi la susciter et l’élargir. L’édition pour se développer a en fait besoin de tout un environ-nement porteur qui reste en grande partie à construire. Dans la création ou la consolidation de cet envi-ronnement porteur, les échanges avec les pays étrangers sans restriction ne sont pas à négliger : échanges, ren-contres entre les auteurs, les éditeurs, colloques, repré-sentations théâtrales, etc., toutes activités qui pourraient contribuer à faire connaître le travail des uns et des autres, à partager, à décloisonner, à rapprocher les cul-tures et les peuples.

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Car au-delà des insuffisances et des obstacles du terrain, il y a avant tout et surtout, en Algérie, cette soif immense et insatiable d’identité, de culture et d’ouverture qui constitue le meilleur levier sur lequel pourraient agir les différents intervenants.

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Entretien avec Algérie Express

28 février 2013

1) Vous êtes connu dans le combat pour la culture et l’identité amazigh. Ces dernières années vous avez néanmoins focalisé vos efforts sur l’édition malgré les difficultés que rencontre ce secteur, pourquoi ? Oui, bien sûr, des difficultés de toutes sortes ! Moyens matériels, faiblesse du réseau de distribution, du réseau de librairies, et j’en passe ! Mais je me suis dit, tout sim-plement, qu’il y a des choses à faire dans ce domaine, et que le chantier est immense. Si l’on s’attarde trop sur les difficultés et les insuffisances, on baisse les bras et on ne fait plus rien. Les difficultés qu’on rencontre dans tous les domaines ont à mon avis un objectif bien précis : dé-courager les citoyennes et les citoyens, les dégoûter de tout, y compris de leur propre existence, faire en sorte qu’ils jettent définitivement l’éponge. L’édition est un combat, comme tous les autres combats. Vous entendez partout, à tous les comptoirs, que les gens ne lisent plus, n’écrivent plus, qu’il ne reste plus que la course effrénée à l’argent, etc. Je me méfie énormément de ces propos qui alimentent le découragement et l’abandon. Il ne faut pas attendre qu’il y ait un lectorat pour éditer des livres, au contraire, il faut éditer pour entretenir le lectorat exis-tant, le conforter, l’élargir, lui faire découvrir de nou-veaux horizons.

2) Vos ouvrages en amazigh ou traitant de la question se distinguent par une qualité reconnue par tous au moment où, dans ce domaine peut-être plus que d’autres, l’improvisation et l’amateurisme gagnent la production artistique et intellectuelle. Ce choix ne risque-t-il pas de vous pousser à une certaine marginalité ?

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Le mérite de la qualité revient aux auteurs. Il y a des dif-ficultés spécifiques au domaine amazigh : la relative nouveauté de l’écrit, les questions de graphie et d’orthographe, la qualité de la langue, etc. D’autres édi-teurs ont déjà fait du bon travail, je pense notamment à M. Bouchène. L’improvisation et l’amateurisme dont vous parlez sont, je crois, appelés à reculer : le public est exigeant, il faut répondre à ses exigences. Les éditeurs actuels en sont conscients. Il ne faut pas chercher forcé-ment le chef-d’œuvre, mais il ne faut pas non plus céder au populisme et à la démagogie. Personnellement, je me refuse de publier de l’amazigh pour la seule raison que c’est de l’amazigh. Mon seul critère est celui de la qualité de l’ouvrage en tant que contenu, quelle que soit la langue utilisée : amazigh, français, arabe. Il appartient aux lecteurs de faire le ménage et le tri, et de marginaliser l’improvisation et l’amateurisme !

3) Etes-vous satisfait des sponsors qui devraient accompa-gner votre démarche, dans le cas contraire comment ex-pliquez-vous cette frilosité ? J’ai bénéficié de quelques actions de sponsoring, cela ne fait pas de mal, loin de là, mais elles restent exception-nelles, ponctuelles, et en tout cas insuffisantes. Le spon-soring en Algérie est quelque chose de tout à fait nou-veau, il dépend presqu’exclusivement des relations per-sonnelles. L’idéal serait la constitution d’un véritable pôle éditorial à l’échelle de toute l’Afrique du Nord. J’ai de très bons contacts dans tous les pays qui sont proches de nous : Maroc, Tunisie, Libye, et même le Niger et le Mali pour le monde touareg. Un pôle éditorial digne de ce nom qui travaillerait en parallèle, en symbiose, et qui encouragerait les échanges entre les différentes variétés de Tamazight. Pôle éditorial et pourquoi pas, si les

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moyens le permettent, une véritable industrie culturelle qui élargirait sa production à l’audio-visuel de qualité. Qualité de la langue, mais aussi qualité technique qui doit être alignée sur les normes internationales. Pour ne citer qu’un seul exemple, imaginez un instant que nos contes soient portés à l’écran, avec la qualité technique des films de Walt Disney ! Ces idées me tiennent à cœur depuis plusieurs décennies, mais je ne suis pas en mesure de m’y engager seul avec mon salaire d’enseignant : je lance donc un appel aux sponsors et aux partenaires éventuels, aux hommes et aux femmes de bonne volonté !

4) Quel est le lectorat que rencontrent vos ouvrages aujourd’hui ? En général, je fais des tirages de mille exemplaires. Quelques titres ont bien marché : le Lexique de la linguis-tique d’Abdelaziz Berkaï, La Ruche de Kabylie de Bahia Amellal, La fête des Kabytchous de Nadia Mohia, Mraw n tmucuha d’Akli Kebaïli, Le Roman de Chacal de Bra-him Zellal, les deux ouvrages de Rachid Ali Yahia, le Dictionnaire de proverbes de Ramdane At Mansour, Yahia, Pas de Chance de Nabile Farès, un peu plus len-tement l’ouvrage de Brahim Salhi sur la citoyenneté et l’identité en Algérie, qui s’adresse à un public d’un cer-tain niveau et qui traite du printemps 1980, des événe-ments de 2001, de l’Islam, du combat des femmes et du monde associatif algérien, etc. Je n’arrive toujours pas à m’expliquer, par contre, que Tirga n tmes (Rêves de feu) de Hadjira Oubachir qui est pour moi notre plus grande poétesse, n’ait pas reçu un meilleur accueil. Je n’arrive pas non plus à comprendre qu’un écrivain de la trempe de mon ami Amar Mezdad, qui fait de l’édition à compte d’auteur, connaisse des difficultés pour écouler ses ou-vrages. Mais lorsque j’ai publié en Algérie un Diction-naire de berbère libyen, je savais très bien ce qui

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m’attendait en termes de ventes, mais je l’ai fait par prin-cipe, et notamment comme un clin d’œil au long et diffi-cile combat des Imazighen de Libye ! Il est très impor-tant, je pense, de publier dans chacun des pays amazig-hophones, des ouvrages appartenant à toutes nos variétés linguistiques. Pour revenir à votre question, je n’ai mal-heureusement pas de chiffres concernant le lectorat en général. Le lectorat reste en grande partie à construire. L’idéal serait de le construire à l’échelle de l’Afrique du Nord, et dans les pays étrangers. Certaines publications m’ont par exemple été demandées par des universitaires marocains, tunisiens, voire des Iles Canaries, notamment par Antonio Cubillo qui est décédé récemment après un combat de toute une vie.

5) Quel regard Ramdane Achab, un des principaux anima-teurs d’avril 80, porte-t-il sur cet évènement au-jourd’hui ? Le principal acteur a été le peuple. Un peuple qui a osé défier et regarder la dictature dans les yeux pour lui dire : je suis là. J’ai retrouvé récemment les mêmes émotions, la même ferveur, le même engagement, les mêmes vi-sages à Tripoli. Le printemps d’avril 1980 n’en finit pas de rebondir, de résonner, de renaître : Maroc, Libye, le monde touareg, pourquoi pas demain la Tunisie. C’est bien la preuve que ce n’était pas un feu de paille, un ca-price, un épiphénomène, mais qu’il exprimait au contraire quelque chose de profond, d’essentiel et d’incontournable dans la vie de tous ces pays qui, si nous avions été un tant soit peu mieux gouvernés, n’en feraient qu’un au-jourd’hui !

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Entretien Café Littéraire de Béjaïa

27 avril 2013

Le Café Littéraire de Béjaïa : A quelle période remonte la création de votre maison d’édition et qu’est-ce qui a motivé votre initiative intervenue, il faut l’admettre, dans un contexte de rétrécissement inquiétant du lectorat ? R. Achab : La maison d’édition existe juridiquement depuis fin 2008. L’activité éditoriale proprement dite remonte, elle, au mois d’août 2009, avec la publication des deux premiers ouvrages : Le Lexique français-anglais-tamazight de la linguistique, d’Abdelaziz Berkaï, et la réédition du premier roman de Nabile Farès : Yahia, Pas de Chance, un jeune homme de Kabylie. La motiva-tion principale : je voulais apporter ma petite pierre à l’édifice, surtout que de par mon parcours personnel, j’étais en contact avec un grand nombre d’auteurs, et notamment les auteurs berbérisants au sens large du terme, c’est-à-dire indépendamment de la langue d’écriture, et que j’avais une assez bonne vue d’ensemble du domaine amazigh de façon générale, du travail ac-compli et de celui, immense, qui reste à faire. Petite pierre à l’édifice, mais aussi l’intention (la prétention ?) d’apporter un petit plus quant à la qualité des contenus, par rapport en tout cas à ce que je voyais comme publica-tions disponibles sur le marché algérien, par rapport aussi à ce que j’entrevoyais comme niveau d’exigence à at-teindre. Permettez-moi d’insister sur cet aspect : la quali-té des contenus. Il ne faut surtout pas se dire : il s’agit de Tamazight, l’écrit est quelque chose de relativement ré-cent, il faut par conséquent être indulgent et publier n’importe quoi ou presque : cela s’appelle de la démago-gie et du populisme. Ce n’est pas ma façon de voir les

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choses. Je pense au contraire que c’est dans ces premières années, ces premières décennies qu’il faut se montrer très vigilant pour que les essais soient concluants, que le lec-teur soit réconforté, satisfait, rassuré, et que la qualité de la langue soit au rendez-vous. Quant à votre question sur le lectorat, le sujet est très vaste et d’une très grande complexité. Je n’ai pas con-naissance d’études sérieuses sur le sujet. Il nous faudrait des chiffres fiables sur la longue durée, des chiffres et aussi des analyses qui nous permettraient de mieux com-prendre les évolutions. Devant de tels manques, je ne puis dire que des banalités ou des généralités. La lecture en-gage la responsabilité des parents et celle des pouvoirs publics, car elle s’acquiert et se développe au sein de la famille, à l’école, dans les institutions culturelles, etc. La lecture suppose aussi qu’une plus grande place soit ac-cordée à la critique littéraire dans les médias. Elle sup-pose également une ouverture sur le monde, de l’esprit critique, la diversité de l’offre et la liberté de choix, etc. Elle suppose aussi une société apaisée, qui laisse une place relativement importante aux loisirs, au temps libre, à la culture en général, au développement, à l’épanouissement personnel et collectif. Ces conditions sont malheureusement loin d’être réunies chez nous. L’école notamment et les services publics en général ne jouent pas leur rôle. A cela s’ajoute la situation générale du pays : insécurité, incertitude, instabilité, chômage, injustice, violence, toutes sortes de maux sociaux comme la drogue et la prostitution, etc. Comment voulez-vous lire dans ces conditions, surtout que le prix du livre reste relativement élevé ? Comment peut-on attendre des ci-toyennes et des citoyens qu’ils pratiquent le patinage artistique, si on les entraîne quotidiennement au rugby ? La Kabylie notamment est particulièrement visée, et fait vraiment l’objet, cette fois-ci, d’un « programme spé-

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cial » destiné à la réduire définitivement. Mais ce n’est pas une raison, bien sûr, pour baisser les bras. L’édition est un défi qu’il faut relever, un pari sur l’avenir, un combat. Je crois que c’est un penseur italien qui disait qu’il faut opposer l’optimisme de la volonté au pessi-misme de l’intelligence. Le Café Littéraire de Béjaïa : Si vous deviez faire le bilan de votre activité éditoriale, pourriez-vous attester que votre contribution aura été satisfaisante du point de vue du nombre et de la qualité des titres publiés par votre maison d’édition ? R. Achab : En quatre ans environ, j’ai édité vingt-sept titres. Plusieurs dizaines d’ouvrages attendent dans mon ordinateur, et j’en reçois de nouveaux assez régulière-ment. D’autre part, je viens de lancer, avec L’habitation kabyle d’Henri Genevois, la collection Fichier de Docu-mentation Berbère, une façon de rendre hommage au travail monumental qui a été fait par les Pères Blancs d’Algérie pendant une trentaine d’années (1946-1976), en remettant à la disposition du public des publications bi-lingues qui ont traité de tous les aspects de la vie tradi-tionnelle, en Kabylie surtout, mais aussi au Mzab, en Libye (Ghadamès), à Ouargla, etc. En plus de l’information et de l’analyse, toujours fiables et au plus près du terrain, qu’on trouve dans ces publications, il y a aussi la qualité de la langue, une qualité qui se perd à l’oral comme à l’écrit et qu’on ne retrouve plus, malheu-reusement, sous la plume de la plupart de nos jeunes écrivains. Mon activité éditoriale ne se limite pas aux seuls ou-vrages écrits en tamazight (Akli Kebaïli, Ameziane Kez-zar, Omar Oulamara, Mohia et autres co-auteurs). J’ai édité aussi des ouvrages en français (Des mots en ron-

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delles, chroniques du journaliste El-Houari Dilmi, La Sainte, un roman de Mohammed Attaf, deux romans de Nabile Farès, un ouvrage de Brahim Salhi sur la citoyen-neté et l’identité, Dans le giron d’une montagne de Bahia Amellal, La fête des Kabytchous de Nadia Mohia, deux ouvrages de Rachid Ali Yahia, un essai de critique ciné-matographique de Larbi Oudjedi, une étude de Perret-Donsimoni-Kemmar sur les bijoutiers d’Ath Yenni), ainsi que des ouvrages bilingues (La Ruche de Kabylie de Ba-hia Amellal, Le Roman de Chacal, de Brahim Zellal, Tirga n tmes de Hadjira Oubachir, un numéro spécial de la revue Tifin consacré à Mohia, un manuel de langue d’Amirouche Chelli, Contes de Figuig, de Hassane Be-namara, L’habitation kabyle, d’Henri Genevois), voire trilingues comme le Lexique de Berkaï. Il faut ajouter à cette liste quatre gros dictionnaires : un Dictionnaire de proverbes kabyles de Ramdane At Mansour, un Diction-naire de berbère libyen, de Jacques Lanfry, un Diction-naire d’hydronymie générale de l’Afrique du Nord, de Foudil Cheriguen, et un Dictionnaire toponymique et historique de l’Algérie, de Mohand-Akli Haddadou. Je suis relativement satisfait de ce premier bilan, sur le double plan de la quantité et de la qualité des titres dont le mérite revient bien évidemment aux auteurs. Je suis d’ailleurs impressionné par le nombre de personnes qui écrivent. Mais ce premier bilan est infime par rapport à ce que l’on pourrait faire, si des moyens plus importants étaient réunis. J’ai d’ailleurs lancé récemment, dans un entretien publié par Algérie Express, un appel aux actions privées de soutien et de sponsoring. La seule collection Fichier de Documentation Berbère va demander un travail monumental, parce que les dizaines de publications de ce Fichier vont toutes faire l’objet d’un

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travail de saisie informatique et d’actualisation de l’orthographe pour les parties amazighes. Aucune de ces publications n’a bénéficié de subventions publiques : une demande de soutien à l’édition déposée il y a environ trois ans au Ministère de la culture, concer-nant une dizaine de titres (dont l’œuvre complète de Had-jira Oubachir et le Dictionnaire de proverbes kabyles de Ramdane At Mansour) n’a connu aucune suite. Je n’ai même pas eu droit à une réponse négative. Le Café Littéraire de Béjaïa : Quelle analyse faites-vous de cette contradiction suivant laquelle l’enseignement de tamazight n’aurait pas été suivi de la formation d’un lectorat amazigh potentiel ? R. Achab : Le lectorat d’ouvrages écrits en tamazight ne date pas de l’introduction de l’enseignement de la langue dans le système éducatif. Pour ne parler que de l’Algérie, rappelons les écrits de Boulifa, Bensédira, Cid Kaoui, les publications du FDB à partir des années 1940, les poèmes publiés par Malek Ouary, Mouloud Feraoun, bien sûr les travaux de Mammeri, etc. Sans oublier les travaux faits par les étrangers, français notamment : recueils de poèmes, contes, dictionnaires, grammaires, etc. Nous avons donc derrière nous plusieurs générations de lec-teurs, fervents et passionnés. Plus proches de nous dans le temps, il y a aussi, bien sûr, les œuvres littéraires mo-dernes (poésie, théâtre, romans, nouvelles) dont un grand nombre est également antérieur à l’enseignement de la langue. Concernant cet enseignement, tout le monde s’accorde pour dire qu’il a été introduit sans que les conditions pédagogiques soient réunies : programmes, manuels, encadrement, statut de cet enseignement, etc. Il n’a tenu

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que grâce à l’engagement, la mobilisation et la ténacité du corps enseignant, encore qu’il ne se limite plus au-jourd’hui qu’à la seule Kabylie. Les pouvoirs publics sont les premiers responsables de cette situation. Je pense qu’il n’y a pas de volonté politique réelle, et que, sur le fond, les blocages majeurs sont toujours là, pratiquement inchangés depuis toujours. N’oublions pas que nous avons affaire à un système politique qui a une capacité infinie de récupération, de détournement et de travestis-sement de n’importe quelle revendication, de toutes les revendications. Une fois marinée dans des sauces et des ingrédients empoisonnés, vidée de son sens, la revendica-tion vous est renvoyée à la figure, complètement défigu-rée ! Sur le seul plan des moyens matériels, il y a d’ailleurs une véritable discrimination linguistique, au sein même de l’Ecole, c’est-à-dire des institutions, dans le traitement qui est réservé à cet enseignement, en com-paraison avec les moyens colossaux, illimités, dont a bénéficié la langue arabe. Dans ces conditions, le statut même de langue nationale devient une fiction, un leurre, de la poudre aux yeux, un os à ronger pendant que l’histoire, la vraie, se charge de ronger et de rogner quo-tidiennement la langue. Depuis des lustres, l’objectif final n’a pas bougé d’un iota : c’est la disparition de la langue qui est programmée, son éradication pure et simple, en finir une bonne fois pour toutes. Il ne faut pas se laisser bercer ou berner par le tambour de l’amazighité que l’on fait résonner de temps à autre. S’agissant du contenu de cet enseignement destiné aux jeunes élèves, j’avoue ne pas avoir suffisamment d’éléments pour en parler en connaissance de cause. Mais je crois savoir, par des amis et la lecture d’articles écrits par des universitaires, que la langue tamazight est ensei-gnée comme on enseigne une langue étrangère, l’anglais par exemple. L’enseignement serait trop techniciste, il

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serait dispensé dans une sorte de relation d’extériorité, de distanciation et d’objectivation, il se ferait à coups de leçons ardues de grammaire, de verbes et de prépositions, à coups de néologismes, à coups de savantes analyses des genres littéraires. Il faudrait tenir compte, à mon avis, de la situation sociolinguistique de la langue, celle d’une langue qui est plus que jamais menacée de disparition. On n’enseigne pas de la même façon une langue mater-nelle menacée de disparition, et une langue comme l’anglais qui a plusieurs puissances mondiales, une éco-nomie mondiale derrière elle ! C’est une question de simple bon sens, on n’a pas besoin de sortir de Saint-Cyr ou de Sidi-Baloua pour le comprendre. L’objectif n’est pas de former des spécialistes du verbe ou de la préposi-tion. Le maître-mot devrait être celui de l’immersion linguistique : entendre et parler. Le plaisir, l’émotion et le rêve doivent être au rendez-vous, oui, le plaisir, l’émotion et le rêve, des notions qu’aucune méthode pédagogique ne prévoit ni n’intègre ! Récitations, théâtre, comptines, chorales, lecture de contes, récits de vie, visites chez les artisans, les paysans, représentations culturelles publiques en présence des élèves, des enseignants et des parents, activités en plein air, certainement d’autres activités en-core qui devraient aider à installer ou réinstaller la langue, à la valoriser, à décomplexer, à lever les inhibi-tions et à réoccuper l’espace public. Pourquoi pas aussi un enseignement pour adultes, en cours du soir, et des activités communes adultes-enfants. Concernant le lecto-rat issu de cet enseignement, je pense qu’il est trop tôt pour se prononcer de façon sérieuse. Un lectorat se cons-truit, s’entretient et se développe sur le long terme. Le Café Littéraire de Béjaïa : Vous plaidiez précé-demment pour la nécessité de la « constitution d’un véri-table pôle éditorial à l’échelle de toute l’Afrique du Nord.

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» En quoi consiste au juste cet « idéal » et comment pour-rait-il prendre forme ? R. Achab : En tant qu’éditeur, les premiers ouvrages que j’ai reçus pour publication me sont parvenus du Maroc, quelques jours seulement après l’annonce de la création de la maison d’édition. Récemment, un jeune libyen m’a envoyé, pour publication, une adaptation de Tajerrumt de Mammeri en amazigh libyen, un recueil de proverbes et un recueil de toponymes amazighs libyens. Assez régu-lièrement, des universitaires marocains, tunisiens, espa-gnols, italiens, hollandais, me contactent au sujet de telle ou telle publication : le Dictionnaire d’hydronymie de Foudil Cheriguen, le Dictionnaire toponymique et histo-rique de l’Algérie de Mohand-Akli Haddadou, le Dic-tionnaire de berbère libyen de Jacques Lanfry, le Dic-tionnaire de proverbes kabyles de Ramdane At Mansour, L’habitation kabyle d’Henri Genevois, le manuel de langue d’Amirouche Chelli, les Contes de Figuig de Has-sane Benamara, etc. La revendication identitaire amazighe s’affirme de plus en plus dans toute l’Afrique du Nord, sans parler des diasporas qui vivent en Europe, aux Etats-Unis et au Ca-nada, pour ne citer que les plus importantes. L’idéal serait que l’édition amazighe soit à la hauteur de cet espace immense, à la hauteur des attentes et des es-poirs, que les publications soient disponibles partout, et que les différentes variétés de tamazight soient également présentes partout. C’est d’ailleurs dans cet esprit que j’ai édité en Algérie le Dictionnaire de berbère libyen (Gha-damès) de Jacques Lanfry, et, plus récemment, les Contes de Figuig de l’auteur marocain Hassane Benamara. Il est très important qu’en Algérie par exemple, l’on puisse voir, « toucher », de l’amazigh marocain ou libyen, et,

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pourquoi pas, le lire aussi bien sûr. Il faut que tamazight dans ses différentes variantes devienne une réalité visible, palpable, accessible, pour que les citoyennes et les ci-toyens puissent y croire encore plus. Il y a aussi, bien sûr, l’intérêt scientifique et pédagogique, mais dans la con-joncture actuelle, la dimension psychologique reste très importante. La construction d’un pôle éditorial à l’échelle de toute l’Afrique du Nord nécessite cependant des moyens qui ne sont pas à la portée d’une seule personne. Si les moyens sont présents (je lance là aussi un appel), il pourrait se concrétiser par la création de plusieurs maisons d’édition qui travailleraient ensemble et qui rendraient disponibles partout les différentes publications, qui organiseraient aussi des rencontres entre les auteurs, des rencontres avec le public, etc. Un pôle éditorial amazigh à l’échelle de l’Afrique du Nord, c’est une nouvelle pierre ajoutée à l’édifice de la reconstruction de l’identité amazighe à la dimension de son espace historique. D’ailleurs, il n’y a pas que l’édition qui devrait s’élever aux dimensions de l’Afrique du Nord. On évoque de temps à autre, dans la presse, l’idée d’une institution qui s’occuperait de l’aménagement linguistique de tama-zight : fixer la graphie, stabiliser l’orthographe, élaborer des terminologies de spécialité, élaborer des manuels pédagogiques, etc. Peu importe l’appellation, le problème n’est pas là : académie, institut de la langue tamazight, ou autre. Je pense qu’une telle institution devrait être égale-ment pensée à l’échelle de l’Afrique du Nord. Les struc-tures de base de la langue sont partout les mêmes. Les problématiques aussi, dans leurs grands traits. Les cher-cheurs berbérisants de tous les pays devraient pouvoir travailler ensemble, dans un cadre institutionnel commun et avec des moyens publics, sur toutes les questions ma-

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jeures qui concernent la langue, en favorisant les rappro-chements et les convergences entre les différentes varié-tés linguistiques. Dans le seul domaine des terminologies de spécialité, travailler ensemble est devenu une nécessi-té, non seulement pour répondre aux besoins qui sont immenses, mais aussi pour s’entendre sur les mêmes choix de termes, contribuer à résorber les écarts lexicaux traditionnels, et favoriser l’intercompréhension. Parce que l’Afrique du Nord, c’est un seul et même pays, le même peuple. Il y a d’ailleurs une dimension du com-bat identitaire amazigh qui n’a jamais été abordée à ma connaissance : c’est tout simplement la dimension hu-maine, la proximité, la confiance, la communion et la fusion qui s’installent d’emblée lors de rencontres entre amazighs de différents pays : ce sont des morceaux écla-tés du même être collectif, du même peuple, qui se re-trouvent après des siècles et des siècles de séparation et de privation, des siècles et des siècles de sevrage de soi. Il y a toujours une dimension indicible dans ces retrou-vailles. J’ai rencontré à Tripoli de jeunes libyens qui m’ont fait part de l’émotion et du bonheur qu’ils ont con-nus en visitant des villages kabyles. Je crois que nous sommes en présence d’un phénomène historique inédit dont nous n’arrivons pas à prendre la juste mesure. Une des plus vieilles civilisations de l’humanité, un être col-lectif est en train de renaître de ses cendres, malgré les vicissitudes d’une histoire qui ne lui a jamais pardonné son existence. L’identité amazighe, ce n’est pas seule-ment un statut juridique, une académie ou un volume horaire à caser au forceps dans un emploi du temps. Ce sont surtout et avant tout des femmes et des hommes de chair et de sang qui naissent, qui vivent, qui vibrent et qui meurent. Partout vous voyez les mêmes visages, les mêmes postures, les mêmes regards, la même soif de soi. Au Maroc, en Libye malgré les décombres encore vi-

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sibles, ou dans le village le plus reculé de Kabylie, par-tout vous retrouvez ces mêmes rues qu’évoque la terrible phrase de Kateb Yacine, les rues où l’on peut rendre l’âme sans la perdre. Le Café Littéraire de Béjaïa : Vous êtes l’invité du Café littéraire de Béjaïa, le samedi 4 mai 2013, pour une journée « Portes ouvertes » sur Editions Achab et Sefra-ber (société des éditions franco-berbères fraîchement installé à Béjaïa) à laquelle vous prendrez part personnel-lement. Que pourrait représenter pour vous ce contact direct avec le public (ou les lecteurs si l’on préfère) Bed-jaoui ? R. Achab : Bgayet est une ville envoûtante : tesɛa leḥruz. J’y compte de solides amitiés. Je la retrouve toujours avec la même émotion, la même admiration, le recueil-lement et l’humilité devant tout ce qu’elle a engrangé comme mémoire historique, depuis bien avant les Phéni-ciens ! L’histoire de Bgayet résume à elle seule toute l’histoire de la Berbérie, ou Tamazgha. Il suffit de lire la notice que Mohand-Akli Haddadou lui a consacrée dans son Dictionnaire toponymique et historique de l’Algérie, pour se rappeler l’histoire plusieurs fois millénaire de la ville, son patrimoine architectural, artistique, scientifique, son statut d’ancienne capitale. Plus proche de nous dans le temps, la contribution de la ville et de toute la région à la révolte contre l’ordre colonial, à la guerre de libération, au combat pour la liberté, la justice et l’émancipation et notamment le combat pour l’identité amazighe. La ville et la région ont donné de grands noms à la littérature, à la chanson, à la culture de façon générale. J’invite d’ailleurs les jeunes à s’intéresser à cette histoire qui est la leur, la nôtre, à se l’approprier véritablement avec fierté.

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Quant à la rencontre avec le public, permettez-moi tout d’abord de saluer le formidable travail que vous faites au sein du Café Littéraire, un travail de longue haleine qui finira par porter ses fruits, de beaux fruits. J’aimerais aussi vous remercier de m’offrir le merveilleux cadeau de cette rencontre. La rencontre avec le public a toujours été pour moi une source irremplaçable d’information, une occasion pour aller au-delà des faits et des événements pour tenter de capter l’essentiel. Je viens donc aussi pour écouter et apprendre. C’est à la fois un plaisir, une néces-sité, un devoir, mais aussi une responsabilité qui justifie cette petite appréhension, cette petite crainte de ne pas être à la hauteur des attentes. D’ailleurs, comment être à la hauteur dans une ville comme Bgayet, au passé aussi riche, aussi exigeant ? Je compte énormément sur la par-ticipation des Bédjaouis au débat, et, pour ce qui me con-cerne personnellement, sur l’indulgence et la protection de Yemma Guraya…

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Extraits de l’ouvrage L’aménagement du lexique berbère de 1945 à nos jours. Préface de Salem Chaker. Editions Achab, Tizi-Ouzou, Algérie, 2013. 350 pages. Extrait n°1 : - Au sujet de l’orthographe utilisée en Algérie Extrait n°1 : - Le mauvais usage des néologismes Extrait n°3 : - Situation sociolinguistique de la langue berbère

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Extrait n°1

(Pages 47 à 53)

Au sujet de l’orthographe utilisée en Algérie Le choix de l’orthographe utilisée dans les manuels scolaires a été fait par le Ministère de l’éducation natio-nale (MEN), et confirmé par le Groupe Spécialisé de Discipline (GSD). Cette orthographe, qui sera notée ci-dessous MEN/GSD, reprend la plupart des recommanda-tions de l’Inalco (1996 et 1998), mais s’en écarte sur un certain nombre de choix qui nous semblent faire pro-blème et qui seront abordés ici. La même orthographe est utilisée par le HCA dans ses publications. Les règles sont énoncées dans les Recom-mandations du colloque1 organisé à Boumerdès en sep-tembre 2010. Signalons que ces Recommandations n’ont pas tenu compte de la diversité des analyses et des pra-tiques qui existent par ailleurs, ni même de certains points de vue critiques, comme celui de Naït-Zerrad, qui ont été exprimés à l’occasion de la rencontre2. A ces règles s’ajoutent un certain nombre de pra-tiques, autant dire un certain nombre de modes, qui ten-dent à se généraliser, comme la suppression de la parti-cule « ara » de l’aoriste et son remplacement par « ad ». Seront donc abordés ci-dessous : la particule « ad / a » de l’aoriste ; l’état d’annexion des nominaux en « i » ; le

1 La standardisation de l’écriture amazighe. Boumerdes du 20 au 23 septembre 2010. Haut Commissariat à l’Amazighité, 2011. Notamment pages 183 à 198. 2 Pages 71-92.

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trait d’union ; les excès et les erreurs de la « reconstruc-tion », la particule « ara » de l’aoriste, etc. Pour la plupart de ces points, des tableaux permettront de mettre en pa-rallèle et de comparer les règles MEN/GSD avec la pra-tique de Mammeri et les recommandations de l’Inalco. Nous donnerons aussi, sur certaines questions, le point de vue de Lionel Galand1.

La particule « ad / a » de l’aoriste Les deux formes « ad » et « a » sont en distribution complémentaire : on utilise l’une ou l’autre selon les contextes : ad sweγ / a t-sweγ Dans l’orthographe MEN/GSD, la forme « a » est systématiquement ignorée et écartée ; c’est la forme « ad » qui est utilisée dans toutes les situations, y compris lorsque c’est la forme « a » qui est normalement requise : ad t-awiγ ; ad k-iniγ (ou ad ak-iniγ) ; ad d-yas ; ad k-t-fkeγ (ou ad ak-t-fkeγ) ; ad k-t-id-awiγ (ou ad ak-t-id-awiγ). Si l’on met en parallèle la pratique de Mammeri, les recommandations de l’Inalco et les choix MEN/GSD, cela donne le tableau suivant : Mammeri Inalco MEN/GSD a nsew a t-awiγ a k-iniγ

ad nsew a t-awiγ a k-iniγ

ad nsew ad t-awiγ ad k-iniγ

1 [Voir le point de vue de Lionel Galand sur ces questions, dans le document inédit publié pages 206 et suivantes.]

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ad ak-iniγ ad d-yas a k-t-fkeγ ad ak-t-fkeγ a k-t-id-awiγ ad ak-t-id-awiγ

ad ak-iniγ ad d-yas a k-t-fkeγ ad ak-t-fkeγ a k-t-id-awiγ ad ak-t-id-awiγ

ad ak-iniγ ad d-yas ad k-t-fkeγ ad ak-t-fkeγ ad k-t-id-awiγ ad ak-t-id-awiγ

La suppression de la forme “a” de la particule de l’aoriste et son remplacement systématique par « ad » ne sont pas conformes à l’analyse linguistique.

L’état d’annexion des nominaux en « i » Prenons comme exemples les énoncés suivants : Notation Mam-meri

Notation Inalco Notation MEN/GSD

yufeg yizi ffγen yergazen yuzzel izimer

yufeg yizi ffγen yergazen yuzzel izimer

yufeg yizi ffγen yirgazen yuzzel yizimer

Dans le premier cas (izi yufeg / yufeg yizi), nous avons un nominal (izi) à voyelle constante (i). Cette voyelle est maintenue à l’état d’annexion (yizi). Dans le second cas, le nominal (irgazen) n’est pas à voyelle constante. La voyelle (i) chute à l’état d’annexion qui reçoit la marque de la semi-voyelle (y), ce qui donne (yergazen) et non pas (yirgazen) qui non seulement n’est pas conforme à l’analyse linguistique, mais n’est pas du tout euphonique et demande au contraire un effort articulatoire supplé-mentaire. Concernant « izimer », voir les explications de Lionel Galand, pages 206 et suivantes.

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Par conséquent, les notations de Mammeri et de l’Inalco sont conformes à l’analyse linguistique, celle du MEN/GSD ne l’est pas1.

L’usage du trait d’union

L’usage du trait d’union nous semble excessif. Il fau-drait probablement envisager une simplification des règles actuelles, dans le sens d’un allégement, comme le faisait déjà Mammeri en son temps.

La particule « ara » de l’aoriste Aux erreurs, au regard de l’analyse linguistique, et autres excès de l’orthographe MEN/GSD, s’ajoutent sous la plume de nombreux auteurs un certain nombre de pra-tiques qui tendent à se généraliser, comme la suppression pure et simple de la particule « ara » de l’aoriste, et son remplacement par « ad ». Quelques exemples sous forme de tableau : la 1ère colonne présente l’usage traditionnel conforme à l’analyse linguistique, la 2ème colonne pré-sente l’usage erroné correspondant. Usage traditionnel, oral et écrit

Usage avec suppression de « ara »

win ara waliγ win ara yeččen win ara t-yawin

win ad waliγ win ad yeččen win ad t-yawin

1 Voir également la communication de Moussa Imarazene : Tamazight : quelle norme et quelle standardisation ? In Tama-zight dans le système éducatif algérien. Problématique d’aménagement. Publication du CNPLET. Alger : ENAG Edi-tions. 2010, pages 121-132.

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asmi ara d-aseγ di tmurt ara qqimeγ etc.

asmi ad d-aseγ di tmurt ad qqimeγ etc.

Galand considère que la suppression de « ara » est une véritable mutilation de la langue.

Quelques autres points Rapidement, quelques autres exemples : - d’erreurs de segmentation : « asmi » que de nombreux auteurs segmentent, de façon erronée, en « ass » et « mi » ; - de reconstructions et de décompositions excessives comme dans « a-t-an » que la notation usuelle a toujours noté « atan ». Faudrait-il, à suivre la même logique, écrire « ult-ma » au lieu de « weltma », « g-ma » au lieu de « gma », « at-ma-ten » au lieu de « atmaten », « ta-ger-sif-t » au lieu de « tagersift », par abus de technicité, de « science », de « diachronie », de « reconstruction », « d’étymologie », de systématisation, de désoralisation ? S’il faut « reconstruire », où sont les limites de la recons-truction, qui fixe les limites ? Ne faudrait-il pas tenir compte aussi du simple bon sens, du sentiment linguis-tique commun, des aspects pratiques de la notation usuelle, de sa commodité, de sa fluidité, de son esthé-tique ? Ne faudrait-il pas chercher aussi à éviter une trop grande atomisation de la notation, en effectuant certains regroupements ? Ne faudrait-il pas, enfin, tenir compte également du temps, celui de l’expérimentation, de la décantation, de l’évaluation ? Salem Chaker1 écrit sur ces questions :

1 Salem Chaker : La codification graphique du berbère : état des lieux et enjeux. In : La standardisation de l’écriture ama-

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… en l’état actuel des choses, on recommandera le réalisme, l’expérimentation et, surtout, la nécessité d’inscrire l’action de codification dans la durée. « Nor-maliser », sélectionner, privilégier telle forme sur telle autre, on ne peut y échapper dès que l’on s’engage dans le processus de passage à l’écrit. Mais la modération et la prudence paraissent indispensables. Il faut que les aménageurs berbérisants trouvent la voie médiane entre l’attitude ultra-normalisatrice, qui couperait la langue standard des usages réels, et la théorie du « laisser écrire », qui ramènerait la pratique de l’écrit au niveau des premières notations spontanées phonétiques et qui aurait pour effet certain de bloquer le développement du berbère et la consolidation de son statut. Il est souhaitable que les berbérisants, enseignants et étudiants, les auteurs, les parents d’élèves, les institutions publiques et notamment les universités, le Ministère de l’éducation, le HCA et le CNPLET rouvrent le débat sur l’orthographe, afin de corriger les erreurs signalées ci-dessus et de revenir à une norme qui soit respectueuse de l’analyse linguistique, pratique, et qui ne s’écarte pas de façon excessive des réalisations concrètes de la langue. Les recommandations de l’Inalco nous semblent réaliser un tel compromis, même s’il est toujours possible de leur apporter un certain nombre d’améliorations.

zighe. Boumerdes du 20 au 23 septembre 2010. Haut Commis-sariat à l’Amazighité, 2011. Pages 53-70.

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Extrait n°2

(Page 340)

Le mauvais usage des néologismes L'usage en particulier, un certain usage surtout, exige une opération d'urgence. Pressenti par Chaker il y a plus de trente ans, le risque d'un monstre linguistique est de-venu une réalité qui peut engendrer des phénomènes de désaffection et de rejet, mais aussi, curieuse et paradoxale possibilité d'aboutissement d'un marathon mené sous l'emblème des langues populaires, la constitution en chasses gardées de la production linguistique élaborée et de la légitimité du discours, à des fins d'auto-édification, de positionnement social et de pouvoir. Mais au-delà de ces aspects, le mauvais usage des néologismes à l’école par exemple coupe les jeunes élèves des usages réels de la langue et participe ainsi au dépérissement de celle-ci. Sous la plume de nombreux auteurs1, l’abus des néolo-gismes traduit, au-delà de l’élitisme et des stratégies de positionnement, un manque de maîtrise des ressources traditionnelles de la langue. Vus sous cet angle, le « ber-bère scolaire » et le « berbère écrit » risquent de provo-quer, et provoquent déjà, des phénomènes légitimes de désaffection et de rejet, par la production d’une langue délavée, aseptisée, atone, javellisée, sectaire, et par les écarts qu’ils creusent avec le « berbère parlé ». In-croyable et ridicule diglossie formelle, bien curieux résul-tat, curieux mais dramatique, d’un « enrichissement lexi-cal » qui aboutit en fin de parcours à un appauvrissement

1 Des auteurs qui par ailleurs louent le travail de Mohia, s’en réclament, tout en faisant exactement le contraire de ce qu’il a fait !

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linguistique, et qui participe de l’intérieur au recul et à l’extinction de la langue. Pour reprendre une formule célèbre, on peut dire de l’usage inconsidéré des néolo-gismes et du calque syntaxique qu’ils violent la langue sans lui faire un bel enfant.

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Extrait n°3

(Pages 319-325)

Situation sociolinguistique de la langue berbère L’aménagement du lexique berbère n’est pas, ou n’est pas seulement un problème technique, un problème de « science linguistique » : sur le plan strictement tech-nique, scientifique, les problèmes évoqués plus haut ont tous des solutions. Bien plus inquiétante à notre avis est la situation sociolinguistique réelle de la langue berbère, une situation irréductible au statut juridique quel qu’il soit, parce que la langue est aujourd’hui, plus que jamais, confrontée à des problèmes de survie, et très secondaire-ment à des carences en terminologies de spécialité. Les problèmes de survie, et par conséquent la sauvegarde de la langue passent tout naturellement avant toute autre considération. L’aménagement du lexique et l’aménagement linguistique en général présentent même le risque de faire l’impasse sur l’essentiel. L’arbre de la néologie ne doit pas faire oublier le désert qui avance et qui s’installe. La situation sociolinguistique réelle de la langue ber-bère, ne serait-ce que sous la forme de quelques mono-graphies, mériterait à elle seule toute une étude qui ne se contenterait pas de reprendre les vieilles localisations géographiques, et qui tiendrait compte des changements majeurs intervenus au cours des dernières décennies : les indépendances, les dispositions constitutionnelles, les politiques d’arabisation, les situations socio-économiques, la mobilité sociale, les découpages admi-

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nistratifs, les déplacements de population1, les avancées de l’arabe dialectal dans des agglomérations traditionnel-lement berbérophones, etc. En première approche et au prix de quelques simplifi-cations, la situation sociolinguistique qui prévaut en Al-gérie pourrait être schématisée par l’existence d’un couple H (langues « hautes ») et d’un triplet B (langues « basses ») : - un couple H comprenant deux langues « hautes », l’arabe littéraire2 (langue H1) et le français (langue H2) qui se partagent le domaine formel, le prestige, etc. : Couple H = (langue H1 ; langue H2) - un triplet B comprenant trois langues « basses » : l’arabe dialectal (variété B1), le berbère3 (variété B2) dans ses différentes variantes, et le français (langue B3), qui se partagent le domaine informel : Triplet B = (langue B1 ; langue B2 ; langue B3) - ainsi que par les interactions et les conflits qui existent à l’intérieur de chacun de ces regroupements H et B d’une part, et entre les regroupements globalement ou composante à composante d’autre part.

1 Emigration interne et externe en Kabylie d’un côté, et, de l’autre, installation de populations arabophones dans les ag-glomérations et les villages. 2 En première approche, nous confondons volontairement arabe littéraire, arabe classique, arabe scolaire, arabe moderne, etc., cette confusion n’ayant pas d’incidence sur la suite des déve-loppements qui sont faits ici. 3 Nous ne jugeons pas utile d’introduire ici, en première ap-proche, une diglossie formelle entre le berbère oral et le ber-bère écrit, ce dernier étant pour le moment d’un poids social plutôt négligeable.

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La relation de couple H à triplet B relève d’une situa-tion diglossique1 tout à fait classique : il y a bien réparti-tion ou complémentarité fonctionnelle entre le couple H et le triplet B. Par contre, la situation à l’intérieur du tri-plet B, c’est-à-dire les relations entre l’arabe dialectal, le berbère et le français B3 (le français utilisé en situation informelle), ne relèvent pas de la diglossie dans la mesure où les trois variétés se partagent le même domaine infor-mel. Se partagent, ou plutôt se chevauchent et se dispu-tent le même domaine informel, avec un avantage très net à l’arabe dialectal à l’échelle de l’histoire d’une part, mais aussi en synchronie dynamique d’autre part. Tradi-tionnellement, le partage du domaine informel, celui des échanges quotidiens, intimes, etc., était décrit essentiel-lement en termes géographiques : telle ou telle région était par exemple (considérée comme) berbérophone. Ce critère n’a plus aujourd’hui la même pertinence que par le passé : les conquêtes de l’arabe dialectal ne se contentent plus des marges de la berbérophonie, mais s’attaquent désormais aux fiefs les plus importants (une grande ville comme Tizi-Ouzou par exemple), voire à des fiefs encore plus reculés : agglomérations de taille moyenne, villages, etc. La progression semble continue, elle connaîtrait même une sorte d’accélération depuis les dernières dé-cennies, comme si le moment était venu de porter le coup de grâce, même si nous ne disposons pas d’enquêtes pré-cises pour l’affirmer de façon absolue. Les anciennes barrières, les anciennes protections sautent les unes après les autres avec, quelquefois, une facilité déconcertante, une sorte d’acquiescement même, presqu’impatientes de s’écrouler comme pour en finir une bonne fois pour toutes.

1 Nous utilisons ici la notion de diglossie en un sens large où les systèmes linguistiques en présence ne sont pas nécessaire-ment apparentés.

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Dans une ville comme Tizi-Ouzou par exemple, il y a un enchevêtrement inextricable des usages linguis-tiques qui font appel aux variétés du triplet B, une à une ou en combinaison1 : des espaces (et/ou des situations) entièrement conquis à l’usage de l’arabe dialectal, des espaces (et/ou des situations) où prédomine l’usage du berbère et/ou du français, tout un continuum de situations intermédiaires, mouvantes, individuelles ou de groupes, où les trois variétés sont utilisées. Ce continuum qui transcende les critères sociaux, d’âge ou de sexe, se re-trouve jusque dans l’intimité des foyers où existe un plu-rilinguisme intrafamilal. Le basculement, progressif mais relativement rapide, de familles entières vers l’arabe dia-lectal ne s’explique pas toujours par l’argument écono-mique, mais plutôt par une volonté de rupture avec les référents traditionnels dont on ne garde plus que la partie adaptée et consommable du folklore. En particulier, les jeunes en rupture de ban (échec scolaire, chômage, délin-quance, etc.) accentuent et confirment en quelque sorte leur rupture sociale par la rupture avec les valeurs, et par conséquent la langue de leurs parents et de leur commu-nauté d’origine. De ce continuum des usages linguistiques réels, dans le domaine informel, on peut donc dire qu’il est en évolu-tion permanente, avec en lame de fond une progression constante et irrésistible de l’arabe dialectal, et comme corollaire une réduction de l’espace et des usages du ber-bère. Les seules observations de surface montrent d’ailleurs que dans les différentes combinaisons des trois variétés

1 Jusqu’au mélange codique ou code mixing et l’alternance codique ou code- switching. Voir l’ouvrage que Farid Ben-mokhtar a consacré au code-switching en Kabylie.

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du triplet B, l’arabe dialectal, le berbère et le français informel, ce n’est plus seulement le lexique du berbère qui est atteint mais aussi la grammaire, c’est-à-dire les structures mêmes de la langue, ce qui est le signe d’un étiolement très avancé encore plus grave que la seule carence ou déperdition lexicale. Dans les cas extrêmes, la langue berbère n’est plus qu’un indice d’appartenance identitaire et n’a plus aucune valeur dans la communica-tion linguistique proprement dite, tant sa présence est réduite à l’état symbolique, comme un dernier clin d’œil avant la sortie1. Plus souterrainement, il y a aussi la haine de soi qui n’est pas, comme on l’entend trop souvent, attachée à l’essence, à la « race », au « sang » ou à « l’ethnie », mais le produit historique d’un complexe d’infériorité propre aux cultures dominées. Il n’est d’ailleurs pas exclu que cette haine de soi soit savamment alimentée, entretenue, exacerbée par les faiseurs professionnels d’opinions, les opinions collectives comme les opinions (en apparence) individuelles2 : image négative de soi, constat d’échec de 1 Dans un poème inédit consacré à la ville de Tizi-Ouzou, Ali Akkache décrit ainsi sa situation linguistique (la strophe est reproduite avec l’autorisation de l’auteur) :

Lγaci-m beddlen ssekka Yal wa ansi d-yusa Tarwa-m d tabeṛṛanit tura S wiyaḍ i taɛmeṛ lḥedṛa Deg wezniq neγ di lqahwa D taɛṛabt i heddṛen ass-a.

2 Un très grand nombre de discussions relativement sérieuses se terminent par l’inévitable « En tout cas, nous les Kabyles, on est comme ci, on est comme ça… », suivi d’un interminable chapelet de défauts. Cette façon de conclure est bien trop fré-quente pour ne pas susciter des interrogations sur son origine. Il en va d’ailleurs de même du phénomène d’auto-dépréciation en général.

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la culture et des structures sociales traditionnelles, etc., qu’il est toujours plus facile de mettre sur le compte d’une malédiction liée à « l’espèce kabyle », au lieu de les analyser plus objectivement et, à défaut de pouvoir leur trouver des solutions-miracles, les comprendre, les maîtriser et les neutraliser ne serait-ce qu’en partie. Cette haine de soi a très probablement sa part dans le basculement qui s’opère en faveur de l’arabe dialectal, dans les régions traditionnellement berbérophones. Paral-lèlement, la norme de prestige latent qui caractérise les langues dominées, ici le berbère, et qui traditionnellement associait un certain nombre de valeurs de la sphère socio-affective à cette langue (proximité, sympathie, chaleur humaine, intimité, solidarité, etc.), cette norme elle-même est sérieusement bousculée dans les centres urbains, et voit toutes les valeurs qu’elle mobilisait habituellement en faveur du berbère se déplacer progressivement au bénéfice de l’arabe dialectal. Même le capital de sympa-thie et de solidarité qui entourait la langue berbère, de par le long combat de reconquête identitaire qui a été mené, a été sérieusement érodé. La page de ce combat (et des acteurs qui l’ont mené) a été tournée, remplacée par d’autres pages, d’autres péripéties, d’autres événements. Usé, épuisé, vidé de son contenu, ciblé, réduit et détruit, le combat identitaire n’est plus socialement subversif, il ne suscite plus, généralement, que de l’indifférence ou bien, dans le meilleur des cas, qu’une attention polie, surtout de la part des acteurs sociaux institutionnels. La montée en puissance des années 1970 et 1980 fait désor-mais partie de l’histoire, et ce qui est intervenu depuis est bien plus qu’une simple inversion de courbe. Il faut être d’une grande naïveté pour croire que le travail de décons-truction, de régression, de destruction et de dépossession s’est fait tout seul, spontanément, naturellement.

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D’autres expressions encore, d’autres visages de cette haine de soi et de ce phénomène d’auto-dépréciation, le plus souvent inattendus et paradoxaux, comme cette pro-pension à tout se permettre, dès lors qu’il s’agit de cette langue orpheline qu’est la langue berbère : tripoter indé-finiment et indélicatement l’orthographe, inventer et dif-fuser des mots à tout bout de champ maintenant que les boîtes à outils sont disponibles à bon prix, publier à tout va sans le moindre souci de qualité, pirater les publica-tons, se permettre sans aucune prudence toutes sortes d’explications sur tout, dans l’ignorance totale et entrete-nue de l’information sérieuse, etc., toutes choses tout simplement inimaginables dès qu’il s’agit de langues autrement plus solides (anglais, français, arabe), et au sujet desquelles la raison, la science et le respect prennent automatiquement le dessus. La langue berbère est deve-nue un domaine de non-droit, un figuier du bord du che-min (tanq°elt n webrid) sur lequel toutes les mauvaises actions sont plus que jamais permises et encouragées, exposée qu’elle est à toutes les attaques, les blessures, les prédations, à toutes les mauvaises intentions, le tout, bien sûr, sous couvert d’angélisme et du souci de bien faire.

Effet aggravant si l’on se place du point de vue de cette langue, cette situation ne serait pas le résultat d’une évo-lution « naturelle » sur le long terme, mais le résultat recherché, voulu, programmé et encouragé d’une poli-tique qui actionne toutes sortes de leviers, à des fins de réduction et d’éradication.

Au regard de cette situation, il y a d’ailleurs quelque chose de pathétique, de dramatique, dans toute cette ac-tion de modernisation du lexique et d’aménagement lin-guistique en général, comme qui s’inquiéterait de la qua-lité du papier peint sur les murs d’un édifice qui est en

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train de s’écrouler : les aménageurs aménagent la langue, pendant que la langue, elle, déménage.

(…)

La situation sur le plan constitutionnel ne doit pas non plus faire illusion. Le statut de langue nationale en Algé-rie et celui de langue officielle au Maroc n’ont pas d’incidences profondes en matière de sauvegarde et de développement de la langue, plus que jamais menacée par des facteurs objectifs autrement plus puissants que tous les textes juridiques. Ni les vrais moyens institutionnels et matériels, ni surtout la volonté politique ne sont au rendez-vous. Le tambour désormais national de l’amazighité est avant tout destiné à apaiser les tensions de surface, à jeter de la poudre aux yeux, à domestiquer la revendication, à la faire rentrer dans les rangs, pendant que l’histoire, la vraie, la seule, continue de rogner et d’éroder la langue.

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Nabile Farès s teqbaylit

Tukkisin seg Ilemẓi n tmurt Iqbayliyen

Tiririt γer teqbaylit n

Yahia, Pas de Chance, un jeune homme de Kabylie

Tukkist tamezwarut

… akken iγab yiṭij, tadamcact-nni d-yesseg°ra γer deffir tecrured cwiṭ cwiṭ γef lǧir-nni ijeggren leḥyuḍ, tecrured di taddart γef iberdan n wakal… Iḍelli-nni, tama n lagaṛ n Tizi-Wezzu, ṭṭerḍqen sin ifaguten-nni ineggura n tmacint, d ifaguten n sselɛa yedda-d yid-sen lɛasker. Lagaṛ di lweqt-nni, d nettat i igan talast : laman agemmaḍ-a di tama n temdint, tawaγit agemmaḍ-in di tama nniḍen, γer wid izedγen d lebda akkin, ger iḥedren d isennanen ukeṛmus, tayerza n lḥif d llun-nni aberzegzaw n tferkiwin uzemmur. Di tmacint, imsukal1 akken ma llan tezdeγ-iten tugdi. Tugdi-nni, Yeḥya yessen-itt ula d netta, ulamma mazal ur tt-yessin ara akken ilaq iwakken a t-tḥeṛṛem seg wayen ttwalint wallen-is. Aḍu la d-yettsuḍu yesmuncuf γer ṭṭaq useqqamu2, ma d taw-wurt ufagu-nni deg yella la tḥebbek d aḥbak. Γer beṛṛa n tmacint, allen-is ṭṭafaṛent izirig-nni n tγaltin d idurar, yulin kk°ernennin deg igenni d-yezzin sen-nig-sen am tqubbett.

1 Amsikel, imsukal : voyageur (Amawal). 2 Aseqqamu : désigne ici le compartiment de train.

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Tukkist tis snat

Lemmer d lebγi-s netta, yesmenyaf a n-yeqqim meqqar di tebḥirt netta d ɛammi-s d inebgi-ines, wa-la ad yettwali akka xalti-s zdat-s, xalti-s yelsan yiwet si teksiwin-nni ines tiberqacin yewsaɛn fell-as, tekna la tessirid lqaɛa, tesḥerkikk s ubeḥnuq akka d wakka, iγallen-is ttawin tterran, ur iban dγa ma d iγallen-nni ines i d-yeddan di lqaleb n tezlatin-nni tcennu, neγ d tizlatin-nni i d-ilulen kkant-d seg uhuzzu nnsen. Ma-ca xalti-s amzun akken tfaq, tuki s kra ibeddel, tuki s tili neγ s lexyal d-ibedden di tzeqqa, d tili neγ d lex-yal ara s-ibeddlen udem d lbaḍna i ccna. Daymi teḥbes aḥukku n tlajuṛin n tkuzint, tsers abeḥnuq n tarda γef yiri n tbasant n waman, tessemlal ifassen-is tkers-iten iwakken a ten-tesskew akken ilaq, tuγal, s laɛqel kan, tsers-iten γef wammas-is, teḥbes ccna. Tezzi udem-is γer tewwurt anda isenned Yeḥya, nettat mazal-itt tekna, mazal ur d-tezdi ara lqedd-is, mazal ur tekkir ara, yerna tanekra ur as-tezmir ara d umatu, si ccedda n laɛmer d iseggasen, si ssus n tezmert d laɛtab n lxedma n tmeṭṭut. Tenna, maca timenna-ines mačči s imeslayen, mačči d imeslayen d-iteffγen seg yimi, mačči d imeslayen ara d-yernun anezgum i unezgum, anezgum i unezgum-nni izedγen Yeḥya, acku teẓra (Xalti-s) anezgum d uγemlil i t-izedγen mi t-twala akken, yebded deg-s lmenṭeq ula d netta, yeqqim kan akken yedduri di tsusmi n ccna. D ayen teẓra daγen nettat, Yeḥya ur d-ibedd ara γur-s iwakken ad as-yissin tajmilt neγ ad yanez d annuz zdat lǧerḥ d lqerḥ yuγen tilawin, deg wussan agi deg γellin yergazen di tmurt Iqbayliyen, ger wid iṛuḥen s rrṣaṣ am tadla yečča yilef, wid iγab-

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en deg yiḍ, d wid tečča tmes yuγen di texliǧin. Ala, la tettgani di Yeḥya ad as-d-yini, netta yellan d argaz ger yergazen, ad as-d-yini d acu ara d-yelfun tura, tura m’akka ussan yewweḍ-d wass nnsen.

Tukkist tis kraḍ

Yenna-d « ẓriγ d acu i d amadaγ, ẓriγ d acu-tt taddart agi. Ẓriγ imjuhad yečča-ten wul nnsen, la ssaramen iḍ d wass ad zdin lqedd nnsen ad yaweḍ annect n lqedd n ddunit, ad ilin mačči d uccayen yesseḍfaren iṣeggaden di lǧeṛṛa nnsen, ad ilin d iɛessasen, d in-ebdaden n tudert, tudert deg tella lbenna n yiṭij d-issaγen γef yigran, lbenna n wayen d-nmegger s ifas-sen nneγ. Ẓriγ ulawen nnsen la ttfeqfiqen γef tejmilt ad asen-tuγal, maca lgirra ad tiγzif, la ttwaliγ ad tiγzif ugar n lexrif d ccetwa, ugar n tefsut d unebdu. Daymi taddart ur bγiγ ara ad tekkuffer di tugdi. Ilaq ad tidir, ad tidir ass-a d uzekka. S uzekka ma yella tudert tugar-itt tγelb-itt tugdi, ass-nni lǧedra izedγ-itt maras, γas in’asen i yemjuhad ad rren agelzim s ax-xam. Di mraw wussan-nni deg ur d-yettili ara wesγimi n tmenγiwt, a d-awiγ Lḥaǧ Smayen akked Zenṭuṭ amaẓuẓ s axxam, a ten-ssenseγ, ad asen-d-awiγ irgazen nniḍen, wid n taddart d wid n tamiwin n taddart, iwakken ad mmeslayen yid-sen, iwakken ad ẓren amek i temcubbak tekres tmeddurt nnsen, ad ẓren amek ara reṣṣin iẓuran nnsen, am wemgud-nni n tfeṛṛant neγ n tmeγrust ixeddmen akal-is tlata neγ ṛebɛa iseggasen uqbel a d-yezmumeg i tafat s lfakya-s. Di mraw wussan agi, taddart merra s timmad-is ad tettgani d acu ara d-yelfun, asγimi n tmenγiwt a d-

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yelfu d asγimi n lḥeq mačči d asγimi n lbaṭel. Γef waya a Si Mextar i ssutreγ deg-k ad neṛǧu kra n wussan.

Tukkist tis ukkuẓ Azgen n ssaɛa syen d asawen, mi bdan tarusi si lbabuṛ, yufa-d lḥal zzren γerqen deg yiwen wabbu annect ila-t, d imsibrik, iwerrek yeččur ddunit merra i sen-d-izzin. Iserfaden1 n wuzzal la ttawin tterran, ttḥewwisen deg igenni acemlal icuban lǧir, yumes a s-tiniḍ d lḥiḍ n wexxam aqdim. Iḥedran ubiṭun la ttazzalen γef waman n lebḥeṛ. Kra n tbabuṛin n tfenṭazit d zzhu cuddent s imukan nnsent. Llan wid i la d-ittsuγun si temzegrin-nni2 anda bedden, ma d lbabuṛ Président-Cazalay yers netta deg waman iberkanen, d aman γef iceṭṭeḥ ubellaɛ n lmazut d win n lpitṛul. Mi yella yettgani di tmezgert, deg waddud-nni n wa deffir wa, Yeḥya iwala mačči d at useqqa-mu wis ṛebɛa kan i yellan, neγ d irgazen kan. Iwala tiqcicin d tlawin d-iteffγen sennig-s, di tqenṭert inna nniḍen ; d ayen i t-yeswehmen, yessestan3 iman-is deg wul-is : wigi merra yesḥedwilen tura ad ffγen, ansi i sen-d-tekka tezmert swayes i d-zegren lebḥeṛ, ṭṭfen ṣebren alarmi d tura ? Yewhem kan, ibat ur as-yufi ixef-is, yiwen ur d-igir iman-is a s-yini llan im-ukan nniḍen di lbabuṛ, mačči d takwatt-nni ines kan

1 Aserfad, iserfaden : grue. 2 Tamezgert, timzegrin : passerelle. 3 Sesten : steqsi.

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i yellan, takwatt-nni n tesga neγ n tqenṭert i t-id-iṣaḥen ad yens deg-s netta.

Tukkist tis semmus

Yewt-d wul-is γef Claudine, taqcict n lmesk yewwḍen γer tizi n tayri, yeǧǧa-tt amzun akken werǧin i s-yessin amek ara yeqqim γur-s ; neγ ahat wissen, ahat bezzaf i yeggar tamawt, sennig wayen ilaqen i yeggar tamawt i uɛeqqa-nni ageswaḥ n teγribt i yezgan yezdeγ yesḥissif ger-asen ; neγ am-zun akken tiram-nni n lfeṛḥ i sen-yeččuren ulawen nnsen, tiram-nni ttilint-d kan m’ara tettwaḥṛes ten-nejbad teg°nitt alamma d ixef-nni ines aneggaru, am uẓeṭṭa ger tjebbadin, tiram-nni n lfeṛḥ ttilint-d kan m’ara teqqers tceqqeq teṛwiḥt, tefferkekki, teṛṛekṛek, alarmi ula d tuzzfa-nni1 i sen-yesnefken tifekkiwin nnsen di lbaḍna n temleḥfin, tettunefk-asen di terẓeg d ddγel mačči di tiẓeṭ. Taqcict n lmesk, d lmesk di tizi n tayri, ma d Versailles, di tegrest, tamdint yek-kussmen, teknunneḍ γef yiman-is, am temγart yettu-cekklen, yettukettfen si zzellum d ssṭer, temmuγben tesmigliz kan s wallen, ur tebγi ara dγa ad tebru i leḥzen d leγmam i d-yeγlin fell-as, ur yezmir yiwen a tt-yessenquqel neγ a tt-yessembiwel, teqqim kan akken ger iberdan a s-tiniḍ teggujel neγ tbuṛ.

Tukkist tis sḍis

1 Tuzzfa : nudité.

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Amek i d ixef-is, amek ara s-tgeḍ isem i usemmiḍ yendudren di tasmuḍi ? Claudine attan teqreb, tesfaglat, tleḥḥu teṭṭafaṛ-it-id, tagut la d-tγelli tettezzi-yasent i ṭṭjur tkeččem lbaḍna nnsent. Awal yettγizi abrid-is di taγect, yettγizi yettanef, yekkat yettmettat γef wezwu i t-yettawin, nnefs ulac. Yeḥya iteddu tama n Claudine. Teddun ttuγalen di tezrugt alamma d ixef n wemdun. Sya γer da ttezmumugen ger-asen, a s-tiniḍ si zik n zik i myussanen. Tasusmi amzun akken d ijdi, tes-wejwij teskerwic ger wafriwen n tegrest. Claudine telsa tibuḍin1 twellsent, rnant γef userwal d azegzaw am tuga, yennejbad am yeẓdi. Ifassen-is telsa fell-asen iqeffazen n weglim aberkan, tsers-iten seddaw tγesmart-is, ṭṭfen ag°erḍ n ibidi iwakken asemmiḍ ur ikeččem ara taduṭ-nni yellan zdaxel. Yeḥya, tama n Claudine, la iteddu ikkat γef iγallen-is, am wefrux n Ugafa Ameqqran2. Yefṛeḥ d ayen kan imi yemtawa d yiman-is, yemsefrak yemṣuda d umatu netta d yixf-is, myezgen-d γef wayen yettenxuxulen deg uqerru. Amdegger ulac : yefka-yas lebγi i wul-is, yekkes-as algam iserreḥ-as ad yeks deg webrid n tirga, γas akken yekkat-d waḍu iteqqes deg wallen yessismiḍ-itent alarmi d ulamek. Γef sskali-nni n lbeṛǧ, tibuḍin n Claudine ur tselleḍ ara i dderz nnsent, ma d aḥukku d uleγwi-nni afessas ur ẓẓayit ara fell-as ad asen-isel. Zdat tlajuṛin Ugellid, Yeḥya yefka-yas iγil-is i Claudine iwakken ad ḥluccgen di

1 Tibuḍin : bottines. 2 Agafa Ameqqran : Grand Nord.

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sin γef wegris. Claudine tejgugel deg-s alarmi d tiseγlay n wuzzal n lbeṛǧ, syen akkin, weḥd-s, terna tuccḍa nniḍen alarmi d iri utṛutwaṛ, zdat tezrugt n Cours de la Reine. Yeḥya yenna deg wul-is « D leḥq-iw ad ḍseγ d leḥq-iw ad sweγ lqahwa ». « Ur teḥluccgeḍ ara akken ilaq » dγa ula d netta yecceḍ alarmi qrib iḥuza Claudine i d-yettwalin deg-s. « A kem-awiγ ad tesweḍ lḥaǧa ? » « D lḥaǧa tabel-bult ? » i d-tenna Claudine. « Ala, maca γas kkes aγbel, d ayen ara kem-isseḥmun » dγa ḍsan-tt-id di sin yid-sen.

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Document inédit1

Lionel Galand

et la notation usuelle du berbère en caractères latins

(avril 2011)

Problèmes de graphie

ad + verbe : Dans le cas où l’on a seulement a (devant un pronom placé avant le verbe), j’écrirais seulement a, parce que rien ne prouve qu’il y a eu assimilation et/ou disparition du d. On a dès le départ, sans intervention d’un phéno-mène phonétique, deux formes distinctes, a et ad. Cela paraît confirmé par le touareg de l’Ahaggar, qui emploie les particules correspondantes e et ed dans des conditions comparables. État d’annexion (EA) des nominaux en i- : Il faut distinguer : A) les nominaux à voyelle « constante » et B) les nominaux à voyelle « non constante ». A) il´m « vide », EA yil´m, venu de *wil´m par assimila-tion du w à la voyelle i.

1 Ce document réunit deux fichiers numériques que M. Lionel Galand nous a fait parvenir, en avril 2011, en réponse à des questions portant sur quelques points sensibles de la notation usuelle du berbère en caractères latins.

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Comparer les noms en a- : ass « jour », EA wass. Tous les noms en u- sont à voyelle constante, d’où leur EA en wu-. B) izim´r « agneau », EA izim´r, donc sans changement de forme apparent (c’est aussi le cas de la plupart des pluriels en i-). Il peut sembler curieux de dire que ce nom est à voyelle non constante, alors que dans les deux états on a la même initiale i-. C’est qu’en réalité la voyelle i de l’état libre est bien tombée et le nom a reçu un préfixe, w devenu y, réalisé i. La voyelle i- n’a donc pas la même origine dans l’EA que dans l’EL. La même chose s’est produite pour les nominaux en a- à voyelle non constante, mais l’opposition phonétique est plus facilement perçue : on a bien argaz, EA w´rgaz (ur-gaz en chleuh). Le féminin, quand il existe, permet un bon test : on a EL til´mt, EA til´mt (voyelle i constante !), mais EL tizim´rt, EA tzim´rt (chute de la voyelle i non constante). Ces faits sont très clairs. Étendre à tous les nominaux l’opposition i- / -yi-, c’est vraiment vouloir modifier la langue, et pas seulement la graphie. L’affriquée ts, tts : Il faut sans doute la noter dans un travail de linguistique. Dans les autres cas, c’est à voir selon le désir de préci-sion ! Les locuteurs kabyles n’ont évidemment pas besoin de cette indication, de même que pour le t spirant.

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Thèmes 1 à 5

Thème 1 : aoriste sans présence de satellites Question 1 : Commençons par le cas de l’aoriste sans présence de satellites. Faut-il noter, par exemple, aţ-ţsew, aţţsew, ou ad tsew (elle boira) ? Réponse 1 : Je n’aime pas la notation aţ-ţsew parce qu’elle laisse croire à l’existence de deux éléments qui n’existent pas isolément : aţ et ţsew, alors que les termes isolés sont ad et tsew. Au pis-aller, si l’on tenait à rester près de la prononcia-tion, je préférerais encore l’écriture en un seul mot : aţţsew. Mais en fin de compte la notation ad tsew me semble suffisante. Dans mon travail (ce n’est pas pour une grande diffu-sion), je note chaque élément dans sa forme de base et je les réunis par un signe de liaison, pour montrer qu’il se passe quelque chose au contact : ad^tsew. Mais pour l’usage courant il n’est peut-être pas nécessaire d’aller jusque là. Question 2 : Comment noter la première personne du pluriel : an-nsew, a nsew ou ad nsew (nous boirons) ? Réponse 2 : Je crois qu’il faut considérer a et ad comme les variantes d’une même particule, qui sont, pour em-ployer le terme technique, en « distribution complémen-taire ». Historiquement il s’agit certainement du même élément a. Il existe en berbère d’autres particules de l’aoriste, employées dans des constructions et dans des parlers déterminés, comme ara en kabyle ou za en toua-reg méridional.

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Pour moi, le cas de a dans a nsew n’est pas le même que celui de a devant un satellite. Devant nsew, a n’est pas la forme de base : c’est le résultat d’un relâchement dans la tension provoquée par le contact entre d et n : dn > nn > n. Je ne suis pas assez familiarisé avec le kabyle, mais j’ai l’impression que la variation entre nn et n, en pareil cas, est individuelle et assez aléatoire. Il est possible que l’environnement phonétique joue un rôle, mais je ne pense pas que la notation courante doive tenir compte de ce flottement, sauf peut-être si l’on parvient à découvrir une loi régulière du phénomène.

Thème 2 : aoriste avec satellites Question 3 : En présence de satellites (ici le pronom personnel régime direct t), certains usages ne font plus apparaître la particule a de l’aoriste, elle est remplacée systématiquement par la particule ad. Par exemple, faut-il écrire ad t-yečč ou a t-yečč (il le mangera) ? Réponse 3 : J’ai répondu dans mon précédent message. Je suis d’avis de noter a t-yečč. Il est intéressant de constater que devant les pronoms régimes indirects en a- on peut trouver ad. Ou bien faut-il poser une forme particulière du pronom : dak, das. Cela existe ailleurs, mais j’hésiterais ! Question 3 bis : En cas de présence de plusieurs satel-lites (particule de direction, pronom régime direct, pro-nom régime indirect), faut-il noter, par exemple, ad d-yawi ou a d-yawi ? ad t-id-yawi ou a t-id-yawi ? ad k-t-id-yawi ou a k-t-id-yawi ?

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Réponse 3 bis : J’écrirais seulement a, sauf si une ten-sion de la consonne qui suit a est perceptible, comme votre graphie des trois exemples pourrait le laisser croire. Cela signifierait alors que l’emploi de la forme courte a n’est pas obligatoire devant tous les satellites. Question 4 : La notation doit-elle distinguer, dans cer-tains cas de possible confusion, le pronom régime direct du pronom régime indirect ? Par exemple : A k-iwwet (il te frappera) (pronom k régime direct, oc-clusif) ; A k-iwwet (ṭṭbel) (il te jouera du tambour) (pronom k régime indirect, spirant). Réponse 4 : Les cas d’ambiguïté étant peu nombreux, il ne me semble pas nécessaire de compliquer la notation pour autant. Si l’on y tenait vraiment, il conviendrait de noter le caractère spirant du k (par exemple en soulignant la lettre), tout en prévenant qu’on ne le fait que dans ce cas-là (comparer avec certains emplois du tréma en fran-çais).

Thème 3 : la particule de l’aoriste « ara » Question 5 : Un mot sur l’origine de ce ara, particule de l’aoriste. Réponse 5 : Sur l’origine de ce ara, je vous renvoie à mon livre Regards sur le berbère1. Même si mon analyse n’est pas acceptée, je pense qu’il n’est pas possible d’expliquer ara à partir d’un pronom relatif suivi de la.

1 [Note de l’éditeur : page 268 dans l’édition italienne de 2010, page 259 dans l’édition algérienne, Editions Achab, 2013].

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Dans la pratique, et quelle que soit l’histoire de ara, l’usage actuel qui consiste à écrire simplement « ara » est le meilleur ; si l’on veut nuancer, on pourrait signaler la prononciation aa à l’occasion. Question 6 : Depuis plusieurs années, de nombreux usa-gers (enseignants, étudiants, auteurs, etc.) remplacent la particule ara de l’aoriste par la particule ad, ce qui donne par exemple : argaz ad yeččen au lieu de argaz ara yeččen ; win ad waliγ au lieu de win ara waliγ ; win ad t-yeččen au lieu de win ara t-yeččen ; win ad d-yasen au lieu de win ara d-yasen ; etc. Qu’en pensez-vous ? Réponse 6 : Je condamne formellement le remplacement de ara par ad. C’est une véritable mutilation de la langue, encore pire que la fixation systématique de l’état d’annexion des noms en i. Cela aboutit à donner à ad une fonction qui ne s’accorde pas du tout avec celles qu’il remplit normalement.

Thème 4 : le trait d’union Question 7 : Votre point sur l’utilisation du trait d’union en notation usuelle. Réponse 7 : Les notations du type tamurt b-bwergaz, avec trait d’union, ont l’inconvénient de faire croire à l’existence d’une préposition fantôme b (et de fait cer-tains ont pu croire qu’elle existait !). J’aime donc mieux bbwrgaz ou bbwergaz. Noter qu’en français on écrit aux hommes et non à les hommes : c’est un peu le même problème. La graphie analytique tamurt n wergaz aurait

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l’avantage de convenir à tous les Kabyles, qu’ils disent bbw ou ggw : c’est à voir selon les intentions de l’auteur ! Mais de toute façon il est dangereux de pousser trop loin dans la représentation de l’étymologie. Question 8 : Quelles sont les orientations générales que vous pourriez nous donner ? La notation actuelle a ten-dance à utiliser le trait d’union de façon systématique, pour tous les satellites du verbe et du nom. Réponse 8 : J’avais envisagé le principe suivant, dans le cas d’un voisinage immédiat entre deux éléments, l’un de classe A, l’autre de classe B : 1) A peut aussi apparaître sans B, et B sans A : simple espace blanc. Exemple : walaγ argaz. 2) A peut apparaître seul, mais B ne peut pas apparaître sans A (ou bien l’inverse) : trait d’union. Ex. : walaγ-t : le verbe peut s’employer sans le pronom affixe, mais le pronom doit s’appuyer sur un verbe. 3) A ne peut pas apparaître sans B, ni B sans A : soudure des deux mots. Ex. : babas : le nom de parenté exige un pronom complément, et le pronom, de son côté, doit s’appuyer sur le nom (à la 1ère personne, on posera le pronom « zéro » : baba). Ces principes peuvent guider dans certains cas, mais il est difficile de les appliquer systématiquement, parce qu’on aboutit à un abus des traits d’union. Par exemple yuγ-as-t-id me paraît acceptable et a l’avantage de montrer le « mot phonétique ». Je mettrais un trait d’union dans axxam-is, parce que is est très court, mais cela ne me paraît pas très utile dans

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axxam nnsen, axxam-nni nnsen. Question d’appré-ciation personnelle, qui peut causer une certaine incohé-rence ! Question 9 : Les noms de parenté ? Les prépositions ? Réponse 9 : Pour les noms de parenté, j’ai répondu (Ré-ponse 8). J’applique le même principe pour les prépositions suivies d’un pronom : fellas, γurs. Question 10 : divers Réponse 10 : assagi : soudure pas nécessaire, mais admissible (c’est exactement ce que fait le français pour aujourd’hui < au jour d’hui, dans lequel hui vient lui-même du latin ho-die « ce jour » !). asmi : n’a rien à voir avec ass « jour » ; la comparaison avec d’autres parlers montre qu’il s’agit d’une construc-tion de type « relative », comportant le pronom a, la pré-position s et un élément mi, courant dans certains parlers du Maroc central où il accompagne les propositions rela-tives un peu complexes : a s mi … « ce au moment de (quoi)… ». Toutefois le groupe s’est figé et je pense qu’il suffit de l’écrire en un seul mot.

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Publications des Editions Achab

- Berkaï Abdelaziz. Lexique de la linguistique français-anglais-tamazight. Précédé d’un essai de typologie des procé-dés néologiques. - Farès Nabile. Yahia, Pas de Chance, un jeune homme de Kabylie (roman). - Amellal Bahia. La Ruche de Kabylie (1940-1975). Préface de Karima Dirèche. - Kebaïli Akli. Mraw n tmucuha i yiḍes. Tazwart n Kamal Naït-Zerrad. - Mohia Nadia. La fête des Kabytchous. Préface de Mahmoud Sami-Ali. - Oudjedi Larbi. Rupture et changement dans La colline ou-bliée. Préface de Youcef Zirem. - Zellal Brahim. Le roman de Chacal. Textes présentés par Tassadit Yacine. - Salhi Mohammed Brahim. Algérie : citoyenneté et identité. Préface d’Ahmed Mahiou. - Donsimoni Myriam, Kemmar Mohamed, Perret-Karnot Cé-cile. Les bijoutiers d’Ath-Yenni. Construire une attractivité territoriale sur les savoir-faire artisanaux ancestraux. Préface d’Ali Asmani. - Ali Yahia Rachid. Réflexion sur la langue arabe classique. - Kezzar Ameziane. Aγyul n Ǧanǧis. Adaptations kabyles d’œuvres de Jacques Prévert, Franck Pavloff et Raymond Que-neau. - Attaf Mohammed. La Sainte. Roman. - Farès Nabile. Il était une fois, l’Algérie. Conte roman fantas-tique. - Oubachir Hadjira. Tirga n tmes. Rêves de feu. Préface de Rachid Mokhtari. - Amellal Bahia. Dans le giron d’une montagne. Chronique historique.

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- Ṛemḍan At Menṣur. Amawal n yinzan. Dictionnaire de pro-verbes kabyles. Edition bilingue kabyle-français. - Ali Yahia Rachid. Sur la question nationale en Algérie. - Tifin (Revue de littératures berbères). Mohia : Esquisses d’un portrait. - U Lamara Aumer. Akkin i wedrar (ungal). - Lanfry Jacques. Dictionnaire de berbère libyen (Ghadamès). Préface de Lionel Galand. - Muḥend-u-Yeḥya, Djamal Abbache, Boubekeur Almi, Saïd Hammache, Idir Naït-Abdellah, Tahar Slimani, Mokrane Ta-guemout. Tixurdas n Saɛid Weḥsen. D’après Les fourberies de Scapin, de Molière. Présenté par Nadia Mohia. - Dilmi El-Houari. Des mots en rondelles. Chroniques. Préface de Hakim Laâlam. - Cheriguen Foudil. Dictionnaire d’hydronymie générale de l’Afrique du Nord (Algérie, Maroc, Tunisie). - Chelli Amirouche. Manuel didactico-pédagogique d’initiation à la langue berbère de Kabylie. - Benamara Hassane. Contes de Figuig. Tinfas n Ifeyyey. Timu-cuha n Ifeyyey. Illustrations : Pali (Abdeljebbar Abbass). - Haddadou Mohand-Akli. Dictionnaire toponymique et histo-rique de l’Algérie. - Genevois Henri. L’habitation kabyle. Collection Fichier de Documentation Berbère. - Genevois Henri. Sut taduṭ. La laine et le rituel des tisseuses. Collection Fichier de Documentation Berbère. - Galand Lionel. Regards sur le berbère. - Achab Ramdane. L’aménagement du lexique berbère de 1945 à nos jours. Préface de Salem Chaker. - Sadi Hend. Mouloud Mammeri ou la colline emblématique. Préface de Nabile Farès. - Kezzar Ameziane. Brassens. Tuγac d isefra. - Allain Madeleine et Brousse Lucienne. Tizi Wwuccen. Mé-thode multimédia de langue tamazight (kabyle). Aselmed amezwaru n tmaziγt (taqbaylit).

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