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3. LA MAGIE DES LIEUX L’EVOLUTION DE CE MONDE MAGIQUE OU L’HISTOIRE DE LA SCENE A TRAVERS LES SIECLES A.L’ILLUSION SUPPLEEE PAR L’IMAGINATION : UN LIEU EPHEMERE (DU MOYEN-AGE AU XVI e s) AU MOYEN-AGE tout se passe dans la rue : sur la place publique les jours de marché, à l’extérieur des fortifications d’une ville qui servent alors de mur de fond et de coulisses, sur le parvis des cathédrales pour les fêtes religieuses. Surtout pour ces dernières, il s’agit rarement de troupes professionnelles, mais on recrute parmi les volontaires du coin, et les costumes comme les décors sont subventionnés par les plus riches. Le décor est éphémère : on construit quelques tréteaux, quelques « mansions », càd « maisons », petites scènes sensées représenter un lieu ; et ce en enfilade : les décors des différentes scènes (bien sûr, aucune unité de lieu ni d’action) étaient tout simplement juxtaposés, et le public soit déambulait de l’une à l’autre, soit ne voyait qu’une partie du spectacle correctement, d’autant plus que souvent les scènes étaient simultanées : on jouait en même temps dans différentes « mansions ». Les acteurs qui ne jouent pas sur le moment restent sur place (il n’y a pas de réelles coulisses, la plupart du temps). Les comédies étaient de trois sortes : La farce : c’est l’ancêtre de notre comédie de mœurs ou d’intrigue moderne. C’est une petite pièce qui utilise des procédés plutôt gros, voire grossiers pour faire rire (suite de gags) : cf la Farce de Maître Pathelin. Elle était tirée des fabliaux du moyen-âge, petits récits en vers, qui n’ont d’autre but que la distraction et le rire ; malgré la parenté avec la fable, il n’y a pas de morale ; au contraire, c’est toujours le plus rusé qui gagne. Il y avait aussi les « soties », de « sot », au sens de fou : elles constituaient essentiellement en bouffonneries ; comme un fou croit que tous sont comme lui, elle montre une société composée de fous (le fou endosse la tenue du juge, du médecin…), et cela permet des piques concernant l’actualité – le bébête-show de l’époque… l y avait enfin les Moralités, plus graves, où des allégories vivantes donnaient des leçons de morale aux spectateurs.

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3. LA MAGIE DES LIEUX L’EVOLUTION DE CE MONDE MAGIQUE OU L’HISTOIRE DE LA SCENE A TRAVERS LES SIECLES

A.L’ILLUSION SUPPLEEE PAR L’IMAGINATION : UN LIEU EPHEMERE (DU MOYEN-AGE AU XVI e s) AU MOYEN-AGE tout se passe dans la rue : sur la place publique les jours de marché, à l’extérieur des fortifications d’une ville qui servent alors de mur de fond et de coulisses, sur le parvis des cathédrales pour les fêtes religieuses. Surtout pour ces dernières, il s’agit rarement de troupes professionnelles, mais on recrute parmi les volontaires du coin, et les costumes comme les décors sont subventionnés par les plus riches. Le décor est éphémère : on construit quelques tréteaux, quelques « mansions », càd « maisons », petites scènes sensées représenter un lieu ; et ce en enfilade : les décors des différentes scènes (bien sûr, aucune unité de lieu ni d’action) étaient tout simplement juxtaposés, et le public soit déambulait de l’une à l’autre, soit ne voyait qu’une partie du spectacle correctement, d’autant plus que souvent les scènes étaient simultanées : on jouait en même temps dans différentes « mansions ». Les acteurs qui ne jouent pas sur le moment restent sur place (il n’y a pas de réelles coulisses, la plupart du temps). Les comédies étaient de trois sortes : La farce : c’est l’ancêtre de notre comédie de mœurs ou d’intrigue moderne. C’est une petite pièce qui utilise des procédés plutôt gros, voire grossiers pour faire rire (suite de gags) : cf la Farce de Maître Pathelin. Elle était tirée des fabliaux du moyen-âge, petits récits en vers, qui n’ont d’autre but que la distraction et le rire ; malgré la parenté avec la fable, il n’y a pas de morale ; au contraire, c’est toujours le plus rusé qui gagne. Il y avait aussi les « soties », de « sot », au sens de fou : elles constituaient essentiellement en bouffonneries ; comme un fou croit que tous sont comme lui, elle montre une société composée de fous (le fou endosse la tenue du juge, du médecin…), et cela permet des piques concernant l’actualité – le bébête-show de l’époque… l y avait enfin les Moralités, plus graves, où des allégories vivantes donnaient des leçons de morale aux spectateurs.

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une farce

une sotie

une moralité

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Enfin, les Mystères étaient des pièces religieuses représentant des passages de l’Ancien ou du Nouveau Testament, ou encore la vie de saints. Même si certaines de ces représentations religieuses duraient des heures, voire s’étalaient sur plusieurs jours, on ne s’ennuyait guère : elles étaient à la fois tragiques et comiques – dès que le public se lassait, on envoyait les diables faire diversion… Et si l’on ne connaissait pas l’histoire, ou encore n’était pas là la veille, un personnage nommé Prologue vous résumait tout au début de la représentation. Repérez les différentes « mansions » dans le Mystère de Sainte Apolline, ainsi que la place du public ; repérez le meneur de jeu. On remarque que le public s’intercale entre les mansions : il y a donc une grande proximité entre acteurs et public, et certainement une réelle interactivité, les acteurs réagissant au public. On remarque à droite le Meneur de Jeu MJ (l’auteur) – juste devant la gueule de l’Enfer - qui, le livre de la pièce et une baguette à la main, souffle le texte aux uns, donne des indications de mise en scène aux autre, ou fait jouer les musiciens à gauche. L’ère de jeu (hourt) est ici en terre battue. Au fond, en demi-cercle, des loges dont certaines sont des « mansions » : ciel, enfer, plus celle des musiciens ; on remarque une autre loge avec un trône, vide : ce doit être celle d’un personnage qui joue un roi, sur scène dans une autre partie du décor. Que raconte cette scène ? La sainte est torturée avant d’être brûlée vive : avec une pince, on lui arrache des dents, on lui tire les cheveux, on lui serre les liens à l’extrême. A l’extrême gauche, un fou s’ est déculotté, en signe de dérision et de mépris

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miniature de Jean FOUQUET représentant

une scène du « Mystère de Sainte Apolline » vers 1450

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autre miniature qui a servi de modèle à la reconstitution des Mystères du Moyen-Age.

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Au XVI e s en France

on amuse le public avec de petites scènes comiques sur quelques tréteaux les jours de marché (ce sont des « parades », càd des exhibitions burlesques)

on introduit en France la « commedia dell’arte » italienne, avec ses personnages typés (Arlequin, Colombine, Pantalon…), qui se joue également sur des tréteaux ou sur la charrette des comédiens. Cette dernière sert à la fois de scène et de décor, avec ses bâches (les comédiens sont ambulants et se déplacent ainsi de ville en ville).

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Pieter BALTEN La Foire paysanne vers 1525

SAINT-ANTON La parade du boulevard 1760

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B. LA QUETE DE L’ILLUSION PARFAITE : UN LIEU PERRENNE A PARTIR DU XVII e s a)La période transitoire :

Au XVI e siècle, l’Angleterre a l’idée d’utiliser les cours des auberges pour servir de scène théâtrale. L’auberge sert de coulisses, les fenêtres de loges, l’une d’entre elles étant réservée aux musiciens ; la scène est protégée par un auvent, et le peuple se tient debout au centre de la cour, à l’air libre. Il s’agit du « Globe anglais » ou théâtre élisabéthain, dans lequel seront jouées les pièces de Shakespeare de la même époque. Comme d’habitude, le public principal (le peuple) reste debout devant la scène.

En Espagne, on utilise le « corral » : le « corral » espagnol est une impasse entre deux maisons, fermée par un mur. La scène ambulante est installée contre ce mur, ce qui amplifie l’acoustique. Un auvent protège les acteurs du soleil (éviter chaleur et éblouissement). Les maisons, avec leurs fenêtres, offrent des loges naturelles, et le reste des spectateurs se place ou se tient comme il peut dans la rue.

En France, au DEBUT du XVII e s,

- même si de petites saynètes y sont encore jouées les jours de marché

(les « parades »), - on améliore les tréteaux et leur décor, - puis on finit par les quitter pour utiliser des salles existantes, mais

attribuées à un autre usage que le théâtre : les plus courantes sont les salles de sport, comme les salles du jeu de paume. L’acoustique est mauvaise : ces salles sont longues et étroites. Au fond, sur les marches, on voit mieux, mais on est loin de la scène. Les loges et les galeries sont occupées par les plus riches (nobles, grands bourgeois : les places sont attribuées selon le rang social). Le peuple est debout parterre (d’où le nom de Parterre réservé à cette partie de la salle encore de nos jours). L’atmosphère est loin d’être aussi recueillie que de nos jours : comme le peuple n’a pas de chaises, il peut bouger, se déplacer ; il bavarde, fait du chahut, et le vol ou les bagarres sont monnaie courante. C’EST CE QU’ON APPELLE LE THEATRE A LA FRANCAISE.

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LE THEATRE ELISABETHAIN XVI e s ANGLETERRE

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Le « corral » espagnol

Parade du charlatan Mondor

sur les tréteaux de la place Dauphine à Paris au XVII e s

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LE THEATRE A LA FRANCAISE début XVII e s Salle du Jeu de Paume

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b)puis surgit LE THEATRE BAROQUE, AU XVII E S EN FRANCE, et au XVIII e s dans le reste de l’Europe, qui copie la France.

Ce théâtre s’inspire du théâtre italien et des découvertes de la perspective à l’époque de la Renaissance. L’architecte Palladio, connu pour ses applications parfaites de la perspective, construit au nord de l’Italie, dès la fin du XVI e s, des théâtres clos qui deviennent de véritables bijoux par leur efficacité et leur beauté.

Il reprend le plan en gradins de l’Antiquité, mais répartit ces gradins en étages décalés, les balcons.

La scène est un volume clos, surmonté de cintres (où sont accrochés les décors descendant du plafond), enrichi de coulisses (premier sens : les décors y « coulissent ») qui permettent toutes les machineries.

Le fond de la scène sera un « trompe-l’œil ». Une scène à l'italienne est conçue selon les principes de la perspective découverte lors de la Renaissance italienne. Le cadre de scène est perçu comme un tableau, ce qui est nouveau, puisque dans les meilleurs cas auparavant le fond du décor copiait l’architecture des bâtiments devant lesquels on avait joué lors des théâtres provisoires – d’où les ressemblances entre scène baroque et architecture extérieure baroque…. Ce cadre de scène est composé en fonction de « l’œil du prince », c’est-à-dire de façon à être vu de face, à une unique place dans la salle. Cette place permet la coïncidence exacte de cet « œil » avec le centre exact des décors qui présente face à cet œil des lignes de fuite conformément aux lois de la perspective. Pour cela, les décors sont peints en perspective, et le plancher de la scène est en pente (le haut vers le fond), ce qui modifie les spectacles, puisqu’on ne peut plus danser, et agrandit les acteurs.

La scène est surélevée pour cacher la machinerie du dessous, et la partie de devant qui dépasse du rideau permet l’éclairage du fond par des bougies : il s’agit de la « rampe ». Depuis 1784 l’éclairage par chandelle est abandonné au profit de l’éclairage par « quinquets » (lampes à huile dont le réservoir se remplit deux fois durant la représentation, par un système de « sablier ») : la fumée des chandelles et leur odeur incommodaient le public comme les acteurs.

Pour la première fois, on sépare acteurs et public (on enlève les banquettes placées sur la scène qui accueillaient les hôtes de marque), on délimite nettement l’espace scénique réservé aux acteurs par la rampe surélevée et le rideau, et l’on fait asseoir le parterre, en lui interdisant les cannes, pour éviter ses débordements. A partir de 1754 il n’y a plus de spectateur sur scène.

Internet : cf « la visite audio du domaine de Marie-Antoinette » : vidéo sur les changements de décor théâtral au petit Trianon

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MAIS CES CHANGEMENTS SE FERONT PROGRESSIVEMENT EN France au XVII e s et n’auront leur aboutissement qu’au XVIII e s : les salles pérennes sont d’abord très rares et construites au profit des Grands : cf le Palais-Royal construit par Richelieu sous Louis XV au XVII e s, qui évolue vers la scène à l’italienne, sans pour autant en connaître encore tout le confort.

LA PREMIERE SALLE A L’ITALIENNE SERA L’Odéon, INAUGURE EN 1784, POUR LE MARIAGE DE FIGARO DE BEAUMARCHAIS, et la pièce commence par le personnage de Figaro occupé à mesurer la scène, symbole de ce nouvel état d’ esprit : à présent la scène lui appartient. Molière ne connaîtra jamais ce confort.

NOTE : Le manteau d'Arlequin est un trompe-l'œil imitant des rideaux ouverts sur les côtés. Un manteau d'arlequin encadre la scène de théâtre et permet d'augmenter ou de diminuer la taille de la scène visible en déplaçant les panneaux sur lesquels on a peint les draperies.

En peinture, le procédé est aussi utilisé pour enserrer le tableau.

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LA SCENE A L’ITALIENNE

Théâtre du Petit Trianon à Versailles

(théâtre de Marie-Antoinette au XVIII e s)

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Cependant, LE THEATRE BAROQUE profite au XVII e s d’une partie de ces innovations techniques : c’est le théâtre de l’illusion par excellence, et pour cela il lui faut des machineries que lui propose cette nouvelle conception du théâtre.

Le baroque français démultiplie les effets de perspective par des rainures s’étirant visuellement à l’infini vers le fond de la scène et permettant par la même occasion la sortie des décors ou machineries des coulisses. On obtient un effet typiquement baroque de vertige et de trompe-l’œil : l’effet d’illusion est total.

Car le théâtre baroque est un théâtre fondé sur le merveilleux qui cherche la magie et l’illusion maximales ; il aime le mouvement : les décors changent fréquemment, venant des côtés ou du plafond, voire du sous-sol ; on aime les envols de personnages, les métamorphoses, les matérialisations instantanées de personnages divins, avec toute la somptuosité possible. C’est l’âge d’or des machinistes et des décorateurs : jamais l’appareillage n’a été plus complexe (leviers, treuils…), tout en restant invisible. Quel est le point de vue du photographe pour le théâtre de Prague ? en quoi est-ce un point de vue baroque ? D’après la disposition des chaises, on devine que le fond est un miroir. Mais le photographe est à la place de l’œil du prince, ce qui donne l’effet de perspective maximal. Ce jeu d’illusion est typiquement baroque…

un théâtre baroque à Prague / théâtre du château de Krumlov en Bohème, XVIII e s : un des deux

seuls théâtres baroques ayant survécu en Europe avec toute leur splendeur et complexité

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PANNINI (peintre baroque italien) Concert donné en l’honneur de la

naissance du Dauphin fils de Louis XV 1729

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un théâtre baroque à Prague / théâtre du château de Krumlov en Bohème, XVIII e s : un des deux

seuls théâtres baroques ayant survécu en Europe avec toute leur splendeur et complexité

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c) le théâtre classique, qui fait suite au théâtre baroque, au XVII e s, est plus sobre, et utilise peu la machinerie.

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reconstitution d’une représentation à l’Hôtel de Bourgogne, théâtre soutenu par le Roi au XVII e s classique

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d)au XVIII e s, lorsque la scène à l’italienne est définitivement adoptée en France, le théâtre a aussi changé de fonction : il ne joue plus seulement le rôle un rôle didactique et pédagogique,

mais il est avant tout un lieu de récréation pour la société brillante avide de luxe et de loisirs. Et, par un phénomène de miroir, parallèlement à la comédie sur scène, se joue la comédie dans la salle. VOIR ET ETRE VU est la nouvelle fonction du théâtre ; c’est ce nouveau dispositif (théâtre à l’italienne) permet, et aussi ce qui l’a encouragé.La salle et la scène se répondent, l’une en face de l’autre, séparées par le rideau d’avant-scène. Spectateurs et acteurs sont également séparés par la lumière : la scène est éclairée, pas la salle. Au fur et à mesure des inventions techniques, la machinerie devient plus complexe (sous, au-dessus, de côté de la scène sont installés poulies, panneaux, trappes, glissières : la cage de scène est une merveille de technologie). Cette séparation acteurs / spectateurs est totale à présent , alors qu’au temps de Molière, les personnages royaux ou princiers étaient assis sur une simple chaise de paille à la meilleure place, càd à même la scène (à son bord). Le confort est à présent de mise, et les prix augmentent, favorisant les classes supérieures. La salle est composée d'un parterre et de baignoires (sortes de loges séparées les unes des autres par une cloison basse), il y a également des balcons incluant des loges sur plusieurs étages. Ces balcons sont disposés sur trois côtés de la salle et forment un fer à cheval. Les places du public sont conçues pour voir et pour être vu, car les spectateurs sont répartis selon une hiérarchie économique... et donc sociale : les spectateurs pauvres ne sont plus parterre à présent couvert de fauteuils ; ils sont rélégués aux étages supérieurs avec parfois des escaliers séparés. Il existait aussi la possibilité de louer des loges grillagées, permettant ainsi d’aller au spectacle incognito (souvent pour des relations amoureuses extra-conjugales : le théâtre était aussi un lieu de rencontres). >>> le théâtre devient lieu de rencontre sociale et permet de faire progresser les intrigues, les ambitions. Le théâtre ne sert pas seulement à la détente : il faut aller au théâtre pour affirmer son rang social et nouer ou affermir des relations. Et en effet chaque fauteuil permet, en regardant de différents côtés, de voir les autres spectateurs, et d’observer ainsi l’élégance de leur mise ou la qualité de leurs accompagnateurs. Cela se développera encore davantage au XIX e s et au début du XX e, avant la démocratisation du théâtre, avec l’arrivée de l’électricité permettant de mieux voir pendant les entractes (à l’origine, pauses nécessaires pour changer les bougies des lustres… et les écrivains de pièces de théâtre écrivaient leurs actes en fonction de cette minuterie impérative). La scène ressemble à une chambre dont on aurait enlevé un mur : les spectateurs deviennent donc des « voyeurs » d’une vie qui se passe dans un autre monde ; ce voyeurisme est double, puisqu’ils épient également les autres spectateurs, comme nous l’avons vu – et c’est parfois le spectacle qui les intéresse le plus…. Le cadre de la scène ressemble également à un encadrement de tableau. Mais l’idée de base baroque demeure, à savoir que le spectateur doit être transporté dans un monde totalement différent : un dépaysement et une illusion totales, toujours LA SCENE A L’ITALIENNE EST DEVENUE NOTRE SCENE MODERNE.

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Voici, dans les Lettres Persanes de MONTESQUIEU (XVIII e s) la découverte du théâtre par Rica, un Persan en visite à Paris.

RICA A***

Je vis hier une chose assez singulière, quoiqu'elle se passe tous les jours à

Paris.

Tout le peuple s'assemble sur la fin de l'après-dîner et va jouer une espèce

de scène que j'ai entendu appeler comédie. Le grand mouvement est sur

une estrade, qu'on nomme le théâtre. Aux deux côtés, on voit, dans de

petits réduits qu'on nomme loges, des hommes et des femmes qui jouent

ensemble des scènes muettes, à peu près comme celles qui sont en usage en notre Perse.

Ici, c'est une amante affligée qui exprime sa langueur ; une autre, plus

animée, dévore des yeux son amant, qui la regarde de même : toutes les

passions sont peintes sur les visages et exprimées avec une éloquence qui,

pour être muette, n'en est que plus vive. Là, les actrices ne paraissent qu'à

demi-corps et ont ordinairement un manchon, par modestie, pour cacher

leurs bras. Il y a en bas une troupe de gens debout, qui se moquent de

ceux qui sont en haut sur le théâtre, et ces derniers rient à leur tour de ceux qui sont en bas.

Mais ceux qui prennent le plus de peine sont quelques gens qu'on prend

pour cet effet dans un âge avancé, pour soutenir la fatigue. Ils sont obligés

d'être partout : ils passent par des endroits qu'eux-seuls connaissent,

montent avec une adresse surprenante d'étage en étage ; ils sont en haut,

en bas, dans toutes les loges ; ils plongent, pour ainsi dire ; on les perd, ils

reparaissent ; souvent ils quittent le lieu de la scène et vont jouer dans un

autre. On en voit même qui, par un prodige qu'on n'aurait osé espérer de

leurs béquilles, marchent et vont comme les autres. Enfin on se rend à des

salles où l'on joue une comédie particulière : on commence par des

révérences : on continue par des embrassades. On dit que la connaissance

la plus légère met un homme en droit d'en étouffer un autre. Il semble que

le lieu inspire de la tendresse. En effet, on dit que les princesses qui y

règnent ne sont point cruelles, et, si on excepte deux ou trois heures du

jour, où elles sont assez sauvages, on peut dire que le reste du temps elles

sont traitables, et que c'est une ivresse qui les quitte aisément.

Tout ce que je te dis ici se passe à peu près de même dans un autre

endroit, qu'on nomme l'Opéra : toute la différence est qu'on parle à l'un, et que l'on chante à l'autre. […]

lettre 28

Paris, ce 4 octobre 17**

ATTENTION : tout ce que nous décrit Rica se passe dans le public…

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le Théâtre de l'Odéon à Paris

UNE SCENE MODERNE

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e) de nos jours l’on teste sans cesse de nouvelles innovations, que ce soit

une scène tournante, ou répartie à travers le public, on attire le spectateur sur scène pour le faire improviser avec les acteurs, on choisit des lieux immenses (spectacles de Robert Hossein au stade de France) ou prestigieux : décor réel de châteaux, monuments historiques, qui créent un nouveau théâtre en plein air avec la magie du « son et lumière », on mélange les techniques : projections de diapos ou vidéos sur le décor, qui agissent en interaction avec le jeu des acteurs…C’est l’ère de l’expérimentation, de la démesure, du jamais vu, des sensations fortes… Le théâtre retrouve une dimension romanesque qu’il avait perdue depuis le baroque, dimension qu’il dispute à présent au cinéma, avec lequel il veut rivaliser dans les effets spéciaux – tout en gardant parallèlement ses traditions dans des lieux traditionnels.

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Ben Uhr au stade de France (HOSSEIN)

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son et lumière au château de Blois

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chorégies (réunion de chorales) d’Orange au théâtre d’Orange