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la lettre n0 18 / hiver 2005

de l ’Académie des sciences

Sciences&

Tiers-Monde

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EditorialLa communication électronique affectetoute l’activité humaine. La presse cher-che une nouvelle voie entre les journauxpapier, "gratuits" ou payants, et la diffu-sion électronique. Les entreprises seportent mal.Il en est ainsi pour la presse scientifique.L’Académie publie Les Comptes Rendus,seule revue française pluridisciplinaireoù les acteurs de la recherche rédigenteux-mêmes leurs articles. Toutes lesdisciplines sont concernées, des mathé-

matiques à la biologie. Elle compte, dansle monde, 3352 abonnés. Elle publie, en7 séries, 8 800 pages par an et vit unparadoxe : le nombre de ses abonnésdécroît, celui de ses lecteurs croît trèsvite, comme en attestent les téléchar-gements de ses articles en version élec-tronique (57 657 articles téléchargés en 2001 toutes disciplines confondues, 102 131 en 2002, 188 270 en 2003, 311 277 en 2004 et 392 208 en 2005).Ainsi, l’objectif principal, la diffusion desdécouvertes scientifiques, est de mieuxen mieux atteint, mais ceci appelle desdécisions: en effet, la production papierest un affichage pérenne mais physique-ment limité, alors que l’informatiqueassure une diffusion facile et large.L’existence de versions électroniques apermis le développement de bases dedonnées géantes archivant un grandnombre de revues. Pour Elsevier, parte-naire de l’Académie actuellement, ils’agit de la base ScienceDirect : leslecteurs de la version électronique d’unarticle des Comptes Rendus ont accèsen ligne au texte complet des référencescitées. Tout individu peut s’abonner àScienceDirect, mais, dans la pratique,ce système est adapté aux centres derecherche publics ou privés, et auxuniversités regroupées.

Par ailleurs, des revues exclusivementdiffusées électroniquement offrent lesservices classiques de soumission à desexperts, les unes sur abonnement, lesautres libres d’accès, les auteurs contri-buant alors aux frais de publication.L’électronique permet aussi à un auteurd’adresser un article, pas seulement àune revue, mais éventuellement à uncentre spécialisé qui l’insère sur son site,y donne libre accès et l’archive. Aucuncontrôle n’est exercé par les scientifiquesavant insertion mais les lecteurs peuventsuggérer compléments et rectifications.Ces centres se sont beaucoup déve-loppés: en France, citons le Centre pourla communication scientifique directedu CNRS, auquel l’Académie est trèsfavorable.

En revanche, la pérennité des systèmesde diffusion exclusivement électroniqueinquiète de nombreux scientifiques,conscients des difficultés de transfertd’un système d’enregistrement ou delecture à un autre, et l’archivage papierretrouve là une solide raison d’être.Les publications ont une double fonction:� diffusion des connaissances. C’est leur

fonction traditionnelle, qui reste de loinla principale.

� évaluation quantifiée de la recherchescientifique. La recherche en bibliomé-trie est devenue une discipline en elle-même, peu pratiquée en France maisbeaucoup ailleurs. Cette techniqueséduit ceux qui ne pratiquent pas eux-mêmes les disciplines scientifiques.Elle est utilisée pour évaluer lesacteurs de la recherche, les centres etuniversités, les programmes et mêmeles pays. Toutes les disciplines n’utili-sent pas ces systèmes d’évaluationavec la même ardeur: ainsi, les mathé-matiques en font peu de cas, pourd’autres ils jouent un rôle majeur.

La bibliométrie est fondée sur le re-censement des citations d’un articlerelevées dans d’autres articles, annéepar année. Une société nord-améri-caine, ISI (groupe Thomson), sélec-tionne les revues et publie les résul-tats par individu, par établissement,par thème, par pays. Ces donnéesfournissent des classements et leurdiffusion est largement utilisée auprèsdes décideurs et de l’opinion.

En ce qui concerne les journaux scien-tifiques, ISI définit un facteur d’impact:le rapport entre le nombre de citationsrecueilli dans une année donnée par les

articles des deux années précédentes etle nombre total d’articles publiés dansces deux années. Une classification desrevues apparaît ainsi, à laquelle lesauteurs et évaluateurs sont très atten-tifs. Dans les disciplines utilisant labibliométrie, les revues font des effortspour améliorer leur facteur d’impact,opération de longue haleine. Ainsi, lesdifférentes séries des Comptes Rendusont un impact en croissance: les sériesde physique et de chimie sont, désor-mais dans la première moitié des revuesde leur groupe, la biologie, les géos-ciences, dans le troisième quartile. Cetteattractivité ne vaut, répétons-le, que pourles disciplines attentives à cette tech-nique, ce qui ne concerne pas du tout lesmathématiques, par exemple.

Là où la mesure est reconnue, elletraduit l’attractivité de la revue, mais celafreine les thématiques nouvelles où lenombre de chercheurs est restreint etoù, par conséquent, le taux de citationest faible.

La loi de programmation et d’orientationde la recherche, en cours d’examen,prévoit la création d’une agence d’éva-luation de la recherche et de l’enseigne-ment supérieur. Elle aurait, entre autre,la responsabilité de veiller aux bonnespratiques des commissions d’évalua-tion. Une réflexion sur la bibliométrieappliquée aux acteurs de la recherchedevra intervenir afin de privilégier le fonddu travail de recherche de chacun, plutôtque sa traduction bibliométrique où lesbiais sont forts, bien connus et difficilesà éviter (rapport du Comité nationald’évaluation de la recherche, chapitre“Les indicateurs bibliométriques”, 2003,Documentation française).

Le développement des publications élec-troniques accroît l’accessibilité à laconnaissance. En cela, il est un élémentmajeur de la répartition harmonieuse duprogrès scientifique dans le monde. Ilcrée des moyens d’évaluer l’utilisationdes crédits publics et est progressive-ment devenu la jauge du marché de l’édi-tion scientifique et des thématiquesrentables; mais cette situation ne favo-rise pas l’émergence de nouveautés.L’Académie, qui participe à la diffusiondes connaissances scientifiques et à leurévaluation, considère donc cette ques-tion comme cruciale. Elle organisera pro-chainement un colloque sur ce thème,dont les résultats seront publiés �

par Jean Dercourt 1

1 Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, profes-seur émérite à l’université Pierre et Marie Curie

SommaireÉditorialLes revues scientifiques à la croisée des cheminsJean Dercourt

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DossierSciences et Tiers-MondeFrançois Gros

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CIMPA et les mathématiques dans les pays en voie de développementMichel Jambu

page 8

Vietnam: enseignement supérieur et recherche scientifiquePierre Darriulat

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ICTP de TriesteEntretien avec Katepalli Sreenivasan

par Paul Caro

page 12

UNFM. Une expérience pour un enseignement de qualité dans un environnement de pénurieOlivier Archambeau

page 14

Science et développementAndré Capron

page 16

Question d’actualitéLe mécanisme de ChauvinJean-Marie Basset

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Carnetpage 19

La vie de l’académieSéminaire inter-académiquefranco-brésilienpage 19

Élections de Membrespage 20

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Les revues scientifiquesà la croisée des chemins

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Dossier

par François Gros 1

L’expression « Tiers-Monde » figurepour la première fois dans un

article du grand démographe, AlfredSauvy, en 1952. On peut lire sous saplume « ce Tiers-Monde, ignoré, ex-ploité, méprisé comme Tiers-État veut,lui aussi, être quelque chose »…. Êtrequelque chose ! Ne pas être laissé enbord de route mais aussi compter, tenirun rang au sein de la communautémondiale, devenir un vrai partenairedans les échanges et la créationhumaine. La plupart des personnes ontdu Tiers-Monde une représentationessentiellement fataliste, voire miséra-biliste. Elles associent son image à cellesque projettent les situations, hélastragiques, qui y prévalent : images depauvreté extrême, d’analphabétisme, defaim, d’instabilités institutionnelles oude conflits ethniques (oubliant par paren-thèses que ces situations ne sont pastotalement absentes dans les pays ditsdéveloppés). Lorsqu’il n’est pas perçuavec indifférence, voire avec appréhen-sion, le Tiers-Monde suscite dans lemeilleur des cas un réflexe humanitaire,inspiré du principe d’assistance, selonlequel il convient avant tout de parer auxurgences. Il n’y a d’ailleurs là rien quede naturel et il faut certes applaudir àcette attitude, l’encourager, même si elles’accompagne quelquefois de condes-cendance et si le tribut payé à notrebonne conscience n’en est pas pleine-ment étranger.

Chacun est cependant conscient aujour-d’hui que le statut d’assisté ne répondplus à l’aspiration légitime des pays dits« Tiers », ni même à la vision mondia-liste de notre temps, quelque sentimentque l’on puisse nourrir à son égard.N’est-ce pas, en effet, l’équilibre plané-taire lui-même qui est en jeu?

Mais que peuvent donc les sciences faceà tout cela ? Que la médecine, la re-cherche agronomique ou, sur un autreplan, les sciences humaines et socialesse préoccupent du Tiers-Monde passeencore, penseront certains! Mais quedire du rôle des sciences fondamentalesde la recherche moderne et des techno-

1 Secrétaire perpétuel honoraire de l’Académie dessciences, professeur honoraire au Collège de France

Sciences & Tiers-Monde

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partenaires multilatéraux et bilatérauxet en particulier les partenaires des paysdu Sud ».

Dès lors, est-ce parce que le monde d’au-jourd’hui prend davantage la mesure desimpératifs du développement durable,ou assiste – t-on, au sein de la commu-nauté scientifique internationale, à unevéritable prise de conscience du rôlequ’elle est appelée à jouer pour relevercertains des grands défis planétaires?Toujours est-il qu’on voit se dessiner,depuis le début des années 90 au seindes Académies des sciences, une préoc-cupation renforcée pour les gravesproblèmes du Tiers-Monde.

Les Académies des sciences

face aux problèmes des pays

en développement

De nombreux scientifiques ont com-mencé à se pencher sur les situationssouvent les plus brûlantes du Tiers-Monde, particulièrement en ce quiconcerne la lutte contre les maladies,ou le développement agricole, depuis lafin du 19ème siècle (le Pasteurisme en aoffert l’une des meilleures illustrations),et le 20ème siècle a vu se créer toute unesérie d’organismes publics à vocationfinalisée dans la recherche pour le déve-loppement. Toutefois, il est intéressantde noter que l’intérêt des scientifiquespour coopérer avec les pays du Sud acommencé à s’intensifier dans le débutdes années 90. Cet intérêt a souvent

logies avancées ? Est-ce bien là leurplace? Les sciences et les technologiesmodernes ne traduisent-elles pas ladémarche d’une modernité imposée?Ne contribuent-elles pas à élargir lefossé entre pays pauvres et pays riches?Ne font-elles pas fi des cultures tradi-tionnelles, le progrès technique des paysles plus puissants pouvant déstabiliserl’économie de marché des pays moinsavancés?

Ces interrogations, voire ces critiques àl’encontre des sciences, ne sont pasaussi rares qu’on le pense. Aussi con-vient-il que nous nous arrêtions uninstant à ce problème.

Quel rôle les sciences fonda-

mentales peuvent-elles être

amenées à jouer pour les pays

en développement?

Le premier argument est, si l’on peut dire,d’ordre heuristique. On ne répèterajamais assez que, même à travers leursdémarches et sous leurs aspects les plusfondamentaux, les sciences jouent unrôle tout aussi déterminant pour l’essorindividuel que pour l’économie nationale,considérée dans son ensemble. L’édu-cation – ou pour être plus précis – laformation des citoyens d’un monde libre,débarrassé des tabous et des idéologiestotalitaires ou de l’intégrisme, trouve dansla Science le point d’appui nécessaire audéveloppement de l’esprit critique. Ainsise forge une prise en compte raisonnée

(sinon toujours certes, une compréhen-sion totale) des phénomènes de la naturece qui nous rend davantage conscientsde notre interaction avec l’environne-ment. Ce niveau formateur est essentiel.Il implique un postulat majeur: les géné-rations montantes des pays du Tiers-Monde doivent pouvoir accéder à un de-gré de formation scientifique suffisantpour que s’établisse un partenariat équi-libré avec les pays développés. Celadevrait commencer à l’école avec l’ap-prentissage de la lecture et de l’écriture.L’ouverture à la curiosité scientifique lorsde la formation primaire puis secondaireest, avant même la promotion de larecherche, un facteur-clé de ce nouveauparadigme que les anglo-saxons dénom-ment « capacity building », l’accès auxinformations et aux outils de la connais-sance gage d’un développement efficace(voir infra: le mouvement pédagogiqueintitulé « la main à la pâte »).

L’autre justification du rôle des sciencesrelève d’une conception qui, pour êtreplus classique et plus communémentadmise, n’en est pas moins judicieuse.Elle réside en effet dans la possibilitépour les pays en développement d’ac-quérir un degré satisfaisant d’indépen-dance technologique, de pouvoir conduireleurs propres expertises et d’avoir accès,à terme, aux échanges économiquesinternationaux. Privés d’universités, d’in-génieurs et d’industries, les pays duTiers-Monde, en sont souvent condam-nés à vivre en autarcie de type agricole

et l’on sait que, même ainsi, ils sontsouvent loin de parvenir à l’équilibre.A ces considérations d’ordre heuristique,technologique ou socio-économique s’a-joute, depuis un passé plus récent, unargument nouveau, sorte de référenceun peu incantatoire mais qui n’en est pasmoins désormais reconnue comme unvéritable impératif c’est celui du déve-loppement durable. Comme l’écrit à cepropos Michel Griffon, membre du CIRAD:« la recherche à destination des pays duSud est devenue partie prenante de laplupart des recherches concernant lesbiens publics mondiaux, comme la sécu-rité alimentaire et la sûreté des aliments,la réduction de l’effet de serre, la conser-vation de la biodiversité, la gestion deseaux, la lutte contre la désertification, lecontrôle des maladies émergentes et ré-émergentes, la maîtrise de l’urbanisa-tion et de ses effets, l’orientation de lamondialisation économique ». Et deconclure: « la recherche à destinationdes pays du Sud qui relevait surtout d’uneobligation de solidarité, d’aide au déve-loppement et de transfert scientifique ettechnologique est donc devenue main-tenant, à la fois un constituant-clé de larecherche pour le développement durableet un domaine essentiel du processus demondialisation de la recherche ». Certesclairement finalisé, ce type de recherchen’en est pas moins fortement articulé àla recherche fondamentale. En outre, etdu fait même des problématiquesévoquées, elle ne peut être effectuée« qu’en coopération avec de nombreux

Dossier

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conduit à des rapprochements interaca-démiques, voire à un véritable mou-vement fédératif. Ainsi, en 1992, unpremier « sommet » réunissait à NewDelhi une cinquantaine d’Académies dessciences – dont la nôtre – autour duthème « Croissance démographique etdéveloppement ». Une seconde réunionse tint l’année suivante et aboutit à lacréation de l’Interacademy panel forinternational issues (IAP) ne regroupantpas moins de 90 académies. Si l’IAP (queco-président notre confrère Yves Quéréet le Président de l’Académie brésiliennedes sciences) n’a certes pas pour seulobjectif de réfléchir au rôle des sciencesdans la révolution des problèmes duTiers-Monde, nombre de ses program-mes n’en concernent pas moins laSanté, l’Agriculture ou plus récemmentles problèmes énergétiques des PED.Un accent particulier a été placé sur letrès grave problème initialement signalépar l’ONU de la mortalité maternelle etinfantile dans les pays en développe-ment (cf. le programme intitulé « Santéde la mère et de l’enfant » dans lequelle COPED a joué un rôle majeur).

Il est juste de rappeler que l’ICSU(Conseil international pour la Science)avait déjà ouvert la voie de la rechercheen faveur des pays en développementen s’attaquant à de nombreuses ques-tions liées aux difficultés scientifiqueset techniques des pays du Sud, et quel’Unesco a réservé, dans ses grandsprogrammes, une place privilégiée àl’éducation dans les pays du Tiers-Monde. Il faut souligner aussi que,même si leur nombre demeure insuffi-sant, plusieurs pays en développementpossèdent des Académies des scienceset qu’il existe une Académie du Tiers-Monde, la TWAS (Third World Academyof Sciences) dont la qualité n’est plusà souligner.

En 1995, donc, peu après la création deIAP, l’Académie des sciences de notreInstitut, forma un groupe de travail pourréfléchir aux actions à mener sur le planscientifique avec les pays en dévelop-pement. Ce groupe devint, l’année sui-vante, un comité permanent, le COPED.Depuis environ une décennie, grâce à latenue de divers forums d’études, cecomité s’efforce de mettre en relief lerôle de la formation supérieure et de larecherche pour tenter de relevercertains défis majeurs du Tiers-Monde.Des liens étroits se sont bien entendutissés avec la Délégation aux Relationsinternationales (DRI) laquelle anime,

pour sa part, de nombreuses missionset programmes de coopération avecdivers pays du Sud: en Afrique, auVietnam 2, en Amérique latine… La DRIa impulsé, récemment, le très re-marquable programme WHEP (WorldHealth Education Program) en faveurde l’éducation à la santé des femmes etdes filles des pays du Tiers-Monde.

Une autre initiative qui connaît aujour-d’hui un succès considérable est àmettre à l’actif, du moins partiellement,de l’Académie des sciences. Il s’agit duprogramme d’enseignement intitulé « la main à la pâte » dû à l’engagementde nos confrères Georges Charpak,Pierre Léna et Yves Quéré, tous troisphysiciens et membres de notreCompagnie. Ce mouvement d’enseigne-ment des sciences à l’école primairequ’avait conçu il y a environ deux décen-nies le physicien Prix Nobel, LéonLederman (1988) et qu’ont réactualiséet amplifié nos confrères, s’est en effetpropagé dans de nombreux pays duTiers-Monde ou émergents. Il a étéadopté par exemple dans des écolesd’Afghanistan, d’Argentine, du Brésil, duCambodge, du Chili, de Chine, de Co-lombie, d’Égypte, de Malaisie, du Maroc,du Mexique, du Sénégal, de Slovaquie,du Togo… et d’ailleurs 3 !

Dans ses efforts en faveur des pays du Tiers-Monde, notre Académie estcertes consciente de la nécessité d’ins-crire son action, autant que faire sepeut, dans le cadre des projets euro-péens et dans celui des grands pro-grammes internationaux. Outre saparticipation très active et parfoismême déterminante, aux programmesde l’IAP, de l’ICSU et, quoiqu’à un degréun peu moindre, de l’OCDE, de l’Unesco(à travers le « comité recherche » de lacommission nationale française), de laFAO, (grâce à l’existence de l’AFFAO,association française pour la FAO), dela TWAS déjà nommée, ou encore del’AUF (Agence universitaire franco-phone), plusieurs projets de l’Académiesont menés en liaison assez étroiteavec les Institutions internationales derecherche scientifique. On peut citer,à titre d’exemple, le CIMPA (Centreinternational de mathématiques pureset appliquées) dont le siège central estd’ailleurs situé en France et qu’appuiespécialement l’Unesco, ou le CITP(Centre international Abdus Salam dephysique théorique) situé à Trieste etqui, grâce à la générosité du gou-vernement italien et à l’appui del’Unesco, octroie plusieurs bourses àdes doctorants des pays du Sud leurpermettant de parachever leurs travaux.

Ainsi est-on en droit de dire que, depuisune quinzaine d’années, d’une part lesplus hautes autorités politiques mondia-les, souvent réunies en « sommets »,

mais également la plupart des Acadé-mies existantes, ou encore les grandesorganisations internationales, etc.,toutes reconnaissent l’importance queles sciences sont appelées à revêtir, àcôté des mesures économiques, ou degouvernance, pour rompre le sous-développement. Les sciences sont d’ail-leurs en filigrane de la plupart des « grands objectifs du millénaire » (voirci-après). L’étude qu’a récemment con-duite l’Académie des sciences surl’Afrique en fournit pleinement, pen-sons-nous, l’illustration 4.

Regard porté par l’Académie des

sciences sur l’Afrique subsaha-

rienne

Dans ses réflexions sur la Science et lespays en développement, notre Académiea souvent privilégié le continent africain,même si elle n’en a pas pour autantnégligé, comme nous l’avons dit, l’Amé-rique latine, l’Asie du Sud-Est, ou les paysémergents.

Plusieurs raisons ont légitimé ce choix.La première relève d’un principe de soli-darité fondé sur un long passé historico-culturel qui, bien qu’ayant inclus lapériode du colonialisme, a peu à peuforgé en nous, une vocation et une fasci-nation pour ce continent exceptionnelqu’est l’Afrique. Le Ministre des Affairesétrangères, lors de la 10e conférence desambassadeurs, a bien décrit cet état d’es-prit « Sanctuaire de biens mondiauxessentiels, l’eau, l’espace, l’air, l’Afriqueporte en elle des trésors de sagesse etde mémoire, qu’il s’agisse du respect dûaux aînés, de l’importance de l’enracine-ment et des solidarités, d’une autreperception du temps ou de la parole. Ellea beaucoup à enseigner à notre civili-sation étourdie de modernité. C’est doncdans une logique de respect, de partageet d’échange que nous devons noustourner vers elle… Cet héritage parta-gé exige de notre part une solidarité sansfaille dans les épreuves que l’Afriquetraverse. Elle compte sur nous au mo-ment où elle est en train de définir sa pro-pre organisation régionale avec l’Unionafricaine et ses règles du jeu économiqueavec le NEPAD. Notre rôle est de l’épaulerdans ses projets et d’en être l’avocat au-près de la communauté internationale ».

� Situation socio-économiqueglobale de l’Afrique subsa-harienne5

Les épreuves, l’Afrique, et singulièrementl’Afrique subsaharienne, n’en manquepas! Elle affiche sur son territoire im-mense, et au sein des nombreux pays quila constituent, bien des traits parmi lesplus accusés et les plus douloureux duTiers-Monde. Alors que dans de nom-breux pays, autrefois frappés de sous-développement, on a assisté depuis la fin

Dossier

de la seconde guerre mondiale à une « remontée » souvent spectaculaire, àune véritable émergence socio-écono-mique, dans d’autres pays, régions oucontinents du Sud en revanche, la situa-tion de sous-développement ne s’estestompée que très lentement au coursdes dernières décennies, ou a mêmeempiré, sous les effets conjugués desgrandes endémies (SIDA et maladies dela pauvreté comme le paludisme et latuberculose), de la malnutrition ou desguerres ethniques et de l’instabilité poli-tique. A cet égard, le continent africain,si l’on excepte le Maghreb et l’Afrique duSud, continue d’abriter des pays à éco-nomie très précaire, voire de grandepauvreté.

Les chiffres ici sont d’autant plus ac-cablants qu’ils semblent indiquer unestagnation dans l’état de malheur. Ilfaut rappeler qu’en Afrique, plus de340 millions de personnes vivent avecmoins de 1 dollar par jour, que l’Afriqueest également le continent où le taux demortalité des enfants de moins de 5 ans(140 pour 1 000) est le plus élevé6 et l’es-pérance de vie à la naissance (54 ans), laplus faible ; que seulement 58 % de lapopulation a accès à l’eau potable, 18 ‰au téléphone, que seuls 41 % des Afri-cains sont alphabétisés, la non fréquen-tation des écoles touchant les filles defaçon prédominante. Selon les donnéesde la FAO, à partir du bilan de disponi-bilité alimentaire (DA), 1 Africain sur 3est en situation de sous-alimentationchronique (soit 204 millions de person-nes sur les 815 millions de sous-ali-mentés dans le monde en développement(chiffres 2004). Les conflits, toujours selonla FAO, (notamment en Afrique centraleet de l’Est) sont, avec la pauvreté et avantl’insuffisance de production, une descauses principales de la persistance dela faim à un niveau élevé. La pandémiede SIDA, quant à elle, touche les secteursproductifs compromettant la sécuritéalimentaire en Afrique australe et de l’Est.

Ces tableaux alarmants appellent toute-fois deux remarques et suscitent unequestion cardinale: la première remar-que est que, même en Afrique subsaha-rienne, on observe des variations souventconsidérables d’un pays à l’autre avec defortes disparités régionales. Ainsi, enAfrique de l’Ouest (données FAO), 16 %de la population est sous-alimentée

2 Cf. « Vietnam: enseignement supérieur et recherchescientifique », ce même numéro.

3 Cf. la revue « Planète – Science » éditée par l’Unesco,3, n° 3, p. 2 (2005)

4 Il s’agit du rapport RST intitulé « Sciences et Pays endéveloppement (Afrique subsahariennefrancophone) » à paraître au printemps 2006, EDPSciences. Nous tenons à remercier ici les membresdu groupe de travail et les nombreux contributeursextérieurs au groupe.

5 Pour une étude beaucoup plus complète du sujet, cf. l’excellent article de Stephen Smith: l’Afrique paradoxale, dans la revue « Ramsès 2005, les faces cachées de la mondialisation » (directeurs: Thierry de Montbrial et Philippe MoreauDefarges) Dunod édit., p. 111 (2005)

6 Au cours d’un très récent forum organisé à l’intiative du COPED, au Muséum national d’histoirenaturelle, avec l’appui de l’INED (Institut nationaldémographique), du CEPED (Centre d’études pour le développement), il a été fait état de ce qu’après une baisse régulière de ce taux de mortalité depuis1980, on constatait soit un arrêt de cette décrois-sance, soit même une « remontée » depuis le début de la décennie 90.

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contre 40 % en Afrique australe et del’Est, et 55% en Afrique centrale, la régionde l’Afrique où se trouve située la Répu-blique démocratique du Congo7.

Seconde remarque: devant cette situa-tion, l’Afrique ne reste pas passive. Elletente très sérieusement, et quoique puis-sent en penser certains, de s’organiserau niveau fédéral. Ainsi, en 2001, a étécréé, dans le cadre de l’Unité africaine(UA), le NEPAD (nouveau partenariat pourle développement de l’Afrique) sur l’ini-tiative des présidents de cinq pays afri-cains (Afrique du Sud, Algérie, Égypte,Nigéria, Sénégal). Confirmé au sommetde la Terre de Johannesburg en 2002, ceréseau stratégique a inscrit son rôle danscelui des « objectifs de développementdu Millénaire des Nations unies » qui viseà diminuer de moitié le taux de pauvretéd’ici à 2015 et à s’attaquer à six secteursprioritaires, comprenant des volets telsque « Éducation, Santé, Agriculture, Envi-ronnement, etc.). Il existe diverses orga-nisations pan-africaines qui, même si

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sur ce même sujet par la Commissionpour l’Afrique auprès de l’Unesco et duNEPAD. Ses conclusions ont été entéri-nées au Sommet du G8 (juillet 2005) àGleneagles; trois milliards de dollars sontaffectés à la mise en place d’un réseaurégional de centres d’excellence et cinqmilliards pour un programme de relancedes établissements d’enseignementsupérieur pour le continent africain.

Le rôle des centres régionaux d’excel-lence est conçu comme devant nonseulement servir le développement en-dogène, mais aussi combattre l’hémor-ragie des cerveaux du continent (on aévalué à quatre milliards de dollars paran le prix que paie l’Afrique pour recruter100000 spécialistes expatriés afin deremplacer ceux qui en partent chaqueannée (cf. « Planète-Science, Bulletintrimestriel d’information sur les sciencesexactes et naturelles – Vol. 3, N° 4 (oct.-déc. 2005) – Unesco).

� L’offre française en matièrescientifique

La France entretient avec l’Afrique et, gé-néralement parlant, avec les pays en déve-loppement, une coopération importanteet suivie, en dépit toutefois, ainsi que nousle verrons ci-après, de certaines diffi-cultés.

Au niveau financier, l’aide publique audéveloppement (APD) atteignait, en 2004,0,44 % du produit intérieur brut. Le Prési-dent Chirac et le Gouvernement (décla-ration du Comité interministériel pour lacoopération internationale et le déve-loppement), comme les différents minis-tères concernés, se sont engagés àaccroître ces efforts de façon très sub-stantielle pour atteindre 0,70 % en 2012 11.Au plan universitaire, la France accueille34 % des étudiants africains travaillanthors de leur continent. Plusieurs uni-versités, en Ile de France ou en régions(Montpellier, Bordeaux, Marseille, Dijon),proposent des cursus de formationspécialisée permettant de conduire à desmasters ou des doctorats liés à des pro-blématiques d’intérêt pour les pays endéveloppement.

En ce qui concerne la Recherche, laFrance est un des rares pays à disposerd’établissements de recherches scien-tifiques et techniques dévolus, soit defaçon spécifique (IRD, CIRAD), soit pourune part importante de leurs activités(Instituts Pasteur, ANRS, BRGM), auxgrandes problématiques intéressant lespays en développement. Ces établisse-ments interviennent à la fois en Francemais aussi, et le plus souvent, sur leterrain. Quant aux grands établissementsà caractère scientifique et technique,qu’ils soient généralistes (CNRS) ouspécialisés mais à vocation nationale(INSERM, INRA), ils accueillent un

elles ne parviennent pas à suppléer com-plètement aux carences et déficits detoute nature, que connaît le continent,commencent à jouer un rôle important 8.Quant aux engagements internationaux,en dehors de ceux déjà anciens de laBanque mondiale qui s’emploie à conso-lider de multiples infrastructures ou àlutter contre la pauvreté, on ne compteplus le nombre des Sommets de Chefsd’États des pays industrialisés, le dernieren date, sous l’égide du Royaume-Uni,eut lieu à Gleneagles, en juillet 2005.

Se pose, dès lors, une question tout à faitcentrale au propos de cet article. Quelsrôles les Sciences et les Techniquespeuvent-elles jouer pour l’Afrique sub-saharienne?

� État de la Science en Afrique

Cette question est d’autant plus brûlanteque, comme le perçoivent les autoritésafricaines elles-mêmes, le tissu univer-sitaire s’est beaucoup détérioré depuisces 30 dernières années, alors que dansles tout débuts de la phase post-colo-niale, il s’était nettement affermi. On as-siste à un exode massif des étudiants: en2004, selon une analyse d’Edufrance, lamoitié des étudiants étrangers tra-vaillant en France étaient africains,constituant d’importantes diasporas,avec un faible taux dans les pays d’ori-gine. Nombre d’universités africaines,autrefois fort actives, sont confrontéesà de sérieux problèmes de maintenance,de logistique, et de… surpeuplement liéà la vague démographique. Bien queconscients de l’importance des tech-niques modernes d’information et decommunication, l’Afrique subsaharien-ne demeure encore victime de « lafacture numérique », ce qui rend diffi-cile le développement de l’enseigne-ment à distance. L’Agence universitairefrancophone (AUF), le gouvernement

français et diverses fondations déploientdes efforts importants pour redressercette situation en créant des universitésnumériques9 mais la tâche demeureconsidérable. À tout cela, s’ajoute unedétérioration du niveau social et sala-rial des enseignants. Quant à l’état dela recherche il est, comme le soulignentde nombreux experts, sérieusementmenacé de fragilisation, par suite d’unevéritable « désinstitutionnalisation »(selon les termes de Roland Waast) 10,les appareils nationaux de recherches’étant en grande partie dissous. Celase traduit par la mise à disposition (auprofit des bailleurs de fonds interna-tionaux) d’un « libre marché du travailscientifique ». L’Afrique anglophone ne semble pas davantage épargnée(Nigeria, Tanzanie, Zimbabwe, etc.),même si le Nigeria et le Kenya de-meurent les deux principaux produc-teurs africains de la région subsaha-rienne (hors Afrique du Sud) entermes de publications scientifiques.L’Afrique a ainsi perdu, en 10 ans,20 % des « parts de marchés » dansl’arène des publications mondialesindexées, et contribue pour moins de3 % aux publications internationales.Devant cette situation, une fois en-core, on assiste à une prise de con-science, tant des grandes puissancesinternationales (le développementscientifique et technique figurantparmi les objectifs du millénaire) quede l’Union africaine, à travers leNEPAD et l’Unesco. L’Union africainea fait de la création d’un « réseaurégional de centres d’excellence », lecœur de son plan d’action consolidédans le domaine de la science et dela technologie. Ce plan a été adoptéà Dakar, le 30 septembre 2005,par la 2e conférence ministérielle afri-caine sur la Science et la Technologie.

Un rapport avait d’ailleurs été établi

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7 Maire B., Delpeuch F. (2000). Nutrition et alimenta-tion en Afrique du Sud du Sahara. Les défis du 21ème

siècle – Afrique contemporaine (la documentationfrançaise); 195, 156-71.

8 Ex.: CAMES (Conseil Africain et Malgache pour l’En-seignement Supérieur), FARA (Forum for Agricul-tural Research in Africa), CGIAR (Consultative Groupon International Agricultural Research), CARI(Colloque Africain sur la Recherche en Informatique).

9 Voir par exemple le récent projet pour une universiténumérique francophone mondiale lancé par la Path-finder Foundation for Education and Development(Mali) et par la Fondation pour l’innovation politique,en partenariat avec le CNES, Alcatel, l’amicale desPraticiens de l’Hôpital Georges Pompidou et l’Institutfédératif français de médecine tropicale et santéinternationale. Il concernera en premier lieu: leBurkina Faso, le Mali, le Niger et le Burundi.

10 Rapport remis au Ministère des Affaires étrangèreset à la Communauté européenne.

11 Toutefois, selon certains experts, l’APD n’apportepas que des ressources directes aux PED, car sonmontant intègre, pour une part importante, desannulations de dettes dont certaines sont de trèsanciennes créances non remboursables…

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que la mondialisation des biens et desservices ne peut laisser sur le bord de laroute un Tiers-Monde qui, selon la for-mule d’Alfred Sauvy, « veut être quelquechose » et commence à peser d’un poidsgéopolitique très important (cf. la fortepoussée altermondialiste) les impératifshumanitaires sont devenus trop criantspour laisser faire et ceux que nousimpose désormais le respect de l’envi-ronnement et du développement durablene sont pas moins urgents.

Sans une véritable consolidation du po-tentiel scientifique humain impliquantles universités, les infrastructures derecherche et les autorités mêmes despays en développement dans le cadred’un partenariat équilibré avec les paysdéveloppés, le Tiers-Monde sera vouépour des décennies à dépendre des seulsmécanismes d’une assistance économi-que plus ou moins « conditionnalisée »(Stephen Smith) provenant des bailleursde fonds nationaux ou internationaux.C’est d’ailleurs la planète tout entière quien souffrira!

Le rôle renforcé de la France, dans lesdomaines de l’Éducation et des Sciencespour les pays du Tiers-Monde, ne nousest pas seulement dicté par un principede solidarité et de respect culturel auquelnulle nation civilisée ne saurait se sous-traire, c’est aussi à ce prix que notre payss’inscrira pleinement dans la grandemouvance future des projets internatio-naux, singulièrement européens, d’am-bition planétaire �

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prise, comme dans d’autres, la Francene peut faire cavalier seul, tant les objec-tifs à atteindre sont urgents et souventlourds. Beaucoup prônent une action plusénergique de la France quant à la poli-tique de coopération que s’efforce demettre en place l’Union européenne, avecles pays en développement.

Sans doute conviendrait-il, compte-tenude l’énorme importance des enjeux quiengagent l’avenir de la planète, maisaussi face à la diversité des Institutionsscientifiques françaises, diversité salu-taire mais complexe, que leur coordina-tion soit facilitée par l’existence d’unevéritable « Agence nationale » ou d’un« comité de coordination de la recherchepour le développement ».

Conclusion

Au terme de ce long (mais, pensons-nous, nécessaire) détour par l’Afrique, oùil y aurait encore tant à dire (par exemplesur le rôle des pays du Maghreb en tantque plate-formes d’aide au développe-ment ; sur la nécessité de favoriser lemultilatéralisme africain francophone-anglophone, tout en préservant l’usagedu français comme lien culturel, maisaussi comme facteur de solidarité écono-mique et politique…), il nous faut con-clure. Quelques traits me semblentpouvoir être tirés:la recherche scientifique et techniqueavec et pour les pays en développement,et l’éducation qui fait corps avec elle, sontdésormais inscrites de façon explicitedans les objectifs du nouveau millénaire.Les pays industrialisés sont aujourd’huipleinement conscients de leur rôle. Outre

Ce tableau pourrait, à première vue,sembler pleinement satisfaisant. Pour-tant, à la faveur de sa longue étude, l’Aca-démie appelle à plus de vigilance quantà l’avenir de la recherche pour le déve-loppement. La politique qui la sous-tendmériterait d’être à la fois mieux affirméedans la nouvelle mouvance d’orientationde la recherche, plus clairement identi-fiée, et surtout mieux coordonnée.

On peut notamment exprimer le souhaitque soient rapidement mis en œuvre devrais programmes de recherche intégréeau service du développement comme l’ad’ailleurs recommandé le Haut-Conseilde la coopération internationale12. Celaimplique des efforts mieux coordonnésentre diverses institutions scientifiques.Si les possibilités offertes sont multiples,d’une part leur diversité même les rendsouvent peu « lisibles » au niveau desdemandeurs confrontés par ailleurs àdes procédures « d’éligibilité » au niveaudes universités et établissements derecherche, sur lesquelles ils semblentinsuffisamment informés. Comme l’ontrécemment admis certains ministres lorsdes « Journées de la coopération inter-nationale et du développement », orga-nisées en juillet 2005 par le MAE, il estimportant d’améliorer la capacité d’ac-cueil des étudiants étrangers. Enfin, c’estlà le plus difficile, il faut aider à la conso-lidation des équipes de recherche afri-caines, sur place, en veillant à l’aide auretour ou en encourageant la cristallisa-tion d’équipes et de réseaux à partir deschercheurs restés au pays, (à l’instar dece que pratique, depuis plusieurs années,le GIS « Aire Développement » animé parl’IRD). En outre, dans cette grande entre-

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nombre important d’étudiants africainsen liaison contractuelle avec l’université.

Le rapport « Sciences et pays en déve-loppement », consacré à l’Afrique sub-saharienne, fournit une analyse détailléedes actions de coopération scientifiqueainsi engagées à travers les grandesthématiques qui, telles la lutte contre lesmaladies infectieuses, l’épidémiologie,la recherche en nutrition, la productivitédes sols, l’hydrologie, les ressourcesgéologiques et minières, les énergiesrenouvelables, etc., sont en rapport directavec les problèmes traditionnels aux-quels l’Afrique doit faire face. Mais,comme l’indique ce même rapport,sont également prises en compte desdisciplines et des thèmes plus généraux.Ainsi, en est-il de la formation et de larecherche en mathématique, et scien-ces physiques, en informatique ou, surun autre plan, en anthropologie, démo-graphie et même bioéthique.

Notre pays offre donc un éventail trèslarge de possibilités pour une coopéra-tion d’excellent niveau à travers cesmultiples secteurs, tant en recherchefondamentale que dans les domainestechniques, grâce à ses nombreusesécoles d’ingénieur. Encore convient-il dese pencher davantage sur les conditionsdans lesquelles les étudiants, jeuneschercheurs doctorants, jeunes méde-cins, agronomes ou ingénieurs afri-cains peuvent y avoir accès, et toutautant, comment une fois formés, nantisde leurs diplômes, ils peuvent utiliser lesconnaissances acquises au service deleurs pays, une fois de retour, (si retouril y a…).

12 Le HCCJ est une instance placée auprès du Minis-tère délégué à la Coopération et au Développement.

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par Michel Jambu 2

À la fin des années 1990, le mathé-maticien Jean Dieudonné a repris

cette expression en intitulant son livre « Pour l’honneur de l’esprit humain, lesmathématiques aujourd’hui ».

Même si les mathématiciens ont souventtrouvé leur inspiration dans des pro-blèmes de la physique et inversementles découvertes des mathématiciens ontbeaucoup contribué à mieux comprendreles phénomènes du monde physique, lesmathématiques se sont longtemps déve-loppées essentiellement sans avoir pourpréoccupation essentielle les applica-tions. Jusqu’à une époque assez récente,les mathématiques ont été considérées,plus ou moins, comme un luxe que seulsles pays riches pouvaient s’offrir. Mais lasituation a profondément changé aucours des dernières décennies. L’évolu-tion extrêmement rapide des techno-logies requiert des outils mathématiquesde plus en plus fins et les mathémati-ciens ont dû sortir de leur « tour d’ivoire »pour collaborer avec des équipes pluri-disciplinaires. Ces collaborations béné-ficient autant aux mathématiques qu’auxautres disciplines. Des efforts ont aussiété entrepris pour expliquer au grandpublic l’utilité des mathématiques; onpeut citer la publication récente de laSociété mathématique de France, inti-tulée « L’explosion des mathématiques »,où les auteurs s’adressent à des nonspécialistes et expliquent le rôle trèsimportant des mathématiques dans ledéveloppement de nombreux secteurs

des activités de notre vie quotidienne.L’accès au savoir scientifique est unenécessité pour maintenir un développe-ment économique et technologique et,en conséquence, le fossé entre les paysriches et les pays du Tiers-Monde necesse de se creuser. Les jeunes les plusbrillants sont attirés par les meilleuresconditions de vie qu’offrent nos pays etla fuite des élites aggrave encore lasituation réduisant autant les chancesde développement des pays du sud quideviennent ainsi des viviers dans les-quels nous pouvons puiser.Pourtant des efforts sont faits parcertains organismes pour essayer dedévelopper les sciences dans les paysles moins favorisés et lutter contre cettetendance. Les pouvoirs publics françaisont tendance à privilégier le rôle desorganismes de recherche tels que leCIRAD ou l’IRD, dont les activités sontdédiées à des recherches directementen relation avec le développementéconomique des pays concernés. Sansméconnaître l’importance de ces orga-nismes, il y a place pour une collabo-ration forte basée sur les structuresuniversitaires et portant sur les sciencesde base, mathématiques et physique enparticulier, ceci d’autant plus que denombreux contacts existent déjà autravers des scientifiques de ces paysformés en France. En mathématiques

et dans certains domaines de la phy-sique, les investissements financierspour soutenir ces projets ne sont pastrès élevés et il y a possibilité de créerun tissu d’universitaires de bon niveauqui puissent par exemple jouer le rôled’interlocuteurs pour les acteurs de lavie économique qui s’installent dansleur pays et aider par là-même au déve-loppement économique.

La plupart des acteurs de cette coopé-ration agissent de manière individuelleavec ou sans soutien spécifique. Mêmesi les actions de coopération internatio-nale font partie des missions des ensei-gnants-chercheurs et donc de l’univer-sité, leur statut reste ambigu et elles sefont très souvent de façon bénévole.Parallèlement à ces actions individuellesquelques organismes sont tournés versle soutien aux sciences fondamentalesdans les pays en développement. Le pluscélèbre est certainement le CentreAbdus Salam de Trieste, l’InternationalCentre for Theoretical Physics, (ICTP). Ila été fondé en 1964 et ses objectifs sontde promouvoir la recherche en physiqueet mathématiques dans les pays endéveloppement, de permettre à desscientifiques d’organiser et de suivre desséminaires, de servir de forum à tous lesscientifiques du monde entier et defournir les meilleures conditions de

travail aux chercheurs. Le programmedes associés est certainement la plusgrande originalité de ce centre. L’essen-tiel des activités de l’ICTP est àTrieste. Par exemple, pour l’année 2000,environ 4000 chercheurs ont séjourné àl’ICTP, dont 2 500 venant des pays endéveloppement. Le budget de l’ICTP estde l’ordre de 17 millions d’Euros dontenviron 85 % provenant du gouverne-ment italien.Le gouvernement suédois a créé en 1961l’International Science Program (ISP), àl’université d’Uppsala. Cet organismequi soutient la recherche dans les paysen développement en physique etchimie, s’est ouvert aux mathématiquesrécemment. L’ISP aide principalementdes équipes de recherche, la constitu-tion de réseaux Nord-Sud et Sud-Sud etle séjour dans les pays du Nord de cher-cheurs du Sud, principalement del’Afrique. Son budget est de l’ordre de 3,8 millions d’Euros. Fait remarquable,le soutien de la Suède pour les sciencesde base est constant depuis plus de 40ans, ce qui permet d’avoir une politiquescientifique à long terme avec tous lesavantages et l’efficacité que cela procure.Le Centre International de Mathéma-tiques Pures et Appliquées (CIMPA) estune association du type « loi de 1901 »qui a été fondée en 1978 à l’initiative dela communauté mathématique françaisepour répondre à la recommandation2124 de la 18e session de la conférencegénérale de l’Unesco en 1974.« On étudiera la possibilité de créer uncentre international de mathématiques,en coopération avec l’Union Internatio-nale de Mathématiques (UMI) et les étatsmembres intéressés »Plusieurs universités françaises ontsouhaité accueillir un tel centre et c’esten 1978 que le choix de Nice s’estimposé. Sa vocation est d’organiser desécoles, des séminaires et d’animer desréseaux de chercheurs au profit des paysen développement, conformément auxvœux exprimés par l’Unesco:« la formation de mathématiciens venanten priorité des pays en voie de dévelop-pement (stages au cours de l’annéeuniversitaire et écoles d’été), la docu-mentation (recueil, création et diffusion).Le CIMPA a une vocation interdiscipli-

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Le CIMPA1

et les mathématiques dansles pays en développement

1 Centre international de mathématiques pures et appliquées (CIMPA) URL: http://www.cimpa-icpam.org

2 Directeur du CIMPA3 URL:

http://smf.eath.fr/Publications/ExplosionDesMathematiques4 Centre de Coopération internationale en recherche

agronomique pour le développement5 Institut de recherche pour le développement

Dans une lettre du 2 juillet 1830 adres-sée à Legendre, C.G.J. Jacobi écrit :

«… M. Fourier avait l’opinion que le but principal des mathématiques était l’utilitépublique et l’explication des phénomènesnaturels ; mais un philosophe comme luiaurait dû savoir que le but unique de lascience, c’est l’honneur de l’esprit humain,et que sous ce titre, une question denombres vaut autant qu’une question dusystème du monde ».

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naire: étude des mathématiques et deleurs applications à des problèmesconcrets, notamment ceux qui sont liésau développement »Pour mettre en œuvre sa politique scien-tifique, le CIMPA est soutenu par leMinistère de la Recherche, la Directiondes Relations Internationales et deCoopération (DRIC) du Ministère del’Éducation nationale, de l’Enseignementsupérieur et de la Recherche, pour unepart de plus en plus faible par l’Unescoet aussi par l’université de Nice (UNSA).Le total des subventions en 2005 s’éle-vait à 240000 euros et son budget conso-lidé était de l’ordre de 650000 euros. Lepremier comité d’évaluation du CIMPAqui s’est réuni en novembre 2001 sousla présidence du professeur P.L. Lions,mentionne dans ses conclusions:«… Le comité tient à souligner le fait que,malgré des moyens et des ressourcesmodestes, l’impact des activités duCIMPA est beaucoup plus important queces nombres pourraient le laisser croire.En effet, les communautés de mathé-maticiens que le CIMPA a créées oudéveloppées dans le monde induisentun remarquable effet de levier.… L’éva-luation globale est excellente :malgré des fragilités structurelleset financières, le CIMPA est réel-lement arrivé à maturité et soninfluence ne cesse de croître.L’impact mondial est considérépar le comité comme remar-quable (voire miraculeux !). LeCIMPA est idéalement placé pourêtre le leader mondial de ce typed’activités… Le CIMPA est fragile:tout repose sur l’enthousiasme etle dévouement d’une ou deuxpersonnes. … Nous estimons que(cet) objectif est réalisable àcondition de pourvoir le CIMPAd’un budget annuel consolidé de1,5 à 2 millions d’Euros. »Pour remplir sa mission, leCIMPA organise des écoles etsoutient des réseaux de cher-cheurs, des formations prépara-toires à la recherche, des sémi-naires toujours au profit des paysen développement. Les activitésscientifiques organisées par leCIMPA portent sur tous lesthèmes des mathématiques, desaspects fondamentaux aux plusappliqués, allant de la physiquethéorique à la biologie en passantpar l’économie, l’informatiquethéorique jusqu’aux sciences del’ingénieur.Une école s’adresse à des cher-cheurs débutants ou confirmésvenant des pays du Sud désirantmettre à jour leurs connaissancesou s’initier à un nouveau domaine.Le CIMPA a ainsi permet l’émer-gence de certains groupes derecherche structurés et sonaction sur le terrain lui a permis

d’acquérir une véritable expertise dessituations auxquelles les communautésscientifiques du sud sont confrontées etlui a permis d’établir des liens indispen-sables entre les mathématiciens duNord et du Sud. Rompre l’isolement desmathématiciens des pays les plus défa-vorisés, leur permettre de s’insérer dansla communauté scientifique internatio-nale, d’avoir accès à la documentation,leur donner la possibilité de définir lameilleure politique scientifique pour leurpays, sont les priorités du CIMPA. Parexemple, le CIMPA est très actif enAfrique, essentiellement auprès de lacommunauté des mathématiciens fran-cophones mais étend ses activités auxautres pays africains. En Asie du Sud-Est, un projet d’aide à la formation desmathématiciens vient d’être initié par leCIMPA au Cambodge et au Laos avecl’aide de l’Agence Universitaire pour laFrancophonie (AUF) et de l’Union Mathé-matique Internationale (UMI).

Depuis sa création, le CIMPA a organisé134 écoles et plus de 50 séminaires,stages et formations doctorales au profitdes mathématiciens des pays en déve-

loppement, avec une montée en puis-sance depuis plusieurs années. Ces acti-vités ont eu lieu pendant les 15 pre-mières années essentiellement enFrance, ensuite exclusivement dans 41pays du Sud dont 15 en Afrique, 7 en Asiedu Sud-Est et Inde, 10 en Amériquelatine et Caraïbes, 6 au Moyen orient et3 en Europe Centrale et de l’Est (horsUE). Plus de 6900 stagiaires originairesd’Afrique, d’Amérique latine, d’Asie duSud-Est, du Moyen-Orient et d’Europeont bénéficié de ces formations et ontété encadrés par plus de 700 conféren-ciers. Les actes de plus de 35 écoles ontété publiés et la plupart des cours sontdisponibles en ligne sur le site du CIMPA.

Un conseil scientifique internationalexamine les différents projets et est legarant de la qualité scientifique et del’intérêt des thèmes en fonction de larégion dans laquelle l’école ou la forma-tion aura lieu.

De leurs côtés, les pays du sud se sontorganisés pour venir en aide aux mathé-maticiens et ils ont créé leurs institu-tions telles l’UMALCA (Unión Matemà-

tica de America Latina y el Caribe), laSEAMS (Southeast Asian MathematicalSociety), l’UMA (Union MathématiqueAfricaine) et des initiatives de scien-tifiques prestigieux comme l’AMMSI(African Mathematical Millenium ScienceInitiative) se mettent en place. Descentres de recherche de très haut niveauet internationalement reconnus telsl’Instituto Nacionale de Matemàtica Purae Aplicada, (IMPA), de Rio de Janeiro,le Centro de Modelamiento Matematico,(CMM), de Santiago du Chili, le Tata Insti-tutede Mumbai, pour n’en citer que trois,témoignent de la qualité des mathéma-tiques dans les pays du sud. Le CIMPAs’efforce de coordonner ses activités avecces différentes institutions. Mais malgrétous ces efforts, de nombreux pays nesont pas en mesure de développer seulsdes activités scientifiques de niveauinternational.

Rien ne pourrait se faire sans le concoursdes mathématiciens, français pour l’es-sentiel, qui acceptent de consacrer deleur temps pour préparer des projets,les encadrer et ensuite maintenir lesrelations avec les mathématiciens du

Sud. Il ne faut surtout pas que lesécoles du CIMPA restent des acti-vités sans lendemain. Les résul-tats s’obtiennent dans la durée eton peut se féliciter d’être à l’ori-gine de nombreuses thèses etcollaborations. Récemment, lesmathématiciens espagnols ontproposé de participer à un projetde formation initié par le CIMPAau Paraguay. C’est une étape sup-plémentaire dans l’internationa-lisation du CIMPA.Des efforts sont faits pour rappro-cher les différents organismesque nous avons évoqués ici etpour en renforcer leur efficacité.L’ICTP accorde très souvent uneaide financière à nos écoles. Lesservices culturels et scientifiquesdes ambassades de France sontsensibles à la qualité de nos acti-vités et à leur retentissementdans les pays du Sud et nousapportent leur aide en prenant encharge les frais de déplacementd’un ou plusieurs conférenciersfrançais. Les différentes sociétéssavantes, la Société Mathéma-tique de France (SMF), la Sociétéde Mathématiques Appliquées etIndustrielles (SMAI), la SociétéMathématique Européenne (SME)et l’UMI sont aussi sensibiliséesaux problèmes des pays en déve-loppement. La SMF et la SMAIapportent un soutien scientifiquepar leur participation au conseild’administration du CIMPA. Maisla tâche est immense devant lefossé qui se creuse entre les paysriches et les pays en développe-ment �

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pour le Vietnam qui serait pourtant leseul à pouvoir la combattre en offrantaux meilleurs talents de sa jeunesse unedignité et une motivation suffisantes pourles retenir.

Tel est en quelques mots le contextedans lequel le Vietnam doit développerl’enseignement supérieur et la recherche.On voit combien c’est difficile. D’autantplus que le gouvernement, absorbé parles besoins en infrastructures et enénergie qu’engendre un développementparticulièrement rapide, a peu le tempset le loisir de s’offrir la vision à longterme qu’exigerait le succès. Lesurgences imposent leurs priorités et larecherche, surtout lorsqu’il s’agit derecherche fondamentale, est facilementreléguée au second plan. Comment s’enétonner quand on sait combien les scien-tifiques occidentaux doivent lutter contrecette même tendance chez leurs propresgouvernants dont la tâche sembleraitpourtant bien plus facile?

L’enseignement de la physique

à l’université

L’enseignement supérieur tient uneplace importante au Vietnam, les établis-sements qui y contribuent couvrant unlarge spectre allant d’écoles profession-nelles aux universités. Hanoi, la capitale,et Hô Chi Minh Ville, la grande cité duSud, sont les mieux nanties. Troisgrandes universités – UNH, universitépédagogique et université de technologie(UT) – enseignent les sciences à Hanoi.L’enseignement s’étend sur quatre anset l’accès en première année se fait parconcours. Le manque de coordinationentre les différents établissements d’en-seignement supérieur oblige souventles étudiants à ne se présenter qu’à unseul de ces concours, ce qui requiert deleur part un excellent jugement de leurscapacités. Comme ils en sont générale-ment dépourvus, ils ne réussissentsouvent qu’au second essai, après un anpassé à réviser le programme.Les étudiants doivent choisir leurbranche dès la première année et nepeuvent pas composer “à la carte” lemenu des cours qu’ils veulent suivre. Aucontraire, ils sont mis dans des classesdont ils doivent suivre tous les cours –leur présence est contrôlée – ce qui faitressembler les universités vietna-miennes aux classes préparatoires auxgrandes écoles des lycées français plusqu’aux universités occidentales. À l’UNH,les classes des trois premières annéescomptent chacune quatre-vingtétudiants tandis que les classes de

particulièrement difficiles et ce sont enfait deux générations qui ont été perduespour la science, que ce soit enseigne-ment supérieur ou recherche.� L’extrême pauvreté dans laquelle setrouvait le pays au sortir des années deguerre a conduit le gouvernement à fixerles salaires de la fonction publique à unniveau très bas, commensurable aveccelui du reste de la population. Bien quela pauvreté n’affecte aujourd’hui qu’unebien moindre partie de la nation, cessalaires n’ont pas été augmentés enconséquence. Ils ne couvrent enmoyenne qu’un quart des besoins deschercheurs et enseignants qui doiventconsacrer une part importante de leurtemps et de leurs intérêts à une occu-pation parallèle qui couvre les troisquarts restants. Cette situation est peupropice à encourager un enseignementet une recherche de qualité mais tendau contraire à établir des pratiquesrépréhensibles pouvant aller jusqu’à lacorruption. La modifier sera d’autantplus difficile qu’on attendra plus long-temps pour agir.� Dès la fin de 1986, le Vietnam s’estengagé dans une politique de transitionvers une économie de marché qu’il apoursuivie avec dynamisme depuis ledébut des années 1990. Les Vietna-miens, plus pragmatiques que doctri-naires et peu attirés par les idéologies –de quelque bord qu’elles soient –semblent bien s’en accommoder et nese soucient guère des incohérencesqu’entraîne la coexistence de la politiquede renouveau et de la doctrine du Parti.

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Dossier

1 Correspondant de l’Académie des sciences,professeur au laboratoire de physique desrayons cosmiques, VATLY

2 www.vaec.gov.vn/inst/english/about/vatly/vatly.htm3 VATLY, qui veut dire physique en vietna-

mien, est un acronyme pour VietnamAuger Training LaboratorY.

C’est ainsi qu’on parle aujourd’hui, sansle moindre état d’âme, de créer desuniversités privées à but lucratif. Cesdiscours contrastent violemment avecla réalité actuelle qui ne concède auxuniversités aucune autonomie: les déci-sions sont prises à l’échelon ministériel,décourageant toute initiative visant àaméliorer la situation présente. Aussi a-t-on souvent l’impression de manquerde repères pour conduire sa barque etde ne pas bien savoir à quel saint sevouer. Les modèles étrangers sont tropsouvent offerts en exemple sans qu’onait sérieusement analysé s’ils pouvaientêtre appliqués au contexte vietnamienet, dans l’affirmative, comment ilsdevaient y être adaptés.� La génération des étudiants d’aujour-d’hui a bénéficié d’un enseignementsecondaire de qualité et a vu s’ouvrirpour elle les portes de l’enseignementsupérieur. Elles étaient restées ferméespour la grande majorité de leurs parentsqui sont prêts, quand ils en ont la possi-bilité, à offrir à leur progéniture – avecl’aide de bourses assez largement dispo-nibles sur le marché – des études àl’étranger pour parfaire leur formation.Plus de 40000 étudiants vietnamiens –enseignements secondaire et supérieurconfondus – étudient à l’étranger aujour-d’hui. Malheureusement, les meilleursd’entre eux s’y voient offrir des positionstellement plus attrayantes par le salaireet les conditions de travail que celles queleur pays peut leur offrir qu’ils n’y revien-nent pas. La fuite des cerveaux qui enrésulte est proprement catastrophique

Vietnam:enseignement supérieuret recherche scientifique

par Pierre Darriulat 1

Le contexte vietnamien

L ’histoire récente a si fortementmarqué l’identité vietnamienne

qu’il est difficile de comprendre les déve-loppements actuels du pays sans s’yréférer.En moins d’un siècle le Vietnam s’estprofondément transformé : sous le ré-gime colonial de l’Indochine française,la société vietnamienne était essentiel-lement féodale, paysanne et en majoritéillettrée. Aujourd’hui l’illettrisme a prati-quement disparu, et, quand même lapaysannerie continue d’y tenir un rôlede premier plan, la république est de-venue une nation moderne qui se déve-loppe rapidement et qui tient au sein del’Asie du Sud-Est une place tout à faithonorable. Une mutation si radicale nes’est pas faite sans laisser de traces :nombreuses sont les cicatrices qui nesont pas encore fermées. Et, bien sou-vent, il suffit de gratter un peu pourtrouver, sous le masque de la moder-nité, le visage de traditions héritées d’uneculture millénaire. Qu’il suffise ici derappeler quelques faits qui permettentde planter le décor.� Il ne s’agit pas de reconstruire l’ensei-gnement supérieur et la recherchescientifiques – comme l’Europe a dû lefaire à la sortie de la guerre – mais biende les construire à partir du néant.Certes, le Vietnam, pays de grandeculture, a une longue tradition universi-taire puisque la première université y futfondée plus d’un siècle avant laSorbonne. L’accès au mandarinat sefaisait par concours et la société confu-céenne tenait la culture et les lettrés quipouvaient en jouir en grand respect.Respect qui d’ailleurs demeure profon-dément enraciné dans la société actuellequi considère l’éducation de ses enfantscomme une toute première priorité ausuccès de laquelle les familles sontprêtes à beaucoup sacrifier. Mais cetteculture était principalement axée sur leshumanités. La physique au sens large,telle qu’elle s’est développée en Europedu XVIIème au XXème siècle, était pratique-ment absente de la scène.� La résistance à l’occupation française,puis aux agressions américaines, suiviepar la lutte pour l’unification du pays, ontmobilisé pendant trente ans (1945-1975)l’essentiel des talents de la jeunesse viet-namienne. Simultanément, une fractionde l’intelligentsia a quitté le pays. La paixrevenue, la reconstruction de l’uniténationale s’est faite dans des conditions

Ce n’est qu’à la lumière de ma propre expérience que je peux parlerde l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique au

Vietnam: les lignes qui suivent n’engagent que moi et ne prétendent pasépuiser le sujet. C’est surtout de la physique que je suis familier, je le suismoins des autres sciences. Je sais qu’elles sont confrontées aux mêmesproblèmes mais leur façon de les affronter peut parfois être différente.De ma propre expérience, je dirai peu : le lecteur désireux d’en êtreinformé peut consulter notre site et y lire nos “Newsletters”. Il y a cinqans, grâce à du matériel légué par des collègues d’Europe et des États-Unis, j’ai pu créer à Hanoi, dans les locaux de l’INST, un petit laboratoired’étude des rayons cosmiques baptisé VATLY. Le but est d’y animer uneéquipe de physiciens qui puisse à la fois faire de la recherche et formerdes étudiants. L’Observatoire Pierre Auger nous offre un cadre et l’aideprécieuse de physiciens du monde entier (nous avons des contacts parti-culièrement étroits avec les équipes françaises). D’autre part, je donneaux étudiants de quatrième année de l’université nationale de Hanoi(UNH), où je suis professeur invité, un cours d’introduction à la cosmo-logie et à l’astrophysique, le seul en son genre au Vietnam. Tout celan’est possible que grâce à l’aide – matérielle et morale – de nombreuxamis physiciens que je tiens à remercier.

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Dossier

commun a conduit à Hanoi cent vingtenseignants et chercheurs d’Osaka quiy ont présenté un ensemble impres-sionnant de résultats scientifiques degrande qualité. D’une manière géné-rale, la présence japonaise sur la scènede l’enseignement supérieur et de larecherche est très visible et s’accom-pagne d’un soutien important.La France est présente à l’UNH grâceà une filière francophone qui fonctionnebien. Plusieurs systèmes de boursespermettent aux étudiants les plusdémunis de payer leurs frais d’études5.La France y tient une place de choixgrâce aux bourses Odon Vallet quiaident les étudiants les plus méritants.

La recherche

Dans l’ensemble des activités derecherche du pays, les collaborationsavec l’étranger jouent un rôle prépon-dérant. Collaborer avec un groupeétranger est en fait le seul moyen desurvivre : il existe suffisamment deprogrammes d’échange, que ce soit auxniveaux nationaux ou continentaux(Europe, Asie du Sud-est, Asie-Paci-fique), pour permettre au chercheur viet-namien de s’associer à une équipe d’unpays développé, association qui luiprocure à la fois les ressources maté-rielles et les contacts indispensables àson travail.C’est dans les domaines de la physiquede la matière condensée et de l’optiqueque la recherche physique est la plusdynamique. Mis à part ITIMS, elle estconcentrée au sein d’un organisme,l’Académie Vietnamienne des Scienceset des Technologies (AVST), qui dépenddu Ministère de la Recherche et de laTechnologie. Dix-sept instituts le compo-

quatrième année n’en comptent qu’unevingtaine et sont affectées à neuf spécia-lités différentes : physique théorique,générale, de la matière condensée,nucléaire, des basses températures,informatique, géophysique, optiquequantique, et électronique. Une classesupplémentaire, dite d’excellence,rassemble la quinzaine d’étudiants quiont obtenu les meilleures notes auconcours d’entrée. Chaque promotionde physiciens compte environ deux centsétudiants dont la quasi totalité, 95 %,obtient son diplôme. Chaque année lesétudiants passent des examens en juin, les deux tiers avec succès. Le tiersrestant les repasse en août. En casd’échec, ce qui est rare, il faut redou-bler. En fin de quatrième année l’étu-diant présente un travail de diplômedont le niveau et la qualité sont trèsvariables. L’occasion m’est ainsi donnéede choisir les étudiants que je gardeensuite pour un master parmi ceux quiviennent faire leur diplôme chez nous.Ni les ravages causés par les annéesde guerre, ni les salaires excessivementbas des enseignants, ni enfin la rigiditéde la tutelle ministérielle ne sontpropices au progrès : le niveau desuniversités vietnamiennes n’est pas àla hauteur des ambitions et des capa-cités de ce pays. Malgré la bonne qualitéde l’enseignement secondaire, aucuneuniversité vietnamienne ne figure surla liste des soixante meilleures univer-sités de l’Asie du Sud-Est. Tout le mondeen est conscient, à commencer par legouvernement, et une réelle volonté dechangement s’exprime 4. Mais les vuesdivergent quand il s’agit de définir lamarche à suivre.À part quelques notables exceptions,les universités vietnamiennes ne fontpas de recherche. Les exceptionscouvrent surtout la physique de lamatière condensée – essentiellementphysique des matériaux mais aussiphysique des basses températures etmagnétisme. Grâce au soutien deplusieurs universités européennes, enparticulier hollandaises, l’UNH et l’UTsont dotées de bons laboratoires: ITIMS(International Training Institute forMaterial Sciences) possède plusieursinstallations de qualité. Le départementde physique de l’UNH donne des cours– sanctionnés par des examens – à unecentaine d’étudiants en master et unevingtaine de doctorants dispersés dansdivers laboratoires et instituts de larégion.Les universités entretiennent des rela-tions avec celles d’autres pays dontelles reçoivent souvent des aides. Laparticipation des universités euro-péennes est particulièrement impor-tante. L’université de Da Nang jouitd’installations modernes grâce à dessubventions des États-Unis. L’UNH ades contacts étroits avec Osaka : enseptembre un forum organisé en

sent dont treize à Hanoi (mathématiques,technologie de l’information, mécanique,physique, chimie, chimie des produitsnaturels, écologie et ressources biolo-giques, biotechnologies, sciences desmatériaux, technologie tropicale, géo-logie, géophysique et géographie), troisà Hô Chi Minh Ville (biologie tropicale,technologie chimique, mécanique appli-quée) et un à Nha Trang (océanographie).L’institut des sciences des matériauxabrite une division d’optique et de spec-troscopie particulièrement active quicollabore avec plusieurs laboratoiresfrançais. L’institut de physique, récem-ment rebaptisé institut de physique etd’électronique, se consacre principale-ment à la physique théorique. L’ajout dumot “électronique” se réfère surtout àdes calculs de transport quantique maispeu à des activités expérimentales.Depuis quelques temps les nanotech-nologies ont le vent en poupe et plusieurschercheurs s’y consacrent.La physique nucléaire bénéficiait jadisde la présence à Hanoi d’un microtronde 15 MeV, cadeau de Dubna. La fin dela présence soviétique au Vietnam alaissé l’accélérateur à l’abandon fautede soutien technique et de pièces derechange. Un microscope électroniquea connu le même sort pour la mêmeraison. Le Vietnam a l’intention des’équiper en réacteurs nucléaires d’iciune vingtaine d’années pour pallier à lacroissance rapide de ses besoins en

énergie. Mais cette volonté affichée n’estpas encore accompagnée d’un effortsérieux de formation de physiciensnucléaires. Il existe cependant à Dalatun petit réacteur de recherche de500 kW, laissé là par les Américains etmodernisé par les Russes dans lesannées 80, qui est maintenu en bonnesconditions de fonctionnement par le CEAvietnamien dont l’institut de recherchesnucléaires accueille chaque annéequelques étudiants.L’AVST publie en anglais un journal,Communications in Physics. L’Institut deMathématiques, le plus beau fleuron del’AVST, publie quant à lui une revue d’au-dience internationale, Acta Mathema-tica Vietnamica, et accueille chaqueannée des mathématiciens de renomvenus de tous les coins du monde.L’AVST entretient de nombreuses rela-tions internationales et représente lascience vietnamienne à l’étranger. Il esten particulier l’interlocuteur privilégiédu CNRS qui a une longue tradition decollaboration et d’échanges avec leVietnam. Il convient ici de citer le rôle depionnier qu’a joué dans ces relations leprofesseur Henri van Regemorter et l’ac-tion du Comité pour la CoopérationScientifique et Technique avec le Vietnam(CCSTVN).

Nombreux sont les Français qui appor-tent leur aide aux enseignants et cher-cheurs du Vietnam. Ce sont bien sûr leséquipes qui sont directement associéesà un chercheur vietnamien qui sont lemieux placées pour apprécier la situa-tion et faire en sorte que leur soutien soitle plus efficace possible. Ce n’est quesur le terrain qu’on peut juger desbesoins réels. Mais de nombreusesautres initiatives sont tout aussi utiles.Je pense par exemple aux Rencontresdu Vietnam qu’anime Jean Tran ThanhVan, aux conférences internationalesqu’il organise régulièrement dans le payset qui permettent aux scientifiques viet-namiens d’établir des contacts avec deschercheurs étrangers et de mettre à jourleurs connaissances et, particulière-ment, à la Vietnam School of Physics quien est à sa douzième édition.J’espère que ces quelques lignes aurontmontré, une fois de plus, à ces nombreuxFrançais combien leur aide est appré-ciée et utile. La jeunesse vietnamienneest pleine de vie et de ressources.Souhaitons pour ces jeunes un sort plusheureux que celui qu’ont connu leursparents et grands parents, espérons queleur pays saura leur offrir l’avenir, ladignité et les responsabilités qu’ils méri-tent et qui les motiveront à construirechez eux un enseignement supérieur etune recherche de qualité. La commu-nauté scientifique internationale peututilement les y aider ; la science, sarigueur intellectuelle et son éthique igno-rent les frontières; son histoire et sestraditions en portent témoignage �

4 Le gouvernement vient de présenter à l’Assembléenationale un rapport qui insiste sur le renforcement del’éducation, de la formation, de la science et de la tech-nologie. En 2006, d’après ce rapport, l’État accorde-rait 2 % de son budget aux sciences et technologies.Mais il y a souvent loin entre la clairvoyance des rapportsfaits à l’AN et la suite qui leur est donnée par l’exécutif.

5 Les frais d’études s’élèvent à 180 kdong par mois, soitenviron le quart d’un salaire de fonctionnaire.

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par Paul Caro 2

Question:

L’International Centre for Theoretical

Physics (ICTP) a été créé en 1964 par un

futur prix Nobel, le savant pakistanais

Abdus Salam. Dans quel but à l’époque?

L’objectif est plus aisément compris àpartir de l’expérience personnelle deSalam. Après avoir obtenu son doctoratà Cambridge, il est revenu au Pakistanet a enseigné là-bas durant un an oudeux. Mais il s’est rendu compte qu’il nepouvait pas faire beaucoup de scienceparce qu’il n’y avait pas de bonnes biblio-thèques, pas de collègues avec qui parlerde recherche, ce qui étouffait sa produc-

tivité scientifique. S’il avait pu trouver lemoyen de rester en contact avec la com-munauté scientifique les choses auraientpu être différentes. Salam était dévoué àson pays mais il a réalisé que s’il y restait,ce serait un suicide scientifique. Donc, ilest revenu à Cambridge et plus tard s’estinstallé à l’Imperial College. A cause decette expérience il a cherché à créer uncentre international qui pourrait rassem-bler des chercheurs de toutes disciplinesvenant des différentes parties du mondepour travailler sur des sujets de pointeet échanger des idées scientifiques. Decette façon un bon chercheur d’un paysen voie de développement ne serait pascoupé de l’action scientifique. Le centreaurait pu être installé n’importe où, maisil s’est trouvé que les physiciens deTrieste, comme Paolo Budinich, se sontjoints à Salam et ont obtenu que l’Italieprenne l’idée à son compte. Le centreaujourd’hui est différent de ce qu’il étaitdans son enfance mais le principe debase n’a pas changé.

D’où viennent les chercheurs qui

fréquentent l’ICTP?

Il y a plusieurs catégories de chercheursde niveaux différents qui viennent àl’ICTP. Certains pour de brèves visites,

pour donner un séminaire et parler deleur travail. Une seconde catégorie estformée par les Associés, ils sont liés àl’ICTP pour une période d’environ dix ans.Ils viennent chaque année ou tous lesdeux ans, et travaillent avec nous pourun mois ou deux en fonction desressources financières et du temps dontils disposent. Pour certain d’entre euxle poids des tâches d’enseignement etles faibles ressources ne leur laissentpas le temps de faire de la recherche oud’écrire un article, ils peuvent le fairequand ils sont à l’ICTP, seuls ou en colla-boration avec d’autres. Une troisièmecatégorie est celle des post-docs dontles fonctions sont semblables à cellesqu’ils occupent dans n’importe quelcentre de recherche. La quatrième caté-gorie est formée de participants à l’unou l’autre de nos programmes. Nousorganisons entre cinquante et soixanteprogrammes par an. Certains sont desateliers à la pointe du savoir dans undomaine, d’autres sont pédagogiques.Par exemple nous avons chaque annéeun cours sur la théorie des cordes oùviennent des étudiants du monde entier.Ensuite, nous recevons des étudiants quipostulent pour un « diplôme ». Ils sontchoisis en fonction de la liste des paysles moins développés établie par les

Dossier

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1 Directeur de l’ICTP2 Correspondant de l’Académie des sciences,

directeur de recherche honoraire au CNRS

Nations unies. Ils étudient durant un anet perfectionnent leurs connaissancesen physique et en mathématiques. Nousavons actuellement trois programmesde diplôme, en physique de la matièrecondensée, en physique des hautesénergies et en mathématiques. Nousavons l’intention d’en créer d’autresbientôt dans d’autres domaines. Quandces étudiants achèvent leur travail ici, laplupart sont prêts pour entreprendre undoctorat dans une bonne université. Unautre groupe de visiteurs consiste enétudiants qui préparent un doctorat dansleur propre pays mais viennent à l’ICTPpour environ six mois chaque année. Ilstravaillent avec un conseiller ici et ontaccès aux chercheurs du centre, à sesvisiteurs, aux chercheurs de Trieste, ànotre bibliothèque, etc … Environ 50 %de nos visiteurs viennent d’Europe et desÉtats-Unis et environ 50 % des autresparties du monde mais, en temps passéau Centre, les chercheurs des pays endéveloppement représentent 75 %.

Une importante caractéristique ducentre est le mélange de gens qui ontvécu des expériences différentes, qui ontdes niveaux de compétence, de savoirs,et de réussite différents. Ils apprennentles uns des autres autant qu’ils appren-

L’ICTP de TriesteParc à Trieste.

Entretien avec Katepalli Sreenivasan1

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nent des chercheurs du centre. Deschercheurs novices comme des cher-cheurs confirmés, des chercheurs despays pauvres comme ceux des paysriches, viennent à l’ICTP et se rencon-trent. Quelques uns des enseignants denos programmes viennent des paysindustrialisés mais nous faisons degrands efforts pour trouver des ensei-gnants compétents dans d’autres partiesdu monde. Tous nos participants sontchoisis exclusivement sur la base deleurs mérites. Cet engagement à la foispour la diversité et l’excellence est ce quifait l’ICTP unique. Nous cultivons en-semble ces deux facettes.

En tout, le nombre total de visiteurs ducentre est supérieur à 100000 depuis1964. L’année dernière nous avons eu6 500 visiteurs. En plus des capacitéspropres du centre il y a aussi la possibi-lité d’attirer des chercheurs de pays endéveloppement pour travailler pour unan dans un laboratoire italien. Le nombretotal de ce type de visiteurs est de l’ordrede 1000 depuis le début de ce program-me que nous envisageons d’étendre.

Quels avantages peuvent espérer les

étudiants des pays en développement,

ou sous-développés, de leurs études à

Trieste?

On peut dire en général que les visiteursde l’ICTP enrichissent leur expériencescientifique et se préparent mieux pourconstruire leurs propres activités dansleurs pays. Les avantages pour lesétudiants du diplôme sont évidents. Cesont par nature de bons étudiants maisils ont été mal préparés pour un certainnombre de raisons et les études rigou-reuses qu’ils entreprennent ici les prépa-rent pour un travail de troisième cycle.Bien que notre mission ne soit pas defournir des étudiants pour les études dedoctorat à d’autres pays, environ lamoitié d’entre eux obtiennent un PhD enEurope et aux États-Unis dans de bonnesuniversités. Mais, même ces gens-làrestent liés à leurs pays. L’autre moitiéretourne dans les pays d’origine où ilsrestent liés à nos centres affiliés et conti-nuent à faire de la science. Ceux quitravaillent pour leur PhD dans leurpropre pays y reçoivent leur diplôme etdeviennent chercheurs et enseignants.Beaucoup des post docs trouvent despositions universitaires dans leurs pays.Quelques uns rejoignent le monde occi-dental, mais ce n’est pas vraiment unproblème. Finalement les étudiants quiparticipent à l’un de nos programmespeuvent en profiter pour aborder unnouveau domaine. Il y a des chosesnouvelles qui arrivent tout le temps.

La plupart de ceux qui sont venus dansnotre centre travaillent dans leur proprepays ou y sont étudiants. L’un de nossoucis est de former des chercheurs

TWAS élit des membres et accorde desbourses, son objectif affiché est detravailler pour le développement durable.Elle n’organise pas de réunions scienti-fiques comme le fait l’ICTP et elle n’a pasde chercheurs en résidence. La TWASorganise une réunion annuelle. Ladernière a eu lieu à Alexandrie dans laBibliothèque et ce fut un succès, laprochaine aura lieu au Brésil car lesréunions annuelles migrent d’un pays àun autre. La TWAS accueille l’InterAcademy Panel (IAP) et l’Inter AcademyMedical Panel (IAMP) et d’autres orga-nisations affiliées.

Comment est financé l’ICTP?

Nous recevons environ 80 % de notrebudget du gouvernement italien et je suisreconnaissant et ravi de la constance dece support. Nous recevons aussi desfonds de l’IAEA et de l’Unesco et, pourdes programmes spéciaux, de fonda-tions. L’un de mes buts est d’obtenir del’argent d’autres pays. L’ICTP fait beau-coup de choses qui devraient intéresserbeaucoup de gens. Par exemple noussouhaitons établir une liaison formelleavec l’Académie des sciences française.

L’importance de la science dans les paysen développement a été soulignéerécemment par une conférence sur « laphysique et le développement durable »qui a eu lieu à Durban en Afrique du Sud.Que peut-on attendre des thèmesexaminés par la conférence?

L’ICTP était l’un des co-organisateurs de cette conférence (31 octobre —2 novembre 2005). Il y avait quatre thè-mes principaux : l’éducation à la phy-sique, l’énergie et le développement, laphysique et la santé, la physique et ledéveloppement économique. Les propo-sitions de la conférence sont disponiblesà l’état de projet, mais pas encore entiè-rement finalisées.Une proposition importante est que lematériel pédagogique disponible dansle monde dans le domaine de la physiquesoit déposé dans un lieu unique et acces-sible en ligne. Il a été suggéré que l’ICTPserait un bon endroit pour cela. L’ICTPcependant ne sera pas engagé dans laphilosophie de l’éducation ou dans lacréation de méthodologies. Dans ledomaine du développement écono-mique, dans lequel la physique joue ungrand rôle, il a été décidé que soutenirl’esprit d’entreprise était essentiel. Beau-coup de gens dans la science ne saventpas comment transformer leur savoiren création de richesses, ceci est enpartie le problème dans les pays endéveloppement. Si un pays ne sait pascomment transformer sa connaissancescientifique en richesses il peut arriverà penser que la science n’a pas beau-coup de valeur et que c’est juste l’acti-vité de gens étranges intéressés par des

choses étranges! La science est mieuxsoutenue dans les pays où la liaisonentre la science et la création de richesseest bonne. Cette liaison est faible dansbeaucoup de parties du monde, maisc’est mieux en France, par exemple,qu’en Italie. Alors, nous allons fonder àl’ICTP un cours en collaboration avecl’Institut de physique britannique sur deschoses comme la propriété intellectuelleet les brevets. Nous allons accueillircette activité commune cette année.Dans le domaine de la physique de lasanté l’importance de créer un réseaude centres de formation dans la physiquede la thérapie par les radiations a étésoulignée. Il y a eu aussi quelques propo-sitions concrètes dans le domaine del’énergie.

Comment la physique de base peut-elle

aider à équilibrer développement et

durabilité?

Beaucoup de gens pensent que la « physique de base » a peu de choses àvoir avec le développement. Pourtant,qui aurait pu penser que l’Internet émer-gerait d’un Centre de recherche sur leshautes énergies ou les codes barres derecherches en optique, ou les réseauxde fibres optiques intercontinentales derecherches sur les solitons? Il y a beau-coup de domaines dans lesquels laphysique a aidé. On pense à la sciencedes matériaux mais aussi à la physiquemédicale. Plus directement pour le déve-loppement durable, la modélisation duclimat est importante et nous avonsplusieurs cours sur ce sujet à l’ICTP.Beaucoup de gens sont tués en Iranchaque année à cause des tremble-ments de terre. La physique des trem-blements de terre, le contrôle de l’acti-vité sismique et éventuellementl’invention de systèmes de prédiction,sont des objets d’études et de recherchetrès valables. C’est pareil pour les mous-sons en Asie du Sud. Les nanotechno-logies pourraient apporter des solutionspour la purification de l’eau qui reste ungrand besoin pour les trois quarts dela planète. La physique est une partied’un ensemble de recherches interdis-ciplinaires. Je pense que si quelqu’unapprend bien une branche de la physiqueil sera capable de transférer la rigueurde pensée ainsi apprise à d’autresdomaines et pourra résoudre desproblèmes qui l’intéressent, lui et sonpays.

A l’ICTP conduisez-vous des expériences,

ou des études, liées à l’environnement

ou aux problèmes du climat?

Nous ne conduisons pas beaucoup deprogrammes expérimentaux bien quemon propre groupe de recherche fassedes expériences sur l’hydrodynamiqueet qu’il y ait plusieurs petits programmesorientés vers les aspects matériels en

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actifs engagés dans leur propre pays. Lecentre ne contribue pas directementbeaucoup à la « fuite des cerveaux » quiest un grand fléau des pays en dévelop-pement. Il y a des exceptions, bien sûr,mais il y a ici un sens de la mission quiaccroche les gens aux idéaux qui sontceux que le centre a développés depuisson origine.

Qu’est-ce que le «système de Trieste»?

L’ICTP s’est installé à Trieste orientévers les pays en développement. En1983, une autre institution nomméeICGEB, le Centre international pour legénie génétique et la biotechnologie, aété constituée. Ce centre est lui aussiorienté vers les pays en développement.En 1988 le Centre international pour lascience et la technologie avancée (ICS)a été créé ainsi que SISSA (École inter-nationale pour les études avancées) quiest une institution italienne installée àcoté de l’ICTP. L’Académie des sciencesdu Monde en développement dont lesigle TWAS correspond à son nomoriginel, Third World Academy ofSciences, a été créée il y a 25 ans. Il y aquelque intérêt à donner à toutes cesinstitutions internationales une façadecommune, en partie pour des raisonsde visibilité mais aussi pour augmenterleur efficacité combinée et leurinfluence politique. C’est cela le« système de Trieste », la réunion d’ins-titutions internationales dont l’activitéest orientée vers les pays en dévelop-pement mais qui n’ont pas de gouver-nance commune. En fait les mandatsspécifiques de nos Institutions sontquelque peu différents parce que nousdépendons d’organismes internatio-naux différents. Par exemple l’ICTP estadministré par l’Unesco et il est lié aussià l’Agence Internationale pour l’ÉnergieAtomique (IAEA) de Vienne.Quelles sont vos relations avec l’Aca-

démie des Sciences du monde en déve-

loppement (TWAS)?

Abdus Salam a aussi fondé la TWAS eta été son Président jusqu’à ce que sasanté déclinante l’en empêche. Durantce temps, la séparation entre les deuxinstitutions, ICTP et TWAS était indéfinieet Salam a fait ce qu’il lui semblaitnécessaire pour atteindre ses buts. Jeles perçois moi-même comme les deuxfaces d’une pièce de monnaie. Ellesseront toujours liées parce qu’elles sonttoutes deux intéressées à construire lacapacité scientifique dans le monde endéveloppement et partout où elle estnécessaire. Le secrétariat de la TWASest logé dans les bâtiments de l’ICTP,son personnel fait formellement partiede l’ICTP donc, nous sommes directe-ment entrelacés de plusieurs façons.Cependant la TWAS est une académieet l’ICTP un centre scientifique: il y a desdifférences en culture et fonctions. La

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par Olivier Archambeau2

L a demande en matière d’enseigne-ment sur le continent africain,

particulièrement dans les pays les plusdéshérités est immense. Moins peut-être dans l’enseignement supérieur, quitend à devenir un véritable marché àl’échelle mondiale, notamment pour lesélites de ces États, qu’au niveau desformations courtes de santé publique,de la formation des maîtres d’école, del’apprentissage des savoirs techniquesde base ou encore des formations pro-fessionnelles continues. Nul n’ignoreaujourd’hui la véritable urgence à formerune population jeune dans des pays quimanquent cruellement d’infirmiers, desages femmes, de techniciens de labo-ratoires mais aussi d’instituteurs ouencore de praticiens de l’informatique.

Face à ce constat et sur proposition deCheik Modibo Diarra, navigateur inter-planétaire à la NASA, ambassadeur debonne volonté de l’Unesco et ancien diri-geant de l’université virtuelle africaine,la Fondation Pathfinder basée au Maliet la Fondation pour l’innovation poli-tique ont pris l’initiative du projet UNFM,en janvier 2005.Il s’agissait de créer une toute nouvelleuniversité qui mettrait à profit lesmeilleures technologies de l’informationet de la communication pour donner auplus grand nombre, un accès plus directà une éducation de qualité, à une éduca-tion continue et à moindre coût, dans lespays francophones les plus défavorisésd’Afrique d’abord, puis d’Asie ensuite.Aider à relever le défi de la formationdans ces pays imposait de proposer denouvelles formes d’organisation quiallaient naturellement créer de nouveauxliens nord-sud, puis très rapidementsud-sud.

Structures d’enseignement publicsouvent en retard, enseignement privébalbutiant se révélant cher et souventpeu fiable, nombre d’élèves et d’étu-diants en forte croissance, ressourceshumaines absentes et besoins cruciauxde formations étaient les principaux

frastructure scientifique là-bas. Nousavons un accord particulier avec l’Iransur les études concernant les tremble-ments de terre et avec les Roumains etles Biélorusses sur la physique théo-rique. Nous travaillons avec le gouver-nement coréen pour démarrer un nouvelInstitut. Nous avons maintenant desaccords en coûts partagés avec le Brésil,la Chine et l’Inde pour des programmesde collaboration régionaux. Nous profi-tons de chaque occasion pour élever leniveau scientifique dans un pays, souventen étant un catalyseur. Les problèmesauxquels nous devons faire face sont siimmenses que nous ne pouvons nouspermettre de perdre une occasion. Parexemple lors de ma récente visite enÉgypte, nous avons discuté d’un nouveaucentre pour les mathématiques à établirau Caire. Des efforts sont faits pour déve-lopper les mathématiques et l’optiquedans les pays du Maghreb, un projet pourlequel nous serions ravi d’avoir unecollaboration française.

Quelles sont vos attentes pour le futur?

Je suis optimiste pour l’ICTP mais in-quiet sur plusieurs fronts. L’un, naturel-lement, concerne le niveau desressources pour le centre de façon àassurer la continuité de son efficacité.Mais ce qui m’inquiète le plus est lasituation suivante : l’ICTP a soutenubeaucoup d’excellents chercheursdepuis le début aussi bien à Trieste quechez eux, certains d’entre eux ontremarquablement bien réussi malgréun environnement difficile, mais trèspeu ont réussi à construire des institu-tions autour d’eux de façon à démulti-plier l’effet ICTP. Si nous formons 50000,voire 100000 personnes, en 40 ans c’estbien, mais ce n’est pas suffisant.Certains d’entre eux devraient avoir créédes institutions stables. Nous continue-rons à identifier et à soutenir des cher-cheurs individuels parce que rien n’ar-rive dans la science sans capacitéspersonnelles et que la science estd’abord une activité individuelle. Maisces chercheurs doivent aussi s’engagerdans la très importante tâche deconstruire des institutions. L’ICTP doitdans ce but fonctionner d’une façonlégèrement différente. Beaucoup degens ne savent pas comment constituerun groupe de recherche parce qu’ilsn’ont pas d’expérience dans la manièred’articuler et de réaliser une vision oumême d’écrire un programme derecherche pour répondre à un appeld’offres ou trouver de l’argent. C’est legenre de choses qui doit s’améliorerpour aboutir à un impact à long terme.

Durant 40 ans le Centre s’est battu pourdiminuer la négativité vis à vis de la sci-ence dans les pays en développement,maintenant nous devons faire en sorteque des choses positives apparaissent �

problèmes communs rencontrés dansles ministères de l’Éducation nationaleet les universités sur l’ensemble despays de l’Afrique sub-saharienne.L’UNFM dès sa création a donc étéconstruite et pensée en complète colla-boration avec les États africains con-cernés, tant dans les structures que dansles contenus. Restait à construire leprojet autour du concept de l’enseigne-ment à distance.

L’idée en elle-même n’est pas récenteet sous une forme ou sous une autre(radio, télévision) l’enseignement àdistance a une cinquantaine d’annéesd’expérience. L’Australie l’utilise dès1940, le Bangladesh et l’Indonésie en1957, le « système universitaire de radioet de télévision » apparaît en Chine en1960 et l’Inde inaugure ses propressystèmes la même année. Aujourd’huise sont plusieurs centaines de milliersd’étudiants dans le monde qui profitentdes cours à distance, l’Inde ayant certai-nement le record d’inscrits avec plus de34 universités qui proposent ce typed’enseignement.

Aujourd’hui, pour mettre en place unsystème cohérent d’enseignement àdistance, il faut réaliser l’assemblagedes meilleures technologies du momentet des meilleures compétences. Si lesvecteurs qui permettent la transmissiondes données audio et visuelles sontaujourd’hui les réseaux internet sol, lesréseaux hertziens et satellitaires, il resteencore à choisir le type de restitutionfinale des cours. Un problème qui serésume à une simple question: e-lear-ning (travail de l’étudiant sur l’ordina-teur) ou « présence » de l’enseignant surun écran (télévision ou écran géant), cequi permet de reconstituer une salle decours en autant de lieux ou il est possiblede recevoir le signal enseignant émis endirect.

Le réseau internet sol africain n’est pasencore, loin s’en faut, suffisant pouraccueillir en tous lieux le passage d’unflux capable de transmettre son et vidéo,nous avons donc logiquement choisi latransmission satellite. Pour ce qui estde la restitution des enseignements auxétudiants, c’est la reconstitution de lasalle de classe qui a été retenue. L’étu-diant suit son cours devant un écrangéant (à Bamako ou Ouagadougou)comme si le professeur était réellementdevant lui. Un choix évident dans lamesure où nos étudiants ne sont pastous capables de se servir seul d’un ordi-nateur, même si un technicien en infor-matique est présent sur les sites et lesmachines sont disponibles.

optique, communication et instrumen-tation. Nous avons un groupe de gensqui travaillent sur les problèmes de l’en-vironnement au sens large, mais ce sontdes modélisateurs. Ils s’intéressent àdes problèmes comme la modélisationrégionale du climat, le couplage océan– continent, etc … Cela fait 10 ou 15 ansque l’ICTP s’intéresse à ces problèmesmais la question de l’énergie a étéprésente au Centre dès le premier jour.La première conférence organisée àl’ICTP était sur la fusion plasma commesource d’énergie. C’était il y a 40 ans!Nous sommes toujours intéressés parla fusion, particulièrement dans lecontexte du nouveau programme ITERqui doit être installé en France. Nouspouvons jouer un rôle en particulier enformant et en créant des liens avec deschercheurs des pays en développement.

Dans quelle mesure l’ITCP participe-

t-il à des actions avec des institutions

internationales ou des gouverne-

ments nationaux? Sur quels types de

programmes ?

Nous sommes étroitement reliés àplusieurs organisations internationalesen particulier nos institutions tutellesl’Unesco et l’IAEA. Avec l’IAEA nous avonsorganisé ensemble plusieurs cours surle management des données nucléaires,la préservation du savoir nucléaire et lerôle des isotopes. Les chercheursspécialisés dans le nucléaire disparais-sent dans plusieurs parties du mondeindustrialisé et certains pays, un de cesjours, vont devoir emprunter à la Francedes gens et du savoir ! Que ce type deconnaissances disparaisse inquiètebeaucoup l’IAEA. Un synchrotron va êtreinstallé en Jordanie sous l’égide del’Unesco. Nous formons des gens enutilisant le synchrotron ELETTRA deTrieste. Nous avons aussi créé un courssur l’économie du carbone en collabo-ration avec l’Unesco et nous collaboronsavec l’ICSU (International Council forScience) qui a un programme spécialpour le développement. Nous aurons en2006 un nouveau cours organisé avecl’IIASA (International Institute for AppliedSystems Analysis) de Laxenburg enAutriche sur le thème des remontéesd’eaux profondes (upwellings) le longdes côtes.

Sur la question de notre travail avec lesgouvernements et aux niveaux natio-naux, nous avons récemment établi unecollaboration entre les Sud-Africains etle reste des chercheurs africains sur lesnanotechnologies. L’ICTP et l’Afrique duSud partagent les coûts. Nous aidons lePakistan à créer un centre national pourla physique théorique qui, nous l’espé-rons, deviendra une institution depremier plan. Je travaille avec le gouver-nement du Sri Lanka et des chercheursexpatriés de ce pays pour améliorer l’in-

Dossier

1 UNFM: université numérique francophone mondiale2 Chargé de mission à la Fondation pour l’innovation

politique. Site de la Fondation: www.fondapol.org

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équipés et avant la fin de l’année deuxautres pays de l’Afrique de l’Ouest serontconcernés.

Si les enseignements sur la santérestent prioritaires, la formation desmaîtres, l’apprentissage de l’informa-tique et de la gestion complèteront trèsbientôt l’offre UNFM, créant ainsi unesorte de « hub » francophone pour l’édu-cation de base. La participation et lesefforts des pays partenaires qui ontaccueilli ce projet avec enthousiasme,le financement des différents pro-grammes et l’accroissement du nombred’étudiants va rapidement et sensible-ment réduire le coût des formations parétudiant, l’objectif étant de descendre endeçà des 100 dollars en moins de troisans.

En adoptant les objectifs du millénairepour le développement (ODM) lors dusommet de New York, en août 2000, quivisent entre autres choses d’ici 2015, àassurer l’éducation primaire pour tous,à promouvoir l’autonomisation desfemmes, à réduire la mortalité infan-

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Dossier

un dialogue en direct entre les étudiantset le professeur. Dans la salle de cours,les questions souvent communes entreles deux sites, sont rassemblées etenvoyées par les tuteurs.

A la suite des enseignements, les tuteurspeuvent fournir aux étudiants les expli-cations nécessaires et les aider dans laréalisation de leurs travaux pratiques.Hors des horaires de cours, les ordina-teurs restent à la disposition desétudiants de l’UNFM. Ils peuvent seformer et surtout, s’ils le désirent,visionner l’ensemble des enseignementsqui sont systématiquement enregistréssur DVD et réunis en vidéothèque.Fin janvier, les premiers contrôles desconnaissances et des enseignements ontété effectués. La première promotion desétudiants de l’UNFM recevra bientôt une« capacité en décision de santé ».

L’UNFM associe au projet un nombrecroissant d’universités francophones duSud et du Nord. Dans les semaines quiviennent les sites de Niamey au Niger etBrazzaville au Congo seront à leur tour

UNFMUne expérience

pour un enseignement de qualité dans un environnement

de pénurie

1

L’architecture de l’ensemble du systèmequi comprend les technologies de trans-missions et la mise en place des sitesd’émission et de réception (voir figure 1)est le fruit d’une collaboration entre lesdeux Fondations et les partenaires trèsactifs qui nous ont rejoints dans ce projet:l’HEGP (hôpital Georges Pompidou), leCNES (Centre national d’études spa-tiales), Alcatel, les universités de Ouaga-dougou et de Bordeaux, l’École nationaledes ingénieurs de Bamako et le Fondsmondial de solidarité numérique (FSN).La mise au point de ce « kit technique »destinée à équiper rapidement chaquenouveau site de notre université a été pensée dès l’origine pour être« réplicable » à volonté. Sur le terrain,chaque centre est dirigé par un admi-nistrateur qui est aidé d’un technicien.Des tuteurs travaillent également avecles étudiants pour un suivi pédago-gique. Ils seront bien sûr différents enfonction des formations.

L’expérience a débuté effectivementen juin 2005 à l’université de Ouaga-dougou et à l’École nationale des ingé-nieurs de Bamako. Les premières « formations santé » dispensées, con-formément aux demandes des paysconcernés, ont été élaborées parl’équipe du Professeur Michel Lebras.Cette première équipe est composéede professeurs français, burkinabés etcanadiens. Les formations compren-nent trois modules de 120 heures: déci-sion de soins et d’alerte, vaccinologiepratique, VIH / Sida, prévention de latransmission de la mère à l’enfant,répartis en 90 heures de cours inter-actif et 30 heures de travaux dirigés.Les 50 étudiants de chaque site ont étésélectionnés selon des critères mis enplace par les services des ministèreslocaux. La plupart d’entre eux tra-vaillaient déjà sur le terrain et venaientavec le désir d’acquérir une formationthéorique de base. 90 % d’entre eux nesavaient pas se servir d’un ordinateur.Les cours dispensés à partir de Paris àraison de trois heures par jour sont doncémis vers l’Afrique. Les cours s’arrêtenttoutes les vingt minutes pour permettre

tile de 2/3, à améliorer la santé mater-nelle (réduire la mortalité de 3/4), àcombattre le VIH/SIDA, le paludisme etla tuberculose, ou encore à réduire l’ex-trême pauvreté et la faim, la commu-nauté internationale a lancé un appelaux États et aux bonnes volontés dumonde entier.

L’arrivée des technologies de commu-nication performantes peut permettreun véritable saut qualitatif et quantitatifpour l’aide au développement des paysles plus pauvres. Bien utilisées, cestechnologies permettront même auxjeunes générations d’opérer un véritablerattrapage du savoir commun mondial.La grande majorité des chefs de gouver-nements africains ne s’y est pas trom-pée. Leurs présences massives ausommet mondial de la société de l’in-formation (SMSI) à Tunis, en novembredernier, a montré tout l’intérêt qu’ilsportaient à ces nouvelles voies possiblespour le développement, à ces inno-vations qui deviennent politiques. Denouvelles pratiques liées à ces techno-logies prennent maintenant leur placedans les plans de développementsnationaux.

En parallèle à cette évolution, l’appari-tion et la mise en place de nouveauxmodes de contributions supranationalesdestinées à résoudre les problèmesglobaux, taxe sur les billets d’avion,proposée par Jacques Chirac, ou « pour-cent numérique » voulu par le Fondsmondial de solidarité numérique (FSN),vont dans le bon sens. Ces nouveauxfinancements vont aider à financer denouvelles formes d’innovations pragma-tiques qui mêlent sphère étatique etsociété civile. C’est en prenant en comptece nouvel environnement, avec la plusgrande modestie mais aussi le fort désirde réussir, que l’université numériquefrancophone mondiale, sous la directionde Cheik Modibo Diarra et du profes-seur Jean-Didier Vincent, s’est fixée pourobjectif de contribuer à la réduction desinégalités, par la mise à disposition, pourle plus grand nombre, d’une éducationde qualité �

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sement dans la maîtrise des technolo-gies modernes (biotechnologies, TIC) etdans la formation universitaire, a nonseulement placé l’Afrique du Sud aupremier rang du développement scien-tifique de l’Afrique subsaharienne, large-ment contribué à la remarquable crois-sance économique du pays mais conduitaussi à sa restructuration sociale. A cetégard, rappelons que, au-delà de l’émer-gence des élites scientifiques, celle des

cadres scientifiques et techniques detous niveaux est, de nos jours, un facteuressentiel de progrès véritables. Le déve-loppement structurant d’une nouvelleclasse de cadres techniques contribuelargement au dynamisme social del’Afrique du Sud.

Cette vision est confrontée par l’évolu-tion récente de deux pays du Maghreb:le Maroc et la Tunisie où la priorité don-

née à la formation et son dévelop-pement scientifique a puissam-ment contribué à l’émergenced’une nouvelle identité natio-nale.

La science et la diffusion dessavoirs n’est pas seulement unoutil essentiel du développement,elle en est à la fois le cœur par lesprogrès qu’elle génère et qu’elleirrigue, et l’âme par le partagesocial qu’elle implique. Il estindispensable qu’au-delà desconstructions administrativesinternationales dont le nombre etla lourdeur submergent souventles jeunes états africains, unestratégie clairement définie per-mettent à ces pays, d’associer àleurs objectifs de développementdurable le développement de lascience, au sens le plus large duterme. L’émergence, à terme,d’une identité scientifique afri-caine, comme il existe désormaisune identité scientifique euro-péenne et un espace européen dela recherche, est un objectif certesambitieux mais réalisable.

Certaines initiatives récentes, tellela création du NEPAD, s’inscriventdans cette ambition mais on nepeut que regretter, que pour leprésent au moins, la place de laScience et de son émergencedans les pays africains restemodeste.

Il reste, dans ce contexte, essen-tiel que les Académies des scien-ces poursuivent sous l’égide del’IAP et de la TWAS leur missiond’appui aux jeunes académies des

pays en développement, aident à la créa-tion de nouvelles structures d’animationscientifique et favorisent par leursactions, la diffusion et le partage dessavoirs.

C’est en tout cas dans cet esprit que laDélégation aux relations internationalesde l’Académie des sciences, a orientésous l’autorité du Bureau l’ensemble deses actions et de ses projets �

par André Capron 1

L e savoir est le facteur essen-tiel du développement du-

rable. Il n’est aucun domaine dedéveloppement (santé, nutrition,agriculture, eau, énergie, environ-nement) qui ne soit fortementguidé par la Science. Bien qu’évi-dente pour beaucoup, cette affirmation est loin de guiderl’inspiration et les actions des res-ponsables politiques dans lespays en développement. Le termenécessaire à l’évaluation d’unedémarche durable n’est guèrecompatible avec les visions àcourt terme qui animent souventles ambitions politiques.

Pourtant, dans un contexte où"l’afro pessimisme" reste mal-heureusement dominant, l’exem-ple fourni par l’Afrique du Sud etcertains pays du Maghreb tels leMaroc et la Tunisie témoignentavec force combien la diffusion dusavoir et le développement de lascience peuvent rapidementpeser sur l’émergence d’unenation. Issue d’une histoire do-minée par les conflits raciaux etla misère des plus nombreux, lajeune république d’Afrique du Suda vu en quelques années se transformerson avenir. Certes, tous les problèmessont loin d’être résolus. La pauvreté etla maladie restent endémiques dans lapériphérie des grandes villes. Maisd’ores et déjà, l’effort décidé d’investis-

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Dossier

Science& développement

1 Membre de l’Académie des sciences, directeur honoraire de l’Institut Pasteur, délégué aux relationsinternationales de l’Académie

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par Jean-Marie Basset 1

Un prix Nobel français en chimie,on n’avait pas vu un tel coup de

tonnerre dans la communauté deschimistes mais aussi des scientifi-ques français depuis que Jean-MarieLehn, l’universitaire strasbourgeoisavait été le digne successeur des HenriMoissan, Marie Curie, Victor Grignard,Paul Sabatier, Frédéric Joliot, IrèneJoliot Curie, …..Et voilà que Yves Chauvin, un industrielde l’Institut français du pétrole, sortid’une respectable école de chimie deprovince, l’École supérieure de chimieIndustrielle de Lyon, vient à son tourrelever le flambeau de la chimie. MaisVictor Grignard ne sortait-il pas lui ausside cette même école très ouverte surl’industrie ? Quelle lignée ! Mais pourquelle découverte?

La métathèse des oléfines et son méca-nisme. Mais quelle est donc cette réac-tion qui concerne une des fonctionschimiques les plus simples qui soit, quechacun garde en mémoire depuis saclasse de terminale:

>C=C<

La métathèse est une réaction peubanale, spectaculaire, puisqu’elle con-siste à couper, catalytiquement, et trèssélectivement, cette double liaison C=Cen son milieu et à redistribuer les deuxfragments alkylidènes « >C= » obtenusavec ceux d’une autre oléfine à qui ilarrive le même sort. Si l’on a affaire àune seule oléfine dite « acyclique »,c’est-à-dire pour laquelle les deux extré-mités ne se rejoignent pas, on obtiendral’oléfine supérieure et l’oléfine inférieure.

>C=C< >C=C<

+ <---> +

> C = C < > C = C <

Si l’on a affaire à une oléfine « cyclique »,pour laquelle les deux extrémités de ladouble liaison se rejoignent on va obtenir

un polymère par ouverture de cycle:

Beaucoup d’autres combinaisons devien-nent alors possibles en mélangeant lesoléfines cycliques et acycliques!On voit combien cette coupure cataly-tique d’une double liaison en son milieua pu fasciner les chimistes quand ellefut découverte tant elle pouvait avoir desapplications dans des domaines aussivariés que la pétrochimie, les matériaux,la chimie de synthèse conduisant auxmédicaments, la chimie du végétal quiconduit in fine à ce qu’il est convenu d’ap-peler maintenant « le développementdurable »? Mais sa découverte ne fut pasle fait d’un seul homme, ni d’une seulediscipline, ce qui a probablement donnéau comité Nobel du fil à retordre pourattribuer son prix: ce furent plusieurschercheurs différents, en milieu indus-triel qui découvrirent cette réaction. Maisen ce qui concerne la découverte dumécanisme d’une telle réaction seul unesprit extrêmement curieux ne pouvaitau moment de la découverte faire le lienentre toutes ces disciplines et cethomme fut Yves Chauvin. Alors que lesuniversitaires donnaient au métal detransition le rôle magique de transfertélectronique concerté de deux oléfines« coordonnées » à un métal de transi-tion grâce à la magie des orbitales d,

C=C C CM ----> II M II

C=C C C

Yves Chauvin étudiait simplement, prag-matiquement, et de façon raisonnée,parce que s’intéressant à plusieurs disci-plines de la chimie, la métathèse « croisée » entre une oléfine cyclique etune oléfine acyclique et concluait simple-ment que ce « manège » ne rendait pascompte des produits obtenus. Il fallaitinventer une nouvelle classe d’intermé-diaires réactionnels les métallocarbènesqui serviront à la fois d’ « amorceurs »en polymérisation et d’intermédiairesen métathèse.

C=C C C+ ---> II II

M=C M C

Ces intermédiaires métallocarbéniquesseront synthétisés par Dick Schrockquelques années plus tard et cette dé-couverte sera elle aussi reconnue par le

réaction nouvelle qu’ils appellent « dis-proportionation des oléfines » en adsor-bant Mo(CO)6 ou W(CO)6 sur alumine:par cette réaction le propylène sedismute en éthylène et en butène-2 àdes températures assez élevées.

- celle de Gulio Natta qui découvre en1964 la polymérisation du cyclo-pentènepar ouverture de cycle avec desmélanges WCl6 et AlEt 3. Pour être toutà fait exact, Gulio Natta propose parerreur que l’ouverture de cycle ne sefasse pas sur la double liaison elle-même mais en alpha de la double liaisonce qui ne facilite pas à l’époque une visionclaire du mécanisme!

Yves Chauvin a alors l’intuition que ces2 réactions, contre l’avis général del’époque, l’une utilisant une oléfine cy-clique et l’autre une oléfine acyclique,l’une en catalyse homogène et l’autre encatalyse hétérogène, l’une en chimie« moléculaire », l’autre en chimie « ma-cromoléculaire », obéissaient au mêmemécanisme d’activation de la doubleliaison: alors que les mondes de la cata-lyse homogène et hétérogène s’igno-raient, il jette des passerelles d’une créa-tivité assez exceptionnelle à l’époque.Exceptionnelle, parce qu’on peut le direaujourd’hui, le monde de la chimie ma-cromoléculaire était assez éloigné decelui de la chimie moléculaire et celuide la catalyse hétérogène de la catalysehomogène.Il vérifie d’abord expérimentalement leconcept qu’il avait intuitivement formulédans un compte-rendu de l’Académiedes sciences de 1969 dans lequel il dé-montre que le tungstène métallique, lesoxydes de tungstène, les complexes ho-mogènes du tungstène, associés ou nonà des acides de Lewis catalysent la mé-tathèse de différentes oléfines.

Ayant démontré que l’élément W, qu’ilsoit utilisé en catalyse homogène ouhétérogène était l’élément crucial, ilaborde le mécanisme de cette réactionpar des études a priori fort simples, maisencore fallait-il les concevoir et les réa-liser avec son élève Hérisson, de méta-thèse croisée entre le cyclo-pentène etle pentène-2.

Question d’actualité

comité Nobel. Quant à la réaction mêmeelle va prendre son envol synthétiquedans les années 95 par la découverted’un catalyseur stable à l’air et donc utili-sable par les chimistes organiciens lecatalyseur dit de Grubbs. L’outildeviendra si utile aux chimistes orga-niciens que la métathèse devait êtrecouronnée par un prix Nobel. Le trio« Chauvin, Schrock, et Grubbs » s’impo-sait de fait. Mais tout le mérite de ladécouverte d’un mécanisme extrême-ment original qui allait devenir le« mécanisme de Chauvin » revenait bienévidement à ce chercheur passionné quipoursuit ses recherches dans le « labo-ratoire de chimie organométallique desurface » du CNRS et de CPE son an-cienne école et qui l’accueille depuis 10 ans.

Mais essayons de situer Yves Chauvin,cet homme d’une immense modestie,dans son contexte et de voir comment ila été amené à faire cette découverte quiallait à l’encontre de tous les schémasde pensée des années 70.

Yves Chauvin fraîchement diplômé del’École supérieure de chimie industriellede Lyon devenu depuis CPE-Lyon en1954 rentre à l’IFP en 1960 comme cher-cheur en catalyse homogène. KarlZiegler ( devenu prix Nobel de chimie en1963) avait découvert la polymérisationde l’éthylène en 1953 et Gullio Natta (luiaussi prix Nobel la même année) celledu propylène en 1954. Il vit alors la mer-veilleuse période de l’explosion de lacatalyse de polymérisation des oléfinesqui, à cette époque, était souvent lerésultat de l’association d’un halogénuremétallique, souvent des métaux desgroupes 4 et 5, avec un alkyle aluminium,ce que certains gourmets ont appelé parla suite « Soup Chemistry » mais enfin!C’est une « recette » qui fonctionneencore de nos jours dans la plupart desunités industrielles de polymérisation,d’oligomérisation, de dimérisation, voired’hydrogénation des oléfines ou descomposés aromatiques. Il réalise d’ail-leurs dans ces domaines deux percéesindustrielles majeures l’une en dimé-risation du propylène en essence (pro-cédé Dimersol@) et l’autre de l’éthylèneen butène-1 (procédé alpha-butol@),probablement les deux procédés indus-triels les plus importants en volume dela catalyse homogène pétrolière.Toutefois, deux découvertes apparem-ment fort éloignées attirent son attention:- celle de Banks et Bayley à la PhilipsPetroleum qui observent en 1964 une

Le mécanisme de Chauvin

1 Membre de l’Académie des sciences, directeur de recherche au CNRS

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Le débat sur le mécanisme de la méta-thèse n’a pas été clos par cette publica-tion dans makromolecular chemie de1971. Il est longtemps resté ignoré carpublié en français dans une revue depolyméristes. Grubbs, Katz et Mac Ginisont repris des expériences identiques àcelles de Chauvin mais avec la méta-thèse croisée cycloctène, 2-hexène etont conclu de façon identique en 1975 enfaveur d’un mécanisme métallocarbé-nique en obser-vant une distribution en

accord avec un mécanisme « non pair-wise ». Ce fut Charles Casey qui rendità Chauvin ce qui revenait à Chauvin dansun article publié en 1975 dans le presti-gieux Journal of the American Chemical

Society ce qui mit fin définitivement à lareconnaissance de parternité du méca-nisme.

Chaque chimiste organicien sait cequ’est devenu la métathèse des tempsmodernes : un formidable outil desynthèse dont on voit tous les jours unpeu plus les domaines d’applicationss’élargir. Chaque fois que l’homme del’art a besoin de construire un édifice

moléculaire, macromoléculaire, supra-moléculaire, dendrimère, il est obligé des’en référer au «mécanisme de Chauvin»qui n’impose aucune restriction à l’ima-gination. Nombre de médicaments encours de validation en phase II et mêmeIII, sont issus de synthèses organiquesayant au moins une étape de métathèse.Cela dit, on ne peut s’empêcher des’émerveiller de toutes ces structuresqui voient le jour à partir de ces métal-locarbènes: figure 6 �

Dans un autre registre, la redistribu-tion des coupes pétrolières fait de plusen plus appel à cette réaction de méta-thèse : des unités de production depropylène de un million de tonnes/ansont en cours de construction en ArabieSaoudite alors qu’au Texas les unitésrécentes développées par BASF et Totalse content de capacité de 400 000tonnes/an.

Et l’on peut imaginer le nombre impres-sionnant de molécules de propylènequi vont passer sur les métallocar-bènes dans ces procédés industriels ;un million de tonnes de propylèneseront produits chaque année surseulement quelques kilogrammes demolybdène, le tout fonctionnant defaçon répétitive, en obéissant aveuglé-ment et sans erreur au « mécanismede Chauvin » �

Les produits obtenus ne peuvent mani-festement pas s’expliquer par un échan-ge symétrique des 4 fragments alkyli-dènes autour du métal. Il imagine alorsqu’il faut créer une double liaison entrele métal et l’un des deux fragments oléfi-niques pour expliquer à la fois la distri-bution dissymétrique des produits etsurtout les grandes masses molécu-laires observées lors de l’étape initiale

de la métathèse du cyclopentène. C’estdans une publication rédigée en fran-çais, dans une revue de polymérisa-tion européenne « Die MakromolekularChemie » qu’il rédige ses observationset son mécanisme devenu depuis le « mécanisme de Chauvin »:figure 4

Ce qui frappe dans ce mécanisme c’estsa modernité puisqu’on y retrouve déjàle mécanisme, ou les prémices de méca-

nismes, d’un nombre impressionnant deréactions dérivées de la métathèse etqui sont enseignées dans les ouvragesuniversitaires comme des classiques.figure 5 �

D’une simplicité remarquable, cemécanisme reposait sur des com-plexes métallo-carbéniques de typeW=CH2 inconnus à l’époque. Certes,E.O Fisher lui aussi prix Nobel dechimie en 1973, avait isolé des com-plexes carbéniques du tungstène sta-bilisés par des hétéro-atomes maisces carbènes nucléophiles se sontrévélés quasiment inactifs en méta-thèse des oléfines.

Mais avant de décrire ces expériencesau moment où elles ont été réalisées etconçues il faut revoir, à nouveau lecontexte scientifique de l’époque: toutle monde était convaincu que les deuxoléfines jouaient le même rôle dans unballet concerté où le métal de transitionfavorisait un transfert électroniqueconcerté tel que celui représenté ci-dessous: figure 1�

Mais ce type de mécanisme « symé-trique » ou « pairwise » n’expliquait pasles fortes masses moléculaires obser-vées au cours des premiers instants dela polymérisation du cyplopentène. Eneffet, si le mécanisme avait été de type« pairwise » alors on aurait du avoir, autout début de la réaction, des oligomèrescycliques qui progressivement auraientdonné des chaînes plus longues. Or, cen’est pas le cas. figure 2 �

Seuls les polyméristes qui croient en1970 à une identité de mécanisme entrepolymérisation par ouverture de cycle,métathèse en catalyse homogène etdisproportionation des oléfines en cata-lyse hétérogène et qui observent ce quise passe au tout début de la polyméri-sation peuvent mettre en cause lefameux mécanisme « pairwise ». YvesChauvin fait parti des deux mondes!

Les expériences conçues avec Hérissonconsistent à réaliser la métathèse dite« croisée » entre une oléfine cyclique, lecyclopentène, et une oléfine acyclique,le pentène-2-cis, et à observer lesproduits obtenus dans des conditionscinétiques c’est-à-dire à conversionvariable: figure 3 �

Question d’actualité

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fig. 1

fig. 2

fig. 3

fig. 4

fig. 5

fig. 6

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La vie des séancesCarnet

Notre confrère Pierre Potier nous aquittés brutalement le 3 février

2006. C’était l’un des chimistes françaisles plus remarquables de sa génération.Il était membre de notre compagniedepuis 1988, membre de l’Académie depharmacie, de l’Académie des techno-logies et de l’Academia Europea.Grâce à sa formation de pharmacien, saprofonde connaissance de la médecineet de la chimie en particulier celle desproduits naturels, il avait un regard parti-culièrement aigu et original sur de trèsvastes domaines de la Science.La majeure partie de sacarrière s’est déroulée ausein de l’Institut de chimiedes substance naturellesde Gif-sur-Yvette qu’il adirigé de nombreusesannées et dont il avait faitun magnifique outil detravail. Maintes fois honoréde prix français et interna-tionaux, il a reçu en 1998la médaille d’or du CNRS.Il avait été élevé au rangd’Officier de la Légiond’honneur par le Présidentde la République et étaitCommandeur dans l’Ordrenational du Mérite.

Sa première réussite a étéla découverte d’une réactionde préparation d’alcaloïdesindoliques complexes ou-vrant ainsi la voie à la pré-paration à grande échellede la vinblastine, une im-portante molécule naturel-le anticancéreuse pré-sente dans la pervenche de Madagascar. Cette ré-action lui permit ensuite dedécouvrir par la suite undérivé non-naturel qui conduisit à la Navelbine‚ maintenant largement utilisée dans le traitement du cancer du sein et de certains types de cancers dupoumon.Au milieu des années 80, il fut le premierà proposer une hemi-synthèse d’unautre anticancéreux, le taxol. Il décou-vrit que l’on pouvait extraire des feuillesde l’If européen, Taxus baccata, unemolécule apparentée, la désacétyl-baccatine, et la transformer en peud’étapes et en grandes quantités entaxol; des dizaines de laboratoires mon-

diaux se sont acharnés, sans succès,à trouver une meilleure solution. Tourde force supplémentaire, il mit enévidence parmi les composés intermé-diaires de cette hémi-synthèse, un com-posé non naturel (et donc plus facile-ment brevetable) plus actif que le taxollui-même et présentant un spectre d’activité plus large: cette découverteconduisit au Taxotère‚ qui constitueactuellement le principal traitement denombreux types de cancers. Avec unchiffre d’affaires mondial de plus de 1,5milliard d’euros, ces deux découvertes

majeures font sans doute de PierrePotier l’un des inventeurs les plusrenommés du monde académique.

Les réalisations de Pierre Potier ne serestreignent pas à ces deux découvertes.Scientifique infatigable, il est auteur deprès de 460 publications, de livres et denombreux brevets. Dans « Le Magasindu Bon Dieu », il parle de sa vie, décritson parcours scientifique et sa motiva-tion principale: lutter contre les mala-dies et la souffrance de l’Homme en utili-sant les ressources que la Nature

nous offre. Il s’y est con-sacré jusqu’aux derniersinstants de sa vie. Sondernier message à une deses collaboratrices était :« Elles sont belles nosmolécules, n’est-ce pasJoanna? ». Il a aussi construit un puis-sant réseau de relationsentre la chimie française etcelle de grands pays com-me les USA, la Chine et leJapon. Il a également tou-jours aidé de nombreuxpays moins développés àvaloriser les ressources deleur biodiversité. Il y esttrès respecté et comptebeaucoup d’amis dans lemonde entier.

À l’Académie comme ail-leurs, ceux qui ont ren-contré Pierre Potier n’ou-blieront jamais l’homme:chaleureux, profondémenthumain et attentif aux dif-ficultés de chacun, dotéd’un grand sens de l’hu-mour et de la formuleainsi que d’une énergie

exceptionnelle. C’était un « leader »,truculent, pugnace et un redoutablehomme d’affaires. Pionnier du dévelop-pement des coopérations entre cher-cheurs académiques et industriels,c’est lui qui, en tant que Directeur gé-néral de la Recherche et de la Techno-logie au Ministère de la Recherche de1994 à 1996 a défini les règles ac-tuellement en vigueur pour le partagedes bénéfices issus de brevets. Cechercheur découvreur de moléculesrestera un modèle de la réussite dansle monde de la recherche �

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Séminaire inter-

académiquefranco-brésilien

Disparitionde Pierre Potier

L e 10 Octobre dernier une journéefranco-brésilienne s’est tenue à

l’Académie des sciences pour marquerl’année du Brésil en France. Nos rela-tions scientifiques avec le Brésil sontparticulièrement intenses et de nom-breux Membres de notre Compagnie serendent régulièrement au Brésil etaccueillent dans leurs laboratoiresfréquemment des collègues brésiliens.La matinée du 10 octobre a été consa-crée à quatre mini-colloques trèsanimés, en parallèle deux à deux, con-sacrés:• aux mathématiques (organisateurs

Jacob Palis, vice-président de l’Aca-démie des sciences du Brésil etAssocié étranger de la nôtre, et Jean-Christophe Yoccoz),

• à la physique (organisateurs MoyesNussenzweig et Guy Laval),

• à la chimie (organisateurs FernandoGallenbeck et Michel Pouchard)

• et à la biologie (organisateurs WilsonSavino et André Capron).

L’après-midi, dans la grande salle desséances, a été consacrée à la signatured’un accord de coopération renforcéeentre nos deux Académies, prévoyant enparticulier la répétition annuelle derencontres thématiques (avec le soutiendes Affaires étrangères), après lesdiscours du ministre brésilien LuisFernandez, du président de l’Académiedu Brésil Eduardo Krieger (qui co-préside avec notre Confrère Yves Quérél’InterAcademic Panel), du directeurgénéral de la Coopération internationaleet du Développement Philippe Etienneet du président de l’Académie dessciences Édouard Brézin. L’atmosphèrede cette journée a été exceptionnelle-ment animée et chaleureuse �

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La vie de l ’Académie

Publication de l’Académiedes sciences

23, quai de Conti 75006 PARISTel: 01 44 41 43 68Fax: 01 44 41 43 84http: www.academie-sciences.fr

Directeur de publication:Nicole Le Douarin

Directoire:Nicole Le DouarinJean Dercourt

Rédacteur en chef:Jean-Didier Vincent

Secrétariat général de rédaction:Marie-Christine Brissot

Conception graphiqueNicolas Guilbert

Photographies:p.p. 1, 3, 4, 6, 7, 9, 11, 12, 16, 20photos N. Guilbert

pp. 2, 3, 8, 10, 12, 14, 15, 16, 17, 19, 20,photos (DR)

La rédaction remercie l’ensemble du personnel et les enfants de l’écoleprimaire de Tamarin, l’île Maurice, ainsi que Tam.

Comité de rédaction:Jean-François Bach,Roger Balian, Édouard Brézin,Pierre Buser, Paul Caro,Brigitte d’Artemare,Jules Hoffmann, Alain Pompidou,Pierre Potier, Érich Spitz, Jean-Christophe Yoccoz

Photogravure & impression:Edipro Groupe01 41 40 49 00

n° de C.P. : 0108 B 06337

la lettre n0 18 / hiver 2005

de l ’Académie des sciences

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Yves Chauvindirecteur de recherche honoraire à l’Institut français du pétrole

Marc Fontecave professeur à l’université Joseph Fournier à Grenoble

Discipline“Biologie cellulaireet moléculaire”

Jean-Marc Egly directeur de rechercheINSERM à l’IGBMC

Marcel Mechali directeur de recherche au Centrenational de la recherche scientifique

Discipline“Biologie intégrative”

Denis Duboule professeur à l’université de Genève

Margaret Buckingham professeur et directeur du Département de biologie du développement de l’InstitutPasteur

Jean-Dominique Lebreton directeur de recherche au Centrenational de la recherche scientifique

Discipline“Biologie humaineet sciences médi-cales”

Diego Sebastian Amigorena directeur de recherche au Centrenational de la recherche scientifique

Stanislas Dehaene professeur au Collège de France,Chaire de psychologie cognitiveexpérimentale

Michel Le Moal professeur émérite à l’universitéVictor Ségalen de Bordeaux

Charles Pilet professeur émérite et directeurhonoraire de l’École nationale vétérinaire d’Alfort,président honoraire de l’Académienationale de médecine

Discipline“Inter-sectiondes applicationsdes sciences”

François Baccelli (section de rattachement: Sciences mécaniques et informatique)directeur de recherche à l’INRIA

René Blanchet (section de rattachement: Sciences de l’univers)professeur des universités

Discipline “Mathématique”

Gilles Lebeau professeur à l’université de Nice-Sophia-Antipolis

Jean-Pierre Ramis professeur à l’université Paul-Sabatier à Toulouse

Discipline“Physique”

Catherine Bréchignac Présidente du Centre national de la recherche scientifique

Daniel Estève directeur de recherche auCommissariat à l’énergie atomique

Denis Jérome directeur de recherche au Centrenational de la recherche scientifique

Discipline“Sciencesmécaniques”

Roland Glowinski professeur à l’université de Houston

Élections de MembresL’Académie des sciences lors du comité secret du 29 novembre 2005 a procédé à l’élection de 25 nouveaux Membres

Jean-Baptiste Leblond professeur à l’université Pierre et Marie Curie

Discipline“Sciencesde l’univers”

Hervé Le Treutdirecteur de recherche au Centrenational de la recherche scientifique,professeur à l’École polytechnique,directeur du laboratoire de météo-rologie dynamique

Daniel Rouan directeur de recherche au Centrenational de la recherche scientifique

Paul Tapponnier physicien à l’Institut de physique du globe de Paris

Discipline“Chimie”

Pierre Braunstein directeur de recherche au Centrenational de la recherche scientifique

Bruno Chaudret directeur de recherche au Centrenational de la recherche scientifique

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