21e Journées de Bordeaux - Ergonomiejdb-ergonomie.fr/media/actes/ActesJDB2014.pdf · Actes de...

139
L’ergonome et le travail des managers Collection Actes 21 e Journées de Bordeaux sur la pratique de l’ergonomie 19, 20 et 21 Mars 2014

Transcript of 21e Journées de Bordeaux - Ergonomiejdb-ergonomie.fr/media/actes/ActesJDB2014.pdf · Actes de...

L’ergonome et le travail des managers

Collection Actes

21e Journées de Bordeaux sur la pratique de l’ergonomie

19, 20 et 21 Mars 2014

Bordeaux INP

Équipe d’ergonomie

L’ergonome et le travail des managers

Actes des

21e Journées de Bordeaux sur la pratique de l’Ergonomie

Mars 2014

Organisées avec la collaboration de l’ARACT Aquitaine et le soutien financier de l'ANACT et du Conseil Régional d’Aquitaine

Textes rassemblés par Damien Cromer

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 2 -

Les 21e Journées de Bordeaux sur la pratique de l’Ergonomie 19, 20 et 21 mars 2014

Comité scientifique Sophie Aubert, Dominique Baradat, Joffrey Beaujouan, Nicolas Bourdonneau, Franck Chabut, Karine Chassaing, Fabien Coutarel, François Daniellou, Didier Dubourg, Bernard Dugué, Jérôme Grall, Damien Huygue, Olivier Lhospital, Thierry Morlet, Johann Petit

Comité d’organisation Jacques Escouteloup, Nadège Rodriguez, Gaëtane Stinglhamber, Nelly Troadec

Logistique et transcription des enregistrements Coordination étudiante : Yann Poley Équipe Master 2 coordonnée par Camille Coutaut et Damien Cromer : Julie Arpoulet, Victor Baron, Marie Chizallet, Manon Cléret, Clément Cossé, Caroline Esterre, Sarah Gauer, Alexandre Grigolet, Céline Le Ravallec, Valérie Lecronier, Pierre Mallegol, Alice Menu, Julie Milhau, Samuel Momboeuf, Anissa Ndiaye, Arnaud Perrault, Françoise Tsiakkaros-Grasset Équipe Master 1 coordonnée par Paul Le Villain et Mira Mitko : Carole Barthélemy, Anaëlle Carreau, Alison Chiché, Kali Court, Dalila Derdar, Jean-Mickaël Dupuy, Déborah Gaudin, Salim Hammi, Barbara Lepage, Fabian Lévesque, Gerda Ranoke, Camille Rocher

Mise en forme des actes Damien Cromer

Merci à toutes et à tous !

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 3 -

L’ergonome et le travail des managers

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 4 -

Sommaire Introduction aux 21e Journées de Bordeaux sur la pratique de l’ergonomie L’ergonome et le travail des managers…………………………………………………………... ............... 5François Daniellou,Karine Chassaing,Bernard ClaverieDirigeant et encadrant : de la « boîte à outils » managériale à la construction collective de projets………………………. ................................................................................................................... 30 Frederik Mispelblom BeyerManager de terrain : acteur d’une régulation impossible .................................................................. 36Emmanuel PasquierTémoignage d’un cadre supérieur paramédical : Manager ou gestionnaire de contraintes ? ..... 42Françoise Duclaud,Olivier LhospitalQuand la Petite Enfance découvre l’ergonomie : un double investissement sur l’humain .......... 47Thierry Morlet,Claire TopenLes managers : des opérateurs stratégiques, un premier contact stratégique ............................. 53Dominique Baradat, Philippe CapdeviellleErgonomes et responsables des ressources humaines dans la conduite d’une démarche de prévention de la pénibilité : L’exemple d’Arkema .............................................................................. 57Loïc Grosdemouge, Dominique MassoniUne fenêtre sur le travail : « La place des cadres et des managers dans nos interventions »…. . 63Solange Lapeyrière, Damien Cru« La construction d’un projet de service : subtil maillage entre instruction et décision » . 72Jacques Escouteloup, Bernard LattesErgonomes et managers : contrat ou partenariat ?.............................................................................80 Bernard Heldt De l’utilité de la formation de l’encadrement à l’observation du travail ? ....................................... 88Yann GuillermFormation action de managers à la sécurité ...................................................................................... 98Vanina Mollo, Nicolas TouchéLa démarche du conseiller en prévention pour sensibiliser l’acteur dirigeant : comment cultiver les liens santé-travail ? ....................................................................................................................... 103Marc VielFil Rouge : L’Ergonome et le travail des managers ......................................................................... 106Mathieu DetchessaharAu sommaire des Journées précédentes ......................................................................................... 116

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 5 -

Introduction aux 21e Journées de Bordeaux sur la pratique de l’ergonomie

L’ergonome et le travail des managers

François Daniellou Professeur en ergonomie, Département d’ergonomie, ENSC, IPB

Karine Chassaing Ergonome, maitre de Conférences, Département d’ergonomie, ENSC, IPB

Bernard Claverie Professeur, directeur de l’École Nationale Supérieure de Cognitique (ENSC), IPB

François Daniellou

Bienvenue aux 21e journées sur la pratique de l’ergonomie de Bordeaux. Je voudrais commencer par excuser l’absence de Madame Corinne Haplicznick, directrice de l’ARACT Aquitaine pour problème de santé. J’en profite pour remercier l’ARACT pour son soutien constant à la fois du côté de l’organisation, du côté scientifique et du financement. Je souhaite à Madame Haplicznick un prompt rétablissement et je passe la parole à Bernard Claverie.

Bernard Claverie

Mesdames et Messieurs, bonjour. Bienvenue dans l’amphithéâtre Rougier de l’Université de Bordeaux. C’est un plaisir pour moi comme chaque année d’introduire ces journées de Bordeaux sur la pratique. Ce sont les vingt et unièmes journées démontrant la longue expérience de l’équipe d’ergonomie de Bordeaux pour vous accueillir et agiter la communauté d’ergonomie de l’activité autour de problématiques scientifiques. Cela en fait sa réputation et cela contribue à l’excellence de la communauté et du site universitaire de Bordeaux. Alors, bienvenue dans ces locaux. Ceux qui sont présents d’année en année peuvent se rendre compte que les structures évoluent. C’est un peu à l’image de ce qu’il se passe dans les Universités en France. Bien sûr cela ne se passe pas que dans les Universités, mais la France universitaire est balayée depuis plusieurs années par une folie de la réorganisation. Aujourd’hui, à Bordeaux, nous avons un paysage stabilisé qui n’est pas celui dont je vous parlais l’an dernier avec une Université de Bordeaux organisée en plusieurs départements. Vous êtes ici dans le département des sciences de l’Homme, dans l’UFR de Staps qui est organisée dans une grande université qui associe les sciences physiques, les sciences technologiques, le droit, l’économie, la gestion, les sciences humaines, et les sciences de la santé. Il n’y a pas qu’une université à Bordeaux : avant le 31 décembre 2013, il y en avait quatre, aujourd’hui il n’y en a plus que deux avec un institut polytechnique et institut d’étude politique. Voilà comment s’organise ce paysage. Ce paysage est paradoxalement structuré de façon à ce que l’on n’a pas pu faire rentrer les gens dans des cases et les ergonomes sont des gens qui, évidemment, ne peuvent pas rentrer dans des cases. Vous êtes ici accueillis dans l’unité de formation des sciences de l’Homme, mais le département d’ergonomie est dans l’Institut Polytechnique de Bordeaux qui est une assemblée d’écoles d’ingénieurs.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 6 -

C’est un des deux départements, très structurés et de poids, de l’École Nationale de Cognitique qui, en fait, est une école d’ingénieurs des Facteurs Humains au sens large du terme. Donc l’ergonomie comme vous le voyez est à cheval entre l’Université de Bordeaux, avec son côté Science de l’Homme, mais également à cheval sur l’Institut Polytechnique avec ses écoles d’ingénieurs. Cette interdisciplinarité est, me semble-t-il, quelque chose sur laquelle nous allons pouvoir enfin compter au niveau de l’État. En effet, aussi bien au niveau des alliances nationales que dans le nouveau système de structuration de la recherche, l’interdisciplinarité devient un maitre mot et, enfin, devient le paysage incontournable autour de laquelle vont se structurer les disciplines. Il me semble, que nous avons à Bordeaux avec l’équipe qui a été structurée autour de François Daniellou et ses collaborateurs, quelque chose de caractéristique de son interdisciplinarité avec une prise de conscience nationale du fait que l’ensemble des technologies est au service de l’Homme. Les systèmes économiques, de production, les technologies elles-mêmes sont maintenant envisagés avec une nécessité d’usage et d’utilité autour de l’Homme. Nous sommes là, épistémologiquement, autour d’une période de changement où la place de l’Homme devient le point cardinal de toutes les disciplines scientifiques, économiques, sociales, etc. Et l’ergonomie est, à Bordeaux, développée dans cette perspective et j’en remercie et félicite tous les jours nos amis du département d’ergonomie. Voilà ce que je voulais vous dire. Nous avons un paysage structurel qui s’est stabilisé : nous avons une université, un institut polytechnique, un département d’ergonomie posé dans une école d’ingénieurs, mais qui aurait très bien pu être dans l’université. Si la structure s’est posée, le paysage scientifique est en train de changer grâce aux infatigables laboureurs que vous êtes et dont François Daniellou en est un exemple typique. Infatigables laboureurs de l’interdisciplinarité dans un paysage qui, jusqu’ici, n’était pas favorable à l’interdisciplinarité. Je pense que tout cela va évoluer favorablement, en tout cas les élans sont lancés. Je crois que cette vingt-et-unième journée est à la fois le témoin de la qualité scientifique qui se perpétue, de l’activité de votre communauté, mais également un témoin du dynamisme de votre communauté avec un amphithéâtre comme chaque année pleine. Cela n’est pas rien de pouvoir réunir autant de spécialistes. Je vous souhaite de bons travaux scientifiques. Je remercie encore François Daniellou et son équipe d’organisation et surtout je vous remercie de participer à cet élan du recentrage de l’Homme dans l’ensemble des champs disciplinaires de la science française qui ne peut que se développer. Avant de laisser la parole à François Daniellou, je tenais à citer Manuel Tunon de Lara, qui est le président de l’Université de Bordeaux qui vous transmet un message de bienvenue dans les locaux de l’université et qui s’associe à moi pour vous souhaiter de très bonnes Journées et de très bonnes festivités. Karine Chassaing

Bonjour à tous. En accord avec le comité scientifique de ces Journées, nous allons mener cette introduction à deux avec François Daniellou.

Introduction

L’ergonome et le travail des managers : ce choix de thématique n’est bien sûr pas anodin, et n’a pas été toujours valorisé dans l’histoire de notre métier et de notre pratique. Pourtant, le manager fait partie de l’environnement de travail des ergonomes, il est un acteur de la construction de l’intervention ergonomique et un acteur des changements dans les entreprises, mais de là à y consacrer trois journées de débat c’est cela qui est davantage « nouveau ». Nouveau n’est surement pas le bon terme, mais plutôt « actuel », un « actuel » qui a probablement quelques années quand même. Alors est-ce parce

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 7 -

qu’aujourd’hui il existe de nombreux ergonomes encadrants ? Cela y contribue sûrement, mais pas seulement.

Comment les ergonomes en sont venus à s’intéresser aux managers ?

Quand nous avons commencé à travailler avec François sur cette introduction, nous nous sommes dit qu’il fallait peut-être commencer par se poser la question de comment les ergonomes en sont venus à s’intéresser aux managers ? Ce qui implique de faire un petit retour en arrière, mais assez bref, je vous rassure. De mémoire, il n’est pas certain que ce fut toujours le cas dans l’histoire de notre métier et dans nos pratiques que l’ergonome s’intéresse aux managers même si aujourd’hui cela peut paraitre plus « évident ». Alors que signifie s’intéresser aux managers ? Parce que depuis les origines de notre métier, lorsqu’on a posé les bases de la démarche ergonomique depuis l’analyse de la demande jusqu’aux transformations, les managers, plutôt nommés à cette époque-là « cadres » et « directeurs », étaient bien présents dans les préoccupations du travail de l’ergonome. Un intérêt pour les managers qui a évolué Mais ces préoccupations ont changé. Et ce au moins sous deux angles : - celui des coopérations entre ergonomes et managers en vue de transformer les situations de travail, - celui du regard des ergonomes sur le travail des managers. Deux « sous-thèmes » qui seront d’ailleurs largement abordés dans les communications de ces trois journées. Qu’est-ce qui a fait que cet intérêt a changé ? Au début des années 60, l’ergonomie essentiellement expérimentale se donne pour mission de fournir aux ingénieurs des données scientifiques sur les « caractéristiques humaines » qui permettent « de concevoir les machines de façon convenable pour le plus grand nombre de travailleurs » (Wisner, 1962). L’ergonome est cantonné ici à une fonction d’expertise externe, fonction encore actuelle. Mais il faut attendre les premières investigations de terrain pour élargir les fonctions de l’ergonome. Ces premières analyses du travail sur le terrain ont lieu à la fin des années 60 et sont initiées par les équipes de la rue Gay Lussac avec notamment A. Wisner, A. Laville, C. Teiger, et J. Duraffourg qui ont largement contribué à construire des méthodes d’analyse du travail qui ont permis de dénoncer les effets négatifs du travail et en particulier du taylorisme sur la santé. Elles ont aussi permis de mettre à jour les composantes cognitives du travail manuel. Dans ces premières investigations sur le terrain, les demandeurs étaient plutôt les instances représentatives du personnel, donc d’emblée, des accès aux terrains via une origine syndicale. Aujourd’hui encore, les ergonomes interviennent suite à des demandes syndicales, mais pas seulement et donc notre intérêt pour les managers va s’en trouver modifié. Donc ça y est, les ergonomes entrent sur le terrain et cela va permettre, notamment pour le propos qui nous intéresse lors de ces trois journées, de penser différemment la coopération entre acteurs du terrain et pas seulement les représentants des syndicats, mais aussi des encadrants. Il va alors s’agir de coopérer entre acteurs du terrain pour mettre en commun des connaissances détenues par chacun et en développer d’autres qui seront nécessaires pour construire un « portrait » pertinent de la situation. Ce portait servira de base pour penser les transformations. Très tôt les ergonomes ont été amenés à

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 8 -

coopérer avec des encadrants, mais avec des demandes d’origine syndicale. Il faut attendre le milieu des années 70 pour que des premières investigations soient réalisées à la demande de directions. C’est en 1974 que Jacques Christol ouvre le premier cabinet d’ergonome consultant et il interviendra suite à des demandes de directions. De telles demandes qui peuvent nous mener explicitement à nous occuper d’organisation du travail. Et c’est sur cette organisation du travail en tant qu’objet d’intervention que l’on peut s’arrêter quelques instants pour illustrer cet intérêt des ergonomes pour les managers et surtout pour insister sur comment on en est venu à s’en préoccuper différemment au fil de l’histoire de notre métier. Un peu rapidement et sûrement caricaturalement, on est tout de même passé du poste de travail à l’organisation du travail en tant qu’objet d’intervention. Il est probable qu’un tournant historique ait été marqué à ce moment-là, fin des années 80 avec notamment le travail de thèse de Poly Langa dirigé par Alain Wisner. Qu’elle le souhaite explicitement ou pas, l’ergonomie est confrontée à l’organisation du travail. La question de fond est alors plutôt de savoir la place qu’elle occupe dans l’intervention. Dans tous les cas, elle reste un élément majeur pour comprendre l’activité, mais elle peut être ou non l’objet ciblé de la transformation. Cette cible d’action a nécessité au passage un rapprochement avec des disciplines comme la sociologie des organisations, les sciences de gestion. Il va alors s’agir d’agir sur des outils de gestion, sur la conception d’indicateurs de pilotage, sur l’organisation de service, sur la prescription, etc. Alors, l’ergonomie s’est toujours donnée comme objectif d’influencer la conception ou la reconception des moyens de travail. Mais là aussi nos modèles d’intervention dans le cadre de la conduite de projets de conception de systèmes de travail ont évolué (Daniellou, 2004). Au début, cela ressemblait plutôt à des recommandations que les ergonomes élaboraient suite à l’analyse de l’existant et finalement il revenait aux décideurs et aux concepteurs de décider d’en tenir compte ou pas. Progressivement, il est apparu que la conception des moyens de travail impliquait des processus complexes que l’ergonome devait apprendre à connaître et auxquels il devait participer dans la durée s’il souhaitait vraiment agir sur les moyens de travail. Pour faciliter cette intégration, la sociologie du travail et les sciences de gestion ont produit des connaissances qui nous ont été très utiles. Ces connaissances portaient à la fois sur le déroulement réel des projets et sur l’activité des concepteurs. De même, les ergonomes ont eu à penser de nouvelles méthodes pour transférer les connaissances produites sur le travail actuel au travail futur. Le transfert tel quel de ces connaissances ne fonctionnait pas. Ainsi le travail des ergonomes avec les décideurs s’est vu évoluer et se transformer. Un dernier point, sans prétendre à une exhaustivité pour illustrer comment l’ergonome en est venu à s’intéresser aux managers, concerne l’évolution dans leur contenu des demandes qui nous arrivent depuis plusieurs années. Si l’on prend l’exemple, au hasard dans un premier temps, des TMS, et plus précisément de la façon que nous avons d’aborder cette problématique, en la considérant notamment comme une pathologie de l’organisation du travail plus que de l’individu, cela change le regard que nous portons sur le travail des décideurs. En effet, depuis les années 90, la recherche avance sur le sujet en passant d’un modèle explicatif purement biomécanique à celui qui pense le rôle du stress et de l’organisation du travail. Ainsi les modèles d’intervention ont bougé, passant de niveaux d’action sur la géométrie des postes jusqu’à l’organisation du travail : rythme de travail, mode de management, rotation, affectation, etc., allant aujourd’hui jusqu’aux déterminants des déterminants avec lesquels on réinterroge à un niveau plus macro les marges de manœuvre de l’encadrement, les processus de conception, centralisation descendante, dialogue social sur le travail, etc. Nous portons ainsi un autre regard sur les décideurs et leur travail, leurs marges de manœuvre, leurs objectifs et contraintes, leurs logiques, leurs liens avec leurs supérieurs. On peut aussi prendre l’exemple, plus récent que le précédent, des RPS, et là on en ajoute une louche sur l’évolution de notre regard sur le travail des décideurs. La souffrance des cadres, les suicides des cadres, cela nous amène à les considérer comme des travailleurs comme les

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 9 -

autres. À ce niveau on se trouve sur la question du travail des cadres, leur marge de manœuvre, etc. et pas sur la coopération entre décideurs et ergonomes dans le cadre de conduite de projet en conception de systèmes de travail. Ils sont la cible directe de nos actions au même titre que les opérateurs, mais cela a supposé de revoir et faire évoluer nos modèles d’intervention et nos méthodes. Cela a aussi nécessité de collaborer avec d’autres métiers comme les psychologues du travail et se rapprocher d’approches qui portent davantage sur le rapport subjectif au travail comme celle de la clinique de l’activité.

De quoi parle-t-on ? On parle de managers, mais finalement de quoi parle-t-on ? Il parait utile de s’y arrêter quelques instants pour introduire la thématique. Il n’est pas aisé de définir « simplement » ce terme, tant il est aujourd’hui utilisé sans parcimonie, pouvant renvoyer à la fois à des statuts, à des fonctions, à des pensées gestionnaires, etc. Aujourd’hui les nouvelles méthodes de management, qui ont fait leur apparition entre 1985 et 1990 si l’on se réfère à F. Misspelblom-Beyer dans son livre Encadrer, un métier impossible ? se sont tellement répandues et installées que le vocabulaire a changé dans la plupart des entreprises : « manager » est devenu synonyme « d’encadrer » et « manager » « d’encadrant ». Dans ce même livre, F. Misspelblom Beyer raconte qu’au début de l’introduction de ces nouvelles méthodes de management, certains encadrants résistaient à utiliser le terme de management et d’autres prononçaient avec des intonations étranges : « ménager ? Oui ici on ménage la chèvre et le chou… ». Au passage, l’étymologie du mot « management » et « to manage » a une origine française. Le verbe français « mesnager » au XVIe siècle signifiait en équitation « tenir en main les rênes d'un cheval ». Par extension, « mesnager » a peu à peu désigné en français le fait de tenir les rênes d'une organisation. Le substantif « mesnage » et le verbe « mesnager » ont également désigné en français à partir du XVIIe siècle « l'art de gérer les affaires du ménage ». Alors de quoi parle-t-on ? Ce qui nous parait important de mettre en débat c’est que plutôt que d’essayer de définir précisément ce que signifie cadre et manager pour au final mettre des gens dans des cases, il semble plus pertinent de relever que probablement la vision que l’on peut avoir du manager dépend de la vision que l’on a du travail et de l’organisation du travail. Précisons ces deux points.

La vision du manager dépend de la vision que l’on a du travail Sur un modèle de l’aliénation/exploitation. En nous situant dans une vision du travail comme aliénant, nous nous trouvons dans un système dans lequel l’Homme est exploité et où il se sacrifie conduisant à une dépossession de lui-même, de sa propre activité. Avec cette vision du travail et du rapport des hommes au travail, l’encadrant est vu comme un garde-chiourme, un organisateur de l’exploitation. On ne se place pas alors dans une position de compréhension des contraintes des différents niveaux hiérarchiques, de leur marge de manœuvre. On est alors davantage dans une position de dénonciation des effets négatifs du modèle économique. Sur un modèle de contribution sociale impliquant la subjectivité et contribuant au développement de soi. À l’opposé de cette vision du travail, une autre vision consiste à le considérer comme une contribution sociale c’est-à-dire que le travail a une utilité sociale et il remplit une fonction d’intégration sociale et de reconnaissance pour les individus. Pour contribuer, les individus impliquent leur subjectivité et peuvent alors se développer. Le travail possède une fonction psychologique et peut jouer un rôle dans le développement de soi. Ici on n’est pas seulement dans un rapport aliénant. Avec cette conception des rapports des Hommes au travail, la vision que l’on peut avoir des encadrants est différente de la précédente. Ils servent à cadrer pas seulement en veillant à ce que les travailleurs ne sortent pas du

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 10 -

cadre, mais aussi à faire en sorte qu’ils puissent travailler dans le cadre. Ils servent donc aussi à permettre de travailler, mais bien sûr à condition que certaines conditions soient réunies. L’intelligence du « haut » / l’intelligence du « bas », condition de l’efficacité. Ce qui est primordial pour ce bon fonctionnement concerne l’articulation entre l’intelligence du haut et l’intelligence du bas. Précisons ce qu’on veut dire par là. Derrière le mot « cadre » et même à son origine, il y a le mot « carré ». Un cadre carré qui encadre des personnes. Comme le précise F. Misspelblom Beyer, un cadre carré qui trace des limites avec un intérieur et un extérieur. Ces limites sont peu visibles et parfois floues, c’est ce que l’on peut retrouver quand il y a des guerres de territoire entre des services par exemple. G. de Terssac, F. Hubault, et Laurence Cambon, précisent qu’il existe un double aspect de l’activité d’encadrement : la création des cadres de l’action future et le fait de faire cadrer ces actions et de faire en sorte qu’elles ne sortent pas du cadre. Ici, l’activité de cadrage se fait du haut vers le bas. G. de Terssac, dit « [qu’] encadrer est une action des uns pour organiser l’action des autres ». Mais entre le plan et l’action peuvent exister des écarts, ce qui implique toujours une négociation entre ceux qui cadrent et ceux qui font, entre l’intelligence du haut et l’intelligence du bas. Ce fonctionnement du haut vers le bas peut à tout moment être remis en question par le bas (désobéissance, renégociation, etc.), ce qui peut impliquer de revoir le cadre.

La vision du manager dépend de la vision que l’on a de l’organisation du travail

Cette articulation entre l’intelligence du haut et du bas pour assurer une bonne efficacité du système est liée à la conception que l’on a de l’organisation du travail. Si l’on réduit la complexité de l’organisation à sa structure qui constitue le cadre en pensant que cette structure peut déterminer entièrement le fonctionnement, alors les encadrants ne seront pas enclins à prendre en considération l’intelligence du bas. Et on peut alors avoir une vision du travail des managers réduite. Par contre si on conçoit l’organisation du travail comme vivante, à la lumière des travaux de Reynaud, de de Terssac et Lompré, alors les managers auront un rôle de définition du cadre, mais aussi d’articulation des règles formelles entre les différents niveaux et les différents services. En effet, dans cette conception, l’organisation est constituée indissociablement d’une structure qui en définit le cadre, d’un ensemble d’interactions entre les personnes et les collectifs sans lequel elle ne pourrait vivre, et de cultures et d’identités collectives qui existent en son sein (Reynaud, 1989 ; de Terssac et Lompré, 1995). Si la structure de l’organisation détermine en partie les interactions des acteurs qui la composent, c’est l’activité de tous qui en assure la cohésion. Avec cette conception, le manager/encadrant n’est pas que celui qui définit une structure, il représente aussi un service, un département, un métier ; il est le représentant du travail réalisé et à réaliser. Nous y reviendrons.

De qui parle-t-on ? Des idées d’effectifs sur l’emploi des cadres Pour encore préciser de quoi on parle, peut-être serait-il intéressant de préciser de qui on parle ? Et notamment en donnant quelques idées des effectifs concernés, de l’emploi des cadres et de ses évolutions d’un point de vue quantitatif. Parce que finalement avant de préparer cette introduction je n’avais pas vraiment d’idée du nombre de cadres en France. Voici donc quelques éléments. Du côté des enquêtes emploi de l’INSEE, il y a 4 153 000 cadres en 2012. Entre 2005 et 2011, il y a eu une évolution de +2.1 points. On parle donc à peu près de 4 millions de personnes quand on parle des cadres. Si on essaie d’être un peu plus précis, l’APEC développe chaque année une enquête sur

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 11 -

l’évolution dans le secteur privé auprès de 11 000 entreprises. Cette enquête permet de suivre les évolutions de l’emploi des cadres et faire des prévisions en matière de recrutement, questionnaires sur le nombre de recrutement, de promotions internes, prévisions de recrutement. Sur des entreprises de taille et de région différents secteurs d’activité. À fin 2010, cette enquête chiffre à 2 828 700 cadres en postes. L’enquête de l’APEC met aussi en évidence un certain nombre de points :

- Près d’un cadre sur cinq occupe une fonction commerciale. - Les cadres sont présents dans tous les établissements, quelle que soit leur taille. Si 26% des

cadres occupent un poste dans des établissements de petite taille, c’est aussi que ces établissements sont plus nombreux. Mais, si l’on rapporte l’effectif cadre au nombre d’établissements pour chaque taille d’établissement, le ratio montre de façon logique que plus la taille de l’établissement est importante plus le nombre de cadres est élevé. On compte en moyenne deux cadres par établissement : un pour les structures de moins de 10 salariés et 191 cadres dans les structures de plus de 500 salariés.

- L’année 2014 marque une stagnation du marché de l’emploi des cadres dans le secteur privé. Depuis 2011, on assiste à un ralentissement des embauches de cadres (il y avait +10% en 2011, stagnation en 2012 et -10% en 2013) qui serait freiné en 2014. Les entreprises prévoient de recruter entre 163 500 et 171 200 cadres, soit une stagnation par rapport à 2013, au mieux une progression de 5% (effectifs cadres entre 2005 et 2010 : + 7).

Les chiffres précédemment cités concernent le seul secteur privé. Dans le secteur public, fin 2010, il y a 565 152 cadres et professions intellectuelles supérieures. Enfin, en comparant la répartition des salariés du secteur public et du secteur privé selon leur CSP en 2010, on s’aperçoit que les proportions de cadres sont similaires (24,7% dans le secteur public et 25,7% dans le secteur privé). Ces chiffres ne nous permettent pas de distinguer les proportions de cadres selon des niveaux hiérarchiques. Car au sein même de la population des cadres et des managers il y a des sous-populations. Et encore une fois quand on utilise le terme management encore faudrait-il préciser de quel manager nous parlons : du top management, de la proximité ? Si l’on prend l’exemple d’une grande entreprise, nous pouvons identifier quatre niveaux :

- l’encadrement de proximité ; - les cadres non encadrants, experts, etc., nous ne parlerons pas d’eux dans cette

communication ; - les chefs de service, comités de direction élargis ; - les dirigeants.

Dans ces niveaux-là, il y a des points communs, mais il y a aussi des différences d’échelle et de marges de manœuvre. À chaque niveau, les objectifs peuvent varier, voire être contradictoires. Dans une petite entreprise, il est probable qu’une seule personne tienne les quatre niveaux. Finalement, après ces quelques éléments statistiques de repérage revenons à notre sujet : de quoi parle-t-on ? Manager ou encadrant ?

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 12 -

Manager ou encadrer ?

Je n’aurais surement pas la prétention d’y mettre un point final, mais nous vous proposons plutôt deux visions à mettre en débat dans le cadre de ces journées :

- celle du manager, - celle de l’encadrant. o

La vision du manager Concernant celle du manager et ce à quoi nous faisons référence ici, le terme management désigne à la fois le pilotage de l’action collective au sein d’une entreprise, et l’ensemble du personnel responsable d’une entreprise (en français : cadre ou dirigeant). Le Management Moderne s’intéresse davantage aux problématiques concrètes de motivation, d’adhésion et d’intégration des individus. Il a pour objet de « transformer la Vision Managériale » afin de « répondre aux problématiques nouvelles du management dans les contextes modernes ». Dans cette vision le travail des managers est perçu comme un travail comme un autre qui peut être prescrit. Le manager devient en quelque sorte un exécutant de la vision qui utilise des outils standardisés y compris sur son comportement. En témoignent les formations au management que reçoivent bon nombre de managers. Dans ces formations on leur apprend à savoir se comporter, à savoir communiquer, s’affirmer, gérer l’agressivité, etc. Ce n’est pas tant l’idée que des managers soient formés sur ces points qui interroge, mais c’est plutôt la forme très « enseignement de la bonne façon de faire » (comme dans une formation au bon geste finalement) de certaines de ces formations qui interrogent. On leur apprend aussi quelles sont les qualités d’un bon manager avec au centre le courage et l’empathie. Le tout agrémenté de proverbes chinois du genre « si vous ne savez pas où aller, n’importe quel chemin peut vous y conduire » et de citation de philosophes sur le courage. Dans ces formations, la vision du travail des managers est bien souvent « décomplexifiée ». Les communications qui auront lieu vendredi sur la thématique de la formation des managers et ce que les ergonomes ont à en dire permettront peut-être de débattre de ce point. On se situe ici dans une vision du manager qui exécute par l’usage d’outils standardisés et alimente l’échelon supérieur par des indicateurs prédéfinis.

En fait dans cette vision, il s’agit d’un raisonnement en termes de transformation d’état : on dispose d’un problème, d’un état final connu, d’une méthode et d’une solution.

La vision de l’encadrant

Concernant à présent la seconde vision que nous vous proposons et qui est celle de l’encadrant, il s’agit ici de considérer l’encadrant comme un acteur et non comme un exécutant. En fait il fait une œuvre personnalisée dans un système complexe qu’il essaie d’influencer en fonction de ses orientations. Même dans des contextes très contraints, avec des marges de manœuvre réduites et des organisations très descendantes, des formes de résistance se manifestent dans l’activité des encadrants.

Dans cette vision, il s’agit d’un raisonnement de praticien, l’état final n’est pas connu, l’encadrant entre en dialogue avec la situation pour trouver une solution et des méthodes.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 13 -

Pour illustrer ces deux visions, je vais vous raconter une histoire d’intervention menée dans le cadre d’une recherche dans le secteur automobile. Cet exemple me permettra aussi de passer le relais à François.

Un exemple issu de l’industrie automobile

Le site de production sous consigne du siège mettait en place une démarche de standardisation du travail à partir du modèle japonais et notamment du Lean Manufacturing. Dans cette démarche, les cadres, à savoir des Chefs d’Unité (CU) de production, ont notamment à charge de définir des procédures et donc des prescriptions gestuelles qui prennent forme dans des fiches d’opérations. Ces fiches décrivent l’ordre des opérations à réaliser sur chaque poste de travail dans un temps requis et en respectant un certain nombre de points qualité. Le standard devient une référence de travail et d’organisation de chaque poste. Le CU est formé pour mettre en place ce processus d’élaboration. Il doit revoir la feuille tous les six mois, et reporter les résultats de cette révision dans un tableau de gestion. La standardisation est perçue comme le moyen d’améliorer la qualité. Par ailleurs, elle permet de résoudre un des problèmes perçus par la direction : le fait que les CU s’éloignent du terrain. La standardisation leur permet alors de maitriser tous leurs postes, et donc d’organiser simplement la formation des opérateurs. Ils doivent s’assurer au final que ceux-ci respectent le standard. La recherche a commencé par montrer les difficultés de ces derniers à concevoir ces fiches : l’analyse même qu’on leur demande de faire de la diversité des pratiques des opérateurs renforce encore cette posture intenable : ils ont identifié des diversités de pratiques, ont discuté avec les opérateurs sur leurs motifs, pour au final devoir prescrire un seul mode opératoire ! Certains d’entre eux cherchent alors à choisir le « meilleur » mode opératoire, mais ne sont pas en capacité d’arbitrer entre plusieurs critères contradictoires. Cette élaboration des fiches était d’autant plus difficile qu’ils avaient ensuite à charge de la faire respecter et de la faire vivre. Les opérateurs ne se retrouvaient pas vraiment dans ces fiches, ces CU se sont retrouvés en situation de débordement. Pour s’en sortir, ils ont arbitré en fonction de leur charge de travail : ils ne respectaient pas la procédure prescrite de conception des fiches, par exemple, ils n’allaient pas observer tous les opérateurs de leurs équipes pour prescrire la meilleure façon de faire, ils s’inspiraient des gammes opératoires établies par le service des méthodes. Certains d’entre eux évitaient ainsi le contact avec les opérateurs ne croyant pas en l’utilité et l’efficacité de ce nouvel outil. Je me souviens d’un cadre se voyant mal aller former un ancien en lui obligeant de travailler d’une autre manière que la sienne alors que cette même personne l’avait formé quelques années auparavant lorsqu’il travaillait sur les chaines. Cette nouvelle tâche assignée au CU, en plus d’une charge de travail déjà bien importante, a un impact sur la santé des cadres se traduisant par des situations de souffrance. L’un d’entre eux (qui se trouve être le même que celui qui se voyait mal obliger des anciens à travailler d’une autre manière alors qu’ils sont performants à leur poste de travail) avait craqué en ma présence, se confiant qu’il n’en pouvait plus.

Ces chefs se trouvent dans des situations de contradictions entre la réalité du terrain et des injonctions venant du siège qui prennent forme dans des outils de gestion à élaborer et mettre en place.

L’effet pervers ici est que justement cet outil que sont les fiches, doit être fait selon les consignes à partir du terrain. Mais partir du terrain, signifie quand on y regarde de plus près : variabilité des situations et

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 14 -

diversité des opérateurs, ce que la standardisation nie. On laisse au CU le soin de gérer ces contradictions… Les CU ne possèdent pas d’indications stabilisées sur la façon d’opter entre plusieurs modes opératoires existants. Ceux observés et interviewés ont tous un critère en commun, qui est : « la majorité ». Ils s’en tiennent à rédiger un mode opératoire partagé par la plus grande partie des opérateurs. Leur idée est de se faciliter la tâche en devant convaincre le moins de personnes possible de changer leur façon de faire. Le temps est aussi un critère partagé par tous les chefs : prescrire le mode opératoire le plus rapide, le plus efficace en référence aux principes d’économie de mouvement enseignés en formation sur la standardisation au poste de travail. Mais ce dernier critère n’oriente pas toujours leur choix : si un seul des opérateurs observés par le chef d’équipe développe un mode opératoire plus rapide que la majorité de ses collègues, ou même que le chef lui-même, ce dernier n’opte pas pour ce mode opératoire (MO) parce qu’il n’est pas partagé par la majorité des opérateurs et sera difficile à faire respecter. Finalement les chefs d’unité en venaient à rédiger des MO de moins en moins précis du fait de leur charge de travail et des priorités qui leur étaient assignées par les chefs d’atelier, leur supérieur. Cette charge de travail importante, associée à des manques de moyens en termes de temps et de priorités dictées par les chefs d’ateliers, explique aussi que les CU, quand ils n’ont pas du temps dégagé en commun, se répartissent les postes pour concevoir les fiches d’opérations afin d’aller plus vite, réduisant ainsi les échanges de vues entre eux. D’autre part sous contrainte de temps ils observent peu d’opérateurs, parfois un seul voire aucun. Ils font alors appel à leurs connaissances du poste et à leur pratique, le temps de faire une ou deux pièces pour choisir un mode opératoire. S’ils rédigent à deux, ils se répartissent les tâches, l’un réalise les modes opératoires au poste tout en les dictant à son collègue qui les écrit sur un brouillon. Dans les deux situations, le CU a recours quand c’est possible au « copié/collé » de mode opératoire d’un poste de travail similaire pour gagner du temps dans sa tâche de conception. La référence est la feuille process des services des méthodes. À partir de sa propre pratique sur la réalisation de quelques pièces à un poste de travail, le CU va confronter les modes opératoires écrits avec ceux de la feuille process, et il va supprimer ceux qui ne sont pas mentionnés et donc « payés ». Ce choix de suppression est aussi orienté par la préoccupation de faciliter le calcul de l’engagement, qui devra être fait dans un second temps par le CU à partir des fiches d’opérations. La recherche a permis de faire remonter ces ajustements au niveau de la direction et du siège. Certaines consignes de conception ont été modifiées.

François Daniellou Le travail de l’encadrant

Nous allons maintenant rentrer un peu plus en détail dans le travail de l’encadrant comme un ergonome qui regarde l’activité d’un salarié. Il y a beaucoup de métaphores pour parler du travail de l’encadrant : le skipper, le chef d’orchestre, le gourou, le garde-chiourme, le pédagogue, le berger, le coach. Mais notre habitude d’analyse de l’activité permet peut-être d’aller un peu plus loin. Nous sommes bien sûr tous confrontés à une diversité de pratiques des managers parce qu’ils sont dans des situations différentes, mais aussi parce qu’ils ont des styles différents.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 15 -

1. Une diversité de pratiques

Je voudrais commencer par dire que nous nous plaçons dans l’hypothèse de Mathieu Detchessahar qui est que nous ne sommes pas dans une situation où il y aurait trop de managers, mais dans une situation où il y a trop peu de management dans le sens où il y a trop peu de marges de manœuvre pour les managers.

Dans ces situations, il y a des réponses différentes des managers. Il y a des cadres qui sont écrasés par les contraintes dans lesquelles ils sont et qui vont d’une certaine façon reproduire au plus près ce qu’on attend d’eux et puis il y a des cadres qui se débattent, qui essayent de faire au mieux leur travail. C’est plus intéressant de chercher à comprendre avec quoi se débattent ces encadrants pour voir ensuite comment il peut y avoir des résonnances entre ces tentatives de résistance des managers et ce que l’ergonome peut apporter. Donc on va s’intéresser aux tentatives d’un certain nombre de managers d’essayer de faire bien leur travail.

2. Le travail de l’encadrant

On va faire comme on ferait pour n’importe quel travailleur, on va essayer de parler du contexte avec lequel doit composer le manager ou l’encadrant, de parler de l’objet du travail, de ses tâches, de son activité et des formes de coûts.

Les éléments du contexte de travail

Si l’on prend les éléments du contexte de travail, un des éléments marquants est l’histoire longue de l’entreprise, sa culture, le fait qu’on est dans une entreprise qui a tel ou tel style de dialogue social, tel ou tel style de rapport à l’autoritarisme, ou encore telle ou telle forme de paternalisme comme dans certaines grandes entreprises très connues en France. On ne peut pas construire sa présence de manager de la même façon suivant la culture de l’entreprise.

On doit faire avec les spécificités du secteur et ce n’est pas pareil d’encadrer une raffinerie ou une agence bancaire pour différentes raisons, mais notamment parce qu’il y a un contexte réglementaire qui est extrêmement différent, il y a des tutelles, des acteurs qui vous regardent travailler, qui contrôlent ce que vous faites.

Et puis, Karine a déjà commencé à développer ce point, le manager va d’abord faire avec les pressions du haut. Qui sont, bien avant d’être une pression physique, un environnement de modes managériales, d’idéologies managériales, dont le dernier exemple en date largement discuté l’année dernière est le lean production et ses déclinaisons possibles selon les endroits. Il y a une espèce de bain idéologique dans une entreprise avec lequel le manager doit travailler. J’ai déjà raconté l’histoire du chef d’établissement à qui on disait que le kaisen augmentait les troubles musculo-squelettiques et qui avait répondu « je le sais, mais qu’est-ce que vous voulez chez nous, le kaisen c’est une religion ».

Par ailleurs, cet environnement de mode managériale évolue sans arrêt et l’un des paramètres avec lequel les managers doivent faire face c’est une très grande incertitude sur ce que vont décider les échelons supérieurs dans les mois à venir en termes d’orientation, de fusion, de développement, etc.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 16 -

Et puis bien sûr le manager doit faire avec le fait qu’il est dans une organisation où il y a telle ou telle forme de délégation, on lui laisse la marge de manœuvre, on lui fait confiance ou au contraire il est tenu en laisse courte.

Et il faut aussi dire que certains managers doivent faire face au fait de ceux qu’on est bien obligés d’appeler les dirigeants qui ont un comportement pathologique : des formes d’arrogance ou d’autoritarisme aux niveaux les plus élevés de l’entreprise.

Le manager doit également faire face à la structuration de l’entreprise et notamment aux découpages en services spécialisés. La direction émet un certain nombre d’orientations qui sont déclinées par les services spécialisés en termes de RH, de service sécurité, de méthode, de politique qualité, de politique environnement, etc. et chacun de ces services fait descendre sur les gens de la production un certain nombre d’orientations. Et puis dans le sens du compte rendu, c’est aussi à ces services spécialisés que le manager doit rendre des comptes (DRH, qualité, financier, sécurité, etc.). En fin de compte il n’y a que deux niveaux de synthèse dans l’entreprise qui sont « tout en haut » et « tout en bas » au niveau de la production. Entre les deux, ce dont on parle c’est d’une partie du problème qui est découpée selon les logiques spécialisées.

Ceci devient encore plus compliqué quand on est face à une organisation matricielle où les personnes ont à la fois un responsable hiérarchique et un responsable fonctionnel et où il est difficile pour tout le monde de savoir qui donne les objectifs, qui évalue, etc.

Si l’on continue sur les éléments du contexte de travail il y a évidemment les pressions du bas dans le sens où le manager, l’encadrant doit faire face à des collectifs qui en général ne l’ont pas attendu pour exister et qui ont eux aussi une histoire longue, leurs propres règles, leur propre façon de fonctionner, leurs identités.

Bien sûr le manager doit faire face aux styles, aux stratégies des organisations syndicales et des instances représentatives du personnel.

L’encadrant doit aussi faire face à un contexte où il y a des salariés qui ont des histoires de vie toutes différentes, qui ont des compétences plus ou moins développées, et qui ont des personnalités qui sont

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 17 -

ce qu’elles sont. Dans cette situation, il y a deux risques où le manager va essayer de ne pas tomber. D’un côté le risque de l’interprétation purement psychologisante, c'est-à-dire que le comportement de telle personne s’expliquerait en permanence par le fait qu’elle ait un mauvais caractère. D’un autre côté, le deuxième risque c’est celui de considérer tous les salariés comme équivalents, de dépersonnaliser alors qu’ils sont différents pour des tas de raisons.

Tous ces éléments de contexte sont aggravés par le fait qu’on assiste à un durcissement des contraintes dans les entreprises, à un durcissement des formes de la prescription, de la croyance suivant laquelle ce qui est prescrit va passer dans les faits, et donc à une diminution des marges de manœuvre des managers y compris à des niveaux extrêmement élevés. C’est très impressionnant de voir à quel point maintenant le directeur d’une usine de 3000 personnes peut être traité par le siège comme un exécutant. Il y a quelques années le directeur d’usine avait quand même un certain nombre de marges de manœuvre.

Puis on est tous témoins du fait qu’on demande aux managers un reporting par les indicateurs de plus en plus formalisés, mais on y reviendra.

3. L’objet du travail de l’encadrant ?

Faire travailler les autres ? Permettre aux autres de travailler ? Karine a commencé à soulever cette question, c'est-à-dire que suivant le regard que l’on porte, l’objet du travail de l’encadrant c’est faire travailler les autres ou permettre aux autres de travailler. C’est évidemment les deux. L’action de l’encadrant, c’est une action sur l’activité d’autrui, et ceci est une propriété que l’encadrant partage avec les enseignants, les médecins, les psychologues, les policiers, les gardiens de prison, etc.

Il y a donc ce double volet : d’un côté il s’agit de faire en sorte que la production attendue sorte, mais la production attendue peut être en quantité, dans les délais, en sécurité, en qualité, etc. Donc les regards qui sont portés sur ce qui est attendu sont des regards divers. L’encadrant doit gérer le fait qu’il y a plusieurs logiques en présence qui sont évidemment contradictoires puisque c’est difficile de faire en même temps vite, pas cher, en sécurité, etc.

Dans le même temps, l’encadrant sait que pour que la production sorte, il faut qu’il y ait une contribution personnelle des salariés, il s’agit de permettre aux salariés de travailler. D’une certaine façon si l’on veut que les choses progressent, il faut permettre un développement de l’activité des salariés qu’il encadre. L’encadrant va alors essayer d’assurer des ressources aux services pour que les gens puissent travailler.

En fait, le travail de l’encadrant est en permanence en tension entre cette question de faire travailler les gens et celle de permettre aux gens de travailler. Autrement dit, est-ce qu’il s’agit d’imposer à des gens de travailler ensemble, d’imposer la collaboration, ou bien est-ce qu’il s’agit de favoriser la coopération entre les membres du service ?

Si l’on continue sur cette interrogation, bien sûr l’encadrant doit représenter le haut vers le bas, il est le porteur de la mise en œuvre d’un certain nombre d’orientations de l’entreprise, mais il doit aussi représenter le bas vers le haut. Il est en permanence observé par les gens qu’il encadre sur sa capacité à défendre les moyens de travail, à obtenir des ressources pour permettre de travailler dans de bonnes

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 18 -

conditions. Et donc l’enjeu très important de l’encadrant est la question de choisir ou non son camp. Est-ce qu’il est en haut, en bas ou à l’articulation entre les deux ?

Je travaille beaucoup dans les industries à risque et il y a des questions sans fin pour savoir si les chefs de quart qui sont les chefs des équipes postées, donc les hiérarchiques les plus élevés qui sont présents dans l’usine la nuit, font partie des équipes ou de la direction. Je réponds systématiquement que c’est la même question que de savoir si le coude fait partie du bras ou de l’avant-bras. C’est donc une question idiote. Le travail des managers est un travail d’articulation entre ce qui descend et ce qui remonte et le fait de leur demander d’être d’un côté ou de l’autre est contraire à leur métier.

4. Le travail sur les règles

Un des objets sur lequel l’encadrant doit travailler est le travail sur les règles. Karine citait Gilbert de Terssac : « l’encadrant doit définir le cadre et faire cadrer ». Mais les règles dans le travail de l’encadrant sont un matériau qui a beaucoup de formes.

Elles sont pour partie des règles de contrôle qui servent à ce que les gens fassent ce que l’on attend d’eux, mais c’est aussi un support à l’activité collective, de faire en sorte que l’équipe A fasse ce qu’il faut pour que ça se passe bien pour l’équipe B ; un certain nombre de règles permettent de faciliter la coopération.

Les règles peuvent aussi être un objet sur lequel l’encadrant doit avoir une activité pédagogique notamment quand il y a le recrutement de nouveaux salariés qui ont tout à construire du point de vue du rapport aux règles de l’entreprise. Plus largement, la question de ce qu’est une règle et à quoi elle sert nécessite une activité pédagogique de l’encadrant.

Et puis il y a des moments où la règle devient une protection de l’encadrant. Quand l’encadrant est en difficulté, « la règle est comme ça et pas autrement » et donc sert de bouclier par rapport à l’encadrant.

Au carrefour de toutes ces fonctions de la règle, un certain nombre d’encadrants, ceux qui nous intéressent, vont essayer de tenir une position à la fois directive et participative. À la fois ces encadrants perçoivent la nécessité de donner la direction, et à la fois ils savent qu’on ne peut pas atteindre cette direction s’il n’y a pas des discussions, des formes d’écoute, des formes de prises en compte de ce que Karine appelait l’intelligence du bas. C’est un débat qui est très connu dans les sciences de l’éducation où tout le problème est de tenir entre aucun laisser-faire d’un côté et pas d’autoritarisme de l’autre. Sur ces questions de règles, un des moments difficiles pour tout le monde est celui de l’évaluation annuelle. On a longuement parlé ici de pourquoi l’évaluation annuelle était difficile pour les encadrés, mais elle l’est aussi pour les encadrants. Ils doivent par exemple noter numériquement l’ensemble du travail d’une année et dans certains cas, ils n’ont le droit de reconnaitre que 20% de leurs salariés comme ayant bien travaillé. C’est impressionnant de voir l’énergie mise en œuvre par certains encadrants pour inventer des manières de tenir l’entretien annuel d’évaluation pour qu’il soit un peu moins rigide que ce qu’on leur demande de faire. Et puis il y a un thème sur lequel les ergonomes ne sont pas du tout habitués à travailler, c’est la question des sanctions. Les ergonomes, par culture, ont tendance à penser qu’il ne faut pas de sanctions. Mais il y a quelques exemples qui font réfléchir. Imaginons qu’un salarié fume dans une raffinerie, tout le monde dans l’entreprise est absolument d’accord sur le fait qu’il est mis à la porte dans l’heure parce qu’on ne peut pas prendre ce risque-là. Et donc s’il y a des cas où la sanction se justifie, comment se pose la

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 19 -

question de la gamme des situations entre ceux où la sanction pourrait avoir du sens et ceux où il ne faut surtout pas. On est amenés quand on travaille dans les industries à risque à travailler directement sur cette question. Il ne peut pas y avoir mille règles dans une entreprise pour lesquelles il y a une sanction si on les enfreint. Mais il peut y en avoir quatre, cinq ou dix par exemple qu’on appelle les règles d’or et pour lesquelles tout le monde est d’accord pour dire qu’elles sont infranchissables parce que la sécurité de tous est en jeu. L’intérêt de ces règles, si on arrive à les formaliser, est qu’elles deviennent doublement opposables c’est-à-dire que d’une part le manager peut imposer le respect de ces règles au salarié, mais que d’autre part le salarié peut dire « je ne peux pas travailler, les conditions ne sont pas réunies, cela nécessiterait d’enfreindre une règle d’or ». Donc il y a un travail d’ergonome sur l’élaboration des règles d’or dans les industries à risques. Ce travail peut permettre d’éclairer les débats qui se posent aux managers et de faire en sorte que chacun ne soit pas seul pour traiter ces questions.

5. Imposer la collaboration ou favoriser la coopération

Si on revient sur cette question de collaboration et de coopération, le manager doit construire des rapports aux collectifs, notamment aux collectifs de métiers qu’il y a dans ses services, mais il doit aussi faire face aux rapports entre les collectifs et donc le manager. Par exemple le chef d’atelier est confronté au fait qu’il y a des conflits traditionnels entre la production et la maintenance. Et puis les managers dont on parle, ceux qui essayent de tenir à la fois le directif et le participatif vont tenter de favoriser un certain nombre de débats, de formes d’écoute. Le problème est que ces débats génèrent des patates chaudes, c'est-à-dire que les salariés soulèvent des questions qui sont forcément des bonnes questions, mais qui ne relèvent pas forcément du périmètre de décision du manager. Et donc le manager qui provoque des débats dans son service hérite de questions qu’il n’a pas le pouvoir de régler. C’est plus facile de tenir ces questions de tensions quand il y a au moins un minimum de valeurs partagées. Nous connaissons tous la mobilisation dans l’entreprise que représente un entretien de réseau électrique français quand il y a une tempête. On est tous témoin de l’extrême mobilisation interrégionale qui va permettre que les lignes soient réparées le plus vite possible, et tout le monde est d’accord, cela fait partie de l’identité professionnelle. C’est plus facile d’encadrer une équipe quand il y a comme ça des valeurs partagées sur un certain nombre de caractéristiques du travail que dans des situations où il n’y en a plus. Par exemple, dans certains milieux bancaires il n’y a plus aucune valeur partagée entre la direction de l’entreprise et les salariés ce qui rend très compliquée la question du management. Donc l’idée pour le manager est de tenter de créer des objets communs qui permettent la coopération, de créer des terrains d’entente provisoires, de construire des compromis, de résoudre un certain nombre de tensions autour de questions pratiques. Chacun va devoir arbitrer la manière dont il délègue, et la manière dont il reste disponible, dont il est en recours quand les gens auxquels il a délégué ne sont pas en situation de traiter le problème.

6. Le rapport au « haut »

Revenons sur cette articulation entre le « haut » et le « bas ». Ce qui est valorisé dans la description française du travail des managers est le fait de faire descendre. Mais faire descendre c’est très compliqué. Il ne s’agit pas simplement de transmettre dans le service les orientations de la direction, il faut les décliner, les mettre en musique, les faire vivre, les prioriser parce qu’elles sont par ailleurs potentiellement contradictoires. Dans le rôle du manager, en tout cas dans un monde idéal, il y a aussi le fait d’alimenter la direction de l’entreprise avec des éléments de réalité. Mais on ne peut pas tout transmettre vers le haut. Alors,

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 20 -

comment trier ? Comment faire des synthèses qui permettent de remonter ? On a déjà parlé ici du problème majeur en France qui est le déséquilibre entre « le descendant » et « le remontant » avec un déficit considérable du côté du remontant avec ce qui s’appelle l’idéologie du bon professionnel : un bon professionnel n’a pas de problème et si quelqu’un signale un problème c’est qu’il est mauvais. J’ai déjà raconté l’appel du médecin du travail effondré qui sortait du bureau d’un patron de PME, lequel avait derrière son bureau une grande affiche qui disait « si vous m’apportez un problème sans m’apporter de solution c’est que vous faite partie du problème ». C’est évidemment idiot puisque ce ne sont pas du tout les mêmes compétences qui permettent d’identifier un problème et de le résoudre. On est donc massivement en France dans une situation où il y a un déficit du côté remontant y compris un déficit de la nécessité du côté remontant. Je ne peux pas résister au fait de vous présenter le dessin que je préfère dans le livre « Le Bonheur au Travail. »

Donc dans ce rapport vers le haut le manager doit tenter d’influencer ce qu’on va lui imposer. Il y a des formes de négociation vers le haut qui consistent à tenter d’avoir une certaine influence sur les orientations, les moyens et sur le rapport entre les deux, c'est-à-dire qu’on lui fournit des ressources qui correspondent aux objectifs qu’on lui demande d’atteindre. Il y a cette question très difficile d’alimenter le haut avec des éléments de réalité. Est-ce qu’on fait remonter ou pas ? Comment gère-t-on les patates chaudes que l’on considère comme de vraies demandes des opérateurs et pour qui ça a vraiment du sens de les traiter, mais que le manager n’a pas les moyens pour le faire ? Un des problèmes pour l’encadrement intermédiaire, par exemple les chefs de service, est qu’en plus ils ne peuvent faire remonter que les informations dont eux même disposent. Ils sont donc tributaires des stratégies des managers de l’échelon « d’en dessous » qui leur font remonter ou pas des choses pour se construire une représentation de la situation. Tout manager est en permanence dans la situation de soit dorer la pilule, dire que tout va bien soit d’alerter. Et dans l’immense majorité des entreprises, ceux qui sont valorisés sont ceux qui dorent la pilule puisque les entreprises françaises repeignent les couloirs quand un PDG vient visiter une usine. La question peut aussi se poser à l’envers c’est-à-dire qu’il peut y avoir des sujets que l’encadrant décide de ne pas faire remonter. Puis enfin il se pose la question de l’accès que le manager a vers le haut. Il y a des couches spécialisées et donc il y a des managers qui ont très peu d’accès à un niveau de synthèse supérieure, une diversité de logiques spécialisées.

7. Représenter un département

Dans ce rapport au « haut », il se pose pour l’encadrant la question de représenter son département c'est-à-dire de ne pas laisser s’instaurer aux échelons supérieurs une vision trop simpliste du travail qui se fait dans son département, de créer un minimum de représentation de la complexité de ce qu’il y a à gérer.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 21 -

Il y a des services plus difficiles à représenter que d’autres. Quand on est cadre des moyens généraux, le fait d’expliquer que le nettoyage est compliqué est sans doute plus difficile que quand on est patron d’un laboratoire par exemple.

Dans cette discussion vers le haut le manager est aussi le représentant d’un corpus de règles de métier qu’il maitrise plus ou moins bien parce qu’il est plus ou moins du métier.

Dans cette question de représentation de son département, le manager représente son département aux interfaces et il doit donc tenir la question des limites des frontières.

8. Tenir une position : entre la personne et la fonction

Dans cette articulation entre ce qui monte et ce qui descend, l’encadrant est à la fois une personne et une fonction. Avec une vision de la frontière entre la personne et la fonction qui est très différente selon les cultures d’entreprise, voire selon les pays me soulignait Sophie Aubert. Il y a deux images que l’on peut prendre. Celle du skipper sur un bateau où plusieurs personnes seraient compétentes pour diriger le bateau et à un moment donné on se met d’accord sur le fait que c’est lui ou elle qui est skipper, à un autre moment ça pourrait être quelqu’un d’autre. C’est un mandat provisoire qui peut être remis en jeu. Mais quand c’est lui ou elle le skipper, il ne faut pas qu’il y ait plusieurs personnes qui disent on va à bâbord ou tribord. Typiquement un président d’université est élu pour un certain temps donc il devrait avoir une représentation du style skipper. L’autre représentation est un recouvrement total entre la personne et la fonction, la situation du roi où l’intégralité des caractères se recouvre entre la question de la personne et celle de la fonction avec une durée beaucoup plus grande. Dans cette question, l’origine des règles est importante, est-ce qu’on est à un moment donné dépositaire seulement de règles externes ? Ou est-ce qu’on est aussi générateur de règles et avec quels droits ? Dans cette relation entre la personne et la fonction il se pose classiquement la question du pouvoir et de l’autorité. Le pouvoir est assis sur une inscription sociale, on est quelque part dans un organigramme tandis que l’autorité n’est pas automatique, ça n’existe que si c’est reconnu. Elle ne peut être reconnue que si les salariés reconnaissent que la personne est plus que le simple reflet de la fonction, qu’elle est plus que la case de l’organigramme qu’on lui a attribué. Karine a fait un petit détour sur l’origine des managers je fais à mon tour un retour sur l’origine d’autorité. Augere est le mot latin qui veut dire augmenter. Donc un auteur est quelqu’un qui ajoute quelque chose à ce qui existe déjà. L’autorité est donc le fait d’ajouter quelque chose par rapport à la simple occupation d’une case. L’une des sources de reconnaissance de l’autorité de l’encadrant par le salarié est que le chef permette au salarié de développer son travail, son activité. Le manager est pris en permanence entre la question de faire parler la personne ou la fonction. Il y a des cas où il faut faire parler la fonction et c’est la personne qui s’exprime et c’est un jeu très compliqué. L’encadrant est en permanence observé notamment sur la question de la congruence : est-il est exemplaire ? Respecte-t-il les règles qu’il impose aux autres ? Dans ce jeu entre la personne et la fonction, une des ressources que certains managers arrivent parfois à mettre en œuvre c’est l’humour. Je ne résiste pas au plaisir de vous présenter cet extrait de l’ouvrage Le Bonheur au travail.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 22 -

9. Arriver, habiter son poste

Prenons maintenant le chemin d’arrivée d’un manager. Il arrive et il va devoir habiter son poste dans un contexte de mobilité de l’encadrement où il est probable qu’il ne va pas rester très longtemps. Il ou elle va devoir assez vite prendre sa place ce qui suppose de respecter ce qui a déjà été fait pour pouvoir faire autre chose. Ça suppose aussi de comprendre ce qu’il se passe, les identités de l’entreprise, des personnes, des collectifs, le fonctionnement des organisations syndicales, etc. pour transformer. Ceux qui ont des chances de réussir sont des managers qui prennent un temps de compréhension quand ils arrivent, mais ils n’ont pas beaucoup de temps. Il va leur falloir assez vite construire une représentation que les autres vont se faire d’eux-mêmes. Il y a des tas de crocodiles autour du territoire qui attendent que le manager fasse un faux pas. Le manager qui arrive doit donc construire son territoire, construire des alliances, établir un certain nombre de choses. Il n’a pas beaucoup de temps pour faire tout ça parce que dans trois ans il sera ailleurs. Les encadrants vont essayer de répondre à toutes ces contraintes avec des styles différents. Un point important c’est leurs intentions ou leurs orientations, ce à quoi ils croient, qui est important pour eux et qui est lié à des valeurs. Ils croient à de nombreuses choses, en ce qui concerne le rapport avec autrui et le rapport aux règles.

Dissonances cognitives

Si le manager peut faire de façon conforme à ses croyances, alors les croyances seront renforcées. Tandis que si le manager est dans une situation où il ne peut dans aucun cas agir conformément à ses croyances alors deux cas s’ouvrent à lui : soit il s’en va, soit il va trouver une excellente raison de justifier ce qu’il est obligé de faire. Il va ajuster ses croyances à ce qu’il est parvenu à faire. On est dans ce qu’Yves Schwartz appelle les formes d’usage de soi, entre l’usage de soi par soi où l’on est pilote et l’usage de soi par les autres. Cet usage de soi en tant que manager dans le contexte spécifique et des collectifs évoqués auparavant, il faut l’inventer à chaque fois, car il y a un genre manager dans l’entreprise, il y a une culture de management dans l’entreprise malgré le fait que ce genre n’aide pas toujours. L’enjeu est de développer un style qui soit acceptable, mais qui soit à la limite du genre.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 23 -

Caractéristiques de l’activité des encadrants

L’encadrant est confronté à une multitude d’histoires qui se développent en parallèle ce que l’on appelle des dossiers dont la quantité augmente de plus en plus. Avec des besoins d’exploration, de recherche d’informations sur chacune des questions, sur des histoires dynamiques c'est-à-dire que les histoires que gère le manager se développent indépendamment de son action propre. Il faut qu’il intervienne avant même que les choses se soient trop détériorées. Cela implique des activités de mémorisation et de « planification » malgré le fait qu’il y ait souvent un écart entre ce qui était prévu et ce qui se passe vraiment. Dans ce processus, la prise de décision n’est pas un moment où l’on arbitrerait les choses, mais plutôt une longue activité de construction du problème, de recherche d’informations, d’avis qui va progressivement construire la décision. Sans compter les interruptions et la nécessité de produire de l’information sous forme d’indicateurs et de mettre en circulation dans son service. L’encadrant est pris en permanence entre la question du court terme et celle de pouvoir prendre du recul, de pouvoir réfléchir à long terme. Actuellement il y a un envahissement du court terme ce qui rend la prise de recul plus difficile aux encadrants.

La proximité entre le travail des managers et celui des opérateurs

La question de l’intelligence rusée, c'est-à-dire que les formes d’intelligences dont le manager a besoin pour pouvoir piloter une situation complexe, c’est une intelligence où la question du corps et celle des connaissances ne sont pas séparées. L’intelligence rusée c’est une intelligence où le sensible et la raison sont intriqués et où le subjectif et le corporel le sont aussi. Ceci est relativement compliqué quand l’horizon est incertain et que l’on ne sait pas ce qui va se produire. Une des caractéristiques du traitement de l’information c’est qu’il faut gérer des indicateurs officiels de reporting que l’on a plus ou moins réussi à négocier. Ce qui est impressionnant lors de l’observation des managers c’est le travail de remplissage des indicateurs qui empêche de travailler. Le temps dédié au remplissage des indicateurs est un temps que l’on passe à ne pas traiter les problèmes. Par exemple, dans l’industrie automobile, dès qu’il y a un arrêt de chaîne, le patron téléphone au chef d’atelier pour connaître les raisons de l’arrêt, qui lui téléphone au responsable d’unité, qui lui appelle le chef d’équipe et donc pendant ce temps-là ils ne peuvent pas traiter la question de pourquoi il y a eu arrêt de la chaine ? Toute cette activité de rendre compte, sur des indicateurs formels, est très éloignée de l’activité qui permet de traiter les situations.

Par ailleurs, le manager est souvent défini comme un opérateur intellectuel, mais c’est aussi un travailleur corporel, c’est son corps qui travaille avec une forme de présence et un statut particulier de la parole. Chaque manager est particulier (histoire, nom de famille, etc.) et il doit prendre place dans un contexte où il existe des codes, des discriminations… Une illustration du bonheur du travail qui dit : « on a déjà embauché une femme au comité de direction, en embaucher une deuxième ça commence à devenir une manie » La question du statut des femmes, la question du statut des gens qui ont un nom d’origine étrangère, ou des personnes qui auraient des atteintes à la santé sont des questions très importantes. Avec une idéologie dans les entreprises françaises, que ce que Pascal Béguin appelle la domination virile de la situation, c'est-à-dire la conviction que l’on prend une décision qui va ensuite prendre la forme décidée plutôt que le rapport souple au réel, qui peut être guidée comme une plante dont on dirige la croissance, mais que l’on ne peut transformer.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 24 -

L’encadrant est un travailleur corporel, comme le dit Yves Schwartz c’est le corps qui travaille. C’est un acteur qui est presque toujours en scène, qui travaille sous le regard des autres et dont la prestation théâtrale est évaluée en permanence. D’où l’importance du costume de scène (cravate ou non) qui est le bleu de travail du manager. L’enjeu c’est la forme de présence, la manière dont son corps est sur le terrain, la façon dont il perçoit la situation, le risque prit d’écouter qui entraine beaucoup de travail contrairement à d’autres stratégies qui sont de ne pas entendre ce qui est dit. La parole pour le manager c’est la manière de questionner, c’est la manière de qualifier et mettre des mots pour expliquer où l’on va et ce qu’il se passe et de donner du sens à la situation. Mais c’est aussi la capacité à dire non, à son équipe, voire à sa propre hiérarchie. Tenir sa parole comme tenir ses engagements implique de savoir sur quoi il ne faut pas s’engager faute de ne pouvoir tenir sa parole. C’est aussi faire connaître ce que l’on fait. Souvent les opérateurs disent que rien n’a été fait et l’on s’aperçoit par la suite que cela a été fait, mais les opérateurs l’ignorent. C’est aussi la parole d’un avocat qui doit argumenter, plaider, défendre des dossiers, au point que certains managers écrivent leurs discours dans certaines situations. Certains managers n’arrivent pas à faire face à tout ce qui vient d’être décrit. Ils font ce qu’on leur dit de faire, mais certains managers tentent tout de même de résister en dégageant des marges de manœuvre et en se battant pour tenter d’élargir leurs champs d’action. La fabrication de marges de manœuvre demande du travail qui est à double détente parce qu’il y a du court terme et du long terme. Chaque coup joué se joue dans une partie beaucoup plus vaste, mais il reste de nombreux paramètres inconnus par la suite. Un des moyens pour se donner des marges de manœuvre pour l’encadrant est de donner une place à l’expression des salariés. Soit individuelle en écoutant séparément les gens, soit collective.

Les ressources/leviers des managers :

- La prise de recul, moments de réflexion qui sont très rarement possibles en entreprise et empiètent souvent sur la vie privée.

- Des collectifs particuliers : les collectifs d’encadrants sont très rares, car l’organisation isole les managers. Il en existe tout de même parfois en dehors de l’entreprise par exemple des DRH qui se regroupent dans des endroits éloignés de leurs usines pour discuter entre eux.

On retrouve des alliances ad hoc qui ne sont pas des alliances systématiques entre telle ou telle fonction, mais des alliances entre des encadrants qui ont des choses à se dire comme un DRH et un directeur financier, mais il existe également des alliances opposées.

o La connaissance du terrain comme source d’autorité : Raouf Ghram a réalisé une thèse sur un directeur d’une usine d’habillement en Tunisie qui dépend d’une multinationale. Il montre que chaque fois qu’il y a une décision de la multinationale qui ne lui convient pas, le directeur passe du temps dans l’atelier pour essayer de trouver des arguments. Pratique qui n’est pas si rare que ça. La présence sur le terrain alimente la capacité des managers à résister quand ils savent le faire.

Cette tradition s’est largement perdue. Autrefois les grands industriels comme Louis Renault Edward Michelin passaient beaucoup de temps dans les ateliers ce qui ne se fait plus vraiment. Cela pose la question de ce qu’il faut savoir des métiers encadrés, car le temps où les managers sont issus des équipes qu’ils encadrent n’est plus. Mais cette question c’est moins un préalable qu’un processus. La question n’est pas de tout connaître sur le métier encadré, mais plutôt de savoir comment

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 25 -

on va faire pour progressivement apprendre des choses, être dans une position d’écoute, de bienveillance et de curiosité par rapport à la situation.

- La mise en évidence des coûts cachés puisqu’il faut argumenter sur le terrain financier. La démonstration de certains coûts cachés permet de prendre place dans le débat financier. Les managers peuvent pousser leurs équipes dans certaines formations.

- Les témoignages de managers c’est que certaines formations personnelles qu’ils ont suivies comme le DU d’ergonomie ou bien d’autres leur ont fait découvrir des éléments de formalisation de sciences humaines qui servent de ressources.

- Dans tous les éléments présentés précédemment, on retrouve de nombreux points communs avec l’activité des syndicalistes. Les managers comme les syndicalistes sont entre les salariés et une organisation qui n’est pas la même. Ce sont des gens légitimes, les uns de par leur statut, les autres parce qu’ils ont été élus, mais pour chacun ce n’est pas parce que l’on est légitime que l’on connait la situation dont on a la responsabilité. La forme d’humilité qui consiste à aller voir avant de défendre un dossier se pose de la même façon pour les managers que pour les syndicalistes. Les uns comme les autres sont confrontés à la difficulté de représenter un groupe et de mobiliser des personnes.

- Pour l’activité, les ergonomes parlent des formes de coût, comme pour les cadres, un envahissement de leur vie privée.

- Pour les managers, il y a en jeu des affects très forts dans la mesure où ce qui est en jeu ce sont des dramatiques d’usage de soi qui ne sont pas simples qui génèrent des préoccupations. Avec par ailleurs un fond de référence dans l’entreprise où on vous demande juste d’être un super héros et d’évaluer dans un contexte de concurrence.

- Une des choses très difficiles c’est que tout ce que l’on gagne est en permanence remis en danger. C’est une construction de château de sable remise à plat par la marée montante qui peut entrainer un sentiment d’impuissance.

- Le risque c’est de développer des défenses et de se couper de la réalité en continuant à faire passer vers le bas les instructions qui arrivent, mais ne plus gérer l’articulation entre les montées et les descentes par difficulté. La résistance des managers n’est pas quelque chose de facile et d’autant plus quand le manager est lui-même syndicaliste-cadre.

Karine Chassaing

L’action de l’ergonome en résonance avec les tentatives de résistance de certains managers

Avec tout ce que François vient d’évoquer à propos du travail des managers, cela nous renvoie à la question de l’ergonome et du travail des managers, thème de ces journées et nous avons pour cela trois jours pour en débattre. Mais nous pouvons ouvrir des pistes sur le sujet. Un premier élément que nous pouvons aborder et qui reviendra dans les trois jours concerne l’analyse stratégique des acteurs. Phase importante dans la construction de l’intervention.

L’analyse stratégique des acteurs

Si l’on considère le manager comme un travailleur. Il est primordial pour tout ergonome de comprendre leur logique, leurs marges de manœuvre afin d’identifier le bon niveau de décision pour impulser des

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 26 -

actions, des transformations. C’est toute la question du positionnement stratégique de l’ergonome dont il est question ici. Cette analyse stratégique nous permet aussi de préciser que le bon niveau de décision n’est pas toujours le plus haut.

Un exemple dans une industrie à risque

Prenons un exemple d’une intervention menée dans le secteur des industries à risque avec des collègues qui sont Corinne Gaudart, Alain Garrigou et Gabriel Carballeda, et en collaboration avec Ivan Boissière de l’Institut pour une Culture de Sécurité Industrielle (ICSI). Cette histoire a déjà fait l’objet d’une communication aux journées à laquelle je vous renvoie si vous souhaitez aller plus loin. Mais ce qui nous intéresse dans cette histoire concerne la construction stratégique de cette intervention et du coup le positionnement stratégique auprès de certains acteurs, qui ont permis une coopération efficace entre les ergonomes et les managers. L’intervention s’est déroulée dans une entreprise d’extraction de gaz où la question de la transmission des savoirs se pose compte tenu de départs massifs en retraite et de fermeture du site en raison d’épuisement des ressources en gaz dans le sol. Du coup on assiste à des réductions d’effectif avec une DRH qui met en place une GPEC (Gestion prévsionnelle des emplois et des compétences) qui aboutit à des départs de personnels compétents, trop et trop vites par rapport au délai de fermeture, et qui inquiète les personnels de la production et les OS (ouvriers sépcialisés) qui estiment ne plus être en capacité de produire en sécurité. De fortes tensions apparaissent entre la direction et la production. La situation devient conflictuelle : c’est une logique comptable portée par la direction contre une logique compétence portée par la production. Le management de proximité ne fournit plus qu’au compte-goutte les informations concernant la formation et la polyvalence et la salle de contrôle devient une boîte noire. En ce qui concerne la construction de l’intervention, nous étions bien positionnés côté direction (niveau direction générale du site et DRH), mais nous avons dû construire notre positionnement auprès du management de proximité et des OS compte tenu du contexte décrit ci-dessus. Nous avons rencontré chaque OS et travaillé en coopération avec le management de proximité. Sans ce positionnement l’intervention n’aurait pas eu les effets escomptés : le dialogue a été renoué entre la salle de contrôle et la direction et nous avons travaillé à des actions de transformation que je ne vais pas détailler ici, car ce n’est pas le propos. Le diagnostic mené par les ergonomes a permis de faire remonter les éléments de la réalité, mais pour avoir accès au terrain il a fallu qu’on se positionne auprès des managers de proximité et des OS qui d’ailleurs nous ont d’abord envoyé faire un diagnostic dans une autre zone de l’usine pour voir notre façon de travailler. De plus sans le concours du management de proximité nous aurions travaillé des données RH qui auraient été seulement celles fournies par le DRH et qui étaient déconnectées de la réalité du terrain. C’est avec la proximité que nous avons construit des données RH « réelles », et compris à chaud les questions de polyvalence et de gestion d’effectif et leur impact sur le travail. Donc concernant les aspects RH dans cette intervention, le bon niveau pour nous était la proximité plus que celui du DRH. Il y a des histoires d’intervention, avec un positionnement stratégique de l’ergonome de haut niveau qui ont été ratées pour ne pas avoir construit ou trop peu un positionnement stratégique auprès du management de proximité.

Des personnes et pas seulement des fonctions

Un autre élément important est qu’on travaille avec des personnes et non avec des fonctions. À chaque intervention, un positionnement stratégique auprès d’une fonction comme le responsable production ou

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 27 -

qualité n’est peut-être pas pertinent dans une autre intervention. Ainsi, dans chaque intervention c’est la personne que nous allons chercher. Bien souvent, le succès de nos interventions c’est quand on arrive à faire des couplages particuliers (différents à chaque intervention) entre ce que l’ergonome va pouvoir apporter et les orientations de certains managers. Il va donc bien falloir comprendre quelles sont ces orientations pour pouvoir faire ces couplages. Il ne suffit pas d’un accord au plus haut niveau et bien souvent, on peut apporter un double soutien : le cadre soutient l’intervention ; l’intervention fournit de nouvelles voies à la résistance du cadre : un développement de son activité.

L’apport de l’ergonome aux cadres

Ce que l’on peut aussi apporter aux cadres c’est une connaissance du travail, des premiers résultats de notre analyse de l’activité. On peut même leur apporter parfois des formes de formalisation de ce que l’on a vu de la réalité voire des mots pour le dire. On peut aussi leur apporter une contribution au recensement des coûts cachés. Des collègues avaient mené une intervention dans le secteur agroalimentaire où les coûts cachés des TMS dans la conduite de projet de conception d’une ligne de découpe de canard notamment a largement permis de renforcer le positionnement de certains managers sur les coûts cachés des TMS. On peut aussi leur amener des méthodes. Cela peut aussi les amener à se questionner sur une forme de présence et du questionnement. François Daniellou

Un soutien à l’alimentation du « haut ».

Les ergonomes peuvent aider les managers dans le processus d’information : on a souvent des remarques du type si c’est vous qui le dites au comité de direction, vous les ergonomes, ce n’est pas pareil que si c’est nous qui le disons. Tout le travail qu’on fait sur la conduite de projet arme les encadrants et notamment les encadrants de production pour tenir tête aux concepteurs. Dans les processus de conception dominés par des ingénieries la présence des ergonomes aide à renforcer le droit au jeu des responsables d’exploitation. On est amenés aussi à soutenir la mise en place de débat sur le travail notamment pour les managers qui ont cette fibre-là. L’apport des ergonomes dans le soutien du débat :

- L’idée que le bon objet c’est l’activité de travail, il faut parler de l’activité de travail, pas des conditions de travail. Ce qui pose la question de comment ramener dans une salle de discussion des éléments sur l’activité.

- Ils apportent un nouveau statut pour les écarts. Les managers confrontés aux écarts sont très souvent en difficulté. Les ergonomes mettent des mots sur le fait que les écarts ce n’est pas forcement une catastrophe, mais que cela peut aider à l’organisation des débats.

- Les ergonomes aident également à ce que l’idée de controverse soit bienvenue. Par exemple, deux professionnels également compétents ne soient pas d’accord sur la manière de faire une opération.

- Aide dans la mise en place de processus de traitement et de rebouclage de ce qu’ils ont fait comme condition du fait que le débat puisse se poursuivre.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 28 -

- Aide dans l’anticipation des conséquences qu’aurait une décision grâce à l’apport des simulations ergonomiques. Ceci est réalisable sur des dispositifs techniques, des situations architecturales, mais aussi de plus en plus sur les simulations organisationnelles. Ces simulations aident les managers à voir les conséquences que pourrait engendrer une nouvelle organisation. Le soutien de l’anticipation à travers des discussions des différents points de vue. Cette activité de soutien de l’anticipation des décisions est réalisable avec des managers type chefs de service, mais aussi avec des comités de direction. De plus en plus ils contactent les ergonomes afin de réfléchir à certaines conséquences que pourrait provoquer un changement organisationnel.

- Soutien dans l’évolution du dialogue social. Parfois les ergonomes interviennent dans des situations extrêmement bloquées. En réalisant un travail commun comme un travail sur maquette ou en faisant de l’analyse de situation, il en ressort des choses nouvelles qui ouvrent de nouvelles perspectives pour chacun. Malgré une difficulté à travailler avec les organisations syndicales, les managers se rendent compte qu’il est important de travailler avec elles. Cela évite de nombreux ennuis et améliore la qualité des prises de décision. Cela suppose de réfléchir sur quels sont les objets communs qui permettent à des gens de travailler ensemble et quels sont les objectifs communs sur lesquels la simulation est possible pour représenter l’activité future.

- Parfois les managers et certains membres du CHSCT ont suivi des formations communes sur les facteurs humains ou autres et ont des référentiels communs. Ceci peut aider les ergonomes à ouvrir un dialogue social.

Est-ce que l’ergonome est un coach ?

Jacques Christol a souligné l’importance du colloque singulier de la relation en privé entre l’ergonome et le manager. Parfois l’ergonome peut aider l’encadrant à avoir une vision différente, à mobiliser d’autres descriptions du travail et à envisager de nouvelles options stratégiques. L’ergonome a une influence très personnalisée sur certains managers qui peut se demander comment il contrôle cela. Les professions de conseil comme les psychologues ont un environnement où ils peuvent mettre en débat les conseils qu’ils donnent. La question qui se pose pour les ergonomes est de savoir avec qui il peut échanger pour vérifier son travail. L’importance des formations personnelles que vont se donner les managers, par exemple autour des facteurs humains. Ces formations sont à la fois une prise de recul par rapport à l’entreprise, un apport de concepts nouveaux et de nouvelles façons d’aborder les choses, une occasion de partage d’expériences avec d’autres personnes et une obligation de formaliser sa pratique. Cela contribue à la santé des managers ou à leurs décisions de partir dans certains cas. Cette question du travail avec les managers soulève de nouvelles questions par exemple : est-ce que les ergonomes peuvent jouer un rôle dans la transformation d’une culture d’entreprise ? De quoi parle-t-on lorsque l’on parle de culture d’entreprise ? Peut-on contribuer à aider une entreprise à passer d’une culture très autoritariste à une entreprise où il y aurait plus de place pour le débat ? L’absence d’écoute des salariés français est une des causes de la décadence industrielle de la France. Il y a des indicateurs de corrélation entre l’écoute que l’on prête aux salariés et la capacité d’innovation

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 29 -

d’une entreprise dans un contexte variable. Est-on capable de contribuer à aider des entreprises à passer d’une culture autoritariste à une culture où l’intelligence du bas aurait plus de place ? Cela implique l’utilisation d’autres sciences humaines que celles habituellement utilisées. Lorsque l’on travaille sur la question du manager, on ne peut passer à côté de se faire une opinion sur la question de ce que devrait être une politique de reconnaissance et de sanction positive et négative dans une entreprise. Question qui est très compliquée, mais la non-reconnaissance est un refus d’obstacle. Toutes les questions qui viennent d’être soulevées se posent aux ergonomes-managers, car lorsqu’ils sont managers d’une équipe, ils ne sont pas seulement ergonomes. Ce qui soulève de nombreuses questions dans l’articulation entre le haut et le bas et dans le rapport aux règles.

Références

- Barbier, J-M., Chauvigné, C., Vitali, M.-L. (2011). Diriger : un travail. Paris : L’Harmattan. - Mispelblom-Beyer, F. (2010). Encadrer, un métier impossible ? (2e édition). Paris : Ed. A. Colin - Mispelblom-Beyer, F. Glée, C. (2012). Diriger et encadrer autrement : théoriser ses propres stratégies

alternatives. Ed. A.Colin.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 30 -

Dirigeant et encadrant : de la « boîte à outils » managériale à la construction collective de projets

Frederik Mispelblom Beyer Professeur de sociologie, université d’Evry/Cnam (CRF)

Communication non validée par l’auteur

Je vais vous présenter rapidement mes différents secteurs de recherche et d’intervention (j’insiste sur le mot intervention, car je travaille rarement à partir d’entretien, mais je travaille énormément avec les gens). Je travaille dans trois principaux secteurs de recherche :

- le secteur social, qui m’a permis d’apprendre l’analyse de pratique ; - l’entreprise, qui m’a permis de devenir spécialiste de l’activité de l’encadrement ; - le secteur de la santé (grâce à mon livre « Encadrer, un métier impossible», j’ai été nommé

par Mme Bachelot membre de la mission de Singly sur les cadres hospitaliers). Mes recherches actuelles portent sur le handicap. Or, je constate que lors de l’analyse de l’accompagnement des personnes en situation de handicap, on rencontre les mêmes enjeux en termes d’orientation que ceux des managers. Il semblerait qu’une petite évolution soit en train de se dessiner dans les approches du management. Je travaille également sur une tentative de « démanagérialisation » de l’activité de direction et d’encadrement. Il y a une sorte de « technicisation » de l’activité de direction de l’encadrement qui est coupée et détachée des histoires singulières d’organisation. C’est pourquoi lors d’une conférence au Louvre j’ai demandé « Pourquoi cherchez-vous des modèles de management dans les théories de management et autre ? Et pourquoi ne regardez-vous pas les tableaux qui sont affichés sur vos murs, où nous avons des histoires millénaires de démocrates et de tyrans ? Ne sommes-nous pas toujours dans ce même genre de cas de figure ? ». J’essaye donc de développer une approche de l’activité de direction et de l’encadrement, qui s’inscrit dans les trois mille ans d’histoire de la science politique. Les révolutions que je constate sont le côté boîte à outils du management. Notamment grâce aux drames qui se sont passés dans un certain nombre d’entreprises et qui commencent à être mis en cause. Je constate le développement de tentative de créer des projets collectifs entre managers, entre équipes d’encadrement de différents niveaux et parfois même d’exécution. Des projets collectifs qui visent à transformer les rapports aux méthodes de management au lieu de les fournir à priori, de chercher des méthodes de management qui peuvent correspondre à des problèmes concrets qui se posent dans des organisations et qui existent dans ces méthodes. 1. Diriger, encadrer, manager : entre le prescrit et le réel du travail

1.1. Bref historique d’une terminologie devenue hégémonique L’étymologie du mot management n’est pas l’histoire du terme management. Il y a eu en France deux grandes périodes d’introduction du management :

- Après la Deuxième Guerre mondiale ; avec le plan Marshall, il a été introduit les premières méthodologies du management par des représentants des « business schools » américaines. À cette même période a été introduite une méthodologie d’intervention dans le travail social appelé le « case-work ». Cette coïncidence n’est pas due au hasard.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 31 -

- Les années 1985-1990, vague à laquelle nous faisons encore partie aujourd’hui, peuvent s’illustrer par les écrits de Taylor : « scientific management » et « shop management ».

- Ces deux ouvrages ont été traduits en français sans reprendre le terme de management, terme qui n’a été admis par l’Académie française qu’en 1961. La première traduction qui a été proposée et rejetée s’appelait : « Méthodes de gestion à l’américaine ». Or, c’est parce qu’il y a eu des formes de résistance contre ces méthodologies du management à cause de leur dimension américaine qu’on a réinventé une histoire française qui ne correspond absolument pas à la manière dont les choses se sont déroulées.

J’ai tout de même trouvé dans un dictionnaire, une définition poétique qui date de 1788. Le terme « manager », écrit tel quel, désignait le maître de cérémonie du bal. Pendant toute une période, le terme a complètement disparu du vocabulaire français, par contre on trouve des traces aujourd’hui dans ses vieilles origines.

- Une des significations était : « tenir les rênes d’un cheval ». Chez Taylor les ouvriers étaient comparés à des chevaux de trait.

- Une deuxième signification qui fait référence à l’histoire du management (cf. Karine Chassaing lors de l’introduction).

- Une troisième qui fait référence au management : dans les années 1990, quand le management a été introduit, beaucoup de gens ont crié à la manipulation. Dans « manipulation », on retrouve le terme de la main. Une des façons de définir certains managers comme étant des manipulateurs savants.

1.2. Le management et le référentiel de compétences : dimensions prescrites de l’activité de direction et d’encadrement

Ce qui est totalement absent dans la plupart de ces anciennes définitions, c’est la dimension de la parole dans cette activité. Définir le manager comme un pilote, c’est faire comme s’il suffisait d’appuyer sur des boutons pour que les gens agissent comme on souhaiterait qu’ils agissent. Pour moi, le management fait partie de la dimension prescrite de l’activité de direction dans l’encadrement, dont font partie également les référentiels de compétences qui effectivement mettent en scène une sorte de manager idéal. Dans cette dimension prescrite de l’activité d’encadrement, il arrive même parfois à certains managers de dire : « on assiste à une taylorisation de notre activité ». Une des critiques que je fais au management, c’est qu’elle s’applique apparemment indifféremment à l’activité de direction et à l’activité d’encadrement. Je pense qu’il est nécessaire de continuer à distinguer les deux.

1.3. Diriger : représenter la politique et les orientations de l’organisation Diriger c’est représenter la politique et les orientations d’une organisation. Les orientations sont les valeurs en acte et en situation, soutenues par des pouvoirs multiples. Or, on peut être très haut dans une organisation et avoir les mains complètement liées par toutes sortes de prescriptions, qui s’appliquent maintenant aussi à ceux qui sont au sommet des organisations.

1.4. Encadrer : mettre les orientations dans des cadres opérationnels Encadrer ce n’est plus seulement faire travailler les autres, mais c’est aussi aider les autres à travailler, à mettre en place les bonnes conditions pour leur travail et c’est également mettre les orientations dans les cadres opérationnels.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 32 -

L’encadrement correspond aux politiques et aux orientations des organisations représentées par des moyens humains de proximité. « Moyens humains de proximité » veut dire qu’il y a aussi des encadrements par les procédures, par les machines. « Humains de proximité » signifie que ce sont des gens qui ont des oreilles pour écouter, une bouche pour parler et des yeux pour voir.

1.5. Des activités imbriquées et contraintes, toujours « intermédiaires », où tout peut devenir un problème et où l’on fait feu de tout bois

Ces deux activités, diriger et encadrer, sont très éloignées à la fois de par la place que les gens occupent et de par le positionnement qu’ils ont les uns les autres. Une place et un positionnement qui peuvent être en partie communs. Dans ce cas, le concept d’activité assumerait de dire que finalement, du point de vue subjectif, diriger et encadrer comportent de très fortes ressemblances. La différence réside dans la place occupée, et les répercussions de l’une ou de l’autre activité avec des effets beaucoup plus importants.

1.6. Des « métiers impossibles », qui composent avec les exigences économiques, les enjeux politiques, et les passions humaines

Diriger et encadrer sont ce que Freud appelait des métiers impossibles. Des métiers impossibles qui composent avec les exigences économiques, les enjeux politiques, mais aussi avec les incertitudes et les passions humaines dans lesquelles l’improvisation, l’invention et les conduites de projet collectives sont extrêmement importantes. Je tiens à souligner qu’effectivement l’encadrement, les managers et les dirigeants passent souvent pour des gens individualistes, mais ce sont, avec leurs équipes, des constructeurs d’œuvres communes et d’œuvres collectives. Le plus douloureux pour un certain nombre d’encadrants et de dirigeants que j’ai pu interviewer, c’est au moment de leur licenciement ou de leur mutation, lorsqu’ils constataient l’écroulement des œuvres collectives qu’ils avaient pu construire avec leurs équipes.

1.7. L’activité ? La mobilisation d’un ensemble de connaissances, méthodes, techniques, astuces, stratagèmes, énergies et inerties, pour faire face à ce qu’il y a à faire

Pour terminer sur ce premier point, puisque j’utilise ce concept d’activité, je vous propose une définition extrêmement succincte en ces termes :

« L’activité c’est la mobilisation en réseau d’un ensemble de connaissances, de méthodes, de techniques, d’astuces, de stratagèmes et d’énergies, mais aussi d’inerties. »

J’insiste sur l’importance de l’inertie dans l’activité pour faire face à ce qu’il y a à faire.

1.8. Faut-il continuer à se battre sur ces mots ? Alors pour conclure sur ces premiers termes :

- est-ce qu’il faut continuer à se battre sur les mots ? - est-ce qu’il faut continuer à se battre sur les mots : diriger et encadrer ? - faut-il distinguer les deux par rapport à management ?

Je dis oui sur le plan stratégique, pour toutes les raisons que j’évoquais précédemment consistant à distinguer les deux activités (diriger et encadrer), mais aussi pour réinscrire ces activités dans l’histoire. Et je dis non sur le plan tactique. Je dirais d’abord que tout ce développement, et toute cette distinction sont beaucoup plus simples à faire en français qu’en anglais. De plus, je dirais aussi que ce mot est devenu tellement hégémonique que de temps en temps il faut faire des concessions aux mots qui sont à la mode et j’ai ainsi reconfiguré mon site qui s’appelle maintenant « pour une pratique citoyenne du management ».

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 33 -

2. Une évolution grâce aux souffrances au travail

2.1 La mise en cause multiforme des « boîtes à outils » managérialesAu début de mon intervention, j’évoquais que c’est « grâce » à un certain nombre de drames dans les entreprises qu’il a pu y avoir des modifications du côté « boîte à outils » de ces méthodes de management et c’est notamment à partir de l’accord France Télécom dans lequel le nouveau Président Directeur Général a introduit un certain nombre de réformes.

2.2 Des menaces extérieures qui renforcent la cohésion interneAujourd’hui on constate ici et là des tentatives pour essayer de parler normalement comme on l’évoque chez Orange. Essayons de ne plus utiliser une partie de notre jargon du management qui nous empêche beaucoup de comprendre ce que nous faisons.

2.3 La redécouverte de la devise de la République et de l’article L1121-1 du Code du travailJe voudrais citer à cette occasion un article du Code du travail, il s’agit de l’Article L1121-1. Il montre ce qui se passe dans les entreprises et que, pendant très longtemps, ces faits ont été considérés comme des choses qui étaient en dehors de la vie citoyenne. Cet article dit :

Article L1121-1 « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

2.4 L’ouverture d’espaces de discussion, de débat, de délibération collective, pour construire des projets pertinents par leur réalisation et par le renforcement de la cohésion direction / encadrant / subordonnés

Je veux donc insister sur le fait qu’effectivement, au travail, les salariés restent des citoyens. Quand on parlait ce matin de l’ouverture d’espaces de discussions, ici et là, de débats, de délibérations collectives pour construire les projets pertinents, on est dans la question de la démocratie au travail et, on est dans la question de : comment les activités de direction et d’encadrement contribuent-elles à la création de formes singulières du vivre ensemble ?

3. Diriger, encadrer, manager : s’il s’agit bien d’un travail, qu’est-ce que le travail à la lumière de ces activités ?

Que pouvons-nous apprendre du travail, quel qu’il soit, sur l’activité de direction et d’encadrement ?

3.1 Des activités ou les dimensions politiques et morales du travail sont l’objet et l’enjeu explicite : on dirige et encadre au sein d’orientations qui s’opposent à d’autres

Je vous propose tout simplement l’idée suivante : travailler c’est lutter. Les activités « diriger et encadrer » sont des activités où les dimensions politiques et morales du travail sont l’objet et l’enjeu explicites. On dirige et on encadre au sein d’orientations qui s’opposent à d’autres. François Daniellou évoquait ce matin le licenciement et la démission de personnes et c’est effectivement ce que j’ai pu constater avec les personnes que j’ai pu interviewer. Les trois quarts des gens avaient, à un moment donné, démissionné pour des raisons de désaccords fondamentaux avec les nouvelles orientations de leur direction générale. Ces personnes exprimaient le fait qu’on voulait qu’elles redeviennent à nouveau des petits soldats. Les gens quittaient donc leur travail pour ne pas être soumis. Cela signifie qu’on rencontre encore actuellement, de même dans les entreprises privées, des gens qui courent le risque d’être au chômage

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 34 -

pendant des mois et voire même des années, car ils ne peuvent plus continuer à travailler dans ces conditions. L’activité explicite donc les dimensions politiques du travail.

3.2 Des activités qui explicitent les dimensions politiques de tout travailAu lieu de citer Yves Schwartz, je vais vous conseiller le livre du sociologue Sennett qui s’appelle « Ce que sait la main ». Il s’agit d’une analyse du travail artisanal qui, à un moment donné, met en scène ce qu’il appelle l’expert asocial et l’expert sociable. L’expert asocial est celui qui croit que seuls les experts ont raison sur un certain nombre de domaines. Et ce, même contre la démocratie. Pour eux, cela signifie que les spécialistes ont à penser à la place des profanes. À l’inverse, l’expert sociable est celui qui est ouvert au profane, qui essaie d’expliquer ce qu’il fait dans un langage compréhensible par d’autres. Il travaille comme passeur, comme mentor, comme instructeur et, il est prêt à accueillir des suggestions, à expliquer et à prendre en compte le point de vue des usagers de l’expertise. On retrouve ça notamment dans le domaine informatique où l’on peut construire des logiciels ensemble ou des logiciels participatifs, qui prennent en compte le point de vue des utilisateurs. On retrouve aussi l’expert sociable dans le travail en usine et là, le meilleur livre reste celui de Robert Linhart intitulé « L’Établi » où l’on retrouve que le travail consiste à résister aux cadences ou au contraire donner le bâton pour se faire battre, c’est-à-dire collaborer. Je trouve absolument affligeante la façon dont le terme de collaborateur s’est rependu dans toutes les entreprises au dépit de tout oubli de l’histoire de l’occupation.

3.3 Les espaces de délibération : la « tête » des managers, les réunions d’équipe, les groupes de travail, des assemblées, dans le dit et dans le non-dit

Ces espaces de délibération, c’est d’abord la tête des managers. C’est dans la tête des dirigeants et des encadrants qu’ont lieu parfois des combats héroïques entre des choix à faire, des possibilités de choix entre plusieurs alternatives, plusieurs orientations. Mais ce peut être aussi plus banalement des réunions en équipe, des groupes de travail. J’ai assisté à des moments de démocratie d’entreprise au sens où les gens débattent collectivement (une centaine de personnes ; des chefs de projet, etc.) dans une démarche qui passe pour souvent extrêmement technique, administrative, etc. qui sont en réalité des démarches qualité. Et donc, c’est à l’occasion du travail courant que peuvent se créer ici et là des espaces de délibération à condition que quelqu’un y veille. Et parfois, effectivement, on le voit aussi sur une échelle plus grande avec l’organisation de grandes assemblées générales, des messes d’entreprise et autres. Alors je vais conclure petit à petit sur cette idée qu’avec ces divergences d’orientations nous avons à faire à quelque chose qui se joue à la fois à l’intérieur des organisations et aussi, comme je l’ai signalé au début, dans toutes les autres sphères, y compris dans la vie privée, dans la sphère du travail, de la santé, du handicap et autres. Ces divergences sont donc des luttes d’orientations, des choses qui ont à voir avec la politique et avec la démocratie.

3.4 Les orientations du travail à la lumière de Machiavel : les ordini e modi Il se trouve que grâce à la rédaction d’un article pour la revue Ergologia qui va sortir en juin, j’ai relu une nouvelle traduction du Prince de Machiavel et j’ai trouvé chez lui un terme qui est « ordini e modi » voulant dire approximativement la chose suivante : Machiavel caractérise les Princes par leurs différentes manières de procéder, ce sont ça les « ordini e modi », leurs façons de faire, les modes d’ordonnancement de leur régime, ceux par lesquels le prince règle les rapports entre lui, les grands, et le peuple. Machiavel affirme, par exemple, que le Prince doit brider les grands en s’appuyant sur le peuple, mais le Prince peut aussi régner en s’alliant aux grands contre le peuple. Donc en fait, ce que Machiavel appelle les « modi e ordini », ce sont les manières d’ordonnancer les rapports entre les différentes classes sociales que le Prince dirige.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 35 -

3.5 Ce qui s’applique au Pince peut s’appliquer à tout sujetAlors, moi qui viens d’un pays (les Pays-Bas) où, un siècle avant la Révolution française, on a mis de côté les rois et les princes, je vous propose de penser que ce qui s’applique au Prince peut s’appliquer à tout sujet.

3.6 Repenser le politique dans l’activité, le politique dans le métier, et le politique comme métier

En fin de compte, encadrer et diriger en toute connaissance de cause, pour les dirigeants et les encadrants, serait d’encadrer et de diriger en connaissant les orientations qu’on met en œuvre et leurs conséquences. Mais ces orientations, ce n’est pas seulement ce qui s’affiche, ces orientations vont au-delà des affichages et des déclarations d’intention. Comprendre les potentialités d’action contenues dans un poste occupé (titre du Monde il y a quelques jours : « Jusqu’où ira Poutine ? »), c’est la potentialité de prévoir un certain nombre de choses au-delà de ce qui peut être dit. Ceci vaut à tous les niveaux hiérarchiques.

3.7 Apprendre à penser avec les mains Les potentialités d’action contenues dans les postes, l’inscription d’un cadre dans des réseaux d’alliance et d’opposition pour savoir de quel côté il se situe, en déduire de possibles projets et juger par les pratiques et les actes, c’est ce que Machiavel appelle : apprendre à penser avec les mains. Et donc nous retombons, finalement, sur nos pieds !

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 36 -

Manager de terrain : acteur d’une régulation impossible

Emmanuel Pasquier Syndicaliste et consultant en organisation,

Michelin Clermont- Ferrand Je vais vous raconter une histoire qui s’est déroulée entre juin et octobre 2011. À cette époque, j’étais syndicaliste sur le site central de l’entreprise Michelin à Clermont-Ferrand. Avec un groupe de dix élus au sein d’un CHSCT, nous avons mené une intervention basée sur une formation action, avec l’aide d’ergonomes bordelais et clermontois, au sein du département Achats Groupe.

1. Le contexte syndical En 2008, ce même CHSCT avait demandé une large étude sur une problématique de RPS dans le secteur ingénierie machine. Cette étude avait été confiée à un cabinet externe venu avec une batterie de tests classiques. De cette étude, nous syndicalistes, n’en avions rien retiré en termes d’action. La restitution a conforté le management Michelin dans l’idée qu’il était dans la norme du panel d’entreprises et ce fut un soulagement pour eux. Sur le plan syndical, nous avons pris conscience que ce type de démarche (enquête épidémiologique et ration par populations) était mal adaptée aux transformations attendues. Nous avons réfléchi à des alternatives d’actions en se disant qu’il valait mieux nous former que de s’en remettre à des experts. Nous voulions utiliser nos heures de mandat pour nous former à l’ergonomie à l’aide d’une formation action. À cette époque, j’avais repris des études pour intégrer le département d’organisation interne avec l’idée que c’est dans l’organisation que se jouent les difficultés que les collectifs connaissent en aval, idée partagée par le responsable du département, qui m’expliqua ne pas avoir les compétences pour de nouveaux cadres de pensée permettant de réfléchir aux aspects humains dans les organisations de travail. Il m’a alors proposé de me former. Je suis parti à Paris-Dauphine faire un master appelé "Management, Travail et Développement Social (MTDS)". Là, j’ai rencontré messieurs Daniellou et Dugué. Au sortir d’un cours de B. Dugué j’ai compris l’intérêt de l’ergonomie, à savoir la transformation des situations de travail en révélant l’écart entre le prescrit et le réel. J’ai compris alors le potentiel en termes d’actions syndicales : analyser les difficultés se jouant dans l’activité de travail pour instruire des diagnostics sur les champs de la santé et de la performance. J’ai alors proposé à Bernard Dugué de faire une formation action. En parallèle, du fait de la vague de suicides en 2009 chez France Télécom, le législateur imposa aux entreprises de plus de 300 salariés de négocier sur les RPS. L’entreprise eut alors une idée très intéressante : partir de la parole des salariés pour réduire les RPS. Sauf qu’ils proposèrent une façon très déterministe, cette parole devait entrer dans les cases d’une grille excel.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 37 -

Les syndicalistes ont alors porté le débat en avançant qu’il existe des cadres intellectuels tout à fait intéressants pour lire le travail différemment et notamment celui de l’ergonomie. Nous n’avons pas été écoutés sur cet aspect. Pour cette raison et d’autres, la CFE- CGC à laquelle j’appartiens, ne signa pas l’accord RPS et décida d’appliquer la démarche ergonomique au même département que celui investi par la direction, les Achats Groupe. Soit une intervention sur un même département investi sous deux angles différents : une analyse des risques psycho- sociaux et une formation action portée par le CHSCT. Les enjeux syndicaux n’étaient pas négligeables, j’avais un poste de responsable de section syndicale et nous étions en pleine élections syndicales. Nous avons alors expliqué la démarche aux salariés qui après nous avoir écoutés, nous ont fait remarquer que nous ne venions que tous les quatre ans. J’ai alors pris conscience que nous ne faisions plus le travail de représentation du personnel, nous n’étions pas suffisamment sur le terrain. Il fallait repartir de la parole des salariés et de cette intelligence qu’ils déploient dans leur travail.

2. Le contexte organisationnel

Les Achats ont fait l’objet à cette époque d’une vaste transformation organisationnelle qui a donné lieu à un plan de formation débuté en 2008. Un cabinet externe est venu apporter une sorte de "benchmark", un standard de ce qui se fait dans les entreprises du CAC 40 et ailleurs pour nous dire qu’il faudrait que les Achats soient structurés selon trois horizons :

- Un horizon stratégique avec un métier phare : les "Category Managers" qui font les stratégies d’achats au niveau du groupe,

- Un horizon tactique avec les "Acheteurs" qui déclinent les stratégies en négociant des contrats-cadres avec les fournisseurs,

- Un horizon opérationnel avec les gestionnaires de contrat qui assurent l’achat des matières premières en respectant les contrats-cadres négociés.

Ces principes descendants ne sont pas en soit absurdes. Et nous n’avons pas instruit la critique de ces principes standards, mais leurs conséquences sur le travail. À la suite de ce plan de transformation sont remontées des plaintes fortes de la part des salariés dès 2010, par l’intermédiaire de la médecine du travail qui a mis en évidence des difficultés importantes pour les salariés, avec pour conséquences le fait qu’ils étaient démotivés ou qu’ils tombaient malades et partaient en arrêt maladie ; mais aussi via les représentants du personnel. Le CHSCT avait lui, l’ambition de faire la preuve par l’ergonomie de transformer les situations de travail au travers d’une formation action. Fabien Coutarel, Bernard Dugué, Johann Petit ont alors formé les élus du CHSCT à Clermont-Ferrand, soit huit membres de la CGC et deux de la CFDT. L’intérêt pour nous a été de mettre en œuvre cette démarche juste à la suite de la formation aux entretiens, aux RPS, à l’analyse, à la restitution. Soit 400 heures de formation, 25 entretiens, 100 heures de travail, 150 synthèses distribuées. Volontairement nous ne nous sommes pas intéressés aux "Categories managers" par manque de temps. Nous avons vu des acheteurs, des gestionnaires de contrats et leurs managers de proximité. Personnellement j’ai mené les entretiens avec les sept "purchasing managers", managers des acheteurs et les "operation managers" qui sont les managers des gestionnaires de contrats. Voici la synthèse du diagnostic mise en perspective.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 38 -

3. La transformation vue par le rôle des managers

Les "Operations Manager" et les "Purchasing Manager" ne vivaient pas le plan de transformation de la même façon.

Pour les gestionnaires de contrat, ce qui ressortait des entretiens, c’est qu’il y avait un vrai soutien managérial des Operations Managers. Le N+2 des Opérations, responsable du plan de transformation, avait compris que cette couche basse, la couche d’exécution avait été négligée dans la transformation. Ce manager avait donc donné des marges de manœuvre suffisantes à ses subordonnés (managers de proximité) pour qu’ils puissent remettre en cause l’organisation du plan et adapter le métier de la gestion de contrat. Ils ont pu ainsi lancer des groupes de travail avec les gestionnaires de contrat pour comprendre les difficultés, les catégoriser et les résoudre. Cette capacité d’adaptation était vécue comme une ressource. Ils passaient un temps fou à leur activité quotidienne, mais ne le vivaient pas comme une peine, ils étaient dans une vraie dynamique. Le management des Purchasing Manager (manager d’Acheteurs) n’a rien à voir. Le style du management du N+2 est très « offensif ». C’est un manager venant de l’extérieur (ce qui n’est pas anodin) et qui ne laisse pas de place à la contradiction sous prétexte du respect des objectifs fixés en termes de réduction de fournisseurs et gains sur les négociations des contrats. Les Purchasing Managers ont donc opté pour un fort investissement dans le travail quitte à prendre la place des opérationnels pour les décharger des difficultés qu’ils vivaient, faisant marcher l’équipe au prix de leur investissement. Mais aussi toute la tension avec les clients et la gestion des contradictions. Notons la création informelle d’un espace de coopération entre acheteur et gestionnaire de contrat. Alors que les situations étaient compliquées, ils ont trouvé des moyens de se parler. Un autre exemple de ressource : un manager instrumentalisait l’intervention pour faire passer tous les messages qu’elle n’avait jamais pu faire entendre à son manager.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 39 -

Aussi, en termes de difficulté, l’équipe faisait remonter à leur manager le fait que la résolution des problèmes soulevés n’avançait pas. Ce qui mettait le manager dans un étau : d’un côté il fallait se débattre avec des objectifs intenables ; d’un autre l’équipe leur reprochait les défauts de l’organisation du travail et la lenteur dans la résolution des problèmes. Entre les Purchasing Manager et les Category Manager (définition de la stratégie d’Achat), les relations étaient compliquées, car en séparant la stratégie et sa mise en œuvre, il n’y avait plus de lieux de coopération entre ces deux postes. Les Purchasing Manager avaient donc l’impression d’être dépossédés d‘une partie de leur mission générant ainsi des tensions. Lors des entretiens, la difficulté a été de faire parler les managers de leur travail, car ils parlaient toujours du travail des autres. La trame de l’entretien était de leur faire décrire leur prescrit et de poser ensuite la question suivante : « mais au quotidien, c’est bien cela que vous faites ? » afin de révéler les écarts. Pour à la fin aborder les aspects de santé. Une ressource manquant aux managers interviewés est ressortie de façon criante : la capacité réflexive sur le travail. C'est-à-dire la capacité de regarder l’activité sur sa globalité en en voyant les enjeux, les difficultés et de pouvoir y répondre. C’est une absence de distanciation entre l’acteur et le sujet qui fait qu’ils sont plongés dans un opérationnel qui ne leur permet pas de se détacher du quotidien.

4. La théorie de la régulation

Il est intéressant de lire cet ensemble de difficultés et de ressources au regard du cadre conceptuel de la théorie de la régulation sociale de Jean-Daniel Reynaud. Une organisation est un lieu de production de règles constant et en cela elle est vivante. Cette production ne s’arrête jamais. Ce que dit cette théorie c’est que finalement, il y a une régulation dite de contrôle qui est le fait de tous les gens qui prescrivent sur le travail, et dieu sait qu’il y en a : les consultants externes, le management, le conseil en organisation, la qualité, les systèmes d’information …. De l’autre « côté », là où se réalise le travail, il y a une régulation dite autonome qui fait en sorte que les règles prescrites deviennent opérantes. En effet, les règles qui arrivent sur la table de monsieur et madame « tout le monde » sont rarement complètement opérantes, les écarts sont alors résolus par cette régulation autonome. Entre nous, on se dit que c’est comme ça que l’on fait, mais sans remonter l’information. Ce que dit la théorie de la régulation, c’est qu’il y a une dernière brique au milieu de la régulation de contrôle et la régulation autonome qu’est la régulation conjointe. La régulation conjointe, je me dis que c’est par essence le rôle des manageurs de terrain. C’est à dire d’être en capacité de descendre l’intelligence du haut et de faire remonter l’intelligence du bas pour reprendre les mots de la présentation de Karine Chassaing. En fait, cette mission de régulateur leur serait naturellement dédiée, mais elle est impossible, car on ne leur en donne pas la capacité. Finalement, le management au-dessus est dans une volonté de faire advenir un modèle et de ne surtout pas y déroger, avec toujours cette idée que je trouve dramatique, qui est que si jamais on commence à venir interroger un bout du modèle on va le déconstruire dans son intégralité. On ne veut pas écouter ce qui se fait jour dans la réalité du travail. Ce qui fait qu’on a une régulation de contrôle obèse qui pèse de tout son poids, une régulation autonome qui se fait, car tous autant qu’on est ici, et c’est vrai pour tous les salariés de Michelin aussi, on est malin, donc on arrive à prendre les règles et à les adapter pour faire en sorte que le travail advienne. Mais cette régulation conjointe qui fait qu’on s’entend pour se dire : OK, vous nous avez dit que c’était comme ça, vous acceptez que ce qui arrive sur notre bureau ne soit pas complètement opérant, et nous on accepte votre cadre,

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 40 -

cette régulation là fait qu’à la fin ça marche, et que ça marche bien, que chacun s’y retrouve et que le travail n’est coûteux pour personne.

5. Le diagnostic relu par les managers

Pour préparer cette intervention sur les conseils de Fabien, je suis allé voir quelques managers, un manager des opérations et 2 managers des acheteurs. Cela m’a fait beaucoup de bien, car, dans le champ du syndicat, on fait des interventions, on révèle un certain nombre de choses, mais on suit peu la mise en œuvre à laquelle on est rarement associé. Dans notre cas on avait un argumentaire très étayé et on avait réussi à avoir l’oreille de l’ensemble du management et des relations sociales, avec un discours aussi bien sur la santé que sur la performance. Concernant l’activité des gestionnaires de contrat, 40% de leur temps consistait à gérer des ennuis. Le premier manager qui arrive et regarde cela se dit que ça n’est pas possible, il considère alors qu’il y a des postes en trop. À ce moment, on avait réveillé l’attention du management en parlant de performance. Pour reprendre le fil, je suis revenu voir des managers et finalement on n’a jamais eu de retour de la part de l’entreprise pour nous dire : beau travail, on l’a pris en compte pour transformer l’activité. En effet, dans le champ des relations sociales en France, l’organisation du travail n’est pas un objet de partage, on ne partage pas sur l’organisation du travail avec les syndicats, c’est une chasse gardée de la part des directions et on ne veut surtout pas rentrer là-dedans. Moi j’ai mille fois entendu, de la part du responsable des relations sociales France « les moyens c’est nous ». Ce qui était très intéressant, c’est que le premier manager que je suis allé voir je lui ai demandé s’il me reconnaissait. Il m’a répondu « bien sûr que je vous reconnais » tout en sortant de son tiroir le diagnostic. Un document qui avait vécu, qu’on avait lu, relu et annoté. Il m’a dit que c’est un diagnostic dans lequel il s’était reconnu. Cela a été une possibilité de crever l’abcès avec l’équipe, de mettre des mots sur un sentiment flou et j’aime le fait que tout le monde l’avait lu, et qu’il devenait un objet de débat. Pour ma part, j’ai interrogé les managers sur le « comment vous l’avez reçu ? », « qu’est ce que cela a transformé vis-à-vis de votre équipe et de votre management ? ». Le manager a répondu que vis-à-vis de son équipe, cela lui avait permis de parler des situations les plus tendues, de pouvoir mettre des mots sur les difficultés que les personnes vivaient, et de pouvoir gérer des situations qui devenaient particulièrement compliquées, ce qui lui a aussi permis de dire à certaines personnes de faire attention, car leur poste était l’objet d’une telle désorganisation qu’elles s’étaient décentrées du poste qu’elles avaient initialement. C’était donc l’objet d’une discussion sur le travail tel que les personnes le vivent.

Un autre aspect a été la possibilité laissée aux managers de terrain de jouer leur rôle… Lors des réunions de management, les managers ont discuté de ce diagnostic, le N+2 des Purchasing Manager a alors dit qu’il s’en occupait et qu’il lancerait un plan d’action. La réaction de ses subordonnés a été de dire qu’ils souhaitaient faire ces actions ensemble et qu’ils seraient coresponsables de l’avancement. Cela leur a donc permis de reprendre la main sur la façon d’organiser le travail, qui est l’une des missions essentielles du management. Avec un plan d’action qui, pour la partie acheteur, a véritablement été suivi d’effets, ça s’est vu, car on les a accompagnés jusqu’au bout. C’est donc intéressant de constater que même si on partait d’un management qui était à mon avis le moins en capacité à rebondir sur ce diagnostic pour en faire quelque chose, finalement c’est celui qui l’a fait advenir, en termes de transformations, le plus loin possible. A contrario, pour le N+2 des managers de gestionnaires de contrat (qui a changé entre le début et la fin de l’intervention), ce diagnostic a été pris, selon moi, dans le mauvais sens. De la même façon, les managers disent que ça leur a permis de dire les choses pour commencer à retailler le métier, à le réinterroger, leur

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 41 -

donnant des ailes pour aller plus loin. Néanmoins, lorsque ce nouveau N+2 est arrivé, il a lu le document pour arriver à la conclusion que les Operations Managers n’étaient pas bons et n’avaient pas réussi à traiter assez rapidement les problèmes…

6. Les enjeux syndicaux : le changement dans la continuité

Suite à notre diagnostic, il y a eu de nouvelles transformations : la séparation des achats entre Groupe et France avec une réorganisation à la clé ; la mise en place d’un nouveau système d’information et ils ne vont pas tarder à être structurés en centre de service mutualisé. Ce qui rend le travail d’analyse du travail compliqué, car il faudrait sans cesse recommencer. C’est donc une vraie interrogation : sommes-nous, représentants du personnel en capacité de suivre les transformations du travail ? Nous avons mené ce travail en mode projet, mais nous n’avons pas réussi à l’inscrire dans nos pratiques syndicales dans un mode récurrent. Par rapport à l’intervention, c’est une réussite, car nous avons produit un savoir sur le travail qui a été utilisé pour transformer des situations coûteuses pour les salariés. Pour autant elle est en partie inaboutie, car nous n’avons pas eu le courage de réunir toute la population Achats pour leur faire une restitution de ce qu’ils vivaient ; on a eu peur que personne ne vienne. Ce qui est à mon avis absurde, car si on avait eu cette peur au début pour les entretiens finalement non seulement ils nous ont répondu, mais on ne les arrêtait plus. C’est dommage, car ce moment aurait servi de lieu de cristallisation collectif et chacun aurait pu mieux s’emparer des changements au lieu de le laisser au seul soin des managers. Et cette intervention n’a pas laissé tout le monde indemne : une élue y a trouvé sa vocation d’ergonome.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 42 -

Témoignage d’un cadre supérieur paramédical : Manager ou gestionnaire de contraintes ?

Françoise Duclaud Cadre de santé, CHU de Bordeaux

Olivier Lhospital Ergonome interne, CHU de Bordeaux

1. Le cadre de santé de pôle paramédical

Olivier Lhospital

Je suis ergonome dans le SST au CHU de Bordeaux. Françoise Duclaud et moi-même allons vous apporter le témoignage d’un cadre supérieur de santé sur le travail conjoint que l’on peut avoir en partenariat ergonome-manager. Françoise Duclaud

Je suis cadre supérieur de santé au CHU de Bordeaux, hôpital public, depuis de nombreuses années. Je m’occupe d’un pôle de soin où j’encadre 250 agents au travail : infirmiers/aides-soignants en collaboration avec une équipe de 7 cadres.

1.1. Le cadre de santé du pôle paramédical Avant, le terme de « cadre » n’était pas utilisé, on lui préférait le terme de « surveillant ». Ainsi, on pouvait soit « surveiller », soit « veiller sur ». Le travail du cadre supérieur de santé est très stratifié, parfois très complexe. Il existe une grande différence entre le travail prescrit et le travail réel. Nous travaillons sous l’autorité du directeur d’établissement, du directeur de soin et en collaboration avec le médecin-chef de pôle. Ainsi il faudrait presque être tricéphale pour pouvoir travailler avec la totalité de ces collaborateurs. Je pose alors la question suivante : « Est-ce qu’être manager, ce n’est réussir qu’à échouer ? » Je suis en charge de :

- La mise en œuvre du projet d’établissement, du projet de pôle ainsi que du projet de soin. - La prise en charge des patients. Nous avons plus de 135 000 entrées par an au CHU de

Bordeaux. Ceci représente une part importante de nos activités de soins. - L’organisation et l’évaluation des pratiques professionnelles de la gestion des risques pour

le personnel au travail non médical et en particulier le personnel infirmier et aide-soignant. Mes domaines d’activités principaux sont :

- Conception et coordination des organisations de soin et des prestations associées. - Gestion des RH et matérielle (embauche, effectifs). - Animation, encadrement des équipes pluridisciplinaires avec la collaboration des cadres de

proximité.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 43 -

- Gestion et développement des compétences au travail par le biais en particulier des formations.

1.2. Approche managériale Mon approche managériale est centrée sur trois points :

1. La qualité du service rendu au patient : tous les opérateurs sont recrutés pour être au service de la prise en charge des patients. Mon approche managériale est centrée sur le fait que le patient reçoive un soin adapté, dispensé au bon moment par un personnel soignant qualifié et compétent, et qu’il y ait de la satisfaction pour ce patient, mais également pour l’agent au travail.

2. La notion de dynamique d’équipe au travail et de considération individuelle. Le cadre de santé, que je suis, est dans une perpétuelle recherche d’équilibre entre individu au travail et collectif au travail : il est important de réfléchir ensemble pour une répartition équitable des tâches au travail en tenant compte des compétences de chacun et des possibilités de chacun. Aujourd’hui, les possibilités dans le monde de l’hôpital peuvent être réduites en particulier par le biais des restrictions d’aptitudes. C’est sur ce sujet que j’ai pu rencontrer et travailler avec Mr Lhospital.

3. Une connaissance et une analyse parfaite des activités de soins. Je suis infirmière à l’origine, j’ai exercé ce métier pendant 15 ans. À l’hôpital public aujourd’hui, devenir manager pour une activité et un métier que l’on connait est une réelle richesse. À une période, une réflexion a été menée sur le fait d’intégrer des managers issus d’écoles de commerce ou autre et je fais partie de ceux qui pensent que ce ne serait pas une bonne chose. Être issu du métier est quelque chose d’important pour être manager, y compris au niveau n+2. On occupe ce poste de manager un peu de la manière dont on en a envie : il est pour moi l’occasion de m’exprimer. Il est important de bien connaitre les activités de soin et le travail : qui le réalise et de quelle manière ? Il est également important d’avoir une bonne connaissance des profils de postes requis. Ceci va permettre de mener une réflexion permanente sur la dynamique de travail et d’essayer d’adapter les activités et les ressources à mobiliser au travail. Dans cette dynamique managériale, quand le patient est satisfait du soin qui lui a été donné cela signifie qu’il y a de la qualité. Il est nécessaire d’avoir également de la qualité de vie au travail pour les soignants. Quand il y a de la qualité de vie au travail pour les agents, le premier bénéficiaire est le patient. Quelqu’un qui se sent bien dans son travail, qualifié, compétent, et reconnu pour ce qu’il fait, fera son travail de façon qualitative, très bien et même, en fera peut-être plus que ce qui lui est demandé.

Les contraintes managériales d’aujourd’hui :

o Les contraintes économiques et budgétaires : l’hôpital est devenu une entreprise presque comme toutes les autres. Autrefois nous fonctionnions avec une dotation globale de fonctionnement. Depuis 2009, un système de tarification à l’activité est appliqué. C’est-à-dire qu’aujourd’hui nous sommes financés en fonction de l’activité que l’on produit.�Cela parait plus équitable, mais cela a mis les hôpitaux dans une situation délicate. Le système fait que la valorisation des séjours baisse tous les ans. Pour maintenir notre dotation financière, il faudra travailler davantage. La durée moyenne des séjours est en baisse et la prise en charge des patients est plus dense. Cette situation crée un turnover rapide des patients et une augmentation de la prise en charge directe et de toutes les activités afférentes aux soins. Nous sommes rentrés dans l’ère de la performance. Une performance qui est nécessaire pour maîtriser les couts. On nous demande d’avoir aujourd’hui des effectifs au travail efficient. Autrement dit, il va falloir faire mieux avec moins. On nous demande

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 44 -

également de maintenir et de développer les compétences avec une obligation légale d’intégrer les nouvelles techniques de manière toujours améliorée.

o Complexité de prise en charge des patients : des contraintes liées à la prise en charge de patients de plus en plus âgés, pathologiques, avec des problématiques sociales et psychologiques, qui rendent la prise en charge plus complexe. Cette charge que représentent les patients est aussi une charge physique pour les agents : avoir à prendre en charge physiquement des patients lourds, au sens propre et figuré entraine parfois un certain nombre de pathologies en lien avec l’usure du travail.

o Contraintes autour de la vie au travail et de la qualité de vie au travail des agents : cette pénibilité au travail existe et est exprimée au sein du secteur hospitalier. Aujourd’hui, pour le cadre que je suis, je dois prendre en compte les notions de complexité dans l’articulation de la vie au travail et de la vie privée des agents. Il est difficile aujourd’hui de travailler à l’hôpital public et d’assurer des horaires extrêmement difficiles à gérer.

o L’évolution du rapport au travail : nous étions pour ma génération dite « X » extrêmement dévoués à notre travail et aujourd’hui les agents de la génération « Y » voient les choses tout à fait autrement.

1.3. Gérer le maintien dans l’emploi - Mon objectif était, pour des agents avec des difficultés de santé et en particulier des restrictions

physiques de travail, de pouvoir gérer, avec l’aide de l’ergonome, le maintien dans l’emploi et également pouvoir travailler sur les organisations du travail. Elles sont parfois difficiles à modifier sur le plan structurel, mais elles peuvent être questionnées au niveau de l’organisation du travail.

- L’ergonome a été d’une aide précieuse pour le travail sur les représentations d’équipe, le handicap au travail, qu’il faut aujourd’hui pouvoir accompagner. Il a également participé à une bonne collaboration avec la médecine du travail concernant des demandes que celle-ci nous formulait.

2. La demande

2.1. Présentation du cas de l’AS CH d’orthotraumatologie

Olivier Lhospital

Je vais vous présenter l’un des services dans lequel je suis intervenu, en sachant qu’il y avait 3 agents concernés par ce dispositif au moment de l’évaluation.

o Le service concerné est celui d’ortho traumatologie. Il comporte 24 lits pour une durée de séjours de 5 jours et demi. Il y a 60 % d’activité programmée et 40% d’urgences. Il est composé de 13 infirmières ETP et de 12 aides-soignantes ETP. La moyenne d’âge des patients est d’environ 70 ans.

o Ce service traite de la traumatologie périphérique (c’est-à-dire les bras et les jambes), faisant suite à de l’accidentologie de la vie, du sport, du travail ou de la voie publique. Il y a 3 à 4 décès par an dans le service. Le travail est organisé en binôme : une infirmière et une aide-soignante par secteur. Une aide-soignante correspondante hôtelière fait tout le service et intervient en soutien.

o L’Aide-soignante concernée par l’étude a plusieurs pathologies de l’épaule et du dos. Elle a 33 ans d’ancienneté à l’hôpital, dont 8 ans dans le service en tant qu’aide-soignante. Elle occupe le poste de correspondante hôtelière depuis 2011. Ces horaires sont 8h / 15h30. Elle

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 45 -

s’occupe des tâches hôtelières et des tâches afférentes. Elle participe peu aux activités de cœur de métier.

2.2. Le diagnostic Pour faire une présentation très courte du diagnostic, il y a des activités très variées et des activités complémentaires aux activités de binôme Infirmière/ AS d’hôtelière.

o Activités d’hôtellerie : gestion des pichets (jusqu’à 40% de leurs temps du matin), distribution des repas, aide au repas, etc.

o Activités de soins : aide à la toilette, prise de constantes, etc. Ces activités de soins sont beaucoup moins importantes que les activités d’hôtellerie.

Ces activités se font malgré leurs handicaps, elles passent outre leurs handicaps et leurs restrictions pour donner malgré tout le soin aux patients. Un constat important que l’on fait est qu’elles sont éloignées de leur cœur de métier. Elles se sont investies dans les tâches hôtelières, et regrettent pour certaines d’avoir fait ce recul vis-à-vis de leur cœur de métier. Elles font un deuil de leur métier, celui d’être proche du patient. Certaines d’entre elles ont parfois des difficultés à le gérer. Ces aides-soignantes sont mal intégrées au binôme infirmière / aide-soignant du secteur. Même si elles travaillent ensemble, elles ne sont pas vraiment intégrées à l’équipe. Elles participent très peu aux transmissions (entre deux équipes, sur l’état du patient, sur le traitement en cours). Pendant les transmissions, le travail n’est jamais abordé et encore moins l’organisation du travail qui se joue entre l’équipe fixe et l’aide-soignante supplémentaire qui devrait avoir un rôle de soutien pour l’équipe. Mais malgré tout, elles sont reconnues comme indispensables par les équipes et sont très bien perçues sur ce poste. On sait pourquoi elles ont ce poste de jour et elles participent pleinement à la vie du service.

2.3. Interactions Ergonome Manager Pour moi, le cadre de santé manager est le facilitateur du déploiement de l’intervention. C’est Mme Duclaud qui m’a invité à des réunions régulières, avec les cadres pour leur présenter le projet, c’est elle qui a permis la création d’un groupe de travail à la suite du diagnostic pour repenser le travail des aides-soignantes et repenser l’intégration de ce poste dans l’équipe. De plus, on bénéficie d’un appui de la direction générale des Ressources Humaines du CHU, qui nous a dit de ne pas hésiter à défaire les organisations pour ouvrir des possibilités. L’hôpital rencontre une grande difficulté à maintenir les agents au CHU et il est absolument nécessaire aujourd’hui de passer à un autre niveau d’action pour les maintenir à leurs postes plutôt que de laisser les agents chez eux pendant plusieurs mois voire même plusieurs années.

Françoise Duclaud

L’intérêt pour le cadre de voir l’intervention de l’ergonome c’est d’avoir un avis d’expert pour retravailler les organisations, non pas entre cadre, mais avec les acteurs eux-mêmes parce qu’aujourd’hui ce sont les agents qui sont en train de retravailler leurs fiches de poste. Effectivement, lors du diagnostic, la demande des agents de réintégrer leur cœur de métier dans une certaine dimension : la dimension de leurs possibilités, était forte. Dans mon travail de manager, retravailler les organisations ne correspond pas totalement à mon cœur de métier, je connais les activités, mais pour l’organisation du travail j’ai besoin d’un expert. Ensuite, je ne pense pas que l’ergonome ait toute sa place pour revaloriser les activités de ces agents-là aux yeux de la totalité d’une équipe. Il m’a aidé à construire une dynamique faisant que, même si ces agents-là aujourd’hui sont bien intégrés, ils auront quand même des activités

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 46 -

différentes. Ce que je souhaite c’est que ces agents soient totalement intégrés à l’équipe. On y travaille et la valorisation par l’ergonome de ce travail-là est importante.

2.4. Suites de l’intervention

Olivier Lhospital

On travaille sur la refonte de la fiche de poste adaptée avec un socle commun pour l’ensemble des personnes qui sont sur ce dispositif. Le but ici est d’intégrer le poste au sein de l’équipe, de le rendre invisible et de l’intégrer complètement à l’organisation. Il ne faut pas le stigmatiser par le positionnement d’une pathologie dans l’équipe ou bien d’un agencement plus particulier pour ce personnel-là. Je me pose une dernière question pour répondre à notre titre, Mme Duclaud : est-ce que vous êtes un manager ou bien un gestionnaire de contraintes ? Françoise Duclaud

Je dirais que je suis les deux, et pour répondre avec une petite note d’humour je dirais que tous les matins j’arrive à l’hôpital et dans mon bureau se trouve un cocotier. J’y monte tous les jours, j’en tombe, mais le lendemain j’y remonte.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 47 -

Quand la Petite Enfance découvre l’ergonomie : un double investissement sur l’humain

Thierry Morlet Ergonome Européen, cabinet ANCOE, Albertville

Claire Topenot Directrice de l’Enfance, ville de Lyon

1. Le monde étrange et fabuleux des collectivités territoriales Claire Topenot

Dans le secteur privé, les décisions prises amènent vite à une sanction si elles sont mal réalisées. Dans les collectivités territoriales, la première particularité est celle de l’intérêt général, et non particulier de l’entreprise. Une deuxième particularité est la double tête :

o il y a à la fois le côté exécutif émis par la direction, o et de l’autre côté l’administratif qui doit suivre des choix de décisions, faire tenir des éléments

contradictoires. Cette double tête peut perturber les décisions et la gouvernance. Ce n’est pas toujours évident pour les équipes de terrain. La ville de Lyon

o Quelques éléments sur le grand royaume de la ville de Lyon : o 474 946 habitants en augmentation o 7 600 naissances par an o 9 arrondissements : loi PML o 2e agglomération nationale o Dynamique économique et urbaine

2. Le monde fantastique de la petite enfance

Cette intervention porte sur le domaine public, mais il faut également préciser que nous sommes dans un monde un peu fantastique : celui de la petite enfance. En effet, nous avons à faire face, dans nos métiers, à des demandes fortes des familles. L’arrivée d’un enfant est une grande révolution et face à cela, les demandes des familles sont très importantes. Nous sommes dans un environnement sociétal évolutif : avant il y avait la famille, aujourd’hui il y a les familles et il faut que nous répondions à ces différentes attentes très vite. Il faut savoir aussi qu’en plus de ce côté humain, important dans l’évolution d’une famille, il y a des éléments très contraints, très normés.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 48 -

Le monde de la petite enfance s’adresse à un public très fragile. Il y a donc des normes très strictes en termes d’alimentation, de qualité de l’air, d’encadrement pour l’accueil de son enfant. La conciliation entre côté humain et côté très encadré peut être un peu complexe au sein des équipes. Nous avons la chance au sein de la ville, comme d’autres grandes villes, c’est que la petite enfance est une priorité politique importante et, à ce titre, cela fait partie des éléments qui sont souvent prioritaires dans les développements et dans le choix des arbitrages budgétaires.

2.1. Les valeurs portées par la petite enfance Les valeurs portées au sein des services de la petite enfance en font une grande mission. En effet, elle permet d’embellir la qualité de vie des habitants et est également facteur d’attractivité du territoire. Les solutions d’accueil pour les enfants font partie des critères importants pour les palmarès des villes où il fait bon vivre. Le monde de la petite enfance est également une compétence dite de proximité qui participe à des choses très importantes que sont notamment la cohésion sociale, l’égalité femme-homme et la conciliation entre vie professionnelle et familiale. Ce service permet de reprendre une vie professionnelle pour beaucoup de femmes, mais aussi pour un certain nombre d’hommes qui de temps en temps prennent des congés parentaux également.

2.2. Éléments de contexte Suite à ces grandes valeurs portées dans ce monde un peu étrange, voici quelques éléments de contexte. La ville de Lyon compte 50 crèches. C’est un service important avec 900 agents, très féminin puisque les femmes représentent 98% du personnel et comme c’est un métier féminin, choisi tôt dans le parcours professionnel, on pense généralement que le fait de garder des enfants est naturel, inné pour les femmes. C’est donc un métier qui n’est pas très valorisé dans le monde de la fonction publique territoriale. Le professionnalisme n’est pas très reconnu. C’est assez flagrant si l’on rencontre des professionnels de la petite enfance, ils insistent sur le fait qu’ils sont bien professionnels et non un parent qui a décidé de garder des enfants. Ensuite, puisque ce métier a été choisi et que ce sont des femmes, elles ont parfois du mal à dire que cela peut être pénible de garder des enfants. Il y a une véritable censure sur cette notion de pénibilité du travail dans ces domaines, ce qui peut conduire à l’épuisement. C’est parfois une chance pour le manager, en tout cas pour les dirigeants, mais c’est quand même une notion importante et un enjeu aujourd’hui en matière d’usure professionnelle. À la fois sur les troubles musculo-squelettiques puisqu’il faut savoir que notamment dans la section des bébés il peut y avoir 90 portées par jour, mais également en termes de troubles psychosociaux. En effet, on se dit à un moment donné que les enfants deviennent pénibles, mais on ne veut pas le dire, se l’avouer. On va donc passer après, s’oublier parce que l’enfant passe avant tout, qu’on participe à son épanouissement. Dans ces métiers, on a des référentiels qui s’adressent principalement aux enfants. À la fois on se dit que c’est important de développer sa santé, car c’est un préalable pour tout épanouissement, on fait en sorte de lui donner les cartes pour pouvoir s’épanouir correctement, on a de la bienveillance vis-à-vis de ces enfants et bien sûr on est dans l’accueil de la diversité et dans la coéducation avec les parents. À la ville de Lyon, on a la chance d’avoir une sorte de tradition humaniste avec une forte présence des structures associatives dans le monde de la petite enfance. Il n’y a pas aujourd’hui de délestés des services publics ou privés à la ville de Lyon ; il y a des partenariats avec des structures associatives comme la Croix-Rouge française, les mutualités, etc.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 49 -

Il est important de retracer tout cela pour comprendre dans quel environnement on intervient comme manager dans ce domaine-là.

3. Il était une fois un manager

Dans ce monde, il était une fois un manager qui arrive fin 2011. C’est un manager qui est financier au départ et dans le monde de la petite enfance regardé avec beaucoup d’appréhension. Dans un contexte où le service a traversé une période d’analyse appuyée sur le lean management, certains ont pu penser que j’arrivais dans la continuité de ce lean management pour cadrer, structurer, gérer les éléments. Ce n’est pas faux non plus dans le sens où il y a tout de même des éléments de gestionnaire (budgets, équipes à gérer), mais malgré tout ce n’était pas évident d’arriver avec cet héritage.

3.1. Le lean management : une approche industrielle d’analyse et de standardisation des processus

Le lean management est une approche industrielle et le plaquage de cette modalité qui vient de l’industrie et du privé sur un service public, surtout ce service public de proximité, était malvenu. On a réussi ensuite à contourner la problématique, mais initialement les résultats étaient très mitigés. D’abord parce qu’il y avait eu un préjugé trop fort de la part des consultants sur la partition public/privé. Pour beaucoup de consultants, le public ne sait rien faire et le privé a été. Or, on ne peut pas appliquer une méthode du privé aussi facilement. Les annonces de gains en termes de productivité étaient trop ambitieuses et n’ont pu être tenues. Il a fallu mobiliser de manière très importante les équipes sur des outils de mesure afin d’objectiver le temps passé sur chaque processus et ceci a produit l’épuisement des équipes au niveau du central. L’analyse des processus a donc nécessité des ajustements en cours de route. On passait donc de quelque chose qui soi-disant était scientifique et qui allait apporter toutes ses solutions à un système à une démarche qui montrait vite ses limites. La formalisation par un œil externe, Thierry Morlet, des efforts de productivité engagés et le constat de la difficulté de dégager de nouvelles marges a été un plus. On avait oublié que tous ces processus étaient interdépendants. On ne peut pas les analyser si on ne met pas en perspective toute la gouvernance que l’on développe dans les services.

3.2. Un choix : le management par le sens Face à cette situation, j’ai eu la volonté d’affirmer un vrai changement. L’équipe de direction a choisi de travailler sur le management par le sens. L’idée a été d’investir sur l’humain, sa santé, les valeurs que le service public porte aujourd’hui et le sens de l’activité dans le but de redonner une perspective à l’ensemble des équipes. Cela a été facilité, car l’équipe de Direction Générale a changé avec la mise en avant de la tendance du développement durable et de la logique de responsabilité sociétale des organisations, qui permettrait de dire combien il était cohérent de s’inscrire aujourd’hui dans cette démarche. Deux axes ont permis de compléter l’analyse des situations des équipes : l’analyse du travail par rapport au sens des missions et l’équilibre du management entre bienveillance (vis-à-vis des enfants bien sûr, mais aussi des professionnels) et exigence.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 50 -

3.3. Démarche ergonomique et management par le sens o La rencontre avec l’ergonome

Pour assurer la visibilité des changements, l’idée de l’équipe de direction était d’engager rapidement l’analyse des espaces. C’est-à-dire les locaux qu’on avait investis tels quels et qui ne correspondaient pas à nos modalités de travail. On disposait d’un bout de mission ergonomique, mais sans savoir ce que c’était. L’intervention de l’ergonome a donc été une bonne manière de régler un certain nombre de dysfonctionnements et surtout d’avoir une action visible. L’aménagement de l’accueil a permis de montrer qu’il y a eu du changement. On a découvert alors la richesse de l’approche ergonomique, qui ne se limite pas à des tables et des chaises : la notion subjective du travail, le sens que l’on donne à notre travail, les ressources et les freins dans le travail. C’est une manière de réinterroger les situations de façon plus positive, objective, permettant d’adapter aussi en fonction des collaborateurs. On peut faire des choses différentes, c’est cela la vraie équité. Mais on n’a pas découvert tout d’un coup.

o L’expérimentation à la direction de l’enfance On avait commencé par une approche pragmatique que j’avais engagée sous le vocable des « 4C » :

• la clarté dans ce que l’on affiche comme gouvernance ou idée de faire, par rapport au sens du travail dans nos missions,

• la cohérence entre le fait d’avancer des principes et de les mettre en œuvre, pour être crédible,

• le courage pour un manager qui contraste avec l’idée de « faire comme si », mais qui ne fonctionne pas longtemps, se remarque vite. Il faut avoir le courage de pouvoir dire non à ses équipes ou son patron, ou réorienter les éléments concernés pour perdurer,

• la considération, puisque l’on n’est rien tout seul. Le collectif fonctionne que si l’on crée quelque chose ensemble. Seul, on est un peu « bête ». Les idées germent souvent en groupe et ne doivent pas venir seulement des managers.

En parallèle, on a lancé l’appui avec le cabinet d’ergonomie pour permettre de se rendre compte des propositions au fur et à mesure et de la culturation à cette modalité de fonctionnement. La visée ergonomique a quelque chose de très profond, de touchant quand on arrive à aller au bout. Nous avons mis en place un séminaire avec l’équipe de direction qui a été un moment fort du fait qu’on a créé une intimité dans un temps du management. On ne passe pas assez de temps à réfléchir sur ce que l’on veut faire passer comme message et comment le traduire concrètement. Ce séminaire, très intéressant, a permis d’instaurer une liberté de parole au sein de l’équipe de direction, et de concrétiser le temps du management. On le sait bien, mais il faut se redire que le temps de travail est concentré. Il y a eu un effet de croyance qu’on allait embaucher, alors que non. On a fait avec les gens qui étaient présents. On a dû réduire tous les temps « conviviaux », ou temps de régulations informelles qui existaient dans les équipes, et qui aujourd’hui ne sont plus là. Le deuxième effet « kiss cool » en petite enfance c’est la mise en place du multiaccueil en 2003. Avant, les parents demandaient à ce que l’on garde l’enfant cinq jours dans la semaine. Il pouvait y avoir cinquante enfants pour une crèche de cinquante berceaux. C’était simple. En revanche, avec l’introduction du multiaccueil, si une famille demande 1h, il faut pouvoir ouvrir 1h. Aujourd’hui, il y a cinquante berceaux pour cent trente enfants à accueillir dans la semaine. Cela a aussi tendu les approches. Autre temps de management : sortir de l’action et remettre du sens dans les consignes, autrement dit sortir de la compensation de la carence. Les consignes étant un peu floues, on a

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 51 -

demandé à nos équipes de compenser sans penser aux flux et aux outils dans la mise en œuvre opérationnelle de l’activité. Cela a été une révélation pour nous, apportée par Thierry Morlet, qui va pouvoir reprendre les éléments du diagnostic.

4. Quelques éléments du diagnostic

Thierry Morlet

Je vais resituer quelques éléments du diagnostic qui avaient été portés auprès de l’ensemble des agents de la direction, au niveau du plateau. C’est-à-dire au niveau de l’administration pure et non pas dans les établissements. À l’issu du diagnostic on a eu recours aux services d’un ergonome en formation (Stéphane Martinache) qui a pu faire un travail dans la continuité dans certains établissements avec les directrices de crèches. On a remis en question le lean et les facteurs de risques psychosociaux fortement marqués par des situations de débordement, des injonctions contradictoires, une déshumanisation des relations, des absences de traitement de conflit, bref, une situation fortement tendue. Les relations fonctionnelles entre le plateau central et les établissements étaient mises à mal, avec méconnaissance des interlocuteurs. On avait également relevé la situation des coordinatrices dans la petite enfance qui faisaient la liaison permanente entre le plateau et les établissements. À nos yeux elles disposaient d’un pouvoir qui n’allait pas dans le même sens que le management de la direction. On avait également identifié avec Arnaud Tran Van beaucoup de problématiques, de l’ordre du manque de recul : on n’arrivait pas à parler de ce que l’on faisait ni à faire des retours d’expériences sur ce qui avait bien, ou moins bien, marché dans les conduites de projets. Ces dernières étaient en souffrances par défaut de pilotage, de prise de décision. Finalement, la chose première à faire était de réinvestir le management par rapport à son rôle et son fonctionnement, notamment de travailler sur la question de la communication et de la décision. Dans ce diagnostic on avait relevé des points forts qui nous permettaient de penser que l’on pouvait aller vers la transformation et vers l’action. On avait des compétences, certes hétérogènes, mais de réelles compétences, des savoir-faire spécifiques. On avait surtout un comité de direction conscient de ce qui se passait, lucide sur les difficultés auxquelles il devait faire face. Par contre, on devait lutter contre des effets négatifs, comme la perte de sens au travail, que l’on entendait dans la parole des agents, le sens de l’objectif commun, avec beaucoup de repli sur soi, la perte du collectif et ce déficit d’outil que l’on pouvait identifier en termes de planification, de retour d’expérience. À l’issue de ce diagnostic avec Arnaud Tran Van, nous avons relevé un certain nombre d’orientations que l’on pouvait prendre, mais qui restaient des décisions du management. Ces orientations : réaffirmer par de la formalisation des fonctionnements, des périmètres, travailler sur les changements des représentations. Car on avait dans cette direction de l’enfance des compétences très diverses : des médecins, des psychologues, des directrices de crèche, des financiers… Chacun vivait dans son monde, avait des représentations de l’autre très déformées et finalement un réinvestissement fort dans la transversalité, un besoin de retrouver aussi le sens dont parlait Claire. Finalement, l’activité de management sera donc plus dans une dimension de proximité de ses orientations, de ses décisions. Claire Topenot

S’interroger dans le travail c’est produire de la santé pour l’individu et la performance pour la structure. On a pu mettre en place un travail sur les activités managériales, un travail sur les instances, un petit journal parce que les équipes de terrain sont loin et n’ont pas le temps de se mettre sur internet, on a

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 52 -

engagé une analyse des conditions de travail sur l’équipement et on a tenté de mettre en place un groupe miroir. Nous avons apprécié le fait de pouvoir mettre en place cette intervention en dehors d’une situation d’urgence.

5. L’apport de l’ergonome dans ce monde particulier

L’ergonome est souvent interpellé en situation de crise ou de conflit dans lequel il faut apporter rapidement une alternative. Le cas présent, hors contexte d’urgence, nous a permis d’en faire une démarche de management qui s’inscrit dans une approche durable. C’est un double investissement sur l’humain : on investit sur l’enfant, c’est évident, mais c’est normal de donner les mêmes valeurs et le même investissement aux professionnels qui mettent en œuvre ce service public. Aujourd’hui on sait et on sent qu’il y a une vraie écoute sur les conditions de travail. Le personnel nous interpelle plus facilement au travers de différentes instances. On a des perspectives d’adaptation plus rapides à des situations complexes. À partir du moment où on a une liberté de parole et qu’on sait qu’on sera entendu, cela permet de faire avancer les choses, amène un climat positif et un vrai poids sur l’absentéisme, qui est une vraie difficulté dans beaucoup de structures et notamment quand les gens s’épuisent. J’espère que cela permettra une curiosité et un enthousiasme de la part d’une partie des collaborateurs et j’espère à terme de 100% des collaborateurs puisque l’on participe tous à l’évolution du service public, même si on sait que l’on a des contraintes budgétaires ; donc des bénéfices à court terme très positifs. À long terme, on espère une organisation qui va s’adapter en continu aux enjeux que l’on a chaque jour à relever, un développement réel des collaborateurs avec un enrichissement du collectif et des risques psychosociaux « prévenus », c’est-à-dire que l’on sait que cela aura un vrai impact sur ces éléments qui jusqu’à présent n’étaient pas tellement traités. L’approche est coconstruite et permet de dynamiser une approche des conditions de travail qui était plutôt subie jusqu’à présent.

o Les points positifs : Je suis en accord avec les valeurs que je porte personnellement. La particularité de la transversalité se lit davantage maintenant. Elle peut être interpellée, nous savons qu’elle amène des bénéfices dans la gestion des équipes. Un autre point positif est l’opérationnalité, car l’ergonomie c’est aussi très opérationnel, ce n’est pas qu’un concept et il est important de pouvoir repenser les valeurs que l’on met en œuvre de manière coconstruite avec les équipes.

o Les difficultés : Les difficultés, malgré tout, c’est la visibilité pour tous. Comment on rend visible ? C’est aussi de ne pas confondre l’ergonomie et le « bon sens », c’est vraiment l’analyse du travail, c’est réinterroger toujours cette notion de « qu’est-ce qui fait obstacle / qu’est-ce qui fait ressource, mais ce n’est pas du bon sens. Il faut aussi se bagarrer en interne vis-à-vis de nos équipes et il faut tenir le cap au-delà des mots…

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 53 -

Les managers : des opérateurs stratégiques, un premier contact stratégique

Dominique Baradat

Chargée de missions, ARACT Aquitaine

Philippe Capdevielle Gérant, Entreprise Capdevielle

Véronique Capdevielle

Responsable administrative et financière, Entreprise Capdevielle

Pour introduire cette conférence, Dominique Baradat pose les questions suivantes : « Quels sont les opérateurs stratégiques ? Les managers ? Les ergonomes ? Ou bien les deux ? Et de quelle manière le management nous a-t-il réinterrogé sur notre pratique ? ». Cette conférence sera focalisée sur la première rencontre qui a eu lieu entre ces trois acteurs : Dominique Baradat, Véronique et Philippe Capdevielle.

1. Présentation de l’entreprise et de la problématique

Véronique Capdevielle

L’entreprise est gérée par le chef d’entreprise, Philippe Capdevielle. Cuisinier et autodidacte, ceci ne simplifie pas sa tâche, tout comme la mienne et celle des collaborateurs ! Philippe et moi avons créé l’entreprise en 1989. Nous nous sommes toujours sentis très concernés par les problématiques de travail. Ces problématiques ont tout d’abord été les nôtres, puis avec l’embauche d’autres personnes, il a fallu répondre à d’autres problématiques. Avec un chiffre d’affaires de trois millions d’euros hors taxe, cette PME organise et livre des repas pour des particuliers ou des sociétés allant jusqu’à 3000 personnes. Située à Bruges, sur un terrain de 1600 m², l’entreprise possède un laboratoire de cuisine de 700 m² (sans aucune possibilité d’agrandissement), douze véhicules, un entrepôt logistique et des bureaux commerciaux. L’équipe se compose de 16 permanents avec un équivalent temps plein (ETP) de trente personnes. L’activité saisonnière est forte : en été, beaucoup d’extras sont recrutés. Ceci fait doubler les statistiques d’ETP d’une part, et rajoute une problématique à l’activité d’autre part. Le turnover est très faible, il fait bon vivre dans notre entreprise. Cependant, aujourd’hui, notre problématique est la suivante : nous rencontrons des difficultés à exercer correctement certaines prestations du fait de l’augmentation d’activité, de la saturation des véhicules, des espaces trop étroits, d’une ambiance de travail parfois délétère, des pertes de produits et des difficultés inhérentes à l’activité du laboratoire. En effet, fin 2012, Philippe fait le constat que le laboratoire logistique est sale et mal rangé. Il décide alors de le délocaliser à 500 mètres de l’entreprise. Cette délocalisation signifiait alors un déménagement nécessitant de déplacer trois personnes, de scinder l’équipe en deux, etc. En parallèle de mon travail dans l’entreprise, j’ai eu l’occasion de passer un master ESC et ce projet de déménagement a fait l’objet d’un cas d’école durant un cours de gestion projet. Plus on avançait dans ce cours et plus je me rendais compte que l’on faisait une erreur en délocalisant le laboratoire de logistique. Ce déménagement allait engendrer des pertes au niveau de l’ambiance de travail, de l’esprit et du

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 54 -

sentiment d’appartenance que se sont créés les opérateurs au fil des années. Suite à ces études, j’ai discuté avec Philippe en lui faisant part de mes doutes et pour cela, j’ai appuyé mon argumentaire à l’aide d’un tableau Excel reprenant les coûts réels du déménagement et les coûts cachés. Je savais que je pouvais le convaincre en lui parlant d’argent. Philippe m’a alors demandé de trouver une solution, sachant que le bail pour le nouveau laboratoire allait être signé huit jours plus tard. J’ai alors entamé des recherches Internet et j’ai trouvé le site de l’ARACT. Il s’en est suivi un entretien téléphonique avec D. Baradat. Dominique a été très réactive, et c’est ce qui nous a beaucoup plu. On a également apprécié son humilité et le fait qu’elle nous laisse libres de notre décision : peu importe notre choix, elle nous accompagnerait. À ce moment-là, je n’étais plus seule pour convaincre et aider Philippe à prendre la bonne décision pour l’entreprise. Dominique nous propose ensuite un FACT (Fond pour l’Amélioration des Conditions de Travail) pour l’accompagnement du projet par des ergonomes. Mais l’objectif principal était ici d’arrêter la signature du bail pour ce nouveau laboratoire !

2. L’intervention de l’ARACT

Dominique Baradat

Il m’a fallu trois heures de stratégie pour arrêter ce bail. J’étais devant des interlocuteurs qui me paraissaient opérationnels et concrets. Véronique était mon alliée. Je voulais les accompagner dans leur projet, qu’ils décident de déménager ou non. Tout de même, ma stratégie était de faire en sorte que le doute qu’ils avaient vis-à-vis de leur projet de déménagement s’agrandisse afin qu’ils ne signent pas le bail pour détourner cette signature du bail. J’avais la conviction que ce projet n’était pas abouti. On a alors évoqué ensemble la conduite de projet, avec l’idée de leur amener des éléments du travail essentiels pour qu’ils puissent prendre une décision. Ma stratégie a été de positionner Philippe dans sa posture de décideur et de le rassurer sur celle-ci. Il était important que nous nous mettions d’accord sur une démarche à mettre en œuvre, sur l’urgence de la situation et sur les faisabilités techniques et financières du projet. De la sorte, j’ai veillé à modifier mon vocabulaire pour ne pas leur parler de « modifications » ou de « transformations », mais plutôt d’ « enrichissements », de « compléter », etc. Ensuite, avec Véronique, on a commencé à mettre en place le projet et on a constitué le groupe projet, sans même qu’il y ait eu un accord concret. On a engagé ensemble la question du projet avec l’idée qu’il n’y ait pas d’intérêt, à ce moment-là, de se rendre sur le terrain. C’est essentiellement mon expérience qui m’a permis de leur donner des éléments de situations de travail pour essayer de les convaincre. L’aide financière était un élément important pour Philippe.

3. L’intervention des ergonomes et les choix des managers

Véronique Capdevielle

Dominique Baradat nous a proposé plusieurs cabinets d’ergonomes. Nous avons choisi celui qui a été le plus réactif. Nous avons alors travaillé avec Thomas Autier et Jean-Baptiste Lépy du cabinet Ergonova pendant presque un an. C’est grâce à eux que ce projet a pris forme. Ils nous ont tout d’abord regardé travailler. Je vais citer une situation de travail qui, pour Philippe et moi-même, a conforté notre choix de s’orienter vers une intervention ergonomique. La situation est la suivante : dans notre entreprise, le service commercial, en charge de la commercialisation des plateaux-repas, doit donner des bons de production au service production cuisine. Pour différencier cette activité de l’activité « prestation de service », ces bons sont de couleurs différentes chaque semaine. Lors des observations, un des deux ergonomes se place à côté de la commerciale. Celle-ci imprime son bon de production. L’imprimante étant dans un autre bureau, elle se lève pour mettre du papier bleu dans l’imprimante, retourne à son poste pour lancer l’impression et repart à l’imprimante pour récupérer le bon. Ensuite, elle apporte le bon au service de production cuisine. L’ergonome l’interroge alors sur l’utilité de ses couleurs et elle lui

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 55 -

explique que ces fiches sont destinées aux cuisiniers et que les couleurs vont leur permettre de mieux s’organiser. Alors, les ergonomes descendent en cuisine avec la commerciale. Ils s’aperçoivent que les cuisiniers ne se servent pas de l’indice « couleur », mais de la date également inscrite sur ce bon. Jusqu’ici, cela faisait plus d’un an que la commerciale se levait dix fois par jour à l’imprimante pour respecter ce code couleur. Immédiatement, ce genre de situation de travail nous a permis de prendre conscience que de petits aménagements pour chaque opérateur nous faisaient perdre du temps, de l’espace et de l’argent. De cette manière, toutes les situations de travail ont été analysées afin de réaliser des « coupes franches », dans le but que chaque service arrête de perdre son temps. Une fois ces coupes franches effectuées, l’entreprise a été réorganisée et le laboratoire logistique réaménagé. Nous avons également acheté du matériel pour permettre la réalisation de transformations proposées lors de l’intervention. Suite à cette intervention ergonomique, les opérateurs de cette entreprise nous font savoir qu’ils souhaitent prendre la parole. Philippe et moi avons alors organisé une « soirée post-it » consistant à inscrire toutes leurs idées pour l’entreprise sur des « post-it ». Cette initiative était réalisée dans le but de rendre les opérateurs plus autonomes, plus productifs et plus heureux. Nous avons eu du mal à fournir en « post-it » tellement les idées fusaient ! Cette soirée a donné lieu à la création de douze groupes projets et à un intéressement aux bénéfices. Suite à cela, mon poste est devenu redondant et j’ai ainsi décidé de quitter mon poste de directrice. Aujourd’hui, l’entreprise fonctionne sans poste de directeur et les groupes projets pilotent l’entreprise avec Philippe. L’organigramme hiérarchique a été supprimé, il n’y a plus de délégation ; les opérateurs peuvent désormais monter en compétences et nous avons mis en place un système d’autocontrôle. J’ai espoir que ce fonctionnement se maintiendra dans le temps. C’est quelque chose qui a été très bénéfique pour tout le monde.

4. La demande doit-elle être le commencement d’une intervention ?

Dominique Baradat

Revenons sur quelques éléments de réflexion concernant cette pratique, sur cette première rencontre avec Madame et Monsieur Capdevielle et sur les stratégies qu’on peut avoir avec des dirigeants de PME. Finalement, je me pose la question « Mais, qu’est-ce que j’ai fait pour cette entreprise ? ». Tout d’abord, la stratégie pour moi est de laisser un peu de côté la demande pour m’intéresser aux projets stratégiques de l’entreprise et essayer, à chaque fois, d’être présente dans ces « avant-interventions». Il y aura suffisamment de temps pour retravailler la demande ultérieurement. Il s’agit alors de replacer le travail au centre des décisions et des actions, comme nous l’a souvent dit Jacques Christol. Cependant, je ne sais pas ce qui fait que, dans la rencontre duelle entre un dirigeant et un intervenant, la confiance s’installe et les dirigeants ont envie de partager ce projet et de se libérer du temps pour cela. Cette relation duelle avec un décideur devient parfois amicale, et ceci n’est pas une relation honteuse : il s’agit d’une relation d’accompagnement. Ensuite, la prise de risque est pour moi quelque chose d’important. On a parfois la conviction qu’un passage par la case départ (c’est-à-dire par celle de l’organisation du travail), est obligatoire pour éviter à un projet d’échouer. Par exemple, si le bail avait été signé, Philippe aurait poursuivi le projet qu’il avait commencé à mettre en place et on l’aurait accompagné, mais ça n’aurait pas été le même projet. Ce premier entretien n’était pas tant pour placer l’ergonomie et le travail au cœur du projet, même si j’ai utilisé ces moyens-là, mais le but était d’arrêter le bail. Parfois la question de la demande peut être repoussée et ne pas être abordée lors de ces premiers entretiens. Je pense qu’il faut se centrer sur le projet stratégique de l’entreprise. Pour ma part, j’ai un positionnement un peu particulier puisqu’à l’ARACT on

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 56 -

ne fait pas d’intervention ; on relaie l’intervention à des ergonomes consultants avec qui on a l’habitude de travailler. Suite à cela, je renvoie l’interrogation suivante : « Face à des acteurs stratégiques, l’intervenante que je suis, avec mes valeurs sur la question de l’homme au travail et la place du travail dans les organisations, doit également faire preuve de stratégies. S’agit-il de voies nouvelles ou bien s’agit-il d’une dérive ? »

5. La vision de l’ergonomie par un chef d’entreprise PME

Philippe Capdevielle

Véronique et Dominique viennent de vous faire un cours magistral sur le « comment faire croire au chef d’entreprise qu’il a raison ? ». Vous, ergonomes, vous avez fait des études pour « faire croire au chef d’entreprise qu’il a la main sur l’entreprise et que c’est lui qui prend la décision, mais en fait vous faites ce que vous voulez !». Dans la mesure où le chef d’entreprise n’en a pas conscience et qu’il est heureux, je n’y vois aucune objection ! Quand Véronique m’a mis en alerte quant aux risques qu’on encourrait avec le projet de déménagement, je me suis posé des questions et je l’ai écoutée. J’avais besoin qu’elle justifie ses propos, d’où la nécessité d’avoir les bons interlocuteurs en face de soi. Je ne connais pas votre travail d’ergonome, mais je sais simplement une chose : une petite entreprise comme la nôtre ne peut écouter des gens que s’ils vont vite. En ce sens, si les démarches pour commencer ce projet avaient été trop longues, nous aurions très certainement renoncé parce que, ne connaissant pas l’ergonomie, j’aurais eu autre chose à faire que de perdre du temps. Alors aujourd’hui, je souhaite faire savoir aux ergonomes ce que pense un chef d’entreprise, que je suis, de l’ergonomie. Nous avons une vision assez opaque de votre travail. Si on ne connait pas votre métier, les ergonomes sont perçus comme une « bande d’emmerdeurs » imposant des chaises et des tables à des prix excessifs pour des opérateurs qui ne seront plus dans l’entreprise quelques années plus tard ! Bien évidemment j’ai changé d’avis ! S’il n’y avait pas eu des gens qui étaient arrivés en toute humilité, en toute discrétion, en faisant attention aux prérogatives de l’entreprise et avec la volonté de comprendre le fonctionnement de l’entreprise, ce projet et cette alliance n’auraient pas fonctionné. Le comportement qu’ont adopté les ergonomes à notre égard m’a permis d’être plus enclin à les écouter. Avec cette philosophie, on a continué à faire marcher notre entreprise et maintenant, tous nos projets ont une composante « ergonomique ».

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 57 -

Ergonomes et responsables des ressources humaines dans la conduite d’une démarche de prévention de la pénibilité

L’exemple d’Arkema

Loïc Grosdemouge Doctorant, ergonome interne, département d’ergonomie, ENSC, IPB.

Raphaële Grivel Responsable formation corporate et innovation RH, Arkema, Colombes.

Dominique Massoni Directrice du développement RH et de la communication interne, Arkema, Colombes.

Dominique Massoni

Cette communication a pour but de présenter la démarche de prévention de la pénibilité que nous avons mise en oeuvre, mais aussi comment l’ergonomie ou l’analyse du travail est rentrée progressivement dans l’entreprise Arkema.

1. Arkema en bref Arkema est le premier chimiste français avec un chiffre d’affaires de 6,1 milliards d’euros, 14 000 salariés répartis dans 45 pays ainsi que 91 sites industriels dans le monde et 10 centres de recherche. En France, Arkema (Chiffres au 31/12/13) possède 22 usines et 6 centres de R&D avec 6 700 salariés soit 48% des effectifs globaux.

2. L’ergonomie : une entrée récente dans l’entreprise

L’ergonomie a connu une entrée récente dans l’entreprise. Auparavant, l’intégration de l’ergonomie se résumait le plus souvent à l’aménagement de postes pour des personnes reconnues en situation de handicap. On retrouvait également des démarches en ergonomie dans certains projets de conception d’installations nouvelles, mais il s’agissait d’une pratique hétérogène et ponctuelle. L’entrée de l’ergonomie s’est accélérée en 2012 avec la signature d’un accord sur la prévention de la pénibilité. Cet accord prévoyait l’analyse des situations de pénibilité suivant une démarche en deux étapes :

- La conduite systématique de prédiagnostics dans tous les établissements du groupe pour établir un panorama des postes pénibles.

- La deuxième étape vise à être au « plus près du travail » dans le cadre de diagnostics approfondis et de formations-actions, sans avoir de solutions a priori.

Cette démarche de prévention de la pénibilité a à la fois des effets connexes et des voies de développement :

- Une pluridisciplinarité qui se développe entre RH, HSE, Bureau d’étude, direction d’usine et médecine du travail. Cela permet un partage et des angles d’approche différents.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 58 -

- Un dialogue social local sur de nouveaux objets avec la création de groupes de travail paritaires de prévention de la pénibilité dans chaque usine.

- Une montée en compétence des acteurs locaux et centraux, collectivement, sur l’analyse du travail grâce à des formations-actions centrées sur l’analyse ergonomique du travail

- Une extension de cette approche à d’autres domaines tels que les achats, la conception d’installations nouvelles ou le travail de nuit.

Loïc Grosdemouge

3. La démarche élaborée en central

Voilà comment la coordination centrale pour la prévention de la pénibilité a construit la démarche à partir de l’accord :

Figure 1 – La démarche de prévention de la pénibilité

En amont des prédiagnostics, l’accord prévoit la constitution de groupes de travail paritaires « prévention de la pénibilité » dans tous les établissements. Sur chaque site, ces groupes de travail sont composés : du responsable RH qui pilote ces groupes, du responsable Hygiène-Sécurité-Environnement, du médecin du travail, du secrétaire du CHSCT, et d’un délégué du syndicat signataire. Dans un premier temps le rôle de ce groupe est de définir une liste de situations susceptibles d’être pénibles au regard de la loi et de l’accord. C’est à partir de ce moment que commence la première étape de la démarche du schéma (Figure 1) : un prédiagnostic est mené par un premier cabinet, sur les situations préidentifiées par le groupe de travail au travers d’observations, souvent filmées, durant 1 à 3 jours en fonction de la taille des sites.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 59 -

Ce prédiagnostic est ensuite restitué sur chacun des sites avec une identification des situations à risque et une proposition de priorisation des actions nécessaires. Cette restitution est présentée en comité de direction et au groupe de travail. Les sites valident ensuite les situations à traiter et les actions à mener. En parallèle, le central, à partir d’une synthèse des prédiagnostics, définit des chantiers transversaux, qui abordent des problématiques communes à plusieurs sites. Par exemple, le principal chantier transversal concerne le travail en hauteur, thématique que l’on retrouve sur tous les sites et qui, dans l’accidentologie, est un élément récurrent. Pour traiter les situations identifiées, plusieurs scénarios sont possibles :

o Une formation-action du groupe de travail, à laquelle participent d’autres acteurs (des responsables de fabrication, du bureau d’étude, des ingénieurs procédés, des chefs d’équipe, ou des infirmiers). Les situations sont analysées dans le cadre de « chantiers-écoles » à partir d’apports méthodologiques sur l’analyse ergonomique du travail.

o Des diagnostics dits « approfondis » sont réalisés en parallèle par un second cabinet. L’analyse est cette fois-ci réalisée par les ergonomes eux-mêmes et non le groupe de travail.

o Les sites ont aussi la possibilité de traiter les situations par leurs propres moyens, c’est en particulier le cas quand les prédiagnostics ont identifié des situations à risque immédiat, qui ne pouvaient attendre la progression de la démarche. Ce que nous avons appelé les « situations à réponse rapide ».

4. Une volonté d’évolution

Dans le cadre d’une thèse sous la direction de François Daniellou et avec l’accompagnement de Bernard Dugué, depuis deux ans maintenant, j’ai suivi des responsables RH locaux (de site : usine et centre de recherche) et centraux (du siège) en particulier sur la mise en œuvre de la démarche de prévention de la pénibilité. J’ai donc pu suivre comment a été structurée, scénarisée, en central, la démarche et comment son déploiement s’est déroulé sur les sites. En tant qu’observateur quotidien de la mise en œuvre de cette démarche, j’ai pu constater que les ambitions de l’accord vont au-delà de ce que demande le législateur, et que, surtout, les ambitions de la direction RH du groupe vont bien au-delà de ce que demande l’accord. Notamment lorsqu’il s’agit de mieux intégrer l’analyse du travail dans les projets de conception et de modification, ou dans le processus d’achat. J’ai aussi pu constater que ces ambitions se traduisaient concrètement, mais avec une certaine variabilité de la mobilisation des acteurs et moyens locaux en fonction des sites. Malgré le très faible nombre de situations considérées « pénibles » au regard de loi ou de l’accord, la volonté d’améliorer des situations identifiées comme problématiques est largement partagée par les acteurs locaux. Mais cette volonté doit régulièrement se confronter à des réalités locales qui contraignent la mise en œuvre des diagnostics ou des transformations nécessaires. Sans réduire cette question aux aspects financiers, l’expression de ces réalités locales concerne souvent les coûts des consultations des ergonomes et ceux que pourraient impliquer les transformations. Les arbitrages sont parfois complexes. Il nous semble alors nécessaire de porter une réflexion sur la mise en œuvre de la démarche afin que ces arbitrages répondent au mieux aux ambitions de la direction RH en termes de prévention de la pénibilité et de développement de l’approche ergonomique.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 60 -

5. Un enjeu autour de l’implication des acteurs

Voilà comment (Figure 2), schématiquement sont positionnés les responsables RH centraux et locaux dans l’organigramme de l’entreprise. Sur la partie gauche, on distingue un « axe RH » partant du comité exécutif du groupe, dont fait partie le DRH du groupe, aussi directeur général d’Arkema France. Il supervise entre autres la directrice du développement RH qui, elle-même, supervise la responsable formation et développement social et qui supervise aussi la responsable des démarches handicap. L’ensemble de ces acteurs RH pilotent des démarches qui doivent être mises en place par les responsables RH de site (prévention de la pénibilité, prévention du stress, intégration des travailleurs en situation de handicap). Sur la droite, nous avons « l’axe industriel », avec les directeurs de business units, et les directeurs industriels, dont dépendent hiérarchiquement les responsables RH de site et leurs directeurs. Certaines cases sont superposées, car certains acteurs ont une double casquette. On peut déjà remarquer le positionnement matriciel des RH site qui les place souvent dans des situations complexes où ils doivent articuler des logiques (économiques, sociales, sanitaires, individuelles) qui sont parfois difficiles à associer. Ils peuvent donc être face à des injonctions contradictoires, pour reprendre un vocabulaire ergonomique.

Et voilà comment (Figure 3), schématiquement, ces acteurs ont été mobilisés durant les premières phases de la démarche de prévention de la pénibilité. Les directeurs de site sont généralement impliqués, mais le plus souvent uniquement dans un dialogue avec le RH de site. Les directeurs de BU et les directeurs industriels ont été informés de la démarche, mais n’ont pas participé activement à sa préparation. La responsable handicap qui pourrait être intéressée par des problématiques communes met en œuvre des actions de

Figure 2 – Le positionnement des acteurs RH

Figure 3 – La mobilisation des acteurs dans les premières phases de la démarche

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 61 -

prévention dans le cadre d’une autre démarche. D’autres acteurs centraux ont toutefois été impliqués. Le médecin du travail coordonnateur et un hygiéniste du service HSE central ont participé activement à la rédaction de l’accord et à la mise en œuvre de la démarche. Mes discussions avec ces divers acteurs tendent à montrer que la volonté d’avoir un accord signé et répondant aux contraintes légales semble expliquer pour beaucoup cette implication essentiellement circonscrite aux acteurs « naturels » de la prévention (HSE, RH, médecin du travail). Mais si ce nombre réduit d’acteurs impliqués a certainement facilité la mise en marche de la démarche, il a par ailleurs certainement rendu plus délicats les arbitrages entre les contraintes locales – amenées notamment par les acteurs industriels – et la prescription relative à la démarche.

6. Trois principaux enjeux à reconsidérer

6.1. L’intégration des logiques industrielles et économiques dans la démarche Comme nous l’avons vu de manière assez explicite, il semble nécessaire de favoriser l’intégration des logiques industrielles et économiques pour que se concrétisent davantage les démarches de prévention de la santé et de la sécurité. D’autre part, la mobilisation des acteurs industriels permettrait sûrement de faire valoir plus facilement auprès d’eux l’idée que la santé est un facteur de performance. Les témoignages des acteurs locaux vont souvent dans ce sens-là. L’intégration des logiques industrielles peut aussi se jouer à travers le choix des situations à traiter, en se basant davantage sur les préoccupations des responsables de site et les préoccupations de ceux qui les supervisent. Et en tenant davantage compte des opportunités réelles de transformation, en particulier dans le cadre de projets existants. Il s’agit peut-être aussi de s’assurer que la mise en œuvre des démarches de prévention de la pénibilité se fasse de façon plus ciblée, sur un nombre plus réduit de situations (12 situations sur les sites pilotes). Enfin, cette intégration des logiques industrielles peut aussi se faire à travers la paire de lunettes choisie pour analyser les situations de travail. Il y a depuis peu une évolution dans la façon d’analyser les situations de travail, mais, par exemple dans les prédiagnostics, les critères de qualité, d’efficacité, de productivité, n’apparaissaient que très peu, voire pas du tout. Par conséquent il y avait peu de chances que les résultats des analyses fassent écho aux préoccupations de ceux qui portent ces logiques-là. L’option aujourd’hui choisie par la direction RH est de développer ce lien avec les acteurs industriels – et la direction technique du groupe – autour des projets de conceptions nouvelles ou de modification des installations. Il s’agit de développer avec eux un processus de mise en œuvre des projets valorisant d’une part les repères pour la conception mis en avant par les diagnostics et d’autres part les nouvelles compétences acquises par les acteurs qui ont participé à la démarche de prévention de la pénibilité. C’est donc par ailleurs une occasion de donner encore davantage de sens aux actions mises en œuvre dans le cadre de cette démarche.

6.2. L’articulation entre responsables RH centraux et locaux Il nous semble qu’il y a aussi un enjeu autour de l’articulation entre les responsables RH centraux et locaux. Notamment autour des modes de management de la démarche. Nous avons jusqu’à présent observé dans le cadre de la démarche de prévention de la pénibilité, des modes de régulation essentiellement « descendants ». Avec le déploiement de la démarche, les retours d’expérience et les préoccupations des sites sont à prendre en compte de façon proactive de la part du central, avec éventuellement une adaptation des espaces et temps de discussion.

6.3. Les relations entre partenaires sociaux

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 62 -

Enfin, il y a certainement un enjeu dans la relation que les RH et les directions industrielles ont avec les organisations syndicales et les délégués du personnel, en central comme en local. Il y a sûrement une réflexion à pousser sur le rôle qui est donné aux acteurs syndicaux, aux délégués du personnel et par conséquent aux instances représentatives du personnel, en particulier au CHSCT. Les RH peuvent certainement donner davantage de moyens à leurs partenaires sociaux de discuter du travail à partir d’éléments factuels et pertinents, en particulier à travers la formation. Le développement du « off » dans les relations entre directions RH et syndicats en central semblerait aussi être un levier pour le succès de la démarche. Durant les observations et les entretiens que j’ai menés sur les sites, j’ai pu mesurer l’importance de pouvoir rencontrer les organisations syndicales et les délégués du personnel en dehors des instances, où chacun estime avoir un rôle à tenir. Néanmoins cette évolution des relations entre partenaires sociaux ne peut pas se décider de façon unilatérale.

7. Conclusion

Comme vous l’avez compris, je suis à la fois ergonome, interne et doctorant. Alors pour conclure je m’arrêterai sur trois choses :

o D’une part, et là c’est l’interne « corporate » qui parle, il semble que nous soyons parvenus à ce qu’un élan soit engagé, et pour pérenniser cette dynamique, il semble nécessaire de développer les ressources de ceux qui sont chargés de concrétiser cette démarche.

o D’autre part, et là c’est l’ergonome qui parle, je crois que pour que ce type de démarche réussisse, au même titre qu’une intervention ergonomique, il est nécessaire que le central parvienne d’abord à faire émerger une demande, plutôt qu’imposer une commande. Et je tiens ici à remercier Jacques Escouteloup, qui lors des journées terrain avec les étudiants en Master 2, m’a fait de nouveau réaliser l’importance de cet aspect-là : faire émerger la demande.

o Enfin, et là c’est le doctorant qui parle, il me semble qu’il y a une réelle opportunité de développement pour les ergonomes à travailler avec les ressources humaines, c’est une occasion de travailler sur les déterminants des déterminants, qu’ont évoqués Karine Chassaing et François Daniellou en introduction. Et il me semble surtout important d’appuyer sur l’idée que si on veut que ce type de démarche devienne plus performant et plus fréquent dans les entreprises, il est nécessaire de s’intéresser au travail de ceux qui le portent.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 63 -

Une fenêtre sur le travail

« La place des cadres et des managers dans nos interventions »

Solange Lapeyrière Ergonome, « À la fenêtre », Paris

Damien Cru Ergonome consultant, AOSST, Paris

Introduction et présentation Solange Lapeyrière Lorsque j’ai commencé mon activité d’ergonome, dans les années 1980, j’ai comme tout un chacun ici, appliqué ce que j’avais appris lors de mes études au CNAM : Une large place à l’analyse de l’activité avec les opérateurs de terrain, le bonheur de la découverte du travail « dit réel », des rapports finement travaillés, des restitutions, les recommandations. Les cadres faisaient l’objet d’entretiens pour l’organisation de l’intervention et d’un minimum de recueil sur les données générales sur l’organisation du travail. Pas beaucoup plus. Ils étaient dans « le prescrit ». Comme on dit. Ils étaient censés ensuite conduire les changements. Mes analyses les remettaient en cause. C’était un moment difficile pour eux et pour moi. Très vite sur des projets de conception architecturale, d’organisation, de changements de technologies, etc. j’ai eu besoin de travailler avec eux sur deux plans : pour mener certaines analyses avec eux, et pour travailler les orientations, changements, recommandations, leur faisabilité, etc. Je développe alors des interventions dont le déroulement est de tirer parti au maximum, avec les cadres, décideurs concepteurs et salariés, du minimum d’analyse de l’activité, bien ciblé que j’ai menée au préalable. Être présent dans les réunions, discussions, pour animer, éclairer, questionner, contrer, faire aboutir les microdécisions qui se prennent dans le déroulement de ces projets. Cela a modifié mes façons de conduire mes interventions, et dans la foulée, ma façon d’envisager mon rôle … et celui de l’ergonomie. J’accordais plus d’importance à la faisabilité et l’enchainement de changements réels, souvent modestes et je devenais plus sceptique sur le fait de transformer le travail et les organisations. Lors d’interventions sur des projets d’automatisation dans le traitement de données, dans les années 95-2000, nous avions découvert le rouleau compresseur qui s’abattait sur cet institut de traitement de données avec tous ses effets sur la transformation des métiers. Métiers qui allaient connaître une perte quantitative d’emplois et une perte quasi totale d’intérêt et de qualité. Avec l’ergonome avec qui je travaillais sur ce projet notre conclusion à peine désabusée était alors : « On aide à faire moins pire » ! Autant dire que l’on en rabattait sur le projet porté par l’ergonomie de « comprendre le travail pour le transformer ». Les transformations radicales du travail et des organisations étaient en route, mais ne venaient pas de l’ergonomie. On pourrait en dire autant de nombre secteurs actuellement.1

1 Lapeyrière S. (2013) L’intervention au fil des générations. Utopie, découvertes, illusions et évolutions. 48è congres de la SELF. Et autres publications sur site : www.solangelapeyriere.com

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 64 -

[Damien Cru]

Pour ma part, j’étais technicien de prévention à l’OPPBTP (Organisme Professionnel du Bâtiment et des Travaux Publics) après avoir travaillé comme tailleur de pierre. Le côté très technique et réglementaire de la doctrine de l’OPP, à l’époque, début des années 80, m’avait un peu effrayé. Et je me suis alors tourné vers la psychopathologie du travail (C. Dejours) puis vers l’ergonomie (A. Laville) d’une part et d’autre part vers mes camarades tailleurs de pierre du syndicat parisien du bâtiment (CGT) pour renouveler l’approche des risques professionnels, toute une démarche dont je rends compte dans le livre à paraître chez Érès en avril de cette année 2. Ces journées de Bordeaux nous offrent l’occasion d’expliciter une nouvelle fois le travail réflexif que nous menons ensemble et avec René Gambin3, depuis des années, sur notre manière d’intervenir ensemble ou séparément. Nous avons déjà communiqué sur la manière dont nous sommes sortis du schéma linéaire « diagnostic-recommandations- mise en œuvre ». Pour nous, l’intervention pose des actes. L’intervention fait acte pour les participants. C’est un point essentiel. Il faudrait avoir le temps de développer la différence entre faire acte (moment créateur, origine d’un renouveau) et mener des actions (inscription dans la continuité de pensée). Autre point caractéristique : l’analyse du travail y trouve une modalité particulière, qu’il s’agisse du travail des managers ou des opérateurs ou de leur travail commun. Car il n’y a pas d’un côté le travail des uns et de l’autre le travail des autres. Le thème de ces journées de Bordeaux nous amène à préciser encore un point sur le travail des managers, entendons par là le travail des managers opérationnels notamment de ceux dits de proximité (cadre, agents de maîtrise, et même des opérateurs qui peuvent être des team managers ou des chefs d’équipe). Qu’est-ce qui fait obstacle à la remontée des informations du terrain ? Est-ce que ces obstacles relèvent du seul registre de la méconnaissance ou plus exactement de la connaissance ? Par exemple, dans une entreprise de transport, qu’est-ce qui fait obstacle à la remontée des presque accidents par la voie hiérarchique ? Si c’est une question de connaissance, alors l’ergonome peut par dévoilement changer les représentations en portant à la connaissance ce qu’il observe sur le terrain. La méconnaissance peut jouer, mais il s’agit davantage de l’ignorance, au sens du « je sais, mais je préfère n’en rien voir, n’en rien savoir ». L’ignorance renvoie à un mode de perception, de sentir, de penser ; à un engagement dans le monde du travail, à un être-au-monde qu’il faudrait interroger. Et là, le dévoilement ne suffit pas. Il est même impuissant, voire contre-performant. Comme l’a dit François Daniellou hier matin, les managers opérationnels ne travaillent pas avec la seule logique technique et gestionnaire. Ils usent également des ruses de l’intelligence, des figures de la mètis grecque4. Mais cet usage est censuré par le discours dominant qui se veut rationnel et rien que rationnel ; du coup les managers s’autocensurent, consciemment ou non. Une vieille déformation, apprise dès l’école et renforcée par les écoles d’ingénieurs où même les sciences sociales, le droit est enseigné dans cette logique formelle. Domine d’une manière autocratique sous couvert de raison formelle, la rationalité technique et gestionnaire, utilitariste, y compris dans la conduite de projet. Les opérateurs usent également de toute la gamme de l’intelligence, la raison et la mètis, avec l’élaboration de savoir-faire de prudence, dans leur pratique langagière, dans toute une dimension du 2 Cru, D., 2014, Le risque et la règle, érès, Toulouse 3 Gambin R. et Lapeyrière S. Journées de Bordeaux 2007. Quand l’ergonome fait travailler les autres, est-ce de l’ergonomie. 4 Detienne, M. et Vernant, J-P., (1974) Les ruses de l’intelligence, la mètis des grecs, Flammarion

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 65 -

travail et de ses entours que la rationalité cherche à évacuer depuis plus d’un siècle. Mais le discours dominant ne veut rien en savoir et l’organisation pourchasse ces « temps parasites » par toutes sortes d’outils managériaux dont le lean est un des avatars. Que faire alors en intervention ? Faut-il postuler une réconciliation possible ? Car il n’y a pas coïncidence entre la raison et la mètis. La mètis refoulée du discours ambiant travaille en sous-œuvre. Dès lors, faut-il chercher à unifier les points de vue et les logiques qui les sous-tendent dans une conception du travail unique ou dans une conception syncrétique de la prévention ? Le monde de chacun n’est pas un fragment de la somme de toutes les parties, fragments qu’il s’agirait pour l’ergonome de replacer dans un puzzle pour avoir un beau tableau de l’ensemble, pour bâtir un monde commun. Nous pensons au contraire que toute activité humaine est traversée de différentes logiques, même si la pensée des gestionnaires et des cadres se réclame d’une logique rationnelle, scientifique et technique. Notre pratique invite les protagonistes à réaliser ces différences de logiques en œuvre, chez chacun d’eux, chez les autres et à faire avec, à accepter la conflictualité à tous les nouveaux pour passer en connaissance les meilleurs compromis possibles à un moment donné, sans illusion sur leur pérennité. Ce qu’ils font nécessairement au quotidien, mais qui peut être parfois en difficulté et nécessite alors d’être redynamisé et actualisé dans les tensions accrues de certaines situations particulièrement difficiles.

Situation actuelle, nouveaux développements Depuis 1995-2000, sont montées en puissance les thématiques des TMS, du handicap et du vieillissement, du stress, du harcèlement moral, des suicides, de la souffrance, des RPS. Les situations que l’on rencontre sont très diverses et contrastées, avec des niveaux de conflictualité ou de drames également différents. Il ne s’agit plus du seul décalage entre le prescrit et le réel, celui-ci porte sur des points de vue complètement divergents sur les réalités vécues dans l’exercice du travail. On assiste à des distorsions très grandes dans l’appréciation du travail et de ces effets. Nombre d’auteurs sont d’accord maintenant pour situer dans ce décalage et dans l’impossibilité d’en parler et d’agir, l’émergence de la souffrance au travail. Une littérature importante sur l’idéologie managériale s’est développée, ciblant les méthodes de gestion des manageurs comme source des maux et souffrance constatés dans les entreprises. Mais nous savons aussi d’expérience que cadres et manageurs sont pris dans la tourmente des transformations technologiques et de gouvernance des entreprises. Ils subissent et gèrent les transformations du travail décidées en dehors d’eux, et parfois par des instances extérieures ou éloignées de leur service (automatisation, cabinet extérieur, ministère, loi, directive, concurrence ...) De moins en moins décideurs et de moins en moins prescripteurs. (Cf. Dupuis5, Sennet 6). Ils sont engagés dans une gestion à court terme de la conduite de ces changements, dont les impacts sur le travail et pour les opérateurs se découvrent au fur et à mesure. Pris en tenaille entre des directions préoccupées des seuls résultats et des équipes « récalcitrantes ». Parallèlement nombre de demandes d’intervention se sont présentées sous forme « d’expertises CHSCT » avec la tension que comporte chaque fois ce type de demande. Nombre d’interventions sont demandées et construites sans les manageurs et parfois contre eux.

5 Dupuy F. (2005). La fatigue des élites. Seuil, La république des idées 6 Sennet R. (2008) La culture du nouveau capitalisme. Hachette

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 66 -

La demande est classique : on demande au consultant, à l’ergonome, à l’expert de faire un diagnostic des effets des nouvelles technologies ou organisations sur les conditions de travail et la santé des salariés. Pour les demandeurs, la direction est dans le déni de la souffrance, et les cadres « à 1000 lieux des réalités ». Pour les directions, qui tentent de « développer et sauver l’entreprise », les salariés sont inconscients des réalités économiques, manipulés par les syndicats, ou sont inadaptés ou incompétents du fait de leurs problèmes personnels. L’attente des demandeurs salariés est que le diagnostic-expert légitime scientifiquement l’expression de leurs plaintes non entendues. Ce rapport expert est censé « atteindre » la direction, de façon à entrainer des changements dans le management de l’entreprise. L’attente des directions est de restaurer le bien-fondé de leurs choix stratégiques et managériaux. Les cadres, sont dans ce cas, au mieux destinataires des recommandations de l’expert consultant. Celles-ci visent l’amélioration de leurs méthodes de management comme sources de solution aux problèmes rencontrés. En fait, les cadres sont rarement destinataires des rapports de ces études. Nous comprenons bien que, dans les climats très tendus, chacun évite la discussion sur ce qui fait problème, et espère que le « consultant » fera le boulot, à leur place ! Mais nous savons aussi, que la question de la souffrance, comme celle du conflit, dans le travail, prennent racine justement de ce que les questions et problèmes rencontrés dans le travail ne peuvent être parlés, et sont transformés souvent en problématiques personnelles ou syndicales. Les demandes de procéder par entretiens « confidentiels » et en maintenant la séparation entre les uns et les autres, ne peut que renforcer les situations existantes et donc mener à l’échec. Comment le consultant peut-il se déprendre de ce piège qui lui est continuellement tendu, pour surtout ne rien « déranger ». Alors qu’il s’agit justement de cela. Déranger. C’est ce à quoi l’approche systémique de l’École de Palo Alto nous apprend à être en perpétuelle tension7. C’est de ce constat, de ces références que nous partons pour proposer à nos interlocuteurs de faire en sorte que l’intervention soit l’occasion de sortir de cet enfermement. Et donc de ne pas en rajouter dans l’exclusion, le confidentiel, le procès… Mais de trouver les formes possibles pour parler - entre eux - et avec nous - de ce qui pose problème dans le travail. Il n’y a pour nous aucune raison que ce qui n’a pas été tenté pendant le temps de l’intervention puisse se produire ensuite, par l’effet des recommandations ou de formations… Pour illustrer nos propos, et notre façon de travailler avec les manageurs, nous avons choisi un cas parmi tant d’autres : il s’agit d’une demande de formation à la prévention des RPS dans un grand organisme public. Ce cas illustre bien, à notre sens, les contradictions à l’œuvre dans les demandes qui ont lieu actuellement et la nécessaire inventivité à laquelle nous sommes conviés pour y répondre. Le cahier des charges que nous recevons a été négocié au plus près entre direction et CHSCT. Cette formation est décidée dans le prolongement des recommandations d’une expertise CHSCT qui vient d’avoir lieu suite à une tentative de suicide dans l’entreprise. L’objectif de cette formation est d’acquérir « des bases partagées, de créer une culture commune » sur la prévention des RPS. Pour cela le cahier des charges prévoit deux modules :

- un module court pour l’ensemble des manageurs (une journée), - un module approfondi pour les membres des CHSCT, sur plusieurs jours.

Le décalage entre l’objectif et les méthodes préconisées n’échappera à personne ! Il est tout à fait symptomatique du problème vécu et de l’illusion de sa résolution… par de telles méthodes.

7 Watzlawick P., Weakland J., Fisch R. (1975) Changements, paradoxes et psychothérapie. Seuil

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 67 -

Par ailleurs, il n’est pas rare que les entreprises qui font des demandes sur ce sujet, imprégnées des bons conseils et documents issus des institutions spécialisées, en même temps qu’elles nous donnent leur objectif, ce qui est indispensable, nous prescrivent aussi les méthodes, faisant fi de notre inventivité, créativité, expérience. La proposition, l’invention des méthodes fait partie du métier du consultant. L’analyse de la demande consiste alors à travailler avec nos demandeurs sur ce qui nous semble problématique entre l’objectif annoncé et les méthodes préconisées. Chose que nous allons bien sûr travailler avec nos demandeurs, réunis dans un comité de pilotage avec CHSCT, DRH et directions des deux établissements.

L’intervention, sa négociation, sa préparation, divers déroulements, effets et évaluation Le travail de la demande est donc l’occasion pour nous de réanalyser avec les différents protagonistes ce qui est en jeu dans cette impossibilité de parler du travail autrement que sur un mode confidentiel ou dans la violence et l’exclusion. À notre sens c’est de cette impossibilité-là qu’il faut les aider à se dégager en permettant, dans le dispositif de l’intervention, que cette capacité à parler de ces choses puisse avoir lieu.

Un des enjeux essentiels de la réussite de l’intervention et de la durabilité de ses effets est que ces évolutions aient lieu, pendant l’intervention, et perdurent ensuite.

En effet si nous menons nous-même ce travail de « mise en visibilité et mise en mots », il n’y a aucune raison que, devant un problème nouveau, ils puissent savoir s’en débrouiller.

Les négociations du cadre de l’intervention prennent du temps, pour s’adapter au contexte et se mettre d’accord sur les principes et engagements. Autrement dit il ne s’agit pas de dérouler une « méthodo » qui aurait son efficacité « en soi », mais de construire ce « cadre » comme le cadre d’une fenêtre, avec ses dimensions et ses règles, dans lequel se déploiera l’intervention. Il a fallu, dans ce cas, six mois pour renégocier ce cadre ! Ce n’est pas heureusement toujours aussi long, mais cela témoigne de l’enjeu que cela représente pour notre demandeur. Réunions et discussions de leur côté, avec nous, etc. pour aboutir à d’autres modalités du dispositif d’intervention. En ce qui nous concerne, nous avions clairement indiqué que s’ils maintenaient ce projet, nous ne le ferions pas, convaincus de l’inefficacité d’une telle méthode. Notre proposition de former tout le monde ensemble, en deux groupes de travail hétérogènes, va être finalement adoptée. Chaque groupe se réunira 3 jours à intervalles de 2 ou 3 semaines puis lors d’une réunion commune où chaque groupe présentera ses acquis. Un bilan sera fait 6 mois après. Cette négociation et cet accord avec la direction et les élus du CHS, laissent entières la crainte et les peurs de ceux qui vont participer à ces groupes de travail. Problème qui devra être abordé de nouveau, avec eux.

Certaines négociations peuvent échouer et l’intervention peut ne pas avoir lieu. Du fait de nos interlocuteurs ou de nous.

Une proposition qui prévoit plusieurs phases

Compte tenu des craintes peurs, et blocages, ce type d’intervention va se dérouler par phases de travail progressives.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 68 -

Chaque phase permet ensuite d’entamer la suivante ou de décider d’arrêter. Pour permettre à nos interlocuteurs de voir où nous voulons aller et comment, et pour des raisons commerciales, nous donnons bien sûr, un aperçu du processus global avec une estimation par phase, pour le cas où tout se déroule bien. 1 – Une phase de préparation Cette période de préparation va consister à rencontrer cette diversité d’acteurs, en individuel ou en petits groupes, selon les contextes, pour sentir et entendre comment chacun analyse les choses, comment s’expriment leurs craintes, mais aussi quelles sont leurs attentes et engagements possibles dans un tel processus. C’est l’occasion de voir avec eux ce qu’ils ont déjà tenté de faire, avec quels résultats, de découvrir des « choses » intéressantes. C’est aussi pour nous le moment de leur indiquer que nous prenons au sérieux leurs craintes et de présenter la manière dont nous leur permettrons de surmonter ces craintes et appréhensions. Cette phase est très importante. Il ne s’agit pas d’un recueil de témoignages sur la souffrance ni d’un diagnostic, mais davantage de notre part d’une étude de faisabilité avec appréciation des risques. C’est une phase où l’on apprend à se connaître pour pouvoir travailler ensuite en prudence et en confiance. Cette phase initiale débouche sur un rapport d’étonnement. Le nôtre, mais aussi le leur. Étonnement de ce qui se passe, des blocages repérés ; étonnement et surprise devant les pistes et ouvertures évoquées par les uns et les autres. Elle permet de démarrer la mobilisation et l’engagement de nos interlocuteurs dans le processus proposé. Il ne s’agit pas d’attendre… d’éventuels résultats auxquels personne ne croit, et où l’on aimerait tant nous voir échouer comme prévu ! Il s’agit de s’engager dans l’intervention, qui n’est donc pas, simple production de connaissances et conseils, mais un engagement de travailler ensemble. Cette étape permet de formuler plus concrètement les modalités du travail que nous pourrons faire avec eux dans l’étape suivante. 2 – Une étape « active » de travail avec les interlocuteurs concernés, en groupe de formes diverses Nous privilégions la forme de formation-action avec pour objectifs que les participants de toutes les catégories de personnel arrivent in fine à se parler des problèmes rencontrés, sans être dans le retrait silencieux ou l’accusation.

Nous les invitons à un moment ou à un autre du processus à parler ensemble de cas concrets vécus dans les services.

Ces deux propositions rencontrent de fortes résistances et craintes. Le défilement d’un PowerPoint sur des apports théoriques est tellement rassurant. �

Parler des problèmes concrets leur paraît insurmontable. La première journée permet un premier acquis : le mélange des statuts a bien eu lieu et a donné

plutôt lieu à de bonnes surprises. Un cas extérieur à l’entreprise a été proposé comme exercice. C’est plus rassurant, et cela permet de prendre du recul, et de se montrer sous son meilleur jour.

Lors de la deuxième journée, des situations concrètes, de l’entreprise, sont amenées par les uns et par les autres, avec des trouvailles pour protéger la reconnaissance des personnes et les précautions nécessaires. Deuxième étonnement, c’était possible, ça s’est bien passé. Et la somme des cas fait apparaitre des analogies de problématiques qui permettent de penser que les situations en question, du fait de leur répétition, ne sont pas aussi individuelles que cela… et des pistes de prévention à discuter. L’explosion n’a pas eu lieu. Au contraire, une certaine sincérité, un étonnement et la surprise de découvrir les positions des autres : on peut faire quelque chose ensemble. Parler de façon « acceptable » des cas

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 69 -

concrets, mettre en évidence des problématiques structurelles partagées qui permettent d’avancer et faire des propositions. (Ex, travail sur les nouveaux recrutés, signalement de cas, visibilité du travail des uns et des autres, autre façon d’aborder la question de la confidentialité…)

Les participants prennent goût à cette façon de travailler, et y voient une méthode essentielle pour éviter l’enlisement et l’aggravation. 3 – La troisième étape = finalisation Elle consiste essentiellement à mettre en visibilité les acquis de ces deux premières phases. C’est encore une phase en groupe, puisque ce sont les participants qui vont exposer ces acquis. Cet exposé de ce que chacun a compris, découvert, envie de faire, permet de sortir de la solitude et rend compte de la façon dont ils vont pouvoir compter les uns sur les autres, s’interpeller, continuer d’échanger ensemble. Cette phase peut éventuellement donner lieu à de la communication interne, ou à des initiatives diverses… Le cadre que nous proposons sollicite chaque participant. Chacun est volontaire et s’engage à venir à toutes les réunions, à respecter une règle de discrétion. Il peut dire ce qui se travaille dans le groupe, mais ne peut pas rapporter les paroles des uns ou des autres. Sans cet engagement personnel et réciproque, il n’y a pas de travail possible sur les représentations de ce qui est en question et du coup aucun changement ne serait possible dans l’approche de ces risques dits psychosociaux. À nous, intervenant, de veiller à ce que la tentation de sortir du cadre qui puisse pointer à un moment ou à un autre ne se concrétise pas. Ce cadre va être l’objet de discussions et confrontations, de surprises, où vont se répéter les formes habituelles de conflit de chacune des entreprises avec leur culture propre. C’est un point essentiel pour permettre à chacun de se repositionner dans la discussion de ce cadre que nous « tenons ». N.B. Nous sommes toujours deux consultants pour conduire l’intervention et animer les groupes de travail. L’approche des risques psychosociaux repose avant tout sur les échanges langagiers et leurs interprétations. Il est important de déjouer le piège d’une écoute et d’une interprétation unique. Nous proposons d’intervenir à deux consultants afin de montrer dans l’action la fécondité de cette multiplication des points de vue (les nôtres) et l’importance de les mettre en discussion. Nous intervenons avec plusieurs « outils » que nous proposons selon les situations. Le premier est l’étude de cas concrets. Chaque fois que l’un des participants parle en général, nous l’invitons à donner un exemple concret, vécu de ce qu’il veut dire. « À quoi pensez-vous quand vous dites ça ? ». Alors dans un questionnement d’inspiration ergonomique, nous allons lui permettre de repérer ce qui dans la situation concrète de travail l’embarrasse, ce qui fait blocage, qui énerve ou qui décourage. Et le questionnement se fait à plusieurs voix puisque les collègues - ou une partie des collègues - prennent part à ce cheminement dialectique jusqu’à ce qu’il arrive sur le point d’achoppement. La situation n’est peut-être pas explorée dans son intégralité, comme nous l’aurions fait après observation de l’activité, mais son explicitation peut être suffisante pour que les participants concernés se remettent à la penser, à la lier à d’autres évènements, à des problèmes de travail généralement tus, à des situations antérieures... Nous avons dit plus haut l’importance de ces moments d’étonnement, à propos de cet autre outil, le rapport d’étonnement. Ni diagnostic savant et complet de la situation, ni plan d’action, mais une production parfois très au ras des pâquerettes, reprenant ce qui a été perçu comme nouveau, de ces petits déplacements qui soudain ouvrent des perspectives, de nouvelles fenêtres sur le travail et les possibilités d’y être pour chacun.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 70 -

Et nous avons un certain nombre de points méthodologiques à proposer à tous les protagonistes pour aborder ensemble les situations de troubles psychosociaux :

- reprendre les évènements dans leur épaisseur historique ; - ramener constamment dans les propos ce qui unit tous les protagonistes : le travail et ses

entours ; - reconnaître l’existence de différences de perception, d’interprétation, de différents points de vue

(chez une même personne, entre personnes différentes…) ; - discerner les instances de conflictualité propres à chaque niveau - individu, groupe, organisation

- et entre les niveaux ; - repérer les signes avant-coureurs de troubles dits psychosociaux ; - tirer de cette construction collective chacun en ce qui concerne sa fonction, ses missions, des

enseignements aux trois niveaux de la prévention. Nous les avons rassemblés dans cet outil appelé la chronique des évènements8. Comme avec les accidents, il s’agit de parvenir à tirer des enseignements en termes de prévention et non en termes de responsabilité juridique. La forme d’animation des réunions à deux intervenants, les consignes du travail à réaliser entre deux séances, les synthèses courtes en fin de chaque séance, autant de modalités qui participent à la mise en travail des participants. Nous confirmons qu’il n’y a dans cette méthode d’intervention ni analyse du travail par observations ni diagnostic, et donc pas de restitution. Pour nous l’expérience acquise en ergonomie, nous permet de guider un processus d’analyse partagé par les participants eux-mêmes. Ce travail étant essentiel pour retrouver la capacité de parler et d’agir ensemble sans estomper les niveaux de conflits. Objectifs modestes et/ou ambitieux Notre objectif n’est ni de transformer l’organisation ni de faire un plan d’action. Il est de permettre aux protagonistes d’acquérir des points de méthode autorisant une parole sur les évènements qui puisse circuler et que d’autres peuvent reprendre. Notre objectif est d’arriver à ce que les salariés concernés, chacun dans leurs rôles, construisent leurs points de vue (forcément différents) et arrivent à parler de ce qui fait conflit dans le travail. C’est un travail personnel en groupe. C’est la condition sine qua non, pour que déjà quelque chose bouge en cours d’intervention, des petits changements de posture les uns par rapport aux autres, sous-jacents même à l’agir proprement-dit, mais perceptibles à qui prête attention à cette dimension discrète des relations de travail. Si les projecteurs des projets de service ou des plans d’action les ignorent, on peut les percevoir, telles les lucioles de Didi-Huberman9, dans la pénombre du quotidien de travail. Ensuite, les protagonistes pourront envisager un pas ou des pas supplémentaires pour instituer les changements dans leurs relations et aborder les difficultés. Cette présentation met en relief plusieurs aspects de notre métier. La capacité à guider un processus de « parler du travail » par les participants eux-mêmes. Paradoxalement, ce processus nous paraît essentiel à mettre en œuvre dans le cas de situations très difficiles, pour que l’intervention soit l’occasion d’actes nouveaux possibles qui n’étaient plus envisageables.

8 Cru, D et Lapeyrière, S., 2011, Les faits et les discours ne parlent pas d’eux-mêmes, Risques psychosociaux : quelle réalité, quels enjeux

pour le travail ? Séminaire de Paris 1 coordonné par Hubault F., Octarès, pp.134-155. 9 Didi-Huberman Georges (2012). Survivance des lucioles. Les Editions de Minuit

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 71 -

Cette méthode d’intervention proche de la formation-action n’est qu’un exemple d’intervention menée avec des manageurs, dans un contexte qui les excluait ou dont ils s’excluaient. Elle ouvre des discussions et des voies possibles, pour nombre de situations. Elle permet aussi de repérer le développement des compétences possibles des ergonomes dans la diversification de leurs méthodes de travail.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 72 -

« La construction d’un projet de service : subtil maillage entre instruction et décision »

Jacques Escouteloup Ergonome, département d’ergonomie, ENSC, IPB, Bordeaux

Bernard Lattes Directeur, service de Santé en Milieu de Travail Inter-entreprise (SMTI) 82, Montauban

Bernard Lattes

Bonjour, Je m’appelle Bernard Lattes et si je suis ici parmi vous c’est que j’ai une caractéristique métier qui intéresse les ergonomes, à savoir : « je suis un manager ». Je vous propose derrière ce mot de vous faire part d’une partie de mon parcours et d’une partie de ma personnalité. Après une double formation : juriste et gestionnaire. J’ai commencé mon activité professionnelle dans l’industrie, dans les années 1990/2000 où, à l’époque, la tendance était de faire du profit via les achats. Alors que dans les années 1970/1980, durant les « années marketing », il y avait la génération « fils de PUB ». En suivant, il y a eu la période des « achats sources de profits » : la génération des « Cost Killer », et je fais partie de cette génération. En clair, mon métier était celui de délocalisateur : il consistait à rechercher des fournisseurs, essentiellement dans le Sud Est Asiatique (Hong Kong, Taïwan, Singapour, la Corée…), capables de fabriquer des produits à un coût inférieur aux productions françaises pour accroître les marges et avec pour conséquence directe la fermeture d’ateliers. Mon métier était donc de rechercher, de négocier et d’acheter ; c'est-à-dire de faire du business, du profit. Tout cela se réfère à ce qui touche à l’extérieur de l’entreprise, c’est-à-dire une activité de négociateur externe. À l’intérieur de l’entreprise, j’avais des hommes à « manager », des personnes avec qui je devais travailler (ingénieurs, techniciens, commerciaux, ouvriers…), c’est-à-dire une activité de négociateur interne au carrefour de tous les métiers. Concernant ma personnalité, sans entrer dans les détails : je suis quelqu’un de simple et j’ai comme ligne de conduite « d’être bien dans mes baskets ». Jacques Escouteloup

Bonjour, Je suis ergonome et j’ai souvent porté des baskets. En effet, ma vocation pour le métier d’ergonome a été tardive puisque préalablement j’ai exercé le métier de professeur d’EPS pendant vingt ans. Sportif très engagé, j'ai été en même temps entraîneur et manager de basket-ball et les outils que j’utilisais le plus souvent étaient ceux de l’observateur et du stratège : le papier-crayon, la vidéo, le chronomètre et quelques autres, parfois un peu surprenants, comme des jumelles et un parapluie, etc. Mais ça n’est pas tout. Se former pour être professeur d’EPS, c’est travailler sur l’approche pédagogique du point de vue pratique et théorique et là, à l'époque, c'était Versailles… Du soleil plein les yeux. En effet, notre apprentissage pédagogique était inspiré entre autres par les grands auteurs de l’école de Palo Alto : Bateson, Watzlawick, Wiener, Levin, Moreno, Laing, Rogers, Bettelheim… Et par des auteurs engagés comme Illich, Wallon, Piaget, Freinet, etc. Finalement, devenir ergonome n’a été qu’un prolongement, car j’ai continué d’enseigner, d’observer et de faire de l'analyse stratégique. D’ailleurs, c’est cet aspect qui me branche le plus, car il permet aux esprits curieux de construire de la connaissance à partir de l’observation assidue et souvent systématique

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 73 -

de situations « banales, du quotidien ». Cet assemblage subtil de faits observés, de connaissances et de sagacité est utile dans toutes les interventions, c'est ce que certains dénomment : la SÉRENDIPITÉ. Mais l’objectif d’aujourd’hui est de mieux connaître le travail du manager. Alors, M. Lattes dîtes nous : ça fait quoi un manager ?

Bernard Lattes

Comme je vous l’ai annoncé, j’ai travaillé dans le monde de la haute technologie, de l’armement, de la sonorisation des lieux publics, dans la sidérurgie et actuellement j’exerce mon métier de manager en dirigeant un service de santé au travail. Vous allez me dire : « Cela n’a rien à voir avec l’industrie, on n’est plus dans le monde des affaires, dans le business ? ». Et j’ai envie de vous répondre : « Et alors ? Pourquoi pas ? Demain, je serai peut-être amené à exercer mon métier dans la boucherie, l’ameublement, le bâtiment, la mode… » En ce qui me concerne, en tant que « manager », les fondamentaux, les pratiques de mon métier sont identiques. Il n’y a aucune différence et je vais essayer de vous l’expliquer de façon simple. Dans tous ces environnements, pourtant très différents, les caractéristiques de mon métier, de ma vie professionnelle quotidienne, sont identiques : − j’organise l’activité dans sa globalité, − j’oriente les réflexions, les actions, − j’écoute les personnes, à l’intérieur de la structure et à l’extérieur, − j’accompagne l’évolution de la structure, − j’encourage les individus, les actions, − je valorise les métiers, le travail réalisé, − je gère des conflits, − je m’adapte aux personnalités (les têtus, les timides…) et j’appréhende les différentes logiques

métier (médecins, IPRP, comptables…), − je négocie, je fais preuve de diplomatie, − je contrôle, au sens de la gestion (analyse des écarts), − j’analyse des situations, je pose les problématiques, − j’imagine, j’élabore et mets en œuvre des « stratégies d’entreprise », en clair :

o où la structure doit-elle aller ? Pour quoi faire ? o Peut-elle y aller ? A-t-elle les ressources pour y aller ?

− Je dois faire partager cette stratégie, la planifier, la piloter, l’évaluer au fil du temps. L’ensemble se fait dans des cadres très différents et dans un quotidien composé de situations très variées. Soit dans des cadres formels avec des réunions en commission médico-technique, des commissions de contrôle, des réunions de délégués de personnels. Ce qui donne lieu à des comptes rendus, l’absence de comptes rendus, ou à des refus de comptes rendus, etc. Soit dans des cadres informels : dans les couloirs, à la machine à café, sur le parking ; à l’intérieur de la structure, mais aussi à l’extérieur. Là aussi, il existe des cadres formels : des conseils d’administration pour lesquels je suis amené à faire des comptes rendus de façon très formelle, mais aussi des cadres informels pour rencontrer

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 74 -

les administrateurs : repas, cocktails, etc. Je travaille aussi avec les institutions telles que la CARSAT, la DIRECCTE, de la même manière (cadre formel et informel). Avec des situations, au quotidien, très variées. L’imprévu est donc mon quotidien et cela me plait. C’est ainsi qu’en 2012, dans cette « vie de manager » au sein du SMTI, j’ai cru comprendre que les médecins voulaient se former à la conduite de projet. J’avais également cette l’idée qu’il fallait qu’ils se forment à la conduite de projet. Je contacte donc Jacques Escouteloup pour réaliser cette formation des médecins du SMTI. Suite à cela, nous nous rencontrons à Montauban. Alors, dites-moi monsieur Escouteloup : pourriez-vous former le personnel du SMTI82 à la conduite de projet ?

Jacques Escouteloup

− Mais bien sûr ! Monsieur Lattes, cette mission correspond parfaitement à nos compétences et aux missions du département d’ergonomie. De plus, la première fois que l’on s’est téléphoné j’ai eu le sentiment que nous avions eu une excellente relation.

Bernard Lattes

− Oui, c’était il y a quatre ans. Jacques Escouteloup

− Vous souvenez-vous comment cela a commencé ? Bernard Lattes

− Oui, je cherchais un ergonome IPRP. Jacques Escouteloup

− Et depuis vous avez fait du chemin : trois ergonomes ici présents et un toxicologue. En ce qui concerne le projet de formation, Joffrey Beaujouan et moi-même vous donnons notre accord. En revanche, nous voulons poser une condition préalable : rencontrer les personnes à former ou leurs représentants, ne sachant pas tellement de qui il s’agit. Nous avons compris qu’il s’agissait de médecins.

Bernard Lattes

− Il s’agit des médecins du travail et des IPRP. Jacques Escouteloup

− Peut-on les rencontrer ? Bernard Lattes

− Je propose que l’on regarde nos agendas, que l’on fixe une réunion et c’est réglé. Jacques Escouteloup

− Voilà, toujours la même chose : on prend les agendas, on fait une réunion et c’est réglé.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 75 -

Nous organisons donc une réunion avec les médecins, un IPRP, Joffrey Beaujouan et moi-même. Après quatre heures de discussion de fond nous nous rendons compte que la demande de formation n’est pas très solide. Ils étaient intéressés par la conduite de projet, mais aussi par autre chose. Ce qui est compliqué pour nous ergonomes. Jacques Escouteloup

− Monsieur le directeur, notre réunion s’est vraiment très bien passée. Bernard Lattes

− Très bien, j’en suis ravi, d’ailleurs cela ne pouvait que bien se passer, car vous étiez avec des gens sympathiques.

Jacques Escouteloup

− Oui, oui, bien sûr. Seulement, il y a un certain nombre de points qui nécessitent d’être rediscutés avec vous…

Bernard Lattes

− Oui, discuter, rediscuter, je fais çà tous les jours donc allez-y. Jacques Escouteloup

− À vrai dire, il ne s’agirait pas tout à fait de faire une formation à la conduite de projet. Les gens que l’on a rencontrés ont plutôt envie de mettre en place une démarche d’élaboration de projet de service. Alors, que fait-on ?

Bernard Lattes

− Banco, j’achète ! Vous avez ici, je m’en souviens très bien, un comportement, une décision de manager. Pourquoi ? Je pars d’une idée qui consiste à former du personnel et j’y réfléchis. J’ai également un projet de service à faire. Donc à ce moment donné, j’ai une fenêtre de tir à saisir : je la saisit, j’oriente ma décision, je m’adapte à la situation et je dis OK pour faire le projet de service. Je dis OK à l’instant t., car je ne sais pas si demain j’aurais cette opportunité. Jacques Escouteloup

De fait, nous voilà Joffrey et moi-même à la fois heureux d’être sollicités et bien embarrassés, car il ne s’agit pas du projet initial. Nous étions venus faire de la formation et nous voilà embarqués dans un projet de service, ce qui n’est pas la même chose. De plus, Joffrey part à Clermont-Ferrand pour enseigner à l’université donc je me retrouve seul. Alors comment faire ? Quelles conditions poser, quelle démarche à mettre en œuvre ? Conditions préalables à l’intervention : − engagement du président et du directeur dans le processus, − démarche de travail incluant tous les métiers du SMTI82, − durée d'intervention conséquente,

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 76 -

− analyse du travail préalable à l’action pour comprendre le fonctionnement du SMTI82, − liberté totale de mouvement durant cette phase de compréhension. Méthodes : − analyse des documents formels de la structure (compte rendu du CA...), − analyse de la loi sur la pluridisciplinarité et d’autres projets de service, − positionnement de collaboration, explicitement conclu avec les ergonomes IPRP de la structure et

accepté par le directeur, − analyse du fonctionnement actuel du SMTI82 (mise en jeu de la sérendipité),

o entretiens formels et surtout informels, o observations de situations de travail, o participation à des réunions formelles,

▪ Collège des médecins, ▪ Secrétaires médicales, ▪ IPRP, ▪ Conseil d’Administration, ▪ Évènements organisés par la structure (conférences),

− prise de contact et entretien avec l'ergonome ayant réalisé une analyse du travail en amont de ce projet,

− entretiens informels avec des personnes occupant des postes de médecins du travail, d’IPRP et de secrétaires médicales d’autres structures.

La démarche de travail proposée pourrait démarrer par : − une information préalable par le directeur à l’ensemble du personnel sur notre venue et les missions

à remplir, − une analyse du travail ayant pour objectif la compréhension du fonctionnement du SMTI82, − planifier une réunion de travail par mois regroupant toutes les catégories socioprofessionnelles

représentées selon votre accord et vos choix. Ce groupe pourrait comprendre également : chargés de communication, médecins du travail, secrétaires médicales, infirmières du travail, IPRP (ergonome), assistante en santé au travail, personnel administratif et bien sûr le directeur.

En tant qu’ergonome, je propose d’être l’animateur et le pilote de ces réunions. L’élaboration d’un document se fera au fil des réunions avec l’appui de la chargée de communication. Il serait rédigé à partir du travail du groupe et en partie pendant les réunions afin de le valider. De plus, à la veille de chaque réunion, je propose d’être présent sur le site pour rencontrer le président, le directeur, et à leur demande, les différentes catégories socioprofessionnelles, mais par catégorie. Nous pouvons compter un jour et demi en plus pour chaque demi-journée de réunion. Ces rencontres auraient pour objectif de collecter les questionnements de chacun des métiers en fonction de l’avancement du projet de service, mais aussi d’être informés des orientations politiques du président et du directeur, de l’évolution du climat interne au fil des mois. Les objectifs sont de se rapprocher des décideurs tout en restant en contact direct avec les différents acteurs.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 77 -

De mon côté, je me demandais si ce projet allait aboutir, j’avais besoin de me rassurer. J’ai jugé très utile de mieux connaître ce qu’était un projet de service. J’avais en fait déjà participé à l’élaboration de projets d’établissement dans le milieu hospitalier, je me demandais comment cela pouvait servir de point d’appui en termes de compétences. C’était un bon moyen de me rassurer. J’ai aussi pris le temps de lire de multiples projets de service élaborés par différentes structures en France pour mieux connaître le type de document rédigé et me donner des idées. J’ai constaté que ce document servirait de simple média pour la CARSAT et/ou la DIRECCTE. Pour moi, ergonome, le projet de service devait être un processus participatif, dynamique et constructif, engageant les personnes et le manager. Mais en fait, monsieur le directeur, pour vous à ce moment-là, c’est quoi ce projet de service ? Quelle représentation vous en faites-vous ? Bernard Lattes

o Il est important de préciser que le SMTI (la médecine du travail) est une association privée pure et dure : elle est mise en place par les patrons, gérée par les patrons et organisée par les patrons. Cependant, elle fonctionne dans un environnement très réglementé. Depuis la loi de 2011 portant sur la nouvelle organisation de la médecine du travail, le SMTI a l’obligation d’élaborer un projet de service qui vient définir les priorités d’actions et, par voie de conséquence, l’organisation, le « travailler ensemble ».

Ce point peut paraître anodin sauf qu’il s’inscrit dans un environnement particulier, à savoir que le SMTI est dans un processus de profonde mutation, pour ne pas dire de révolution. Je suis arrivé au SMTI le 5 janvier 2004 (je vous rappelle que je viens du monde de l’armement, de la haute technologie) et au bout de dix jours je reçois la circulaire suivante : « mise en place de la pluridisciplinarité dans les services de santé au travail ». Je ne connaissais pas la structure, je savais à peine ce qu’était un médecin du travail et je lis aussi : « A une approche individuelle et médicale est préférée une approche collective et pluridisciplinaire ». Avec mes yeux de manager - je traduis « une approche individuelle et médicale » par « le médecin du travail dans son cabinet à consulter des salariés pour la visite médicale » - , et je traduis « une approche collective et pluridisciplinaire » par « une organisation de travail en équipe pluridisciplinaire : le médecin, la secrétaire, l’ergonome, la psychologue, le toxicologue, le technicien hygiène et sécurité ». Organisation qui va s’intéresser à un groupe de salariés. Traduction du manager que je suis : je rentre dans une structure où il va falloir changer l’organisation, les modes, les règles de fonctionnement : − avec de nouveaux métiers, de nouveaux acteurs,

donc − des évolutions, des jeux d’acteurs, des réticences, des jeux de pouvoir, des positionnements métier

différents. À ce stade je ne savais pas comment faire, ni quand, ni comment, pourquoi et avec qui. Mais je « capte » tout de suite la problématique et, au fil du temps et de la connaissance de la structure, des acteurs, je prends toute la mesure des difficultés pour atteindre cet objectif. Puis, en juillet 2011, la « cerise sur le gâteau » : parution de la loi qui m’oblige à mettre en place un projet de service. La construction de ce projet de service s’est faite avec Monsieur Escouteloup et a duré deux années.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 78 -

Bien évidemment, dans ses rapports avec le personnel, je lui laisse une totale liberté. Pourquoi ? Parce que je ne suis pas ergonome, ce n’est pas mon métier. Donc je fais mon job de manager et il fait son job d’ergonome. Il travaille aussi avec le président. Il faut savoir que le président et le directeur doivent avoir la même ligne de conduite. Il faut qu’ils marchent en duo, ensemble, en couple, sinon l’un ou l’autre est obligé de partir. En introduisant l’ergonome dans ce duo, il doit s’adapter, comprendre, sachant que le président et moi-même avons pour ligne de conduite d’avoir une parole authentique lorsque nous travaillons. L’amour à deux c’est bien, à trois c’est plus compliqué, il y a des risques. Au final, un document est élaboré, mais il s’inscrit surtout dans une démarche dynamique et c’est ce que j’attendais de l’ergonome. Tout se passe dans un environnement « vivant » : ça bouge au SMTI ! Parfois, il y a des conflits, des guerres même ! N’est ce pas monsieur Escouteloup ? Je repense à l’intégration des infirmières… Jacques Escouteloup

Ah oui! Ce fut une période très difficile monsieur le directeur, les infirmières… Cela a été compliqué et il a fallu quelques mois pour revenir à une certaine sérénité. Si vous le souhaitez, nous pourrons en parler pendant la séquence des questions dans la salle. Bernard Lattes

Heureusement, il n’y a pas eu que des périodes de guerre, il y a aussi eu des périodes plus reposantes, plus sympathiques ? Jacques Escouteloup

Ah ! Je suppose que vous voulez évoquer le projet architectural ? Évidemment, en tant qu’ergonome, comment ne pas s’épanouir quand un président et un directeur vous annoncent qu’ils souhaitent investir dans des murs ? Même si le démarrage est un peu « tumultueux », car ces messieurs sont pressés et des plans sans véritable programme arrivent bien trop vite dans les boîtes courriel du personnel. Mais, heureusement, notre manager bien-aimé écoute l’ergonome (qui lui explique ce qu’est le déroulement d’un projet d’architecture) et il décide : − d’informer et d’associer tout le personnel à ce projet, − de mettre en place un groupe de travail piloté par l'ergonome pour élaborer un programme concordant

aux orientations du projet de service, − d'organiser un concours d’architecture. D'ailleurs, aujourd'hui, le lauréat est en train d’élaborer le projet définitif et vous êtes dans l’attente du permis de construire. C’est un grand moment de plaisir, car ce projet architectural est une façon de matérialiser le projet de service, de lui donner un sens perceptible à chacun. En fait, nous allons passer d’un bâtiment organisé par pôles (administratif, médical, technique et organisationnel) à des espaces rapprochant les différents métiers pour « accueillir des équipes pluridisciplinaires », pour reprendre les termes de la loi, même si je préfèrerais parler « d’équipes plurimétiers ». Donc tout ceci est en cours, comme d'ailleurs le projet de modernisation du système d’information qui donne du corps au projet de service et une dimension d’une autre nature pour lequel M. Lattes charge David Lévy, ici présent, d'analyser pour chaque poste les besoins en matériel en fonction des exigences du travail. Il met en place un groupe de travail ayant pour objectif de définir la démarche de travail du projet de modernisation du système d'information et d'en écrire les besoins.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 79 -

Mais tout cela ne signifie pas pour autant que nous ayons terminé la phase initiale du projet de service… Il reste encore quelques étapes à franchir. Bernard Lattes

C’est exact ! Ce projet de service doit être ensuite présenté devant le conseil d’administration pour validation. Pour cela, je dois négocier, séduire, informer, sensibiliser les administrateurs afin qu’ils le valident. Ensuite le projet de service doit intégrer un Contrat Pluriannuel d’Objectifs et de Moyens (CPOM) ; c'est-à-dire une convention tripartite entre le SMTI + la CARSAT + la DIRECCTE. L’ensemble est porté devant la DIRECCTE, la « tutelle » qui, après des phases d’analyse et d’instruction, octroie de dérogations en partie liées à la pénurie de médecins, et délivre l’agrément autorisant le SMTI à fonctionner. Pour finir, les partenaires sociaux et l’Agence Régionale de Santé émettent leur avis sur ce projet de service. Tout ceci est très complexe et paraît être une histoire sans fin qui recommencera très vite. Pour conclure, je pense qu’au-delà du métier de manager, de ses contraintes, de son positionnement, avec une prise de décision qui lui appartient et au-delà du métier de l’ergonome, de son savoir-faire, de sa méthodologie, avec une instruction qui lui appartient, il ne peut y avoir de « maillage » pertinent, efficace, sans une rencontre réussie entre deux personnalités : la dimension « humaine » peut être un vecteur de réussite comme elle peut parfois conduire à l’échec. Jacques Escouteloup

Vraiment, Bernard, cette notion de rencontre me convient bien, car elle est à la croisée des chemins et, en même temps, elle illustre parfaitement le terme de sérendipité que j’ai évoqué au tout début de notre dialogue. Une rencontre, pour qu'elle construise du sens, nécessite une compréhension mutuelle qui permet à l’ergonome de mieux savoir comment : − instruire les décisions, − présenter les résultats de son travail, − savoir à quel moment le faire et avec quel argumentaire afin qu’ils soient pris en considération. Bernard Lattes

Cette rencontre est incontournable pour qu’un projet de collaboration se mette en place. Jacques Escouteloup N'est-ce pas ! Nous vous remercions pour votre attention.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 80 -

Ergonomes et managers : contrat ou partenariat ? Bernard HELDT

Directeur HSE, Conflans-Sainte Honorine

Avertissement : ce texte porte sur un moment de l’évolution de la conduite des projets dans l’entreprise, et non sur la situation actuelle des projets en cours.

1. Introduction Je suis ingénieur de formation et j’ai travaillé ces dix dernières années dans un établissement public industriel, le SIAAP : Syndicat Interdépartemental pour l’Assainissement de l’Agglomération Parisienne. C’est un épurateur qui est le premier en Europe et le second au monde en termes de capacité épuratoire et le deuxième en Europe. J’étais d’abord directeur adjoint chargé de production, puis conseiller du directeur, du site le plus important, qui était classé SEVESO seuil haut. De plus, j’effectuais des missions transversales et de conseil auprès du directeur général de l’entreprise. Je voudrais citer Nathalie Levin qui est ergonome et a travaillé pour le groupement d’entreprises au retour d’expérience qui va être présenté et m’a aidé à rédiger cette contribution. La présentation se déroulera en trois temps :

1. Enseignement et pratiques : Retour d’expérience sur la base de la construction de deux très grosses unités qui ont constitué des sauts technologiques importants et qui ont laissé des traces ;

2. Le jeu des acteurs : Comment se sont positionnés les managers ? Comment se sont positionnés les ergonomes ? Comment s’est positionné le couple manager/ ergonome ?

3. Contrat ou partenariat : Positions personnelles o

2. Enseignements et pratiques

2.1. Le contexte

En 1940, c’est le début d’une activité industrielle d’assainissement dans la région parisienne, depuis on a vu surgir des structures avec des dimensions et des débits gigantesques. La caractéristique des installations en Île-de-France est que l’on doit traiter des eaux usées aussi bien par temps sec, que par temps de pluie. C’est un réseau unitaire avec des variations de débits et d’effluents extrêmement importantes, qui peuvent induire des risques souvent masqués. Les autorités désormais reconnaissent ce type de site comme "site industriel", au sens du classement pour la protection de l’environnement. L’activité est fondée sur une très forte culture de métiers traditionnels de la famille des mineurs, des égoutiers, etc. À cela est associée l’idée de risques traditionnels. Historiquement ces métiers étaient transmis de père en fils.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 81 -

Mon témoignage est ainsi fondé sur une activité industrielle à risque, je parlerai moins des risques professionnels que des situations à risque industriel avec des dangers masqués, notamment à cause des gaz et des produits chimiques manipulés en très grande quantité.

Le site sur lequel j’intervenais, est un site de 900 hectares, en construction constante jusqu’aux années quatre-vingt où Michel Rocard, alors maire d’une ville proche du site et ayant des responsabilités politiques importantes, a fait stopper les travaux sous le slogan "halte au gigantisme". Puis, pendant vingt ans il ne s’est plus rien passé. Pendant ce temps sur le plan législatif de nouvelles règles furent édictées. Cela constitue une pression réglementaire (ICPE, SEVESO, mise en conformité) et une pression environnementale (directive-cadre européenne imposant un traitement tertiaire). Puis une nouvelle unité fut construite et mise en service en 2000. Cette unité a constitué un saut technologique extrêmement important et a impacté très profondément les pratiques professionnelles. Une autre unité a été mise en service en 2007.

2.2. Les enseignements tirés de la mise en service de la précédente unité

L’exposé suivant couvre une période de 13 ans : 2000-2013, l’objectif est de montrer comment on a pu tirer les leçons de l’expérience de 2000 pour améliorer la conception et la réalisation d’une nouvelle unité mise en service en 2007 ainsi que les conditions de travail de cette deuxième unité. Ce travail de réflexion a continué puisqu’il y a actuellement un nouveau chantier qui s’est ouvert courant 2013 pour une unité gigantesque d’un coût de l’ordre d’un milliard d’euros. L’unité de 2000 a constitué une véritable révolution avec le passage d’un procédé biologique à un procédé physico-chimique, avec l’emploi de produits beaucoup plus dangereux que les bactéries et avec des temps de maturation, en termes d’épuration, beaucoup plus courts. Pour donner un exemple, on traitait des pollutions primaires en six heures dans des bassins à ciel ouvert contre vingt à trente minutes en physico-chimique en atmosphère confinée. Un architecte a pris en charge l’intégration de l’unité dans l’environnement paysagé en enfouissant les deux tiers du bâtiment et en recouvrant le reste (les bassins extérieurs) afin que l’implantation soit acceptable pour les riverains. Ce confinement des locaux et cette mise en dépression ont induit une augmentation sensible des déplacements sur les plans horizontaux et verticaux, ceci sans ascenseurs ni monte-charges. On a constaté aussi des problèmes de transmission et de communications entre opérateurs dus à l’épaisseur des murs en béton, ce qui crée aussi des déplacements inutiles. De plus, de nombreux points de travail se trouvaient difficilement accessibles.

2.3. Une transition pour l’entreprise et un fort "ressenti" pour le personnel

Pour résumer, l’entreprise avait fait un gros "gap" technologique et architectural, mais avait des difficultés à assumer l’activité qu’il y avait derrière, face à la complexité de la mise en route d’une telle unité. Cela a induit une forte déception et réaction du personnel. Pour revenir rapidement à l’histoire, tout projet antérieur était pensé et conçu en interne avec une forte expertise technique et professionnelle qui s’insérait dans le quotidien de ce qui se faisait. Les derniers projets ont été confiés à un groupement d’entreprises pour la conception et la réalisation, le tout avec une logique très "techniciste". Ceci alors que la mise en service a été confiée à notre entreprise, qui a rencontré de nombreux problèmes au démarrage, car il fallait faire le lien avec les autres unités existantes. Aussi parce que les équipements ont subi un certain nombre d’avaries qui impactaient les autres process.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 82 -

Alors, il a été décidé "brutalement" de reprendre la main sur les installations, en interne. Cela semblait simple, il « suffisait » de lire les manuels d’utilisation des installations. Pour le personnel ça a été très difficile même si une petite fierté était ressentie à l’idée d’être reconnu dans ses compétences. Mais le coût humain a été extrêmement important. Il a fallu plus de cinq ans pour que soient résolues des problématiques compliquées de travail quotidien.

2.4. Une démarche de conception renouvelée pour une nouvelle unité

On a fait une analyse autour du retour d’expériences, sur les difficultés rencontrées sur les plans technique et organisationnel (REX), ça a été un point fort. Il a été décidé que nos programmes fonctionnels donnés en tant que maitre d’ouvrage pour une conception-réalisation seraient placés beaucoup plus dans une logique de performance et de résultats que de description de moyens comme ce fut le cas auparavant. C’est une leçon tirée de cette réalisation de 2000. Et surtout le directeur général de l’entreprise a pris la décision, de recruter un ergonome et que le groupement d’entreprises prestataires aurait l’obligation de créer un poste et de recruter un ergonome pour l’insérer dès la phase projet dans la réflexion menée sur les nouvelles implantations. Une préparation approfondie de la mise au point des équipements et de la mise en service des installations a aussi été imposée.

2.5. Une nouvelle transition pour l’entreprise et une forte contribution du personnel

Je suis pour ma part intimement convaincu qu’au-delà de l’officiel, le diffus et l’implicite sont fondamentaux dans le quotidien. La prise en compte des facteurs humains et organisationnels et donc de la logique ergonomique est arrivée en même temps qu’un fort renouvellement du personnel et d’un saut générationnel, notamment un rajeunissement des postes d’encadrement. Ils avaient une approche du monde du travail assez différente, mais avec une logique de résultat présente. Ces managers qui ne connaissaient pas les situations de travail se sont appuyés sur l’expertise d’opérateurs expérimentés et de cadres de proximité qui ont pu prendre la parole. Ces derniers avaient un fort bagage et du vécu, y compris de mises en service, de pannes et des "presque accidents" qui auraient pu être extrêmement graves. Nous avons pu organiser ces échanges.

3. Le jeu des acteurs

3.1. Les managers

o Organiser et préparer le travail Les managers doivent préparer et organiser le travail. Sur la préparation de la nouvelle unité, on a sensiblement amélioré l’aspect conception et la prise en compte des situations de travail. On a mis en place une équipe de maîtrise d’ouvrage (MO) très forte et très présente. Ceci, avec un programme clair et une présence sur site permanente. De plus, le groupe d’entreprises avait l’obligation d’avoir son staff au complet ainsi que les décisionnaires sur site. Tout ce qui concernait l’avancement du projet et sa réalisation était suivi de cette manière-là. Dès le départ, nous avons fonctionné avec une approche à la fois technique et organisationnelle, au niveau des deux équipes.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 83 -

Une analyse détaillée des impacts de cette unité sur l’existant a été effectuée. Cette unité gère 52 m3 à la seconde, c’est-à-dire la capacité épuratoire moyenne maximum de l’usine, avec 37 personnes. Le bâtiment est de 300 mètres de long, 80 mètres de large et 16 mètres de haut. Le nombre de systèmes de contrôle-commande de tout le site a été doublé. Derrière le "gap technologique", il y a eu un réel travail sur les compétences que l’on devait retrouver. Un plan de formation spécifique a été mis en place. Les exploitants ont été très fortement associés dans ces phases d’avant-projet pour quantifier et qualifier les modes de fonctionnement des équipements, tenir compte de l’historique et de ce qu’ils avaient rencontré. Ceci à travers une méthode qui s’appelle le guide d’étude des modes marche/arrêt (GEMMA). Cela a permis de mieux descendre jusqu’au niveau des tâches et des ressources nécessaires avec toutes les contraintes de l’entreprise.

o Accompagner les opérateurs Après ce travail de définition des situations de travail, qui s’est fait en associant les exploitants des précédentes unités, on a en parallèle organisé régulièrement des visites d’avancement de chantier. Des visites d’appropriation, ouvertes à tout le personnel, ont été organisées. À la fois pour ceux concernés par la conduite de cette installation, mais aussi pour intégrer la nouvelle unité au reste de l’usine, pour ce qui va être mutualisé, mais aussi pour les entrants et les sortants (quelles seront les conséquences, l’impact et comment cela va se passer). Selon moi, ce qui a été très novateur de la part de mon entreprise a été de recruter le personnel, qui va être amené à conduire cette installation un an avant la mise en service. Ces personnes ont été sélectionnées sur des prérequis, des capacités à faire. 90 % des personnes recrutées étaient déjà en poste dans l’usine, il y a eu très peu de recrutement externe. Derrière, pendant toute cette phase de fin de construction, on a retravaillé le plan de formation spécifique, afin de renforcer certains prérequis et connaissances de base. Lors de la première mise en eau avec les metteurs en route de l’entreprise qui construisait, nous avons formé des binômes, un futur exploitant et un metteur en route, de manière à ce qu’ils fassent les choses ensemble. Le binôme fonctionnait avec la règle de 80-20, au début 80 % pour le metteur en route et le futur exploitant ne touchait à rien, il regardait seulement et inversement à la fin. On a prolongé les 6 premiers mois d’exploitation de l’unité en conduisant l’unité avec le personnel sous contrôle de l’entreprise qui avait conçu et réalisé l’installation. On voit bien que la démarche n’était pas seulement technique et que les préoccupations organisationnelles étaient prises en compte.

3.2. Les ergonomes

Avec Nathalie, nous avons voulu montrer la mise en place et le démarrage et en quoi cela est devenu robuste aujourd’hui.

o Quand et sur quoi intervient l’ergonome ?

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 84 -

Figure 4 schéma représentant les différents niveaux où intervient l'ergonome

Quand fait-on appel à un ergonome ?

• À un niveau macro de l’ergonomie, lors de l’Appel d’Offre (AO). C’est-à-dire, dès que le programme commence à se traduire par un avant-projet et que nous commençons à avoir des volumes et des modalités de fonctionnement.

• À un niveau micro : pour des aspects plus détaillés de l’analyse • Pour le suivi : il est obligatoire, des deux côtés, de regarder les écarts entre le début du projet et la réalité

du chantier ainsi que les amendements pris en cours de route (organisationnels, techniques et financiers). Il est nécessaire de réexaminer ces écarts.

Nathalie a insisté sur le fait que toutes modifications de process ou de choix d’équipement peuvent changer la situation de travail et ainsi créer de nouvelles contraintes. Il faut donc que toutes les modifications circulent pour réexaminer ce qui au début du projet semblait acquis. Comparons maintenant ce qu’il s’est passé pour la nouvelle unité et ce qui est mis en place aujourd’hui.

o S’intégrer L’ergonome a été intégré tardivement dans équipe projet (en 2e phase de l’opération). Ceci a entraîné certaines difficultés pour identifier ce qui était encore optimisable et ce qu’il ne l’était pas. Pour l’ergonome il a été nécessaire de s’immerger sur un « terrain nouveau », pour appréhender les situations de travail. Aujourd’hui, on peut dire que c’est nettement plus robuste :

• Prise en compte très en amont des aspects ergonomiques, dès la phase de réponse à l’appel d’offres : exigences (en tant que MO) de propositions à caractère ergonomique, celles-ci viennent étayer les solutions techniques qui sont proposées par le groupement d’entreprise

• Importance reconnue de la présence de l’ergonome dans l’équipe projet • Intervention en phase étude, travaux et mise en route pour résoudre les écarts observés

o Comprendre les exigences de la maîtrise d’ouvrage Au fil du projet, l’ergonome a fait la découverte de la MO et de ses attentes fortes en termes de prévention des risques professionnels, ainsi que la demande d’analyses d’activités et ceci à travers des échanges et des réunions MOA/MOE. Aujourd’hui nous avons :

• Des situations d’actions caractéristiques prédéfinies et mises à l’étude • L’inventaire des interventions à risques sur les installations critiques, sur modes dégradés

possibles et sur la maintenance lourde

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 85 -

o o Sensibiliser les équipes à l’ergonomie

Une des grandes problématiques pour les managers, c’est de gérer l’incertitude. Les concepteurs ont mesuré la plus-value apportée au projet. Ils ont intégré les bons réflexes pour partager l’analyse des besoins, mesurer les contraintes liées à l’activité pour les exploitants et valider les solutions envisagées.

o Disposer d’outils d’échanges ergonomiques Nathalie, a mis en place un outil qu’elle appelle collaboratif qui est surtout un outil de co-conception et d’échanges (entre les problèmes strictement techniques et ceux à caractère ergonomiques) qui permet d’assurer une traçabilité des choix et l’explication des compromis. La traçabilité acte les compromis qui ont été faits. Pour un manager cela veut dire « j’accepte ce compromis ». C’est-à-dire, « j’ai un problème, il y a une situation technique figée à 80 %, je reconnais ce qui a été dit par d’autres avant moi, je reconnais qu’il y a un problème et qu’il faut faire quelque chose. » J’ai trouvé ça extrêmement fort. Elle a passé du temps ; environ 10 ans, à créer un outil d’échanges et elle a réussi.

o Un cahier des charges incluant les attentes ergonomiques Aujourd’hui, le cahier des charges est très complet, mais il tend à être directif et à se substituer au dialogue. Dedans, on est passé des « principes » aux « exigences ergonomiques ».

o Ergonomie et priorisation des recommandations Afin de prioriser des recommandations, l’ergonomie ne doit pas aller à l’encontre du process. L’objectif est de rechercher les meilleurs compromis entre exigences et contraintes. De plus, la tendance possible du maître d’œuvre est de donner la priorité à l’ergonomie, parfois au détriment du process et du bon fonctionnement des équipements. Une solution ergonomique suppose de contrôler à nouveau les conditions techniques de dimensionnement et de fonctionnement. Pour un ingénieur, sur le plan scientifique et technique, la situation de travail qui pose problème engendre tout un cheminement de modification de divers équipements, etc. Mais il y a aussi le fait de revenir sur la notion de situation de travail, car certaines modifications qui ne sont pas faites en amont seront plus coûteuses (façon de travailler et rendements de la production sont coûteux pour les opérateurs).

o Démarche générale de conception ergonomique dans le processus de développement

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 86 -

Figure 5 Démarche générale de conception ergonomique dans le processus de développement

4. Des pratiques partagées ?

4.1. Le contrat

Il y a chez les ergonomes, des compétences fortes sur la prévention des risques professionnels. Cette présence est moins forte sur les risques industriels, bien qu’ils soient indissociables. Si une équipe travaille dans une zone à risques industriels, ce risque peut être totalement masqué, car ce risque n’a pas été vécu par l’équipe. Cette problématique est passionnante, mais les managers ont besoin de réels appuis. En effet, ils sont très centrés sur la technique managériale (contrôle de gestion, coûts, délais, tableaux de bord, etc.). Cependant, est-ce un atout suffisant pour connaître et comprendre les « situations réelles de travail » ? L’ergonome a un positionnement qui n’est pas toujours lisible entre services Ressources Humaines et Hygiène, Sécurité et Environnement. Ce qui pose un problème en termes d’autorité légitime, de poids, etc. Dans les deux cas, l’ergonome se positionne dans des services supports. Du côté des managers, ils ont une bonne connaissance des procédés. Il faut donc que tout se passe bien tout le temps pour eux. Mais à quel prix ? Qu’est-ce que mobilisent les opérateurs ? Il est rare qu’un manager aille voir les équipes s’il n’y a pas eu de problème.

4.2. Le partenariat ?

Des échanges sont fréquents autour de la question de partenariat. Il s’agit de confronter sans cesse deux logiques : comment ça va marcher (prédominance technique) et comment on va travailler (prédominance comportementale). Il faut aussi dépasser les logiques « statiques » et réglementaires (DU, SGS, etc.) pour prendre en compte la variabilité des situations de travail, les capacités d’initiatives des opérateurs, la culture métier et la culture sécurité. Il faut réussir à intégrer le fait que l’on soit passé du compliqué au complexe, du spécifique au pluridisciplinaire. La somme des parties n’est pas le tout et le tout est difficilement lisible. Quelle prise en compte des retours des opérateurs, de leurs questions, de leurs attentes ?

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 87 -

Il s’agit aussi d’intégrer dans ce partenariat, les facteurs externes qui impactent les équipes de travail (coûts, contrats, changements incessants de priorité, présence ou non du management, anticipation ou non des problèmes de ressources humaines, réorganisations non concertées, etc.).

4.3. Managers et ergonomes : des enjeux …

Les enjeux des managers et des ergonomes consistent à faire évoluer concrètement le partage de connaissances et savoir-faire différents, mais complémentaires et de développer des logiques de travail pluridisciplinaire. Il s’agit aussi de faire évoluer la méthodologie de travail pour la conception des installations à risques et faire évoluer (en dynamique) la préparation des interventions au-delà des obligations réglementaires. De plus, il s’agit de faire évoluer l’accompagnement et le suivi des interventions des entreprises extérieures. J’insiste sur le besoin de faire rentrer l’ergonomie dans la conception des installations et surtout des installations à risques. Une attention particulière est aussi à porter sur la préparation des interventions et l’intervention des entreprises extérieures.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 88 -

De l’utilité de la formation de l’encadrement à l’observation du travail ?

Yann Guillerm Directeur entrepôt Produits Frais, groupe Carrefour, Plaisance-du-Touch

Introduction

Cette présentation est principalement axée sur la question de la formation. Une partie de la communication sera consacrée à mon parcours, enrichi des histoires que je gère au quotidien, mais, avant cela, je présenterai ma propre histoire, qui entre en résonnance avec plusieurs points abordés par François Daniellou et Karine Chassaing lors de l’introduction de ces 21ème Journées de Bordeaux. Dans un premier temps, je présenterai donc mon histoire, puis dans un deuxième temps, je vous exposerai le contexte de l’entreprise du groupe Carrefour et la démarche mise en place avec les intervenants. Enfin, je terminerai en vous expliquant pourquoi j’ai décidé de former l’encadrement de proximité à l’observation des situations de travail auxquelles je ferai référence tout au long de mon discours.

1. Pourquoi avoir suivi une formation ?

1.1. Présentation du parcours professionnel Mon parcours est relativement classique au départ. J’ai effectué mes études en école d’ingénieur logistique puis j’ai commencé ma carrière dans l’industrie de la publicité à Paris avant de rejoindre la grande distribution dans le Sud-Ouest. Lors de ma prise de fonction au sein de cette plateforme de la distribution, l’entreprise, grand acteur de la distribution française, avait fait le choix de restructurer sa cartographie logistique et d’investir de manière importante dans la rénovation des plateformes et notamment dans celle dont j’avais la charge. Avant mon arrivée, une grande partie du projet avait déjà été validée financièrement et par conséquent, je disposais de peu de marges de manœuvre. Il fallait que je continue, avec les équipes opérationnelles, à gérer la mise en œuvre et l’avancée de ce projet tout en continuant à servir les clients (dans un contexte de forte progression des volumes), et à améliorer les indicateurs économiques. Cependant, les personnes qui avaient, au départ, pensé et préparé ce projet avaient oublié (ou bien sous-estimé) le fait que les hommes continueraient à travailler dans les plateformes pendant les travaux. Par exemple, l’installation de murs coupe-feu pour la mise aux normes incendie, a fait perdre de la place dans l’entrepôt, engendrant ainsi quelques difficultés. Pour donner un ordre d’idée, sur un entrepôt de 40 000 m², perdre 2 000 à 3 000 m² d’espace de travail est une modification importante. Cette contrainte spatiale est un élément fondamental à prendre en compte et il nous a alors fallu rajouter 2 000 m² dans le circuit de préparation, impliquant des déplacements plus longs et de nouvelles contraintes. Cette période a été très marquante dans mon parcours et assez difficile à vivre. Dès mon arrivée, je pensais que ce projet était une bonne chose pour l’entreprise et qu’il fallait le porter avec force. Malheureusement, au fur et à mesure de sa mise en œuvre, l’absence de marges de manœuvre et les contraintes qui venaient se greffer empêchaient l’anticipation de certaines problématiques et la prise en compte des alertes que nous remontions du terrain. Je me trouvais alors confronté aux limites de mon

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 89 -

fonctionnement professionnel et sans solutions ni outils pour en sortir : pris en étau entre les injonctions d’amélioration des indicateurs « productifs » et les conséquences de décisions que je ne maitrisais pas. S’en suit à cette même période, l’arrivée d’un nouveau directeur général. Évoquant les faiblesses que rencontrait l’entreprise concernant la gestion de projets, celui-ci demanda aux différentes régions de tester différentes méthodologies d’accompagnement en gestion de projet. Dans ce cadre-là, j’ai participé à une formation animée par le Midact – Aract Midi-Pyrénées, avec la présence de Christian Martin. Cette formation a été pour moi une sorte de révélation : c’est cela que je voulais faire. Les éléments de repère abordés lors de cette intervention ont vraiment bousculé mes convictions forgées au cours de ma formation purement opérationnelle. Il me semblait, dès lors, incontournable de poursuivre mon parcours vers cette « découverte » qui apportait du sens et ouvrait le champ des possibles à mes actions. Malgré quelques réticences dans mon entourage, compte tenu du poste que j’occupais (celui de responsable opérationnel) et du discours « étonnant » que je tenais après cette intervention, j’ai forcé le verrou pour me former en intégrant le Diplôme Universitaire (DU) d’ergonomie à Bordeaux.

1.2. Le début de l’histoire au sein du groupe Carrefour Au moment d’exposer mes choix et le pourquoi de cette formation, il est essentiel d’appuyer le fait que l’intégration à cette formation de DU d’ergonomie a été une démarche entièrement individuelle, qui n’a ni été construite, ni été partagée par l’employeur, et qui s’est d’ailleurs soldée par mon départ de cette entreprise. Mais il faut savoir que, dans le milieu de la distribution, les contacts et les différentes circulations amènent à progresser, souvent à l’extérieur, dans des entreprises différentes. C’est au cours de l’année de DU que j’ai été contacté par le groupe Carrefour me proposant de prendre le poste de direction d’une plateforme de Produits Frais, située dans la banlieue toulousaine : « le poste rêvé ». « Poste rêvé », car celui-ci me rapprochait géographiquement de mon domicile, était mieux rémunéré, et offrait des perspectives d’actions plus importantes que le poste précédent. Etant en cours de formation, j’avais le sentiment d’être plus à même et plus armé pour prendre en charge une telle plateforme. J’ai essayé de construire ma prise de fonction, grâce aux enseignements de la formation DU, à l’image d’une intervention ergonomique.

2. Le contexte de l’entreprise Carrefour

2.1. La distribution française en général Pour bien comprendre à quoi ressemble une organisation logistique et notamment celle de Carrefour, voici quelques repères. Dans toute la distribution française, l’organisation logistique classique (réception, préparation, expédition) est basée sur :

- Une centrale d’achat, généralement basée à Paris. - Une organisation, maillée sur le territoire, d’entrepôts logistiques de natures différentes :

Produits Secs Epicerie ou Produits Frais comme le cas ici présenté.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 90 -

Figure 6 : Schéma de l'organisation logistique de la distribution française

Ces entrepôts logistiques de distribution sont l’articulation de plusieurs métiers : les métiers d’achat, les métiers de direction, les métiers RH, les métiers de transport, d’approvisionnement, etc. Cette articulation intermétiers constitue le maillon essentiel de la chaîne vous permettant de retrouver, dans l’ensemble de vos supermarchés et supérettes, la marchandise que vous souhaitez consommer.

2.2. La plateforme de distribution de produits frais et Fruits/Légumes du groupe Carrefour à Plaisance du Touch

La plateforme dont j’ai la responsabilité aujourd’hui est une plateforme de produits frais et de fruits et légumes. Ouverte depuis 2003, elle gère le quart Sud-Ouest, au départ de Toulouse en passant par Royan, Brive et allant jusqu’à Perpignan. Celle-ci emploie 250 personnes (dont 35 managers) sur une surface de 26 000 m² en froid positif. Caractéristiques d’un entrepôt saisonnier, marqué par des fluctuations d’activité très importantes, les volumes sont gérés à 90% en « flux tendu », c’est-à-dire qu’il n’y a aucun stock : nous traitons et regroupons les produits pour un client qui passe commande chez nous.

Figure 7 : Plateforme Produits Frais et Fruits / Légumes du groupe Carrefour

La plupart du temps, il s’agit de grands réfrigérateurs dans lesquels transitent les produits. L’entrepôt est ouvert 24/24 et l’activité se répartit en 12h d’activité avec une succession d’étapes qui se succèdent les unes aux autres et que l’on appelle la chaine logistique.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 91 -

En termes de volumes traités, environ 130 000 colis10/jour (75% de produits frais et 25% de fruits/légumes) sont préparés, soit 38 millions de colis traités par an.

2.1.1. L’entrepôt:uneusineàcolis

Figure 8 : Plusieurs colis dans la plateforme

Le travail au sein de l’entrepôt nécessite beaucoup de manutentions, dans un environnement à température dirigée 0°C / +3°C, avec de la marchandise qui ne fait que transiter. Cet entrepôt a la particularité d’avoir 65% du volume global de sa marchandise qui passe sur une machine appelée le trieur automatique. Le trieur automatique peut être assimilé à un carrousel sur lequel on dépose un colis de produits frais qui va se déplacer jusqu’à l’endroit où il sera préparé. Dans ce cas, ce n’est pas le préparateur qui se déplace vers le produit (comme cela peut classiquement être le cas sur l’épicerie ou sur les fruits et légumes), mais le produit qui se déplace vers le préparateur, impliquant le « postage » du préparateur.

Figure 9 : Les trieurs automatiques vides

Voici ce qu’est typiquement un trieur automatique vide. Cependant, il est plus intéressant de regarder cette même photographie du trieur quand il y a de l’activité, des hommes qui travaillent autour. Autour de ce trieur, ce sont environ 45 personnes qui travaillent en permanence et une équipe de nettoyage et de maintenance de 5-6 personnes qui intervient sur le trieur lorsqu’il est à l’arrêt.

10 Un colis correspond à un regroupement d’unités consommateur.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 92 -

Figure 10 : L'activité autour du trieur automatique

2.1.2. LeconstatdedépartPour bien comprendre la logique, ma prise de poste en tant que directeur de l’entrepôt se situe juste après l’année de DU d’ergonomie. J’ai souhaité construire cette prise de fonction avec les mêmes repères qu’une intervention ergonomique. Le but était d’utiliser tout ce que j’avais pu emmagasiner pendant le DU pour pouvoir apporter et/ou ajouter quelque chose (en écho avec la notion d’autorité évoquée pendant les journées) à cet entrepôt qui fonctionnait très bien. Amener un discours différent à une équipe, certes marquée par la période d’installation du trieur (un projet mal préparé…) et qui depuis se voulait ambitieuse, mais uniquement centrée sur la performance économique. J’ai rapidement identifié que peu d’attention était portée à ce qui se cache derrière la performance productive, autrement dit il y avait peu de recul sur le coût de cette performance et le coût d’avancement de cette machine, autant pour les hommes que pour l’entrepôt (dégradation des indicateurs RH et de la fiabilité) ; la dissociation hommes/entrepôt étant très rarement faite. Le fait de construire ma prise de poste à l’image d’une intervention ergonomique m’a fourni beaucoup d’éléments de constat pour commencer à construire un projet durable, envisagé comme une vraie stratégie d’entreprise. Pour développer ce projet de l’entrepôt, il a fallu faire des hypothèses, élaborer des repères et ouvrir des brèches dans les certitudes de fonctionnement des opérationnels, mais également de ma direction. C’est ainsi, par divers moyens et notamment en utilisant des exemples concrets du type « vous voyez, sur ce point-là, il y a une erreur de conception et voilà ce que les gens sont amenés à faire pour contourner ce problème-là ou pour réaliser l’action », que l’équipe de proximité a pu se rendre compte de ce qu’il pouvait y avoir derrière les mots employés tels que « ergonomie », « régulation », « variabilité », etc. Ce discours nouveau et concret a suscité l’intérêt de l’équipe et son adhésion au projet de l’entrepôt, incontournable pour la suite. Rapidement, les premiers échanges informels ont convergé vers les nombreuses « remanipulations » de colis dans le processus, elles nous sont apparues comme un point d’ancrage dans le futur projet. Bien entendu, cette problématique est centrale dans une organisation logistique où chaque mouvement est compté et où chaque seconde perdue se répercute dans le process aval. Il fallait dès lors trouver le meilleur moyen de faire émerger cet élément afin qu’il s’intègre dans la stratégie naissante de l’entrepôt. D’autre part, il fallait réussir à intéresser et convaincre la direction à entrer dans le projet de l’entrepôt. C’est essentiellement en s’appuyant sur des éléments qui existent déjà et qui sont connus qu’il y a une

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 93 -

construction à faire avec les acteurs. Il s’agit ici, comme dans l’intervention ergonomique, de mettre en place une construction stratégique pour accompagner un projet, quel que soit le type de projet : projet stratégique, projet d’agrandissement ou architectural. Pour cela, il est nécessaire de bien comprendre comment fonctionnent les acteurs qu’on a face à soi (élément essentiel que je retire du DU d’ergonomie) afin d’appuyer sur le bon bouton, au bon moment et ainsi déclencher l’intérêt et l’acte d’adhésion au projet. Pour ce faire, je me suis appuyé sur des choses qui se passent bien dans l’entreprise et notamment sur la méthode appelée « coaching », existante dans l’entreprise avant mon arrivée, sur laquelle j’ai construit une grande partie de mon argumentaire. Le principe de la méthode du coaching était d’accompagner 2 fois par an chaque employé (qu’il soit cariste, préparateur ou manager) en allant voir sur le terrain comment il travaille. Cependant, l’équipe soulevait des craintes et des questionnements à l’égard de cette méthode. La méthode coaching reposait sur des bonnes pratiques qu’il fallait faire appliquer à la personne coachée. Les managers de proximité remontaient le fait que les employés travaillent mieux que ce qui était préconisé dans la bonne pratique. J’entendais des remarques du type « on doit leur imposer ces bonnes pratiques, mais lui, en faisant différemment, ça marche beaucoup mieux, il n’a jamais de problème, les palettes sont toujours parfaites ». Il y avait déjà un certain questionnement qui semblait faciliter l’émergence de nouveaux repères afin de creuser sur la variabilité et les limites de ce qui s’appelait le « lean » chez Carrefour. Il est vrai que, quand l’équipe se mobilise et résiste à ces logiques-là, il est facile pour un dirigeant d’arriver et d’apporter un autre discours. Et c’est ce qui a déclenché l’action ou plutôt les actions que nous avons décidé de mettre en œuvre. L’accompagnement par des intervenants extérieurs était, selon moi, indispensable. D’une part, il s’agissait d’éviter un certain nombre de problèmes déjà vécus et de difficultés déjà rencontrées durant la formation par rapport à mon positionnement. Car, être responsable opérationnel et défendre dans le même temps la logique de l’ergonome, la logique des conditions de travail, c’est un exercice extrêmement compliqué et qui est difficilement possible sur du long terme. D’autre part, il fallait également éviter les raccourcis simplistes Ergonomie = solution miracle. Il faut que chacun garde sa posture et mène ses actions dans la stratégie qui lui est propre. Voilà schématiquement ce que nous avons fait. J’ai passé sous silence beaucoup de détails de la construction du projet, mais cela s’est passé relativement vite. Pour resituer l’histoire dans le temps, ma prise de fonction de directeur de l’entrepôt s’est faite en juillet 2012 après le DU et le déclenchement de ces actions a débuté en avril 2013. Concernant plus précisément la construction qui a été choisie, si j’avais une critique à me formuler a posteriori, je dirais que j’ai construit cette démarche un peu tout seul dans mon bureau avec mon équipe. J’aurais dû consacrer plus de temps à discuter avec les personnes du Département d’ergonomie de Bordeaux ou avec d’autres intervenants, ceci pour des questions de cohérence ; vous comprendrez juste après comment cela peut s’articuler. Fonctionner sur l’ensemble du projet avec les mêmes intervenants aurait sans doute apporté plus de liant et de clarté.

3. Présentation de la démarche en cours

Le choix qui avait été fait concernant ce projet était de 2 ordres : o Premièrement, il s’agissait de former les managers de proximité à l’observation des situations

de travail. Dans la logique de l’entreprise, ils devaient le faire, alors autant les outiller et essayer de dévier cet outil à « défauts » qui commence à mourir. En fait, c’est la finalité de la pratique qui était mauvaise, car de mon point de vue, l’observation est un très bon outil : obliger les managers de proximité à aller voir leurs salariés en situation de travail (chose que je n’avais encore jamais vu dans la distribution) est une très

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 94 -

bonne chose alors autant utiliser cet outil existant pour en faire autre chose, et entre autres pour développer les compétences des managers de proximité. Cette première étape, effectuée en relation avec le Département d’ergonomie, Gabin Gindro et Thomas Autier, se déroulait sur 5 jours avec, à chaque fois, entre les sessions de formation, une mise en réflexion des thèmes que les agents avaient choisi de travailler et de vérifier.

Figure 11 : Déroulement de la formation-action des managers de terrain à l'observation des situations de travail

o Deuxièmement, il s’agissait d’intervenir sur l’outil principal de « production » : le trieur.

Cette seconde étape a été réalisée par le cabinet Ergonomie et Conception (Léonard Querelle). La demande reposait principalement sur la capacité de la machine et les risques liés à la manutention. En effet, dès mon arrivée, l’entrepôt connaissait une phase d’accroissement des volumes et une forte augmentation de l’activité, ce qui provoquait la saturation du trieur. On ne pouvait plus passer de colis dessus, la machine coinçait. Rapidement, dans les constats qui ont été faits (et ce, notamment grâce aux outils et au regard neuf de la formation de DU), j’ai soulevé plusieurs problèmes. Ne souhaitant pas retrouver les difficultés rencontrées au cours de ma formation chez mon précèdent employeur, il me paraissait nécessaire de faire intervenir quelqu’un d’autre pour traiter ce problème, de façon à ce que ce ne soit pas moi directement qui soulève les causes, mais que cela soit dit par un consultant extérieur. C’est ce qui a été fait et celui-ci nous a fourni un diagnostic de ce qui pouvait nous contraindre à ne pas pouvoir faire progresser la quantité de colis à passer sur cette machine.

Figure 12 : Déroulement de l’intervention sur le trieur

Ces deux actions ont été menées et, au fil du temps, nous sommes arrivés à une construction légèrement différente puisque nous avons regroupé les deux pour former un seul et même projet entrepôt : le projet Ergonomie Plaisance du Touch.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 95 -

Nous avons récupéré les thèmes définis et travaillés avec Gabin et Thomas, mais nous en avons aussi créé de nouveaux en s’appuyant sur le diagnostic de l’ergonome qui est intervenu sur la machine. L’intérêt était d’impliquer la totalité des acteurs (encadrants de proximité et agents de maîtrise) pour que ce projet devienne LE projet de l’entrepôt et non pas un simple projet du trieur. Autrement dit, il s’agissait qu’il devienne non pas seulement le projet d’un service, mais le projet de la direction fait en collaboration avec le CHSCT, les représentants du personnel, etc. Ces instances sont intégrées dans tous les comités de pilotage et régulièrement mises au courant des actions menées. De ce fait, il n’y a eu aucune entrave à l’avancée du projet. Pour poursuivre l’action, voici quelques exemples de thèmes que nous traitons :

o Ceux issus de l’intervention « trieur » o Repèrespalettisationo Nettoyagedesposteso Répartitionetéquilibredel’activitéo …

o Ceux issus de la formation-action o Traitementdufluxamonto Remanipulationàl’injectiono Zones«tampons»aprèspréparationo …

L’objectif de base sur l’ensemble du projet est d’arriver à considérer les aspects de santé au travail et de performance sur le même plan. Dorénavant, les managers de terrain sont équipés pour remonter des nouvelles problématiques et ils remontent des problématiques claires, très intéressantes pour leurs encadrants et moi-même. Ces listes de thèmes rédigées précédemment, non exhaustives, montrent que nous irons au bout de ce projet, que nous clôturerons le diagnostic et que nous essayerons de faire quelque chose de propre, mais l’aventure continue. L’intérêt majeur de cette démarche est d’étudier simultanément les remontées de nos agents de maîtrise et les résultats de l’entreprise en termes de volumes traités et de performance économique. C’est ce que j’ai l’ambition de faire rentrer dans notre pratique professionnelle et c’est justement pour cela qu’il a été créé un comité de pilotage (qui est aussi le comité de direction). Maintenant, dans ces CoDir, il n’est pas rare d’entendre « là on va retourner voir parce qu’on n’a pas bien compris ». C’est fondamental, nous ne prenons pas de décision si nous avons un doute et nous prenons le temps de retourner sur le terrain ou de faire tester la solution le cas échéant. Le postulat, et c’est ce que m’apporte aujourd’hui l’ergonomie, c’est que moi, dans ma formation et mon parcours professionnel, j’ai une logique de performance économique, de coût, de productivité, mais ce n’est pas pour autant que ce sont des vilains mots. Nous avons besoin de prendre ces données en compte et d’en parler si nous voulons faire avancer et progresser une entreprise. Il faut, et c’est important, les prendre avec un certain recul et en relation avec les éléments de santé au travail. Il est certain que la performance « durable » ne se construit pas sans la prise en compte des thématiques conditions de travail, bien-être au travail et tous les autres éléments pouvant s’y rattacher. Dans ma vision, il ne doit pas y avoir de priorisation entre ces thèmes-là. En ce sens, lorsqu’on apporte une question sur les conditions de travail ou une question sur les coûts ou un indicateur qui ne fonctionne pas bien, il s’agit de la traiter de la même façon, et j’ai l’ambition que mon équipe la traite de la même façon, avec les mêmes repères que moi. C’est en ce sens qu’il était important de les former, les outiller pour qu’ils continuent à remonter ces éléments et qu’ils portent ces thèmes.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 96 -

4. Pourquoi former l’encadrement ?

Les managers de proximité sont, pour moi, le relais essentiel dans l’organisation de l’entrepôt, porteur de la performance ; l’objectif était de leur faire prendre conscience de leur rôle sur les aspects de santé au travail. Une plateforme de distribution ne peut fonctionner convenablement sans cette strate de responsables en lien direct avec le terrain, qui met en œuvre toutes les régulations nécessaires à la bonne marche d’une organisation en « flux tendu » dans laquelle de nombreuses choses divergent chaque jour, chaque heure, les obligeant à effectuer des choix décisifs pour la continuité de l’activité. Tout est tendu en termes de temps et en termes de livraisons, et chaque accroc doit être récupéré instantanément sinon l’activité s’arrête ou se ralentit. À titre d’exemple, s’il n’y a plus de colis à mettre sur le trieur suite à un retard de traitement en réception, c’est 35 personnes qui s’arrêtent de travailler. Et le temps perdu induira des répercussions sur la suite des opérations (accélération du travail ou livraison retardée au client). Cette formation et la construction de ce projet ont été dans mon action en tant que directeur d’entrepôt des éléments forts et structurants. Il faut cependant, selon moi, mentionner que tout a été rendu possible grâce à l’équipe de managers de proximité. Cette équipe était suffisamment mature et avait suffisamment parcouru de chemin pour pouvoir entendre et avoir la capacité de le traduire en actions, de l’inclure dans leur fonctionnement. Ce que je veux dire, c’est qu’on ne peut pas le faire avec n’importe quelle équipe, en tout cas sans doute pas sous la même forme ou sur le même rythme. En fonction du vécu de chaque entrepôt (en parlant pour la logistique plus particulièrement), de la sensibilité des acteurs (direction et management de proximité), de la présence syndicale, des besoins de l’entrepôt, il faudra non seulement adapter le contenu de la formation, mais également accompagner la construction du projet. Dans la pratique, d’autres choses s’ajoutent à ces raisons de formation de l’encadrement. Il est essentiel qu’ils puissent :

o Servir de relais dans les groupes de travail « Ergonautes » pour le projet d’entrepôt et plus largement pour le projet d’entreprise,

o Venir enrichir les problématiques remontées, le but étant d’instruire ces problématiques avec les bons éléments. Ces problématiques ne doivent pas seulement être basées sur des représentations chiffrées et je m’obstine à demander à l’encadrement des exemples concrets, des photos et, si cela ne suffit pas pour comprendre, je vais sur le terrain pour comprendre et vivre la situation avec les opérateurs. C’est cette posture fondamentale qui change dans mon parcours.

o Pouvoir s’appuyer sur cette capacité d’observation pour préparer les évolutions à venir dans l’organisation de Carrefour Supply Chain. Aborder les projets avec l’anticipation nécessaire dans une optique de performance « durable ».

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 97 -

5. Des effets ? Sur l’encadrement, sur les agents…

Pour l’encadrement, cette démarche a permis de changer le regard sur leur pratique professionnelle, de sortir de la représentation du travail en parlant de la situation rencontrée, et c’était l’objectif. Même si des questionnements persistent sur le retour sur investissement, la dynamique et l’état d’esprit impulsés sont, à mon sens, déjà une réussite. En interrogeant les managers de proximité sur le vécu de cette formation à laquelle ils ont participé et sur la façon dont ils vivent actuellement le projet qui est en cours, ils répondent qu’ils le vivent très bien. Ils se sentent valorisés dans un rôle plus complet, plus libres aussi dans les remontées d’informations vers la hiérarchie. Mais ce qu’il leur fait encore plus plaisir, c’est que les opérateurs le vivent encore mieux. Leur façon de voir et d’appréhender les choses a fondamentalement changé ; il existe un véritable décalage entre ce que l’on pouvait entendre avant du type « celui-là c’est un feignant, c’est un bon à rien, ce n’est pas la peine il ne survivra pas » à des remarques du type « je me demande pourquoi il n’y arrive pas » que l’on peut entendre maintenant. Ainsi, en un an et demi, on assiste à un étonnant changement de focale dans la façon de voir les choses, de se poser les « bonnes » questions et l’extrait du discours des managers dont je viens de vous faire part est au moins tenu par les 2/3 de ceux qui ont participé à la formation. Du côté des opérateurs, nous avons eu des retours, en particulier au lancement du projet, nous disant « qu’enfin on ne leur parlait plus que de la machine ».

Conclusion

Dans une entreprise comme la Supply Chain Carrefour, les idées novatrices sont encouragées et nous avons été sollicités pour « dupliquer » ce modèle. Par contre, comme je l’ai exposé plus haut, selon moi, il y a des risques de simplification de la démarche ou de basculement dans des schémas de « bonnes pratiques » à faire appliquer sans réflexion. Pour le moment, je reste réservé sur la possibilité de transfert en l’état de la démarche et cherche avant tout à éviter toute récupération du projet par les services « Ex-Lean » en adossant notre projet à des thématiques plutôt développement durable. Durant les deux premières Journées, beaucoup de définitions du management ont été données, de définitions du manager également. Pour moi, je dirais que je suis peut-être « le représentant d’une nouvelle race ». Je ne suis sans doute pas le seul exemplaire et beaucoup de managers intègrent dans leur fonction des points de santé au travail. En ce sens, le rôle de pédagogue des ergonomes me semble essentiel tant au niveau de la formation initiale qu’au sein même de leurs interventions. Aujourd’hui, de par mon parcours, le témoignage que je souhaite faire est le suivant : ne pas prendre en considération les conditions de travail au même niveau que la performance économique est, et doit être considéré, comme une faute de management.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 98 -

Formation action de managers à la sécurité

Vanina Mollo Maître de conférences en ergonomie, IPST-CNAM, CERTOP, Toulouse

Nicolas Touché Membre du comité de direction ERDF,

Région Pays de Loire, directeur territorial ERDF, Angers

Nicolas Touché

Je voudrais commencer par remercier François Daniellou de nous donner la chance d’intervenir et de vous faire part de notre enthousiasme sur une aventure que l’on mène depuis deux ans et demi dans notre entreprise, et plus particulièrement sur une démarche Facteurs Humains et Organisationnels. Tout d’abord, pour rebondir sur la question de François Daniellou, posée tout à l’heure aux managers intervenants, à savoir comment vivait-on ce type de démarche ? On le vit extrêmement bien et c’est avec beaucoup de plaisir et d’intérêt que l’on fait entrer l’ergonomie dans nos organisations et nos métiers de managers. Tout à l’heure mon collègue parlait de manager mixte ou atypique, cela permet en tout cas de devenir un manager plus complet.

1. Contexte du projet L’expérience que l’on va vous relater se passe chez le distributeur ERDF. Vous connaissez certainement tous EDF, producteur d’électricité ; ERDF est la filiale en charge de la distribution de l’électricité sur l’ensemble du territoire français. Vous devez avoir en tête des métiers emblématiques comme celui des monteurs qui réparent des réseaux lors des évènements de vent ou de neige, mais il en existe bien d’autres. Celui qui nous a intéressés dans cette expérience est « l’Unité Client Fournisseur » (UCF). Cette unité managériale comprend 300 personnes, et est intégrée dans une direction régionale de 1900 personnes. On y reviendra tout à l’heure, car cela posera à la fois des questions de diffusion et des interrogations face à ce que pose la diffusion d’expérimentations réussies. Le métier sur lequel nous avons travaillé pourrait être selon moi qualifié « d’artisanat industrialisé ». En effet, les techniciens ayant été concernés par les observations que nous avons faites en termes d’ergonomie font environ 20 interventions techniques par jour chez les clients. Avec leur voiture bleue, ils vont sillonner un territoire relativement important, pouvant aller de 5 à 200 km pour certains trajets suivant qu’il s’agit d’une zone urbaine ou rurale. Ce sont des gens qui, même si la prise et la restitution de travail sont collectives, sont majoritairement seuls durant la journée. Ils passent une grande partie de leur temps dans leur véhicule, avec les clients, et à effectuer des gestes techniques, tout cela avec une organisation du travail très centralisée. Sur les Pays de Loire, nous avons environ 200 techniciens et l’organisation de leur travail est faite à partir de deux lieux de centralisation pour à peu près 350 000 interventions par an. Enfin, une dernière chose importante, il s’agit d’un métier qui a été beaucoup chamboulé par des contingences internes et externes. La première, qui est externe, est l’ouverture du marché de l’électricité, qui a eu beaucoup d’impacts sur la représentation, et au-delà de la représentation sur ce qu’ils font au quotidien, à savoir que leur métier à été touché et modifié. Et au-delà de leur métier, les organisations ont-elles aussi fortement été modifiées. En deux mots, tout cela dans un contexte de changements

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 99 -

importants sur leur corps de métier, sur la représentation qu’ils avaient de leur métier et sur l’organisation dans laquelle ils évoluent. Les techniciens clientèle chez ERDF sont équipés d’EPI (Equipement de Protection Individuelle), car ils prennent des risques d’électrisation pouvant être mortels, ils effectuent aussi des interventions en binôme. Enfin, dernier élément de contexte, je vous disais qu’il s’agissait d’un métier en changement, un métier sur lequel on avait des résultats de prévention sécurité : le Tf (Taux de fréquence) était plutôt satisfaisant, car inférieur à 4 sur plusieurs années. On pourrait donc dire que cet indicateur est plutôt bon, sauf qu’il y a peu ou trop peu de remontées de terrain, ce qui nous interrogeait sur la disponibilité des managers et leur capacité à se rendre disponible pour aller voir ce qu’il se passe sur le terrain. Pour revenir à ces indicateurs chiffrés, même s’ils n’étaient pas si mauvais, il y avait par ailleurs une volonté d’aller encore plus loin. Nous avons fait le constat que l’on avait épuisé tout un tas de techniques managériales et qu’on ne voyait pas comment aller plus loin sur le thème de la prévention sécurité. C’est pourquoi nous nous sommes rapprochés des ergonomes. Ce fut un processus très long, car il y avait beaucoup de questionnements sur comment on allait y aller : avec des consultants ? Des stagiaires ? En recrutant des gens ? Avec une thèse ? Tout en ayant la volonté de travailler autour des managers de proximité et des opérateurs de terrain. Le dernier élément du contexte, c’est celui du constat d’un manque de débat autour du travail, mais aussi un questionnement sur notre capacité en tant que manager à animer des débats de qualité et à savoir si l’organisation permet et donne la capacité aux managers d’organiser ses débats.

2. Description de la démarche

Vanina Mollo

Une collaboration s’est donc engagée entre ERDF et nous. Je vais présenter la démarche et le cadre des formations et Nicolas reviendra sur les apports de la formation. La démarche s’inscrit dans le cadre d’une thèse CIFRE qui a démarré en septembre 2011, Raoni Rocha ici présent est le doctorant qui a fait ce travail sur ERDF encadré par François Daniellou et moi-même. La démarche se compose de 4 grandes étapes. Une première phase de diagnostic ergonomique qui a permis de mettre en évidence un certain nombre de situations critiques du point de vue de l’organisation ou de la sécurité des travailleurs. Ces situations, que nous avons appelées « SAFE » (Situations A Fort Enjeux), ont conduit à la création de groupes de travail sur des sites avec des techniciens et des managers de proximité (phase 2). Puis une phase d’expérimentation d’un dispositif de remontée de situations réelles et de traitement de ces situations (phase 3), et enfin la formation (phase 4), qui est l’un des leviers de généralisation et de pérennisation de la démarche. Comme l’a précisé Nicolas tout à l’heure, le périmètre de ce travail est l’UCF (Unité Client Fournisseur). L’UCF est divisée en trois grandes agences, chaque agence comprenant plusieurs pôles, et chaque pôle plusieurs sites. Dans un premier temps, un diagnostic à été établi sur 3 sites : un dans chaque agence. Ce diagnostic a notamment mis en évidence une faible remontée de terrain liée à plusieurs facteurs, notamment une politique de sanction, révolue maintenant, qui était encore fortement prégnante dans l’esprit des gens. Nicolas Touché

Pas forcément, quand on parle de politique de sanction, et c’est cela qui est important, c’est plutôt une représentation et un vécu des opérateurs comme tel. Vanina Mollo

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 100 -

Ce diagnostic a abouti à 6 « safe ». À partir de là, des groupes de travail ont été mis en place sur deux des trois sites sur lesquels avait été réalisé le diagnostic, chacun ayant pour objectif de traiter une safe. Chaque groupe de travail était organisé en six réunions réunissant les techniciens, les managers de proximité et l’expert prévention. Elles étaient coanimées par l’ergonome et le manager de proximité et visaient à débattre autour de situations réelles issues du diagnostic ergonomique dans un premier temps pour remonter, débattre et co-construire des solutions. Ces groupes de travail avaient également pour objectif de coconstruire un dispositif de remontée de situations dangereuses. Pour revenir sur les « safe » : l’une portait sur la remontée et le traitement des anomalies terrain, et l’autre sur la gestion des relations entre les techniciens et les agents de la Cellule de Programmation Centralisée (CPC) qui reçoivent les demandes d’interventions des clients et les redirigent au sein des différentes équipes. L’accent sera porté ici sur la « safe » travaillée au sein du site E1 (remontée et traitement des anomalies), qui a abouti à l’expérimentation d’un dispositif de remontée et de traitement de situations réelles de travail. Le dispositif local ainsi créé comprend 4 étapes (figure 1) : - Les techniciens prennent des photos des situations qu’ils considèrent comme à risque ; - Les photos sont transmises aux managers lors du débriefing (moment d’échange en fin de

journée, où le technicien est censé transmettre au manager de proximité le déroulement des interventions réalisées dans la journée) ;

- Le manager de proximité fait un tri des situations considérées les plus pertinentes pour les mettre en débat au sein du collectif. Ce tri est basé sur la fréquence et la gravité des situations remontées ;

- Dans la réunion hebdomadaire de groupe, l’animateur anime un débat collectif à partir des photos et fait un retour sur les décisions prises lors de la réunion précédente.

Dans un premier temps, ces espaces de débat sur le travail étaient coanimés par le manager de proximité et l’ergonome, puis au moment de l’expérimentation par le manager seul, l’ergonome étant plus en recul sur le suivi de la démarche. Parallèlement à l’expérimentation de ce dispositif, il y a eu une réflexion sur les boucles de remontée (niveau systémique) pour s’assurer que ce qui ne peut pas être traité à un niveau local puisse être traité à un niveau supérieur : au niveau prévention, au niveau direction et au niveau direction régionale. De la même façon se posaient les questions de pérennisation et de généralisation de la démarche ; la formation étant l’un des outils.

3. Formation-action des managers

La demande de formation des managers a émergé du directeur de l’UCF et de Nicolas. La formation était un levier pour pérenniser et généraliser le dispositif dans les autres sites de l’UCF, mais aussi au-delà de l’UCF, dans les autres métiers d’ERDF, en travaillant sur l’organisation existante en vue d’éviter l’effet « mille-feuilles ». L’objectif à terme est d’arriver à faire des FHO sans le dire, sans le savoir, c’est ainsi que le disent les managers. Deux grands types de formation-action ont été mis en place :

o La première formation concernait le CODIR, le management intermédiaire et l’expert prévention de l’UCF. Cette formation-action était organisée sur deux jours + un jour à distance. Les deux premiers jours étaient consacrés à des apports théoriques sur les Facteurs Humains et Organisationnels et à la co-construction avec les managers d’un dispositif local adapté pour chacune des agences et chacun des pôles. La dernière journée (qui n’a pas encore eu lieu) sera organisée sous forme d’un retour d’expérience collectif afin

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 101 -

que les managers fassent un retour sur ce qu’ils ont pu mettre en place dans les sites qu’ils ont en charge.

Bien évidemment la formation, centrée sur la définition d’un processus opérationnel (d’où le terme de « formation-action ») n’est qu’un des leviers. Plusieurs acteurs ont pris le relais en interne. Le directeur de l’UCF a refait un travail suite à la formation pour ensuite décliner le dispositif qu’on avait coconstruit (lors de la formation) et l’a présenté à l’ensemble des managers de l’unité. L’expert prévention a aussi pris le relais pour accompagner localement les agences, agence par agence. Nicolas Touché

Un moment, vous l’avez compris, dans le déroulé de l’intervention ergonomique, on a fait le choix de travailler avec les opérateurs sur des choses très opérationnelles, sur des situations de travail à fort enjeux, ces fameuses « safe ». Et par ailleurs, on s’est rapidement posé la question de savoir comment on allait capitaliser tout ça et comment on allait déployer toutes ces bonnes pratiques sur l’unité. S’est vite posée la question de la formation avec deux populations différentes, la population des managers plus opérationnels. À la fois François et Vanina nous ont mis en garde sur le fait que si le « top management » n’a pas bien compris ce qu’on allait faire, on va aller rapidement dans le mur et dépenser de l’énergie pour pas grand-chose. Rapidement s’est imposée la nécessité de mener une formation à la fois des managers et du CODIR. En se disant que ces démarches prennent du temps et qu’il est capital, pour ces premières phases, qu’au niveau comité de direction et management intermédiaire, qui vont être ceux qui vont impulser et qui vont rendre possible, il y ait une véritable acculturation et une bonne compréhension d’où on souhaitait aller. Et c’est là que sont venues ces formations.

o La deuxième formation concernait le CODIR régional. Côté logistique, pour cette deuxième formation, il n’était pas possible de réserver deux jours aux Facteurs Humains et Organisationnels avec un CODIR qui est pris par de multiples problématiques par ailleurs. Mais travailler deux jours que sur ce sujet-là, ça montre l’engagement et la volonté réelle d’y aller. En salle de formation, il s’agissait de leur donner des apports théoriques et un retour sur ce qui avait été fait sur le terrain, mais aussi de réfléchir sur ce vers quoi ils souhaitaient aller au vu de ce qui avait été renvoyé en termes d’image par les formateurs. Ce qui a permis de poser les bases d’une culture commune.

Un des points forts de la formation est de partir des expériences réussies des « safe ». C’est-à-dire de capitaliser et de ne pas être que dans le théorique, sur des expériences réussies qui parlent aux managers.

4. Mises en pratique et apports

Pour les mises en pratique et les apports : quand on leur demande, qu’est-ce que vous en avez retenu et qu’est-ce que vous faites au quotidien ? Première chose qui en ressort, c’est la préoccupation des règles et le questionnement sur l’adaptabilité de la règle à la réalité terrain. Deuxièmement, la nécessité d’être exemplaire dans le management et dans les choix d’organisation que nous faisons. On s’est beaucoup questionné sur le type d’intervention ergonomique que l’on voulait. Dans le groupe EDF, il y a beaucoup d’interventions ergonomiques qui se font, surtout dans le domaine du nucléaire et de la production, peu dans celui de l’intervention terrain. Mais souvent les choses sont prises sous l’angle « on veut changer les comportements, il y a des erreurs ». Pour résumer, on fait surtout du « Facteur Humain », mais on oublie rapidement l’organisation. Cela réinterpelle le management sur sa présence terrain, et l’organisation sur sa capacité à le laisser être proche du terrain. À titre personnel, j’ai beaucoup de plaisir à parler de ça, car cela est très enrichissant et on le vit très bien. On parle de l’Humain, on parle de choses qui sont le fondement de notre mission managériale, donc forcément cela ne peut être que bien reçu par les managers. Mais je ne pense pas que les formations préparent les managers à cela ou qu’il puisse y

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 102 -

avoir des managers hybrides dont la fonction serait à la fois de manager et de faire du Facteur Humain. Je pense plutôt qu’on se limite soi-même et que nos organisations nous empêchent ou nous limitent ce type de formation et ce type de prise de conscience. Cela permet de se recentrer sur notre mission première qui est d’être au service des opérateurs qui réalisent le métier.

5. Les questionnements et actions

Cependant il y a quand même des limites. En effet, cette expérimentation demande du temps, nous avons donc décidé de la faire dans le cadre d’une thèse. On s’aperçoit que l’on est dans un processus d’acculturation, au tout début du chemin. Puis nous avons fait des formations avec des professionnels de l’ergonomie, et nous avons souhaité démultiplier cela avec notre représentation à nous. Se pose alors la question de la perte de sens et du risque de dilution. Est-on capable de porter ces choses-là à long terme ? Au-delà de ce que nous disent les managers, des questions ont émergé de la part du comité de direction sur un certain nombre de sujets, nous amenant à revisiter entièrement notre référentiel managérial prévention-sécurité. Nous avons donc reconstruit pour être en phase avec ce qui était dit dans les formations. La chose concrète mise en place et expliquée par Vanina, c’est la démultiplication d’un fonctionnement de remontée des événements significatifs. Une réinterpellation sur la présence du management sur le terrain : sur sa fréquence et sur ses modalités. Le comité de direction s’est rendu compte que l’on mélangeait un peu tout, c’est-à-dire que les managers étaient présents sur le terrain, mais plus pour faire de l’évaluation que pour effectuer de l’observation. Cela renvoie à plusieurs questions : clarifier ce que l’on attend d’eux, clarifier vis-à-vis des opérateurs les modalités de présence des managers (évaluation ou observation) et quelle est la compétence de nos managers pour faire de l’observation ? Nous avons également été amenés à travailler sur la compétence métier de nos managers, qui sont de plus en plus des gestionnaires pouvant perdre le fil du métier (d’où la difficulté pour faire des observations sur le terrain), et sur le changement des représentations autour des erreurs et des sanctions. L’autre point majeur renvoie à ce que nous disent les managers à propos des formations : il faut être très attentifs à ne pas oublier le « O » de FHO. Globalement, on peut rapidement oublier de se poser les bonnes questions sur l’organisation. C’est un sujet qui est plus délicat à aborder. Vanina Mollo

Je pense que dans ce qu’a dit Nicolas, les questions sur la pérennité de la formation et ses effets se posent fortement. Puis il y a aussi une volonté de pérenniser via le choix d’embaucher un ergonome. Nicolas Touché

La thèse va se terminer, et plus de 60% du comité de direction est convaincu du fondement et sait vers où nous voulons aller. On veut donc intégrer dans nos compétences internes, la compétence ergonomie, que l’on veut aussi développer dans le parcours de formation managériale. Enfin, ce qui est un vrai sujet pour nous est l’angle d’attaque que l’on a vis-à-vis des managers, qui serait de ne plus parler d’ergonomie, mais au contraire de dire ce qu’apporte en plus la compétence du management.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 103 -

La démarche du conseiller en prévention pour sensibiliser l’acteur dirigeant : comment cultiver les liens santé-travail ?

Marc Viel Conseiller en prévention des risques professionnels – MSA 49

Le but de mon exposé est de vous présenter notre pratique sur la sensibilisation des managers et des dirigeants à la question du lien santé-travail dans la vie de l’entreprise. La mission du conseiller en prévention au sein de la Mutualité Sociale Agricole consiste à accompagner toutes les entreprises, exploitations individuelles et PME dont certaines font partie de grands groupes coopératifs de l’agroalimentaire. La sensibilisation à la santé/sécurité au travail des différents acteurs de ces entreprises est au cœur du métier de conseiller en prévention. Toutefois, cela demeure un exercice très difficile et un défi permanent. Pour atteindre cet objectif, les conseillers de prévention de la MSA de Maine-et-Loire ont exploré différents chemins, dont celui qui vous est présenté ce matin. La démarche de sensibilisation du dirigeant est une question que l’on se pose depuis longtemps à la MSA. La gestion du risque AT/MP et de la prévention des risques professionnels a été confiée à la MSA en 1972, alors que pour le régime de l’industrie du commerce c’est le cas depuis l’après-guerre. Ce qui fait dire à certains « que l’agriculture est entrée à reculons dans la protection sociale ». Ainsi est né avec le décret du 1er juillet 1973 un nouveau métier à la MSA, celui de technicien-conseil qui deviendra 40 ans plus tard, dans le sillage de la réforme de la santé au travail, conseiller en prévention. Dans le début des années 80, trois conseillers intègrent le service prévention des risques professionnels au sein de la MSA de Maine-et-Loire : René Brunet, Jean Presselin et moi-même. Nous découvrons ensemble ce nouveau métier. À ce moment, la MSA a une représentation du métier qui est fondé sur le « modèle usuel de l’intervention du préventeur institutionnel ». Un modèle qui repose essentiellement sur l’approche du risque marquée par le rapport à la norme réglementaire et technique. La posture d’intervention du préventeur s’appuie sur l’exercice d’une autorité tutélaire auprès des entreprises pour leur rappeler la règle et leur apporter des solutions techniques. Très vite, ils se rendent compte, sur le terrain, en discutant ensemble et en prenant l’habitude de réfléchir sur leur pratique, du peu d’efficience de cette démarche. Certes, elle produit des effets, mais ils sont limités. D’où l’idée d’explorer d’autres voies. Dans le même temps, les conseillers en prévention des MSA de la région des Pays de la Loire ont eu l’opportunité de participer à un groupe de réflexion sur l’intégration de la sécurité à la vie de l’entreprise, à la demande de la caisse centrale de la MSA (CCMSA). Une des principales idées issues de ce groupe fût de réorienter le rôle du conseiller en prévention. Il quittait l’approche tutélaire pour endosser un rôle d’accompagnement des entreprises en visant le développement de la compétence en SST de tous les acteurs de l’entreprise, en commençant par le dirigeant. Le métier de conseiller en prévention consiste alors à faire en sorte que le chef d’entreprise, l’encadrement, le CHSCT, le salarié, etc. puissent développer des ressources pour prendre en main le développement de la santé- sécurité au travail, au sein de l’organisation.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 104 -

La démarche de sensibilisation du dirigeant fût le résultat de trois déclics : � Lors des formations à la sécurité, que nous animions, il ressortait souvent dans les bilans d’évaluation la phrase suivante : « c’est bien vos idées sur la sécurité, mais c’est au patron qu’il faut le dire ». Ce constat, maintes fois réitéré, nous a amenés à réfléchir sur la nécessité de sensibiliser l’acteur dirigeant. � De là est venue, tout naturellement, la priorité d’intégrer dans notre plan opérationnel cet objectif de sensibilisation du dirigeant. Il a été validé par notre institution dont l’organe politique est l’expression d’un conseil d’administration composé d’élus employeurs et salariés. Cette démarche ne fut pas des plus évidentes. En effet, l’idée que : « les conseillers en prévention forment des patrons » paraissait délicate pour certains membres du conseil d’administration. Néanmoins, elle fut acceptée. � La rencontre avec un formateur en management de la sécurité nous a permis de commencer à élaborer le contenu d’une journée dédiée aux dirigeants d’entreprises. Il s’agit de sensibiliser à la SST les dirigeants des petites et moyennes entreprises en les invitant à se soustraire à leur quotidien, le temps d’une journée pour parler de prévention des accidents du travail, de santé au travail. L’intérêt était aussi de le faire collectivement avec une équipe d‘une dizaine de chefs d’entreprises. La dynamique pédagogique de la journée de sensibilisation réside dans le fait qu’elle a pour visée de travailler sur les représentations du chef d’entreprise. Notamment, de leur permettre de confronter la vision d’une sécurité perçue essentiellement comme une contrainte réglementaire imposée de l’extérieur à une vision où les questions de santé au travail sont une composante du management global de l’entreprise. Comment conduisons-nous l’action ? Nous distinguons trois moments : l’avant, le pendant et l’après. En amont, le plus difficile est de faire venir les chefs d’entreprise à cette journée. Nous appuyons sur deux leviers. Le premier est la relation de confiance que le conseiller en prévention construit par son accompagnement de l’entreprise au fil du temps. Le second repose sur le fait de proposer un contenu rejoignant leur activité de dirigeant. Pendant le séminaire, le travail se fait autour des représentations comme nous l’avons évoqué précédemment (les règles de sécurité, l’approche économique de la prévention ….). À ce titre, nous savons que la dimension collective est un facteur qui accélère l’évolution des représentations. À l’issue de la journée, les dirigeants savent qu’ils peuvent compter sur nous en tant que conseiller en prévention. Nous serons à leur écoute pour répondre à leurs demandes et les accompagner dans leurs projets. Souvent, grâce à cette journée de sensibilisation, ils ont aussi une nouvelle image du conseiller en prévention.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 105 -

Voilà pour ce qui concerne la dynamique de cette journée de sensibilisation. En ce qui concerne le contenu, je ne vais pas vous le décrire, mais vous en donner des repères. Il y a deux éléments centraux dans notre pédagogie :

- Amener les dirigeants à réfléchir sur leur pratique. Nous faisons l’hypothèse que dans leur pratique, il y a déjà beaucoup de choses positives. Nous les rejoignons dans leur histoire. En plus de les amener à réfléchir sur leur management de la sécurité, nous leur proposons de se mettre en « projet ». Nous avons une méthode pour cela : nous leur demandons de s’écrire une lettre à eux-mêmes à partir de ce qu’ils ont découvert dans la journée. (Qu’est ce que je vais faire demain ? Qu’est ce que je vais faire dans deux mois ? Qu’est ce que je vais faire dans deux ans ?)

- Aborder la question sur le terrain des enjeux. Autrement dit, qu’est ce que le décideur a à gagner

ou à perdre à s’intéresser aux questions de santé et de sécurité au travail. Nous abordons également les enjeux juridiques. Bien sûr, il ne s’agit pas d’expliquer le Code du travail, mais plutôt d’évoquer l’origine et le sens de la règle. Après avoir mieux perçu le contenu de leur responsabilité en matière de sécurité au travail, ils sont demandeurs de repères pour agir sur le chemin de la prévention. Dans cette perspective, nous abordons avec eux les aspects de stratégies et de politique de prévention. Nous nous appuyons sur le travail de Jean-François Chanlat qui a mis en évidence l’approche culturelle, fonctionnelle et structurelle de la mise en œuvre de la sécurité.

L’expérience que je vous ai présentée est née au sein du service prévention de la MSA Maine-et-Loire. Depuis le 3 juillet 1990, 300 dirigeants ont participé à ces séminaires de sensibilisation. Cette démarche a été transférée à l’ensemble du réseau des MSA en France. Force est de constater qu’aujourd’hui le « travail de l’acteur dirigeant » est devenu une composante culturelle de l’intervention en prévention au sein de ce réseau. Ainsi, pour le conseiller de prévention de la MSA, sensibiliser le dirigeant constitue l’action première afin de promouvoir le lien santé travail dans le management de l’entreprise. À ce titre, elle favorise, certainement, l’émergence de la demande d’intervention ergonomique, y compris d’ergonomie de conception.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 106 -

Fil Rouge

L’Ergonome et le travail des managers

Mathieu Detchessahar Professeur en Sciences de Gestion,

LEMNA, Université de Nantes

Durant les trois jours, trois questions principales ont été abordées plus ou moins en profondeur et ont servi de toile de fond :

o Pourquoi faudrait-il que l’ergonome s’intéresse au métier des managers ? C’est une question très importante, mais pas tellement débattue. Il semble y avoir un accord commun sur le fait qu’il faut que l’ergonome s’intéresse au métier des managers, mais il serait bon de faire un petit retour dessus.

o Comment l’ergonome va-t-il s’intéresser au travail des managers, travailler avec eux, observer leur travail, les mettre en mouvement, etc. ? Cette question a constitué une très large part des débats.

o En quoi l’ergonomie, en s’intéressant au management pourrait être porteuse de savoirs intéressants pour former les managers et pour les préparer à leur activité ? Plus précisément, en quoi des apports d’ergonomie pourraient servir le travail du manager ?

1. Pourquoi faudrait-il que les ergonomes s’intéressent aux managers et à leur travail ?

Il existe deux bonnes raisons qui justifient l’intérêt que doit porter l’ergonome au travail des managers : le manager est un acteur central du travail et les managers sont aussi des travailleurs.

1.1. Le manager acteur central du travail La première raison est toute simple, si on veut s’intéresser au travail des opérateurs, il est essentiel de savoir qu’une bonne part des leviers qui concernent les conditions et les ressources qui permettent aux opérateurs de réaliser un travail de qualité sont dans les mains des managers. Il faut donc tenir compte du travail des managers. En effet, c’est le manager qui décide, en partie, des marges d’autonomie qu’il délèguera à ses collaborateurs. Il produira de la reconnaissance dans le quotidien du travail, assurera du soutien aux personnes au travail, prendra du temps pour s’appliquer à développer et à soutenir les collectifs de travail et à construire les communautés de travail. Enfin, le rôle que l’on peut considérer comme le plus important : c’est lui qui décidera de soutenir les démarches de régulation du travail. Ces démarches de régulation du travail sont présentes autant dans le travail des opérateurs que dans celui des managers. Elles sont essentielles, car on ne peut pas travailler sans réguler, sans faire de tris ou sans devoir prioriser entre des contraintes qui s’opposent, des paradoxes, etc. Ces démarches sont nécessaires dans toute activité, car elles permettent de donner une direction au travail et du sens à celui-ci ; mais pas suivant la définition des managers (compréhension des stratégies, valeurs, etc.). Pour que la direction du travail quotidien soit précise, pour sortir de l’anomie, il faut évidemment réguler le travail, établir des priorités et le manager est un acteur essentiel au soutien de ces démarches de régulation.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 107 -

Il est donc évident que les ergonomes se doivent de s’intéresser au travail des managers, car ils constituent un déterminant important de l’environnement capacitant ou incapacitant des opérateurs et des équipes, puisqu’ils possèdent un rôle central dans celles-ci. En effet dans la conférence « De l’utilité de la formation de l’encadrement à l’observation du travail ? », M. Guillerme a montré par un exemple, au sein de son entreprise, que moins l’encadrement était présent moins le travail s’effectuait dans de bonnes conditions. Cela amène à revenir sur les questions d’autorité qui ont été abordées lors de l’ouverture des Journées de Bordeaux. Il semblerait alors, contrairement au sens commun véhiculant l’idée que l’autogestion serait plus efficace, qu’en limitant l’encadrement, le travail se dégrade, mais si on en rajoute cela peut améliorer la situation, notamment si les managers prennent en compte l’ensemble des leviers et s’ils gèrent une partie du travail de régulation. L’ergonome ne pourra donc pas s’intéresser au travail ou « soigner » le travail s’il ne s’intéresse pas à l’activité du manager. Les managers attendent donc des ergonomes qu’ils mettent à disposition leurs outils et méthodes au service de l’analyse de leur travail, pour enfin savoir ce qu’ils font en réalité, ouvrir la "boite noire" du travail managérial.

1.2. Les managers sont aussi des travailleurs Comme tous les travailleurs, les managers peuvent trouver dans leur travail de l’enthousiasme, de la joie, du bonheur, des leviers pour leur développement personnel, etc. Mais on sait également que ces opérateurs travaillent sur quelque chose de résistant, ils font face à des difficultés, sont empêchés, sont souffrants eux aussi. Nous savons, grâce aux études menées sur le sujet, que dans nos organisations, lorsque l’on veut s’intéresser au travail et aux travailleurs ainsi qu’à la souffrance au travail, il faut se saisir du travail de l’encadrement, car ils représentent une bonne part de ceux qui souffrent au sein de l’organisation. La notion de perte de sens par exemple est une question qui concerne au premier chef les managers et toute personne faisant partie de l’encadrement, ainsi que la question du burn-out par exemple. Il ne faut pas s’intéresser à eux seulement, car ils représentent un détour utile pour soigner les autres ou assurer de meilleures conditions de travail pour les autres, il faut s’intéresser à leurs conditions de travail également. Ceci, car il y a de fortes chances que lorsqu’une équipe est souffrante, le manager le soit également, et réciproquement. Dans cette perspective ce serait une bonne chose de s’intéresser au travail des dirigeants. En effet, ces dirigeants ne sont pas seulement l’intelligence d’en haut, car ils font eux aussi face à des instances supérieures. La représentation suivant le schéma « d’intelligence d’en haut et d’intelligence d’en bas » a des vertus, mais trouve très vite ses limites dans les conditions réelles. S’intéresser au travail des dirigeants permettrait de faire apparaître ces instances supérieures qu’ils affrontent, ces instances qui tissent leurs contraintes et contradictions, particulièrement en ce moment où ces instances sont en profonde reconfiguration, aussi bien dans le public que dans le privé. Le dirigeant doit comme les autres se confronter à cette intelligence d’en haut et va donc essayer de réguler face aux contraintes qui instaurent des paradoxes dans son travail. Le dirigeant est donc quelqu’un, pour reprendre les mots de M Frédérik Mispelblom-Beyer, qui oriente, se bat, arbitre et de temps en temps devrait pouvoir dire non et donc réguler. Durant les trois journées de conférence, tous les cadres dirigeants et les managers qui sont intervenus ont parlé de cette donnée. Bernard Lattes (directeur du SMTI 82) par exemple, se confronte à une intelligence d’en haut qui est celle de son conseil d’administration, mais aussi celle du cadre législatif qui est de plus en plus exigeant et contraignant. Mais si on regarde Françoise Duclaud (du CHU de Bordeaux) qui est cadre de santé, elle se confronte aux directeurs de pôles, au conseil d’administration du CHU (qui

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 108 -

sont une intelligence d’en haut), sous la coupe eux-mêmes d’une intelligence d’en haut : le Ministère de la Santé, la Haute Autorité de Santé, l’Agence Régionale de Santé, des classements, etc. Les dirigeants doivent donc effectuer des régulations et ainsi jouer leur rôle d’intelligence d’en bas avec ces instances. Dans le cas d’Arkema, on peut imaginer aussi que les dirigeants affrontent une intelligence d’en haut qui est celle probablement d’un actionnariat dispersé à l’international, des analystes financiers qui les obligent à des « road show », des agences de notations financières, mais aussi des agences de notations sociales auxquels il faudra rendre des comptes, pour lesquels il faudra construire du reporting et leur montrer que les sociétés évoluent. Ces démarches possèdent des dangers sous-jacents, car l’évolution des systèmes de gouvernance a un grand impact sur le travail des dirigeants. Cela pose la question de l’organisation du temps de travail de ces dirigeants entre le temps imparti à l’intelligence d’en haut (à rendre des comptes aux instances supérieures) et le temps imparti à l’ordre interne (le management interne de l’entreprise). Une des hypothèses que l’on peut poser est que l’évolution des systèmes de gouvernance, sur ces trente dernières années dans le public, comme dans le privé, a eu tendance à aspirer les équipes dirigeantes vers l’externe et donc à les éloigner de l’interne et du travail. Par réaction en chaîne, cela a poussé les dirigeants à solliciter les managers de proximité pour les aider à fournir de l’information, des comptes rendus, pour les externes. Si on veut transformer, il faut donc s’intéresser au travail des managers, à toute la chaîne managériale, ce qui peut montrer que les intelligences d’en haut ne sont pas forcément à cette place, mais sont des relais de haut niveau dans l’organisation. Ces différents niveaux de la chaîne managériale ont aussi des problématiques propres, qu’il faut connaitre, et eux aussi répondent à des instances supérieures. Le rôle de l’ergonome peut être alors d’équiper les managers des différents niveaux pour affronter leurs intelligences d’en haut. Au-delà de l’ergonomie du travail des cadres, il peut être intéressant de se pencher sur l’ergonomie du travail des dirigeants. Pour y constater des choses simples, sur lesquelles François Daniellou nous éclairait dès le premier jour. Il y a des intelligences d’en haut partout dans le domaine du travail et il faut travailler sur les chaînes de régulation. M. Emmanuel Pasquier nous a parlé de la théorie de la régulation sociale qui a lieu à tous les niveaux : il faut être capable de s’en saisir pour intervenir. Dans le travail des dirigeants, on peut faire le constat que si l’on ne s’attaque pas à leur travail, on ne changera pas le travail des autres. Particulièrement, la diminution des marges de manœuvre qui ne concerne pas seulement les opérateurs. C’est une problématique qui est remontée très haut dans les lignes hiérarchiques et que l’on observe aujourd’hui dans le travail des cadres supérieurs ou dirigeants. Tout cela peut se démontrer dans l’exemple suivant. Il y a deux ans, nous sommes intervenus dans une grande banque coopérative de la région nantaise avec, pensions-nous, énormément d’autonomie au niveau local. On travaillait avec le directeur général de cette banque de 2500 salariés, qui est donc un notable de la place locale dont l’arrivée avait été médiatisée. Pendant de longs mois, nous avions travaillé sur son management, ses équipes managériales, etc. ; nous nous sommes vus plusieurs fois. Au cours du comité exécutif, nous avions déployé la démarche que nous avions menée : les observations, les interventions, les résultats. Le diagnostic était assez simple : une perte du pouvoir d’agir des directeurs d’agences, du management de proximité et des directeurs de secteurs qui sont leurs supérieurs directs. Lors de la discussion, nous avions essayé d’insuffler des choses nouvelles et lors d’un déjeuner avec le directeur général, il nous a expliqué comprendre les conclusions du travail que nous avions fait, car lui-même directeur général de la caisse régionale, n’a

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 109 -

pratiquement plus aucune marge pour griffer le projet stratégique de la caisse depuis sa subjectivité et son initiative. Le directeur général est pourtant un exécutant de très haut niveau dans l’organisation. D’un point de vue objectif, le Directeur Général déclare avoir un très beau salaire et un beau CV. Cela compense l’aliénation, mais il se plaint que son espace d’actions stratégiques soit extrêmement faible. Il faut donc regarder ces choses-là, ce sont de très bonnes raisons pour les ergonomes de s’intéresser au travail des managers.

2. Ergonomie et travail des managers : comment traiter le problème ?

Cette question a beaucoup été abordée durant les trois jours sous la forme : comment l’ergonomie peut-elle se saisir du management, le regarder et travailler avec les managers ? Il semble qu’il y ait deux types de questions à se poser, une sur laquelle on s’est beaucoup concentré et une, étrangement, que l’on a laissée de côté : - Comment les ergonomes peuvent-ils mieux travailler avec les managers ? - Comment les ergonomes peuvent-ils embarquer le management dans les interventions ?

2.1. Comment les ergonomes peuvent-ils mieux travailler avec les managers ? Une des préoccupations qui a semblé faire argument ou animer beaucoup des présentations des ergonomes que nous avons entendues était : « Comment ne pas oublier la ligne managériale dans les interventions et comment faire pour l’embarquer au mieux ? Cela, car tout le monde a compris que si l’on n’embarque pas l’ordre politique de l’entreprise, il y a de fortes chances que les interventions tournent court et que dès que l’on tourne les talons, il ne se passe plus rien. Nous l’avons vu avec un cas tout à fait symptomatique, le cas d’Arkema où beaucoup de projets sont enclenchés et tentés avec les services RH, HSE, etc. Mais tout à coup on se rend compte que l’on a oublié les directeurs d’usines, les agents de maîtrise et le management de l’usine. Cette situation est alors embêtante, car cela pouvait être une des conditions favorables pour qu’il se passe des choses à moyen et long termes. Nous avons vu à l’inverse toute l’attention portée par Vanina Mollo et Raoni Rocha à comment faire pour embarquer le management d’ERDF. On ne pourra pas mettre en visibilité, parler du travail et le faire sans les managers. Il faut les inclure dans la boucle, car ils sont l’ordre politique de l’organisation et ils pèsent sur le travail. Ils sont ceux qui pourront changer le travail, porter les transformations. Il faut donc être capable de les remettre au cœur des interventions. Cette tâche peut sembler difficile et les bons esprits diront « si le manager est présent, on peut dire les choses ? Est-ce qu’il n’y aura pas de sanction ensuite ? Comment va-t-il s’en saisir ? On peut être dans une situation de défiance et non de confiance ! » C’est vrai dans certaines situations, mais il faut se convaincre qu’un des produits de nos interventions est de rendre possible cette discussion et de rebâtir de la confiance. Cela est possible sauf à penser, sur une base idéologique qui n’est pas la nôtre, qu’il y a définitivement rupture de confiance entre le management et les travailleurs, ce qui est toujours possible et qui est à clarifier suivant les terrains. Si on veut changer durablement le travail, il faut impliquer les personnes qui pèsent et qui ont les manettes sur le travail, le faire dans nos études et notamment dans nos processus de mise en discussion du travail. En sachant que, de temps en temps, lorsque l’on est appelé dans des moments difficiles, on fait le constat qu’il sera compliqué de permettre le débat entre le management et les salariés, même avec un médiateur, au vu de l’état de défiance dans lequel sont les acteurs.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 110 -

Il faut bien voir, d’où l’importance du long terme, que la confiance nécessaire à cette mise en discussion du travail est peut-être un préalable de la discussion elle-même, mais c’est surtout un produit de celle-ci. On construit de la confiance quand on prend l’habitude de parler du travail, il ne faut donc pas attendre d’avoir supprimé la défiance pour commencer à ouvrir des espaces de discussion sur le travail. C’est de ces espaces que renaîtra la confiance. Cela signifie qu’il ne faut pas se tromper de point d’entrée, il y a un grand nombre d’acteurs importants dans nos interventions et dans les interventions de type ergonomique, mais ces acteurs ne sont pas suffisants. On voit bien que lorsque l’on rentre uniquement par la RH, la HSE ou les syndicats, on rate des leviers pour pouvoir peser durablement sur le travail. Cela ne veut pas dire que la RH, la HSE ou les syndicats n’auraient rien à nous dire sur le travail, mais cela peut signifier que ce n’est pas à eux d’animer la discussion sur le travail. Leurs rôles peut-être plus d’impulser, de garantir une méthodologie, de surveiller, mais l’enjeu des situations de travail se situe sûrement plus entre les équipes et leur management. Je dis cela, à la fois à partir d’informations récoltées durant nos interventions, mais aussi à partir des enquêtes récentes : c’est ce que disent les travailleurs eux-mêmes. Dans le cadre d’une étude faite par le CSA pour le compte « d’Entreprise et Carrière » et pour l’ANVIE, (sortie au mois de septembre 2013) il y avait cet enjeu de discussion sur le travail, car il y a une certaine mode autour de ce sujet-là. Dans cette étude, on interviewait un grand nombre de salariés sur cette question : « est-ce que c’est important pour vous de discuter du travail ? ». Les salariés répondaient deux choses : d’une part : qu’il est central de pouvoir discuter du travail et d’autre part d’avoir des espaces de discussion. Et à la question de « avec qui voulez-vous discuter du travail ? » ceux-ci répondaient qu’ils voulaient en discuter avec leurs pairs et leurs chefs. On sait très bien qu’une discussion sur le travail avec le management, bien qu’elle paraisse difficile, est essentielle, car sinon cela risque de tomber à l’eau. Il y a de nombreux exemples d’interventions où la discussion a eu lieu, mais elles n’ont pas eu de lendemain, car le management n’était pas impliqué. Il y a donc un enjeu très fort dans la façon dont on embarque le management dans nos études et interventions. On a pu constater dans les récits que dans les dispositifs d’interventions où le management n’est pas présent, après une phase d’enthousiasme, ils s’essoufflent. Combien de groupes d’analyse de la pratique, combien de groupes de codéveloppement pour managers où l’on met les managers entre eux pour discuter du travail et pour qu’ils s’apprennent des choses, connaissent le même sort ? Au début cela fonctionne bien, car la discussion reconstruit du collectif, mais si l’ordre politique, le management supérieur, n’est pas impliqué, cela ne mène à rien. Qui récupèrera ce qui se dit pour pouvoir réellement changer les choses, changer le travail, transformer l’organisation ? Au bout d’un moment, la motivation s’essouffle, on a l’impression de perdre son temps et on y va plus. Il y a donc un enjeu très bien cerné et mis en valeur par les récits de ces trois jours autour de la question de l’arrimage du management dans les interventions ou en tout cas qui partaient du principe qu’il fallait arrimer le management. À partir de là arrivait la deuxième question : comment les ergonomes peuvent-ils embarquer le management dans les interventions ?

2.2. Comment les ergonomes peuvent-ils embarquer le management dans les interventions ? Cela dépend beaucoup des hypothèses que l’on pose sur pourquoi le management ne s’intéresse pas plus à la question du travail ou autrement dit, comment intégrer le management à nos espaces de discussions, de délibérations sur le travail. Cela dépend beaucoup de la représentation que l’on a de pourquoi ils ne le font pas.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 111 -

Il me semble qu’il y a deux façons de voir le problème : soit on pense que les managers ne régulent pas assez le travail, ne prêtent pas assez d’attention au travail, car cela ne les intéresse pas, ils ne sont pas câblés pour ça. Ou bien qu’ils regardent les opérations et le travail de manière un peu condescendante comme quelque chose d’un peu vil, d’un peu secondaire, comme étant l’intendance, parce qu’ils ne sont pas formés pour ça, parce que ce sont de jeunes « blanc becs » sortant d’écoles de commerce, etc. Dans ce cas-là, si on croit que l’obstacle majeur est celui-là, on voit très bien comment on va tenter de les arrimer : en les rééduquant ! On va les convertir, on va leur faire passer le savoir ergonomique, pour qu’ils se réveillent. On va leur faire des formations, des formations-actions, on va organiser une épiphanie ergonomique. Ils vont enfin réaliser que le travail est extrêmement important. Cette interprétation est un peu caricaturale, mais il me semble que c’est une des voies qui a été beaucoup employée, même s’il y a des contre-exemples comme M. Lattes ou M. Touché. Ces managers « nous embêtent », premièrement ils ont l’air sympathiques, certains d’ailleurs s’en étonnent, prenant même la parole pour les remercier d’être ce qu’ils sont, s’étonnant qu’il y ait encore des managers comme eux. Ils se présentent comme des nouveaux convertis au savoir ergonomique, glorifiant leur expérience, mais, on le voit bien en discutant avec eux, la conversion à l’importance du travail a été tellement rapide qu’on peut en déduire plusieurs choses : soit les ergonomes sont des génies, soit les managers étaient déjà pour une grande partie convaincus. Pour beaucoup d’entre eux c’est le cas et c’est ce qu’a dit M Lattes, car il se préoccupait déjà du travail. C’est ce sur quoi beaucoup travaillent : ils écoutent leurs collaborateurs, font des groupes, discutent du travail. Ils font du travail de management et ils disent, même pour ERDF, qu’à peine on leur a parlé du travail, les ramenant sur le terrain du travail, du management des opérations, de la gestion des équipes, que tous les cadres avaient les yeux qui brillaient, car ils allaient revenir aux fondamentaux de leur travail et de leur métier. Il y a donc deux possibilités :

- Soit ce sont des butors, éloignés du travail, mal câblés et qui méprisent le travail, auquel cas c’est une bonne idée de les former, mais on peut avoir un petit doute sur cette méthode bien qu’il soit très important de former les cadres et le management.

- Soit on pense que s’ils prêtent peu d’importance au travail, si dans certaines entreprises ils ne régulent pas ou peu, s’ils ne mettent pas le travail en discussion, c’est qu’ils en sont empêchés. Ils sont victimes de forces de nature organisationnelle qui les aspirent sur un autre terrain que celui de la régulation du travail. On peut même penser que c’est là un des points essentiels de leur souffrance de cadre, de n’avoir plus le temps de faire le travail dont ils savent bien, sans conversion, qu’il est nécessaire. On peut donc penser que de la même manière que le travail est empêché, le management (au sens de la régulation du travail) est empêché également. Les managers s’affrontent à tout un tas de dispositifs, de directives qui les éloignent du travail, les aspirent sur une autre scène.

Si l’on pense de la seconde façon, alors cela change tout. La formation a donc un intérêt très limité. Parce qu’on va les former, mais lorsqu’elle retournera au travail, la ligne managériale sera toujours aussi embouteillée et empêchée. La grande question devient alors de regarder précisément le travail des managers pour essayer de comprendre ce qui s’est empilé dans cette fiche de poste et dans ce travail qui, d’une certaine manière, les empêche aujourd’hui de faire du management au sens de la régulation du travail. Il faut donc regarder leur travail pour avancer, me semble-t-il, dans une perspective de soutien du travail de management, de régulation du travail. Mais cela suppose de clarifier les fiches de postes, d’enlever les tâches connexes qui ont été rajoutées durant les vingt dernières années qui, à force d’être connexes, sont devenues l’essentiel de leur travail. Ce qui fait qu’ils passent la plupart de leur temps à des tâches

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 112 -

plus administrativo-gestionnaires que managériales. Ceci à tel point que plus personne ne veut devenir un manager de ce style : cela n’a pas d’intérêt. Il va donc falloir être capable de reconstituer chez eux un pouvoir d’agir, leur permettre de faire un retour sur la scène du travail, de réduire le divorce entre le travail du manager et le travail tout court. Il va falloir s’en donner les moyens, mais pour cela, il faut prendre le temps d’inspecter, d’analyser leur travail. Au passage, on peut aborder ces grandes questions : dans quel esprit faut-il faire cela ? Faut-il essayer de travailler sur le travail du manager, de le « désempêcher », de le rapprocher du travail, de le mettre en position de discussion sur le travail ? Deux perspectives différentes ont souvent été énoncées, je les livre à votre réflexion. Il me semble aujourd’hui qu’il y ait deux horizons intellectuels que l’on a entendus dans cette salle, ils sont proches, mais tout de même différents :

- Il faut faire tout cela dans une perspective de démocratisation de l’entreprise ce qui n’est pas simple, car il y a le lien de subordination, il y a un droit à la propriété et le droit des sociétés.

- Pour des questions de réalisme, mais aussi pour des questions de rigueur conceptuelle, il y a un deuxième horizon qui semble très intéressant à partir duquel on peut intervenir sur le travail managérial aujourd’hui, évoqué par François Daniellou et d’autres. C’est celui de l’autorité au sens de la subsidiarité, de la collégialité, de la participation. Évidemment, il réintroduit des mécanismes démocratiques dans l’entreprise ne serait-ce que la discussion, mais en même temps sans trop faire violence à la réalité. Il en respecte et en repense la verticalité, la question de l’autorité, etc. On n’a pas le temps de développer plus cela, mais il y a plein de spécialistes. Cet enjeu de la reconstruction de l’autorité à partir de la notion de subsidiarité est, en management, un des horizons importants pour mener le combat dans nos entreprises.

Ainsi, si on veut travailler avec les managers et cela est très important, pour toutes les raisons données précédemment, il faut s’intéresser à leur travail. Et donc, lorsqu’on réfléchit au rapprochement des ergonomes et des managers il y a deux questions :

• comment les ergonomes peuvent mieux travailler avec les managers ?

• Est-ce que les ergonomes vont faire de l’analyse ergonomique du travail des managers ? Autrement dit, est-ce que les ergonomes vont vraiment s’intéresser au travail des managers ?

Ces deux questions sont deux aspects par lesquels on pouvait prendre le thème des Journées De Bordeaux. Je dois avouer que sur le deuxième versant, je suis resté un peu sur ma faim. On a énormément parlé de comment les ergonomes vont mieux travailler avec les managers, sous-entendu comment on va faire pour que les managers se préoccupent un peu plus de toutes les choses formidables que l’on a à leur dire. Mais j’ai vu assez peu et c’est une surprise, d’analyse ergonomique du travail des managers. Comme si l’on était très impatient qu’ils s’intéressent à ce que peut dire un ergonome, mais que les ergonomes étaient assez peu intéressés par les managers. Tout cela est dit de façon provocatrice, mais en tant que professeur de management, l’un de mes principaux espoirs en venant à ces journées, était qu’enfin des spécialistes du travail racontent des choses sur ce qui me passionne : qui est le manager ? Que fait un manager ? Ceci grâce à des méthodologies solides, dans les entreprises actuelles et dans différents domaines. Mais ces thèmes ont très peu été abordés. Cela a été une surprise, car compte tenu de ce que je viens de dire, si une des hypothèses est que les managers ne sont pas que des butors, mais que les conditions actuelles de leur travail ne leur permettent plus de prendre en charge le travail et le réguler, il faut prendre cela en compte et bien connaitre leur travail en ouvrant la « boite noire ».

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 113 -

Il peut y avoir plusieurs raisons à cela. Soit des raisons de tradition intellectuelle de la discipline, soit, car les ergonomes n’ont pas les mandats pour cela dans les entreprises, ce qui est facile à imaginer. Mais il faut savoir que beaucoup de gens ont ce type de mandats et compte tenu de ce qu’est votre discipline et des méthodes robustes qui ont été développées, il serait préférable que ce soit les ergonomes plutôt que d’autres qui fassent ce travail-là. Le marché de l’analyse du travail des managers existe réellement, comme celui des cadres supérieurs et des dirigeants. Il n’est peut-être pas clair que les ergonomes peuvent travailler là-dessus aussi ? En définitive, le seul qui a ouvert la boite du travail des managers pour nous en parler sérieusement avec ces outils à lui de praticien, c’est toujours M. Lattes. Celui-ci s’est basé sur un slide avec un tas d’expressions résumant les tâches du manager de façon un peu linéaire, mais c’est le seul à avoir pris le temps de faire cela. Mais cette définition, en tant que professeur de gestion m’a un peu déçu, car elle renvoie à 1916 et la description d’Henry Fayol du travail des managers. Il a plein d’autres choses et d’écrits en gestion sur le travail du manager et heureusement. Cela m’a fait sourire quand le cadre de santé a intitulé sa présentation « Manager ou Gestionnaire de tensions ». Mais c’est la même chose, depuis les années 70, toutes les études ethnographiques des cadres ont montré que faire du management ce n’est pas gérer des tensions c’est gérer des paradoxes comme dans tout type de travail et c’est ce qui fait la grandeur du management, mais aussi sa difficulté. Cela signifie que le manager gère en même temps des choses qui ne peuvent l’être normalement. Par exemple, les paradoxes classiques que le management a mis en lumière, c’est qu’un manager, dans le pilotage de son équipe, doit donner de l’autonomie à ses collaborateurs, ce qui représente un basique dans toutes les formations de management. Le problème est que pour d’excellentes raisons aussi, il sait qu’il doit contrôler ses collaborateurs. On peut donc voir ici le premier paradoxe : comment peut-il faire pour donner de l’autonomie tout en contrôlant sachant que plus on donne d’autonomie moins le contrôle est faisable et plus on contrôle plus on étouffe l’autonomie ? Deuxième paradoxe extrême bien connu dans nos entreprises : un bon manager est quelqu’un qui est proche de ses équipes et proche du travail. Cette notion est également enseignée dans les écoles de management, mais le problème c’est qu’un bon manager est quelqu’un qui sait s’extraire du travail pour prendre du recul, diffuser de l’information, faire de la communication. Le travail de management serait donc d’après M. Mispelblom-Beyer « impossible », mais il n’est pas impossible, il est comme tout type de travail, car il n’est jamais fini. Faire du management, c’est constamment se déplacer entre ces différents pôles : à quel moment mettre du contrôle, à quel moment donner de l’autonomie, etc. Un des défauts de nos organisations contemporaines est que comme les paradoxes sont complexes, elles les ont simplifiés et dans certaines, elles ont dit aux managers que la bonne position est celle du recul. Dans les hôpitaux, on a dit aux cadres de santé d’arrêter de materner leurs soignants. La chasse au « maternage » dans le discours des organisations hospitalières est tout à fait fondamentale, en ne maternant plus on prend alors de la distance vis-à-vis du travail.

3. Les questions de formation et de préparation au travail managérial

Ce qui a été dit ce vendredi matin m’a beaucoup intéressé, car c’était assez en ligne. À ce propos, Karine Chassaing, d’une certaine manière, lors des premières minutes du congrès, a pratiquement tué le débat. Elle a dit des choses tout à fait essentielles que je vais seulement répéter, que je partage et qui représentent toute une part de mes cours sur l’introduction aux questions de théories de l’organisation. Elle nous a dit deux choses. On ne fait pas de management si :

o On ne possède pas une vision de ce qu’est le travail ; o On ne possède pas une vision personnelle de ce qu’est une organisation.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 114 -

Sur ces deux points, elle a totalement raison et en formation initiale ou continue, ce sont des notions très importantes à transmettre à nos étudiants. On doit d’abord posséder une vision du travail et en simplifiant, il en existe deux. La première est la vision considérant que le travail ça aliène. C’est d’ailleurs une vision, telle qu’elle s’exerce aujourd’hui, beaucoup moins marxiste que grecque. C’est vraiment une survivance d’une pensée grecque. Le travail dans cette vision est donc l’espace de la contrainte, de la nécessité qui m’aliène dans le sens où ce n’est pas le lieu où j’apparais premièrement comme un homme différent de l’animal. Le travail, il faut bien le faire, c’est nécessaire à la vie humaine, mais c’est contraignant. Si c’est comme ça que l’on voit le travail, le management devient alors très simple : il n’y a plus rien à attendre du travail, il n’y a plus besoin de s’intéresser au travail, car le travail est une chose abjecte. Le management va donc servir à compenser l’aliénation en essayant de vous payer correctement, de permettre des carrières, de laisser un peu de temps libre, de réduire votre temps de travail, de vous laisser travailler à domicile de temps en temps, on va veiller à la conciliation vie privée / vie professionnelle, etc. On fera même ce qu’on fait dans beaucoup d’entreprises de conseils aujourd’hui, comme le travail n’a aucun sens, finalement, on ne va pas vous aider à travailler mieux, mais on va subventionner votre projet humanitaire. On n’interviendra plus du tout en tant que RH sur votre travail, mais on subventionnera votre projet : c’est-à-dire qu’on vous ouvrira des espaces qui concernent l’apparition du sujet, car le travail ne sera plus un sujet abordable. Cette vision-là, si elle était marxiste, on l’aurait perdu, mais c’est parce qu’elle est grecque qu’elle est encore présente au cœur de notre société. Par exemple, j’entendais à la radio il y a quelque temps un grand chef d’entreprise (Pierre Kosciusko-Morizet), créateur de priceminister qui a eu la bonne idée de revendre sa société. On l’interrogeait sur « pourquoi vous avez créé cette entreprise ? » et on voit bien l’emprise de la vision grecque du travail dans sa réponse. Il disait qu’il avait créé cette entreprise pour gagner beaucoup d’argent assez vite pour ne plus avoir besoin de travailler, dans la directe ligne de la pensée grecque, convaincue que l’objectif d’une vie humaine pouvait consister à se séparer d’une des contraintes. Quel en est le plus gros fardeau ? Le travail. Car à côté du travail, il y aurait un autre espace merveilleux dans lequel on pourrait enfin se réaliser et s’épanouir. Le problème est qu’il a continué en disant qu’il a bien vendu son entreprise, gagnant énormément d’argent et voulant s’arrêter de travailler. Au final quelque temps après, il s’est remis à travailler. Cette réflexion pose la question d’une vie intérieure qui pourrait exister à côté, en dehors du travail, d’un rapport incarné au monde. Celui-ci s’est rendu compte que non et s’est remis au travail. Par comparaison, même les moines travaillaient, montrant que la vie intérieure ne se joue pas en dehors du travail. À partir de cette vision, le management perd donc énormément de son intérêt et celui-ci n’est présent que pour compenser l’aliénation et faire de la gestion de l’emploi. La deuxième perspective sur le travail peut être aussi considérée comme marxiste à travers toutes les belles phrases sur le travail ou basée sur la vision judéo-chrétienne du travail qui a été la grande novation par rapport au monde grec en imposant au cœur de nos sociétés une nouvelle vision du travail dont nous sommes très largement les héritiers. Le travail dans cette vision n’est pas une contrainte, une perte de soi ou une aliénation, mais c’est une activité essentielle à travers laquelle l’Homme apparait au monde et aussi à lui-même, construit la société, sert la communauté, travaille au bien commun, etc. Alors là, on peut faire du management, car cela devient important de s’entourer des questions d’apprentissage, de soutien aux communautés, de construction du sens, etc. On réconcilie toutes les dimensions du travail, les dimensions subjectives, objectives, collectives et elles deviennent l’objet même du management. Karine Chassaing a donc raison. Évidemment pour former des managers, il faut les inviter à se poser la question de ce qu’est le travail et de ce qu’il représente, car selon la vision que l’on adopte, on ne produira pas le même management.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 115 -

Elle a aussi insisté sur le fait qu’on ne manage pas sans une vision de l’organisation. Sur cette notion, il y a également deux grandes visions. Soit on enseigne l’organisation avec une perspective mécaniste connue en gestion depuis cinquante ans. On considère l’organisation comme un espace à régler, car il faut faire travailler des gens ensemble et le travail ne se déroulera jamais comme on veut, car il possède diverses dimensions : la performance économique, la qualité, la sécurité, l’innovation, etc. Il faut donc régler tout cela de manière à ce qu’on arrive enfin à attraper cette chose qui s’appelle le travail. Une fois que l’on aura suffisamment réglé, le travail deviendra alors une chose lisse, sans aléa et tout ira bien. Une autre vision consiste à voir l’organisation comme un espace à réguler ou à médier, ceci en partant du postulat que les règles sont nécessaires, mais que bien entendu elles sont incomplètes et qu’elles le seront toujours. Ces concepts ont valu à Herbert Simon le prix Nobel. Les règles sont incomplètes, car elles n’arriveront jamais à capturer totalement ces choses erratiques que l’on nomme le travail ou l’activité. Cela ne signifie pas pour autant que l’on arrête de manager ou d’organiser le travail, mais il va falloir cette fois-ci concevoir des règles d’un autre type qui ne sont pas des règles appelant à la conformation, mais appelant à l’exploration, à la médiation et soutenant la régulation. Dans cette perspective-là évidemment, l’activité organisationnelle ne cesse pas devant le caractère intangible du travail, mais elle change de nature. Elle est là pour concevoir des espaces de régulation, dont les espaces de discussion. Elle ne sert pas à tuer le complexe, mais cherche au contraire à soutenir un dialogue et à équiper un dialogue permanent avec le complexe. Tout cela est donc totalement différent et Karine Chassaing avait commencé là-dessus. On a donc bien fait de réunir des ergonomes et au moins un gestionnaire et j’espère que nous trouverons vite l’occasion de faire l’inverse, car je suis convaincu que nous avons une belle feuille de route dans ce que j’ai essayé de résumer pour travailler ensemble.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 116 -

Au sommaire des Journées précédentes

Les Journées de Bordeaux sur la pratique de l’Ergonomie se sont déroulées chaque année depuis

1994, et ont chaque fois fait l’objet d’une publication. Les sommaires des Actes des années précédentes sont regroupés ci-après.

Les actes complets des précédentes années sont disponibles en version numérique sur notre site

internet : www.jdb-ergonomie.fr

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 117 -

Journées 1994 « La Pratique de l'Ergonomie »

Avant-propos François Daniellou L'ergonome est-il un praticien ? François Daniellou La compréhension de l'activité des concepteurs : un enjeu essentiel Alain Garrigou La compréhension de l'activité des concepteurs Chantal Massip La conception architecturale : qui sont les concepteurs ? Elise Ledoux Les actions courtes en ergonomie Jacques Christol La prise en compte du travail humain dans la conception d'une ligne de fabrication. Les apports d'un diagnostic court à la SNPE Willy Vasse Le point de vue de l'ANACT sur l'intervention en temps contraint François Guérin Le diagnostic court Serge Deltor Les formations-actions Catherine Teiger La formation-action : quelle méthode pour une pratique de l'intervention ? Françoise Barthelot, Jacques Escouteloup, Christian Martin et Marie Wallet Formations-actions avec des militants syndicaux Francis Bourdon Ergonomie, organisation et analyse du travail des cadres Alain Wisner Quelques aspects du travail du chef de chantier du bâtiment Francis Six Organisation et travail de l'encadrement dans une industrie à risques François Daniellou et Gabriel Carballeda Questions d'éthique en ergonomie Philippe Davezies L'éthique sur le terrain Francis Dupont

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 118 -

Journées 1995 « L'ergonome et les compromis »

Avant-propos François Daniellou L'ergonome et les compromis François Daniellou Les lésions péri-articulaires : quelle intervention de l'ergonome ? - Ilkka Kuorinka Un cadre théorique et méthodologique d'intervention sur les LATR - Pascale Carayon Constats et éléments de discussion tirés d'une intervention relative aux TMS Catherine Elia Affections péri-articulaires des membres supérieurs et conditions de travail : quel type d'intervention ? Pierre Franchi et Alain Jabès Diversité des positionnements, diversité de compromis : questions de choix, questions politiques ! - Bernard Mélier L'ergonomie et la conduite accompagnée de projet Nicole Falcetta Ergonomie et médecine du travail dans une grande entreprise : stratégie pour une grande appropriation par la production Rémy Le Trequesser et Jean Lhomme Unicité du positionnement, diversité des pratiques Jacques Duraffourg Entre politique et pratique Patrick Sagory Une méthode d'analyse spécifique comme support du développement de l'ergonomie Michel Sailly L'intervenant, l'enseignant-chercheur Christian Martin et Albert Ripon Entre travail et emploi : l'ergonomie défiée François Hubault Age, condition de travail et emploi Antoine Laville et Serge Volkoff Ergonomie et réinsertion dans un collectif Jean-Marie Francescon Conception de situations de travail et handicap Alain Duffort et Jean-François Thibault Synthèse des journées François Daniellou

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 119 -

Journées 1996 « La construction de l'intervention ergonomique »

Avant-propos François Daniellou La construction de l'intervention ergonomique François Daniellou Quelques réflexions limitées et discutables sur nos façons de pratiquer l'ergonomie Jacques Christol Intervention et conduite de projet : quels modes de régulation les ergonomes déploient-ils en action ? Marçal Jackson Les interventions sur le travail : "des résultats attendus aux effets" Bedra Bedr et Pierre Richard Les organisations syndicales et l'intervention Anne Flottes La construction psychosociale de l'intervention Albert Ripon La pratique de la construction en ergonomie : les hauts, les bas et les changements de manière de faire Dominique Le Borgne Réflexions sur la pratique : le stagiaire et le consultant Sylvain Biquand, Christelle Casse, Brice Labille et Ludovic Peltier Assistance à la maîtrise d'ouvrage : le positionnement des différents acteurs Jacques Escouteloup et Christian Martin Aménager les horaires sans changer les horaires : contradiction ou défi ? Yvon Quéinnec, Madeleine Bourdouxhe et Serge Guertin Comment une intervention se structure-t-elle dans le temps au cours d'un projet de conception architecturale à l'hôpital ? Françoise Barthelot et Marie Wallet Démarche de conception d'Interface Homme-Machine centrée utilisateur. Quand, avec qui et comment ? Annie Drouin Aspects temporels : contraintes et enjeux de la transformation Pierre Nahon Démarche en matière de santé Willy Vasse et Michel Berthet Synthèse des journées François Daniellou

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 120 -

Journées 1997 « L'Ergonome, le Maître d'Ouvrage et la Maîtrise d'Œuvre »

Avant propos François Daniellou L’ergonome, le Maître d’Ouvrage et la Maîtrise d’œuvre François Daniellou De l’analyse des dysfonctionnements d’un atelier à un projet d’organisation d’un secteur industriel, la coopération ingénieur-ergonome Bernadette Bernadou et Eric Gillard Décrire l’organisation du travail, une assistance à la Maîtrise d’Ouvrage ? Gabriel Carballeda, Jean-François Thibault Les points d’entrée de l’ergonome, du sociotechnicien sur les projets Michel Guy La Maîtrise d’Ouvrage et les ergonomes aux premières phases d’un projet Pierre Etcheverry Expériences de la DACT, quelques principes pour une pratique d’intervention Henri Poinsignon Représentations, interprétations, confrontations : réalités de l’espace de travail. A propos de la conception d’un service d’urgences Dominique Tessier, Josette Guy, François Brivet et Marie Wallet La construction de l’équipe de Maîtrise d’Ouvrage. Le projet du C.H. Machecoul Marie-France Barreau et Jean-Paul Puyo Les différentes étapes de l’intégration de l’ergonomie dans les projets François Amzulesco Comprendre l’activité des ingénieurs de projet : un enjeu pour l’intervention précoce de l’ergonome Marie Bellemare et Alain Garrigou Méandres cognitifs des phases initiales de la conception Pierre Falzon et Françoise Darses Démarche qualité et ergonomie : organisation des relations contractuelles dans une grande entreprise Michel Naël Les interactions Maîtrise d’Ouvrage / Maîtrise d’Oeuvre : un processus permanent pendant le projet Christian Martin Synthèse des Journées Pierre Richard

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 121 -

Journées 1998 « Participation, représentation,

décision dans l'intervention ergonomique » Avant-propos François Daniellou Participation, représentation, décisions dans l’intervention ergonomique François Daniellou La participation, problématique et exemples Matthieu De Nanteuil et Pascale Mercieca Participer : un partenariat avec ou sans confrontation sur le travail ? Frédérique Guillon Réflexion sur la pratique de l’expertise Pascal Josse et Rémy Jean Sanofi Ambares : histoire d’une nouvelle dynamique d’amélioration des conditions de travail privilégiant la dimension sociale Willy Vasse, Thierry Masson et Jean-Claude Bère Représentations - Participation des acteurs de l’intervention ergonomique Philippe Negroni, Jean-Baptiste Hervé et Pascal Etienne Les rencontres successives d’une section syndicale avec l’ergonomie Bernard Dugué et Jean Buet Des injonctions contradictoires à la reformulation des règles de fonctionnement : un exemple de participation des salariés Jacques Duraffourg et Tchibara Aletcheredji Reconnaître la participation pour comprendre les représentations Damien Cru De la participation des salariés à la décision des gestionnaires : de nouvelles représentations à construire Jocelyn Villeneuve Intervention ergonomique et organisation(s) du travail dans un projet de restructuration : le rôle de l’encadrement Christine Pigeyre et Jacques Escouteloup Les paradoxes de la participation dans les projets Christian Martin et Dominique Baradat Simulation et participation Pascal Béguin Synthèse des Journées. Yves Schwartz

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 122 -

Journées 1999 « L’Ergonome et les compétences, les compétences de l’ergonome »

Avant-propos François Daniellou L’ergonome et les compétences, les compétences de l’ergonome François Daniellou et Sophie Aubert Cheminements d’un ergonome sur chantiers Francis Six Dans une pratique institutionnelle, l’ergonome est-il un problème, devient-il soluble ? Pierre Rabardel L’ergonome est la mission du service public. Michel Berthet Témoignage d’un CHSCT : les compétences des ergonomes en situation d’expertise. Jean-Mary Dany, Alain Le Carrour et Alain Rigaud Cinq ans de collaboration pour comprendre et se former à l’approche ergonomique. Jean-Louis Darzacq et Dominique Baradat Des théories implicites (et explicites) du changement chez les ergonomes français et québécois Geneviève Baril-Gingras Le prescrit de la formation face à la réalité de la pratique : les régulations de deux jeunes ergonomes Bénédicte Girard et Patrick Badets Conduite de projet et instruction des choix : un autre regard sur les compétences Elise Ledoux L’action de conception : un nouveau champ de compétences ? Henri Tiger et Alain Jeantet Enseignement, formation et construction des compétences des futurs ergonomes: acquisition d’un regard pour et par l’action Monique Noulin Eur. ERG., est-ce la reconnaissance d’une compétence ? François Hubault et Marie-Christine Le Port

Synthèse des Journées Yves Lichtenberger

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 123 -

Journées 2000 « Les ergonomes, les prescripteurs et les prescriptions »

Avant-propos François Daniellou Les ergonomes, les prescripteurs et les prescriptions François Daniellou et Francis Six Crises et variété des rapports de prescription Armand Hatchuel Le management participatif comme prescription Aline Lewkowitch et Jean Schram La prescription interrogée par le prescrit Philippe Douillet Place de la prescription dans l’intervention de l’ergonome : à propos de quelques exemples Nicole Carlin L’ergonome et les prescripteurs de l’usage du temps Catherine Jonville et Claude Soulas Construction des connaissances et utilisation de procédures Catherine Sauvagnac L’ergonome peut aussi prescrire de l’ergonomie Thierry Roger La légitimité de la prescription dans les projets Jérôme Grall et Christian Martin La prescription, un objet intermédiaire Alain Garrigou, Philippe Dubuc et Jean-Louis Ferrière Agefiph – ergonomes : attentes, représentations et construction d’un partenariat Véronique Chapat et Jean-Paul Parisot L’Aract Aquitaine prescrit-elle ? Angelico Benetti, Dominique Baradat, Catherine Brun et Pascal Huguet Synthèse des Journées Pierre Falzon Le débat continue Prescription, des déterminants de l’activité au pouvoir de prescrire Marilyne Mallot Activité de prescription et processus de prise de décision Bernard Dugué Prescriptions, injonctions et pressions François Daniellou, Jérôme Grall, Christian Martin et Francis Six Et quelques autres réactions

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 124 -

Journées 2001 « L’ergonome et les solutions »

L’ergonome et les solutions François Daniellou L’argumentation en ergonomie : l’accompagnement à la conduite de projet et la construction de solutions Jesùs Villena L’intervention anthropologique ou les dimensions culturelles des solutions Philippe Geslin Restructuration et précarité des solutions Alain Jabès Ergonomie des solutions ou solutions de l’ergonomie : intervenir dans les PME et les TPE Michel Viossat De l’action à l’évaluation : quels indicateurs ? Pierre Pavageau et Annie Touranchet De l’analyse aux résultats, les solutions, une affaire collective Dominique Baradat, Christian Letierce et Christian Martin Des solutions de l’ergonome aux compromis élaborés par les acteurs du changement : quelle place pour l’intervenant dans des processus d’innovation ? François Guérin En quoi la question des solutions pour l’entreprise guide-t-elle la construction de nos interventions ? L’exemple de deux diagnostics courts Cécile Petit et Florent Arnaud De l'ergonomie de problème à l'ergonomie de système : l’ergonome, un ingénieur comme les autres... Michel Mazeau Le rôle de l’ergonome dans la construction et l’évaluation de solutions : produire des exigences argumentées Florence Reuzeau Le pilote, l’ergonome et le GPS Chantal Tannière et Philippe Lautrou La solution en gestion : un concept porté disparu Jean-Claude Moisdon Synthèse des journées : quelques propos sur l'intervention ergonomique Guy Jobert

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 125 -

Journées 2002 « Ergonome interne, ergonome externe,

les formes de l’engagement » Avant-propos François Daniellou Les formes de l’engagement, au pluriel François Daniellou et Christian Martin L'engagement, ses déterminants et ses effets Jacques Curie Engagement sur l’objet, neutralité de la posture : est-ce possible ? Serge Deltor Témoignage d’un consultant interne - Support au changement d’organisation et de pratique Michel Guy La mobilisation collective dans l'entreprise. Condition de l'engagement de l'ergonome externe : qu'on leur coupe le cou ! Fabien Coutarel, Bernard Dugué, François Daniellou, Etienne Menantaud De l’ergonomie parapluie à l’ergonome qui se mouille Laurent Pagnac À l’origine du sens de l’engagement : histoire(s) de l’ergonome ? » Frédérique Guillon Approche collective sur l’emploi et l’organisation du travail dans l’élevage laitier Catherine Brun Quelle lecture de notre métier d’ergonome souhaitons-nous de la part des acteurs d’un projet industriel : notre stratégie, notre positionnement, notre référentiel métier Bernadette Bernadou, Arnaud Courcelle Quels positionnements et engagements des ergonomes face au clivage MO/ME ? Didier Dubourg, Jacques Escouteloup De l'emploi partagé à une pratique partagée : l'expérience de la confrontation de pratiques Sabrina Mérin, Dominique Anouilh L’ergonomie n’est pas une solution, c’est une réponse : à quoi et en quoi l’ergonome s’engage-t-il ? François Hubault "Have I really made a difference? " Reflections on my first 25 years as an ergonomist. Or Evidence Based Ergonomics Peter Buckle S'engager à comprendre le travail Jacques Duraffourg

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 126 -

Journées 2003 « 10 ans de pratiques de l’ergonomie : avons-nous beaucoup changé ? »

Ouverture des dixièmes journées de Bordeaux sur la pratique de l’ergonomie François Daniellou, Bernard Bégaud, Dominique Ducassou, Angelico Benetti Dix ans de pratiques de l’ergonomie : Avons-nous beaucoup changé ? François Daniellou L’évolution du travail depuis deux décennies : intensité et fragilité Serge Volkoff L’aménagement des situations de travail en faveur des travailleurs handicapés : un révélateur de l’évolution de la pratique Pierre Blanc Quelques explications relatives aux évolutions des actions et des métiers du Réseau ANACT, et quelques questions aux ergonomes François Guérin Expertises CHSCT : 10 années de pratique - Evolutions et Réflexions sur la mise en œuvre d’une démarche Raphaël Thaller, Pascal Josse et Philippe Bertannier Variations sur 10 ans de pratique professionnelle Véronique Poète Activité de service : le poids du dossier dans le processus de management « La construction de la décision par le bas » Jean-Michel Laxalt et Johann Petit Réflexion sur le cheminement et le devenir des ergonomes au Québec Nicole Vézina L’intervention du conseiller prévention, une pratique à l’interface d’une double commande Daniel Lavallée et René Brunet Conception et validation Facteur humain en milieu simulé Thomas Autier et Jullian Lopez Évolutions des recherches ergonomiques sur les activités de service Annie Weill-Fassina et Sandrine Caroly 1983 – 2003 : Retour sur 20 ans de pratique de l’ergonomie François Jeffroy L’ergonomie en Aquitaine : la rencontre de volontés individuelles et de besoins socio-économiques Angelico Benetti et Willy Vasse Synthèse des Journées sur la Pratique Mars 2003 : « Avons-nous changé » ? Table ronde

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 127 -

Journées 2004 « L’ergonome et la stratégie de l’entreprise »

Avant-propos - François Daniellou L’ergonome et la stratégie de l’entreprise - François Daniellou L’ergonome et le dirigeant - Jacques Christol Comment l’intervention de l’Aract peut contribuer à réinterroger la stratégie d’une entreprise ? - Francis Zilioli et Véronique Pilnière Agir sur le management et les politiques RH en s’appuyant sur l’analyse des situations de travail de personnes handicapées - Alain Lévénès L’ergonomie, une ressource pour quelle stratégie ? Jean-Paul Mauclaire et Bernard Mélier Projets de direction hospitalière et collaboration d’ergonomes Mireille Cazassus, Bedra Bedr, Pascale Freigneaux et Pierre Richard L’ergonomie inscrite dans la stratégie de l’entreprise : l’expérience du projet A380 Bernadette Bernadou, Julien Falgayrat et Guy Weissenbacher Les 35 heures en chantier : quand la direction décide de ne pas exclure les conditions de travail et la santé - Sandra Sablon et Jean-Claude Pastot Négociation collective et stratégies d’entreprise Bernard Dugué Le Schéma Directeur Général, un outil stratégique de référence Christian Martin Les ateliers Comment développer politique et prospection commerciales Animateur : Tchibara Aletcheredji Intervenants : Marie Christine Le Port, Damien Huyghe et Thierry Morlet Comment recrute-t-on un ergonome ? Animateur : Stéphane Denis Intervenants : Thierry Roger, Serge Deltor et Henri Fanchini. Fil Rouge L'ergonome et la stratégie de l'entreprise, un retour sur les trois journées de débats Johann Petit

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 128 -

Journées 2005 « L’ergonome dans les collaborations multiprofessionnelles »

Ouverture - Dominique Baradat Ouverture du thème - L’ergonome dans les collaborations multiprofessionnelles François Daniellou, Brahim Mohammed-Brahim Clés pour des interventions multidisciplinaires réussies : l’expérience grecque Dimitris Nathanael De l’aménagement d’un poste de grattage de gésiers à la conception d’une nouvelle salle d’éviscération de canard gras par une approche pluridisciplinaire Patrick Campedel et Gabin Gindro L’ergonome et ses rencontres dans l’industrie automobile : l’apport de la connaissance des organisations à l’action en ergonomie - Véronique Godard Les coopérations en prévention dans le monde agricole - Franck Chabut et Claude Duverneix Mêlez-vous de ce qui vous regarde ! - Gérard Bouché Ergonomie et santé au travail, quels enjeux, quelles coopérations possibles ? Danièle Estève, Stéphane San Millan, Lucie Nouviale et Aurélie Tondoux Les approches pluridisciplinaires, en parler ou en faire - René Gamba Quels pouvoirs d’agir pour quels acteurs ergonomiques ? Pierre Rabardel Dimension collective de l’activité et instrumentation de gestion : un lien indissociable Philippe Lorino Fil Rouge Thomas Autier et Jullian Lopez Les ateliers Quelle est la place de l’écrit dans l’intervention ergonomique ? Faut-il laisser beaucoup de traces écrites ? L’écriture électronique a-t-elle des effets différents sur les acteurs des projets ? Animateur : Damien Huyghe Intervenants : Bruno Michel, Pierre Nahon, Jacques Escouteloup et Florence Susset Comment construire soi-même son propre poste, lorsque l’on arrive dans une structure peu habituée à disposer d’un ergonome ? Animateur : Brahim Mohammed-Brahim Intervenants : Cédrik Renault, Frédéric Darmon et Philippe Négroni

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 129 -

Journées 2006 « La place de l'évaluation dans la pratique de l'ergonome »

Ouverture - Dominique Baradat La place de l’évaluation dans la pratique de l’ergonome - François Daniellou Evaluer pour améliorer : les principes à suivre pour mener des évaluations constructives et utiles Diane Berthelette L’évaluation au-delà des outils, une construction sociale pour la prévention Emmanuel Albert, Aurélie Landry et Isabelle Mary-Cheray De l’évaluation à la projection: agir dans un cycle continu pour améliorer les conditions de travail Cyril Bourgeois et Thierry Lemoine Quand l'exploitant est intégré à la conception, quel regard porte-t-il sur l'action de l'ergonome ? Jérôme Grall et Henri Rachou L’évaluation ou comment appréhender les décalages entre Objectifs et Résultats Sébastien Arnaud L’évaluation de l’ergonomie dans les programmes architecturaux par et à travers les jurys de concours Jean-Luc Reinero Déterminer la valeur et l'importance d'une intervention : l'ergonome confronté encore à la mesure, à la subjectivité et à la finalité de son action Fabrice Bourgeois L’évaluation comme porte d’entrée de l’ergonome dans le champ du produit : 12 ans de pratique au travers de 4 exemples Damien Huyghe et Stéphane Denis Essai d’évaluation d’une formation à l’ergonomie sur les pratiques professionnelles des préventeurs Michel Duwelz et Jean-Jacques Verdebout Fil rouge : La place de l’évaluation dans la pratique de l’ergonome - Pierre Falzon Les ateliers : La pratique en pratique Accueil des jeunes ergonomes dans le cabinet Animateur : Jacques Escouteloup Intervenants : Jacques Duraffourg, Eric Hermann et Chantal Tannière Collaboration ergonomes interne / externe Animateur : Jean-François Thibault Intervenants : Jean Schram, Irène Rousselot, Anne Grunstein et Sonia Sutter NB : Rachid Salmi n’a pas souhaité que sa communication orale soit publiée ici, car elle s’appuie sur des travaux à paraître par ailleurs.

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 130 -

Journées 2007 « Quand l'ergonome fait travailler les autres est-ce de l'ergonomie ? »

Quand l’ergonome fait travailler les autres, est-ce de l’ergonomie ? François Daniellou et Christian Martin Ni avec toi, ni sans toi : joies et frustrations dans les pratiques métissées de l’ergonomie Jesús Villena-Lopez Faire travailler les autres ? Le cas des expertises CHSCT sur la souffrance au travail Solange Lapeyrière et René Gambin Quelles modalités d’action de l’ergonome sur un projet architectural de huit ans, bilan et perspectives. Jérôme Grall et Nadine Soubrier Les formes de mobilisation d’autrui dans l’intervention ergonomique et leurs enjeux. Sous-traitance, délégation, partage ? Tchibara Aletcheredji De l’implication des acteurs dans l’intervention à des questions de recherche sur la pratique en ergonomie Sandrine Caroly Les directeurs des opérateurs comme les autres Dominique Baradat, Véronique Carrère et Laurent Egal L’intervention outillée : témoin d’un passage à témoin Pierre Etcheverry et Christian Martin Histoires de réseaux en ergonomie : Comment tisser sa toile ? Arnaud Tran Van, Yannick Grasser, Alexis Pallot et Willy Vasse Retours sur une expérience de recherche-action sur l’intensification du travail Bernard Dugué et Jean-Francis Lacombe Positionner les conditions de travail dans un projet sous fortes contraintes : la mise en place de tableaux de bord Pascale Bossard et Romain Chevallet L’animation des groupes et la transmission du savoir des ergonomes Pierre Nahon Fil Rouge Thierry Morlet

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 131 -

Journées 2008 « Diversité des domaines d’intervention, nouvelles pratiques de l’ergonomie :

Qu’avons-nous encore en commun ? » Ouverture des Journées de Bordeaux Jean-François Thibault Diversité des domaines d’intervention, nouvelles pratiques de l’ergonomie, qu’avons-nous encore en commun ? François Daniellou Différentes fonctions, différents champs : quelle influence de l’ergonomie ? René Amalberti À la rencontre de l’Interaction Homme-Machine. Quid de nos pratiques et de notre positionnement Annie Drouin Ma pratique de consultante en ergonomie Catherine Servignat Variations autour de la pratique de l’expertise CHSCT Philippe Buet, Eloïse Galioot De l’angoisse à la méthode ou le nécessaire équilibre entre nature et fonction pour l’ergonome en service de santé au travail Olivier Lhospital, Isabelle Bidegain, Caroline Mange Les salles de contrôles, pratique ergonomique et développement Raymond Lu Cong Sang Ergonomes-chargés de mission : l’objet travail n’est-il pas en train de nous échapper ? Bertrand Poète Intervenir en maintien dans l’emploi : une démarche commune dans un contexte particulier ? Mélanie Sapet Comment développer l’ergonomie dans un groupe industriel international quand simultanément le métier se construit ? Claude Dornic Le métier de contrôleur sécurité au service prévention de la CRAM Aquitaine Nicolas Bourdonneau Intervention ergonomique et recherche interactive Jörgen Eklund Piloter le département santé travail de l'ANACT : en quoi l'ergonomie est une ressource ? Jack Bernon Diversité des domaines d’intervention, nouvelles pratiques de l’ergonomie : Qu’avons-nous encore en commun ? Laurent van Belleghem

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 132 -

Journées 2009 « L’ergonome et les débats sur la performance de l’entreprise »

L’ergonome et les débats sur la performance de l’entreprise François Daniellou Conditions de travail et performance Jean-François Thibault Le personnel soignant à l’épreuve de la performance dans un service de gérontologie Corinne Gaudart L’action syndicale face aux indicateurs de performance de l’entreprise : exemple dans le secteur de l’automobile Karine Chassaing, Serge Dufour Travail, organisation et performance dans les structures des services à la personne Frédéric Dumalin Performance et santé : l’équation est-elle possible ? Questions d’une jeune ergonome engagée dans ses premières interventions Dorothée Aucher Intégrer ou pas une démarche Lean : quels enjeux pour la santé ? Isabelle Jay L’influence sur la performance de l’entreprise : quelles marges de manœuvre pour l’ergonome en SST ? Cyril Leboucher, Stéphane Porot Atelier « La pratique en pratique » Trois expériences d’ergonomes relatives à la performance Jérôme Grall, Bernard Mélier, Sophie Aubert, Thierry Morlet Ergonomie Interne et Performance de l’entreprise. Exemple du Lean Manufacturing Alexandre Morais Economie de service, économie immatérielle, économie de la fonctionnalité, des raisons qui recentrent la performance sur le travail. François Hubault Pertinence et efficacité de l’apport de l’analyse ergonomique en temps de crise Bruno Michel Fil rouge Pascal Lièvre

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 133 -

Journées 2010 « L’ergonome et les gestionnaires des ressources humaines :

Intervenir pour prévenir les risques du travail »

L’ergonome et les gestionnaires de ressources humaines : intervenir pour prévenir les risques du travail François Daniellou Contribuer à la réflexion sur des actions de prévention et de formation nationales à partir d’une intervention locale : le cas de l’horticulture Corinne Agostini, Valérie Pueyo Conception d’un système de formation : D’une expérience locale à l’inscription dans un projet d’industrialisation Bernadette Bernadou, Marie-Pierre Poulossier Carrières des ergonomes, regard décroisé d'un responsable RH et d'un ergonome Damien Huygue De l’ergonomie à la gestion du travail : une démarche précoce pour prévenir les situations de handicap au travail Florence Gautronneau, Samuel Libgot La contribution de l’ergonome aux simulations organisationnelles : exemple dans une entreprise de pétrochimie Ivan Boissières, Alain Garrigou Quand les Ressources Humaines rencontrent l'ergonomie pour se mettre au service de la prévention Cécile Gatard De la maladie du travail à la maladie au travail : témoignage Dominique Baradat, Patrick Leclerq Quand la prévention de l’usure professionnelle réinterroge des dispositifs de DRH Daniel Depoisier Ne dites pas à ma mère que je suis Ergonome en formation, elle me croit toujours DRH Christine Denis-Lutard, Alain Lévénès Du raisin au vin : quelle place pour la prévention dans un projet de conception ? Joffrey Beaujouan, Sophie Poulalion Fil rouge Serge Volkoff La pratique en pratique « Revenir après l’intervention » Animation : Sophie Aubert Intervenants : Vincent Guilloux, Aude Jonville, Pierre Richard

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 134 -

Journées 2011

« L’intervention de l’ergonome sur les nouvelles organisations : Enjeux de santé et de performances »

Introduction du thème : L’intervention de l’ergonome sur les nouvelles organisations : Enjeux de santé et de performances François Daniellou, Sophie Aubert-Blanc

Le rôle des consultants dans la diffusion des transformations organisationnelles Valérie Boussard

Logistique rationalisée à l’hôpital : l’homme facteur de risque ou facteur de gain ? Chantal Tannière, Pascal Fourrier

Le Lean et les Lean : marges de manœuvre de l'ergonome et conséquences sur les conditions de travail des opérateurs Laurence Bellies, Willy Buchmann

Quand le Lean rencontre l’ergonomie… L’exemple de Coloplast Xavier Merlin, Jean-Yves Dauba

Comprendre le lean pour l’appliquer ? L’expérience d’une ergonomie-formatrice lean Emilie Marc

Lean Management : avec ou sans modèle du fonctionnement humain ? Bernard Michez

Le lean et l’anguille : comment cuisiner le lean ? Emmanuelle Florence

Accompagnement d’un test de préparation des commandes par reconnaissance vocale dans une base logistique de la grande distribution Thierry Pradère

Nouvelles organisations et vieilles recettes tayloriennes Bernard Dugué, Johann Petit

Les évolutions organisationnelles dans les universités françaises : quelles conséquences pour l’enseignement et la recherche en ergonomie ? Fabien Coutarel, François Daniellou

Atelier sur la pratique « Savoir dire non et pouvoir le dire … une problématique de praticien » Animateur : Thierry Morlet

Participants : Chrystel Plenet, Arnaud Désarménien, Yves Mémeteau

Fil Rouge Fabrice Bourgeois

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 135 -

Journées 2012

« L’ergonome et la pénibilité du travail »

Introduction des 19e Journées de Bordeaux sur la pratique de l’ergonomie L’ergonome et la pénibilité du travail François Daniellou La prise en compte de la pénibilité au travail : définition, compensation et prévention Annie Jolivet Négociation et confrontation au réel en matière de pénibilité Xavier Haubry Loi sur la pénibilité : un levier pour l’ergonome dans la mise en place d’une politique d’amélioration des conditions de travail chez Servair Stéphane Gillot De la pénibilité à la prévention de l’usure professionnelle Jean-François Thibault et Ludovic Bugand Réduire la pénibilité en mutualisant le travail, les équipements, les compétences et le revenu Maryline Mallot et Pierre Lafragette Des simulations pour comprendre comment se fabrique la pénibilité Sandrine Nahon et Eric Fortineau Prévention intégrée à la conception en pôle Urgences Marjorie Vonwyl « Là où l'ergonome passe la pénibilité trépasse ? » Accompagnement d'une entreprise du secteur agroalimentaire sur les questions de pénibilité Jean-Baptiste Lépy et Didier Boudy Quels enseignements tirer d’une démarche sur les risques psychosociaux pour réfléchir à l’application du décret sur la pénibilité ? Le cas d’une grande entreprise de distribution Véronique Poète Comment une intervention ergonomique dans le secteur du BTP contribue à rendre lisible la pénibilité tant du point de vue juridique que normatif ? Jean-Luc Reinero Usure et ressenti : une expérimentation de prévention en Santé au travail Dr Alain Carbonne-Blanqui, David Habatjou et Thierry Paravis Atelier La pratique en pratique : Entendre, comprendre et traiter les demandes en matière de pénibilité : quelle posture des ergonomes ? Christian Revest, Pascale Bossard et Stéphane Lauret Animé par Thierry Morlet et Jérôme Grall

Les ergonomes et la pénibilité du travail : quels enseignements retirer de ces trois jours ? Joffrey Beaujouan et Samuel Le Gal

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 136 -

Journées 2013

« Nouveaux enjeux de la pratique professionnelle des ergonomes »

Introduction des 20e Journées de Bordeaux sur la pratique de l’ergonomie Nouveaux enjeux de la pratique professionnelle des ergonomes Sophie Aubert et Johann Petit Prospectives des systèmes de production. Quels enjeux pour l’ergonomie ? Sandrine Caroly Agir sur la santé à l’échelle d’une branche professionnelle Betty Vadeboin, Sébastien Arnaud, Jérôme Grall et Michel Plassart 50 ans de la SELF : retour prospectif sur des débats toujours d’actualité François Hubault Agir sur un territoire viticole - Les apports de l’ergonomie Laurence Vergneaux, Xavier Merlin et Séverine Curaudeau-Camus L’intervention ergonomique au service de la construction d’une politique régionale de prévention dans le secteur du spectacle vivant, cinéma et audiovisuel Catherine Pinatel Quand nos échecs construisent nos réussites Thierry Morlet Table ronde : la pratique en débat Les enjeux du développement de l’ergonomie à l’international dans les grandes entreprises Pierre Olivier, Alexandre Morais et Arnaud Courcelle Le client m’a dit « mais qu’est-ce que le risque chimique a à voir avec l’activité de travail ? » Je vais vous dire ce que je lui ai répondu et ce qu’il en a conclu Brahim Mohamed-Brahim De l’injonction de sécurité à la recherche d’effectivité : comment changer les logiques managériales et infléchir les processus de décision ? Hervé Lanouzière Ergonomie et Développement Durable Francisco Duarte Fil rouge François Daniellou

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2014

- 137 -

Version numérique des Actes

des Journées de Bordeaux sur la pratique de l’ergonomie 2014 Disponible en ligne gratuitement sur www.jdb-ergonomie.fr

Vous êtes libres de reproduire, distribuer et communiquer ce document en citant sa source exacte.

Aucune utilisation commerciale n’est permise.

Bordeaux, janvier 2016

Les managers travaillent-ils ? Oui, comme tout autre travailleur.

Même si la réponse à cette question semble évidente à tout ergonome, le travail des managers fait peu souvent l’objet de débats dans la communauté d’ergonomes pour questionner nos démarches d’intervention. On parlait il y a quelque temps du travail des cadres. Est-ce que le manager « prend la place » du cadre ? Le choix des mots n’est pas anodin, la réflexion des ergonomes doit probablement intégrer l’omniprésence du terme de « management », de « manager » dans les entreprises. Les débats sur le travail des cadres sont-ils transposables à ceux sur le travail des managers ? Cela mérite dans tous les cas d’être posé et ce d’autant plus, qu’au rythme des évolutions globales du travail et notamment de son intensification, le travail des managers a fortement évolué ces dernières années. Pour l’ergonome, le manager n’est plus seulement celui auprès de qui il faut se positionner pour garantir une influence sur les situations de travail, il est aussi celui qui, soumis à des contraintes quotidiennes, essaie tant bien que mal de faire un travail de qualité. Son travail et sa santé deviennent des objets de débats au sein de l’entreprise.

Cette question du travail des managers au regard des interventions des ergonomes sera abordée à travers :

• La description du travail des managers, avec notamment la mise en avant des contraintes, des rôles, des difficultés et des marges de manoeuvre, à partir de témoignages de professionnels concernés;

• Les coopérations entre ergonomes et managers dans le cadre d’intervention sur l’organisation;

• Et enfin, la problématique de la formation des managers et du rôle des ergonomes.

Comme toujours, les présentations sur les succès, écueils et échecs d’interventions ergonomiques serviront de matériau à de long temps de discussion sur le métier.