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Cahier du « Monde » N o 21531 daté Mercredi 9 avril 2014 - Ne peut être vendu séparément L’anonymat, un bien fragile Comment concilier confidentialité des données privées et analyse pertinente de ces informations ? Cette interrogation est au cœur de l’exploitation des fichiers médicaux, fiscaux ou économiques. Mathématiciens et informaticiens sont mis au défi. PAGES 4-5 Matière à fiction L’ humanité façonne la matière pour en faire des objets qui lui sont utiles. L’amélioration des techniques de fabrication a toujours été accompagnée par la recherche de nouveaux matériaux, de la pierre taillée aux semi-conducteurs. Dès l’Antiquité, les hommes ont rêvé de matériaux fa- buleux, comme l’orichalque dont on prétend qu’il aurait été utilisé par les Atlantes. Les auteurs de science-fiction n’ont bien sûr pas manqué d’inventivité à ce propos. L’un des premiers exemples est la cavorite, imaginée en 1901 par H.G.Wells dans son roman Les Premiers Hommes dans la Lune. Ayant la propriété de faire écran à la gravita- tion, la cavorite permet de construire un appareil se déplaçant par antigravité. Mais la physique interdit l’existence d’une substance opaque à la gravitation car elle permettrait de fabriquer une machine à mouve- ment perpétuel. La science-fiction s’inspire aussi de matériaux réels mais en déforme ou en amplifie les propriétés. Ainsi, dans Les Fontaines du paradis, Arthur C. Clarke décrit la construction d’un ascenseur spatial, très long câble fixé à la surface de la Terre et permettant d’accéder à l’espace. Clarke nomme « monofilament » la matière de son câble et extrapole les propriétés des fibres de carbone ou des fibres polymères à haute résistance comme le kevlar. Depuis, la physique des matériaux a progressé et les physiciens ont découvert le nanotube de carbone. Il s’agit d’un cylindre mille fois plus fin qu’un cheveu, constitué d’atomes de carbone agencés selon un motif hexagonal. Ces nanotubes ont les pro- priétés mécaniques nécessaires à la construction d’un ascenseur spatial, mais pour l’instant, on ne sait en fa- briquer que des brins ne dépassant pas quelques milli- mètres de longueur… Les super-métaux imaginaires sont aussi couram- ment invoqués pour réaliser armes (pensez aux griffes en adamantium de Wolverine), armures (le mithril forgé par les Nains du Seigneur des anneaux) ou coques de vaisseaux interstellaires (le duracier de Star Wars). Malheureusement, la physique nous enseigne qu’il existe une limite à la résistance des métaux, fixée es- sentiellement par l’énergie de liaison des atomes qui les constituent. Le « neutronium » est un autre maté- riau qui a inspiré la science-fiction. Le terme fait réfé- rence à une forme de matière aussi dense que le noyau des atomes, que l’on trouve dans le cœur d’une étoile à neutrons. Verrons-nous un jour ces fabuleux matériaux ? D’une certaine façon, ils sont déjà là, mais pas où nous les attendions : plantes et animaux produisent des matériaux organiques impressionnants comme par exemple la sporopollénine, polymère qui compose les parois des spores, pollens et de certaines algues, capa- ble d’encaisser des chocs et des températures extrê- mes. A quand une soie d’araignée artificielle, dont la configuration moléculaire pourrait, comme son mo- dèle organique, s’adapter aux changements de tempé- rature et d’humidité ? Les applications du biomimé- tisme sont prometteuses : polymères auto-réparants, os synthétique, conducteurs organiques, surfaces auto-nettoyantes, céramiques à hautes performances, nanomatériaux, la liste est longue des matériaux qui vont faire parler d’eux. Ceux que le vivant et la physi- que nous révèlent sont sans doute en train de transfor- mer la science-fiction d’hier en réalité d’aujourd’hui ! p Des algues sous un Soleil violet Un projet français vise à combiner des capteurs photovoltaïques et des microalgues pour mieux absorber l’énergie solaire. PAGE 3 10 000 heures sous les mers Rencontre avec Michel L’Hour, patron de l’archéologie sous-marine française, sur l’André-Malraux, le navire dont il avait rêvé. PAGE 7 Réparer les nerfs Une équipe américaine est parvenue à susciter des mouvements volontaires des jambes chez des personnes paralysées des membres inférieurs. PAGE 2 CHRISTOPHE MAOUT POUR « LE MONDE » carte blanche Roland Lehoucq Astrophysicien, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (PHOTO: MARC CHAUMEIL)

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Cahier du « Monde » No21531 datéMercredi 9 avril 2014 ­ Ne peut être vendu séparément

L’anonymat,unbienfragileCommentconcilierconfidentialitédesdonnéesprivéesetanalysepertinentedecesinformations ?

Cetteinterrogationestaucœurdel’exploitationdesfichiersmédicaux,fiscauxouéconomiques.Mathématiciensetinformaticienssontmisaudéfi.PAGES 4-5

Matièreà fiction

L’ humanité façonne lamatière pour en fairedes objets qui lui sont utiles. L’améliorationdes techniques de fabrication a toujours étéaccompagnée par la recherche de nouveaux

matériaux, de la pierre taillée aux semi­conducteurs.Dès l’Antiquité, les hommes ont rêvé dematériaux fa­buleux, comme l’orichalque dont on prétend qu’ilaurait été utilisé par les Atlantes.Les auteurs de science­fiction n’ont bien sûr pas

manqué d’inventivité à ce propos. L’un des premiersexemples est la cavorite, imaginée en 1901 parH.G.Wells dans son roman Les Premiers Hommes dansla Lune. Ayant la propriété de faire écran à la gravita­tion, la cavorite permet de construire un appareil sedéplaçant par antigravité.Mais la physique interditl’existence d’une substance opaque à la gravitation carelle permettrait de fabriquer unemachine àmouve­ment perpétuel.La science­fiction s’inspire aussi dematériaux réels

mais en déforme ou en amplifie les propriétés. Ainsi,dans Les Fontaines du paradis, Arthur C. Clarke décrit laconstruction d’un ascenseur spatial, très long câble

fixé à la surface de la Terre et permettant d’accéder àl’espace. Clarke nomme «monofilament » lamatièrede son câble et extrapole les propriétés des fibres decarbone ou des fibres polymères à haute résistancecomme le kevlar. Depuis, la physique desmatériaux aprogressé et les physiciens ont découvert le nanotubede carbone. Il s’agit d’un cylindremille fois plus finqu’un cheveu, constitué d’atomes de carbone agencésselon unmotif hexagonal. Ces nanotubes ont les pro­priétésmécaniques nécessaires à la construction d’unascenseur spatial,mais pour l’instant, on ne sait en fa­briquer que des brins ne dépassant pas quelquesmilli­mètres de longueur…Les super­métaux imaginaires sont aussi couram­

ment invoqués pour réaliser armes (pensez aux griffesen adamantiumdeWolverine), armures (lemithrilforgé par les Nains du Seigneur des anneaux) ou coquesde vaisseaux interstellaires (le duracier de StarWars).Malheureusement, la physique nous enseigne qu’ilexiste une limite à la résistance desmétaux, fixée es­sentiellement par l’énergie de liaison des atomes quiles constituent. Le « neutronium » est un autrematé­

riau qui a inspiré la science­fiction. Le terme fait réfé­rence à une forme dematière aussi dense que le noyaudes atomes, que l’on trouve dans le cœur d’une étoile àneutrons.Verrons­nous un jour ces fabuleuxmatériaux ?

D’une certaine façon, ils sont déjà là,mais pas où nousles attendions : plantes et animaux produisent desmatériaux organiques impressionnants commeparexemple la sporopollénine, polymère qui compose lesparois des spores, pollens et de certaines algues, capa­ble d’encaisser des chocs et des températures extrê­mes. A quand une soie d’araignée artificielle, dont laconfigurationmoléculaire pourrait, comme sonmo­dèle organique, s’adapter aux changements de tempé­rature et d’humidité ? Les applications du biomimé­tisme sont prometteuses : polymères auto­réparants,os synthétique, conducteurs organiques, surfacesauto­nettoyantes, céramiques à hautes performances,nanomatériaux, la liste est longue desmatériaux quivont faire parler d’eux. Ceux que le vivant et la physi­que nous révèlent sont sans doute en train de transfor­mer la science­fiction d’hier en réalité d’aujourd’hui ! p

Des algues sous unSoleil violetUn projet français vise à combinerdes capteurs photovoltaïques et desmicroalgues pourmieux absorberl’énergie solaire. PAGE 3

10 000heures sous lesmersRencontre avecMichel L’Hour, patronde l’archéologie sous­marinefrançaise, sur l’André­Malraux, lenavire dont il avait rêvé. PAGE 7

Réparer les nerfsUne équipeaméricaine est parvenue à susciterdesmouvements volontaires desjambes chez des personnes paralyséesdesmembres inférieurs. PAGE 2

CHRISTOPHE MAOUT POUR « LE MONDE »

c a rt e b l an ch e

RolandLehoucqAstrophysicien,

Commissariat à l’énergieatomique et aux énergies

alternatives(PHOTO: MARC CHAUMEIL)

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2 | 0123Mercredi 9 avril 2014 | SCIENCE &MÉDECINE | A C T U A L I T É

Paralysés:desprogrèsàpetitspasn e u r o l o g i e | Uneéquipeaméricaineestparvenueàfaireexécuterdesmouvementsintentionnelsdesjambes

àdespatientsparalysésdesmembresinférieurs

florence rosier

M ardi 8 avril, la revue Brain apublié les saisissants résul­tats, chez l’homme, d’unestratégie de stimulationélectrique de la moelle épi­nière. Quatre patients pré­

sentant une paralysie complète des membresinférieurs, après un accident survenu deux àquatre ans plus tôt, ont été capables d’exécuterde nouveau desmouvements intentionnels as­sez précis des jambes. Chaque année en France,de 1 000à 1 500personnes sont victimesde telsaccidents – le plus souventdes adultes jeunes. Ala suite d’une lésion plus oumoins complète dela moelle épinière, elles se retrouvent paraly­sées à des degrés variables.Chez les quatre hommes suivis dans l’étude

de Brain, une équipe américaine (université deLouisville et université de Californie à Los An­geles) a implanté un module de stimulationélectrique dans « l’espace épidural » (entre ladure­mère et le canal vertébral) de la régionlombo­sacrée. Là, précisément, où aboutissentles fibres des neurones qui contrôlent les mus­cles des jambes.La stimulation continue de ces neurones a

permis aux quatre patients de bouger de façonvolontaire leur hanche, leur cheville, leurs or­teils… « Il faut abandonner l’idée qu’aucune ré­cupération n’est possible après une paralysiecomplète », estime Susan Harkema, qui a con­duit ce travail, financépar la FondationReeve etles NIH américains. Pour autant, « on ne peutimaginer qu’avec cette seule intervention, ces pa­tients remarcheront un jour dans la rue, tem­père le professeur Grégoire Courtine, de l’Ecolepolytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).Mais c’est un résultat extrêmement prometteur :avec cette seule stimulation électrique, les quatrepatients testés ont été capables de transformerune entrée auditive, par exemple la demanded’un médecin de bouger leur cheville, en une ré­ponsemotrice spécifique. »

Grégoire Courtine est un spécialiste de« neuro­réhabilitation », une stratégie combi­nant trois approches : une stimulation chimi­que et une stimulation électrique de la moelleépinière, associées à un entraînement physi­que. En 2012, son équipe publiait dans Scienceune étude qui a fait grand bruit. Les cher­cheurs parvenaient à rétablir une marche vo­lontaire chez des rats rendus paraplégiquespar une lésion médullaire de la moelle épi­

nière. Ils injectaient dans la moelle, sous la lé­sion, un « cocktail» de molécules activatrices(adrénaline, noradrénaline, dopamine…). Puisils appliquaient une stimulation électriquesur la moelle épinière. Les rats paraplégiquesainsi stimulés étaient placés sur un tapis rou­lant, soutenus par un harnais robotisé. Aprèsdeux mois d’entraînement, ils avaient réap­pris à marcher volontairement – quand la lé­sion n’était pas complète. « Depuis 2012, nousavons progressé dans l’optimisation des tech­nologies de stimulation électrique et d’entraî­nement robotique. Nous envisageons de pro­chains essais chez l’homme, indique GrégoireCourtine.Notre approche ne guérira pas les pa­tients. Mais elle ambitionne d’améliorer leurqualité de vie.»Plusieurs approches complémentaires se con­

sacrent à la régénération des neurones. « Pour­quoi, chez l’hommeou la souris, les fibres du sys­tème nerveux périphérique parviennent­elles àrepousser, tandis que celles du système nerveuxcentral [cerveau et moelle épinière] en sont in­capables ? », s’interroge le professeur BernardZalc, qui a dirigé le Centre de recherche de l’Ins­titut du cerveau et de la moelle épinière (ICM,UPMC, Inserm,CNRS), à Paris. Unedes réponsesvient de la « myéline », cette gaine qui entoure

certaines fibres nerveuses. « Martin Schwab, del’université de Zurich, a isolé les protéines de lamyéline du système nerveux central. Et montréque l’une d’elles, NOGO, inhibe la repousse del’axone », ce prolongement du neurone quitransporte le message nerveux, souligne Ber­nard Zalc. Ce qui a conduit à la mise au pointd’un anticorps anti­NOGO, inhibant cette inhi­bition. « Cette approche s’inscrit dans une voie

qui vise à rendre l’environnement neuronal plusfavorable à la repousse des axones », note Gene­viève Rougon (CNRS­université Aix­Marseille).Outre la piste de lamyéline, est explorée la voiedes astrocytes », des cellules au rôle ambigu.Tantôt elles semblent entraver la repousse axo­nale en formant une cicatrice autour de la lé­sion. Mais selon un travail publié dans Sciencele 1ernovembre 2013, certains astrocytes bénéfi­ques se différencient à partir de cellules sou­ches présentes dans la moelle épinière lésée.« Si l’on perturbe cette barrière d’astrocytes, il y amoins de récupération fonctionnelle », souligneGrégoire Courtine.Une stratégie de thérapie génique a été pu­

bliée le 2 avril dans The Journal of Neuroscien­ces. Une équipe du King’s College, à Londres, ainjecté un vecteur viral dans la lésion médul­laire de rats adultes. Ce vecteur contenait legène d’une enzyme : une « chondroïtinase »,qui digère des molécules s’accumulant autourde la lésion. Résultats : la repousse axonale aaugmenté, favorisant la récupérationdes pattesarrière des rats traités.Une autre approche consiste àmodifier géné­

tiquement les neurones lésés pour faire re­pousser leurs axones. « De nombreux laboratoi­res cherchent à identifier, dans le système ner­veux périphérique, les molécules favorisant lacroissance et la régénération axonales. Il s’agitensuite de promouvoir leur fabrication par lesneurones lésés du système nerveux central », ditFlorence Bareyre, de l’université Ludwig­Maxi­milians à Munich (Allemagne). A cet égard, lerôle bénéfique d’une protéine, PCAF, vientd’être montré (Nature Communications,1er avril).Toutes ces approches restent très en amont

d’une application chez l’homme. D’autant queplusieurs essais ont été abandonnés. L’intérêtde l’anticorps anti­NOGOaainsi été évalué chezl’homme. Mais cet essai, promu par le labora­toire Novartis, semble avoir été stoppé – entoutediscrétion…Demême,des start­upaméri­caines avaient lancé de petits essais pour éva­luer des greffes de cellules souches dans lamoelle épinière de patients paralysés. Ces es­sais ont été interrompus. « Une étape d’évalua­tion chez le primate est indispensable », noteGrégoire Courtine. p

FraudescientifiquedanslescellulessouchesHarukoObokata,unechercheusejaponaise,estsoupçonnéed’avoirfalsifiédesrésultatsprésentésdanslarevue«Nature »

paul benkimoun

F aut­il y regarder à deuxfois lorsqu’une presti­gieuse revue scientifiquepublie un article relatant

une percée spectaculaire ? L’in­quiétante question mérite d’êtresoulevée à la lumière d’une nou­velle affaire de fraude reprochée àune jeune chercheuse japonaise,premier auteur de deux articlessur une nouvelle méthode pourobtenir facilement des équiva­lents de cellules souches, parusen janvier dansNature.Directrice d’une unité de re­

cherche au réputé Centre de bio­logie du développement Riken, àKobé (Japon), Haruko Obokata a30 ans et l’image d’une scientifi­que des plus brillantes. Ellen’avait pas encore 20 ans, quandelle a été admise au départementdes sciences de l’universitéWaseda à Tokyo, puis est passée

par Harvard. Dans Nature du10 janvier, elle expliquait com­ment elle avait obtenu des cellu­les pluripotentes – capables de sedifférencier en diverses lignéescellulaires – à partir de cellulesdéjà différenciées, des lymphocy­tes (globules blancs) de souris.Reprogrammer des cellules dif­

férenciées n’est pas inédit. Ha­

ruko Obokata affirmait avoirtrouvé une solution simple : ren­dre plus acide le milieu dans le­quel sont cultivés des lymphocy­tes, voire triturer ces globulesblancs. Les deux textes publiéspar Nature sont cosignés par deschercheurs japonais chevronnésetMartin Vacanti, de la faculté demédecine deHarvard.Problème : ceuxquiont tentéde

reproduire ces travaux n’y sontpas parvenus. D’où une suspicionqui a fait passer au crible les écritsde la chercheuse. Un des coau­teurs ademandé le retrait de cettepublication, arguant que les ré­sultats étaient en partie faux. Lecentre de recherche Riken a alorsmis en place une commissiond’enquête sur ces travaux.Mardi 1er avril, le centre a an­

noncé que Haruko Obokata avaitdélibérément fabriqué les don­nées permettant d’arriver aux ré­sultats publiés dans Nature. Ces

griefs s’appuyaient sur la base deses « notes de recherches frag­mentaires et non datées » et sur laréutilisation d’images déjà em­ployées dans ses travaux pourson doctorat, sur un sujet diffé­rent. Le président de la commis­sion d’enquête, Shunsuke Ishii, aindiqué à la presse que « Obokataest la seule responsable de cettefaute professionnelle ». Mme Obo­kata a rejeté ces conclusions.

« Coupmédiatique »Le directeur du centre Riken a

précisé que le rapport de la com­mission d’enquête n’avait pas ré­cusé toutes les données obtenuesdans lecadredecetterecherche.Lecentre Riken va donc repartir dezéro pour aumoins une année derecherches, afin de déterminer sile procédé fonctionne et si les cel­lules obtenues peuvent effective­ment se différencier en différentstissus et organes.

Directeurscientifiquedel’I­Stem(unité Inserm 861) au Genopoled’Evry,Marc Peschanski s’agace del’attitude de la revue Nature. « Latechnique proposée est testable enquinze jours. Il n’était donc pas trèscompliqué de vérifier la solidité deces résultats,maisNatureapréféréfaireuncoupmédiatique. Lesgran­des revues commeNature, Scienceou Cell publient des travaux pré­sentés comme des évangiles sansprendre assez de précaution.Quand une publication représenteune percée spectaculaire, cela justi­fie de vérifier deux fois plus. »Un avis que ne partage pas

LaureCoulombel, directrice de re­cherche à l’Inserm (U935) et ré­dactrice en chef de Médecine/Sciences : « Répliquer les résultatsd’une recherche publiée est essen­tiel, mais il paraît difficile que lesrevues l’organisent. Commentchoisir ce qu’il faut répliquer ? Lesarticles étaient cosignés par des

auteurs chevronnés. C’était à euxet au laboratoire auquel appar­tient la chercheuse de s’assurer dela solidité des résultats. »Marc Peschanski souligne un

facteurnouveaudans ce typed’af­faire :« Quandces résultats ont étépubliés, très vite de nombreuseséquipes ont essayé de les répliquer,comme cela se fait classiquement.La différence est l’accélération con­sidérable de la circulation de l’in­formation sur les réseaux sociaux.Les premières équipes qui consta­taient que le procédé ne fonction­naitpas l’ont indiquésurTwitterendemandant si d’autres y parve­naient. Cela s’est propagé commeune traînée de poudre. »Pour Laure Coulombel, « cette

affaire amène à réfléchir plus glo­balementà cetattrait du scoop im­médiat, qui explique au moinspour partie l’augmentation dunombre d’articles qui font l’objetd’un retrait ». p

« On ne peut imaginer qu’aveccette seule intervention,ces patients remarcheront

un jour dans la rue »professeur grégoire courtine

Ecole polytechnique fédérale de Lausanne

Haruko Obokata.KYODO KYODO / REUTERS

Victime d’un accident demotocross, Kent Stephenson fait partie des volontaires testésà l’université du Kentucky à Louisville.

COURTESY OF THE UNIVERSITY OF LOUISVILLE

C’est une approche extrêmement originale qui est décrite dans une étude publiéedans Science, le 4 avril. Les auteurs sont parvenus à contrôler par voie optique la fonc­tion desmuscles des pattes arrière de souris dont le nerf sciatique avait été lésé– court­circuitant ainsi le réseaumoteur cérébral. L’équipe d’Ivo Lieberam, duKing’sCollege, à Londres, a d’abord produit des neuronesmoteurs à partir de cellules sou­ches embryonnaires de souris. L’astuce a été d’incorporer dans ces cellules un gènequi produit la rhodopsine­2 : un canal ionique sensible à la lumière.Puis les auteurs ont greffé cesmotoneurones – fabriquant ce canal ionique – dans unebranche partiellement dénervée dunerf sciatique de souris adultes. Les cellules gref­fées ont survécu et établi des connexions au sein dunerf sciatique. En stimulant parlaser l’ouverture de ce canal ionique, les chercheurs ont contrôlé les contractionsmus­culaires des pattes arrière des animaux. « On est encore très loin d’une application chezl’homme,mais ce type d’approche est porteur d’un potentiel énorme », commenteGré­goire Courtine (EPFL­Lausanne).

La lumièreausecoursdesmuscles

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A C T U A L I T É | SCIENCE &MÉDECINE | Mercredi 9 avril 20140123 | 3

Ataxie de FriedreichRésultats prometteursd’une thérapie géniqueTestée avec succès chez des souris, unethérapie génique doit bientôt faire l’ob­jet d’un essai clinique chez des patientsatteints d’unemaladie rare, l’ataxie deFriedreich, a annoncé l’équipe françaised’Hélène Puccio (Inserm­CNRS, univer­sité de Strasbourg) et du professeur Pa­trick Aubourg (Inserm, hôpital Bicêtre,Paris­Sud), en présentant les résultatspréliminaires.Maladie héréditaire asso­ciant des troubles neurodégénératifs,une atteinte cardiaque et un risque ac­cru de diabète, l’ataxie de Friedreich estdue à unemutation d’un gène FXN. Cel­le­ci entraîne une baisse de productiond’une protéine, la frataxine, qui perturbel’activité desmitochondries, les usines àénergie de la cellule. Au bout de dix àvingt ans d’évolution, lesmalades se re­trouvent en fauteuil roulant, et ils peu­vent succomber à des complications car­diaques. Grâce à un virus adéno­associéexprimant la protéine défaillante, admi­nistré en une seule injection intravei­neuse, les chercheurs français ont ob­tenu un rétablissement complet ducœur de souris, à un stade avancé deleurmaladie cardiaque. Délivrée plusprécocement, cette thérapie génique apu prévenir le développement de l’at­teinte cardiaque.>M.Perdomini et al., « NatureMedicine », 6 avril

UnSoleilvioletpourcultiverlesalguesb i o é n e r g i e | DanslesAlpes­Maritimes,chercheursetindustrielsvonttesterlacoproduction demicroalguesetd’électricitésousdesserresexpérimentales

pierre le hir

U ne culture trèsénergétique estsur le pointd’éclore dans uneserre expérimen­tale inaugurée,

lundi 7 avril, sur la technopole deSophia Antipolis (Alpes­Mariti­mes) : un cocktail de biocarbu­rant et d’électricité photovoltaï­que, dont la recette constitueraune premièremondiale. Le projetPurple Sun («Soleil violet»),porté par sept partenaires scien­tifiques et industriels français,avec un budget de trois millionsd’euros sur trois ans, pourraitmarquer le véritable essor de la fi­lière des carburants issus des mi­croalgues. Une alternative auxbiocarburants actuellement surle marché, qui concurrencent lescultures alimentaires et affichentun mauvais bilan environne­mental, comme à ceux tirés dubois et des déchets végétaux, en­core en gestation.Les microalgues, dont il existe

plusieurs centaines de milliersd’espèces dans les océans, les lacset les rivières, ont l’avantage depouvoir être cultivées dans desenceintes confinées (des photo­bioréacteurs), mais aussi dans desbassins à ciel ouvert oumêmedesmarais salants. Leur accumula­tion de matière végétale par pho­tosynthèse est phénoménale, etelles stockent une grande quan­tité d’huiles et des sucres à partirdesquels peuvent être élaborés du

biodiesel et du bioéthanol. Enoutre, elles permettent de recyclerdu CO2 industriel et des résidusd’engrais, nitrates ou phosphates,qui dopent leur croissance.Problème : « Les procédés actuels

de culture et d’extraction consom­ment autant d’énergie que les mi­croalgues en restituent », indiqueOlivier Bernard, de l’Institut natio­nal de recherche en informatiqueet en automatique (Inria). Voilàpourquoi ce phytoplancton estaujourd’hui cultivé dans lemondepour des marchés à forte valeurajoutée – compléments alimen­taires, cosmétiques ou médica­ments –,mais n’offre pas encore larentabilité nécessaire pour satransformation enbiocarburant.« Notre objectif, décrit le cher­

cheur, est de combiner produc­tion de biomasse algale et pro­duction d’électricité, en utilisantsélectivement la lumière. » La na­ture n’étant pas aussi parfaitequ’on l’imagine parfois, la photo­synthèse dont les végétaux tirentleur énergie vitale exploite mal,en effet, la totalité du spectre so­laire. Les plantes ne profitent qued’une partie de ce rayonnementet souffrent même d’un excès delumière qui, en détruisant desprotéines­clés de leurs cellules,provoque des phénomènes dephotosaturation ou de photo­in­hibition délétères pour leurcroissance.

D’où l’idée de partager le flux delumière solaire, c’est­à­dire les lon­gueurs d’ondes, ou les couleurs.Certaines serviront à faire semul­tiplier les microalgues, qui tirentsurtout parti du bleu et du rouge– d’où le nom du projet, « Soleilviolet ». Les autres activeront descellules photovoltaïques pour gé­nérer de l’électricité. Il y faudra lapose d’un revêtement spécial surles serres.C’est ici qu’intervient la société

Sunpartner Technologies, unejeune PME d’Aix­en­Provence spé­cialiséedans les filmsphotovoltaï­ques pour écrans de téléphonesportables et de tablettes, vitragesou panneaux publicitaires. « Nousallons jouer sur les matériaux, latransparence et les zones d’ombrepour répartir au mieux les lon­gueurs d’onde », annonce son res­ponsable technique, Frank Edmé.La première phase a consisté à

tester la réponsedesouchesdemi­croalgues aux variations de condi­tions lumineuses et de tempéra­ture, explique Antoine Sciandra,directeur du laboratoire d’océano­graphie de Villefranche­sur­Mer(CNRS­Université Pierre­et­Marie­Curie). Les essais se poursuivrontdans la serre photovoltaïque deSophia­Antipolis, de 700 m², etdans un second démonstrateur,de 60 m², installé à Villefranche­sur­Mer. « Rapportée à la surfaced’un terrain de football, la produc­tion annuelle escomptée est de50 tonnes de biomasse algale, soit15 tonnes de biocarburant, et de200mégawatt­heures », calculeOlivier Bernard. Le dispositif de­viendrait ainsi « à énergie posi­tive », le surplus d’électricité étantinjecté sur le réseau. Une « étape­clé vers un développement indus­triel » qui pourrait intervenir « àhorizon de quelques années ».« Le principe des serres photovol­

taïques pour microalgues pourraitêtre étendu à d’autres cultures »,pense Christine Poncet, directriceajointe de l’Institut Sophia Agro­biotech (INRA­CNRS­Université deNice). Il existedéjà, dans lemonde,entre trois et cinqmillions d’hec­tares cultivés sous serre. EnFrance, quelque 80 000 hectaresde serres sont recouverts de pan­neaux solaires.Mais beaucoup de ces installa­

tions ne visaient que la rente fi­nancière tirée de la revente d’élec­tricité : certaines n’abritaientmême aucune production agri­cole. A l’avenir, le Soleil pourrait yfaire pousser, en synergie, légu­mes, fruits etwatts électriques. p

Lesmicroalguesstockent une

grande quantitéd’huiles et dessucres, à partir

desquels peuventêtre élaborésdu biodiesel

et du bioéthanol

Photobioréacteurs destinésà évaluer l’effet d’une lumièrecolorée sur les microalgues.

CHARLOTTE COMBE. LABORATOIRE D’OCÉANOGRAPHIE

DE VILLEFRANCHE-SUR-MER (CNRS/UPMC)

t é l e s c o p e

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4 | 0123Mercredi 9 avril 2014 | SCIENCE &MÉDECINE | É V É N E M E N T

DonnéessensiblesL’équationimpossible

n u m é r i q u e

Lecroisementdesfichiersdedonnées– desanté,démographiquesoufiscales –metenpéril l’anonymat.Diversessolutionstechniquessontdéveloppéespourconciliertransparenceetconfidentialité

david larousserie

L a scèneadequoi inquiéter.Devant sonécrand’ordina­teur, un patron peu scru­puleux cherche à en savoirplus sur le dossier médicald’un employé fréquem­mentmalade. Connecté ausite Web de l’entreprise

Health Aware, il renseigne non pas lenom de son salarié mais le nombre deshospitalisations, lemois et les durées desséjours. Il entre aussi le code postal de laville de résidence, l’âge et le sexe de sa« cible » ; 0,023 seconde plus tard, le ser­vice commercial a trouvé l’identité cher­chée et, moyennant finance, livre la tota­lité des connaissances médicales surl’employé…«Mon exemple fictif et ma démonstra­

tion ont frappé le public », se souvientDo­minique Blum, praticien hospitalier àMunster, qui a exposé les failles de l’ano­nymisation des fichiers de santé lors del’université des correspondants informa­tique et libertés en janvier 2012. Selon lui,89%despersonneshospitaliséesune foisen 2008 et 100% de celles hospitaliséesdeux fois sont théoriquement identifia­

bles grâce au fichier PMSI (Programmedemédicalisation des systèmes d’informa­tion), qui contient les données d’hospita­lisationdeplusde23millionsde séjours àl’hôpital.Cette conclusion choc a été rappelée

par Pierre­Louis Bras et André Loth dansleur rapport à la ministre de la santé enseptembre 2013 sur la gouvernance etl’utilisation des données de santé. Lemême Dominique Blum, auditionné endécembre 2013 par un groupe de travailréuni pour faire suite à ce rapport, a réci­divé. Cette fois, il a démontré que le fi­chier des moyens séjours permet, luiaussi, de retrouver des informations ca­chées comme les dates de séjour, ouvrantla voie à des réidentifications.Comment se fait­il que des fichiers ano­

nymes ne le soient pas tant que cela ?C’est dû à un théorème démontré en2006 par Cynthia Dwork, chercheusechez Microsoft. Impossible d’assurer uneprotection complète des données dites« sensibles » (maladie, salaire, chiffred’affaires d’une entreprise), dès lors quel’« attaquant » dispose d’informationsannexes dites « quasi identifiantes » quipeuvent être aussi anodines que l’âge, lelieu de résidence, le sexe…

En fait, le problème n’est pas qu’un fi­chier contiendrait des identités mal ca­chées. Il vient que celui­ci permet de re­trouver des informations sensibles surun nom bien particulier, en le croisant

avec d’autres registres. Pour reprendrel’exemple des hospitalisations, le rapportBras­Loth cite ainsi le fait que « plusieurshommes nés le même mois de la mêmeannée ont pu être hospitalisés trois joursen février 2010 à l’hôpital X ;mais il n’y ena sansdoutequ’un seul qui ait étéhospita­lisé six mois plus tard pendant dix jours à

l’hôpital Y et ait dans l’intervalle consultéplusieurs fois à l’hôpital Z ».Cette gymnastique intellectuelle est

peut­être fictive pour le PMSI et ses déri­vés… mais plusieurs exemples ont déjàmontré la réalité des risques. En 1997, La­tanya Sweeney, alors étudiante auMassa­chusetts Institute of Technology (MIT),identifie le gouverneurduMassachusettsdans un fichier de santé anonymeà l’aided’un fichier d’électeurs, payantmais bienfourni. En 2007, grâce à un échantillon dedonnées du loueur de vidéos en ligneNetflix, des chercheurs de l’université duTexas parviennent à retrouver les préfé­rencesdesutilisateursetdonc leursgoûtspersonnels.En janvier 2013, le généticien Yaniv Er­

lich publie dans Science saméthode pouridentifier les personnes à qui appartien­nent des séquences génétiques pourtantanonymes. En mars de la même année,une équipe duMITmontre qu’il faut seu­lement quatre informations sur un utili­sateur de téléphone portable pour re­trouver l’ensemble de ses traces d’appelslocalisés parmi 1,5million…Ces cas ne paralysent cependant pas les

volontés de diffusion plus larges desdonnées confidentielles. « L’accès à cer­

Une première solutionest de restreindrel’accès aux donnéesles plus détaillées

aux administrationsou aux chercheurs

CHRISTOPHE MAOUT POUR « LE MONDE »

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É V É N E M E N T | SCIENCE &MÉDECINE | Mercredi 9 avril 20140123 | 5

taines informations est crucial pourl’alerte, la veille, l’action, notamment surles sujets de santé ou d’environnement.L’attente des citoyens est grande », rap­pelle Corinne Bouchoux, sénatrice (Eu­rope écologie ­ Les Verts) et rapporteusede la mission sur l’accès aux documentsadministratifs et données publiques, quitermine ses auditions.Notant l’intérêt d’un accès plus large,

Avner Bar­Hen et Antoine Flahault, dansLeMonde du 9mars 2013, dénonçaient lemanque de transparence et plaidaientpour autoriser «enfin l’accès aux donnéesde santé en fonction des questions posées,et non à une caste d’experts autorisés.L’avenir de la santé publique et de notresystème social dépend des chercheurs,mais aussi des journalistes, des industrielsou des groupes de citoyens».Il est cependant difficile de concilier les

exigences de confidentialité et de trans­parence. Pour y voir plus clair, à la suitedu rapport Bras­Loth, une commissiondite « open data santé » a été constituéeen novembre 2013 par le ministère de lasanté. Un groupe de travail, piloté par laDirection de la recherche, des études, del’évaluation et des statistiques (Drees), lui

a été adjoint sur le thème spécifique du« risque de réidentification et de mesu­sage » (RiRe).« Nous avons été surpris de constater

que ce sujet est encoreun chantier relative­ment neuf. Nous pensions arriver plus viteàdes lignesdedémarcationclaires entre cequi peut être diffusé et ce qui doit rester enaccès restreint », expliqueAndréLoth, res­ponsable de ce groupe de travail et admi­nistrateur général à la Drees. Ce groupe apu mener un travail d’évaluation du ris­que sur des données réelles, notammentissues du PMSI.Une première solution pour éviter ce

risque est de restreindre l’accès aux don­nées les plus détaillées, aux administra­tions ou aux chercheurs. Plusieurs dispo­sitifs existent. Les Etats­Unis ou l’Allema­gne invitent les chercheurs à consulter lesdonnéesdansdes locauxspécifiques, sor­tes de bunkers. Au Danemark ou auxPays­Bas, des logiciels permettant l’accèsaux données et empêchant de les copiersont installés sur lesordinateursdes cher­cheurs dans leurs laboratoires. En Nor­vège, des CD­Rom sont envoyés par cour­rier ou par le réseau Internet.

La France, qui a aussi des pratiquessemblables à la Norvège pour les sciencessociales grâce au portail du réseauQuete­let, vient de lancer une solution origi­nale : l’accès à distance par boîtier avec lecentre d’accès sécurisé distant (CASD).Dans tous les cas, l’autorisation par diffé­rents comités d’éthique est obligatoirepour les données les plus détaillées. Dessanctions pénales pour violation du se­cret (fiscal, médical…) sont prévues (enFrance, un an d’emprisonnement et15 000 euros d’amende).La seconde solution, non exclusive des

premières, consiste à modifier intelli­gemment un fichier. Le premier réflexeest d’ôter les noms et de les remplacer parun pseudonyme, mais dans certains cas,notamment pour la santé, il peut être vi­

tal de pouvoir faire l’opération inverse etretrouver unnomàpartir du pseudo. De­puis les années 1990, la France a, pour lePMSI notamment, mis au point la mé­thode FOIN : cette «fonction d’occulta­tion des informations nominatives »consiste à transformer mathématique­ment le sexe, ladatedenaissanceet lenu­méro d’assuré du patient en une suite decaractères incompréhensibles. Fairel’opération inverse est quasi impossible,sauf à disposer d’une clé de chiffrementmathématique, dont seules disposent lesadministrations.Plusieurs opérations de FOIN sont opé­

rées entre le niveau local et le niveau na­tional afin de brouiller les pistes. Ellesaboutissent à l’attribution d’un identi­fiant chiffré unique à chaque patient.« Cette technique permet de procéder àdes appariements entre fichiers de diffé­rentes origines », explique CatherineQuantin, de l’université de Bourgogne,qui a contribué au développement de laméthode FOIN. « Mais si on parvient à re­trouver la ligne correspondant à un pa­tient particulier dans le fichier, alors ondispose de toutes les informations surlui », rappelle Dominique Blum, qui sug­gère de limiter la diffusion de ce « chaî­nage » entre les informations de séjourshospitaliers, car 95 % des dépositaires duPMSIn’auraientpasbesoin, dans les faits,de cette possibilité.Un autre réflexe est de passer de la

pseudonymisation à l’anonymisationproprement dite. Pour cela, lesmathéma­ticiens ont été imaginatifs. BenjaminFung, de l’université Concordia à Mon­tréal, et ses collègues ont dénombré en2010 une quinzaine de méthodes d’ano­nymisation et près d’une trentaine d’al­gorithmes ou de logiciels les utilisant.L’idée générale est de « flouter » oud’« appauvrir » les données.La « k­anonymisation », par exemple,

proposée par Latanya Sweeney en 2002,consiste à regrouper des individus detelle sortequ’aumoinsunnombrekd’en­tre eux soient impossibles à distinguerpar leur quasi­identifiant. Par exemple, lefichier diffusé ne contient pas l’âge exactdes personnesmais un agrégat : « trente­naire », « quadra », « quinqa ». On peutaussi regrouper par départements plutôtque par villes… « La k­anonymité peut nepas suffire », constatent Frédéric Cup­pens et Nora Cuppens­Boulahia, ensei­gnants­chercheurs à Télécom Bretagne(Brest) et ayant participé au groupe RiRe.En effet, dans notre exemple, tous les

quadras pourraient avoir la même mala­die. Auquel cas, si la cible est dans cettetranche d’âge, alors l’« attaquant » dis­pose d’une information sensible tirée dece fichier pourtant anonymisé. AshwinMachanavajjhala, de l’université de Cor­nell (New York), a proposé en 2006 d’évi­ter ce problème par laméthode de la l­di­versité. C’est un critère qui assure quechaque « paquet » de k­anonymes com­porte aumoins l données sensibles.Dans notre cas, lmaladies différentes. Il

faut donc faire de nouveaux regroupe­ments, comme réunir les quadras et lesquinquas, pour rendre plus hétérogène legroupe. Le problème est alors que lesdonnées sont si agrégéesqu’ellespeuventdevenir inutilisables… « Nous avons ce­pendantmontré qu’avec k = 10 et l = 3 (soittrois maladies), il est possible de diffuserdes fichiers à risque extrêmement limité deréidentification », signale André Loth.Qu’à cela ne tienne, d’autres ont pro­

posé non pas de « flouter » les fichiers,mais de les « brouiller ». Cynthia Dwork,dans son article de 2006, prône ainsi la

« confidentialité différentielle », qui con­siste à ajouter du « bruit ». On ajoute deslignes dans les fichiers ouon en retire, defaçon à ne pas modifier les propriétésstatistiques de l’ensemble.Dans un article de Pour la science de

novembre 2013, les chercheurs TristanAllard, Benjamin Nguyen et Philippe Pu­cheral l’illustrent avec la grippe. Pour sa­voir combien de personnes sont grip­pées parmi 100 dossiers, on peut ajouter1 000 dossiers fictifs auxquels unemala­die parmi quatre est attribuée équipro­bablement, dont la grippe. Il suffit alorsde compter l’ensemble des grippés et desoustraire 250 pour avoir le nombreexact.

« Mais il y a évidemment des réticencesdéontologiques àmettre à disposition deschercheurs des données fausses », souli­gne Roxane Silberman, directrice du ré­seau Quetelet et directrice scientifiquedu CASD. Et puis à chaque « question » ilfaut adapter laméthode de brouillage, cequi rend la technique peu opération­nelle. « En fait, il n’y a pas d’accord géné­ral sur ce qu’est un fichier bienanonymisé.Chacun a ses pratiques », note RoxaneSilberman. « J’ai pu constater aussi unécart entre les “théoriciens”, qui ont debelles idées, et les “praticiens”, qui recher­chent l’efficacité », indique un observa­teur des travaux du RiRe.Nora et Frédéric Cuppens font cepen­

dant état de nouvelles approches, encoreplus mathématiques. Voire magiques. Ils’agirait de faire des opérations statisti­ques sur les données… sans les voir, car

La seconde solution consisteàmodifier intelligemment

un fichier

L es prochains utilisateurs desdonnées de santé très détailléesdevrontmontrer patte blanche.

Cela passera sans doute par une carteà puce, une empreinte digitale et unboîtier réservé à la connexion aux ser­veurs abritant les précieuses informa­tions. C’est en tout cas de cettema­nière que, depuis 2010, plus de600 chercheurs accèdent de leur labo­ratoire à plus de 21 000 gigaoctets dedonnées confidentielles issues essen­tiellement de la statistique publique :sur les individus et lesménages, lesentreprises, la justice ou le secteuragricole. En attendant les données fis­cales (prévues depuis la loi sur la re­cherche de juillet 2013), voire de santé.« Longtemps les administrations ont

été réticentes à diffuser leurs fichierspour des questions de sécurité. Grâce àl’innovation technologique, nous sa­

vonsmaintenant gérer ce problème. No­tre dispositif rassure», explique KamelGadouche, du Groupe des écoles natio­nales d’économie et statistique (Genes).Il est aussi l’un des trois inventeurs dece système d’accès sur lequel repose leCentre d’accès sécurisé aux données(CASD). Ce dernier, financé notammentpar 4millions d’euros des investisse­ments d’avenir, est devenu en 2012 unedirection du Genes, dont l’Insee assurela tutelle technique. «Nous sommes untiers de confiance entre les producteursde données et les chercheurs. Les deman­des augmentent régulièrement au fur etàmesure de l’arrivée de nouveaux fi­chiers. Le CASD sera naturellement candi­dat pour fournir ce service aux cher­cheurs sur la santé », précise AntoineFrachot, le directeur général du Genes.Le dispositif repose sur un petit boîtier

noir connecté au réseau, à un écran et à

un clavier possédant un lecteur de carteà puce et d’empreinte digitale. Une fois lacarte introduite, puis après deux authen­tifications d’empreinte, la boîte se con­necte, par un canal chiffré, aux serveursde données, ce qu’on appelle la « bulle ».Sur l’écran apparaît l’interface familièred’un ordinateur de bureau sousWin­dows. Sauf qu’il est impossible d’impri­mer, demettre une clé USB ou de faireun copier­coller dans les tableaux dechiffres. Le chercheur n’a accès qu’auxdonnées pour lesquelles une autorisa­tion a été accordée.

83 euros par mois« Ce n’est pas la caverne d’Ali Baba »,

lance Kamel Gadouche. L’utilisateur aaussi à sa disposition des logiciels d’ana­lyse et de traitement des données ou debureautique. Il peut demander à avoirses propres programmes ou ses propres

données, après vérification des informa­ticiens du CASD. «Celamarche très biendans l’ensemble. Nous pouvons notam­ment croiser des informations entre plu­sieurs sources », témoigne ThierryMayer, professeur au départementd’économie de Sciences Po à Paris.En fin de projet, le chercheur rassemble

dans un fichier les informations qu’ilsouhaite sortir : analyses, tableaux, des­criptif de laméthode, voire article prêt àêtre envoyé à des revues scientifiques. Cefichier est alors envoyé à un service decontrôle du CASD. Des informaticiens vé­rifient qu’aucune information sensiblen’a été cachée dans les fichiers, parexemple en ajoutant des commentaires àun document. En outre, des statisticienss’assurent du respect des règles déonto­logiques et en particulier qu’aucune don­née ne peut permettre une identifica­tion. Enmoyenne, cela prend environ

trenteminutes. «Le seul souci, c’est le prixqui pourrait dissuader certaines recher­ches », estime ThierryMayer. Le CASD ré­torque que le coût, 83 euros parmois, estmoins élevé qu’à l’étranger.Le système a le vent en poupe avec

près de 200 boîtiers en circulation. Lecentre répondra à un appel d’offreseuropéen pour un accès sécurisé auxbases de données d’Eurostat. «Un projetpilote avec cette organisation, Dara, adéjàmontré notre efficacité», rappelleAntoine Frachot.Kamel Gadouche songe, lui, à la ver­

sion suivante du boîtier, intégrant leslecteurs de cartes à puce et d’empreinteset permettant de se connecter aussi auxfuturs serveurs dédiés aux grandesmas­ses de données (big data) privées ou pu­bliques, le TeraLab (Genes et InstitutMi­nes­Télécom). p

d. l.

Une« bulle »pourprotéger les fichiers

elles seraient toutes chiffrées. C’est leprincipe du chiffrement homomorphe(Le Monde du 6 avril 2013). En 2009, unchercheur d’IBM, Craig Gentry, a montréqu’il était possible de multiplier et d’ad­ditionner des nombres cryptés (donc« invisibles »), puis de déchiffrer le résul­tat pour avoir la vraie valeur. Sans savoirquels étaient les nombres originaux.

Le défaut est que la technique de­mande des calculs assez longs et qu’ellene peut s’appliquer pour l’instant à tousles types d’opérations statistiques. Néan­moins, dans une veine proche, les cher­cheurs de Brest ont pu développer unmoteur de recherche permettant de ré­cupérer des documents chiffrés.L’équipe de Philippe Pucheral à l’Insti­

tut national de recherche en informati­que et en automatique (Inria) envisageégalement une étape future. « Notre sys­tème est ouvert à toutes les méthodesd’anonymisation et nous proposons d’ef­fectuer les calculs de façon décentralisée,c’est­à­dire de telle sorte que l’auto­rité centrale n’ait jamais accès aux don­nées individuelles mais puisse faire desopérations tout de même. Chaque pa­tient garderait ses données, commele dossier médical par exemple », expli­que Philippe Pucheral, qui aimerait bientester à grande échelle son architecturesécurisée.Malgré les innovations techniques et

scientifiques, le sujet reste sensible. L’as­surance­maladie anglaise, en février, adû reporter de six mois son projetCare.data de centralisation des donnéesde santé devant de nombreuses criti­ques. Dans le même pays, l’entrepriseEarthware adû fermer enmarsun site deconsultationdedonnéesde santé car elleétait soupçonnée de s’être illégalementappropriée ces informations.En France, outre la commission « open

data santé », deux missions du Sénatsont en cours sur ces sujets. Une consul­tation portant sur 260 fichiers de don­nées de santé a aussi été lancée jusqu’au28 avril (Opendatasante.e­question­naire.com). Un projet de loi devrait sui­vre pour la fin de l’année. Quels fichierssortiront des coffres ? p

Qu’à cela ne tienne,d’autres ont proposénon pas de « flouter »

les fichiers maisde les « brouiller »

Délugeet fuitesd’informations

D eux cents numé­ros de cartesbancaires récu­

pérés par des piratesdans un restaurant duMinnesota aux Etats­Unis. 15 00noms d’étu­diants, leurs téléphones,leurs numéros d’assurés,leurs mails, probable­ment évaporés depuisun serveur infecté deleur université du Wis­consin. 1 079 noms depatients, leurs dates denaissance et des infor­mations médicales per­dues sur le portable d’unemployé de l’assurance­maladie anglaise…Tels sont quelques

exemples, enmars, defuites de données recen­sées par l’Open SecurityFoundation, associationaméricaine à but non lu­cratif. Depuis 2004, elle

farfouille dans le Web à larecherche d’incidents rela­tant des pertes de fichierset les enregistre dans sabase de données, Datalos­sdb.org. Elle collecte égale­ment les vulnérabilitésdes systèmes informati­ques.

2 164 incidents en 2013Dans son rapport de fé­

vrier, l’association a dé­nombré, en 2013, 2 164 in­cidents pour 822 millionsde données (un record !).Des cas demalveillancedans 70 % des cas; les 30%restant proviennent dedocuments égarés, de tra­ces laissées sur le Web, deportables perdus… 37 %des incidents révèlent desnoms, identifiants de con­nexion, mots de passe.Un quart des fuites sont

imputables à des em­

ployés des entreprises ouorganisations, comme cesalarié d’un centre d’appeld’Air France, en Floride,qui, enmars 2012, avaitvolé des numéros de car­tes bancaires et les nomsassociés.En 2013, 29 incidents ont

été rapportés pour laFrance. Point peu rassu­rant, 60 entreprises ontsubi plusieurs complica­tions – 260 problèmes ontconcerné des organisa­tions déjà touchées.Le record revient à l’en­

treprise Adobe, qui, en oc­tobre 2013, a vu ses ordina­teurs attaqués, ce qui aconduit au vol de 152mil­lions de noms, identifiants,numéros de cartes bancai­res… Depuis le début del’année, 538 incidents ontdéjà été rapportés. p

d. l.

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6 | 0123Mercredi 9 avril 2014 | SCIENCE &MÉDECINE | R E N D E Z ­ V O U S

Q ui n’a pas eu droit à un tour­noi de toupies avec ses ne­veux ? Ce jouet, connude­puis l’Antiquité, est revenu àlamode il y a quelque

temps : il nous fascine enmontrant lastabilité d’un corps en rotation sur lui­

même. Deuxphysiciens allemands (Fe­lix Klein et Arnold Sommerfeld) lui ontconsacré un volumineux traité en qua­tre tomes où ils le désignent commeun « instrument philosophique ». En vé­rité, la rotation est un concept à la foissimple et encoremystérieux.Il y a un siècle, un grandmathémati­

cien français, Elie Cartan, étudied’étranges objets qui ont un lien avecles rotations. Quelques années plustard, on trouve que ces spéculationsabstraites sont réalisées dans la nature,au niveaumicroscopique. Ondit en ef­fet souvent que certaines particulesélémentaires sont commede petitestoupies qui tournent sur elles­mêmes.Toutefois, c’est seulement une image.D’abord les particules, comme le pro­ton ou l’électron, ne sont pas de petitsobjets. Dans de nombreuses circons­tances, elles se comportent plutôtcommedes ondes.Parfois, on ajoute alors que ces parti­

cules sont dotées d’une propriété, ap­pelée spin, qui n’a pas d’équivalentdans le domaine de nos expériencesquotidiennes. Par exemple, les élec­trons ont un spin 1/2. Pour être plusprécis, il faudrait avoir recours aux en­tités découvertes par Cartan, les spi­

neurs. Leur propriété singulière estque, si vous prenez un spineur et quevous lui faites faire un tour sur lui­même (360degrés) il ne revient pas àl’état initial,mais ses composantessontmultipliées par un facteur − 1. Illui faudra deux tours complets pourrevenir à l’état initial. C’est une toupiemagique !Unpetitmodèle permet de visualiser

la question. Si vous prenez un rectan­gle de papier, avec un côté très long(par exemple dix fois plus long quel’autre), et que vous collez les deux cô­tés courts l’un sur l’autre, vous obtenezune rondelle de cylindre. Si, avant decoller, vous avez fait subir une torsiond’un demi­tour à l’une des extrémités,vous obtenez unobjet plus complexe,appelé ruban deMöbius. Une fourmiquimarche le long du ruban se re­trouve, après avoir fait un tour com­plet, sur le côté opposé à celui d’où elleétait partie, et, tout comme le spineur,il lui faudra deux tours pour revenir àson point de départ.Dans la nature, le spin joue un rôle

fondamental. Par exemple, toutes lesparticules qui forment lamatière,comme les quarks et les électrons,ont un spin 1/2 et se comportent un

peu comme le ruban deMöbius. Lesparticules qui décrivent les interac­tions fondamentales, comme cellesde l’électromagnétisme, ont un spin 1,et un comportement « normal » parrapport aux rotations. Les premièressont appelées fermions. Face au choixd’un grand nombre d’états libres, lesfermions se répartissent loin les unsdes autres, comme les baigneurs surune plage. Les deuxièmes, appelés bo­sons, ont au contraire tendance à semasser les unes sur les autres,comme parfois les voyageurs dansune rame demétro.Le spin, qui détermine ce comporte­

ment et donc toutes les propriétés delamatière, conditionne ainsi lemondedu quotidien. Invisible, il règne enmaître. Si tout cela vous laisse per­plexe, consolez­vous. Comme le dit lemathématicien anglaisMichaelAtiyah : « Personne ne comprend com­plètement les spineurs. Leur algèbre estcomprise formellementmais leur signi­fication estmystérieuse. D’une certainefaçon, ils décrivent la “racine carrée” dela géométrie, et tout comme il nous afallu des siècles pour comprendre la ra­cine carrée de − 1, il pourrait en aller demêmepour les spineurs. » p

L’animalqui valait3milliardsl e l i v r e

Quand les inventionsde la nature inspirentl’innovation

laurent brasier

P sikharpax est capable de parcourirun labyrinthe en reconnaissant lastructure des parois à l’aide de sesvibrisses. Normal pour un rat de la­

boratoire, direz­vous. Sauf que les organessensoriels de ce rongeur sont en fibre de car­bone ! Psikharpax est un rat­robot. L’un destrès nombreux exemples de découvertestechnologiques, robotiques et bioniques lesplus récentes que présentent Agnès Guillotet Jean­ArcadyMeyer, chercheurs à l’Institutdes systèmes intelligents et de robotique del’université Pierre­et­Marie­Curie Paris­VI(ISIR), dans un ouvragemalicieusement inti­tulé Poulpe fiction.Ces recherches bio­inspirées – ici limitées

auxmodèles animaux – sont abordées parde vastes catégories taxonomiques :mollus­ques, crustacés, insectes, poissons, amphi­biens, reptiles, oiseaux,mammifères – dontl’homme. Une présentation ludique et perti­nente, qui souligne la diversité des travaux etde leurs potentielles applications. Si vousaviez déjà entendu parler de la résistancemécanique du fil de soie des arachnides oude l’intelligence en essaim des insectes so­ciaux, peut­être ne saviez­vous pas que lamoule et le tofu sont à l’origine de la créationd’un adhésif pour contreplaqués, ou que lestermites sontmaîtresmaçons enmatière declimatisation, inspirant la construction debâtiments économiques.Ce vaste bestiaire robotique est en soi amu­

sant à passer en revue.Mais plus intéressan­tes encore sont les fenêtres ouvertes par cesrecherches enmatière d’applications pourl’homme (unœil inspiré de celui de lamou­che pourrait aussi bien servir à un alunissagequ’à l’assistance des personnesmalvoyantes)ou pour la recherche animale : les animauxeux­mêmes peuvent être étudiés par le biaisdemachines, comme cette abeille­robot sui­vie dans sa danse par de véritables abeilles.Du côté des robots inspirés par l’homme, le

spectre est aussi impressionnant: Robonautseconde les astronautes, des robots­matonspatrouillent dans les prisons coréennes etune kyrielle de robots jouent les pompiers,les auxiliaires de puériculture, les profes­seurs ou encore les infirmiers – si possibleavec une tête d’ourson, pour ne pas affolerles blessés par leur « inquiétante étrangeté ».Comment ces trouvailles influenceront­

elles le devenir de nos sociétés ? L’ouvragese contente d’ouvrir sommairement quel­ques réflexions (« roboéthique », « transhu­manisme »). Il est en tout cas des choses quine devraient pas varier. Ainsi du football, dé­fini par l’avant­centre britannique GaryLineker comme « un jeu simple» où, « à lafin, ce sont les Allemands qui gagnent» : lorsde la finale de la Coupe dumonde robotiquede football 2013, l’équipe allemande a ter­rassé les robots nippons 5 à 0, profitant desdifficultés de ces derniers pour se relever defaçon autonome… p

Poulpe fiction. Quand l’animal inspirel’innovation, d’Agnès Guillot et Jean­ArcadyMeyer (Dunod, 240 p., 19 €).

Lazare, lève­toietaboie !tente aussitôt de les ressusciter. Oncomprendmieux pourquoi les fox­terriers en question sont tous appelésLazare.Le projet est né dans son esprit l’an­

née précédente, après que Cornisheut tenté de ramener à la vie plu­sieurs cadavres, en les allongeant surune planche à bascule. Les techniquesmodernes de réanimation n’existantalors pas, l’idée de ce dispositif con­sistait à profiter de la gravité pour re­créer artificiellement une circulationsanguine en espérant que le déplace­ment du sang fasse repartir la ma­chine. Aucun des sujets ne ressuscitaet Cornish attribua cet échec au faitque, arrivant entre sesmains desheures après leur décès, ils s’étaienttrop refroidis et qu’aucune de ses ten­tatives pour les remettre à bonnetempérature (couverture chauffante,bain tiède, pièce à 35 °C) n’avait fonc­tionné. L’idéal eût été de disposer desmacchabées dans lesminutes suivantleurmort, mais la Camarde a la fâ­cheuse habitude de ne pas prendrerendez­vous.D’où l’idée de provoquer soi­même

le passage de vie à trépas sur deschiens. En contrôlant la mort, Cor­

nish pense avoir plus de chancesd’arriver à la résurrection. Les fox­terriers subissent d’abord une anes­thésie fatale avec unmélange d’étheret d’azote. L’équipe attend quelquesminutes après l’arrêt cardiaque puisse met au travail. Piqûre d’adrénalinepour faire repartir le cœur, injectiondans une veine d’unmélange desang de chien, de solution saline etd’un anticoagulant. L’animal estplacé sous oxygène dans une sortede berceau, où on le balance d’avanten arrière pour faire circuler le li­quide injecté.On ne sait pas ce qu’il est advenu du

premier Lazare, mais l’absence de ré­sultat est sûrement synonyme demauvais résultat… Pour les deux sui­vants, Cornish obtient des signes devie, mais les animaux ne sortent pasdu coma et remeurent au bout dequelques heures. Le quatrième fox seréveille après treize jours, mais il setraîne et, souffrant visiblement de sé­quelles au cerveau, il sera chien­zom­bie pour le restant de ses jours. Lecinquième Lazare sera le bon (tout lemonde n’est pas doué pour ressusci­ter lesmorts). Il ne lui faut que quatrejours pour se lever, manger, aboyer.

Bref, refaire sa vie de chien.Après ce succès, Cornish veut re­

tourner à l’humain. N’ayant pas uneâme d’assassin, il sollicite donc lesgouverneurs du Colorado, du Nevadaet de l’Arizona, trois Etats où les con­damnés àmort sont exécutés dansune chambre à gaz. Mais, dénués detout intérêt pour l’avancement de lascience, ces hommes politiques refu­sent. On imagine d’ailleursmal cequ’ils auraient pu faire d’un détenuressuscité… Le retuer ?L’histoire n’est pas terminée. En

1947, ThomasMcMonigle, installédans le couloir de lamort d’une pri­son californienne, fait appel à RobertCornish, lui disant qu’il veut bien ten­ter l’expérience. Mais le directeur del’établissement explique non sanshumour aumédecin que, étantdonné que les gazmettent une heureà être évacués de la pièce, il devraits’installer dans le fauteuil situé à côtéde celui deMcMonigle…L’on raconte que Cornish fut très

mécontent de cette réponse et qu’ilcessa de s’intéresser à ces expérien­ces de réanimation extrêmes. Au lieude cela, il lança samarque de denti­frice. La résurrectionmène à tout. p

Unocéansous laglaced’Encelade ?

Enmesurant des variations infimes de la vi­tesse de la sonde Cassini lors de trois survolsd’une lune de Saturne, Encelade, les astrono­mes ont acquis la conviction que celle­ci abri­tait un océan sous la couche de glace qui la re­couvre, dans la région du pôle Sud (Science du

4 avril). Ces changements de vitesse sont dus àdes fluctuations du champ de gravité liées à laprésence d’unemasse d’eau liquide profondede 10 kilomètres, recouverte par 30 à 40 km deglace. Une hypothèse concordant avec l’éjectionde panaches d’eau salée dans cette zone. p

Destoupiestrèsparticulières

I l y a quatre­vingts ans, au prin­temps 1934, le médecin améri­cain Robert Cornish entreprendune série d’expériences qui, à

l’époque, lui permettent d’incarnerjoliment la figure du savant fou : lechercheur tue en effet des chiens et

RevueEspèces: les ailes de l’évolutionLa revue d’histoire naturelle Espèces inau­gure une collection de hors séries sur lesmondes disparus. Le n°1, rédigé en grandepartie par le paléontologue Eric Buffetaut,balaie 160millions d’années d’histoire évo­lutive des oiseaux, depuis l’ancêtre Anchior­nis jusqu’au destin abrégé du dodo. Cettepublication coïncide avec une exposition àPaléopolis à Gannat (Allier).>Hors série «Espèces», avril, 84 p., 8,90€> Paléopolis:http://www.paleopolis­parc.com/

Livraison

NASA/JPL/SPACE SCIENCE

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l e s c o u l i s s e sd e l a pa i l l a s s e

MarcoZitoPhysiciendesparticules,

Commissariatà l’énergieatomiqueetauxénergiesalternatives

PHOTO: MARC CHAUMEIL

improbablologie

PierreBarthélémyJournaliste et blogueur

Passeurdesciences.blog.lemonde.frPHOTO: MARC CHAUMEI)

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R E N D E Z ­ V O U S | SCIENCE &MÉDECINE | Mercredi 9 avril 20140123 | 7

MichelL’Hour,patrondel’archéologiesous­marine

r e n c o n t r e | Ce«merrien »anaviguésurtouteslesmersduglobeeteffectuéplusdedixmilleheuresdeplongée

La chèvre, unefinaudequicache son jeu

z o o l o g i e

florence rosier

A ristote les qualifiait d’animaux « vifset versatiles ». Dans l’imaginairecollectif, les chèvres sont agilesmais fantasques, écervelées, capri­

cieuses. Lesmots « caprice » et « chèvre »n’ont­ils pas lamême étymologie latine, ca­pra ?Loin d’être nigauds, les caprins sont plutôt

finauds. C’est ce que révèle une étude publiéedans Frontiers in Zoologie, le 26mars, par uneéquipe de l’université QueenMary à Londres.« Une équipe allemande avait déjà observé queles caprins sont capables de discriminer des for­mes géométriques, indique Elodie Briefer, pre­mier auteur de l’étude. Et nous avons constatéque les chèvres savent ouvrir le loquet de leurbox. Leur bouche est trèsmobile. »Les auteurs ont évalué l’aptitude de douze

chèvres à apprendre une tâche complexe :ouvrir une boîte avec leur bouche, d’abord entirant un levier, puis en le soulevant pour sevoir délivrer une récompense alimentaire.Résultats : deux des chèvres testées ont optépour laméthode forte. Avec leurs cornes, cesesprits frondeurs ont secoué le dispositifpour accéder à la nourriture. Ces tricheusesont été exclues. Une autre chèvre n’est jamaisparvenue à apprendre cette tâche. Les neufautres, en revanche, ont réussi au bout detreize essaismaximum, soit en trois à sixjours.Les chercheurs ont évalué leur comporte­

ment dixmois plus tard, sans qu’elles aient puentre­temps interagir avec la boîte. «Mêmeaprès dixmois, nos animaux réussissaient à ac­complir cette tâche enmoins de deuxminutes.Les chèvres ont donc une bonnemémoire àlong terme, indique Elodie Briefer. Et elles sem­blent aimer cet enrichissement cognitif. »L’équipe londonienne a aussi comparé les

performances d’apprentissage des chèvresquand elles pouvaient ou non observer uncongénère accomplir la tâche.Mais les chè­vres bénéficiant de ces « démonstrateurs »n’ont pas appris plus vite. « Elles ont apprisprincipalement de façon individuelle », souli­gne Elodie Briefer.

« Les caprins sont des animaux explorateurs.Ce sont aussi des animaux sociaux, avec unegrégaritémoinsmarquée que celle des ovins etdes bovins. Cela peut expliquer l’absence de fa­cilitation sociale chez les chèvres dans cette ex­périence, commente Alain Boissy, éthologistedes ongulés domestiques à l’Institut nationalde la recherche agronomique (INRA) deClermont­Ferrand.Malgré tout, elles savent re­connaître et discriminer différents congénèresfamiliers, même après plusieursmois de sépa­ration. Chez les animaux domestiques, la co­gnition individuelle ne peut être dissociée de lacognition sociale. »Selon les auteurs, cette forme d’intelligence

expliquerait comment les chèvres parvien­nent à s’adapter facilement à des environne­ments rudes, où elles doivent explorer lemi­lieu pour en extraire leur nourriture. Lescaprins n’ont sans doute pas livré toute l’éten­due de leurs talents. Souvenons­nous deDjali,la chèvre savante d’Esméralda : «Une jolie pe­tite chèvre blanche, alerte, éveillée, lustrée », dé­crite par VictorHugo dansNotre­Dame de Pa­ris. En 1482, sur la place deGrève (l’actuelleplace de l’Hôtel­de­Ville), Djali savait déjàcompter. Samaîtresse lui tend son tambourpour répondre à ses questions. « “A quelmoissommes­nous de l’année ?” La chèvre leva sonpied de devant et frappa un coup sur le tam­bour. On était en effet au premiermois. Lafoule applaudit. “Djali, (…) à quel jour dumoissommes­nous ?”Djali leva son petit pied d’or etfrappa six coups sur le tambour. (…) Le peupleétait émerveillé. » p

Ouvrir une boîte avec leur bouche,c’est l’une des nombreuses aptitudes

des chèvres pour apprendreune tâche complexe.QUEEN MARY UNIVERSITY OF LONDON

t é l e s c o p e

viviane thivent

Sur l’«André­Malraux», envoyée spéciale

L es poings posés sur les hanches,Michel L’Hour considère l’engintéléguidé (ou ROV) qui dégoulineà ses pieds, sur le pont arrière del’André­Malraux, le navire du Dé­partement des recherches archéo­

logiques subaquatiques et sous­marines, leDrassm, qu’il dirige depuis 2006.Unposte dedirection pour lequel il s’est, de son propreaveu, battu. Créé en 1966 par AndréMalraux,le Drassm effectue des expertises sur 11 mil­lions de kilomètres carrés d’espaces immer­gés ainsi que sur les épaves françaises retrou­vées dans le monde. « Or, depuis des années,le département périclitait. Son navire, L’Ar­chéonaute, ne naviguait plus. Et le ministèreallait une fois de plus nommer un directeurignorant tout de l’archéologie sous­marine:alors j’aimenacé dedémissionner si l’onnemedonnait pas le poste. »Cequ’il a obtenu. Ainsiquedenouveaux locaux, à l’Estaque, des pos­tes supplémentaires et un bateau de recher­che qu’il a conçu avec son équipe, l’André­Malraux, mis à l’eau en 2012.« Plus opiniâtre que Michel, c’est pas possi­

ble, s’amuse Denis Metzger, le capitaine – oupacha – du navire. C’est un fou de boulot… etun vrai Breton!» Une appartenance régio­nale qu’à 60 ans, le directeur du Drassm re­vendique toujours. Et peu importe qu’il soitné à Tunis. Sa famille a de l’eau salée dans lesveines, assure­t­il.Cette posture l’a beaucoup servi, notam­

ment lorsque le Drassm l’a chargé de la zoneAtlantique. C’est en effet grâce à ce label bre­ton – il a tout de même grandi à Nantes –qu’il a pu trouver des informateurs et résou­dre ses premiers cas depillages d’épaves.Unemarotte qui le suivra toute sa carrière puis­qu’aujourd’hui il est, entre autres fonctions,expert pour l’Observatoire international dutrafic illicite des biens culturels.Depuis 2006, toutefois, ce « merrien »passe

moins de temps en mer. Ce qui se voit unpeu. Car à cause « du temps de curé » – com­prendreunbeau temps sansvent –qu’il a faittoute la journée, il a pris des couleurs. De cel­les que seuls les rouxauxyeuxclairs peuventarborer… avec les Anglais. Une comparaisonavec l’«ennemi héréditaire» qui ne plairaitguère au pacha, celui qui est pour MichelL’Hour « ce qu’Albert Falco était à Cousteau,mon complice à la mer, celui des beaux jourset des gros temps ». Celui des galères, des dé­couvertes extraordinaires ou… des prises

d’otages en mer de Chine. « Tous ces mo­ments qui font que l’on sait très exactement ceque les autres ont dans les tripes, place Frédé­ric Leroy, l’adjoint au directeur du Drassm,que l’on connaît la valeur de chacun. »Ces « chacun » – archéologues, techni­

ciens, plongeurs ou photographe – s’affai­rent justement autour du ROV, en panne cejour­là. Les plus manuels démontent l’en­

gin ; les autres échafaudent des plans B oupréparent le matériel de plongée, au cas où.Tous sont reconnaissables aux vêtementsestampillés Drassm. Une idée de MichelL’Hour pour améliorer la visibilité de seséquipes sur le terrain…mais aussi sur les cli­chés ou films faits pour le grand public. « Ilest primordial que le plus grand nombrepuisse voir les épaves et prendre consciencede notre travail et de l’intérêt de ce patri­moine immergé… », insiste­t­il.« Bon, que fait­on ? », intervient le pacha.

Sorti pour une expertise judiciaire, leDrassm doit coûte que coûte inspecterl’épave recherchée avant la nuit. MichelL’Hour tranche : « On retire l’appareil photodu ROV, on l’attache à un câble et on l’envoieau fond. » L’ordre donné, l’équipage s’exé­cute sans discuter. « C’est lui le patron », ex­plique Frédéric Leroy. Le patron de l’archéo­logie sous­marine française, voilà qui définitplutôt bien Michel L’Hour. En plus de trenteans de carrière, l’archéologue moderniste anavigué sur toutes lesmers duglobe et effec­tué plus de 10 000 heures de plongée.Un score chèrement payé puisqu’il est dé­

sormais appareillé pour cause de surdité,comme nombre de ses collègues. « Voilàpourquoi je ne fais plongermes équipes que si

c’est nécessaire», confie­t­il en rejoignant lasalle de visionnage. Cela explique aussi qu’iltravaille sur le développement de robotssous­marins capables de remplacer les ar­chéologues au fond des océans. En atten­dant, un nouveau ROV est en commande.Sur les écrans, le «vert fond vaseux» suc­

cède au «vert colonne d’eau». Pendant quele pacha maintient l’André­Malraux àl’aplomb de l’épave recherchée, l’appareilphoto tourne sur lui­même et manque des’enliser. En silence, les archéologues, tech­niciens, plongeurs ou photographe, cettefois agglutinés dans la salle commune, sui­vent les déboires de l’instrument… qui finitparmontrer les lignes vagues d’une épave.

Quelques photos sont prises à la voléepuis l’équipe se remet en mouvement,comme si de rien n’était. La complémenta­rité et l’intimité de cet équipage sont à cemoment précis frappantes. «Je les ai touschoisis pour leurs qualités professionnelles ethumaines. C’est une nécessité en mer», assu­re­t­il. Mais c’est sans doute, aussi, une né­cessité pour lui. Car lorsqu’on lui demandece qui lui vient en tête lorsqu’il repense à sacarrière, ce sont des visages, des éclats derire, des mots qui inondent sa mémoire. Etnon des épaves. p

« Plus opiniâtre queMichel,c’est pas possible,

s’amuse DenisMetzger,le capitaine – ou pacha – du

navire. C’est un foude boulot… et un vrai Breton ! »

Michel L’Hour,au large de la Corse,à bord de l’« André­Malraux », en 2012.

TEDDY SEGUIN

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8 | 0123Mercredi 9 avril 2014 | SCIENCE &MÉDECINE |

Des capteurs électroniques étirables qui collent à la peau

SOURCE : UNIVERSITÉ DE L'ILLINOISTEXTE : HERVÉ MORIN INFOGRAPHIE LE MONDE

Comment concilier la rigidité descircuits électroniques et la plasticitéde la peau humaine ? La questionse pose pour nombre de capteurs dits« épidermiques », qu’il s'agissed’assurer le suivi d’une personnehospitalisée après son retourà domicile ou d’un nouveau-né dansune unité de soins intensifs oud’enregistrer l’activité d'une personneâgée. Une équipe internationaledirigée par John Rogers (universitéde l’Illinois, à Urbana- Champaign)propose dans Science du 4 avril unesolution originale, encore à l’état deprototype. L’idée est d'immerger lecircuit électronique dans une sorted’enveloppe déformable ettransparente, remplie d’ un liquidevisqueux et isolant (du silicone), touten reliant électriquement chacunde ses composants par le biaisde petits serpentins métalliques.Cet assemblage est étirable, se tord etretrouve sa forme initiale sans pertede fonctions. John Rogers etses collègues ont ainsi testé plusieurstypes de mesures : température,ondes cardiaques (ECG), ondescérébrales (EEG), mouvement (chute).Toutes ces données peuvent êtrefacilement transmises par ondesradio, le tout ne requérant qu'unetrès faible consommation d'énergie,fournie par une pile-bouton ou,sans contact, par induction.

Echelle non respectée

Des fonctions multiplesLes divers capteurs qui équipent le dispositifaccéléromètre, thermomètre, conduction électriquede la peau, etc., ne dépassent pas un millimètred'épaisseur et sont couplés avec un émetteur radioet des systèmes d'alimentation électrique.

L’électronique en geléeLes circuits imprimés sont scellés dansune poche d’élastomère et baignentdans un fluide visqueux de silicone.Cette disposition a pour fonctiond'absorber chocs et déformations, ce quiest aussi rendu possible par le systèmede circuit électrique en serpentinétirable.

Thermomètre

Electronique

Réseaud’inter-connectionflexible

Substrat enélastomère structuré

Couvertureélastomère

Emetteurradio

Normal

Etirement à 50 %

Etirement à 100 %

Circuit électriqueserpentiforme

AmplificateurContactexterne

Capteur

L’ emploi scientifique en France, auCNRS en particulier, est­il menacédans notre pays ? Le conseil scientifi­que de l’organisme a récemmentalerté dans ces colonnes (« Science& médecine» du 18 mars) sur les

« sombres perspectives » auxquelles nous serions ir­rémédiablement soumis dans les années à venir.Ce tableaune représente qu’une partie de la réalité.Dans la crise des finances publiques que traverse

notre pays, je veux rappeler que le CNRS a réussi jus­qu’à présent à préserver en grandepartie les emploispermanents, qu’il s’agisse des chercheurs (ou cher­cheuses) comme des ingénieur(e)s, technicien(ne)set administratifs, tous indispensables au bon fonc­tionnement de la recherche. Les départs à la retraite(mais non les départs pour d’autres causes) ont étéremplacés en quasi­totalité ces trois dernières an­nées. Peu d’établissements publics ou d’administra­tions ont eu cette chance.Par ailleurs, au CNRS comme dans la plupart des

entreprises publiques et privées, les départs à la re­traite ont diminué ces dernières années. Moins dedéparts à la retraite impliquent moins de recrute­ments. Nous avons dû en tenir compte.A l’image de l’ensemble de la recherche publique, le

CNRS vit depuis plusieurs années déjà à l’heure debudgets contraints. Cet état de fait est connu de tousdans les laboratoires. Mais il me semble qu’il est àporter au crédit d’un organisme de 34 000 person­nes d’avoir été capable de maîtriser sa masse sala­riale. Nous n’avons jamais eu à quémander une ral­longe à notre tutelle pour pouvoir verser les salairesde fin d’année. Et le fameux « GVT » (glissementvieillesse technicité) est pris en compte dans notrebudget. Cette maîtrise est un indice du sérieux aveclequel tout organisme public doit – aujourd’hui sansdoute encore plus qu’hier – gérer l’argent public.A budget et effectifs constants, avec une masse sa­

lariale qui s’accroît mécaniquement sous l’effet desprogressions de carrière, notre choix a été de préser­ver les marges de manœuvre qui nous permettentde soutenir la recherche dans les laboratoires et demaintenir notre apport aux très grandes infrastruc­tures de recherche (TGIR).Afin de contenir la masse salariale, j’ai décidé de

faire porter l’effort pour l’essentiel sur les contrats àdurée déterminée relevant de la subvention d’Etat(etnondes ressourcespropresqui sontdans les labo­ratoires). Je sais que cette contraction a été ressentiedurement au sein des directions et délégations ré­gionales de l’établissement. Mais il faut faire deschoix.

Dans la compétition mondiale que vit la recher­che, nous veillons à rester ouverts aux talents d’oùqu’ils viennent. Le CNRS recrute aujourd’hui 30 %de chercheurs et chercheuses étrangers et c’estpour nous une source de fierté. Nos laboratoiressont des lieux d’accueil pour des dizaines de scien­tifiques de toutes nationalités qui nous apportentleurs compétences et leur énergie. Ils nous permet­tent aussi de tenir une place de choix sur le plan in­ternational, qui est aujourd’hui le seul terrain dejeu possible pour la recherche. Ainsi, près de 60 %des publications issues des équipes labelliséesCNRS ont pour coauteurs des chercheurs ou deséquipes étrangères.Un seul exemple : un article très récent paru dans

la revueNature relate la fabrication de nano­rubansde graphène hautement conducteurs à tempéra­ture ambiante. Il s’agit d’une véritable prouesse ex­périmentale. Sur la dizaine d’auteurs de cet article,lamoitié travaille dans des laboratoires français, lesautres sont allemands ou américains.

Cette réalité­là nous oblige en termes d’emplois. Ilnous faut participer activement à la circulation descerveaux et des idées, dans un monde scientifiquequi s’ouvre, notamment dans les pays du Sud­Estasiatique, à de nouveaux acteurs très performants.Il nous faut donc continuer à recruter, fût­ce mo­destement comme aujourd’hui.Une année sans recrutements n’est pas conceva­

ble : que le CNRS passe son tour une seule année auguichetmondial des embauches et le voilà pénalisépour de longues années. L’enseignement supérieuret la recherche français ont connu cette situation àla fin des années 1970. Les effets ont été désastreuxet se sont propagés pendant quarante ans avec desconséquences délétères sur le renouvellement desthématiques de recherche, son organisation, les di­rections des laboratoires, l’attractivité des métiersde la recherche et les carrières, etc.

L’émergence de grandes universités de recherche,garantes d’unemeilleure visibilité de la France auni­veau mondial, et auxquelles le CNRS apporte toutson soutien, ne peut pas non plus se concevoir sansrecrutements de haut niveau.Les trois dernières années nous ont appris à vivre

dans des budgets contraints. Le CNRS tire une réellefierté, je le répète, de la maîtrise stricte de son bud­get. Les Français ne comprendraient d’ailleurs pasque les scientifiques s’affranchissent de toute con­trainte à un moment où la crise touche durementtous les secteurs et où il est demandé des efforts àtous. Mais ils ne comprendraient pas davantagequ’on sacrifie l’avenir. C’est ce qui vaut à la rechercheet à l’enseignement supérieur de bénéficier actuelle­ment d’un budget préservé. L’avenir n’est pas écrit etla crise ne sera pas éternelle. En préservant aumieuxnotre potentiel, nous préservons l’avenir.C’est pourquoi je veux lancer un appel aux jeunes

générations pour leur dire : ne désespérez ni de la re­cherche ni de l’emploi scientifique ! Le climat – quiest une composante importante de l’état d’espritd’un peuple – n’est pas plus morose dans les labora­toires français qu’ailleurs. Notre pays reste et resteraun grand pays scientifique. Nous n’entrons pas dansun hiver de la science.Aux jeunes docteurs, je veux dire aussi que le CNRS

ne fermera jamais ses portes. Bien sûr, cette décisionappartient à la puissance publique – avec laquellenous travaillons d’arrache­pied, tous les jours, pourtrouver des solutions – et en particulier au Parle­ment, qui vote les lois et les budgets. Aux élus, je de­mande de ne pas céder à la tentation d’un stop­and­go en matière de recrutement scientifique quiromprait la continuité dans l’effort qu’exige la re­cherche fondamentale.Au CNRS de continuer à produire de la science de

base aumeilleur niveaumondial et de contribuer autransfert et à la valorisation des résultats de la re­cherche fondamentale, comme c’est le cas par exem­ple avec le matériau inspiré de la nacre, dix fois plustenace qu’une céramique classique, inventé très ré­cemment au sein d’un laboratoire mixte entre leCNRS et l’un de ses fidèles partenaires industriels. Letout en assurant une gestion responsable.Dans ce monde incertain, la qualité de notre re­

cherche scientifique, héritage d’un effort soutenude la nation pendant des décennies, est un atoutconsidérable. Nous sommes un des pôles reconnusde la science mondiale multipolaire, et nous de­vons consolider cette position enviable. Car il n’y apas de nation prospère sans recherche scientifiquede qualité. p

« Aux élus, je demande de ne pas céderà la tentation d’un stop­and­go

enmatière de recrutement scientifiquequi romprait la continuité dans l’effortqu’exige la recherche fondamentale »

¶Alain Fuchs est

président du CNRS.

Dansunenvironnementbudgétaire« contraint »,leprésidentduCNRS,AlainFuchs,quivientd’êtrereconduitpourquatreans,assumeseschoixenmatièred’emploiscientifique

«Nousn’entronspasdansunhiverdelascience »| t r i b u n e |

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