A propos de l’après 68, de l’ « ultra-gauche » et de la communauté humaine

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A propos de l’après 68, de l’ « ultra-gauche » et de la communauté humainePréface revue pour la seconde édition (Québec)

Merci à Gilles D., Romain S. et Julie P.

En juin 2000, la revue Comunismo publiait en espagnol une traduction d’un article de la revue la Guerre Sociale, Abondance et dénuement dans les sociétés primitives. Cet article ébranla quelques-unes de nos convictions « marxistes » (progrès, civilisation, science,…) et nous incita à rechercher d’autres textes de ce courant, nous éloignant d’abord des iguanodons léninistes puis d’un conseillisme des plus idéologique et d’un anarchisme trop en vogue pour être vrai. En septembre 2001, nous ressortions ce texte en français sous forme d’une brochure (100 exemplaires, peu d’échos) accompagnée d’une introduction aujourd’hui insatisfaisante… Une année plus tard, assez riche en événements et expériences vécues (Gênes, l’après Gênes, contacts avec les anti-citoyennistes,……..), nous poursuivons toujours notre recherche, livrant ici un recueil de textes écrits à partir du moment où le rêve d’un après-mai révolutionnaire s’effondrait (1975, déjà) cédant souvent la place à divers cauchemars (suicides, désillusions, abandon de toute espérance révolutionnaire,….). Notre compilation comprend, deux textes de la revue La Banquise, un du Brise-Glace, deux articles de (ou proche de) La Guerre Sociale, ainsi qu’un texte du groupe parisien l’Insécurité Sociale. Bien évidemment notre but n’est pas de réconcilier celles que des petits malins ont appelées les « sœurs ennemies de l’ultra-gauche », et même désordonnée, incomplète et insatisfaisante, cette compilation n’est pas un hasard : les textes sélectionnés ici, quels que soient leurs défauts (lourdeur, longueur, incohérences….on n’échappe pas à son époque), gagnent à être lus ensemble. On espère que les lecteurs y reconnaîtront un peu plus que les thèmes habituels d’une ultra-gauche fossilisée en 1968 que nous exécrons… Disons également ici, dés le début, que notre travail gagne à être lu aux cotés de celui que préparent les éditions Senonevero : Rupture dans la théorie de la révolution (introduction par François D.), comprenant des textes très proches des nôtres, mais écrits un peu plus tôt, et illustrant encore mieux les effets occasionnés par l’immédiat après-mai sur la « théorie révolutionnaire ». (textes de Camatte, Authier, Barrot, Guillaume, Bériou,…)

Si la révolution est effectivement redevenue aujourd’hui un sujet de polémique, en supposant qu’elle ait jamais cessé de l’être, ces textes, j’en suis persuadé, sauront être profitables aux derniers fanatiques du « mythe de l’age d’or »…

« L’échec du mouvement prolétarien communiste fut la grande catastrophe de la première moitié du 20eme siècle (…). Aucun révolutionnaire n’a vraiment reconnu l’étendue de la défaite, véritable catastrophe pour l’espèce humaine et pour la nature tout entière (…). De même la défaite des années 70 (il est clair qu’après 1977 et la défaite italienne de Bologne tout est fini et n’est plus que combat d’arrière garde) n’a pas été clairement perçue, elle a permis la victoire complète du capital dans les années 80. Il n’a pas encore été fait de bilan ou même d’histoire de ces années qui virent cette immense défaite qui est cause de l’indicible horreur actuelle, de la dégénérescence et de la démence des hommes et des femmes, de la régression de la pensée, d’une accélération de la destruction de la nature. »( F. Bochet in Invariance (1994), Communautés, naturiens, végétariens, végétaliens et crudivégétaliens dans le mouvement anarchiste français )

Le bilan du mouvement communiste contemporain (19eme et 20eme siècles ) n’est ni mitigé ni désolant, il est désastreux et catastrophique…. Il est vrai que nous sommes, que nous le voulions ou pas, les héritiers du passé, dont pour partie nous devons nous libérer et pour une moindre part nous devons assumer. Notre imaginaire comme notre culture sont pour ceux qui se réclament du communisme, les héritiers des luttes du passé, que ce soient les premières grèves sur les chantiers des pyramides, les jacqueries du Moyen Age, etc. etc. Nous continuons de penser que le besoin du communisme est invariant à l’espèce humaine. Cette tendance à la communauté caractérise toute l’histoire humaine, et « se demander si elle vaincra ou non n’a pas de sens puisque nous ne l’avons pas choisie : c’est elle qui nous tient et qui nous permet d’exprimer ce que nous considérons comme le meilleur de nous-mêmes ».

L’ancien mouvement ouvrier prolétarien a été définitivement liquidé par la spectaculaire restructuration des années 1970-1980. C’est un fait incontestable…

L’emprise quasi totale du capital sur nos vies (pensées, comportements,…) a conduit beaucoup d’entre nous à l’errance théorique, et il serait prétentieux de croire que nous échappons à cette décomposition générale…

Différentes questions ont dû être posées, à la suite desquelles chacun a pu donner libre cours à ses errances. Où est passé le « sujet révolutionnaire », le prolétariat ? En liquidant l’ancien mouvement ouvrier, le capital a t-il définitivement triomphé et liquidé la lutte des classes ? Qu’est-ce que le prolétariat ? Est-ce une stricte catégorie sociologique ? Est-ce uniquement un concept, une pensée, permettant de comprendre le mécanisme de destruction potentielle de ce monde (dont nous faisons partie), à travers un élément de la société, le dépossédé de sa vie, qui ne veut plus l’être ? Etc. etc.

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A propos des élucubrations du groupe Théorie Communiste

Le prolétariat, depuis le début du 19eme, n’aurait que tenté de reprendre en main le monde capitaliste à son profit, ce qui n’est pas entièrement faux, et n’aurait pas pu aller plus loin, en fait, que cette gestion ouvrière du monde, que cette affirmation de la classe laborieuse libérant l’humanité par l’autogestion, la science, le progrès et autres idoles capitalistes…Avec la restructuration, le rapport d’implication réciproque prolétariat-capital ne porterait plus en lui la reproduction du prolétariat dans l’univers du capital (« programatisme ») et rendrait donc inévitable l’éclatement de ce binôme lors de la prochaine crise et donc la communisation immédiate du monde… Nous serions sur une autoroute dont le prochain péage est le communisme…

Pour notre part, il nous semble trop facile et même bête de faire une relecture de l’histoire pour démontrer l’impossibilité du communisme à un moment donné et tirer la conclusion qu’il est absolument inéluctable aujourd’hui. Le «  programmatisme » est sûrement un fait réel, mais si les prolétaires se sont identifiés au travail, c’était surtout pour s’en servir comme un bastion face aux capitalistes, et pas vraiment une manière de vouloir prendre leur place, «  ces prolétaires s’abstenaient autant de bouleverser le monde que de privilégier le travail, et se « contentaient » d’arracher au capital ce qui pouvait l’être ». (Dauvé- Nesic, Prolétaires et travail, une histoire d’amour ? 2002) Les prolétaires, depuis des millénaires, n’ont presque jamais lutté pour plus travailler, bien au contraire évidemment. Leur attachement à leur travail était beaucoup plus un attachement à leur communauté laborieuse, à ses traditions, à ses luttes, à ses fêtes, qu’un amour pour l’exploitation capitaliste qui englobait au fur et à mesure toute la société. La restructuration capitaliste des 30 dernières années a indéniablement liquidé cette communauté ouvrière, mais il est plus qu’hasardeux d’affirmer que, par cela, elle a supprimé un frein au communisme…Personne d’autre d’intelligent ne peut affirmer que les prolétaires ont été amoureux de leur travail à n’importe quel moment de l’histoire, ce serait suicidaire de l’affirmer. En fait, nous croyons sincèrement qu’il n’y a aucune garantie, aucun déterminisme pré-établi (ou entièrement prévisible) , garantissant le dépassement du capitalisme par une communauté humaine. Seule une révolution victorieuse pourrait nous prouver que le prolétaire « flexibilisé, précarisé, globalisé, loftstoryvisé » de 2002 porte « plus » par ses luttes le communisme que Thomas Munzer en 1525, les babouvistes de la fin du 18eme siècle, ou les gavroches de 1848. A priori, cela est indémontrable à l’avance. Nous nous démarquons également des prophètes de malheur, catastrophistes, apocalyptiques ou autres : peu de catastrophes risquent de mettre en péril le capital : le niveau des océans peut monter de 50 centimètres, des milliers d’espèces peuvent disparaître, un baobab pourrait sans doute pousser en haut du Mont Blanc, rien de cela n’empêcherait le capital de se valoriser ou garantirait un sursaut salvateur de l’humanité. Par contre, le capital ne peut pas se passer de l’activité humaine, c’est donc dans cette dernière, dans notre activité présente et future, que réside notre réussite…ou notre échec. Répétons simplement que le capital ne sera plus reproductible que le jour où nous arrêterons de le (re)produire… Telles n’étaient pas les conclusions du mouvement ouvrier passé, officiel ou marginal, qui eut un mal énorme, dans sa pratique, à se débarrasser de la gestion ouvrière des moyens de production que prônaient ses leaders. Seuls quelques enragés, en France, en Russie ou ailleurs, essaieront d’échapper au monde par des communautés préfigurant celles de l’après 68. (1)

1917-1968

Reconnaissons à 1917 d’avoir été le plus haut point du mouvement communiste du siècle dernier. « Octobre 17 »(2) fut un éclair d’espoir vite dissipé dans l’horreur du XXeme siècle, de la Patagonie à la Russie, en passant par les Etats-Unis, l’Allemagne, la Hongrie,…Le temps est révolu où Lloyd George soupirait : « L’Europe entière est envahie par l’esprit de la révolution. Il existe un sentiment profond parmi les ouvriers contre les conditions existantes, non de mécontentement, mais de colère et de révolte. » Les courants dits « ultra-gauches » viennent directement de cet assaut révolutionnaire. Plus précisément, ils sont issus des désaccords ayant eu lieu au sein de la social-démocratie européenne ( dés avant 1914 ), puis après avoir rejeté les «  traîtres sociaux-patriotes » de 1914 et participé à la création d’une nouvelle Internationale après l’insurrection russe, ils deviennent dissidents au sein de ce Komintern, et résistent à la mainmise de Lénine. En gros, s’il y a bien un point commun entre les différents courants, c’est le fait de considérer l’URRS comme étant l’incarnation de la contre-révolution, et de considérer ,contrairement aux trotskistes, qu’il n’y a jamais eu « d’Etat ouvrier en URSS », avec ce que cette formule peut connaître d’ambigu, tout Etat étant anticommuniste. (3)

Aujourd’hui les travaux récents des historiens les moins abrutis et surtout la connaissance dans quasiment toutes les langues des courants communistes ayant résisté à Lénine nous permettent d’aiguiser notre regard sur cet évènement. Rappelons qu’en 1968 encore, beaucoup de résistants au léninisme (Makhno, la commune de Cronstadt,…) étaient inconnus. Ce seront les groupes ouvriers autonomes de Barcelone (Diaz, Murcia,…) qui introduiront le conseillisme en Espagne, par exemple. Karl Nesic note bien le parallèle entre la période 1917-1937 et celle des années 1968-1977 : « Le monde est paru insupportable en 1917-21 dans un continent ravagé par la guerre, tandis qu’à la fin des années 60 il est apparu tout aussi insupportable alors que le continent connaissait les joies de la société de consommation. » ( Crise Sociale, Mythes et réalités, Ed. L’Harmattan)

Le dernier assaut des gueux du XXeme siècle eut lieu à la fin des années 60 et au début des années 70. Pour tous les sans-noms, d’Amérique latine, de Pologne ou de la rue Gay Lussac, cette époque fut une formidable griserie de rêves et d’utopies libératoires que même l’énorme gueule de bois de « l’après 68 » n’arrivera jamais à effacer. On entend souvent parler, en ces temps où l’espérance n’existe plus qu’outre-tombe, de « l’héritage désolant de mai 68 »…. : fascisme, pédophilie, perte des

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valeurs morales, refus du travail (avant même de connaître les joies de l’exploitation !), cette ambiance étant bien sûr renforcée par les repentances des gauchistes en voie de reconversion…Ces petits héros de mai, après avoir abandonné depuis longtemps déjà leurs habits révolutionnaires, viennent de renoncer récemment à tout ce qui leur restait, une vague « libération des mœurs » qui était l’ultime obstacle à la conquête de leur respectabilité. (cf. Autre Temps, Troploin, 2001 à ce sujet) Dans notre camp, on oublie un peu trop facilement de tirer les vraies leçons de cette période, et la théorie la plus avancée du moment, formulée par l’IS et en particulier Debord, devenant une mode intellectuelle, a contribué malgré elle à renforcer l’obscurantisme des temps que nous vivons.« Les évènements de mai 68 furent l’occasion d’expérimenter une nouvelle communication révolutionnaire capable de rassembler en un front unique – contre l’aliénation et la séparation que produit la société spectaculaire – la classe des travailleurs dans son entier. (…) L’IS sut saisir et analyser cette nouvelle réalité lorsqu’elle prenait forme, avant même qu’elle se manifestât par les actions violentes et radicales avec lesquelles elle donna libre cours à sa colère  ; mais l’IS a crû que cette réalité pouvait véritablement représenter le commencement d’une époque, la réalisation du changement radical de la vie, quand au contraire elle ne fut que le commencement d’un changement graduel du système de domination capitaliste.  » (G. Marelli. L’amère victoire du situationnisme. Ed. Sulliver). L’IS n’a pas su déceler les limites des évènements de mai dans ce qui constituait leur rêve : la démocratie des conseils. Bien que montrant un conseillisme très original, très éloigné de la gestion ouvrière du capital, elle resta conseilliste, en rénovant cette idéologie comme organisation de la vie quotidienne libérée, dans une élaboration théorique à la vérité pas très solide. Situs et surtout prositus buteront sur l’autogestion de la vie, ne voyant pas là une forme de séparation de l’espèce avec elle-même, et sombreront dans un quotidiennisme à l’image de leur époque  : retour aux campagnes, hippies, tentatives de vie communautaire….tout cela étant fort sympathique mais reproduisant en plus petit, inévitablement, la société extérieure, avec au final l’échec et le retour à la ville…. La critique de l’IS n’est pas un point de détail, et jeter l’idole aux ordures après l’avoir adorée (4) ne nous apporte rien. L’I.S. a énormément apporté à la théorie communiste, mais elle reste, malgré elle, l’ultime manifestation d’une ultra-gauche que pourtant elle exécra… Sa croyance aux vertus de l’automation, qu’ils nous suffiraient de détourner pour libérer notre vie quotidienne est à l’image d’une époque (finissant avec mai 68) où le prolétariat, peut être pour la dernière fois de son histoire, crût pouvoir réutiliser et gérer l’héritage capitaliste (usines, machines,….) à son profit, et bien sur, cela n’a pas marché, comme d’habitude.

Comme un texte de l’époque, Un monde sans argent, le faisait très bien remarquer, le gros problème de l’ultra-gauche et de la plupart des anarchistes est de n’avoir jamais réussi à dire ce que pouvait être le communisme et de n’avoir pas remarqué en quoi on peut déjà le voire, partiellement, à l’œuvre dans beaucoup de comportements génériques humains… « L’ultra-gauche » a hérité de son comportement devant la révolution russe, c’est-à-dire la dénonciation de l’anticommunisme bolchevik  ; ensuite, tout ce qu’elle sut faire, c’est passer son temps à dénoncer les gauchistes et les stals comme étant l’extrême gauche du capital. En faisant cela, elle a globalement échoué à comprendre le mécanisme capitaliste. Ça ne sert à rien de dénoncer la gauche comme étant anticommuniste, comme le fait encore Louis Janover (5), car on attribue généralement ainsi la survie du capitalisme jusqu’à aujourd’hui à un malheureux accident de l’Histoire, à un mensonge du capital, un complot mondial ou une récupération… Nous pensons que la théorie communiste s’appuie sur deux choses :-le communisme existe déjà, c’est « l’être ensemble » caractéristique de l’espèce humaine contrecarré en chaque instant par ce monstre créé par l’espèce : le capital.-la dépossession que crée ce monde engendre simultanément sa contestation, et rend donc possible (et non certain) un dépassement par la communauté, l’être social, et une revitalisation des liens entre l’espèce humaine, le reste de la zoosphère, et la croûte terrestre…

* Dans l’immédiat après 68, on assiste à un bouillonnement de théorie à l’image de ce qui se passe : émeutes, sabotages, etc. ; comme le remarque François D. dans sa présentation au recueil chez Senonevero, le prolétariat de l’après 68 ne revendique plus du tout la gestion ouvrière du capital, il veut « autogérer sa vie » [sic] (et plus vraiment l’usine), critique le travail, et retourne souvent au communisme utopique, repeuplant par exemple le Larzac, l’Ardèche,… Dans ce contexte, la théorie du communisme se trouve face à un changement de problématique, elle sort complètement des vieux rêves de gestion ouvrière du capital, dépasse l’ultra-gauche, et tend à aboutir à un échappement libre  : devant une révolution qui paraît bloquée, devant un capital qui semble être devenu éternel et un prolétariat qui décidément ne va pas plus loin que sa révolte, beaucoup n’hésitent pas à remettre en cause le « phénomène révolution », qui serait définitivement terminé, intégré, simple agent de la reproduction du capital jusqu’à présent, affirmant avec Jacques Camatte qu’ « Il faut quitter ce monde » et toute sa dynamique de non-vie et de conscience répressive, mettant en avant le communisme comme sursaut biologique humain immédiat, comme réconciliation de l’Homme avec sa Gemeinwesen, comme émergence sur la croûte terrestre de l’ « Homo Gemeinwesen ». Camatte, et sa revue Invariance, influencent énormément le mouvement communiste de notre époque, de l’après 68 à aujourd’hui. En fait, « le présupposé de [son] analyse est que le mouvement apparent d’éternisation du capital – sa réification ou son fétichisme – est le mouvement réel. Il croit le capital sur parole.  » (François D., op. cit.)Les revues qui ont leurs textes republiés ici héritent de l’après mai, de la Vieille Taupe, librairie diffusant les textes révolutionnaires en France et même en Europe (6), de revues telles que le Mouvement Communiste, le Voyou, Négation ou le Fléau social, mais héritent surtout de la recherche théorique d’Invariance, dont elles partagent (et nous aussi) la conception du communisme, mais dont elles rejettent les conclusions : en gros l’abandon de la théorie du prolétariat.

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C’est encore au même moment, les camarades d’Intervention Communiste puis de Théorie Communiste (encore eux), commencent un travail théorique sur la contradiction capitaliste, montrant la nécessité de dépasser le programme prolétarien, mais s’enfermant dans une sorte d’inéluctabilisme, anticipant la prochaine crise, qui sera sûrement la bonne, puisque la reproduction du prolétariat ne sera plus assurée…Selon TC, « il n’y a pas de besoin du communisme antérieur à l’existence du capitalisme » (TC 17- Pour en finir avec l’homme), mais qu’est-ce que cela veut donc bien dire ? TC néglige le mouvement de contestation ayant eu lieu tout au long de l’émergence du capitalisme – alors qu’il fut une remise en cause se voulant universelle du monde existant depuis la dissolution des premiers liens humains primitifs –, en le réduisant à des formes de « banditisme social » ou de « résistance à la prolétarisation ». Je pense que l’émergence du capitalisme, même si elle donne un sens à l’histoire humaine et produit peut-être son propre dépassement (j’espère !), utilise une positivité déjà présente, une forme d’humanité non accomplie, et dévie celle-ci en parachevant son aliénation dans la forme salariale, mais n’arrivant jamais à englober la totalité physique et mentale de l’entité homme, nous dépossédant, mais créant en même temps ce besoin du communisme… TC rejette tout ce qui parle de « désir », d’ « homme », d’ « individu », en le classant comme « humaniste radical », et ne voit pas que le désir de communauté, refoulé par l’économie et le travail, n’est pas une pure abstraction, mais un produit bien réel de la contradiction sociale. Ce désir est invariant à l’espèce humaine, autrement dit, sans ce désir, il n’y a plus d’espèce humaine. « Le mouvement communiste a une dimension à la fois classiste et humaine. Il repose sur le rôle central des prolétaires ouvriers sans être un ouvriérisme et va vers une communauté humaine sans être un humanisme. » (La Banquise n°1)

Au passage, on peut noter l’existence du groupe Os Cangaceiros (d’abord Les fossoyeurs du vieux monde). Dés 1968, certains, annonçant le célèbre « Il faut quitter ce monde » de Camatte, ont voulu retrouver le « communisme véritable », l’aspiration universelle et intemporelle à la communauté humaine, et en cela abandonnèrent totalement la raison occidentale et son communisme économiste et borné. En 1986, ils publient leur ouvrage L’incendie millénariste (7), c’est un travail passionnant sur le plus grand mouvement communiste ayant eu lieu jusqu’à présent (c’est un véritable incendie qui n’épargna aucune contrée de la vieille Europe), mais il prend une forme morale dommageable, et l’apologie répond carrément à la falsification officielle. Ils ne sont pas critiques du tout vis à vis du communisme millénariste, de ses limites, de son échec et de certains de ses côtés nauséabonds (les juifs sont parfois victimes de pogroms, étant assimilés à «  l’argent »…) Les auteurs, dans la décennie des années 80, participent aux différentes émeutes qui agitèrent l’Angleterre thatcherienne mais aussi la Pologne et la France. Mais ils perdent leur pari, ces émeutes, loin d’annoncer le nouveau monde et de réaliser la marchandise en la détruisant, n’ont été qu’un de ces instants de pause dans la vie marchande dont le capital se nourrit ensuite en remettant encore et toujours en cause les modalités du rapport d’exploitation, et en nous enchaînant encore plus fort à l’économie.

La période post-68 voyait donc la liquidation de l’ancien mouvement ouvrier, et l’auto-sabordage d’une I.S. dépassée, puis la fermeture de la librairie La Vieille Taupe, le décollage de la fusée Camatte dans l’hyper cosmos, l’affaire Puig-Antich, tout cela contribua à exciter une ultra-gauche décomposée, et paradoxalement à décupler les rêves tardifs de révolution des derniers rescapés, d’une manière inversement proportionnelle à une réalité d’échec et de débandade. Pour ceux-là, la gueule de bois sera encore plus terrible. (Il était une fois un certain Faurisson…). Seuls quelques pingouins (et autres animaux à forte capacité de résistance) survivront péniblement à ce cataclysme glaciaire….

NOTES :

1- Invariance : Naturiens, Végétaliens, Végétariens, Crudivegetaliens dans le mouvement anarchiste français (recueils disponibles en ecrivant à Francois Bochet, 5 rue Brel, 87800 Nexon)

2- Comme le fait remarquer un correspondant, « octobre 17 » est en effet un mythe bolchevik, puisque la révolution commença en février 1917.

3- Les textes des différentes Gauches Communistes ont été édités dans les années 70…N’intéressant plus personne aujourd’hui, ils sont épuisés. Heureusement, on peut en trouver certains sur le web, en particulier sur le « site bordiguiste » [sic !] www.sinistra.net ainsi que sur l’excellent « For communism ». La revue (Dis)continuité en a réédité quelques uns, et le catalogue des éditions Spartacus est toujours rempli….

4- cf. Le miroir aux alouettes dans Maintenant le communisme n°2, texte critiqué par Debord dans Une mauvaise réputation. Et Thèses sur l’Internationale Situationniste et son temps (D. Blanc)

5- Louis Janover, La tête contre le mur (essai sur l’idée anticommuniste au XXeme siècle ), éd. Sulliver. 6- L’histoire de la librairie La Vieille Taupe reste à écrire, elle aussi. Sergi Roses Cordovilla lève une partie du voile

dans son livre sur le MIL, où l’on redécouvre l’influence qu’a eue la librairie sur Santi Soler et ses compagnons de Barcelone : El MIL, una historia politica, édiciones Alikornio. Sur le rôle joué par la Vieille Taupe jusqu’à sa fermeture en 1972, on peut consulter l’affiche Bail à céder, pour cause de départ Urbi et Orbi (sur Internet), le Roman de nos origines (publié ici), le livre épuisé de J. Baynac Mai retrouvé, ainsi que la première partie du texte Debord, par P. Guillaume (la suite de ce texte tient du ridicule)

7- L’incendie millénariste, par G. Lapierre et Y. Delhoisie, bientôt aux éditions Sulliver.

La Guerre Sociale

Une des premières tentatives sérieuses de dépasser le déterminisme marxiste sans tomber dans le stérile communautarisme néo-soixante-huitard fut la parution de Un monde sans argent : le communisme. (écrit par le jeune Dominique Blanc et publié

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par les amis de Quatre millions de Jeunes Travailleurs). Cette tentative, suivie par la création de la revue La Guerre Sociale (d’abord King Kong International), échouera partiellement, comme on va le voir. Un monde sans argent fut sûrement un des textes les plus importants (par sa tentative d’une vision globale, générique) de tout le mouvement communiste européen. Allant plus loin que les utopistes ou les communistes oubliés de l’Antiquité à nos jours (1), ce texte essaye de formuler pour la première fois le mécanisme de la destruction du capital, qui est communisation immédiate des rapports entre individus…Mais, héritant d’un certain « bordiguisme », il échoue à nous satisfaire pleinement, on va y revenir…

En 1977, la Guerre Sociale, surtout animée par Dominique Blanc, publie son premier numéro, aux 1500 exemplaires vite épuisés. C’est le début d’une revue qui connaîtra 7 numéros, jusqu’en 1984, avant de cesser de paraître (2). A l’origine, elle est entourée à sa périphérie du cercle de personnes originaires de la déjà révolue Vieille Taupe, et réactivé lors de la rédaction du faux Monde-Diplo (3).

La Guerre Sociale montre un curieux optimisme, que partagent d’ailleurs la plupart des revues «  post-ultra gauchistes » de cette fin des années 70, hérité des rêves engendrés par le beau mois de mai…L’éditorial de l’unique King Kong International (1976) annonce ainsi (sans rire !) que « notre époque voit se développer et verra s’amplifier une tendance à s’en prendre à toutes les institutions et à tous les aspects de la vie dominante (…) la crise montre la fragilité du système (…)les émeutes des noirs américains, mai 68, le mai rampant italien, l’insurrection polonaise, la révolution portugaise, les grèves et les manifestations espagnoles préludes à un affrontement de grande ampleur ont montré et illustré ce nouveau départ de la révolution (…) l’évolution générale nous paraît claire. Elle mène au communisme. » (4). Cet optimisme est encore « pardonnable » en 1976, il le sera beaucoup moins les années suivantes dans les pages de la GS.

Pour comprendre la GS, il faut comprendre qu ‘elle est avant tout un style, un goût de la provocation, de l’action éclatante, percutante, démasquant les mensonges de la société du spectacle, et que l’on voit très bien dans le bilan que font Benhamou, Blanc et Joubert dans leur lettre du 1er avril 1985 pour annoncer la « Fin de La Guerre Sociale » : « Nous sommes satisfaits de ce que nous avons fait et nous insistons sur son importance : guerre aux féminismes [Misère du féminisme, GS n°2], aux écologismes [ Le retour d’un iguanodon, La transformation de la nature en homme (GS n°3, 5, 6)], aux antifascismes, aux gauchismes [le tract confus Notre royaume est une prison], aux pingouins [ l’affreux n°7 de la GS] de toute espèce…afin de déblayer le terrain et d’affirmer dans la société un parti ennemi du salariat et de l’Etat  ». Ce style « bulldozer du communisme », « fantassins de la révolution » caractérise pleinement la GS, lui donnant un coté agitatoire parfois très attrayant mais un activisme communiste un peu dommageable. Des les premiers numéros, il lui est reproché son manque d’analyse théorique de fond et une certaine tendance au superficiel. Elle n’en tiendra pas compte.

« A côté de textes importants (…) coexistent des articles où les arguments ne sont pas à la hauteur des affirmations, ou contenant des choses carrément fausses. Qu’il s’agisse des éditoriaux, de New York (GS #2), Denain-Longwy, l’Iran (GS #3) la réalité est amplifiée avec un optimisme qui cache un manque d’analyse, mais vient renforcer un optimisme plus général sur la révolution, conduisant à fabriquer de l’idéologie communiste rassurante pour le groupe et les lecteurs. »(point de vue de J. Pierre, Serge, Christine, Gilles, Dominique de Lyon- réunion du 22 mars 80)

Très triomphaliste, la GS voit le communisme partout. Nous en partageons avec elle la conception (qu’ellle developpe dans le tract publié ici et signé Les Amis du Potlatch : A bas le prolétariat ! Vive le communisme ! ), mais nous critiquons cet optimisme activiste qui la caractérise, la rendant incapable de comprendre son époque comme une époque d’échec et de restructuration.

Il y a un certain propagandisme chez elle, une tendance à simplifier, parfois grossièrement, comme on le voit dans l’article du n°1 « les prolétaires contre le travail », ou le refus du travail, le cassage de machines, etc…. est perçu comme quelque chose de révolutionnaire en soi…. En lisant des textes comme Un monde sans argent ou Abolition du travail salarié, ou La transformation de la nature en homme , on remarque que la Guerre Sociale reste sur l’illusion qu’il suffit aux ouvriers de reprendre en main la production pour que le communisme arrive… Elle continue de percevoir le travail sous une forme séparée, même après l’abolition du travail salarié. C’est beau de dire que travail et loisirs se mélangeront «  sous » le communisme, mais c’est mal comprendre que la communisation est la destruction de ces deux concepts, et c’est avancer implicitement que….le travail deviendra un loisir. ( !) Sans salariat, il n’y a pas de travail, même « en tant qu’ouvrage ». Ce n’est pas un hasard si on apprend (dans Un monde sans argent ) que dans la société communiste « le mot travail désignera peut-être le summum de la jouissance » !

Elle se débarrasse mal de l’héritage marxiste (et bordiguien) de la conception du progrès technologique. Elle produit des recherches intéressantes sur le sujet dans son article Abondance et dénuement dans les sociétés primitives, bien qu’elle s’attache trop à ce communisme primitif qui n’a jamais existé, qui n’est qu’une résurgence de l’idée rousseauiste du « bon sauvage ». Comme Testart l’a montré depuis (5), ce n’est pas parce qu’il y a appropriation commune de la richesse qu’il y a communisme, et dans les sociétés aborigènes par exemple, le producteur commence déjà à être dépossédé de son produit… Des diverses tendances millénaristes au jeune Marx, le communisme fut perçu d’une manière essentiellement morale, car détachée de la réalité et des différents possibles. L’histoire était posée par les premiers comme innocence des origines, puis perversion terrestre, puis paradis sur terre, et par le second, dans cette même logique, comme communisme primitif, puis aliénation, puis communisme. C’est cette erreur que la GS reprend à son compte. Jusqu’à aujourd’hui, l’histoire a été celle de

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l’aliénation des hommes et de leur déracinement, même au « bon vieux temps des primitifs », contrairement à ce qu’affirme Zerzan dans sa confusion actuelle…(6)

Quand, encore dans Un monde sans argent, on apprend que « l’énergie nucléaire ou l’informatique peuvent présenter un caractère très dangereux » mais que « cela ne fait que condamner la société existante qui les utilise inconsidérément  », on doute réellement….La GS voit là le communisme comme une simple reprise en main de la production sous toutes ses formes (nucléaire, technologie,..) par les producteurs en tant que producteurs, et en cela reste au niveau ultra-gauche. Comme si une production donnée et les besoins y correspondants étaient invariants au cours du temps….comme s’ils n’étaient pas déterminés/créés par l’époque du capital. Garder le nucléaire, par exemple, ce serait garder toute l’organisation sociale y correspondant. Il est certain qu’imaginer les formes de la dépense énergétique future est chose difficile, par contre une chose est sûre : on ne peut les déduire de ceux d’aujourd’hui, il n’y a aucune continuité. Le communisme est un monde sans argent, mais il n’est pas le monde actuel auquel on retirerait l’argent. Tous ces défauts sont également visibles dans Transformation de la nature en homme, (GS n°5 et 6, inachevé); mais, même s’il s’englue parfois dans le protechnologisme , il représente une contribution importante : le recentrage du « problème écologique » comme un problème social, pas technique. Cela mène à penser que la GS ne va pas au bout de sa critique (dépasser le « problème technique »). Il est tout de même beaucoup plus intéressant que beaucoup des jérémiades anarqueuses-écolo, trop courantes aujourd’hui…(7)

Je pense que la Guerre Sociale resta souvent engluée dans la décomposition du mouvement révolutionnaire de l’après 68, sa conception du progrès (qui, sous prétexte d’aborder les problèmes concrètement, flirte avec le bordiguisme) comme son activisme tendent à montrer qu’elle n’avait peut-être pas les moyens d’aller plus loin que là où elle a été. Elle a joué son rôle d’agitation et de propagande, partant à l’assaut des forteresses et des « mythes capitalistes », mais n’a pas pu faire plus que cela, et a globalement échoué à comprendre son époque comme étant l’ère de la glaciation et à mener une critique lucide de l’ancien mouvement ouvrier.

Aujourd’hui, elle tient sa renommée d’une tout autre chose que les différents points que nous avons abordé, elle est devenue célèbre – merci aux crapules journaleuses – pour être tombée dans un « piège à cons », le plus gros de tous les « pièges à cons », et pour n’en être à la vérité jamais véritablement sortie indemne…

NOTES :1- cf. Le dossier utopie édité par Etcetera en 1985.2- Une lettre, du 1er avril 1985, adressée par la Guerre Sociale au collectif Etcetera de Barcelone, precise la diffusion de

la revue : « 3000 exemplaires vendus du n°3, 500 des deux derniers ». (« Fin de la Guerre Sociale » - Etcetera n°36, 1985))

3- Un faux Monde Diplomatique fut rédigé et diffusé lors du vrai/faux suicide de Baader en Allemagne. On peut en lire des extraits dans le n°2 de la GS, ou le commander à notre ami Bernard Cassen. Cette pratique du scandale, héritée des situs, arriva là à bout, et le scandale suivant, l’affaire Faurisson, acheva de décimer les révolutionnaires.

4- K.K.I., cité dans le très bon Votre révolution n’est pas la mienne (ed. Sulliver) et bientôt en espagnol chez Alikornio.5- Alain Testart, Le communisme primitif, disponible en librairie. Très intéressant, très poussé. Il existe aussi une

interview de Testart dans le journal ayant succédé à la GS, Maintenant le communisme. (n°2, 1991)6- J. Zerzan est un primitiviste américain. L’Insomniaque a édité ses deux livres Futur Primitif et Aux sources de

l’aliénation. Son rêve du retour à l’Homo Habilis est une régression de la pensée critique. Et sa pensée, parfois juste, est généralement basée sur la falsification de l’histoire humaine. On peut consulter la brochure de Alain C. John Zerzan et la confusion primitive,( disponible sur le site http://abirato.free.fr ) ainsi que l’introduction (beaucoup plus complete) au n°12 de la revue (Dis)continuité ( Francois Bochet, 5 rue Brel, 87800 Nexon)

7- Le texte est consultable en ligne sur notre site www.geocities.com/labombeuse/

La Vieille Taupe 2 et l’affaire Faurisson ( Histoire d’un « piège à cons » )

« Personne n’a besoin d’ « inventer » des horreurs et il est difficile d’ « exagérer » : le capitalisme en produit beaucoup plus que l’imagination ne saurait le faire. Le tout est de savoir quelle attitude on a devant ces horreurs. (…) Peut-on répondre à [l’]exploitation par la bourgeoisie de ses propres crimes en niant purement et simplement leur réalité ? Non ! C’est débile – dans tous les sens du terme -. (…) Le prolétariat ne nie pas la réalité des tortures, massacres, exterminations, même s’il n’est pas seul à les subir, (…) mais il montre leur cause réelle. »Antifascisme infantile. Le Prolétaire n°322 – 1980

En 1979, la France est le théâtre de l’affaire Faurisson, du nom de ce professeur, conservateur degauche, prétendant prouver scientifiquement l’inexistence des chambres à gaz. Faurisson s’inscrit dans une tradition politique qui vient de l’après guerre, pas spécialement d’extrême droite, mais plutôt populiste et un brin antisémite, comme l’illustre très bien l’exemple de Paul Rassinier. (1) Jusqu’à présent, rien à voir avec notre sujet… C’est là qu’intervient Pierre Guillaume qui reprend la marque la Vieille Taupe…et se lance dans une bataille médiatique acharnée…pour le droit d’expression de Faurisson….Cette Vieille Taupe, appelée pour simplifier VT2, laissa sceptique une grande partie du « milieu », qui espéra un moment que Guillaume reviendrait

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à un peu plus de lucidité. Ce ne fut pas le cas, et depuis ce moment là, l’ex-révolutionnaire Guillaume et sa VT2 persistent et signent dans leur impasse, se tournant même aujourd’hui vers le nationalisme arabe ! Comment expliquer cette dérive ? L’énorme gueule de bois (2) d’un après mai raté ne suffit peut-être pas à cela. En tout cas, par haine de la démocratie, du stalinisme et de l’antifascisme, la position de Guillaume, qu’il le veuille ou non, va se limiter à blanchir le fascisme de ses crimes (les négationnistes sont les descendants des perdants de Nuremberg), et à s’acharner sur un « verrou à faire sauter », le « mensonge des chambres à gaz », devenu pierre angulaire de toute une construction paranoïaque : si le capitalisme tient encore, c’est à cause du « mensonge du siecle », faisons sauter ce mensonge et le vieux monde s’écroulera. Comme toute construction paranoïaque, celle de Guillaume a sa logique : je veux dire, quand on cherche le mensonge, on peut le trouver partout, surtout là où il n’est pas… Un gout de l’action percutante, spectaculaire, que Guillaume partage avec ses ex-amis situationnistes, le pousse dans ce bourbier. Ce délire du « mensonge du siècle », même si avec Guillaume, il tend vers l’extrême droite, plonge ses racines dans les analyses du capitalisme comme simple domination, spectacle ou mensonge, analyses qu’un petit milieu parisien a héritées de la mode situ.

Guillaume ne fut pas le seul à s’embarquer dans cette morbide galère. Il influença d’autres révolutionnaires sincères en manque de révolution, comme les gens de la Guerre Sociale qui, par activisme, l’ont naïvement rejoint (3). Mais là encore, il faut tacher d’éviter toute confusion… Guillaume est passé (ou presque) à une sorte d’opportunisme d’extrême droite. La GS, elle, même si elle s’est acharnée à le juger « fréquentable », était, je crois, dans une tout autre logique. Pour elle, l’aventure Faurisson se termine en 1981. Le tract « Notre Royaume est une prison », d’octobre 1980, au contenu globalement communiste, laissait transparaître quelques passages typiquement faurissoniens délirant sur le « mensonge des chambres à gaz »… Elle nage alors en pleine confusion, se fait insulter de « petits cons » et de « misérables imbéciles » par un de ses lecteurs (J. P. Manchette, Alerte au gaz !), et ressort la tête en 1981 avec l’article De l’exploitation dans les camps à l’exploitation des camps (suite et fin). Ce texte commence par un (très sincère) « Qu’allions-nous faire dans cette galère ? », se demande ensuite « Y a t-il eu des chambres à gaz dans certains camps de concentration ? », en profite pour qualifier les zozos Rassinier et Faurisson d’ « auteurs du bord opposé » et produit ensuite un article peu intéressant, mais extrêmement confus et s’acharnant à dire que l’existence des chambres à gaz est indémontrable etc. Ceux qui s’acharneraient à y voir de l’antisémitisme ou du nazisme déguisé ne sont eux aussi que de « misérables imbéciles », tout ce que j’y vois, c’est que la GS doute de l’existence des chambres, produit des arguments très faibles pour cela, ne pouvant s’empêcher de faire des chambres à gaz une question de principe (ce qui est une régression par rapport à la première partie de l’article, publiée en 1979), esquissant une critique (beaucoup trop timide) de Guillaume et Faurisson, tout cela étant bien sûr amplement suffisant pour lui faire mériter les qualificatifs de l’auteur de Nada… La GS en finit (provisoirement) avec l’affaire Faurisson avec cet article, dont la dernière phrase «  quant à nous, nous continuerons à porter cette antique querelle – la distinction entre le vrai et le faux – sur un terrain plus central en nous attaquant à la principale imposture du XXeme siècle : l’idée selon laquelle le communisme se serait déjà établi quelque part et ne serait pas encore tout à venir » est resplendissante de confusion et d’amalgames, mais a au moins le mérite de vouloir sortir de l’engrenage Faurisson…

Aujourd’hui, quelques journalistes ou écrivaillons de tout bord s’acharnent à assimiler toute l’ultra-gauche à la dérive lamentable de Guillaume, nous empêchant d’atteindre une lucidité suffisante pour parler de tout ça. En tout cas, nous n’avons que faire des calomnies de ceux qui se servent de l’accusation de « nazi » pour justifier l’existence démocratique du capital…

Primo, ce n’est pas aux révolutionnaires de revendiquer la liberté d’expression des révisionnistes, surtout que leur interdiction leur assure une notoriété qu’ils ne pourraient pas atteindre dans la légalité, vu la nullité de leurs arguments.(4) Deusio, la liberté d’expression, on en a rien à foutre. Tertio, les chambres à gaz ont existé comme instrument d’un plan d’extermination annoncé depuis Mein Kampf et mis en pratique par la guerre, se déchaînant au début contre les « malades mentaux », puis contre les Juifs, les Tziganes,…

NOTES :1- Il existe une forte tradition antisémite de gauche en France. Les Rassinier et Cie en sont les lointains héritiers..2- On peut également rajouter ici une comparaison qui pourrait être intéressante, et qui n’a jamais été faite. On remarque

en effet qu’en période de contre-révolution ou même simplement de défaites ouvrières à grande échelle, comme ce fut le cas lors de l’affaire Faurisson, beaucoup de révolutionnaires tendent à s’éparpiller sur des chemins de traverse ou même à rejoindre le camps adverse. L’exemple du journal anarcho-communiste du début du siècle La Guerre Sociale [sic] est surprenant. Les éditions Les Nuits Rouges viennent de publier un recueil de textes de ce groupe : La Guerre Sociale : un journal « contre » (la période héroïque – 1906-1911). On y decouvre une feuille d’agitation fort agréable à lire, impolie, provocante et souvent sans concession….On remarque également qu’à partir de 1912, comme la majeure partie du mouvement ouvrier, la GS se rallie à l’union sacrée et ses rédacteurs s’éparpillent (populisme, antisémitisme,…). Laissons la parole à Raoul Vilette : « Cette évolution était certainement déconcertante, mais elle ne fut pas propre aux rédacteurs de la GS qui, comme leurs camarades des autres partis révolutionnaires, connurent diverses infortunes politiques des lors qu’ils abandonnèrent tout espoir de transformer la société. « On ne peut pas rester révolutionnaire de fait à jet continu », écrivait l’un d’eux. Il aurait pu ajouter qu’on ne vit pas dans une société de classes sans donner quelques gages à ses dirigeants, sauf, bien sûr, lorsqu’on a décidé de rester tout en bas de l’échelle sociale. (…) Pour la plupart, cette rupture coïncida avec le reniement par l ‘ensemble du mouvement ouvrier européen de ses principes pacifistes révolutionnaires [sic]. Tous les autres abandons découlent de là. Ceux qui resteront au PC dans les années 30 devront endosser le stalinisme, ceux qui

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rejoindront la sociale-démocratie, ou la démocratie tout court, devront couvrir les crimes coloniaux, quant aux pacifistes intégraux des années 30, on sait qu’une partie notable d’entre eux se ralliera à Vichy, parfois par antidémocratisme ou antisémitisme résiduel. De sorte qu’au total assez peu nombreux seront les membres de cette génération militante qui entreprendront quelques actes de résistance à l’occupation allemande ; mais ils avaient tous atteint ou dépassé la soixantaine ». Gustave Hervé, rédacteur en chef de la GS pendant ces années de gloire, écrira en 1935 un C’est Pétain qu’il nous faut,  mais ne collaboreras jamais  au régime de Vichy .

3- La GS ne fut pas le seul groupe de la « post- ultra-gauche » à faire un bout de chemin avec Guillaume. Le tract Notre Royaume…est signé par d’autres groupes, comme Le Frondeur, le Groupe Commune de Cronstadt, le Groupe des travailleurs pour l’autonomie ouvrière et la revue Jeune Taupe.

4- Pour se rendre compte de la stupidité des arguments négationnistes, on peut aller sur le site Internet www.abbc.com/aaargh/ , site qui comprend aussi un index des textes publiés par la VT2. On peu également consulter sur ce site les premiers textes de Rassinier (pas encore ouvertement antisémites), en particulier son livre Le Mensonge d’Ulysse.

La Banquise La Banquise existera entre 1983 et 1986, et comptera en tout et pour tout…quatre numéros, avec une diffusion un peu plus maigre que la GS, autour de 1500 exemplaires. Les animateurs de LB veulent leur démarche en continuité avec ce qui avait été fait après 1968, avec la Vieille Taupe ou ensuite avec la revue le Mouvement Communiste. Ils rompent définitivement avec la Guerre Sociale en 1980, lors de l’ « Affaire ».La Banquise va plus loin que le MC, puisque ce dernier, produit de la confusion du moment, avait encore tendance à se prononcer pour une impossible transition du capitalisme au communisme, qu’il abandonnera vite. (cf. le recueil de Senonevero, op. cit.) Beaucoup mieux que la Guerre Sociale, elle arrive à survivre à la glaciation – restructuration, qu’elle perçoit comme telles, s’interdisant tout optimisme à court terme. Elle annonce la couleur dans son « manifeste » Le roman de nos origines : « La seule défense de la condition prolétarienne est une impasse, un programme irréalisable, ou un néo-syndicalisme. Pour les prolétaires, la difficulté présente vient de ce qu’ils ne peuvent se revendiquer de rien de ce qui existe en ce monde, pour le défendre, l’étendre, etc.… ». Dans LB, les articles publiés sont des efforts théoriques plus généraux, contrairement à la GS, même si la plupart des textes pêchent par leur longueur et leur forme brouillon, comme Les révolutionnaires ont-ils une contre-révolution de retard ? (LB3) où est faite une réflexion de grande qualité en ce qui concerne la relation prolétariat/communisme, dépassant là une GS souvent superficielle.

Avant l’apparition du marxisme, le prolétariat était compris intuitivement comme «  un groupe défini non pas par ce qu’il fait, mais par ce dont il est dépossédé », et donc par le refus potentiel de cette dépossession, il est « la réunion de tous ceux qui sont niés, et les ouvriers de loin les plus nombreux, n’en sont pas en tant qu’ouvriers mais en tant que niés  ». Marx et ses continuateurs vont ensuite réutiliser/déformer cela pour assimiler le prolétariat à la classe ouvrière (montrant ainsi une limite du marxisme comme pensée européenne) : « Les ouvriers sont dépossédés, définition négative. Ils manient les forces productives, définition positive ». Cette conception eut cours tout au long du mouvement ouvrier passé, y compris après 68, mais elle ne convient pas, ni à la Banquise, ni à nous. « Les révolutionnaires d’alors ont plaqué une réalité sociologique insuffisamment critiquée sur une définition négative, pour lui donner un corps, un contenu concret. Même à leur époque, c’était inopérant. » Les révolutionnaires du 19eme restèrent dans la théorie prisonniers du mouvement ascendant du capitalisme : affirmation de la classe du travail, reprise en main de l’appareil productif par les prolétaires en tant que prolétaires : bref, les prolétaires, souvent contre leur gré, doivent développer le capitalisme « sans les capitalistes » (ou presque !). Non pas qu’il y ait eu un quelconque inéluctabilisme de la défaite, mais presque 100 ans après, on voit que la révolution n’a pas su sur le moment se dégager du champ de la contre-révolution , les deux restant liés, mélangés.

LB remet sur le tapis - et ce n’est pas nouveau –, en conformité avec sa demarche (retour au jeune Marx des Manuscrits de 1844, influence certaine de Camatte) que le prolétariat n’est pas une classe sociologique, donc pas une classe, ou plus précisément plus qu’une simple classe de la société capitaliste, que la dépossession générale qui le caractérise (le prolétariat est la « classe » quasiment universelle) exprime peut être déjà la dissolution du vieux monde marchand, puisqu’elle débouche constamment sur le refus de cette dépossession, refus trés souvent partiel, mais….

« (…) pour La Banquise, la résistance à l’exploitation ne peut être porteuse du communisme et donc le prolétariat déjà s’y affirmer comme classe potentiellement révolutionnaire. » (GS n°7, p23). L’auteur de cette critique se trompe, pour LB comme pour lui-même, la révolution naîtra des conditions quotidiennes, et donc de la résistance au travail, d’où pourrait-elle d’ailleurs bien naître, sinon ?? Le problème n’est pas là, il se situe au niveau de la compréhension des luttes, et de leur degré qualitatif. Contrairement à la Guerre Sociale qui voit dans chaque émeute, grève sauvage,… des germes de communisme, (ce n’est pas forcément faux), La Banquise se montre beaucoup plus réaliste. Une lutte ouvrière est parfaitement contre-révolutionnaire si elle défend l’emploi, la condition salariée,…. Il ne s’agit pas de faire la théorie de la lutte parfaite, mais d’essayer simplement de discerner les limites de chaque lutte et non d’y espérer le début d’une hypothétique révolution. (voir De Pretoria à Liverpool, LB n°4), sans tomber pour autant dans les positions de révolutionnaire professionaliste du type : « Quoi ! Une lutte pour des papiers, mais c’est contre-révolutionnaire : le communisme ne connaîtra pas de papiers ! » (c’est bien vrai, mais tellement stupide….)

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La Banquise tente aussi une difficile anthropologie révolutionnaire avec le texte Pour un monde sans morale, essayant de « dépasser le néo-quotidiennisme situ et l’agnosticisme de ceux qui prétendent que, sortis de la pure critique du salariat, on tombe dans l’ordure programmatiste ». (le Brise Glace n°4). Ce texte, même s’il contient quelques passages erronés (source de l’ire de D.Blanc) se démarque de l’antimoralisme post-soixante-huitard (aussi moral que ce qu’il veut critiquer) de ceux pour qui le communisme est la société parfaite, avec des gens baisouillant 24h sur 24 dans l’orgie communautaire libératoire. Bien sur il pêche par l’emploi de telle ou telle formule choc, ce qui a déchaîné quelques polémiques qui auraient pu être évitées. Pour un monde sans morale s’attache à démonter le mythe moderne de la sexualité comme domaine séparé. « Vouloir traiter à part de la sexualité est stupide et fait encore le jeu de ce système basé sur la division et la parcellarisation. La sexualité, ça n’existe pas, tout est sexuel, aussi bien la religion que l’économie politique, puisqu’elles sont humaines. Séparer le sexe du reste, ça s’appelle castrer. » (Pour en finir avec le cul- Le Fléau Social n°4)

La Banquise n’est pas la fille de la GS, même s’il est vrai que les pingouins furent proches de la GS des débuts. Chacune mena son existence séparément, parvenant à des conclusions bien différentes, sur la caractérisation de la période, ou encore sur Faurisson. Malgré les querelles, les conflits et blocages individuels, caractériels, propres à un «  milieu » révolutionnaire juste bon à se déchirer (paradoxal pour des partisans de la communauté humaine !), la lecture de la GS gagne à être complétée par celle de LB, et peut-être vis-versa.

La Banquise exista surtout par une tentative de vie commune de ses animateurs, dans une maison de la banlieue parisienne. L’échec de cette tentative précédera la fin de la revue, comme l’expliquent « Les nouvelles du froid » (LB 4). L’aventure se poursuit ensuite avec une partie des banquisards dans la revue « Le Brise Glace », dont le numéro 4 et dernier sort en 1990. Ce « Brise Glace » fait des incursions très réussies dans des domaines bien précis, comme avec l’excellent article sur la démocratie, publié ici, une des meilleures réflexions sur le sujet, ainsi qu’une très bonne analyse du «  Sionisme, avorton du mouvement ouvrier », non publié ici, mais bientôt disponible sur internet. Le Brise Glace s’échoue en 1990, et c’est une nouvelle aventure qui commence : Mordicus.

Vous avez demandé la révolution ?…..Ne quittez pas ! « Le défaut interne du système est qu’il ne peut réifier entièrement les hommes ; il a besoin de les faire agir, d’obtenir leur participation, faute de quoi la production de la réification et sa consommation s’arrêteraient là. Le système régnant est donc aux prises avec l’histoire, qui est l’histoire de son renforcement et l’histoire de sa contestation. » (Internationale Situationniste n°7)

« Dire que l’on se sentait contesté comme Homme, comme membre de l’espèce, peut apparaître comme un sentiment rétrospectif, une explication après coup. C’est cela cependant qui fut le plus immédiatement et constamment sensible et vécu.(…)La mise en question de la qualité d’homme provoque une revendication presque biologique d’appartenance à l’espèce humaine. » (Robert Antelme, L’Espèce Humaine)

Nous sommes particulièrement inquiets des avancées dévastatrices de la technologie actuelle. Le Capital arriverait-il à faire de l’homme un mutant capitaliste intégral ? Avec le développement des manipulations génétiques, l’eugénisme moderne, on peut voir à long terme une accélération dangereuse de la domestication de la vie… « Que signifie cette entrée dans la matière vivante ?(…) Indiscutablement c’est un signe de vitalité capitaliste. Non pas que la révolution génétique donnerait enfin la clef d’un contrôle totalitaire. Mais parce qu’elle prouve une fois de plus que le capital va toujours au-delà de lui-même. Sans toucher à son fondement (le salariat, l’échange), il en modifie le fonctionnement. Qu’il aille au cœur du processus vital montre que là est le problème :[l’espèce humaine]produit le capitalisme mais n’arrive jamais à le produire harmonieusement ni à étouffer tout à fait une contestation communiste. Là où gît la source de l’énergie capitaliste, là aussi se trouve sa contradiction.(…) La biologie incarne le rêve impossible du capitalisme : devenir l’espèce humaine, absorber en lui toute la vie dont il se nourrit ». Cette longue citation, extraite du texte Le jour où la bactérie s’arrêta, (LB4-1986), est d’une actualité brûlante. Le capitalisme ne maîtrisera jamais entièrement le vivant, mais ses avancées actuelles et les risques énormes qu’il fait courir à notre espèce et à la planète sont perçus et critiqués de plus en plus aujourd’hui, même partiellement. Les interrogations sur les modes de vie dans les « sociétés » pré capitalistes (lire le texte de la GS publié ici) reviennent d’actualité, ce qui montre, au minimum, un rejet du monde actuel assez profond (1), qu’on peut également voir à l’œuvre dans les mouvements critiquant la montée des nuisances actuelles, destruction de la nature, de la santé mentale et physique des hommes et des femmes,…La critique de la « malbouffe », de la dégradation des comportements humains, de la pollution sous toutes ses formes, ne sont que des aspects partiels, séparés, d’une critique du capital qui est de plus en plus perçu et subi dans la vie même comme une monstrueuse aliénation…Le primitivisme, de ses tendances les plus absurdes (les fanatiques génocidaires de Earth First) aux théories de l’ex-conseilliste américain Zerzan, regroupe certaines tendances de l’anarchisme empreintes de la nostalgie de la Préhistoire et du retour à un passé jugé meilleur (non-aliéné, etc.). Il est courant d’entendre parler de la proximité entre les thèses de Zerzan et celle de Camatte. Nous ne partageons pas cette opinion, quelles que soient les limites de la tentative camattienne de fuite de ce monde, elle avait au moins le mérite, je crois, de se considérer comme un bond dans le futur…

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L’idéologie primitiviste, avec son rêve d’un retour au mythique Eden et sa critique très moraliste de la technologie, est une tentative aliénée de dépasser l’aliénation, une impasse qui n’est pas sans laisser penser à une certaine critique sociale d’extrême droite (antilibérale, passéiste,….). Réactionnaire, l’ idéologie primitiviste est sans avenir, elle crèvera avec le système qui la produite.« Cette idéologie marque un désir caractéristique de l’individualisme de masse : le désir d’auto valorisation, le désir de reconnaissance par autrui. Ce désir reflète un manque réel, mais, produit de l’aliénation, il parle son langage. C’est l’être humain séparé qui s’exprime là, car dans sa séparation, tout ce qui lui reste, c’est sa propre solitude, ce qu’il appelle son individualité. Privés que nous sommes de toute action collective consciente, nous ne parvenons même plus à imaginer qu’une telle action soit possible. (…) Zerzan et Unabomber (…) ne conçoivent pas la communauté humaine comme dépassement des conditions actuelles et de toutes les situations du passé, mais comme une régression vers ce passé. Et leur pensée, qui se veut révolutionnaire, constitue effectivement une régression. (J.Zerzan et la confusion primitive)

De plus en plus de gens veulent en finir avec ce monde putride, et le phénomène Richard Durn (dit le tueur de Nanterre), horriblement….rationnel….risque de se reproduire de plus en plus, tellement le capital dépossède l’homme pour en faire un robot frustré. Son cas est édifiant ; de multiples tentatives pour s’intégrer dans la société bourgeoise, des tentatives de suicide à la suite de ces échecs et finalement il a compris que la société était responsable de sa maladie. Sa mort, il se l’est choisie, enfin. Il est à prévoir qu’il ne va pas être le seul, l’atomisation des individus face aux murs de la société organisée va produire des réactions de ce type, et pas toujours aussi ciblées. L’ère de l’autodestruction physique de l’individu entre dans une phase supérieure, comme tendent à le montrer la paupérisation et la déshumanisation universelles qui ne cessent de croître… et leurs conséquences (le phénomène kamikaze en Palestine-Israel (2) ou les pertes apparentes de tout lien social dans un monde en ghettoisation).

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« L’image de la glaciation exprime seulement le moment présent de l’histoire humaine, dans lequel un mouvement social s’est partiellement figé. Nous ne pensons pas qu ‘ « il ne se passe rien ». Le démon des glaces – le prolétariat – est toujours là. Mais trop d’actions vont dans des directions capitalistes pour qu’un surgissement révolutionnaire prochain, s’il survenait, n’en souffre pas. (…) La période récente, caractérisée par un reflux relatif des luttes de classes, est-elle un hiver un peu long, ou s’agit-il des premières années d’une glaciation séculaire ? » (Avant la débâcle, LB1) Même si ce reflux des luttes dont parle LB était tout relatif, comme on peut aisément le constater en lisant les comptes-rendus de la revue Os Cangaceiros (Pologne, Angleterre, France,…), il est bien terminé aujourd’hui. La restructuration est terminée, les luttes actuelles, que cela soit au travers des revendications d’Attac ou celles du mouvement d’action directe, remettent l’idée d’une rupture avec ce monde à l’ordre du jour. Tant mieux ! Nous croyons voir, avec l’émergence du mouvement antimondialiste, une remise en cause du monde existant. Son slogan « Un autre monde est possible » exprime en négatif la possibilité d’une ré appropriation de ses conditions de vie par l’humanité, mais en reliant cette perspective séduisante aux actions des « contre pouvoir citoyens », de la Taxe Tobin, il montre que la mort du « programmatisme » de l’ancien mouvement ouvrier a aussi été l’acte de naissance d’une nouvelle saloperie moderne, le citoyennisme, représentant, malheureusement assez bien, les limites de la plupart des luttes actuelles (3). Toutes les luttes actuelles, dont on peut remarquer sans arrière pensée optimiste aucune la radicalisation depuis 1995, portent cette empreinte du démocratisme radical. On a vu lors des sommets (G8, FMI,….) des groupes de « prolétaires anticapitalistes » attaquer la propriété sur leur passage, dans des orgies de destruction parfois très sympathiques, en particulier de Seattle à Gênes… Là encore, les ultimes rejetons de l’ultra-gauche et de l’ « anarchisme » pas joyeux montrent ce qu’ils savent le mieux faire : accuser, diffamer, mentir en méprisant les « casseurs » qui ne seraient, paraît-il, que l’équivalent d’Attac avec la violence en plus. Beaucoup peuvent parler sans cesse de communauté en restant indifférents à l’action des anticapitalistes lors des sommets (G8, FMI,…). « Cette scission entre exprimer des idées et se soucier de leur fonction sociale subversive, est signe d’une vie d’abord idéologique. Ils ont des théories intéressantes (…)sans être capables de faire plus qu’une interprétation du monde. Leur théorie est le meilleur d’eux-mêmes, ils n’ont rien d’autre. »(J.Barrot, à propos de l’affaire Puig-Antich, dans Violence et solidarité révolutionnaires) Se croire en dehors du cours des luttes équivaut à faire de la révolution un loisir mental, une religion, un domaine à part, et à montrer ainsi qu’elle n’est pas un réel besoin puisque la théorie prend la forme d’une communauté-refuge parfois bien confortable. L’affirmation du communisme n’est pas l’affirmation de principes. La sectarisation de tout un milieu sincèrement révolutionnaire est une grave pathologie….

Le problème des anticapitalistes Black Bloc n’est pas du genre « Casser une vitrine, ça sert à rien » (l’ultra-gauche sait produire des perles de ce genre en série) mais des perspectives autour d’eux. L’usage de la violence minoritaire est très délicat dans la société moderne en période de paix sociale. Le problème essentiel des pratiques du BB est situé au niveau de l’activisme. Comme le dit Andrew X, participant au mouvement radical Reclaim the Streets, cette pratique « est fondée sur la fausse conception selon laquelle ce sont les activistes qui produisent le changement social – alors que bien sûr la lutte des classes se produit tout le temps ». (4) A terme, si ces mouvements n’arrivent pas à rejoindre la sphère quotidienne du travail et de sa critique, ils ne resteront que pur symbolisme, qu’exorcisme, et peut être un jour une nouvelle discipline sportive  : la casse de vitrines…Apparemment la jonction tarde à se faire. Mais le mouvement n’est pas encore mort.

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Nous ne cherchons pas la baston à tout prix, mais on aura compris que nous sommes avec toutes celles et ceux qui refusent le capitalisme, et le plaisir de la casse de vitrines, la convivialité créée lors de ces instants de piratage de l’ordre (5), sont évidemment loin, très loin de nous laisser froids….

Depuis le massacre de Gênes (6), le mouvement tend à prendre une autre orientation. Les évènements du 11 septembre, où des symboles du capitalisme américain ont été attaqués par des forces rétrogrades et désolantes d’intégrisme religieux, ont certainement contribué à stopper le mouvement, en particulier grâce à la gigantesque opération de police internationale orchestrée par Bush (7). A Barcelone, pour le sommet de l’UE en mars 2002, il y a eu plus de personnes qu’à Gênes, et pourtant très peu de violence contre l’Etat.Beaucoup de gens refusent désormais d’aller se jeter dans la gueule du loup, dans ces sommets surfliqués et surmédiatisés. Ce mouvement antimondialisation, en majorité, est un ultime avatar du spectacle du refus, de la pseudo-contestation histoire d’aller se faire bronzer le cul sous le soleil de Gênes au mois de juillet et de prendre des photos. Les franges radicales agissant en marge de ce mouvement semblent prendre une autre voie aujourd’hui, en privilégiant des actions décentralisées, des festivals alternatifs locaux plus ou moins itinérants (cf. le camping de Strasbourg cet été,…), voulant vivre en autogestion, ce qui est devenu complètement impossible, ou alors les mots ont perdu leur sens : « l’autogestion » d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec la reprise en main de la production par les gueux, c’est plutôt un ensemble de comportements voulant créer des « zones temporairement libérées » de l’emprise du capital sur la vie et expérimentant les possibles (utilisation d’autres énergies, comportements alimentaires, « défense de la nature » avec les « éco-warriors » anglais,….). Malheureusement, tout ce milieu à tendance à se spécialiser, à se figer en une mode alternative, une attitude subversive autosuffisante (casse urbaine, piratages informatiques,…) qui devient (j’ai l’impression) une idéologie, un ensemble de comportements stereotypes (casse de Mac Do, par exemple) manquant de créativité et aussi parfois de lucidité  : non, il est impossible de vivre complètement en-dehors du capital…On ne peut entièrement quitter ce monde… Attention, qu’on nous comprenne bien, « s’il est absurde de proclamer être effectivement sorti du monde il l’est tout autant de prôner un autre monde, une autre humanité sans tendre vers ceux-ci ici et maintenant car si seule la fin de ce monde pourra permettre une autre vie, une vie désintoxiquée, seule une vie déjà en voie de désintoxication, une vie déjà déconditionnée – comme celle que Bordiga envisageait dans le parti – peut envisager un autre monde ; la réflexion ne peut pas, seule, dépasser certaines limites et s’évader de la noosphère du capital si elle n’est pas appuyée par un vaste mouvement de remise en question profonde et de fuite de ce monde », comme postule assez justement la revue (Dis)continuité, continuatrice à sa façon d’Invariance….

Nous avons du mal à voir à l’horizon autre chose que l’horreur de la soumission humaine, de l’obscurantisme, de la non-communauté et de la destruction de la planète… Il y a indéniablement un renouveau international de la contestation, mais si timide et si limité que nous ne nous faisons, à vrai dire, guère d’illusions pour le futur proche (8).

« Révolution n’est pas synonyme de changement, mais de changement à la base, radical. Ce n’est pas le besoin de vivre autrement qui est révolutionnaire : s’il se résout dans un changement qui n’est qu’aménagement, aussi profond soit-il, il ne change pas la racine des choses. Est révolutionnaire le besoin de vivre autrement contrecarré par la société qui force l’individu à participer à sa destruction pour pouvoir satisfaire un tel besoin. C’est de ce point de vue qu’on peut comprendre la portée des mouvements en marge. Ils sont révolutionnaires en ce qu’ils veulent autre chose, mais cessent de l’être dès que ce besoin n’est plus en conflit avec la société présente. » (Le Mouvement Communiste n°4, mai 73)

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C’est dans un esprit d’ouverture que nous voulons approfondir nos réflexions aux côtés des autres réfractaires, échanger des idées, débattre, et surtout ne pas rester enfermés dans les carcans de toutes les idéologies. Elles ne veulent que faire survivre ce monde de merde. La révolution est plus que jamais au désordre du jour, je parie évidemment sur elle comme beaucoup d’autres, mais je ne me fais pas d’illusions : ce n’est et ce ne sera jamais qu’un pari…

Le désir de détruire est aussi un désir créateur (Bakounine)

NOTES :1- On peut lire avec un certain intérêt le bulletin madrilène d’information anti-industrielle, Los Amigos de Ludd. (C/

AVE MARIA, 39 – 2° Dcha Ext. 28012 Madrid)2- Il serait intéressant d’étudier de près l’aliénation des kamikazes, sous ses aspects sexuel, social, économique,…Il

faudrait également cesser, dans le « conflit Israël Palestine », de faire une critique à sens unique. Il est très courant d’entendre dire (et parfois chez les révolutionnaires, c’est le plus malheureux) que « l’Etat d’Israël est en train de commettre un génocide en terre de Palestine », que « la Palestine est un gigantesque camp de concentration », etc…(et autres formules aux comparaisons erronées et plus que douteuses). Et je trouve particulièrement choquant qu’on oublie de parler de l’extermination non ciblée, collective, que les kamikazes palestiniens font subir à la population juive. Et que l’on ne nous rétorque pas l’argument des chiffres : que les kamikazes, armés rudimentairement, n’arrivent pas à massacrer autant que le boucher Sharon, n’ôte rien à l’horreur qui est celle des attentats anti-semites qu’ils commettent… A mort Israël ! A mort la Palestine ! A mort tous les Etats ! Faut-il répéter que, en ce qui nous concerne, ce qui est particulièrement tragique dans cette affaire, c’est bien le fait que les prolétaires des deux camps

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s’entretuent, rendant impossible à court terme tout surgissement communiste, et contribuant à déchirer encore plus l’espèce humaine, ou ce qu’il en reste….

3- On peut consulter L’impasse citoyenniste (Internet), l’ouvrage de Roland Simon chez Senonevero, Le démocratisme radical, les n°17 et 18 de Théorie Communiste, le n° 36 de la revue Etcetera (Apartado 1363 – 08080 Barcelone) ainsi que le n°10 de la revue Aufheben.

4- Antimondialisation activisme et capitalisme, chez Mutines Séditions (http://cettesemaine.free.fr)5- TAZ par Hakim Bey, éd. de l’Eclat. 6- Sur les évènements de Gênes, on peut lire le témoignage de S. Quadruppani, Les multiples visages de la révolte

globale et la face assassine de Big Brother, et le très bon journal paru à cette occasion, Les Témoins de Genova. On peut également lire le court article paru dans Cette Semaine n°85, « Quand « Reflex » blanchit des balances ». On peut se rappeler que l’anarchiste violent Severino di Giovanni avait assassiné à Buenos Aires dans les années 20 le leader de la FORA (« anar » réformiste), Lopez Arango, qui avait insulté Severino d’ « agent fasciste »… Evidemment, di Giovanni, anarchiste, assassin et même cambrioleur-braqueur ( !) a été oublié. Un siècle de prêt à penser « anarchiste officiel », cela fait des ravages…

7- Il serait incomplet de qualifier seulement ce qui se passe depuis « le 11 septembre » comme une simple opération de police. C’est avant tout, dans le cadre de la « mondialisation » une liquidation des régimes se voulant imperméables à la libre circulation des capitaux (américains et autres), et cela participant à l’attaque mondiale qui est menée contre nous ces temps-ci : précarisation, chômage, répression,…et à laquelle bien sûr nous réagissons timidement (Argentine [voire la brochure d’Echanges], Kabylie [voir Apologie pour l’insurrection algérienne par J. Semprun],….). On peut lire à ce sujet le hors-série de l’Oiseau Tempête, le n°18 de TC et le Septembre Gris de Troploin.

8- Cf. Il va falloir attendre (Bref rapport sur l’état du monde), par Gilles Dauvé et Karl Nesic (Troploin, 2002).

BONNE LECTURE !