A - 2010 - n°2 [239 267]

29
C O M P T E S R E N D U S Alexis HLUSZKO, Le terrain de chasse du roi. Les capitaineries royales en Île- de-France, Paris, Montbel, 2009, 238 p., ISBN 1-978-2-914390-88-0, 22 €. Comme le rappelle l’auteur de ce livre, le droit de chasse est depuis la formation de la noblesse aux XI e -XII e siècle le monopole de celle-ci, ainsi que le prescrit l’ordonnance royale de juin 1397 et de nombreuses autres ensuite. C’est un privilège que seul le roi peut attribuer à des roturiers. Il est lié au droit féodal dans la mesure où les seigneurs hauts- justiciers peuvent l’exercer non seulement dans leur fief mais aussi dans les fiefs pour les- quels, encore au XVIII e siècle, ils sont suzerains. Du même coup et également pour raison de distinction ostensible dans cette société à la hiérarchisation marquée, le port d’armes est réservé au second ordre, y compris les fusils de chasse, et on sait combien la poursuite du gibier occupe l’éducation et la vie de l’aristocratie et du souverain de France. Les capitaineries royales, dont la première est créée en 1534, sont des espaces où le monarque seul peut se livrer à la chasse, mais évidemment il y invite qui bon lui semble. Il y en eut jusqu’à 80 au XVII e siècle ; en 1690 et 1699 Louis XIV les réduisit à (semble- t-il ?) une quinzaine, celles de province étant devenues inutiles avec la sédentarisation de la cour. Au XVIII e siècle, la Vènerie royale fait partie de la Maison du roi et a à sa tête le Grand-veneur avec environ 400 personnes sous ses ordres, depuis les six « commandants » jusqu’aux employés des chenils et des écuries (280 chevaux en 1785) et les gardes-chasse, beaucoup de ces fonctions étant des offices vénaux. Le budget de la vènerie tourne au XVIII e siècle autour de 1 million de livres, 1/30 e des ressources de la Maison du roi. En Île-de-France sont établies autour de Paris et Versailles douze capitaineries qui s’étendent sur 3 500 km 2 , soit 30 % de la superficie de l’actuelle région administrative. Si les capi- taines sont bien payés (« plusieurs milliers de livres par an » ?), il n’en va pas de même des gardes – 15 à 20 par capitainerie – qui ne reçoivent que 60 à 200 l. Les premiers sont officiers de justice ; ils prononcent pour les infractions des amendes lourdes qui sont encaissées par la capitainerie (100 l. pour non-respect de la res- triction du droit de chasse et en cas d’insolvabilité peine corporelle et bannissement). Les seconds sont munis d’un costume et d’une bandoulière et dressent procès-verbal primant au tribunal sur la parole du contrevenant. Dans le ressort des capitaineries, les cultivateurs doivent se soumettre à des obligations pesantes : limitation des constructions de murs et creusements de fossés, fixation par l’autorité royale des dates de fauchage et travaux agri- coles, implantation de buissons dans les champs pour éviter le passage humain. Le pire est évidemment pour les riverains des forêts avec le droit seigneurial de garenne qui fait pullu- ler le gibier et, pour les proches des logis nobles, avec le droit de pigeonnier. Les observations de l’auteur sur le braconnage recoupent ce qu’on sait sur cette matière très prospectée par les historiens. Vis-à-vis des capitaineries comme des seigneu- ries privées les contraventions à la loi sont multiples et le braconnage s’accroît pendant la seconde moitié du XVIII e siècle ici comme ailleurs. Ses formes et acteurs, plutôt des journa- liers, et souvent des gardes eux-mêmes parce que mal rémunérés, sont nombreux. Il se ANNALES HISTORIQUES DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE - 2010 - N°2 [239 À 267]

Transcript of A - 2010 - n°2 [239 267]

Page 1: A - 2010 - n°2 [239 267]

c o m p t e s r e n d u s

A lexis hluszKo, Le ter rain de chasse du roi. Les capi tai ne ries royales en Île-de-France, Paris, Montbel, 2009, 238 p., ISBN 1-978-2-914390-88-0, 22 €.

Comme le rap pelle l’auteur de ce livre, le droit de chasse est depuis la for ma tion de la noblesse aux xie-xiie siècle le mono pole de celle- ci, ainsi que le pres crit l’ordon nance royale de juin 1397 et de nom breuses autres ensuite. C’est un pri vi lège que seul le roi peut attri buer à des rotu riers. Il est lié au droit féo dal dans la mesure où les sei gneurs hauts- justiciers peuvent l’exer cer non seule ment dans leur fief mais aussi dans les fiefs pour les -quels, encore au xviiie siècle, ils sont suze rains. Du même coup et éga le ment pour rai son de dis tinction osten sible dans cette société à la hié rar chi sa tion mar quée, le port d’armes est réservé au second ordre, y compris les fusils de chasse, et on sait combien la pour suite du gibier occupe l’édu ca tion et la vie de l’aris to cra tie et du sou ve rain de France.

Les capi tai ne ries royales, dont la pre mière est créée en 1534, sont des espaces où le monarque seul peut se livrer à la chasse, mais évi dem ment il y invite qui bon lui semble. Il y en eut jus qu’à 80 au xviie siècle ; en 1690 et 1699 Louis XIV les rédui sit à (semble- t-il ?) une quin zaine, celles de pro vince étant deve nues inutiles avec la séden ta ri sa tion de la cour. Au xviiie siècle, la Vènerie royale fait par tie de la Mai son du roi et a à sa tête le Grand- veneur avec envi ron 400 per sonnes sous ses ordres, depuis les six « comman dants » jus qu’aux employés des che nils et des écu ries (280 che vaux en 1785) et les gardes- chasse, beau coup de ces fonc tions étant des offices vénaux. Le bud get de la vènerie tourne au xviiie siècle autour de 1 million de livres, 1/30e des res sources de la Mai son du roi. En Île-de-France sont éta blies autour de Paris et Versailles douze capi tai ne ries qui s’étendent sur 3 500 km2, soit 30 % de la super fi cie de l’actuelle région admi nis tra tive. Si les capi -taines sont bien payés (« plu sieurs milliers de livres par an » ?), il n’en va pas de même des gardes – 15 à 20 par capi tai ne rie – qui ne reçoivent que 60 à 200 l.

Les pre miers sont offi ciers de jus tice ; ils pro noncent pour les infrac tions des amendes lourdes qui sont encais sées par la capi tai ne rie (100 l. pour non- respect de la res-tric tion du droit de chasse et en cas d’insol va bi lité peine cor po relle et ban nis se ment). Les seconds sont munis d’un cos tume et d’une ban dou lière et dressent procès- verbal pri mant au tri bu nal sur la parole du contre ve nant. Dans le res sort des capi tai ne ries, les culti va teurs doivent se sou mettre à des obli ga tions pesantes : limi ta tion des construc tions de murs et creu se ments de fos sés, fixa tion par l’auto rité royale des dates de fau chage et tra vaux agri -coles, implan ta tion de buis sons dans les champs pour évi ter le pas sage humain. Le pire est évi dem ment pour les rive rains des forêts avec le droit sei gneu rial de garenne qui fait pul lu- ler le gibier et, pour les proches des logis nobles, avec le droit de pigeon nier.

Les obser va tions de l’auteur sur le bra connage recoupent ce qu’on sait sur cette matière très pros pec tée par les his to riens. Vis- à-vis des capi tai ne ries comme des sei gneu -ries pri vées les contra ven tions à la loi sont mul tiples et le bra connage s’accroît pen dant la seconde moi tié du xviiie siècle ici comme ailleurs. Ses formes et acteurs, plu tôt des jour na- liers, et sou vent des gardes eux- mêmes parce que mal rému nérés, sont nom breux. Il se

AnnAles historiques de lA révolution FrAnçAise - 2010 - n°2 [239 à 267]

Page 2: A - 2010 - n°2 [239 267]

240 comptes rendus

pra tique au tir, mais aussi au col let, au piège métal lique ou aux filets, plus dis crets. Dans la région pari sienne aux tables aris to cra tiques et bour geoises nom breuses et opu lentes, il y a une clien tèle assu rée pour les bra conniers qui vivent en par tie de la revente clan des tine de leurs prises ; même des cerfs sont débi tés en quar tiers. Et ce tra fic est d’autant plus grand que, si la cir cu la tion du gibier abattu est sou mise à cer ti fi cats d’auto ri sa tion du titu -laire de la chasse, taxe aux portes de la ville et obli ga tion de vendre à un seul mar ché, au quai des Augustins, tout mar chand forain et tout voi tu rier public peuvent intro duire les ani maux sans jus ti fi catif. En outre la chasse peut être affer mée par son pro prié taire. En Île-de-France donc, les capi tai ne ries entre tiennent un gibier par ti cu liè re ment abon dant, ce qui signi fie encore davan tage de dégâts pour les culti va teurs. L’exa men de 370 cahiers parois siaux de doléances de 1789 de la pré vôté de Paris hors les murs confirme l’impo pu -la rité du mono pole sei gneu rial de la chasse et des capi tai ne ries royales.

Par consé quent, pous sée par l’explo sion de l’inva sion des forêts par attrou pe ments en 1788-1789, la Consti tuante les 7 août 1789 et 22 avril 1790 ouvre le droit de chasse à tout pro prié taire, à l’exclu sion, mal gré la pro tes ta tion de Robespierre, des autres citoyens, à peine d’amende de 20 l., les muni ci pa li tés rece vant pou voir de juger des peines. Dès le 7 août 1789 aussi les peines de galères pour fait de chasse sont sup pri mées. Avec la chute de la royauté les capi tai ne ries sont abo lies en décembre 1792. Tou te fois, ce n’est que sous l’Empire, avec le règle ment sur les bois des domaines (mars 1805) et celui sur l’enre gis tre- ment du port d’armes de chasse (juillet 1810), que la délin quance fores tière va régres ser.

Sur cer tains points, tels que le Grand- veneur, l’orga ni sa tion finan cière des capi tai- ne ries ou la période du Direc toire, le lec teur demeure un peu sur sa faim. Par fois éga le ment on atten drait plus de pré ci sion quan ti tative. L’étude des repré sen ta tions paraît aujourd’hui juste mais un peu insuffi sante. En revanche, l’auteur appré hende avec habi leté les rap ports de classe dis si mu lés dans la légis la tion et les actes de jus tice. Le livre se lit faci le ment et a l’avan tage de four nir une des crip tion d’une ins ti tution notable de la monar chie d’Ancien Régime et de ras sem bler commo dé ment les lois les plus impor tantes sur un sujet qui a for te ment occupé les pay sans du xviiie siècle.

Guy lemArchAnd

Daniel mornet, Les ori gines intel lec tuelles de la Révo lu tion fran çaise, 1715- 1787, Paris, Tallandier, col lec tion Texto, 2010, 554 p., ISBN 978-2-84734-639-8, 12 €.

Il convient de saluer cette nou velle publi ca tion d’un grand clas sique, édité par Armand Colin en 1933 et ensuite objet de nom breuses réédi tions (la seconde dès 1934, une sixième en 1967, enfin une lors du Bicen te naire). Si le livre n’était donc pas vrai ment raré fié, puis qu’il est tou jours pos sible de l’acqué rir dans l’une ou l’autre de ses formes suc ces sives, sa paru tion dans la col lec tion Texto contri buera à élar gir encore son public. L’ouvrage, scindé en trois par ties chro no lo giques (1715-1748, 1748-1770, 1770-1787), elles- mêmes sub di vi sées de manière thé ma tique, a fait l’objet d’un long compte rendu de Georges Lefebvre dans les AHRF en 1934 (p. 366-372). Il serait donc vain d’en rédi ger un second de cette ampleur 76 ans plus tard, d’autant que les Édi tions Tallandier nous pro -posent ici le texte de 1933 sans autres pré face et notes que celles de Daniel Mornet. En revanche, il n’est sans doute pas inutile de résu mer ce qu’écri vait alors Georges Lefebvre à pro pos de cet « ins tru ment de tra vail de pre mier ordre », « pré cieux […] par sa méthode ». Tout en saluant l’ouvrage, il remar quait que le rôle des faits poli tiques n’y tenait pas une

Page 3: A - 2010 - n°2 [239 267]

241comptes rendus

place suffi sante, que les ori gines intel lec tuelles ne peuvent être « pure ment livresques », enfin que les condi tions éco no miques et sociales étaient trop oubliées. En appe lant presque déjà à une his toire sociale des idées avant la lettre, il concluait que « l’his toire des idées a pour cadre natu rel l’his toire [en ita liques dans l’ori gi nal], celle de la vie sociale dans toute sa pro fon deur ». De nom breux tra vaux sont depuis venus complé ter et/ou contester ce tra -vail pion nier de Daniel Mornet, des Ori gines cultu relles de la Révo lu tion fran çaise de Roger Chartier aux ouvrages met tant l’accent sur d’autres ori gines de 1789 (poli tiques, reli gieuses, etc.) et aux recherches qui se penchent désor mais sur les hommes de Lettres moins en vue que les « grands » phi lo sophes du siècle des Lumières, sur les « écri vaillons » et autres « Rous seau du ruis seau » (Robert Darnton), mais aussi sur les réseaux et les lieux par les quels les idées nou velles ont pu se diff u ser. Pour autant, cela ne rend pas inutile la lec ture du livre de Daniel Mornet, loin s’en faut, et cette nou velle réédi tion est donc la bien ve nue. Men tion nons enfin l’impor tance de ses réfé rences biblio gra phiques, datées certes, mais au nombre de quelque 1 600, dont beau coup aujourd’hui lar ge ment oubliées et par fois à tort.

Michel BiArd

An nie JourdAn, La Révo lu tion batave entre la France et l’Amérique (1795–1806), Rennes, Presses Uni ver si taires de Rennes, 2008, 456 p., ISBN 978-2-7535-0702-9, 22 €.

C’est un volu mi neux tra vail de plus de 400 pages que nous pro pose An nie Jourdan, qui n’est pas seule ment une mise au point sur un évé ne ment bien mal connu en France, la Répu blique hol lan daise, ou « batave », mais aussi et sur tout une réflexion sur la cir cu la -tion des idées et des modèles entre trois expé riences répu bli caines : France, Provinces- Unies et États- Unis.

Sou li gnons d’emblée que le titre ne cor res pond pas exac te ment au pro pos ; ce qu’il est convenu d’appe ler la « révo lu tion batave » se déroule de 1783 à 1787, et fait par- tie de ce que Jacques Godechot appela en son temps les « révo lu tions atlan tiques ». Ici, il est plu tôt ques tion de la Répu blique batave, inau gu rée par le fran chis se ment du Rhin par les troupes fran çaises, ache vée par l’ins tal la tion du royaume de Louis Bonaparte. Il s’agit donc de l’ins ti tution na li sation de l’expé rience des « patriotes », qui ne se limite pas aux sou bre sauts de la for mu la tion d’une Consti tution, mais à la géné ra li sa tion d’une expé -rience totale, qui ne visait rien moins que l’enra ci ne ment d’une citoyen neté ori gi nale, fon de ment d’une régé né ra tion natio nale. Cette expé rience, l’his to rio gra phie la ramène trop sou vent à l’imi ta tion d’un « modèle fran çais » sous le vocable de la « répu blique sœur » ; soit pour la déni grer en lui ôtant toute ori gi na lité, soit pour rame ner toute nova -tion à l’aune de l’exceptionnalité fran çaise.

La dimen sion authen ti que ment his to rique du tra vail d’An nie Jourdan est de faire vivre l’ori gi na lité de cette période en la confron tant à la plu ra lité des modèles d’ins pi ra -tion. En intro dui sant le réfé rent états- unien, elle brise de façon sti mu lante le tête- à-tête franco- batave qui obère trop sou vent son inter pré ta tion.

Après avoir replacé le cou rant patriote dans l’Europe révo lu tion naire, l’auteur pré sente briè ve ment les acteurs et les évé ne ments de la période 1783–1795. L’étude commence véri ta ble ment lors qu’elle nous guide dans les débats qui ont mar qué l’exis tence d’un acteur col lec tif fon da men tal de la période : l’Assem blée batave. Elle ana lyse de façon

Page 4: A - 2010 - n°2 [239 267]

242 comptes rendus

appro fon die les prin ci paux textes qui vont consti tuer la Répu blique, en commen çant par la décla ra tion des droits. Comme les Amé ri cains, les Bataves sont méfiants envers les auto ri- tés consti tuées et la toute- puissance de la loi. Chez eux la sou ve rai neté du peuple est à la fois prin cipe et exer cice. Ils vont plus loin que le texte fran çais de 1795, par la garan tie des secours publics, la volonté de ne pas enca drer étroi te ment la liberté de la presse ou le droit de pétition. C’est assez dire que l’esprit des répu bli cains bataves n’est pas que la copie des expé riences étran gères, mais dénote un souci d’ému la tion, une volonté de tenir compte des expé riences acquises, pour les dépas ser. C’est tout l’enjeu de la démo cra tie repré sen ta tive, cette forme per pé tuel le ment sous ten sion, jamais acquise et tou jours à construire, dont An nie Jourdan ne sou ligne pas suffi sam ment qu’elle ne fut jamais un donné, ni aux États- Unis, ni en France, mais un objec tif évo lu tif, qui donna lieu à de nom breux débats qui trans cen daient les fron tières des diverses répu bliques à l’époque du Direc toire.

Ce que nous révèle en outre une ana lyse extrê me ment fine des argu ments échan gés lors des joutes légis la tives, c’est le peu de per ti nence des éti quettes réduc trices acco lées aux sys tèmes de réfé rences : « radi caux » contre « modé rés », « uni taires » contre « fédé ra- listes ». Tous s’accordent sur l’idée que la sou ve rai neté du peuple doit être une et indi vi -sible. Mais au- delà, quelle place faut- il accor der aux pré ro ga tives des pro vinces ? Der rière la ques tion de l’unité poli tique, se pro file for te ment celle de l’unité finan cière ; faut- il amal- ga mer toutes les res sources finan cières, ou plus exac te ment les dettes pro vin ciales en cette période de dépres sion éco no mique ? De même, tous s’accordent sur l’idée que le peuple batave ne peut être repré senté que par une assem blée unique. Mais cette centralité légis la -tive se heurte à de fortes résis tances. On retrouve tout autant, dans ces résis tances, un prin -cipe « conser va teur », celui de l’équi libre des pou voirs, qu’un prin cipe « démo cra tique », celui du néces saire contrôle des citoyens sur leurs repré sen tants. Ce sont les inter ven tions appuyées par la force mili taire, qui viennent mettre un terme pro vi soire aux dis cus sions, et imposent la Consti tution de 1798. Mais, là encore, l’auteur nous met en garde contre l’inter- pré ta tion uni la té rale domi nante ; ces inter ven tions ne visent pas à impo ser un « modèle fran çais » de l’exté rieur, les acteurs bataves jouent leur par tition, et se servent aussi de la pré sence mili taire fran çaise et des évo lu tions fluc tuantes du pou voir pari sien pour faire pré va loir leurs vues. Le texte consti tution nel de 1798 est bel et bien un texte d’ins pi ra tion batave ; le souci du contrôle popu laire, la méfiance envers l’exé cu tif, le souci des liber tés publiques. L’évo lu tion subie en 1801 appor tera quelques cor rec tifs dans le sens d’une plus grande res tric tion de la par ti cipation popu laire et des liber tés publiques.

La troi sième par tie aborde la ques tion de la réforme des mœurs, fon de ment de l’enra ci ne ment durable des répu bliques, selon le lan gage commun à tous ces régimes issus des prin cipes des Lumières. Et d’abord, la ques tion du Code civil. Ce Code civil des Bataves sera une adap ta tion de la tra di tion natio nale. Les infrac tions rela tives aux mœurs sont dépo sées dans les mains des juges ; l’ins pi ra tion est de pro té ger l’har mo nie des familles, base de l’ordre social. Dans cet édi fice nou veau qui repose sur la famille nucléaire grou pée autour du père, la tran quillité publique est du domaine de l’État, c’est- à-dire qu’elle repose avant tout sur les magis trats, et non plus sur l’Église ou les commu nau tés. Cette construc tion par achève l’évo lu tion sécu laire de la tra di tion répu bli caine hol lan daise. Pour mieux faire res sor tir l’ori gi na lité batave, l’auteur se livre à une compa rai son très fouillée des diff é rentes évo lu tions du droit dans les socié tés de l’Europe occi den tale, notam ment en France et en Angleterre. La ques tion de l’escla vage est un peu rapi de ment réglée ; son impor tance, dans une perspec tive compa ra tive jus te ment, ne doit pas être négli gée. Il y eut des débats au Corps légis la tif, même si ceux- ci se concluent par le main tien du statu quo. Les Provinces- Unies étaient aussi une répu blique impé riale, même si la Répu blique batave avait bien du mal à tenir ses ter ri toires ultra- marins.

Page 5: A - 2010 - n°2 [239 267]

243comptes rendus

Dans la Répu blique batave, l’éla bo ra tion d’un nou veau code cri mi nel est hési tante et contra dic toire. Si les idées des Lumières, tout par ti cu liè re ment celles de Filangieri en matière de pro por tion na lité des peines, font leur che min, des inno va tions telles que le jury popu laire, les juges de paix, la publi cité des débats, sus citent de fortes résis tances. Les châ ti ments cor po rels ne dis pa raissent pas. Tout reste aux mains des juges, et un conser va -tisme éclairé, plus sou cieux de l’ordre public que de la liberté indi vi duelle, trans paraît fina le ment dans le Code cri mi nel de 1809, mort- né puisque la dépar te men ta li sa tion de l’année sui vante impose bru ta le ment le droit fran çais. L’auteur montre que ce conser va -tisme répon dait à la fois à une demande sociale et à une tra di tion natio nale.

La qua trième par tie explore les voies de la « régé né ra tion », par l’édu ca tion et par la poli ti sation de l’espace public. C’est tout le pro blème des ins ti tutions répu bli caines. Dès les années 1750, une aspi ra tion s’était fait jour aux Provinces- Unies en faveur d’une édu ca tion natio nale et popu laire, libé rée de la tutelle ecclé sias tique, aspi ra tion relayée par des socié tés phi lan thro piques, dont la plus impor tante est la Société pour le bien public (le Nut) qui ins pire les grandes réformes édu ca tives de la Révo lu tion. Le ter reau était pro pice, puisque le niveau d’alpha bé ti sation était bien plus élevé dans les Pro vinces que dans les pays voi sins. Après les débats, là aussi très riches, des années 1795–1801, l’ensei gne ment pri maire appa raît comme la prin ci pale ins ti tution régé nérée de la Répu blique ; un ensei gne- ment uni forme, assuré par des maîtres sou mis à des règles d’ins pec tion simi laires, qu’ils exercent dans les écoles publiques ou dans les nom breuses écoles pri vées, confes sion -nelles ou asso cia tives. Ouvertes sur les besoins de la société civile, d’abord soi gneu se ment sous traites à l’influ ence reli gieuse, une inflexion se fait jour à par tir de 1805-1806 en faveur d’une plus grande mora li sa tion. Mais le tissu per siste, et il fera l’admi ra tion des voya geurs jus qu’au milieu du xixe siècle, fruit d’un effort essen tiel le ment batave, puisque l’ensei gne ment élé men taire n’a pas connu un soin sem blable, ni dans la Répu blique amé -ri caine, ni dans la Répu blique fran çaise. En outre, le souci d’uni fi ca tion se tra duit par une volonté de pro mou voir une langue commune, et notam ment par la néerlandisation des termes du voca bu laire poli tique.

Mais l’édu ca tion du peuple passe aussi par d’autres voies que l’ins ti tution sco laire. L’auteur men tionne les fêtes et les monu ments. Le bilan, en l’occur rence, est bien maigre, à la fois par manque d’argent, et aussi par suite d’une diffi culté à ras sem bler la Nation autour d’un culte des « grands hommes ». Si le ministre Gogel pose les bases d’un Musée natio nal des œuvres d’art, les spo lia tions réa li sées par les Fran çais après 1795, le démé na -ge ment des chefs d’œuvre du Siècle d’Or, ou des col lec tions natu ra listes du sta thou der vers Paris, ali mentent dans les élites bataves une grande amer tume à l’égard de la France. Les ana lyses d’An nie Jourdan sur cette ques tion, tout à fait dans la ligne de ses pré cé dents tra -vaux, sont tout à fait éclai rantes. De même, les pages consa crées à la pro mo tion de l’his toire comme genre natio nal voué à l’édi fi ca tion de la jeu nesse ; une quan tité de manuels, récits, ouvrages, illus trés ou non, sont publiés à cette époque, qui, tous, déve loppent « l’his toire de la patrie ». De sen si bi li tés poli tiques diverses, ils déclinent le genre selon des moda li tés elles- mêmes diverses ; récits des ori gines héroïques, his toire immé diate des faits de la Révo- lu tion pro mus au rang d’évé ne ments, pein tures de genre des cou tumes natio nales.

Le der nier cha pitre s’attarde sur une forme par ti cu lière, mais essen tielle de l’édu -ca tion popu laire ; l’action des socié tés poli tiques, des assem blées de citoyens. C’est toute la ques tion du radi ca lisme poli tique. An nie Jourdan pré sente cette action dans le cadre de la ville d’Amsterdam, entre 1795 et 1799. Renouant avec l’action des comi tés de la période de la Révo lu tion batave, la mobi li sa tion civique expé ri mente des formes déjà éprou vées ailleurs, comme les clubs, les assem blées pri maires et les gardes armées, en l’occur rence les canon niers, mais innove éga le ment avec les assem blées de quar tiers. Ce radi ca lisme

Page 6: A - 2010 - n°2 [239 267]

244 comptes rendus

batave pré sente une spé ci ficité, dans la mesure où le combat se porte plu tôt contre la muni ci pa lité modé rée, que contre une assem blée qui siège hors de la grande cité, à La Haye. De même n’y eut- il pas de centre d’impul sion ana logue à ce qu’a pu être le club des jaco bins. Est- ce une condi tion suffi sante pour reje ter toute ana logie entre jaco bi nisme et radi ca lisme batave ? à mon sens, ce serait un peu abu si ve ment réduire le jaco bi nisme à son moment mon ta gnard, voire à une fonc tion d’idéo logie cen tra li sée, comme le fait l’auteur. Elle néglige de ce fait la forme par ti cu lière du jaco bi nisme des années du Direc -toire, ce « néo- jacobinisme » qui pré sen tait bien des aspects décen tra li sés que l’on retrouve éga le ment dans la Répu blique batave, qui s’effor çait aussi de se démar quer de la Ter reur. Il y a encore dans le jaco bi nisme de cette période un aspect trans na tional, dans la recherche d’une soli da rité et d’objec tifs communs entre les « patriotes » (si on veut employer un autre qua li fi ca tif ) fran çais, ita liens, hol lan dais. Dans la perspec tive compa ra -tiste déve lop pée par l’auteur, c’est là un aspect qui n’est certes pas négli geable. Plus convain cante est l’ana lyse de l’année cru ciale, 1798, au cours de laquelle la ten ta tion d’une marche vers la vio lence ter ro riste se fait jour ; ten ta tion évi tée au demeu rant, à la fois par l’évo lu tion de la conjonc ture, mais aussi par la recherche d’un compro mis natio- nal, la voie du dissensus étant en fin de compte admise en fait, sinon en droit.

An nie Jourdan revient dans sa conclu sion, en émet tant des hypo thèses sti mu lantes sur les formes mul tiples du trans fert poli tique, sur l’his to rio gra phie de ces années répu bli- caines qui en a occulté l’ori gi na lité. Une seule forme de trans fert a été envi sa gée, celle qui voit dans la Répu blique batave une imi ta tion ser vile d’un « modèle » fran çais ; soit pour le reje ter au nom d’un conser va tisme inhé rent au carac tère natio nal néer lan dais, soit pour l’exal ter comme seule voie d’achè ve ment de la révo lu tion, du moins en Europe, l’autre révo lu tion pré ten du ment aboutie étant la Révo lu tion amé ri caine. An nie Jourdan nous offre à la fois une somme de connais sances indis pen sables pour abor der ce qui doit être désor mais l’étude des révo lu tions et non de la Révo lu tion (il ne fau drait pas écar ter de l’étude les révo lu tions ita liennes, ou hel vé tiques, dont l’his to rio gra phie a été si heu reu se -ment renou ve lée ces der nières années), et une méthode compa ra tive extrê me ment sti mu -lante. C’est un livre indis pen sable.

Bernard gAinot

Nicolas Louis FrAnçois de neuFchâteAu, Les Vosges, Édi tion par Philippe AlexAndre, avec une notice bio gra phique par Jean- Paul rothiot, Nancy, Fédé ra tion des Socié tés savantes des Vosges, 2009, 88 p., ISBN 2-9522166- 9-X, 10 €.

François de Neufchâteau est un pro ta go niste aujourd’hui bien connu de l’inven -tion de la France en révo lu tion et de la construc tion post- révolutionnaire, notam ment grâce à la thèse magis trale de Dominique Margairaz (F. de N. Essai de bio gra phie intel lec- tuelle, Pub. de la Sorbonne, 2005). On savait qu’il avait le goût des lettres et se vou lait poète : de décou vrir le réel talent qu’il mani fes tait en ce domaine est un moment inso lite et diver tis sant. Nous voici réunis à Épinal, le 1er ven dé miaire an V (22 sep tembre 1796) à l’occa sion de la Fête commé mo ra tive de la fon da tion de la Répu blique : le commis saire du Direc toire près de l’admi nis tra tion du dépar te ment des Vosges qu’est devenu François de Neufchâteau, lit devant le public des notables assem blés, son vaste poème de 600 vers, dédié -c’est ici le mot exact- à la gloire de sa petite patrie : ce pays vosgien et sub- vosgien, devenu « dépar te ment des Vosges » en 1790, cir conscrip tion pour une grande part consti -tuée grâce à l’ini tiative de François lui- même. Sans doute écrit avant 1795, le poème a été

Page 7: A - 2010 - n°2 [239 267]

245comptes rendus

édité à Saint- Dié peu après, tan dis qu’une nou velle édi tion, aug men tée et complé tée – dont les ajouts sont repro duits dans la pré sente réédi tion de Philippe Alexandre consti tuée à par tir de l’édi tion prin ceps d’Épinal – a paru à Paris chez Desenne à l’inten tion des élites natio nales, François étant devenu membre de l’Ins ti tut natio nal de France.

François de Neufchâteau est natu rel le ment guidé dans son effort et son ins pi ra tion par l’exemple illustre donné par le grand savant bernois Albrecht von Haller (1708-1777) auteur du grand poème Les Alpes (490 vers) paru en 1732, tra duit une pre mière fois en fran çais en 1749, lequel poème contri bua à répandre la pas sion des mon tagnes dans l’Europe des Lumières : Haller dont la thèse récente (2009) de Flo rence Catherine montre la grande influ ence et noto riété dans l’espace cos mo po lite où s’est construite la culture d’hommes comme François de Neufchâteau. L’inten tion fon da men tale de l’auteur des Vosges est de don ner une sorte d’iden tité, à la fois « natu relle » et historico- culturelle, voire poli tique et patrio tique, au ras sem ble ment des divers pays de mon tagnes, de pla teaux pré- vosgiens et de val lées, dont l’assem blage a donné nais sance au dépar te ment. Les notes abon dantes et pré cises de Philippe Alexandre, la biblio gra phie et la réfé rence aux sources, en indiquent pré ci sé ment la por tée et la signi fi ca tion pra tique.

Reste à lire le poème lui- même. On y trouve des alexan drins de mir li ton (« Tableaux atten dris sants, régu liers et gro tesques,/Voilà des deux côtés ce qui frappe mes yeux, / Dans les Alpes, en grand ; en petit, dans ces lieux. »), mais aussi de solides évo ca tions ins pi rées de l’acti vité manu fac tu rière dont la poé sie lyrique rare ment fait men tion : « à leur chute, plus bas, la scie obéis sante, / Divi sant comme on veut l’arbre qu’on lui pré sente […] Les mar teaux de Vul cain, plus loin, reten tis sants / ; Le duc tile métal qui passe à la filière […] Les cendres que le feu méta mor phose en verre ; / Les vieux chiff ons qu’il pile et trans forme en papier […] ». Manière de rap pe ler l’impor tance indus trielle de la Lor -raine à la fin du xviiie siècle et sa diver sité : « Venez voir la nature en ce grand ate lier » dont les Vosgiens savent tirer un parti, utile mais aussi esthé tique, tout comme ils savent le faire de la pomme de terre (« Ce fécond tuber cule est la manne des Vosges »), du fro -mage des Chaumes, ou des eaux de Plom bières, Bussang ou Contrexéville, qui contri buent à don ner la santé ! Évi dem ment, les Vosges sont loin de Paris : « Dire : comment peut- on vivre à Épinal ? » est une ques tion que l’émi nent poli ti cien et savant natio nal qu’est devenu François, ne peut pas ne pas se poser (comme bien d’autres après lui… jus qu’au récent défunt Pré sident de la Cour des comptes qui fut un temps député- maire d’Épinal avant de se sépa rer de cette charge comme d’une guigne !), mais on peut répondre à cette ques tion écologiquement et élégiaquement : « Ô célestes objets, votre charme est suprême ». à quoi s’ajoute le fait heu reux que la moder nité s’est désor mais empa rée de tout ce pays avec la Répu blique depuis l’élan patrio tique depuis 1792 : « Les prêtres ne sont plus ; ce n’est pas grand dom mage […] Mais salut aux amis de la phi lo sophie ! ». Et puis la beauté est aussi sor tie de ces lieux que poètes (Saint Lambert, amant d’Émilie du Châtelet et rival bien heu reux de Vol taire), peintres et gra veurs (Callot), écri vains et savants, ont par cou ru, si près de Nancy, saluée ainsi : « De son plan régu lier l’heu reuse archi tec ture », pays de mon tagne, de villes et de val lées qui sont désor mais débar ras -sés d’un mal qua li fié ainsi : « Du règne féo dal la longue oppres sion ».

« Les pro grès du commerce ont servi la rai son » : le dépar te ment des Vosges, une créa tion de la rai son pra tique ? A- t-on sou vent entendu un agent de l’État moderne chan ter en vers élé gants sur un mode kan tien, devant ses admi nis trés, la gloire territorialisée d’une poli tique, d’un régime bour geois, d’une muta tion sociale ?

François de Neufchâteau n’a pas fini de nous sur prendre.

Claude mAzAuric

Page 8: A - 2010 - n°2 [239 267]

246 comptes rendus

Cesare BeccAriA, Des délits et des peines / Dei delitti e delle pene, intro duc tion, tra duc tion et notes de Philippe AudegeAn, texte ita lien éta bli par Gianni FrAncioni, Lyon, ENS Édi tions, « La croi sée des che mins », 2009, 448 p., ISBN 978-2-84788-149-3, 34 €.

Cette édi tion des Délits et des peines offre la ver sion la plus fidèle du texte ita lien, éta blie par Gianni Francioni, et une nou velle tra duc tion fran çaise, entre prise par Philippe Audegean. La tra duc tion est enca drée par un impor tant appa reil cri tique : en tête d’ouvrage, une longue intro duc tion sur le contexte et la genèse de l’œuvre ; en fin d’ouvrage, des notes pré cises qui guident la (re)décou verte de Beccaria, des tables de concor dance entre les prin ci pales ver sions de l’œuvre, une biblio gra phie exhaus tive et enfin un index des noms.

L’intro duc tion, orga ni sée en quatre cha pitres, n’entend pas pro po ser une syn thèse de la pen sée de Beccaria mais ins crire Des Délits et des peines dans son contexte his to -rique. Le pre mier cha pitre rap pelle le rôle tenu par Beccaria au sein de l’« aca dé mie des Coups de poing » qui réunit, dans les appar te ments de Pietro Verri (le co rédac teur des Délits), la fine fleur de la jeu nesse mila naise, en lutte contre l’auto rité pater nelle et favo -rable à la monar chie habsbourgeoise.

Philippe Audegean reprend dans le cha pitre sui vant l’essen tiel des enquêtes géné- tiques menées par Gianni Francioni. à l’ori gine pam phlet phi lo sophique, orga nisé en deux grands cha pitres, et inti tulé Delle pene e delitti (« Des peines et des délits », 1763), le manus crit auto graphe de Beccaria est rapi de ment réin ter prété par Pietro Verri pour en faire un traité juri dique orga nisé en 41 para graphes et désor mais inti tulé Dei delitti e delle pene (« Des délits et des peines »). C’est cette ver sion lar ge ment rema niée qui est pour la pre mière fois édi tée en 1764. L’édi tion défi ni tive de 1766 (la cin quième) est reprise par Beccaria lui- même et s’orga nise désor mais en 47 para graphes. C’est cette ultime édi tion qui fait l’objet de la pré sente tra duc tion. Dans le troi sième cha pitre, Philippe Audegean revient en détail sur le « détour ne ment de texte » (p. 61) commis par le pre mier tra duc teur fran çais de Beccaria : l’abbé Morellet. Cette tra duc tion, qui devient la vul gate de l’œuvre de Beccaria en Europe jus qu’en 1958 ne laisse que dix para graphes in touchés. à présent inti tu lée Traité des délits et des peines (1765), l’œuvre connaît une for tune immé diate et ins pire sur tout la réforme pénale du grand- duc de Tos cane en 1786.

Le der nier cha pitre intro duc tif revient sur les trois lec tures pos sibles du Traité des délits et des peines. La lec ture juri dique, ini tiée par Vol taire, isole les deux prin cipes pre -miers du Traité : celui de modé ra tion et celui de ratio na lité des délits et des peines. à l’ori gine de la lec ture phi lo sophique, Jeremy Bentham s’ins pire de Beccaria pour for ger sa doc trine uti li ta riste. Enfin, à l’ori gine de la lec ture his to rique, deux visions oppo sées : celle de Franco Ven turi (pour qui Beccaria est l’arché type de l’Ita lien réfor ma teur des Lumières) et celle de Michel Foucault (qui minore l’influ ence de Beccaria et lui pré fère celle de Bentham).

C’est donc après une longue et pas sion nante intro duc tion que l’on peut entrer dans la nou velle tra duc tion des Délits et des peines, tra duc tion qui se veut réso lu ment lit -té rale. Il s’agit de retrou ver Beccaria, par- delà la vul gate défor mée de Morellet. On (re)découvre cette pen sée qui a tant plu aux contem po rains, tant il est vrai que Beccaria eut l’art d’expri mer sim ple ment ce qui était dans l’air du temps. La ques tion cen trale qui par court Des délits et des peines est celle de savoir ce qu’est une peine juste. Pui sant dans Montesquieu, Beccaria entend anéan tir l’arbi traire (compris dans son sens péjo ra tif ) : il consi dère que la liberté est la connais sance des contraintes qui encadrent la sûreté de cha- cun, quand au contraire l’absence de liberté est la sou mis sion au bon vou loir des autres.

Page 9: A - 2010 - n°2 [239 267]

247comptes rendus

D’où l’affir ma tion de la figure du juge auto mate : « Pour chaque délit le juge doit faire un syl lo gisme par fait : la majeure doit être la loi géné rale, la mineure est l’action conforme ou non à la loi, la consé quence est la liberté ou la peine » (p. 153). Mais un tel sys tème ne peut fonc tion ner que si les lois consti tuent un édi fice inébran lable et connu de tous.

Ce ver sant méca nique de la pen sée de Beccaria ne peut se comprendre sans son ver sant phi lan thro pique qui affirme le règne d’une jus tice légi time et impar tiale, qui délaisse l’éclat des sup plices pour pro mou voir un ordre judi ciaire plus doux – mais sur tout plus ration nel pour être plus effi cace. Les lois doivent ser vir à cana li ser les pas sions en reposent sur une juste pro por tion des délits et des peines dont la gra vité se mesure en fonc tion du « dom mage fait à la nation » (p. 165). Tout ce qui dépasse cet impé ra tif de pro por tion et de modé ra tion utile doit être banni. Beccaria est ainsi l’un des pre miers abo li tion nistes d’Europe : la peine de mort est « une guerre de la nation contre un citoyen » (p. 229), « un assas si nat public » (p. 237). Effi caces parce que modé rées, les peines pré -vues par Beccaria ne sau raient donc tolé rer le droit de grâce accordé au sou ve rain. Inutile quand la légis la tion est par faite, la clé mence n’est tolé rée qu’au moment de faire la loi, et non au moment de l’exé cu ter.

Ainsi Beccaria peut- il énon cer son théo rème final : « […] pour qu’une peine ne soit pas une vio lence d’un seul ou de beau coup contre un citoyen privé, elle doit être essen tiel le ment publique, prompte, néces saire, la moindre pos sible étant donné les cir -constances, pro por tion née aux délits, édic tée par les lois » (p. 297).

Cette nou velle édi tion du texte de Beccaria ne peut être que saluée, même si son prix en fait sans doute l’une des édi tions cri tiques les moins abor dables pour les bourses estu dian tines et même si un index thé ma tique aurait été appré cié. On regrette par ailleurs que Philippe Audegean n’évoque que trop suc cinc te ment la pos té rité de Beccaria, éva -cuant les débats révo lu tion naires en France. En atten dant la paru tion pro chaine de la thèse de Philippe Audegean chez Vrin- EHESS, l’his to rien saura donc judi cieu se ment se tour ner vers les tra vaux de Michel Porret pour pal lier ces lacunes.

Enfin, aussi inté res sante (et actuelle) que soit cette nou velle tra duc tion de Beccaria, il n’en demeure pas moins que c’est la tra duc tion de Morellet qui consti tue tou jours la source de réfé rence pour les his to riens tra vaillant sur la fin du xviiie siècle. Une édi tion totale de l’œuvre de Beccaria reste donc à faire ; elle ras sem blerait les trois ver sions de réfé rence : le manus crit auto graphe, l’ultime ver sion rema niée par Beccaria et la « vul -gate » de Morellet. Cette édi tion contente rait cer tai ne ment autant les phi lo sophes que les juristes et les his to riens.

Sébastien Annen

Emmanuel Ber ger, La jus tice pénale sous la Révo lu tion. Les enjeux d’un modèle judi ciaire libé ral, Rennes, Presses uni ver si taires de Rennes, 2008, 296 p., ISBN 978-2-7535-0558-2, 18 €.

Le livre d’Emmanuel Ber ger est direc te ment issu d’une thèse de doc to rat diri gée par Jean- Clément Martin (Uni ver sité Paris 1 Panthéon- Sorbonne – Ins ti tut d’his toire de la Révo lu tion fran çaise) et Xavier Rous seaux (Uni ver sité catho lique de Louvain – Centre d’his toire du droit et de la jus tice), qui ont conjoin te ment écrit la pré face de l’ouvrage. Le thème prin ci pal du livre a pour objet l’évo lu tion du sys tème judi ciaire de la Révo lu tion et les ten sions entre l’État et les auto ri tés judi ciaires qui l’accom pa gnèrent. L’ouvrage est divisé en quatre par ties : l’aban don des pour suites, l’acti vité des tri bu naux cor rec tion nels,

Page 10: A - 2010 - n°2 [239 267]

248 comptes rendus

la sur veillance des juges et l’acti vité du jury d’accu sa tion. Pour cha cun de ces cha pitres, l’auteur explore les réformes légis la tives adop tées suc ces si ve ment par la Consti tuante, le Direc toire et le Consu lat, de même que la pra tique quo ti dienne des juri dic tions pénales à par tir de recherches menées à Paris et en Belgique.

L’une des prin ci pales rup tures en matière judi ciaire fut la déci sion prise par l’Assem blée consti tuante de pri ver le pou voir exé cu tif (en l’occur rence le roi) du pou voir d’ini tier et de diri ger les pour suites pénales et de confier ce pou voir à des magis trats élus par le peuple. Cette déci sion fon dée sur la pro fonde méfiance à l’égard du roi incita plu -sieurs obser va teurs de l’époque à mettre en garde contre le risque d’anar chie. à par tir de 1790, des demandes de plus en plus nom breuses et appuyées furent for mu lées afin de rendre au gou ver ne ment le contrôle de la pour suite. Au cours du Direc toire, les auto ri tés admi nis tra tives et exé cu tives cri ti quèrent le pou voir de pour suite exercé par les juges locaux et les accu sèrent de ne pas pour suivre éner gi que ment les crimes dénon cés par les repré sen tants du gou ver ne ment. La recherche d’Emmanuel Ber ger révèle que les juges locaux hési taient par ti cu liè re ment à pour suivre les affaires de vaga bon dage, de prêtres inser men tés et de crimes poli tiques tels que les pro pos contre- révolutionnaires et les atteintes por tées aux arbres de la liberté. Emmanuel Ber ger consi dère que, loin d’être le symp tôme d’un échec, l’aban don des pour suites pro noncé par les juges de paix doit être compris comme la volonté de ces der niers de rem plir « un rôle tem po ri sateur entre l’adop- tion d’une loi ou d’une poli tique pénale et sa mise en appli ca tion au sein de la popu la tion ». Cette pra tique judi ciaire offre un remède aux mul tiples pro blèmes sou le vés par la légis la -tion elle- même (telle que l’absence de peine en matière de vaga bon dage) et par les nom -breuses dénon cia tions infon dées ou arbi traires. Cepen dant, à la suite du coup d’État du 18 Bru maire, les par ti sans d’un pou voir exé cu tif fort triom phèrent défi ni ti ve ment. En effet, la loi consu laire du 7 plu viôse an IX créa un nou veau repré sen tant du gou ver ne -ment dans chaque arron dis se ment du pays, le sub sti tut près le tri bu nal de 1ère ins tance, qui détint désor mais seul le pou voir d’ini tier et de diri ger des pour suites.

Dans un même mou ve ment, le Consu lat ren for ça l’influ ence des auto ri tés exé cu -tives sur la jus tice cor rec tion nelle. Pla cée à l’ori gine par les Consti tuants entre les mains des juges de paix et de leurs assesseurs au niveau du can ton, la jus tice cor rec tion nelle fut trans fé rée en l’an IV à la juri dic tion d’arron dis se ment nou vel le ment créée. Au sein de cette sub di vi sion ter ri toriale, le direc teur du jury assu mait les fonc tions de pré sident du tri bu nal cor rec tion nel. Deux juges de paix offi ciaient éga le ment comme juges cor rec tion -nels sous le Direc toire mais à par tir de l’an VIII, le Consu lat modi fia la compo si tion des tri bu naux en rem pla çant les juges de paix élus loca le ment par des magis trats amo vibles nom més par le pou voir exé cu tif. Ainsi triom pha une concep tion de la jus tice cen trée autour du gou ver ne ment, et l’une des meilleures contri bu tions d’Emmanuel Ber ger est pré ci sé ment d’explo rer les opé ra tions des diff é rents tri bu naux dans les dépar te ments belges sous le Direc toire, lorsque ces juri dic tions étaient encore contrô lées par des magis -trats issus du suff rage popu laire. L’auteur sou ligne les obs tacles que la poli tique pénale menée par le gou ver ne ment ren contra devant les tri bu naux cor rec tion nels, notam ment « la pres sion popu laire, les erre ments de l’ins truc tion, les négli gences des auto ri tés admi -nis tra tives et les vides légis la tifs ». Emmanuel Ber ger constate de manière inté res sante un taux d’acquit te ment bas dans les affaires impli quant la police des cultes et four nit des don nées pré cieuses dans les affaires de vaga bon dage dont le trai te ment pénal varie consi -dé ra ble ment d’une juri dic tion à l’autre.

Le pas sage d’un sys tème judi ciaire plus sen sible aux inté rêts de la société civile à un sys tème plus étroi te ment contrôlé par le gou ver ne ment peut aussi être per çu dans l’évo- lu tion de la sur veillance des juges depuis 1790 jus qu’au Consu lat. Le Direc toire pré serva

Page 11: A - 2010 - n°2 [239 267]

249comptes rendus

dans ses grandes lignes le mode de sur veillance hérité de l’Assem blée consti tuante. Dans les dépar te ments, l’accu sa teur public pou vait adres ser des aver tis se ments et même pour -suivre les offi ciers de police judi ciaire. En outre, au niveau cen tral, le Direc toire avait la pos si bi lité de dénon cer les juges et d’ini tier des pour suites afin de pro vo quer leur des ti -tution. Cepen dant, Emmanuel Ber ger démontre qu’aucune de ces deux formes de sur -veillance ne fonc tion nait de manière satis faisante aux yeux de ceux qui sou hai taient sou mettre plus étroi te ment le pou voir judi ciaire au contrôle du gou ver ne ment. Loca le -ment, les accu sa teurs publics pour sui vaient rare ment les offi ciers de police judi ciaire (dont les juges de paix). De plus, le pou voir exé cu tif était confronté à la lour deur de la pro cé dure de des ti tution. La dénon cia tion du Direc toire devait en effet obte nir l’appro ba -tion non seule ment du tri bu nal de cas sa tion mais éga le ment du Corps légis la tif avant d’audi tion ner for mel lement le magis trat. Par consé quent, au cours du Direc toire, peu de juges furent dénon cés et aucun ne fut des ti tué au moyen de cette pro cé dure. Aussi n’est- il pas éton nant, qu’après Fruc ti dor, le gou ver ne ment eut recours à d’autres expé dients afin de des ti tuer les juges, ou que les légis la teurs commen cèrent for te ment à reconsi dérer le mode de contrôle des magis trats. L’impa tience gran dis sante à l’encontre de l’indé pen -dance de la jus tice se concré tisa léga le ment sous le Consu lat, lorsque la pour suite pour for fai ture fut sim pli fiée et per mit au pou voir exé cu tif de se pas ser du recours au Corps légis la tif. D’autre part, au niveau dépar te men tal, la tâche de sur veillance des juges incom- bait désor mais à un commis saire nommé par le gou ver ne ment.

Dans la der nière par tie de son ouvrage, Emmanuel Ber ger ana lyse l’un des apports les plus notables et éphé mères de la révo lu tion judi ciaire de la Consti tuante : le jury d’accu sa tion. L’attri bu tion au « peuple », en tant que jurés, du pou voir d’accu sa tion consti- tua en réa lité une réforme spec ta cu laire qui fut conser vée sous le Direc toire. à par tir de la pre mière étude majeure rela tive aux opé ra tions des jurys des dépar te ments belges, Emmanuel Ber ger réus sit à démon trer que ces der niers acquit tèrent un tiers des pré ve nus durant le Direc toire, ce qui cor res pond à un taux supé rieur à celui obtenu pour les tri bu -naux cor rec tion nels mais infé rieur à celui des tri bu naux cri mi nels. à l’image de ces der -niers, les acquit te ments pro non cés par les jurés d’accu sa tion étaient plus communs dans les affaires de nature poli tique et moins nom breux dans les affaires impli quant des vols et des actes de vio lence. Emmanuel Ber ger sou ligne que la répres sion de ces « crimes natu -rels » ne sus cita géné ra le ment guère d’oppo si tion au sein de la popu la tion. Néan moins, de nom breux agents du gou ver ne ment se plai gnirent amè re ment des « acquit te ments scan da -leux ». Après que le Direc toire eut tenté de manière infruc tueuse de maî tri ser le pen chant des jurés d’accu sa tion à l’acquit te ment, et plus par ti cu liè re ment dans les affaires poli -tiques, Napo léon ini tia une offen sive quasi géné rale à l’égard de l’auto no mie de la société civile et ce jus qu’en 1808, époque à laquelle le jury d’accu sa tion fut sup primé. L’ana lyse par Emmanuel Ber ger des débats légis la tifs de 1790 à 1800 démontre à quel point le jury est consi déré comme un sym bole des liber tés indi vi duelles. Cette force sym bo lique per- met d’expli quer tant la sur vie du jury d’accu sa tion presque 10 ans après Bru maire que le main tien du jury de juge ment jus qu’à nos jours.

L’ouvrage d’Emmanuel Ber ger est nova teur et ori gi nal. Bien que la plu part des réformes légis la tives décrites – le contrôle de la pour suite par les sub sti tuts, l’évic tion des juges de paix des tri bu naux cor rec tion nels, la liqui da tion du jury d’accu sa tion – soient connues des his to riens, il par vient avec talent à décrire leur genèse et leur impor tance. En effet, sa recherche per met de manière peu commune d’éva luer la por tée de ces réformes légis la tives au niveau local. à tra vers l’ana lyse de l’acti vité de nom breuses juri dic tions dépar te men tales (aban don des pour suites, opé ra tions du jury d’accu sa tion), Emmanuel Ber ger est sans doute l’un des pre miers à por ter le regard des his to riens au- delà des textes

Page 12: A - 2010 - n°2 [239 267]

250 comptes rendus

légis la tifs et d’étu dier leur appli ca tion géné rale dans la pra tique judi ciaire. Par sa démons- tra tion, il a mis en lumière l’acti vité de la jus tice pénale sous le Direc toire et sa capa cité à contrer la poli tique répres sive du gou ver ne ment. Un tel suc cès pré para cepen dant le ter -rain de la pro fonde réforme judi ciaire du Consu lat en four nis sant aux par ti sans d’un pou -voir exé cu tif fort les argu ments néces saires pour éli mi ner ce qui repré sen tait à leurs yeux les défauts du sys tème judi ciaire de la Révo lu tion. Les pré su més défauts appa rus dans les affaires poli tiques, telles que celles impli quant des pro pos contre- révolutionnaires, les attrou pe ments sédi tieux et l’éva sion des déte nus, per mirent de dis crédi ter la jus tice pénale de la Révo lu tion per çue comme influ en çable. Le mérite revient à l’auteur d’abor der ces thèmes avec nuance, clarté et compé tence et de sou li gner l’influ ence réci proque des textes légis la tifs et des pra tiques judi ciaires, de l’État et de la société civile. Il convient éga le -ment d’ajou ter que la manière dont Emmanuel Ber ger traite les quatre sujets dis cu tés ci- dessus est avant tout ori gi nale et influ en cera les recherches futures sur ces ques tions. Enfin, les conclu sions de l’ouvrage rela tives à la capa cité du « modèle judi ciaire libé ral » de 1790 à pro té ger les liber tés indi vi duelles tout en par ve nant à main te nir l’ordre public peuvent susciter le débat débat tout en res tant judi cieuses et intel li gem ment avan cées.

Robert Allen

Monique cottret, Tuer le tyran ? Le tyran ni cide dans l’Europe moderne, Paris, Fayard, 2009, 456 p., ISBN 978-2-213-64439-4, 25 €.

Affir mant avoir tou jours été fas ci née par le « on ne peut point régner inno cem -ment » de Saint- Just, Monique Cottret entend ici pro po ser « l’his toire poli tique d’une idée, celle du tyran ni cide », et non une his toire des idées poli tiques. « Ceux qui se récla-ment de Judith, ceux qui évoquent Brutus ne sont pas tout à fait les mêmes. Il y a ceux qui uti lisent le poi gnard, ceux qui font des pro cès, les régi cides indi vi duels et les régi cides col lec tifs. Beau coup agissent au nom de Dieu, d’autres au nom de l’État ou du droit natu- rel, comme de l’impul sion divine ou de la rai son ». Le tout sus cite des ques tions récur -rentes, car tous ces actes cherchent une légi ti mité : qui défi nit le tyran ? qui peut auto ri ser la déso béis sance, voire le meurtre ? Pour cela, Monique Cottret cherche tout d’abord à défi nir un « outillage men tal du tyran ni cide moderne », rap pe lant notam ment les ambi guï- tés du chris tia nisme pri mi tif où cha cun doit certes obéir au comman de ment « Tu ne tue ras point », mais où il est licite de tuer un tyran à l’exemple de Judith qui a ins piré toute une ico no gra phie (dont la mer veilleuse toile de Caravage qui orne la cou ver ture de cet ouvrage. Sur cette ico no gra phie, je me per mets ici de ren voyer au cata logue d’une expo si tion orga -ni sée à Düsseldorf et Darmstadt en 1995-1996, Die Gale rie der Starken Frauen, hélas pas sée un peu inaper çue, qui per met de compa rer diverses repré sen ta tions de Judith, dont les superbes toiles d’Artemisia Gentileschi et de Cristofano Allo ri). Cet « outillage men- tal » hérité de l’Anti quité repose aussi sur les hési ta tions des phi lo sophes païens, les uns louant Brutus (Cicéron), d’autres reje tant son geste assas sin (Sénèque). Ce « non, mais » et le tyran ni cide dont Judith et Brutus sont désor mais « deux anges tuté laires » se retrouvent au Moyen Âge, et Monique Cottret men tionne de nom breux textes à l’appui de sa démons tra tion, dont ceux nés dans la pénin sule ita lienne. Boccace écrit ainsi qu’il n’y a pas d’offrande plus agréable à Dieu que « le sang d’un tyran », tan dis que Luca de Penna affirme : « Tuer le tyran n’est pas seule ment licite, mais équi table et juste ». Elle évoque ensuite les posi tions sur le tyran ni cide au moment des guerres de reli gion, en par tie récem- ment re visitées à l’occa sion de la nou velle ques tion d’his toire moderne pro po sée au Capes

Page 13: A - 2010 - n°2 [239 267]

251comptes rendus

et à l’Agré ga tion, puis elle aborde suc ces si ve ment plu sieurs actes tyran ni cides majeurs de la période moderne. Le lec teur pourra ainsi décou vrir ou re décou vrir Jacques Clé ment et Henri III, Ravaillac et Henri IV, ou bien sûr Charles Ier roi déchu et déca pité par ses ci- devant sujets. D’autres exemples moins connus sont ici mis en lumière, tel celui du meurtre du prince d’Orange, Guillaume de Nassau dit le Taci turne, « le prince héré tique qui a eu l’audace de défier le roi d’Espagne ». Balthasar Gérard, heu reux d’avoir accom pli son geste meur trier (1584), est assu ré ment moins connu que Jacques Clé ment ou Ravaillac, voire Damiens, pour tant sa mise à mort est tout aussi affreuse que la leur : « avoir pre -mière ment la main brû lée en un fer ardent, et puis bras, jambes et endroits char nus de son corps tenaillés avec un fer à diverses fois et en divers endroits la chair brû lée et tenaillée, et le corps tout vif mis en quatre quar tiers en commen çant par lui ouvrir le ventre et arra -cher le cœur, et les quatre quar tiers mis sur quatre bou le vards et la tête sur un pal sur la tour appe lée tour de l’école der rière la mai son du prince ».

Si l’acte de Ravaillac « marque l’apo gée du tyran ni cide et son reflux », l’assas sin régi cide deve nant le « monstre » absolu tan dis qu’« Henri IV mort devient intou chable », l’Angleterre vient très vite offrir un nou vel exemple spec ta cu laire de tyran ni cide avec la mise à mort de Charles Ier. Il va de soi que le cas est pour le moins diff é rent, mais cer tains pas sages du livre de Monique Cottret ne manquent pas de faire son ger à ce que dira Saint- Just au siècle sui vant. En effet, au prin temps 1649, après l’exé cu tion du roi déchu et alors que la monar chie est sup pri mée, la loi affirme que la « fonc tion de roi […] consti tue une charge et un dan ger pour la liberté, la sécu rité et l’inté rêt du peuple […] que toute per sonne qui détient un tel pou voir tend natu rel le ment [sou li gné par moi] à l’uti li ser pour empié ter sur la juste liberté du peuple et pour pla cer sa propre volonté au- dessus des lois […] ». Quant au sort réservé aux régi cides lors de la res tau ra tion, nul doute qu’ils ont pu han ter les anciens Conven tion nels en 1814-1815. Si Charles II prône une cer taine réconci- lia tion natio nale et entre tient le mythe d’un règne per son nel ouvert en 1649, des pam phlets pré parent l’opi nion et dressent la liste des régi cides à punir pour « haute tra hi son ». Le régi cide une fois défini comme un par ri cide, « le simple fait de pen ser la mort du roi rend cou pable ». Cha cun connaît le sort du cadavre de Cromwell, déterré, pendu au gibet puis déca pité ; mais on oublie sou vent le sort que connurent les vivants, notam ment de ceux qui, réfu giés dans des pays étran gers, y furent tués ou enle vés pour être rame nés en Angleterre et jugés. Neuf régi cides en 1660, puis trois autres en 1662, sont pen dus « sans que mort s’en suive », puis évis cé rés et enfin écar te lés… les bour reaux ayant pour ordre de les conser ver le plus long temps pos sible en vie afin de ne pas gâcher le spec tacle des abo -mi nables souff rances infli gées aux « cou pables ». L’hor reur du sup plice de Damiens en 1757 n’est hélas guère ori gi nale.

S’agis sant de la Révo lu tion fran çaise, à laquelle est attri bué le der nier cha pitre du livre, Monique Cottret n’apporte pas de véri tables nou veau tés, mais sa brève syn thèse a le mérite de la clarté et sur tout d’être fort bien ame née par les treize cha pitres pré cé dents. Ainsi peut- on mieux comprendre cette « géné ra tion des Brutus » et son « tyran ni cide dans la trans pa rence ». Dans sa conclu sion, en écho au beau livre de Sergio Luzzatto, Monique Cottret fait une place aux Conven tion nels régi cides en 1814-1815 et au- delà, rela tant entre autres la longue traque de Le Carpentier de la Manche, exilé en 1816, mais ren tré en France au bout d'un mois et caché par des habi tants du Cotentin avant d’être cap turé et incar céré au Mont Saint- Michel en 1820. Jean- Louis Mé nard, qui lui a consa cré un ouvrage en 2001 (Jean- Baptiste Lecarpentier, repré sen tant du peuple délé gué par la Conven tion natio nale dans le dépar te ment de la Manche et autres envi ron nants), avait noté ce commen taire inséré dans le registre des décès du Mont Saint- Michel, au début de l’année 1829 : « Comme il n’a pu don ner avant de mou rir aucun signe de repen tir, il est

Page 14: A - 2010 - n°2 [239 267]

252 comptes rendus

mort sans sacre ments ; il a été enterré civi le ment. On a cru devoir, avant de livrer aux vers l’hideuse dépouille de ce monstre, lui cou per la tête pour l’étu dier d’après le sys tème de Gall ». Loin taine évo ca tion du « monstre » Ravaillac, Le Carpentier et à tra vers lui tous les Conven tion nels ayant voté la mort de Louis devaient être voués à une exé cra tion éter -nelle des « bons » Fran çais.

Assorti d’un index et d’une biblio gra phie qui ren dront bien des ser vices, ce nou -veau livre de Monique Cottret vient s’ajou ter à tous ceux, nom breux, qu’elle a publiés depuis La Bas tille à prendre en 1986. Il pas sion nera à coup sûr tous ceux et celles qui entendent comprendre comment un « tyran » peut subir un châ ti ment conçu comme juste et néces saire, sans pour autant deve nir à leur tour des « monstres » pour le seul crime d’avoir… « pensé » la mort d’un roi.

Michel BiArd

Michel onFrAy, La reli gion du poi gnard. Éloge de Char lotte Corday, Paris, Galilée, 2009, 80 p., ISBN 978-2-7186-0791-7, 15 €.

Michel Onfray est- il la nou velle vic time de Char lotte Corday ? Depuis la fin du xviiie siècle, la liste de ceux dont l’« ange de l’assas si nat » a fait perdre la tête ne cesse de s’allon ger. S’il existe bien un retour de flamme pour Corday, gra ti fiée d’une sec tion dans l’expo si tion « Crime et châ ti ment » au musée d’Orsay (16 mars – 27 juin 2010), le coming out d’Onfray ne peut que sur prendre et inquié ter, sur tout lorsque celui- ci reçoit la béné dic- tion de la cri tique la plus ins tal lée (Jérôme Garcin, « Michel Onfray : pour Char lotte », Le Nou vel Obser va teur, 5 mars 2009). Car cet éloge est un brû lot mal ins piré, jamais fondé, truffé d’erreurs, ponc tué d’attaques hai neuses, arbi traires et pour tout dire, popu listes. L’ouvrage a le mérite d’être engagé. Onfray entend mon trer que Char lotte Corday doit ins pi rer tous ceux qui, las sés d’une gauche de res sen ti ment, impuis sante et ron gée par les haines et les envies, demeurent fidèles à l’action, à la morale et à la vertu, tri logie qu’Onfray résume en repre nant une expres sion de Michelet : la « reli gion du poi gnard ».

La prin ci pale cible d’Onfray, c’est bien sûr Marat, censé per son ni fier le cynisme des hommes d’une gauche dévoyée, qui pro fitent de la Révo lu tion pour assou vir leurs frus tra tions sociales et libé rer leurs pul sions : « Ce fils de curé, diplômé frau deur, méde cin char la tan, scien ti fique de cani veau, vivisecteur d’arrière- boutique et ache teur de cadavres humains, obtient une charge de méde cin des gardes du comte d’Artois par la faveur d’une patiente dont il soigne la fureur uté rine en payant de sa per sonne » (p. 24). Ce fiel suffi t : le livre ne par vient jamais à se his ser au- dessus des délires les plus gra tuits dont la droite extrême nous rebat les oreilles depuis deux siècles. Comme tant d’autres avant lui, Onfray décrit Marat, paria de l’his toire fran çaise, comme un scien ti fique raté, un maniaque san gui- naire res pon sable de « crimes de masse », rêvant de dic ta ture pré- totalitaire. Pour Marat, la Révo lu tion fran çaise ne serait que « l’occa sion d’expri mer son res sen ti ment comme on sort le pus d’un bubon » (p. 24) ! Ces cli chés dépour vus d’ima gi na tion, issus de la pro pa -gande contre- révolutionnaire de 1793, sont depuis long temps balayés par de très nom breux et sérieux tra vaux qui ont étu dié la car rière scien ti fique, juri dique et jour na lis tique de Marat, contesté son image de tri bun omni potent et sur tout réflé chi sur les concepts de « dénon cia tion civique », très diff é rente de la « déla tion » ou de « diff a ma tion », ou sur la notion de « dic ta ture » conçue par Marat comme pro vi soire et col lec tive, ins tau rée pour sau ver la Répu blique sur le modèle romain. Ces tra vaux repla çant Marat dans le contexte des petits hommes des Lumières, sont super be ment igno rés par Onfray. Tout au long du

Page 15: A - 2010 - n°2 [239 267]

253comptes rendus

livre, le lec teur se voit infli ger les cita tions les plus hai neuses, inven tées de toutes pièces. Marat n’a évi dem ment jamais dit « je vou drais que tout le genre humain fût dans une bombe à laquelle je met trai le feu pour la faire sau ter », p. 27… Et non, le bras de l’Ami du peuple n’est jamais tombé au milieu de la foule pen dant la pompe funèbre… (p. 79) à côté de telles inep ties, le scan dale de « Botul », cet auteur ima gi naire pour tant sérieu se -ment cité par Bernard Henri- Lévy dans son der nier livre (De la guerre en phi lo sophie, 2010), n’est fina le ment qu’une brou tille.

D’ailleurs, à qui nos cri tiques s’adressent- elles ? à Onfray, Michelet… ou Balzac ? Signé par un des intel lec tuels les plus média tiques des années 2000, cet essai a au moins le mérite de poser la ques tion cru ciale de la défi ni tion de l’« auteur », de l’« his to rien » et du sta tut du récit his to rique aujourd’hui. Visi ble ment rédigé à la va- vite, ce texte ne repose évi dem ment pas sur un tra vail d’archives. Le recours à la fic tion est un droit et une pra -tique clas sique de l’écri ture de l’his toire, mais il est contes table lors qu’il n’est pas expli ci- te ment exprimé. Or ici, Onfray rompt le contrat de vérité qu’il ins taure avec le lec teur, en ne pré ci sant jamais quel est son rap port aux faits. L’essai est un medley de textes qui relèvent eux- mêmes d’inter pré ta tions et de compi la tions, pour la plu part écrites au xixe siècle… Or l’« auteur » ne s’inter roge jamais sur leur nature. Cette paresse de la pen- sée conduit Onfray à para phra ser, durant de longues pages, des récits tout sim ple ment apo cryphes, issus… de la droite la plus conser va trice ! Ainsi, les récits édi fiants des der -niers moments de Char lotte Corday, chan tés par toute la droite clé ri cale du xixe siècle, sont repris presque tels quels par l’admi ra teur Onfray, phi lo sophe athée et liber taire, qui se place sans le savoir sous l’auto rité des Mémoires de Sanson…, écrits par le jeune Balzac, écri vain très catho lique et très roya liste ! Enfin, bien des anec dotes (le refus par Corday de por ter un toast au roi ou son arri vée chez une tante inconnue après la fer me ture des cou vents) ont été tout sim ple ment inven tées de toutes pièces au xixe siècle par Madame de Maromme, une légi ti miste sou cieuse, une fois la Révo lu tion pas sée, de pro fi ter commer- cia lement de son ancienne ami tié avec Corday… mais aussi de s’en démar quer !

Dans cet essai, les élites, toutes cor rom pues, ne trouvent pas plus grâce aux yeux de l’auteur que les classes popu laires, déshu ma ni sées avec un dégoût qui ferait presque rou gir de honte Le Bon et Taine réunis (« la meute maratiste de chiens en furie abat, tue, mas sacre, exter mine », p. 32). Onfray refuse de voir les sans- culottes autre ment que comme des sau va geons, gra ti fiés d’une conscience poli tique tout juste pro por tion nelle au volume de leur esto mac (« [l]e peuple ne veut ni la Liberté ni la Répu blique, il sou haite man ger à sa faim, sans plus »). Quelques heures de tra vail suffi sent pour tant pour recen ser la longue liste de tra vaux qui décrivent sans angé lisme, la lente poli ti sation des Fran çais au gré des mul tiples conflits du xviiie siècle ou ceux qui montrent que les sans- culottes pari siens pas sèrent la majeure par tie de leur temps, non à mas sa crer ni à dévo rer leurs enne mis (Onfray croit- il vrai ment que le can ni ba lisme fut une pra tique cou rante pen dant la Révo lu tion fran çaise ?), mais à inven ter des pra tiques démo cra tiques ou à par ti ci per au main tien de l’ordre. Au fil des pages, tous les cli chés défilent : comment Onfray peut- il défi nir le fédé ra lisme comme le refus du cen tra lisme jaco bin (p. 45) ? Comment peut- il réduire la Ter reur à une immense giclée de sang due à des meur triers en série comme Marat ou Sade (chap. 9) ?

Quant à la Char lotte Corday que ché rit Onfray, elle n’a tout sim ple ment jamais existé… sauf sous la plume des his to riens des Années Noires, han tés par l’idée de déclin et fas ci nés par les figures du natio na lisme. Ainsi, l’héroïne de cet essai (cha pitre 6) n’est qu’un triste ava tar de la viking et de l’aryenne jadis célé brée par les his to riens de l’Action fran çaise ou de la droite fas ci sante. Quelques recherches sur inter net montrent d’ailleurs l’excel lente récep tion de ce livre dans les milieux tra di tio na listes et roya listes. Emboî tant

Page 16: A - 2010 - n°2 [239 267]

254 comptes rendus

le pas de ceux qui ont exprimé leur dégoût du monde en trou vant refuge dans l’anti-libéralisme et les Anti- Lumières, Onfray voit en Corday une vierge romaine (chap. 6 : la vir gi nité est- elle donc une vertu ?), héri tière des héroïnes de Plutarque et de Cor neille… à ceci près, et ce n’est pas l’inven tion la moins piquante, que cette Charlotte- là est décrite comme une liber taire athée, sous l’unique pré texte qu’elle a refusé l’assis tance d’un prêtre avant l’écha faud (p. 51) ! Pri son nier de ses propres idées, l’« auteur » nous inflige ici son plus gros contre sens. Ancienne pen sion naire béné dic tine, Corday expri mait des opi nions reli gieuses en réa lité conser va trices, mépri sant les ordres mineurs, refu sant tout contact avec le clergé consti tution nel (d’où son rejet d’un confes seur), vivant en par tie son atten tat sui cide comme un acte de foi digne des pre mières mar tyres chré tiennes.

Un objec tif poli tique pré side à cet essai : pré sen ter l’assas si nat de Marat comme un geste sublime et célé brer Char lotte Corday comme un remède à l’ano mie de la vie poli tique actuelle, pré sen tée comme pour rie et vide de sens. La vic toire de Corday face à Marat dans la mémoire col lec tive, indé niable, est compa rée à celle de la Résis tance face à toutes les formes d’oppres sion et « celle de tous ceux qui, aujourd’hui, opposent la vertu à la cor rup tion poli tique » (p. 81). C’est en compa rant briè ve ment le 13 juillet 1793 au 18 juin 1940 qu’Onfray, qui dédie son livre à un ancien résis tant, révèle peut- être le mieux l’objec tif de ces chassés- croisés entre le présent et le passé : arra cher les Fran çais au nihi -lisme contem po rain, les inci ter à l’action poli tique et même au pas sage à l’acte. Quitte à célé brer l’usage de la vio lence poli tique et à recou rir aux révi sions les plus dan ge reuses de l’his toire.

Guillaume mAzeAu

Barry shApiro, Traumatic Politics. The Deputies and the King in the Early French Revolution. University Park, University of Pennsylvania Press, 2009, 204 p., ISBN 978-0-271-03542-0, 65 $.

Dans son plus récent ouvrage, l’his to rien amé ri cain Barry Shapiro étu die l’impact psy cho lo gique des évé ne ments de juin- juillet 1789 sur les dépu tés de l’Assem blée natio -nale, afin d’expli quer l’échec du compro mis consti tution nel entre les révo lu tion naires et la monar chie. La thèse de l’auteur s’arti cule autour de deux idées maî tresses. D’abord, Shapiro sou tient que la crise de l’été 1789 fut vécue par les consti tuants comme un véri -table trau ma tisme au sens cli nique du terme. Ce trau ma tisme ini tial, affirme ensuite Shapiro, ren dit les dépu tés inca pables d’éva luer de façon réa liste et cohé rente leur nou -veau rap port de force avec la monar chie, déter mi nant ainsi une atti tude oscil lant entre conci lia tion et méfiance à l’égard du roi, et ren dant impos sible une véri table poli tique de col la bo ra tion avec celui- ci. Cette perspec tive psychohistorique s’appuie d’abord sur de récentes recherches en psy cho logie, qui défi nissent un trau ma tisme comme étant les séquelles lais sées chez un indi vidu ayant sérieu se ment craint pour sa vie. Un sujet trau ma- tisé, affirment les experts, démon trera une inca pa cité à reconstruire les évé ne ments vécus de façon ration nelle et cohé rente, pro vo quant une oscil la tion entre deux pôles, soit le déni de l’expé rience trau ma ti sante et le rap pel sou dain des émo tions géné rées lors de celle- ci. Pour Shapiro, cela cor res pond par fai te ment à l’atti tude de l’Assem blée natio nale à l’égard du roi en 1789-1790. S’appuyant prin ci pa le ment sur les cor res pon dances, mémoires et dis cours des dépu tés, l’auteur s’efforce ainsi de reconstruire leur expé rience à la lumière des sciences psy cho lo giques modernes.

Page 17: A - 2010 - n°2 [239 267]

255comptes rendus

L’ouvrage se divise en deux par ties. Dans un pre mier temps, Shapiro tente d’éta -blir le carac tère trau ma ti sant de la crise révo lu tion naire de l’été 1789 pour les dépu tés du Tiers. Pour ce faire, l’auteur sou ligne le contraste entre leurs atti tudes et per cep tions à l’égard du roi lors de leur arri vée à Versailles et l’angoisse res sen tie lors qu’ils se trou -vèrent sou dai ne ment à la merci du pou voir royal. S’étant tou jours consi dé rés comme de loyaux sujets, les dépu tés du Tiers n’étaient pas pré parés psy cho lo gi que ment à faire face aux évé ne ments de l’été 1789 : leur repré sen ta tion du roi avait été façon née par des décen- nies de pro pa gande le pré sen tant comme un bon père veillant sur ses enfants, et presque aucun d’entre eux n’avait eu maille à par tir avec le pou voir monar chique par le passé. Selon Shapiro, les cor res pon dances des dépu tés montrent que cette confiance dans le roi s’effrita gra duel le ment, mais demeura plei ne ment opérative jus qu’en juillet : si les dépu- tés purent conser ver leur sang- froid lors du ser ment du jeu de Paume, c’est bien parce qu’ils s’accro chaient à l’idée que leur roi ne per met trait jamais que l’on use de la force contre eux. Mais à la suite du ren voi de Necker, la crainte d’une répres sion armée contre l’Assem blée pro vo qua chez les dépu tés une angoisse insou te nable qui fit voler en éclat ce sen ti ment de sécu rité et les laissa lit té ra le ment trau ma ti sés. Ici réside l’essen tiel de l’ouvrage de Shapiro : comme il l’écrit, « les cir constances par ti cu liè re ment stres santes de juin et juillet 1789 allaient […] injec ter une sorte de « poi son » psy cho lo gique dans les futures rela tions entre l’Assem blée et la monar chie. Ayant été expo sés au choc trau ma -tique de leur confron ta tion ini tiale avec le roi, plu sieurs dépu tés allaient se compor ter, durant les moments clés des mois qui sui virent, comme s’ils revi vaient cette expé rience » (p. 98).

La seconde par tie de Traumatic Politics s’appuie sur un cer tain nombre de débats- clés au sein de l’Assem blée afin de démon trer l’impact de ce choc psy cho lo gique sur sa rela tion avec le roi. Shapiro tente ainsi de mettre en évi dence dans les déci sions de l’Assem blée ce qui consti tue la prin ci pale carac té ris tique d’un sujet trau ma tisé, l’oscil la -tion entre déni et rap pel de l’expé rience. D’une part, l’octroi d’un véto sus pen sif au roi et l’atti tude conci liante dont firent preuve les dépu tés lors de la séance du 4 février 1790 cor res pondent, selon Shapiro, au refou le ment des évé ne ments vécus et à la volonté de faire à nou veau confiance à Louis. D’autre part, leur déci sion d’empê cher les membres de l’Assem blée d’accé der aux fonc tions minis té rielles et leur posi tion sur l’orga ni sa tion du pou voir mili taire cor res pondent à une phase d’hyper vigilance envers le roi, cau sée par un rap pel sou dain et vis cé ral de l’expé rience trau ma ti sante. Au final, sug gère Shapiro, c’est cette bipo la ri sa tion du compor te ment poli tique des dépu tés, consé quence du trau ma tisme, qui déter mina l’échec du compro mis consti tution nel.

L’ouvrage de Shapiro mérite que l’on s’y attarde pour deux rai sons. D’abord, le récit des évé ne ments de l’été 1789 tels que vécus par les consti tuants est d’une effi ca cité remar quable. Grâce à un trai te ment habile de la cor res pon dance des dépu tés, Shapiro met en lumière de façon convain cante et par fois même émou vante l’angoisse et l’incer ti tude qui s’étaient empa rées des consti tuants à ce moment cru cial de la Révo lu tion, nous rap pe- lant ainsi la néces sité de raconter l’évé ne ment sans pêcher par excès de triom pha lisme. Consé quem ment, l’ouvrage de Shapiro démontre aussi avec brio le rôle des évé ne ments eux- mêmes dans la créa tion d’une culture poli tique révo lu tion naire, ce qui consti tue à ce jour l’alter na tive la plus féconde à l’ortho doxie furetienne et au déter mi nisme idéo lo -gique.

Cepen dant, la thèse de l’auteur souffre de lacunes métho do lo giques évi dentes ren dant celle- ci pra ti que ment irre ce vable. D’abord, l’essen tiel de l’ouvrage repose sur une sup po si tion pour le moins dou teuse, soit que les pré ceptes de la psy cho logie moderne, fon dés sur l’obser va tion directe de sujets vivants, soient non seule ment appli cables à

Page 18: A - 2010 - n°2 [239 267]

256 comptes rendus

l’uni vers men tal des hommes du xviiie siècle par le biais de sources écrites, mais aussi à l’étude de compor te ments col lec tifs. L’Assem blée natio nale consti tuait un groupe ayant une dyna mique propre qui ne peut se résu mer à la somme des psy cho logies indi vi duelles, ce que Shapiro éva cue entiè re ment de l’ana lyse. Para doxa le ment, l’auteur ne four nit aucune indi ca tion sur la pro por tion des dépu tés qui auraient été soi- disant « trau ma ti- sés », assu mant de fait l’homo gé néité d’une réac tion psy cho lo gique chez un ensemble de plus de mille indi vi dus. Les votes au sein de l’Assem blée étant au cœur de son pro pos, cette absence de quan ti fi cation ne serait- ce que mini male est par ti cu liè re ment pro blé ma -tique. Que les dépu tés de l’Assem blée aient été pro fon dé ment ébran lés, que la crise de l’été 1789 ait radi ca le ment changé la donne, soit. Mais l’idée qu’un trau ma tisme psy cho- lo gique affec tant l’ensemble des dépu tés de l’Assem blée ait déter miné le sort de la Révo lu tion n’est tout sim ple ment pas démon trée et ne rem porte pas l’adhé sion.

Nicolas déplAnche

Michel vovelle, Les sans–culottes mar seillais, le mou ve ment sectionnaire du jaco bi nisme au fédé ra lisme 1791-1793, Aix- en-Provence, Presses uni ver si taires de Provence, 235 p., ISBN 978-2-85399-730-0, 24 €.

Avec un art et une expé rience rares de la syn thèse et de la recherche à la fois, l’ancien direc teur de l’Ins ti tut d’his toire de la Révo lu tion fran çaise du temps du Bicen te -naire, Michel Vovelle, pré sente un livre attendu depuis bien long temps, sa grande étude sur les sans- culottes mar seillais et leurs luttes sociales, leur poli ti sation et le temps des affron te ments. Patiem ment l’ouvrage décrit comment la majo rité d’entre eux sont deve nus fédé ra listes au prin temps 1793, alors qu’une mino rité demeu rait fidèle aux Jaco bins de Paris.

Écrivons- le de suite ce livre appa raît comme le résul tat d’une matu ra tion plus que tren te naire, il offre un sur vol des condi tions historiographiques de l’enquête débu tée peu après 1960. L’intro duc tion livre une source d’infor ma tions consi dé rable dans une leçon de méthode se ter mi nant par une ouver ture inter pré ta tive riche qui ne peut que sus ci ter débat et de nou velles recherches : en somme un vrai livre d’his toire.

Si le livre n’a pas l’épais seur habi tuelle d’œuvres pré cé dentes, le lec teur comprend dès l’intro duc tion que chaque phrase a été pen sée et pesée à l’aune de l’impor tance qu’accorde l’auteur à ce qu’il pré sente comme sa der nière grande étude.

Les his to rio graphes, spé cia listes de la commu nauté his to rienne conçue comme un réseau de pou voir où les concur rences sont rudes, et les ran cœurs tenaces, seront inté res- sés par les pre mières pages. Michel Vovelle ne s’en cache pas : construire cette enquête ne fut pas seule ment diffi cile du point de vue de la méthode, cela a été freiné pour des rai sons idéo lo giques qui montrent comment l’âpreté des posi tion ne ments poli tiques connus des his to riens dans les années 1960-1970 pou vait avoir des consé quences directes plus que sur une car rière, sur un objet de recherche, ici les sans- culottes, deve nus sym bo liques, depuis la grande étude d’Albert Soboul. Ces aspects du cadre hos tile qui a été opposé à Michel Vovelle sont rap pe lés sans amé nité, afin d’éclai rer un autre contexte de recherches que celui que nous affron tons aujourd’hui, où les conflits idéo lo giques semblent deve nir moins impor tants tant la sur vie et le sau ve tage de la recherche tout sim ple ment occupent nos esprits actuel le ment, avant tout sou cieux de l’ave nir de nos doc to rants, par- delà leurs enga- ge ments citoyens.

Page 19: A - 2010 - n°2 [239 267]

257comptes rendus

Le livre pré sente un plan clas sique qui per met au fur et à mesure de s’impré gner d’une enquête ardue. Un vaste por trait col lec tif des sans- culottes mar seillais est pré senté. Les condi tions tra giques de la guerre fra tri cide entre fédé ra listes et jaco bins sont expli -quées, avant qu’une troi sième par tie inter pré ta tive ne vienne enri chir le débat en pré sen -tant de nou velles hypo thèses et pistes de recherches à appro fon dir. Une bonne connais sance de l’his toire évé ne men tielle mar seillaise est néces saire pour abor der ce livre, afin de bien maî tri ser les diff é rentes situa tions étu diées.

Donc, comp ter, mesu rer et peser des milliers de docu ments rap pellent, avec une iro nie qu’on connaît de la part de l’auteur, les condi tions néces saires d’une approche sérielle maî tri sée d’un phé no mène que l’héri tage des méthodes léguées par Lefebvre et Labrousse ne rendent pas tota le ment caduques en ce début de xxie siècle. Sur ce point pré cis ce ne sont pas les jeunes thé sards férus d’infor ma tique et n’osant presque plus se pré sen ter devant leur jury fort de bases de don nées et d’ana lyses fac to rielles de plus en plus per fec tion nées qui peuvent être visés mais plu tôt le rap port entre cette méthode et ce que les jeunes his to riens en tirent dans le rap port à l’his toire dite sociale, au cœur de l’essai pré senté.

Le cadre posé avec ses 24 sec tions, on sai sit mieux l’ana lyse de ce peuple mar -seillais dans ses strates sociales et dans la récep tion de cet évé ne ment « monstre » que fut la Révo lu tion.

Michel Vovelle pré sente la somme d’une enquête de grande impor tance menée dans les années 1970-1980, lorsque, pro fes seur d’his toire à l’uni ver sité d’Aix-en-Provence, il avait conduit la direc tion de près de 600 mémoires de maî trise, DEA et de thèses sur la Révo lu tion en Provence et plus par ti cu liè re ment dans sa capi tale por tuaire et commer -çante. Avec hon nê teté, Michel Vovelle n’omet jamais de rendre hom mage à cha cun des étu diants qui a dépouillé les archives de telle ou telle sec tion, démon trant par là même, l’effi ca cité du tra vail de recherche col lec tif. Lui- même assu rait la direc tion atten tive d’un groupe d’étu diants deve nus à leur tour pro fes seurs, de col lège, de lycée, d’uni ver sité, et démon trant au pas sage, contrai re ment à bien des réformes en cours, combien la recherche scien ti fique indi vi duelle et col lec tive est for ma trice pour les futurs ensei gnants d’his toire, devant à chaque ins tant, mettre en éveil leur sens cri tique et leur méthode rigou reuse d’ana lyse des sources au ser vice d’un public jeune de col lé giens, de lycéens ou d’appren- tis his to riens.

C’est une his toire sociale clas sique qui est pré sen tée d’abord avec une méthode déjà éprou vée dans La décou verte de la poli tique (La décou verte, 1993) dans un jeu de cartes bat tues et rebat tues des 24 sec tions super po sées selon les besoins de la démons tra -tion. Un monde popu laire, grouillant, déjà conscient de l’impor tance des chan ge ments poli tiques s’esquisse, puis se pré cise. L’enquête devient plus complexe quand il s’agit d’indi vi dua li ser et de comp ter par exemple le nombre de par ti cipations aux séances : l’ortho graphe approxi ma tive, les homo nymes compliquent la tâche. Pour tant le livre reste tou jours pas sion nant à lire dans la pré sen ta tion des métiers du port, des par ti cu la rismes socio pro fes sion nels de ce port en pleine expan sion, de ce monde si bigarré que consti tue la popu la tion mar seillaise. Un quo ti dien four millant de gestes de soli da rité, de sources de conflictualités aussi, que Michel Vovelle décrit de façon alerte. Il devient dès lors pos sible de se repré sen ter Marseille et ses diff é rents quar tiers si diff é rents-du-Marseille actuel. L’auteur pré sente, mal gré les par ti cu la ri tés méri dio nales de la cité pho céenne la capi tale des Bouches-du-Rhône comme un petit tout de la Révo lu tion rap pe lant la vie des commu- nau tés de métiers, le mélange du fran çais et du pro ven çal.

Pour tous ceux qui ne sont pas spé cia listes de la ques tion, en quoi cet ouvrage peut ouvrir des perspec tives de réflexion et que peuvent en tirer éga le ment les ama teurs d’his -

Page 20: A - 2010 - n°2 [239 267]

258 comptes rendus

toire de cette décen nie (1789-1799) à nulle autre pareille dans l’his toire contem po raine de la France ?

Marseille offre tout d’abord un labo ra toire pas sion nant des diff é rentes options poli tiques offertes par la radi ca li sa tion de la Révo lu tion après la chute de la monar chie le 10 a oût 1792. Pas à pas, Michel Vovelle porte son étude sur 8 sec tions repré sen tant 35 000 habi tants et plus par ti cu liè re ment 5 000 per sonnes pour une cité qui compte entre 92 et 93 000 nou veaux citoyens. Ce choix est imposé par les sources, hélas man quantes dans bien des cas. Pour autant, l’échan tillon est par ti cu liè re ment repré sen ta tif des ten sions urbaines et des options poli tiques pos sibles lors la nais sance de la Répu blique à l’au tomne 1792. Plu sieurs options sont pos sibles : soit le bas cu le ment dans la contre- révolution : ce n’est pas le cas, et Marseille res tera répu bli caine. Soit l’adhé sion totale aux direc tives pari siennes et de salut public, ce sera le choix du club des Jaco bins situé rue Thubaneau, et de la sec tion 11. Une Marseille mon ta gnarde et radi cale a bien existé, mais mino ri taire. Soit la séces sion fédé ra liste et répu bli caine à la fois (c’est ce qui en fait toute sa complexité et sa richesse polé mique) : ce sera le cas de la majo rité des sec tions à par tir du prin temps 1793 avant que les armées de la répu blique ne reprennent, à la fin du mois d’août 1793, la ville dont la posi tion stra té gique rend le contrôle indis pen sable pour la Répu blique en guerre et la reconquête de tout le Sud-Est et de Toulon qui verra un jeune géné ral entrer dans l’his toire. Désor mais les envoyés en mis sion de la Conven tion imposent une dis ci -pline répu bli caine que nul ne peut et ne doit plus dis cu ter en ce temps de crise intense pour la sur vie du nou veau régime.

Avec la sub ti lité inter pré ta tive qui le carac té rise, Michel Vovelle inter roge, sonde, étu die le pour quoi de cette rup ture entre révo lu tion naires mon ta gnards et fédé ra listes.

C’est là que le livre offre son ori gi na lité, lorsque Michel Vovelle donne une leçon de méthode en décor ti quant l’his toire au tra vers de l’his to rio gra phie qui s’est de suite empa rée du cas emblé ma tique des Mar seillais qui avaient offert leur nom à l’hymne de la patrie.

Pour les cher cheurs amé ri cains, les rai sons sont poli tiques, les diff é rences sociales entre les deux camps étant peu mar quées. C’est l’his toire du local refu sant la cen tra li sa -tion pari sienne tout en res tant répu bli cain que sou tient une « école anglo- saxonne ». L’auteur y per çoit une sub tile manière de cri ti quer la typicité de la Révo lu tion fran çaise et la marque du jaco bi nisme. Sont alors convo qués les thèses anciennes et récentes de Crane Brinton, The jaco bins, an essay in the new history (1930), Michael Kennedy, The jaco bin club of Marseille 1790-1794 (1973), ainsi que la thèse de John Cameron, The revolution of the sec tions of Marseille, federalism in the department of the Bouches-du-Rhône in 1793.

Pour Jacques Guilhaumou, l’autre grand spé cia liste de Marseille en Révo lu tion de nom breuses fois cité pour la qua lité de ses recherches, les cli vages sont idéo lo giques, et l’étude du lexique poli tique et de ses enjeux socio- historiques explique l’ori gi na lité de ce fédé ra lisme jaco bin qui ne résis tera pas à la poli tique d’indi vi si bi lité de la patrie décidée par le Comité de Salut public à Paris.

Une autre école historiographique est rap pe lée, celle de nos col lègues ita liens trop sou vent oubliés. Sont ainsi mis en valeur les intui tions de Paolo Viola sur l’anti politique, comme pos ture trop sou vent négli gée par les his to riens des idées et fort repé rables dès le début de la Révo lu tion à Aix et à Marseille (Paolo Viola, Il crollo del antico regime, Donzelli ed. Rome 1992). Antonio de Francesco est éga le ment rap pelé grâce à une piste inter pré ta tive que Michel Vovelle consi dère fort ori gi nale et appe lant d’autres tra vaux. En effet pour l’his to rien ita lien, la façon dont le mar ché des sub sis tances et du main tien des prix dans les muni ci pa li tés en crise est contrôlé, joue dans l’expli ca tion du bas cu le ment de

Page 21: A - 2010 - n°2 [239 267]

259comptes rendus

tel ou tel camp des patriotes (cf Antonino de Francesco, Il governo senza testa. Movimento democratico e federalismo nella Franzia revoluzionaria 1789-1795, Napoli, Morano Editori, 1992).

Repre nant ces débats, Michel Vovelle livre alors un point de vue à son tour, tout en nuances et en éru di tion, mais jamais abs trait ou diffi cile à suivre. L’auteur insiste de nou veau et avec jus tesse sur les micro- différences sociales qui peuvent pro duire des maxi- conflits le temps des ten sions arri vées. Il démonte des légendes, fai sant des bataillons de Mar seillais des volon taires de sac et de cordes, n’ayant eu d’autres mérites que de por ter leurs mau vaises manières à Paris et pro vo quer la chute du roi. C’est faux et l’ori gine des hommes des bataillons montre pour beau coup une arri vée récente à Marseille mais en aucun cas une marginalisation sociale de ces patriotes volon taires. L’his to rien indique au pas sage combien la lour deur des ethno- types a pu peser (et pèse encore…) sur les repré -sen ta tions du Mar seillais en géné ral… Avec patience Michel Vovelle montre que les plus fidèles des jaco bins sont repré sen tés par le monde de l’échoppe (les arti sans ven deurs de leur propre pro duc tion), à ne pas confondre avec le monde de la bou tique (les ven deurs de pro duits ache tés). On découvre aussi les diff é rences entre le monde des por te faix en ville, à ne pas confondre avec d’autres misé reux, débar deurs du port, liés au clan des arma teurs par des rap ports de clientélisme évi dents. Les diff é rences sociales, la peur en ville, les ten sions dues à la crise éco no mique sont ainsi démon tées, démon trées avec une grande maî trise. La leçon de méthode devient une leçon de civisme à médi ter sur la poli ti sation du plus grand nombre, sur la récep tion et la compré hen sion de l’éga lité, de la liberté et de la fra ter nité se méta mor pho sant en luttes fra tri cides fine ment étu diées.

Michel Vovelle est par venu au bout de son défi en nous offrant ce por trait col lec tif de Marseille en Révo lu tion d’abord, en répu blique ensuite, au bout de trente ans de recherches inter rom pues par la direc tion scien ti fique des acti vi tés du Bicen te naire de la Révo lu tion en 1989.

Le livre rend hom mage à tous les cher cheurs qui ont accom pa gné l’auteur dans ce labeur et plus par ti cu liè re ment à Monique Vovelle, sa compagne dis pa rue. Michel Vovelle sug gère que c’est là son der nier opus. On espère que ce soit là la seule erreur de ce livre- bilan qui ose avec une belle éner gie repla cer la ques tion des ten sions sociales et des luttes de classes au cœur de l’inter pré ta tion de la Révo lu tion fran çaise et des enjeux posés par l’his toire contem po raine de la France.

Pierre sernA

Dan edelstein, The Terror of Natural Right. Republicanism, the Cult of Nature & the French Revolution, Chicago, The University of Chicago Press, 2009, 337 p., ISBN 0-226-18438-2, 40 $.

L’his to rio gra phie amé ri caine relit- elle la Révo lu tion fran çaise à la lumière des guerres menées aujourd’hui par les États- Unis contre les ter ro ristes et autres « enne mis de l’huma nité » pour reprendre une for mule du pré sident Bush ? C’était l’hori zon de la réflexion de D. A. Bell à pro pos de la Guerre totale, et c’est la conclu sion de ce livre qui, après avoir étu dié la Ter reur du droit natu rel, cri tique G. W. Bush pour avoir intro duit des lois d’excep tion ouvrant sur des perspec tives mal contrô lées et rap pelle que la guerre doit se mener, comme Robespierre l’a dit, la loi à la main. La démons tra tion est ins crite dans l’his toire des idées poli tiques à la suite des tra vaux de K. Baker, accor dant une large place à l’his toire poli tique, voire poli ti cienne, de la période révo lu tion naire. Il s’agit d’une

Page 22: A - 2010 - n°2 [239 267]

260 comptes rendus

généa logie cultu relle et de ses moda li tés d’appli ca tion en uti li sant un cas pré cis, la Révo -lu tion fran çaise.

Dans la pre mière par tie, l’auteur part de l’hété ro gé néité des cou rants répu bli cains au xviiie siècle pour insis ter sur la liai son qui se pro duit, via la lit té ra ture, entre théo ries du droit natu rel et répu bli ca nisme au moment où les socié tés pri mi tives servent de modèles poli tiques pour réno ver les socié tés occi den tales. Dans ce cadre de réflexion, les indi vi dus oppo sés aux lois natu relles peuvent être consi dé rés comme des enne mis de l’huma nité. Ainsi les tyrans, les pirates, voire les habi tants des nou veaux mondes auront été consi dé rés comme tels à un moment, avant que cette lec ture ne s’applique à la période révo lu tion naire notam ment après 1792. Dans cette évo lu tion généa lo gique complexe, l’auteur s’attache à voir ce qui relie les phy sio crates et S. Maré chal, par exemple, dans leurs pro blé ma tiques fon dées sur les lois natu relles et l’âge d’or. La Révo lu tion est mar quée par une suc ces sion de para doxes, à commen cer par les débats autour de l’abo li tion de la peine de mort. Les dépu tés qui la refusent en sont, pour une part, des vic times ensuite, alors que Robespierre, qui en est par ti san, est pro mo teur des lois de Prai rial. Mais c’est la mort du roi qui repré -sente le cas le plus impor tant de la deuxième par tie du livre. Le droit natu rel per met de pas ser outre l’invio la bi lité du roi, et de pla cer ce der nier hors de l’huma nité. Le décret du 19 mars à l’encontre des contre- révolutionnaires s’ins crit dans cette perspec tive, mais l’auteur pro longe sa réflexion en lisant de la même façon la sus pen sion de la Consti tution, l’éta blis se ment du gou ver ne ment révo lu tion naire, les mesures de jus tice poli tique et sociale du prin temps 1794 et enfin la fête de l’Être suprême et les lois de Prai rial. L’hori zon du droit natu rel avec ce qu’il implique de refus de la volonté géné rale ou de toute consti -tution, jus ti fie cette recherche d’un âge d’or, solaire, qui aurait été l’abou tis se ment de la pen sée des Mon ta gnards autour de Robespierre, de Couthon et de Saint- Just. Leur suc cès, tem po raire, au prin temps 1794 serait à lire comme la suite d’un pro ces sus enclen ché depuis les pre mières années de la Révo lu tion. Leur échec, en Ther mi dor, tient à la dis tance prise pro gres si ve ment par les conven tion nels qui récusent les consé quences de cette logique.

L’apport essen tiel du livre tient à l’usage her mé neu tique du droit natu rel pour comprendre le sens ultime de ce qu’a pu être la Ter reur. La démarche se reven dique contre- factuelle pour une part, l’auteur sou hai tant mettre en valeur une logique sous- jacente, en reconnais sant qu’il ne prend pas en compte la glo ba lité et la complexité des situa tions, qu’il ne néglige pas pour autant. La force de la démons tra tion vient de cette volonté de mettre en valeur les lignes de force, sans vou loir rabattre la poli tique de Saint- Just ou de Robespierre sur des pra tiques oppor tu nistes, des suc cès occa sion nels ou des ajus te ments. L’unité doc tri nale est réelle, il n’y a pas à cher cher des aban dons ou des cal -culs, mais à sai sir comment une pen sée s’exprime au gré des cir constances. Dans cette lec ture compli quée, la Ter reur finit par être le temps de la vio lence la plus immé diate, accep tée faute de pou voir faire autre ment dans ce cadre anni hi lant les enne mis de l’huma- nité, avant d’être elle- même récu sée au nom d’une reven di ca tion de jus tice natu relle, au nom d’un peuple enfin régé néré. Confir mant le pas sage de la Ter reur à la Jus tice, les pages consa crées aux ten ta tives du prin temps 1794 pour orga ni ser le pays autour de prin cipes issus du droit natu rel, en mêlant les ambi tions de Billaud- Varenne et de Saint- Just sont éclai rantes et judi cieuses. Ce n’est pas un hasard notam ment si des ten ta tives de ras sem ble- ment de lois « révo lu tion naires » se pro duisent à ce moment. Le coup de force des thermidoriens sera d’amal ga mer les reven di ca tions du droit natu rel, les volon tés de ven -geance popu laire, avec cette perspec tive quasi eschatologique, pour reje ter la tota lité de l’entre prise. La faillite du droit natu rel ne tient pas à l’aban don de ses prin cipes, mais à l’inca pa cité de les appli quer autre ment qu’en récu sant des pra tiques poli ti ciennes ou des vio lences incontrô lées, créant une situa tion poli tique fra gile.

Page 23: A - 2010 - n°2 [239 267]

261comptes rendus

L’intro duc tion de la dimen sion cultu relle du droit natu rel sert ici de révé la teur des champs de force qui ont façonné la période. Une telle entre prise ne peut pas lais ser indif -fé rent, et sou lève des ques tions et des objec tions. Il faut attendre, logi que ment, la fin du livre pour comprendre le sens que l’on peut attri buer au mot « ter reur » ren voyant à des réa li tés mêlées et incer taines. Les usages qui en sont faits au cours du livre posent cepen -dant pro blème, hési tant entre vio lences, orga ni sa tion poli tique, pra tiques judi ciaires ou dénon cia tion. Cette hési ta tion se retrouve dans l’emploi de for mules tra dui sant par fois une sidération devant la vio lence, comme p. 132, ce che min qui lie la Concier ge rie à la place de la Révo lu tion, alors que les forts pour cen tages d’acquit te ment du Tri bu nal révo lu- tion naire sont cités ailleurs. Le refus exprimé de la dimen sion esthé tique de la Ter reur, dans le cadre de la réflexion sur le sublime, est dis cu table et rend plus diffi cile la compré -hen sion des posi tions de Robespierre en février 1794. Les arti cu lations entre les formes du droit natu rel ne man que ront pas d’être dis cu tées, rele vons que le droit natu rel chré tien est cer tai ne ment trop rapi de ment éli miné de la dis cus sion, alors qu’il a joué dans les prises de posi tion des membres du Cercle social. Les liens entre répu bli ca nismes et droit natu rel seront aussi dis cu tés, notam ment autour de la per son na lité de Machia vel, régu liè re ment cité, mais sans doute pas assez dis cu tée ni commen tée. Sa réflexion sur la « for tune », enten dons l’occa sion sai sie oppor tu né ment, aurait mérité plus d’atten tion, puis qu’elle aurait jus ti fié la réus site de ce droit natu rel à un moment pré cis de la Révo lu tion.

L’exa men des faits est évi dem ment complexe dans une pareille entre prise uti li sant une éru di tion consi dé rable dans une perspec tive d’his toire des idées qui recourt, logi que -ment, à des idéal- types. Les cita tions sont par fois biai sées. La volonté de Danton, le 27 mars 1793, que la Révo lu tion soit peuple, dénonce dans une for mule ambi guë « cette contre- révolution ». La phrase de Louis XVI, c’est légal parce que je le veux, n’est pas la pierre de touche de l’abso lu tisme. La ligne démons trat rice réduit la focale. Si bien qu’il manque une réflexion sur les jus tices pré vô tales des der nières années de la monar chie abso lue étu diées par T. Margadant annon cia trices des mesures de « ter reur » des années 1792-1794. Enfin, Rous seau avait bien envi sagé l’exclu sion du genre humain des rois et des phi lo sophes dans L’É mile, ce qui complique l’ana lyse. Que le décret du 19 mars 1793 n’ait pas été pris contre les Ven déens mais contre les Bre tons dans un débat poli tique violent à la Conven tion modi- fie le point de vue, puisque, comme F. Gauthier l’a fait remar quer, ce décret suit celui pris la veille contre les par ti sans de la loi agraire. Tout ceci ne contre dit pas Dan Edelstein mais le nuance, ame nant à insis ter sur les inflexions pro vo quées par les luttes et les moments. L’unité don née au pro pos empêche de prendre en compte autant qu’ils auraient dû l’être les apports d’Éric de Mari, remon tant vers d’autres tra di tions, et d’An ne Simonin, ins cri vant la Ter reur dans une perspec tive phi lo sophique diff é rente.

C’est indis cu ta ble ment le lot ordi naire des ouvrages qui entendent nouer des dimen sions venues de diff é rents hori zons que d’être confrontés à des attentes spé ci fiques et à des cri tiques pré cises. Cepen dant, la pro blé ma tique du livre, la force de la démons tra -tion, la sub ti lité des dis tinctions effi caces font de cet ouvrage un élé ment impor tant pour résoudre les para doxes que l’on conti nue de voir autour de la Ter reur et pour comprendre comment les hommes du xviiie siècle ont confronté et modi fié leurs cadres de pen sée. En cela, l’auteur peut légi ti me ment conclure sur les guerres menées contre les « enne mis de l’huma nité » d’aujourd’hui, qui elles aussi s’ins crivent dans une muta tion cultu relle néces- saire à comprendre.

Jean- Clément mArtin

Page 24: A - 2010 - n°2 [239 267]

262 comptes rendus

L’abbé Grégoire. Écrits sur les noirs. Tome 1 ; 1789 – 1808 ; tome 2 ; 1815 – 1827. Pré sen ta tion de Rita hermon- Belot, Paris, L’Har mat tan, 2009, 2 vol., 226 et 190 p., ISBN 978-2-296-08 179-9 et 978-2-296-08 179-6, 24 et 20,50 €.

Il s’agit d’un regrou pe ment des prin ci paux ouvrages de Grégoire sur la ques tion de la cou leur, la ques tion colo niale, l’évo lu tion de l’État d’Haïti. Les textes sont regrou pés par ordre chro no lo gique, avec une pré sen ta tion de Rita Hermon- Belot, qui fait auto rité depuis son beau tra vail sur l’abbé Grégoire, La poli tique et la vérité, paru en 2000.

Dans le tome1, nous trou vons le Mémoire en faveur des gens de cou leur, de 1789, qui marque l’inter ven tion de Grégoire sur la ques tion de l’éga lité raciale, qui res tera ins -crite à l’hori zon de ses combats jus qu’à la fin de sa vie. Ce texte illustre notam ment l’inflé chis se ment des posi tions de la Société des Amis des noirs, de la lutte priori taire pour une abo li tion de la traite et une abo li tion gra duelle de l’escla vage vers un combat pour la des truc tion immé diate de l’édi fice ségré ga tion niste dans les socié tés colo niales. Les deux textes sui vants pro longent cette prise de posi tion ini tiale.

La Notice sur la Sierra- Leone de 1795 est l’orien ta tion prise par le cou rant abo li -tion niste fran çais après le décret du 16 plu viôse en II, en faveur d’une « colo ni sa tion nou -velle », c’est- à-dire le pro jet d’implan ta tion d’éta blis se ments en Afrique, repo sant sur le tra vail libre et les trans ferts cultu rels et tech no lo giques, des ti nés à mettre un terme au commerce négrier. à ma connais sance, c’est la pre mière fois que ce texte impor tant est mis à la dis po si tion du public.

Les deux textes sui vants illus trent l’enga ge ment de Grégoire en faveur d’une régé- né ra tion du clergé colo nial ; l’Épître des évêques réunis (le clergé consti tution nel) aux pas teurs et aux fidèles des colo nies fran çaises, de 1798, et l’apo logie de Barthélémy de Las Casas, de 1800.

La grande pièce de ce pre mier tome est La lit té ra ture des nègres, de 1808, à la fois défense et illus tra tion du cou rant phi lan thro pique contre ses détrac teurs, et mani feste en faveur de la contri bu tion des Afri cains à la civi li sa tion uni ver selle.

Le tome 2 reprend d’abord les ouvrages qui illus trent l’enga ge ment de Grégoire contre la traite, qui connaît un nou vel essor avec la Res tau ra tion ; De la traite et de l’escla -vage des noirs et des blancs, de 1815 ; et Des peines infâmantes à infli ger aux négriers, puisque le tra fic des esclaves est désor mais illé gal, au regard d’un droit inter na tional qui se cherche (1822). La même année, Grégoire livre une nou velle pièce de son pro jet d’écri ture d’une grande his toire de l’escla vage, pro jet qu’il caresse depuis long temps, mais qu’il ne mènera pas à son terme, avec Obser va tions pré li mi naires sur une nou velle édi tion d’un ouvrage inti tulé His toire du commerce homi cide appelé traite des noirs. Les quatre der niers textes concernent plus par ti cu liè re ment Haïti, et illus trent les rela tions tumultueuses que l’abbé entre tint avec le pre mier État noir indé pen dant du continent amé ri cain. Grégoire se pose en ins ti tu teur moral de la jeune nation dans ses Consi dé ra tions sur le mariage et le divorce (1823), puis réaffi rme for te ment ses convic tions dans De la liberté de conscience et de culte à Haïti (1824) et De la noblesse de la peau (1826), mar quant l’oppo si tion irré -duc tible entre le chris tia nisme et le pré jugé de cou leur. Enfin, L’épître aux Haï tiens, de 1827, qui clôt la série, et qui se ter mine par la for mule de désen chan te ment par rap port aux espoirs que Grégoire avait pu pla cer dans la jeune répu blique noire ; « Haï tiens, adieu ! ».

Ces textes impor tants auraient peut- être pu être complé tés par les échanges épis to- laires avec l’abo li tion niste anglais Clarkson, où Grégoire rap pelle, contre ce qui est, selon lui, la dérive auto ri taire du Royaume du Nord de Christophe, son atta che ment à la forme répu bli caine de l’État.

Page 25: A - 2010 - n°2 [239 267]

263comptes rendus

L’auteur a choisi de pla cer en annexe les inter ven tions de Grégoire dans les débats à l’Assem blée natio nale consti tuante en mai 1791 autour de l’éga lité poli tique des citoyens de toutes les cou leurs, inter ven tions certes très impor tantes, mais que l’on trouve plus faci le ment, et qui auraient néces sité une pré sen ta tion spé ci fique.

Au total, il faut saluer cette mise à la dis po si tion des lec teurs inté res sés par l’abo -li tion nisme et par la forte per son na lité de Grégoire, de textes de réfé rence, dont le rap pro -che ment sou ligne la constance d’un enga ge ment et la rec ti tude d’une pen sée.

Bernard gAinot

Louis Sébastien mer cier, Néo logie, Texte éta bli, annoté et pré senté par Jean- Claude Bon net, Paris, Belin, 2009, 598 p., ISBN 978-2-7011-4271-5, 26 €.

Dans sa riche intro duc tion, Jean- Claude Bon net rap pelle uti le ment le débat et les tra vaux sur la néo logie au xviiie siècle, du Dic tion naire néo lo gique de Desfontaines (1726) au Dic tion naire cri tique de Féraud (1787-1788). Ce der nier, qui se pré sente pour tant comme un puriste, note dans sa pré face qu’il intègre dans son tra vail quelque 2 000 mots qui « se sont effor cés de s’intro duire dans notre langue depuis vingt ans ». Au même moment, Mer -cier, Rétif, d’autres encore, font œuvre de néologues et l’édi tion de 1798 du Dic tion naire de l’Aca dé mie illustre le che min par couru depuis la pré cé dente (1762). Y appa raît notam ment un « Sup plé ment conte nant les mots nou veaux en usage depuis la Révo lu tion ». Néologue, Mer cier l’a été, comme d’autres, dès avant celle- ci, ne serait- ce que dans son célèbre Tableau de Paris. Comme le sou ligne Jean- Claude Bon net, « le pié ton de Paris se montre un gla neur de mots impé ni tent, aussi atten tif à ceux qu’il entend qu’à ceux qu’il découvre dans les affiches et les graffi tis ». Dans sa Néo logie, au mot « encachotés », Mer cier écrit : « J’ai créé en 1789 l’expres sion d’Encachotés, qui fut copiée et répé tée par tout […] Je me sou viens qu’Encachotés pro dui sit un for mi dable effet. Ce n’est pas d’aujourd’hui que je suis néologue, car je me suis plu à l’être dans tous mes écrits […] ».

Sa Néo logie est publiée en 1801, mais l’ori gine en remonte au moins avant 1791. Il place sa publi ca tion sous le patro nage de celui qui est alors consi déré comme un héros répu bli cain, son « col lègue Bonaparte » (« col lègue », car tous deux sont membres de l’Ins ti tut). Cet hom mage se retrouve d’ailleurs çà et là dans l’ouvrage, jusque dans la défi ni tion de « Repré sen ta tion natio nale » où Mer cier se borne à reco pier cette phrase de Bonaparte : « Nous vou lons une répu blique fon dée sur la vraie liberté, sur la liberté civile, sur la Repré sen ta tion natio nale ; nous l’aurons : je le jure, je le jure en mon nom et en celui de mes compa gnons d’armes ». Cita tion attri buée au géné ral, mais qui n’est donc accom -pa gnée d’aucun commen taire… !

Le « petit dic tion naire de la Révo lu tion » que Mer cier a composé au fil des ans avec les mots du « lexique » révo lu tion naire est éphé mère à ses yeux, car « en poli tique […] le jour d’hier est un cadavre ». Aussi, ce « lexique » étant jugé « vola tile », il écarte de sa Néo logie la plu part des mots qu’il avait notés et va jus qu’à ne rete nir que 16 des 418 mots nou veaux du « Sup plé ment » du Dic tion naire de l’Aca dé mie en 1798. Par ailleurs, loin de don ner une défi ni tion à cha cun des mots de sa Néo logie, il pré fère les illus trer par des extraits emprun tés à d’autres auteurs, tel Bonaparte comme on l’a vu. Le Fonds Mer -cier de la BNF comprend jus te ment une sorte de « biblio thèque manus crite » compo sée de notes de lec ture, de recueils d’élé ments iso lés, où Mer cier a puisé la matière de sa Néo -logie. S’y côtoient Montaigne, Vol taire, Rous seau, Diderot, Rétif, mais aussi des hommes de la Révo lu tion, tels Bonneville, Desmoulins, Grégoire, Mirabeau, etc. Comme le montre

Page 26: A - 2010 - n°2 [239 267]

264 comptes rendus

Jean- Claude Bon net, der rière ces défi ni tions qui n’en sont pas tou jours, se des sine éga le -ment un auto por trait de Mer cier, la satire ser vant alors à envoyer des piques à ceux qu’il n’aime point. Cela explique, fût- ce en par tie bien sûr, l’accueil plu tôt mau vais réservé au livre en 1801.

Quant aux mots de cette Néo logie, chaque lec teur pourra à sa guise errer de l’un à l’autre, et sou vent s’amu ser de l’humour de Mer cier (« Accos table : Vol taire, dans son châ teau, était plus accos table que J.-J. Rous seau dans son gre nier »). Ceux qui s’inté ressent à la Révo lu tion fran çaise n’y trou veront point tous les mots nou veaux alors créés, mais ils se conso le ront sans peine avec les commen taires par ti sans acco lés à « agi ta teur » (celui qui trompe le peuple) ; « anarchiser » (les enne mis de la France ont, pour ce faire, « créé, sou doyé, encou ragé les anar chistes ») ; « anguillomeux » (où l’anguille ren voie à La Fayette) ; « apâteur » (appli qué aux roya listes) ; « corruptionner » (un seul « mau vais livre » peut « corruptionner » un peuple, ce qui fait trem bler tout défen seur de la liberté de la presse) ; « fuyardes » (les tantes de Louis XVI) ; « liber ti cide » (tout moyen employé par les enne mis de la Répu blique, la plume, le sabre ou le cru ci fix) ; « four née » (qui per- met de men tion ner le sort des Giron dins) ; « man geurs » (« un pay san de Montrouge, plein de bon sens, appe lait la Révo lu tion fran çaise le combat des Man geurs et des Man gés ») ; « tigreux » (comme Néron, mais « il n’est pas le seul, hélas ! ») ; « van da lisme » (rap porté aux seuls « mon ta gnards de la sainte mon tagne »…) ; etc. Cer tains mots auraient pu être accom pa gnés par davan tage d’expli ca tions en notes (les « formes acerbes » qui ren voient à un dis cours de Barère à pro pos des exé cu tions faites sous l’auto rité du repré sen tant du peuple en mis sion Le Bon ; la « queue » de Robespierre qui a fait naître toute une cam -pagne de presse…), mais c’était là demander un tout autre tra vail, aussi l’indul gence est- elle de rigueur.

Pour accom pa gner le texte, Jean- Claude Bon net nous offre, outre l’intro duc tion dont la richesse a été men tion née, une pré cieuse liste des auteurs et des œuvres cités par Mer cier, clas sés par ordre chro no lo gique et ren voyant aux entrées (hommes et écrits de la période révo lu tion naire témoignent notam ment des sym pa thies poli tiques de Mer cier) ; deux brefs pro jets manus crits qui évoquent la méthode de l’auteur ; deux longs comptes ren dus publiés à l’automne 1801 dans le Mer cure de France et La Décade (…) ; enfin, deux chro no logies très utiles, l’une per met tant de se repérer dans la « que relle » néo lo -gique au xviiie siècle, l’autre dans la vie et l’œuvre de Mer cier. Les Édi tions Belin nous pro posent donc, grâce aux talents et aux connais sances de Jean- Claude Bon net, une très belle et rigou reuse édi tion scien ti fique de cette Néo logie. Lais sons la conclu sion au mot « a matrice », avec un éter nel débat à la clef : « l’Aca dé mie ne crée pas les mots ; son emploi est d’enre gis trer ceux que l’usage auto rise. Un mot est donc fran çais avant qu’il soit inséré dans son Dic tion naire […] ».

Michel BiArd

Walter Bruyère-ostells, La grande armée de la liberté, Paris, Tallandier, 2009, 335 p., ISBN 978-2-84-734-403-5, 25 €.

Après une thèse consa crée au rôle des anciens offi ciers de la Grande Armée dans les mou ve ments libé raux et natio naux du pre mier tiers du xixe siècle, Walter Bruyère- Ostells pour suit ses tra vaux dans un bel ouvrage pré facé par Jacques-Oli vier Boudon.

L’auteur ins crit son ana lyse dans l’his toire sociale du fait mili taire, dans la lignée de Natalie Petiteau. Tou te fois, s’il montre que le rôle de ces hommes excède leur nombre,

Page 27: A - 2010 - n°2 [239 267]

265comptes rendus

Walter Bruyère- Ostells ne majore en aucune façon celui- ci et il se garde d’en faire le type unique des offi ciers de la Grande Armée.

Il ins crit aussi son ouvrage dans l’his toire poli tique et idéo lo gique aussi bien que cultu relle. En effet, son étude pré sente le grand inté rêt d’aller au- delà du rôle évé ne -men tiel de trois cent trente offi ciers et d’être beau coup plus que leur prosopographie, déjà fort utile en elle- même. L’his to rien ouvre de nou velles perspec tives en évo quant en géné- ral l’archi pel de la liberté, les réseaux grâce auxquels il peut s’étendre, les socié tés secrètes et au pre mier chef la charbonnerie et la franc- maçonnerie. Sur le bona par tisme et le libé -ralisme du pre mier xixe siècle ou sur la révo lu tion atlan tique, il émet des hypo thèses neuves qui vont à l’encontre des idées reçues.

Les divi sions de l’ouvrage obéissent à une répar tition chro no lo gique et géo gra -phique, celle des prin ci paux foyers où éclatent tour à tour des mou ve ments libé raux et natio naux, l’Amérique latine puis l’Espagne, la Grèce, la pénin sule ita lienne, la Belgique et la Pologne. On aurait aimé tou te fois que l’intro duc tion fût plus expli cite sur la méthode et les sources, même si l’ouvrage n’est pas une thèse. On aurait éga le ment appré cié que le foyer ita lien fût étu dié avant l’Espagne puis qu’on retrouve dans celle- ci plu sieurs pro ta go- nistes des évé ne ments de Naples et du Pié mont. Seul le cas alle mand n’est pas évo qué car les mou ve ments sont fondés sur le natio na lisme de res sen ti ment et les vété rans de la Grande Armée n’y sont pas pré sents.

Dès l’exemple de l’Amérique latine, l’his to rien montre la diver sité et par fois la complexité des rai sons qui poussent ces hommes à s’enga ger et à combattre de nou veau, rai sons à la fois poli tiques et sociales, besoin d’aven ture et crainte de la marginalisation en Europe, qui peuvent d’ailleurs exis ter chez le même homme. Il applique une grille d’ana -lyse générationnelle, dis tin guant quatre géné ra tions, celle de 1769, celle de 1779, celle de 1789, celle des « Marie- Louise », met tant cette dis tinction en cor ré la tion avec la flui dité des convic tions de ces hommes qu’on peut taxer aussi bien de bona par tiste que de libé rale, non par oppor tu nisme ou absence de sin cé rité mais parce qu’il n’existe pas encore de démar ca tion idéo lo gique pro non cée. Un peu plus loin (p. 101) il dit que le terme de bona -par tisme, trop poly sé mique pour la période consi dé rée, a été uti lisé pour décrire des phé no- mènes diff é rents. Selon lui, l’atta che ment sen ti men tal à la per sonne de Napo léon et à celle des Bonaparte n’est pas encore syno nyme de pré fé rence par ti sane pour le césa risme démo- cra tique. Aussi bien, cer tains de ces offi ciers sont démo crates, d’autres répu bli cains.

L’auteur montre aussi le rôle des réseaux de recru te ment, notam ment la franc- maçonnerie qui n’est cepen dant pas la prin ci pale filière mais qui cimente les liens que ces hommes avaient aupa ra vant tis sés entre eux au cours des cam pagnes de Napo léon. Elle faci lite leur inté gra tion dans les armées latino- américaines dans la for ma tion des -quelles, grâce à leur expé rience pas sée, cer tains jouent un rôle déter mi nant. Quelques- uns même occupent ulté rieu re ment une place non négli geable dans la vie poli tique du continent.

L’auteur a l’occa sion de déve lop per l’ana lyse de ce pro ces sus, qui peut être une ascen sion, à pro pos des exemples grec puis belge dont on sait que, à l’ins tar de celui de l’Amérique latine, ils furent une réus site.

En Espagne ou plus tard en Pologne ou dans la « sou frière » ita lienne des années vingt ou du début des années trente, les mou ve ments échouent. Walter Bruyère- Ostells montre tout de même les traits communs avec les cas pré cé dents, d’abord l’inter na tiona li -sation du recru te ment des cadres mili taires. Cette « inter na tionale des offi ciers » prouve qu’à leur niveau un amal game s’est pro duit dans la Grande Armée qui ne fut donc pas seule ment la « cohue bigar rée » qu’on s’est plu à voir, notam ment au moment de la cam -pagne de Russie. Ainsi parmi les pro ta go nistes des mou ve ments de Naples et du Pié mont,

Page 28: A - 2010 - n°2 [239 267]

266 comptes rendus

les « Ita liens » côtoient- ils des Fran çais et des Polo nais. Tels qui jouent un rôle dans un mou ve ment se retrouvent dans un autre, passent par exemple de Naples en Espagne ou en Grèce, y voyant à chaque fois un nou veau front pour leur combat poli tique.

Cha cun de ces cas donne l’occa sion à l’auteur de bros ser de très beaux por traits – avec empa thie mais sans complai sance – de per son na li tés sou vent méconnues ou inconnues. à côté de Fabvier ou du napo li tain Pepe qui ont retenu l’atten tion des his to -riens, on se sou vien dra entre autres du fran çais Balleste qui connaît une fin tra gique en Grèce ou des belges Parent et Niellon, anciens sous- officiers dont la Révo lu tion belge révèle les qua li tés.

Les cadres des mou ve ments natio naux et libé raux sont essen tiel le ment – et même uni que ment dans le cas de la Grèce – d’anciens offi ciers de Napo léon, choi sis en rai son de leur compé tence et de leur pres tige par fois mythique. L’auteur va jus qu’à dire que la cam -pagne de 1831 en Pologne est toute entière de type napo léo nien.

Mais cette inter na tiona li sation de l’enca dre ment n’est guère effi cace pour créer une inter na tionale libé rale. Dépas sant l’évo ca tion du rôle de ces offi ciers, Walter Bruyère- Ostells ana lyse la mou vance libé rale de cette époque. Il uti lise l’expres sion très ima gée d’archi pel libé ral, un « cha pe let d’îles dans un océan conser va teur » (p. 147) ce qui lui per met de don ner un éclai rage inha bi tuel à la révo lu tion atlan tique. L’archi pel libé ral se compose de plu sieurs îles, Londres, jadis enne mie de la Grande Armée mais accueillante aux vété rans, Genève - mais plus Bruxelles - puis Paris à par tir de 1830, et dans une moindre mesure et à l’échelle natio nale, Lyon et Marseille. L’archi pel libé ral, ce sont aussi des hommes et des réseaux et, sur ce point encore, l’auteur dépasse l’étude des offi ciers napo léo niens pour dres ser un tableau de ces réseaux : franc- maçonnerie et socié tés secrètes dont la carboneria.

Cet archi pel libé ral est éclaté au point de vue poli tique. C’est une nébu leuse et les diver gences qui existent en son sein se repro duisent parmi les vété rans. Certes, il peut exis ter entre eux des riva li tés per son nelles mais leurs mésen tentes sont avant tout poli tiques. Libé raux conser va teurs, modé rés, radi caux, répu bli cains eux- mêmes par ta gés entre modé- rés et avan cés, par ti sans de l’appel au peuple ou conser va teurs sur le plan social, se déchirent à Naples comme en Pologne. Ces oppo si tions recoupent aussi les dis tinctions générationnelles évo quées plus haut. Les mésen tentes des vété rans ont de tra giques consé quences sur la conduite des opé ra tions et ne jouent pas un rôle mineur dans l’échec final, par exemple en Espagne ou en Pologne. D’une cer taine façon, la Révo lu tion fran çaise de 1830 repré sente un tour nant. Recher chés en rai son de leur science des combats, les anciens offi ciers acquièrent peu à peu une influ ence pré pon dé rante au sein des insur gés. Mais leur expé -rience du main tien de l’ordre s’avère éga le ment déci sive et fina le ment ils se ral lient à la monar chie de Juillet, mani fes tant un léga lisme nou veau. Ils ne cherchent en aucune manière à confis quer le pou voir, quelle que soit leur pré fé rence ; il est vrai que, selon Walter Bruyère- Ostells, le cor pus idéo lo gique bona par tiste ou orléa niste ne sera défini qu’ulté rieu- re ment. Fina le ment, par la pri mauté qu’ils accordent au libé ralisme sur une pré fé rence dynas tique et par leur ral lie ment à Louis- Philippe par crainte d’une flam bée révo lu tion -naire, ces offi ciers napo léo niens témoignent d’un chan ge ment d’époque.

C’est ainsi que se conclut cette belle étude. La cam pagne du Portugal est l’occa -sion de ce pas sage de flam beau, encore plus sen sible dans la pénin sule ita lienne où la géné ra tion de Mazzini prend les commandes du mou ve ment révo lu tion naire dont les hommes de la Grande Armée ne sont plus les meneurs mili taires et poli tiques.

An nie crépin

Page 29: A - 2010 - n°2 [239 267]

267comptes rendus

Registres matri cules des sous- officiers et hommes de troupe des uni tés d’in fan te rie de ligne et d’infan te rie légère de la Révo lu tion, réper toire de la sous- série 17 Yc. Inven taire éta bli par Jean- Paul BertAud et Michel roucAud, Vincennes, Ser vice His to rique de la Défense, 2009, 208 p., ISBN 978-2-1109-6338-3, 15 €.

Cet inven taire fait suite au réper toire des registres matri cules des sous- officiers et hommes de troupe de la garde et de l’infan te rie de ligne, à savoir les sous- séries 20Yc et 21 Yc du dépôt de la Guerre, éta bli en 2005 par Michel Roucaud et pré facé par Jean- Paul Bertaud. Nous retrou vons dans le présent inven taire les mêmes qua li tés de pré ci sion et de clarté que dans le pré cé dent.

La sous- série 17Yc comprend les registres des demi- brigades issues du pre mier amal game (ou amal game de pre mière for ma tion) réa lisé de 1793 à 1795. Cet inven taire est la par tie non- publiée de la thèse de Jean- Paul Bertaud, L’armée de la Révo lu tion fran -çaise. Michel Roucaud, archi viste au SHD, rap pelle, dans une excel lente mise au point pré li mi naire quels furent les étapes, les enjeux, et les for ma tions concer nées par l’amal -game. Ces mises au point sont aussi utiles au cher cheur qu’à l’étu diant qui sou haite trou ver une syn thèse infor mée sur la ques tion.

Pour le cher cheur plus par ti cu liè re ment, sont ensuite pré sen tées les sources complé men taires, tant au SHD qu’aux Archives natio nales (y compris les archives d’outre- mer d’Aix- en-Provence), avec les quelles il lui sera pos sible de croi ser les ren sei gne ments pui sés dans la sous- série inven to riée.

Après une biblio gra phie très complète, et mise à jour, nous trou vons le réper toire prop re ment dit, demi- brigade par demi- brigade, avec la date de for ma tion et les uni tés qui la composent, puis les effec tifs, et les états de situa tion au cours des années sui vantes jus -qu’à l’amal game de seconde for ma tion, en 1796. Lors qu’ils sont iden ti fiés (ce qui est la majo rité des cas) il y a des ren sei gne ments sur le chef de bri gade, son âge, la durée de son ser vice, les uni tés où il a servi anté rieu re ment à l’amal game.

Aux 211 demi- brigades de la pre mière for ma tion pour l’infan te rie de ligne (pour les quelles il manque cer tains registres matri cules) s’ajoutent les demi- brigades pro vi -soires, ou les demi- brigades por tant le nom des dépar te ments où se trou vaient des bataillons de volon taires en sur nombre (Yonne, Eure, Vosges, Finistère, etc…). Les demi- brigades d’infan te rie légère (chas seurs) furent ulté rieu re ment comprises dans l’amal game, de telle sorte que c’est toute l’infan te rie qui fut ainsi amal ga mée. Les uni tés de guides sont les seules compa gnies à che val pré sentes dans la sous- série. Le régi ment des guides de l’armée d’Allemagne, formé en l’an VII, est le seul régi ment à che val présent. On trouve encore dans l’inven taire les deux compa gnies d’aérostiers, entre l’an II et l’an VII.

Les annexes per mettent un complé ment d’iden ti fi cation des uni tés inven to riées par un tableau de cor res pon dance avec les régi ments d’Ancien Régime, ainsi qu’un autre entre les demi- brigades de la pre mière for ma tion, et celles de la seconde for ma tion. Enfin, un index alpha bé tique oriente le cher cheur pour une iden ti fi cation ponc tuelle.

Nous avons là un outil indis pen sable au cher cheur en his toire mili taire, mais plus lar ge ment aux his to riens de la Révo lu tion et de l’Empire.

Bernard gAinot