à l'Épreuve de La Réécriture

download à l'Épreuve de La Réécriture

of 21

Transcript of à l'Épreuve de La Réécriture

  • 5/25/2018 l' preuve de La R criture

    1/21

    Bienvenue sur le site de l'unit mixte de recherche 7171

    CAHIER DU CENTRE DE RECHERCHE "TUDES SUR LE ROMAN DU SECOND DEMI-SICLE" /CERACCN 2 - Juin 2003

    L'PREUVE DE LARCRITURESOMMAIRE

    Johan Faerber : Introduction : Dire la rcriture, redire l'criture

    Erica Durante : La main invisible : Parcours dans l'uvre visiblede Borges,Valry, Dante

    Nolle Benhamou : Miroir de la parodie : l'exemple de Maupassant

    Jean-Franois Puff : Le modle des troubadours dans l'uvre potique de

    Jacques Roubaud

    Lioubov Svova : Entre parole et silence : la traduction-restitution d'un

    pome perdu de Cendrars

    Johan Faerber : Encore et en corps, ou le baroque de l'criture au carr

    Question didentit

    >Revenir la liste des cahiers

    Ce cahier n 2 existe uniquementsous cette forme lectronique.Les textes en ont t rassemblspar Mlanie Colcanapet JohanFaerber.

    Vous pouvez utiliser ce sommaireou les flches internes (>) pournaviguer dans le cahier, ousimplement faire dfiler lafentre. Cliquez sur les appels denote en orange pour faireapparatre la fentrecorrespondante.

    Lors de lajourne d'tude des jeunes chercheursdu 15 mars 2003 qui s'est tenue en Sorbonne dans le cadre de l'cole doctoralede littrature franaise et compare, doctorants et jeunes docteurs ont cherch aborder ensemble la notion de "rcriture", et dgager les enjeux et les chos de cette notion clef de la seconde moiti du vingtime sicle, dans les travaux actuels.Que soient remercis ici messieurs Jean Bessire, Michel Collot, et Stphane Michaud qui ont permis l'organisation de cette

    journe; Marc Dambre qui en a autoris la publication lectronique; et Henri Garric et Hugues Marchal, pour avoir accept d'entre les modrateurs.

    Mlanie Colcanap et Johan Faerber

    Johan FaerberDIRE LA RCRITURE, REDIRE L'CRITURE

    Dire la rcriture, redire lcriture, ce serait peut-tre, tout dabord, affirmer et raffirmer trois positions ancestrales. Ce seraitpeut-tre trouver et retrouver trois figures mythiques par lesquelles se donnerait lire, relire et relier la rcriture. Dire larcriture, redire lcriture, ce serait dcouvrir et redcouvrir le muthos comme socle et fonds essentiels de la parole littraire. Ceserait poser et reposer une parole qui elle-mme ne connat pas le repos. Trois figures mythiques comme autant de mtaphorespour apercevoir la rcriture, ce serait dire et redire sans fin le mythe qui lui-mme ne fait que redire dans un geste dinfinitude.

    http://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2.html#Faerber2http://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2.html#Faerber2http://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2.html#Savovahttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2.html#Savovahttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2.html#Savovahttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2.html#Benhamouhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2.html#Durantehttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/reecriture.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2.html#mailto:[email protected]:nouche*mageos.comhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2.html#Identiteshttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2.html#Faerber2http://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2.html#Savovahttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2.html#Puffhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2.html#Benhamouhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2.html#Durantehttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2.html#Faerber
  • 5/25/2018 l' preuve de La R criture

    2/21

    Parole des commencements qui na pas dorigine, le mythe partagerait alors avec la rcriture son souci du ddoublement et duredoublement.

    Trois figures mythiques plutt que quatre - ou plutt quaucune - pour tenter de dire et de suggrer la rcriture, cest dabordpointer et affirmer que la rcriture est une affaire dthique, quil existerait ainsi peut-tre une thique de la rcriture dfautdun codex de la rcriture. Rcrire, ce serait mettre en jeu lthiqueau sens tymologique, rhtorique et aristotlicien dethos:cest--dire mettre en scne lethos du chercheur, ce qui est relatif sa personnalit, et ses qualits mmes. La rcriturepermettrait alors de brosser son portrait mais un portrait qui viendrait tre, en dfinitive, celui de sa bibliothque. Traquer legeste du rcrire, ce serait tenter dapercevoir que les lignes qui se tracent, les lignes qui sont lues et relues par le chercheursont celles, en dfinitive, des rayonnages de sa propre bibliothque. Que sa bibliothque rayonne dans ce quil lit comme une facesombre que dautres naperoivent pas, un fuscum subnigrum par o le mouvement de rcriture apparat et puise ses virtualitsdans le sombre fonds de son ethos.

    Trois figures mythologiques donc des degrs divers pour cerner le possible de la rcriture, autant dpreuves physiques et depreuves mythiques : Orphe, le vaisseau Argo et la bibliothque de Babel.

    1. La figure orphique

    Rcrire, ce serait peut-tre dabord sapprocher du mythe dOrphe limitation de ce quavait dj su mettre en videnceMaurice Blanchot selon qui Orphe montre que "Pour crire, il faut dj crire."1. Il existerait en effet une possible tentationorphique dans le mouvement de la rcriture, tentation par laquelle celle-ci serait appele se retourner sur elle-mme, et celads son prfixe mme. Le "r" de la rcriture constitue en latin le prfixe qui indique un mouvement en arrire : cest leparadoxe aportique de lantposition de la postriorit : cest ramener un tat antrieur tout en cherchant progresser. En cesens, le premier pote appellerait et mtaphoriserait ce geste mme du rcrire, lui qui, parlant du fatum comme dun textus,entend "dfaire la trame" 2. Lors de sa remonte des Enfers, parti la recherche dEurydice, Orphe, on sen souvient, commetcet hybris, comme le dit Ovide, de "jeter les yeux derrire lui, avant dtre sorti des valles de lAverne"3. Dsobissant cetterecommandation du Rhodope, le pote thrace fait volte-face, ce qui imprime au Dire et la parole ce retournement liminaire, etconfre la rcriture sa premire mtaphore. Rcrire, ce serait ainsi se retourner, revenir comme Orphe sur ses pas. Ilsagirait de jeter les yeux en arrire pour traquer son double, retrouver et redcouvrir sa propre trace avant que cette dernire nedisparaisse, avant quelle ne sefface, telle une origine quon ne pourrait assigner. Ou bien au contraire, il sagirait encore derevenir sur ses pas, non de peur que ceux-ci ne disparaissent, mais pour les effacer. Dans une tentative comme dans lautre, lepote et sa parole se heurtent au mme paradoxe aportique fondateur du retournement que pose plus largement aussi larcriture ds sa prfixation : comment faire sans dfaire, parfaire sans mfaire ? Comment mettre fin ce miroitement dunlangage devenu retour et rflexivit ?

    Cependant, outre cette tension du retournement, le prfixe "r" pointe aussi vers la rcriture comme le mouvement de larptition et de la ritration. Orphe, dans les Enfers, croise ces figures mythologiques de la rptition que sont Tantale, Ixion,Sisyphe, figures qui, au chant dOrphe, suspendent leurs peines. Comment alors concilier ce retournement et la rptition ?Quest-ce qui permet datteindre cet ventuel objet perdu que serait une perptuelle Eurydice dans la rcriture : revenir ouressasser ? A cette question, Maurice Blanchot parat rpondre que "Loeuvre dit le mot commencement partir de lart qui a

    partie lie avec le recommencement."4

    2. Le vaisseau Argo

    Souvent tenu depuis Roland Barthes et son rflexif Roland Barthes par Roland Barthes 5pour une mtaphore clairante dustructuralisme, le vaisseau Argo, men par les Argonautes auquel il donne son nom, et au nombre desquels Orphe se compte,parat galement pouvoir rendre compte mtaphoriquement du travail de la rcriture sur le texte lui-mme, de son action saralisation. Rcrire, ce serait peut-tre ainsi trouver et retrouver les gestes et la geste des Argonautes, finir par construire, sansarrter de le reconstruire, ce mme navire sur lequel ils prirent place. Ce vaisseau qui, lors de divers pisodes, a travers uncertain nombre de priples, se constitue lui aussi dpreuves, dessais successifs de lui-mme. Sa permanence ne sassure quedans un mouvement indfiniment ritr de reconstruction. Expos divers outrages qui lobligent tre continment rpar etrefait, le vaisseau Argo adresse une question que ne peut galement manquer de se poser la rcriture : structure mobile qui neconnat pas le coup darrt, qui ne cesse de se modifier, quel est son rapport sa propre identit ? De ce qui est sans cesserepris, refait, quel rapport stablit avec la structure premire, avec sa premire criture, sa premire construction ? Sagit-il dumme texte ou dun autre ? Comme le disait dj Barthes propos de ce navire6, la substitution dune pice une autreentrane-t-elle lapparition dun nouvel objet ou la continuit dune nomination identique assure-t-elle la persistance dunemodification lautre ? Le texte rcrit conserve-t-il ainsi un rapport avec le texte premier dont il est issu ? Ce rapport ne peut-iltre maintenu que par le seul jeu dune identit confre par le nom, le titre ?

    En outre, et enfin, le crateur mme de ce vaisseau du rcrire peut lui-mme apparatre comme une allgorie de la figure mmedu redire, et de son perptuel roulis entre ce qui est fait, ce qui se fait et ce qui reste faire. Argos, en effet, mme sil estsouvent confondu avec dautres, est par dun regard que toute rcriture parat rclamer : selon la tradition dont le Grimal faittat 7, il possdait quatre yeux : une paire regardant par devant et lautre regardant en arrire. Ainsi, linstar dArgos, larcriture supposerait un crivain par dun tel regard, toujours double : loeil quadruple pourrait se regarder se regarder...

    3. La bibliothque de Babel

    Cette dernire figure mythique nen est pas une proprement parler. Elle fait cho la nouvelle de Borges intitule "Labibliothque de Babel" 8qui elle-mme fait cho la tour de Babel biblique quelle rcrit sans dtours. Ce texte, on sensouvient, prsente un bibliothcaire vivant dans une bibliothque labyrinthique suppose infinie, bibliothque qui possde sur sesrayonnages tous les livres possibles. Cette nouvelle place la rcriture non comme une possibilit mais comme une ncessit detoute pratique scripturale. Si tous les livres sont dj imagins, lcriture mme ne peut plus se produire et provoquer

    lvnement. Dire la rcriture, redire lcriture revient poser que dans cette bibliothque qui promet tous les possibles et qui lesaccomplit, tout est crit si bien que tout ne peut tre que rcrit. Tout geste trac vient suivre et seconder un geste toujours-dj l, toujours-dj commenc, toujours-dj achev aussitt que commenc. La bibliothque de Babel confisque, par saprofusion inpuisable, lcriture en lassimilant la lecture, posant entre les deux actes une identit rverbre. La rcritureserait ainsi selon Borges ce moment o lon oublie que lon crit mais serait bien plutt cet ge o on lit, o, surtout, on sesouvient davoir lu voire de stre lu... La rhtorique ne sert plus : la bibliothque prend sa place comme lindique Michel Foucault

    http://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes1.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes1.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes1.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes1.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes1.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes1.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes1.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes1.html
  • 5/25/2018 l' preuve de La R criture

    3/21

    : "La littrature commence [...] quand le livre nest plus lespace o la parole prend figure, mais le lieu o les livres sont tousrepris et consums"9. La bibliothque de Babel donne ainsi naissance ce que Foucault nommera encore "le moutonnement linfini des mots"10. Si tout a dj t dit, rcrire reviendrait comme le dit Henri Michaux, "skier au fond dun puits"11.

    Ainsi donc, dire la rcriture, redire lcriture, cest constater que nous sommes tous gagns par cette pathologie du second demi-sicle, celle dont Roland Barthes a su mettre en vidence le symptme le plus manifeste : "Jai une maladie : je vois lelangage. "12

    Johan FaerberUniversit de Paris 3

    >Revenir au sommaire

    Erica DuranteLA MAIN INVISIBLE. PARCOURS DANS L'UVRE VISIBLEDE BORGES, VALRY, DANTE

    Lorsquon parle de rcriture, cest Pierre Mnard quon pense en premier : lui, personnage-clef de la fiction de la rcriture.Cest Borges qui la cr en 1939 ; son histoire est trs simple, en dpit de toute la littrature quelle a gnre :

    imaginez Pierre Mnard, raconte Borges, parvenu la fin dune longue carrire littraire; or il en arrive un moment o il saperoitquil ne veut plus encombrer le monde de ses uvres. Et quil ne recherche pas la renomme, bien que son destin soit dcrire. [] alorsil dcide de se cantonner dans la plus grande discrtion et de rcrire une uvre dj existante, je dirai mme tout fait existante,continue Borges, vu quil sagit deDon Quichotte1.

    Cest cette tche ardue que se consacre Pierre Mnard. Il crit un livre qui concide mot pour mot avec leQuichotte deCervants, mais cest lui qui en est lauteur. Lui, un Franais de Nmes, qui se lance dans luvre "interminablement hroque" detraduire le Quichotte, et qui finit par crire le Quichotte lui-mme, en faisant correspondre dans une autre langue un texte quiexiste dj et auquel il adhre compltement 2. Cependant, en faisant cela, Mnard ne peut viter de filtrer le texte travers sonpropre systme linguistique, esthtique, culturel 3. Entre "la feuille blanche et le bouillonnement des mots ou des histoires quiprennent forme", pour Mnard, comme pour Silas Flannery, intervient "lincommode diaphragme [] [du] style, [du] got, [de] laphilosophie, la subjectivit, la formation culturelle, [du] vcu, [de] la psychologie, [du] talent, [d]es trucs du mtier. []. Comme

    jcrirais bien, regrettait Flannery, [] si je ntais quune main, une main coupe qui saisit une plume et se met crire"4. Lamain de Mnard, elle, est bien dans le prolongement de son bras et mme de deux bras en mme temps. Cest que PierreMnard pourrait tre en soi la version revue et corrige de quelquun dautre. De quelquun qui comme lui a publi dans cetterevue de fin de sicle, que dirigeait Pierre Lous, et qui sappelait La Conque, de quelquun qui comme lui sest intress au

    pseudo-problmedAchille et de la Tortue selon Znon. De quelquun qui comme lui a cru que "penser, analyser, inventer [] nesont pas des actes anormaux, [mais qu] ils constituent la respiration normale de lintelligence" 5. Un symboliste de Nmes, cePierre Mnard, "essentiellement dvot, de Poe, qui engendra Baudelaire, qui engendra Mallarm, qui engendra Valry"6. PaulValry : la vie et luvre de Paul Valry seraient comme le ngatif de la vie et luvre de Pierre Mnard. Une vie derrire laquelledautres ont cru voir lombre dUnamuno ou celle de Louis Mnard, pote et traducteur, dont une biographie synthtique nous a t

    livre par Rmy de Gourmont 7. Cette hypothse risque de passer pour une provocation vis--vis de Valry qui tenait pourbanales et superflues ces conjectures autour des personnages :

    Jai toujours trouv ridicules, disait-il, ces critiques ou glossateurs qui traitent des personnages de roman ou de thtre comme si cefussent des personnes relles, disputent de leur vraienature, se demandent si Hamlet ou si Tartuffe furent tels et tels, spculent sur lespassions et les responsabilits de Phdre hors de la pice. Mais tous ces tres svanouissent peine sortis de la scne. On ne sait de quoimange le Cid, ni si Batrice navait mal aux dents [] 8.

    A ce sujet, Borges saccordait parfaitement avec Valry, comme dailleurs sur bien dautres questions. Chez lui aussi cest unefigure dantesque, le comte Ugolin, condamn parmi les tratres pour avoir mang ses propres fils, qui donne lieu cette rflexionsur la nature des personnages :

    Pour Robert Louis Stevenson (Ethical Studies, 110) les personnages dun livre sont des suites de mots ; si blasphmatoire que cela nousparaisse, cest cela que se rduisent Achille ou Peer Gynt, Robinson Cruso ou Don Quichotte. Tout comme les puissants qui rgirentle monde : Alexandre nest quune suite de mots et Attila une autre. DUgolin nous dirons quil est une texture verbale dune trentaine de

    tercets. Devons-nous inclure dans cette texture la notion de cannibalisme ? Il nous faut [] en avoir le soupon, incertain et craintif9.

    En ce qui concerne le personnage de Pierre Mnard, "devons-nous inclure dans sa texture" Valry ? Ne pas le faire serait aller lencontre de la technique quemploie Mnard, celles des "anachronismes dlibrs et des fausses attributions". Ce serait excluredes possibles, ce qui nadvient pas dans lart. Parmi les pices qui composent luvre visible de Pierre Mnard, par opposition son uvre souterraine, qui est le Quichotte, figure une "transposition en alexandrins du Cimetire marin". Une transposition, unpassage, une variation dans un autre code, non pas linguistique, comme dans le cas du Quichotteque Mnard lit, et par l rcriten franais, mais dans un code prosodique. Le Cimetire marinest en effet lun des rares pomes modernes de la langue franaise avoir entirement t crit en dcasyllabes. Si nous remontons vers 1916, lorsque Valry a trs probablement commenc crire les premiers vers du Cimetire , nous voyons comment ce pome sapparente intimement un autre pome, qui est lun desplus chers Borges, LaDivine Comdiede Dante Alighieri :

    Quant au Cimetire marin , dit Valry, cette intention ne fut dabord quune figure rythmique vide, ou remplie de syllabes vaines, qui mevint obsder quelque temps. Jobservai que cette figure tait dcasyllabique, et je me fis quelques rflexions sur ce type fort peu employdans la posie moderne ; il me semblait pauvre et monotone. Il tait peu de chose auprs de lalexandrin, que trois ou quatre

    gnrations de grands artistes ont prodigieusement labor. Le dmon de la gnralisation suggrait de tenter de porter ce Dix lapuissance duDouze. Tout ceci menait la mort et touchait la pense pure. (Le vers choisi de dix syllabes a quelque rapport avec le versdantesque) 10.

    Rsister lalexandrin, lutter contre ce que Valry appelle "le dmon de la gnralisation", qui le ramenait vers lalexandrin, adonc t lun des enjeux dcriture de ce pome qui porte en soi une "illumination musicale" venant de ltranger et de trs loin

    http://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2.html#sommaire_cahier2http://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes1.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes1.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes1.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes1.html
  • 5/25/2018 l' preuve de La R criture

    4/21

    dans le temps. Lorsquen 1939 il crivait Pierre Mnard, il est trs probable que Borges savait quun des enjeux majeurs pourValry, au moment de la composition du Cimetire , avait t datteindre la sonorit dun vers dsute pour la posie franaise :lhendcasyllabe, le vers de Dante, le vers italien par excellence, qui, son tour, drive du vers de dix syllabes de la posieprovenale. Le Cimetire est donc un texte qui lui est familier et cher. Il le prface lorsque parat la traduction argentine dupome, par son ami, le pote Nstor Ibarra. Et cest dailleurs ce moment-l, sept ans avant quil ait eu lide dcrire PierreMnard, que, toujours propos de Valry, toujours propos du Cimetire, il stait amus renverser, quoique dune autremanire, le statut du pome, en anticipant cette manie propre de Mnard de "propager des ides strictement contraires cellequil prfrait" 11. Il lavait fait dans la mme optique : celle de dpossder le Cimetirede son auteur unique, celle den faire untexte a-despote, comme disent les philologues, un texte qui ne porte pas le nom de lauteur :

    Jinvite [] le quelconque sudamricain -mon semblable, mon frre-, avait-il crit, se saturer de la cinquime strophe du Cimetiredans le texte espagnol, jusqu prouver que le vers originaldIbarra : la prdida en rumor de la ribera est inaccessible, et que sonimitationpar Valry : le changement des rives en rumeurnen rend quimparfaitement leffet. Soutenir le contraire avec une conviction

    excessive serait abjurer lidologie de Valry en faveur de lhomme temporel quil a propose 12.

    Contemporain de Paul Valry, le personnage de Pierre Mnard, qui alexandrinise le Cimetire , ne sadonne pas un simpleexercice de transmtrisation, mais se pose le problme primordial de lcriture en vers, celui du rythme 13. Sa variation neconcerne pas la modification de laspect formel du texte, mais consiste dans une inversion plus profonde, qui touche au labeur deValry, et qui en changeant le son, change aussi le sens du texte 14. Avant dtre auteur du Quichotte, Pierre Mnard serait doncauteur du Cimetire marin, quil manie et rcrit comme sil sagissait dun brouillon et non pas dun texte dfinitif. Lopration quilconduit sur le texte valryen saccorde parfaitement avec la clbre formule de Valry, daprs laquelle "un texte nest jamaisachev, mais toujours abandonn" 15, et se fait lcho de Borges qui affirme que "tout est brouillon [], lide de texte dfinitif nerelevant que de la religion ou de la fatigue" 16.

    A ct de Pierre Mnard, il y a un autre personnage, cette fois-ci non pas franais mais argentin, Hilario Lambkin Formento, quiapparat vingt-six ans aprs dans les Chroniques de Bustos Domecq. Un recueil de textes o lon a galement limpression deperdre les traces de lAuteur, Honorio Bustos Domecq ntant que lauteur imaginaire de ces chroniques, invent par cet autreauteur qui est Biorges, anagramme de Borges et Bioy. Parmi les comptes rendus dits par Bustos Domecq, lun porte sur Hilario

    Lambkin Formento. Un critique de profession qui publie des articles reconnus pour leur objectivit, et qui, en 1929, dcidedabandonner sa carrire pour se "consacrer entirement une tude critique de LaDivine Comdie". Pour ce faire, il commence "liminer le prologue, les notes, lindex, le nom et ladresse de lditeur", et ne garde que le corps des trois cantiche de laComdie, telles que les conut Dante, en faisant "concider [son analyse] mot pour mot avec le pome" 17. Cette uvre,dpourvue de tous ces lments paratextuels et extratextuels, est celle que sapproprie et que livre Formento, en ditant lEnfer,le Purgatoireet le Paradis. Cest ainsi que la main invisible de Dante a atteint galement celle de Borges, outre celle de Valry.Avant mme de le surprendre assis sa table de travail, cest dans sa bibliothque que le fantme de Dante effleure la main deBorges ; pour le pote argentin, le moment de la lecture est en ralit le moment privilgi de la rcriture dantesque. Dans lebus qui lamne son lieu de travail, une bibliothque municipale lautre bout de Buenos Aires, Borges lit et note, au dos de sonexemplaire de poche bilingue italien-anglais de LaDivine Comdie, un, deux, trois vers qui pour diverses raisons le touchent plusque dautres 18. Alberto Manguel, romancier, historien de la lecture, qui a souvent particip et mme anim par sa propre voix lesheures de lecture du pote au moment o il tait devenu aveugle, raconte la faon dont les livres devenaient vite avec Borges desobjets parlants, des livres sonores, avec ces apostilles manuscrites quil y apposait. "Souvent, dit-il, [Borges] me demandait denoter quelque chose sur la page de garde la fin du livre que nous lisions- la rfrence dun chapitre ou une rflexion. Je ne saispas quel usage il pouvait en faire, mais jai pris, moi aussi, lhabitude de parler des livres derrire leur dos" 19. Certaines des

    notes de lecture inscrites sur les exemplaires de la Comdie que possdait Borges, ont rcemment t retrouves. Aujourdhuiencore indites, elles sont trs intressantes, parce quelles contiennent des remarques, des bribes de rflexion, et parce quellesmontrent comment le moment de la lecture de la Comdieconcide avec le premier jet de la rcriture qui sinspire de Dante. Unercriture qui stend sur quarante ans, et qui connat tous les genres, avant daboutir la publication dun recueil monographiquesur la Comdie, les Neuf essais sur Dante, paru pour la premire fois en 1982. Quatre de ces notes autographes, inscrites quatre dates diffrentes, au dos de quatre ditions distinctes, se rapportent au cinquime chant de lEnfer, le chant des luxurieux,de ces esprits condamns pour avoir commis le pch de chair, parmi lesquels Dante rencontre deux amoureux infernaux, PaoloMalatesta et Francesca da Rimini:

    [1] [1943, d. Dent]E paion s al vento esser leggieri[Enf., V, 75]

    [Et qui semblent si lgers dans le vent]

    [2] [1947, d. Casini] soli stavamo [sic](De Sanctis) Cf. FuriosoI, 22 [Enf., V, 129 n[ote]]

    [nous tions seuls](De Sanctis) Cf. FurieuxI, 22]

    [3] [1949, d. Provenzal]di quel che in noi si maturava [Enf., V, 129 n[ote]]

    [ de ce qui mrissait en nous]

    [4] [1954, d. Torraca]Notevole l'allitterazione: 142 [Enf., V, 142] 20

    [Remarquable lallitration : 142]

    En transcrivant ces fragments, exactement comme Pierre Mnard, Borges se dissimule derrire le texte quil transcrit et enrichit deson il de lecteur du XXe sicle. La premire note consiste dans la reprise littrale dun vers prononc par Dante-personnage,avant quil adresse la parole Francesca, et atteste de limpression que Borges a reue de la concision et de la force de ce vers.La troisime et la quatrime renvoient au commentaire contenu dans la note en bas de page, tantt sur un problme

    dinterprtation [3], tantt sur une impression rythmique [4]. Dans ce vers final du chant, qui est le 142e, Borges apprcie leffetque Dante arrive produire par une allitration qui lui parat remarquable : "e caddi come corpo morto cade", "et je tombaicomme tombe un corps mort" 21. "Toute LaDivine Comdie, dit-il, est pleine de bonheurs de ce genre". Mais cest surtout ladeuxime annotation qui pose une question plus intressante. "Soli eravamo e sanza alcun sospetto", "nous tions seuls et sansaucun soupon" 22, avoue Francesca, et cest notamment ce dernier mot, sospetto, "soupon" qui fait rsonner dans lesprit deBorges une troisime voix, celle de lArioste. En voyant apparatre le substantif sospetto, lanalogie se fait chez lui avec un vers du

    http://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.html
  • 5/25/2018 l' preuve de La R criture

    5/21

    premier chant du Roland Furieux : "insieme van senza sospetto aversi", "cest ensemble quils vont, sans avoir de mfiance" 23.

    Dune criture lautre, dune lecture une autre, mais aussi dune langue une autre, lpisode de Paolo et Francesca parcourtles ges. Comme sil tait conduit par une main invisible, il se glisse des peintures dIngres, aux posies de Bcquer, DAnnunzio,Unamuno, de la musique de Rachmaninov qui lui consacre un opra entier, la prose de cet autre argentin, Leopoldo Lugones,pour arriver jusqu Borges, qui, vers la fin de sa vie, compose un long pome intitul Inferno, V, 129 24. Sensible cefoisonnement duvres qui se dveloppent autour des deux amants incestueux, Borges rcupre, dans le texte de Dante, llmentqui est la fois lorigine et laboutissement de cette profusion de rcritures diverses. Un lment, le livre, dj prsent dansle texte dantesque, o il joue un rle capital dans la rvlation de la passion amoureuse :

    127 Noi leggiavamo un giorno per diletto127 Di Lanciallotto come amor lo strinse ;127 Soli eravamo e sanza alcun sospetto.130 Per pi fate li occhi ci sospinse127 Quella lettura, e scolorocci il viso ;127 Ma solo un punto fu quel che ci vinse.133 Quando leggemmo il disato riso127 Esser baciato da cotanto amante,127 Questi, che mai da me non fia diviso,136 La bocca mi baci tutto tremante.127 Galeotto ful libro e chi lo scrisse :127 Quel giorno pi non vi leggemmo avante 25.

    [Trad. : Nous lisions un jour par agrment/ de Lancelot, comment amour le prit:/ nous tions seuls et sans aucun soupon/ Plusieursfois la lecture nous fit lever les yeux/ et dcolora nos visages/ mais un seul point fut ce qui nous vainquit./ Lorsque nous vmes le riredsir/ tre bais par tel amant,/ celui-ci, qui jamais plus ne sera loin de moi,/ me baisa la bouche tout tremblant./ Galehaut fut le livreet celui qui le fit ;/ce jour-l nous ne lmes pas plus avant] 26.

    Lancelot du lac, un des romans du cycle de la Table Ronde, un livre, un de ceux qui ont aliment la folie dAlonso Quijano, lefutur Don Quichotte. Un livre, voici ce que Dante met entre leurs mains comme aveu de cet amour, qui est rciproque etmalheureux comme celui de Lancelot et de la reine Guenivre. Tel le philtre dans le Roman de Tristan, ou le personnage deGalehaut, qui dans le Lancelot se fait lintercesseur des amoureux, le livre devient ici un instrument de biographie pour ces"usufruitiers des lettres" qui sont Paolo et Francesca 27, mais, avant eux, Dante, qui connaissait les romans du cycle arthurien, etqui rcrit un fait ayant rellement eu lieu et circulant dans la Florence de son temps, la lumire dune autre littrature :

    De tous les instruments de lhomme, affirme Borges, le plus tonnant est, sans aucun doute, le livre. Les autres sont des prolongementsde son corps. Le microscope et le tlescope sont des prolongements de sa vue ; le tlphone est un prolongement de sa voix ; nous avonsaussi la charrue et lpe, prolongement de son bras. Mais le livre est autre chose : le livre est un prolongement de sa mmoire et de sonimagination 28.

    Mmoire potique et imagination sont dailleurs deux dimensions qui rgissent la posie de la Comdie. Dans un de ses derniersessais sur Dante, Borges crit queLa Divine Comdie"nest pas le caprice isol et fortuit dun individu mais leffort conjugu dungrand nombre dhommes et de gnrations. Rechercher ses prcurseurs, continue-t-il, ce nest pas se livrer une misrable tchede caractre juridique ou policier ; cest sonder les mouvements, les ttonnements, les aventures, les intuitions et les prmonitionsde lesprit humain" 29. Si nous nous en tenons au chant de Paolo et Francesca, qui est son tour lorigine dune longuedescendance de rcritures multiformes, nous voyons quil nest pas seulement la rinvention dun pisode de Chrtien de Troyes,mais quil reprend aussi dautres textes mdivaux, contemporains de Dante, et qui eux aussi abordent le thme de lamour, telles traits dAndr le Chapelain, les chansons "stilnovistes" de Guido Guinizelli, ainsi que dautres chansons crites par Dante, etqui taient dj contenues dans la Vie nouvelle.

    Dans Inferno, V, 129, limage du livre ressurgit, bien quil ne sagisse pas du Lancelot, mais plutt de la Comdie, que Borgestient pour le sommet de la littrature, ou mieux encore il sagit dun livre venir, unique, el mximo, le plus grand, qui contiendraen soi tous les possibles. Quel que soit ce livre, le geste initial de Paolo et Francesca est trs significatif :

    555Dejan caer el libro, porque ya saben555que son las personas del libro.555( Lo sern de otro, el mximo,555pero eso qu puede importarles.)555Ahora son Paolo y Francesca

    555No dos amigos que comparten555El sabor de una fbula555Se miran con incrdula maravilla555Las manos no se tocan10 Han descubieto el nico tesoro555Han encontrado al otro555No traicionan a Malatesta,555Porque la traicin requiere un tercero555Y slo existen ellos dos en el mundo 30.

    [Trad. : Ils laissent de ct le livre, car ils savent/ quils sont les personnages du livre./ (Ils le seront dun autre, le plusgrand/ mais ils ne sen soucient gure.)/ Ils sont maintenant Paolo et Francesca/ et non deux amis qui partagent/ lasaveur dune fable./ Ils se regardent merveills, sans le croire./ Leurs mains ne se touchent pas./ Ils ont trouvlunique trsor/ Ils ont dcouvert lautre./ Ils ne trahissent pas Malatesta,/ Puisque la trahison rclame un tiers/ etquil nexiste queux deux au monde] 31.

    Borges filtre lpisode des deux amants en le dlivrant de tout fardeau moral. Ni pch ni piti, ni tourmente infernalenapparaissent dans son pome. Une seule allusion au malheur drivant de cet amour inavouable y est contenue : le nom deMalatesta, mari lgitime de Francesca et frre de Paolo, mais, aussitt cart, le ton clment et harmonieux du texte nen est pasaltr. Il y a pourtant un lment qui se maintient de Dante Borges : le livre, fil conducteur de tout le pome. Il rapparat peuaprs, par lvocation dAdam et Eve, le premier couple de pcheurs : cest la Gense, le premier de tous les livres qui composentla Bible. Mtaphore textuelle de la rcriture, ce texte sacr est compos de tant de livres dauteurs diffrents, appartenant

    http://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.html
  • 5/25/2018 l' preuve de La R criture

    6/21

    diffrentes poques, et pourtant attribus un seul Esprit :

    15 Son Paolo y Francesca15Y tambin la reina y su amante15Y todos los amantes que han sido15 Desde aquel Adn y Eva15 En el pasto del Paraso.20 Un libro, un sueo les revela15 Que son formas de un sueo que fue soado15 En Tierras de Bretaa15 Otro libro har que los hombres,15 Sueos tambin los sueen32.

    [Trad. : Ils sont Paolo et Francesca/ et puis la reine aussi et son amant/ et tous les amants qui ont vcu/ depuis lepremier Adam et son Eve/ dans la pture du Paradis./ Un livre, un rve leur rvle/ quils sont les formes dun rve

    qui fut rv/ en terres de Bretagne./ Un autre livre accordera aux hommes,/ Rves aussi, de les rver]33.

    Cet empilement de rves, cet embotement de lectures, dans cette fin de pome, pourrait faire croire, par sesbifurcationssuccessives, une dispersion dunit, ce qui est peu probable pour Borges qui se figure la Comdie comme une estampe deporte universelle, comme une uvre absolue, "o aboutit tout ubi et quando" 34. Le procd par enfilade qui voit driver Paoloet Francesca dun rve que dautres ont rv, et dont dautres rverons partir deux, fait penser la structure dun arbregnalogique, o tant de dates, tant de noms, tant de liens en engendrent tant dautres, qui racontent une seule ligne, uneseule histoire qui se transmet de gnration en gnration sans pourtant tre jamais la mme. Pour les textes aussi on peuttablir des arbres gnalogiques ; ce sont les philologues qui le font. En cartant les diffrentes ramifications des tmoignagesquils possdent dun texte, ils remontent larchtype. Ainsi, larbre gnalogique montre plus quune dispersion du texte original,une ampliation dunits, pour employer lexpression de Bustos Domecq 35. Une ampliation, une dilatation, comme celle que depuisChrtien de Troyes nous avons suivie tout au long de ce parcours.

    De Dante, nous ne possdons aucun document autographe, pas de lettres, pas de pomes, et bien sr pas de vers de la Comdie.Il y a pourtant huit cents codices de la Comdiequi nous sont parvenus grce leffort et la patience de tant de Pierre Mnard,dont un des premiers fut Boccace, qui copia ce texte, en inaugurant une nouvelle tradition manuscrite de la Comdie. Encomparant, en purant ces codicesde leurs contaminations, on est arriv tablir un norme arbre gnalogique et donc un textesouche, qui devrait sapprocher le plus possible de celui que la main visible de Dante a crit. Comme tout arbre gnalogique,celui de la Comdieest toujours en volution, tout en haut de ses branches, il y a dsormais le Cimetire Marin, LAleph, Inferno,V, 129. Par cette multitude de rcritures, de branches qui se rejoignent et se croisent, la littrature finit par correspondre limage que Borges stait fait delle : celle "dune fort, assez dense dailleurs, o nous nous emptrons, et en perpetuellecroissance, [] une sorte de labyrinthe vivant []" 36.

    Une fort labyrinthique, dirait Borges, obscuredirait Dante.

    Erica DuranteUniversit de Picardie, Jules Verne

    >sommaire>dbut de l'article>auteur

    Nolle BenhamouMIROIR DE LA PARODIE : L'EXEMPLE DE MAUPASSANT

    La rcriture est au cur de lesthtique du XIXe sicle. Flaubert et Zola rcrivent intentionnellement et parodient des textesfondateurs (Bible, mythes) ou contemporains comme leurs brouillons ou carnets de notes le prouvent : Phdre, hypotexte de LaCure ; la Blonde Vnus dans Nana, parodie de La Belle Hlne dOffenbach. Nous ne disposons pas toujours davant-textes,surtout lorsque lauteur corrigeait sur le marbre. Cest le cas pour Maupassant dont luvre mme porte la trace de rcrituressuccessives - rien ne se perd, tout se transforme : des nouvelles sont le point de dpart de romans ou sont transposes authtre 1. Mais lcrivain va parfois plus loin que lauto-emprunt et lauto-greffe. Il se parodie. Les Rois, publi dans Le Gauloisen1887 2, fait cho Mademoiselle Fifi: pendant la guerre de 1870, des officiers franais occupent une maison bourgeoise et tuentaccidentellement un vieux berger sourd. Si le bref rsum du conte de 1887 prsente un vague rapport avec celui de 1882, leurtude compare et minutieuse rvle des similitudes tonnantes et un lien troit, sans doute voulu par lauteur, tel point quonpeut voir dans ces deux nouvelles sur la guerre une sorte de diptyque. Maupassant tait-il conscient davoir ainsi cr un miroir deux faces ? Pourquoi a-t-il repris son premier rcit de guerre en inversant la situation et les personnages ?

    *

    Analyse de la structure narrative des deux nouvelles

    La structure de Mademoiselle Fifi sert de contrepoint celle des Rois. Dans le chteau dUville quils ont investi, des officiersprussiens sennuient. Il pleut et les jeux de destruction invents par Fifi - faire la mine, dfigurer des tableaux de matres - ne lesdistraient plus. Ils dcident dorganiser une fte et de trouver des femmes. Le vieux soldat Le Devoir les y aidera. Cinq filles de

    joie arrivent et des couples se forment. On boit et on se livre la dbauche. Rachel, rvolte par lattitude sadique et provocante

    de son partenaire, Fifi, tue lofficier dun coup de couteau et senfuit. Les femmes ont peur dtre massacres et sont sauvesgrce lintervention du major qui, " non sans peine, empcha cette boucherie " 3. Une battue est organise pour retrouver lacoupable. Les Prussiens tuent plusieurs des leurs par mgarde et rentrent bredouille. La nouvelle pourrait sarrter l. La versiondfinitive dvoile la prsence de Rachel cache dans le clocher de lglise par le cur et prsente une situation finale morale, dignedes contes de fe : son mariage avec un homme de bien, un patriote.

    http://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2.html#Identiteshttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2.html#Durantehttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2.html#sommaire_cahier2http://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes2.html
  • 5/25/2018 l' preuve de La R criture

    7/21

    Dans Les Rois, Maupassant reprend la mme trame que Mademoiselle Fifi. La situation initiale est identique : arrivs dans la villede Porterin, des officiers franais de bonne famille prennent possession dune maison bourgeoise. Il pleut et comme c'est le jourdes Rois, ils veulent prparer un repas pour cette fte et souhaitent la prsence de femmes. Un cur espigle est cens les aiderdans cette mission. En attendant, les soldats exultent. Quel n'est pas leur tonnement de voir arriver le cur, une religieuse ettrois vieilles femmes infirmes ! Les officiers font contre mauvaise fortune bon cur ; des " couples " se forment. On boit et on semontre galant. Un coup de feu retentit. C'est le branle-bas de combat. On ramne un vieux berger moribond qui na pas entendula sommation car il est sourd. Les femmes apeures sen vont. Le dernier mot revient au cur : " Ah ! quelle vilaine chose ! " 4,sous-entendu " que la guerre " ; le terme " guerre " nest mme plus prononc.

    Mademoiselle Fifi (Gil Blas,23/03/1882)

    Les Rois (Le Gaulois, 23/01/1887)

    - rcit la troisime personne- le chteau dUville- des officiers de bonne famille, grads- le major Farlsberg dans le fauteuil- ide de chercher des femmes pourune fte- aide dun vieux sous-officier LeDevoir- joie des soldats, " mine ", prparatifs- arrive des cinq prostitues- prsentation des filles- on boit, on se livre la dbauche- la fentre est ouverte- Rachel poignarde Fifi- Mlle Fifi, raide mort- peur des femmes

    - coups de feu des Prussiens qui tuentles leurs par mgarde- Rachel cache par le cur

    - souvenirs du comte de Garens lapremire personne- une maison bourgeoise Porterin- des officiers de bonne famille- Marchas dans un fauteuil devant le feu- ide de chercher des femmes pour lesRois - aide dun cur espigle- joie des soldats, attente et prparatifs- arrive dune religieuse, dun cur et detrois infirmes- prsentation des femmes impotentes- on boit, on " courtise "- on ouvre la fentre- coup de feu et branle-bas de combat- un vieux sourd moribond, tu parmgarde - peur des femmes

    - mot final du cur

    On voit, daprs le tableau ci-dessus, que les deux rcits sont construits selon le mme schma narratif. En Normandie, pendant laguerre franco-prussienne, des officiers de bonne famille occupent un lieu rquisitionn, sennuient et prouvent la ncessit dallerchercher des femmes. Ils dnent en leur compagnie et un accident mortel a lieu gchant la fte. Des dtails et des scnescaractristiques sont galement repris, comme cette pluie qui accompagne les vnements, favorise lennui des militaires et par l-mme dclenche laction. La pluie est lie lide de fatalit. Dans les crits maupassantiens, elle annonce presque toujours unmalheur et un bouleversement narratif. La pluie diluvienne de Mademoiselle Fifi marquait la prsence dune puissance divine,suprieure, permettant le chtiment des Prussiens. Celle des Rois, insidieuse et glace, ne renvoie quau nant et labsence detoute forme de dit. Dieu sest retir du monde.

    " La pluie tombait flots, une pluie

    normande quon aurait dit jete par unemain furieuse, une pluie en biais, paissecomme un rideau, formant une sorte demur raies obliques, une pluie cinglante,claboussante, noyant tout, une vraiepluie des environs de Rouen, ce pot dechambre de la France. " 5

    " La pluie commenait tomber, une

    pluie menue, glace, qui nous gelaitavant de nous avoir mouills, rienquen touchant les manteaux. " 6

    Dlaiss par Dieu, lhomme est tranger lui-mme et ses semblables : telle pourrait tre une autre leon de ces fables dungenre nouveau.

    Maupassant a galement repris une courte scne de Mademoiselle Fifio le haut grad allemand reposait dans un fauteuil :

    " Le major, commandant prussien, comtede Farlsberg, achevait de lire son courrier,le dos au fond dun grand fauteuil detapisserie et ses pieds botts surlemarbre lgant de la chemine, o sesperons, depuis trois mois quil occupait lechteau dUville, avaient trac deux trousprofonds, fouills un peu plus tous les

    jours. " 7

    " Je trouvai Marchas tendu dans ungrand fauteuil Voltaire, dont il avaitt la housse, par amour du luxe,disait-il. Il se chauffait les pieds aufeu, en fumant un cigare excellentdont le parfum emplissait la pice. Iltait seul, les coudes sur les bras dusige, la tte entre les paules, les

    joues roses, lil brillant, lairenchant. " 8

    Il y a une diffrence entre les forces dfensives et les envahisseurs. Mme dans un moment dennui extrme, larme prussiennegarde sa discipline lgendaire et symbolise la destruction. Le relchement sympathique des Franais se retourne contre eux,lauteur nous montrant les deux extrmes de larme.

    Autre scne semblable : dans les deux contes, les soldats tuent leurs compatriotes par maladresse et selon une ironie du sort.

    " Deux soldats avaient t tus, et troisautres blesss par leurs camarades danslardeur de la chasse et leffarement decette poursuite nocturne. " 9

    " Franois a bless un vieux paysan,qui refusait de rpondre au : "Qui vive?" et qui continuait davancer, malgrlordre de passer au large. On lapporte

    http://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.html
  • 5/25/2018 l' preuve de La R criture

    8/21

    dailleurs. Nous verrons ce que cest. "10

    On pourrait multiplier les exemples. Depuis Mademoiselle Fifi, la position de Maupassant sur la guerre, cette boucherie absurde,sest affermie 11et sa vision du monde a dfinitivement sombr dans le pessimisme le plus dsespr. Les Rois, crit en 1887soit dix-sept ans aprs le conflit franco-prussien, sest dpouill de toute marque de patriotisme. Ce conte nest ni pro-franais nianti-prussien puisque ladversaire nest pas prsent. La Mort seule est lEnnemie, invisible et sans frontires, contre laquelle on nepeut rien. Le diptyque constitu par Mademoiselle Fifi et Les Rois montre les deux facettes de lexistence : la vie et la mort.Mademoiselle Fifiest plac du ct de la vie, de loptimisme avec une happy end tonnante. La scne dorgie, remplie de plaisir etde gaiet, offre une insouciance retrouve. Les Rois en est le revers et reprsente la mort, le pessimisme foncier tant prsentdans la clausule.

    Si la structure et le contexte des deux rcits sont symtriques, Maupassant a nanmoins chang les registres, modifi et invers lasituation et les personnages de la nouvelle de 1882 : dans Les Rois, les soldats sont franais (prussiens dans Mademoiselle Fifi),une maison bourgeoise est rquisitionne (un chteau dans Mademoiselle Fifi), les femmes sont de vieilles infirmes et une bonnesur (des prostitues dans Mademoiselle Fifi). Mademoiselle Fifitait une attaque contre certaines valeurs mais son rcit inversLes Rois est, lui, caustique, grotesque et autoparodique. Linversion carnavalesque invite rflexion et passe par la reprise dethmes et de personnages dforms.

    Les thmes et le traitement des personnages.

    Dans Les Rois, plus encore que dans Mademoiselle Fifiet dune faon diffrente, sont prsents le dsir sexuel li la nourriture et la gastronomie, la mort, la violence guerrire et la fatalit. Avec une prcision tonnante, lauteur reprend des lments de sapremire nouvelle et les soumet lpreuve du miroir. Apparat alors une image en ngatif, un certain nombre de dtails tantconservs mais retourns.Les Rois est plac sous le signe de la farce et du renversement carnavalesque. Le moment mme delhistoire - le jour des rois - invite cette interprtation. Le Carnaval commence en effet lEpiphanie et certains personnagessont des figures de carnaval : le cur paillard ; sa bonne ratatine, Hermance ; la petite religieuse ride ; les trois infirmes

    annonces par des bruits de btons et de pilons, et pour finir ce berger sourd Autant de personnages grotesques et hideux.

    Les personnages masculins nchappent pas ce processus de transformation. Contrairement leurs cinq homologues prussienscaricaturs 12, les Franais, six officiers de hussards appartenant tous laristocratie ou au monde artistique parisien, sont peine dcrits physiquement. Maupassant insiste davantage sur leurs qualits, surtout sur celles de Pierre de Marchas, sorte dedouble de lauteur, la tte pensante de la bande, un tre part, dou en tout et plein de ressources. Homme de lettres raffin, ilpromet Garens dcrire leur histoire sil peut trouver des femmes : " Je ten prie, vas-y. Je raconterai la chose en vers, dans laRevue des Deux Mondes, aprs la guerre, je te le promets. " 13Cette mise en abyme du rcit fait partie des nombreux clins dilde lauteur, autant de signaux annonant la parodie. Si les envahisseurs teutons du chteau dUville taient prsents comme dessoudards, des vandales, les soldats franais des Roisaiment le luxe et le beau en hommes du monde. Il nest jamais question dedestruction dobjets prcieux dans la nouvelle de 1887. Au contraire, les six officiers franais sont des esthtes et respectent lemobilier du lieu quils occupent.

    La souplesse des militaires franais et leur galanterie leur sont trs utiles lors de lapparition des " invites surprises ".Ltonnement et la dception passs, les hommes des Roisaccueillent avec amnit ces reines peu banales, " trois infirmes horsde service "14. Except Marchas, les soldats font mme preuve dun sens du fair-play peu commun face la blague du cur.Croyant recevoir des compagnes de plaisir, ils se moquent de labb en acceptant de passer une fte bon enfant avec ces femmesrepoussantes. Les paroles de remerciements de la religieuse prtent Garens un esprit de dvouement inattendu et usurp.

    Elle stait retourne vers ses invalides, pleine de sollicitude pour elles ; puis, voyant mes galons de marchal des logis, elle me dit :" Je vous remercie bien, monsieur lOfficier, davoir pens ces pauvres femmes. Elles ont bien peu de plaisir dans la vie, et cest pourelles en mme temps un grand bonheur et un grand honneur que vous leur faites. " 15

    Ces paroles de la sur Saint-Benot marquent le retournement de la situation : les hommes nauront pas de plaisir avec desfemmes mais les infirmes goteront le rare plaisir dun bon repas et dune distraction avec une compagnie masculine.

    Dans les deux nouvelles, les femmes sont au cur de lintrigue. Elles sont attendues, espres mme. Leur arrive auprs dessoldats va donner matire une description truculente. Quy a-t-il pourtant de commun entre les filles de maison de MademoiselleFifiet les invalides des Rois? Rien, si ce nest que filles et malades, enfermes dans une maison, sont des caricatures du fminin :

    les pensionnaires de maison sont sursexualises, prtes tre consommes, tandis que les vieilles clopes, pensionnaires de "ltablissement hospitalier " 16dirig par la sur Saint-Benot, sont impropres la consommation. Elles reprsentent les diffrentsges extrmes de la vie : la jeunesse qui attire le dsir et la convoitise, et la vieillesse accable de maux physiques quiprovoquent le dgot et la rpulsion. Toutes se font une joie de sortir de leur cadre habituel pour tromper leur ennui. De plus, lesfilles esprent un gain financier consquent, tandis que les recluses voient dans cette invitation loccasion de bien manger, seulplaisir qui leur reste.

    Dans Mademoiselle Fifi, le repas tait prcd de la prsentation et de lattribution des filles aux soldats. Tout cela tait orchestrpar le capitaine trs attach au dcorum. La description des cinq pensionnaires tait dj une parodie de crmonie militaire, avecsalut et garde--vous.

    () il les aligna par rang de taille, et sadressant la plus grande, avec le ton du commandement : " Ton nom ? "Elle rpondit en grossissant sa voix " Pamla. "

    Alors il proclama : "Numro un, la nomme Pamla, adjuge au commandant. 17

    Dans Les Rois, la scne est tout aussi ironique puisque c'est la religieuse qui joue le rle de lhuissier, voire de la sous-matressetraant un rapide portrait psychologique de chaque pensionnaire :

    Elle prit trois chaises contre le mur, les aligna devant le feu, y conduisit ses trois bonnes femmes, les plaa dessus, leur ta leurs canneset leurs chles, quelle alla dposer dans un coin ; puis, dsignant la premire, une maigre ventre norme, une hydropique assurment:

    http://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.html
  • 5/25/2018 l' preuve de La R criture

    9/21

    " Celle-l est la mre Paumelle, dont le mari sest tu en tombant dun toit, et dont le fils est mort en Afrique. Elle a soixante-deux ans. "18

    Pourtant, lexposition des vieilles femmes installes sur des chaises devant le feu na pas lattrait des tableaux vivants deslupanars. Au contraire, la sur Saint-Benot souligne leurs handicaps ds des accidents et aux malheurs de la vie 19. Ellemontre des cas mdicaux, des phnomnes de foire, des tres desexus : " Elle nous montra, enfin, la troisime, une espce denaine, avec des yeux saillants, qui roulaient de tous les cts, ronds et stupides "20. Ces trois femmes sont prsentes par desnoms ridicules ou des surnoms qui ne sont pas sans rappeler les " noms de guerre " des filles de joie : la mre Paumelle, " Lamre Jean-Jean ", aveugle et " La Putois ", une idiote.

    Le dner apparat comme une rception prpare avec soin. Le rituel mondain est conserv malgr le contexte critique, la guerre,et les cratures prsentes, des malades. Aprs ltape oblige de la prsentation des femmes par la bonne sur qui leur sert degarante, de marraine, comme dans la haute socit, chaque militaire salue la dame de son choix et pntre avec elle son brasdans la salle manger.

    Je la fis passer devant avec le cur, puis je soulevai la mre Paumelle, dont je pris le bras et que je tranaidans la pice voisine, non sanspeine car son ventre ballonn semblait plus pesant que du fer.Le gros Ponderel enleva la mre Jean-Jean, qui gmissait pour avoir sa bquille ; et le petit Joseph Herbon dirigea lidiote, la Putois,

    vers la salle manger, pleine dodeur de viandes. 21

    Le cur des Rois, bon vivant, goguenard, nest pas sans rappeler labb Chantavoine qui faisait de la rsistance passive dansMademoiselle Fifi. Il accepte avec une joie non dissimule de partager le repas des militaires. Il est d'ailleurs le seul savoircouper loie, en homme habitu la bonne chre. Le cur samuse beaucoup de la tournure que prend la petite fte et nesoppose pas immdiatement ce que les trois invalides boivent. Il rgne en metteur en scne, riant dans les coulisses de leffetproduit par sa blague : " Japerus le cur, rest dans lombre du couloir et qui riait de tout son cur. " 22Son homologue, labbChantavoine, servait parfois de mdiateur avec les Prussiens et dnait avec eux :

    Le cur ne stait nullement refus recevoir et nourrir des soldats prussiens ; il avait mme plusieurs fois accept de boire unebouteille de bire ou de bordeaux avec le commandant ennemi, qui lemployait souvent comme intermdiaire bienveillant (). 23

    La nouvelle Les Rois sachve sur le personnage de labb, comme dans la premire version de Mademoiselle Fifi. Devant lemalheureux qui vient dtre tu accidentellement, lhomme dglise dplore la fatalit et les lois du hasard.

    Le fte de lEpiphanie sachve ainsi sur une note tragi-comique qui reprsente bien toute la nouvelle. Le repas des Rois, riche enviandes de toutes sortes - " deux poules, une oie, un canard, trois pigeons et un merle " 24- est dcrit par Garens, tandis quecelui des Prussiens tait consomm mais pass sous silence. Maupassant nous allche pour nous laisser sur notre faim. Le dnerdes Rois n'est pas achev, la Reine na pas t choisie - d'ailleurs, comment choisir ? - et les officiers sont doublement frustrs.Ceux-ci se sont seulement amuss saouler les infirmes, pantins dsarticuls, de mme que les Prussiens enivraient les filles dubordel rouennais. Dans les deux rcits, le champagne coule flots :

    " On arrivait au dessert ; on versait duchampagne. Le commandant se leva, etdu mme ton quil aurait pris pour porterla sant de limpratrice Augusta, il but :" A nos dames ! " 25

    " Mais je criai : " Vite le champagne !"Un bouchon sauta avec un bruit depistolet quon dcharge, et, malgr larsistance du cur et de la bonnesur, les trois hussards assis ctdes trois infirmes leur versrent deforce dans la bouche leurs trois verrespleins. " 26

    On voit ainsi les jeux de symtrie et de dissymtrie entre les deux nouvelles : ironie et parodie sont ici luvre.

    *

    Au del de laspect ludique, lautoparodie est cratrice de sens puisque le rapprochement des deux rcits Les Roiset MademoiselleFifienrichit linterprtation et rend sensible lvolution de Maupassant. En parodiant sa nouvelle de 1882, lauteur a voulu, semble-t-il, rtablir lquilibre avec Mademoiselle Fifi. Malgr son ironie froce, cette dernire apparat encore comme fonde sur lespritrevanchard. Elle a pu tre interprte comme une propagande anti-prussienne et pro-franaise, un hymne la rsistance et aupatriotisme. La confrontation des Roiset de Mademoiselle Fifiprouve que ces deux rcits sont complmentaires et que luvre deMaupassant est loin dtre simple. On aura pu noter les nombreux clins dil et rfrences intertextuelles prsents ici, ce quidmontre, sil le fallait encore, lrudition de lauteur. Par sa structure simple, Les Roisparodie les fabliaux mdivaux : Les troisaveugles de Compigne.Cette farce o les trois ordres (clerg, noblesse, Tiers Etat) ainsi que larme sont ridiculiss rappelle lesrcits parodiques et hro-comiques, et linversion gnralise amne le lecteur considrer la venue des trois femmes, des troisreines, comme une rcriture de lEvangile, une parodia sacra 27. Contrairement dautres oeuvres rcrites et retravaillesformant doublets 28, ces deux nouvelles constituent un vritable diptyque au sens pictural du terme. Tout invite les lire enparallle et les tudier ensemble afin den dgager un sens nouveau, cach. En donnant un deuxime volet Mademoiselle Fifi,Maupassantdvoile lvolution de lhomme et de lcrivain. Grce un renversement carnavalesque et une criture hautementparodique, il semble tirer un trait dfinitif sur la guerre de 1870 et son attirail revanchard. Vritable repentir, Les Rois vhicule savision pessimiste et dsespre du monde grce lautoparodie. Tandis que Mademoiselle Fifi appartient la priode raliste delauteur, Les Rois,recueilli dans Le Horla, se rattache aux contes de lhorrible et se rapproche des rcits fantastiques, miroirs delangoisse de lcrivain. Ils sont pour Maupassant, " lhomme sans Dieu " 29, sa " nef des fous " 30.

    Nolle BenhamouIUT de lOise, Universit de Picardie

    >sommaire>dbut de l'article>auteur

    http://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2.html#Identiteshttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2.html#Benhamouhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2.html#sommaire_cahier2http://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes3.html
  • 5/25/2018 l' preuve de La R criture

    10/21

    Jean-Franois PuffLE MODLE DES TROUBADOURS DANS L'UVRE POTIQUE DE JACQUES ROUBAUD

    Parmi dautres rgions dun grand uvre projet, Walter Benjamin a rv composer un ouvrage qui serait uniquement fait decitations, rve qui fut destin demeurer inaccompli. On pourrait dailleurs sinterroger : dun tel livre le projet ne suffit-il pas poser le sens ? Borges en conviendrait sans doute, pour qui il est inutile de composer de longs ouvrages ds lors quon peut lesdcrire en quelques lignes. Cest l pourtant un risque que le pote Jacques Roubaud a assum, en cela quil a explicitement placla naissance de sa propre posie sous le signe de la rcriture de la tradition potique, et quil en a effectivement driv des livresde pomes. Au point que la prise en considration de cette pratique est devenue tout fait centrale dans la rception de sontravail de pote. Pour ltablir, je partirai de deux noncs emblmatiques de cette revendication dun travail de rcriture. Dans

    la " prose existant oralement " de Dire la posie: " Jaime lire les pomes des autres / plus que les miens / jaime aussi les crire/ mais ceci est une autre histoire " 1. On apprciera la polysmie du verbe " crire " dans ce passage, qui identifie le fait derecopier des pomes et celui den composer. Ce que confirme un autre passage, issu de la " description du projet " de 1979, danslequel on voit nouveau se mettre en rapport les deux activits, ainsi quun certain nombre dautres : " Jimagine, je lis, jecompose, japprends, je recopie, je traduis, je plagie, jcris de la posie depuis prs de quarante ans. Il marrive den publier. "2. Ainsi ce qui relve de la rception -de la lecture limitation- est-il prsent, jusquau paradoxe, comme le ressort mme de lacration potique, de la mise en uvre de limagination.

    Lapproche de luvre le confirme : Roubaud y met en pratique, souvent lchelle du livre entier, des relations un hypertexterelevant aussi bien de la transformation dun texte ou dun ensemble de textes que de limitation dun style ou dun genre donns(selon les catgories dgages par Genette dans Palimpsestes3), que ce soit explicite, indiqu comme tel dans le paratexte, ou quecela demeure implicite. Voici quelques exemples parmi les plus significatifs de la visibilit dune pratique : relve de limitationexplicite la suite intitule " recourir les rues ", dans La forme dune ville change plus vite, hlas, que le cur des humains 4, quise prsente comme une continuation de Courir les rues, de Queneau ; de limitation implicite certains sonnets en vers courts de E5(signe de lappartenance dans la thorie des ensembles), composs la manire de Mallarm. Relvent de la transformation

    explicite Mono no aware 6, livre presque entirement compos de pomes " emprunts " la posie japonaise classique, via leurtraduction anglaise ;Autobiographie, chapitre dix 7, livre qui hormis des " moments de repos en prose " est tout entier composde fragments de pomes en vers libres crits entre 1914 et 1932, sorte dimmense centon dans lequel lintention parodique estvidente ; la squence de pomes intitule " La pluralit des mondes de Lewis" 8, qui se compose en grande partie partirdnoncs prlevs dans louvrage de mtaphysique analytique de David Lewis, On the plurality of worlds 9. En ce qui concerne latransformation implicite, moins videmment visible, on mentionnera certains pomes de Quelque chose noir 10, qui sont compossde propositions issues du trait de L. Wittgenstein De la certitude 11ou duJournal 12dAlix-Clo Roubaud, femme du pote.

    Dans tous les cas, Roubaud met en jeu notre mmoire, notre culture ou notre inculture ; il exerce, et souvent djoue, notreperspicacit ; et parfois il nous trompe, en cela que nous pouvons tre amens lui attribuer ce que le sens commun dclarerait "ne pas tre de lui " : il pose ainsi sa manire la question clbre de Foucault, " quest-ce quun auteur ? " 13

    A partir de l sintroduisent deux problmes spcifiques : dune part celui de lunitde ce quon continuera dappeler " oeuvre "par commodit, compte tenu de la critique de Foucault, et dautre part celui de lapertinence historiquede luvre sus-dite. Sansmme sappesantir sur le recours la forme sonnet dans appartient, en 1967, nous sommes encore en 1970, au moment o

    parat Mono no awaredans une priode domine par la stratgie avant-gardiste : le groupe li la revue Tel Quelest en pleineactivit, les revues concurrentes ou adjacentes Change (revue laquelle Roubaud participe), puis TXT, ont t fondes. Et lunedes postulations fondamentales des avant-gardes savre toujours effective : il sagit dune dtermination du nouveau qui en passencessairement par un premier moment de ngation radicale des formes hrites. On conoit ds lors toute linactualit de lapratique de Roubaud. Un regard critique pourrait de fait envisager son uvre comme une sorte dimmense lieu de mmoire : laposie stant acheve, non pas au sens o elle se serait ralise, comme le voulaient les surralistes, mais o elle se seraitdissoute, en tant quune manire spcifique de stablir dans la langue, il ne resterait plus qui se veut pote qu se souvenir,et parcourir, sans cesse, les diverses formes de la posie qui fut. Ce serait faire de luvre de Roubaud une sorte de muse delart de posie, avec ses diffrentes salles (salle de la posie japonaise classique, salle des indiens dAmrique) ; muse quonirait visiter, le dimanche, avant de reprendre les activits srieuses des jours ouvrables. Si jamais lon prend la peine dune visite :car du muse, au mausole, il ny a quun pas. Dans ce cas, Roubaud naurait rien fait dautre que ddifier un gigantesquetombeau de la posie, et lunit comme la pertinence historique de son uvre se dtermineraient relativement ce caractremonumental. Luvre de Roubaud dirait ainsi, ngativement, le point o nous en sommes avec la posie.

    Ce serait l luder, me semble-t-il, toute une srie dobjections. La premire objection a t formule de manire dcisive dans

    luvre de Borges. Lavant-garde, nous lavons dit, vise la cration du nouveau par un premier moment de ngation : il sagit,autant que possible, une fois que la ngation a eu lieu et quon se trouve en prsence dune tabula rasa, de produire la diffrencecomme telle. Or ce que nous montre le clbre rcit de Borges Pierre Mnard, auteur du Quichotte, cest que la stricte rptitiondu mme est impossible. On en connat largument : un pote symboliste nmois, Pierre Mnard, dcide de reproduire lidentiquele Don Quichotte de Cervants, sans le recopier ; en travaillant de mmoire. Le sens moral du rcit nous est donn la fin,comme il convient : changer le contexte discursif et/ou historique dun texte suffit en rvolutionner le sens. La rptition dumme produit la diffrence. Or la tentative de Mnard nest rien dautre, comme nous lindique Genette 14, quune transformationminimale, ou une imitation maximale, de Don Quichotte: en ce sens, les crivains qui procdent par rcriture, indpendammentmme des modifications quils introduisent, produisent ncessairement du nouveau. Attribuer la posie japonaise classique ou laposie vers-libriste du premier vingtime sicle Jacques Roubaud aurait pour consquence den renouveler le sens. Quitte laisser de ct lobjection lobjection, qui est quil faut bien que se poursuive, paralllement, le travail de lHistoire.

    Cependant en rester l serait dcrire la stratgie de Roubaud de manire beaucoup trop gnrale et partielle, comme sil navaitjamais crit quen lun des dix " styles " de posie de son modle japonais, lermite-pote Kamo non Chomei, qui est le " styledes vieilles paroles en un temps nouveau ". Ce serait aussi passer sous silence lobjection majeure quon peut faire qui

    considrerait luvre de Roubaud comme un mausole. Une ide rcurrente dans le travail de ce pote en effet, est quon neredcouvre une uvre ancienne qu la lumire dune uvre nouvelle. Cest le devenir de lart qui en claire le pass, qui enrvle des virtualits jusqualors inaperues. En ce sens la nouveaut de luvre moderne a pour corrlat la nouveaut de latradition. Il faut donc quil se dtermine du nouveau dans luvre elle-mme, il faut que lobjet change. Faute de quoi, dune partla posie qui scrit ne sera en fait rien dautre quune posie patrimoniale, dautre part elle savrera incapable de renouveler lesens de la posie dont elle sinspire, de la rendre vivante.

    http://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes4.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes4.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes4.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes4.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes4.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes4.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes4.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes4.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes4.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes4.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes4.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes4.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes4.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes4.html
  • 5/25/2018 l' preuve de La R criture

    11/21

    Il faut donc mettre en lumire la stratgie de dploiement du nouveau dans luvre potique de Roubaud, et cela aura lieu,paradoxalement, en se penchant une fois encore sur le pass. Lorsque nous avons voqu les diffrents modes de rcriture dansson uvre potique, nous navons pas mentionn ce qui fait pourtant lobjet de cet expos, si lon en croit son titre, savoir laposie des troubadours. Or cette posie est explicitement donne comme le grand modle de luvre potique. Comme il est critdans La fleur inverse, lessai majeur que Roubaud a consacr aux troubadours:

    Ecrire des pomes, composer de la posie dans les conditions contemporaines est un exercice difficile. Sobstiner danscette voie suppose le choix dun modle, la rfrence une poque favorise o la posie fut, et brilla. Jai choisi laProvence du XIIe sicle. On peut penser la posie travers les Troubadours, leur exemple. La posie la pluscontemporaine, pour survivre, doit se dfendre de leffacement, de loubli, de la drision par le choix dun archasme.Larchasme du trobar est le mien. 15

    La citation lie explicitement un commencement, les troubadours, la posie " la plus contemporaine ". En ce sens les deux pointsextrmes sclairent lun lautre : la posie des troubadours donne la fois limpulsion et les principes de composition de " laposie la plus contemporaine ", etce mouvement cre un effet en retour, dans lequel la posie des troubadours devient nouveaulisible. Il sagit de comprendre comment le saut a lieu. Or on serait bien en peine de rencontrer des rcritures au sens strict dela posie des troubadours dans la posie de Roubaud. Il ny a pas plus dans son travail de transformation de telle ou telle grandecanso, cest--dire de la lettre mme du pome, que dimitation du style des troubadours, sur le mode pseudo-mdival. On estds lors en droit de se demander o se situe le rapport. Le rapport se situe dans le gnitif qui selon Roubaud condenselensemble dune potique, qui est lamour le chant la posie. Ce gnitif vaut pour dfinitionde la posie, pour un universel quipermet den relier entre eux les moments les plus loigns.

    Il nous faut donc expliciter, de la manire la plus synthtique possible, la dfinition. Avec ce gnitif il sagit, nous dit le pote, dunsigne orient. Le premier terme est lamour : cest le premier moteur. Pour les troubadours, sans lamour que porte le pote ladona, et sans la merce que celle-ci lui accorde, il nest pas de posie possible. Lamour est ce qui relie : et cest prcisment celaqui en fait le ressort mme du deuxime terme du gnitif, le chant. Le chant est la traduction formelle de cette force qui relie, encela quy sont lis entre eux les mots et les sons. Lun des concepts centraux de la posie des troubadours, du point de vue de la

    forme, est en effet le concept dentrebescar, dentrelacement, dont llment de base est la rime. Pour dire lamour, lestroubadours inventent la rime en langue romane et ils en portent la pratique un point dexcellence jamais gal. Cela signifieaussi que le chant est la dimension du rythme dans la langue, et corrlativement, par la voie dune formalisation, du nombre dansla langue. De cela nat, terme final de la srie, la posie. Pour synthtiser : selon Roubaud lisant les troubadours, la posie est latraduction formelle du rythme dans la langue, agie par amour. Cest donc le cur dune potique, qui se situe en position dcartmaximal vis--vis des conditions contemporaines dexercice de la posie, qui fait le rapport.

    Reste savoir comment se configure ce rapport dans luvre potique de Roubaud. Cest que, non seulement Roubaud netransforme la lettre aucune canso, ni nen imite le style, mais encore il nen adopte pas la forme. On peut pourtant admettre enpremire analyse que, si lon peut imiter un texte, on nimite pas une forme, lorsquon ladopte. Si je compose un sonnet, a priori

    je nimite aucun grand sonnettiste. Si je veux ptrarquiser, par exemple, il faut que jaille plus loin, et que jimite le style dePtrarque. Composant un sonnet, je ne rcris aucun sonnettiste certes oui, mais ce faisant, peut-tre que je les rcris tous.Telle serait la raison, dont nous suspendons pour linstant lexplicitation, pour laquelle Roubaud refuse dadopter la forme-cansodes troubadours. La forme, collectivement, est signe. Quel rapport ds lors, si ce nest ni en transformant la lettre, ni en imitantle style, ni en reprenant la forme ? La solution se trouve une fois encore chez les troubadours eux-mmes. Ces potes qui disent

    tous la mme chose manifestent en effet leur singularit de deux manires : dune part en sexerant aux formules de rimes desgrandes cansos du trobar, dautre part en inventant eux-mmes des formes, dans un mme champ de composition. Cest dire quesi adopter une forme na pas le mme sens quimiter un texte, cest galement le cas lorsquil sagit dun processus detransformation : transformer une forme potentiellement productive dune multiplicit de pomes, cela na pas le mme sens ni lamme porte que de transformer tel texte singulier. Et telle est la stratgie de Roubaud. Puisant lexemple des troubadours il nercrit aucune canso, et il ne compose pas non plus de pome sur une formule atteste chez ces potes, qui lauraient signe. Decela au contraire il y a dans son uvre une absence aveuglante. Mais lexemple des troubadours eux-mmes il saisit lesprincipes dune forme, et en drive une srie de formes neuves : cest le cas dans Trente et un au cube ou dans Quelque chosenoir par exemple. Mais aussi toutes les pratiques de rcriture qui sont rellement prsentes dans luvre sont gouvernes pardes principes formels, issus du trobar. Ce sont ces principes qui assurent lunit de lensemble.

    Pour ltablir je prendrai comme seul exemple le cas limite de la rcriture dans luvre, qui estAutobiographie, chapitre dix. Letitre sexplique en cela que la priode du vers libre choisie par Roubaud pour la composition de ce livre (1914-1932) est selon luile dixime chapitre du roman dAlexandre, cest--dire de lhistoire du vers franais. Cest sous linfluence des grands potes decette priode que le jeune Roubaud publie ses premiers pomes, quil reniera par la suite. Si ces potes (de lesprit nouveau aux

    surralistes en passant par Dada) reprsentent certains gards pour Roubaud une rsurgence du trobar, il sagit dunersurgence ses yeux marque dinfriorit, du point de vue de la forme. Au gnitif lamour le chant la posie en effet, les potesvers-libristes substituent, selon le titre dEluard, Lamour la posie. Cest--dire quils vacuent du pome toute la dimensionmtrico-rythmique que recouvre le chant, au profit dun vers libre dont Roubaud value avec svrit la forme. Do la prsencedansAutobiographie, chapitre dix du troubadour Marcabru, aussi nomm Pan-Perdut, pain perdu 16. Ce nom de mtier dit quelquechose de la stratgie polmique choisie par ce troubadour : il sagit de se saisir des mots mmes de ses adversaires pour lesretourner contre eux, en en composant ses propres pomes. Aussi est-ce ce que Roubaud accomplit dansAutobiographie, chapitredix, en composant ce livre de fragments de posie en vers libre. On ne saurait pourtant se borner lintention parodique : le livreenveloppe en mme temps un hommage, en cela quil reconfigure dans une forme certains de ces noncs (voir la prsence dusonnet, qui selon Roubaud est mmoire de la canso des troubadours). Les mots de lamour la posie font ainsi entendre en cholentrelacement dont ils proviennent, lamour le chant la posie. Ainsi, un livre qui se compose par rcriture drive en fait, plusprofondment, des principes dune potique, celle des troubadours.

    Ds lors, rabattre luvre de Roubaud sur des jeux de rcriture, cela procde des lacunes dune rception qui ne prend encompte que certains livres toujours les mmes et en oublie totalement dautres ; corrlativement cet oubli conduit mconnatre

    une stratgie densemble.

    Pour exposer une dernire fois lun des lments-cls de cette stratgie, on peut dire que Roubaud ne produit du nouveau ni parngation, sur le modle avant-gardiste, ni par rptition, par imitation du style ou transformation de la lettre, sur le modle de larcriture. Il rpte, certes, mais en introduisant dans ce qui est rpt la diffrence formelle ncessaire sa survie. Cela, demanire ce que la forme-posie comme configuration rythmique de la langue mue par amour soitprsente au prsent. La valeur

    http://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes4.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes4.html
  • 5/25/2018 l' preuve de La R criture

    12/21

    de cette prsence, tient ce quil ne saurait y avoir de langue vivante qui nait sa posie. Corrlativement, une langue sansposie est une langue morte, une langue sans dsir, sans lan. Bref une langue sans subjectivation possible. Telle serait lapertinence historique de luvre. On est loin du tombeau.

    Pour conclure, on peut sinterroger sur labsence, que jai qualifie daveuglante, de rcritures des troubadours dans une uvrequi, rptons-le, multiplie ces pratiques. Peut-tre y a-t-il quelques pomes, diffrents pour chacun, quon ne saurait rcrire. Il yaurait des pomes quon ne touche pas, dont on reoit simplement limpulsion. Rcrire, en ce sens, serait profaner. Cela pourraitsignifier quon rcrit des pomes, certains pomes ; mais que la posie, elle, est prcisment ce qui ne se laissepas rcrire.

    Jean-Franois PuffUniversit de Paris 3

    >sommaire>dbut de l'article>auteur

    Lioubov SvovaENTRE PAROLE ET SILENCE : LA TRADUCTION-RESTITUTION D'UN POME PERDU DE CENDRARS

    Prologue lecture de trois passages choisis de La Lgende de Novgorode:

    De mes mains jai caress la nuque souple des plus tendres beauts,jai serr entre mes mains mille gorges de marchands suants et gros de fatuit,moi-mme un chevronn marchand qui touche avec tendresse les choses

    payes par moi ... Une seule, pourtant, que je nai pu toucher

    cette chair si odorante et tendre et chaudecomme la neige... Ni ce creux, tout aussi chaud, tendrement-duveteux,et vers lequel ma petite bte alerte se prcipitait.

    Au Nord, l o le ciel est renvers comme un baquetet tout est inond de lait, et o sans doute ne tarira jamaisla Voie lacte ; o vogue la lune, motte de beurre frais, au Nord, y suis-je vraiment all ? Ah, ces nuits blanches de Saint-Ptersbourg,dun rayonnement pareil aux marges blanches de ma mmoire.

    []

    Tout autour lobscurit, comme dans lme du moujik. Dehorsle ciel morfondu tincelait de ses clous on aurait dit quelquun fuyant la sale vie,et seule sa semelle scintillait dans la nuit.

    []

    Lorsque demain par le Transsibrien on senfuira avec la petite Jeannevers Port Arthur, vers Kharbine,vers lAmour aux flots de plomb,o des cadavres jaunes remonteront toujours la surface comme des troncs darbres,l-bas nous trouverons, enfin, la route qui mne vers soi et vers lamour,ne sachant pas que des sentiments dj morts emplissent cet amour et le dbordent.Car il ny a de terre plus inconnue et de contre plus attrayanteque lme humaine... Jai peur dclater en sanglots.

    Au-dessus de moi pend en dgueulis des mouches agaantes la lampe du wagon,comme lnorme morve de quelque pitoyable voyageur 1.

    Ecrire sur la grve, entre deux mares hautes

    Oubliez Oubliez...

    Dici la fin de cette prise de parole, vous aurez sans doute oubli les mots les mots-mmes de ces quelques bribes de LaLgende de Novgorodeque vous venez dentendre. Que vous soyez auditeurs ou lecteurs, franais ou russes, " Oubliez ! " est unmatre-mot, lappel mme de ce pome rcrit. Dlest par la dclamation du poids de la perte de sa lettre, ce nest pas notreil, mais notre oreille quil sadresse, et notre facult pour lui salutaire doublier.

    Restituer le texte de Cendrars ? Ctait crire sur la grve, entre deux marres hautes : crire avecet contre le deuil pralabledont La Lgende tait frappe exprience ouvrant sur lapure perte du geste,mais aussi, comme telle, sur la reprise possiblede cette perte mme. Restituer Cendrars ? Je lai tent, depuis une zone franche, un entre-deux : avec George Steiner (AprsBabel), jai cru un moment partager lobstination rendrece pome la culture et la langue franaises dont il tait issu, mais

    je savais la tentative vaine ; plus proche sans doute de " lpreuve de ltranger " dont parle Antoine Berman, jai prouvlittralementcette tranget de La Lgende, en acceptant de sjourner auprs de ces deux textes en mouvement : la versionrussedu pome qui, aprs tout, avait t la seule avoir vu le texte franais lorigine, et la franaise que je devais forger,faire advenir depuis son inconnu, qui tait aussi le mien. Comment allait-elle tre modifie, ltrange figure de lauteur saprsence-absence et ses attributs (langue, signature, autorit) ? Dans quel type de relation auteur et traducteur allaient-ils devoirse reconnatre, puisquil en allait dune rencontre scelle autour dun manque la langue franaise de ce premier pome deCendrars ? Enfin, comment apprhender le texte rcrit quelle pertinence donner toutes nos hirarchies : original/version,langue/parole, crit/parl, auteur/traducteur ? Cette exprience-l, si singulire, quelles alternatives du geste mme de la

    http://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2_notes5.htmlhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2.html#Identiteshttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2.html#Puffhttp://www.ecritures-modernite.cnrs.fr/roman_cahiers2.html#sommaire_cahier2
  • 5/25/2018 l' preuve de La R criture

    13/21

    rcriturepouvait-elle rendre sensible ?

    Pourquoi crire, sur la grve, puisque la mer emportera toujours lcrit ? De quelle version vouloir sauver la mise, si toute versionnest plus de mise, ds que trace ? Insoutenables, toutes ces lignes l, saisies, pouvaient se retourner sur moi, ou contremoi,me laissant pressentir langoisse du nant nant de ces paroles, prises, dprises. Paroles prises grce linvitation, maisparoles indues, nayant ni garantie, ni justification. Rcriture comme traduction, comme restitution heureuse des signes, ourcriture comme une reprise faillible de tout geste dcriture quelles en taient les ouvertures, quels les prils ?

    Dprise, mprise, reprise

    La Lgende de Novgorodea t crite une premire fois, en franais, en 1907. Cendrars alias Frdric Sauser a vingt ans. Ilvient de rentrer en Suisse aprs un sjour de trois ans en Russie. Son journal intime contient des brouillons de lettres quil

    adresse une jeune Russe Hlne Kleinmann quil aime, mais dont il vient dtre spar par la dcision paternelle quilenjoint de rentrer. Brutalement, Berne, Freddy apprend la mort dHlne Saint-Ptersbourg : elle a renvers la lampe ptrole de sa chambre, et va bientt mourir, brle vive. Le Journal de Freddy sinterrompt ce jour, sur cinq lignes violentescommenant ainsi : " Je crache sur la beaut "

    La Lgende de Novgorode dont les initiales LNsont lincrustation du nom dHlne est sans doute une uvre de circonstance(crite dans lurgence de ce deuil), et aussi une lettre en souffrance (Freddy envoie le pome franais, sans en garder quelquecopie, un ami russe l'nigmatique R.R. dont nous lisons les initiales sur la couverture de l'dition de 1907, et qui est sontraducteur). Dprise: cest la fois le sens du geste pour Freddy, mais aussi, aujourdhui, sa rpercussion sur nous, pouvant toutaussi bien ouvrir la voie une preuve nouvelle, que confiner cette aventure dans le cul-de-sac o aiment sentasser nos vieillescertitudes. Il y aurait deux faons dapprhender lexprience de ce pome : par une mprise (la mfiance non fonde, enralit lgard de son authenticit, parti pris initial qui entrane un dsengagement, une fermeture lexprience mme laquelle il nous invite), ou par une reprise et cest ce que nous tenterons ici, survolant rapidement le travail de traduction lui-mme, dj voqu dans deux autres articles 2, et louvrant cette autre question, essentielle : cette preuve de la rcriture,qua-t-elle engag, et que peut-elle, aujourdhui, encore engager ?

    De lauteur, suspendons pour un instant le nom : cest bien Cendrars qui, toute sa vie durant, nous a parl de ce premier titrefranais, sans que personne nen voie la couleur ; aujourdhui, cest bien Freddy Sauser qui signe la plaquette russe, mais qui peutdire, daprs le russe, si cest bien le style de Sauser-Cendrars ? La Lgende, comme titre, appartient galement ces deuxnoms palimpsestes. Mais le texte du pome celui-l mme que vous venez dentendre qui devrions-nous lattribuer : au

    jeune homme inconnu qui le composa, au grand pote Cendrars qui jamais plus ne put revoir son texte, ou tout autretraducteur franais ou tranger qui transfigurerait le texte russe en quelque autre langue ? Comment appeler auteurde LaLgende, celui qui est sans langue propre, et qui ne peut la garantir, comme uvre,que dans une traduction(la russe), ou dansunercriture faite par un autre (la franaise)?

    Quest-ce quun nom dauteur, si dsormais sa signature (en langue originelle) ne signe pas ce qui sera dit " dans le texte " et qui minvite, dans un rapport lui, le re-dire avec lui, mais aussi sa place? Le Cendrars de La Lgende nest pourtantpas un auteur anonyme : en minvitant le reprendre, il ne se dsengage pas, comme cest le cas, par exemple, de certainestentatives contemporaines o lon voit circuler des uvres sans auteur, sans signature. Plutt quexclusive de tout, La Lgendeestrassembleuse de voix, prteuse autant que demandeuse de parole. En ceci, elle est trs proche de la perspective de rflexion

    engage par le tableau clbre de Francis Picabia, Lil cacodylate (1921) : luvre reste bien la proprit du peintre, mais elleest entirement faite des signatures apposes de ses amis, de ddicaces et de collages. Le nom dauteur se redessine alors,ouvert et accueillant, sans que cela lefface, tandis que sa figure, tout en rejetant son exclusive autorit, ne conserve pas moinsson aura imprieuse.

    Entre parole et silence, que voulait dire sapprocher de cette parole disponible, que voulait dire accepter linvitation de BlaiseCendrars rcrire La Lgende une Lgende, ni entirement sienne, ni entirement nous ? Rcriture toujours djdsespre son commencement, posie en flux et en reflux, bloc-notes magique, quelles certitudes cette enqute sur " lalettre " allait-elle menacer, reformuler ? Que risquions-nous, en nous portant responsables de cette parole illgitime ?Quinterrogeait une telle preuve de la rcriture ? Nallait-elle pas ncessairement toucher aux certitudes de son geste fondateurlui-mme ?

    Mes pas dans les siens, ou la rcriture comme traverse ?

    La langue franaise de La Lgende ? Franais langue trangre. Toujours dj dpossde delle-mme comme mienne, puisqueabandonne lautre, pour tre sienne, comme signe par lui. Dsir honnte sans doute, mais plus srement dsastre absencede lastre. Etrangre elle-mme, la langue franaise que je forgeais, tait dans un non-lieu, sans fondement sinon lautoritde cette figure dauteur muette, ou sinon mon propre dire, mais dans une relation fantomatique (et pourtant si relle) lauteur.Ce que je navais pas moi-mme