A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS...

145

Transcript of A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS...

Page 1: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre
Page 2: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre
Page 3: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

APROPOSDESAUTEURS

Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre en scène deshéroïnesfougueusesdontlesamoursagitéesnoustiennentenhaleinejusqu’àladernièrepage.

MichelleWillingham,l’unedesauteurspharesdelacollection«LesHistoriques»,aréussileparideréunirsesdeuxpassionsd’enfance,l’Histoireetl’écriture,etcepournotreplusgrandplaisir!

Née aux Etats-Unis de parents philippins, Linda Skye a parcouru lemonde au côté de sonmarimilitaire, avant de s’établir en Angleterre. Aujourd’hui, elle partage son temps entre ses cours delittératureanglaiseetl’écriturederomansquinoustransportentdansdesuniversexotiques.

AmandaMcCabeaécritsonpremierromanhistoriqueàseizeansseulement.Depuis,nombredesestitresontétéprimésauxEtats-Unis.Soussaplumealerte,elledonnevieàdefougueuseshéroïnesauxprisesaveclesévénementsdel’Histoire.

Page 4: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Chapitre1

Londres,été1818

Constancecontemplait,admirative,letableau.UnportraitexécutéparuncertainThomasLawrenceenmai1817.Apeineunanplustôt.

Son célèbre collier de perlesmettant en valeur sa peaumate, et sa chevelure auburn tombant encascade jusqu’au creux de son dos, la femme posait, lascivement étendue sur une méridienne. Etcomplètement nue, hormis le peignoir de dentelle qui drapait négligemment le bas de ses reins. Sapoitrine pleine était si bien représentée que Constance crut distinguer un mamelon. Cette beautéflamboyantenedonnaitpasl’impressionderegardersimplementdevantelle,maisdefixerquelqu’un.Unamant, peut-être. Sous ses paupières mi-closes, son regard se faisait séducteur ; ses lèvres pleinesesquissaientunsourirealangui.

Le portrait était provocant, d’un érotisme flagrant qui dérangeait quelque peu Constance. Elleeffleura du bout des doigts les perles qui ornaient aujourd’hui son cou tandis que montait en ellel’impressionétranged’observeruneautreversiond’elle-même.Sonimageinverséeetignorée,undoublesensuelresté,pendanttoutescesannées,prisaupiègedesarespectableexistenceetdesescontraintes.

Leslarmesembuèrentsesyeux,luibrouillantlavue.Annalisa!Constance ne l’avait pas connue à l’époque où, dans le plein éclat de sa séduction, elle était

devenueLaPerla,lapluscélèbreetlaplussollicitéedescourtisanesdeLondres.Lafemmetoutefrêlequiétaitarrivéesurleseuildesaportedansdescirconstancesaussidramatiquesqu’inattenduesn’étaitplusalorsque l’ombrede labeauté flamboyante révéléepar leportrait.Minépar laconsomption,soncorpsétaitdéjàrongédel’intérieur.

Annalisa.LaPerla.Sajumelle.Constancese tamponna lesyeuxavecunmouchoirdedentelle. IlavaitappartenuàAnnalisa, tout

commelamaisonoùellesetrouvaitencemomentetlarobequ’elleportait.Cebesoin impérieuxdepénétrerdans laviedesasœur luiavaitd’abordparubizarre.Maiselle

avaitensuite sentiqu’enagissantde la sorte,ne serait-cequepourquelquesheures, ellecomprendraitpeut-êtremieuxcettecréaturesiétrangedontelleignoraitencorel’existencesixmoisplustôt.

Se détournant du tableau, elle passa la main sur le couvre-lit de satin. Cramoisi. Ecarlate.Vermillon.Lescouleursdupéché.

Unfrissond’excitationparcourutsapeaucommeunebrised’été.« Pécheresse. »C’est ainsi que Granville, son défunt mari, aurait qualifié Annalisa s’il l’avait

rencontrée. Granville, l’ecclésiastique qui s’était acquitté de son devoir conjugal comme de ses

Page 5: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

confessions dominicales, avec le même dégoût appliqué… Pourtant, les quelques détails qu’AnnalisaavaitrévéléssursaviedepécheresseavaientdonnéàConstancel’envied’ygoûteretd’ensavourerleplaisirillicite.Justeunefois.Uneseule.

Au-dessusdulit,ungrandmiroirétaitencastrédansleplafond.Surlecôtésetrouvaituncoffretdenoyer empli d’objets exotiques dévolus à un usage qu’elle ne pouvaitmême pas imaginer.Une cordegainée de velours, de grandes plumes multicolores… Un peu plus loin, le doux sourire et les robesraffinéesdecequ’ellepritd’abordpourdespoupéescachaientenfaitdesobjetstaillésdansl’ivoireetreprésentant—sesjouesdevinrenttoutesrougeslorsqu’elles’enaperçut—unsexed’homme.CeluideGranvillen’avaitjamaisétéaussidurniaussigrandqueceux-ci.

Effleurantduboutdesdoigtsdesfiolescontenantdeshuilesodorantes,glissantsonpoignetdanscequi ressemblaitàdesmenottesmolletonnées,elleessayaitdese représenter l’obscurmondedeplaisirquiavaitétéceluidesasœur.Aquoiressemblait-il?Queressentirait-ellesielledevenaitAnnalisa?Siellepéchaitavecunhommeviril,unhommepuissant,unhommedésirable?

Ellefermalesyeux,caressasesjouesaveclesplumesetfrémit.Ici,danscetempledelachair—ledomained’Annalisa—elle imaginaitpresqueleplaisirexquisquel’onpouvaitenretirer.L’excitationmontaenelle.

Elles’abandonnaàl’atmosphèredécadentequirégnaitautourd’elleetpoursuivitsonexplorationdelachambre.Unemallecontenaitdessous-vêtementsaudacieux,auxcouleurssomptueusesetauxtexturessublimes clairement destinées à échauffer, exciter, provoquer. Elle enfila lentement une paire de basnoirs,appréciantleurcaressesoyeuseàmesurequ’ellelesdéroulaitlelongdesesjambes.

Dansunearmoire,elledécouvritdesmulesauxtalonssertisdebijouxetarrêtasonchoixsurunepairedontl’écarlatesemariaitparfaitementauxrubansdesonporte-jarretelles.Puisellesoulevasarobepourjugerdel’effetdanslemiroir.S’inspirantduportraitd’Annalisa,ellesouritdemanièreprovocante.Maintenant,ellenese reconnaissaitplusdu tout.Malgréses traits familiers, la femmequi la regardaitétaituneétrangère,dotéed’uneséductionaussiassuréequevoluptueuse.Avantcetteminute,jamaisellen’auraitimaginépouvoirdégagerunetellesensualité…

***

Dans la boîte à bijoux d’Annalisa se trouvait un coffret fermant à clé, contenant des potionsvraisemblablementcenséeslaprotégerdesconséquencesdupéchéoùellevivait.

Aucunedesdeuxsœursn’étaitmère.PourAnnalisa,celarelevaitd’unchoix.PourConstance,d’unetragédie.

«Mafemmestérile»,c’estainsiqueGranvillel’appelait.Soncœurseserra.Ladouleursecrèteluiarrachaunepetitegrimacetandisqu’ellerefermaitlecoffret.

Letintementdelasonnettedelaported’entréelafitsursauter.Quicelapouvait-ilêtre?Personnenesavaitqu’ellesetrouvaitlà.Lorsdesondépart,consciente

qu’ellenereviendraitpas,Annalisaavaitdéfinitivementfermélamaison.Iln’yavaitplusdeserviteurs.Onsonnadenouveau.Soulevantlasoiebleumarinedesarobe,Constances’engageadanslehallavecprécaution.Sous

l’étoffe,lebruissementdesesjuponsétaitd’unesensualitéextrême.Lestalonsextravagantsdesesmulesdesatinclaquaientsurlesdallesdemarbre.Lasonnetteretentissaitàprésentencontinu.Etsileheurtoiravait été supprimé, le poing qui s’abattait en même temps sur la porte avec autant de lourdeur qued’impatienceleremplaçaitbien.

***

Page 6: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Apeineeut-elletournélacléquelaportes’ouvritsibrusquementqu’ellereculaenvacillantsurseshauts talons.Levisiteur la retintd’unemain ferme.Elle leva lesyeux,puis les levaplushaut encore,jusqu’auvisagedel’homme,sibeaudanssonaustéritémêmequ’elledutcherchersonsouffle.Ilavaitdescheveux noirs et brillants, d’une longueur inhabituelle. Leurs pointes tombaient en bouclant sur lablancheur immaculéedesonplastron.Sousd’épais sourcilsnoirseuxaussi, sesyeuxsemblaientde lamêmecouleur,maisdevaientenréalitéêtremarron.Sonnezétaitfort,saboucheétonnammentsensuelle,sa peau brune, presque basanée, comme si elle avait été exagérément exposée au soleil. Une barbenaissanteombraitsesjoues,etunefossettecreusaitsonmenton.

Noir comme le péché…Constance eut l’impression excentrique que ses pensées avaient soudainpriscorps.

Cependant,l’hommequisetenaitenfaced’elleétaitbienréelettrèsélégammentvêtu.Lorsqu’illalâcha,ellefitunpasenarrière,unpeudéstabilisée,sanscesserdel’observer.Habitsuperbeet,nota-t-elle,presquede lamêmecouleurque sapropre robe.Lachaîned’unemontre enor s’échappaitde lapochedesongiletbleupâle.Pantalongris.Bottesnoiresetlustrées.

—Puis-jefairequelquechosepourvous?demanda-t-elled’unevoixcurieusementessoufflée.—Jel’espèreleplussincèrementdumonde,madame.

***

TroyTempleton,barond’Ettrick,entrasansattendred’yêtreinvitépuisrefermalaportederrièreluiavecautorité.Ilétaitenfinchezlacélèbrecourtisanedontilavaittantentenduparler!

— Que faites-vous ? demanda-t-elle sur un ton peu amène. Je n’ai pas souvenir de vous avoirproposéd’entrer,monsieur.

— Compte tenu de la nature de notre relation à venir, il me semble qu’il serait pour le moinsinappropriédepoursuivrelaconversationsurvotreseuil.

Surcesmots,iltraversalehalletsedirigeaverslapièceprincipale,nelaissantàsonhôtessequelechoixdelesuivre.

Mêmeplongédanslapénombre,lesalonétaitravissant.Durosepartout,deschaisesdorées,etdesbibelots à foison.Une décoration résolument féminine, destinée à inspirer la femmequi y vendait sescharmes.

C’était la première fois queTroy se trouvait dans un tel salon.Adix-neuf ans, novice en tout etfraîchement débarqué à Londres, on l’avait présenté à la belle-de-nuit la plus célèbre de la capitale,l’incomparable Stella Margate. Avec elle, il avait découvert bien des délices mais, sur le plansentimental,leurrelationl’avaitlaisséécœuréàvie.Stellaluiavaiteneffetinfligéunesévèreleçon,etilnevoulaitpasquelamêmechosesereproduiseaujourd’huiaveclefilscadetdel’ambassadeur.C’étaitd’ailleurs la raisonprécisedesaprésenceence lieu,songea-t-ilenécartant lesrideauxdusalonrosepourlaisserentrerlalumière.

IlputenfinexamineraugrandjourlapluscélèbreetlapluschèredescourtisanesdeLondres.Sesboucles flamboyantes étaient rassemblées en un lourd chignon lâche présageant des cheveux d’unelongueurexceptionnelle.Sonteint,d’uneperfectionquinedevait rienauxartifices, lesurprit.Car,s’ilavaitentenduvanterlabeautélégendairedeLaPerla,safraîcheur,enrevanche,ainsiquesonvisageencœur et ses immenses yeux en amande le déconcertaient. Il n’avait pas devant lui une vulgaire catinpeinturlurée. A présent, il comprenait mieux pourquoi elle était aussi scandaleusement célèbre etpourquoilefilsdel’ambassadeur,cejeunefou,s’enétaitàcepointentiché.

—C’estdoncvous,lasulfureuseLaPerla…

Page 7: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

***

LaPerla ?Constancehésita. Il ne lui était pasvenuà l’esprit qu’enouvrant laporte, habillée etparéecommeAnnalisa,on laprendraitpourelle.Quelle idioteelle faisait !Cebelétrangerétait-ilunéventuelamant?Seprésentaient-ils tousà laportedecette façon?Etaient-ils tousaussibeaux,aussicoupablement beaux ? Dire qu’Annalisa péchait — le mot ne quittait décidément pas l’esprit deConstance—aveccegenred’homme!Sapropresœur…Ellefrissonna,etcen’étaitpasdefroid.

—Medirez-vousaumoinsquivousêtes?demanda-t-elled’unevoixqu’elleespéraitassurée.L’étrangersemblahésiter.—Vouspouvezm’appelerTroy.Unprénomtropinhabituelpournepasêtrevraimentlesien.Maiscommeiln’avaitvisiblementpas

l’intentiond’endireplus,ellehésitaàdévoilerlesien.—Quevenez-vouschercherici?Qu’attendez-vousdema…demoi?s’enquit-elleseulement.—N’est-cepasévident?Troy, qui s’était adossé à la fenêtre, se redressa et franchit la distance qui les séparait. La robe

échancrée de la courtisane révélait juste ce qu’il fallait de ses seins pour lui donner envie d’en voirdavantage.Sesperlesluisaientdoucementsursapeauetvenaientseblottirdanssondécolleté.

Ilsaisitlebijouetlefitglisserentresesdoigts.—LaPerla…,dit-ildansunmurmureambigu.Fraîcheetlisse…Hypnotisé par ses seins qui se soulevaient et s’abaissaient, il sentit son sexe durcir. Bien que

connaissantlaréputationdeLaPerla,jamaisilnel’auraitimaginéeaussiattirante.Danssonesprit,cesfemmesétaientinterdites.Autantquelesfemmesmariées.

Ilenroulalesperlesautourdesesdoigtsetl’attiraverslui.—LaPerla,j’espèrequetunevauxpasaussicherquetoncélèbrecollier.—Lâchez-moi!ordonna-t-elle.Constances’efforçadecontrôlersarespiration.Letutoiementlaperturbaitunpeu,maisellen’avait

paspeur;l’hommecroyaitqu’elleétaitAnnalisa.Or,lafaçondontillatouchaitetsurtoutcelledontellelelaissaitfairecommençaientàl’enpersuaderaussi.Non,ellen’avaitpaspeur.Elleavait…quoi?Ilétaittropprès.Tropmâle.Tropgrand.Unetroublantechaleurémanaitdesoncorps.Maiségalementautrechose,depresquesauvage.

Elle dégagea son collier, prête à s’éloigner et à lui révéler enfin son identité, quand samain serefermasurlasienne.Enveloppante,chaude.Desdoigtslongsetforts.

—Lâchez-moi,répéta-t-elle.Sontonmanquaitdeconviction,mêmeàsespropresoreilles.—Tusaisbienquetunelepensespas,répliquaTroyenentortillantunemèchedeseslongscheveux

autourdesonindex.Ill’attachaitàlui…—Simplement,poursuivit-il,feindrelarésistanceesttonfondsdecommerce.

***

Etlaméthodeétaitefficace,constata-t-il,puisqu’ilnevoulaitpaslalâcher.Cequ’ilvoulait,c’étaitl’embrasser. Tout en elle l’enivrait : ses seins qui frôlaient sa chemise, sa robe de soie qu’il sentaitcontresesjambes,sonodeurdefleurexotique.

L’idée l’effleura que, si elle lui rendait son baiser, ce serait un signe. Mais il avait besoin depreuvesplustangiblesquedessignes.Alors,illalibéra.

Page 8: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

***

Constancedécidades’autoriserunetrêveets’assitsurl’unedeschaisesdusalon.Sonsoulagementfut cependantdecourteduréecarTroy luidécochaun regard intense.L’airdigne, elle s’efforçade sedonner une contenance en arrangeant plus élégamment les plis de sa robe,mais la soie et la dentellebruissèrentirrésistiblement.Quantauxperles,ellessemblaientbrillerplusintensémentcontresapeauàl’endroitoùillesavaittouchées.OùilavaittouchéLaPerla.Oùill’avaittouchée,elle.

—Quevoulez-vous?demanda-t-ellefinalement.—Toi.La réponse, sans détour, lui causa un long frisson.Un frisson d’excitation. Personne ne lui avait

jamaisparlédelasorte.Mêmeàprésent,c’étaitAnnalisaqueTroyvoulait,pasConstance.Cependant,encetinstant,ConstanceétaitAnnalisa.Ilvoulaitdonc…

—Moi?—Pourquelleautreraisonserais-jeici?

***

Résoluàobtenircequ’ilvoulait,Troys’assitenfacedelacourtisane.Ilauraitpresquepulacroiresincèrementsurprise.

Diplomatieetbadinageétaientdeuxdomainesoùilexcellaitdepuislongtempsetdontilconnaissaittoutes les ficelles.Quoiqu’ilensoit, siLaPerla jouait lacomédie,cequiétait fortprobable,alors ildevraitbienadmettren’avoirjamaisrencontréartisteplusaccomplie.

Riend’étonnantàcequelefilsdel’ambassadeuraitmorduàl’hameçon.Mais Troy savait aussi que, au moment précis où La Perla accepterait sa proposition, elle

découvriraitàsesdépensqu’ellevenaitdecommettreuneerreurfatale.—Jetedonneraicinqcentsguinées,annonça-t-ilavecnonchalance.—Cinqcentsguinées?répéta-t-ellefaiblement.Sansdouteavait-ellemalentendu.—Pourunenuitavectoi,sulfureuseLaPerla.—Mais,jenesuispas…

***

Troubléeparletourinattenduqueprenaitlaconversation,Constancehésita.Pourquelqu’undontlesdépensesannuellesn’excédaientpasdeuxcentslivres,c’étaitunesommecolossale.Sicolossalequ’elleendevenait irréelle.Cegenredenégociationétait-ilnormal?Jusqu’où l’hommerenchérirait-il?Bienqu’elle n’ait pas lamoindre intention d’accepter, elle ne résista pas au désir de savoir à combien ilévaluaitsacompagnie—lacompagniedeLaPerla.

—Tun’espasquoi?demanda-t-ilavecimpatience.Elleretintlerirenerveuxquilaguettaitetparvintàhausserlesépaulesdemanièretrèscrédible.—Jene sauraisme rendredisponiblepourune sommeaussi dérisoire, lâcha-t-elle avecdédain,

jouanttoujourslerôled’Annalisa.—Mille.Elleserralesdents.—Pourboire…,s’entendit-ellerépondre,étonnéeparsonsavoir-faireinattendu.Probablementsentait-elled’instinctqu’Annalisaauraitprocédédelasorte.

Page 9: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Enfaced’elle,Troydécroisalesjambes.Sesjambestellementbienfaitesqu’ellesluipermettaientd’arborer un pantalon à carreaux que d’autres hommes, trop gros ou trop maigres, ne pouvaients’autoriseràporter.

—Millecinqcents.—Celanem’intéressepas,répliqua-t-elle,désormaistropenivréeparsonpetitjeupours’inquiéter

del’excitationirrésistiblequimontaitenelle.Ilétaitsibienbâti,cethommequiladésiraitassezpouroffrirjusqu’àlasommeastronomiquede

quinzecentsguinées!Etilnedevaitguèreêtreplusâgéqu’elle.Unpeuplusdetrenteans.Sapeauseraitdouce,etnonridéecommecelledeGranville.Sesmusclesseraientfermescontresapeau…

—Deuxmille,annonça-t-il.Etjesaisquecelat’intéresse.Constance sentit une vague de chaleur embraser sonventre.Quand son regard rencontra celui de

l’homme,elleyvitquelquechosequilafittrembler.Ilavaitlesyeuxd’unnoirinsondableetsescheveuxétaientsûrementaussidouxàcaresserquelasoie.Quantàseslèvres,leurcourbesensuelledevaitdonnerl’impressiond’embrasserunange.Ouundémon.Maléfique.

L’irrésistiblechaleurpoursuivaitsoncheminsinueuxetgagnaitsonbas-ventre.Siunhommepouvaitluiapprendreleplaisir,c’étaitcelui-ci,elleenétaitpersuadée.

Nonqu’elleaitl’intentiondel’yautoriser.Mais,aprèstout,iln’yavaitpasdemalàfantasmer,pasplusqu’àleprovoquerencoreunpeu.

—Bagatelle!répliqua-t-ellesuruntonquilaissaitclairemententendrequ’ellenenégocieraitpas.Etquifonctionnaitgénéralementtrèsbien.

***

Troyselevabrusquement.Enunsens,sonoffren’avaitaucuneimportancepuisqu’ilnecomptaitpasl’honorer.L’idéeétaitjustedepousserLaPerlaàl’accepter,pourprouverquesonsermentdefidélitéaupauvregarçonéperdud’amournevalaitrien.Enacceptantsonoffre,ellesetrahiraitsur-le-champ.

Il était hors de question d’aller plus loin. Cette femme représentait tout ce qui le révoltaitmoralement : ellevendait soncorpset, encemomentprécis, faisaitmonter lesenchèresauprixexactqu’elle visait. Non, en aucun cas il ne s’abaisserait à la toucher. Encore moins à l’embrasser. A lapénétrer.

Malgrécela,ilneputs’empêcherdeluicaresserlebras,etladouceurdesapeauletroubla.Sondésirdécupla.LaPerlasemitàtrembler.Elleavaitenviedelui,ilenétaitcertain.

Page 10: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Chapitre2

Non!C’étaitdesonargentqu’elleavaitenvie.Cetremblementétaituneruse.—Cinqmille, annonça-t-il presque étourdiment dans sa hâte d’en finir et de s’éloigner de cette

tentatrice assez habile pour mêler vénalité et vertu dans le but de le soumettre à leur tyranniquecombinaison.

Elleécarquilladesyeuxincrédules.—Vousdevezplaisanter…,bredouilla-t-elle.Cinqmillelivres!—Guinées,corrigea-t-ilenretenantàgrand-peineunsouriredetriomphe.Cettefois,elleétaitàlui.Ilajoutatrèsvite:—Sachequejeneplaisantejamaisquandjenégocie.—C’estvotremétier?Vousêtesnégociateur?—Non, diplomate.Et j’excelle dans l’exercice dema profession.C’estmêmema raison d’être,

précisa-t-ilavantdes’arrêter,surprisdes’entendreracontersavie.—Danscecas,repartit-elle, jecrainsquevoussoyezentraindegâchervotreinestimabletalent,

car votre argent nem’attire pas. Je suis d’ailleurs certaine quevous pouvez en faire unbienmeilleurusage.Etsicen’estpasvous,ceseravotrefemme.

—Jenesuispasmarié.Sic’étaitlecas,jeneseraispasici.Ilparlait encorede lui, et sansdissimulation.Eneffet, il croyaiten la fidélité.Maispourquoi se

dévoilait-il ainsi devant cette créature alors que son métier de diplomate le prédisposait depuis desannéesàlaprudenceetàlacirconspection?

***

Iln’étaitpasmarié.Autrement,ilneseraitpaslà.Constances’emparaimmédiatementdel’information,puissecoualatête.Non.Ilfallaitoubliertout

cela.Cettehistoire l’emmenaitbeaucoup trop loin,etellecommençaitàavoirpeur.PasdeTroy,maisd’elle-même.Parcequ’il l’attirait follement.Enmême temps, unepetite voixne cessait de lui répéterqu’elle ne risquait rien. Une brève liaison dans cette maison à l’abri des regards resterait à jamaissecrète.Deplus,justeavantqu’ilnesonneàlaporte,n’était-ellepasprécisémententraind’imagineruneaventureavecunhommequ’elleneconnaîtraitpas?

Elleregardaplusattentivementcetindividubeaucommelepéché,sapeaulisse,seslèvrespleines,cetinconnusansépousequisaurait luifairel’amourencoreetencore,et lafairevibrercommeelleenrêvait.

Page 11: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Ilade l’expérience, lui souffla la petite voixdeplus enplus insistante. Il te fera connaître lesplaisirsdupéché,ceuxquetun’asjamaisconnus,quetut’escontentéed’imaginer.Ceseraunamantmerveilleux.

—Cinqmille,répétaTroy.—Jen’imaginepascequevousattendezenéchanged’unesommepareille.—Moi,jeparieraislecontraire…Ellesemorditlalèvre.Dieuduciel!Commentluifaireadmettrequ’elledisaitlavérité?—Non!s’écria-t-ellealors.Maissonexclamations’adressaitmoinsàluiqu’àlapetitevoixquipersistaitàlatarauder.—Tuvoudraissansdoutequej’entredanslesdétails…Troyavaittellementenvied’embrasserlacourtisanequesesidéescommençaientàs’embrouilleret

qu’ilenoubliaitlavéritableraisondesaprésenceencelieu.Ilfallaitqu’ilembrassecettefemme;illefallaitabsolument.—Ehbien,pourcinqmilleguinées,j’attendsd’aborddetrèsnombreux…—Detrèsnombreuxquoi?demanda-t-elled’unevoixfaible.Mais elle savait déjà de quoi il parlait car il venait de refermer ses bras sur elle, des bras

enveloppantset solides,avantdeplaquer soncorpscontre le sien.Uncorpspuissant, etd’unevirilitéabsolue.

Ilapprochalevisagedusien.Atraverssespaupièresmi-closes,Constancecaptal’éclatnoirdesondésir.

—Detrèsnombreuxbaisers,répondit-ilenfindansunchuchotement.J’enveuxàl’infini.Joignantlegesteàlaparole,ilpritpossessiondeseslèvres.Ellefermalesyeux.Granville aussi l’avait embrassée. Elle se rappelait les chastes baisers qu’il lui dispensait en

société avec l’affection toute officielle d’un mari pour sa femme. Mais il lui en imposait d’autres,affreusement libidineux,dans l’obscuritéde leurchambreconjugale.Lespremiersne lui faisaient rien.Lessecondsneprovoquaientenellequedégoûtetrépulsion.

Aujourd’hui,unhommel’embrassaitpourlapremièrefoisavecautantdepassionquedesauvagerie.Etellen’avaitnil’envienilapossibilitédel’arrêter.

A l’instant précis où leurs lèvres se scellèrent, ils furent pris dans un véritable brasier. Cetteincroyablesensationlesfitserapprocherdavantage,seserrerpassionnémentl’uncontrel’autre,sifortqu’ils se repoussaient parfois en haletant pour mieux se reprendre. Leurs lèvres et leurs langues semêlaient,tandisqueledésirmontaiteneux,irrésistible.

ConstancesentitTroyglisserunemaindanssonchignonlâche,l’autredanssoncou,puisdescendrele longdesondos.Ilavait les lèvresbrûlantes ;saboucheavaitungoûtdepéché,commeelle l’avaitimaginé.Lebrasiersepropageadanssesveines.Lespointesdesesseinssedurcirent tantqu’ellesendevinrentdouloureuses.Unbesoinimpérieux,d’uneforceincommensurables’emparad’elle,luicoupantlesouffle.

—Non…,murmura-t-elleparcequec’étaitleseulmotquiluivenaitàl’esprit.Mais à quoi cela rimait-il alors que sesmains continuaient à chercher le corps deTroy, que ses

lèvresréclamaientlessiennesetquesesdoigtss’agrippaientauxmanchesdesonmanteau?Pourquoiserépétait-ellequecequ’ellefaisaitétaitmaletqu’elledevaittoutarrêterimmédiatement?

—Cinqmilleguinées…,chuchota-t-elle,c’estunegrossesommepourdesimplesbaisers.—Oh!J’attendsbeaucoupplusquedesbaiserscommeceux-ci…Elleleconsidéra,interloquée.—Desbaiserssontdesbaisers…Commentpourraient-ilsêtreplusquecela?

Page 12: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Troyfaillitdenouveauêtrebernéparl’innocencefeintedeLaPerla.Ileutunpetitrire.Décidément,ellepossédaitbiendestalents.

—Pourmapart,j’aimeraisposermeslèvressur…Illaissasaphraseensuspensmaisluipressalescuissesàtraverslasoiedesarobe.Constanceeutbesoindeplusieurssecondesavantdesaisirl’allusion.Lorsqu’ellecompritenfin,ses

jouesdevinrenttoutesrosesetunevaguedechaleursepropageadanssonventre.C’étaitinimaginable!—Monsieur!Vousnepouveztoutdemêmepaspensercequevous…Ileutunpetitsourire.—Madame,jenedisjamaisrienquejenepense.Sur cesmots, il embrassa soncou, sagorgepalpitante, faisant rouler aupassagequelquesperles

entreseslèvres.—Jevousenprie,jenepeuxpas…—Si,tupeux.Tonpetitjeudefausseingénueestcharmant,mais…—Jevousassurequejene…—Dixmille,alors.Troyavaitlancécechiffredémesurésanspresqueréalisercequ’ildisait.Elleretintuncri.—Vousnepensezpasvraimentcequevousdites…Eneffet,ilnelepensaitpasvraiment.Desoncôté,LaPerlan’étaitpasdupe.Aucunhommesensé

n’auraitproposéunesommepareille.Mêmesi,commelui,iln’avaitpasl’intentiondelaverser.—Dixmilleguinées,répéta-t-il.—Pourdixmilleguinées,que…qu’attendriez-vousdemoi?répéta-t-elle.Elleauraitpréférénepasposerunequestionaussinaïve,mais,n’ayantaucuneidéedelaréponse,

ellelefitquandmême.LevisagedeTroysefermaaussitôt.Setaire.Garderlesilence.Nepasprononcerlesmotsqu’elle

attendait. Et, surtout, rassembler ses esprits.Mais sa tentative échoua.Apparemment, sa logique et salégendairecapacitéàgarderlatêtefroidel’abandonnaientaumomentoùilenavaitleplusbesoin.

LaPerlaétaitsiappétissante,sivoluptueuse.Siexotiqueetsicharmeuse…alorsquesesétreintesétaientpresquechastesetsesbaisersdélicieusementinnocents.

Physiquedetentatriceetbaisersdevierge…Lemélangeluimontaitàlatêtecommeunvincapiteux.Illéchasapeausidouce,s’imprégnadesonparfumpourmieuxs’enenivrer.

—Pourmilleguinées,déclara-t-ilfinalement,j’attendsquetum’embrasses.Constancefonçalessourcils.—Mais…Ilbaissaalorslatêtedemanièresisignificativequ’elleserappelaaussitôtlesfaussespoupéeset

lessexesenivoire.Sousl’étoffe,celuidel’hommesemblaitencoreplusbeau.Plusdur.Plussolide.Etfaitdechair.C’estlàqu’ilvoulaitqu’ellel’embrasse!Oh!Dieu!Ilnefallaitpassongeràcela!Elleparvintàemplirsespoumonsd’air,àfairevoletersamainsurlecôtéavecunelégèretéaffectée.

—Jecrainsquedixmilleguinéessoienttrèsinsuffisantespourunetellerequête.Ilavaitenviequ’ellelecaresseàencrier.Justeunecaresse.Riend’autre.Absolumentrien.—Vingtmille,déclara-t-il.Unevéritablefortuneet le testultime.Maisquiysoumettait-ilvraiment?Elleseulement?Ouun

peuluiaussi?Iln’ensavaitrien.—Trentemille,renchérit-elle,certainedeluifaireainsiréaliserqu’ilsavaient tousdeuxbasculé

dansunmondetotalementdéraisonnable.

Page 13: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Ilsentitlesaréolesdesesseinsrondspointersouslasoiedelarobeetlesstimulaavecsespouces.Le frisson qui parcourut La Perla lui donna encore plus envie d’elle. Il devait partir.C’était la seulefaçondesereprendreetdemettreuntermeaudésastreimminentquis’annonçait.

Aulieudecela,ilcherchadenouveauseslèvres.Ellefonditcontreluienrefermantlesbrasautourdesoncouavecungémissement.Seslèvresétaientdoucescommelemiel.

— Que ferais-tu pour quarante mille ? demanda-t-il. Me laisserais-tu utiliser ton collier ? Desperles sur ta perle ? Me laisserais-tu te prendre comme je l’entends avant de me supplier derecommencer?

Bien qu’elle comprît à peine ce que Troy disait, Constance se sentait devenir plus brûlante àchacunedesesquestions.Cefutdansunsoufflequ’ellerépondit:

—Pourcinquantemille,jeferaisencoredavantage.Soncorpssepliaitàl’exigenceincontrôlabledecequ’elledevinaitêtresondésir.Jamais,aucours

desescinqannéesdemariage,ellen’enavaitressentilemoindreavant-goût.Jamais,aucoursdesavie,ellen’avaiteuaussidésespérémentenvieducontactdelapeaud’unhommecontrelasienne,delafusiond’uncorpsmasculinetdusien.

Les lèvres de Troy contre les siennes, leurs langues mêlées, tout cela lui donnait l’impressiond’évoluerdansunrêve.C’étaitlapremièrefoisqu’elleressentaituntelbonheur.

—Dis-le-moi,commanda-t-ild’unevoixrauque.Ellesongeaaucoffretdenoyeràcôtédulitetrécita:—Plumesdecygne,menottesmolletonnées,cordegainéedevelours,j’aitoutcelaàtadisposition.Ets’illuidemandaitdesdétails?Décidément, elle agissait trèsmal,mais elle parvenait à peine à se rappeler pourquoi.Comment

l’aurait-ellepu,dureste,alorsquechaquefibredesoncorpsréclamaitplusdeplaisiretqueleréelsemêlaitàl’imaginaireaupointdenefaireplusqu’unaveclui?

—Pour cinquantemille, je te demanderai de te servir de tout, chuchotaTroy contre son oreille.Maisjetepréviens,cen’estpasmoiquimesoumettrai.C’esttoi.

—Jenemesoumetspasfacilement.Ileutunriredur.—Jesais,tul’asdéjàprouvé.Maisilyauntempspoursebattreetunautrepoursesoumettre.Or,

sijepaiecinquantemilleguinées,jeteréclameraidesfaveursàlahauteurdecetterançondereine…Laprenantparlanuque,ilretiralesépinglesdesonchignonpuisajouta:—Aprésent,jeveuxm’assurerdenepasêtredéçu.…Avantdeluidéfairesarobe.Sonbutétaitd’allerassezloinpourqu’ellesetrahisse,maispas

plus.Surtoutpas.Constance aurait voulu rassembler ses esprits et faire appel à toute sa résistance, mais Troy

embrassaitsabouche,caressaitsesseins,léchaitsapeau,tandisquelesbouclesdesescheveuxsombressuivaientlesillagedesesbaisers.

Ellesemitàtremblerdetoutsoncorps.—Tuvasêtredéçu,dit-elled’unevoixhachée.Celanefaitaucundoute.—C’estàmoiseuld’endécider,répliquaTroy.

***

Pousséparsondésir,ledésirimpérieuxdesentirsapeaucontrelasienne,iln’étaitàprésentpluscapablederaisonner.Ilouvritlestroisboutonsdelarobeetlafitglisserdesesépaules.Larobetombaàterre,pourrévélerLaPerladanssoncorsetcramoisietsesbasnoirsauxrubansassortis,sonlongcollierdeperlesluisantsursapeaucrémeuse.

Page 14: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

—Dieu,maistuesmagnifique…—Non,lecontreditaussitôtConstance.Toutcelaallaittroploin.Beaucouptroploin.Etenmêmetemps,inexplicableparadoxe,pasassez.

Sans doute parce que le tourbillon de pulsions qui la traversait dépassait sa pudeur et abolissait sonsentimentdeculpabilité.

—Non,jenesuispas…jenesuispas…—Si,tuesmagnifique!Tuesmêmelaplusbellecréaturequej’aiejamaisvue.L’instantd’après,lemanteaudeTroyrejoignaitlarobesurlesol.Sonplastronlesrattrapa,suivide

saceinture.Constancehaletait.Ilposalamainàplatsursagorgebombéeetlapressadoucement.—Splendide…,chuchota-t-il.Vraiment?Asavoixcasséeetàsesyeuxdontlespaupièresétaientdevenueslourdesdedésir,ellesutqu’ilne

laflattaitpas.Troypassa sachemisepar-dessus sa tête, révélantun torsemusclé,unepoitrine largeà la toison

bruneetàlapeaumate.Ellesentitlefeugagnersonventre,descendreentresesjambes.Alors,elleoubliatout:lejeuqu’ellejouait,lepersonnagequ’elleinterprétaitetmêmelanécessité

derévéleràTroysavéritableidentité.Alaplace,elleposalamainsurcettepeaumagnifiquementmatepourensentirlegrain,enéprouverladouceur.

—Merveilleux…,dit-elleavecunravissement.Ilétaitl’essencemêmedel’homme.Etillaconsidéraitavecavidité,presquesauvagerie,commesi

elleétaitl’essencemêmedelafemme.L’embrasser,lecouvrirdebaisers…Pressant la joue contre son torse, elle sentit sapeau sous la fine toisonbrune,yposa les lèvres,

l’embrassa,lelécha.Etfrissonnaenl’entendantgémir.—Jeneveuxpasdetonargent,Troy,murmura-t-elle,tudoismecroire.—Maistumeveux,moi.Troy sentait son sexe si tendudans sonpantalonqu’il lui faisait presquemal,mais il n’était pas

dupe.Sicettecourtisaneletouchaitavectantdedouceur,c’étaitsimplementparcequ’elleétaitàvendre.Il fallait le lui faire avouer sans plus tarder. Ensuite, muni de la preuve qu’il était venu chercher, ilpourraitpartir.

—N’est-cepas?insista-t-ilenladévorantduregard.Ses lèvres étaient aussi rouges que son corset échancré. Sa peau était aussi crémeuse que son

célèbrecollier.Sesgrandsyeuxmarronenamandeflambaient.Non,sondésirn’étaitpasfeint.Iltirasurlelacetducorsetetl’écartasuffisammentpourlibérersesseins.Dieuduciel,elleétait

vraimentparfaite!—Disquetumeveux.Reconnais-le.—Jeneveuxpasdetonargent.Ilpritsesseinsencoupeentresesmainsetluicaressalesmamelonsrosessouslecorsetcramoisi.

Cette gorge parfaite le soumettait de nouveau aumélange grisant de la tentation et de l’innocence. Ilcapturasestétonsl’unaprèsl’autreentreseslèvres, leslécha,suivit leurcontourduboutdelalanguepuislessuçaavecfièvre.LaPerlal’avaitagrippéparlesépaules.Sesbaisersincandescentsluibrûlaientlecou. Ilglissasesmains le longdesondos, les resserraautourdesa taille fine,caressasesreinsetl’attira plus près encore. En la sentant s’enflammer, il laissa échapper un grognement d’intensesatisfaction.

***

Page 15: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Constance était gagnée par la fièvre, sa peau parcourue de frissons exquis. Les doigts de Troyparsemaientdepicotementslecheminmenantàsonventre,àlachaleurquibrûlaitentresesjambesetoùle feu achevait de la consumer. Elle ne voulait pas essayer de comprendre ni d’imaginer ; elle ne lepouvaitpas.Sondésirétaitsiintensequ’ellen’arrivaitpresqueplusàrespirer.

—Dis-le,commandaTroyenplaquantsonsexedurcontreelle.Disquetumeveux.Justecestroismots.

Toutenparlant,iltrouvalanaissancedesacuisse.Sidouce…LaPerlaneportaitriend’autre.Sesdoigtss’enhardirentplushaut, làoùsapeauétaitencoreplus tendre.Elle retintuncri.Submergéeparl’intensitédesondésir,elleenfonçalesonglesdanssondos.Lorsqu’ilglissaundoigtenelle,ellesentitsonsexedevenird’unegrandedouceurets’ouvrirpourl’accueillir,ellequis’étaittoujoursferméeauxassautsdeGranville.Cettenouvelleetsifortesensationluiarrachaunnouveaucripresqueétonné.

Le doigt deTroy s’aventura plus profondément tandis que ses lèvres trouvaient les siennes. Il lacaressaplusintensément,plusardemment,etsentitqu’elleétaitentraind’accéderauplaisir.

—Oui…Ohoui…MonDieu,oui…,laissa-t-elleéchapperd’unevoixaltérée.Lesmotssortaientàprésentdesagorge,impossiblesàretenir.—Oui,jeteveux!Enfin,ilavaitcequ’ilvoulait!Ildétenaitsapreuve.Ilpouvaitpartir,maintenant.Ilallaitpartir.Or,

ilnelefitpas.Etquandelleposalamainsursonbas-ventre,ilsutqu’ilavaitperdu.Qu’ilétaitperdu.Delamain,ellesuivitlescontoursdesonsexedressé,enéprouvalaformeetlalongueur.Bientôt

ivrededésir,illuiarrachasoncorset,envoyasespropresbottesauloin,sedébarrassadesesderniersvêtements. Il s’empara encore de ses lèvres, chercha sa langue, l’embrassa avec une avidité et uneimpatienceextrêmes toutencontinuantàcaresser sonsexe. Il la sentit seplaquercontre lui, l’entenditgémir, se plaindre et l’appeler. Alors, la faisant tourner entre ses bras, il la fit s’allonger sur laméridienne,luiécartalesjambesetlapénétra.

Constance cria de surprise et de plaisir. Le premier orgasme qu’elle était en train d’éprouverl’emportaitdanssontourbillon.Troylaprenaitavecuneforceetuneardeurqu’ellen’auraitjamaiscrupossibles.Elles’abandonnait,suivaitsacadence,l’attirantenelleetlerepoussantaveclamêmeferveur.

Lesbras refermés autour de sa taille, il avait totalement pris possessiond’elle et la faisait crierchaquefoisqu’ils’arc-boutaitpourluiimposersonrythme,sapuissanceetsondésir.Ellemouraitd’unplaisirquilalaissaitpantelante.

—Encore…,haleta-t-elle.Encore…Troypoussaungrondementsourd.Plusdur.Plusfort.Jamaisiln’auraitimaginéquecelapuisseêtre

aussi…Ilpoussait,sentaitsonsexegrossirencore.Ilseretintjusqu’àl’extrêmelimiteet,s’écartantauderniermoment,serépanditavecunevigueurquilestupéfia.

Leur extase ne les coupa dumonde que pendant un bref instant. Trop vite, les vagues de plaisirrefluèrentenmêmetempsquelecocondechaleursedissipaitetquelabrume,quilesavaitenveloppésetisolésdurestedumonde,sedispersait.

—Audiabletoutcela!jura-t-ilalorsenselevant.Ilrassemblasesvêtementséparsetserhabillaavecunehâteindécente.Furieuxdesonmanquede

contrôle,illaissaéchapperunjuronparticulièrementcruqu’iln’utilisaitparailleursjamais.—Monsieur!s’exclamaLaPerla.Illuijetaunregardencoinetramassasonmanteau.—Troptardpourlapruderie.—Maiscertainementpaspour lapolitesse !Vousn’avezabsolumentaucuneraisond’utiliserune

expressionaussilaide,répliqua-t-elle.

Page 16: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

—Vousvoulezplutôtdireque j’ai toutes lesraisonsde le faire ! rétorqua-t-il avec rudesse.Dureste,nevousplaignezpascarj’enaicensuréunebeaucoupplusdésagréable!

Ilétaithorsde lui.Commentavait-ilpuperdreaussi totalement lecontrôlede lasituation, lui, letacticiendepremierordre, si fierdesamaîtrise?Aprésent, il sesentait jugépar le spectredu jeunehommequ’ilavaitétéetquecettefemmevenaitdefaireréapparaîtrecommeparmagie.

Cette tentatrice n’était d’ailleurs pas la seule responsable de la situation. Il en voulait aussi àl’ambassadeurquil’avaitchargédecettemissionetaufilsdecelui-ciqui,parsonincroyableniaiserie,avaitindirectementprovoquécettedébâcle.

Etils’envoulait.Oui,ilfulminaitsurtoutcontrelui-même.ConstancesedemandaitpourquoiTroyétaitsoudaintellementencolère.— Si c’est l’argent…, commença-t-elle sur un ton hésitant car elle n’arrivait même plus à se

rappelerledernierchiffreévoquétantilétaitridiculementélevé.Quarantemille?Cinquante?Ilnecroyaittoutdemêmepasqu’elleallaitlesluiréclamer?—Jepensais…—…M’offrir desmenottesmolletonnées et des cordes de soie ou de velours pour justifier la

dernièreenchère?Non,merci.Detoutefaçon,l’échantillonquejeviensderecevoirmesuffit,ajouta-t-il,crueletmenteur.

***

Renverséesurlaméridienne,leslèvresgonflées,lesjouesrougiesparlesbaisers,sesperlesluisantentresesseins,lacourtisaneavaittoutd’unedivinitépaïenne.Unedéessedotéed’uncharmeincroyable,ettotalementirrésistible.

En Troy, le diplomate reprit le dessus. Quand la situation devenait délicate et potentiellementexplosive,lasolutionconsistaitàopéreruneretraiterapide.Etildevaitagird’autantplusviteque,encetinstant,ilsavaitnepouvoircomptersurpersonne.Etsurtoutpassurlui-même.

Oui, décidément, il fallait sortir d’ici tout de suite, avant de commettre une nouvelle erreur. Lesdéparts précipités n’étaient pas dans ses habitudes mais, en l’occurrence, celui qu’il allait effectuerrestaitladernièremanœuvresenséeencoreensonpouvoir.

Il ramassa son plastron qu’il réduisit en boule au creux de sa main avant de le fourrer avecnégligencedanssapoche.

—Lemieuxqu’ilme resteà faire,madame,dit-il alorsenarquantun sourcildédaigneux,estdevoussouhaiterunebonnejournée.

Constancevoulaitselever,maisellesavaitquesesjambestremblantesnelaporteraientpas.Ellesecouasesjuponschiffonnés.Seslèvres,ellelesentait,étaientgonflées,sonsexepalpitaitet

ses cuisses lui faisaientmal.Mortifiée, elle ne parvenait absolument pas à comprendre comment elleavaitpuselaisserallerainsi.

Pour lapremière fois,ellen’étaitplus,auxyeuxd’unhomme, la femmerespectablequ’elleavaittoujoursété.

Etéoucruêtre?Seconnaissait-elledoncsipeu?Avraidire,ellesesentaitcomplètementperdue.PourquoiTroymanifestait-iltantdehâteàpartir?

Sahâtesignifiait-ellequ’ilsesentaitaussicoupablequ’elle?EllesongeaàAnnalisa.L’existencequ’avaitmenéesasœurluiapparaissaitmaintenantdanstoutesa

crudité,etcetteprisedeconscienceluifaisait l’effetd’unegifle.Ledégoût, lafatigue,laconfusionluifirentmonterleslarmesauxyeux.EllebattitdespaupièresendétournantvivementlatêtepourqueTroy

Page 17: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

ne voie pas son émoi. Subir ses questions et écouter ses récriminations auraient été au-dessus de sesforces.

L’instant d’après, heureusement, la porte d’entrée claqua. Il était parti, emportant avec lui lesentiment d’irréalité et d’étrangeté qu’il avait apporté en arrivant et qui avait régné depuis dans cettemaison.Elle frissonna.Après ce qui venait de se passer, impossible de continuer à prétendre qu’ellevivait,parprocuration,l’existencedesajumelle.

—Bonnejournéeàvousaussi,monsieur,lança-t-elledanslesilencedusalon.Aprésent,ellemouraitdefroid.Elleselevaet,enchancelant,allaverrouillerlaporteavantdesedirigerversl’escalier.Arrivéedanslachambred’Annalisa,ellesecouladanslelitdesasœuretremontalacouverturede

fourruresursatêtepournepasvoirsonrefletdanslemiroir.Celuid’unefemmeàterre.Etcomplètementinsensée.

Page 18: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Chapitre3

Auchaudsouslafourrure,Constancesombradansunsommeillourd.Elleseréveillatôt,enproieàunemigraineetàunetristesseinsondable.Lesévénementsdelaveilleluirevinrentàlamémoirecommeunmauvais rêve. Les images se bousculaient derrière ses paupières closes, lui arrachant des soupirscontritsmaisaussiparfois,àsagrandehonte,profondémentlangoureux.

Elle repoussa la couverture et se força à se lever. A partir demaintenant, décida-t-elle, elle nedevait plus réfléchir qu’à des questions matérielles et s’adonner à des tâches absorbantes quil’empêcheraientdepenser.Ensuite,quand il seseraitpasséunpeude temps,ellepourrait songerplusclairementàcequiétaitarrivé.

Oul’oublier.Les journées suivantes furent donc consacrées à mettre de l’ordre dans la maison et à trier les

affairesd’Annalisa.Elle fut surprise par tout ce que possédait sa sœur : trois services de vaisselle de vingt-quatre

pièceschacun,unvasteplacardremplideverresetdecarafesencristal,unecaveregorgeantdevinsetdechampagnesfrançais…

Elleremplitdescaisses,frottalessols,dépoussiéralesmeublesavantdelesfairebriller,nettoyalesvitresauvinaigre…etsombrachaquesoirdansunsommeilagité.Chaquematin,elleensortaithantéepardeuxdémonsjumeaux:laculpabilitéetledésir.

Aprèsquatre joursàce rythmeeffréné, force lui futd’admettre sadéfaite : impossibledenepassongeràTroyetàcequ’ils’étaitpasséentreeux!Nerestaitqu’unesolution:sortirdecettemaisonauplusviteetallermarcherjusqu’àcequesesidéesdeviennentplusclaires.

Ignorant les tenues excentriques d’Annalisa, elle retrouva ses dessous de lin blanc et ses bas decoton.Surlarobeverteenmousselinesansdécolletéqu’elleavaitconfectionnéeelle-même,ellenouaunfoulardblanc.Avecsataillehaute,sesmanchesamplesresserréesauxpoignetsetsonourletsimple,levêtementn’étaitplusàlamode,pasplusquelesbottinesdechevreausansrecherche.L’idéenel’effleuratoutefoispasd’emprunter l’unedesrobesdesoied’Annalisaou l’undeses innombrablesaccessoires.Pourtant,armoiresetcommodesregorgeaientdechapeaux,degantsetd’étoles.

Unquart d’heure plus tard, elle jeta son châle préféré sur ses épaules, recouvrit son chapeau depailled’unvoiletrèsfinqu’ellenouasoussonmentonetquittalamaisondelarueduCroissantdeLune.Sanshésiter,ellesedirigeaversHydePark.

Bienqu’ilsoitencoretôt,ons’affairaitdéjàdanslesrues.Unchariotdelaitcahotaitsurlespavésdansunbruyantcliquetisdeseaux.Desservantes,leurlivréeprotégéed’untablierdecuir,balayaientleporchedesmaisons,lustraientlesheurtoirsetnettoyaientlesgrattoirspourchaussures.

Page 19: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Dèsqu’elleeutpassélagrilleduparc,Constances’absorbadanssespenséesenlaissantsespaslamenerauhasarddesjolissentiers.

Des images d’elle-même, complètement abandonnée et criant de plaisir parce qu’un inconnu luifaisaitl’amour,l’assaillirentetlafirentrougirviolemment.

Commentavait-ellepu?Carnonseulementelleavaitpu,maiselleavaitretirédesonaventureavecTroyunimmenseplaisir.Etcelalachoquaitplusquetoutlereste.Elles’assitàl’ombred’ungrandarbreetfixalarivièreSerpentinesanslavoir.Biensûr, le luxe inouïde lamaison, lasoieet lesatin, lescoussinsdevelours,sansparlerde la

présencepresquetangibledeLaPerlaelle-même,toutavaitcontribuéàl’immergerdansuneatmosphèresaturée d’érotisme.Néanmoins, sans cet homme si particulier, jamais elle ne serait abandonnée de lasorte.

Troy…Quelquechose,enlui, l’avait forcéeàbalayersesréticences, l’avaitexcitéefollement, larendantplusquetéméraire.

Oui, aussi incroyable que cela lui semblât, elle savait que lui seul avait provoqué en elle cetteflambéededésir.

Troy.Troyqui?Troyquoi?Diplomate,avait-ildit.Doncmalplacépoursecommettreavecdescourtisanes.Malgrécela,ilétaitvenudanslarueduCroissantdeLuneetluiavaitproposéunesommed’argentexorbitante.Pourquoi?Pourjouer,luiaussi,autéméraire?

Quoiqu’ilensoit,ilavait,commeelle,cédéàl’attirancepresqueviscéralequiétaitimmédiatementnéeentreeux…

Avecunsoupirlas,ellequittasaplaceetrejoignitlesentier.Puisqu’ellenedevaitpluslerevoir,mieux valait oublier leur instant de folie et se concentrer sur ce qu’elle était venue faire à Londres :vendrelamaisond’Annalisaetréglersesaffaires.

Ellequittaleparcets’engageaversPiccadillypouryfairesescourses.Lorsqu’elleeut terminésesachats,elleavaitmalà la têteetsesentaitépuisée.Toutàsahâtede

rentrer,elleparcourutlesquelquesmètreslaséparantencoredelademeured’Annalisasansremarquerl’hommequiattendaitsurlepasdelaporte.Quandelleleheurta,ellerelevabrusquementlatêteetrestapétrifiée.

Lavestedesonhabitflattaitsontorsemusclétandisquesonpantalondedaimmettaitenvaleurseslongues jambesparfaites.Sacravateblanche rehaussait son teintmatet faisait ressortir sespommetteshautes.Desbottinesdecuircomplétaientélégammentsatenue.

Soncœurfitunbond.—Troy!s’exclama-t-elleenlaissant,malgréelle,librecoursàsajoie.Iltenditlamaindanssadirectioncommes’ilcraignaitdelavoirperdrel’équilibre.Bienquetrès

furtif,lecontactfutnéanmoinssuffisantpourl’enflammerdanslaseconde.

***

CelafaisaitquatrejoursqueTroys’efforçaitdemettreuntermeàlafoliequil’avaitsaisi.Quatrejoursqu’ilrevivaitenpenséesesébatsavecLaPerla,relevantchaquemomentoùilauraitdûtoutarrêteretpartir.Quatre joursàs’étonnerqu’elleaitàcepointéchouéà luisoutirersonargent,quatre joursàtenterdejustifieràsespropresyeuxlagrossièretédontilavaitfaitpreuveàsonégard.Etquatrenuitsàrevivre,danslesmoindresdétails, leurétreintefusionnelle,àseréveilleravecledésirfoudeprendrecette courtisane encore et encore, et à se battre contre son envie de retourner dans cettemaison poursatisfaireledésireffrénéquilemettaitausupplice.

Page 20: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Quatrejours,enfin,àtenterdecomposerl’argumentairequiluidonneraitlaforcederésisteràsoncharme.Envain.Absolumenttoutessestentativesavaientéchoué.Pourtant,lemodedeviemêmedeLaPerlaauraitdûsuffirepourqu’il laméprise,maiscelanefonctionnaitpasnonplus.Unlien intangibles’étaitàl’évidenceétablientreeux,quiexpliquaitlebesoindéraisonnablequ’ilavaitd’elle.

Oui,àquelquesjoursdesondépartpourl’Italie,ildevaitreconnaîtresadéfaiteetserésoudreàlaseulesolutionquiluirestait:ignorersafascinationpourLaPerla,mobilisertoutesaraison,remplirlamissionqueluiavaitconfiéel’ambassadeuretrefoulersesélansavantdequitterLondresauplusvite.

Ilreculaautantqueleluipermettaitlepetitespacedevantlaporteetpritappuicontrelarampe.—Troy…,répétaalorsLaPerlad’unevoixàpeineaudible.Il avait les sourcils froncés.De colère ?En tout cas, il semblait fatigué et les larges cernes qui

soulignaientsesyeuxlefaisaientparaîtreplusâgé.Etplusinaccessible.—Jedoisvousparler,déclara-t-iltoutenremarquantlevoilequiprotégeaitsonpetitchapeau.Lepanieràprovisionsetlatenuepeuseyanteajoutèrentàsonétonnement.Ilfutprisd’undoute…

qui ne dura pas. Pour La Perla, il ne s’agissait évidemment que d’un déguisement. Après tout, lescourtisanesaussiprotégeaientleurvieprivéelorsqu’ellessortaientenpublic.

***

D’unemain tremblante,Constance introduisit laclédans la serrure.C’était lemomentou jamais,l’occasion rêvée de s’expliquer enfin avec Troy.Car il était là, sur le seuil de sa porte.De la ported’Annalisa.Etilétaitsi…

Elleseredressa.Ahnon!Pasquestiondes’arrêterdenouveausursaséduction.Dureste,quellequesoitlaraisondesaprésenceici,sonexpressionn’étaitguèreengageante.

Elletournalaclé.—Entrez,dit-elle,revenant,commelui,auvouvoiement.Il eut un léger flottement. Cette imperceptible hésitation le prit au dépourvu, mais il se fustigea

aussitôt.Iliraitjusqu’auboutdesamission,aprèsquoiils’éloigneraitdecettefemmepourtoujours.—Sivousvoulezbienpatientercinqminutes,jevaisnousfaireduthé,proposa-t-elleenluiouvrant

laportedusalonrose,avantdes’éloigner.Cettediversionquiallaitluipermettredes’isoler,sereprendre,calmerlesbattementseffrénésde

soncœuretsurtoutmettresesidéesauclair,luiétaitindispensable.Ellesedirigeaverslaportecapitonnéeaufondducouloiretdescenditlesmarchesmenantdansla

cuisine.C’étaitleseulendroitdelamaisonoùelleétaitparvenueàsesentirchezelle.Là, elleprit labouilloire en fer et allavers lapompeà eau. Il y en avait deuxdans lamaison ;

l’autre se trouvaitdans la trèsmoderne salledebains.Constance s’enémerveillaune fois encore.Del’eauàvolonté!Quelluxeinouï!Elleposalabouilloiresurlefourneauetouvritleplacard.CommeelledisposaitlestassesenporcelainedeChinesurleplateaud’argent,unbruitdepasl’avertitdel’arrivéedeTroy.

—Lethévientdefinird’infuser,annonça-t-elleensaisissantleplateauavantdesetournerverssonhôteinattendu.

Peudésireuxderetournerdanslesalonrosetropchargé—déjà—desouvenirs, il l’arrêtad’ungeste.

—Buvons-leplutôtici.—Sivouspréférez…,répondit-elleenposantleplateausurlagrandetable.Ils’assitenfaced’elleetreculasonsiègepourdonnerdavantagedeplaceàseslonguesjambes.Constance posa une tasse devant lui, apprit sans surprise, lorsqu’elle lui posa la question, qu’il

buvaitsonthésanssucre,versaunpeudelaitdanslesienets’installasurunechaise.Loindeparaître

Page 21: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

déplacédanscetenvironnementsimple,Troys’ysentaitmanifestementàl’aise,aupointquelascèneendevenaitpresquefamilière.Elleenrestaabasourdie.Lavérité—qu’elleavaitétéincapablederegarderen face jusqu’à maintenant— lui apparaissait dans toute son évidence. Ce n’était pas juste du désirqu’elle éprouvait pour cet homme, mais une profonde attirance, d’autant plus surprenante qu’elle luisemblait normale. En d’autres circonstances, comprit-elle alors, une relation extraordinaire aurait pus’établirentreeux.

Endetoutautrescirconstances.

***

Troyregardasonthésansmêmefaireminedevouloirleboire.IlsavaitLaPerlanerveuserienqu’àsafaçondeserrersatasseentresesmains.

Elle paraissait singulièrement plus jeune, aujourd’hui, avec sa chevelure sagement retenue en unlourdchignonsurlanuque.Quantàsapeau,ellen’avaitvraimentpaslemoindredéfaut.Ilsedemandacombiend’hommesl’avaienttouchéedepuisquelui-mêmel’avaitfait.Combienavaientprissoncorps?Combien avaient eu le droit de goûter ses lèvres ? En lui, la répulsion le disputait à un sentimentressemblantàs’yméprendreàdelajalousie.

Ilrepoussasonsiège,seleva,allas’adosseraumanteaudeboisdelacheminéeetparlasansdétour.—Lorsque je suis venu ici il y a quatre jours, je ne vous ai pas tout dit. Je suis bien le baron

d’Ettrick,mais aussi l’actuel attachéd’ambassadedeGrande-Bretagne en Italie.Or, l’ambassadeur enplacelà-basestlordWheetleyMontague.

Ilmarquauntemps.Constanceleregardait,attendantlasuite.—Pourêtreplusclair,madame,reprit-ilalorsavecunepointed’exaspération,jesuisvenuicipour

affaires.Maispasdecellesquel’ontraited’habitudeencelieu.Jepréciseégalementquejen’avaispasl’intentiondevouspayerpourvosservices.

—Comptetenudelasommeénormequevousm’offriez,réponditConstanceenarquantlessourcils,vousn’avezpucroireuneseulesecondequejevousprenaisausérieux…

—Mille, lança-t-il. C’est le tarif habituel pour une nuit. Jeme suis renseigné auprès de…d’unhabituédulieu.

—MonDieu,vraiment?Millelivres!Annalisa lui avait dit à plusieurs reprises qu’elle était fière de sa renommée, mais sans jamais

aborderlesujetdel’argent.Desoncôté,elleavaitsoigneusementcontournélesujet.—Mille guinées, corrigea Troy tout en suivant, sur les joues rougissantes de la courtisane, la

progressiondesontrouble.Ilyavaitcommeunvoilede larmesdansces irrésistiblesyeuxmarronenamande.Etunchagrin

authentique.Alors,endépitdesafermerésolutionderéglerl’affaireauplusviteetdepartir, ilneputs’empêcherd’ajouter:

—Detoutefaçon,lemontantn’aaucuneimportance.Seulecomptevraimentlaraisonprofondedemaprésenceici.

—Etquelleest-elle?Quittantsaplacecontre lacheminée,Troyretrouvasonsiège.IlseraitmieuxlàpourobserverLa

Perla.Elleétaitsidifférente!Sonparfumaussiavaitchangé.Iln’étaitpluslourdetcapiteuxcommeladernièrefois,maisfruitéetfleuri.

Illuimontaitnéanmoinsàlatêtedelamêmefaçon…Qu’attends-tupourconclure?s’invectiva-t-ilsansdouceur.Vajusqu’aubout!Parle!—Jesuisvenuvousdirequevotrepetitjeuétaitterminé,madame.Quevousétiezdémasquée.Ellen’eutpasl’airtroublée.Sansdoutes’attendait-elleàcettemiseaupoint.

Page 22: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

—Queljeu?Sivousparlezdel’argent,voussaveztrèsbienquejen’aijamaiseul’int…—JeparledujeuquevousavezjouéavecPhilipMontague.—Qui?—PhilipMontague,lefilsaînédelordMontague…—…AmbassadeurdeGrande-Bretagneen Italie, oui, vousme l’avezdéjàdit.Seulement, jene

connaispersonnedecenom.NilordniPhilip.—Pourl’amourduciel,cessezdementir!VousavezpromisàPhilipdeluiprouvervotreamouren

vousabstenantdetouterelationavecunautrehommependantsixmoisautermedesquelsvouspourriezvousmarier.Maisàprésent,madame,votredupliciténefaitaucundoute.Enarrivantici,l’autrejour,jepensais que vous accepteriez immédiatementmonoffre de prix et que cela suffirait à vous confondre.Maisvousenavezdécidéautrementenvousmontrantparticulièrement…chaleureuse,etj’ai…

Ils’interrompit,fitdelamainungesteagacé,puisreprit:— Peu importe. A présent que je vous ai déjouée, vous allez immédiatement libérer de son

engagementcejeunehommequevousavezberné!Constancepritsatasse,maissamaintremblaitsifortqueduthédébordaetcouladanslasoucoupe.— Je ne comprends pas, balbutia-t-elle en levant vers Troy un regard empli de désarroi. Vous

pensezquej’ai…Vousditesquecegarçon…ce…Comments’appelle-t-il?—Philip,réponditsèchementTroy.Vouslesavezfortbien.Ellefronçafortementlessourcils.Annalisan’avaitjamaismentionnécePhilip.Nel’aurait-ellepas

fait,sielleavaitétéengagéeavecluidansunerelationsérieuse?Commentenêtresûre?Elleétaitalorssimalade…Cegarçon,cepauvregarçonavaitdoncperdusontempsàattendreetàespérerpourrien.

—Ilvafalloirluiexpliquer…,murmura-t-ellepourelle-même.—Eneffet, assenaTroy sansdissimuler sa satisfaction.Vousdevez lui apprendrequevousavez

changéd’avis.Cen’estévidemmentpasdansvotreintérêtquej’agisainsi,maisdanslesien.D’ailleurs,soyezsûreque,s’illefaut,jel’informeraimoi-mêmedecequi…nousest…arrivé.

Blessée,Constancevoulutselever,maissesjambestremblaienttrop.—«Cequinousestarrivé»,commevousdites,n’arienàvoirlaterribledéceptiondecepauvre

jeunehomme!—Madame!Vousnevoyezdoncpasque…—Non,c’estvousquinevoyezpas!JenesuispasLaPerla!Troyrestad’abordassommé,incapabledeproférerunson.Puisilbalbutia:—Qu…quoi?—Cen’estpasmoiquisuisfiancéeàcePhilipMontague.—Cen’estpasvous?Illafixaittoujours,lesyeuxarrondisparlastupéfaction,incapabledefaireautrechosequerépéter

cequ’elledisait. Ilessayadereprendresesesprits,enpureperte.Cequ’ilvenaitd’apprendreétaitsiextravagant!Cettefemmen’étaitpasLaPerla!Maisalors,quesignifiaientcettemaison,cettetenuedanslaquelleellel’avaitreçu?

—Sivousn’êtespasLaPerla,quidiableêtes-vousdonc?

Page 23: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Chapitre4

—Jem’appelleConstance.ConstanceMillburn.Annalisa—LaPerla—étaitmajumelle.Elleestmorteilyaunmois.Lorsqu’elleestvenuesonneràmaporte,ellesavaitdéjàsesjourscomptés,et jejure qu’elle n’a jamais évoqué un quelconque Philip devantmoi. Cela signifie donc que si elle avaitpromislemariageaufilsdevotreami,ellen’avaitpasl’intentiondetenirsonengagement.

—LaPerlaestmorte…Lentement,trèslentement,Troycommençaitàsaisirlaportéedecequ’ilvenaitd’apprendre.—Vousn’êtesdoncpasune…une…—Jesuislaveuved’unpasteurdecampagne.Jamaisjen’aieul’intentiondeprendrevotreargent.

Dieuduciel !La somme finalequevousavezproposéeétait si extravagante !Commentavez-vouspupenserunseulinstantquejevousprendraisausérieux?

—Voustrouvezpeut-êtrecettesommeextravagante,maisellen’estriencomparéeàcequevous…àcequeLaPerlaauraitextorquéàPhilipMontague,unefoismariéeaveclui,réponditTroysansdétour.Elleauraiteutôtfaitdelesaigneràblanc.Jesuismieuxplacéquequiconquepourlesavoir.

—Quevoulez-vousdire?Ilhaussalesépaules.—Celan’apasd’importance.—Ilmesembleaucontrairequevousfaitesde toutecetteaffaireunehistoirepersonnelle, reprit

Constancesuruntonplusdécidé.Est-cequejemetrompe?Ileutunsourireamer.—Non.Etpuisquevousinsistez,sachezquelorsquej’avais,commePhilipMontague,dix-neufans

et encore toutes mes illusions, une femme aussi persuasive que votre sœur m’a envoûté. Je pensaisqu’ellem’aimait,maisj’aidécouvertqu’ellen’aimaitquemafortune.

—Oh…Laconfessionétait inattendueetConstanceenfutémue.Elleposa lamainsurcelledeTroyet la

pressadoucement.—Jesuisdésolée.Celaadûêtre…—Dévastateur…ettrèsinstructif.Cettehorribleexpérienceachangémavie.—Ques’est-ilpasséensuite?Ilhésita,puiscédadenouveauàl’inexplicablepouvoirqu’elleexerçaitsurlui.— L’histoire est presque banale. La sirène s’appelait Stella Margate. On la surnommait

l’Incomparable Stella. A mes yeux, elle n’était pas seulement belle mais aussi dotée de toutes lesqualitésdelaterre.Jelatrouvaislaplusélégante,laplusspirituelle,laplusirrésistibledescréatures.

Page 24: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Rappelez-vous que j’avais seulement dix-neuf ans… Elle flattait ma vanité, m’accordait des faveursinterdites,etcelamesuffisaitpourcroirequ’ellem’aimaitetquej’étaismoiaussiamoureux.

—L’étiez-vous?Constanceavaitposésaquestionsansdétour.Ilfallaitqu’ellesache.Pourquoi?Ellepréféraitne

passeledemander.—J’étaissurtoutsonesclave,répondit-ilaveclamêmefranchise.Ilmarquaunsilenceetreprit:—Apparemment,lesdeuxchosesnesontpassiéloignéesl’unedel’autre?puisquej’aiperduen

même tempsmon cœur et ma liberté…Alors que ses demandes d’argent devenaient de plus en pluspressantes,jemesuismisdesœillèresetj’airefuséd’entendrelesavertissementsdemesamis.Jusqu’àcequejemeretrouvecouvertdedettes,détailquemamaîtresseasuperbementignoré!Maislorsquej’aiétéincapablederéunirlesfondsnécessairesàl’achatdunouveaucollierqu’ellevoulaitquejeluioffre,elleatrèsvivementréagi.

—Qu’a-t-ellefait?—Adeux ans demamajorité, jeme trouvais encore sous l’autorité d’un père assez alerte pour

éloigner laperspectived’hériter rapidementde son titredebaron.Madélicatebien-aiméen’apasétélongueàlecomprendre,etjen’oublieraijamaissonriremoqueurquandj’aicommencéàluiexpliquerquel’amourvalaitbienplusqueleplusbeaucollierdelaterre…Avraidire,elleadisparuavecunecélérité et une indifférence qui m’ont laissé pantois. Le surlendemain, elle s’affichait déjà avec sonnouveau protecteur…Deuxmois plus tard, je quittais l’Angleterre pour me consacrer à ma nouvellecarrièredediplomate,loindeLondresetdemonbourreau.Cefutleprixquemontrèsavisépèrefixaenéchangedurèglementdemesdettesparsessoins.Sonexigencemefutsalutaire;len’aijamaisregrettédem’yêtreplié.

—Jevois…,fitConstance, lecœurserréensongeantauxillusionsenvoléesdujeuneTroy.Et jecomprendspourquoi,quandvotreambassadeurvousademandédesauver son filsde l’emprisedemasœur,vousavezaccepté.

—Ilétaitdemondevoird’empêchercetinnocentdeconnaîtrelemêmedestinquemoi.Constancesecoualatête.— Je suis sûre que ma sœur n’avait pas l’intention de ruiner ce garçon. Elle était atteinte de

consomptionetsavaitqu’elleallaitmourir.Sansdoutes’enserait-elleséparéeendouceur.—Aenjugerpar le luxesanspareil régnantdanscettemaison, jedoutequ’elleaiteuenvers les

hommeslaconsidérationquevousluisupposez.Cetendroitacoûtéunepetitefortune.—J’enaiconscience,etnecroyezpasque jeveuille fermer lesyeuxsur l’évidence.Mais jene

peuxoubliernonplusqu’Annalisaaeuuneenfanceextrêmementtourmentée.Notremèreatoujourseuledondechoisirleshommesqu’ilneluifallaitpas,et…

Elles’interrompituninstantpuisrepritavecunhaussementd’épaules:—Quandunepersonnepauvre commeelle l’était disposed’unphysique comme le sien, peut-on

vraimentlablâmerd’enêtrearrivéelà?Pourmapart,jem’yrefuse.JepeuxseulementremercierDieuden’avoirpaseuàfaireunchoixaussidifficile.

—Elleatoutdemêmesuentirerparti.— Cela ne l’a pas empêchée de mourir prématurément, répliqua Constance, les yeux pleins de

larmes.—Jesuisdésolé.Iltiraunmouchoirdesapocheetluitamponnadoucementlespaupières.—Je suis sincèrementdésolé,mon intentionn’était pasdevousblesser.Du reste, quoique l’on

puissedireàsonpropos,ellen’enresterapasmoinsvotresœurpourtoujours.Plusquecelamême,carlesjumellessontencoreplusprochesl’unedel’autrequedesimplessœurs.

Page 25: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

— Je n’ai appris son existence qu’il y a six mois. En même temps, ajouta Constance avecmélancolie, j’ai toujours eu le sentiment qu’une partie demoi-mêmememanquait. Son apparition, unbeausoir,surlepasdemaporte,adoncétépourmoisourced’apaisement.

—Pourquoiavez-vousétéséparées?—Quandnotrepèrenousaabandonnées,mamèrearepoussélasolutionconsistantànousconfierà

l’orphelinat.Malheureusement, elle ne pouvait nous garder toutes les deux.Alors, ellem’a fait entrerdans une famille.Mais le couple quim’a adoptée a posé comme condition que tous les ponts soientcoupésavecmonpassépourtantsimince.Etjamais,parlasuite,ilsnem’enontparlé.Danslebutdemeprotéger,jesuppose…Entoutcas,àl’inversedemapauvremamanetdemoninfortunéesœur,j’aivécuuneexistencetrèsrespectable.

Troy hocha la tête. Cela expliquait l’innocence de ses baisers, sa surprise quand le plaisir étaitmontéenelle, l’absence totaled’artificedanssoncomportementet le faitqu’ellesoitsidifférentedesautresfemmes,cequ’ilavaitmistantdemauvaisegrâceàreconnaître.Celaexpliquaitaussilaperfectiondel’instantoùleurscorpss’étaientunisetqu’iln’avait jamaisconnueauparavant.Oui,celaexpliquaitbeaucoupdechoses.

Pastout,cependant.—Pourquoiavez-vous…Enfin…Jenecomprendspascequivousestpassépar la tête.Jeveux

dire…laraisonpourlaquellevousavezdécidédejouercerôle.Constancepliasonmouchoirqu’elleavaitgardéàlamainendeux.Enquatre.Puisenhuit.—Jenesaispas.C’estcompliqué…Ileutungrandrire.Trèsmasculin.Unriredegorge.Celuid’unhommequelesoulagementrendait

presqueeuphorique.Ellen’étaitpasLaPerla.ElleétaitConstanceMillburn, laveuved’unvicairedecampagne,aussiconfusequeluidecequis’étaitpassé.Etelleétaitsurtout,enquinzeans,lapremièrefemmedans lesbrasde laquelle il s’étaitsentiaussi…lemot luiéchappait.Cemotétaitpourtant trèsimportant, pleind’une significationprofonde.Constancen’était pasunecourtisane.Que le ciel en soitremercié!

Bien sûr, il était désolé pour le jeune Philip Montague mais, à vrai dire, il ne l’avait jamaispersonnellementrencontré.Letempsguériraitsesblessuresetluiapprendraitaussiqu’ilavaitfinalementeubeaucoupdechancequecetteaventuresetermineavantqu’ilnesoittroptard.

— Si vous pouviez quand même essayer de m’expliquer…, insista-t-il en prenant la main deConstance.J’aimeraissincèrementcomprendre.

Elle posa son mouchoir sur la table. Il avait la main chaude, et si grande qu’elle recouvraitcomplètementlasienne.Soncontactfitcourirundélicieuxfrissondanssondos.

—Jenesaispassijepeux,répondit-elleenbaissantlesyeux.Elletremblaittantqu’ilcompritimmédiatementquecequis’étaitpasséentreeuxavaitétéimportant

pourelle.Autantquepourlui.Etquel’argentn’ytenaitaucuneplace.—Constance…,dit-ilpourlapremièrefoisenprenantunplaisirévidentàprononcersonprénom.

Jevousenprie,expliquez-moi.Toutenparlant,illuiavaitglisséderrièrel’oreilleunepetitemècheéchappéedesonchignon.Elle

tressaillitàsoncontactcommes’ilavaitfaitjailliruneétincelle.Sondésarroiétaitaussiintensequelorsdeleurpremièrerencontre.Davantagemêmecar,dansledécortoutsimpledelacuisineetvêtuedesespropresvêtements,ellenepouvaitplusseréfugierderrièrel’excusedejouerlerôledesajumelle.

Ilétaitégalementdeplusenplusévidentqu’elleavaitenviedelui.Etluiaussiavaitenvied’elle.Sespupillesdilatéesetsarespirationoppresséeleprouvaient.Quantàconnaîtrelanatureexactedecequilespoussaitl’unversl’autre,c’étaitimpossible.Commeilétaitimpossiblededevineroùtoutcelalesmènerait.Quoiqu’ilensoit,leurétrangeaventureméritaitquetoutelavéritésoitdite.

Ellehésitapendantunmoment,puisselança.

Page 26: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

—Commej’aicommencéàvousl’expliquertoutàl’heure,jen’aijamaisconnumajumelle.J’aiétéélevée à la campagne et j’ai eu une existence très protégée. Fille obéissante pendant mes dix-neufpremières années, épouse obéissante pendant les cinq suivantes et, depuis l’année dernière, veuvevertueuse.

—Aimiez-vousvotremari?demandaTroysansambages.—Non, dit-elle en détournant légèrement la tête.Mais… j’ai essayé de l’apprécier car tout le

monde,dansmonentourage, s’accordait àdireque j’avais faitunbonmariage.Bienqu’il eûtpresquetrenteansdeplusquemoi,ilvoulaitquandmêmeunhéritier.

Aprèss’êtremordillélalèvre,elleajouta:—Maisnousn’avonspaseucebonheur.Lerougeenvahitsesjouestandisqu’ellepoursuivait:—Monmarin’étaitpasunhommetrèspassionné,et jen’aipasconnuavec lui leplaisir telque

nous…queje…Annalisayavaitfaitallusionaucoursdesesconfidences,etjemeposaisbeaucoupdequestionsàcesujet.Endécouvrantsestenuesoséesetsonfabuleuxcollierdeperles,j’avoueavoirlaissédérivermonimagination.C’estalorsquevousêtesapparucomme…commesimesrêveriesavaientpriscorpsàtraversvous.Neriezpas…

—Jen’ai aucune enviede rire,Constance. Jeme sens, à vrai dire, extrêmement flatté.Plusqueflatté,même.

C’était vrai. Aussi ridicule que cela puisse paraître, Troy se sentait merveilleusement heureuxd’avoirétélepremierhommeàluifairedécouvrirleplaisir,etsarévélation—presqueuneconfession—lefaisaitexultertantillasentaitvraie.

Ledésirmontaenlui.Aquoibon,sedit-ilensetrouvantunpeuridicule,puisqu’iln’avaitaucuneintentiond’allerplusloin?

IlseforçaàlâcherlebrasdeConstanceetàseleverpourretourners’adosseràlacheminéeafind’échapperauparfumquil’enivrait,pourrendretoutnouveaucontactimpossible.

—Commentvotresœurvousa-t-elleretrouvéeaprèstoutescesannées?—Avantdemourir,mamèreluiavaitrévélémonexistence.Maismaviedefemmemariéeétaitsi

différente de la sienne qu’elle n’a pas osé me contacter. Elle craignait trop, m’a-t-elle confié, dem’embarrasser. Peu de temps après le décès demonmari, elle est tombéemalade.C’est cela qui l’adécidéeàvenirmevoir.J’enaiétésiheureuse,Troy!Quen’était-elleentréeplustôtdansmavie!Jel’aisoignée,dorlotée.Ellem’aparlédemamanetdupeuqu’ellesavaitdenotrepère.SursonexistenceàLondres, elle s’est montrée en revanche beaucoup moins diserte. Je pense qu’elle en était un peuhonteuse,oupeut-êtrecraignait-ellequecesoitmoiquilesois.Quandvousêtesarrivé,jem’étaisdéjàhabillée,coiffée,paréecommeellepourimaginerplusfacilementcequ’avaitpuêtresonexistence.Lefaitquevousm’ayezprisepourellem’apousséeàcontinuer.Jemesuispriseàmonproprejeu.Ensuite,j’aiétécurieusedevoirlasommequevousétiezprêtàdébourserpourmoi,enfin…pourmasœur.Etfinalement, je…jenecomprendspascequis’estpassémais…àunmoment, j’aisentiqu’ilétait troptard,quejenepouvais…plusm’arrêter.

Savoixétaitdevenueunmurmure,mais ellepoursuivit courageusement sanspouvoir toutefois serésoudreàaffrontersonregardquinelaquittaitpas.

—Bienquetoutaitcommencépourmoi,danscettemaisonencorevibrantedelaprésencedemajumelle,commeunjeuétrangeconsistantàdevenirelle,j’aitrèsvitecessé,àvotrecontact,d’êtrelefruitde cette illusion. Je suis au contraire devenuemoi-même comme je ne l’avais jamais été auparavant.Quelquechosedesiinsolitepassaitentrenous!Unsentimenttropfortpourquejepuissel’ignorermêmesi,aujourd’huiencore,jeneparvienstoujourspasàlequalifier.

—Cen’estpasleplusimportant,Constance.Cequicompte,c’estque,demoncôté,j’aieressentilamêmeémotionetquejenepuissel’expliquermieuxquevous.Oui,oubliantcequim’avaitamenédans

Page 27: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

cettemaison,jemesuiségalementlaisséprendreàmonjeu.Pourtant,jen’ignoraispasquevous…Quevotre sœur était une…Mais cela n’a pas suffi à me retenir. Pas plus que de penser que vous vousmoquiezdemoietessayiezjustedefairemonterleprixdevosservices.

—Jenefaisaispassemblant,Troy.Quandnous…Quandj’ai…Cen’étaitpasdelacomédie.—J’enétaisparfaitementconscient,cequinem’apasempêchédetoutfairepourmepersuaderdu

contraire.Demoncôténonplus jene faisaispas semblant,Constance. J’étaispris…incapabledemesoustraireàvotreemprise.

Ilmarquaunarrêt,éberluéparsaconfessioncar,s’ilétaitd’unnaturelfranc,ilneselivraitjamaisauxconfidences.

Puisilrevints’asseoirenfaced’elleetrepritensouriant:— Quelque chose en vous me fait agir et m’exprimer d’une façon telle que je me reconnais à

peine…Constancerestastupéfaite.C’étaitlapremièrefoisqu’ellesurprenaitTroyentraindesourireainsi,

qu’ellevoyaitsonregards’illuminerdel’intérieur.Celaluicausauntelplaisirqu’ellesentitsonpropreregard semettre à briller aussi et son sourire devenir intensément sensuel lorsqu’il suivit du bout del’indexlecontourdeseslèvres.

Uneimpressiond’extraordinairelégèretélasaisitalorsetl’enveloppa.Toutcelaparcequ’elleavaitpus’exprimeren totale libertédevant lui,parcequ’il luiavait répondude lamêmemanière,etque lavéritérégnaitàprésententreeux.Oui,voilàpourquoiellesesentaitaussidélicieusementbien.

—Vousn’êtespasfâché?Il lui prit lamain et resta un instant émerveillé par la façon toute naturelle dont leurs doigts se

mêlèrent.—Fâché,moi?Sûrementpas!Lessourcilslégèrementfroncés,ilsecoualatête.—Néanmoins,j’aibeauchercher,jenetrouvepaslemotquiqualifieraitmonétatd’esprit.Il se sentait presque perdu. Cette fois, le diplomate s’était vraiment effacé devant l’être humain

désireuxdeselivrersanslamoindrearrière-pensée.—Entoutcas,jeréalisequevotreconfessionmerendinsupportablel’idéede…d’enresterlàavec

vous.—Sachezquecetteidéem’esttoutaussipénible.L’aveudeConstancefutpourluiunauthentiqueravissementetluifitimmédiatementveniràl’esprit

desscènesbrûlantes…maisimpossibles.Sondépartpourl’Italien’étaitplusqu’unequestiondejours.Or,cette femmeétaitdifférente,etunebrève liaisonserait aussi insatisfaisantepourellequepour lui.C’étaitpourtant toutcequ’ilpouvait luioffrir.Aussis’efforça-t-ildenepasécouter lapetitevoixquiessayaitdeleconvaincrequecelavaudraitmieuxquerien,etqu’ilnerécolteraitquedesregretss’illaquittaitpurementetsimplement.

—Qu’allez-vousfaireàprésent?demanda-t-ildansl’espoirquelaréponsedeConstancel’aideraitàprendresapropredécision.

—Jenesaispasexactement.Pourcommencer,vendrelamaison.Maisilyatantd’affairesiciquejenevoispasdutoutcequejevaispouvoirenfaire.Sansparlerdesbijoux…Jen’aipasbesoindetoutcela.Et,detoutefaçon,jen’enveuxpas.

—Sivousvoulezaccomplirquelquechoseàlamémoiredevotresœur,offrez-lesàunorganismedecharité.

—Certainement pas.Ces organismes n’ont de charitable que le nom.Les femmes qui y trouventrefugey sont le plus souventméprisées etmal traitées. Je ne suis pas en train de fermer les yeux surl’existencequemenaitAnnalisa,mais tout lemondesaitquecertainesfemmessontobligéesdevendreleurscharmespoursurvivre.Toutn’estpasentièrementleurfaute.

Page 28: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

—Danscecas,trouvezunorganismepluscompréhensif.—Pourquoipas?Cen’estpasexclu. Jusqu’àprésent, jen’aiguèreeu le loisirdesongerà tout

cela.—Entoutcas,nedistribuezpastout.Gardezquelquesaffairespourvous.Annalisaauraitsûrement

vouluque,grâceàelle,vousconnaissiezunmeilleurtraindevie.Constanceparutsongeuse.—Ma jumelle…Elle était une partie demoi que je ne connais pas et ne connaîtrai sans doute

jamais.Il lui effleura doucement la main de ses lèvres et elle frissonna tant celles-ci étaient douces et

chaudes.—Luiressemblez-vous?demanda-t-il.—Ilyaunportraitd’elleaupremier.Jepeuxvouslemontrer,sivousvoulez.Commeilacquiesçaitdelatête,elleluiouvritlecheminetleprécédadansl’escalier.Ilessayade

nepasobserversatailledeguêpe,lacourbedélicieusedesondos,etl’ondulationdeseshancheschaquefoisqu’ellegravissait unemarche.Lebasde ses reins lui rappela trèsvitedes imagesde leur courtepassion,etilsentitsonsexesedurcir.Sondésirsefaisaitd’autantplusexigeantqu’ilsavaitmaintenantque Constance n’était pas une professionnelle. Le trouble et le désir qui émanaient d’elle étaientauthentiques.Quantàlacertituded’avoirétéceluiquil’avaitmenéeàl’extase,ellel’excitaitplusqu’iln’auraitsudire.

Le portrait était suspendu au-dessus de la cheminée. Il l’étudia attentivement. La Perla le fixait,hautementséductriceetdélibérémentprovocante.SesyeuxmarronenamandeétaientlesmêmesqueceuxdeConstance.Sachevelureaussi.Sabouche…

—Elleesttrèsbelle,maispasautantquevous.—Troy…Nousétionsjumelles.Ilpersista,sûrdelui,enluicaressantlalèvreinférieureduboutdupouce.—Paspourmoi.Votreboucheestdifférente.Sacourbeestplusdouce.Etquandvoussouriez,vous

avezunefossette…justelà.Ilavaitarrêtésonpoucesursajoue.Constanceessayadeseconcentrersurcequ’ildisait,maisdes

frissonsparcouraientsacolonnevertébraleetsoncœurcognait.—Elleavaitunesilhouetteplus…pleinequemoi,remarqua-t-elled’unevoixétrangementbasse.—Votresilhouetteestparfaite,repartit-ilenglissantlamainsursanuque.Sesdoigtsseperdirentdanslesplisdesonfoulardetdescendirentlelongdesagorge.Lesseinsde

Constancesesoulevaientdemanièresaccadée,exprimantsontrouble.Saproprerespirations’accéléra.—Votrepoitrineaussiestparfaite.Regardez,ellesemblefaitepourmesmains.Pourmieuxleluiprouver,ilpritsesseinsaucreuxdesespaumes.Agirdelasorteétaitstupide,ilnelesavaitquetrop,maisarrêtermaintenantétaitau-dessusdeses

forces.Commesiellevoulaitl’aideràrésister,Constances’écartasoudaindeluietouvritlaportedela

penderieàcôtéd’elle.—Regardeztoutcequepossédaitmasœur.Jen’aivraimentpaslamoindreidéedecequejevais

pouvoirfairedetoutcela…Ladiversionétaitdetaille.Constancenes’arrêtacependantpaslà.Elleouvrituntiroir,enextirpa

desétoles,despairesdegants,desécharpes,desbaset,desdeuxmains,envoya le toutvalserautourd’elle,essayantd’évacuerainsisontroubleetsondésir.

—Commentvoulez-vousquejeportedeschosespareilles?Soies, dentelles et broderies gisaient à ses pieds.Attrapant une nouvelle brassée d’affaires, elle

lançatoutversleplafond.

Page 29: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

—Etcesbasdetouteslescouleurs…verts,noirs,rouges…—Ceuxquevousportiezl’autrejourétaientnoirs,remarqua-t-ilcalmementenramassantl’unedes

pairesquijonchaientlesol.Etvosjarretières,rouges.—C’estvrai,dit-elle,unpeudégrisée.Ses idées, elle le sentait, étaient embrouillées,mais comment garder la tête froide alors qu’il la

couvaitainsiduregard?Elleposalamainsursonfoulardet,àlarecherched’unefraîcheurillusoire,ledéplaçadequelquescentimètres.

— Aujourd’hui, mes bas sont blancs, ajouta-t-elle, obéissant à un automatisme stupide qu’elleregrettaaussitôt.

Avait-elleperdularaison?Pourquoiavoirditcela?—Lenoir,lerougeetleblanc…,murmura-t-ilenjetantuncoupd’œilauxaccessoiresépars.Mes

couleurspréférées…Elleneréponditpas.—Voyonsunpeucequecontiennentlesautrestiroirs,dit-ilenapprochantdel’armoire.Ilouvritceluidumilieu.Unerangéedemasquesneutresencuiravec justedeuxfentespour lesyeuxs’offrità leurregard.

Constance resta coite. D’autres, en porcelaine, représentaient des créatures fantastiques, presquedémoniaques.

Derrièrelesmasques,unedemi-douzainedefouets.—DouxJésus…,murmura-t-elleenrosissant.Verges,cravaches,chatàneufqueues…Troylesignora.Ilsaisitunmasquedesoienoireincrusté

depierres,prolongédeplumes,leluifixasurlevisageetlafitseretourner.Ellesursauta.Quiétaitcettecréaturefélineauxyeuxbrillantsquilaregardaitdanslemiroir?

—Avec cemasque et vos grands yeux en amande, vous ressemblez à un chat, remarqua-t-il encommençantàretirerlesépinglesdesonchignon.Unchatsplendide.

Sa longue chevelure se déroula telle une vague rousse. Il y plongea les doigts, puis lui dénudal’épauleavantdesepencherversellepourl’embrasser.FascinéeparlecontrasteentrelapeaupresqueburinéedeTroyetlasienne,d’uneblancheurd’albâtre,elleleregardafairedanslemiroir.

Il saisit, dans le tiroir, un fouet aumanche doré et lui caressa l’épaule de ses lanières en cuir.Constancefrémit.

—Cesera l’instrumentde tonchâtimentsi tum’écorchesavec tesgriffes…, luichuchota-t-il.Enmêmetemps,tun’aspasidéedel’enviequej’aidesentircefouetm’échaufferledospendantquejeteprendrai.

Ellefrissonnadeplusbelle.Alors,illuidélaçalarobeetluieffleuradenouveaul’épauleaveclefouet.

—Constance…La façon dont il prononçait son prénom évoquait quelque chose de brûlant, dangereux et doux

commelepéché.Elle ferma les yeux et se laissa aller en arrière contre sa chaleur, se délectant de lafaçondont lebasdesondossenichaitcontresonbas-ventreetsonsexequ’ellesentitsedurciràsoncontact.

—Jenepeuxmementiràmoi-mêmeunesecondefois…,murmura-t-ilenluiembrassantlelobedel’oreille.Cettefois,jeteledis:situnem’arrêtespas,j’iraijusqu’aubout.

Dans lemiroir, lesyeuxdechatétincelèrentderrière lemasque.Lesseinsblancsse teintèrentderose.UnevaguedechaleurpritnaissancedansleventredeConstance,etserépanditdansdescontréesplusintimes.

—Troy…Leprénomdecethommeétaitceluidudésir.

Page 30: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

—…Etmoi,jeveuxquetuaillesjusqu’aubout,murmura-t-elleenseretournantentresesbras.Ses baisers, dont elle se rappelait la douceur, lui semblèrent encore plus suaves. Sa langue la

caressait,seslèvrescherchaientàsavoir.Ilprenaitsontemps,s’abandonnantàsestendresdécouvertes.Bientôt,larobetombaàterre.Constanceseretrouvapresquenuesoussachemisetoutesimple,danssoncorsetsansornements,sesjambesgainéesdecotonblanc.

—Tuesd’unebeautérenversante,Constance.Irrésistible…Illuidéfitsonmasque,laissatomberlefouetqu’iltenaitetluipritleslèvres.Entreeux,lapassion

flambaaussitôt,lesembrasant.Constancemouraitd’enviedefairel’amouravecluietdevoir,cettefois,chaquepartiedesoncorps.Elleluiretirasachemiseavecunefébrilitéquilefitsouriremais,laseconded’après,ill’aidaitdanssonentrepriseavecunehâtevalantlasienne.Enfin,illuiôtasachemiseetsesbasdecoton.

***

Quiauraitpuimaginerquelecotonblancpuisseêtreaussiexcitant?Nu,lesexedressé,ilsetintbientôtdevantelle,sourianttoujoursmaisenproieàunenervositéqui

ne lui ressemblait pas. D’ailleurs, rien de ce qu’il vivait avec cette femme ne lui ressemblait. Elleaccaparait toute sonattention.Chacunde sesgestes comptait : sesmainsqui lui caressaient le cou, letorse,leventre,leshanches;sesdoigtsquiluieffleuraientlesexe,éprouvantfurtivementsonérection.Dieuduciel!Jamaisiln’avaiteuautantenviedefairel’amour!

—Attends,souffla-t-il.Attends…Cettefois,jeveuxtemontrer…Attends…Il la reprit contre lui, délaça son corset avec un calme qu’il était loin de ressentir, embrassa sa

nuqueet lehautdesondos,déposadesbaisers le longdesacolonnevertébraleet luienparsema lesreins, les fesses. Elle ne portait plusmaintenant, pour toute parure, que ses bas blancs retenus àmi-cuissespardesrubansdelamêmecouleur.

Cettefemmeétaitunedéesse.Elleavaitdesmamelonsrosesetdurs,uneboucherougeetdouce;seslongscheveuxétaientceuxd’uneféeetsonregardceluid’uneensorceleuse.

Ilcaressadelamainchacunedesescourbestandisqueseslèvresgoûtaientlarondeurdesesseins,l’extrêmefinessedesataille,letendrearrondidesesfesses.

L’entendant gémir quand il s’enhardit à l’intérieur de ses cuisses, il la fit s’étendre aumilieu deleursvêtementsépars.Lasoieétaléesurlesoletlesatinchauddesapeaul’accueillirent.

Il lui écarta délicatement les jambes, désireux de lui offrir ce que personne ne lui avait offertauparavant,etdel’adorercomme—illesavaitdéjà—ilnepourraitjamaisenadoreruneautre.

—Lemomentdesbaisersquenousévoquions ladernière fois estvenu,dit-il d’unevoix rauqueavantdeseblottirentresesjambes.

Constancetressaillitvivement,maisils’yattendait.—Chuuut!souffla-t-ilpourl’apaiser.Laisse-moitesavourercommej’enrêve.Illuicaressalescuisses,embrassasonventre.Ellesedétendit.Alors,iltrouvaavecsalanguele

cœurdesaféminité.

***

Salangue,sesdoigtslarendaientivredeplaisir.Ilétaitsidoux,siincroyablementdélicat!Quatrejoursplustôt,elleavaitcruatteindrelafélicitémais,aujourd’hui,elleaccédaitàdenouveauxsommets.Nonseulement il ladésirait,mais ilvoulaitqu’elleéprouveautantdeplaisirquelui.C’étaitellequ’ildésirait.Pasuneautre.ConstanceetTroy.TroyetConstance…

Page 31: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Sescaressessefaisaientdeplusenplusprécises.Ellesesentitdevenirbrûlante.Ilprenaittantetsibien possession d’elle qu’elle eut vite la sensation d’être incapable de supporter plus longtemps unplaisiraussifort.Commepourlalibérer,unirrésistibletourbillonl’emportaaussitôt,lahappa.Sescriss’élevèrentdanslapièce.ElleappelaTroyencore,s’offrantàluiavecunabandonqu’ellen’auraitjamaispuimaginer.

A présent, il fallait qu’elle le sente en elle. Tout de suite. Son corps ondula contre le sien, elles’accrocha à lui, parsemant son torse de baisers et son cou de petitesmorsures avant de dévorer seslèvres.

—Troy…Oh!Troy,s’ilteplaît…!Illasoulevadanssesbras,sedirigeaverslelitetl’étenditsurlacouverturedefourrure.L’espace

d’uninstant,illaconsidéraavecunsentimentd’exaltationabsolueavantdelarejoindre.Illuiécartalesjambes,lesenroulaautourdesatailleetlapénétralentement,profondément,savourant,cettefois,chaquesecondedesonavancée,sensibleàtoutessesréactionstandisqu’ellel’accueillaitenelle.Sacheveluresurl’oreillerétaitd’unedouceursoyeuseetsonvisaged’unebeautéincommensurable.

Quandellesemitàgémir,roulant la têtededroiteetdegauche, ils’arrêta, lesoufflecourt,et lacouvritdebaiserspassionnés.Puisilrepritdoucementsonva-et-vient.

Constancen’avaitmêmeplus la forced’ouvrir lesyeuxpour le regarder.Sentant lesexedeTroygrossiràl’intérieurd’elle,elleenlaçasonamantplusfortavecsesbrasetsesjambes,s’accordaàsonrythme,savourantlesavoir-fairedecethommequiluioffraittantdebonheur.

Lorsqu’ilaccélérasacadence,elleleserraéperdument,s’arc-boutacontreluietleretintdetoutessesforces.Alors,ellelesentitselibérerenelleenpoussantuncrirauque,lecorpsparcourud’unlongfrémissement.

Page 32: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Chapitre5

ConstanceetTroyrestèrentsoudés,unisl’unàl’autre,pendantdelonguessecondes.Troyrompittoutàcouplesilencebienheureuxquis’étaitétablientreeux.— Je n’aurais pas dû…La prudence est l’un demes principaux traits de caractère,mais tu l’as

complètement…anéantie.—Et toi, répliquaConstance avecun riredoux, tum’as fait perdre tout contrôle.Mais, de toute

façon,jevoulaisquetulefasses.Alorsqu’ils’apprêtaitàl’embrasser,ilsentit,stupéfait,sonsexesedurcirdenouveau.Embarrassé,

ilselaissaroulersurlecôté.Constanceseblottitimmédiatementcontresondosetl’entouradesesbras.Enfouissantlenezdans

sanuque,cherchantsonodeuretsachaleur,ellemurmura:—Oh!Troy,situasenviede…lefaireencore,j’enseraisparfaitementheureuse…Seretournant,illasaisitetlafitsemettreàcalifourchonsurlui.—TuressemblesautableaulaNaissancedeVénus,dit-ilencaressantsalonguechevelurerousse.Commeelle sepenchaitvers lui, il surprit leur imagedans lemiroirqui surplombait le lit.Cette

visionétaitsiérotiquequelesangsemitàbouillirdanssesveines.—Lèvelesyeux,murmura-t-iltoutenlasoulevantpourlapénétrer.Aumomentoùelles’exécutait, ilpritsesseinsdanssesmains, lespétritet lesexcita,multipliant

ainsilessourcesdesondésir.LespectacledeConstance,queleplaisirgagnaitdenouveau,luiarrachaune plainte rauque. Il lui empoigna les hanches pour lui imprimer un rythme plus rapide, haletant ets’enfonçant plus profondément en elle. Leurs cris s’élevèrent dans la chambre quand ils atteignirentensembleleparoxysmeduplaisir.Constanceretombasurlui,tremblante,enmurmurantsonprénom.

Ilss’endormirentl’uncontrel’autre.

***

Aleurréveil,ilsserendirentdanslasalledebainsoùlejetd’eauchaudesedéversasureuxcommeune cascadenaturelle, délassant leurs corps engourdis.Troy enduisit de savonune épongequ’il passadélicatementsurlecorpsdeConstance,glissantdoucementsursesformespleines,s’attardantavecuneindiciblelangueurentresesjambestandisquelamoussecaressaitsapeauqueleplaisiravaitrosie.

Unpeuplustard,elleremitlemasqueàsademandeetouvritavecsalanguedescheminsdebraisesursoncorpsjusqu’àcequ’elleoseleprendredanssabouchepourluioffrir,commeill’avaitfaitplustôtavecelle,unplaisirdifférent.

Page 33: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Ils sombrèrent de nouveau dans une douce torpeur et se réveillèrent plusieurs heures après. Lalumièredusoleilcouchantinondaitlachambred’unelueurvermeilledueàlacouleurdesmurs.Danslemiroir,ilsvirentleurreflet,leurstêtesjointessurl’oreiller.

Ilenallademêmelejoursuivantetencoreceluid’après.Troynepouvaits’arracheràConstanceetConstancen’auraitpulelaisserpartir.

Quand ils ne faisaient pas l’amour, ils se restauraient, se lavaient tendrement sous le jet d’eaumagique, discutaient et se racontaient leur vie dans la confiance partagée.A plusieurs reprises, ils sedécouvrirent des ressemblancesd’autant plus surprenantes que leurs expériencesdifféraient du tout autout.Elles leur permirent de jeter entre eux des ponts qui leur ouvrirent unmonde où ils se sentirent,pendanttoutletempsqu’ilspassèrentensemble,toutàfaitàl’abri.

Mais,inéluctablement,lemomentqu’ilsredoutaienttantfinitpararriver.Troydutpartir.Ilsgisaient,enlacés,surlecouvre-lit.ConstancesentaitlecœurdeTroybattreàl’unissondusien.

Pour la première fois de son existence, elle éprouvait une sensation de complétude absolue.Annalisan’étaitpaslaseulepersonnequiavaitmanquéàsavie.Cethommeaussiluiavaitmanqué.Ilétait,sanslemoindredoute,celuiqu’ellecherchaitdepuistoujours.

Etqui,àprésent,s’enallait.Non.Commentpouvait-elleseraconterdetellesinepties?ElleconnaissaitàpeineTroy!Alors,de

lààpenserqu’ilpouvait…qu’ellepouvait…qu’ilsauraientpu…C’étaitabsolumentridicule!Pourtant,elleypensait.Leplussérieusementdumonde.

***

—Constance,murmuraTroyenlaserrantplusfortcontrelui.Ellesemblaittellementàsaplacedanssesbrasque,enlaquittant,ilavaitl’impressiondequitter

unepartdelui-même.—Jen’arrivepasàcroirequejeneteconnaisquedepuisquinzejours.Elleselaissaallercontrelui.Ill’enlaçaitcommes’ilnevoulaitpaslalaisserpartir.Or,c’étaitlui

quis’apprêtaitàlaquitter!—Tuvasmeprendrepourunfou,reprit-il,maisjepensequedeuxmois,deuxansoudeuxsiècles

nesuffiraientpasàétancherlasoifquej’aidetoi.LecœurdeConstancesemitàcognerfollement.Elleavaitlabouchesèche.Ilneservaitàriende

nourrirdefauxespoirs?Alorspourquoilesnourrissait-ellemalgrétout?—Jepenseexactementlamêmechose,répondit-elleavecdouceur.Refoulantsonenviedeluirévélersondésirsecretdel’emmenerenItalie,ilditd’unevoixaltérée

parl’émotion:—Cequisepasseentrenous,Constance,estabsolumentexceptionnel.Elleeutl’impressionquesoncœurs’arrêtaitsoudaindebattre.—Oui,exceptionnel…Ilhésita.Sessentimentspourellen’avaientrien—absolumentrien—àvoiravecceuxquelejeune

hommeimmaturequ’ilétaitàdix-neufansavaitéprouvéspourStellaMargate.Néanmoins…—Commentpouvons-nousêtreabsolumentsûrsque…—Quequoi?demanda-t-elle,lesoufflecourt,l’invitantàprononcerlemotmagiqueauxquelstous

deuxpensaient.Justeleprononcer.—Quenousnous…

Page 34: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Constancesoupira.Non,iln’yarrivaitpas.Pourtant,s’ill’avaitvraimentaimée,illeluiauraitdit.Probablement…

Ilfronçalessourcils.—Quesais-jeréellementdetoi,Constance?Etdetoncôté,quesais-tudemoi?—Quelleimportance,dumomentquenoussommessûrsdenossentiments?—Cen’estpassuffisant!répliquaTroyenrepoussantledrap.Commentmefieràmessentiments

aprèscequim’estarrivédanslepassé?Elles’assit,terriblementmalheureuse,regardantmalgréellelecorpsnudesonamant,appréhendant

cequiallaitsuivre.Car,elleenavaitlacertitude,lesmotsqu’ilallaitprononcern’auraientrienàvoiravecceuxqu’elleavaitrêvéd’entendre.

Et,àcaused’eux,sonrêvedemeureraittoujoursunrêve.Unrêveirréalisable.—Jesaisquetuseraisincapabledemefairedumal,Troy.—Jamaisvolontairement,c’estvrai.Maisjepourraist’enfairemalgrémoi.Commeelleleregardaitsansriendire,ilréponditàlaquestioncontenuedanssonregard.—Entefaisantparexempleunepromessequejeseraisincapabledetenir,parcequelavieelle-

mêmenetientpaslessiennes.Cedisant,ils’agenouillaprèsd’elleetessuyaduboutdupouceleslarmesquiavaientjaillideses

yeuxetroulaientàprésentsursesjoues.— Ton existence aussi, Constance chérie, est pleine de ces promesses non tenues. N’es-tu pas

devenueveuvetrèsjeune?N’as-tupasperdutajumelleàpeineaprèsl’avoirenfinrencontrée?Quantautourbillondanslequelnoussommesprisdepuisplusieursjours,pouvons-nousvraimentnousencontenterpourébaucherdesprojetsd’avenir?

LavoixdeTroyétaitvoiléeparl’angoisse.—Es-tuentraindemedireadieu?demanda-t-elleenretenantletremblementquilagagnait.—Jenesaispas.Ilserelevaetsecoualatête.—Adieu,certainementpas.Mais…aurevoir,entoutcas.Etpourlongtemps.Commeellepâlissait,ilajouta:—Jepenseàtasœur.Suivresonconseilseraitpeut-êtreavisé.—Qu’est-cequ’Annalisavientfairedansnotrehistoire?Constanceétaitperdue,àprésent.—Elleavaitditsixmois.—Pardon?—Sixmois,c’estcequ’elleavaitproposéaujeunePhilip.Sixmoisdeséparationpourseprouver

qu’ilsn’étaientpaslesjouetsd’unebanaleattirance.Essayons,ànotretour,denousmettreàl’épreuve.Unefoiscelapsdetempsécoulé,sinoussommestoujours…

Ilbutaunefoisdeplussurlemot,commesiunesortedesuperstitionl’empêchaitdeleprononcer.—… sûrs que le sentiment qui nous lie est exceptionnel, alors, j’organiserai tout pour que tu

puisses me rejoindre en Italie. Si, de ton côté, tu acceptes de venir m’y retrouver, nous pourronscommencernotreviedanslaconfiancepartagéeetlacertitudedenepasnoustromper.

Lagorgeserrée,Constancedéglutit.—C’estsilong,sixmois…— Ils seront sans doute une torture pour toi comme pour moi. Cependant, que sont six mois

comparésàlaviedebonheurquinousattendsinoussommesréellementfaitsl’unpourl’autre?—Et…situchangeaisd’avis,jenetereverraisplusjamais?CetteidéemêmemettaitTroyàl’agonie.Pourtant,ilfallaitl’envisageravecrésolution.

Page 35: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

—Sijeneparvienspasàêtresûrdemessentiments,jeteprometsdetel’écrireaussitôt.Etsi,detoncôté,tuneparvienspasàêtresûredestiens,tudoismepromettred’enfaireautant.

—Jetelepromets,assura-t-elled’unevoixtremblante.Jamaisellen’avaitétéaussimalheureuse.Troyluidéposaunbaisersurleslèvrespourscellerleurentente.—Sixmoisàpartird’aujourd’hui.J’enfaisleserment.—Sixmoisàpartird’aujourd’hui.J’enfaisleserment,répéta-t-ellesolennellement.—Aprésent,jedoispartir.Jeneteferaipasmesadieux,carmonintentionestdeteretrouverdans

moinsdedeuxcentsjours.—Jelesouhaiteaussidetoutmoncœur,etjepenseraiàtoiàchaqueminute.—Etmoiàtoi,réponditTroyavectendresseavantdes’éloignerd’elle.Lorsqu’ilfuthabillé,ill’embrassaunedernièrefoisetpartitsansseretourner.

Sixmoisplustard

Transportéede joie,Constancesignalesautorisationsquivenaientde luiêtreaccordées.Grâceàsesdémarches, lafondationqu’elleavaitdécidédecréerpourvenirenaideauxinfortunéestravaillantdanslarueallaitdevenirréalité.Leterrainluiappartenaitdéjà,etlaconstructiondubâtimentdémarreraitle lendemain.Unebelle réussite,dansundélaiparticulièrementcourtqu’elleavaitpu tenirgrâceà savolontéetausouvenirdesasœur.

Unpeuplustard,elleserenditsurleterrainquiallaitaccueillirlesjardinsdesafondation,etsespenséesrevinrentversAnnalisa.Commentaurait-elleréagiàsoninitiative?Seserait-ellemontréefière,méprisante ou simplement indifférente ? Constance l’ignoraitmais, aujourd’hui, elle parvenait enfin àaccepterl’idéedenejamaisconnaîtrelaréponse.

La statue était déjà dressée sur son socle à l’entrée des jardins. Elle représentait des jumellespersonnifiantl’unelanuit,l’autrelajournée.Lapremièreétaitnoire,lasecondeblanche.Endehorsdecettedifférence,lesdeuxétaientabsolumentidentiquesetpareillementbelles.

Constancesortitdesapochelefameuxcollierdeperlesetcreusa,avecletransplantoirqu’elleavaitemporté,untrouaupieddelastatue.Lesperleslancèrentundernieréclatavantdedisparaîtresouslaterre.

—Adieu,Annalisa…,murmura-t-elle.DeretourdanslamaisondelarueduCroissantdeLune,ellefitprotégerlesmeublesenvuedeleur

déménagementetempaqueterlesaffairesdesasœur.Ses propresmalles attendaient le transporteur devant la porte d’entrée.Dans la chambre, sur un

valetdebois,setrouvaientsatenuedevoyageenlainevertegalonnéedesatindoré,sonpetitchapeauetdesgantsassortis,ainsiqu’unepairedebottinesenchevreau.

Elle fit le tour de la maison et ferma les volets les uns après les autres. Dès demain, l’agentviendraitprendrelesclés.

Demain…Sortantuneépaissemissivedesapoche,ellepressaseslèvressurlecachetdeciredescelléparses

soins.Finalement,Troyavaiteuraison.Mêmesielleavaitconnudesdoutes,mêmes’ilyavaiteudesjoursetdesnuitsoùlesmomentsqu’ilsavaientpartagéssemblaientreléguésaustadedesouvenirs,mêmes’il y avait eud’abominablesmoments où la peur le disputait à l’incertitude, ces sixmois avaient étédécisifs.Durantlespremiersmois,àchaquepassagedelamalle-poste,elleétaitsiterrifiéeàl’idéederecevoirunelettredeTroyqu’elleenvenaitparfoisàsouhaiterquecelaarriveenfinpourêtrelibéréedecetteinsupportabletension.

Page 36: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Puis,aucoursdesdernièressemaines,elles’étaitsentiegagnéeparunesortedesérénité.Etquand,auboutdesixmois,lalettreétaitarrivée,elleavaitsuqu’ellen’avaitplusrienàcraindre.

L’itinéraireétaitindiquédemanièreclaireetprécise,étapeparétape,d’unebelleécritureconfianteetaffirmée.L’envoinecontenaitriend’autrequeledétaildutrajetetlasignaturedeTroy.

Dèsdemain—demain!—elleprendraitladiligencepourDouvres.Delà,lesindicationsdesonamantl’amèneraientàCalais.Puisàl’ambassaded’AngleterreàParis.Ensuite,ellerallieraitMarseilled’oùelleprendraitlacaravellepourNaples.Etenfin…

—Enfin,monexistence…notreexistencecommenceravraiment,murmura-t-elle.Incapablededormir,ellepassaunenuitblanchedanslelitd’Annalisa,observantpourladernière

foissonrefletdansl’étrangemiroirduplafond.

***

AmesurequesepoursuivaitsonvoyageetquesaprogressionverslesudraccourcissaitladistancelaséparantdeTroy,sacertitudedel’aimeraugmentait.

Oui,elle l’aimait.Profondément, sans l’ombred’undoute,etpour toujours.L’attente, lesnuitsdesolitudedurant lesquelles il luiavait tantmanqué, leurssixmoisdeséparationavaientparadoxalementreprésentéunesortedeconversationmuetteentreeux.Entredeuxcœursquines’étaientjamaisquittés.Tousleursefforts,sanslamoindreexception,avaientcomptéetvalulapeine.Elleavaitenlui,eneux,unefoiimmuableetsavait,aveclamêmeconviction,qu’ilenallaitdemêmepourTroy.Jamaisilneluiauraitenvoyécelongitinéraires’iln’avaitététotalementsûrdelui.

Aucunehésitationnelatourmentait.Lasituationétaitmêmesiforte,sipleined’espoiretsiporteusedenouveautéque,étourdieàlaperspectivedetoutcequil’attendait,elleduts’agripperaubastingagedunavirepourassurersonéquilibre.

Labriseétaittombéelorsquelacaravellelaissal’imposantVésuvederrièreelleetquelacollinedePosillipoapparut.Enfin,lenavireentradansleportdeNaples.Lesmarinss’affairèrentpourprocéderauxmanœuvresd’amarrage,tandisquel’autrepartiedel’équipagerassemblaitlesmallesdespassagersetlesmontaitsurlepont.

LecœurdeConstancebattaitsivitequ’elleparvenaitàpeineàrespirer.Tendantlecou,ellescrutaledébarcadèreoùfourmillaitunefouleimpressionnanteetdisparate—dockersetnégociants,damesetgentlemendelahautesociété,etunenuéedegaminsauxpiedsnusqui,enquêted’unepiécette,hélaientdéjàlesvoyageursenproposantleursservicesentantqueguidesouporteurs.

Et,soudain,ellelevit!Iln’agitapaslamain,maisellesutqu’ill’avaitvueaussi.Quandleursregardssecroisèrent,puisse

soudèrent,ellesentitqueleurscœurssesoudaientdelamêmefaçon.Elleeuttouteslespeinesdumondeàattendrequelapasserellesoitposée,ets’yélançalapremière.Troysetrouvaitdéjààl’autrebout.Ellevoladanssesbrasetillesrefermasurelle.Leurslèvress’unirent.Aucunmotnefutnécessaire,tantleuramourallaitdesoi.Ilss’aimaientetsavaientqu’ilss’aimeraienttoujours.C’étaittellementsimple,d’unemerveilleuseprofondeur.Etcelaleresteraittoujours.

Page 37: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

TITREORIGINAL:BEHINDTHECOURTESAN’SMASK

Traductionfrançaise:PIERREALEXIS

HARLEQUIN®

estunemarquedéposéeparleGroupeHarlequin

LESHISTORIQUES®

estunemarquedéposéeparHarlequin

©2012,MargueriteKaye.

©2015,Harlequin.

Levisueldecouvertureestreproduitavecl’autorisationde:

HARLEQUINBOOKSS.A.

Sceau:©ROYALTYFREE/FOTOLIA

Réalisationgraphiquecouverture:C.ESCARBELT(Harlequin)

Tousdroitsréservés.

ISBN978-2-2802-8191-1

Tousdroitsréservés,ycomprisledroitdereproductiondetoutoupartiedel’ouvrage,sousquelqueformequecesoit.Celivreestpubliéavecl’autorisationdeHARLEQUINBOOKSS.A.Cetteœuvreestuneœuvredefiction.Lesnomspropres,lespersonnages,leslieux,lesintrigues,sontsoitlefruitdel’imaginationde l’auteur, soit utilisés dans le cadre d’une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, des entreprises, desévénementsoudeslieux,seraitunepurecoïncidence.HARLEQUIN,ainsiqueHetlelogoenformedelosange,appartiennentàHarlequinEnterprisesLimitedouàsesfiliales,etsontutiliséspard’autressouslicence.

HARLEQUIN

83-85,boulevardVincentAuriol,75646PARISCEDEX13.

ServiceLectrices—Tél.:0145824747

www.harlequin.fr

Page 38: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre
Page 39: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Chapitre1

Empireottoman,1565

Vêtued’unesimpleabaya,LailabinteNurHamidahessayait,envain,decalmerlespalpitationsdesoncœurquibattaitfollementdanssapoitrine.Souslesoleildeplombquidardaitimpitoyablementsesrayons, elle sentait la sueurqui perlait sur son front couler sur sonvisage, puis le longde son cou etimprégner le tissudesonvêtementdefortune.Malgré lapeurqui lagagnait,elle rejeta lesépaulesenarrièreetlevalatête.Désormais,safiertéétaittoutcequ’illuirestait.

L’airétaitchargéd’odeursdetabac,d’épicesetdecafé,desodeursétrangèresquiluirappelaientsanscessel’horribleréalitédesfaits:bientôt,elleseraitvenduesurlemarchéauxesclavesoùonl’avaitemmenée.

Undesesgeôliersattrapaparlebrasunedesjeunesfillesquisetrouvaitdevantelle,l’entraînasurl’estradedeboisinstalléeaucentredelaplaceetladéshabilla.Plusieurshommess’approchèrentd’ellepuiscommencèrentàpalpersesrondeurstoutenl’examinantcommeonexaminaitunepoulinière.

Accablée par ce spectacle désespérant, Laila déglutit péniblement. Son destin était scellé ; toutcommecettemalheureuse,elleaussiallaitêtreexposéenue,touchée,pincéeetcaresséepardesinconnus,avantd’êtrevendueauplusoffrant.

Elle inspira profondément, luttant contre la sensationdenauséequi s’emparait d’elle, et tenta detrouverunpeuderéconfortdanssessouvenirsquiluisemblaientsilointainsàprésent.Ellepensaàsonpère et ses frères, auxhistoires qui se transmettaient degénération engénération et que samère avaitl’habitudede lui raconter ; elle songeaégalementaux tentesnoiresen lainedechèvrede leur regrettécampementbédouin…

Soncœurseserradouloureusement.Personnen’avaitvuvenirledangeret,prisaudépourvu,lessiensn’avaientpurepousserl’attaque

d’une tribu voisine. Leur campement avait été réduit en cendres, et toute sa famille tuée. Laila avaitessayé de prendre la fuite, mais elle avait très rapidement été rattrapée par l’ennemi qui ne l’avaitépargnéequ’àcausedesonjeuneâgeetdesavirginité.

Toutàcoup,onlapoussaversl’estrade,etellerevintàl’instantprésent.—Fais exactement ce que je te dis, ordonna sèchement lemarchand d’esclaves en lui caressant

l’épauleavecsonfouet.Situtetienstranquille,tufiniraspeut-êtretesjoursdansunharem.Mais,siturésistes,tuferasl’expériencedemacolère.

Surcesmots,illatraînaaumilieudel’estradepuisluiôtal’abayaquilacouvrait.Lesmainsliéesdevantelle,Lailarelevafièrementlatête.Faceauxregardslubriquesqueluilançaientleshommesquiladétaillaient,sapeursemuaenunevivecolère.

Page 40: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Iln’étaitpas trop tardpour s’échapper.Non, tantqu’elle se tenaitdebout sur l’estradeetqu’ellen’avaitpasdenouveaumaîtreattitré,elleavaitencoreunechancedes’ensortir.Elledevaitsimplementexploitersapositiondefaiblesseetretournerlasituationàsonavantage.

Ducoindel’œil,elleaperçutplusieursjumentsdepur-sangarabesattachéesàunarbredansuncoindelaplace.Lespauvresbêtesétaientagitées;toutcommeelle,onlesavaitprivéesdeleurliberté.

Uneidéecommençaàgermerdanssonesprit.Pourquoinepasessayerdevolerunedecesjumentsetdeprendrelafuiteavec?Ilfallaitjustequ’elletrouvelasortiedumarchéavant…

Brusquement,uncavaliertoutdenoirvêtuetcoifféd’unturbanblancarrivaets’arrêta,luibarrantlavuesurlesjuments.Aenjugerparl’étalonqu’ilmontait,ainsiqueparlesrubisincrustésdanslabridedel’animal,l’hommedevaitêtretrèsriche.

Iln’étaitpasseul.Unedouzainedegardesavaientfaithaltederrièrelui,etcelaéveillasacuriosité.Quiétait-ce?Unpachaouun lordétranger, sansdoute.Pourquoi s’était-il arrêté ?Et,d’ailleurs,quefaisait-il là ? Les membres de la noblesse ne fréquentaient pas ce genre d’endroits, d’habitude ; ilspréféraientyenvoyerleursserviteurs.

Leregarddel’inconnucroisaalorslesienetellerefusadebaisserlesyeux.Peut-êtreavait-elletoutperdu,maisilluirestaitsafierté.Oui,elleavaitconservésafierté,etelleétaitplusdécidéequejamaisàregagnersaliberté.Pourcela,elleétaitprêteàcombattrejusqu’àsonderniersouffle.

Ignorantlescrisdumarchandd’esclavesappelantlesclientsàenchérirainsiquelesmainstenduesvers elle et le regard insistantde l’inconnu,Laila concentra toute sonattention sur les chevaux.Avanttoutechose,elledevaitchoisirlajumentquil’emmèneraitpeut-êtreverslaliberté.

C’était là une décision qu’il ne fallait pas prendre à la légère. Les pur-sang arabes étaient deschevauxtrèsintelligentsetfidèlesàleurmaître.Ilyavaitdoncunrisquequel’animalrefusedeselaissermonter.

Soudain,l’inconnumitsonchevalaupasetlefitavancerversl’estrade.Malgréelle,Lailaneputs’empêcherderencontrersonregarddenouveau.Sapeautannéeparlesoleilfaisaitressortirdesyeuxd’un bleu si intense qu’elle en eut presque le souffle coupé. Il avait des traits fins et réguliers, et uncertaincôtéexotiquequiportaitàcroirequel’undesesparentsétaitpeut-êtreoriginaired’Al-Andalus.

Ilarrêtasonchevaldevantlafoulequisepressaitautourdel’estradeetjetaunregardcirculairesurlaplace,ignorantlesmarchandsquis’approchaientdeluiens’efforçantd’attirersonattention.

Laila l’observapendant quelques instants puis ramena sespenséesvers sonprojet d’évasion.Cen’étaitpaslemomentdeflancher,ellenedevaitpasselaisserdistraireparcethomme,aussibeausoit-il.

Toutenréfléchissantàsonplan,ellelesuivit toutefoisducoindel’œilet levitfairedemi-tour;plusieursmarchandsemboîtèrentaussitôtlepasàsonétalon.

—Seigneur!s’écrial’und’entreeux.Jevousvendslajeuneesclavepourmillekurus!L’inconnul’ignoraetlemarchandinsista:—Neufcentskurus,seigneur!Voyantquel’attentiondelafouleétaitfixéesurl’inconnuquis’éloignait,Lailasaisitl’occasionqui

lui était offerte.D’un coup sec, elle tira sur la corde que tenait son geôlier, sauta de l’estrade, et seprécipitaverslegroupedejuments.

Elleavaitpresqueatteintsonbutlorsqu’uncoupdefouetclaquadansl’airderrièreelle.Ellel’évitadejustesse,maislalanièreeffleuraleflancdel’unedesjumentsquihennitdepeuravantdesecabrer.

Lemarchandquilapoursuivaitfitclaquersonfouetencoreunefois,cequirenditégalementnerveuxlesautreschevaux.Lailasavaitbienqu’iln’étaitpasprudentd’approcherunchevalpaniqué,etencoremoinsplusieurschevauxvisiblementnerveux,maisquelleautresolutionavait-elle?

Elledécidadetenterletoutpourletout.

***

Page 41: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Entendantunbrouhahaderrièrelui,leprinceKhadintirasurlesrênesdesonétalonetseretournapourvoirlajeuneesclavecouriràtouteallureversungroupedechevauxagités,sansdouteenréactionàlacohue.Puis,stupéfait,illavits’arrêterdevantlesanimauxquihennissaientetpiaffaient.

—Voulez-vousquej’intervienne,seigneur?demandal’undesesgardes.—Non,pasencore,réponditKhadinsansperdredevuel’esclavequidemeuraittoujoursimmobile

devantlesjuments.Elle leva lentement la main et se mit à murmurer des paroles qu’il ne pouvait entendre depuis

l’endroitoùilsetrouvait.Lespectacleétaitsidéconcertantquemêmelemarchandquis’étaitlancéàsapoursuites’étaitarrêtépourobserverlascène.

Quidoncétaitcettefemme?Uneenchanteresse?Jamaisauparavantiln’avaitvuquelqu’uncalmerdelasorteunchevalagité.Ellesemblaitsisereine!Onauraitditqu’ellecomprenaitledésarroidelabête.

—Jesaisquetuescontrariée,majolie,luidit-ellelatêterelevée,commesiellecherchaitàattirersonregard.

Lajumentposafinalementlesyeuxsurl’esclavequicontinuaitdeluimurmurerdesparolesdoucesetrassurantes,etsemblasecalmerpeuàpeu.Sentantsansdoutequecettefemmeneleurvoulaitaucunmal,lesautresjumentscessèrent,ellesaussi,des’agiter.Lajeuneesclavecaressaensuitelesnaseauxdel’animaletcelui-ciselaissafaire.

Khadinétait aussi stupéfaitqu’émerveillépar lavisionqui s’offrait à lui.Telleunedéesse,cettefemmeétaitdésormaisaucentredetouteslesattentionsetilneputs’empêcherdeladétaillerdehautenbas.

Bienqu’il soit évident qu’elle étaitmal nourrie, sa silhouette était délicate et biendessinée.Sesbras et ses jambes parfaitementmusclés,mais gardaient néanmoins une finesse et une sensualité qu’ilavaitrarementvueschezunefemmeauparavant.Sesfessesétaientfermesetidéalementproportionnées,etsesseins,qu’ilarrivaitàdistinguersousseslongscheveuxnoirs,étaientd’ungalbeparfait.Al’imagedesoncorps,sonvisageétaitravissant,luiaussi.Elleavaitdegrandsyeuxbrunsetdeslèvrespulpeusesquifaisaientpenseràunfruitmûrquel’onaimeraitgoûter.

Déconcertéparl’effetqu’elleproduisaitsurlui,Khadinlaissacourirsonregardsurlafouleetserenditcomptequ’iln’étaitpasleseulàlatrouverbelleetdésirable.Commetousceshommes,ilavaitenvie d’elle.Or, lemoment était particulièrementmal choisi pour se laisser distraire par les charmesd’unefemme.

D’uncoup,lemarchandsortitdesatorpeuretsaisitl’esclaveparlebras.Ilsemitaussitôtàvanteràtue-têtelesavoir-fairequ’elleétaitcapablededéployeraveclesanimauxetdoublasonprixdedépart.

A cet instant, Khadin éprouva une étrange émotion et, avant même de s’être donné le temps deréfléchir aux conséquences qu’aurait son acte, il avait mis son étalon au trot et se dirigeait vers lemarchandquitenaittoujoursfermementl’esclave.Sanstropd’effort,illahissadevantluisursonchevalpuisarrachauneémeraudedesoncaftanetlajetaaumarchand.

—Lâchez-moi!s’écrialafemmeenluifrappantletorseavecsespoingsliés.—Préfères-tuquejeteramèneaumarchandd’esclaves?demanda-t-ilenglissantundoigtdansla

cordequiluiliaitlesmains.Elle se calma aussitôt puis pressa les bras contre sa poitrine, comme dans un soudain accès de

pudeur.Ilôtasacapepuisladrapasursesépaulestremblantesavantdetirerunpoignarddesamancheetdeluilibérerlesmains.Ellebaissaalorslatêteetresserralespansdelacapeautourd’elle.

Comprenant soudain ce qu’il venait de faire, Khadin jura intérieurement. Qu’est-ce qui lui avaitpris?Pourquoiavait-ilressentilebesoinirrépressibledejouerauhéros?Pourunesimpleesclave,qui

Page 42: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

plusest!Pourquoisesentait-ilàcepointconcernéparledestindecettefemme,surtoutencemoment,alorsquelesienétaitplusqu’incertain?

Ses joursétaientcomptés, ilenétaitbienconscient. Ilne lui restaitplus longtempsàvivremais,malgré cela, il n’avait pas pu se résoudre à laisser cette femme auxmains de ce répugnantmarchandd’esclaves.

Unechoseétaitsûrenéanmoins, ilnepouvaitpaslagarderaveclui,ceneseraitpasjusteenverselle.Unefoisarrivéaupalais,ill’emmèneraitauharem.Ainsi,elleneseraitplussoussaresponsabilité.

Fort de cette résolution, il lança son cheval au galop et resserra le bras autour de la taille del’esclave.Ilrisquaunregardfurtifverssonvisageets’aperçut,aveceffroi,qu’ellepleurait.

—Quelesttonnom?luidemanda-t-ildoucement.—LailabinteNurHamidah,répondit-elled’unevoixlégèrementtremblanteenrelevantlatête.Elle caressa la crinière de son étalon, et ce geste, pourtant simple, émutKhadin pour une raison

qu’ilneparvintpasàs’expliquer.—Quiêtes-vous?Oùm’emmenez-vous?—AupalaisdeTopkapi.Préférant ne pas lui révéler son identité dans l’immédiat, il ignora délibérément sa première

question.Sarésolutiondelalaisserauharems’affaiblittoutàcoup.Ilyavaitquelquechosed’envoûtantet d’attirant en elle.Ce que cette femme avait fait aumarché aux esclaves constituait un exploit.Nonseulementelleavaitessayédes’enfuir,maiselleavaitégalementréussi,aupérildesavie,àcalmertoutungroupedejumentsaffolées.Elleavaitfaitpreuved’uncouragehorsnormequiforçaitlerespect.

—Tun’étaispasuneesclaveavant,n’est-cepas?reprit-il.—Non.Jesuisbédouine,murmura-t-elle.Monpèreétaitlechefdenotretribu.Voilàdoncquiexpliquaitsafiertéetsondonnaturelavecleschevaux.Khadinlui-mêmepossédait

plusieurspur-sangarabesquiavaientétédresséspardespeuplesnomades;leursavoirenlamatièreétaittoutsimplementremarquable.

—Quiêtes-vous?répéta-t-elle.Ileutunmomentd’hésitationpuisfinitparrépondre.—Appelez-moiKhadin.Jesuisauservicedusultan.Quiestégalementmonpère,omit-iltoutefoisdepréciser.Aprèsavoiréchouédanssa tentatived’envahirMalte, sonpère, lesultanSoliman leMagnifique,

étaitentrédansunecolèrenoireenapprenantqueKhadinn’avaitpasréussiàrepousserlesfrontièresdelaprovincedontilavaitlegouvernement.

Cela faisait déjà plusieurs jours queKhadin avait regagné le palais deTopkapi, après avoir étéofficiellementconvoquéparsonpère.Cependant,depuissonretour, ilnes’était toujourspasentretenuaveclui.Ilallaitsansdirequetoutcelaneprésageaitriendebon.

Sonpèresemontraitintransigeant,mêmeenverssapropreprogéniture.Lorsqu’ilavaiteuventd’unprétendu complot que le shah de Perse et l’un de ses fils,Moustafa, tramaient contre lui, il avait tuéMoustafadesespropresmains,sansaucunétatd’âme.EtKhadinsubiraitsansdoutelemêmesortquesonfrèresisonpèreaccordaitfoiauxmédisancesquecolportaientsesennemisàsonsujet.

Cematinencore,unedesesesclavesavaitrendul’âmeaprèsavoirgoûtélepetitdéjeunerquiluiavait été apporté. Etant donné qu’il était interdit de verser le sang d’un prince, le sultan, désireux deparveniràsesfinssanspourautants’attirerlacolèredivine,avaitéchangésonpoignardcontredupoisonouunecorde.

Khadindevaittrouverunmoyendeconvaincrelevieilhommedeluilaisserlaviesauveavantqu’ilnesoittroptard;ildevaitluifairecomprendrequ’iln’étaitpasunemenacepourl’Empire,pasplusquepourleprinceSelim,héritierdutrône.Iln’avaitaucuneambitiondecetordre,bienaucontraire.Toutcequ’ildésirait,c’étaitretourneràNerassia,saprovincetantaimée,etyrégnerpaisiblement.

Page 43: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Sespenséesletinrentoccupéjusqu’àcequelepalaisapparaisseàl’horizon.Plusd’unecentainedegardesétaientpostésautour,veillantàsasécuritéetàcelledusultan.

En arrivant près de l’entrée,Khadin fit ralentir son cheval, et les deux hommes quimontaient lagarde devant la porte s’écartèrent pour le laisser passer avec son escorte.Devant lui, Laila se tenaitdroite, comme si elle cherchait à éviter tout contact physique, ce qui s’avérait impossible étant donnéqu’elleétaitinstalléesursaselle.

Ilsfranchirentleportail,etunparfumsucréetfamilierluivintauxnarines.L’automneétaitdéjàbienavancé,maislesjardinsregorgeaientencored’unemultitudedefleurs.Unsilencepresqueabsolu,troubléuniquement par le léger bruit des pieds nus des esclaves qui s’affairaient dans la cour, régnait àl’intérieurdupalais.

Veillantànepastroublerlatranquillitédeslieux,Khadinarrêtasonchevaldanslacourprincipale,mitpiedàterre,puissetournaversLailapourl’aideràdescendreàsontour.Visiblementapeurée,ellejetaitdesregardsinquietsautourd’elle.

—Gardelacapesurtoijusqu’àcequel’ontetrouvedesvêtements,luidit-il.—Vouscomptezmelaisserici?demanda-t-elled’unetoutepetitevoix.Sentant son estomac se nouer, il acquiesça de la tête. On l’emmènerait sans doute dans les

appartementsprivésduharemauxquelsseulslafamilleroyaleetleseunuquesavaientaccès.Elleseraitensécuritélà-bas,dumoins,l’espérait-il.

D’unemainhésitante, il luicaressalescheveux,nesachantqui,deLailaoudelui, ilcherchait leplusàrassurerouàconvaincre.Jalousieetvengeanceallaientdepairauharemetrythmaientlaviedeses résidentes. Chaque femme avait une place bien définie dans cette petite société, et Laila seretrouveraitprobablementenbasdel’échelle,entantqueservantedel’unedesconcubines.

Ily avaitdans ladestinéedecette femmeune injusticequeKhadinpeinait à ignorer.Laila, cetteprincessebédouinedéchueetpourtantsicourageuse,méritaitbienmieux.

Lavoixdesaraisonluisoufflaitdenepass’inquiéterpourelleetdeseconcentrerplutôtsursonpropreavenir,quiétaitplusqu’incertain.

Tournelestalonsetoublie-la!Maisquelquechose,aufonddelui,l’empêchaitdebouger,departirenl’abandonnantdanslacour.

Lailan’étaitpasune femmecomme lesautres. Il avaitétééblouipar soncourage,maiségalementparcettesérénitédontellenes’étaitpasdépartieuninstantmalgréledangerauquelelles’étaitexposée.Ilvoulaitapprendreàmieuxlaconnaître.

Ilfitsigneàl’eunuqueenchargeduharemdes’approcher;l’hommes’exécutaaussitôt.—Emmène-laauharem,luiordonna-t-il.Jeveuxqu’onlaprépareetquetumelaramènescesoir.L’eunuqueacquiesçaens’inclinantetKhadins’enallasansseretourner.

***

AlorsqueLailaregardaitKhadins’éloigner,l’eunuquelapritparlebrasetlaguidahorsdelavastecour.Malgrél’appréhensionquiluinouaitl’estomac,elleétaitémerveilléeparlabeautédeslieux.Ilssedirigèrentversuneportequidonnaitsuruneautrecour.Touteenlongueur,celle-ciétaitpluspetitequelaprécédente;surlecôtéopposéàl’entréesetrouvaituneautreporte.Deuxhommes,semblablesàceluiquil’accompagnait,setenaientdevantets’effacèrentpourleslaisserpasser.

Lorsqu’ilspénétrèrentdanscequidevaitcertainementêtreleharem,Lailasesentitsoudaincommeenveloppéedansuncocondeconfortetd’opulence.Descarreauxbleusetor recouvraient lesmursdel’entréeprincipale s’accordantparfaitement avec le sol enmarbre. Il y avait égalementquelquechosed’apaisantdanslebruissementdel’eaudesfontainesquis’accordaitavecunlointainchantd’oiseaux.

Page 44: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Tandisquel’eunuquelaconduisaitàtraversundédaledecouloirsetdepièces,elleobservaducoinde l’œil les femmesqu’ellepouvaitvoir.Laplupartétaient tranquillementallongéessurdesomptueuxdivansquibordaientlesmursdespiècesqu’ilstraversaient.Personneneparlaitmais,endépitdecela,l’atmosphèresemblaitsensuelleetaccueillanteàlafois.

Soudain,lamélodied’uninstrumentsefitentendreetunefemmesemitàchanter.Machinalement,elleresserraautourd’ellelespansdelacapetoutensedemandantcequiallaitluiarriver.

Le vêtement de Khadin était imprégné de son odeur, un subtil mélange d’épices. Elle ne puts’empêcher de porter le tissu à son nez et d’inspirer profondément.Khadin occupait certainement uneplaceimportanteauseindepalais;ilsemblaitbienconnaîtreleslieuxetlesesclaves.

—L’hommequim’aamenéeici…,murmura-t-elleensetournantversl’eunuque.Khadin…C’estunprince,n’est-cepas?

—Oui.Etcommeildésiretevoircesoir,tuauraslemêmetraitementquelesautresconcubinesduharem.Tuseraslavée,aprèsquoiont’enduiralapeaud’huilesparfumées,expliquasonguide.

Une peur indicible monta en elle, la laissant muette. Aucun homme ne l’avait jamais touchéeauparavant,etl’idéequeKhadinpuisselefairelaterrifiait.Savirginitéétaitsacréeàsesyeux.Sonpèrel’aurait tuée, s’il avait appris qu’elle l’avait perdue, et son honneur avec.Mais tout cela n’avait plusd’importance;sonpèren’étaitplusdecemonde.

Sagorgesenoua.Etait-ellelaseuleàavoirsurvécuaumassacreoud’autresmembresdesatribuavaient-ilspus’enfuir?D’autresfemmesétaient-ellesretenuesprisonnières,quelquepart,auxmainsdel’ennemi?Ellenelesauraitprobablementjamais.Unechoseétaitsûrenéanmoins,toutesafamilleavaittrouvélamortaucoursducombat;ellelesavaitvustomberunparun,dansunemaredesang.

Unelarmeroulalelongdesajoueetellel’essuyad’ungestebrusque.Cessedoncde te lamenter sur lepassé !Tun’asplusde famille etpersonneneviendraà ton

secours.Tuestouteseule,désormais,sedit-elle.Qu’est-cequeKhadincomptaitfaired’elleexactement?Mêmesilesrèglesdel’amourcharnellui

étaienttotalementétrangères,ellesedoutaitbienqu’ilseserviraitd’ellecommebonluisemblerait.Unfrissonlatraversaàcetteidée.Pourrait-ellefairequelquechosepourempêchercela?

Enplusdesonignorancetotaleenmatièred’hommes,ellen’étaitpashabituéeàêtreenferméeentrequatre murs. Depuis toujours, sa tribu se déplaçait le long de la côte méditerranéenne et n’avait pascherchéàsesédentariser.Prenantconsciencequejamaispluselleneressentiraitunetellesensationdeliberté,ellefutprised’uneenviesoudainedes’enfuir.

Discrètement,ellebalayaleslieuxduregard.Touteslesportesétaientgardéespardeseunuques;ellen’avaitaucunechancedesortird’icienvie.Peut-êtreserait-ilplusprudentd’attendreencoreunpeuetdes’adapteràsonnouvelenvironnementavantdetenterquoiquecesoit.Etpuis,sonpèreneluiavait-ilpastoujoursditdebienréfléchiravantdeprendreunedécisionimportante?

Sentantsoudainunregardposésurelle,elletournalatêteetremarquaqu’unejeunefemme,assisesur l’un des divans, l’observait. Vêtue d’une tunique de soie qui dessinait parfaitement ses courbesgénéreuses,elleavait lapeauclaireetdesyeuxd’unvertperçant.Elle l’examinade la têteauxpiedsavantd’esquisserunemouededégoût,commesiellecherchaitàmarquersasupérioritésurelle.

Jenesuispascommetoi,pensaLailarésolument.Etjamaisjeneseraicommetoi!Surcettepensée,ellereportasonregarddroitdevantelleetsuivitl’eunuquedansunautrecouloir

oùplusieursfemmesdansaientenrond,chacunetenantunfoulardchatoyantdecouleurdifférente.Quandilsarrivèrentdevantuneautreporte,l’hommesetournaverselle.—Noussommesarrivés.DameMuranavas’occuperdetoi.Surcesmots,ilouvritlaportepuisentra.Lailaluiemboîtalepas.Ilspénétrèrentdansunepetite

pièce dans laquelle se trouvait une femmenettement plus âgée que les autres. Elle portait un caftan àmancheslonguesrougevifendessousduquelonpouvaitvoirunetuniqueblanche,aussiblanchequele

Page 45: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

turbanquilacoiffait.Sonsarouelétaitdumêmerougequelecaftan,etplusieursparuresd’émeraudesetdiamantsornaientsoncouainsiquesespoignets.

—Tum’asramenéunenouvellefilleàcequejevois,Hakir,dit-elletoutenladétaillantduregard.—Oui,dameMurana.ElleagagnélesfaveursduprinceKhadinquim’aordonnédelaprépareret

delaluiramenerdanssachambrecesoir.Lavieillefemmeopinadelatêteetl’eunuquefituneprofonderévérenceavantdequitterlapièce.Unefoisqu’ellesfurentseules,dameMuranas’avançaettournaautourdeLailaenlacontemplant,

lessourcilsfroncés.—Enlèvelacape,ordonna-t-elle.Instinctivement,Lailaresserralevêtementsurelle,cequiluivalutunregardsévèredelafemme.— Je te conseille de rapidement t’adapter à ta nouvelle vie, ma petite. Et, pour cela, tu dois

apprendreàobéirauxordres.Leprincenetolérerapasunetelleattitudedelapartd’uneesclave.Commeellenebougeaitpas,lavieillefemmepoussaunsoupiretsonexpressions’adoucit.—Jemedoutebienqueçanedoitpasêtrefacilepourtoi,poursuivit-elle,maistupeuxt’estimer

heureused’avoirétéamenéeici.Elletenditlesbrasverselle,luiôtalentementlevêtement,puisfitunpasenarrièrepourl’examiner

unenouvellefois.Auboutdequelquesinstants,elleclaquadelalangueensecouantlatêtepuisordonnaàuneesclave,

quijusque-làs’étaittenuediscrètementdansuncoindelapièce,d’allerchercherdequoimanger.—Assieds-toi et mange, dit dameMurana quand l’esclave revint avec un plateau de nourriture

qu’elleposasurlatable.Malgrésaméfiance,Lailas’exécutaet,quandellefutrassasiée,lavieillefemmel’invitaàselever.—Suis-moi.Jevaist’emmenerauxbains,expliqua-t-elleenempruntantuncouloirquimenaitvers

unegrandedoubleporte.Avantd’ouvrirlaporte,dameMuranapritunepairedesabotsdeboisparmiceuxposéslelongdu

muretlesluidonnaafindeprotégerlaplantedesespiedsdumarbrebrûlant.L’airdans lehammamétait à la fois chaudethumideet, dèsqu’elley entra, unnuagedevapeur

s’élevaautourdeLaila,luibrouillantlavisionpendantquelquesinstants.Lorsquesesyeuxs’adaptèrentaubrouillarddevapeurqui flottaitdans la salle,ellevitplusieurs

femmes,dedifférentescouleursdepeau,quiseprélassaientsurdeschaisesoudesbancstoutenparlantentreellesàvoixbasse.Ellesétaiententièrementnuesetnesemblaientguères’ensoucier.

Elle remarqua que toutes ces femmes avaient des courbes voluptueuses, et ce constat la troublaquelquepeu.Instinctivement,ellebaissalesyeuxsursonproprecorps.Aladifférencedecesfemmes,elle avait une poitrine beaucoup moins développée et ses hanches, tout comme sa taille, étaient trèsminces.

Unejeuneesclaveluifitsignedes’asseoirsuruntabouret.Enveloppéeparlavapeurchaude,Lailasentitbientôtsoncorpscommenceràsedétendre.Definesgouttelettesdesueurrecouvrirentrapidementsapeauetsemirentàroulersursondos,sursonvisage,entresesseins…

Elle se demanda siKhadin allait la toucher et, à cette pensée indécente, sentit durcir ses tétons.Mortifiéeparlaréactiondesoncorps,ellecroisaaussitôtlesbrassursapoitrineetlapressiondesesavant-brassursesmamelonssensiblesfaillitluicouperlesouffle.

Uneautreesclavevintalorsluiétalerunepâteétrangesurlecorpsavantdeluiraclerdélicatementla peau à l’aide d’un coquillage. Elle lui massa ensuite le cuir chevelu avec une huile qui sentaitdivinementbonpuisluirinçalescheveux.Pourfinir,ellelalavaavecuneépongerugueuseetversasurelleplusieursbassinesd’eautiède.

Lailaavaitdumalàoubliersapudeur,mêmesilesautresfemmesneparaissaientabsolumentpasgênées par leur nudité. L’une d’elles s’étira sur le banc où elle était allongée, et Laila fut légèrement

Page 46: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

intimidéeparsabeautéainsiqueparsasilhouettegénéreuse.Elletressaillitquandl’esclavequil’avaitfaits’allongerenduisitsoncorpsd’unehuileparfuméeet

commençaàlamasser.Ellesecontractad’abordsoussontouchermais,peuàpeu,elledutreconnaîtrequelemassageétaitplutôtagréable.Inspirantlentement,ellefermalesyeux,etsespenséesrevinrentversKhadin.

C’étaituntrèsbelhommeetjamaisauparavantellen’avaitvud’yeuxaussibleusquelessiens.Ildevaitsansdouteattiserlaconvoitisedenombreusesfemmes.

Lesmainsdel’esclaveglissèrentlelongdesondosjusqu’àlaCourbedeseshanchespuissursesfessesavantdedescendresursesjambes.Ellefutparcourueparunfrissondeplaisirtandisqu’unedoucechaleurnaissaitaucreuxdesonventre.Dessensations inconnues l’envahissaient,etellenesavaitpascommentréagirdanscegenredesituation.

Quandl’esclaveeutfinidelamasser,uneautrelaguidaversunechaiselongueetl’enveloppad’unefineétoffeavantdeluifairesignedeprendreplace.

Elle resta un longmoment confortablement installée sur la chaise longue, l’esprit en proie à unecertaineconfusion.Elleétaitcenséechercherunmoyendes’échapperdupalaismais,aulieudecela,ellepréféraitselaisserglisserdansunedélicieusetorpeur.

Sapeau et ses cheveuxn’avaient jamais été aussi doux, et elle eut l’impressionque l’huile aveclaquelleonl’avaitmasséeavaituneffetapaisantsurelle.Leharemn’étaitpasunendroitdéplaisant,bienaucontraire,etellesesurpritmêmeàimaginercequeceseraitd’yvivre.

Le tissuglissa lentement sur sapeau jusqu’àexposer intégralement soncorpsà lavuedesautresfemmes,maisellenepritpaslapeinedeleremettreenplace,tantellesesentaitbien.Sespaupièressefermèrent toutes seules et, une fois de plus, l’image de Khadin jaillit dans son esprit. Il voudraitcertainement la posséder comme un homme possède une femme. Elle se représenta alors son corpsmusclé recouvrant le sien. Que ressentirait-elle quand il la déposséderait de sa virginité ? Serait-ceagréable?Douloureux?

Unedoucemoiteurs’amassaitentreses jambesetchaquefibredesoncorpssemblaits’embraser.Danssesrêveries,auxquellesellelaissaitmaintenantlibrecours,Khadinétaitentraindelacaresseret,aulieudelerepousser,ellesecambraitverslui,impatientequ’ilapaiseledésirquil’envahissait.

Non,Laila!luiditunepetitevoixdanssatête.Nefaispasça!Tunepeuxpasresterici,tudoistrouverunmoyendet’échapper.

Ignorant les mises en garde de sa raison, elle sombra dans un léger sommeil dont la tira dameMurana,quiétaitvenuelachercherpourl’habilleravantqu’ellenesoitamenéechezleprince.

Lavieillefemmeluiavaitchoisiunsarouelclairainsiqu’unlongcaftantransparentquiallaitavec,souslequelelleavaitdûenfilerunpetithautsansmanches.

DameMuranaluipassaensuiteunetuniquequinedévoilaitriendecequ’elleportaitendessous,aprèsquoiuneesclaveluientrelaçalescheveuxenunelonguenatte.Pourfinir,onlacoiffad’unchapeautambourinsurlequelétaitaccrochéunvoiletransparentquiluicouvraitlebasduvisage.

— Je pense que le princeKhadin te trouvera à son goût et cemalgré tamaigreur, déclara dameMuranaenladétaillantdelatêteauxpieds.Etn’oubliepasquetuserasrécompensée,situparviensàluidonnerduplaisir.

Acesparoles,Lailafutparcourued’unfrissondepeur.Leprinceluiavaitpeut-êtresauvélavie,enquelquesorte,maisellenevoulaitpasleremercierenluioffrantsoncorps.Toutcequ’ellesouhaitait,c’était retourner chez elle et retrouver les siens. Il n’était pas possible qu’elle soit la seule à avoirsurvécuàl’attaquedel’ennemi!Non.Ellerefusaitd’ycroire.

Maintenant qu’elle se trouvait hors du hammam, hors du cocon de bien-être et de quiétude danslequelelles’étaitsentieenpaixl’espaced’unmoment,ellevoulaitrecouvrersaliberté.Lestyledevieauquell’onvoulaitlasoumettreneluicorrespondaitpas.

Page 47: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

DameMuranaétaitentraindeluiprodiguerquelquesconseilssurlamanièrededonnerduplaisirauprince,maisLailanel’écoutaitpas.Aulieudecela,elleparcouraitattentivementlapièceduregardens’efforçantdemémorisersesmoindresrecoins.

La vieille femme lui tendit une petite pochette et elle la prit, ramenant ses pensées à l’instantprésent.

—Unefoisquetuserasaupieddulit,montre-luidurespectetfais-luicomprendrequetueslàpourleservir.Tuverrasquetufiniraségalementparytrouvertonplaisir.

Continuantàignorerlesconseilsdelafemme,Lailaouvritlapochetteetydécouvritunepetitefiole.—Garde-labienavectoi,leprincevoudrasansdoutel’utiliser,ajoutadameMurana.Préférantnepassavoircequecontenaitlafiole,Lailarefermalapochetteet,l’instantd’après,un

eunuqueentradanslapièceetluifitsignedelesuivre.Ilstraversèrentplusieurscoursetcouloirs,etLailafutdenouveausurpriseparlesilencequirégnait

danslepalais.Malgréelle,elleétaitimpressionnéeparlasplendeurdeslieuxetétudiaitavecintérêtlesravissantesmosaïquesquidécoraientlessolsetlesmurs.

Subjuguéepar labeautéde ladécoration,elleneremarquapas toutdesuitequ’ilsétaientarrivésdevantcequidevait être lachambreduprince.L’eunuqueouvrit laportepuis s’effaçapour la laisserpasser.Elleentradanslapièceettressaillit.

Khadinsetenaitdeboutdevantlafenêtre,leregardfixéau-dehorsetlesbrascroiséssurlapoitrine.Les rayons de soleil de l’après-midi qui filtraient à travers les rideaux dessinaient parfaitement sasilhouettemusclée.

Sonsortétaitdésormaisentrelesmainsdecethomme,etcetteconstatationlaterrifia.Auboutdequelquesinstants,ilsetournalentementverselle.Leursregardssecroisèrentetelledéglutitpéniblement,prêteàaffrontersondestin.

Page 48: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Chapitre2

KhadinperçutimmédiatementlapeurdanslesyeuxdeLailaetnefutpasétonné.Saréactionétaitprévisible,aprèstoutcequ’elleavaitsubidernièrement.

L’eunuquequil’avaitamenéeluiôtalatuniquequ’elleportaitetfitquelquespasenarrière.Avantdelecongédier,KhadinpritquelquesinstantspourexaminerLaila.

Unelonguenatte,danslaquelleavaientétéentremêlésquelquesfilsd’or,retombaitsursonépaule,jusqu’àsa taille.Unvoile luicouvrait lapartie inférieureduvisageetsesyeuxétaient rehaussésd’undélicattraitdekhôl.Elleportaituncaftanetunpetithaut,tousdeuxclairsettransparents,quilaissaiententrevoirsesmamelonsfoncés.Sonsarouel,bienquemoinstransparentquelecaftan,mettaitenvaleursesjambeslonguesetfines,etKhadinsentitsoncorpsréagiràcettevisionderêve.

Jusque-là,iln’avaitsouhaitéqueprofiterdesacompagnie.Mais,enlavoyantainsi,ledésirflambabrusquement en lui.D’unmouvementde lamain, il congédia l’eunuquequi s’inclina respectueusementavantdequitterlachambreensilence.

Avanttoutechose,KhadinvoulaitmettreLailaenconfiance,maisilnesavaitpasvraimentcomments’yprendre.Elleavaitbeauêtreàsamerci,ilserefusaitàuserdesonpouvoirsurelle.

Après la journée qu’il venait de vivre— ou à laquelle il venait de survivre, plutôt—, il avaitcruellementbesoindesechangerlesidées.

Malgré son insistance, son père refusait toujours de le recevoir et cela le désespérait. Ses joursétaientcomptés,iln’avaitplusdedouteàcesujetdésormais.Quoiqu’ilensoit,iln’avaitpasl’intentiondefuiretétaitbiendécidéàaffronterlesultanunebonnefoispourtoutes.Ildevaitluifairecomprendrequ’iln’étaitpassonennemi,pasplusqu’ilneconstituaitunemenacepourl’Empire.IldésiraitseulementregagnerNerassiaetretourneràsesdevoirsdegouverneurdecetteprovincequiétaitdevenueunrefugepourlui.S’illuirestaitencoreunechanceinfimedesurvivre,ilcomptaitbienlasaisir.

—Veux-tumangerquelquechose?demanda-t-ilàLailaenchassantcespéniblespenséesdesonesprit.

Asongrandsoulagement,lesfruitsqu’onluiavaitapportéscettefoisn’étaientpasempoisonnés.Ellesecoualatêteetfitunpasenavant.—Maplacen’estpasici,dit-elled’unairdedéfiencroisantlesbrassursapoitrine.Khadinhaussaunsourcileteutunpetitsourireamusé.Saréactionnelesurprenaitpas.—Tum’enveuxdet’avoiramenéeici,observa-t-il.—Jesuisencolèreparcequej’aiétéprivéedemaliberté,répliqua-t-elle.Maplaceestauprèsde

meschevauxetnonpasdansunpalais,aussisomptueuxsoit-il.Unecage,mêmedorée,esttoujoursunecage.

Ellepoussaunlégersoupiravantdepoursuivre:

Page 49: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

—Qu’attendez-vousdemoi?Quejevousdésire?Quejemecoucheentrevosdrapsetvouslaissedisposerdemoncorpsautantqu’ilvousplaira?

Lavoyantauborddeslarmes,illevalamaindansungested’apaisementpourlafairetaire.—Aladifférencedemonpère,jamaisjen’aiprofitéd’unefemme.Asonregardsurpris,ilcompritqu’elles’étaitméprisesursesintentions.—Sijeterenvoiedansleharem,nonseulementturisquesd’êtremalmenéeparlesautresfemmes,

maisilsepeutégalementquemonpèretechoisissepourpartagersacouche.Ilmarquauntempsd’arrêtenpenchantlégèrementlatêtesurlecôté.—Alors,préfères-tuquejeterenvoiedansleharem?Commeellenerépondaitpas,ilallaverselle,ramassalatuniquequel’eunuqueavaitposéesurle

soletlaluitendit.—Non,balbutia-t-elleenprenantlevêtementetenleserrantcontreelle.—Bien.Danscecas,couvre-toietsuis-moi.Il était inhabitueldevoirune femmehorsduharem,maisKhadinéprouvait soudain lebesoinde

sortirprendrel’air.Résolu, il fourra quelques dattes dans la poche de son caftan au cas où elle changerait d’avis et

attendit qu’ellemette sa tunique.Elle ajusta ensuite le voile qui recouvrait la partie inférieure de sonvisageet,quandellefutprête,illuipritlamainetl’emmenahorsdelachambre.

Il fut surprisdeconstaterquesapaumeétait froideet rudeau toucher. Il sesouvintalorsqu’ellen’étaitpascommelesfemmesoisivesqu’ilcôtoyaitd’ordinaire;lamajeurepartiedesonexistenceavaitétévouéeàdes tâchessansdouteéprouvantes.Peut-êtrecetteescapade imprévue ladétendrait-elleunpeuetapaiserait-ellesescraintes.

—Oùm’emmenez-vous?demanda-t-elleentâchantdesuivresonallure.—Tuverras.Ilstraversèrentplusieurscouloirsavantd’atteindrelaportemenantauxécuriesoùétaientlogésplus

detroismillechevaux.IlspassèrentàcôtédeplusieursboxetKhadins’arrêtadevantl’enclosréservéauxpur-sangarabes.

Du coin de l’œil, il nota que l’expression inquiète de Laila changea du tout au tout lorsqu’unesclave,tenantsonétalonparlalonge,vintverseux.

Khadinluilâchalamainetelles’avançaaussitôtversl’animal,quiavaitétéentre-tempspanséetnourri.

—Qu’est-cequetuesbeau!murmuraLailaenluicaressantl’encolure.Lavoyant faire,une image inattendues’imposasoudainàespritdeKhadin. Il imagina lamainde

Lailasepromenantsursontorse,etcelasuffitàledéstabiliser.Commesielleavaitsentisonattentionsurelle,Lailaseretournaetluilançaunregardperplexe.La

mainimmobiliséesurl’encoluredel’étalon,ellelescrutaitdesesgrandsyeuxbruns.—Net’arrêtepas,dit-il.Jesuissûrqu’ilapprécie.Quel être n’apprécierait pas les caresses d’une ravissante femmecommeelle ?Lui aussi voulait

sentir ses caresses sur sa peau. Il esquissa une grimace. Se pouvait-il qu’il soit jaloux de son proprecheval?

Ilsecoualégèrementlatête,chassantcettepenséeridicule,puiss’avançaverselle.Ilposalesmainssursesépaulesmenuesetlasentitseraidir.

—Aimerais-tulemonter?demanda-t-ilenluimassantdoucementlecou.Ellefrissonnaetluisaisitlesmainspourlesrepousser.—Oui,répondit-ellesansseretourner.—As-tubesoind’uneselle?Veux-tuquejet’aideàmonter?—Non.

Page 50: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Apeineeut-elle réponduqu’elle retira la longeet sehissad’unmouvementsouplesur lecheval.Elleserralesgenouxcontrelesflancsdel’étalonetcelui-cipartitaupasautourdel’enclos.

Khadin la regarda faire plusieurs tours de l’espace exigu, en regrettant amèrement denepouvoirvoir son visage ni son corps, caché par la tunique. Fasciné par la grâce de ses gestes, il avaitl’impressionqu’elleétaitcommesoudéeaucheval,aupointdenefaireplusqu’unaveclui.

Ellefitencorequelquestourspuisramenalechevaldevantlui.—Etvous,vouslemontezuniquementlorsqu’ilestsellé?demanda-t-elleencaressantlepur-sang

surlequelelleétaittoujoursassise.—Non,répondit-ilensehissantderrièreelled’unbond,avantqu’ellen’aiteuletempsderéagir.Ilpressasescuissescontreseshanchesetmitlechevalaupas.—Sijetombe,tutombesavecmoi,luichuchota-t-ilàl’oreille.—Dans ce cas, tâchez de ne pas tomber, répliqua-t-elle en lui jetant un coup d’œil amusé par-

dessussonépaule.Ellesepenchaensuiteenavantetmurmuraquelquechoseauchevaltoutenluiflattantl’encolure,et

l’animalcommençaà trotter.Moinshabituéqu’elleàmonteràcru, il fallutàKhadinquelques instantsavantdes’adapteraurythmedel’étalon.

Ils firent quelques tours de l’enclos et il se sentit plus serein, mais fut bientôt incapable de seconcentrersurautrechosequelaproximitéphysiquedeLaila.Leurscorpssesoulevaientetretombaientaurythmedupasducheval,etd’autresimagessensuellesassaillirentsonesprit.Sentantsonmembresedurcir,iljuraintérieurement.

—Assez,grommela-t-ilsoudainementenarrêtantl’étalon.IlsautaàbasdesonchevalpuisattrapaLailaparlataillepourlafairedescendre.—Je…j’auraistrèsbienpulefairetouteseule,bredouilla-t-elle,leregardfuyant.Lesmainstoujoursposéessursataille,ill’observaquelquesinstants.—Tun’espashabituéeàcequel’ontetouche,n’est-cepas?—N…Non,fit-elleenbaissantlatête.Ellesefrottanerveusementlesbraspuisajouta:—Vousauriezdûchoisiruneautrefemme,seigneur.Je…Jesuisincapabledevousdonnerceque

vousattendezdemoi.—Détends-toi,Laila.Tunerisquesrienavecmoi.Ellelevaversluiunregardconfus.—C’estjusteque…Jepensaisque…ElleneterminapassaphraseetKhadinresserralégèrementsaprisesursataille.Telleuneproie

paralyséeparsonprédateur,elleécarquillalesyeuxetillasentitsefigersoussesdoigts.—Jusqu’àprésent,t’ai-jeforcéeàfairequelquechosequetunevoulaispas?—Non,mais…—Metrouves-turepoussant?lacoupa-t-il.Maprésencet’est-elledoncsiinsupportablequeça?Même si le comportement de Laila donnait à penser le contraire, il sentait que l’attirance était

réciproque.Ellepoussaunlégersoupirpuisposalesmainssurlessiennesetessaya,envain,delesôterdesa

taille.—Commentpuis-jerépondreàcettequestion?Sijedisoui,vousmeferezsansdouteexécuter.Et

sijedisnon,jeseraiobligéedepartagervotrelit.Amuséparsasincéritéetsafaçondepenser,Khadinéclataderire.—Laila,jenesuisqu’unhommeet,commetouthomme,j’aidesbesoins.Maiscelanesignifieen

aucun cas que je te prendrai de force. Et sache que, quelle que soit ta réponse, celle-ci ne fera pasdisparaîtreledésirquej’éprouvepourtoi.

Page 51: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Ilsepenchaversellepourluimurmureràl’oreille:—As-tudéjàpartagélacouched’unhomme?Lentement,ilremontalesmainssouslegalbedesesseinsetill’entenditretenirsonsouffle.L’idée

qu’ilpuisseêtrelepremierhommeàluidonnerduplaisiretàl’initierauxplaisirsdelachairluiinsinuaunechaleurintensedanslesveines.

Ellesecoualatêteetrivasonregardausien.—Jeneseraijamaisvotreconcubine.Acesmots,ellerelevalementonavecarroganceetjetauncoupd’œilversl’étalonquitrottaitun

peuplusloindansl’enclos.—Entantquevotreesclave,jepréféreraisvousêtreutileici,auxécuries,reprit-elle.Etait-cesapeurquiparlait,ouplutôtsafierté?Khadinl’ignorait.Néanmoins,quellesquesoientses

motivations,ilnepouvaitaccéderàsademande.Ilpressasonfrontcontrelesienetplaçaunemainsursapoitrine.Soussapaume,ilsentaitsoncœurbattrelachamade.

—Jecrainsquecesoitimpossible,dit-il.Ilétaithorsdequestionqu’elledormesurdufoin,parmilesanimaux.Deplus,celaferaitd’elleune

proiefacilepourlespalefreniersquin’hésiteraientsûrementpasàprofiterd’elle.Non,ilaimaitencoremieux la savoir dans le harem.Enfermée dans cette aile du palais, elle ne risquait pas d’éveiller lesintérêtslascifsd’unautrehomme.

—Ilestplusprudentqueturestesdansleharem.Aucunhommenepourratetoucher,là-bas.Commeellecoulaitsurluiunregardpleindemépris,ilsesentitobligéd’ajouter:—Moiycompris.Ilbrûlaitd’envied’elle,maisjamaisilnelacontraindrait.Ilattendraitqu’ellesedonneàluideson

pleingré.D’unclaquementde langue, ilappelasonchevaletcelui-ci revintaussitôtvers lui. Il luicaressa

l’encolureetlepur-sangluidonnaunlégercoupdemuseau.—Tusais,jet’aiemmenéeici,avecmoi,pourt’épargnerundestincruel,poursuivit-il.S’il l’avait laissée entre les griffes de l’infâme marchand d’esclaves, elle aurait sûrement été

vendueàundébauchéquin’auraitpashésitéàabuserd’elleetdesoninnocence.—Jeveuxretrouverlesmiens.Lavoix tremblantedeLaila le fit se tournervers elle.Des larmesbrillaient dans sesyeux, et le

cœurdeKhadinseserra.—Jeveuxretournerchezmoi…Siseulementvouspouviezmecomprendre…Il ne la comprenait que trop bien. Lui aussi souhaitait retourner chez lui, à Nerassia, loin des

intriguesquisetramaientaupalais.Lailapritalorssamaindanslasienneetilsentitledésirqu’iléprouvaitpourelles’amplifier.—Laissez-moipartir, jevousensupplie,murmura-t-elleen lui serrant lamain, son regardancré

danslesien.Desonautremain,Khadindéfitlevoilequidissimulaitsonvisageetcontemplasestraitsfins.Ily

avaitdanssesyeuxunelueurdefiertéqui lefascinait. Ilétaitévidentquesaplacen’étaitpasdansunpalais,etencoremoinsdansunharem.

—Oh!Jecomprendsparfaitementcequeturessens,affirma-t-ilentirantsurlerubanquiretenaitsescheveuxentresse.Celle-cisedéfitlentement.

Salonguechevelurecouleurdejaiss’étalasursapoitrine,par-dessussonépaule,rendantainsisonteintencoreplusdélicat.

—Moiaussi,jevoudraisretournerchezmoi.—Maisjepensaisquevousviviezici,aupalais!s’étonna-t-elle.

Page 52: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

—J’aiquittélepalaisdepuisbienlongtemps.Notrepèreaconfiéàchacundemesfrèresetàmoi-mêmel’administrationd’uneprovinceafind’évitertouterivalitéetjalousieentrenous.

Cettemanœuvres’étaitmalgrétoutavéréeunéchec,etKhadinavaitl’impressiongrandissantequ’ilfiniraitcommesonfrèreMoustafa.

—Oùhabitez-vous?demandaLaila.—ANerassia,unepetiteprovinceàl’estd’Alexandrette,répondit-ilennouantsesdoigtsauxsiens.

Jesuissûrquetuteplairaislà-bas.C’estunendroitpaisibleetverdoyant.J’aibâtimademeuresurunepetitecollinequidominetoutelavallée.

Il était fier de sa province, de son domaine et de son peuple. Il imaginait sans mal Lailas’épanouissant pleinement dans cet environnement qui lui correspondait bien plus que Topkapi. Il lavoyaitgalopantlibrementdanslesprairiessurunedesjuments,leventjouantavecseslongscheveux.

Cettepensée inattendue ledéconcertaet il tentade la refouler.Cette femmeavait touchéquelquechoseenlui,quelquechosequiluidonnaitenvied’enapprendreplussurelle,deladécouvrir.

Il n’avait probablementplus très longtempsàvivre, et il se surprit àvouloirpasser sesderniersmoments à ses côtés. Oui, il désirait profiter du peu de temps qu’il lui restait avec elle et personned’autre.

Voyantque le soleil avait déjàpresquedisparu à l’horizon,KhadinguidaLailahorsde l’enclos.Avantquelanuitnerecouvrelesenvirons,iltenaitàluimontrerunautrechevalaucaractèrebienplusdifficilequelesautres.Ilétaiteneffetcurieuxdevoircommentl’animalréagiraitfaceàelle.

—Oùallons-nous?s’enquit-elleenremettantsonvoileenplacetandisqu’ilslongeaientunelonguerangéedebox.

—Jevoudraistemontrerunautreétalon.Ilsmarchèrent quelques instants en silence,main dans lamain. Elle semblait plus à l’aise en sa

compagnie,etilenfutrassuré.Ilsétaientàquelquespasd’ungrandenclos,situédanslefonddesécuries,quandunhennissement

nerveuxrésonnadanslesilencequirégnaitautourd’eux.Lesayantentendusapprocher,unpur-sangblancavançait,commeprêtàfoncersureux.

Ilss’arrêtèrentdevantlabarrièreetLailalaissaéchapperunepetiteexclamationenportantunemaindevantsabouche.

—Queluiest-ilarrivé?demanda-t-elleensetournantversKhadinavecuneexpressionhorrifiée.—Jel’ignore,répondit-ilenobservantlescicatricesrougesquizébraientledosdel’animal.Jel’ai

gagnédansunpari,ilyaquelquesjours.Monadversaireamisundesespur-sangenjeu,maisj’ignoraistoutdel’étatréeldelapauvrebête,àcemoment-là.

—Ilestmagnifique,murmuraLailaenreportantsonattentionsurl’étalon.C’estunanimaldegrandevaleur.

Elleretiralamaindelasienneetsemblaréfléchiravantdereprendre:—Jepourraisledresserpourvous,en…enéchangedemaliberté.—Mêmesij’acceptaistaproposition,queferais-tuunefoislibre?Ilestbientropdangereuxpour

une femme de s’aventurer seule hors de l’enceinte du palais. Tu ne saismême pas où sont partis lessurvivantsdetatribu,sisurvivantsilya,d’ailleurs.

—Jevousensupplie,seigneur,laissez-moiessayer!Jen’airiend’autreàvousoffrir.Khadinôta le voile qui recouvrait sonvisagepuis se penchavers elle et effleura ses lèvres des

siennesenposantunemainaucreuxdesondos.Commeellenelerepoussaitpas,ilcouvritsabouched’unautrebaiser,pluslongcettefois.Ilpouvaitsentirsontroubledûàsonmanqued’expérience,cequil’excitaetl’attendritenmêmetemps.

Illuimordillalalèvreinférieureavantdemurmurercontresabouche:—Cen’estpaslaseulechosequetuasàm’offrir,mabelle.

Page 53: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Poussé par le désir, il approfondit le baiser, caressant lentement sa langue de la sienne, et ellepoussaun légergémissement en se laissant aller contre lui. Il sentit sesbras se refermer autourde satailleet,peuàpeu,salangues’accordaaurythmedelasienne.

Décidément, cette femme mettait tous ses sens en éveil. Elle était spéciale ; contrairement auxautres,ellen’étaitpasintéresséeparsafortuneetnesemblaitmêmepasattiréeparlui.L’argentainsiquesontitreluiimportaientpeu.Toutcequ’ellevoulait,c’étaitretrouversaliberté.

Il rompit lebaiser et se redressa.Les joues légèrementempourprées,Laila lui adressaun regardconfusavantdereleverlatête,aveccommeunelueurdedéfidanslesyeux.Ildevinaqu’elleessayaittantbienquemaldegarderunvisageimpassible,maisperçutnéanmoinsunlégerdoutesursesbeauxtraits.

Sansdireunmot, il desserra sonétreinte et la libérapuis s’approchade labarrièrede l’enclos.Commelesilenceseprolongeait,ilfermalesyeux.Quelquesinstantsplustard,ilentenditdespasdanslesablederrièrelui.

—Jevousremerciedem’avoirépargnéundestintragique,l’entendit-ildire.Etjesuiscertainequen’importequelleautrefemmeseraithonoréedel’intérêtquevoussemblezmeporter,mais…

—Mais taplacen’estpas ici, l’interrompit-il pour finir saphrase en tournant la têtede façonàpouvoirl’observerducoindel’œil.

Ellesecoualégèrementlatêteenaffichantunemouenavrée.—Jemesensperdueici.Jenesuispashabituéeaustyledeviequiestlevôtre.Même si elle se tenait à contre-jour, dans les dernières lueurs du soleil couchant, Khadin nota

qu’elleavaitremissonvoileenplace.—Ilyadesgardesquinousobservent,n’est-cepas?demanda-t-elletoutàcoup.— Oui. Il n’y a que dans l’intimité de mes appartements que je parviens à me dérober à leur

surveillance,mêmes’ilyatoujoursdeuxhommesquimontentlagardedevantmaporte.—Jamaisjenepourraivivreainsi,murmura-t-elleenramenantsesbrasautourd’elle.—C’estleprixàpayerlorsquel’onnaîtprince…Luinonplusnesupportaitpaslesrèglesquirégissaientlavieaupalais.Ilsesentaitbridéetétait

continuellementsurlequi-vive.IlvoulaittantretourneràNerassia,danscehavredepaixoùilétaitlibredesesopinions!

Lailas’avançaàsahauteuret tousdeuxtournèrentleurattentionverslecheval.Ilsrestèrentainsiimmobiles un longmoment, et Khadin ne put s’empêcher de lui jeter de temps en temps des regardsfurtifs.Ellesemblaitsubjuguéeparl’animalquitrottaitencercledansl’enclos.L’airàlafoispensifetdéterminé,elleobservaitlecheval,cherchantsansdoutelemeilleurmoyendel’apprivoiser.

Khadin eut un léger sourire à cette idée. Et lui, trouverait-il une manière d’apprivoiser cetteravissanteprincessebédouineque ledestincruel avaitplacée sur sonchemin?Plus le tempspassait,plusilsesentaitattiréparelleetlemystèrequil’entourait.Ilétaitpersuadéque,derrièrelesbarrièresqu’elle avait édifiées autour d’elle, se cachait une femme aussi sensuelle qu’affectueuse. Il mouraitd’envied’apprendreàlaconnaître,d’êtreceluiàquielles’offriraitsansretenue,celuiquil’initieraitauxplaisirsvoluptueux.Maisarriverait-ilàsesfinsavantquesonpèreacceptedelevoir?

Ilpoussaunprofondsoupirpuisdit:—Jesaisàquelpointtuveuxretrouvertaliberté.Apeineeut-ilprononcécesmots,qu’elletournalatêteverslui,lesyeuxgrandsouverts.Ildéglutit

etellepritsesmainsdanslessiennes.—Jevousensupplie,seigneur…,l’implora-t-elleenlesserrantfort.—LorsquejerepartiraipourNerassia,jet’escorteraienpersonnejusqu’oùtuvoudras,poursuivit-il

aprèsunmomentd’hésitation.Aprèstout,rienn’étaitencorejoué.Sonpèreconsentiraitpeut-êtreàluilaisserlaviesauve.

Page 54: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

—Enattendant,tupourraspassertesjournéesici,avecl’étalon.Situparviensàledresser,jet’enferaicadeau.Et,dernièrechose…

Illuisoulevalevoileetl’embrassalégèrementsurlabouche.—Lesnuits, tudormirasdansmon lit,murmura-t-il enfin à sonoreille.Et je pariemêmeque tu

t’offrirasàmoidetonpleingré.Qu’endis-tu?Marchéconclu?

Page 55: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Chapitre3

Muettedestupeur,Lailadétournaleregard.LasimpleidéedepartagerlelitduprinceKhadinluifitcourir des frissons sur la peau. Elle devait absolument rester sur ses gardes, car c’était un hommedangereux.Pourtant,quecelaluiplaiseounon,salibertédépendaitdeluietdeluiseul.

Le comportement du prince envers elle lui donna néanmoins à réfléchir.Quel genre d’homme secachait derrière lemasque impénétrable qu’il affichait ?Bien qu’elle soit persuadée queKhadin étaitdotéd’unsang-froidàtouteépreuve,toutcommeelle,ilsemblaittroubléàprésent,commeenproieàunconflitintérieur.

Unechoseétaitsûre,cependant:ilnelalaisseraitpasenpaixtantqu’iln’auraitpasobtenud’ellecequ’ilvoulait.

Elle peinait à croire qu’un homme tel que lui pouvait s’intéresser à elle, alors qu’il y avait desfemmesbienplusbellesqu’elledans leharem ; des femmes aux courbes affriolantesqui avaient sansdoutedéjàétéinitiéesauxplaisirsdelachair.

—Alors,quelleesttaréponse?demanda-t-ilenluicaressanttendrementlajoue.Non, ellenepouvaitpas luidonner cequ’il attendaitd’elle, c’était au-dessusde ses forces.Son

innocenceétaitunprixbientropélevéàpayer,mêmes’ils’agissaitdeceluidesaliberté.Elleouvritlabouchepourluirépondre,maispasunsonn’ensortit.Rassemblanttoutsoncourage,

elle leva la tête et croisa son regard.Une lueurbienveillantebrillait dans sesbeauxyeuxbleus, et sarésolution vacilla aussitôt. Il n’était qu’un étranger pour elle,mais elle devait admettre qu’il lui avaitsauvélavieaumarché.

Quelsautreschoix s’offriraientàelle si elle refusait saproposition?Ellepasserait ses journéesenfermée dans le harem, à servir les autres concubines du sultan. Et que lui arriverait-il si Khadinrepartaitsanselle?Unautrehomme—lesultanlui-mêmepeut-être—voudraitlafairesienne,c’étaitcertain,cequiprovoqueraitsanslemoindredoutelemécontentementetlajalousiedesautresfemmes.

Lailatressaillitàcettepensée.LaproximitédeKhadinluifaisaitperdresesmoyens.Etait-elleentrain de changer d’avis au sujet de sa proposition ? Il était indéniablement très beau et, malgré sesréticences,ellesesentaitensécuritéaveclui.

Oui,ilsemblaitêtreunhonnêtehomme.Etlebaiser…Inconsciemment,ellesepassalalanguesurleslèvres.LorsqueKhadinavaitposéseslèvressurles

siennes,elleavaitsentiunedoucechaleurserépandreenelle.Celaavaitétéuneexpérienceenivrante.Soussesvêtements,ellesentitlespointesdesesseinssedurcir.Sonproprecorpsétait-ilentrainde

latrahir?Sesréactionsinattenduesmettaientsaraison,ainsiquesonjugement,enpéril.L’imagedeleurscorpsnus,glissantl’uncontrel’autre,s’imposaalorsàsonespritetelleressentituneétrangepalpitationentresescuisses.

Page 56: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Ilsepenchadenouveauverselle.Sonsoufflechaudluicaressalevisageetelleperçutcommeunelégèreodeurdementhedanssonhaleine.

—Jeveuxtedonnerduplaisir,murmura-t-il.Enmême temps, il lui posa lesmains sur les hanches, puis les fit remonter lentement. Lorsqu’il

caressalegalbedesesseins,leurspointessedurcirentplusencore,etelleréprimaunsoupir.—J’ai enviede toi,mais jene teprendraipas tantque tune seraspasprête.Pas tantque tune

m’imploreraspasdetefairemienne.Avant même qu’elle ait eu le temps de réagir à ses paroles, il l’embrassa avec encore plus de

passionquelesfoisprécédentes.Bienquesaraisonprotestât,soncorpssemoulacontreceluideKhadin.Dedélicieuxfrissonslaparcoururentetunfluxdechaleurserépanditentresescuisses.

Elle sentitKhadin suivre le contour de ses lèvres de sa langue qui, quand elle ouvrit la bouche,trouva de nouveau la sienne. Son esprit se vida complètement tandis que leurs langues se mêlaientpassionnément.Ilavaitprispossessiondesaraison;lelaisserait-ellefairedemêmeavecsoncorps?

Oui!s’écriaunepetitevoixaufondd’elle.Personnedestiensn’ensaurajamaisrien.Laisse-let’initierauxplaisirsdelavie,talibertéendépend.

Comme s’il avait ressenti son incertitude, Khadin enfouit les deux mains dans ses cheveux etapprofonditlebaiser.LepoulsdeLailas’emballaetellefutsubmergéeparunesoudainedétressemêléeàundésirquidépassaittoutentendement.

—Vousm’endemandeztrop,souffla-t-elleenrompantlebaiseravantdesedégagerdesonétreinte.Pourquoinechoisissez-vouspasuneautrefemme?

—Les autres femmes ne soupirent pas après leur liberté perdue… J’ai été parfaitement honnêteavectoi;jet’aidonnélechoixetjerespecteraitadécision.

Sans la quitter des yeux, il lui remit le voile sur le visage puis tourna brusquement les talons.Interloquée,elleleregardas’éloigner.Quevenait-ildesepasser?Elleallaitlaisseréchappersaseulechancedesurvie!

—Attendez!s’exclama-t-elleentendantlebrasverslui.Nepartezpas!Le prince s’arrêta puis se tourna vers elle en croisant les bras sur son torse. Il leva un sourcil

interrogateur et elle comprit que son tempsde réflexion était écoulé.Adéfaut d’une réponse claire etimmédiatedesapart,Khadinlalaisseraitseuleetelleseraitalorslivréeàundestinplusqu’incertain.

—Trèsbien, fit-elleduboutdes lèvresensemaudissantdeson impuissance.Jeresteavecvouscettenuit.

D’unpashésitant,elles’avançaversluientâchantdeserassurer.Aprèstout,illuiavaitpromisdene pas la prendre de force. Peut-être parviendrait-elle à lui résister jusqu’à ce qu’il lui rendre saliberté…

Illuifitsignedelesuivre,maisellesecampadevantluietluitenditlamain,paumeouverte.Avantqu’ilsneretournentdanslachambre,elletenaitàfairequelquechose.

—Puis-jeavoirlesdattesquevousavezdansvotrepoche?—Tuasfaim?demanda-t-il,visiblementsurprisparsarequête.—Non.Ellesnesontpaspourmoi,maispourl’étalon,répondit-elle.Ellesedoutaitbienqu’iln’allaitpasêtrefaciled’apprivoiserlecheval,etellevoulaitcommencer

parétabliruncontactavecl’animalfuyantetrétif.Sans fairede remarque,Khadinplongea lamaindans sapocheet en sortitunepoignéededattes

qu’illuitendit.Ils’effaçaensuitepourlalaisserpasseretelleentradansl’enclos.L’étalon hennit puis se mit à encenser tout en continuant de longer la barrière au pas. Il n’était

visiblementpascontentdesonintrusiondanssonespace,maiselleignorasonattitudemenaçante.—Jesaiscequeturessens,murmura-t-elleens’arrêtantaumilieudel’enclos.

Page 57: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

D’ungesteassuré,elle levalebrasetouvrit lamainafindeluimontrer lesdattes.Ilétaitencorebientroptôtpourlenourrirainsi,maiselleétaitprêteàprendrecerisque.Desonautremain,elledéfitsonvoileetplaçalesdattesdessus.Ainsi, lechevalpourraitsefamiliariseravecsonodeur.Elleposaensuiteletoutparterreetreculadequelquespas.

L’étalonbaissalatêteetsoufflafort,sonattentiondésormaisportéesurlanourrituredevantlui.Allez,montoutjoli,approche.Jeneteveuxaucunmal.Le regard fixé sur le cheval, elleperçutun légermouvementderrière elle.L’instantd’après, elle

sentitlesmainsdeKhadinseposersursatailleetlachaleurdesoncorpspuissantl’enveloppaaussitôt.Ilsrestèrentainsiimmobilespendantunmoment,guettantuneréactiondel’animal.Lorsque,enfin,il

s’approchaetcommençaàmangerlesdattes,Lailapoussaunsoupirdesoulagement.— Puis-je revenir ici dès l’aube, demain matin ? demanda-t-elle quand le cheval eut avalé la

dernière.Jevoudraisêtrelaseuleàluidonneràmangerpourpouvoirnouerunliendeconfianceaveclui.Khadinneréponditpasets’éloignadequelquespasafinderamasserlevoile.—Non.Laissez-le,dit-ellecommeilsebaissait.Sans dire unmot, il se redressa et la rejoignit. Puis ils se dirigèrent tous deux vers la sortie de

l’enclos.—Levoileluipermettradereconnaîtremonodeur,jugea-t-ellebondeluiexpliquer.Ilasûrement

beaucoupsouffertauxmainsdesonancienmaître.Ilestperduetnesaitpasàquifaireconfiance.—Toutcommetoi…Tunesaispassitupeuxmefaireconfiance,déclara-t-ilenluiprenantlamain.—Jenevousconnaispasencoreassezpourvousfaireconfiance,marmonna-t-elle,déstabiliséepar

lecontactdesapeaucontrelasienne.—Çaviendra.Surcesmots,ilsemitenmarcheetlaguidaverssesappartements.Lesoleils’étaitcouché,etlecielrougeoyaitdesesderniersfeux.Achaquepasqu’ellefaisait,Laila

craignait de trébucher tant elle était tendue.Décidément,Khadin avait sur elle un effet pour lemoinssurprenant.

Cessedoncdetetourmenter!Ils’estmontréattentionnéenverstoietnet’afaitaucunmal.Ilétaitenpositionenforceet,s’ill’avaitvraimentvoulu,ilauraitdéjàpuabuserd’elleàmaintes

reprises.Aulieudecela,ilavaitapaisésescraintesenl’emmenantvoirleschevauxdupalais.Deplus,il lui avait fait la promesse de ne pas la prendre de force et étaitmême persuadé qu’elle finirait pars’offriràluidesonpleingré.Ilavaitsemblésisûrdeluiqu’ellecommençaitàdouterd’elle-même.

Elle tenait à préserver sa virginité, évidemment, mais, d’un autre côté, la proximité de Khadinéveillaitenelledessensationstrèsagréablesqu’elleneconnaissaitpas.Soncorpsétaitcommeattiréparlesienets’embrasaitaumoindrecontact.Sepouvait-ilqu’ilsoitleseulàpouvoirladélivrerdecefeuquibrûlaitenelle?

« Tu verras que tu finiras également par y trouver ton plaisir. » Les mots de dameMurana luirevirentàl’esprit.Etait-ilpossiblequelavieillefemmeaitditvrai?

Discrètement,ellejetauncoupd’œilversKhadintandisqu’ilstraversaientlecouloirmenantàsachambre.Enyréfléchissantmieux,ilneluisemblaitpasêtrelegenred’hommequisongeaituniquementàsonplaisir.Lamanièredont il la traitaitenétaitunepreuve irréfutable.Khadinpouvait-ilvraiment luienseigner l’art de la sensualité ? Et elle, voulait-elle vraiment pénétrer dans cemonde aussi inconnuqu’attirant?

Elle repensa alors à la pochette que lui avait donnée dameMurana.Qu’y avait-il dans la petitefiole?

Elleenétait làdesespensées lorsqu’ilsarrivèrentdans lachambre.Khadincongédia lesgardesd’unsignedelamainetceux-cirefermèrentlaporte.

Page 58: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Soudaininquiète,Lailalesregardafaireet,quandilsseretrouvèrentseuls,touslesdeux,elletournalentement les yeux versKhadin.D’innombrables questions se bousculaient dans sa tête et ne faisaientqu’accroîtresonmalaise.

—Tuasencorepeurdemoi,observa-t-ilenprenantungrainderaisind’unegrappeposéesurleplateaudefruitsquitrônaitaumilieudelatable.

Ils’approchaensuited’elleetcaressaseslèvresdufruitjusqu’àcequ’elleouvrelabouche.—Oui,reconnut-elleaprèsl’avoirprisetmangé.Commeilnedisaitrien,elleajoutaavecunsourirenavré:—Voussavezquejenesouhaitepasêtreici.Illuipritlevisageentrelesmainspuissepenchaverselleetsuivitaveclalanguelecontourdeson

oreille.Elletressaillitdesurprise.—Tun’asrienàcraindre,mabelle.Jeneteferaipasdemal.L’instantd’après,ilcouvritseslèvresdesaboucheetl’embrassatendrement;sitendrementqu’elle

sesentitfondre.Puisilseredressaet,leregardancréausien,luiôtalatuniqueetlecaftan.Uniquementvêtuedusaroueletdupetithauttransparent,Lailasetintimmobilequelquessecondes

avantdeserrersesbrasautourd’elleenagrippantfermementlefintissudesesvêtements.Même s’il ne la touchait plus, le regard de Khadin était comme une caresse sur elle, doux et

agréableàlafois,etellesesentitrougirviolemment.Ilposalesmainssurlessiennes;inconsciemment,ellerelâchasonhautetlaissasesbrasretomberlelongdesoncorps.LesmainsdeKhadinseposèrentsursatailleetelleretintsonsouffleensentantlespointesdesesseinssedurcirdenouveau.

— J’aimerais tant pouvoir t’ordonner de cesser de me craindre ainsi, murmura-t-il avant del’embrasser,plusardemmentcettefois.Ilglissalesmainssursesfessesetl’attiraversluitandisquesalanguetaquinaitlasienne.

Cebaiserdiffusaunechaleursiintensedanstoutsoncorpsqu’elleneprêtapasattentionauxmainsdeKhadinqui remontèrent sur sondos afinde lui retirer le haut.Lorsqu’elle se rendit compteque sapoitrineétaitdénudée,elleseraiditetKhadinreculalégèrement.

Ellesentitsesjambesvacillersoussonregardintense;ellesetrouvaitdansunesituationplusquedélicate. Qu’en serait-il de son honneur si elle laissait Khadin la déposséder de sa virginité ? Elledeviendrait une des nombreuses concubines du prince, et cette idée lui était insupportable.D’un autrecôté,ellenepouvaitignorerl’effetqu’ilavaitsurelle;detouteévidence,elleavaitdéjàabandonnélaluttecontresonbonsens.Ellepourraittrèsbienluidired’arrêteretilleferait,ellen’endoutaitpas.

Quandsesmainsseposèrentsursesseins, la retenuequ’elle tentaitvainementdes’imposervolabrusquementenéclats.

Lavoixde la raisons’insurgeadenouveauenellemais, l’ignorant,elleattiraKhadincontreellepourl’embrasser.

Apparemmentsurprispendantuncourtinstant,ilrepritrapidementlecontrôleetelleseplaquaàlui,cherchantàcomblercebesoinétrangeetoppressantquilatenaillait.

Sans interrompre leurbaiser, il lui fitglissersonsarouel le longdes jambesetelles’endégagearapidement. Une fois qu’elle fut complètement nue, il la serra davantage contre lui et intensifia leurbaiser.

— Veux-tu que j’arrête, Laila ? demanda-t-il contre ses lèvres, avant de semer une traînée debaiserslelongdesoncouetsursesépaules.

Disoui,Laila!Tudoisl’arrêter!Mais quand ses mains se posèrent de nouveau sur ses seins, elle oublia aussitôt ses bonnes

résolutions.Toutencontinuantàdéposerdesbaiserssursonvisageetsoncou,Khadinsedéshabillaàsontour.

Illuiembrassafurtivementleslèvrespuisfitunpasenarrière.

Page 59: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

—Regarde-moi,Laila,dit-ilencherchantsonregard.Cettenuit, jevais te fairegoûterauplaisirultimeettuneleregretteraspas,crois-moi.

Malgréelle,Lailalaissasesyeuxglissersursoncorpsnu.Sontorsemuscléétaitrecouvertd’unelégère toison brune qui s’étirait en une fine ligne sur son ventre plat. Son regard s’attarda sur sesabdominaux,refusantdedescendreplusbas.Sacuriositéfinittoutdemêmeparl’emporter,etelleretintson souffle en voyant lemembre viril deKhadin durci par le désir. Elle se concentra ensuite sur sesjambes longuesetmusclées,maissesyeuxfurentdenouveauattirésparsonérection.Queressentirait-ellelorsqueleurscorpssejoindraient?

—Donne-moilapochettequedameMuranat’aremise,murmura-t-il,latirantdesespensées.Elles’exécutaetleregardaprendrelapetitefiolequis’ytrouvait.—Allonge-toi,luiordonna-t-ild’unevoixdouce.Réprimantunfrisson,ellefitcequ’illuidemandait.Elles’assitsurlelitpuiss’allongeasurledos,

savourantlecontactdesdrapsfraissursapeaubrûlante.Khadinvint la rejoindre et s’agenouilla sur lematelas à côté d’elle. Il ouvrit la fiole puis versa

quelquesgouttesdecequisemblaitêtredel’huiledanssapaume.Lailareconnutimmédiatementl’odeurdecannelleetdeclousdegirofle.

— Je vais étaler cette huile sur ta peau, expliqua-t-il en se frottant lesmains. Elle t’aidera à tedétendreetintensifieraégalementtonplaisir.

Tout enparlant, il effleuradupouce lapointede l’unde ses seins et une sensation inouïenaquitentresescuisses.

—Jevaisparcourirchaqueparcelledetoncorpsdemesmains,aprèsquoiceseraàtoidefairedemêmesurmoi,annonça-t-ilenfaisantroulersontétondurcientresesdoigts.

Lailasemorditlalèvreinférieureetfermalesyeux,puiselleentenditsoudainKhadinluidire:—Mets-toisurleventre.Tâchant de cacher la déception qui s’était emparée d’elle, elle se retourna et posa la joue sur

l’oreiller.Khadinrassemblases longscheveuxpuis lesramenasur l’oreiller,au-dessusdesonépaule.Il fit

ensuiteglisserlesmainsdesesépaulesverssondos,puisdescenditlentementjusqu’àsesfessesavantderecommencerplusieursfoislemêmegeste.

Petitàpetit,Lailasentitsoncorpssedétendresousl’actionhabiledesesdoigts.LemassagequeluiprodiguaitKhadinn’avaitrienàvoiravecceluidel’esclaveduhammam.LetoucherdeKhadinétaitplusassuré,plus…intime.

Ellefrissonnalorsqu’ellesentitseslèvressursoncou.—Celafaitlongtempsquejen’aipasétéavecunevierge,marmonna-t-ilcontresapeau.Saboucheglissalelongdesamâchoireetilluimordillalelobedel’oreille.—Lasimpleidéequejesoislepremierhommeàtetoucherainsiallumelefeudansmesveines.

J’espèreégalementêtrelepremieràteposséder;avectapermission,bienévidemment.Assaillie par toutes sortes de sensations délicieuses, Laila étouffa un gémissement. La main de

Khadin descendit lentement le long de son dos, sur ses fesses, et quand elle sentit un de ses doigtseffleurersachairlaplussecrète,elleécarquillalesyeux.

Khadinpoursuivitsacaresse intimeetplusieurs frissonsviolents laparcoururent.Ellecrispafortlespoingssurlesdrapsetlaissaéchapperunpetitcrideplaisir.

Seigneur!Queluiarrivait-il?Alors,ilintroduisitundoigtenelleetunesensationdebien-êtreencoreplusintenselasubmergea

aussitôt. Il retirapuis insérasondoigtplusieurs foisdesuitecequinefitqu’amplifier lasensationdechaleurquiluiembrasaitleventre.

Page 60: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Lailaeutl’impressionquelatensionquimontaitenelleétaitsurlepointd’exploserlorsqueKhadinlaretournasurledos.

—Veux-tuquej’arrête?Pantelante de désir, elle le dévisagea quelques instants, incapable de formuler le moindre mot.

L’huilecommençaitàagirsurelle,sursapeauetsessens,etellecraignaitdebrusquementseconsumersurplaces’ilarrêtait.

—Tuaimeslasensationqueteprocurel’huile,n’est-cepas?Dehors,lanuitétaittombéemaintenantetlachambrebaignaitdanslapénombre.Alafaiblelumière

diffusée par la lampe à pétrole posée à côté du lit, l’expression qu’arborait Khadin fit accélérer lesbattementsdesoncœur.Ellenevoulaitplusquitterlecocondesensualitédanslequelill’avaitenfermée.

—Oui,répondit-elleenfin.Maisje…jenesaispassijepourraisensupporterdavantage.—Illefaudrapourtant,dit-ilenluidécochantunsourireenjôleur.Cen’estqueledébut,mabelle.Ilsetournaalorsverssesjambesetcommençaparluimasserlespiedsavantderemonterlentement

verssesmollets,atténuantpeuàpeulatensiondesesmuscles.Puisilglissalesmainssursescuissesetlesécartalégèrement.

Lorsqu’ellesentitdenouveaulesdoigtsdeKhadincaressersonintimité,ellegémitensoulevantleshanchesdumatelas.L’espritlégèrementembrumé,elleseredressasurlescoudesetcroisasonregard.

—S’ilvousplaît…Je…Arrêtez,balbutia-t-elle,lecœurserré.Malgrélesprotestationsdesoncorps,ellenepouvaitlelaisserallerplusloin;ellenepouvaitse

permettredeperdresavirginitéaveclui.—Trèsbien,j’arrête,déclara-t-il.Sonexpressionétaitindéchiffrable.—Maisc’estàtontourdememasser.Ilpritlapetitefioled’huileparfuméeposéesurlatabledechevetetlaluitendit.Seredressant,LailalapritetKhadinl’embrassafurtivementsurlaboucheavantdes’allongersurle

ventre.Confuse,elles’agenouillaàcôtédeluietseversaunpeud’huiledanslamain.Toutenfrottantses

paumesl’unecontrel’autre,elledétaillalecorpsdeKhadin;sesépaulesetsondosmerveilleusementsculptés,sesfessesfermes…

Elledéglutitpéniblement.Maintenant qu’il avait cessé de la tourmenter avec ses caresses expertes, elle éprouvait une

sensationdevideatrocequ’elleneparvenaitpasàs’expliquer.Elle jouaitàun jeudangereux,elleenavait conscience, un jeu sensuel auquel elle pouvaitmettreun termeà toutmoment.Pourtant, lesmotspourlefairerefusaientobstinémentdefranchirseslèvres.

D’ungestehésitant,elleposalesmainssurlesépaulesdeKhadinetpalpadoucementsesmusclesavantdesuivrelacourbedesondos.Ellelesentitsedétendresoussesdoigtset,quandilpoussaunlégergémissement,elleeutsoudainlesentimentd’êtreinvestied’unpouvoirparticulier.

Sentantunenouvellechaleurnaîtreentresescuisses,elleaugmentalapressiondesesdoigtssursapeaufermeetKhadintournalevisageducôtéoubrûlaitlalampeàpétrole,offrantainsisonprofilàsavue.

Lesyeux rivés sur sonvisage faiblement éclairé,Laila remarquaunepetite cicatrice à sa tempe.Spontanément,ellesepenchaversluietlespointesdesesseinsluieffleurèrentledos.

—Quevousest-ilarrivé?demanda-t-elleenparcourantlacicatricedudoigt.Ilouvritlesyeux,unsourirecyniqueincurvantseslèvres.—Unedesodalisquesm’ajetédanslebainquandj’avaisdeuxans.Jemesuiscognélatêtecontre

lemarbre,etc’estunmiraclesij’aisurvécu.

Page 61: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

CetterévélationlaissaLailainterdite.Lavieduprincen’étaitmanifestementpasaussiinsoucianteettranquillequ’ellel’auraitcru.

—A-t-onsouventattentéàvotrevieainsi?—Oui.Sentant la réticence de Khadin à en parler davantage, elle n’insista pas et versa encore un peu

d’huiledanssamain.Ensilence,elleluimassalebasdudos,lescuissespuislesmollets.Lorsqu’elleplaçalespouces

surlaplantedesonpied,ilseretournabrusquement.—Etes-vouschatouilleux?lança-t-elleavecunpetitsourireencoin.—Parfois.Acesmots,ilseredressaenlasaisissantparlataillepuislafitasseoiràcalifourchonsurlui.Laila

sentitsonintimitéaucontactdesonmembretenduetréprimaunfrissonenposantlespaumesàplatsursontorse.

—J’aipasséunagréableaprès-midientacompagnie,murmura-t-il,saboucheaucreuxdesagorge.Il l’embrassa tendrement en la serrant contre lui, et elle se fondit dans son étreinte. Il s’allongea

ensuitesurledos,l’attirantaveclui;enivréeparl’odeurvirilequiémanaitdelui,elleselaissafaire.Latenantenlacée,illuidéposaunbaisersurlefront;elledemeuraimmobile,lecœurbattantàtout

rompre.Attendantfébrilementlasuite,ellenichalatêteaucreuxdesonépaule,maisKhadinnebougeaplus.

Très vite, elle ressentit un désespoir et un manque violents que seul Khadin était capable decombler.Ellepréféranéanmoinsécouterlepeuderaisonqu’illuirestaitetsongeaqu’elleferaitmieuxdedormir.

Ellefermalesyeuxetcelanefitqu’embrasersessens.Lasensationdesapeaucontrelasienne,lachaleurdesoncorpsmusclé,c’enétaittroppourelle.Illuiencoûtaitdel’admettre,maiselleavaitenviedelui.Elleavaitbesoindelui,delesentirsurelle,enelle.

Aupoint où elle en était, il ne s’agissait plusde sa liberté,maisde sa tranquillité d’esprit.Ellevoulait s’offrir à lui, frémir sous ses caresses et ses baisers. Elle voulait qu’il comble ce videinsoutenablequ’ilavaitprovoquéenelle.

Levantleregardverslui,elleremarquaqueluinonplusnedormaitpas.Sesyeuxbleusserivèrentauxsiensetelleyperçutuncertaintrouble.

—Qu’ya-t-il,Laila?demanda-t-ild’unevoixrauque.—Je…Jenesaispas.Elleregrettaitamèrementdeluiavoirdemandéd’arrêterunpeuplustôt.Aprésent,ellen’avaitplus

aucundoutesurlesintentionshonorablesdeKhadinàsonégard.Illuiavaitsauvélavieenl’emmenantloindecethorriblemarchéauxesclavesalorsqueriennel’obligeaitàfairecela.

—Toutcequejesais,c’estquenoussommestouslesdeuxmalheureux,murmura-t-elleenposantunemaintremblantesursontorse.

—Ne t’en faispaspourmoi,dit-il enpassantunbras sous sa tête et en fixant son regard sur leplafond.

LagorgedeLailaseserra.Elle,etelleseule,étaitlaraisondecettefrustrationquilesavaitgagnéstouslesdeux.Mais,surtout,ellesemaudissaitdecauserautantdedésordredanslaviedeKhadin.

Pourquoiluiavait-elleditd’arrêter?Ellen’avaitpluspersonne;plusdefamille,etsansdouteplusdetribu.Désormais,elleétaitmaîtressedeseschoixetceux-cin’auraientpaslamoindreincidencesurlaréputationdesafamillenisursonpeuple.

—Pourquoim’avez-vousdonnélapossibilitéderefuservotreproposition?s’enquit-elle.Illuipritlamainetembrassasesdoigtsunàun.

Page 62: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

—Tuasperdutafamilleettaliberté,répondit-il.C’étaitlamoindredeschosesquejepouvaisfairepourtoi,aprèstoutcequetuasdûtraverser.

Ces paroles abattirent l’ultime barrière qui se dressait entre eux. Elle devait oublier le passé etvivrel’instantprésentsanssesoucierdecequiluiréservaitl’avenir.

Cédant à la tentation, elle embrassa Khadin avec fougue, nouant les bras autour de son cou.Répondantaubaiser,ilseredressacontrel’oreillertoutenl’attirantsurluid’ungestesouple.Elleouvritalorsleslèvres,acceptantsalanguedanssabouche,souhaitantluifairecomprendrequ’ellesedonnaitàluilibrement.

Lorsqu’ilmit fin à leur baiser, il la fit se redresser avant de saisir la pointe d’un sein entre seslèvres.

Rejetantlatêteenarrière,ellelaissaéchapperunpetitcritandisqu’illemordillaitetsuçaittouràtoursonmamelon.

Denouveauàcalifourchonsurlui,LailapouvaitsentirsesreplisintimespresséscontrelemembredurcideKhadin.Assaillieparuntourbillondesensationsplusfortesetmerveilleuseslesunesquelesautres,ellefermalesyeux.

—As-tuenviedemoi,Laila?Soulevant légèrement leshanchesverselle, il tourmentaensuite lapointedesonautreseinet,en

proieàunflotd’émotionsintenses,ellesemorditlalèvreinférieure.—Oui,souffla-t-elleenespérantqu’elleneregretteraitpassadécision.Apeineeut-elledonnésaréponsequeKhadinlasoulevalégèrement.Elletressaillitviolemmenten

lesentantentrerenelle.Presqueaussitôt,unevivedouleurluitraversalebasduventreetellepoussauncri.Khadins’immobilisaets’emparadeseslèvrespourunbaisertrèstendre.Quelquesinstantsplustard,ellelesentitavancerlentementenelle.Maismaintenantqu’ilavaitforcélebarragedesaféminité,unesensationdeplénitudecommençaitàremplacerladouleurqu’elleavaitbrièvementressentie.

Lesmainstoujourssurseshanches,Khadinl’encourageaalorsàbougeretellesemitàallerd’avantenarrièresurlui,cherchantàtrouverlerythmequiluiconvenait.Petitàpetit,ellecommençaàondulerdeshanchesd’unmouvementplussûretplussensueletsentitcommeunebouledefeuaucreuxdesonventre. Jamaisellen’auraitpucroireque l’accouplementd’unhommeetd’une femmepouvait se fairedansunetelleposition.

Sanscriergare,Khadinlarenversasurlematelasetrecouvritsoncorpsdusien,toujoursenelle.Sesbeauxtraitsétaienttendus,commes’ilessayaitdeseretenir.Ilimprimaalorsunlégermouvementdeva-et-vient à ses hanches et Laila se cambra vers lui, poussée par un besoin aussi irrépressiblequ’inconnu.

Portéeparunplaisirqu’ellen’avait jamaiséprouvéauparavant,ellegémitplusieursfoissoussesassautscontrôlésetcomprit alorsqueKhadincontenait sa jouissance,pensant sansdouteàelle, à sonbien-êtreavantdepenserausien.

Soussespousséessensuelles,lajeunefilleinnocentequ’elleavaitétéjusqu’àprésentvenaitdesemuerenunefemmeavidedesensationsenivrantes.ElleétaitdevenuelaconcubinedeKhadin,cellequiétaitcenséeassouvirtoussesbesoins.Elledevait—non,elleenavaitenvie—luiprocurerleréconfortdontilsemblaitdésespérémentavoirbesoin.

Elle s’agrippa à ses hanches étroites, lui signifiant ainsi d’augmenter la cadence. Il compritimmédiatement ce qu’elle attendait de lui et se mit à aller et venir en elle plus vite et plus fort.Néanmoins,ellesentaitqu’ilvoulaitplus,qu’ilavaitbesoindeplus.Debeaucoupplus.

—Laisse-toialler,Khadin…Montre-moicedonttuasbesoin,murmura-t-elleenenroulantlesbrasautourdesoncou.

Il ferma les yeux et opina de la tête puis, sans cesser de la posséder, glissa lesmains sous sescuisses et lui releva les genoux pour les enrouler autour de ses hanches. Laila enfouit la tête dans

Page 63: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

l’oreiller,frémissantauxnouvellessensationsquilaparcouraient.Khadinseredressaalorsetellelevalatêtepourguettersonprochainmouvement.Lorsqu’ilseremit

àtaquinerdelalangueetdesdentslespointessensiblesdesesseins,soncorpsfutagitédesoubresautsincontrôlables.

Soudain,laspiraledechaleurquigrandissaitdanssonventresetransformaenunesortedespasmequi la secoua tout entière et elle poussa un cri de plaisir. Les assauts deKhadin se firent alors plusrapides,plusdésespérés,etellevoulutsefondreenlui,s’envelopperdesaforceetdesachaleur.

Ellefermalesyeuxet,ébranléeparlessecoussesfrénétiquesquisoulevaientsesreins,plantalesonglesdans ledosdeKhadin.L’instantd’après, tandisqu’unemyriaded’étoilesexplosaitderrièresespaupières,ellel’entenditcriersajouissance.

Lorsqu’ilretombasurelle,Lailal’enlaçaavantdefaireglisserlesmainssursondos,enfouissantlevisagedanssoncouethumantsonodeur.Ellesentaitleurscœursbattreàl’unissonl’uncontrel’autreetilsrestèrentunlongmomentainsi,immobiles,leurscorpsnefaisantplusqu’un.

—T’ai-jefaitmal,mabelle?demanda-t-ilenseredressantsuruncoudepoureffleurerseslèvresd’untendrebaiser.

—Non,chuchota-t-elle.Sous lui, les idéesencoreembruméespar leplaisirqu’ilvenaitde luioffrir,ellepeinaitàcroire

qu’elles’étaitcomplètementabandonnéeàcethommeque,malgrétout,elleconnaissaitàpeine.Khadinroulasurledos,l’attirantdanssonétreinte.C’estalorsquelacruelleréalités’insinuadans

l’espritdeLaila.Unenouvellefois,lapeurl’envahit.Mêmesiellecommençaitàsesentirensécuritéaveclui, lovéedanssesbraset isoléedumonde

extérieur,ilnefallaitsurtoutpasqu’elles’habitueàlaprésencedeKhadin.Bienqu’ill’aitentraînéedansunmonde de sensualité et lui avait fait goûter quelques instants de pur bonheur, elle ne devait pas sebercerd’illusions,cartoutcelan’étaitquemirage.Riendeplus.

Leursdestinsn’auraientjamaisdûsecroiser;ilsn’étaientdoncpasliésl’unàl’autre,etbientôtilsortiraitdesavieàjamais.

CefutsurcettepenséequeLailaglissadansunprofondsommeil.

Page 64: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Chapitre4

Quatrejoursplustard

Assisàsonbureau,Khadinrelutunedernièrefoisledocumentqu’ilvenaitderédiger.Souspeu,ilserait fixé sur son sort et il avait tenu à coucher par écrit ses volontés— les dernières peut-être—concernantLaila.

Ilnepouvaitêtreplusclair.Aucasoùilluiarriveraitmalheur,ilexigeaitquel’onrendelalibertéàLailaetqu’onluidonneégalementl’étalonblanc.

Poussantunlégersoupir,illevalesyeuxverslelitoùelledormaitpaisiblement,unemainposéesurl’oreiller,etsoncœurseserra.

Lanuitdernière,illuiavaitfaitl’amouràplusieursreprises,etelleavaitétéréceptiveàchacundesesbaisers,chacunedesesattentions.Etlorsque,consuméparlapassionquilesavaitemportés,ilallaitenfins’abandonnerausommeil,ilavaitsentilescaressesdeLailasursondos.Pousséparunnouvelélandepassion,ill’avaitfaitesienneencore.

Lesquatre joursqu’ilvenaitdepasser en sacompagnieavaient été, contre touteattente, lesplusbeauxdesavie.Tous lesmatins, il l’avaitaccompagnéeauxécurieset l’avait regardéegagner,petitàpetit, laconfiancedel’étalonsauvage.Seseffortsavaientfinalementportéleursfruitscar, laveille, lechevalavaitacceptéqu’ellelemonte.

Toutcommelecheval,Khadinétait tombésoussoncharme.Nonseulementellesedistinguaitdesautres femmesduharem,mais elle avait été la première à le toucher enplein cœur. Il adorait la voirs’arquersouslui,lasentirexplorersoncorpsdesesdoigtstoutensoupirantetgémissantavantdecriersonextase,danslaquelleill’accompagnaitchaquefois.

Iléprouvaitpourellequelquechosede fortetnevoulaitpas laquitter.Malheureusement, le jourqu’ilredoutaittantavaitfinipararriver.Sonpère,lesultan,luiavaitenfinaccordéuneaudience.Maispeuimportaitcequ’illuiarriverait;ilavaitprislesdispositionsnécessairespourassureràLailauneviehorsdecesmurs.Néanmoins,s’ilnetenaitqu’àlui,ill’emmèneraitàNerassia.Là-bas,ils…

Onfrappaàsaporteet,quandildonnalapermissiond’entrer,celle-cis’ouvritsurquatregardes,tous vêtus de noir, un cimeterre à la ceinture.Voyant que l’undes gardes tenait unmorceaude corde,Khadinseraiditsursachaise.

—Laila,dit-il,lève-toietretournedansleharem.Ilnevoulaitpasqu’elleassisteàcequiallaitsuivre.Blottieentrelesdraps,elleouvritlentement

lesyeuxpuisseredressa.Découvrantqu’ilsn’étaientpasseuls,elletirad’ungesteviflacouverturesurelle.

—Quesepasse-t-il?demanda-t-elleenluiadressantunregardanxieux.

Page 65: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

—Faiscequejetedis,ordonna-t-ilenselevant.Il prit ses vêtements et les jeta sur le lit avant de se tourner vers les gardes qui se tenaient

immobiles,surleseuildesachambre.—Est-cemonpèrequivousenvoie?leurdemanda-t-il.—Oui, princeKhadin, répondit celui qui tenait la corde en s’inclinant. SonAltesse Soliman le

Magnifiquedésires’entreteniravecvous.Sondestinétaitscellé.Ilbaissalesyeuxsurlacorde.Qu’avaitdécidésonpère?Allait-ilaumoins

écoutercequ’ilavaitàluidireouallait-ill’exécutersansmêmeluilaisserlapossibilitédeplaidersacause?

LailavintseplaceràcôtédeluietKhadinpritleparchemin.—DonnececiàlaprincesseMihrimah,lasultaneValidéquirègnesurleharem.Elleexécuterames

ordres,luimurmura-t-ilenpliantlamissiveavantdelaluitendre.Ellepritleparcheminpuislevasurluiunregardinterloqué.—Mais,jecroyais…—Monpèresouhaitemevoir,lacoupa-t-il.—Dequoias-tupeur,Khadin?luidemanda-t-elled’unepetitevoixenluiprenantlamain.Jevois

del’inquiétudeaufonddetesyeux.Iljetauncoupd’œilverslesgardesquicommençaientmanifestementàs’impatienter.—Ecoute-moi,dit-ilàvoixbasse.Sijenerevienspas,tuprendrasl’étalonettuquitteraslepalais.

Tubénéficieraségalementd’uneescortequit’accompagnerajusqu’oùtulesouhaiteras.Il marqua un temps d’arrêt et lui caressa la joue, gravant chaque détail de son visage dans sa

mémoire.—J’aurais aimé t’offrir desperles et despierres précieusespour te remercier de ta compagnie,

poursuivit-il,maisj’aipréféréterendretalibertéàlaplace.—Khadin, je…Jenecomprendspas,balbutia-t-elle.Pourquoiest-cequetunereviendraispas?

Tonpèreneteferapasdemal,n’est-cepas?Réprimantunsoupir,ilappuyasonfrontcontrelesien.— Je l’ignore. Mon sort repose entre ses mains, désormais. En tout cas, sache que j’ai fait le

nécessaireencequiteconcerne.Ilnepourrarient’arriver.Elleacquiesça,lesyeuxpleinsdelarmes,puisl’embrassapassionnément.Illaserracontrelui,etle

contactdesoncorpscontrelesienéveillaenluiundésirdémesuré.Jamaisiln’oublieraitlesmomentsqu’ilsavaientpartagés.Lailaétaitetresteraitsienneàjamais.

—Sijepeux,jereviendraitechercher,jetelepromets,marmonna-t-ilcontreseslèvresavantdelalibérerdesonétreinte.

Maindanslamain,ilssedirigèrentverslesgardes.—Emmène-ladansleharem,ordonnaKhadinàl’eunuquequiattendaitdanslecouloir,derrièreles

gardes.Sansunmot,Laila suivit l’esclave.Elle se retournanéanmoinspour échangerun regard avec lui

avantdedisparaîtreàl’angleducouloir.Ilnelareverraitsansdouteplusjamais,songeaKhadinquieutl’impressionquesoncœursedéchiraitàcettepensée.

Il aimait Laila comme jamais il n’avait aimé aucune autre femme.Oui, pour la première fois, ilaimaitvraiment.

***

Laila faisait les cent pas dans la pièce où l’eunuque l’avait conduite.Elle avait été brusquementséparéedeKhadinets’inquiétaitdesonsort.Etait-iltoujoursenvie?Allait-ellelerevoir?Jamaiselle

Page 66: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

n’auraitpenséqu’elles’attacheraitautantàlui.En l’espace de quelques jours, il avait su se frayer un chemin jusqu’à son cœur. Les nuits

passionnéesqu’ilsavaientpasséesensembleresteraientàjamaisgravéesdanssamémoire,etelledoutaitfortqu’elleselaisseraitdenouveauunjourapprocherparunautrehomme.

Lanuitdernière,lestendrescaressesainsiquelesbaisersenflammésdeKhadinl’avaientaidéeàvoirplusclairdanssessentiments,etelleavaitl’impressiondeluiavoirdonnéunepartied’elle-même.Elles’étaitabandonnéedanssesbras,et ilétaitparvenuàapaiser lechagrinqui luiétreignait lecœurdepuislamortdesafamille.Maismaintenantqu’ilsétaientséparés,elleressentaitdenouveauunvideimmenseenelle.

Ellecommençaitàcroirequecequ’elleavaitpartagéavecKhadinallaitbienau-delàd’unesimpleattirancephysique.Etait-cepossible,ensipeudetemps?Elleétaitaffectéeparsonabsence,etsagorgeseserraàl’idéequ’ellepourraitneplusjamaislerevoir.

Afin de se calmer, elle prit quelques profondes inspirations. Lorsqu’on l’avait ramenée dans leharem,elleavaitimmédiatementdonnéleparchemindeKhadinauchefdeseunuques,quiluiavaitpromisdel’apporteràlaprincesseMihrimah.

Khadinétaitrestévagueausujetdesafamille,maisilluiavaitnéanmoinsrévéléquelaprincesse,sademi-sœur,étaitlafilleaînéedusultanetqu’elleétaitdevenuesultaneValidéàlamortdesonépoux.Maintenant que son destin dépendait d’elle, Laila espérait sincèrement que cette femme suivrait lesordresdeKhadin.

Unesclavevint lachercheret lapréparapour lehammam.Elleallas’asseoirdansuncoinde lavaste salle et appuya la tête contre lemur.Malgré le nuage de vapeur qui l’enveloppait, elle pouvaitsentirsurellelesregardsméprisantsdesautresfemmes.Aencroirelesbribesdeconversationquiluiparvenaient,elleétaitaucœurdetouteslesdiscussions.

Lailase lavaseuleenseremémorant lanuitqu’ellevenaitdepasserdans lesbrasdeKhadin,sapeaumoitecontrelasienne,l’intensitédesescaresses,ainsiquelavivelueurqu’elleavaitremarquéedanssonregard.

Ellefermalesyeuxetsecoualatêtepourchassercespensées.Nepensepasàlui!Ilestetresterapeut-êtreleseulhommedetavie,maistoi,tuessimplement

unedesesnombreusesconquêtes.Pourtant,ilavaittenutouteslespromessesqu’il luiavaitfaites.Ilnel’avaitpasprisedeforceet

avaitfaitensortequ’onluirendelalibertéaucasoùil luiarriveraitmalheur.Il luiavaitmêmedonnél’étalon qu’elle avait baptisé Amir en raison de son fort caractère. Elle s’était d’ailleurs rapidementattachéeauchevalquileluirendaitbien.

Oui,Khadinavaitfaittoutcequ’ilpouvaitpourlaprotégeretluioffrirlemoyendes’échapperdecettecagedorée.

MonDieu,faitesqu’ilneluiarriverien!Quandelleeut terminésa toilette,uneunuquevint luiapporterune toilede lindans laquelleelle

s’enveloppa. L’homme l’emmena ensuite dans une petite chambre adjacente où d’autres esclavesl’aidèrent à se vêtir. Consciente qu’elle allait bientôt rencontrer la princesse Mihrimah, celle dontdépendaitsavie,elledissimulasesmainstremblantesdanslesmanchesdesoncaftan.Elleéprouvaitunsentimentd’impuissanceauquelellen’étaitpashabituée,maisqu’elleallaitdevoirtrèsviteapprendreàcontrôler.

Unautreeunuquelaconduisitjusqu’auxappartementsdelasultaneValidéet,lorsquelesgardesluiouvrirentlaportepourlalaisserentrer,Lailaretintsonsouffle.Elles’arrêtauninstantsurleseuilpuispénétradansunepièce richementdécorée.Aumilieude celle-ci se trouvait un fauteuil sur lequel unebellefemmed’âgemûrétaitinstallée.

Page 67: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Vêtued’uncaftan turquoisebrodédefilsd’argentqui recouvraitsonhautetsonsarouelblanc, laprincesseMihrimah était coiffée d’un turban qui cachait entièrement ses cheveux, accentuant ainsi lestraitsfinsdesonvisageainsiqueseslèvresd’unrougeprofond.Sesyeuxétaientsoulignésaukhôl,etseslongsdoigtschargésdebaguesscintillantes.

D’unpashésitant,Lailaavançaverslefauteuilpuiss’agenouilladevantetbaisal’ourletducaftande laprincesse, ainsi que levoulait l’usage.Mihrimah lui glissa alors unpouce sous lementon et luirelevalevisage.

—Tun’astoujourspasétéprésentéeàmonpère,n’est-cepas?s’enquit-elle.Savoixétaitmélodieusemaisferme,etLailaréprimaunfrisson.—Non,Altesse.JesersleprinceKhadin.—Onracontebiendeschosessurtoi,ditlaprincesseenesquissantunlégersourire.Apparemment,

tut’occuperaisd’unchevalsauvageauxécuries.Lailaneditrienetlaprincesseluicaressalajouedel’index.—Pourmapart,reprit-elle,jamaisjenetoléreraiunetellechose.Uneodalisquenedoitquitterle

haremsousaucunprétexte.Lailaauraitvoulurépondre,maisellesefiaàsoninstinctquiluiconseillaitden’enrienfaire.Elle

restadoncsilencieuseetbaissalatête.—Ilsembleraitquetuaiesundoninnéaveclesanimaux…Peut-êtrequel’ontelaisseraavoirun

animaldecompagnie.UnsouriremalicieuxincurvaalorsleslèvresdeMihrimah.—Amoinsquetunesoistropoccupéeàservirmonpère,ajouta-t-elle.Acesmots,Lailaseraidit.Ellenevoulaitpaspartagerlacouchedusultan,nid’aucunautrehomme

d’ailleurs.Ellecompritalorsqu’ellequitteraitlepalaisuniquementsiKhadinavaitlaviesauveetsilesultanluidonnaitlapermissionderetourneràNerassia.

—Aurai-jel’honneurderencontrerlesultan?demanda-t-elleenessayantdegarderunevoixégale.—Ildésires’entreteniravectoi.Jevaist’escorterjusqu’àlasalledutrône.Labouchesoudain sèche,Lailadéglutit avecdifficulté.Pourquoiunhommeaussipuissantque le

sultanavait-ildemandéàlavoiraussivite?Etait-ceenrapportavecKhadin?Peut-êtreparviendrait-elleàleconvaincredeluirendrelaliberté…Qu’avait-elleàperdre,aprèstout?

LaprincesseMihrimahseleva,etLailaluiemboîtalepas.Uneunuqueleurouvritlaporteetelless’engagèrentdansunlongcouloir.

—Jeteconseillevivementd’écouterattentivementlesultanetdeparleruniquementlorsqu’ilt’endonnelapermission,déclaralaprincesseentournantlatêteverselle.

Elles traversèrent une somptueuse salle en silence puis la princesse tourna de nouveau le regardverselle.

—Personnenerefuserienausultan,annonça-t-elle.LamèredeKhadinl’aapprisàsesdépens.Enrefusantdecontinueràpartagerlelitdemonpère,ellel’aoffenséauplushautpointetiladoncdûlatuer.

Lailasentitl’anxiétéluinouerl’estomacfaceàcetterévélationquiavaittoutd’unemiseengarde.Ellesarrivèrentdevantunegrandeportequis’ouvritsurunesallesomptueuse.Laprincesseyentrad’unpasgracieuxetLailalasuivitennouantlesmainsdevantelle.

Aucentrede la salle impériale,unénorme lustre,dont les flammesvivesdesbougieséclairaienttoutelapièce,pendaitduplafond.Lesmursétaientrevêtusdecarreauxdefaïencerougesetbleusainsiquedepanneauxlambrissésdécorésdemotifsvariés.

Lorsqu’elle osa enfin lever le regard, les battementsde son cœur s’accélèrent et elle réprimaunsoupir.Surunepetiteestradedélimitéepardefinescolonnesdemarbregris,lesultanétaitassissuruntrôneet,àcôtédelui,Khadinsetenaitimmobile,agenouillésuruncoussin.

Page 68: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Ilestenvie!Sonsoulagements’évanouituninstantplustard,quandelleaperçut,devantlui,unautrecoussin,plus

petit,surlequelétaitposéeunecordenouéeenunnœudcoulant.Leurs regards secroisèrentetKhadinsembla rassuréde lavoir,maisellebaissaaussitôt la tête,

luttantcontrelesémotionsquimenaçaientdelasubmerger.Toutcelaneprésageaitriendebon.Elleauraitvouluseprécipiterverslui,s’assurerqu’iln’étaitpasblessémais,craignantd’affreuses

représailles,ellen’osapasbouger.L’un des hommes postés à côté du trône lui fit signe d’avancer et elle s’exécuta aussitôt. Elle

s’agenouillaetembrassalesolauxpiedsdusultanaumomentmêmeoùlaprincesses’installaitaucôtédesonpère.

—C’estdonctoilafameuseprincessebédouinequemonfilsaachetéeaumarchéauxesclaves,ditlesultan.

Sesouvenantdelamiseengardedelaprincesse,Lailagardalatêtebaisséeetrestasilencieuse,secontentantd’opinerlégèrementdelatête.

—Regarde-moi,ordonnalesultan.Angoissée,ellerassemblalepeudecouragequ’illuirestaitetlevaleregardverslui.Mêmeassis,lesultanSolimanavaituneprestanceimposante.Drapédansunetuniqued’unorange

éclatant agrémentée de pierres précieuses, il avait la tête ceinte d’un turban blanc et, en dépit de sescheveuxclairsemés,desabarbecendréeainsiquedesridesquiluisillonnaientlevisage,uneétincelleardentebrûlaitdanssesyeux.

—Desrumeursàtonsujetmesontparvenuesauxoreilles,reprit-il.J’aicrucomprendrequemonfilst’aemmenéeauxécuries.

Lailaacquiesçadenouveaudelatête.—J’aiégalemententendudirequetut’espratiquementjetéedevantuntroupeaudechevauxagitéset

que tu es parvenue à les apaiser rien qu’avec ta voix. Certains disent même qui tu serais uneenchanteresse.

Laila ouvrit la bouche pour répondre puis la referma, lui demandant d’abord du regard lapermissiondes’exprimer.

—Parle,jet’écoute,dit-ilencroisantlesbrassursapoitrineetopinantduchef.—Altesse,j’aigrandientouréed’animaux.J’aimêmeaidémonpèreàdompterdespur-sangarabes

afinquenouspuissionslesvendre;voilàpourquoileschevauxsontàl’aiseenmaprésence.Ilssententquejeneleurveuxaucunmal.

Lesultanfronçalessourcils,maisLailaperçutunenotedecuriositédanssesyeux.Puisiltenditunemain et le chef des eunuques s’approcha du trône pour lui remettre ce qui devait sans doute être ledocumentqueKhadinavaitrédigé.Quelleallaitêtresadécision?

Latensionquirégnaitdanslapièceluifutsoudaininsupportableetellebaissalatête.— Toute femme qui rejoint mon harem devient ma propriété, annonça-t-il solennellement. Les

volontésdeKhadinsontdoncnullesetnonavenues.Enentendantcesmots,Lailacrutdéfaillir.Qu’allait-ilfaired’elle?IlavaittuélamèredeKhadin

pour avoir refusé d’être sa concubine. Le sultan lui réservait-il lemême sort ? Elle savait qu’il étaitappréciédesonpeuple;ondisaitdeluiqu’ilétaitunsouverainjusteetsage,maiségalementunhommecruelcraintparsesennemis.D’ailleurs,pourquoilesultanconsidérait-ilKhadin,sonproprefils,commeunennemi?Qu’avait-ilbienpusepasserentrelesdeuxhommes?

Un long silence s’installa dans la salle et, entre ses cils baissés, elle jeta un coup d’œil furtif àKhadin.Illafixaitduregardetsesbeauxyeuxbleusexprimaientduregret.Qu’allait-iladvenirdelui?

Percevantunbruissementdetissu,ellereportavivementleregarddevantelle.—Khadin,leshabitantsdeNerassiatevouentunevéritableadmiration,entendit-elledirelesultan.

Page 69: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Ellerelevalégèrementlatête.Levisageassombriparlacolère,lesultans’étaitpenchéversKhadin.Ilserraitlesaccoudoirsde

sontrôneavectantdeforcequesesjointuresavaientblanchi.— Ton peuple t’apprécie tellement, poursuivit-il entre ses dents, que plusieurs habitants de ta

provincesesontprésentésaupalaisafindemefairepartdeleurdésirdetevoir,unjour,mesuccéderàlatêtedel’Empire.

Ilmarquauntempsd’arrêt,commepourfairedurerlesuspensedesespropos,avantdereprendre:—C’estàtonfrèreSelimquereviendraletrôneàmamort.Ettoi,monfils,tuconstituesunegrande

menacepoursonavenirentantquesultan.Surcesmots,ilsaisitlacordeposéedevantKhadinetlaluipassaautourducou.Epouvantée,Lailaportaunemainàsabouchepourréprimeruncrid’horreur.

***

Khadinfermalesyeuxetprituneprofondeinspiration,luttantdetoutessesforcespourgardersonsang-froid.Sonpèren’avaittoujourspasresserrélenœuddelacordequ’ilvenaitdeluipasseraucou,chosequ’ilinterprétacommeunemiseàl’épreuve.

Il pourrait saisir le sultan par les pans de sa tunique et lemaîtriser sans peine,mais les gardespostés dans la salle l’exécuteraient aussitôt. Son unique chance de survie était donc de demeurerparfaitementimmobile.

Lesmainsdesonpère,quitenaientlacorde,tremblaientunpeu;personne,hormislui,nepouvaitlevoir.Aufonddelui,Khadinétaitpersuadéquesonpèrenesouhaitaitpasluiôterlavie.Cependant,d’unautrecôté,ilnepouvaitpermettrequelamoindremenacepèsesurl’empirequ’ilavaitbâtietauqueliltenait plus que tout aumonde. Oui, il pouvait voir dans ses yeux qu’il était en proie aux affres d’unterribledébatintérieur.

—Jenepeuxcourir le risquedevoirdeuxdemes fils s’entretuerpour le trône,murmura-t-ilenresserrantlégèrementlenœuddelacorde.TonfrèreMoustafas’estdressécontremoi,etj’aidûletuerdemespropresmains.Et,bienquejenesouhaitepastefairesubirlemêmesort,jen’aid’autrechoixsijeveuxm’assurerdelapérennitédemonempire.

Son père ferma les yeux et lui posa unemain à l’arrière de la tête tandis que l’autremaintenaitfermement la corde. Khadin vit dans ce geste attendrissant l’indication que le père et le sultan quihabitaientceseuletmêmecorpsneparvenaientpasàsemettred’accord.

—Donne-moiuneseuleraisonpourlaquellejedevraistelaisserlaviesauve,reprit-ilalors.— Parce que régner sur l’Empire ne m’intéresse absolument pas, répondit Khadin. Tout ce qui

m’importe,c’estmaprovince,Nerassia.Riend’autre.Ilregardasonpèredroitdanslesyeuxpourappuyersespropospuispoursuivit:—Selimesttonhéritierlégitime,etjamaisjenemerebelleraicontretavolonté.Commesonpèresemblaittoujoursenproieaudoute,Khadinrecouvritlamainquitenaitlacordede

lasienne.—Laisse-moiretourneràNerassia,chuchota-t-il.Tuasmaparolequeplusjamaisjeneremettrai

lespiedsdanslaville.Lesultanledévisageapendantquelquessecondes.—Jedevraist’emprisonner,dit-ilenplissantleslèvresenunemouedubitative.Puis,poussantunsoupir,ildesserralacordeetlaluienlevaducou.—Pars.Va-t’enetnereviensplusjamais.Sijeterevoisici, jetetueraisanshésiter,déclara-t-il

d’untongrave.Khadinselevapuiss’inclina.

Page 70: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Aumêmemoment,Laila se pencha en avant et posa le front sur les pieds de son père.Aussitôt,Khadinlasaisitparlesbrasetlaforçaàserelever.

—Ilestinterditdetoucherlesultan,luisouffla-t-il.Queluiétait-ilpasséparlatête?Nesavait-elledoncpasqu’untelmanquederespectpouvaitlui

coûterlavie?Illasentaittremblerdetoutsoncorps.Brusquement,ellesetournaversluietagrippalespansdesoncaftantoutenluicoulantunregard

implorant.—As-tuquelquechoseàdire,femme?s’enquitalorslesultanKhadinretintsonsouffle.Visiblementbouleversée,Lailasetournaverslesouverain.—J’aiunerequêteàprésenteràVotreAltesse,murmura-t-elleens’inclinant.Jevousenconjure,

laissez-moipartiravecvotrefils.CommeKhadins’yattendait,sonpèreeutunrirepleindedérision.—Etpourquelleraisonaccéderais-jeàtademande?Tuesuneconcubine,ettaplaceestdansmon

harem.Surcesmots,iltenditunemainverseuxetKhadinn’eutd’autrechoixquedelâcherLaila.Lamort

dansl’âme,illaregardas’agenouillerdevantsonpère.—Tum’appartiens,dit-il.Etpuis,tondoninnéaveclesanimauxmeserad’unegrandeutilité.Ilfitsigneàuneunuquequis’avançaaussitôtversletrôneets’inclina.— Raccompagne-la dans le harem, ordonna-t-il. Et, ce soir, tu me l’amèneras dans mes

appartements.LesderniersmotsdesonpèrefirentgronderunecolèrenoireenKhadin.Commentosait-il?Laila

était à lui, et aucun autre homme n’était censé la toucher ! Il voulut protester avec virulence mais,craignantdemettresavie—ainsiquecelledeLaila—endanger,ilgardalesilence.

Laila lui jeta un regard désespéré et il plongea les yeuxdans les siens, lui faisant une promessemuette:ilnelaisseraitpassonpèreposerneserait-cequ’undoigtsurelle.

***

Latêteappuyéecontrel’unedeslattesdutreillisdebois,Lailaregardaitparlafenêtre.Khadinétaitbeletbienparti.Ellel’avaitvu,accompagnédeseshommes,quitterlepalaisaugalop.Ilsavaientlaisséunnuagedepoussièrederrièreeux.

Ellefermalesyeux,pourempêcherseslarmesdecouler.Asongrandsoulagement,lesultanavaitépargné la vie deKhadin.Néanmoins, elle vivait sondépart commeuneperte qu’elle doutait pouvoirsurmonterunjour.Enplusd’avoirperdusaliberté,elleavaitégalementperdusonseulamiparmitouscesétrangers.

Sonamant.Commentavait-ellepucroirequ’ilyavaitentreeuxplusqu’unesimpleattirancephysique?Ilétait

partiet,souspeu,elleseraitemmenéedanslachambredusultanpour…Pourpartagersacouche.Cettepenséeluiétaitinsoutenable.

Uneunuquevintlachercheretl’escortajusqu’auhammamoùdesesclavesl’attendaient.Onlalavapuis lamassa longuement avec des huiles parfumées,mais elle était àmille lieues du hammam. Ellerepensaitauxnuitsqu’elleavaitpasséesavecKhadin,àseslèvresparcourantsoncorps,àsescaresses,àsoncorpspuissantrecouvrantlesien.

Elle chassa ses souvenirs puis suivit une esclave dans une des petites chambres adjacentes auhammam afin qu’on l’habille. Une fois qu’elle fut vêtue et parée de bijoux, le chef des eunuquesl’emmenaverslesappartementsdusultan.

Page 71: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Jenepeuxpasfaireça!Jenepeuxpaspartagerlelitdusultan,c’estau-dessusdemesforces!Ellepréféraitmourir plutôt qu’avoir à supporter les caressesd’un autrehomme.Oui, lamort lui

semblait la seule issue.Après tout, elle n’avait plus de famille, plus personne. Plus aucune raison devivre.S’ajoutaitàcelalefaitquelesultannelalaisseraitjamaispartir.Jamais.

Ilss’engageaientdansuncouloirlorsquedescrisperçantsretentirent.L’instantd’après,Lailasentituneodeurdefumée.Aussitôt,ellesepenchaàl’unedesfenêtresetrestainterditedevantlespectaclequis’offraitàsavue.

Dehautesflammesravageaientlesdépendancesdeboisdupalaisetcommençaientdangereusementàsepropagervers lacourprincipale,malgré leseffortsdesesclavesquicouraientdans tous lessens,essayantd’éteindrelefeuavecdesseauxd’eau.

—Viens,suis-moi!ordonnal’eunuqueetlaprenantparlebrasetl’attirantverslui.NousdevonsnousassurerqueSonAltessevabien.

Désemparée,Laila trébuchaet faillit tomber.L’eunuque,quin’avaitpas lâchépriseet lui avait àpeinelaisséletempsdeseredresser,l’entraînaitsansménagementverslesappartementsdusultanquand,soudain,desgardesetdesesclavesfirentirruptiondanslecouloir,criantàtue-tête.Enmêmetemps,uneépaissefuméeenvahitleslieux.Profitantdelaconfusionambiante,Lailasedégagead’ungestebrusquedel’emprisedel’eunuqueetsefonditdanslamasse.

Lechaosprovoquéparl’incendieétaitsaseulechancedes’échapper,etelledevaitlasaisir.Unefoisdanslacour,sansréfléchir,elleseprécipitaverslesjardins.Elleavaitpresqueatteintleportiquequandelleentenditunevoixd’hommel’appeler.Ellese retournaetvitungarde royal foncerdroit surelle.

Paniquée,ellesemitàcourirenessayant,tantbienquemal,desefrayerunpassageparmilesgensaffolés.Maislegardelarattraparapidementetluienserralatailled’unbrasferme.

—Netedébatspas,luidit-ild’unevoixquiluiparutfamilière.Lailasefigeapuisseretourna,cherchantàaccrocherleregarddel’homme.Elleremarquaalorsque

desyeuxd’unbleuperçantlascrutaient.Desyeuxqui…Khadin!C’étaitKhadin ! Ilportait l’uniformenoirde lagarde royaleet lapartie inférieuredesonvisage

étaitcouverteparunpandesonturban,maisc’étaitbienlui,ellel’avaitreconnu.Sajoieétaittellequ’ellenoualesbrasautourdesoncouetseblottitcontrelui.Khadinétaitrevenupourelle!Il l’attiraalorsvers leportiqueet ilsentrèrentdansuneautrecour,pluspetiteque laprécédente,

envahieparl’épaissefuméedégagéeparl’incendie.Agrippésl’unàl’autre,ilslongèrentlemurversuneportequisetrouvaitducôtéopposé.

Quelques pas encore les séparaient de leur but quandLaila entendit un hennissement affolé.Elles’arrêtanetetportasonregardversuneautreporte,grandeouvertesur lesécuries.Leclaquementsecd’uncoupde fouet résonna ; instinctivement,elleseprécipita.Khadin luiemboîta lepaset, lorsqu’ilseurentfranchileseuil,elleaperçutAmiraufonddubâtiment.

Maintenuparunecordequetenaitunesclave,l’étalonsecabraitenhennissantsanscesse.Lechevalétaitencorebientropsauvage,etcequeLailaredoutaitnetardapasàseproduire.Troubléparlacohue,effrayépar l’incendie, lepur-sangs’élançavers la sortiedonnant sur lacour intérieure.Prisdecourt,l’esclavequitentaitdeleretenirlaissaéchapperlacorde.

LailaéchangeaunregardeffaréavecKhadin.Illasaisitparlamainettousdeuxsemirentàcourirverslaporteavecl’espoirdel’intercepter.

Lailal’appelaplusieursfois,maisilneparutpasl’entendre.Danslacour,nonloind’eux,plusieursfemmes s’étaient groupées devant le harem, et Amir fonçait droit vers elles. C’est alors que Laila

Page 72: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

remarqua, parmi ces femmes, la princesse Mihrimah. Portée par une peur panique, elle dégageabrusquementsamaindecelledeKhadinetseprécipitaverslafilledusultan.

Sans hésiter un instant, elle coupa la route àAmir et poussa brutalement la princesse tandis quel’animal,surprisparcemouvementsoudain,secabrait.Propulséehorsdeportéedesredoutablessabots,Mihrimahperditl’équilibreettombaparterre.Dansunconcertd’exclamationsaiguës,sescompagnessehâtèrentdel’aideràserelever.

Lailafitfaceaupur-sang.—C’estmoi,Amir,n’aiepaspeur.Calme-toi,montoutbeau,jesuislà,dit-elled’unevoixqu’elle

voulaitdouceetfermeàlafois.Environnéeparlafuméeetlescris,Lailafixaitlechevalduregard.Ilsecabraencoreunefoisavant

de s’immobiliser, frémissant. Aussitôt, elle retira son voile et le lui tendit afin qu’il reconnaisse sonodeur.IlbaissalesoreillesensoufflantetLailafitquelquespasverslui.

—Toutvabien,murmura-t-elleenluicaressantl’encolure.Jesuislà,toutvabien.Khadinlarejoignitet l’aidaàmontersurAmirquinebronchapas.Puisilmontaderrièreelle,et

Lailamitl’étalonautrotverslecôtédelacouroùsetrouvaitlaporteimpériale.Laconfusionrégnantplusquejamaisdanslepalais,toutn’étaitpasperdu;ilspouvaientencores’échapper.

Cependant,quandilsarrivèrentprèsdelaportequilesséparaitdelaliberté,Lailasentitsoncœursedéchirerdanssapoitrine.Devantlasortie,plusieursgardesétaientrassemblés,ettousavaientlamainposéesurleurcimeterre.

Page 73: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Chapitre5

—Halte!criaunevoixgravederrièreeux.Quiêtes-vous?Lailaarrêta l’étalonetKhadinpoussaunprofondsoupiravantdese tournerverssonpèrequise

tenaitderrièreeux.Blême,toutetremblante,Mihrimahétaitagrippéeàlui.Khadinmitpiedàterre,ôtalepanduturbanquiluirecouvraitlebasduvisageetaffrontaleregard

desonpère.Unemyriaded’émotionspassasurlevisagedusultan;delacolère,duregret,maiségalementdela

tristesse.—Tuasrisquétaviepoursauvercelledemafille,dit-ilens’adressantàLaila.Pourteremercier,

jeterendstaliberté.Lailaluisouritetbaissalatêteensignederemerciement.Khadinregardasonpèrependantquelquesinstantsavantdes’inclinerprofondémentetderemonter

àcheval.—Tutiensvraimentàelle,n’est-cepas?luidemandalesultan.—Plusqu’àn’importequelleautrechoseaumonde,père,répondit-ilenpassantunbrasautourde

latailledeLaila.Iln’étaitpasencoresûrquesonpèreleslaisseraitpartirensemble,maisilluiétaitimpossiblede

nierlavéritépluslongtemps.Iln’imaginaitplusl’existencesansLaila.Ellel’avaitaccompagnédanslesmomentsparticulièrementdifficilesqu’ilvenaitdevivreet,enplusdecela,ellenevoyaitpasenluileprince qu’il était, mais l’homme qui se cachait derrière ce titre souvent lourd à porter. Et, à présentqu’elleavaitretrouvésaliberté,ilespéraitsincèrementqu’ellelesuivraitàNerassia.

Commesonpèrenedisaitrien,Khadinébauchaunautresalut.Quandilrelevalatête,leursregardssecroisèrentetilvitquelesyeuxduvieilhommeexprimaientcequiressemblaitàunebénédiction.Ilsnesereverraientplusjamais,etlecœurdeKhadinseserraàcetteidée.Aprèstout,unpèrerestaitunpère.

Lesultanlevalamainetlesgardess’écartèrentdelaporte.Lagorgenouéeparl’émotion,KhadinluifitunsignedetêtepuisseretournaetLailamitlechevalaupas.

***

Une fois qu’ils furent sortis de la ville, elle lançaAmir augalop et ils ne s’arrêtèrent pas avantd’avoir atteint l’aubergeoùKhadinavait laissé seshommeset sonbagage.En silence, il aidaLaila àdescendreducheval.UnpalefrenieraccourutpourprendreAmirenchargeetleurassuraqu’ilprendraitleplusgrandsoindel’étalon.

Page 74: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Khadin guida ensuite Laila vers sa chambre. Quand ils furent dans la petite pièce faiblementéclairéeparunelampeàpétrole,illuiretiralatuniquequ’illuiavaitdonnéepoursecouvriretl’attiradanssonétreinte.

—J’aicruquejenetereverraisplusjamais!murmura-t-elleenappuyantlatêtecontresontorse.—Ilétaithorsdequestionquejetelaisseàlamercidemonpère,dit-ilenprenantsonvisageentre

sesmains.Ilpressaalorssonfrontcontrelesienetouvritlabouchepourluifairepartdesessentiments,mais

seravisaauderniermoment.Illuisemblaitqu’iln’avaitpaslesmotsadéquats,ceuxquiatteindraientsoncœur.

—C’esttoiquiasmislefeuaupalais,n’est-cepas?luidemanda-t-elletoutàcoup.—Undemeshommes,oui,admit-ilavecunepointedeculpabilité.Ellefronçalessourcilset,avantqu’ellepuissedirequoiquecesoit,ilajouta:—J’ailaissépourmonpèreuneboursedepierresprécieusesenguisededédommagement.Etpuis,

lefeuaétémaîtriséàtemps.Iln’yapaseutropdedégâts.Illuicaressatendrementlevisageetelletournalégèrementlatête,pressantlajouecontresapaume.—Mais sache que j’étais prêt à réduire le palais en cendres pour te retrouver,murmura-t-il en

plongeantsonregarddanslesien.Lorsqu’ellesemitsurlapointedespiedspourl’embrasserardemment,ilsavouralegoûtsucréde

sabouche.—Tueslibre,désormais,marmonna-t-ilcontreseslèvres.Tupeuxalleroùtuveux.Ilavaitressentiunpincementaucœurenprononçantcesmots.Dansl’attentedesaréponse,qu’il

redoutait,ildéglutitpéniblement.Voyant son regard anxieux, Laila effleura ses lèvres des siennes puis glissa les mains sous sa

tunique.—Jen’aienvied’allernullepartpourlemoment,dit-elle,enivréeparlecontactdesapeauferme

soussesdoigts.Elle s’écarta ensuite de lui, enleva son caftan et son haut, fit glisser son sarouel le long de ses

jambesetrestanuedevantlui.Khadintenditunemainverselle.Ilcaressalegalbedesesseinsavantdedescendreverssonventre.—Laila,situveuxretrouverlestiens,jet’escorteraijusqu’àeuxcommejetel’aipromis,dit-ilà

mi-voix.Elle ôta le rubanqui retenait sa natte puis enfouit les doigts dans ses cheveuxpour la défaire et

laissersesbouclesretombersursesépaulesetsondos.—Non.Maplacen’estplusauprèsd’eux.Quelques jours plus tôt, elle aurait tout donné pour retrouver sa tribu,mais la vie qu’elle avait

menée avec les siens lui semblait lointaine, maintenant. Le destin l’avait précipitée dans les bras deKhadinetellenepouvaitplusimaginervivresanslui.Mêmesielleavaitrefusédel’admettreaudébut,ilétaitparvenuàfranchiruneàunelesbarrièresqu’elleavaitérigéesautourd’elle.Oui,c’étaitunhommebon,unhommequinonseulementluiavaitsauvélavieàdeuxreprises,maisquisemblaitlacomprendrecommenulautre.

Envahieparunélandetendresse,elleluipritlamainetl’attiraverslelit.Elleavaitbesoindelui,soncorpsréclamaitlesien,ellevoulaitluiprouver…sonamour.Oui,elleaimaitKhadin,c’étaitévident.

—Attends,dit-ilavantqu’elleaitpus’allongersurlelit.Plissantlesyeuxd’unairinterrogateur,elleleregardaplongerlamaindanslapochedesatunique

etsouritlorsqu’ilensortituncollierdeperles.«J’auraisaimét’offrirdesperlesetdespierresprécieusespourteremercierdetacompagnie»,lui

avait-ilditavantd’êtreséparéd’elle,aupalais.

Page 75: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

—Tun’aspasbesoindem’offrirdesbijoux,Khadin.Jem’abandonneà toi librement,parcequeje…je…

Lesmotsrestèrentcoincésdanssagorgeetilsouritàsontour,commes’ilavaitcompriscequ’elleavaitvouludire.

Lentement, il commença à se déshabiller et elle se laissa tomber sur le matelas, parcourantavidementdu regardchaquepartiede soncorpsqu’ildécouvrait.Puis, telun félin, il la rejoignit,unelueurmalicieuseilluminantsesbeauxyeuxbleus.

Ilpritseslèvresenunbaiserfiévreux,etsonsoufflesebloquadanssagorgelorsqu’ellesentitlesdoigtsdeKhadinroulerlesperlesautourdelapointedel’undesesseins.Désireusedelesentirenelle,deréaffirmerleurlienintime,ellesecambracontrelui,maisilparutignorersademandesilencieuse.Ilsemaunetraînéedebaiserssursajoue,sagorge,sesseins,sonventreavantdes’arrêterjusteau-dessusdesonentrejambe.

—Tum’astellementmanqué,Khadin,murmura-t-elleencrispantlesdoigtsdanssesépaules.Ilembrassaalorssonintimitéetlacaressatendrementdesalangue,sibienqu’ellecrutfondresous

cecontactsensuel.—Oh…—J’aibesoindetoi,Laila,l’entendit-ellechuchoter.Resteavecmoi.Sesyeuxs’emplirentdelarmesetellelesferma,submergéeparunflotd’émotionsfortes.Cequ’il

venaitdeluidiren’étaitpasunordremaisuneprière.Celasignifiait-ilqueluiaussiavaitbesoind’elle?Soncœursegonfladejoieàcetteidée.

—Oui,Khadin…Pourtoujours.Ilseredressaalorsetl’embrassaavecpassionavantdelaisserdenouveauglisserseslèvreslelong

desoncorps,jusqu’àsonintimité.Ildéposaunbaisercontresacuissepuisintroduisitundoigt…etlecollierdeperlesenelle!

Portéeparunplaisird’uneintensitéinouïe,elleécarquillalesyeuxetsemorditlalèvreinférieure.Ellefutsurpriseparlasensationexquisequeprovoquaientcespetitesboulesenelle.Lorsqu’ellesentitKhadintirerlentementsurlecollier,elleneputréprimerungémissement.

—Quefais-tu,Khadin?souffla-t-elleenenfouissantlatêtedansl’oreiller.Unedoucechaleurl’envahissait,etellefutprised’unlégerspasmechaquefoisqu’ellesentaitune

perleglissercontresapeau.Sanscesserdetirersurlecollier,Khadinseredressaetelleposalamainsursonmembreenérection.

—Cesperlesnesontpasfaitespourêtreportées,mabelle,murmura-t-ilentredeuxbaisers.Ellessontfaitespourtedonnerduplaisir.

Lailasentitalorssondoigts’introduiredenouveauenelleetcrutdéfaillirdeplaisirlorsqu’iltiradenouveau,unpeuplusfortcettefois,surlecollier.

— Je préfère prendremon temps afin de te préparer àm’accueillir en toi, ajouta-t-il d’une voixrauque.

Commeenvoûtée,elleopinalentementdelatêtepuisfermalesyeux,s’abandonnantauxsensationsmerveilleusesqu’iléveillaitenelle.Resserrantlamainautourdesonmembre,ellelafitglisserdebasenhautpuisdehautenbastandisqu’ilcaressaitavecsesdoigtslepetitboutondesaféminité.

Quandellerouvrit lesyeux,ellecroisaleregardintensedeKhadinet ilsrestèrentuninstantàsecontempler.

— Il y a tellement de choses que je veux te faire découvrir, dit-il alors, rompant le silence quis’étaitinstalléentreeux.Nombreuxsontlesplaisirssensuelsquejeveuxpartageravectoi,etcechaquenuitqueDieufait.

Surcesmots,iltirabrusquementsurlecollieravantdel’introduiredenouveauenelle.Unpuissantspasmedejouissanceluiarrachauncri,etellesecambrainstinctivement.

Page 76: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Khadinretiraensuitelesperlesetlesfitroulersursonventre,jusqu’àsesseins,toutens’installantentresesjambesécartées.Sentantlesperlestitillerlespointesdesesseins,ellegémitetnoualesbrasautourducoudeKhadin.

Sa virilité étaitmaintenant pressée contre son intimité et elle se plaqua contre lui, en proie à undésirbrûlantquilaconsumaitdel’intérieur.L’instantd’après,Khadinjetalecollierdeperlesausolets’enfonçaenelled’unpuissantcoupdereins.

—Laila,fit-ilenlasaisissantparleshanchespourl’attirerencoreplusverslui.Tuesàmoi…Amoietàpersonned’autre.Aucunautrehommenetetouchera.

Ilcommençaunmouvementdeva-et-vient,etunenouvellevaguedeplaisirmontaenelle.—Personne…,haleta-t-elle.Jesuisàtoi,Khadin…Atoipourtoujours.Ondulantsouslui,elleenroulalesjambesautourdesataille.Ilaccéléralerythmeetelleatteignit

rapidementlesommetdesajouissance.Portéeparlesspasmesquiagitaientsesreins,ellecriasonnomencoreetencore.Soudain,Khadinseraiditau-dessusd’ellepuisrejetalatêteenarrièreenpoussantungémissementrauque.

Larespirationhaletante,ilretombasurelleetrecouvritsoncorpsdusienenenfouissantlatêtedanssescheveuxétaléssurl’oreiller.Ilétaittoujoursenelleet,émueparleurproximitéphysique,Lailafermalesyeux,savourantcettesensationdélicieusedontellenepourraitsansdouteplussepasser.

—Jamaisjen’airencontréunefemmecommetoi,Laila,murmura-t-ilcontresoncou.Elleresserrasesbrasautourdelui,commepoursefondreenluiafinqu’ilsnefassentplusqu’un.—Pensais-tucequetuasdit?demanda-t-ilenlevantlatêteversellepourriversonregardausien.

Veux-tuvraimentresteravecmoi?—Mavieestauprèsdetoi,Khadin,répondit-elleenluicaressantlevisage.Jetesuivraijusqu’au

boutdelaTerre,s’illefaut.Ill’embrassatendrement.—Jet’aime,dit-il.Epouse-moi,Laila.Laisse-moiprendresoindetoi.—Moiaussijet’aime,Khadin.Oui,jeveuxdevenirtafemmeet,commetonombre,jetesuivraioù

tuiras.Ellescellasadéclarationparunbaiserpuisselovacontrelui.Souriantàl’avenirquisedessinaitdevanteux,elleremerciaunefoisdeplusledestind’avoirmis

Khadin,l’hommequiavaitravisoncœur,sursaroute.

Page 77: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

TITREORIGINAL:INNOCENTINTHEHAREM

Traductionfrançaise:ANAURBIC

©2010,MichelleWillingham.©2015,Harlequin.

Tousdroitsréservés,ycomprisledroitdereproductiondetoutoupartiedel’ouvrage,sousquelqueformequecesoit.Celivreestpubliéavecl’autorisationdeHARLEQUINBOOKSS.A.Cetteœuvreestuneœuvredefiction.Lesnomspropres,lespersonnages,leslieux,lesintrigues,sontsoitlefruitdel’imaginationde l’auteur, soit utilisés dans le cadre d’une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, des entreprises, desévénementsoudeslieux,seraitunepurecoïncidence.HARLEQUIN,ainsiqueHetlelogoenformedelosange,appartiennentàHarlequinEnterprisesLimitedouàsesfiliales,etsontutiliséspard’autressouslicence.

83-85,boulevardVincentAuriol,75646PARISCEDEX13.

ServiceLectrices—Tél.:0145824747

Page 78: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre
Page 79: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Chapitre1

France,1067

Lanuittombait.Sonpèren’allaitplustarderàrentrerdeschamps,etsiellevoulaitquelasoupesoitprête à son retour, il n’y avait pas une minute à perdre. Accroupie dans le petit jardin attenant à lamodestedemeuredesesparents,Gisellecueillitrapidementquelquesherbesaromatiquesetretournaàlachaumière.Elle trouva samèredevant la cheminée,occupéeà tourner l’épaisse soupede légumesquimijotaitdepuislongtempsdanslechaudronnoirci.

—Vadonct’asseoir,maman!dit-elleenluiprenantlacuillerdebois.Jevaism’enoccuper.Sa mère lui donna une tape affectueuse sur la hanche avant de se diriger en boitillant vers un

tabouretdebois.Elles’yassitavecdifficulté,unemainappuyéesursondosdouloureux.—Lesoleildansleschampsm’aéreintée,aujourd’hui.Unsourireépuisésedessinasurseslèvres.—Tuessigentille,mafille.Merci.Toutenluirendantsonsourire,Giselleécrasadanssapaumelesherbescueilliesdanslejardinet

leséparpilladanslamarmitesanscesserderemuer.—Derien,maman,jenesuispasfatiguée.—Bien sûr que si ! répliqua samère en soupirant.Une petite pause assise avant le dîner, c’est

presqueleparadis!Quand elle leva le bras pour prendre son panier à couture,Giselle se retourna pour l’arrêter en

agitantsacuillerd’unairsévère.—Ahnon!Maintenant,tutereposesvraiment!Pasquestionderavauderlesvêtements!Iln’ya

plusassezdelumièrepouryvoirclair,detoutefaçon.Jedevraistoutreprendredemain.

***

LamèredeGiselleémitunpetitrireaffectueuxenlevantlatêteverssafille,laseuleenfantdesanombreuseprogénitureayant survécuà ladernièreépidémiequiavait frappé la familleaprèsunhiverparticulièrementrude.

Elleatoujoursétéunefillesiobéissante,songea-t-elleenlaregardanttravaillerdevantl’âtretoutenfredonnantd’unevoixdouce.Quandilsavaientcommencéàbâtirleursolidechaumièreàcolombages,elleavaitétélapremièredetouslesenfantsàplongersespetitesmenottesdansl’âcremélangedeboue,depailleetdecrottinpourl’appliquersurlesupportdebranchages.Puis,parunmatinglacialdemars,aprèsl’enterrementdesespetitessœursetdesonfrère,elles’étaitchargéesansmotdiredestâchesdont

Page 80: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

ils s’acquittaient jusqu’alors. Pourtant, bientôt, très bientôt, songea-t-elle encore, sa dernière fillequitteraitlamaisonpourfaireunmariagesansamour.

***

Gisellejetauncoupd’œilpar-dessussonépaule.Samèreétaitmaintenantimmobile,plongéedansses pensées, le regard dans le vague.Connaissantmieux que personne la raison de son tourment, ellereportasonattentionsurlechaudronetpoursuivitsonouvrage.Aquoibondiscuter?Sonsortétaitfixé.Sileseigneurdonnaitsonaccord,elleseraitmariéeàlafindelasemaine.

Ilsn’avaientpaslechoix.Sonpèresedébattaitcommeunbeaudiablepourcultiverlaterrequ’illouaitauseigneur.Maisavec les impôtsquiaugmentaientchaqueannée, ilétaitcontraintdenouerunealliancequipermettraitdemettreencommunlesressourcesdesdeuxfamilles.Malheureusement,leseulpartiintéressantdecepointdevueseprénommaitHenri.Uneespècedebruteviolentequiterrorisaitlevillage.Un ivrogneempestant lepurin.Unveufdont les terres jouxtaient les leurs, et dont les fils lesaideraientàcultiverleurschamps.

Giselle soupira. Elle n’éprouverait certainement jamais d’amour pour cet homme mais, enl’épousant,elleassureraitlasurviedessiens.

Acet instant, sonpère franchit le seuil de la chaumière.LamaindeGiselle s’immobilisa.En levoyantselaissertombersuruntabouret, l’airabattu,ellecompritquequelquechosedeterribles’étaitproduit.Ils’appuyadescoudessurlatableetsefrottalefront,découragé.Safemmeseprécipitaversluietposanerveusementlesmainssurseslargesépaules.

—Qu’ya-t-il?luidemanda-t-elle.Laréponseserésumaàunlongsoupir,quineréussitqu’àalimenterlapaniquegrandissantedesa

femme.—Parle-moi,s’ilteplaît!Elles’étaitpenchéepourmieuxcaptersonregard.—Parpitié,monamour,dis-moicequiestarrivé!Il finit par se redresser, leva la tête et se tourna vers Giselle. Il était livide et avait les lèvres

pincées.Ellesentitsonestomacsenouer.Jamaisellen’avaitvusonpèreaussidésespéré.—Mafille…Ilneputétoufferunnouveausoupir.—Ma fille, répéta-t-il, d’une voix rendue rauque par l’émotion.Notre requête pour tonmariage

avecHenriestaccordée.—Ehbien?fitsamère,inquiète.Oùestlemal,alors?—Lemariage est autorisé, annonça-t-il avecpeine.Mais…mais le fils du seigneur a exigé son

droit.Ledroitdejambage.Giselleportalesmainsàsoncœur.Toutàcoup,danslamaison,l’airs’étaitfaitpluslourdetelle

peinaàrespirer.—Mais ce n’est pas possible ! s’exclama samère.Henri ne voudra plus de cemariage.Aucun

hommen’accepteraitunefilledéflorée…—Nousn’ypouvonsrien,lacoupa-t-ilbrusquement.Leseigneuraétéclair.Puisqu’iladonnéson

avalpour lemariage,sonfilsdoitpouvoir jouirdesesdroits. Ilprendranotrefille,mêmesiHenrineveutplusrespectersesengagements.

—C’estignoble!Atterrée,samèreregardaGiselle.—Mapauvrepetitechérie…

Page 81: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Incrédule, Giselle fixait ses parents consternés, en triturant les pans de son châle de ses doigtstremblants.

—Papa…Lesondesavoixluiarrivaitcommeassourdi.—Lequeldesfilsduseigneurademandéàexercersondroitsurmoncorps?Lesilenceprolongédesonpèrenelaissaitaucundoute;sesyeuxpleinsdetristesseconfirmaient

sonpressentiment.Ellesentitsesjambesvacillerets’effondra,choquée,surlesolenterrebattue.—C’estleseigneurEustache,murmura-t-elleensecachantlevisagedanssesmains.Eustache de Fiennes, le fils aîné du seigneur. Un guerrier tout juste rentré au pays après avoir

combattudesannéescontrelesAnglais,del’autrecôtédelaManche.Unhommesombre,inquiétant,avecunregardd’acier.Uneapparencerudeetaustère.

Lespaysanscolportaientàsonsujettoutessortesd’histoires,aussieffrayantesqu’admirables.Seloneux, il avait vaincu des hordes d’ennemis sans lemoindre effort. Les filles échangeaient des regardsmalicieuxetpoussaientdessoupirsémoustillésenévoquantsoncharmeviriletsoncorpsendurci.Maisc’étaitdavantagelatoute-puissanceetlanatureimpitoyabledecemystérieuxseigneurquiapparaissaientclairementàGiselle.Carn’était-cepassurellequ’ilavaitjetésondévolu?

Un frisson inattendu parcourut son dos. Eh bien, oui ! Un seigneur la désirait, elle, une petitepaysanne.Lanouvelleétaitterrifiantemais,toutcomptefait,incroyablementexcitanteaussi…

Assurément, un homme aussi beau et aussi fort devait être entouré de douzaines de damoisellesissues de nobles familles, qui n’attendaient qu’une demande en mariage et une place dans son lit.Pourquoialorsexigeait-ildefaçonsipressantedes’amuseravecelle?Sondésirétait-ildoncpuissantaupointqu’ilserisqueàrevendiquerunprivilègeaussicontesté?Sileprincipedu«droitduseigneur»était accepté, rares étaient ceux qui osaient l’appliquer, tant il pouvait engendrer de troubles et descandalesauseinmêmedelanoblesselaplusrétrograde.Untelcomportementapparaissaitirréfléchietimprudent.

Giselle se surprit à penser que des jeunes gens impulsifs et téméraires, quelle que soit leurbravoure,pouvaientaisémentselaissermanœuvrer.Ellecessadetrembler.Elleignoraitencorecommentelleagirait,maiselleétaitcertainedepouvoirretournercemalheuràsonavantage.

Lechagrinqu’exprimaitsamèrevintinterrompresesréflexions.—Pourquoi?selamentait-elle.Pourquoifaut-ilquenousayonsaffaireàcemonstre?Notrefilleen

mourra,Bernard.SonpèreselevapéniblementpourrejoindreGiselle,toujoursassiseparterre.Illuitenditlamain

pourl’aideràsemettredeboutpuisluientouralesépaulesdesonbras.—Monenfant,dit-ilavecuneexpressiondouloureuse.Tudoisnouspardonner.Nousn’ypouvons

rien.Lesordresduseigneursontsansappel.—Jecomprends,répondit-elleavecsagesse.— Il est temps demanger, poursuivit le chef de famille. Tu seras présentée au seigneur ce soir

même,aprèsledîner.Giselleversadans lesécuellesdegénéreuses louchesdesoupe,et ilsprirentplace tous les trois

autourdelatable.Ilsmangèrentensilence,lecœurlourdàlaperspectivedel’épreuvequilesattendait.Alorsqu’ilsraclaientsoigneusementlefonddeleursécuelles,unevoixtonitruanteretentitàl’extérieur,appelantlepère.Ilselevapouralleràlarencontredesonvisiteurinattendu.

Une discussion animée s’engagea devant la chaumière. La mère s’approcha de la porte restéeentrouverteettenditl’oreillepourtenterdesaisirl’objetdelaquerelle.Giselleselevaaumomentoùladisputeatteignaitsonparoxysme.Soudain, ladiscussioncessaetsonpèrereparutsur leseuil.Dans lerectanglelaisséparlebattantouvert,elleaperçutlasilhouette,vaguementéclairéeparlesderniersfeuxducrépuscule,d’unhommequis’éloignaitd’unpaslourdenlançantdesjuronsfurieuxauxquatrevents.

Page 82: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

—Henri,fitsonpère,impassible.Ilsemblaitneteniraucuncomptedel’effroiévidentdesdeuxfemmes.—Qu’a-t-ildit?s’inquiétalamère.—Aucuneimportance.Espéronsjustequ’ilchangerad’avisquandsacolèreseraretombée!Giselleétaitsoucieuse.SiHenridécidaitderenonceràelle,celaconduiraitsesparentsaubordde

lamisère.Elledevaitprendreenmainladestinéedesafamille,etcesansattendre.—Partons!repritsonpère.Lesmaîtresnousattendentauchâteau.Giselles’exécutasansmotdire.Ilss’engageaientdanslesentiermenantàlarésidencedesseigneurs

quandlesappelsdelamèrelesfirents’immobiliser.Ilsseretournèrentetlavirentaccourir.Essoufflée,ellepritlebrasdesafilleetdéposaavecautoritéunbaisersursajoue.

—Jeviensavecvous.Jeveuxquetusachesquetun’espasseuledanscetteépreuve.Giselleadressaunsourirereconnaissantàsesparentsetilsreprirentrésolumentleurmarchevers

l’ombremenaçanteduchâteau.Lechemin leurparutbien tropcourt.Trèsvite, ilsse trouvèrentdevantl’entrée.QuandlesgardesdenuitdéshabillèrentGiselledeleursregardslubriques,elleseblottitcontrelessiens.Onlesconduisitàtraverslacourjusqu’àlaportedudonjonoùsetrouvaitlagrandesalle.Unevieillefemmeàlamineaustèrelesattendait.

— C’est toi la paysanne que notre seigneur Eustache a demandée ? s’enquit-elle d’une voixnasillarde.

Lepèreréponditparl’affirmative.—Trèsbien.JesuisdameLessard.Levisageimpassible,elleexaminaGiselledelatêteauxpiedsavantdelaisseréchapperunsoupir.—Suis-moi!Elleluisaisitl’avant-brasenintimantd’ungesteàsesparentsl’ordredenepasbouger.—Lesmaîtresserontbientôtprêtsàterecevoir.Tandisqu’ellegravissaitderrièrelaservanteunescalierencolimaçon,Giselle,intimidée,regarda

autourd’elle.Ellen’avaitjamaismislespiedsauchâteauetétaitimpressionnéeparl’épaisseurdesmursdanslesquelssedécoupaientdehautesmeurtrières.Ellefaillitheurterledosdesonguidelorsquecelle-cis’arrêtabrusquementdevantuneporte.

—Attends-moiici!luienjoignit-elled’untonsecavantdedisparaîtredanslagrandesalle.DebruyantséclatsderirerenvoyésparlesmursdepierreparvinrentauxoreillesdeGiselle.Son

cœursemitàbattreunpeuplusvite.Bientôtellese trouverait faceàceluiqui jouiraitdesoncorps ;l’hommequiinfluenceraitdemanièredéfinitivelecoursdesavie.

Enfin,aprèsuneinterminableattente,ellevitreparaîtrelevisageaumasqueimpénétrablededameLessard.

—Suis-moi!lança-t-elleencoreunefois.Docilement,Giselle luiemboîta lepas.Asonentréedans lagrandesalle, le silences’abattit sur

l’assemblée. Ses joues s’empourprèrent face aux regards curieux qui se posèrent sur elle, et elle dutconcentrer toutes ses pensées pour parvenir à mettre un pied devant l’autre. Quand dame Lessards’immobilisadevantelle,ellel’imita,lesyeuxrivésausol.

—Messires,voicilafillequenotreseigneurEustacheafaitquérir.Gisellesefigeasansoserunsoupirtandisqu’onl’observaitsoustouteslescoutures.—Ehbien,Eustache,est-cebienlapaysannequetuexigesdemettredanstonlit?tonnalevieux

maître.—Oui,père,réponditl’intéresséd’unevoixdebasse.Oneûtditungrondementsurgidesapoitrine.—Etenquelhonneurcettefilledemanantmériterait-elledenouscausertantd’ennuis?

Page 83: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Un craquement se fit entendre quand un homme se leva de son banc, puis le bruit de pas lourdsrésonnasurlesdallesdepierre.DegrandesbottesremplirentlechampdevisiondeGisellequiseretintdereculer.Ilétaitsiprèsd’ellequ’ellesentaitlachaleurquiémanaitdesoncorps.

—Redresse-toi,mafille!L’ordreétaitimpérieux.Ellerelevalentementlatête,toutengardantlesyeuxbaissés.Unmurmure

desurpriseserépanditparvaguesdansl’assemblée.— Je te l’avais bien dit,mon frère. Cette petite n’est-elle pas extraordinaire ? ditAlphonse, le

cadet,avecunsouriresatisfait.

***

Eustache se contentad’ungrognementd’assentiment. Il tournaposément autourde la jouvencelle,détaillant ses traits délicats de son regard bleu acier. Ce que l’on disait de sa beauté n’était en rienexagéré.Avraidire,ils’agissaitbiendelacréaturelaplusremarquablequ’ilaitjamaiscontemplée.Leslonguesbouclesbrunesquis’échappaientdesoncapuchontombaientencascadesursesépaulesgraciles,etencadraientunvisageàl’ovaleparfait.L’éclatdesapeausaineetlégèrementhâléeravivaitencoresabeauté;delongscilsbrunspalpitaientsurdespommettesdélicates.

—Beau brin de fille,ma foi ! dut admettre le vieuxmaître.Mais rien de plus que la fille d’unmanantbienau-dessousdetaposition.

Eustacheseretournapourfairefaceàsonpère.—Etalors?demanda-t-ild’untonsec.Unsourireencoin,Alphonsetapotaitlatabledelapaumedelamain.—Laissez-lefaire,père!Eustachen’est-ilpasendroitde jouirdesprivilègesdesonrang?De

toutemanière,ilestsitaciturnequelesautresseigneursenonttousunepeurbleue.Eustache s’abstint de répondre.Lesmembresde sa caste pouvaient bien aller audiable, pour ce

qu’ilenavaitàfaire!Etilsavaientbienraisondelecraindre.Detoutesavie,iln’avaitconnuquelaboueetlesangdeschampsdebataille,lesclameursetlescris,lasensationdesonépéequis’enfonçaitdanslachairdesesennemis.C’étaitàpeuprèstoutcequ’ilsavaitfaire.Laviefrivoledesespairsetdeleurs épouses l’exaspérait, et leurs jacasseries l’ennuyaient bien plus que les pluies glaciales d’uninterminablemoisdefévrier.

—Jenevoislàpasl’ombred’unproblème.Unrictusagacécrispaseslèvres.—Quem’importelejugementdesautresnobles?Etmêmelevôtre,monpère!

***

Surprise,Gisellelevalesyeuxsurlelargedosquiluidissimulaitunebonnepartiedelasalle.Ellenotalataillesvelteetlapuissantecagethoracique.Sidéréeparcettestatureimpressionnante,ellesentitsa gorge se serrer. Les fils du maître avaient tous deux hérité d’un grand gabarit, mais ils ne seressemblaientenrien.Alphonsesemblaitportertoutsonpoidsaumilieudesoncorps,cequiluidonnaitl’aird’unepoiretropmûre.Eustache,lui,répartissaitsamassemusculaireentresontorseetsesjambes.C’était manifestement, un homme endurci au grand air, dont la force brute s’exprimait au moindremouvement.

Il fit volte-face et ses yeux clairs et durs la fixèrent de nouveau. Se sachant l’objet de toute sonattention,ellerestaparfaitementimmobile,fascinéeparsonregardperçant.Sonpoulss’accéléraencore.Ilétaitbigrementbeau,avecsonabondantecheveluredoréedontlesmèchesscintillaientdanslalumière,

Page 84: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

sesmâchoiresfortesrecouvertesd’unsoupçondebarbenaissante.Commeilladominaitsanslaquitterdesyeux,ellesentituneétrangechaleurnaîtredanssonventre.Undésirjusqu’alorsinconnularéchauffa,faisantremonterdesfrissonstoutlelongdesondos.

—Quelesttonnom,petite?—Giselle,messire,murmura-t-elledesavoixdouce.Ilplaçaundoigtsoussonmentonpourl’obligeràleverdavantagelatêteetrivasonregardàses

pupillesbleupâlenuancéesdegris.Sousl’effetdelasurprise,elleentrouvritlabouche.Leslèvresdesonseigneurseretroussèrentenunpetitsourirecarnassier.—Ehbien,soit,Giselle…Ilétaitsiprochequelachaleurdesonsouffleeffleuraitdoucementsajoue.—Nousnousreverronslaveilledetonmariage.Incapabledebouger,elledemeuramuettedestupeuretd’admiration,maiselle refusaitdeperdre

sonsang-froid.Commeillaissaitcourirsesdoigtsdesoncoujusqu’àsonépaule,ellefrissonnamalgréellepuis,courageusement,reculad’unpasencommençantàébaucherunplan.

Sa condition de paysanne lui imposait un sacrifice effroyable, mais la femme qu’elle étaitconnaissaitsonpouvoir:celuidefaireplierparlaruseleplusimplacabledeshommes.Libreàluidepenser qu’elle était à samerci. Elle le prendrait au piège de ses propres désirs et retournerait en safaveurcequeledestinluiimposait.

—Etcettefois,c’estdansmonlitquenousnousretrouverons!ajouta-t-ilencore.UneveinebattaitimperceptiblementàlatempedeGiselle.Etc’estdansmamainquetuviendrasmanger!répondit-elleensonforintérieur.

Page 85: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Chapitre2

Lelendemainmatin,Gisellerepritsestâchesquotidiennescommesiaucunbouleversementn’étaitintervenudanssavie.

Ses parents déploraient encore la perte de leur alliance avec Henri, et son calme apparent lespréoccupait.Elleignoraitsciemmentleursregardstourmentésetaffichaitunsouriremystérieuxetrésolu,donnant l’impression qu’elle acceptait le dictat du seigneur avec désinvolture.De toute évidence, sonattitudelesdéconcertait,etilssedemandaients’ilsdevaientseréjouirdesabonnehumeurous’inquiéterdesasantémentale.

Quandelleserenditdanslacourduchâteaupourcuire lepaindelasemainedanslefourdesesmaîtres,uncertainscepticismeavaitcependantcommencéàminersabelleassurance.Elleétaittoutàfaitnoviceenmatièredeséductionetn’avaitaucuneexpériencedansl’artdesatisfairelesbesoinsphysiquesd’unhomme.Pouvait-ellecomptersursaseulebeautépourgagnerlesfaveursd’unguerriersanspitié?Nerisquait-ilpasdelarejeterpurementetsimplement,unefoissondésirassouvi?Tandisquesespainslevaient dans la chaleur de l’âtre, elle errait en réfléchissant à son sort funeste, sans savoir que l’onsuivaitchacundesesmouvementsdepuislecheminderonde.

***

Campéausommetdesépaismursdepierre,Eustacheregardaitcellequ’ilferaitbientôtsienne.Iladmiraitsadémarchelégèreetlebalancementdeseshanches.Quandelles’arrêtapouraiderunevieillefemmeàdéchargersacharrettedelégumes,ilobservaattentivementlesgestesgracieuxquiétiraientsesbraspour soulever lespaniers. Ilne se lassaitpasduspectaclede sesmuscles longset fermes,de safaçondesemouvoirsidifférentedecelledesfemmesdelanoblesse,auxmembrespâlesetdénuésdevigueur.Ilsevoyaitposantlesmainssurcettechairsouple,puis laissantglissersesdoigtssur lapeausatinée.Ilimaginaitlecontactdesbrasetjambesdociles,àlafoistendresetaffermispardesannéesdelabeur.L’espaced’uninstant,ils’autorisaàrêverdelafinesilhouetteallongée,offerte,etdeluiquisepenchaitpourlarecouvrirdesoncorps.

Oui, se dit-il en quittant nonchalamment son poste d’observation pour redescendre dans la cour.Giselleestexactementcequejedésireetcequ’ilmefaut.

Ildévalal’escalierencolimaçon,etsedirigeaverssaproie,toutenprêtantuneoreilledistraiteaubavardage des filles qui s’affairaient autour d’elle. Comme il arrivait derrière elle, les conversationscessèrent.Illavitseraidir,redresserlesépaules.Avait-elledevinésaprésence?Quoiqu’ilensoit,elleneseretournapas.

—Giselle,fit-ild’unevoixsourde.

Page 86: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

AlasecondeoùEustacheprononçasonnom,Gisellecompritquesoncourages’étaitévanoui.Lagorgenouée,elleserésolutàluifairefaceavantdes’inclinerdansunerévérencemaladroite.

—Oui,messire?répondit-elleenessayantderéprimerlestremblementsdesavoix.—Suis-moi!Elle s’exécuta, trottinant à près d’unmètre derrière lui pendant qu’il traversait la cour à pas de

géant.Sesenjambées,àn’enpasdouter,mesuraientplusdudoubledessiennes.Elledutsehâterpournepasselaisserdistancer.

***

Chaque fois qu’il l’entendait reprendre son souffle, Eustache jetait un coup d’œil en arrière. Lalégèretédesacourseavaitplusd’élégancequelesmouvementsdedanseappliquésdesnoblesdamesdeson rang. Il songeait sans beaucoup d’enthousiasme à la vie nouvelle qui l’attendait au château ; uneexistencehorriblementmonotone.Uncycleininterrompuderepaslourdsetdechevauchéessansbutpouroccuperlesaprès-midi.L’ennuilepluseffroyable.Desrituelssanssurprise,dontsonpèreetsonfrèresemblaientpourtantsesatisfaire.Ilspassaientleursjournéesàseprélasserdansuneparesseusetorpeur.

SonattentionseportadenouveausurGisellequisepressaitderrièrelui.—Qu’es-tuvenuefaireiciaujourd’hui?demanda-t-il,curieux.—Cuirelepaindanslefour,messire.Ellelevaitsurluiunregarddebicheapeurée.—Tulefaistouslesjours?—Non,messire,seulementunefoisparsemaine.—Etqu’enest-ildesautresjours?demanda-t-ilencore.—Jetravailleauxchamps,jem’occupedesbêtes.Jefabriquelefromage.J’aideaussiàsoignerles

chevaux…—Leschevaux?Ilparaissaitsurpris.—Tuasdoncl’autorisationd’approcherleschevaux?Avant qu’elle ait eu le temps de répondre, un vacarme épouvantable éclata de l’autre côté de la

cour.Sansattendre,elledétalaàtoutevitesseendirectiondesécuries.Illarattrapaaussitôtetluisaisitle bras d’une poigne vigoureuse pour la ramener près de lui,mais un tour de reins lui suffit pour sedégageretreprendresacourse.

***

Gisellen’avaitqu’uneidéeentête,seporterausecoursdujeunepalefrenieravantqu’ilnesoittroptard.

Devantlaporte,enproieàlapanique,lepauvres’accrochaitdésespérémentàlabrided’unétalonfurieuxquibottaitetruaitenroulantlesyeux.Lemajestueuxchevaldominaitlegarçonetlesoulevaitdeterreavecdeméchantscoupsdetête.Endésespoirdecause,illevaunecravacheetencinglad’ungrandcouplajouedel’animal.

Craignantlepire,Gisellecouraitàperdrehaleinepourarriveràtempsetmettrefinàcetête-à-têteinfernal.Quandlabêteparvintàarracherlabridedesmainsdugarçon,celui-citombaàlarenverseavecuncrideterreur.Aucombledelafureur,lechevalrecula.Gisellelevitsecabrer,prêtàécraserlegaminsous ses sabots ferrés. Elle avança sans hésiter et s’interposa entre eux. Profitant habilement del’hésitationdel’animal,elleréussitàaccrochersonregard.

Page 87: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

—Tranquille,ordonna-t-elleavecdouceur.Calme-toi,tunerisquesrien!Lechevalreposaseslourdssabotssurlesoletreculaenhennissant.Effrayéetsurpris,ilsoufflait

furieusement. Sans le quitter des yeux, Giselle ralentit le rythme de sa respiration pour l’amener àl’imiter.

—Toutdoux,monami…Toutdoux.Puisellesemitàchantonner,entendantsafinemainverssesnaseauxfrémissants.—Allons,n’aiepaspeur!L’animalacceptaenfindesedétendre.Hésitantencore,ils’avançaenbaissantlatête.Sansprêter

attentionaucercledecurieuxquis’étaitforméautourd’eux,Giselleluifitsignedes’approcher,commeelle l’aurait fait avecunenfant, enmurmurantàvoixbassedesparolesde réconfort.L’étalonobéitens’ébrouantetvintposerleboutdesonmuseauaucreuxdesamain.

—C’estbien,c’estbien.N’aiepaspeur!C’estfini,maintenant.Elleflattadoucementsonencolureet,avecleplusgrandnaturel,glissalesdoigtsdesamainlibre

autourdesabride.Serrantfermementlalanièredecuir,ellecontinuaàcaresserl’encolurepuissante.Derrièreelle,lepalefrenierdéconfitserelevatandisqu’Eustachelesrejoignait.—Messire,s’excusalegarçon,lavoixencoretremblante.Pardon,messire…—Ecarte-toidemoncheval,malheureux!Legamins’éloignaaussivitequ’illeput,trébuchantdanssafuiteéperdue.—Malheureuse!Tutiensdoncsipeuàlavie?hurlaEustache.Ilétaitfouderage.—Jenerisquerien,messire,répondit-elleentapotantgentimentlatêtedel’animal.D’ungesteprompt,ilattrapalemorsdesonétalonetletiraverslui.Labêtesecollaàsonmaîtreen

poussantundouxhennissementdereconnaissance,— Bayard est mon cheval de guerre. Ce n’est pas un vulgaire bourrin de ferme que l’on vient

caresseràloisir.Giselleneputréprimerunpetitairnarquois.—Messire,répliqua-t-elle, lesourcilrelevé, jenesuisqu’unepauvrefilledelacampagne,mais

j’ai appris que les chevaux étaient tous les mêmes. Tout comme les hommes, quelle que soit leurcondition…

—Oh!Eustache lui lançaun regardnoir,puis sedétournad’elleet fit entrer son fidèlecompagnondans

l’écurie.Ellelesuivitaveclespalefreniersqui,aprèsavoirassistéàlascènesanspipermot,seremirentprestementautravail.

Lemaîtretenditlamaind’ungesteautoritaire.—Labrosseetlechiffon!ordonna-t-il.Ilssehâtèrentdelesluiapporter.Aussitôt,ilseretournapourlestendreàGiselle.—Prends!dit-ilsèchement.Jesuiscurieuxdetevoirmettreenapplicationtessottesconvictions.

Occupe-toidoncdeBayard!Panse-le!Ellepritbrosseetchiffon,esquissaunerapiderévérenceets’approchaducheval.

***

Eustache se raidit, prêt à réagir pour protéger l’inconsciente. Son destrier était notoirementombrageux.Plusd’unefois,ilavaitdûportersecoursàdespalefreniersexpérimentéspourleurépargnersesméchantscoupsdesabot.Mais,sansattendrenitrembler,lafrêlecréaturesemitàl’ouvrage,brossantlepoildruavecuneapplicationetuneaisancedéconcertantes. Il l’observait, ébahi et subjuguépar la

Page 88: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

grâcedesesmouvements,captivéparlerythmerégulierdesesgestes,etparlesonapaisantdesavoixquifredonnaittandisqu’elles’affairaitposémentautourdel’animal.

Fasciné,ils’avançasiprèsquesontorsefrôlaledosdeGiselle.Ilappuyaunemainsurlecoldel’animaletl’autresursonflanc,emprisonnantlajeunefilleentresesbras.Ellepoursuivitsatâchesanss’émouvoiretcontinuadelustrerencadencelarobeluisantedel’étalon.Eustaches’approchaencore,siprèsquesesnarineseffleurèrentsonoreille.Ilinspiraitetexpiraitprofondément.

***

SonsoufflefaisaitnaîtredepetitsfrissonssurlanuquedeGiselle.—Tun’aspaspeur?chuchota-t-il.Dequi?sedemanda-t-elle.Delabêteoudel’hommequilacôtoyaitdesiprès?Elles’efforçade

conserversoncalme.Sonintuitionluiconseillaitdenerienmontrerdesescraintesetd’afficherunebellesérénité,celle-làmêmequ’elleaffectaitdevantleschevaux.Pourcapteretretenirl’attentiondumaître,elledevaitafficheruneattitudefermeetrésoluefaceaudanger.

—Devrais-jeavoirpeur?demanda-t-elletimidementsanscesserdeprodiguersessoinsattentifsàBayard.

Sans paraître se soucier des regards des palefreniers présents non loin d’eux,Eustache posa sesmainspuissantessursataille,épousantavecfermetélacourbedesesreins.Avecautorité, il la tiraenarrière et elle se retrouva tout contre lui, ressentant les battements de son cœur dans son dos et lapressionardentedesesdoigtssurseshanches.Elleretintunsourire;ellesavaitmaintenantqueledésird’Eustacheétaitàsoncomble.

—Peut-être,murmura-t-ilcontresoncou.Commeseslèvreseffleuraientlapeaudélicatedesoncou,Gisellesefigea,soudainoffusquéepar

lafamiliaritédesesgestes.

***

Eustachesentaitsousses lèvres lesbattementsdésordonnésdesonpouls.Cepetitbrindefemmel’intriguait.Provocanteet innocentedanssonattitude,volontaireet fragile,espiègleetdureà la tâche.Toutàlafoiscapabledetenirtêteàunebêteredoutable,etdetremblerauseulcontactdeseslèvres…Ilmouraitd’envied’explorerchaquecentimètredesoncorpspourdécouvrirsesdésirslesplussecrets.

—Jenepeuxplusattendre,murmura-t-il.Ellefrissonna.—Jeveuxtevoirdansmesappartementscesoirmême!

Page 89: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Chapitre3

Ilétait tardcesoir-làquandEustacheseretiraenfin.Sachambreétaitplongéedanslapénombre,mais il la vit immédiatement. Vêtue d’une chemise d’un blanc immaculé, elle se tenait près de lacheminée.Révélésparleviféclatdesflammes,lescontoursharmonieuxdesasilhouettesedessinaientàtraverssonfinvêtement.Sesmainsrestaientsolidementnouéesdevantelle,etellegrelottaitlégèrement.Defroid?Depeur?Ill’ignorait,maiscelalecontraria.Jamaisiln’avaiteul’intentiondel’effrayer.

Il traversalentement lapièce,feignantdenepasvoirqu’elle tressaillaitàsonapproche,etpassadevantellesanss’arrêter.Quandilarrivaaulitàbaldaquin,ilseretournaetdétachasonceinturonqu’iljetasurlesol.Puisils’assitsurleborddulit.

—Petite,viensm’aideràenlevermatunique!

***

Giselle inspira profondément pour tenter de chasser l’appréhension qui la paralysait. Elle devaitobéirpourmaintenirintactelacuriositéqu’illuitémoignait.Maîtrisantsafébrilité,elles’éloignadelachaleurréconfortantedufeudebois.Achacundesespas, la tête lui tournaitunpeuplus,maisellenepouvait détacher les yeux du visage de l’homme qui la commandait en maître. La pénombre donnaitencoreplusdereliefàsafortemâchoire,lesrefletsorangeetrougesdesflammessereflétaientdanssesprunelles.Menaçantetpourtant…

Cette lumièredansante le rendait encoreplusbeau. Il affichaitunemine imperturbable,maisellecrutydécelerdessignesd’émoiréprimés.Détermination?Impatience?Désir?

Elle ne doutait pas de l’intérêt qu’il portait à son corps ; pour quelle autre raison l’aurait-ilconvoquéedanssachambre?Maisnepouvait-elleespérerderrièrece regard froidunpeuplusqu’undésir animal?Oser souhaiter autrechosequ’uncaprice sans lendemain relevait-ilde la folie?Avantd’arriverprèsdelui,elles’autorisaaumoinsàattendredelagentillesse.

***

Paupièresàdemibaissées,Eustachel’observait.Sadémarcheétaitfluide,toutcommeletissudesalonguechemisequisoulignaitenlefrôlantl’arrondideseshanches.L’ourletvintbalayersesbottesquandelles’arrêtadevantlui.

—Matunique,luirappela-t-ilavecdouceur.Elle sepencha, saisit à deuxmains le basde l’épais vêtement et le tira vers le haut tandis qu’il

levaitlesbraspourl’aideràleluipasserpar-dessussatête.Lalainegrossièreemmêlasescheveuxet

Page 90: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

l’ébouriffa.Sesmècheshirsutes amenèrent un sourire sur les lèvresdeGiselle. Il grogna, fâchéde semontrerridicule,etenlevalui-mêmesachainsedelin,découvrantsapoitrine.

—Va tout poser là-bas ! ordonna-t-il en indiquant d’un geste un siège placé près de la grandecheminéedepierre.

Détachant les yeux de son torse plat etmusclé, elle ramassa ses vêtements et s’éloigna pour lesrangerpendantqu’il sebaissaitpourdélacersesbottes.Lesayant repousséesd’uncoupdepied, il seredressajusteàtempspourlavoirseretournerverslui.Cettefois, la lumièrecruedel’âtretraversaitcomplètement l’étoffe de sa chemise. Il sursauta en comprenant qu’elle était nue dessous.Et plus elles’approchait,mieux il distinguait les ombres et les creux de ses courbes les plus intimes, les pointessombresdesesseinsdresséescontreletissudiaphane.Unechaleuragréableenvahitlebasdesonventre,etilserralespoingsensentantsonsexeseraidir.

—Viens,dit-il,enluitendantsalargemain.Elle posa sa main dans la sienne et, quand il l’attira près de lui, il perçut à son poignet les

battementsaccélérésdesonpouls.Giselleétaitunepetitechosefragileetmenue,letypedefemmequ’iln’avait jamais eu l’occasion de toucher. Il ne connaissait guère que les servantes des tavernes, leurspoitrinesdébordantes,leursvisagesécarlates,oulesribaudeshargneusesdeschampsdebatailleetleurlangage vulgaire. Aucune d’elles n’était aussi agréable au regard et au toucher que la jouvencellecharmantequisetenaitdevantlui,aussichaudeetéthéréequelesderniersrayonsdusoleilparunbeausoird’été.

Ilsavaitdéjàqu’unenuitnesuffiraitpasàlecombler.Illavoulaitpourluietpourlongtemps.—Tuaspeur?demanda-t-il,unpeubrusque.Ellesecouasatêtebaissée.—Non,messire.Illuiattrapalementondesesdoigtsrugueux,etluirelevalatête.Bienqu’ilsoitassisdevantelle,

leurs yeux se trouvaient au même niveau. Il la contempla, songeur, tandis qu’elle s’efforçaitmanifestement de rester immobile sous son examen minutieux, jusqu’au moment où la vérité quil’oppressaitfinitparluiéchapper.

—Envérité,cen’estpasdevousque j’aipeur,messire,confessa-t-elleenrougissant.Maisoui,j’aipeur.

Ilacquiesçaensilenceetserrasamainunpeuplusfort.—Viens!Iltapotasesgenouxpourl’inviteràs’yasseoir.

***

Lecœurbattant,Giselles’installasurleslonguesjambesdontellesentitlesmusclessecontracteràsoncontact.Sonmaîtreétaitsigrandquesesorteilsnetouchaientpluslesol,etellen’eutd’autrechoixquedeselaisserallerdetoutsonpoidssurlui.Quandillibérasamainpourlaposersursescuisses,elleconsidéraavecstupeursesdoigtsrobustes.Sielleavaitignorésesorigines,elleauraitpulesconfondreavec ceux d’un paysan. Striés d’innombrables coupures, couverts de callosités, ils évoquaient un durlabeur,mais sansdoute fallait-ilyvoirplus sûrementdes tracesdecombatsetd’atroces souvenirsdeguerre.

Ellerelevalesyeux,soudaininquiète,etsurpritunefoisdeplussonregardsursoncorps.— Il ne faut pas avoir peur, dit-il en lui caressant les joues. Si tu as mal, cela ne durera pas

longtempsetleplaisirl’emporterabienvite.Jen’aipasl’intentiondetefairesouffrir.Commeellehochait la tête, il lui reprit lamainpour laposersurson torse.Légèrement troublée,

elleessayadelaretirer,maisillamaintintfermementenplace.Aprèsunmomentderésistanceinutile,

Page 91: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

ellecédaàsavolontéets’immobilisa.C’estalorsqu’ellecommençaànoterd’autresdétailschezsonredoutablemaître. L’entreprise de séduction qu’elle avait échafaudée lui parut tout à coup chimériquefaceauphysiqueàlafoissauvageetracédecethomme.Descicatricesbarraientsesépaulesetsontorse,longues balafres en relief, témoins de ses innombrables batailles. A chaque respiration, ses musclespectorauxsegonflaientetsedétendaient,etelleétaitfascinéeparlesveinessaillantesquicouraientsursesbras.

Sansbienmesurerlesconséquencesdesongeste,ellecommençapensivementàsuivredudoigtlesmarquesdesesanciennesblessures.Eustacheétaitunguerrieretunseigneur.Lanaturel’avaitdotéd’unphysique imposant et d’une force redoutable, et il la désirait. La chaleur qui émanait de lui secommuniquaàelleetirradiatoutsoncorps,jusqu’àformerunebouledanslecreuxdesonventre.

Abandonne-toi ! lui chuchotait une petite voix intérieure. Abandonne-toi au plus grand desplaisirs!

—Giselle…Sonnom,surleslèvresd’Eustache,évoquaituneprièremurmuréed’unevoixrauque.Quandellearrachaleregarddesontorse,elledécouvritsursestraitsl’expressiondudésiràl’état

pur. Un besoin animal tourmentait son visage. Instinctivement, elle le prit entre ses petites mains ets’approchapourembrassersesjoues.Ellesentitsesdoigtssecrispersurlesplislégersdesachemise,etvitsesyeuxchavirersoussespaupièresmi-closes.

S’enhardissant, elle mordilla timidement les commissures de ses lèvres ; sa barbe naissante luipicota la peau. Etonnée, elle frotta sa joue contre celle de son maître et laissa glisser sa boucheentrouverte,puissalangue,surlaligneanguleusedesamâchoire.

***

Eustache se détendit soudain et un gémissement profond échappa du plus profond de son être.Giselle embrasait tous ses sens et emballait son cœur comme au plus fort de ses combats. Il avaitl’impressiond’êtreenfeu.Soncorpssecambraitsousl’effetdespulsionsqu’ils’efforçaitdecontenir,etseuleslesannéesdestrictedisciplinequ’ils’étaitimposéesluiinterdirentdeluiarrachersonvêtement,delajetersurlelitetdelachevauchersansmercijusqu’auxpetitesheuresdel’aube.

Quandilsentitlachaleurhumidedesalanguecourirsursapeau,ilneputs’empêcherdeplongerlesdoigtsdans ses cheveux. Il attira sa têtevers lui pour enfouir lenez à labasede soncou, inspiraprofondément, et semit à trembler de tout son corps. Elle portait sur sa peau la fraîcheur des vastespâturages,uneodeurdeterreriche,sidifférentedesparfumsécœurantsetartificielsdonts’aspergeaientlesnoblesdames.Toutenlacaressant,illuiinclinalatêteenarrièrepourlaregarderdanslesyeux.Puisilsaisitlebasdesachemiseetlafitremonterlelongdesesgenoux.

—Giselle,répéta-t-il,lavoixenrouée.Giselle,ouvre-toiàmoi…Elleobéitspontanémentet,desserrantunpeulescuisses,permitàsesdoigtsrugueuxdelesexplorer

doucement.Toutefois,quandsonpouceatteignitdespartiesplussecrètes,ellesecrispaetemprisonnasamainentresesjambesserrées.Eustachepressaseslèvresdanssoncouetladévoradebaisersjusqu’àl’épaule.

—Necrainsrien,souffla-t-ilenécartantdoucementl’étauqu’elleavaitrefermé.Aveclalégèretéd’uneplume,sesdoigtseffleurèrentsespartiesintimes.Quandilslesentrouvrirent

d’unepressionunpeuplusforte,elle renversa la têtesursonépaule tandisquedesfrissonsdeplaisircouraientsursoncorpsfrêle.Desonbraslibre,ilentourasatailleetglissadoucementsamainverslehautdeson torse. Ilcaressasespetits seins fermesà traverssachemise, luiarrachantungémissementrauque.Quandellecommençaàfrottersonsexecontresapaume,ilneputsecontenirdavantage.

Page 92: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Sanslalâcher,ilselevapuisladéposasurlelit.Aprèsluiavoirôtésachemisedenuitqu’iljetaàterre,ilreculad’unpaspourl’admirer.Agenouillée,unemainagrippantledrap,elleledévisageaitdesesgrandsyeuxbleus lumineux.Sanscesserde ladévorerdu regard, il défit à tâtons sesbraies, s’endébarrassa,et grimpa sur le lit en face d’elle. Les yeux écarquillés, elle découvrit le spectacle de sanudité.

Illuiagrippalachevillepourl’attirerverslui,lafaisantbasculeràlarenverse.—Messire!s’exclama-t-elleenluimartelantletorsedesespoings.Maisillaréduisitausilenceensepenchantpourl’embrasseravidement.Ilcommençaàrépandre

des baisers brûlants le long de son cou, tandis que sesmains erraient follement sur ses courbes.Ellesentaitlapressiondesonmembreraidisursonventretandisqu’ilremuaittoutcontreelle.Unéclairdeplaisir fulgurant la traversaquand il saisitdélicatement l’undeses seinspourglisser sapointedurciedanssaboucheetlataquineravecsalangue.Elleneputreteniruncriquandillatétaetlarelâchadansunfortbruitdesuccion.

Avecungémissementd’impatience,illuiécartalesjambes,luifitreleverlesgenouxpuisseplaçaau-dessusd’elle,enappuisur lescoudes. Ilavançaensuitesonbassin jusqu’àcequesonsexesoitencontactaveclesien.

Ellehaletait,lesyeuxgrandsouverts,emplisàlafoisdecrainteetdedésir.Ilappuyasonfrontcontrelesien.—Tuesprête?murmura-t-il,lavoixrauque.Pour toute réponse, elle se contenta d’un signe de tête et enroula ses bras graciles autour de ses

épaules.—Pardonne-moi!souffla-t-ilencoreàsonoreille.L’instantd’après, il s’enfonçaenelled’unepoussée rapide, s’enveloppant toutentierdu fourreau

douxetchaud,puiss’immobilisa.Ellecrispalesdoigtssursesomoplates.

***

Giselle éprouva une douleur fugitive, mais les sensations qui l’envahissaient à présent étaient àmillelieuesd’unetorturephysique.Ellesesentaitcombléeetaccompliemêmesi,auplusprofonddesonintimité,uneimpressionétrangeetlancinantedemanquedemandaitàêtresatisfaite.Cherchantleremède,ellesemitàondulerdoucement.

Eustache,quis’étaitimmobilisé,commençaalorsàsemouvoir,seretirantpuisrevenantlentement,au rythme de ses petits cris de plaisir. Quand il la pénétra plus profondément, elle se cambra, et ungémissementfiévreuxjaillitdesabouche.Lesfrottementsdélicieuxdeleurscorpsétaientélectriquesetenvoyaientdesfrissonsjusqu’auxextrémitésdesesorteils.

CommeEustache accélérait son rythme, elle enroula les jambes autourde ses reins et, sesmainscherchantdésespérémentàagripperlesdraps,suivitdocilementsesmouvements.Soudain,illuisaisitleshanches,etplongeaenelleavecplusdeforceencore.Avecuncripresquesauvage,ilrejetalatêteenarrièreetselibéraauplusprofondd’elle.Pendantunlongmoment,ilsrestèrentsansbouger,tremblantsetlesoufflecourt.

Puis il sepenchaetcouvrit sonvisagede tendresbaisers.Avecungrognementde satisfaction, ill’entouradesesbrasetlafitallongersurlui.Latêteposéesursapoitrine,lescheveuxéparpilléssursontorse,Giselleécoutaunmomentsoncœurbattre.Ilsemitàjoueravecsescheveux,enroulantsesmèchesautourdesesdoigts,tandisqu’ellesombraitpeuàpeudanslesommeil.

***

Page 93: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

AlorsquelarespirationdeGiselles’apaisait,Eustache,comblédebonheur,sentitnaîtreenluiunenouvellevaguededésir.Unenuitavecelleneluisuffiraitpas.Ilvoulaitplus,beaucoupplus.Percerpeuàpeulesmystèresdesoncorpsetdesonesprit,savourerlesnuancessubtilesdechacundesessoupirs,dechacundesesgémissementsdeplaisir.Maiscommentunhommedesonrangpouvait-ilgarderàsescôtésunepromisedéflorée,issued’unefamilleaussimisérable?

Ilfermalesyeux.Ilsavaitcequ’ilavaitàfaire.

Page 94: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Chapitre4

QuandGiselles’éveilla,lesrayonsdorésdusoleilinondaientdéjàlachambre.Eblouie,elleclignadesyeuxetrepritpeuàpeucontactaveclaréalité.Unpeucourbatue,ellesetournasurlecôté,entraînantlesdraps emmêlés avec elle.Encore tout entièredans ses rêves, elle soupiradebien-être.Unedoucechaleursursesépaulesnues,lecorpsabandonnédanslelitleplusconfortableetleplusdouxqu’elleaitconnu…

Maisquandlessouvenirsdelanuitluirevinrent,elleouvritgrandslesyeuxetfutsaisiedepanique.L’effroiremontadesonventrejusqu’àsapoitrine.Commentavait-ellepudormiraussitard?Oùétaitleseigneur?Laferait-iljeterhorsdesmursduchâteaucommeunobjetsouillé?Larenverrait-ilàsonsortpitoyabledepaysanne?Avait-elleéchouéàproduireuneimpressionpositive?

Une larme commençait à rouler sur sa joue quand un bruit la fit sursauter.Elle se redressa pours’asseoir,lesmainscrispéessurledrapremontésursapoitrine.Ilétaitlà,installédansunfauteuilprèsdelacheminée,penchéenavant,lescoudesappuyéssurlesgenoux,lesyeuxbraquéssurelle.

Elle resta interdite,mais parvint à soutenir son regard un longmoment. Il l’observa, impassible,puiss’appuyaaudossierdesonsiège.

—Tuesréveillée,dit-ild’untondétaché.Giselleavalanerveusementsasalive.—Oui,messire.Etjesuisdésoléed’avoirperturbévotrematinée.Puis-jemeretirer,maintenant?—Non,répondit-il,l’airtrèsfâché.Ildétournalatêteendirectiondelafenêtre.—Resteoùtues!—Bien,messire,dit-elleens’inclinant.Illuifitfacedenouveau,leregardsérieuxetpénétrant.Pétrifiée,ellecraignitd’avoirdéjàréussià

lemettreencolère.Ilpinçaleslèvres,serralespoings,etseraclalagorge.—J’aidécidé,lança-t-ilavecraideur,quetuseraisdorénavantmafemmedechambreparticulière.N’osantcroirecequ’ellevenaitd’entendre,Gisellerestabouchebée.Dujamaisvu!Unepaysanne,

fille demanant comme elle, n’avait jamais été choisie pour veiller personnellement au bien-être d’unseigneur.Celadépassait sesplus folles espérances.Aumieuxaurait-elle pu espérer un travail commefilledecuisine…

—Tudevrasportercesvêtements.Illuimontradudoigtunechemiseenfinebatisteetunjupondelainesoigneusementpliésprèsde

sonoreiller.—DameLessardviendrat’informerdetestâchesquandjeseraiparti.

Page 95: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Toujoursabasourdie,Giselleportasonattentionsursesnouveauxhabits.Sesdoigtss’attardèrentsurladouceétoffe.Jamaisellen’avaitrientouchédetel.Ellerelevalatête,etfutincapabledeprononcerunmot;Eustachesemblaitdeplusenpluscontrarié.

—Tun’aspasl’aircontente,remarqua-t-il,lessourcilsfroncés.—Messire,je…C’estvraimenttropbondevotrepart.—Jenetedemandepastonavis.Cettenuit,j’airuinétoutespoird’unmariageavantageuxpourtoi

et ta famille.Ton travailauchâteaupaieraplusde lamoitiédes impôtsque tesparentsdoiventàmonpère.

Sansluilaisserletempsderépondre,ilselevaetsedirigeaàgrandesenjambéesverslaporte.LecœurdeGisellebattaitàtoutrompre.Elleavaitlapossibilitédemettresesparentsàl’abridubesoin!

—JetelaisseauxbonssoinsdedameLessard,lança-t-ilencoreavantdequitterlachambre.

***

Lesheures suivantes s’écoulèrentdansun tourbillond’activités.Avantqu’elle ait eu le tempsdereprendresesesprits,Giselle,étourdieparlesinformationsetlesordresquifusaientàchaqueinstant,futexpédiéedanstouslescoinsetrecoinsduchâteau.

«Tudevrasdescendrelesvêtementssalesetlesdonnerauxbuandières,remonterlespropresetlesranger dans les coffres, balayer le sol, nettoyer l’âtre, t’occuper des repas dumaître,monter de l’eauchaudedanssachambre,réchauffersonlitavantlanuit…»

Apeineavait-ellecommencéàse familiariseravecsonnouveluniversquedéjà l’heuredudînerapprochait. Profitant de quelques instants de liberté, elle se glissa dans les écuries pour admirer leschevaux. Elle se rendit auprès de Bayard qui, attaché à un piquet, attendait son brossage quotidien.L’imposantanimall’accueillitavecunhennissementetlagratifiadepetitscoupsdenaseauxsurl’épaule.Elleritdeboncœuretflattalelongmuseaudelapaumedelamain.

Quanduneombrelarecouvrit,elleseretournaetvitarriverEustache.Elle luiadressaunsouriremalicieuxavantdelesalueravecdéférence.

—Tun’aspaspeurdegardersurtoil’odeurdesanimaux?demanda-t-ilens’approchant.—Non,etvous,messire?Uneridesecreusaentresessourcils,etilfitencoreunpasdanssadirection.—D’habitude,lesfemmesn’aimentpasfréquenterlesécuries,commenta-t-ilsèchement.—D’habitude,lesmaîtresnediscutentpasaveclesservantes,letaquina-t-elle.Ilpassaunbrasau-dessusdesatêtepourattraperlabridedeBayard.—Ettupensesquejesuiscommelesautresmaîtres?Il s’était penché pour murmurer ces mots à son oreille. La proximité de sa bouche la troublait

terriblement,maisellenevoulutpass’écarter.—C’estque…Jenevousconnaispasencoresuffisamment,répondit-elle,lesoufflecourt.Ilposalamainsursanuqueetlafitglisserlentementjusqu’àlaCourbedesesreins.Songestefit

courirdesfrissonsdanstoutsoncorps.Ellesemorditlalèvrepourréprimerungémissementdeplaisir.—Ettun’aspasenvied’ensavoirunpeuplussurmoncompte?Giselle avait la certitudequ’il entendait les battements affolés de son cœur,mais il affichait une

expressionimpénétrable.—Toutdépend,messire,decequevousavezàm’apprendre…Ilreculad’unpasetelleregrettaaussitôtd’êtreprivéeainsidelachaleurquesoncorpsdégageait.—Nousnemanqueronspasd’enreparler,Giselle.Maisàl’heurequ’ilest,tuasmieuxàfairedans

lescuisines.

Page 96: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Sur ce, il s’éloigna, la laissant rejoindre les cuisines au pas de course.Elle était chargée de luiservirsesrepasdanslagrandesalle,unecorvéelongueetfastidieuse.Pourtant,ellenevitpasletempspasser, toute occupée qu’elle était à guetter ses œillades appuyées sur sa personne. Elle se laissaitcaresser par son regard enflamméet frissonnait de bonheur en sentant ses doigts effleurer sonpoignetchaque fois qu’elle déposait un nouveau plat devant lui. Après avoir perçu un dernier coup d’œilprometteur,ellemontapréparersachambre.

Lanuittombait.Ellevenaitdehisseravecpeineunlourdseaud’eaubouillanteenhautdel’escalier,avantdeleporterjusqu’àlachambreetd’enverserlecontenudansungrandbaquetinstalléprèsdulit.Délaissant quelques instants ses tâches, elle s’approcha de la fenêtre, et inspira profondément encherchant à travers la vitre sombre le petit lopin de terre de ses parents. Malheureusement, l’ombrecrépusculaire avait déjà recouvert les champs, et elle ne distinguait plus que les vagues contours descollinesquisedressaientauloin.

Aprèsavoiressuyé labuéequesonsouffleavaitdéposéesur lavitre,elledétachasonregarddusombrepaysageet sedirigeavers la cheminée.La fraîcheur commençait à envahir lapièce ; il fallaitdoncallumeruneflambéeauplusvite.Agenouilléepour rassembler lesquelquescendres restéesdansl’âtre,ellesedemandaitàquoisesparentss’occupaientencemoment.Samèreavait-ellepenséàajouterles herbes du jardin à la soupe ? La nouvelle de leur bonne fortune était certainement déjà parvenuejusqu’àeux.Peut-êtremêmeétaient-ilsentraindefêterl’événementavecunebonnebièreduvillage?

Unlégersourireéclairaitsonvisagelorsqu’elleseredressa.Elles’essuyalefrontdureversdelamain, en les imaginant assis à la vieille table, la lumière du foyer jetant des ombres orangées autourd’eux.C’étaitunevisionheureuseetréconfortante,etpourtantsiétrangedepuislademeuredesseigneursoùellesetrouvait…

Elle se remit à l’ouvrage sans tarder.Lemaître pouvait arriver d’uneminute à l’autre.Quelquescoupsbienappliquésaveclebriquetàsilex,etlefeus’embrasa,dévorantavidementlepetitboisbiensec.Elle alimenta soigneusement les flammes et, bientôt, une belle flambée commença à réchauffer lapièce.Alorselleserelevaets’époussetalesmainssurledevantdesachasuble.

Ilétaitdetempsderéchaufferlacoucheduseigneur,commeonleluiavaitdemandé.Sonregardperplexepassadulitàlacheminéepuisdelacheminéeaulit.Commentallait-ellebien

pouvoir procéder ? Elle balaya la chambre des yeux pour trouver le moyen d’accomplir sa dernièrebesognedelajournée.Ellelorgnaverslebaquetd’eauchaude.Leposersurlematelasréchaufferaitunendroit,maisellerisquaitdelerenverser,etuneliteriedétrempéen’étaitpasvraimentlebutrecherché…Elleseretournaverslefeu.Leseau,remplidebraises,pourraitaussitiédirlesdraps.Maisalors,sidescendresvenaientàs’échapper,ellepasseraitdesheuresànettoyerlesdégâts.Ellesecoualatête.Iln’yavaitqu’uneseulechoseàfaire.

D’ungestedéterminé,ellesaisitàpleinesmainsl’épaiscouvre-litparlesquatrecoins,enessayantde rassembler le tissu volumineux dans ses bras pour ne rien laisser traîner sur le sol. Le précieuxchargementainsipressécontresapoitrine,elleavançaprudemmentverslacheminée.

Cefutprécisémentcetinstantquelemaîtrechoisitpourfaireirruptiondanssachambre.—Maisqu’est-cequetufabriques?demanda-t-il,abasourdi.Ilnes’attendaitpasàsurprendresafemmedechambresurlepointdejetersaliterieaufeu.—Messire!s’exclamaGiselle.Enseretournantellefaillitlaissertombersonchargement.—Jevousdemandepardon,messire,jevoulaisjusteréchauffervotrelit.Eustacheladévisageaitd’unairsurpristandisque,affolée,ellesedandinaitd’unpiedsurl’autre

sanssavoirquelleattitudeadopter.Oùs’était-ellefourvoyée?Ellecherchaàlerassurer.—Nevousinquiétezpas,messire,celaneprendraqu’uneminute.

Page 97: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

En deux enjambées, il fut sur elle. Il lui arracha vivement le gros ballot des bras et, sans tenircomptedesesprotestations,lejetasansplusdecérémoniesurlelit.

—Jepensequetun’aspasbiencomprislaconsigne,fit-ild’untonbourru.Réchauffermonlitneconsistepasàenapprocherlacouverturedelacheminée.

Ellefronçalessourcils,àlafoisconfuseetperplexe.—Messire,bredouilla-t-elleenserecroquevillantdansunenouvellerévérence,pardonnez-moisi

jevousaioffensé,jene…Eustachetoussotadanssonpoing,interrompantsesexcusesaumilieudesaphrase.—Tunem’aspasoffensé.Ilmarquaunepauseetsepinçalehautdunez.—Cen’estqu’unpetitmalentendu.Jenesouhaitepasqueturéchauffesmonlitavecdesbraisesou

dufeu.Ils’interrompitdenouveaupours’éclaircirlavoix.—Jeveuxquetulefasses…Ils’arrêtaencore,emprunté.—Avectoncorps,dit-ilenfin.—Moncorps?Giselle pencha légèrement la tête de côté. Elle comprit tout à coup, et une délicate teinte rosée

colorasesjoues.—Jecomprends…,murmura-t-elle.Ils étaient tout près l’un de l’autre et Eustache la contemplait avec avidité, le regard enfiévré.

Soudain,ilcrispalespoingsetseraidit, luiapparaissantplusgrandetplusinquiétantquejamais,plussombreetplus impénétrableque le roc.Puis,quand il fronça les sourcils,une lueurpassademanièrefugitive dans ses yeux. Elle crut y percevoir l’amorce très furtive d’une pensée secrète. Un faibletressaillement des lèvres, une palpitation imperceptible de la tempe, rien n’échappa à l’observationattentivedeGiselle.Et l’analyse appliquéede soncomportement éclairapeuàpeud’un journouveaul’aventurequ’ellepartageaitmalgréelleavecceguerrierténébreuxeténigmatique.

Toutd’abord,ilavaitvoululaprotégerententantdel’empêcherdeseprécipiterverssondangereuxchevaldeguerre.Ensuite,lorsdecettepremièrenuitmémorable,ils’étaitappliquéàluidonnerautantdeplaisirqu’ilenavaitprislui-même.Dèslelendemainmatin,illuifournissaitunemploi.Et,toutaulongdelajournée,iln’avaitcessédeluimanifestersonintérêt…

Commentdevait-elleinterprétersonattitude?Pourenavoirlecœurnet,elledécidadechercheràsavoircequedissimulaitvraimentsonairdistant.

Elleaffichaunsourireespiègleetlevitseraidirunpeuplus.Puiselles’avançaversluiàpaslents,ondulantlégèrementdeshanches.Cettesoudainemétamorphosel’intriguaitdetouteévidence.Intimidéeetcraintivequelquessecondesplustôt,voilàqu’ellerayonnaitd’aisance!Elles’arrêtatoutprèsdeluiettira lentement les rubans de son bonnet qui glissa, libérant ses longues boucles brunes. Il se raclanerveusementlagorgequandellelaissanégligemmenttomberlacoiffesurlesol.

Giselle vit son expression changer peu à peu.Au comble de la tension, il détourna le regard etbaissalespaupières,lajoueagitéed’unticnerveux.Quandelletenditlamainpourluieffleurerl’épaule,ellejubilaintérieurementenlesentantsursauter.

Déjàelleenétaitsûre:leseigneurEustachen’étaitpaslemonstreaucœurdepierre,assoiffédesang, que la rumeur voulait faire de lui. Elle-même s’était laissé abuser. Certes, son expérience desbatailles l’avait endurci, mais ses manières abruptes, loin d’exprimer une quelconque froideur,traduisaientsimplementsoninexpérienceaveclebeausexe.Maladroitementdoux,tendrementbourru,ilprêtaitunflancirrésistibleàlataquinerie.Uneviveémotionl’envahit.Ledestinl’avaitconfiéeauxbrasd’un seigneur qui désirait autre chose que la vie dedébauchedes nobles de sa caste.A en croire les

Page 98: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

apparencesentoutcas,ilvoulaitlatraiteravecgentillesse.Trèsbien,songea-t-elleaveclesourire.Ellenerefuseraitpaslesplaisirscoquinsàceluiquil’avaitchoisiecommefemmedechambre.

—Messire,chuchota-t-elle,aguicheuse.Vousrefusezdemeregarder?Eustacheouvritlesyeuxpourdécouvrirlespectacledesaservantequiôtaitunàunsesvêtements.

Entièrementnue,ellevintsepressercontrelui,frottantsapeaudélicateautissurugueuxdesesvêtements.—Quefais-tu?—Vousnecompreneztoujourspas?susurra-t-elledesavoixlaplusdouce.Lesmâchoires contractées par une extrême tension, il lutta pour contenir ses pulsions. Il ignorait

dansqueldesseinGisellejouaitcejeudangereux,maisilmesuraitparfaitementl’effetqu’ilavaitsurluiet,inquiet,craignaitqu’ellen’aitàleregretter.

—Jepourraistefairesouffrir,Giselle.Savoixcachaitmalsonexcitation.—Non,messire,jesaisquevousnelevoulezpas.Toutenparlant,ellelaissaglissersamainlelongdesontorse.—S’ilvousplaît,prenez-moi…Quel homme aurait pu résister plus longtemps ? L’instant d’après, il la saisissait par la taille et

soulevait de terre pour la plaquer contre le mur. La surprise lui coupa le souffle, mais elle enroulaaussitôtlesjambesautourdesataille.

—Tunesaispasàquoitut’exposes!dit-ild’unevoixhaletante.—Jelesaisparfaitement.Ellesemitàremuercontrelui,ponctuantsesmouvementsdegémissementsdeplaisir,faisantcéder

irrémédiablementsesdernièresrésistances.Ilbaissalatête,cherchantavidementseslèvres,etpritsansretenuepossessiondesabouche.

UnpetitcrijaillitdelagorgedeGisellelorsqu’ilapprochalamaindesonsexepourlecaresseretl’explorer.Quandilsemitàdécriredescerclesavecsonpouce,untremblementsecouasoncorpssoupleetellerejetalatêteenarrièreens’accrochantdésespérémentàsesépaules.

Avec un grognement d’impatience, Eustache s’écarta légèrement pour défaire ses braies. D’unmouvement rapide, il les fit glisser le longde ses jambes et, se rapprochant de nouveau, provoqua lecontactbrûlantdeleursnudités.

Lecorpscolléausien,illaplaquacontrelemuretprittendrementsonvisageentresesmains.Leslongs cils de Giselle papillonnaient sur ses pommettes enflammées, sa lèvre inférieure tremblaitd’excitation…

Ilinclinalatêtepourappuyersonfrontcontrelesien.—Tuessibelle,fit-ildansunsouffle.Unefemmeànulleautrepareille.Ellerougitetunsourireétiraseslèvres.—Tuestrèsbeau,toiaussi.Elleluimordillalementond’unairtaquin,maisilredressalatêtepourscrutersonvisage.—Jeteveuxmaintenant.Mondésirdetoineserajamaisrassasié.UnimmensebonheuréclairalevisagedeGiselle.—Alors,prends-moi!supplia-t-elleencoreenenroulantplusfortlesbrasautourdesoncou.Sapénétrationpresquesauvageluiarrachaunlonggémissement.Ellemaintintfermementsesjambes

autourdeluiet,tandisqu’elleplantaitsesonglesdanslesmusclesdurcisdesesépaules,ils’enfonçaenelletoutencouvrantsagorgedebaisers.Puis,sanscriergare,ill’éloignadumuretlaportasurlelit.

L’interruptionsoudainedeleursébatsluivalutdelapartdeGiselleuneplaintedefrustration.Elleremualeshanchespourl’inciteràlareprendre.

Satisfait, il s’assit sur le lit sans la lâcher. Comme elle le gratifiait d’unemoue boudeuse, il secontentadesourirepuisl’écartalégèrementdeluipourenlevertranquillementsatunique.Quandcefut

Page 99: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

fait,ils’allongeaetl’attiraàcalifourchonsurluipourlapénétrerdenouveau.—D’ici,lavueestmagnifique,dit-ilenremontantsesmainslelongdesonbustejusqu’àatteindre

sesseins.S’inclinantpourqueseslongscheveuxlerecouvrent,Giselleplaquasesmainssursontorseetse

mitàbougerlentement.Il laissaéchapperunrâleensentantsesmusclesinternesl’étreindredehautenbas,tandisqu’elleallaitetvenaitau-dessusdelui,lesyeuxclos,touteàlavoluptédel’instant.

Commeilsselaissaientemportertousdeuxdansuntourbillonétourdissant,illuisaisitleshancheset cambra le dos à l’extrême pour aller plus loin encore. Puis, la sentant trembler d’extase, dans unechargeultimeetbrutale,illaissaexplosertoutsonplaisirauplusprofondd’elle.

Ils revinrent doucement au calme ; leur respiration s’apaisa et leur peau luisante de sueur serafraîchitpeuàpeu.

Elleseblottitcontrelui,appuyantlajouecontresapoitrine.IlremontalescouverturessureuxpuisserracontreluiGisellequidéjàs’endormait.

—Jeteremercied’avoirréchauffémonlit,murmura-t-il.

Page 100: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Chapitre5

Giselleseréveilladanslafraîcheuretlapénombrequiprécédaientleleverdujour.Sonamantétaitblotticontreelle,lajouesursonépaule,unbrasenrouléautourdesataille.Ellesedélectapendantunbonmoment,sansbouger,delachaleurdesoncorpsmusclé.

Cependant, le devoir l’appelait. A regret, elle se dégagea doucement de son étreinte. Eustachemarmonna vaguement et fronça les sourcils dans son sommeil, puis se retourna. Elle s’assit et sourittendrementàsonseigneuretmaître.Contretouteattente,iln’avaitmontréquebontéàsonégard,l’initiantà l’amour avec une gentillesse teintée d’une violente passion. Son destin aurait-il enfin pris un tourfavorable?

Avecun léger soupir elle se leva et chercha sesvêtements en cillantpourhabituer sesyeuxà laquasi-obscurité.Aprèss’êtrehabillée rapidement,elleprit leseauàeauet sortitde lachambresur lapointedespieds.

Lechâteauétait froidet silencieux.Dans l’escalier, sespas résonnèrententre lesmursdepierre.Elletraversadiscrètementlagrandesalleoùtoutlemondesemblaitencoredormiretsortitdanslacourpour se diriger vers le puits. Les lieux étaient déserts en cette heure trèsmatinale, et seuls quelqueshennissementss’élevaientdetempsàautredesécuries.

Elleposaleseausurlamargelleetl’accrochaparl’anse.Avantdepuiserl’eau,ellesefrottalesbrasavecvigueurpourlesréchaufferdelafraîcheurdel’aube.

Pouréviterleclaquementsonoreduseauplongeantdansl’eau,elledéroulalentementlacordeet,commeils’enfonçaitsansbruit,ellesetournaversletreuiletsaisitlamanivelleàdeuxmains.Lesdentsserrées,ellepoussaettirapouractionnerlemécanisme,lacordeépaisses’enroulantpeuàpeuautourdelabarresurplombantletroubéant.Quandenfinleseaufutremonté,elleagrippalacordeetlatiraversellepourreposerlerécipientsurlamargelle.Ellelesaisitàdeuxmainsetledéposasurlesolpavéenveillantbienànepasgaspillerunegoutteduliquideacquisauprixdetantd’efforts.Puis,avecunlongsoupir,elleessuyalasueurdesonfrontetseredressaenétirantsondos.

L’horizoncommençait à se teinterdegris, etGiselle savaitque le soleilne se lèveraitpasavantencoreaumoinsuneheure.Ellesourit.Uneidéegermadanssonespritetelledécidades’accorderunpetitplaisiravantdepoursuivresalonguejournéedetravail.Sansattendre,ellecourutjusqu’auxécuries,soulevaleloquetdelaporteetsefaufilasansbruitàl’intérieur,scrutantlesstallesencoreobscures.Lefoinquicrissaitsoussespiedsemplissaitl’aird’unebonneetrassuranteodeur.

—Bayard?chuchota-t-elle,leregarddirigésurleportillond’ungrandbox.L’animalmassifs’ébrouaetunpetitnuagedebuéeseformadansl’airfraisdevantsesnaseaux.Il

avançalourdementverscellequil’attendait,lamainouverteettenduedanssadirection.Giselleclaqua

Page 101: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

lalangueetfrottalemuseaudel’imposantchevaldeguerre.Al’instardesonmaître,c’étaitunecréatured’unepuissanceinquiétanteetcependantcapabled’unedouceurétonnante.

Giselles’attardalà,jouissantavecbonheurdel’atmosphèrecalmeetdessenteursfamilières,quandtoutàcoupleschevauxcommencèrentàs’agiteretàmartelerlesoltoutenremuantnerveusementdansleursstalles.Bayardlui-mêmesemitàruer,sesyeuxroulantdansleursorbites.Surprise,Gisellefronçalessourcilsetrecula.

—Qu’ya-t-il?demanda-t-elle,troublée.Enfin, elle entendit ce qui les agitait. Cela ressemblait au bourdonnement sourd du vent dans le

lointain.Puislebruits’amplifiapeuàpeu,enflantjusqu’àdevenirunpuissantrugissement.Ellesortitdel’écurie et leva les yeux vers le ciel éclairé de vives lueurs orangées qu’il était bien trop tôt pourconfondreaveccellesdel’aurore.

Avecun cri d’épouvante, elle s’élançavers l’escalier dumurd’enceinte.Son cœurbattait à toutrompre;laterreurlaglaçaitetluinouaitl’estomac.Quandellearrivasurlecheminderonde,ellecrutdéfaillir faceà lavisiond’épouvantequi s’offrait àelle.Leciel, zébréde traînées rouges,n’étaitpaséclairéparleleverdusoleilmaispardesincendies.Levillageétaitenfeu!

Hurlantdetoutessesforces,ellecourutverslesgardesdenuitquidormaientàleurspostes.Sansbien savoir ce qu’elle faisait, elle agita les bras vers le ciel en criant. Ils se levèrent commeun seulhomme pour regarder par-dessus les créneaux et, les yeux pleins d’effroi, sonnèrent immédiatementl’alarmeduchâteau.

Toutàcoup,lacour,désertejusque-là,devintlethéâtred’unincroyableremue-ménage.Lesgardesaccouraientdeleursquartiersdenuit,toutensedémenantcommedebeauxdiablespourenfilerlespiècesdeleurarmure.Deleurcôté,lesgarçonsd’écuriesortaientleschevauxdeleursboxetlesharnachaientpourlecombat.Quandleshersesfurentlevéesetquel’onouvritleslourdsvantauxdebois,unehordedepaysans se rua dans la cour. Un vacarme assourdissant avait succédé au calme qui régnait encorequelques minutes auparavant. Giselle contemplait le spectacle avec une terreur grandissante. Lespremiersmanantsayanttrouvérefugedanslademeuredesmaîtresétaientdesvoisinsdesesparents,maisnisamèrenisonpèrenesetrouvaientparmieux.Elleregardapar-delàlesmursdansladirectiond’oùvenaient les hurlements des fugitifs. Comme le ciel commençait à blanchir, elle put distinguer lessilhouettesmenaçantesdebanditsàchevalquidévalaientlescollinestoutesproches.L’airrésonnaitdeclaquements métalliques et du crépitement déchaîné des flammes consumant sans pitié masures etrécoltes.

Le cœur serré, elle se détourna de cette scène de désolation et, préoccupée par le sort de sesparents,dévala l’escalier jusqu’à laCourpourseprécipitervers lesportes.Unemaréedepaysansenfuitecontinuaitàs’yengouffreretelledutjouerdescoudespoursefrayerunpassageàcontre-courant.Quandenfinelle réussitàpasser lamultitudeaffoléequiengorgeait la sortie, elle se retrouvadansununiverssombreetinquiétant.

Les yeux brûlants de larmes, Giselle courait vers la chaumière de ses parents. En chemin, ellecroisaitdesfuyards,descorpsdemalheureuxquiavaientétépiétinésoutuésparlesbandits.Sansdoutenetarderait-ellepasàvoirsonpèreetsamère,sedisait-elleavecl’énergiedudésespoir.D’uninstantàl’autre,ilsaccourraientàsarencontre,ellenedevaitpasendouter.

Unpointdouloureux luivrillait le côté,maiselle l’ignoraet continua fiévreusementà scruter lesvisagesquicroisaientsacoursefolle.Etpuis,soudain,alorsqu’ellearrivaitausommetdelabutte,elleaperçutdeuxsilhouettesfamilièreset,derrièreelles,lesrestesfumantsdeleurmaison.

—Maman!Papa!Elleavaithurléàs’endéchirerlagorge.Ilsn’étaientplustrèsloin.Encorequelquesinstants,etelle

pourraitenfinlesserrerdanssesbras.Elledistinguaitpresqueleurstraits.Unsanglotdesoulagementluiéchappa.

Page 102: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Maisalorsqu’elleétaitsurlepointdelesrejoindre,ilss’arrêtèrenttoutàcoupetuneexpressiondepureterreursepeignitsurleurstraits.

Gisellen’eutqueletempsdeprendrelamesuredeleurangoisseavantd’êtresoulevéedeterreparledosdesarobe.Elleeutl’impressiondes’envoleretseretrouvabrutalementsurleventre,entraversdupommeaud’uneselle.Lechocvidal’airdesespoumons,maiscefutlecoupquelecavalierluiportaàlatêteaveclapoignéedesonépéequilaplongeadansl’inconsciencetandisqu’ils’éloignaitaugalop.

Ellevenaitd’êtreenlevéepardesbandits.

Page 103: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Chapitre6

Eustacheseréveillaausondelapremièrealarmeetseredressaimmédiatement.Samaincherchad’instinct lecorpsdeGiselle,maisellen’étaitplus là. Il jura, furieux,se levad’unbond,s’habilla,etsortitencourantdesachambrepourseprécipiterdanslagrandesalle.

—Fils!Lavoiximpérieusedesonpèrel’arrêtanet.—Oùvas-tuainsi?—Jecherchemafemmedechambre,répondit-il,affolé.—Lemoment est-il bien choisi pour s’inquiéter d’une petite amusette ?De bandits attaquent le

château!—Desbandits?Lavoixd’Eustacheétaitfroide.—Riendemoins!Levieilhommeétaitdanstoussesétats.—Lesgredinsontmis lefeuauvillageetsèment lapaniquechezlespaysans.Ilspillent toutsur

leurpassageets’apprêtentàouvrirunebrèchedanslemurd’enceinte.Atraverssespaupièresmi-closes,leregardd’Eustachelançaitdéjàdeséclairs.Lesphalangesde

sespoingsviolemmentcrispésavaientblanchiet lesveinesdesonfrontétaienten traindeprendreunreliefinquiétant.

—Oùestmonarmure?—Rangéeprèsdesécuries,réponditlepèreenreculantdevantsonguerroyeurdefils.Eustache tourna les talons et se dirigea vers la porte à grands pas. Silencieux, les serviteurs

s’effaçaientsursonpassage.—Quevas-tufaire?demandalevieilhomme.—Cequejefaislemieux,réponditEustachesansmêmeseretourner.Lacourétaitenpleineeffervescence.Lesgardespeinaientencoreàorganiserlariposte,quantaux

paysans,paniqués,ilshurlaientets’agitaiententoussens.Eustacheneprêtanulleattentionaudésordreetsedirigeadroitverslesécuries.

—Monarmure!aboya-t-ilàlacantonade.L’affolementgénéralavaitgagnéaussilegarçond’écurie.Tapidansuncoin,lesoreillesbouchées

aveclesmains,iltremblaitdetoutsoncorps.Lejeuneseigneurfonçasurlui,l’attrapaparledevantdesatunique,leremitsurpiedsansménagementetlesecouafurieusement.

—Vame cherchermon cheval etmon armure ! hurla-t-il pour couvrir le vacarme.Ou crève icicommeunlâche,misérablebonàrien!

Page 104: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Illelaissaretombersurlesoloùlemalheureuxs’affaissa,accablé.Jurantentresesdents,Eustachedélaissa legarçonpour filerdans l’armurerie.Là, il saisit sacottedemaillesetcommençaà l’enfilersansl’aidedepersonne.Unerudebesogneque,d’ordinaire,iln’accomplissaitjamaisseul.Maisilfallaitagirvite.Iltrouvasansdifficultélesprotectionspoursesjambesetsesgenoux.Enfin,ilmitsonheaumeets’emparad’unelourdehache.

Sonécuyerl’attendaitavecBayardselléetfinprêtquandilsortitdel’armurerie.Unmontoirétaitposéàcôtéduhautdestrier,etlegarçonluitenditlesrênesd’unemaintremblante.

—Bien,grommelaEustacheenlessaisissant.Ilenfourcha l’animalavecaisanceet,d’uncoupde talonsprécisetautoritaire, lui fit traverser la

couraugalop.Lafoulesefenditsursonpassageetuneclameurassourdissantel’escortadanssacoursefolle.Lespoings levés, tous le regardèrent, admiratifs, franchir lesportesduchâteau, sagrandehachebrandiebienhaut,prêteàs’abattresurl’ennemi.

A l’extérieur, il ne trouva que désolation. Un paysage dévasté, en rien différent des champs debataille auxquels la guerre l’avait accoutumé. Il chevaucha entre les rangs des bandits, décochant defoudroyantscoupsdehacheautourdelui,abattantsanspitiélescavaliersetleursmontures.Lecourageinsensé et redoutable du jeune seigneur galvanisa ses vassaux qui retrouvèrent leur combativité pouraffronterlesassaillants.

Trèsvite, lavaguedebanditsrefluaet ilnefallutguèredetempspourleurfaireprendrelafuite.Eustacheetsatroupelespoursuivirentjusqu’auxlimitesdudomaineavantdefairedemi-tour.Soucieuxdenepasperdreuninstant,iléperonnaBayardpourlepresserverslechâteau.Quandleslourdesportesserouvrirentdevantlemaîtrevictorieux,ilfutaccueilliparunesalvedehourrasetd’acclamations.Iln’yprêtaaucuneattention.Atraverslesfentesdesonheaume,ilscrutaitanxieusementlafouleamasséedanslacour.Quandunemain lui toucha lepied, ilbaissa la têtepourdécouvrirunevieille femmedont lesjouesflétriesruisselaientdelarmes.

—Mesfilles!criait-elleentredeuxsanglots.Ilsontemmenémespetites!Une famille de paysans, puis d’autres encore joignirent leurs lamentations aux siennes. Tous

imploraientEustachedeleurdires’ilavaitaperçuleursenfants.Ilsecoualatêteetcontinuaàfouillerenvainlacourduregard.L’inquiétudeluinouaitleventre,etriennepouvaitpluscontenirsarage.

Aquelquesmètresdelà,unhommeetsonépousesetenaienttêtebasse.Onauraitditqu’ilspriaient.IlguidaBayarddans leurdirection.Quand la femmeleva lesyeuxsur lui, ilcrut reconnaîtredanssonvisagedévastélestraitsdeGiselle.

—Hé,toi,là-bas!As-tuunefille?Savoixsemblaitétranglée,mêmeàsespropresoreilles.Lafemmesemitàpleureretsoncorpsfut

secouédehoquetsconvulsifs.Sonmariseredressapourrépondreàsaplace.—Oui,messire.Nousavonsunefille.Elleaétéenlevéesousnosyeuxparlesbandits.—Sonnom!rugitEustache.Soncœurbattaitfollement.Ilconnaissaitdéjàlaréponse.—Giselle,murmuralepaysan.Lafureurbouillonnaitdanslesveinesd’Eustache.IlenfonçalestalonsdanslesflancsdeBayard,le

fittournersur lui-mêmeet rappelasesvassaux.Lessabotsdeschevauxlancésaugalopmartelèrentdenouveaulepavédelacour.Mais,cettefois,leslourdesportesnes’ouvrirentpaspourcéderlepassageauxcombattants.

Le père et le frère d’Eustache, restés à l’abri des murs pendant toute la durée de l’assaut,s’avancèrentpourluibarrerlaroute.

—Bienjoué,monfils,fitsonpère.Jetefélicite.Maisoùvas-tu,maintenant?—Leurdonnerlachasse,répondit-ilbrièvement.—Pourquoidonc?

Page 105: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Levieuxmaîtreparaissaitsincèrementtroublé.—Laissez-moipasser!intimalavoixdangereusementsourded’Eustache.Vousn’oserezpasvous

mettreentraversdemonchemin,toutdemême?Lesyeuxd’Alphonses’ouvrirenttoutgrands.Iltapotadoucementl’épauledesonpèrepourl’inviter

àsedéplacer.—Venez,père,conseilla-t-ilprudemment.S’iltientàleslivreràlajustice,laissons-lefaire!Eustache poussa son cri de ralliement pour entraîner ses cavaliers hors du château et ils

chevauchèrentàbrideabattuesurlestracesdesbrigands.Pendanttoutletempsqueduralacavalcade,levisaged’Eustachedemeuraaussifigéquelemasquedemétalquilerecouvrait.

Les gredins ne s’attendaient pas à être poursuivis.Aussi furent-ils débusqués rapidement dans laforêtoù ilss’étaientarrêtés. Ilsavaientdélaissé leurschevauxet inspectaient tranquillement leurbutinquandlatroupelancéeàleurstrousseslesrattrapa.Sansattendrelesordresdeleurmaître,lescavalierslesencerclèrent.Aprèsunefaibletentativederésistance,lesbanditsseretrouvèrentalignés,agenouillésetvaincus.

Ignorant royalement sesprisonniers,Eustache sautaà terreet seprécipitavers lepetitgroupedejeunesfillesrassembléessousunarbre.Ellesétaientligotéesetbâillonnées,etavaientlesyeuxagrandisparlaterreur.Ilcherchaduregardcelleversquitoutessespenséesétaienttournées.

Quand il l’eut repérée, il l’enveloppadesesbraset laserracontresapoitrine.Elle tremblaitdetoussesmembresetsesjouesruisselaientdelarmes.Inquiet,ill’examinamaisnedécelaaucuneblessuresursoncorps.Veillantànepaségratignersonvisagecouvertdeboue,ilretiraavecmilleprécautionslebâillondesaboucheetcoupalesliensdechiffonsquiluientravaientlespoignets.Elleluijetaaussitôtlesbrasautourducou.

—Merci,bredouilla-t-ellefaiblement.Merci,ohmerci…Eustachesereleva,laremitsurpiedprèsdelui, lissasescheveuxdesamaingantéeets’éloigna

doucement.Puisillevalamainpourfairesigneàl’undesesvassaux.—Défaislesliensdecesfillesetconduis-lesjusqu’auruisseauquenousvenonsdepasser.Traite-

lesavecbontéetattends-moilà-bas!—Bien,messire.L’hommesedirigeaimmédiatementverslespaysannes,entraînantavecluideuxdesescompagnons.—Ettoi,tulessuis!ditEustacheàGiselleenbaissantlavoix.Ellesecouaénergiquementlatête.—Non.Jeneveuxplusvousquitter.—Tuvasavecelles,insista-t-ild’untonplusferme.Jetiensàt’épargnerunbienvilainspectacle.Un éclat meurtrier brillait dans ses pupilles étrécies et Giselle ne put réprimer un frisson en

découvrant cet autre aspect de sa personnalité. Il lui parlait avec douceur, mais son regard étaitimplacable.Ellepritsesmainsdanslessiennesetlesserracontresapoitrine.

—Merci,messire,répéta-t-elleencore,sesgrandsyeuxbleuscherchantenvainlessiens.Jevousattendraiaveclesautres.

Ellelequittaàregretpouremboîterlepasaugroupequidéjàs’éloignait.Seretournantunedernièrefois, elle le vit s’approcher des bandits. Elle entendit le bruit clair de l’acier lorsqu’il dégainatranquillementsonépée.Alors,elledétournarésolumentleregardetlefixaavecapplicationsurledosdelafillequilaprécédait.Osantàpeinechuchoterquelquesparoles,ellesmarchaientenfileindiennederrièreleprotecteurqu’onleuravaitattribué.Envérité,ellesn’osaientcroireàleurbonnefortune.Quelmaître avait jamais risqué sa vie et celle de ses hommes pour quelques paysannes ? Troublées, ellesconsidéraientGiselleavecunegrandeperplexité.

Celle-ci se moquait bien de leur curiosité. Quand le petit groupe atteignit son but, elle préféras’asseoirunpeuàl’écart.Unruisseaupeuprofondcoupaitlecheminquisillonnaitàtraverslaforêt.Ses

Page 106: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

eauxvivesbondissaientavecunclapotisapaisant.Lesfilleseurenttôtfaitderetrouverleurjoiedevivre.Elles seprécipitèrentdans lecourant limpidepour se laverde laboueetde la saletéen riantdeboncœur.Adosséeautroncd’unvieilarbretouffu,Giselledemeuraenretrait,lesyeuxfixéssurlesol.Elleattendaitsonseigneur.

Peu après, le cliquètement des armures et le trot des chevaux vinrent se mêler aux bruits de lanature.Lapetitebandejoyeusesortitdel’eaupourattendrel’arrivéedescavaliers.Ilsapparurentbientôt,suivis des montures des brigands attachées par les rênes. Droit et majestueux sur son fier destrier,Eustachepritlaparole.

—Mesvassauxvontvousescorterjusqu’audomaine,annonça-t-ildesavoixclaire.Etvousdevrezvousmettresanstarderàlareconstructionduvillage.Enmarche!

Lesfilless’inclinèrenthumblement,murmurèrentdetimidesremerciementsets’exécutèrentaussitôt.—Pastoi,ajouta-t-ildoucementàl’adressedeGisellequisemêlaitaupetitgroupe.Turestesici.

Quantàtoi,dit-ilencoreensetournantversl’undeseshommes,tuveillerasàcequemesordressoientscrupuleusementrespectés.Jevousrejoindraisanstarder.

—Oui,messire,réponditl’intéresséenacquiesçantd’unsignedetête.Enquelquesminutes, lespaysannes et lesguerriersdisparurent, laissant àEustache tout loisirde

contempler sa jeunemaîtresse du haut de sa selle. Giselle gardait les yeux levés vers lui, sereine etadmirative.Dusangfraismaculaitçàetlàlesmaillesdesacotteetilluiparutfatiguémais,grâceàDieu,ilétaitsainetsauf.Sansmotdire,elleleregardasauteràterre,etmenerBayardauprèsd’unarbreoùilattachasesrênes.Puisilsetournaverselle.

—Giselle,fit-ilavecautorité,viensici!Elles’approchadocilement,etilselaissatombersurungenou,àsespieds.—Aide-moiàenlevermacotte,ordonna-t-ilenlevantlesbrasau-dessusdesatête.Ellesouleva la tuniquedemailleset réussità l’en libérer,maiselleétait si lourdequ’elle faillit

vacilla.Incapabledeletenirpluslongtemps,ellelâchal’habittropencombrantpoursespetitesmains.Commeelletentaitdelerattraper,Eustachel’attiraverslui.

—Laisseça,marmonna-t-ilenresserrantlesbrasautourdesataille.—Messire…Gisellesoulevadoucementleheaume, le laissatombersur lesolavecdésinvoltureetenroulales

doigtsdanslescheveuxdesonmaître.—Messire,vousm’avezsauvéed’unbientristesort.Unefoisdeplus…Ilselevaet,l’enlevantdanssesbrasdanslemêmemouvement,laportaprèsduruisseau,oùilla

déposaavecdélicatesse.—Ilsnet’ontrienfait?demanda-t-ilenprenantsonvisageentresesmains.Tun’espasblessée?Ellesecoualatêteavecunsouriremélancolique.—Laisse-moivérifier!Ilavaitprononcécesparolescommeonchuchoteuneprière.—Déshabille-toipourmoi,Giselle.Jamaisellen’avaitentendusonnomprononcéavectantdeferveur.Sanstrembler,elleôtasarobeet

sachemisepouroffrirsoncorpsnuàsavue.Illadévoraduregardtoutenpromenantreligieusementlesmains le long de ses courbes. Soudain, il s’écarta légèrement pour se débarrasser de ses propresvêtements.Puisilluipritlamainetlaconduisitlentementversleruisseau.Bienqu’unpeufraîche,l’eauétaitdélicieuse;ellelesuivitdebongré.

Après quelques pas, il s’arrêta près d’un grand rocher plat qui émergeait de l’eau et divisait lecourant.Illasoulevasanseffortdanssesbras,s’assitsurlapierreetl’installatendrementcontrelui.LedosdeGisellereposaitsursapoitrinetandisqueseshanchesétroitesétaientnichéesentresescuisses.

—Giselle…

Page 107: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Sontorsepuissantvibraittoutcontreellequandilparlait.—Giselle,tuasfroid?—Unpeu,admit-elledesavoixinfinimentdouce.Ilcollaleslèvrescontresonoreille.—Alors,laisse-moiteréchauffer,murmura-t-il.Elle semit àhaleterdoucement en sentant sesmainsglisserde ses épaules à ses seins, avantde

s’aventurerversl’intérieurdesescuisses.Ilmassaitsapeausoupleencerclesvoluptueux,allumantdanssachairunbrasierpresqueintolérable.Bientôt,desflammesdélicieusess’insinuèrent jusqu’àsonbas-ventre.Lespaupièrescloses,ellefitlentementondulersonbassindegaucheàdroiteetnefutpassurprisede sentir le sexe dur de son amant dans le creux de ses reins. La douce promesse fit courir despicotementsjusqu’àlapointedesesorteils.

Eustachelaissaéchapperunprofondsoupirets’écartapourmieuxcouvrirsesépaulesdebaisers.—Pasencore,machérie,murmura-t-ilavecdouceur.Tudoisapprendrelapatience.Iljoignitlesmains,sepenchapourrecueillirdel’eau,etlafitglissersursoncorpsenfilets.Puisil

frottalonguementsapeau,ladébarrassantavecapplicationdelasaletédesonexpéditionmalheureuse.Giselle poussait de petits cris étouffés et plaintifs à cette sensation de fraîcheur sur sa chair

embraséed’undésirnonencoreassouvi.SescrissemuèrentengémissementsquandEustachecommençaà luicaresser les seins tandisqu’il enfouissait sonautremainentre sescuisses.Elle semità respirerfiévreusement et cambra les reins alors qu’il promenait son pouce sur sa partie la plus intime. Il laramenaprèsdeluipourplaquersoncorpsausienetenfonçaundoigtenelle.Uncrideplaisirjaillitdesagorge.Ilcontinuaàlacaresser,faisantenflersavammentlavaguedesondésir.Lespoingsserrés,elleondulaitcontrelui.

Quandilretirasamain,elleprotesta.Souriant,illafitasseoirsursesgenoux,dosàlui.Aprèsquoiil posa fermement sa paume entre ses omoplates, la poussant doucement vers l’avant pour guider seshanchesjusqu’àsonérection.Avecungémissementrauque,illasaisitparlatailleetl’aidaàdescendresursonsexedressé.Ellel’accueillitavidementenelle,etl’enserraavecardeur.Lesmainsaccrochéesàsesgenoux,ellecommençaàbougerdehautenbas,tandisquelesdoigtsd’Eustaches’enfonçaientdanssapeau,aurythmedesesrâlessourdsetpresquedéchirants.

Commeelle sentait sonplaisir sur lepointd’atteindre sonparoxysme, il se levabrusquement et,toujourscollécontresondos,illaplaçafaceaurocher.Ilmarquaunepausepourluilaisserletempsdes’habitueràcettenouvelleposition.Puis,deboutderrièreelle,ilagrippaitsolidementsonbassin.

Giselleseretrouvapenchéeenavant,lesmainsposéessurlerocher.Ilsereculadoucementet,alorsqu’ellecroyaitqu’ilallaitseretirer,ils’enfonçadenouveauenelle,

écrasantleshanchescontresesfesses.Puis,unefoisencoreils’éloignapourrecommencerdeplusbelle.Ellecriaitdevoluptéfaceàcesassauts.EtquandEustache,sansplusderetenue,semitàalleretvenirfermement, une main posée sur ses reins, l’autre lui caressant les seins, elle renonça à savoir si lesgémissements de plaisir qui se répercutaient en écho étaient les siens ou ceux de l’homme qui lapossédait.Peuavantquesesgenouxcèdentsouslavagued’unintenseplaisir,ellelesentitfrémirenelle.

Encoretremblant,ill’attiracontreluipourl’envelopperdesesbras.Quandlesdélicieuxfrissonssefurentapaisés,ilsregagnèrentlentementlaberge.Ilss’aidèrentl’unl’autreàserhabiller,puisEustacheaccrocha ses armes et son armure à la selle deBayard. Il soulevaGiselle pour la poser en amazonedevantlasellepuisglissaunpieddansl’étrieretsehissalestementderrièreelle.UnefoisGisellebiencaléecontresontorse,ilsreprirentaupetitgaloplecheminduchâteau.

Quand ils arrivèrent en vue de la bâtisse,Giselle s’enhardit à poser la question qui lui torturaitl’espritdepuisunmoment.

—Sais-tusimesparents…Elles’interrompituninstant.

Page 108: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

—Ont-ils…—Ilssontarrivéssainsetsaufsdanslacour,réponditEustache.Ilsseportentbien.—Dieusoitloué!soupira-t-elle.Jesuissoulagée.Ilgardaleregardperdudanslelointain.— Je chargerai dameLessard de trouver un emploi dans les cuisines pour tamère, annonça-t-il

brusquement.Abasourdieparlanouvelle,Gisellesursauta.—Vraiment?—Jenepourraipastegardercommefemmedechambrejusqu’àlafindestemps.Ilavaitrépondud’untonsec.Gisellebaissaleregardsursesmains,lecœurdouloureusementserré.

Sonmaîtres’était-ildéjàlasséd’elle?—Vousnepourrezpasmegarder,répéta-t-ellelentement.Ellerelevalesyeuxverssafortemâchoire.—Vousenprendrezuneautre?—Uneautrequoi?demanda-t-ilenfronçantlessourcils.—Uneautrefemmedechambre…Illaconsidéraavecindulgence.—Encoreune fois, tu te trompes,dit-il avecdouceur.Si jedoisme séparerde toi, cen’estpas

parcequejeleveux.Ledevoirnetarderapasàmerappeler,Giselle.BientôtilmefaudrarepartirpourcombattreauxcôtésdeGuillaumeleConquérant.

—Quand?fit-elle,lagorgeserrée.Quandpartirez-vous?—Jenesaispasencore.Ilreportasonregardsurlechemin.—Maisnousprofiteronsl’undel’autrejusque-là.Le château se dressait devant eux dans le soleil couchant. Giselle se blottit contre le torse

d’Eustache.—Oui,jusque-là,murmura-t-elletendrement.

Page 109: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Chapitre7

CommeEustaches’ensouvenait,unventviolentetglacialbalayait lacôte.Postéà l’oréedesoncamp,ilcontemplaitleseauxgrisesettumultueusesdelaManche,pendantquesapetitetroupes’affairaitàmonter le campement et à allumer un feu.Après quelques jours de voyage, ils étaient enfin prêts àembarquersurlebateauqueGuillaumeleConquérantleuravaitdestiné.

L’affaire de quelquesmois, songea-t-il en passant lamain dans ses cheveux embroussaillés. LesdernièressemainespasséesavecGiselleluiavaientprocuréd’immensesjoies.Lejour,ilspartageaientune douce complicité et, nuit après nuit, ils exploraient ensemble tous les chemins de la passion, ununiversinfinidesensationsquileslaissaientaupetitmatinépuisésetpantelantsdebonheur.L’appeldesarmesétaitsurvenubientroptôt.Asongrandétonnement,sajeuneetdouceamoureuseavaitplutôtbienpris la nouvelle, affichant une expression stoïque, bien qu’un peu triste. Il espérait qu’elle serait bientraitéependantsonabsence,etosaitpenserquelesdispositionsprisespoursafamillel’empêcheraientdesombrerdansledésespoir.

J’aivécuauprèsd’ellelesmeilleursmomentsdemavie,reconnaissait-ilvolontiers.Ilauraittoutdonnépouradmirerdenouveausonvisage,luicaresserlesjoues,l’attirercontreluiets’enivrerdesonodeur.

Maisunavenirbienplussombreetplusbrutal l’attendaitde l’autrecôtéde laManche.BienqueGuillaume ait été proclamé roi à Westminster l’année précédente, il se propageait des rumeurs desoulèvement dans le Kent. En conséquence, le souverain avait éprouvé le besoin de rappeler sesmeilleurssoldatsprèsdelui.

Eustache de Fiennes comptait parmi eux. Incapable de réprimer un soupir, il se retourna vers lecamp. Sa tente était montée, et la viandemise en broche grillait sur le feu. Comme il rejoignait sescompagnons, il vit son palefrenier occupé à bouchonner son cheval. Il l’avait emmené sur lesrecommandationsenthousiastesdesonfrère.Bienqu’iln’aitpasencoreprisletempsdeparleraveccegarçon,iln’avaitmanifestementaucuneraisondemettreendoutesonsavoir-faireaveclesbêtes.Bayard,quis’étaitmontrécapricieuxetombrageuxavectouslesautres,semblaitavoiracceptéimmédiatementcegaminmalingre.Allait-ilêtreassezrobustepoursupporter laduretéleschampsdebataille?Ilétaitsimenuqu’onauraitpuleprendrepourunejouvencelle.

Il s’approcha lentement, observant avec respect le travail appliqué du garçon. Mais, arrivé àquelquespasdelui,ils’arrêtanet.Legarçonfredonnaitunechansondoucetoutenlustrantlarobedesondestrier.

Ilmesembleconnaîtrecetair…,sedit-il.Lesgestesétaientamples,réguliersetgracieux.Jeconnaisbiencemouvementetcettecadence.

Page 110: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Iltraversal’espacequilesséparaitencoreendeuxenjambées,saisitlegarçonparlebras,l’obligeaà faire volte-face et le plaqua contre le flanc de l’animal. Le palefrenier avait des yeux bleus et uneépaissechevelurebrunecoupée trèscourt. Ilavaitun longcougracile,desépaulesétroiteset la taillefine.Etilledévisageaitd’unaircandide.

—Toi!s’exclamaEustache,médusé.Celui,ouplutôtcellequiluifaisaitfacelegratifiad’unsourirepleindemalice.—Ehbien,oui…Lestonalitésétaientmélodieusesetsifamilières!—…c’estmoi.Désemparé,ilposalesmainssursesépaulesetsepenchaverselle.—Maispourquoi?demanda-t-il,presquesansvoix.Pourquoias-tufaitcela,Giselle?— Gérard, corrigea-t-elle en lui tapotant la joue avec un sourire espiègle. Dorénavant, je suis

Gérard,votreécuyer.Illasecouadoucement.—Espècedepetiteidiote!fit-ilaffectueusement.Sais-tuseulementoùtoutcelavatemener?—Parfaitement,répliqua-t-elleavecaplomb.Auprèsdevous,messire.—Tuescomplètementfolle!Démentantsesparoles,sonbrass’enroulaautourdesataille.—Folleàlier!Maisàquoipensais-tudonc?—Mesparentssontàl’abridubesoin,etjen’aiplusrienàfaireauchâteau,murmura-t-ellesous

lesbaisersardentsquipleuvaientsursonvisage.—Etascruquej’allaist’emmener?Toutsimplement?—Connais-tuunmeilleurpalefrenierquemoi?Illalâcha,recula,etlacontemplad’unairfaussementsévère.—Poursûr, tuesincontestablementleplustalentueuxaumonde.Maisj’aimeraisavoirunepetite

conversationavectoidansmatente.Elleluisouritencore,ravie.—Seuls?—Oui,seuls.Al’abridesregardsetdesoreillesindiscrètes.Jeveuxpouvoirt’appelerpartonvrai

nometaussim’assurerquetuesvraimentcapabledesatisfairetouteslesexigencesdel’hommequejesuis.

LebonheurselisaitsurlevisagedeGiselle,dontlesyeuxnequittaientpasuninstantceuxdesonamant.

Eustachesutalorsqu’ilétaitàjamaisconquis,etilcédadebonnegrâceàlamagieensorcelantedesoncharme.Illuirenditsonsourire.

Giselleinclinalatête,ébauchaunerévérenceetritjoyeusement.—Jesuislàpourvousservir,messire.

Page 111: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

TITREORIGINAL:APLEASURABLESHAME

©2012,LindaSkye.©2015,Harlequin.

Tousdroitsréservés,ycomprisledroitdereproductiondetoutoupartiedel’ouvrage,sousquelqueformequecesoit.Celivreestpubliéavecl’autorisationdeHARLEQUINBOOKSS.A.Cetteœuvreestuneœuvredefiction.Lesnomspropres,lespersonnages,leslieux,lesintrigues,sontsoitlefruitdel’imaginationde l’auteur, soit utilisés dans le cadre d’une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, des entreprises, desévénementsoudeslieux,seraitunepurecoïncidence.HARLEQUIN,ainsiqueHetlelogoenformedelosange,appartiennentàHarlequinEnterprisesLimitedouàsesfiliales,etsontutiliséspard’autressouslicence.

83-85,boulevardVincentAuriol,75646PARISCEDEX13.

ServiceLectrices—Tél.:0145824747

Page 112: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre
Page 113: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Chapitre1

Londres,1589

—Onditqu’elleestvierge.Aussichasteetpurequelapremièreneige.—Uneverturare,denosjours…Dans le brouhaha qui régnait à l’intérieur du somptueux théâtre, lord EdwardHartley entendit à

peinelesmotsmurmurésparsonamiRobertAlden.Maisleursous-entenduétaitclair.L’occasiondeprendresarevanches’offraitenfinàlui.Carbientôtla«chasteetpurevierge»qui

étaitassisedanslalogejusteenfacedecelled’Edward,toutenbouclesblondesetyeuxbleusinnocents,seraitl’instrumentdesavengeance.

Ilfitunepetitegrimace.Impossiblede réprimer lesentimentdedégoûtqui l’assaillaitàcetteperspective.Dégoûtpour la

brutequi l’avaitpousséàune telleextrémité,oudégoûtpour lui-même,qui s’abaissait àd’aussivilesmanigances?Cesprocédéscyniquesluiressemblaientsipeu…

Edwardrefoulaaussitôtcetinopportunsursautdeconscience.SirThomasSheldonn’avaitpaseudetelsscrupulesàl’égarddesonpauvrefrère.Ilnefaibliraitpas.

—Ilestfortprobablequecesoitcettepureté,précisément,quiasuscitél’intérêtdesirThomas.—C’estcequ’ondit,approuvaRobert.Bienqu’ilsfussentissusdemilieuxtotalementdifférents,RobAldenétaitl’amid’Edward.Filsd’un

petitnotabledeprovince,acteuretdramaturgeàsesheures,Robfréquentaitsurtoutlesbas-fondsdelaville. Alors qu’Edward, gentilhomme de bon lignage, appartenait à la Cour de la reine Elizabeth etemployaitsestalentsdedanseuretsonhabiletéàlajouteéquestreetàl’épéepourservirlesintérêtsdesafamille.

Mais dans les maisons de jeu, les bouges et les bordels, l’argent n’a pas d’odeur, et les deuxhommess’yretrouvaientaveclemêmeplaisircomplice.C’estlàqueRobavaitapprisquesirThomasSheldon,familierluiaussideceslieux,avaitl’intentiondemeneràl’autellavirginaleJaneCourtwright,unejeunefilletoutjusteâgéedeseizeansqu’onoffraitenpâtureàsesgrossiersappétits.

La fiancée, habituellement recluse dans sa grande demeure familiale, au bord de la Tamise, nefaisait que de très rares apparitions à la Cour. Sa présence au théâtre ce jour-là était tout à faitexceptionnelle.

Ilfallaitluirendregrâce:c’étaitunefortjoliefille.Uneravissantepoupéeauxcheveuxd’or,dontle teint de lys était sublimépar l’écrin bleunuit d’une coûteuse robede velours brodéed’argent. Sesjoues,quipossédaientencore les rondeursde l’enfance,étaient rosesduplaisirdecettesortiedans le

Page 114: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

monde,etsesyeuxbrillaientd’excitationenregardanttouràtourl’actionmenéesurlascèneetleremue-ménagedesbelsgensquiallaientetvenaientàl’orchestre.

PauvrefilledontlerépugnantSheldonneferaitqu’unebouchée!Encoreunevictimeannoncéedel’insatiableconcupiscencedecejouisseurmachiavélique.

— Comment des parents aimants peuvent-ils envisager un tel projet ? s’étonna Rob. Sheldon adépassélesquaranteansetilpèsebiencentcinquantelivresdeplusqu’elle.Ellevapérirécraséelanuitmêmedesesnoces.

—Si ellenemeurtpascettenuit-là, ellemourrade toute façondecemariage.C’est le sortqueSheldonréserveàlabeautéetàl’innocence.Ill’écraseetladétruit.

En disant cesmots, Edward ne pensait pas seulement à l’infortunée JaneCourtwright. Il pensaitsurtoutàsonfrèreJamie,quiavaitétéaussiinnocentquelajeunefille,aussiavidequ’ellededécouvrirlesbeautésetlesjoiesdugrandmonde,etquiétaitmortavantmêmedelesavoirtouchéesdudoigt.

DétruitparSheldon.Poursonbonplaisir.Voilàl’uniquepenséequidevaitoccuperl’espritd’Edward,désormais.Vengerlamémoiredeson

frèredéfunt.Désormais,c’étaitlàsonuniqueambition.Il n’avait pas le temps d’éprouver la moindre pitié pour cette pauvre fille. Il la courtiserait,

séduiraitsoncœurinnocent,puisluitourneraitledossansautreexplication.Elleapprendraitlesduresloisdecetristemonde.CommeJamie.

Etcommelui-même.—L’argent…, reprit-il à haute voix. Il paraît que la famille de la demoiselle est au bord de la

banqueroute.Laréceptionsomptueusequesonpère,lesieurCourtwright,aofferteàlareinecetété,lorsduséjourdeSaMajestéenEcosse,luiacoûtéjusqu’àsondernierpenny.Etiln’enavisiblementpasétérécompensé comme il l’espérait. Nul doute que Sheldon est prêt à payer grassement pour s’offrir lavirginitéd’unejoliefille.

Desesdoigtstâchésd’encre,Robtapotalabalustradedeboisavecunpetitrire.—S’il découvrait que sapromisen’était pasvierge, il deviendrait fou furieux.LamèreNan, au

bordeld’enface,ditqu’ilneveutquedejeunesputains,aussiviergesqu’àleurnaissance.Oudumoinsquisaventfairesemblant.Ilpaieenbellespiècesd’or.

—Etpourlavirginitéperduedesonépouse,ilnepourrapass’empêcherd’allerjusqu’auduel.LeregardbleudeRob,toujoursposésurlajeunefille,serétrécitsoudain.—Jevoisoùtuveuxenvenir.Mais,monami,es-tusûrd’avoirlecrandefaireunechosepareille?

Ilyalongtempsquetudressestesfilets,jelesais,attendantpatiemmentquel’occasionseprésente.Maisjeteconnais.Tun’espasSheldon.

Edwardeutunrireâpre.—Ilestvraiquejenepartagepassongoûtperverspourlesjeunestendrons.MaisSheldonnepaie

pas uniquement pour la virginité de la fille. Il paie surtout pour la réputation qu’elle en a. Les bruitscourentviteàLondres,tulesaisaussibienquemoi.JenecomptepasvéritablementtoucheràlajeuneJane,Rob.JeferaiseulementensortequeSheldonlecroit,s’entrouvehumiliéauxyeuxdumonde,etsecroitobligédemeprovoquer.Alors,nousnousretrouveronsfaceàface.Enfin!

—Et tu le ridiculiseras devant tout lemonde, enmettant à terre sonhonneur auquel il tient par-dessustout.

—Exactement.DepuislamortdeJamie,Edwardnevivaitplusquepourcettevengeance,àlaquelleilconsacrait

toutessespensées.Laviequotidiennen’avaitpluslamoindreimportance.Ilsentaitlesjoursglissersurluietmenaitsaviecommeunpâlefantôme.

Robopinaduchef.

Page 115: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

—Tuesparfaitementdanstondroit,etceuxquiconnaissentlestenantsetlesaboutissantsdecetteaffairenepourraientteblâmer.

— Pendant toutes ces années, il a su se draper dans unmanteau de respectabilité.Mais tout lemondeapprendraenfinquiilestvraiment.

—Méfie-toi,monami.Ici,àSouthwark,toutlemondeconnaîtsaduperie.Enduelaussi,ilseraitcapabledetricher.S’ilvenaitàtetuer…

—Ceseraituneissucommeuneautre.Jeneseraisplusdecemonde,danslequel j’aurais laissémes tristes tourments.Et, plus ennuyeuxpourSheldon, la reine lui envoudrait furieusementde l’avoirprivéedel’undesescourtisansfavoris.

—Del’undesplusdécoratifs,tuveuxdire.Edwardrit.—Net’inquiètepas,vieuxfrère.Ilnem’aurapas.Jesuisplusjeuneetplusfortetilyalongtemps

que jem’entraîneenvuedecette échéance.Ce seraunduel aupremier sang. Jemecontenterai d’unelargeestafiladesursavastebedaine.Unefoisdisgraciéparlareine,ilirasecacheràjamaisaufinfonddesesterres.Et,crois-moi,c’estcequipourraitarriverdemieuxàcettepauvrejeunefille.

Robopinaduchef,maisEdward lisait ledoutedans lesyeuxde sonami.LesméthodesdeRobétaient certainement beaucoupplus expéditives.Unequerelle d’ivrognes dans une taverne, un coupdepoignard au fond d’une ruelle sombre, et l’affaire était classée. Mais ce n’était pas la voie qu’ilenvisageait.EdwardvoulaitquetousconnaissentlevraivisagedeSheldon.EtJaneCourtwrightétaitleplussûrmoyendeparveniràsesfins.

Soudain,Robassenasurlabalustradeunfurieuxcoupdepoing.—Bonsang!Cefichuvaletaencoreesquintématirade.EthanCamp,lebouffondelatroupe,sepavanaitsurlascène,déclamantundiscoursàsafaçonau

lieuderécitersonrôle.RobseruahorsdelalogeenclaquantlaportederrièreluietEdwardseretrouvaseulencompagniedesessombrespensées.

Soudain, dans la loge d’en face, unemain gantée se posa sur le bras de Jane, attirant l’attentiond’Edward.C’étaitunefemmejeune,bienqu’unpeuplusâgéequeJane,vêtued’unerobeenveloursgrisrehaussédenœudsen satindoré, simplemais admirablement coupée.Ses cheveuxauburn, rassemblésdansunfilet,étaientcouvertsd’uncoquetchapeaudesatingris.

Danslapénombre,sonvisagen’étaitqu’unpâleovaleauxpommetteshautes,piquéesdequelquestachesderousseur.Sesyeuxnoisette,sagacesetpleinsdevie,fustigeaientsajeunevoisined’unregardréprobateur.Ellechuchotaquelquechoseàsonoreilleetcelle-cicessaaussitôtdes’agitersursonsiège.

Dieuduciel!C’étaitladyElizabethGilbert,quichaperonnaitlapetiteoieblanche…Voilà qui était fâcheux. Avec un tel parangon de vertu pour chaperon, comment allait-il pouvoir

approchersaproie?IlavaitrencontréàplusieursreprisesladyElizabethàlaCour.Filled’uncomteetveuved’unriche

baron, elle faisait partie des dames d’honneur de la reine. Elle était si belle que de nombreuxgentilshommess’étaientefforcésde seglisserdans son lit. Ilsn’avaient reçupour toute réponsequ’unrefussec,agrémentéencasdeprivautéd’unbonsoufflet.Voire,pourlesplusinsistants,d’unsolidecoupdegenoudanslebas-ventre.

Endépitdesongrandpouvoirdeséductionsurlagentmasculine,ladyElizabethGilbertétaitaussiinaccessiblequelaplusredoutabledesplacesfortesduroyaume.Etmalgrél’indéniableattirancequ’iléprouvaitpourunsibeaugibier,ilyavaitbeautempsqu’Edwardavaitrenoncéàsaconquête,faisantlechoixdesauvegarderlapartielaplusprécieusedesonanatomie.

Etvoilàqu’elles’offraitàsavue,encompagniedeJaneCourtwright !Nuldoutequ’ellemettraitautantd’énergieàpréserverlavertudesajeuneprotégéequ’elleenconsacraitàgarderlasienne.C’étaitunobstacledetaille,qu’iln’avaitpasenvisagé.

Page 116: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Acemomentprécis,leregardperçantdeladyElizabeth,parcourantlasalle,rencontralesien.Lesyeuxdelajeunefemmes’agrandirentalors,maisellenedétournapastoutdesuitelatête.Unbrefinstant,ilputvoirsonvisageaunaturel,sanssacoutumièreexpressiondedédainglacé.C’étaitdélicieux…Maiselledus’enrendrecompte,carsesjouesrosirentlégèrementetseslèvress’entrouvrirent.

Unefractiondeseconde,àlavuedeceslèvrespulpeusesdontlasensualitécontrastaitsifortavecl’airrevêchedelajeunefemme,Edwardfuttraverséparl’envieirrésistibledelesembrasser.Decapterdesaboucheavidelachaleurdesonsouffle,etdeserreravidementcontreluicecorpsdéliéauxcourbesvoluptueuses.Onnel’ytrompaitpas.Uneapparenceaussifroidenepouvaitquerecélerdestrésorsdepassioncontenue.

Puis le visage de la jeune femme retrouva sonmasque froid et inexpressif. Son regard redevintréprobateur.

Ellelesaluad’unbrefsignedetêteetreportasonattentionailleurs.JaneCourtwright,quivoulaitsavoircequiavaitattirél’attentiondesachaperonne,sepenchapourmieuxvoir.Edwardluiadressaunlent sourire admiratif, ce sourire qui exerçait infailliblement sa magie sur les dames de la Cour.Rougissante,Janegloussa,aussitôtrappeléeàl’ordreparunepetitetapesurlebras.

Ilavaitmarquélepremierpoint.Maiscontretouteattente,s’imposaàluil’étrangesentimentquecen’étaitpasJaneCourtwrightqu’ilavaitenviedeséduire.

Page 117: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Chapitre2

—TanteBess,quiestcethomme?Lady Elizabeth Gilbert, le regard obstinément fixé sur la scène, s’efforçait d’ignorer l’élégant

gentilhomme assis en vis-à-vis qui les dévisageait ostensiblement. Tout son corps frémissait de cetteattention.Ellesentaitquasimentsursapeau,commeunchaudsoleild’été,labrûluredecesyeuxgris.Illuifallutfaireappelàtoutesavolontépourgardersaposturealtière,assiseledosbiendroitdanssonfauteuil.

Maispeut-êtreétait-ceJanequi retenaitainsi l’attentiondubelEdward?Partoutoùellepassait,sansmêmeenêtreconsciente,sabelleetdoucenièceattiraittoujourslesregards.C’étaitsansdoutelaraisonpour laquellesamère, la sœurd’Elizabeth, lagardait laplupartdu tempsconfinéechezelle. IlavaitfalluàElizabethtoussestalentsdepersuasionpourobtenirl’autorisationdel’emmenerauthéâtre.Janeavaitseizeans,maintenant.Elleavaitbesoind’unpeudedistractionavantd’êtreprécipitéedanslesliensdumariage,commeelle-mêmel’avaitétéaumêmeâge.

Elizabethretintunsoupir.Pourelle,Dieumerci,lecauchemarétaitfini.Elleavaitvingt-cinqansàprésent, et cela faisait deux ans qu’elle était veuve.Les épreuves de Jane, quant à elle, n’avaient pasencorecommencé.Pauvrepetite…

—Dequelhommeparles-tu,Jane?dit-ellequandellefutsûrequesavoixnetrembleraitpas.EdwardHartley,cedébauché,produisaittoujoursceteffetsurelle.—Cethommequiestlà,danslalogeenfacedenous,biensûr.Celuiquinecessedeteregarder.

Sonpourpointestmagnifique.Toutlemondeest-ilainsivêtuàlaCour?—Laplupartdescourtisans,oui.EtsurtoutlesrichespetitscoqscommeEdwardHartley.—EdwardHartley?Est-celàsonnom?—LordEdwardHartley.IlestlefilsducomtedePensworth.—Uncomte?Etbeaucommeunsoleil!LesyeuxdeJane,habituellementaussibleusetlimpidesqu’uncield’été,s’aiguisèrent.— Il semblevous admirerbeaucoup, tanteBess. Il vousdévoredesyeuxcommes’ilmourait de

faimetquevousétiezunesucculentepiècedebœuf.—Vraiment?Elizabethdutprendresurellepournepasvérifierlesdiresdesanièce.—Ilregardeainsitouteslesfemmes,dit-elleavecindifférence.C’estl’undesséducteurslesplus

notoiresdupalais.—C’estvrai?Oh!Commej’aimeraismerendreàlaCourpourvoircelaparmoi-même.—Ons’ennuiebeaucoupàlaCour,Jane.Iln’yarienàfairedetoutlejourquelireoujoueraux

jeuxdesociété.Amoinsqu’onaimelescommérages.

Page 118: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

OnpouvaitaussiperdresontempsàcontemplerEdwardHartley,ajoutaElizabethpourelle-même.Asoninsu,biensûr,nuln’étantbesoind’ajouterencoreàsavanité.TouteslesjeunesbeautésdelaCourtournaientdéjàautourdeluicommedesmouchesautourd’unpotdemiel.Uneveuve,jeunemaisréputéepoursasagesse,n’allaitpasserendreridiculeenenfaisantautant.

Cecidit,pouvait-elleprétendresesentirsagequandEdwardétaitdanslesparages?Despenséescoupablesl’assaillaientaussitôt.Queleffetcelaluiferait-ild’avoirunhommecommeluidanssonlit,aulieuduvieuxbarbonquinteuxquiluiavaittenulieudemari?Qu’éprouverait-elleenbaisantcetteboucheaudessinferme,encaressantcettepeaulisseetbrune…Unseuldesessouriresinsouciantssuffisaitdéjààlafairesepâmer.

Etpuis…lesdamesdelaCour,àmi-voix,netarissaientpasd’élogessursestalents.Glissant un coup d’œil prudent sous le rebord de son chapeau, Elizabeth regarda l’objet de ses

pensées.Ilavaitreportésonattentionsurlascèneetelleputl’observerunmoment.Dansunendroitoùlaconcurrenceétaitpourtantsévère,ontenaitEdwardHartleypourl’undesplus

beauxspécimensdebeautémasculineduroyaume.Etcen’étaitpaspour rien.Lesépaischeveuxbrunsdu jeunehomme,qui retombaientenboucles

vigoureusessurlehautcoldesonpourpointdesatinrougeetor,encadraientunvisageharmonieux,toutenméplatsetanglesénergiques.Unebarbenaissanteombraitsesjouestannéesparlavieaugrandair,formantuncontrasteseyantaveclaperled’unblanclaiteuxsuspenduecoquettementàsonoreilledroite.Quantaurayondesesyeuxgris,ilvousfigeaitinstantanémentsurplace.

Avec ses larges épaules et son torsemusclé,malgré son pourpoint coupé à la dernièremode, iltenaitmoinsducourtisanqueduguerrier.

Unguerrierquinéanmoins,selonlarumeur,maniaitàravirl’artdenoueretdénouerdesliaisons,passantplusdetempsdanslachambredesdamesquesurleschampsdebataille.

Maisquellesquesoientlesfantaisiesquiluitraversaientlecerveau,Elizabethn’avaitquefairederomances.Encoremoinsavecunhommeassezexpertdanslesjeuxdel’amourpourenjouirsansjamaiss’engager.Certes, sonmariage avait étéun tel désastrequ’ellen’aspirait plusqu’à la libertédu cœurcommeàcelledel’esprit.Maisellenevoulaitpassesentirmanipulée.

Amoinsque…Peut-êtreavait-elledroitdeconnaîtrelapassionsanslemariage.Avecunpeudeprudence…Non.Toutcelan’étaitpaspourelle.PasavecunhommecommeEdwardHartley,entoutcas.—Commentpourrait-ons’ennuyeràlaCour,tanteBess?s’exclamaJane.Lajeunefilleregardaitlascèned’unœilébloui.Lebouffonavaitététraînéderrièreledécorparungrandéchalasfuribondetremplacéparuncouple

de jeunesamoureuxdont lafuguemarquait ledébutde l’action.Enlacés, lesyeuxdans lesyeux, ilssejuraientunamouréternel.

Elizabeth eut un petit haussement d’épaules. Jolie intrigue,mais tout ceci ne pouvait quemal seterminer.

—Cen’estpasparcequetuasentenduparlerdebalsetdefêtesquetudoiscroirequ’ilenesttouslesjoursainsi,Jane.D’ordinaire,àlaCour,onessaiesurtoutdetuerletemps.

Etc’étaitsansdoute,poursuivit-elleinpetto,laraisonpourlaquelleelle-mêmerêvassaitàproposd’Edward Hartley. Elle s’ennuyait. Elle avait besoin de distractions : rénover sa maison de fond encomble,rencontrerd’autresgens…UnvoyageenItalie,peut-être.

—Entoutcas,cen’estcertainementpasplusennuyeuxquederesterclaquemuréechezsoi,insistaJaneenfaisantlamoue.Iln’yastrictementrienàfaire,personneàquiparler.Heureusementque…

Janes’interrompit,rougecommeunepivoine.—Heureusementquequoi?demandaElizabeth,prised’unsoupçon.Janen’étaitpaslegenredejeunefilleàfairedesbêtises.Maisàforcederestercloîtrée…

Page 119: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

—Riendutout,tanteBess,repartitJanevivement.Regardonslerestedelapièce,veux-tu?Jesuiscurieusedesavoirquelplancethorriblebarbonaconcocté.

Elizabethopinaduchef.Maiselleétaitbiendécidéeàsavoirdequoiilretournait.Pasquestiondelaissersatendreetjolieniècecourirau-devantdesennuis.

Ellejetaunnouveauregarddanslaloged’Edward,maisilétaitparti.Elleenéprouvauncurieuxdésappointement.S’accoudantàlabalustradeavecunsoupir,elleseconcentrasurcequisepassaitsurlascène.Après tout,elleavaitbienassezd’occasionsde levoirà laCour,sepavanantaumilieudesesdamesdecœur,passéesetàvenir.

Elle finit par se laisser absorber par le spectacle. L’intrigue de cette nouvelle pièce du déjàrenommépoèteetdramaturgeRobertAldenétaitpleined’inventionetdedrôlerie.Etparfoisaussid’unetristesse à vous arracher des larmes. Pour un moment, elle en oublia presque l’existence d’EdwardHartley.

Dumoinsjusqu’àcequ’ellesseretrouventdansl’étroitescaliermenantverslasortie,tentantdesefrayerunpassagedanslafouledesspectateurspressésdequitterleslieux.Quelqu’unmarchasurlebasde sa robe et la fit trébucher. Prise d’une soudaine panique, Elizabeth lança les mains en avant,s’efforçantdetrouverunappuicontrelemur.

Maisaulieuducontactrâpeuxdelabrique,ellesentitcontreellelefrôlementd’uncorpsfermeetchaud qui la retint de justesse de tomber. Des bras vigoureux s’enroulèrent autour de sa taille et, lasoulevant,l’emportèrenthorsdelamêlée.

Lesoufflecoupé,Elizabethsetrouvaemprisonnéecontrelaparoideboislissed’unelogeprivée,sesbrasautourducoud’uninconnu.Danslapénombre,elledistinguaitàpeinelestraitsdesonsauveur,àdemidissimulésparlesplumesd’unfierchapeaubrodédeperles.L’hommelaportaittoujours,commesiellenepesaitpasplusquel’undesornementsdesacoiffe.

—Merci,monsieur,souffla-t-elle.Leursregardsserencontrèrentetcefutcommesiunéclair, traversant le toitdechaume,pénétrait

jusqu’àlamoelledesondos.EdwardHartley!C’étaitEdwardenpersonnequilaserraitcontrelui,soncorpsmuscléplaquécontrelesien.Danssonvisagehâlé,sesyeuxgrisbrillaientcommedeuxjoyaux.

Pareilleàl’oiseauposésurlebordd’untoit,lesailespalpitantes,prêtàs’envolerdanslecielouàplongersurlesol,Elizabethhésitait.Ellenepouvaitdétournersonregarddeceluidesonsauveur.L’airautourd’euxcrépitait,commetraverséd’ondesmystérieuses.

Puisuncalmeétrangeenvahitl’étroithabitacle.Lesmainsd’Elizabethglissèrentmalgréelledans l’épaisseurdescheveuxde soncompagnon.La

finepeaudesesgantss’accrochaautissurebrodéducoldesonpourpointd’oretd’écarlate,rencontralapeaunueettièded’uncouvigoureux.

Leregardd’Edwardserétrécit.Ellevitunmusclejouersursamâchoire.Luiaussisemblaitretenirsonsouffle,enproieàlamêmeémotion.

Lentement, très lentement, il la reposa sur ses pieds, la serrant toujours contre son torse dans latouffeurdelaloge.Elleétaittouteenveloppéeparsonodeur,puissantmélangedesparfumsluxueuxquiimprégnaientsapeauetducuirdontétaitfaitleharnachementdeseschevaux.

Levisaged’Edwardsepenchasurlesien,labouchecontractée,commes’ils’efforçaitdelutter,envain,contreuneviolentepulsion.Danscet instanthorsdu temps, ilssemblaient irrésistiblementattirésl’unversl’autre.

Leslèvresdesoncompagnoneffleurèrentlajoued’Elizabethet,avecunsoupir,elles’abandonnacontrelui,lesyeuxclos.

—TanteBess?Oùes-tu?crialavoixdeJanedepuislecorridor.Cefutcommeunedouchefroideaumilieud’unrêvesensuel.Elizabeths’arrachaauxbrasd’EdwardHartley

Page 120: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

—Tousmesremerciements,Milord,chuchota-t-elled’unevoixrauque.Etelleseprécipitaversl’escalier,lesjambestremblantes.—TanteBess!appeladenouveaulavoixdeJanedepuisletournantdesmarches.EtElizabeth secoua la tête, commeun animalde la forêt qui vient de sedélivrer d’unpiège.Ne

dirait-on pas que je me comporte comme l’une de ces pauvres écervelées qui peuplent la Cour !murmura-t-elleentresesdents.

Elledevaitabsolumentseressaisir.—Jesuislà,Jane.Elleseprécipitadansl’escaliermaintenantquasidésertet,prenantsanièceparlamain,l’entraîna

danslaviveclartédujour.TouteslesodeursdeSouthwark,remuglesmontantdesrigolesmêlésàl’odeurpiquantedelafumée

s’échappantdestoitsetauxsenteursfortesdelafoule,parvinrentpresqueàeffacerlesouvenirducorpsd’Edwardpressécontrelesien.

Presque.

***

Edward, lesyeux fermés, écouta lespasd’ElizabethGilbert s’éloigner, les sensaiguisés, commepourmieuxseconcentrersurlafemmequ’ilavaitétreinteuninstant.Iltendaitl’oreillepourpercevoirlebruissementdusatindesarobe,leclaquementdesestalonssurlesmarchesdebois,lelégerhalètementdesonsouffle.

Ilretenaitprisonnierdanssesnarinessonparfumlégercommeunairdemusique,ilsentaitencoresa tailleminceployer entre sesmains.Et soncorps à lui était durd’undésir contenu, réclamant avecforcedegoûteràl’intimitédecebeaucorpsdefemme.

Edwardpoussaunjuron.Detouteslesbeautésprésentesdanscethéâtre, ilavaitfalluquecesoitElizabethGilbertquiluitombedanslesbras!

Lepireétaitqu’elleavaiteuenviedelui,elleaussi.Aumoinspendantlebrefinstantoùelleavaitoubliéquielleétait.Etsurtoutàquielleavaitaffaire.Ilavaitvucroîtredanslaprofondeurlumineusedesesyeuxlaflammedudésir.Ilavaitsenticedésirdanslamanièredontlecorpsdelajeunefemmes’étaitabandonné,dontsabouches’étaitentrouvertequandelleluiavaitoffertsonvisage.

—Dieuduciel!murmura-t-ilenfrappantviolemmentlemurduplatdelamain.Soncorpsétaitencoresiembraséqu’ilsentitàpeinel’impact,etencoremoinsladouleur.Commentlabeautédecettefemmenes’était-ellepasencoreimposéeàlui?Commentn’avait-ilpas

pressenti,derrièrecettefaçadesifroideethautaine,lesardeursdontelleétaitcapable?Bonsang !Cen’étaitpas lemomentde se laisseralleràcegenrededistraction.Pasmaintenant

qu’ilétaitsiprèsdubut.Qu’ilallaitpouvoirenfinvengersonfrère.—Tevoilà!s’exclamalavoixdeRobdanssondos.PrêtàrendreunepetitevisiteàlamèreNan?

Onditquesanouvellerecrue,unefriponnequinousvientd’unportdelacôte,seraitcapabled’assécherlaTamise.

Edwardseretournaverssonamiavecunsourire.Voilàquiétaitintéressant.Exactementlegenredenouvellecapabledechassersesrêvasseriesàl’endroitd’ElizabethGilbert.

LamèreNansavaittoujoursrecruterlesplusjoliesfilles.Etlesplusexpertes.Maislevisagedélicatd’Elizabethcontinuaitàhantersonesprit.Elleétaittoujourslà,commesielle

l’attendait.AucuneputaindeSouthwarknepourraitdonnerlechange.—Uneautrefois,Rob,dit-ilensortantdelaloge.J’aiquelquesdispositionsàprendre.

Page 121: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Chapitre3

—Maintenant,Jane,tuvasmedirecequetucomplotes.Elizabethregardasaniècesetortillersurlabanquettedeleurvoiture,leregardfixésursesmains

gantées.—Je…jenevoispascequetuveuxdire,tanteBess.—Oh!machère.Jet’enprie.Tumensterriblementmal!s’exclamaElizabethenriant.Onvoyaitbienque saniècen’avaitpasencoremis lespiedsà laCour,où les faux-fuyants et la

duperieétaientdevenusunartautantqu’unpasse-temps.Jamaisonn’ymontraitsesvéritablessentimentssouspeined’êtreimmédiatementanéanti.Elle-mêmeavaitappristrèstôtàseréfugierderrièreunmasqued’impassibilité. Sans cet entraînement, elle n’aurait pu dissimuler le tourbillon d’émotions qu’avaitsuscitéenellesarencontreavecEdward.

Mais,toutaufondd’elle,elletremblaitencore.—Parle-moifranchement,machérie.Quelquechosenevapas?Lajeunefilleéclataensanglots.—Oh!tanteBess.C’estlachoselaplusterriblequisoit!Alarmée, Elizabeth prit la main de sa nièce qu’elle étreignit affectueusement. Elle dont l’union

n’avaitpasétébéniepar lanaissanced’unenfant laconsidéraitquasimentcommesaproprefille.Ellel’aimaitsincèrementetl’idéequ’ellepuisseêtremalheureuseluiserraitlecœur.

—Es-tusouffrante?Janesecouanégativementlatête.—Jecroisquejepréféreraiscela.Jesuisamoureuse!Elizabeth rit de soulagement.Mais sa nièce avait l’air simalheureuse qu’elle sut aussitôt que sa

réponseétaitincomplète.—Oh!C’esttout?Maisiln’yalàriendegrave.—Rien de grave, dis-tu ?Mais c’est absolument terrible ! gémit la jeune fille en se tordant les

mains.Mesparentsinsistentpourquej’épousesirThomasSheldon.Jamaisilsnem’écouterontquandjeleurdiraiquejemesuisdéjàpromiseàWalter.Lasemainepassée,ilsm’ontcontrainteàassisteràundînerdefiançailleschezsirThomas,etc’étaitépouvantable.

SirThomasSheldon!Lesangd’Elizabeths’étaitfigédanssesveines.Non,mêmesonsinistrebeau-frère ne pouvait être aussi cruel. La tendre petite Jeanne, mariée à Sheldon ? C’était l’un desgentilshommes lesplusdébauchésdeLondres,parmi lespluscalculateurset lespluspervers,mêmeàl’aunedelaCour.Ilavaitruinéplusd’unevieinnocenteetdérobéplusd’unefortune,avaitépousédeuxfemmes,mortes toutes lesdeux, selon la rumeur,du faitdesesabus.Mais ilétait intelligentet ruséetn’avaitjamaispuêtreprislamaindanslesac.Etsagrandefortuneétaitlemeilleurdesboucliers.

Page 122: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Non,Janenepouvaitépouserunpareilmonstre!Sanièceavaitraison.C’étaitterrible.—Pourobtenirmamain,sirThomasaoffertbeaucoupd’argentàmesparents,murmura la jeune

filleavecunpetitreniflement.EtWalter…Elizabethtournabrusquementlatête.—QuiestWalter?UneexpressionradieuseremplaçaledésespoirsurledouxvisagedeJane.Ellesourit.—Ils’appelleWalterFitzsimmons.Oh!TanteBess,c’estl’hommeleplusmerveilleuxquisoit!Il

est le neveuduvicomteCarrick et occupeunbon rangdans la société. Il possède ses propres terres,mêmesi,biensûr,sarichessenepeutêtrecomparéeàcelledesirThomas.J’airencontréWalterdanslesboutiquesduStrand,unjouroùmèrem’aautoriséeàsortiravecmagouvernante.Et,depuis,nousnousrencontronsensecret.Ilestsicharmant,tanteBess!Etsigentil!Ilveutm’épouseretjesaisquenousseronsheureuxensemble.

—Maistesparentss’yopposent?—Jeneleuraiencoreriendit.Detoutefaçon,ilsnem’écouterontmêmepas!S’effondrantcontrel’épauledesatante,Janepoursuivitdansundiscourshachéparlessanglots:—WaltervabientôtpartirpourunlongvoyageenFranceetenItalie,quesesparentsluiimposent.

Et,certainement,letempsqu’ilrevienne,jeseraidéjàmariée.Oh!TanteBess…Quepuis-jefaire?Elizabethtapotaaffectueusementlajouedesanièce.—Chut,petitefille,nepleurepas.Nousallonstrouverunesolution,jetelepromets…—Maiscommentcelapourrait-ilsefaire?Sij’épousesirThomas,jesaisquejemourrai.Lafaçon

dontilmeregardeesttellementrépugnante…Elizabethneserappelaitque tropbiencequec’étaitqued’avoirseizeans,d’êtreunejeunefille

pleinederêvesetd’espoirsromanesques.Etdevoirsoudaincesrêvesanéantisdanslelitd’unvieillardaucorpsosseux,auxmainsbrutales,ausoufflenauséabond.Celavoustuaitàpetitfeu,aussisûrementquele pire des poisons, éteignant une par une les étincelles de votre âme jusqu’à vous plonger dans deglacialesténèbres.

Elle,ellen’avaitpaseulachanced’avoirunWalterpourl’épauler.Elleavaitdûnecompterquesurelle-même.Etelleavaitsurvécu.MaisJanen’étaitpasfaitedelamêmeétoffe.EtThomasSheldonétaitparticulièrementredoutable.

Elizabethétreignitsanièceplusétroitement,soncerveaufonctionnantàtoutevitesse.MêmesielledevaitaffronterlahargnedelaCourtoutentière,ellesauveraitlajeunefille.

—Tudisque le jeuneWalterdoitpartirbientôtpour le royaumedeFrance?s’enquit-elled’unevoixlente.

—Oui,danslasemaine,murmuraJane.—Et jesupposequ’ildisposed’aumoinsdeuxpasseports,unpour lui-mêmeetunautrepourun

serviteur?Janeseredressa,lespaupièresbattantes.—Oui,jecrois.Dans l’esprit d’Elizabeth se formait un plan digne desmeilleures intrigues de ce théâtre qu’elle

affectionnaittant.Unplanpleind’audace,dangereuxmême,maisquipouvaitréussir.—Alors, écoute-moi attentivement, Jane, articula-t-elle, saisissant sa nièce par les épaules pour

mieuxplongersonregarddanslesien.Jevaispersuadertamèredeteconfieràmoipourdeuxjours,sousleprétextedefairedesachatspourtesnoces.Rassembletoutcequetupeuxd’argentetdebijoux.Nousdevrons te trouver leshabitsd’un jeunepage.EnvoieunmessageàWalteretdis-luidese tenirprêtàpartirdèsqu’ilenrecevral’ordre.

***

Page 123: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

—J’aidesnouvelles,vieuxcomplice!déclaraRobAldend’un tonsatisfaitenseglissantsur lebancdelatabled’auberge,envis-à-visd’Edward.Grâceàundomestiquedemesamisquitravaillepoursonpère,jeconnaischacundesfaitsetgestesdeladonzelle.Ellevarendrevisiteàsatantequidisposed’unemaisonsurleStrand.Uncarrosseaétécommandé.

—Partouslessaints,Rob,maistuconnaistoutlemondeàLondres!s’exclamaEdwardenservantàsonamiunpleingobeletdelabièrequ’ilétaitentraindeboire.

Robrit.—Unhommedansmapositionabesoind’entregent,d’oùqu’ilvienne.Maintenant,àtoidejouer.Edward avala une longue gorgée de la bière grossière qu’on lui avait servie.A lui de jouer, en

effet!Celafaisaitsilongtempsqu’ilattendaitcemoment.Maintenant,iln’avaitplusqu’àagir.—LatantequihabitesurleStrand,neserait-cepasElizabethGilbert,parhasard?—Celle-làmême.Laconnaîtrais-tu?Pas de la manière dont il aimait connaître les jolies femmes, malheureusement. Il se souvenait

encorede leurbrève étreinte au théâtre, du corps frémissant de la jeune femmecontre le sien, de sonregardbrillantpendantcebrefinstantoùelleavaitbaissésagarde.

Allons,ildevenaitridicule!Pourressasserunsifugitifinstant,ildevaitêtreenmanqued’aventuregalante!

—Ilneserapasfaciledetrompersavigilance,dit-ilpourtouteréponse.—Undragon?—Etdespires.Lesflammesluisortentlittéralementdesyeuxetdesnarines.—Eh bien, nul n’est besoin de l’affronter directement, suggéraRob.Moyennant quelques livres

sonnantesettrébuchantes,monamiselaisseraaisémentconvaincredeprendrelaplaceducocher.Ilsuffitqueladameenquestiondescendelapremièredesavoiture,oùqu’elles’attardedansuneboutique…

Edwardretintunéclatderire.Ilavaitlaréputationbienétabliedemenerrondementsesaventuresamoureuses, sans trop d’égards, mais jamais il n’aurait pensé en venir à kidnapper une jeune fille.L’essaimdecandidatesquitournoyaientautourdeluiétaitsuffisammentdensepourqu’iln’aitjamaiseubesoind’untelstratagème.

Mais il irait jusqu’auboutde lamissionqu’il s’était imposée.Ainsi seulementsonfrèrepourraitreposerenpaix.

Enfin.—Rob,dit-ilenadministrantunetapeaffectueusesurl’épauledesonami,tuesdécidémentleroi

del’intrigue!

Page 124: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Chapitre4

Elizabethrabattitlecapuchondesonmanteausursesépaulesetregardaparlaportièreducarrosse.Profitant de lamarée du soir, le bateau qui emportait Jane et son jeune époux vers leur nouvelle vies’éloignait lentement sur le fleuve en direction du large. Quand les parents de la jeune filles’apercevraientdesadisparition,elleauraitdepuislongtempstrouvérefugeenterredeFrance…

Etsonmariageseraitconsommé.Quant à Elizabeth, elle aurait à ce moment-là retrouvé sa place à la Cour, en toute innocence.

Commentpourrait-onlasoupçonnerdequoiquecesoit?—Cetteenfantnousatousbernés…,chuchota-t-elledesontonlepluschoqué.Puis elle éclata de rire et envoya un baiser en direction du navire qui filait maintenant vers

l’horizon.—Bonneroute,madouce,ajouta-t-ellepourelle-même.Etsoisheureuse.EllerepoussasouslesiègelepetitpaquetdedocumentssolidementficeléqueJaneluiavaitconfié

et lebloquadesesdeuxpieds. Janeavaitbrièvementexpliquéqu’elleavaitdérobécespapierssur lebureaudesirThomaslorsdel’affreuxdînerdefiançaillesetqu’ilsétaientdelaplushauteimportance.Direquesachèrenièceétaitprêteàserésoudreauchantage,pournepasépousercetristesire.Ellenemanquaitpasderessources!Maisàdirevrai,Elizabethétaittropfatiguéepours’yattardermaintenant.Ellegardaitcesrévélationspourplustard.

S’abandonnantcontreledossierdelabanquettedevelours,ellefermalesyeuxetselaissabercerparlessecoussesrégulièresdesavoiture.Cesderniersjours,entièrementconsacrésàl’organisationdela fuite de Jane, étaient passés dans un tourbillon. Et ce n’est qu’une fois sa niècemontée à bord dubateaude la libertéqu’elleavaitenfincruausuccèsde leurplan.Maintenant, JaneetsoncherWalterétaientsaufs.

Etelle,elleétaitépuisée.Dehors, la nuit était tombée et elle aurait dû être déjà sur le chemin du retour. La maison lui

semblerait terriblement calme,maintenant que Jane n’était plus là. Elle n’aurait plus à son côté cettedoucecompagne,siviveetdivertissante.Elleseraitdenouveauseule,etpourlongtemps.Savieseraitterriblementcalme.

Etaffreusementennuyeuse.Soudain, un coup sourd retentit au-dessus de sa tête et le carrosse tangua sur ses hautes roues.

Surprise,Elizabethouvritlaportièreetregardadehors.—Toutvabien?appela-t-elleendirectiondelasilhouettemassiveducocher,emmitouflédanssa

houppelande.—Toutvabien,milady,marmonnal’hommed’unevoixsourde.

Page 125: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

—Ehbien,rentrons,danscecas.Elle se laissa aller de nouveau sur la banquette tandis que la voiture s’ébranlait. Et, lentement

balancéepar lemouvementdu carrosse, elle tombabientôt dansun état dedouce léthargie.Elle avaitperdutoutenotiondutemps,rêvassantsansbut,quandunbrusquecahotluifitouvrirlesyeux.Soulevantlerideaudesatin,ellescrutalanuit.Seulesleshautessilhouettessombresdesarbres,découpéescommeauciseauparunrayondelune,bordaientlaroute.Pasdemaisons.Aucunelumière.Personne.

Seigneur,ilsn’étaientplusàLondres!Une peur panique étreignit le cœur d’Elizabeth. Etait-on en train de l’enlever ? Elle se mit à

tambourinerdesesdeuxpoingssurlaportièreencriant:—Arrêtez-vous!Arrêtez-vousimmédiatement.Commentosez-vous!Pourtouteréponse,lavoitureaccélérasacourse,cahotantsifortsurlesaspéritésdececheminde

campagne qu’Elizabeth faillit tomber de son siège. Elle hurla de toutes ses forces et tapa de nouveaufrénétiquementcontrelaporte.Maiscelle-ciavaitétéverrouilléedel’extérieur.

—MonDieu!Maiscommentcelaest-ilpossible?murmura-t-elleenpleinepanique.Quipourraitavoirintérêtàmetraiterainsi?

Bien sûr, on lui avait déjà raconté des histoires d’enlèvement.Mais, d’ordinaire, il s’agissait dejeuneshéritièresqui,considéréescommedéshonoréesparleurravisseur,étaientcontraintesdel’épouser.

Elizabethn’avaitriend’unejeuneviergefortunée.Ellecriaencorejusqu’àenperdrelavoix,envain.Lecarrossefinitpars’arrêteraumilieud’une

clairièreenvironnéedeboisépais.Lasoudaineaccalmieluiparutpresqueplusmenaçantequeleurfollechevauchée.Quisavaitcequiallaitremplirbientôtceterriblesilence?

Resserrant sonmanteau autour d’elle,Elizabeth se recroquevilla sur la banquette.Entraînée bienmalgréelleàs’endurcircontrelesmanigancesetlesvileniesdelaCour,ellenes’étaitjamaisconsidéréecommelâche.Etpourtant,elletremblaitdetoutsoncorps.

La portière s’ouvrit et une haute silhouette sombre s’encastra dans l’ouverture. Le visage del’inconnuétaitdissimuléparunfoulard.Maissesépaulesétaientlargesetsesmainspuissantes.Commentpourrait-elleluirésister,àplusforteraisonluiéchapper?

Pourtant,elledevaitessayer,coûtequecoûte.—Messincèresexcusespourcetinconfortablevoyage,mademoiselle.Ilestfortprobablequevous

nem’auriezpassuiviautrement.La voix était distinguée, la prononciation élégante, comme celle du plus raffiné des hommes de

Cour.Aumoins,ilnes’agissaitpasd’unquelconqueruffian.Elizabethsedrapadanscequiluirestaitdedignité.—Quesignifietoutceci?J’exigequevousmereconduisiezàLondresimmédiatement.—C’est toutàfait impossible, je lecrains,répondit l’hommed’unevoixcalme.Maisn’ayezpas

peur.Ilnevousserafaitaucunmal.Aucunmal?Etdevait-elletrouvernormald’avoirétéenlevée?Unflotdecolèrebalayasaterreur.—Bruteépaisse!hurla-t-elleensedébattant.Sesmainsgriffèrentlevisagedel’inconnu,arrachantlefoulardquiledissimulait,et,s’agrippantà

soncou,ellefrappasonravisseuravecsesgenouxetdesespieds.Ill’immobilisaaussitôtd’unemaindefer.—Petitesorcière!UnrayondeluneéclairasoudainlevisagedesonravisseuretElizabeth,stupéfaite,reconnutlord

EdwardHartley.Unsentimentétrange,toutàfaitinapproprié,semêlaàsafureur.Quelquechosecommeunedélicieuseexcitation.

Page 126: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

—Vous?haleta-t-elle.Vous,EdwardHarley!Onditquesousvosairsdegentilhomme,vousêtescapabledespiresgoujateries.Maisjamaisjen’auraiscru…

Illadévisagea,levisageensanglantéparlamarquedesesongles,ets’exclama,stupéfait:—Ohnon!Cen’estpaspossible!Parlagrâceduciel,pasvous!

Page 127: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Chapitre5

—Libérez-moiimmédiatement!Lareineserainforméedetoutceci,soyez-ensûr.Pareilàunebêtefauve,Edwardarpentaitnerveusementlapiècecommunedupetitcottage.Ilaurait

vouluabattresonpoingsurquelquechose,frapperlemurdebriquedetoutessesforces,voireremonterletempspoureffacercequivenaitdeseproduire.

Illuifallaitdonneràsacolèreunexutoireafinderéfléchircalmement.Mais les cris d’ElizabethGilbert, derrière la porte verrouillée de la chambre, n’étaient pas faits

pourl’aider.Pasplusquesescoupsdepoingfrénétiquescontrelelourdpanneaudechêne.QuandEdward avait compris qu’ils s’étaient trompésde jeune femme, que la captiven’était pas

JaneCourtwrightcommeillepensait,maisladyElizabethGilbert,ilavaitaussitôtjetésacapesurlatêtedelajeunefemmeetl’avaitemportéedanslecottage.Maislemalétaitfait.Ellel’avaitreconnu.

Leurvéritableproies’enétaitalléeDieusaitoù,etavecellel’occasionuniqueetbeletbienperduede prendre sa revanche. Pour couronner le tout, il avait maintenant sur les bras une véritable harpievengeresse!CarladyGilbertn’étaitpasfemmeàfairepreuved’indulgenceoudecompréhension.

Commentavait-ilpuêtreassezstupide,asseznaïfpourcroirequ’unplanaussirocambolesqueavaitdeschancesderéussir?

— Je vous ai reconnu, Edward Hartley, cria la voix de lady Gilbert derrière la porte. Je veuxconnaîtrelaraisondeceforfait.Immédiatement!

Edwardauraitbienvoululaconnaîtrelui-même,car,danssontrouble,ilavaitpresqueoubliécequil’avaitamenélà.Ilfallaitqu’iltrouveuneréponseacceptablesur-le-champ,avantquetoutnesoitperdu.

Se précipitant vers la porte, il en tourna la clé et poussa le battant d’un geste si prompt que saprisonnière tombaassise sur le reborddu lit.A la lueurde lachandelleprovenantde l’autrepièce, ilremarqualedésordredesatenue:sescheveuxdétachésretombaientenunelonguenappedesoienoiresursesépaules,sonmanteaugisaitentassurleplancheretlamanchedesacottedéchiréelaissaitvoirunpeudesafinechemisedelinblanc.Unetraînéedepoussièremaculaitsajouepâle.

Lajeunefemmeledévisageaitdesesyeuxmordorésagrandisparlapeur,etsonvisageétaitd’unblancdecraie.Ellen’avaitplusriendeladamed’honneurcalme,sûred’elleetterriblementobservatricequipromenaitsonélégantesilhouettedanslescorridorsdeWhitehall.Ellesemblaitjeune,vulnérable.Ettrèsbelle.

L’effroi qu’il lisait dans ses yeux transperçait la conscience d’Edward comme une flècheempoisonnée. Pourquoi était-il soudainement aussi troublé ? Dire qu’il croyait ne plus avoir deconsciencedepuislongtemps!

Au diable les remords. S’efforçant de rester insensible aux charmes de la jeune femme,Edwards’appuya,lesbrascroisés,contrel’embrasuredelaporte.Illaregardad’unœilfroidseremettresurses

Page 128: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

pieds.Elledéglutitpéniblement,sagorgedélicatetoutefrémissante,etlevaversluiunmentonbelliqueux.

Mêmedanscettesituationdélicate,ellerefusaitdes’avouervaincue.Etcelanelarendaitqueplusdésirable.— Que signifie tout ceci ? Espérez-vous obtenir une rançon ? Avez-vous des dettes de jeu en

souffrance?Amoinsquel’unedevosmaîtressesnevousréclamequelquecolifichetquevousnepouvezluioffrir?

Pensait-ellevraimentceladelui?Aprèstoutcequ’ilavaitvuetfaitdanssavie,aprèscequiétaitarrivéàJamie,Edwardcroyaitqueplusriennepouvaitl’atteindre.Mais,contretouteattente,leméprisd’ElizabethGilbertletouchaitenpleincœur.

Etsuscitaitenluiunecolèreinattendue.—Vousmejugezbienmal,ladyElizabeth.Ils’agitd’uneerreur,riendeplus.Etquejevaisréparer

sur-le-champ.Elleeutunrirerauque.—Uneerreur?Legrand,lesuperbelordEdwardHartley,lacoqueluchedecesdamesetlegénie

desintriguesàlaCourauraitcommisuneerreur?J’aidumalàycroire.Un sourire amusé jouait maintenant sur les lèvres pleines de la jeune femme. Des lèvres qui

appelaient au baiser, des lèvres que, depuis leur dernière rencontre, Edward avait si souvent rêvé degoûteravecgourmandise,detaquinerdesalangueexperte.

Etcefutcesourirequieutraisondesoncontrôle.Traversantlachambreendeuxenjambées,illapritparlesépaulesetl’attiracontrelui.Lesourire

delajeunefemmes’évanouit,maiselleétaitsisurprisequ’elleselaissafaire.Ellerestaitlà,immobile,sesdeuxmainsplaquéessurletorsed’Edouard.

—Vousn’êtespaslabonnepersonne,grommela-t-ilentresesdentsserrées.

***

Paslabonnepersonne?Elizabethparcourutd’unœilincrédulelevisagetendudesoninterlocuteur.Elleavaitétéenlevée,

terroriséeparlasoudaineapparitiondesonagresseur,éprouvantunetellesuccessiond’émotionsfortesqu’elleenavaitencorelevertige,ettoutçapours’entendredirequ’ellen’étaitpaslabonnepersonne?

Toutàcoup,ellefuttraverséeparlaplusinexplicabledesréactions.Elleenvoulaitàcethommepourquiellen’étaitmêmepascellequ’ilattendait.

Elleledévisageaittoujours.Cevisageauxtraitsfinementciselésqu’elleadmiraitilyapeumalgréelleétaitmaintenantfigéen

un masque froid. Le grand corps d’Edward, pressé contre le sien, était dur et hostile. Il la tenaitfermementparlesépaules,commes’ilneparvenaitpasàrelâchersonétreinte.Mais,mêmesielleavaitétélibredesesmouvements,prisedanslerayongrisdesesyeuxcommeuninsectedanslalumièred’unelampe,ellen’auraitpus’enaller.

Soussonpourpointdeveloursnoirentrouvert sur son torse,unechemiseau lacetdénoué laissaitentrevoir un large pan de peau brune. Les mains d’Elizabeth, crispées sur le fin tissu, captaient lesbattementspuissantsdesoncœur.

Leregardd’Edwardserétrécitetellevitunmusclejouersursamâchoiretendue.Ainsi,iln’étaitpastoutàfaitindifférentàsapersonne.Elleneputretenirunsourire.Cefutcommesilesténèbresquirégnaientàl’extérieurdel’étrangepetitcottageperduaufonddes

boisetlaproximitédecethommed’unesombrebeautélacoupaientdumonderéel,delabanalitédesavie quotidienne. Tel un sortilège, elles se refermaient sur elle au point qu’elle ne voyait plus rien du

Page 129: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

passénidel’avenir.L’habituelbonsensquiprésidaitàsaviebienréglées’évanouissaitenmêmetempsquelalumièredujour.Soudainmétamorphosée,ellenevivaitplusquepourceseulinstant.

Commesilamauvaisepersonneétaitdevenuelabonne,finalement.Leregardd’Elizabethremontajusqu’aucouvigoureuxdesoncompagnon,redescenditsurletriangle

depeaudécouvertparlachemise.Unepetitegouttedesueurbrillaitlàcommeundiamantet,sepenchantlentement,elleengoûtaladouceursaléeduboutdelalangue.C’étaitboncommelesoleild’été,commelepétalecharnud’unefleur,commelapeaudouced’unfruit.Ilfallaitqu’ellel’embrasseencore.Sapeuretsacolèresemblaients’êtremétamorphoséesenunbrûlantdésir.

Ellenesereconnaissaitplus.Seslèvreseffleuraientdenouveaulapeaudesoncompagnonquand,avecungémissementsourd,illarepoussadoucement.Maisilnelalibérapasdesonétreinte.Sesmainsseresserrèrentsursesépauleset,pivotantsurlui-même,illaplaquacontrelemurdechaux.Soncorpspuissantlarecouvritdenouveau,siétroitementqu’elleensentaitlachaleuretlaforceirradierdanstoussesmembres.

Soudain, un craquement sourd retentit. Un instant, Elizabeth crut que c’était son cœur.Mais ellereconnutlegrondementdutonnerreannonçantl’orage.Unéclairzébralavitredel’étroitefenêtrecommelalanièred’unfouetd’argent.Puisdenouveauleciel,telleunebêtefauve,rugitlonguement.

Cen’étaitrienencomparaisondelatempêtequigrondaitenelle.Ellese tint immobile,osantàpeinerespirer,et leva lentementsonregardversEdward.Lesyeux

clairs de son séduisant geôlier brûlaient de passion. Sesmains étaient dures sur ses épaules, presquebrutales.Ellesglissèrentlentementlelongducorpsd’Elizabethpourenlacersesdoigtsaveclessiens.

Etillaretintainsiemprisonnéecontrelemur.Elleauraitdûchercheràselibérer.Maiselleétaitincapabledebouger.Elleneparvenaitmêmepas

àdétournerleregard.Etluiaussisemblaitêtreconscientdecelieninvisible.Quandilsepenchasurelle,leslèvresd’Elizabeths’entrouvrirent.Cambréecontrelui,elleluioffrit

sabouche.Certes,elleétaitsaprisonnière.Maiselleaussipouvaitlefairesiensiellelevoulait.Edwardl’embrassaenfin,avantdeposersabouchechaudejustederrièresonoreille,làoùlapeau

étaitsisensible.Puisellesentitlecontacthumidedesalanguedescendantlelongdesoncou.Sousl’effetdessensationsdélicieusesquifaisaientfrémirsapeau,Elizabethneputreteniruncride

purplaisir.Ellefermalesyeux,tandisquelabouchedesoncompagnonseposaitdanslecreuxdesoncou,réprimaunnouveaucriquandsesdentsmordillèrentdoucementsapeau,s’arquaencoredavantageensentantsonsoufflechaudàlanaissancedesesseins.

Alors,lasentantdéfaillir,Edwardlapritàbras-le-corpset,s’abandonnantauraz-de-maréedesesémotions,elleouvritavidementlabouchepourlaisserlalanguedesonravisseurlapénétrerpleinement.

Il grondadeplaisir et l’échode sa jouissance résonna en elle, enflammant sondésir commeuneétoupe. D’un geste impatient, elle écarta la chemise d’Edward pour coller ses lèvres sur sa peaumaintenant brûlante, tendre satin sur de l’acier, lécha lentement la cicatrice d’une vieille blessure. Sabouches’immobilisasurlecœurdesoncompagnon,absorbantsesbattementspuissants.

Ilyavaitlongtempsqu’ellenes’étaitsentieaussivivante.Quil’eûtcru?GrâceàEdwardHartley,ellepouvaitdenouveauéprouverdessensations.

Il luireprit laboucheetelle luirenditsesbaisersencoreetencore,avectoutelapassionqu’elleavait si longtemps contenue. Il n’y avait dans lesbaisersd’Edward aucun art savantdigned’une courlibertine, comme elle s’y attendait. Seulement lamême faim que la sienne, lemême désir qui brûlaitd’êtreassouvi.

Elles’abandonnaàsescaressescommeunnoyédansl’eauprofonde.Leslèvresd’Edwardglissèrentlelongdesajoue,desamâchoire,puisdesagorge,ylaissantun

rubandebaisers.Sabouches’arrêtaauborddesoncorsage.—Onvousasûrementenvoyéeàmoipourmerendrefou,murmura-t-ild’unevoixrauque.

Page 130: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

—Jepourraisdirelamêmechose,chuchotaElizabethpourtouteréponse.D’ungestepreste,ilsoulevasajupeetsecollaàelle,duretfrémissant.Illadésiraitcommeelle-

mêmeledésirait.Ellesecambraavecungémissement.Alors,penchésursoncorsage, il repoussad’ungesteaudacieuxladentelledesafinechemisede

dessous,dégageantlapointed’undesesseins.Et,sepenchantsurelle,illepritdanssabouche.Cettefois,Elizabethperditsonéquilibreet,l’empêchantdechoirtoutdebon,Edwardlaportasur

lelit.Elles’abandonnasurlacourtepointeetilsecouchasurelle,lourdetlégeràlafois,salanguesefaisantdoucesurlefruitqu’ilserraitentresesdents.

Dansl’explosiondenouvellessensationsquinaissaientenelle,Elizabethsentitl’unedesesmainsexpertesécartersessous-vêtementsetcaresserlapeaudesescuisses.Lecontactdel’étofferêchedecesvêtementsd’hommesursapeauétaituntourmentdélicieux.

Sentantlefroidsursapoitrine,elleouvritsoudainlesyeux.Edwardavaitcomplètementdélacésacotteetcontemplaitsesseinsdénudés,lesyeuxbrillantscommedeuxbraises.

—Vousêtessibelle,murmura-t-ild’unevoixétranglée.Commentpouvez-vousdissimulertantdebeautéauxyeuxdumonde?

Et,sepenchantsurelle,ilcueillitentreseslèvreslapointefrémissantedesonautresein,lesuçant,lemordillant,leléchantjusqu’àlafairesecabrerdeplaisir.

UnlonggémissementéchappaàElizabethet,lesmainscrispéessursesbouclesépaisses,ellevoulutprendrelabouchedesonravisseur.Mais,luirésistant,ilglissadenouveausamainentresescuissessanscesserdelaregarder.Sesdoigtshabilesseglissèrentdanssonintimitéet,leregardvacillant,ellegémitdenouveautandisqu’illacaressaitlentement.

—Maintenant,chuchota-t-elle.Oh!jevousenprie.Vite!Sansmotdire,ildélaçasonhaut-de-chausseset,s’installantentresescuisses,lapénétrad’uncoup

dereinssouple,lemêmecrideplaisiréchappantàleurslèvresjointes.Edwardsemitàbougerlentement,faisantnaîtreenelledenouvellesvaguesdeplaisir.JamaisElizabethn’avait éprouvéune telle jouissance.Le regard aveugle, elle s’abandonnait à la

fulgurancedesessensations.Il se retira un instant, par jeu, et elle protesta dans un petit cri, cambrant les reins pour qu’il la

reprenne.Denouveau,ilplongeaenelle,encoreetencore,plusloin,plusvite.Elizabeth se mordit la lèvre pour réprimer le râle primitif qui montait dans sa gorge, mais un

gémissement modulé comme un chant s’échappa d’elle dans le dernier assaut du plaisir. Tout autourd’elle disparut dans une brume épaisse tandis que la jouissance se faisait toujours plus forte. Unedernièrevaguel’emportasursacimeetellepoussaunlongcriquisemêlaàceluid’Edward,

Puisilselaissatomberàcôtéd’elle,leursbrasetleursjambesmêlés.Ellesentaitlesoufflechauddesoncompagnonsursanuque tandisque, lesyeuxclos,elles’efforçaitderetrouversonsouffle.Lesbattementsde soncœur résonnaientdans sa têteet elleavait l’impressionde reprendre lentement, trèslentementcontactaveclesol.

JamaisElizabethnes’étaitsentieaussimerveilleusementlasse.Ouvrant les yeux, elle regarda, au-dessus d’elle, le plafond aux poutres noircies. La respiration

d’Edwardseralentissait,commes’ilglissaitdanslesommeil,etlasituations’imposasoudainàl’espritd’Elizabeth.Uneréalitéqu’ellerepoussaavecénergie.Songeôlierendormi,ellepouvaitpartir,retrouversanstardersaliberté.Maisellenevoulaitpasquittercettechambreclose,celittièdeoùellevenaitdeconnaîtrelebonheur.

Pastoutdesuite.Aumatin,à laclaire lumièredujour,ellepourraitaffronter lafoliedecequ’ellevenaitdefaire.

Pourl’heure,ellenesouhaitaitquedes’endormirdanslesbrasdeceluiquivenaitdelarévéleràelle-mêmeetplongerdansunbienfaisantoubli.

Page 131: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Semettantsursonséant,Elizabethrajustasesvêtements.Puisellerabattitlacourtepointesurleursdeuxcorpsets’allongeadenouveauavecunsoupirheureux.Lefroiddelanuitgagnaitlachambreetonpouvait entendre le bruit doux de la pluie contre les volets. Au loin, les grondements du tonnerres’éloignaient lentement.Sansmêmeouvrir lesyeux,Edwardluiprit lamainet laserradans lasienne,commes’ilvoulaitl’emmenerdanssesrêves.

—Oui,c’estlà-basquenousdevrionsvivre,aupaysdessonges,àjamais,murmuraElizabeth.Puisellefermalesyeuxets’endormit.

Page 132: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Chapitre6

Edward, l’épaule appuyée contre le chambranle de la porte, regardait Elizabeth dormir. Elleparaissaitsijeune,siinnocente,et,contretouteattente,tellementvulnérable!Surl’oreiller,sescheveuxsombresformaientuneauréoledelumièrenoire,etseslèvres,encorerougiesparleursbaisers,étaiententrouvertescommesiellechuchotaitdessecretsenrêvant.

Lapièce fleurait bon le feudebois, la pluie et l’eaude toilette de la jeune femme,unedélicatefragrancederosedeHongrie.Cesparfumsmêlésnelequittaientplus,leramenantàelle,auplaisirque,demanièresiinattendue,ilsvenaientdetrouverensemble.

Adirevrai, jamais ilnes’étaitsentiaussi troublédanssoncommerceavecunefemme.Letempsd’unenuit,ilavaittoutoubliéaumonde.Ilnepensaitplus,nevoyaitplusqueparelle.

Ilenavaitmêmeoubliélaraisonquilesavaitamenésdanscetendroit,leplanqu’ilavaitélaboréavecl’aidedeRobert,etsonbut:vengerlamortdesonfrère.Quelgrotesqueenlèvementmanqué!

Naturellement,illuifallaitrendresalibertéàElizabethGilbert.Etdèsqu’ellesauraitlavérité,ellelemépriseraitplusencorequ’avant.Maisildevaitseressaisir,chassercesélucubrationssentimentalesetrepartirencroisade.Iln’yavaitpasdeplacedanssaviepourunefemmecommeelle.

Et,surtout,ilnevoulaitpaslafairesouffrir.D’uncoupdepiedfurieux,Edwardenvoyasouslelitsonpourpointque,danslaferveurdeleurs

caresses,ilavaitjetésurleplancherlaveilleausoir.Puis,aprèsavoirfermésansbruitlaportesurleravissantvisagedesaconquête,ilsortitducottage.Et,gagnantlepotager,iloffritsonvisageetsontorsedénudéàlapluiebienfaisante,espérantainsilavertouslessouvenirsdupassé,sadouleuretsonterriblesentimentdeculpabilité.Froidesetdrues,lesgouttespénétraientsapeaucommeautantdefinesaiguilles.Maisilnes’ensouciaitguère.

Ouvrantlesbras,illevasonvisageverslecielchargédelourdsnuages.—Pardonnez!cria-t-ilauxtristesmânesdesonfrère,là-haut.Pardonnez-moisij’aiéchoué.Ilfermalesyeuxetfitappelauxforcesobscuresquibouillonnaientenlui,àcettevolontéterribleet

douloureuse qui l’avait soutenu pendant toutes ces années de deuil. Elles seraient nécessaires pourchasserElizabethdesoncœuretdesavie.

Entendantlaporteducottages’ouvriravecungrincement,ilrouvritlesyeux.Elleétaitlà.Sansqu’elleeutbesoindedireunmot,ilpouvaitsentirsaprésencedetouteslesfibres

desonêtre.Ilseretournaetlavitdeboutsurleseuildelamaison,sachemiseblanchetrouantlademi-pénombrecommeunpharedanslatourmente.Elleledévisageauninstant,sonpâlevisagedépourvudetouteexpression.

Puis,sansunmot,elletenditlamain.Ilauraitdûtournerlatête,s’enfuiràtoutesjambes,loindececottage, loin d’elle. Mais cette main offerte l’attirait irrésistiblement. Traversant lentement le jardin

Page 133: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

détrempéparlapluie,illapritdanslasienne.Ce fut comme s’il émergeait du sein ténébreux de l’océan pour renaître à la lumière. Les doigts

d’Elizabethserefermèrentétroitementsurlessiensetellel’entraînadanslapaixducottagesilencieux.

***

Uninstant,quandElizabeths’éveilla,ellenesutdireoùelleétait.Cettecoucheétroiten’avaitriendecommunaveclegrandlitdrapédebrocarddesesappartementsaupalais.Etcettepiècetoutesimple,auxmursbadigeonnésdechaux,nepouvaitpasêtreconfondueaveclachambremajestueusedesonhôtelparticulier du Strand. L’unique fenêtre ne laissait filtrer qu’un pâle rayon de jour, gardant dans lapénombrelesdétailsdumobilier.Et,pourtoutbruit,aulieuduvacarmematinaldesruesdeLondres,onn’entendaitquelapluiecontrelesvolets.

Ellesedressabrusquementdanslelit,prised’unesoudainefrayeur.Puistoutluirevintd’uncoup.Oui,elleavaitétékidnappée,emportéedeforcedanscetendroitinconnu.

Et,cequiétaitencoreplusinattendu,etpeut-êtremêmeplusinquiétant,elleavaitfaitl’amouravecEdwardHartley.Oui,ellesesouvenaitparticulièrementbiendeleursexploits.Elleensavouraitmêmeencoretouslesdétails.Touslesbaisers,touteslescaresses.Etjusqu’aumoindregémissement.

Enfouissantsonvissageempourprédanssesmains,Elizabethse laissa retombersur lesoreillers.DumoinsEdwardavait-ileulebongoûtdes’absenter.Laportedelachambreétaitcloseetellepouvaitaffronterseulelahouledesesémotions.

Enunenuit,elles’étaitmétamorphoséeenquelqu’unqu’elleneconnaissaitpas.Unefemmelibre,ouverteetsensuelle.Encoremaintenant,cetteinconnuesoupiraitd’aiseausouvenirdesplaisirsqu’ellevenaitd’éprouver.

Toutcelaàcaused’EdwardHartleyetdesesmystérieusesmanigances!Quiauraitpul’imaginer?Ill’avaitbeletbienkidnappée.Etlaraisonluicommandaitdetrouverau

plusviteunmoyendeluiéchapper.Etdelehaïr.Maisellenelepouvaitpas.Elleouvritdenouveaulesyeuxetregardaleplafond,n’yvoyantquel’imagedesonamant.Ilavait

eu l’air soudain si triste. Ses beaux yeux étaient si sombres, traversés de tant d’émotions, lui quid’ordinairesedissimulaitderrièrelemasquesouriantdujeunecourtisancomblédetouteslesfaveurs.

«Parlagrâceduciel,pasvous!»s’était-ilexclaméquand,extirpantsaproieducarrosse,ilavaitreconnulevisaged’Elizabeth.

Qu’est-cequecelasignifiait?Avait-ileul’intentiond’amenerquelqu’und’autredanscecottage?Elizabeth savaitmaintenantqu’ellenepartirait pas tant qu’ellen’aurait pas trouvéune réponse à

cettequestion.Etsurtout,tantqu’ellen’auraitpaschassélatristesseduregarddeceluiqui,enl’espaced’unenuit,avaitpristantdeplacedanssavie.

Repoussantlacourtepointe,elleseglissahorsdulit.Elletrouvadanslademi-pénombreunebrosseposéesurunetabledetoilette.Elleretiradesescheveuxlesquelquesépinglesquis’ytrouvaientencoreaccrochées,ets’efforçadelesdémêler.Puis,lecœurbattant,elletournalapoignéedelaporte.

Celle-ci s’ouvrit sansdifficulté.Aumoins, ellen’était pas enfermée !Tirant sansbruit lebattantverselle,elleinspectaduregardlapièceàvivre.

Personne.Seulesquelquesbraisesgrésillantencoredans lacheminée faisaiententendre leurpetitbruitdesouris.Laported’entréeétaitclose.Edward, regrettantsonerreur,avait-ildéserté les lieux?Non,quelquechosedisaitàElizabethqu’ilétaitencorelà.

Toutprès.

Page 134: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Traversant prestement le plancher sur ses pieds nus, elle alla ouvrir la porte. La pluie tombaitencore, grise et froide, et Edward se tenait debout dans le jardin, son corps offert à la tourmente. Lapoitrine dénudée, les bras tendus, il semblait crier quelque chose au ciel.L’eau ruisselait sur sa peaumate.

Onauraitditundieuprimitifcommandantauxélémentsdelaterreetduciel.Maisquandilsetournaverselle,cettesouffrancequ’elleyavaitdéjàvuehabitaitencoresonregard.

Elizabethravalaleslarmesquiluiserraientsoudainlagorge.Sansriendire,elletenditversluiunemaincompatissante.

Unbrefinstant,ellecraignitqu’illarefuse.Qu’ilsedétourned’elle,brisantainsilelienfragilequis’étaitnouéentreeux.

Maisils’approchaenfinet,maindanslamain,ilsrentrèrentdanslecottage.Sans unmot, Elizabeth referma la porte sur l’orage et, prenant la cape qu’Edward avait laissée

tomber la veille dans un fauteuil, l’en enveloppa soigneusement. Puis, de sa manche, elle essuya lesgouttesd’eausursonvisage,réprimantl’enviedel’embrasser,deleprendredanssesbrasetdeleserrercontreellepourfairedisparaîtrel’insupportableexpressiondedouleurquidurcissaitsestraits.

Elle se détourna soudain, confuse de cette tendresse inattendue pour un quasi-inconnu, et allas’asseoirsurunbancàhautdossierprèsdelacheminée.C’étaitl’unedesnombreusespiècesdumobilierconfortable de ce qui devait être un pavillon de chasse. Et peut-être aussi, à l’occasion, une discrèteretraitepouramoureux.Lesvoletsétaientclosmaisellepouvaitvoirleséclairszébrerlecielautraversdeleursplanchesmaljointes.L’oragen’avaitpasencoredéclaréforfait.

Edward tisonna le feu et rajouta quelques bûches, réveillant aussitôt les flammes endormies quiélevèrent bientôt dans le foyer leur danse d’or et de sang. Elizabeth contemplait sa haute silhouetterehausséepar lavive lumière. Il avait laissé tomber la cape sur le sol et son torsenubrillait dans lachaudelumière.Sescheveuxhumides,repoussésderrièresesoreilles,dégageaientsonvisageauxtraitspuissamment dessinés. Et la perle qui ornait son oreille luisait doucement, ultime témoin du courtisanqu’ilétaitencoresipeudetempsauparavant.

Mais legentlemanélégantetpleindemorgueavait laisséplaceàun jeunechef tribal,sauvageetprimitif.Cetaspect-làdelui,quepersonned’autrequ’elleneconnaîtrait jamais, lerendaitencoreplusséduisant.

Elizabeth sourit pour elle-même. Elle aussi, vêtue de sa seule camisole détrempée, les cheveuxrépandus sur sesépaules,devaitoffrirun spectaclebiendifférentdecelui auquelelleavaithabitué laCour.Elleramenasespiedsnussoussonsiègeetleregarda,étonnée,venirs’agenouillerdevantelle.

Edward ladévisagead’abordun longmoment.Puis, luiprenant lamain, ilpressadoucement seslèvressursapaume.Saboucheentrouverteremontajusqu’àsonpoignetetydéposaunbaiserchaudethumide,justeàl’endroitoùsonpoulsbattaitlachamade.

— Je suis désolé, Elizabeth, dit-il d’une voix basse et contrainte. Jamais il neme serait venu àl’espritdevousmêleràmesvieillesbatailles.NousrentreronsàLondresdèsquel’orageauracessé.

Elizabethledévisagea,perplexe.RetourneràLondres,àsonanciennevie,commesiriennes’étaitpassé?Etait-celàcequ’ellevoulaitvraiment?Laveille,effrayéeetfurieuse,oui,biensûr.Maisc’étaitcomme si, durant la nuit, quelque chose avait imperceptiblement changé en elle, laissant place à uneexigenced’authenticité,deprofondeur.Désormais,plusrienneseraitcommeavant.

Elleposa samain libre sur le frontde soncompagnon.Puis sesdoigtsglissèrent sur sa joue.Unmuscleyjoua,imperceptible,etellelevitseraidir.Maisilnes’écartapas.

—Dites-moipourquoijesuisici,murmura-t-elle.C’esttoutcequejeveuxsavoir.Edwardlaconsidérapensivementpuis,se laissant tombersurunepeaudeloupétenduedevant le

foyer,enserradanssesbrassajamberepliée.Songiletdecuirsetenditsurlesmusclesdesondos.—Jen’enparleraiàpersonne,promitElizabeth.Cetendroitsemblefaitpourlessecrets.

Page 135: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Illadévisageaittoujoursdesonregardindéchiffrable.Unsouriresansjoieétiraseslèvres.—Avez-vousdessecrets,ladyElizabeth?Oui,elleenavaitun.Unseul:sessentimentscroissantsàl’égarddesonravisseur.Maisellesaurait

legarderpourelle.—Personnen’estparfait.—Monfrèrel’était.Etc’estpourcelaquejesuisici.—Votrefrère?s’écria-t-elle,surprise.Jamaisellen’avaitentendudirequ’EdwardHartleyavaitunfrère.—Ils’appelaitJamie.JamesHartley.Ilétaitplusjeunequemoietc’étaitl’âmelaplusdouce,la

pluscharitableetlapluscharmantequejeconnaisse,déclaraEdwardd’unevoixvibrante.Mais,commetouslesêtresbons,ilétaitaussiterriblementnaïf.Cequil’aconduitàlamort.

—Oh!Jesuisdésolée…Elizabethauraitvoulutouchersoncompagnon, leprendredanssesbras.Mais ilsemblaitsoudain

inaccessible,commeprisonnierd’uneganguedeglace.—Commentest-ilmort?—Aucoursd’unetraverséeversleNouveauMonde.Vousavezentenduparler,biensûr,duprojet

decolonisationde laVirginieparsirWalterRaleigh, l’undenosparlementaires lesplusremuants?Ilvient de s’improviser explorateur, persuadé qu’il pourrait là-bas rivaliser avec les colonies desEspagnols,notammentencequiconcernel’exploitationdutabac.Jamieestmortd’unemauvaisefièvreaucoursduvoyage,etnousn’avonsapprissondécèsqueplusieursmoisplustard.

Elizabeth opina tristement du chef.Tout lemonde débattait à laCour des terribles conditions devoyageàborddeces immensesvoiliersquis’engageaientdansde longsetpérilleuxvoyages.Grâceàcesexpéditions,puissantsarmateursetrichescommanditairesaccroissaientleurfortune.Maislaplupartdeceuxquiembarquaientavaienttoutesleschancesdemourirdemaladieounoyésdansunnaufrage.

—Commentvotre frère a-t-il été conduit à faireun telvoyage?Etquel rapport cela a-t-il avecl’endroitoùnoussommes?

— Jamie est parti parce qu’il avait perdu l’essentiel de sa part d’héritage maternel dans uneopération financière qui s’avéra n’être qu’un traquenard. Trop honteux pour paraître devantmon pèreaprès un tel échec, qui révélait par trop sa naïveté, il pensa qu’il pourrait regagner l’argent perdu enparticipantàcetteexpédition.Ilignoraitquesoncommanditaireétaitunamitrèsprochedeceluiquiluiavaitfaitsciemmentperdresonargentdanslebutdel’enrôlerdanscetteaventure.Cethommearéussiàpersuader Jamie d’investir ce qui lui restait de sa fortune dans la colonie qu’il allait installer sur lescôtesd’Amérique.Etdes’yrendrelui-mêmepoursurveillersoninvestissement.Jamieestpartiavantquemafamillen’aiteule tempsdecomprendredequoi il retournait.Lepotauxrosesn’aétédévoiléquelorsquel’unedemestantes,quivitcheznous,adécouvertsonjournal.

—Etqu’est-ilarrivéauresponsable?s’exclamaElizabethd’unevoixvibranted’indignation.A-t-ilétéaumoinspendupoursonforfait?

—Pas lemoins dumonde.Car, en hommehabile, il avait su se cacher derrière des hommesdemain.Pour toutvousdire, il vit grassementde ses rentes et aurabientôt l’honneurd’entrerdansvotrefamille.

Elizabethledévisagea,lesyeuxexorbités.—Vousvoulezdireque…—Quec’estluiquivaépouservotrenièce,lajeuneettendreJaneCourtwright.—SirThomasSheldon!s’écriaElizabeth.Mais,d’unecertainemanière,ellen’étaitpassurprise.Pour satisfaire sesappétits, l’hommeétait

capabledespiresforfaits.C’étaitmiraclequeJaneluiaitéchappé.Puistoutlesensdecequevenaitd’expliquerEdwardlafrappadepleinfouet.

Page 136: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

—Vousaviezl’intentiond’enleverJanepourvengervotrefrère?Soninterlocuteursecontentadehocherlatête.—C’était l’idée, dit-il après un silence. Déshonoré aux yeux de la Cour, il aurait certainement

essayédesevengeretdemeprovoquerenduel.S’ils’ensortaitvivant,maisridiculiséauxyeuxdetous,ilauraitétés’enterrerdanssaprovince.EtlapetiteJaneauraitpufaireunbienmeilleurmariage.J’aidesrelations.J’yauraisveillé.QuantàJamie,toutcequejedésirais,c’étaitqu’ilreposeenfinenpaix.

—Malheureusement,vousm’aveztrouvéesurvotrechemin,conclutElizabethmi-figue,mi-raisin.Ellenesavaittropquepenser,niàquelleémotionlaisserlibrecours.LapauvrepetiteJaneaurait

été terrifiée de se retrouver ainsi en huis clos avec un homme tel qu’Edward. Du moins avant decomprendrequ’illasauvaitainsidesgriffesdeSheldon.

Toutàcoup,uneautreidéel’assaillit.EtsiSheldonsortaitvainqueurdecetteaffaire?SiEdwardtombaitsoussescoups?

Ellebaissasursoncompagnondesyeuxvoilésdelarmes.Il luisourit,desonhabituelsouriredeséducteur,commes’ilnevenaitpasdeluirévélersessecretslesplusintimes.Ni,quoiqu’iladvienne,dechangerlecoursdesavieàjamais.

—Maisc’estvousquej’aitrouvéeenlieuetplacedevotrecharmantenièce,eneffet,conclut-il.Etl’erreurn’estpassiregrettable,finalement.

S’emparantdel’undesespiedsnus,ilposasursachevilleunebouchehumideetchaude.Elizabeth le regardait faire, fascinée.Labouched’Edwardglissa le longde sonpiedet seposa,

frémissante,aucreuxsensibledesavoûteplantaire,luiarrachantundélicieuxfrisson.Puis,desalangue,ildessinauncheminjusqu’aupointsensible,justeau-dessusdutalon,qu’ilmorditdélicatement.

Elizabethsecambra, lesyeuxclos, tandisquesatêtebasculaitenarrièresousl’assautduplaisir.Elle poussa un gémissement, mi-protestation, mi-jouissance, mais la bouche s’obstinait, impitoyable,atteignantmaintenantsongenou,puislecreuxdesacuisse.D’unemain,ilsoulevasachemise.

—Edward,chuchota-t-elle.Pourtouteréponse,illapritparlatailleetl’entraînaavecluisurlapeaudeloup,devantlachaleur

del’âtre.— Chut…, murmura-t-il enfin contre sa peau. Laissez-moi seulement vous caresser. Je vous en

supplie.Illasuppliait?Maisn’était-cepasàelle,plutôt,delefaire.Delesupplierdes’interrompre…Ou

plutôtdecontinuer?Ellesemorditlalèvrepournepascriertandisque,penchésurellequiétaitrestéeassise,illéchaitsapeaufrémissantepuis,entrouvrantsescuissesd’unemainimpatiente,enfouissaitsonvisagedansletriangledesatoison.

—Edward!cria-t-elleencore,parcouruedeviolentsfrissons.Elletentaderefermersescuissesmais,lasaisissantdesesdeuxmainsparleshanches,ilrenforça

sonétreinte.Puissalanguepénétraauplusprofonddesonintimité,goûtantetcaressantlepointleplussecretd’elle-même,etleplussensible.

Lesdoigtsd’Elizabethsecrispèrentsurlacheveluredruedesonpartenaire,pourleretenircontreelle, à la source même de sa jouissance. Damné soit-il ! Mais c’était si bon… et si intime. Encoredavantage,sic’étaitpossible,queleurétreintecharnelledelanuitpassée.

Ellesesentaitsiexposée…Sivivantesoussesdoigts.Seredressantenfin,Edwardlasaisitdanssesbraspourluiprendrelabouche.Elleselaissacoucherdansundouxvertigesurlapeaudeloupetl’enlaçadesesjambes,frottant

sonnezetsabouchesurlapeaumoitedesonvisagepourenrespirerl’odeurd’amouretdesueur.Sesmainscaressaientsondos,lesmusclesdesesépaules.Commeilparaissaitpleindevigueur!Ilétaitsiréel.Sivrai.Grâceàlui,ellesesentaitentièrementvivantepourlapremièrefoisdesavie.

Page 137: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

La langue de son compagnon redessina le contour de ses lèvres, de ses paupières closes, goûtalonguementsalangue.Alors,n’ypouvanttenirdavantage,elledénouadesesmainstremblanteslelacetdesonhaut-de-chausseetpritdanssamainlepoidstièdedesonsexe.Ilétaitprêtetvibrantetelleouvritles jambes dans une invitation silencieuse. Aussitôt, d’un habile mouvement des hanches, Edwardplongeaenelleavecuncrirauque.

Cette fois, elle se livra toute, enroulant ses jambes autour des reins de son partenaire,l’accompagnantdanscettechevauchéeduplaisirjusqu’àcequ’ilstrouventleurrythme,deplusenplusvite,deplusenplusloin.

Unenouvellevaguedeplaisir,plus forteencoreque lorsqu’ilgoûtait l’intimitéde son sexe,plusfortequesonplaisirdelanuit,submergeaElizabeth.Deplusenplusfort,deplusenplushautjusqu’àcequ’ilsémergentdanslebleudel’azur.Ensemble.

Edward laissa échapper un cri et son corps se tendit au-dessus d’elle. Elle le serra, tremblante,entresesbras,recueillantdanssabouchelerâledesonplaisir.

Puis,épuisésetheureux,ilss’endormirent,doucementréchauffésparlacombustionlentedesbûchesdanslefoyer.

Page 138: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Chapitre7

Edward regardait Elizabeth sortir les victuailles du panier que Robert avait laissé pour laprisonnière et son geôlier. La jeune femme disposa prestement sur la table pain bis, black pudding,fromagedeStiltonetunecarafedevinbouché.Ellechantonnaitens’activant,unsourireauxlèvres.

Elleétait toujoursvêtuedesa longuechemiseetportait sur lesépaulesungrandchâlequiornaitauparavantledossierd’unfauteuil.Seslongscheveuxétaientretenusparunrubanrose,dénichéDieusaitoù.

Ellesemblaitabsurdementheureuseet,desavie,iln’avaitvutableaupluscharmant.Cespectacleluidonnaitàluiaussienviedesourire,unvraisouriredeprofondcontentementcommeiln’enavaitpaséprouvédepuisdesannées.

DepuisladisparitiondeJamie,etmalgrélecarrouseleffrénédesesplaisirsàlaCour,ilsesentaitmort.Iln’yavaitplusenluiquefroidureetténèbresetsavien’avaitdesensquepourobtenirvengeance.

Et voilà qu’il sentait de nouveau la chaleur l’envahir, comme le soleil qui réchauffe la terre auprintemps,aprèsunlonghiverglacé.Queluiétait-ilarrivé?Adepteduseulplaisirphysique,jamaisiln’avait cherché dans l’acte sexuel lamoindre tendresse. Et pourtant, cette tendresse était là, sous sesyeux,etpartoutautourdelui.

Qu’allait-il fairedecebonheurtoutneuf?Pouvait-ilacceptercecadeauquivenaitdelui tomberdans les mains ? Ou devrait-il lui tourner le dos pour reprendre sa course vengeresse, terrifiante etimplacable?

Elizabethluijetauncoupd’œilpar-dessussonépauleetsonsourires’élargit.Illuisouritenretour.Ilnepouvaitfaireautrement.Pasquandelleluisouriaitdecettemanière-là.

—Maisc’estuneprisondeluxe,plaisanta-t-ellegaiement.Dupain,dupudding.Dufromage,etdubon!LesprisonniersdelaTourdeLondresnesontcertainementpassibientraités.

Edwardrit.—Jesuisungeôlierexemplaire.Pasquestionque l’unedemescaptivesmanquedequoiquece

soit.—C’estbiencequej’aicruremarquer…Elizabethmorditdansunetranchedepainqu’ellevenaitdecoupertoutenlejaugeantduregard.—Jecommencemêmeàmedemandersijenevaispasdemanderàprolongermonséjour.Il se le demandait lui aussi. Dans une vie qui, malgré son luxe et ses plaisirs ressemblait à un

perpétuelcombat,cepetitpavillondechasseperduaumilieudenullepartluiavaitprocuréunmomentdepaixinestimable.Maisletempsquileurétaitimpartifondaitcommeneigeausoleil.Illesentaitfilerentresesdoigtsquandbienmêmeils’efforçaitdeleretenir.

Page 139: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Edward tendit lamainvers sa compagne, l’invitant à le rejoindre sur le tabouret où il avait prisplace.Ellemêlasesdoigtsauxsienset,l’attirantsursesgenoux,ill’entouradesesbras.

Riante,elleseblottitcontrelui.—Maisjesupposequenousnepouvonsrestericipourtoujours,dit-ellecommesiellelisaitdans

sespensées.—Non,eneffet.Noussommestouslesdeuxattenduschezlareine.Edward la baisa à la tempe, humant son parfum délicat. Il voulait graver cet instant dans sa

mémoire,l’imagedecettefemme,sonodeur,lagrâcedesesgestes.—Etvotremissionestencoreàaccomplir,constata-t-elled’unevoixneutre.—Eneffet.Sheldondoitpayerpoursesfautes.—Certes.Maisilneseraitpasjustequevouslepayiez,vous,devotrevie.Elle pliait et repliait entre ses doigts un pan de la chemise de son compagnon, une ride barrant

soudainsonfrontlisse.—Pourtant,reprit-elle,vousnedevezpasêtreseuls,votrefrèreetvous,àavoirétélésésparce

sinistrepersonnage.Ildoityavoird’autresvictimes,sansdoutemêmedesgensquenousconnaissonsàlaCour.

Leregardd’Edwardserétrécit.—Quevoulez-vousdire?—Qu’ilyasansdouteunmeilleurplanqued’utiliserlapauvreJane.Elleseredressadanssesbras,lesyeuxbrillantsd’excitationetpoursuivitd’unevoixrapide:—Nous devons trouver ces personnes et nous unir tous pourmettre à bas Sheldon. S’il n’a pas

hésitéàseservirdeJaneetdevotrepauvrefrère,iln’hésiterapasà…Elles’interrompit.—Aquoi?demandaEdwardbienqu’ilconnaissesaréponse.Enécoutant lesproposdécoususde la jeune femme,une idéese faisait jourdanssonesprit.Une

coalitionpourincriminerSheldon.Oui,celapourraitmarcher,àconditiondepouvoiridentifierlesautrespersonnesimpliquées.Lesvictimesétaientlà,àLondres,maissansdoutetrophonteusesdeleurproprecrédulitépoursedécouvrir.

C’étaitcegenredesentimentquipermettaitàdesindividussansscrupulecommeSheldond’ourdirdansl’ombreleursmanigances.

Aluidelesrévéleràlalumière.SoudainElizabeths’exclamaavecunsursaut:—MonDieu!Maisbiensûr!…Lespapiers.—Quelspapiers?—Lorsdecetaffreuxdînerdefiançailles,manièceaeul’espritdes’emparerdedocumentsposés

surunetabledanslecabinetparticulierdeSheldon.Ellenesaitpastrèsbienlire,aussin’était-ellepassûredecedontils’agissait,maisellevoulaits’assurerunearmeéventuellecontrelui.

Tiens,tiens…LapetiteJaneCourtwrightn’étaitpasquejolie,finalement.Elleavaitaussihéritédel’intelligencedesatante.

—Oùsont-ils?—Souslabanquettedemoncarrosse.Ellemelesadonnésavantdes’embarquerpourlaFrance

avecl’hommequ’elleaime.Peut-êtreya-t-illàdequoinousaider?—C’est possible. Et j’ai quelques amis à Bankside qui pourront aussi nous être utiles. Je suis

certain qu’ils seraient ravis de voir Sheldon débarrasser le plancher, lui qui s’amuse à jouer sur leurpropreterrain.

Et Robert Alden, qui connaissait sur le bout des doigts tous les bas-fonds de Londres, nedemanderaitqu’àluidonneruncoupdemain.

Page 140: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

Oui,décidément,ilyavaitpeut-êtrelàunmoyend’agir.Elizabethl’embrassaetbonditsursespiedsencriant:—MonDieu,quetoutcelaestexcitant!—Oh!Maispasdutout.Lafaisantd’autoritéserasseoirsursesgenoux,Edwardenroulasesbrasautourdela tailledela

jeunefemme,commepourlapréserverdesdangersdecettesombreaffaire.—TaplaceestàlaCour,Elizabeth,murmura-t-ilcontresoncou,latutoyantpourlapremièrefois.

Tudoisoubliertoutcequivientdesepasser.—Retourneràlaviesinistrequejemenaislà-bas?Jamaisdelavie!Etpuis,c’estmanièceque

Sheldonavouluabuser.Moiaussi,jeveuxlepunir.— Je me refuse à ce qu’il t’arrive quoi que ce soit, protesta Edward d’une voix rauque en

l’étreignantplusfort.Tropdegensontsouffertautourdemoiparmafaute.—Maistun’espourriendanscequiestarrivéàtonfrère.Etjesaisquetumeprotégeras.Setournantverslui,ellepritdoucementsonvisageentresesmains,sonregardbrillantdetendresse.— Je serai très prudente, poursuivit-elle, je te le promets. Et jamais je ne me suis sentie plus

vivante.Etsurtout,plusutile.Edward,leregardplongeantaufonddeceluidesacompagne,compritque,pourlapremièrefoisde

sa vie, il venait de rencontrer un caractère aussi trempé que le sien. Tout comme lui, Elizabeth nereculeraidevantrien.Ildevraitsimplementlagardertoujoursàsescôtéspourveilleràcequ’ilneluiarriverien.

Etc’étaitlàuneperspectivequinepouvaitluidéplaire.—Aunecondition…Elizabethfronçalessourcils.—Laquelle?—Quetuneprennesaucuneinitiative.Etquejepuisseavoirtoujoursunœilsurtoi.J’insiste.—Pourquoi ? s’enquit-elle d’un ton soupçonneux. TelBarbe-Bleue, ton penchant à enfermer les

femmestetravaillerait-ildenouveauaucorps,sousprétextedemeprotégerdeSheldon?Ilclaqualalangue,unsouriretaquinjouantaucoindeseslèvres.—Jen’avaispaspenséàcela.Maisl’idéen’estpasmauvaise…Elizabeth lui administraune tape sur l’épaule et il rit. Jamais il n’aurait penséque la compagnie

d’unefemmepourraitluifairelecœuraussiléger.Ilavaitenfintrouvéuncaractèreassortiausien,unefemmefaiteàlafoisdedouceuretdefeuetavecquiilsesentaitprêtàaffronterl’aventuredelavie.

Aconditionque telsoitsonsouhait,àelleaussi,évidemment. Ilplongeasonregarddans lebeauregarddorédesacompagne

—Si je veux rester à tes côtés, quels que soient les obstaclesquenous aurons à affronter, c’estparcequejet’aime.Ensemble,nousferonsfuirlemorneennuidesjours.Notrevieserapeut-êtreseméedegrandstourments,maisaussidegrandesjoies.

Destupeur,Elizabethfaillitglissersurlesol.Ilassurasonétreinte.—Tu…tum’aimes?chuchota-t-elle.—Oui.Jesaisquecelaparaît incroyable.Jen’étaismêmepasbiensûrdesavoircequecemot

signifiait.Maismaintenant,grâceàtoi,etauxprécieuxmomentsquenousvenonsdepartager,jelesais.Deslarmesfirentmiroiterleregarddelajeunefemme,commeautantdediamants.Ellerit,d’unrirelégeretpleindejoie.—Moiaussi,jet’aime,Edward.Etjesuisprêteàresteravectoi…Aunecondition…Illaregarda,inquiet.—…Queplusjamaistunemetraitescommeuneprisonnière.Niquetuaiesrecoursaumensonge.

Notreunionnedoit ressemblerenrienàmonpremiermariage.Ceserauneaventurequenousvivrons

Page 141: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

côteàcôte,d’égalàégaleetmaindanslamain.—Jepromets,assura-t-il,soulagé.Denouveau,unsouriretaquinéclairasonvisage.—Mais j’y mets une clause d’exception. Jamais tu ne seras enfermée par mes soins dans une

chambre.Saufavecmoi.Sur ces mots, il l’embrassa longuement, avide de sentir le goût de ses lèvres, de lui témoigner

l’amour passionné qu’il éprouvait pour elle. Ils étaient ensemble, maintenant. Plus jamais ni l’un nil’autreneconnaîtraitlasolitudeetledoute.

N’était-cepaslàlaplusgrandedeslibertés?Elizabethluirenditsonbaiser,lesdoigtsnouésdanssescheveuxcommeunbateaus’attacheauport.Etilsentitenellelapromessed’unevienouvelle.Avecelle.Pourtoujours.

Page 142: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

TITREORIGINAL:TOCOURT,CAPTUREANDCONQUER

Traductionfrançaise:ANNIELEGENDRE

©2010,AmmandaMcCabe.©2015,Harlequin.

Tousdroitsréservés,ycomprisledroitdereproductiondetoutoupartiedel’ouvrage,sousquelqueformequecesoit.Celivreestpubliéavecl’autorisationdeHARLEQUINBOOKSS.A.Cetteœuvreestuneœuvredefiction.Lesnomspropres,lespersonnages,leslieux,lesintrigues,sontsoitlefruitdel’imaginationde l’auteur, soit utilisés dans le cadre d’une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, des entreprises, desévénementsoudeslieux,seraitunepurecoïncidence.HARLEQUIN,ainsiqueHetlelogoenformedelosange,appartiennentàHarlequinEnterprisesLimitedouàsesfiliales,etsontutiliséspard’autressouslicence.

83-85,boulevardVincentAuriol,75646PARISCEDEX13.

ServiceLectrices—Tél.:0145824747

Page 143: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre
Page 144: A PROPOS DES AUTEURSekladata.com/Cy-MVveDM53tVuVVQ9V8CSNqCYE/EBOOK_Il... · A PROPOS DES AUTEURS Férue d’Histoire et passionnée par la psychologie, Marguerite Kaye aime mettre

RETROUVEZTOUTESNOSACTUALITÉSETEXCLUSIVITÉSSUR

www.harlequin.fr

Ebooks,promotions,avisdeslectrices,

lectureenlignegratuite,

infossurlesauteurs,jeuxconcours…

etbiend'autressurprisesvousattendent!

ETSURLESRÉSEAUXSOCIAUX

Retrouvezaussivosromanspréféréssursmartphone

ettablettesavecnosapplicationsgratuites