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Collection Actes 22 e Journées de Bordeaux sur la pratique de l’ergonomie 18, 19 et 20 Mars 2015 Travail de qualité, emploi durable, performance globale

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Collection Actes

22e Journées de Bordeaux sur la pratique de l’ergonomie

18, 19 et 20 Mars 2015

Travail de qualité, emploi durable, performance globale

Bordeaux INP

Équipe d’ergonomie

Travail de qualité, emploi durable, performance globale

Actes des

22e Journées de Bordeaux sur la pratique de l’Ergonomie

Mars 2015

Organisées avec la collaboration de l’ARACT Aquitaine et le soutien financier de l'ANACT et du Conseil Régional d’Aquitaine

Textes rassemblés par Damien Cromer

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Les 22e Journées de Bordeaux sur la pratique de l’Ergonomie 18, 19 et 20 mars 2015

Comité scientifique Sophie Aubert, Dominique Baradat, Joffrey Beaujouan, Nicolas Bourdonneau, Franck Chabut, Karine Chassaing, Fabien Coutarel, François Daniellou, Didier Dubourg, Bernard Dugué, Jérôme Grall, Damien Huygue, Olivier Lhospital, Thierry Morlet, Johann Petit

Comité d’organisation Damien Cromer, Jacques Escouteloup, Gaëtane Stinglhamber, Nelly Troadec

Logistique et transcription des enregistrements Coordination des étudiants : Damien Cromer Équipe Master 2 coordonnée par Carole Barthélemy et David Combemorelle : Céline Berthelot, Sandra Boulay, Anaëlle Carreau, Alison Chiché, Kali Court, Thierry Decool, Jean-Mickaël Dupuy, Déborah Gaudin, Salim Hammi, Paul le Villain, Barbara Lepage, Fabian Lévesque, Myra Mitko, Marion Noleau, Laurent Robelin, Camille Rocher Équipe Master 1 coordonnée par Quentin Dubedat et Alexandre Lacroix : Justin Cagnolo, Alexandre Dehez, Jeanne Duhil de Benaze, Julian Dupont, Amina Ennouri, Afef Faddaoui, Guillaume Goubier, Léna Gumery, Laurie Mage, William Masse, Mirtha Mestanza, Hélène Paras, Mailys Poisson, Charlène Renard, Marilène Sériau, Nicolas Simonazzi, Camille Toulisse, Thomas Vincent, Adam Zerdoumi

Mise en forme des actes Damien Cromer

Merci à toutes et à tous !

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Travail de qualité, emploi durable, performance globale

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Sommaire Introduction aux 22e Journées de Bordeaux sur la pratique de l'ergonomie Travail de qualité, emploi durable, performance globale…………………………………………………..5 François Daniellou, Serge Volkof Jeunes travailleurs dans les mines⏐Pratiques d’ergonomes……………………….…………………..23 Élise Ledoux De la pénibilité réglementaire au développement de la performance…………………………………..28 Vincent Guilloux L'accompagnonnage du changement dans l'entreprise Forge de Laguiole : "Autour du métier dans la trame du changement, tisser des fils d'or reliant travail, santé et performance globale de l'entreprise"………………………………………………………………………..34 Hugues Chambon, Thierry Moysset Les enjeux de l’analyse de l’activite dans le de veloppement de l’employabilite : l’exemple de la formation S.T.E.P chez Vinci……………………………………………………………………………….....41 Alain Delage Prendre en compte le travail dans les processus de recrutement et d’intégration…………………..45 Fabrice Cloarec, Olivier Foschia, François Fourton R.I.F ou l'émergence d'une fonction dans l'organisation : temoignages croises, ergonome-R.I.F, sur un long processus………………………………………………………………………………………….52 Sophie Aubert, Catherine Cerezuela-Penabayre Management des conditions de travail, ergonomie et developpement durable………………………61 Sylvain Biquand, Benoit Zittel, Johnathan Belmont Atelier interactif des Journées de Bordeaux Comment les appels d’offres réinterrogent/façonnent-ils la pratique de l’ergonome ?....................67 Animé par Laurent Van Belleghem Développer l’emploi durable par l’introduction d’une nouvelle technologie………………………….93 Laurent Salles, Nicolas Boizumeau L’évolution de la fonction d’accueil dans la banque entre enjeux de qualite de service et de travail de qualité………………………………………………………………………………………………………..100 Ludovic Ponge Comment la prise en compte du travail et de la santé des femmes et des hommes contribue à questionner et transformer l’organisation du travail, les contraintes de travail, le management et les parcours ainsi que l’articulation des temps ?...............................................................................107 Florence Chappert Fil Rouge………………………………………………………………………………………………………...114 Dominique Lhuilier Au sommaire des Journées précédentes………………………………………………………………….122

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Introduction du thème Travail de qualité, emploi durable, performance globale

Serge Volkoff Statisticien, HDR en ergonomie, CEE, GIS-CREAPT, Noisy-le-Grand

François Daniellou Professeur, département d’ergonomie, ENSC, Bordeaux INP

François Daniellou

Nous allons faire un duo avec Serge Volkoff pour essayer d’introduire ce large thème. Je vais commencer par la question : est-ce que l’ergonomie est ou a été prise au piège du temps court ? S. Volkoff développera les enjeux de long terme pour les opérateurs et les évolutions de long terme dans le monde du travail. Enfin je parlerai des enjeux pour les organisations et bien sûr des enjeux pour l’intervention, puisque c’est ce qui nous rassemble.

L’ergonomie est-elle prise au piège du temps court ?

1. L’activité est la mobilisation de l’être humain pour réaliser les tâches Il est bien connu que ce qui unit les ergonomes, c’est qu’ils sont myopes et qu’ils regardent l’activité de très près, à la loupe. Jusqu’aux années 1980, ce qui était sous la loupe de l’ergonome, c’était le couplage que l’activité réalise entre les caractéristiques personnelles des opérateurs ou des opératrices et les caractéristiques de la situation de travail, pour produire une réponse pertinente, toujours unique. Dans un premier temps, l’activité était donc la mobilisation de l’être humain, des femmes et des hommes, pour réaliser les tâches. Ensuite les déterminants de l’activité que les ergonomes ont pris en compte se sont élargis. Ils ont intégré que les caractéristiques personnelles de chacun sont pleines d’histoire vécue, c’est la question de la subjectivité ; que, comme J. Curie disait « Chaque système d’activité est informé et consulté par les autres systèmes d’activité », c’est notamment la question du travail et du hors-travail. On s’est rendu compte aussi que les tâches n’étaient pas seulement dans la fenêtre d’observation de l’ergonome et qu’elles résultaient de processus de décision situés dans le temps et dans l’espace, parfois sur d’autres continents. La dimension des collectifs s’est développée, avec aussi l’idée que les collectifs ont des histoires, qu’il y a des histoires de métiers et de cultures. Les déterminants de l’activité à prendre en compte étaient beaucoup plus larges que ce qu’on avait initialement défini.

2. L’activité est une tranche de vie On est ainsi passé de l’idée que l’activité était la mobilisation des femmes et des hommes pour réaliser les tâches à l’idée que ce qu’on observe est une tranche de la vie de quelqu’un, qui a des déterminants dans le travail et hors du travail et que les déterminants ne sont pas tous dans la fenêtre d’observation. Pour comprendre les compromis que font les femmes et les hommes pendant qu’on les observe, il faut déborder de notre fenêtre d’observation spatiale et temporelle. Les choses se sont précisées notamment avec l’habilitation de C. Gaudart, qui décrit chaque situation de travail comme traversée par un grand nombre de temporalités. • Il y a le temps de la société : par exemple le regard que la société porte sur les gens de 55 ans. Il fut une époque où il était bien que les gens de 55 ans prennent une retraite anticipée. Maintenant, ce qui serait bien c’est que les gens de 55 ans travaillent jusqu’à 65 ; cela veut dire que la société ne porte pas le même regard. Ceci va évidemment se retrouver dans la situation de travail.

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• Le temps de l’entreprise, le temps de fusions, le temps des changements d’actionnaires, le temps des développements technologiques, de l’évolution des produits, etc. Ces temps vont avoir des conséquences directes dans la situation de travail. Autrefois dans cette maison de retraite, il y avait beaucoup de gens qui étaient valides et maintenant il n’y a plus que des gens très peu autonomes. Les caractéristiques de l’objet du travail changent. Cela peut être les voitures que l’on monte ou la nature des dossiers. • Bien sûr le temps de la personne. • Et puis le temps des collectifs qui ont pu se construire, qui ont été abîmés, mis à mal… Ce que dit C. Gaudart, c’est que l’activité dans la situation de travail est toujours tendue, sur toutes ces temporalités, entre des champs d’expérience de la mémoire, de l’histoire, du vécu et ce qu’elle appelle les horizons d’attente. Ces différentes temporalités sont ainsi tendues vers des formes de futur qui ne sont pas forcément les mêmes pour toutes. Et pour C. Gaudart, l’activité suppose toujours de gérer ce carrefour de temporalités. L’activité est prise dans les temps de l’entreprise, de la société, de la personne… Il faut faire avec et cela fait partie de l’activité que de gérer ces carrefours de temporalités. Certaines temporalités vont bien ensemble, et d’autres non. Par exemple, le temps du regard de la société sur les gens de 55 ans ne va pas bien avec ce qu’on sait de l’état de santé de beaucoup de salariés de 55 ans. Dans cette situation, un ou une ergonome va intervenir. Cette intervention a un début et une fin, elle a une durée. Dans cette durée il n’y a évidemment ni le passé ni le futur. La question est donc : l’ergonomie est-elle prise au piège du temps court, du temps de l’intervention ? Comment allons-nous traiter le fait que, dans la situation de travail se jouent tout un passé, beaucoup de champs d’expérience, des futurs possibles et des temps d’attentes qui ne sont pas forcément compatibles entre eux ? La question est : comment, dans la fenêtre de l’intervention, va-t-on réintégrer les questions de l’histoire, de l’expérience, des potentialités que cela représente et les questions du futur ? Autrement dit, comment va-t-on chercher dans l’histoire des germes qui peuvent servir de point de départ pour des projets de développement, coconstruits avec les différents acteurs de l’entreprise, dans ce qu’il est maintenant de plus en plus fréquent d’appeler une intervention capacitante ? Cette dernière est forcément tendue entre les potentialités inscrites dans l’histoire et des projets qui ne sont pas encore aboutis et que l’ergonome va contribuer à construire. Évidemment, cette inscription dans le long terme ne dispense pas de la myopie et de la compréhension fine de l’activité. Une partie de ces germes de développement sont présents dans les tentatives des femmes et des hommes qui essaient de faire bien leur travail, autrement dit de faire un travail dans lequel ils puissent se retrouver, se reconnaître, ou, pour reprendre l’expression de P. Davezies « donner forme humaine à leur travail », dans une organisation qui ne le facilite pas. Cette idée de résistance est une idée importante, je pense. Les salariés se battent dans l’ombre pour essayer de faire bien leur travail dans une organisation, qui dans certains cas ne les aide pas. Un des enjeux de l’ergonomie, c’est le développement. L’idée de développement est celle de poursuivre l’histoire en la réorganisant, en lui offrant de nouveaux chemins. Beaucoup d’histoires différentes vont avoir besoin de se réorganiser, à partir de deux ingrédients. D’une part, il y a des potentialités, des germes, donc des capacités. Et d’autre part la création de nouveaux chemins dépend de ce que Sen appelle les « facteurs de conversion », c’est-à-dire des événements, des méthodes, des processus qui vont faire que ces potentialités se réalisent pour ouvrir de nouveaux chemins à l’histoire. Dans les développements qu’on va essayer de favoriser, il y a ceux de l’activité, c’est la question des marges de manœuvre qui nous est si chère. Il y a la question du développement de la personne, au sens de développer des compétences, mais aussi au sens de développer son pouvoir d’agir, sa capacité d’influencer les situations. Il y a bien sûr la question du développement des collectifs, par le développement d’endroits où il est possible d’avoir une pratique réflexive collective sur son travail. Le

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développement de l’organisation est enfin la question de tous ces développements comme question du développement de l’entreprise. Quel sens allons-nous donner à l’idée de développement social ? L’idée est que, dans toutes nos interventions, quel que soit le niveau, il y a toujours une dimension productive (on va contribuer à l’efficacité des systèmes). Il y a également une dimension constructive, au sens où l’on va essayer de contribuer à des développements des personnes. Nous devons tenir compte que notre intervention se passe dans un contexte plutôt « court-termiste », pour reprendre une expression de C. Gaudart, au sens où les entreprises sont pour beaucoup des organisations « gloutonnes » (high greed organizations) qui veulent tout, tout de suite. La société est plutôt court-termiste, l’action publique aussi. Les médias s’intéressent aux évènements, pas aux dynamiques. Les actionnaires cherchent à avoir un retour sur investissement de plus en plus court. Les demandeurs veulent des réponses immédiates. Une autre difficulté à laquelle nous sommes confrontés est le fait que nos interlocuteurs tournent et que, même s’ils sont mobilisés, ils ne seront plus là à la fin de l’intervention. Il faut donc que nous tenions des enjeux de longs termes dans un contexte où tout tourne, avec des rythmes de court terme.

3. Deux visions du travail qui sont présentes Deux visions du travail sont présentes en philosophie. La première est une vision du travail comme relation aux choses. Il faut bien produire du pain pour qu’on puisse manger ; d’une certaine façon, le travail est un mal nécessaire, avec l’idée que, moins on en fait, mieux on se porte. Ce qui serait important, c’est de réduire le plus possible le poids du travail pour fabriquer du temps libre. Dans cette vision, le travail est la fabrication de quelque chose qui a été pensé à l’avance par d’autres, c’est donc la fabrication d’une fin prédéfinie dans un cadre normé. C’est aussi, dans cette manière de penser, l’idée que le travail serait comme un gâteau fini qu’il faudrait partager. Cette vision est d’abord la vision du travail des Grecs : le travail, c’est pour les esclaves ; les hommes libres s’occupent de politique, d’action. C’est le regard sur le travail que portent de nombreux philosophes. Nous sommes porteurs d’une autre vision du travail : le travail est une relation aux autres à travers les objets. On n’est pas dans la seule réalisation par la fabrication de quelque chose qui aurait été totalement défini à l’avance par d’autres. Faire bien son travail, c’est générer progressivement des objectifs, qui ont un rapport avec les objectifs de l’entreprise, mais qui reflètent aussi nos valeurs, nos croyances, ce que nous sommes. L’action subjective ne se contente pas de réaliser des fins déterminées en dehors de nous, mais va générer progressivement les objectifs propres du travailleur. Cela va supposer de jouer avec les normes de la situation, pas simplement de les intégrer. D’une certaine façon c’est la vie, le mouvement de la vie dans les collectifs. Quand cela se passe bien, cela contribue positivement à la santé. Évidemment, la première vision est majoritaire. Si c’est la vision des philosophes grecs, c’est aussi la vision de beaucoup de représentants du personnel, de membres d’organisations syndicales. C’est typiquement la vision à partir de laquelle a été construite l’idée des 35 heures, de réduction du temps de travail. Et évidemment on ne peut pas lui enlever toute pertinence dans la mesure où on voit les délocalisations, la mondialisation, le chômage massif, etc. Cette idée de travail aliéné a du sens. Mais nous sommes porteurs de l’idée que, dans le meilleur des cas, le travail a d’autres dimensions que cela. Nous avons à tenir cette affirmation face à une vision où protéger des effets néfastes du travail, ce serait simplement en diminuer le poids. Des gestionnaires avec lesquels nous travaillons disent que ce qui est frappant chez nous, les ergonomes, c’est que nous sommes porteurs d’un regard sur l’homme, d’un regard sur le travail, qui d’une certaine façon constitue une anthropologie originale.

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4. L’épaisseur du travail Dans le travail, le salarié est là avec toute son histoire, son expérience, les traces dans son corps, son horizon d’attente et de projets, ses contraintes et ressources familiales, ce qui compte pour elle ou lui. Cela veut dire que le travail est beaucoup plus « épais » que ce qu’on pourrait croire spontanément. Les compromis que le salarié fait, pour essayer de donner forme humaine à son travail, se passent sous le regard de beaucoup d’acteurs, en fonction d’eux, avec eux, pour eux. C’est le sens de la formule célèbre de Friedman en 1953, « L’homme est plus grand que sa tâche ». Ou de celle de J. Curie, qui en 1996 dans le livre d’épistémologie de l’ergonomie avait écrit « A la différence de la majorité des approches en psychologie, l’ergonomie ne voit pas l’homme comme une variable d’ajustement, mais cherche à agir sur les situations de travail pour qu’elles permettent à l’homme de croître. »

Enjeux de long terme entre travail, santé, âge, expérience, formation, emploi

Serge Volkoff

Explication à partir d’un exemple provenant d’une étude ancienne faite avec Dominique Dessors et Jean Schram dans le cadre d’une étude sur les conditions de travail antérieures dans l’itinéraire de personnes au chômage. Prenons l’exemple d’un monsieur de grande taille ; comme c’est souvent le cas, il a été grand très tôt. Il était enfant de paysan et a donc dû donner un coup de main à la ferme depuis son plus jeune âge. Vous le savez peut-être, mais quand on est un enfant de grande taille, dans un milieu comme celui-là, on est perçu comme grand en âge, d’une certaine manière. On lui a ainsi confié des tâches qu’on ne confie pas habituellement à un enfant de 12 ans parce qu’on attend qu’il en ait 16. De plus, cet enfant a un rachis plus fragile du fait de sa croissance précoce et importante. C’est en discutant avec lui que l’on a reconstitué toute cette partie-là de son parcours dont il était parfaitement conscient et qu’il incriminait dans ce qui lui est arrivé ensuite. Il passe un CAP d’outilleur, très brillamment. Puis, il trouve un travail comme outilleur sur une machine-outil dans une entreprise de taille moyenne. Il est ensuite formé sur machine-outil à commande numérique. Il devient l’un des ouvriers vedettes de son entreprise. Il est extrêmement bien considéré et l’employeur fonde sur lui de très grands espoirs. Cependant ce travail lui demande, pour un homme d’1m95, de se pencher beaucoup puisqu’il s’agit d’être précis dans les gestes. Par conséquent, il continue à solliciter énormément ses vertèbres lombaires. L’affaire ne finit pas bien du tout puisqu’il se retrouve avec une hernie discale à 30 ans, qu’il doit opérer. Quand il revient d’opération, son état de santé ne s’est pas réellement amélioré. Le médecin du travail est finalement obligé de le mettre inapte machine, ce qui représente pour lui une contre-indication majeure. Vous avez là un exemple de la rencontre entre enjeux de santé et enjeux de compétences. En effet, il est précisément inapte pour raison de santé à un travail pour lequel il est hyper apte compte tenu de ses compétences. Il ne sait faire que cela et il le fait extrêmement bien. Malheureusement, la fin de l’histoire est assez classique. L’entreprise, qui l’appréciait beaucoup, ne l’a pas licencié

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dans l’immédiat, mais l’a reconverti au magasin. Il s’est débrouillé comme il a pu, car il n’était pas magasinier. À ce moment-là, il est en perte d’identité professionnelle et ressent toujours des douleurs. Par la suite, une partie du magasinage a été sous-traité à l’extérieur pour cause de restructuration. Comme il dit lui-même : « ce n’est pas qu’ils m’ont viré, mais c’est qu’ils ont gardé les bons. » En effet dans ce magasin de 7-8 personnes, ils n’ont gardé que 3 personnes et il n’en faisait pas partie. Face à cette situation, Pôle Emploi (ANPE à l’époque) ne savait pas comment il était possible de réguler sa trajectoire, compte tenu de cette tension entre ses problèmes de santé et les compétences pour lesquelles il avait été formé. Vous voyez déjà à quel point ce résumé lapidaire de 30 et quelques années de sa vie imbrique des aspects d’histoire très personnelle de santé éventuellement ancienne, des aspects d’emploi, des aspects de formation, de travail, etc. Dans cet entrelacs que j’ai essayé d’illustrer par cet exemple, on a essayé avec l’équipe du CREAPT de mettre un petit peu d’ordre. Le modèle que je vais vous présenter brièvement essaye de le faire. L’idée est de représenter cela par une double flèche, celle marquée T comme travail et l’autre S comme santé, avec des débuts un peu en pointillés puisqu’on travaille une période, on reprend des études, on retravaille et en général, la vie de travail s’interrompt avant la fin de la santé qui est la fin de la vie (les phrases qui suivent commentent les flèches une à une).

La vie de travail influence l’espérance de vie (l’exposition aux CMR, le travail de nuit, etc..). Elle influence aussi la santé au grand âge (avec les effets à long terme bien démontrés sur l’appareil ostéo-articulaire). Il en est de même sur l’état de santé juste avant la retraite. Ceci rejoint la contradiction dont parlait F. Daniellou sur les quinquagénaires quand on prétend à la fois qu’il faut qu’ils allongent leur vie professionnelle, mais en même temps ils ont des problèmes de santé parfois dus à leur travail. Cette santé à son tour influence les possibilités de partir à tel ou tel âge. Puis, tout au long de la vie professionnelle, il y a des interrelations plus ou moins complexes, plus ou moins différées entre les aspects du travail, les aspects de la santé. Et tout cela, en plein milieu, est médiatisé par l’activité de travail qui essaye de réguler l’ensemble à un moment donné. On retrouve ici l’idée de ce qu’il se passe éventuellement dans la fenêtre au travers de laquelle l’ergonome a la possibilité d’essayer de comprendre les choses. Cette forme de régulation par l’activité de travail, qui est peut-être ce qui intéresse le plus directement l’ergonome, a été beaucoup analysée par notre propre équipe. On va retrouver ici dans un instant C. Gaudart à qui F. Daniellou a fait beaucoup allusion dans son introduction. Je repars de connaissances d’où elle-même est partie, en rappelant un petit modèle très synthétique proposé par

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T.Salthouse, un psychologue du travail américain, grand spécialiste sur le vieillissement au travail plutôt du côté des exigences cognitives. Cet auteur pose l’idée que l’âge a des effets, d’une part positifs en termes de construction d’expériences, d’autre part éventuellement négatifs sur un certain nombre de processus cognitifs de base (facultés de la mémoire immédiate, de la détection signal/bruit, toute une série de caractéristiques du fonctionnement mental que les tests psychotechniques détectent bien). Mais il peut tout de même y avoir d’après ce psychologue, un plus à ces processus cognitifs de bases qui vient de l’expérience. Elle joue éventuellement un rôle de construction, y compris du côté des processus cognitifs de base. Il y a d’ailleurs des travaux récents de l’équipe de VISAT à Toulouse (l’enquête vieillissement santé travail), qui le démontrent de manière extrêmement forte et probante. C’est cet ensemble-là que l’on est supposé pouvoir retrouver dans la performance au travail avec des apports a priori positifs de l’expérience et des apports positifs et négatifs des effets de l’âge via les processus cognitifs de base et la révolution de la vie professionnelle. C. Gaudart avait construit sa thèse à l’époque en proposant un modèle qui déplaçait les points de vue par rapport à ce qu’analysait ce psychologue américain. Une approche plus ergonomique cette fois, avec un modèle que nous appelons dans l’équipe « le modèle de la soupière » parce que cela en a très vaguement la forme. Dans le couvercle de la soupière, on retrouve dans une certaine mesure ce que dit le psychologue. Mais pas tout à fait quand même, dans ce sens où vous voyez une flèche sur la gauche du graphique qui est de dire que le volet déclin du vieillissement est lui-même constructeur d’expérience. Une option, qui a été beaucoup travaillée par C. Gaudart et par d’autres membres de l’équipe ensuite, y compris K. Chassaing, est que l’on se construit aussi l’expérience, sa propre expérience, y compris l’expérience de soi tel que l’on évolue, avec des volets possibles de perte fonctionnelle dans certains domaines. En même temps, à droite et en haut un aspect développemental et c’est tout cela qui se traduit en bas du graphique dans l’activité en situation de travail. Cette dernière est classiquement influencée par les caractéristiques des postes, par l’organisation du travail ; et le produit de son activité rejaillit à son tour sur des dimensions de déclin et sur des dimensions de développement. F. Daniellou vient de le rappeler et je ne veux pas développer cela. Quand on approche une situation de travail, ce que l’on peut essayer de comprendre est un tout petit bout de ce modèle très simple. On prend en compte des éléments liés à l’avancée en âge, qui peuvent être des déclins souvent modérés aux âges de la vie professionnelle, très variables d’une personne à une autre, éventuellement induits par le travail, les traces du travail, ou éventuellement révélés par le travail. Il existe un certain nombre de déficiences, par exemple la souplesse articulaire, dont la déficience modérée n’apparaîtra que si le travail exige de se pencher, s’accroupir beaucoup, etc. On construit en même temps de l’expérience et classiquement nous avons l’habitude d’indiquer que cette expérience alimente une construction de compétences relative à un triplé concernant :

- la tâche : « je connais ce travail, je le fais depuis assez longtemps, ou j’ai fait des tâches voisines et j’y puise toute une série d’éléments pour faire au mieux »,

- soi-même, je l’ai dit : « au fil de l’âge je m’intéresse de plus en plus et de mieux en mieux à ce qui me fait mal ou pas, à ce que je fais facilement ou difficilement, à ce que je réussis ou ce que je rate »

- le collectif : « je deviens un expert en coopération ».

Tout cela se traduit par des stratégies dans le travail. En ergonomie on part d’une compréhension des stratégies dans le travail, de ce couplage d’objectifs et de façons de faire, pour dire vite. On essaie par

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divers procédés de comprendre ce que cela dit, ce que cela révèle, ce que cela permet de comprendre des dimensions installées au niveau supérieur qui sont les caractéristiques provenant de l’avancée en âge ou de l’avancée en expérience. J’insiste pour dire que cela peut commencer très tôt. Ceci n’est pas un modèle spécial « travailleurs âgés », bien entendu. On peut essayer d’y réfléchir pour des jeunes qui entrent dans le monde du travail et qui ont quelques années d’expérience professionnelle seulement. Tout cela est déjà présent. Je vais maintenant m’appuyer sur trois exemples d’études menées dans notre propre équipe et cela va me permettre de bien illustrer cela. L’intérêt, peut-être, de ce modèle est qu’il est possible en ergonomie d’aborder des questions de long terme au travers d’un certain nombre d’observations et d’analyses.

5. Premier exemple : Processus de régulation, d’usure, de mise à l’abri Pour le premier exemple, je picore trois diapositives dans la thèse de W.Buchmann soutenue l’année dernière et qui concernait les troubles musculo-squelettiques dans une entreprise de l’aéronautique et en l’occurrence dans le travail sur les pales d’hélicoptères. Dans un découpage de résultats, sa thèse traite de processus de régulations, d’usure et de mise à l’abri. Vous retrouvez un peu certaines flèches que j’ai présentées dans le modèle général précédemment. « Régulations », c’est un peu dans le A du modèle, c’est-à-dire dans l’activité. Comment je me débrouille pour rendre compatibles, ajustables, des exigences du travail. Où j’en suis de ma santé et de mes capacités avec l’âge pour réussir quand même à faire le travail convenablement. « L’usure », ce sont les traces du travail. Et la mise à l’abri, c’est ce que certains auteurs appellent le vieillissement par rapport au travail. C’est-à-dire le fait qu’on se mette à l’écart ou que l’on se retrouve obligé d’être mis à l’écart d’un certain nombre d’exigences parce qu’on n’y arrive plus. Alors, comment fait-on cela ? Je vais donner juste une diapositive sur chacune des trois dimensions.

Du côté de la « régulation », vue dans une perspective de moyen long terme, ce n’est pas seulement ce qu’il se passe tout de suite, W. Buchmann a regardé de près un certain nombre d’outils et la manière dont l’état de ces outils, transformé par les opérateurs eux-mêmes, porte la marque de régulations antérieures décidées à un moment donné pour faire face à certaines exigences de la tâche. En l’occurrence, il s’agit du bistouri, qui au départ a l’allure, quand on ne lui fait rien, de celui qui est présenté en première photo. Il s’agit de gratter des couches successives de composites sur des pales d’hélicoptères pour après en mettre d’autres. On est en train de faire la maintenance des pales d’hélicoptères. C’est une opération un peu chirurgicale et donc on se sert de bistouris. Compte tenu de positions de mains et de doigts comme celles-ci et comme d’autres que vous verrez par la suite, les opérateurs ont été amenés par exemple à emballer certains bistouris dans une sorte de couche un peu épaisse qui permet de bien le tenir à deux mains, de ne pas avoir la main qui glisse et de ne pas forcer exagérément sur l’arrière de la main. Ils ont également été amenés à incurver l’extrémité d’un bistouri pour pouvoir se glisser entre des couches de

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composites sans avoir à tordre complètement le bras, le poignet et se pencher exagérément, avec un geste extrêmement précis qui concilie exigences de santé et performance. Ils ont été amenés à ajouter aussi des pièces en platine sur le dessus qui permettent d’aider avec le pouce et l’index de l’autre main. Reprendre ces bistouris, qui s’en sert, qui s’en sert comment, est effectivement une approche un peu « champ d’expérience », disons, de l’activité de travail de ces personnes. Du côté de « l’usure », je n’entrerai pas dans les détails parce que c’est un modèle d’analyses statistiques à partir d’un observatoire en santé au travail qui existe depuis longtemps, en particulier chez Airbus. Maintenant il s’étend dans toute une série d’autres secteurs, il s’appelle EVREST, EVolution des Relations En Santé au Travail. W. Buchmann a catégorisé ce qu’il appelait les situations de travail où l’on est astreint ou pas astreint, selon un certain nombre de réponses à des questions du questionnaire. Puis en reprenant l’observatoire à trois dates, il regardait qui a été astreint à trois dates, ou astreint/ non astreint/ astreint, etc. Il y a en tout huit possibilités. Selon les trajectoires des gens, on constate une prévalence plus ou moins forte, illustrée par la dimension des ronds à droite du graphique et par les chiffres qui sont dedans si vous les voyez, en orange les problèmes de vertèbres et en verdâtre les problèmes de membres supérieurs. On peut raisonner sur la mesure dans laquelle la répétition des expositions, la durée des expositions, mais aussi le fait que c’était récent, puis le fait que ça a pu être interrompu, que ça a repris etc. s’accompagne finalement d’une prévalence plus ou moins élevée de troubles musculo-squelettiques. Il s’agit donc d’une analyse assez précise, complète, des facteurs d’usure ou des facteurs au contraire de préservation de la santé. Sur la « mise à l’abri » des contraintes, il a été possible de mettre en place une collaboration avec le médecin du travail de l’entreprise, afin de reconstituer des itinéraires de réaffectation d’un certain nombre d’opérateurs pour des problèmes de troubles musculo-squelettiques. Que s’est-il passé avant que l’on décide finalement de réaffecter quelqu’un ? Pourquoi l’a-t-on fait ? Comment cela a marché ou pas marché… ? Reconstituer cela permet à la fois d’enrichir une sorte de mémoire des postes (quels sont par exemple les postes dans l’entreprise où l’on n’arrive pas à reconvertir des gens qui ont des douleurs d’épaules). Peu d’entreprises le font à notre connaissance. Cela n’est pas forcément une démarche usuelle. On n’arrête pas, dans les entreprises d’une certaine taille, de réaffecter des gens, etc.., faire des restrictions d’aptitudes, mais garde-t-on la mémoire de ce qu’il est possible ou difficile de faire selon les problèmes de santé éventuels qui se posaient pour la personne ? Typiquement, on se rend compte qu’il y a comme cela un processus de tâtonnements, d’allers-retours dont cela vaut la peine de garder la mémoire. Une des conclusions de W. Buchmann dans sa thèse était que l’ergonome peut contribuer à ce que l’entreprise soit moins amnésique.

6. Second exemple : Approches multiniveaux de la « pénibilité » Je prends maintenant un deuxième exemple qui relève d’une étude qui nous avait été confiée il y a une dizaine d’années sur la pénibilité du travail des ripeurs qui sont derrière les camions-bennes de collecte de déchets ménagers. Ce que je veux juste montrer là, c’est que cela vaut la peine d’essayer de se doter, quand on le peut, d’approches multiniveaux, avec du quantitatif, du qualitatif, du plus long terme, de l’immédiat, etc. Tout cela finit par faire une espèce de puzzle incomplet. Mais quand on fait un puzzle et qu’il manque des pièces, parfois on se fait une idée de ce à quoi ressemblera l’image finale. Avec le concours de la caisse des retraites des collectivités locales à Bordeaux, on avait reconstitué les espérances de vie des éboueurs en comparaison à divers âges d’une part des éboueurs et d’autre part de l’ensemble des personnels fonctionnaires territoriaux, et on avait constaté des écarts d’espérance de vie indéniables dont la totalité ne s’explique pas uniquement par les conditions de travail des éboueurs, mais sans doute une partie quand même, comme on arrive à le démontrer en général quand on regarde de plus près.

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D’autre part, on avait fait un travail assez simple dans son principe, que l’on a beaucoup apprécié et que maintenant nous faisons volontiers. Ce travail consistait en des entretiens rétrospectifs avec des personnes en fin de parcours, qui étaient sur le point de prendre leur retraite ou qui venaient de la prendre et qui avaient encore des liens avec l’entreprise de collecte de déchets. Pour conduire ces entretiens, pour être très concrets, on partait de la dernière situation de travail qu’ils avaient connue, qu’ils nous décrivent et que l’on analyse. On repère un certain nombre de contraintes qu’ils avaient vécues et on leur proposait de comparer avec le passé, « est-ce que ça a toujours été comme ça ? Est-ce que c’était mieux ? Est-ce que c’était pire ? Pour quelles raisons ? Il y a 10 ans, il y a 20 ans ? Etc. ». Puis à la fin, on leur proposait de faire une sorte de bilan d’ensemble, pour dire dans l’ensemble ma vie de travail, voilà quelles traces je pense que j’en porte, positives, négatives aujourd’hui. Et évidemment, avec une entrée d’ergonome, il y avait au moins deux choses qui émaillaient fortement nos demandes, nos questions, dans ces entretiens-là, c’est d’une part de nous intéresser à la variabilité, c’est-à-dire ne pas forcément avoir des réponses globalisantes, sur ce métier, avec ceci de difficile, ceci de facile, etc., mais aussi selon les camions, selon les tournées, selon le type de poubelles, etc. selon avec qui vous étiez est-ce que c’était pareil. Et donc en général cela déploie énormément d’informations que l’on n’aurait pas eues si l’on ne posait pas la question de la variabilité. Et on essayait de lier cela avec ce que j’appelais les stratégies d’expérience, qui étaient : comment faites-vous, comment faisiez-vous, comment faites-vous pour essayer finalement de tenir une tournée dans des délais convenables, avec toutes les poubelles bien ramassées, sans trop vous épuiser à la tâche ? Cet intérêt pour les stratégies d’expérience ayant à la fois comme résultat de permettre de s’intéresser aux stratégies elles-mêmes et aussi à nouveau de révéler des choses sur les contraintes. Il y a des contraintes qui finissent par être mentionnées au moment où la personne est en train de parler de son activité, et auxquelles elle n’aurait pas pensé spontanément avant. Les entretiens ont montré quelles sont les améliorations que les personnes ont rencontrées au cours de leur vie, tout n’était pas fait que d’améliorations. Par exemple l’arrivée des containers, une vraie mutation du point de vue de la pénibilité physique et le regret de ne pas en avoir profité plus tôt, le remplacement des poubelles à poignées et des sacs poubelles par des containers, les camions, beaucoup plus confortables et beaucoup plus fonctionnels, la performance finale en durée de la tournée, le fait de ne pas finir trop tard (fini-parti, ce qui constitue une sorte de pression très forte). Mais ils savent maintenant que réussir à avoir fini assez tôt, c’est notamment bien réussir le ballet des containers quand on s’arrête dans un endroit où il y en a une dizaine, ne pas perdre de temps, bien prendre le bon, dans le bon ordre, etc. bien s’organiser, se coordonner ; courir le long du camion serait devenu d’après eux un peu moins nécessaire (on les a vus quand même un peu le faire), et puis un tas d’aspects de confort, mais très importants pour eux du côté des pare-vent, de la possibilité de se changer, des revêtements des rues dans la ville, etc. Là j’ai l’air de décrire un univers uniquement fait d’améliorations, sachez que par ailleurs on a recueilli beaucoup d’autres choses qui ont montré soit des détériorations soit des problèmes qui ne sont manifestement pas réglés. Mais on trouvait là une sorte d’appel possible pour guider nos observations, puisqu’on a aussi observé du travail, filmé, dépouillé au ralenti, soit des méthodes classiques que vous connaissez. Par exemple, on a pu repérer à quel point l’arrivée des containers, par comparaison avec des tournées où il y avait une partie seulement de containers, voire même très peu selon les quartiers, selon les villes où l’on a fait nos observations, à quel point la tournée avec 9/10ème de containers (que vous voyez en bas du graphique)

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comportait une densité très réduite de ce que l’on a appelé sollicitations fortes, c’est-à-dire le nombre de fois en une heure que l’on a été amené à voir faire l’un des efforts listés en haut du graphique. Et on voit que lorsqu’il y a 9/10ème de containers dans la tournée la nécessité de solliciter très fortement les genoux les épaules, lever les bras au-dessus de la tête est devenue très rare. On voit aussi que lorsqu’il y a 1/5ème seulement de containers (la deuxième en partant du bas) on est dans une situation un peu intermédiaire en termes d’exigences, mais il y a une forme de régulation jeunes/anciens qui a pu se mettre en place Il y a une sorte de petite poche de régulations collectives qui fait que le jeune dans certains cas est désigné pour traverser la rue. C’est lui qui va prendre le sac sans containers, l’ancien lui manœuvre le container. Il y a donc une répartition des sollicitations qui s’est faite en protégeant un peu l’ancien. On retrouve aussi la protection de l’ancien sous une autre forme, qui était inattendue pour nous, qui est l’usage du marchepied. On a constaté que ce sont les jeunes qui se servent le plus du marchepied, alors que l’on aurait vraiment parié l’inverse. C’est-à-dire que les anciens marchent plus ou trottinent, à côté du camion. Quand il y a une période comme cela, entre deux poubelles suffisamment distantes pour qu’il puisse se poser le problème de monter ou non sur le marchepied, mais pas énormément parce qu’il est évident qu’on monte sur le marchepied quand il y a vraiment plusieurs centaines de mètres, mais là non, on voit que c’est plutôt les jeunes qui se soulagent de la marche et de la course. Ceci s’explique par le fait que les anciens (ce qui est également ressorti au cours des entretiens) savent à leur corps défendant que sauter X fois dans la matinée depuis un marchepied sur un sol en macadam, « ça bousille » les genoux. Et il se trouve que tous les ripeurs que nous avons rencontrés, de cinquante et quelques années, avaient tous des problèmes de genoux très lourds, vraiment très problématiques et qui les handicapaient énormément dans le travail. Alors le dernier élément qu’on a recueilli, ce sont les changements de métiers qui eux aussi ont complètement à voir avec les questions d’itinéraires de couplage entre santé et formation. On a regardé une analyse sur les fichiers du personnel à trois ans d’écart dans une entreprise, pour voir qui, parmi les ripeurs, était encore ripeur trois ans plus tard, qui était sorti de l’entreprise (ce qui ne veut rien dire parce que ces entreprises n’arrêtent pas de se reprendre des marchés sur des villes et parfois le ripeur est toujours ripeur, sur la même ville et parfois même sur la même tournée et il a juste changé d’employeur). En revanche, on voyait les passages chauffeurs qui sont quand même non négligeables. C’est de l’ordre de 10% sur deux ans, donc on est sur un rythme d’à peu près 5% par an chez les plus jeunes et encore de 2-3% chez les plus anciens, donc il y a un petit flux de ripeurs qui passent chauffeurs et donc il est très facile de percevoir, et eux-mêmes le disent, que c’est l’un des facteurs de prévention à long terme de ces facteurs de pénibilité très lourds que l’on rencontre chez les ripeurs. Encore faut-il vouloir et pouvoir passer chauffeur. Cela renvoie complètement à un autre champ que nous n’avons pas traité, mais qui était très présent dans l’étude : qui peut passer l’examen pour passer chauffeur de camion-benne ? Avec quelles compétences ? Avec quelles formations pour réussir ? Cela n’est pas si facile. Il y en a qui ne tentent même pas compte tenu des exigences (savoir ne serait-ce que lire et écrire), mais aussi des responsabilités du maniement des gros camions-bennes. Il y en a qui ne passent jamais l’examen. Donc on a un vrai départage à long terme des enjeux que je viens de pointer dans ce qui précède, entre ceux qui vont réussir à 35-45 ans à passer chauffeur de camion-benne et ceux qui ne vont pas réussir et même pas tenter de le devenir.

7. Troisième exemple : gestion collective de la santé et des savoirs au fil de l’âge Le dernier exemple était pour avoir une idée des régulations collectives, parce que je n’en ai pas parlé jusqu’à présent. C’est donc la thèse de Ada Avila Assunçao, il y a presque 20 ans et qui concernait le travail dans un restaurant universitaire où il y avait trois populations d’âges différents et où les plus âgé-e-s, qui se trouvaient être des femmes, avaient pratiquement toutes des douleurs articulaires fortes et avec deux catégories plus jeunes, d’hommes en l’occurrence avec la politique de recrutement telle qu’elle était, dont des expérimentés quadragénaires et des novices. Elle a évalué de manière très précise les systèmes de coopérations physiques, matérielles ou manuelles dans certaines tâches. C’est-à-dire qu’au

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moment où cette dame cuisinière qui a très mal aux lombaires doit attraper un plateau en bas du four ou renverser une grosse marmite, quelqu’un surgit presque, quelqu’un justement s’est libéré pour venir au bon moment sans que cela ait eu l’air d’être prévu ni organisé, pour venir lui donner un coup de main. Et donnant-donnant, elles ont très clairement en charge de veiller à construire la compétence des jeunes, en leur donnant des informations très précises sur la programmation des repas, sur les recettes, etc. Ces dames quinquagénaires dans quelques années vont être parties. Les anciens ça va devenir juste ceux d’après, qui peu à peu eux aussi pourraient bien avoir des problèmes de santé. Eux ont bien besoin que les jeunes qui arrivent derrière soient eux formés, avec une vraie connaissance de métiers pour qu’il y ait des coopérations possibles. Il y a une sorte de système de coopération collective qui doit se gérer à long terme.

8. Conclusion de la partie Au total donc, je conclus cette deuxième partie avec la question qui est renvoyée aux systèmes de travail et aux ergonomes qui essayent de voir comment agir. Ces stratégies dans le travail sont-elles ou non, dans ce système de travail là, réalisables ? Efficientes (permettent-elles d’aboutir à un bon résultat sans que la personne ne se nuise) ? Transférables d’une personne à une autre et aussi d’une situation à une autre ? Si ces stratégies ne sont pas ou plus praticables, mutualisables, réalisables, reconnues, etc. on arrive à des échecs cuisants, du côté des jeunes avec des échecs à s’intégrer, des difficultés de fidélisation caractérisées, faute par exemple de possibilité de transmettre correctement les savoirs, et côté âgé, c’est là qu’on se perçoit comme vieux travailleur, qu’on aspire davantage à la condition de jeune retraité, finir sa vie professionnelle sans tarder. Et on retrouve ce paradoxe dont parlait F.Daniellou.

Évolutions de long terme dans le monde du travail

Plus brièvement maintenant, quelques éléments sur les évolutions de long terme dans le monde du travail. Il est bon, je pense d’avoir en tête que selon « Le nouvel esprit du capitalisme », de 1999, de L. Boltanski E.Chiapello, la littérature managériale d’il y a 20 ans a annoncé une mutation de l’entreprise qui pour partie, d’ailleurs, s’est réalisée. Elle a annoncé que l’entreprise doit être de plus en plus mouvante. Alors quelques citations par exemple : M. Crozier, H. Sérieyx « le temps des adjudants est passé ». On n’est plus dans des chaînes de décisions immédiates verticales, le dirigeant est un « donneur de souffle », il « pointe l’avenir du doigt ». L’enjeu n’est pas tellement : est-ce qu’il gère bien le tout de suite, mais qu’est-ce qu’il annonce qui va changer bientôt, est-ce qu’il est capable de le prédire et de le préparer. « Les géants doivent danser » : c’était le titre d’un bestseller de littérature managériale aux États-Unis à l’époque, de R.Moss Kanter : « When giants learn to dance ». L’entreprise doit se mouvoir de manière harmonieuse. Tout cela parce que maintenant les grands décideurs sont les clients. Par conséquent pour les personnes au travail, cela implique un univers beaucoup plus mouvant, beaucoup plus composite où l’on ne travaille pas en permanence à l’usine, où l’on partage de moins en moins entre homme professionnel et homme privé, donc un brouillage des sous-systèmes de Curie auxquels F. Daniellou faisait référence. Et puis, cette phrase très ferme et synthétique, assez impressionnante de Le Saget, qui indique que le « bon travailleur » est celui qui peut changer de travail. Ce n’est pas celui qui travaille bien, mais celui qui peut faire autre chose demain disaient ces auteurs-là, après cela reste à vérifier dans les situations concrètes, « celui qui saura maîtriser la plus grande variété de situations… et s’intégrer sans revendications aura un avantage incontestable dans sa progression professionnelle. »

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Tout cela n’est pas pur verbiage ni pure invention, on peut voir sur le schéma le progrès de toute une série de technologies informatiques qui accroissent la réactivité et qui témoignent d’un souci de réactivité dans l’entreprise, le progrès de toute une série d’options d’organisation interne, du côté du flux tendu, de la traçabilité, de la livraison en délai limité. Il s’agit d’une tendance 2003-2006, donc vous ne voyez pas de différences considérables, mais il faut voir aussi que l’on n’est que sur 3 ans donc imaginez les transformations que cela représente à long terme. On peut ajouter également toute une série d’éléments auxquels F. Daniellou a déjà fait allusion, la multiplication des contrats temporaires, le développement de la polyvalence, les changements fréquents d’encadrement, le fait de devoir de plus en plus souvent ne pas travailler durablement avec le même collectif, que les objectifs de travail soient eux-mêmes fréquemment réorientés, etc. Et voici un résultat tout récent de notre dernière recherche dans l’équipe avec L. Wolff à partir de l’enquête Santé Itinéraires Professionnels. On ne l’a pas encore publié, on a juste fait des présentations orales, mais qui montrent tendanciellement de génération en génération la fréquence croissante des changements importants de conditions de travail, pour des gens, en l’occurrence que l’on prend de diverses générations, mais tous dans la période 20-35 ans, les 15 premières années de la vie professionnelle. Pour les générations des années 30, on était à peu près à 8% de changements de conditions de travail annuels, cette proportion s’est accrue une fois et demie aujourd’hui (12%). Une sorte de mouvement général, la situation de travail est de moins en moins destinée à durer pour une personne donnée. C’est une mutation sociale assez importante. Mais en quoi cela nous concerne ? C’est intéressant de confronter en quoi cela nous concerne à ce qui était dit des mutations à prévoir du travail dans la même période. Il se trouve que l’on est 20 ans plus tard que 1995 et qu’en 1995 est sorti un livre qui s’appelait « Le travail dans 20 ans » de J. Boissonnat. Nous y sommes. Il parlait de beaucoup de choses, pas uniquement de conditions de travail. Mais en particulier sur le travail, il était annoncé : la dématérialisation, c’est-à-dire le recul du travail manuel, des expositions corporelles au travail ; le recul pas encore achevé, mais bientôt du travail parcellisé, du travail à la chaîne ; et de moins en moins de pression du niveau hiérarchique. On rejoint la citation de Crozier que je vous montrais, « la fin des adjudants ». Cela peut faire un peu sourire, cela aurait déjà pu faire un peu sourire à l’époque puisqu’on avait des idées sur le fait que ça n’allait pas exactement se passer comme cela. Pour mémoire, le pourcentage de travailleurs à la chaîne dans la population française est le même qu’il y a 50 ans, et d’ailleurs il est petit, à peu près 3% (le travail à la chaîne au sens strict de la définition du ministère du Travail). Sur les procédures de contrôle hiérarchique, au contraire, les enquêtes montrent par exemple que de plus en plus le rythme de travail est contraint, en particulier par les contrôles exercés par la hiérarchie. Quant à la dématérialisation et au recul du travail manuel, voici ce qu’indique la tendance à long terme. Par exemple sur la base des enquêtes nationales sur les conditions de travail, en pourcentage de personnes qui dans les enquêtes déclarent au moins trois contraintes physiques dans une liste de

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contraintes physiques : vous voyez qu’on a eu un bond très important tout au long de la fin du 20e siècle et que depuis, on se situe à un niveau élevé. C’est-à-dire qu’on est aujourd’hui avec pratiquement un tiers des salariés qui déclarent au moins trois contraintes physiques fortes. Et on sait très bien expliquer pourquoi ça ne recule pas. Du côté maintenant de l’organisation du travail, des contraintes de rythmes, cette fameuse histoire du prétendu recul du travail à la chaîne, cette fameuse histoire du prétendu recul des contraintes hiérarchiques, ce que l’on analyse et qui est très bien analysé dans le livre de 2006 qui s’appelle « organisation et intensité du travail », un ouvrage collectif, c’est qu’il y a une hybridation de types de contraintes. Il y a des mélanges de types de contraintes appartenant à des univers différents. Et ceci est redoutable. Les contraintes de type industriel que l’on rencontrait beaucoup dans les usines, des délais précis, des normes à respecter, etc. se sont étendues dans l’univers des services, des hôpitaux et des commerces. Vous pouvez d’ailleurs penser aux logiciels intégrés aux caisses des supermarchés, la tarification à l’acte à l’hôpital, etc. toute une série d’éléments d’évaluation du travail un peu industriel, grâce à l’informatique souvent. Et à l’inverse, les contraintes marchandes, l’adaptation immédiate aux clients se sont beaucoup répandues dans les univers industriels, par exemple « le camion du client attend dans la cour, dépêche-toi ». Il faut y ajouter les caractéristiques d’un modèle ancien dit domestique, de petites équipes très soudées comme dans une petite entreprise familiale où il faut s’entraider parce que tout le monde poursuit le même but, mais qui se répandent y compris dans des univers d’entreprises plus grandes, avec par exemple les systèmes d’évaluation des petites équipes, les primes ciblées sur des petits groupes, etc. Et tout cela a été beaucoup étudié. Il y a donc un mélange de contraintes qui étaient davantage dissociées jadis. Ceci est peut-être l’une des mutations majeures sociétales, que l’on retrouve dans les résultats d’enquêtes nationales, avec une progression de toutes les formes de contraintes de rythmes (graphique ci-après). La contrainte illustrée par la courbe verte en bas est un peu « industrielle », les normes ou délais inférieurs à l’heure ; celle du milieu, on va dire « domestique », d’être dépendant du rythme des collègues ; et celle du haut, de type un peu « marchande », commerciale avec le progrès des contraintes de demandes à satisfaire immédiatement. Cela nous intéresse parce qu’on arrive bien à démontrer que les mélanges de contraintes, ce n’est pas bon. Cela complique vraiment la vie et cela a des conséquences à long terme aussi bien

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sur la santé que sur la construction d’expérience, des savoirs, etc. (cf. tableau page précédente) Prenons les deux grands paquets : contraintes « industrielles », normes, rythme d’une machine, etc. ; et contraintes « marchandes », adaptations à la clientèle. Supposons que les deux soient de niveau modéré, les ergonomes ont démontré très largement qu’en pareil cas, on fait bien autre chose qu’exécuter son travail. Bien sûr on le réalise, mais en plus on anticipe sur ce qui suit, on vérifie ce qu’il vient de se passer, on se concerte avec des collègues, on essaie de nouvelles façons de faire, on se fait des apprentissages, on fait circuler les savoirs, etc. Supposons à présent que les contraintes « industrielles » soient durcies, évidemment cela réduit les marges de manœuvre. Mais au moins, il y a une forme de stabilité relative qui permet d’anticiper sur ce qui va venir et de se construire des formes de stratégies d’économie, de stratégies de recherches de façon de faire, etc. Si seule se durcit la contrainte « commerciale », on est en adaptation à la clientèle. On va évidemment avoir des temps creux. C’est-à-dire que quand il y a beaucoup de clientèle compliquée, on est sur la brèche et quand la file d’attente s’est réduite, on a un temps où l’on respire un peu mieux et on peut essayer de réfléchir à ce qu’on va faire ensuite, vérifier ce que l’on a fait avant, etc. Alors on voit bien que chacun de ces deux types de contraintes donne congé aux stratégies qui permettent de faire face à l’autre. Pardon pour cette phrase un peu compliquée, mais je m’explique. Quand on est sous contraintes « industrielles », qu’on voudrait construire des stratégies fondées sur la stabilité, les contraintes « marchandes » fortes ne le permettent pas parce qu’il y a beaucoup d’imprévus. Quand on est dans une situation « marchande » type, notamment quand il y a des temps creux, des systèmes « industriels » viennent réguler tout ça, et viennent calculer de manière très précise combien il doit y avoir de caissières à un moment donné dans une grande surface, ce qui fait qu’il n’y a plus de temps creux. Et par conséquent, on se retrouve avec cette pression immédiate, on ne peut qu’être le nez dans le guidon avec tout à la fois : des difficultés de marges de manœuvre tout de suite pour réaliser le travail et a fortiori des difficultés dans le développement, la circulation des savoirs, le fait de repérer ses horizons d’attente, etc. On a quand même au milieu de tout ça quelques occasions d’approche collective dans ces évolutions qui explosent littéralement les destinées individuelles de chacun. Je les rappelle, mais sauf erreur de ma part, nous les avons tous en mémoire. Ce sont pour nous, ergonomes, autant d’occasions d’aller réinterroger ces grandes mutations sociétales et leurs confrontations avec l’évolution des personnes. Les troubles musculo-squelettiques, les réflexions sur les facteurs psychosociaux de risques au travail : ’j’insiste pour dire que dans ces deux domaines-là, cela vaut la peine de poser des interrogations sur les évolutions de moyen et long terme, pas seulement traiter la situation du moment. Bien sûr les modifications d’horaires, c’est-à-dire que dans les situations de réduction du temps de travail, s’il y en a, la question est : comment importe-t-on là-dedans les préoccupations qui ont à voir avec le contenu du travail, les conditions de travail, les projets des personnes, etc. On peut, peut-être, s’adosser au fait que dans la société dans son ensemble un certain nombre de préoccupations qualitatives se développent, voire la présence de plus en plus forte de problématiques écologistes dans les programmes politiques de toutes les formations. Ensuite, une évolution des attentes de la part des syndicats que l’on constate dans des enquêtes auprès des salariés qui disent de plus en plus que les questions de TMS et de la qualité de vie de travail devraient être dans les priorités du monde syndical ; et puis la construction européenne qui peut être une occasion intéressante d’essayer de porter dans les pays qui ne l’ont pas, certains modèles d’organisations apprenantes qui se développent dans une partie des pays européens. Ensuite ces éléments que j’ai pointés tout à l’heure, qui sont les difficultés de recrutement et de fidélisation là où il y en a ; ce sont des occasions de poser ces interrogations de moyen-long terme. Bien sûr oscille vieillissement des salariés et le débat actuel sur la pénibilité et la retraite qui sont en plein sur le sujet, ainsi que les enjeux de transmissions des savoirs que je viens d’évoquer.

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Le développement, enjeu de l’organisation

François Daniellou

Après les enjeux pour les salariés, je voudrais m’attarder sur les enjeux pour les entreprises, les organisations voire le pays. L’Union européenne mesure le niveau d’innovation de chaque pays de l’Europe. Et vous voyez, sur le schéma (ci-contre) que la France est extrêmement mal placée en niveau d’innovation par rapport aux grands pays industrialisés européens, à peine plus que la moyenne de l’Europe, tous les autres étant des pays beaucoup plus récemment industrialisés. Dans une autre enquête qui n’a rien à voir, la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de travail s’intéresse à l’organisation du travail. La question qui est posée ici est : « êtes-vous satisfait de la façon dont votre opinion est prise en compte quand des décisions sont prises sur votre situation de travail ? » (En bas ceux qui disent oui, en haut ceux qui disent non). Et vous voyez que la France est quatrième plus mauvaise à la réponse à cette question, les suivants étant Malte, l’Espagne et la Grèce. Il y a une dizaine de questions du même type sur la participation, l’association des salariés, etc. et sur toutes ces questions, la France est entre 2e plus mauvaise et 6e plus mauvaise. On peut se livrer à un petit jeu et regrouper ces deux enquêtes qui n’ont rien à voir. En abscisse vous avez l’innovation dans les pays et en ordonnée le fait que les salariés se sentent consultés. Vous voyez dans l’ellipse en haut à droite les grands pays du Nord de l’Europe, l’Allemagne et les pays scandinaves, qui ont de très loin les meilleurs taux d’innovation et qui ont le meilleur sentiment des salariés d’être consultés, d’être associés aux décisions. Ce n’est pas un résultat trop mystérieux, on peut imaginer que plus on associe d’intelligences, plus la capacité d’innovation se développe. Mais vous voyez dans le cercle en bas, la position de la France, incroyablement basse quant au sentiment des salariés d’être consultés et pas très bonne en capacité d’innovation. Vous voyez aussi qu’il y a en haut à gauche, des pays où pour l’instant la capacité d’innovation n’est pas très développée, mais où les salariés se sentent consultés. On pourrait faire des paris sur le fait que c’est là que « ça va se passer ». Il y a maintenant, toute une convergence entre les travaux des ergonomes et les travaux d’un certain nombre de gestionnaires sur ce que cette situation coûte aux entreprises, je ne parle plus

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de la santé, de ce que coûtent aux entreprises l’absence de débat sur le travail, l’absence de possibilités pour les salariés d’influencer leurs situations de travail. Dans des journées récentes on a évoqué le Lean, et le Lean dans la majorité de ses versions françaises, c’est maintenant très clair, est une coûteuse usine à mensonge, pour permettre aux directions de s’entendre dire « tout va bien, chef ». Vous connaissez cette histoire de l’entreprise automobile, où les moniteurs doivent faire toutes les semaines une vérification du respect des standards (VRS). Ils arrivent sur le poste de travail et annoncent qu’ils viennent faire la VRS. Pendant 3 cycles l’opérateur se met à respecter le standard ; le moniteur remplit un tableau : il y a 97 % de respect du standard. Après, le chef de service fait son tableau Excel, et, c’est super, il y a 94 % du respect du standard, etc. Finalement, il arrive à la direction générale de l’entreprise qu’il y a 92,5 % de respect du standard. Mais évidemment, dès que le moniteur est parti, l’opérateur se remet à fabriquer des voitures, c’est-à-dire à ne pas suivre le standard, parce qu’on ne peut pas fabriquer des voitures en suivant le standard. Il y a ainsi une armée des gens qui sont payés pour fabriquer du mensonge qui confirme la direction de l’entreprise dans la certitude que son modèle est le bon. Les ergonomes sont habitués, mais ce message a un autre poids quand il est porté par un professeur de gestion à l’Institut du management de Lyon, Pierre-Yves Gomez, dans un livre qui s’appelle Le travail invisible : il montre que les entreprises peuvent mourir de ce modèle. Le Lean à la française contribue également, par des mécanismes qu’on a déjà détaillés ici, au silence organisationnel, c’est-à-dire que la direction de l’entreprise ignore tout à fait ce qui se passe au niveau du terrain : il y a donc sur le terrain des gens qui voient le navire se rapprocher des icebergs, alors que la direction dort sur ses deux oreilles et continue à foncer vers les icebergs. Des gaspillages organisationnels considérables sont liés à cette ignorance de la réalité. Ajoutons le déficit d’innovation déjà mentionné, les exclusions, les atteintes à la santé, la démobilisation de l’encadrement. Et, dans les industries à risques ou à l’hôpital, les risques technologiques ou sanitaires. L’absence de débats sur le travail, on le sait tous, atteint la santé des travailleurs, mais, ce sont les gestionnaires qui le disent, elle met aussi l’économie française est en danger. L’économie française est en danger, notamment parce qu’elle a perdu l’habitude de tenir compte de la réalité, car elle n’écoute pas les salariés. Certes, il y a plein de « dialogue social » dans les grandes entreprises, au sens où il y a de nombreuses réunions entre partenaires sociaux, mais, le plus souvent, personne ne parle du travail dans ces réunions. Nous affirmons que ce vers quoi il faut tendre, c’est une organisation du travail qui permette aux salariés d’exercer leurs compétences, non pas contre l’organisation, mais en étant soutenus par l’organisation et en contribuant à la faire évoluer. Cela suppose des investissements dans la durée et non une réflexion calée sur le payback, le retour sur investissement, à 6 mois. Cela suppose, on en a longuement parlé l’année dernière, des marges de manœuvre, bien sûr pour les salariés, mais aussi pour l’encadrement de proximité. Cela suppose, c’est spécifiquement le thème de cette année, que l’on reconnaisse que l’homme moyen n’existe pas et que l’on peut faire fonctionner des entreprises en tirant parti de cette diversité. Cela suppose que le thème du développement des compétences devienne prioritaire. Quand je vais dans une entreprise suédoise, je suis impressionné que ce soit la seule chose dont on vous parle, comment on fait pour faire évoluer les compétences de nos salariés. Cela suppose que le management soit un facilitateur d’espaces de débat sur le travail : il n’en faut pas seulement pour les salariés, mais aussi pour les managers eux-mêmes. Cela suppose – ça fait 30 ans qu’on le dit – la participation des salariés aux changements techniques et organisationnels. Pour ce qui est des représentants du personnel. « Comment met-on le travail au cœur de la fonction des représentants du personnel ? » est une question urgente, que certaines organisations syndicales commencent à prendre très au sérieux.

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La question qui se pose pour nous est comment aider les entreprises à devenir apprenantes et à travailler de façon intelligente sur l’évolution de leurs règles, avec en horizon, on l’a déjà dit, non pas un modèle d’organisation, mais une manière de réfléchir : le principe de subsidiarité, qui dit qu’il faut prendre les décisions au bon niveau, ne pas faire à un niveau plus élevé ce qui peut être fait de façon plus efficace au niveau plus bas. Vous vous souvenez qu’il repose sur trois principes. L’échelon supérieur s’interdit toute tâche que peut faire par lui-même l’échelon inférieur. L’échelon supérieur a le devoir de s’acquitter des tâches que l‘échelon inférieur ne peut pas réaliser, la subsidiarité ne consiste pas à dire « débrouillez-vous, vous êtes autonome » ; si un échelon est en difficulté, c’est à l’échelon supérieur de passer en première ligne. Et puis évidemment, si on a le pouvoir et les ressources à un échelon donné pour faire quelque chose, on ne peut pas se défausser et dire « c’est au chef de la faire ». Ces repères me semblent irriguer maintenant beaucoup d’interventions ergonomiques.

5. Les enjeux pour l’intervention, des situations de travail capacitantes Quelles sont, pour l’intervention ergonomique, les conséquences de cette idée qu’il faut favoriser un développement entre le passé et le futur, avec pour critère non pas seulement de prévenir l’exclusion, mais, comme le disent Barcellini et Falzon, « favoriser l’inclusion » – notamment l’accueil de la diversité des jeunes –, et favoriser les développements. Que savons-nous des leviers sur lesquels nous pouvons agir, pour essayer progressivement que les caractéristiques des situations de travail s’améliorent en ce sens ? Un premier enjeu est que chaque salarié ait la possibilité d’être soi-même, et pas un travailleur moyen. Cela suppose par exemple qu’il soit possible de dire « aujourd’hui, j’ai mal à l’épaule gauche » et que cela devienne une variable que le collectif et l’organisation sont capables de prendre en compte ; ou bien que « j’ai eu un cancer, j’ai encore des médicaments, et donc ça modifie mon état à certains moments de la journée, le reste du temps je peux parfaitement faire les choses, mais il y a des moments où c’est un petit peu plus compliqué ». Il faut que les salariés aient les moyens d’actualiser et de développer leurs compétences, sur fond de déclin biologique (le développement des compétences est le moyen de « garder une longueur d’avance » sur son déclin, selon une expression de Welford). On sait que ce qui est en jeu, c’est non seulement la possibilité de faire bien son travail, mais aussi pouvoir réfléchir collectivement dessus. Comment les interventions contribuent-elles à des pratiques réflexives individuelles et collectives pour regarder le travail, débattre de la façon de s’organiser, la façon d’évoluer, et finalement évidemment, la capacité d’influencer son milieu ? Ces enjeux impliquent des exigences fortes pour l’intervention. La première est de passer du temps à comprendre l’histoire. Dans certains pays c’est très habituel, par exemple nos collègues finlandais consacrent toujours plusieurs mois de leurs interventions à comprendre l’histoire, ce qui n’était pas au cœur de nos habitudes. Nous sommes habitués à nous intéresser à la population, aux parcours, c’était un thème fondateur du CREAPT, mais nous pouvons aussi nous intéresser à la non-population, c’est-à-dire « pourquoi n’y a-t-il que des hommes et pas de femmes ? Pourquoi il n’y a que des femmes et pas d’hommes ? Pourquoi n’y a-t-il que des jeunes ? Pourquoi n’y a-t-il que des grands ? Comment se fait-il que, parmi un aussi grand nombre de salariés, il n’y ait personne qui soit atteint d’une pathologie chronique et évolutive, alors que maintenant c’est très fréquent ? Comment ça se fait qu’il n’y ait personne d’une appartenance culturelle, religieuse différente ? Ou pourquoi tous les salariés sont-ils noirs ? » Quand la population quelque part n’est pas assez diverse, il y a quelque chose qui ne va pas. Un défi important est aussi de rétablir de la coopération dans le travail, contre des formes de division dans le travail, contre des organisations du travail qui dressent les gens les uns contre les autres. Un enjeu de l’intervention est de rétablir des formes de coopération au sein d’un collectif, mais aussi entre des salariés de la production et des salariés du service commercial, etc. Pour rétablir de la coopération,

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il faut se demander ce qu’ils peuvent avoir comme objet commun. Qu’est-ce qu’on peut trouver comme objet, qui a des enjeux pour toutes les catégories qu’on veut faire travailler ensemble ? Et ce n’est pas toujours simple. Si vous intervenez dans une grande entreprise qui maintient les lignes à haute tension, tout le monde est d’accord pour que l’on répare vite après une tempête. Si vous intervenez dans une banque, la question de savoir quels sont les objets sur lesquels tout le monde est d’accord est probablement moins simple. Mais c’est sans doute la clé d’une intervention réussie, trouver l’objet commun. Ces Journées vont vous proposer plusieurs présentations importantes, sur l’accueil des nouveaux, la transmission intergénérationnelle, dont Serge a décrit l’importance. Sur la formation tout au long de la vie, le développement des compétences. Sur l’attention au collectif et au métier, sur le soutien à l’encadrement de proximité. Sur le maintien dans l’emploi, grâce à des interventions non seulement sur des personnes individuelles en difficulté, mais dans des dynamiques plus collectives et plus durables, y compris dans le cadre de l’Agefiph. Intervenir dans une perspective de développement soulève la question de la manière dont nous préparons notre départ, dès le début de l’intervention. Il y a très longtemps, avec Christian Martin, il y a eu ici des Journées sur la pratique sur les formations-actions-projet. L’important est de se dire que le processus qu’on met en place est un processus que l’entreprise va pouvoir prendre en main sans nous ensuite. Comment des gens qui n’ont pas vécu l’intervention vont-ils pouvoir en avoir une certaine idée dans quelques mois, par exemple ? Des collègues ont di, par exemple, que maintenant ils laissaient de plus en plus de vidéos dans leurs interventions, pour que des gens qui arrivent puissent comprendre un certain nombre de choses qui se sont passées. Pour terminer, dans les raisons d’espérer, j’ai trouvé une citation de Dominique Lhuillier et Anne-Marie Vasseur qui montre où l’on peut aller chercher des germes de développement possible : « les malades montrent [dans le travail] les limites individuelles et collectives du travail soutenable et esquissent des milieux pour vivre et travailler en santé. Dans une relative marginalité, clandestinité ou parfois plus manifestement, ils développent une autre manière de travailler, un autre sens du travail voire des innovations sociales, qui pourraient amener bien des interrogations sur le droit du travail, sur les normes du travail, sur l’organisation, sur l’évaluation du travail, sur la vie au travail ». C’est juste un exemple du fait que les germes du développement sont inscrits dans les formes de résistance des salariés. Détecter les formes de résistance des salariés pour essayer de faire bien leur travail, c’est le point d’appui pour tenter de contribuer à des développements. Or, notre résistance à nous, il me semble que c’est le local et la démonstration. Bien sûr, on pourrait souhaiter que, si nous parvenions à l’issue de ces trois jours à des formes de consensus sur certains des points qui sont discutés, immédiatement les médias, le législateur, les organisations syndicales au niveau national s’en emparent, mais « il ne faut pas rêver ». Nous sommes extrêmement loin d’avoir convaincu les décideurs d’un certain nombre de raisonnements que beaucoup d’entre nous partagent. Ce sur quoi nous sommes bons, c’est sur les démonstrations locales, c’est-à-dire montrer localement que certaines manières de faire produisent des effets intéressants. Et d’une certaine façon, c’est la fonction de ces Journées. Partir de ces expérimentations pour en tirer le meilleur et essayer de développer des formes de généralisation. Cela suppose, lorsque l’on tente des expérimentations, d’être le plus clair possible sur les hypothèses. Il faut être capable de dire : « Si je décide de faire l’intervention comme cela, c’est parce que je pense qu’il y a telle relation entre telles familles de causes et tels effets. Si j’agis sur telle chose, ça devrait avoir tel effet. » Il est ensuite beaucoup plus facile de partager sur les interventions si chaque intervenant explicite sa vision des choses. Notre contribution à l’évolution des entreprises, c’est de réussir des coups localement, de les formaliser, de les faire savoir, de les mettre en discussion entre nous et de progresser. Ceci devrait augmenter notre capacité collective à influencer un niveau de décision qui, pour l’instant, nous échappe encore.

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Jeunes travailleurs dans les mines⏐Pratiques d’ergonomes

Élise Ledoux Professeur d’ergonomie à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM)

Bonjour, je tiens premièrement à remercier les organisateurs de m’avoir invitée, pour moi c’est un plaisir, ça faisait plus de 10 ans que je n’étais pas venue aux Journées. C’est vraiment un plaisir de se retrouver parmi vous. Alors, je suis maintenant professeur d’Ergonomie à l’université du Québec à Montréal et j‘ai également le plaisir de diriger la revue PISTES que j’espère, tout le monde connait, où l’on essaie de donner beaucoup de place pour la publication d’histoires d’interventions dans la revue ; alors c’est un grand plaisir pour moi d’offrir cette tribune à tous les intervenants ergonomes. Pour ces JDB nous avons choisi de vous raconter l’aventure d’une recherche-intervention que nous avons réalisée dans le secteur minier québécois. Cette aventure a été réalisée avec différents collègues de l’Université du Québec, de l’université Laval et l’institut de recherche Robert Sauvé en santé-sécurité du travail (IRSST). Je vais donc essayer de vous faire rentrer dans ce milieu qui est un peu particulier. L’aventure débute par une demande que nous avons reçue, comme équipe, de l’association paritaire pour la santé, la sécurité du travail du secteur minier. Les ASP au Québec ressemblent un peu au réseau ANACT-ARACT, par contre ils se spécialisent dans un secteur d’activité donné et leur mandat principal est la prévention de lésions professionnelles. C’est parce que nous avions déjà réalisé des travaux sur la santé-sécurité et l’intégration de jeunes travailleurs en milieu de travail dans d’autres secteurs d’activités que l’association nous a approchés. Ils souhaitaient en effet que l’on documente davantage les conditions favorisant l’intégration sécuritaire et compétente des nouveaux ainsi que la transmission des savoirs des métiers dans les mines. Ils souhaitaient également que l’on puisse proposer et développer, avec des sites miniers, des pistes d’intervention pour améliorer les dispositifs d’accueil et d’intégration sur les sites.

Qu’est-ce que le secteur minier au Québec ? Les mines au Québec se distribuent sur l’ensemble du territoire. Nous sommes intervenus sur 5 sites miniers. Ils sont excessivement éloignés les uns des autres. Certains sites ne sont accessibles que par avions affrétés par les entreprises minières. Le secteur minier est un secteur très important au Québec, 17 000 personnes sont en emploi direct et ce sont plus de cent mille emplois qui y sont reliés. Malgré une période de baisse des cours entre autres du fer et de l’or, on prévoyait tout de même une augmentation importante des effectifs de plus de 6% sur la période, jusqu’en 2021. Au moment où nous sommes rentrés sur le terrain il y avait 24 mines en fonction sur le territoire québécois, par contre, il était prévu 25 nouveaux projets miniers et 10 projets d’agrandissement de mine déjà en fonction. Il faut aussi se mettre dans une perspective où cette demande s’inscrit dans un contexte où le secteur minier connait pour la première fois une importante vague de départ à la retraite ce qui amène les entreprises à se questionner sur ces enjeux d’intégration des nouveaux travailleurs étant donné que plusieurs événements assez marquants en termes d’accidents importants avaient touché le secteur peu avant notre entrée. Comme la demande concernait des enjeux d’intégration de nouveaux travailleurs et qu’elle était formulée par un organisme qui avait plutôt un mandat de prévention des lésions professionnelles, il nous apparaissait important, pour assurer la pérennité de ce projet et la durabilité de ce qu’on allait en tirer, de pouvoir regrouper, autour de ces questions, beaucoup d’autres acteurs du secteur minier. Alors, pendant

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les 6 premiers mois de cette intervention, nous avons établi plusieurs contacts avec des acteurs clés du secteur, qui ont accepté de faire partie du comité de suivi. Nous avons ainsi regroupé ensemble des gens qui provenaient de l’Association Minière du Québec, association qui représente les employeurs du secteur. Nous sommes également allés chercher des représentants du comité sectoriel de main d’œuvre, instance financée par Emploi Québec qui fait la promotion des métiers dans le secteur minier et qui réfléchit aussi sur la formation. Évidemment la pérennisation d’une telle intervention ne pouvait se faire sans travailler avec le principal syndicat qui regroupe près de 90% des travailleurs du secteur. Enfin nous avons associé au comité de suivi des représentants de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) qui indemnise les travailleurs accidentés au Québec et qui assure leur retour au travail. Dans le cadre de cette recherche-intervention, 5 sites miniers se sont manifestés pour que l’on puisse intervenir sur leur site ; nous avions 3 sites, 3 mines souterraines, 1 mine qui extrayait de l’or, l’autre du fer, l’autre du niobium et 2 mines à ciel ouvert qui dans les deux cas étaient des mines de fer. Afin de rentrer dans le secteur, en collaboration avec les entreprises, nous avons ciblé les postes d’entrée par lesquels les nouveaux travailleurs devaient passer avant de pouvoir progresser sur d’autres postes à l’intérieur de la mine et certains postes spécialisés qui présentaient des défis en termes de formation et qu’ils avaient déjà identifiés dans leurs sites. Nous nous sommes donc intéressés entre autres, aux postes de camions de service, de boulonneurs et d’opérateurs d’équipements miniers. Je dois vous préciser que nous sommes dans des mines mécanisées, donc l’image que vous avez d’un mineur qui utilise une foreuse manuelle, on n’a pas vu beaucoup ça. On voit ça maintenant beaucoup plus dans les nouveaux sites miniers. Pour notre part, nous étions dans des mines d’extraction avec principalement des emplois d’opérateurs d’équipements miniers. C’est très mécanisé, mais cela demande tout de même de développer beaucoup d’habilités de conduite de ces véhicules et particulièrement beaucoup de connaissances liées à la lecture de terrain pour essayer d’éviter le plus possible certaines situations dangereuses et savoir exactement comment faire « travailler la roche », comme ils nous disent, par rapport à ce qu’ils ont à extraire dans les sites.

Un des premiers défis que nous avons rencontrés avec ce secteur-là, c’est la complexité de la planification des séjours. Pour se rendre sur certains sites, il faut s’assurer qu’il y a de la place pour les intervenants dans les avions nolisés par les entreprises, ainsi que des espaces d’hébergement. Cela signifie concrètement que notre présence implique que certains travailleurs ne montent pas sur le site puisqu’il n’y a pas beaucoup de chambres supplémentaires et que les sites sont très éloignés des communautés. Un autre point délicat fut la possibilité de s’entretenir avec les opérateurs en dehors des situations de production. En effet, que ce soit les travailleurs ou les superviseurs, ils sont payés au bonus. Au rendement et au bonus, ce qui implique que tous les temps où on les retire de leur poste de travail, ils ont une répercussion directe sur leurs salaires. Nous avons donc passé quatre mois à devoir négocier avec les entreprises qui souhaitaient que l’on intervienne chez eux qu’aucun de ces travailleurs, qu’ils soient opérateurs ou superviseurs, ne soient pénalisés s’ils devaient effectivement passer du temps en entretien avec nous en dehors des situations de production. Dernier élément, l’organisation de notre présence oblige effectivement de mobiliser certains équipements pour pouvoir nous amener à certains endroits dans la mine. Ce sont donc des équipements en moins pour l’équipe de production. Notre présence requiert également un accompagnateur. Nous avons essayé d’obtenir les permis pour pouvoir conduire les véhicules, les petits tracteurs miniers nous-mêmes… ça n’a pas fonctionné. Nous étions donc dépendants d’une personne pour nous amener où nous voulions nous rendre dans la mine. Tout cela rendait l’organisation excessivement complexe, simplement pour pouvoir arriver sur le site minier.

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Bon, évidemment c’est aussi un défi pour une équipe comme nous, qui n’avions jamais travaillé dans le secteur minier, de se poser la question « quelle réaction allons-nous avoir ? » lorsqu’on descend dans la cage, dans une mine. Et l’une des mines dans lesquelles nous sommes intervenus est la deuxième mine la plus profonde au monde. Nous descendons donc pendant plus de trois kilomètres sous terre. Se retrouver dans une cage, entourées d’hommes baraqués, on est toutes des femmes ou à peu près dans l’équipe et on est coincés comme ça, le nez dans les omoplates des mineurs que l’on accompagne, et on descend pendant vingt minutes avec des arrêts pour rééquilibrer la pression dans les oreilles. En se posant la question de « Vais-je paniquer ?» pendant la descente…. Une personne de l’équipe a effectivement paniqué et nous avons dû l’évacuer. Chaque descente peut engendrer de nouvelles réactions. Par contre, évidemment les travailleurs miniers, les superviseurs, tout le monde rigolent parce qu’ils connaissent très bien ces réactions-là. Mais quand vous débarquez sur le terrain, vous avez une certaine crédibilité à construire un positionnement. Le niveau de stress était quand même relativement élevé pour l’ensemble de l’équipe. Il y a aussi le fait de se retrouver sous terre, où l’on sent la chaleur du centre de la Terre, dans un environnement excessivement bruyant et sombre, et cela, pendant onze heures consécutives avec une seule pause de trente minutes pour le repas du midi ou du soir. Nous n’avions pas soupçonné l’impact de la fatigue, associé au travail d’observation, et le fait d’essayer de discuter dans ces environnements complexes. Cela nous a obligés à développer des technologiques pour contrecarrer les limites de l’équipement afin de pouvoir prendre certaines images vidéo sur le terrain. Le fait de devoir circuler dans des surfaces assez cahoteuses. Toute la question était de savoir comment s’y prendre pour faire des observations de certaines situations et particulièrement celles de compagnonnage, qui nous intéressaient dans notre étude, tout en étant à une certaine distance, mais avec le besoin de voir ce qui se passe tout en limitant les temps d’échanges. Je vais vous donner les moments clés d’échanges avec les opérateurs. C’est dans les déplacements entre les galeries qu’un opérateur est en train de discuter avec le mineur à côté de lui. C’est un contexte privilégié, car ces déplacements peuvent durer 10 à 20 minutes et sont l’occasion d’échanges. Dans cette étude, nous avons équipé les travailleurs de petits enregistreurs MP3 puis nous posions nos questions très fort en espérant que cela s’enregistre dans le but de retrouver ce qu’ils nous avaient raconté à travers la question et les échanges que l’on avait. Il a été nécessaire de développer toute sorte d’outils pour pouvoir observer à distance les travailleurs. Nous avons équipé les instructeurs d’une caméra sur le dessus de la lampe branchée sur un module d’enregistrement qui nous permettait d’enregistrer les images captées sur le casque. Les nouveaux travailleurs qui étaient suivis étaient munis d’un micro branché sur un émetteur et nous, nous avions un récepteur et nous pouvions entendre les échanges entre les personnes en étant à une bonne distance de ce que l’on observait. Nous filmions aussi à distance les situations que l’on avait choisies. Nous avons observé une situation où un travailleur expérimenté essaie de montrer à un nouveau comment monter une grille sur une boulonneuse. En fait ce travail est un travail central pour la sécurité de la mine, c’est ce qui permet de sécuriser l’ensemble des galeries. Si ce travail est mal fait, on met en péril la sécurité de plusieurs autres mineurs qui vont intervenir dans les galeries par la suite. C’est un travail très long à apprendre. Dans cette situation, nous retrouvons quelques échanges, quelques savoirs qui ont été transmis. Il a fallu décortiquer dans certaines situations particulières les communications qui se sont produites. Par la suite, nous avons pu documenter dans chacun des secteurs les dispositifs qui étaient mis en place pour assurer l’accueil, l’intégration des nouveaux mineurs, des nouveaux opérateurs. Il apparait que la mise en œuvre de la formation était très variée d’un site à l’autre. Des différences notables dans l’accueil des nouveaux et également dans la façon de dispenser certaines formations (connaître les caractéristiques de fonctionnement des équipements et l’ensemble de la tâche) : dans un des sites cela était pris en charge

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par des travailleurs expérimentés dépendant des sites miniers, c’était soit on arrive le matin lorsque le travail est distribué et on demande à la personne qui est là « est-ce que tu veux partir avec le jeune pour le former ? ». Dans d’autres structures plus organisées et où le compagnonnage est plus reconnu au sein de l’entreprise il n’était pas fréquent de trouver cette situation-là et cette formation à la tâche peut prendre de quelques jours à deux ou trois semaines. Lorsque de nouveaux travailleurs qui étaient de très bons opérateurs d’équipements dans d’autres secteurs d’activité comme la construction ou la foresterie, ils développaient une maîtrise rapide de ces engins, alors, la formation prenait rapidement fin parce qu’on considérait que c’étaient de très bons opérateurs sans se soucier trop des connaissances tacites nécessaires pour œuvrer dans cet environnement minier. L’événement : un opérateur d’une chargeuse navette (qui récupère le minerai après le dynamitage) avait failli être enseveli lorsqu’il s’était trop avancé sous une cheminée de minerai. Cet opérateur avait été embauché depuis deux semaines. Il avait passé 12 ans dans le secteur de la construction et avait donc une très bonne expérience de la conduite des engins. Il devait avancer dans la galerie, mais ne savait pas jusqu’où il devait aller. Il a décidé de sortir de son engin parce qu’il a entendu passer un collègue derrière la galerie mitoyenne pour aller lui demander conseil et 4 secondes après qu’il se soit levé et éloigné de son véhicule, la cheminée de minerai s’est écroulée sur le véhicule (sans protection). Nous étions dans la galerie d’à côté et aurions potentiellement pu être témoins d’un accident très grave, voire mortel. Après cet événement, comme cela se produit régulièrement dans ce type de site, il y a eu un arrêt de la production et très rapidement, ils ont fait remonter les mineurs et la production a repris la journée suivante. Suite à cet événement, un travail a été fait avec les gens de l’entreprise sur plusieurs problématiques : - ce qu’il faut connaitre de l’environnement pour pouvoir y travailler en sécurité. - comment ne pas trop se focaliser sur le fait que la maîtrise du métier ne se résume pas qu’aux opérations, mais aussi et surtout à la connaissance de l’environnement. Au cours de notre intervention, beaucoup d’investissements étaient réalisés, car les cours de l’or et du fer étaient élevés. Nous nous sommes ainsi rendus compte que lorsque le siège social d’une entreprise minière annonçait un futur investissement, le site visé par le projet mettait tout en œuvre et de façon très rapide pour assurer un retour sur investissement. Dans un des sites où nous nous sommes trouvés, en moins d’un mois, 40 nouvelles embauches ont été réalisées. À cette embauche massive, s’est associé un énorme changement organisationnel via la création de 5 équipes, d’un changement complet dans le fonctionnement de la mine qui devait être en opération 24h/24h, d’une rotation d’effectifs. Le nouvel horaire des opérateurs d’équipements miniers se terminait par deux jours de 16 heures en ligne. Contexte dans lequel en plus des nouveaux arrivés (en formation) les opérateurs en poste devaient apprendre la conduite d’autres types de véhicules miniers démultipliant ainsi les besoins en formation sur le site. Nous avons donc pu constater que dans ce contexte d’implantation du projet d’investissement et d’agrandissement, l’équipe en charge de structurer et d’organiser la formation sur ces postes n’avait pas été consultée. Un seul formateur devait coordonner tout cela et, évidemment, il a fait appel à des opérateurs très peu expérimentés pour assurer toute la formation à la tâche. Les opérateurs et les superviseurs devaient s’adapter à des horaires de plus en plus exigeants, et ce, dans un contexte où la maintenance peinait à assurer l’entretien des équipements miniers maintenant en opération 24h/24h et ainsi devoir continuer la production avec des équipements qui avaient des dysfonctionnements. En moins d’un mois, près de 300 % d’incidents en plus et quelques accidents graves ont ralenti de façon assez importante la production alors qu’une pression était mise sur tout le monde pour retour rapide sur les investissements.

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D’autres éléments de l’intervention Nous avons étudié plusieurs pistes d’amélioration du dispositif d’intégration et sur la transmission des savoirs. Nous avons pour cela travaillé avec les opérateurs en place afin de revoir la progression du processus d’apprentissage et surtout formaliser une étape de familiarisation du secteur minier particulièrement pour les personnes issues d’autres secteurs. Une étape qui permettait aux nouveaux d’être en binôme avec un superviseur et faire plusieurs journées en les accompagnant observer d’autres équipes sans être pris par les exigences de production. Nous avons également travaillé sur certains contenus plus techniques, plus théoriques afin d’inclure certains éléments qui ne concernent pas seulement les connaissances sur l’équipement, l’application de règles de sécurité ou la maîtrise des opérations de conduite, mais bien des éléments nécessaires à la lecture de son environnement et à la planification de son ouvrage. Nous avons échangé avec des travailleurs expérimentés sur des vidéos de nos observations. Un travail a été fait pour établir un lien entre l’organisation de la production et l’organisation de la formation. Quelques constats et pistes de travail de l’intervention Former quelqu’un fait partie des activités courantes et régulières réalisées durant les opérations de production. Il n’y a pas eu une seule journée sans formation. Cette réalité n’était pas prise en compte dans la façon dont était organisée et répartie la production sur les sites. Agir sur les conditions qui permettaient de soutenir le travail des opérateurs expérimentés comme compagnon, en essayant de faire vraiment reconnaître leur apport dans les milieux miniers. Essayer de repenser le rôle de ces travailleurs dans le site. Les superviseurs étaient complètement noyés par le travail administratif de saisie de données ce qui les retenait relativement loin des postes de travail alors qu’ils ont longtemps été mineurs. La transmission de leur savoir du métier est donc complètement mise en échec du fait de leur éloignement du terrain les laissant dans les refuges et non auprès des équipes. Ce que l’on retire de cette expérience, qui a été excessivement difficile au départ, c’est la surprise d’avoir rencontré autant de chaleur humaine dans le fond de ces mines. Nous sommes quelques ergonomes du Québec à rêver de retourner dans ce milieu.

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De la pénibilité réglementaire au développement de la performance

Vincent Guilloux Ingénieur ergonome, Directeur Opérationnel, Solutions Productives, Bruz

Introduction

Nous avons choisi un sujet qui part d’une sollicitation initiale autour de la pénibilité vers un projet un peu plus orienté sur le développement de la performance, mais pas seulement. Nous allons entrer dans l’univers des camions de livraison d’une société de transport, la société des transports Gautier, basée à côté de Rennes. Elle emploie à peu près 3400 collaborateurs. Pour des raisons d’emploi du temps, elle n’a pas pu être représentée aujourd’hui, mais aurait apprécié se confronter à cette communauté d’ergonomes. Ergonomes qu’ils ont découverts au travers de l’intervention que nous avons menée chez eux. C’est la société n°2 pour le transport de frais en France. Quand elle nous a sollicités, elle avait signé un accord pénibilité. Cela implique des moyens à envisager en face de cet accord pour répondre aux objectifs qui étaient de limiter les facteurs d’exposition à la pénibilité. Deux métiers ont été retenus : les conducteurs zone courte messagerie frais (livraison de colis pour les commerces : boucheries, traiteurs, supermarchés) et les conducteurs messagerie industrielle (livraison de colis de divers volumes, poids, tailles pour l’industrie ou les particuliers). Ces deux métiers représentent 65% de l’effectif total de la société. Ce projet en lien avec l’accord pénibilité était porté essentiellement par le service RH et sécurité comme souvent, mais avec le sentiment d’avoir épuisé les actions possibles pour prévenir ces situations de pénibilité (le port de charges, les postures pénibles). Ils avaient mesuré des choses, doté les chauffeurs de moyens d’aide à la manutention et d’équipements. Par ailleurs, des questions liées au travail de nuit se posaient, mais ils ne savaient pas quoi faire. Je vous propose de revisiter cette intervention autour de 4 points de bascule que l’on a identifiés. Ils ont cheminé et ont permis de faire que ce sujet porté par le service RH et sécurité prenne une autre dimension dans l’entreprise. Ces quatre points sont :

- Le décloisonnement du sujet pénibilité, - S’assurer que le problème est bien posé dans l’entreprise, - La compréhension des écarts entre l’activité réelle et l’organisation prévue - Faire des liens entre la pénibilité, les comportements à risque et la performance du système de

production.

Décloisonner le sujet pénibilité

Le premier point de bascule s’est passé de la façon suivante. Avant de s’engouffrer dans l’analyse des situations de travail des chauffeurs, nous avons passé un temps assez important à un diagnostic approfondi pour poser les bases de la réflexion, structurer l’intervention et essayer de nous ouvrir des portes pour aller analyser un certain nombre de situations. Nous ouvrir des portes notamment auprès des directeurs de service parce qu’initialement, sur ce projet, ils étaient assez peu mobilisés, assez peu

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concernés. Pour eux, la pénibilité était plus une question de ressources humaines, de sécurité, de CHSCT. Le fait de les rencontrer, de passer du temps avec eux, de les interviewer, eux ainsi que les adjoints, a permis d’identifier un certain nombre de sujets, de préoccupations et d’enjeux qu’ils avaient à faire valoir autour du sujet de la pénibilité. Un autre moment fort a été de faire le point avec le service sécurité sur leurs difficultés. Pourquoi ils n’arrivaient pas à faire progresser la prévention dans l’entreprise. Par ailleurs, les échanges avec le CHSCT ont permis de comprendre leurs attentes, leurs représentations par rapport à ce projet. Il s’agissait de sortir de la notion de facteurs de pénibilité tels que définis par le législateur pour aborder la pénibilité subjective ressentie en situation réelle dans l’activité par les chauffeurs, mais aussi la vision que pouvaient avoir leurs directeurs. Nos interlocuteurs nous ont emmenés à leur vision de la pénibilité. Un certain nombre de sujets sont ressortis comme :

- Les limites de l’acceptable par rapport aux normes de manutention. - Devoir réorganiser sa tournée. - Être surpris par des conditions de livraison non anticipées. Cela peut générer de la pénibilité.

Pourquoi ? - Faire face à des exigences clients non contractuelles. Par exemple quand le chauffeur est face

au client et que ce dernier lui demande de descendre des colis à la cave et que ce n’est pas prévu dans le contrat, comment réagit-on ?

- Des questions autour de la qualité du chargement. - Des dysfonctionnements dans la planification des tournées. - Le rôle clé du formateur. Ils suivent les chauffeurs pour faire soit de l’accompagnement des

nouveaux chauffeurs, soit de l’audit de circuits pour voir si les conditions de livraison se dégradent.

- Des comportements jugés à risques qui peuvent générer ou augmenter des situations de pénibilité.

Prendre ce temps avec les différents acteurs du projet et notamment les directions de services nous a permis de prendre en compte leurs enjeux, mais aussi de nous ouvrir des portes pour aller questionner d’autres métiers. Par exemple, ce qui n’était pas prévu initialement dans le projet : aller questionner l’exploitation. Ceux qui préparent les tournées, chargent les camions. Comprendre en quoi cette activité pouvait générer de la pénibilité pour les chauffeurs.

S’assurer que le problème est bien posé

La vision portée communément dans l’entreprise était que la pénibilité est évidemment le port de charges. La culture d’aller mesurer les charges manipulées par les chauffeurs lors des tournées était bien présente. On voit de grands écarts entre les différentes charges, mais ça ne nous dit pas grand-chose sur la pénibilité. C’est ce que nous ont renvoyé les chauffeurs lorsque l’on a travaillé avec eux : « la masse en tant que telle, ça nous importe peu », ce qui est important sont les facteurs aggravants, perçus par certains avec une analyse imparfaite. Des facteurs aggravants assez classiques plus ou moins identifiés ont été remis en débat comme :

- Les typologies de conditionnement (palettes, rolls) qui impliquent des contraintes différentes de déplacement de la charge.

- La présence ou non d’un quai de déchargement. Il est plus facile de décharger avec un quai que quand il faut déplier, replier le haillon avec le temps que ça génère.

- L’état du sol entre le camion et le point d’acheminement.

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- L’éloignement de la zone de stationnement.

D’autres sont beaucoup moins identifiés, relatés par les chauffeurs et constatés lors de nos accompagnements sur le terrain. C’est par exemple la nécessité d’arrêter et de remettre la charge en mouvement dans des conditions défavorables. Contraintes vécus par les chauffeurs lorsqu’ils devaient s’arrêter devant une porte avec une charge de 300 à 500kg et remettre cette charge en mouvement pour passer la porte avec la nécessité de maintenir la porte avec l’épaule, le dos, la main. La remise en mouvement de cette charge était identifiée comme le facteur de pénibilité le plus important lors de l’acheminement des charges entre le camion et le client. 50% des trajets nécessitaient d’avoir à arrêter cette charge et à la remettre en mouvement. De nouveaux leviers d’action ont été levés. La CARSAT était partie prenante du comité de pilotage avec des solutions de type transpalette assistance au démarrage, qui permettent de diminuer l’effort de 30% environ quand il faut remettre en mouvement une charge. Des actions sur le matériel de transport avec la définition d’un cahier des charges pour les investissements ont été engagées. On a vu par exemple qu’il y a des contraintes sur l’ouverture de la porte, le déploiement du haillon et sur l’accès dans le camion (accès latéral préférable en centre-ville). L’autre point intéressant : l’enrichissement de la fiche d’accompagnement remplie par le formateur, qui ne consistait plus uniquement à remplir des masses manutentionnées, mais à enrichir les facteurs aggravants.

Comprendre les écarts entre l’activité réelle et l’organisation prévue

Certains acteurs du projet nous ont dit « le respect des circuits prévus permet de limiter les manutentions puisqu’ils ont été ordonnancés en conséquence par l’exploitation ». Prenons un exemple de livraison que nous avons suivi, en théorie le chauffeur devait faire 6 manutentions. En réalité, il en a fait 36 (avec des manutentions assistées avec transpalettes et d’autres manuelles de colis), soit 6 fois ce qui est prévu initialement. Là, on touche vraiment à une pénibilité ressentie par les chauffeurs : « là je dois réorganiser ma tournée par moment, et ça, c’est vraiment pénible ». Pourquoi le chauffeur manipule autant, si la tournée a été correctement définie ? La pénibilité en effet elle est dans les sur manipulations. Ces manipulations lui ont permis de gagner du temps sur la livraison suivante 5 min au lieu de 14 min où il n’y a pas de quai de déchargement. Il le sait parce qu’il connait sa tournée. Sa connaissance du terrain lui permet d’optimiser

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son temps de livraison. Il est aussi amené à surmanipuler pour organiser sa tournée différemment en fonction de ses clients pour livrer au moment opportun. Par exemple, passer trop tôt chez ce client n’est pas judicieux, car un autre transporteur livre habituellement à cette heure. Trop tard, il est débordé, il ne pourra pas lui donner un coup de main pour décharger le camion, ce sera plus pénible pour lui et en plus il perdra du temps. La circulation peut-être trop dense à certains moments, dans certains secteurs : sur la rocade de Rennes, s’il passe à 8h30, il va perdre du temps dans les embouteillages. Donc le chauffeur va réorganiser sa tournée pour ne pas attendre chez certains clients et être certain d’être à l’heure chez d’autres. Ce que l’on a identifié dans le cadre des groupes de travail et les analyses qui ont pu être réalisées, c’est que par exemple, sur une tournée représentative de 7h15, il y avait environ 26 minutes passées à la réorganisation du chargement du camion pendant la tournée. Ce qui représente la livraison d’un client supplémentaire : les chauffeurs et la direction d’exploitation se sont dit : « On se rend compte qu’on serait en capacité de faire plus, de faire mieux, si on n’avait pas à refaire toutes ces manipulations subies, et qui en plus, sont vécues comme pénibles par nos chauffeurs ». Donc, au cours d’une journée de livraison, des écarts se cumulent :

- Des écarts entre l’exploitant de nuit - qui prévoit un plan de chargement sur la base des informations dont il dispose sur les produits à livrer, les volumes, les quantités - et l’agent de quai, qui va réaliser le chargement du camion. Mais l’agent de quai doit aussi composer avec des colis qui sont : soit déjà arrivés sur le quai, soit pour certains, qui ne sont pas arrivés. Par ailleurs, il n’a pas de moyen de savoir s’ils sont dans l’enceinte de l’entrepôt : le système ne le permet pas. Donc on compose, on essaie d’optimiser le chargement du camion, de commencer à remplir la remorque en espérant que les colis qui doivent arriver sur telle palette, arrivent assez vite pour que l’on puisse compléter.

- Et puis, il y a un écart qui se crée entre le chargement réalisé par l’agent de quai et le chargement souhaité par le conducteur, de par la connaissance qu’il a des tournées. On pourrait se demander pourquoi ce n’est pas mieux préparé : ce n’est pas un problème de travail mal fait, c’est un problème d’informations qui sont utiles à certains et qui ne sont pas disponibles.

Par exemple, les conducteurs nous exprimaient que justement, lorsque des écarts se créent et qu’ils sont de plus en plus réguliers sur certaines tournées, ils n’avaient pas la possibilité de le faire remonter aux exploitants de nuit. En effet, lorsqu’ils revenaient, ils croisaient l’exploitant de jour. Sauf que les remontées d’informations entre l’exploitant de jour et l’exploitant de nuit n’étaient pas nécessairement bien définies : il y avait de la déperdition. Donc, des actions ont été mises en place de façon participative à l’issue de ce diagnostic. Ce qui a été intéressant est la façon dont les directeurs des deux métiers se sont emparés des sujets. Là, en l’occurrence, la messagerie « frais » s’est vraiment vite emparée des sujets soulevés, et notre accompagnement a plutôt consisté à définir avec eux le processus de recherche d’amélioration plutôt qu’à trouver les solutions. Dans cette phase, on a vécu un sentiment un peu partagé : entre crainte et enthousiasme. Crainte de se dire que les sujets nous échappent et que nous n’allons pas maitriser ce qui va réellement se passer. Parce que je vous avoue que dans les groupes de travail qui se sont mis en place, à l’issue, pour définir les plans d’actions, on ne comprenait plus grand-chose à ce qu’il se passait : les gens parlaient entre eux, les chauffeurs, les exploitants parlaient de termes techniques, de métier, de réflexe, de DI, de termes qui nous échappaient et dont on ne comprenait pas vraiment la signification. Mais, eux, avaient l’air de bien se comprendre. On était même étonnés, parce qu’au début du projet, ils parlaient peu entre eux : ils étaient plutôt dans une logique de s’envoyer quelques salves de temps en temps, en se disant : « si j’ai de la pénibilité sur

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ma tournée, c’est parce que l’exploitation a mal fait son boulot ». Et le fait de les faire travailler ensemble a permis de lever un certain nombre de représentations sur la qualité du travail de l’autre.

Faire des liens entre la pénibilité, les comportements à risques et la performance du système de production

Les comportements à risques avaient été évoqués dans le pré-diagnostic : des personnes se donnent du mal en plus parce qu’ils déplacent des palettes à la main ; ils tirent sur un fût alors qu’il y a un transpalette qui peut leur permettre de le faire de façon plus facile ; il y a un hayon et ils escaladent ; ils sautent du camion. Les gens se donnent bien du mal et prennent des risques inutiles, mais pourquoi ? Ici, en messagerie industrielle c’est un peu différent : c’est eux qui chargent leurs camions dans des contraintes temporelles assez étroites. C’est-à-dire que le matin, tout l’enjeu pour eux est d’arriver à partir à l’heure pour respecter des impératifs horaires chez les clients, des prises de rendez-vous chez les particuliers, en sachant que derrière, ils auront aussi des aléas à gérer : avec des commandes détériorées, des perturbations de sécurité routière, des problèmes techniques éventuels de véhicule. Donc tout cela fait que l’enjeu de partir à l’heure est important. Et pour pouvoir partir à l’heure, il faut passer le moins de temps possible à préparer le chargement de son camion. Sauf que lorsqu’on regarde ce qu’il se passe concrètement sur le quai, sur 24 chargements réalisés en 78 minutes d’observation que l’on a menée, on se rend compte qu’il y a 20 % du temps de chargement qui consiste à chercher les commandes. On a vraiment isolé ce temps de « chercher les commandes » en se disant avec le chauffeur : « au moment où tu es arrivé dans la zone et où tu penses trouver ton produit, tu nous fais un signe ». On a ensuite mesuré le temps qu’il mettait à chercher la commande réelle. Et on voit qu’on est sur 20% du temps de chargement. Parce que c’est compliqué de retrouver une commande : retrouver une commande, c’est retrouver un numéro qu’on a sur un bordereau. Et retrouver le numéro est compliqué, car on ne sait pas quel colis on cherche : est-ce que c’est un grand colis ? Un petit colis ? Une caisse de vin ? Une machine à laver ? Est-ce que je vais le trouver dans la travée numéro 1, la travée numéro 2, la travée numéro 3 ? Même s’il y a des petites habitudes qui se mettent en place, il y a encore des doutes sur le fait que je trouve le colis dans la travée attendue. Et puis, il y a des commandes qui en cachent une autre, les étiquettes qui ne sont pas visibles, qui ne sont pas tournées côté allée, et donc je cherche ma commande. Et puis, pour chercher ma commande, c’est d’autant plus compliqué que dans ma travée :

- J’ai des palettes du matin, qui sont censées être ce que je dois prendre. - Mais il y a aussi des palettes de l’après-midi, qui ont déjà été préparées par les agents de quai. - Il y a des tournées voisines, parce qu’en fonction des volumes des tournées, les travées se

mélangent. - Le colis peut ne pas être dans ma travée, parce qu’il n’est pas encore arrivé, et je n’ai pas la

possibilité de savoir s’il est arrivé sur le site : les étiquettes ne sont pas visibles. - Ou dans ma travée, il y a aussi des palettes du lendemain qui ont déjà commencé à être

préparées. Tout cela rend un peu difficile la recherche de ma commande et cela s’apparente à chercher une aiguille dans une botte de foin. Et donc parfois, le temps pris pour le chargement est du temps en moins pour la livraison. Donc on est confronté, quand on est chauffeur en messagerie industrielle, à un cercle vicieux concernant la recherche des commandes. Le matin je cherche mes commandes avant de partir : c’est du temps supplémentaire au chargement, c’est moins de temps disponible pour la livraison ; et quand j’ai moins de temps disponible pour ma livraison, je n’ai pas le temps de livrer certaines commandes, je dois réajuster ma tournée en cours de journée, ce qui fait que je dois composer avec des commandes qui restent à l’intérieur de mon camion et qui vont contraindre mes manipulations, mes entrées, mes sorties.

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Mais je vais aussi ramener les commandes sur le quai, ce qui va générer des manutentions supplémentaires, ce qui va à nouveau encombrer mon quai de chargement. Tout ceci est donc ce à quoi un chauffeur de messagerie industrielle est confronté. Donc une fois que l’on a fait ce constat, le directeur de messagerie s’est emparé du sujet, et a dépossédé le service sécurité (même si ce n’était pas pour leur déplaire). Le service sécurité nous avait dit au début « vous allez voir, ce n’est pas facile de rentrer dans le monde de l’exploitation : on n’arrive pas toujours, nous, à comprendre ce qu’il s’y passe, on n’est pas toujours bien accueillis ». Mais ce qu’ils nous ont renvoyé est le fait que les plans d’actions soient pris en main par les directions des métiers, et non plus poussés par le service sécurité : c’était déjà un changement dans l’entreprise, et dans la façon de prendre en main ces sujets d’amélioration. Ce qui est intéressant est que concernant les plans d’action et la façon dont ils ont été conçus, la logique n’était pas de dire : « il faut trouver impérativement la solution », mais plutôt de se doter des moyens ou définir, comme le disait François Daniellou ce matin, le « processus qui va nous permettre d’y arriver ».

Conclusion

Donc en conclusion, on est passé : - D’un projet où l’état initial était deux mondes cloisonnés (ou en tout cas une initiative sociale)

autour des ressources humaines, de la sécurité, du CHSCT, orienté vers l’exploitation et les chauffeurs.

- À un projet de développement de l’activité porté par les métiers, avec une réelle prise en main des sujets par les deux directeurs et leurs adjoints. Ceci, via un modèle de fonctionnement de type groupes de travail, où les métiers se sont mis autour de la table, ont commencé à échanger leurs contraintes respectives. On a eu besoin de les aider à le structurer, mais on ne l’a pas accompagné plus que cela.

D’ailleurs, cela fait partie des choses que l’on peut renvoyer à la discussion : on s’est retrouvé dans une situation où le plan d’action défini nous a un peu échappé. C’est plutôt une bonne chose : l’entreprise s’en est emparée, elle est partie sur des idées qu’elle avait. En tout cas, il y a des indices que l’on a identifiés dans le cadre de cette intervention qui nous montrent que des choses ont changé. On ne sait pas encore ce que cela va produire en termes de solutions : les groupes sont en cours de réflexion. Des choses ont vu le jour autour du « book tournée », du « book chauffeur », mais des choses ont été comprises autour de la place donnée aux écarts et aux boucles de traitement. L’idée n’était pas de considérer l’écart comme un problème, mais plutôt de le considérer comme quelque chose d’existant, pour se doter de moyens de les faire remonter et pour être en capacité de les traiter par la suite. Des choses ont bougé, il me semble aussi, autour du sens du travail. Un travail qui a du sens pour un chauffeur n’est pas de manipuler des commandes à l’intérieur de son camion : c’est justement de les faire sortir de son camion pour les mettre en temps et en heure chez le client. Des choses qui ont bougé autour de la compréhension des situations qui donnent de la peine : ce n’est pas que transporter des charges qui donnent de la peine, ce sont les conditions dans lesquelles on le fait, tout comme ces fameux facteurs aggravants. Puis, des choses qui nous semblent intéressantes à relever autour de la reconnaissance des compétences des chauffeurs, par rapport au travail de l’exploitation. Et enfin, autour de la capacité du collectif à travailler ensemble dans le cadre de ce projet. Merci pour votre attention.

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L'accompagnonnage du changement dans l'entreprise Forge de Laguiole : "Autour du métier dans la trame du changement,

tisser des fils d'or reliant travail, santé et performance globale de l'entreprise"

Hugues Chambon, Ergonome européen, Atout Synergia Ergonomie et Formation (63)

Thierry Moysset, Directeur de la coutellerie Forge de Laguiole

1. La demande et l'accompagnonnage

1.1. L'accompagnonnage

Avant de laisser la parole à Thierry Moysset qui se présentera, ainsi que la spécificité de l’entreprise, je vais expliciter quelque peu l’accroche de cette présentation : l’accompagnonnage. La demande qui avait été adressée à Synergia était une demande centrée « solution ». Elle a été reformulée « accompagnement du changement », et quand je me suis intéressé à trouver un fil conducteur à cette présentation commune avec Forges de Laguiole, le terme « accompagnement » m’a paru un peu fade, peut-être un peu désincarné par rapport à sa promesse étymologique. Avec Thierry Moysset, nous nous sommes accordés pour que le fil conducteur, le fil rouge de l’intervention, soit la spécificité de cette entreprise, la spécificité des personnes qui exercent le métier en tant que compagnon, avec une longue tradition en héritage, d’où le terme « d’accompagnonnage ». De plus, miracle du hasard, mais y-a-t-il un hasard ? Ce terme d’accompagnonnage n’existe plus aujourd’hui, mais il a existé dans les très vieux métiers de la broderie. Ce terme a été exhumé par un compagnon éclaireur et éclairant aussi, Bernard Leblanc Halmos, et il signifiait, dans la trame d’une broderie, « tisser des fils d’or ». C’est donc cette histoire de fils d’or que nous avons tissée ensemble dans l’esprit des compagnons dans l’entreprise, que nous allons vous faire partager. J’ai aussi invité quelqu’un qui m’est cher : le petit prince de Saint Exupéry et cela a à voir un peu avec ce qui a été dit ce matin, sur la question du relieur à propos de Simone Veil notamment, et nous allons ensemble dessiner les contours de l’accompagnonnage à Forge de Laguiole avec l’idée de tisser le changement et d’étoffer le travail.

1.2. Contexte de l'intervention

Tout d’abord, le contexte. L’ergonome est appelé a priori pour valider des solutions concernant un projet d’amélioration de la productivité sur un atelier de préparation des manches. Atelier de préparation des manches où des commandes numériques vont servir à pré-façonner le manche à partir d’un morceau de bois brut, voire de matière précieuse, avec deux objectifs : améliorer la productivité, mais aussi diminuer les contraintes chez les monteurs de couteaux qui doivent à partir d’un morceau de bois brut façonner entièrement le manche pour arriver à rendre un couteau surfacé, façonné entièrement à la main, qui va être le couteau final.

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J’ai symbolisé cette histoire par des bobines de fils, dont certaines sont constituées de fils d’or. Parmi les fils d’or, il y a à l’origine de l’intervention un contrôleur de la CARSAT qui propose à l’entreprise pour l’accompagner dans ce changement, un contrat de prévention. Celui-ci va avoir pour avantage d’accompagner financièrement l’entreprise, mais aussi de contenir des prescriptions très fortes concernant la sécurité des machines, en particulier des backstands, les machines qu’utilisent les monteurs pour façonner les manches de couteaux. C’est en fait deux axes sur lesquels tourne une bande abrasive qui va leur permettre de façonner le manche et d’assurer la finition du couteau. L’ergonome va s’attacher à repérer quels sont les fils solides, prêts à être tissés, quels sont ceux qu’il va falloir mettre en lumière, relier et consolider, mais aussi prendre garde aux fils de plomb, qui pourraient « plomber » l’intervention. En effet, l'idée de changement suscite des inquiétudes, voire des résistances au changement chez les monteurs de couteaux, mais aussi dans l’encadrement. Par contre, il y a des fils d’or extrêmement solides dans cette entreprise. Ce matin, François Daniellou parlait de l’histoire de l’entreprise, et nous nous sommes imprégnés de cette histoire pour vraiment accompagner, dans l’esprit du compagnon, la tradition, le métier et les valeurs de cette entreprise. La première bobine de fils d’or, c’est l’histoire justement : ce patrimoine, ces savoir-faire ancestraux transmis de compagnons en compagnons autour du métier, mais qui néanmoins soulèvent des inquiétudes dans l’entreprise, notamment en lien avec les compétences très spécifiques développées par les monteurs de couteaux, en lien avec les questions des âges, du vieillissement, mais aussi en lien avec des difficultés de recrutement liées à la spécificité de Laguiole. Et puis parmi les bobines d’or sur lesquelles l’ergonome va s’appuyer pour structurer effectivement, non pas une recherche de solutions, mais une démarche, un processus qui vise le changement, il apparaît très rapidement dans cette entreprise un management très engagé par rapport à ces valeurs autour du métier, et une volonté affirmée de préserver ces savoir-faire ancestraux reçus quelque part en héritage. Alors cette histoire, de la forge de Laguiole bien sûr, elle s’appuie sur des compétences extrêmement fortes et « on ne devient pas monteur de couteaux du jour au lendemain ». Tout cela s’inscrit dans un lent processus d’acquisition des compétences, et avant de pouvoir réaliser un couteau effectivement, il y a un chemin, un véritable chemin de compagnonnage. Thierry Moysset va nous conter ses fils d’or ancestraux autour du métier et ce patrimoine précieux à préserver. Thierry Moysset

Bonjour, je m’appelle Thierry Moysset, je suis arrivé dans le couteau en 2007, complètement par hasard, puisqu’en fait la forge de Laguiole était tout simplement en dépôt de bilan. Et on s’est dit, on ne peut pas laisser ça, petit-fils de Laguiolais, ce n’est pas possible. En plus, je venais d’expérience de grands groupes, je commençais un peu à en avoir ras le bol des grands groupes, et c’était l’occasion de démarrer une aventure. Alors quand on dit « démarrer une aventure », c’est assez particulier parce que l’entreprise était en dépôt de bilan. Et quand on est en dépôt de bilan, on a une force, c’est qu’on n’a plus rien. Et quand on n’a plus rien, on a une force, c’est qu’on devient intelligent, puisqu’en fait, il faut trouver des solutions avec rien. Avec Jérôme, qui est dans la salle, on a énormément travaillé sur le métier. Je pense qu’aujourd’hui, il y a vraiment une chose qu’on a perdu, c’est le métier. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, qu’est-ce qui fait qu’on est fier d’appartenir à une entreprise, qu’est-ce qui fait qu’on est fier le soir de rentrer à la maison, ce sont les portes ouvertes. Par le passé, quand on faisait les portes ouvertes, les gens étaient fiers que leur famille vienne voir le poste de travail, parce que le père montrait au fils « tu as vu ce que je fais ». Quand on travaille chez Michelin ou chez Peugeot - j’ai commencé chez Peugeot - les anciens ne rêvaient que d’une chose, c’est que le fils rentre chez Peugeot. Aujourd’hui, ils ne rêvent que d’une chose, c’est que le fils ne rentre surtout pas chez Peugeot. Et quand on faisait des journées portes ouvertes, c’était « viens voir ce que je fais ». Quand on montrait ce qu’on faisait, il y avait vraiment une fierté, c’est-

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à-dire « tu as vu mon fils ce que fait ton père ». Aujourd’hui, le type, il n’aspire qu’à une chose, c’est que surtout son fils ne voit pas ce que fait son père. Donc je pense que la première force d’une entreprise, et juste pour vous provoquer un peu, c’est de passer de l’ergonomie métrée à de l’ergonomie, où plutôt que de mesurer la position de la main par rapport au cœur, mesurer la position du cœur par rapport au bonheur. Et ce qu’on a complètement perdu si vous voulez dans les entreprises, c’est ce sentiment d’appartenance, de fierté, de bien-être, ce sentiment que quand quelqu’un passe dans le couloir (parce qu’en fait nous l’entreprise se visite librement : quand vous arrivez, vous vous baladez totalement librement dans l’entreprise au milieu des bureaux. Vous pouvez rentrer dans mon bureau, vous pouvez voir les hommes travailler, etc.), et le plus beau sentiment en fait que puisse avoir une personne, c’est de se retourner et d’être fier de ce qu’elle fait. Et je pense qu’à partir de là, on peut commencer à travailler avec des gens, c’est-à-dire que seulement quand ils sont fiers de ce qu’ils font, si vous êtes fier de votre métier, je peux travailler avec vous. Si vous, vous n’êtes pas fier de votre métier, je ne pourrai pas travailler avec vous. Donc, le premier travail qui a été fait au niveau de la forge, a été de remettre l’Homme, mais quand je vous dis l’Homme, ce n’est pas l’Homme, c’est le bonhomme, ou la bonne femme, au centre du métier, au centre des préoccupations. Et plutôt que de dire « je vais travailler » comme on faisait dans l’automobile, à ce que n’importe qui puisse remplacer n’importe qui n’importe quand, nous avons fait tout l’inverse en fait. Nous avons fait en sorte d’être pris au piège, que toute personne devienne indispensable et que, si elle n’est pas là, on est dans la mouise. Donc l’idée, ce n’est plus « on va simplifier les tâches » ou « on va faire en sorte que les gens soient remplaçables par n’importe qui au pied levé ». Nous nous sommes dit « on va les mettre dans un sentiment de force, dans un sentiment où nous on a besoin d’eux, on est obligé de les aimer ». À partir du moment où on les aime, on les respecte. À partir du moment où on les respecte, ils ne partiront pas. À partir du moment où ils ne partiront pas, on peut les former. A partir du moment où ils ne partiront pas et où on peut les former, ils auront un métier. Et à partir du moment où on aura réuni tout ça, tous les matins quand ils vont embaucher, ils seront fiers de pouvoir dire à leurs gamins « moi j’ai un métier ». Voilà donc la première chose quand nous avons travaillé sur tous ces projets. Nous y sommes parvenus tard : on est en 2015, je vous parle du début de 2007 parce que déjà, cela demande du travail de confiance entre la hiérarchie et les salariés, cela demande plein de choses, et puis pour dépenser de l’argent, il faut déjà en gagner. Donc il a fallu qu’on gagne un peu d’argent.

1.3. Démarche ergonomique Mais en premier lieu, quand M. Chambon est venu, on ne voulait pas qu’il mesure, savoir si le poste était assez haut, trop bas, si la main allait bien, si elle était au-dessus du cœur, si c’était lourd, nous ne voulions même pas entendre ce discours. Ce que nous voulions, c’est que les gens se sentent sur LEUR poste : pas sur un poste, sur LEUR poste. Et nous, plutôt que de faire du 5S, on casse le 5S, on aime bien quand il y a du désordre : parce que chez eux parfois, il y a du désordre, parfois c’est bien rangé. Donc l’homme chez qui c’est bien rangé, il range bien son poste, le monsieur chez qui c’est le désordre et bien son poste est en désordre. Qu’est-ce que cela a de gênant ? Rien. Si ce n’est que la personne s’approprie SON poste, ça devient SON poste. Et ce qu’on a demandé à M. Chambon, c’est de travailler sur LE poste d’UNE personne. Chez nous, chaque poste est attitré à une personne, et on lui a demandé d’améliorer le poste de chaque personne.

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Hugues Chambon

Par rapport à ce que dit Thierry, comment on en est arrivé effectivement à la formulation de l’accompagnonnage, simplement par ce que j’ai largement explicité ici : je pense que ergonome, c’est un métier à tisser, à relier, c’est un faiseur de sens, et que toute la structuration de la démarche a été d’embarquer dans l’entreprise, de réunir autour du métier, des métiers de chacun, toutes les ressources disponibles pour conduire ce changement. Et donc l’idée, ça a été plutôt de tisser une communauté de sens autour du changement, des liens plus ou moins visibles qui le structurent, tisser de la ressource plutôt qu’un rapport, partant de l’idée que chacun dans l’entreprise, chaque métier détenait des fils potentiellement d’or qui allaient être indispensables pour conduire un changement durable, soutenable. Alors, il a aussi fallu faire évoluer les représentations parce que dans l’entreprise, l’ergonome auvergnat qui arrive avec son mètre et son livre de normes sous les bras, c’était un peu la représentation de l’ergonomie. Il a fallu mettre en lumière effectivement ce qui faisait qu’il n’y avait pas d’épidémie de TMS à la forge de Laguiole aujourd’hui, et qu’on partage autour de cela. Alors la démarche a été structurée bien sûr autour de Thierry Moysset, mais aussi autour de la cheville ouvrière du projet, le responsable de production, le responsable de l’atelier, le CHSCT, le médecin du travail également. Quelles précautions par rapport au changement ? Pas d’épidémie à la forge de Laguiole, alors que tous les facteurs de pénibilité sont réunis pour que tous les monteurs de couteaux soient touchés, est-ce un miracle ? À quoi cela peut-il bien tenir et à qui cela tient ? Comment cela tient ensemble ? Tout simplement, pour faire le parallèle peut-être avec les compagnons, c’est qu’aussi, les compagnons construisaient leur cathédrale intérieure, et que vraisemblablement, nous avons fait l’hypothèse très tôt que les monteurs de couteaux mettaient du cœur à l’ouvrage et que cela préservait effectivement d’un certain nombre de pathologies. L’objectif était de faire évoluer les représentations, car elles étaient en décalage avec l’ergonomie et avec les liens entre santé et performance. Il s’agissait également de faire partager que le travail est toujours une activité complexe et en constante évolution. Nous entendons ici l’adjectif « complexe » comme « ce qui est tissé ensemble ». Nous voulions faire partager à l’ensemble des acteurs que, si l’ergonome répondait à la demande initiale d’apporter des solutions techniques (mettre des sièges ergonomiques), cela ne pouvait pas fonctionner. Nous voulions expliquer que nous allions prendre du temps avant de savoir si la solution choisie était la solution appropriée. L’objectif était de réfléchir à une solution en lien avec la tâche, avec l’opérateur et avec les autres éléments de la situation de travail. Nous avons ensuite pu commencer à rentrer dans cette construction du changement lorsque nous l’avons problématisé et que nous avions une vision commune, d’autant plus que les résistances des opérateurs étaient extrêmement fortes. Lors des premières verbalisations, nous avons découvert que les opérateurs étaient fortement attachés à leur environnement de travail et qu’ils avaient développé des savoir-faire incorporés en lien avec le matériel qu’ils utilisent. Nous avons dû prendre énormément de précautions dans la démarche et rencontrer tous les monteurs pour comprendre leur travail. Tout comme nous parlions précédemment de l’ergonome comme « un métier à tisser », nous pouvons qualifier le chef d’entreprise actuel de la même manière. Un chef d’entreprise « entraineur-entrainant ». Avec ce changement de direction, l’entreprise est passée d’un management par le « comment » (comment fabrique-t-on ces couteaux ?) à un management par le « pour qui » (pour qui fabrique-t-on ces couteaux ?). Qu’est ce qui fait que les clients vont être fiers d’acheter ces couteaux ? Et également, pourquoi les fabrique-t-on de cette façon, en faisant confiance à l’opérateur ? Nous sommes donc passés à un management par les ressources humaines, les règles de métiers, les compétences et la confiance. Nous avons évoqué lors de ces journées le concept de subsidiarité. Nous avons une métaphore beaucoup plus simple empruntée au monde du sport : « celui qui commande, c’est celui qui a le ballon ». La personne qui commande, c’est celle qui est dans l’action donc a priori celle qui détient les compétences. Concernant les décisions stratégiques et politiques, l’acteur qui est dans l’action

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est le chef d’entreprise, mais celui qui est aux commandes pour savoir comment sont fabriqués des couteaux de qualité, c’est l’opérateur. Nous pouvons ici évoquer le concept d’intelligence situationnelle. Nous allons maintenant nous exprimer sur le métier de chef d’entreprise et les changements managériaux relatifs aux procédures lors du changement d’encadrement.

2. Le management dans les forges de Laguiole

Thierry Moysset

Certaines entreprises cherchent à mettre en place des indicateurs très spécifiques sur le bien-être. Dans notre entreprise, nous n’avons pas d’indicateurs sur le chiffre d’affaires. Nous avons enlevé tous les indicateurs, car lorsque vous mettez en place un indicateur, vous devez mettre en place un objectif et les objectifs poussent à faire des erreurs. Nous avons également supprimé la rémunération à la tâche et décidé de responsabiliser les opérateurs en enlevant des niveaux d’encadrement. Le travail de l’encadrement n’étant pas de surveiller des indicateurs, mais de faire progresser l’entreprise. Le travail du chef d’entreprise n’est pas d’aller surveiller les opérateurs et leur dire s’ils font du bon travail ou non en fonction d’indicateurs. Son travail est de mettre en place des processus qui débouchent sur des améliorations. L’opérateur rémunéré à la tâche ne se pose pas la question de l’ergonomie, il veut faire sa tâche rapidement pour être rémunéré. En outre, le chef d’entreprise ne peut pas déléguer certaines choses comme la sécurité ou l’ergonomie. Ces éléments relèvent de sa responsabilité. Lorsqu’un accident du travail grave survient, la situation est dramatique pour l’entreprise et la première crainte de l’opérateur est de ne pas revenir et reprendre son poste, même pour des postes extrêmement durs. Cependant, si l’opérateur a un sentiment d’appartenance, que l’encadrement lui fait confiance, lui laisse une part de liberté, il aura cette envie de travailler à son poste. Dans notre entreprise nous donnons trois à quatre tâches à chaque opérateur. Cela a pour inconvénient que nous ne pouvons pas les suivre en termes de rendement, mais l’avantage est que, lorsque l’opérateur est fatigué physiquement ou psychologiquement, il passe à autre chose. Ce que l’entreprise perd en ne suivant pas le rendement, elle le gagne grâce à l’organisation. L’ergonomie est un outil pour permettre aux gens de mettre en place cette organisation. Nous travaillons essentiellement sur la construction de ces processus tout en laissant une marge à l’opérateur, car nous ne les standardisons pas donc les opérateurs produisent à leur manière. Cela est possible, car nous ne mesurons pas nos produits. Les opérateurs sont capables de dire en regardant le produit fini s’ils l’ont fabriqué ou non. Hugues Chambon

Thierry vient de l’évoquer, il y a un management spécifique dans cette entreprise. La direction fixe un cadre, mais s’attache surtout à faire cadrer par les opérateurs, c'est-à-dire à réguler, à négocier, à dialoguer avec le réel au quotidien. Ce type de management fabrique du soutien social, de l’écoute. Cela renvoie à des jugements d’utilité, de reconnaissance et de la latitude décisionnelle. Autant de fils d'or à consolider. Cet équilibre est fragile, mais il alimente l’estime de soi et le travail en santé. C’est un management par l’estime. L’idée par rapport à ma métaphore, c'est effectivement le management pour faire et pour donner confiance à celui qui a le ballon, donc celui qui est compétent au plus près du terrain. Alors par quel miracle n’y a-t-il pas pas d'épidémie de TMS à Forges de Laguiole ? Nous nous sommes entretenus avec les 21 opérateurs. Nous les avons filmés tous, ça a été un long processus, mais nous avons d'abord embarqué tout le monde, nous avons cherché à comprendre le travail et effectivement, comme vient de le dire Thierry, la clé de voûte de la performance durable, qui va consolider cet édifice, c'est le cœur à l'ouvrage des monteurs de couteaux. C'est certes un travail pénible, du point de vue du

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décret de pénibilité, monteur de couteaux, mais tous expriment que cela vaut la peine, ont les yeux qui brillent quand on les invite à s'exprimer sur ce qu’ils fabriquent et le métier. On est vraiment dans la fierté de l'artisan, du travail bien fait, de celui qui sait travailler la matière, des matières très nobles, parfois. Bien sûr, en respectant les règles de l'art ancestrales, transmises générations après générations. Et, ils l'expriment tel quel, "mon couteau, je le reconnaîtrais entre dix, vous pouvez m'en poser dix/quinze sur la table, je vais reconnaître celui que j'ai façonné de mes mains, de mes propres mains". Clairement, des conditions d'apprentissage et d'exercice et de reconnaissance du métier, qui tissent du pouvoir d'agir en santé et qui étoffent le métier au quotidien. Suite à cela bien évidemment, classiquement, on a avec les monteurs de couteaux, en employant la bonne vieille maïeutique, c'est-à-dire les aider à accoucher de ce qu'ils savent déjà, de ce qu'ils vivent au quotidien, c'est-à-dire définir leurs besoins, en partant de l'expression corporelle, "j'ai mal à l'épaule" "oui, d'accord, et selon vous, ce mal à l'épaule, il vient de quoi ? Et qu'est-ce que vous pourriez faire ?" Et c'est eux qui ont construit les besoins avec une précaution, prendre soin des fils d'or de la virtuosité incorporée. Ce sont des virtuoses. Leur instrument c'est le backstand, et, comme un musicien à qui on change son violon, il est vraisemblable que demain il ne va pas produire les mêmes notes. Tout cela s'inscrit très patiemment, pas après pas, avec tous les monteurs. Partant du principe aussi que le changement est intégrateur de nouveaux possibles, et va aussi diminuer les phénomènes de tension et d'anxiété. J'ai évoqué au départ : qu'est-ce qui se trame derrière ce changement ? Est-ce qu'on va pouvoir être pour quelque chose dans ce changement-là ? Toujours dans la même dynamique de celui qui a le ballon, on va augmenter le sentiment de responsabilité et l'esprit d'initiative. Être pour quelque chose aussi dans les difficultés résiduelles, parce qu’entre le cahier des charges de l'ergonome, c'est-à-dire le backstand fabriqué par un concepteur à partir de notre cahier des charges et le backstand sur lequel on a travaillé, il y avait les enjeux financiers et on n’a pas pu faire le backstand rêvé, souhaité, souhaitable. Donc ces marges de manœuvres aussi sur des difficultés résiduelles ont été négociées et acceptées par le plus grand nombre. Et en actes, cela donne tout simplement ceci : classiquement, nous avons déterminé les besoins. A partir des besoins, nous avons esquissé le cahier des charges fonctionnel, et j'ai la chance d'avoir dans mon équipe un compagnon qui exerce l'art du trait, avec génie, qui a dessiné les premières esquisses qui effectivement pourraient être le backstand. Et légitimement, l'entreprise en a fait un prototype à partir de bouts de backstand récupérés, pour intégrer tous les besoins, les fonctionnalités. Et tous les monteurs sont passés par petits groupes, pour tester et amender les solutions et discuter, parfois se disputer autour d'options, sur la question du siège notamment, à utiliser, ne pas utiliser, changer sa posture. Donc ça a été assez génial de ce point de vue. Et donc aujourd'hui, une vingtaine de backstands sont installés, avec un retour qu'il vous fera sur ce qu'il se passe réellement dans l'entreprise. Et donc c'est l'heure de dresser un bilan et je vais parodier aussi Edgar Morin, qui nous dit que l'emploi peut étoffer le travail et le travailleur comme il peut l'étouffer et, là en l'occurrence le changement peut produire les mêmes effets, et l'occasion d'étoffer ou d'étouffer s’il n'est pas préparé. De mon point de vue, la valeur ajoutée de l'accompagnonnage, c'est cette communauté de sens autour du métier, qui va tramer un changement durable, soutenable. C'est aussi je pense ce qui a été apporté à l'entreprise, piloter le changement par le travail, par les activités réelles plus que par les solutions, là où l'on était invité à l'origine, à concevoir et à valider les solutions. Et puis je reviens au compagnonnage, finalement, ce qui s'est joué dans cette intervention, c'est aussi la réalisation d'une œuvre commune, avec les autres hommes dans cette entreprise, entre hommes partageant les mêmes valeurs, des traditions et des métiers différents, mais complémentaires. Pour autant, et chacun le sait dans la salle, cet équilibre est toujours extrêmement fragile, les fils sont extrêmement fragiles. Invitation à remettre sans cesse le métier sur l'ouvrage, mais ne jamais perdre de vue le cœur à l'ouvrage. Je crois que chacun là aussi, Saint-Exupéry nous dit que chacun s'enrichit de ce qu'il transforme. Donc transformer l'essai et Thierry Moysset,

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symboliquement, je sais que vous êtes, le chef c'est celui qui est en haut, et celui qui va faire appel, peut-être à l'ergonome pour accompagner la question des compétences, c'est vous, parce que c'est vous qui allez le décider, donc je vais vous offrir un pense-bête, avec du jaune or, qui vous rappellera les fils d'or. Donc vous le mettrez dans votre bureau, à chaque fois vous vous rappellerez effectivement, tiens c'est le compagnon auvergnat. Il y a un peu de bleu aussi, bon, je dois l'avouer, mais jaune et bleu c'est pas mal. Je sais que vous préférez le rouge et le noir, mais je vous passe la balle. Juste une transition, pour faire le lien entre la tradition auvergnate et la tradition aveyronnaise. Finalement, c'est quoi la bonne posture, la bonne formule, pour relier travail en santé et performance ? c'est que nos ancêtres, nos amis couteliers de la région thiernoise, n’avaient pas besoin d'ergonomes, pas besoin de prescriptions pour travailler ; ils avaient trouvé effectivement un compromis pour travailler en santé et être performant, avec un auxiliaire précieux, un chien, qui avait deux fonctions : tenir chaud, parce qu'ils travaillaient dans un milieu très ouvert et assurer un contre-poids. Et moi j'ai rencontré un vieux monsieur coutelier, 87 ans, qui m'a dit qu'il faisait encore des démonstrations, qui m'a dit "Moi M. Chambon, problème de dos, connais pas". À vous de réagir et peut-être tirer quelques fils, qui j'espère vont être d'or.

Thierry Moysset

Juste un petit point de détail, je pense que, il ne faut vraiment pas oublier le métier et quand on est bien, alors - c'est quelque chose que l'on retrouve dans le sport - quand on est bien, notre corps accepte aussi beaucoup plus de choses, et c'est vrai qu'on a une usine, quand je vois le travail des gars, on est une fabrique à TMS, c'est-à-dire que normalement on devrait en produire un par jour voire deux par jour. Ça devrait bien se passer. Et en fait, je pense qu'on a complètement perdu dans l'industrie les émotions, on a complètement perdu dans l'industrie, le mot bien-être en fait. Et je pense que, avant de mesurer, la première question que l'on devrait poser aux mecs, c'est "est-ce que t'es bien ?" Mais pas bien parce que t'as les bras trop hauts, parce que t'as les bras loin du corps, ou parce que la charge est lourde. Moi parfois je préfère porter une charge lourde avec un mec que j'aime bien plutôt qu'une charge légère avec un con. Je le dis. Non, mais je pense que c'est peut-être dit assez brutalement, mais c'est tout à fait ça. C'est-à-dire qu'à un moment donné, on ne peut pas négliger l'environnement et le bien-être des gens, mais retenez l'image, porter une charge avec un con c'est terrible quoi, voilà, et je pense qu'on a oublié ça aujourd'hui dans l'industrie.

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Les enjeux de l’analyse de l’activité dans le développement de l’employabilité

L’exemple de la formation S.T.E.P chez Vinci

Alain Delage Responsable en ingénierie de formation et développement de compétences, VINCI Construction France

Communication non validée par l’auteur

Je travaille à la direction de la formation de Vinci Construction France. J’ai commencé dans le BTP en tant que manœuvre avec un niveau 3e et j’ai petit à petit évolué dans les différentes sociétés auxquelles j’ai appartenu en apprenant sur le tas, autant le management que la technique. J’ai ainsi évolué jusqu’au poste de directeur des travaux. Le métier de directeur de travaux est assez stressant et à une quarantaine d’années, j’ai eu envie de prendre une autre voie : la formation était toute indiquée. Je suis donc entré dans le service formation du groupe. Entre temps, j’ai passé un master d’ingénierie de formation et de développement des compétences, et sous l’influence de certaines collègues ergonomes du groupe, j’ai passé un DU d’ergonomie à Bordeaux qui m’a révélé l’approche de l’activité ainsi que beaucoup de choses sur ma façon de concevoir la formation et les hommes au travail. Depuis, je transforme tout ce qui passe au travers de ce filtre-là. Tout d’abord une rapide présentation du groupe Vinci. Vinci est leader mondial de la concession et de la construction et leader français en construction. Cette partie n’est pas très connue, car Vinci Construction France rassemble 360 filiales et qu’elles ont toutes gardées leur nom, à part un logo commun maintenant, on connait plus Vinci construction France sous le nom de GTM, de SOGEA, ou sous un des 360 noms qui existent au sein du groupe. Il faut savoir également que c’est plus un assemblage de PME. Sur les 360 filiales, qu’il n’y a que 22 sociétés qui ont plus de 250 salariés. En résumé c’est 190 000 personnes et 40 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel. SESAME est l’organisme de formation qui a été mis en place lors de la fusion GTM/SOGEA pour devenir Vinci Construction France. Les objectifs étaient simples. Le premier était de faire en sorte que les salariés s’entendent sur leur savoir-faire et mutualiser les savoirs et les cultures au sein de VCF pour fédérer tout le monde au nom de la nouvelle étiquette. Mais c’était aussi de transmettre les savoirs métier du groupe, avec du matériel, des centres de formation équipés pour ça, avec leurs propres matériaux et matériels. Il y a 8 centres de formation en France, 350 000 heures de formation par an, et 17 000 stagiaires formés, sachant qu’il y a 23 000 salariés au sein de VCF. La formation dans le groupe est quelque chose de très récurent. Au début, il y a 7 ans, tout le processus de formation n’était pas maitrisé. Nous nous sommes alors dirigé vers la pédagogie par objectifs. C’est-à-dire que la direction donne un objectif, formule un besoin de formation et ensuite SESAME, l’organisme de formation, qualifie les objectifs opérationnels et pédagogiques, applique des méthodes et met en place une évaluation dont une attestation en ressort. Ce sont donc des formations qualifiantes et non certifiantes. Cependant la pédagogie par objectifs a des limites. En effet lorsqu’il n’y a qu’une descente des objectifs de la direction on en oublie que les formations s’adressent aux gens qui sont ancrés dans le travail. Je vais citer rapidement l’exemple de mon mémoire de DU qui est assez révélateur de l’écart qui peut y avoir entre une demande de l’entreprise et une application sur le terrain. La formation s’appelait Orchestra

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qui est une demande tout à fait logique de l’entreprise : 360 filiales organisées de façon dite « systémique », où chaque entité avait son propre système d’organisation avec cependant un problème de mutualisation. C’est pourquoi la direction nationale a décidé de marquer certaines étapes avec certains process, de l’étude de chantier jusqu’aux retours d’expérience notamment à la roue de Deming, dont on doit respecter les étapes unes par unes. J’ai donc fait en premier lieu une analyse de la formation : je suis allé en formation, j’ai regardé les messages qui étaient transmis et interviewé les stagiaires pour avoir leur ressenti. Les informations transmises étaient toutes assimilées du fait de leur clarté et de leur logique : il est évident qu’il faut réparer avant de travailler, qu’il faut planifier, qu’il faut des PPSPS (Plans Particulier de Sécurité et de Protection de la Santé). Par contre une des réflexions faites par le formateur, sur « s’il y a un aléa, c’est qu’il n’a pas été prévu », a mis le stagiaire dans une situation où il se disait « oui, mais… des aléas on en a quelques-uns quand même sur le chantier, c’est difficile à prévoir ». Dans l’enquête sur la formation, il s’est donc intéressé au binôme organisationnel du chantier entre le chef de chantier qui organise les équipes et manage les hommes et le conducteur de travaux qui gère et planifie. Concernant les résultats, il y a un grand nombre d’activités différentes sur une journée et sur plusieurs chantiers avec un constat plutôt difficile : un conducteur de travaux change de problématique à régler dans l’instant toutes les 6 min 08 et ce durant 80 % de son temps de travail (6 min 15 pour le chef de chantier). Cette étude a peut-être été faite sur un faible nombre de chantiers, mais aujourd’hui ergonome chez Vinci Construction France (VCF), avait fait les mêmes études chez Bouygues et les résultats étaient similaires. La question est donc de savoir comment prévoir et anticiper quand pendant 80% de son temps un opérateur est sollicité par des problématiques à régler dans l’instant ? Les analyses ont montré que les chefs de chantier commencent parfois leur journée plus tôt pour ne pas avoir de personnel et ainsi pouvoir essayer d’organiser et planifier. Le soir ils quittent le travail plus tard, afin d’avoir du temps pour les tâches plus administratives. Il apparait donc que la pédagogie par objectif ne résiste pas telle qu’elle était appliquée et que lorsque l’on analyse l’activité on voit que planifier, organiser, réaliser tous les papiers nécessaires c’est très difficile lorsque pendant 80% de son temps on est interrompu par autre chose. Au-delà de la notion de compétence et de savoirs associés, il faut intégrer les compétences générales, c’est-à-dire les capacités transversales. On s’aperçoit que dans la pédagogie par objectifs, telle qu’elle est pratiquée chez VCF et telle que des organismes de formation la pratique, les compétences générales et les capacités transversales c’est prendre de la distance par rapport à son activité. C’est-à-dire le fait de pouvoir développer des capacités hypothético-déductives. Or ce n’est pas en les enseignant et les évaluant que cela va se mettre en fonction dans le cerveau et bien fonctionner. Le besoin en formation doit être vu par le prisme de l’analyse de l’activité afin d’influencer les prises de décision des directions. La première formation nommée ACCROBAT dispensée chez VCF avait pour objectif de gérer les écarts entre les tâches prévues et le travail réel. Elle n’était pas basée sur des savoirs théoriques ni savoir-faire particulier, mais sur des notions beaucoup plus transversales, sur l’organisation. C’était par exemple le fait de faire de la prévention sans en parler, monter un projet en groupe, impliquer l’encadrement de chantier, favoriser la cohésion de groupe et démontrer la nécessité d’une bonne communication ascendante et descendante. L’exercice mis en place consistait à demander à deux équipes d’installer un système pour monter en haut d’une tour à partir de 3 câbles (3 câbles de maintien et 1 câble de circulation), avec tous les éléments de

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sécurité et passer de l’autre côté le mieux possible et dans les meilleures conditions de sécurité possible. La journée se déroule comme suit : le matin il y a deux équipes qui visitent un site, analysent des risques, élaborent des modes opératoires, et se répartissent les tâches. L’après-midi, ils passent à la réalisation. C’est là qu’apparaissent les dysfonctionnements. Toutes les situations sont filmées. Il y a une restitution par deux formateurs et après il y a une discussion interhiérarchique puisque chaque équipe est constituée de directeurs de travaux, de compagnons, de chefs d’équipe. La conclusion est souvent la même : finalement prescrire et planifier c’est bien et nécessaire, mais le dialogue et les compétences collectives aident à pallier les aléas sur le moment.

Résultats Les résultats sont encore non mesurables pour l’instant, mais la formation s’inscrit dans l’évolution d’une culture de sécurité organisationnelle. Il est prévu que tout le monde passe cette formation. Le deuxième exemple se passe à Mayotte. Il y a eu une demande de la direction de Mayotte. C’était une demande de formation classique : « Moi j’ai besoin de former mes gars au bâtiment ». Plutôt qu’une formation classique, il leur a été proposé de faire un diagnostic des compétences à travers l’analyse de l’activité des salariés et une cartographie des compétences de leurs salariés. À VCF il y a environ 400 maîtres bâtisseurs, connus pour leurs capacités à transmettre et pour leurs compétences avérées et reconnues par leurs pairs. L’idée était d’analyser et de choisir un maître bâtisseur qui était maître compagnon avec 30 ans d’expérience. Il a été formé à l’analyse de l’activité, au travers de son expérience et un référentiel de compétence a été mis en place. Dans toute société il y a des compétences qui peuvent être des savoirs faire, des compétences générales ou un mélange de choses. Donc les 3 référentiels de compétence ont été séparés. Le premier c’est « l’homme vis-à-vis de sa relation à l’autre » qui correspond toutes les compétences du niveau du management et de la communication qui sont généralement très transversales. Le deuxième est « l’homme par rapport à l’entreprise », ce qu’il doit faire en termes de gestion et d’organisation qui sont très transversales. La dernière catégorie est « l’homme par rapport à son métier », qui regroupe les compétences techniques. C’est donc à partir de ce référentiel que le formateur est allé observer les compagnons, les chefs d’équipe, les chefs de chantier pendant 15 jours et à chaque fois, à chaque fin d’observation, il faisait un entretien, et s’il n’y avait pas bien observé, en dernier recours il avait prévu quelques QCM, qui ne permettent absolument pas d’évaluer la compétence, mais au moins d’avoir une idée de la maîtrise ou non de certains éléments. Une grille a été montée avec 3 mentions : - « ne maîtrise pas », - « fait avec aide » - « fait en autonomie ». C’est un outil très parlant et utile pour le travail de la direction. On s’aperçoit que les différents chefs d’équipe sont tous en dessous de la maîtrise. Donc il y a de vraies question à se poser parce que si le chef de chantier est stimulé toutes les 6 minutes pour gérer des problèmes dans l’instant, c’est peut-être aussi parce qu’on n’a pas donné les moyens aux chefs d’équipe d’anticiper leurs matériels, leurs main d’œuvre, et de planifier leur activité sur une semaine, ce qui est normal pour un chef d’équipe dans le bâtiment, car ils ont une vision au lendemain. Tout ce travail est fait avec beaucoup d’humilité puisque fait d’échecs, mais aussi de réussites. Il y a encore des formations qui sont assez descendantes bien sûr. Il ne faut pas croire que toutes les formations sont adaptées à ce modèle-là, mais petit à petit il y a une vraie prise de conscience par la

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direction que c’est un effort aussi de notre part et de celle des ergonomes que de faire comprendre que l’analyse de l’activité est importante pour qualifier petit à petit le besoin. L’idée est de passer d’un management de la compétence, type RH, à un management par la compétence, dite managerielle. Faire de l’analyse de l’activité au sens large, est une base de réflexion pour concevoir. On s’aperçoit dans notre entreprise comme ailleurs que c’est très rassurant de prescrire et de respecter les modes opératoires, la direction a tendance à être dans un coussin un peu doux en se disant « voilà j’ai tout prescrit, maintenant s’ils ne le font pas c’est qu’il y a un problème », et là il y a vraiment un retour, une prise de conscience de beaucoup de dirigeants qui se disent « mais finalement, la prescription pure, ça peut ne pas marcher, il faut peut-être intégrer la compétence des maîtres bâtisseurs ». Les maîtres bâtisseurs sont le plus souvent possible intégrés dans les groupes de réflexion, avec des ingénieurs méthode, pour que leur expérience vienne améliorer un peu les modes opératoires.

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Prendre en compte le travail dans les processus de recrutement et d’intégration

Fabrice Cloarec Chargé de mission, ARACT Aquitaine, Bordeaux

Olivier Foschia Association TRANSFER, Bordeaux

François Fourton Entreprise APSO Isolation, Tresses

Fabrice Cloarec

Nous allons vous présenter un partenariat que nous avons avec TRANSFER, qui nous a amené à travailler sur le lien entre travail et processus RH, travail et processus d’intégration/processus de recrutement. Nous avons convié François Fourton, de l’entreprise APSO Isolation, qui nous présentera tout à l’heure son entreprise pour témoigner de la mise en œuvre de ce partenariat, de ce travail que nous avons mené ensemble depuis 1999. Olivier Foschia dira quelques mots de l’approche de TRANSFER. Je ne vais évidemment pas vous présenter l’ARACT Aquitaine que vous devez à peu près connaitre. Il y a quelques années nous étions, comme tout le réseau ANACT/ARACT, très centré sur le travail et, de plus en plus, des partenaires financiers tels que la DGEFP [Délégation Générale à l'Emploi et à la Formation Professionnelle] nous ont demandé de travailler sur ce lien entre emploi et travail avec l’implication de l’ARACT et de l’ensemble du réseau dans des démarches type GPEC [Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences], dans des partenariats et des relations avec des acteurs comme Pôle Emploi, avec qui nous n’avions pas du tout l’habitude de travailler. Nous nous sommes posés la question de notre place dans ce dispositif, et de savoir comment nous, acteur ayant le travail au centre de nos préoccupations, étions en mesure d’approcher ou d’aborder les questions d’emploi. Nous avons cherché un certain nombre de partenaires, nous nous sommes rendus compte qu’avec bon nombre qui étaient des spécialistes de l’emploi, nous étions dans l’impossibilité de nous comprendre par rapport à nos approches sur le travail, et puis nous avons rencontré TRANSFER. TRANSFER a pour mission l’intégration de salariés loin de l’emploi, de salariés peu qualifiés. Nous qui sommes sur l’amélioration des conditions de travail, nous avions un point commun avec cette structure : nous avions des approches centrées sur le travail les uns et les autres, et c’était moins les caractéristiques de l’individu, mais plutôt les questions d’organisation du travail, et donc le Travail qui nous intéressaient. Voilà pourquoi nous avons engagé ce partenariat. Olivier Foschia

Je vais vous faire l’économie de la présentation de TRANSFER, ce n’est pas le sujet, mais, juste pour placer le curseur un peu de notre expérience et de nos témoignages, je voudrais juste rappeler que, lorsqu’on parle de chômeurs de longue durée ou de chômeurs de très longue durée, on a affaire à des personnes qui, avant d’être out de l’entreprise, étaient massivement dedans. Les chômeurs ne sont donc pas des personnes qui n’ont jamais accédé, qui n’ont jamais eu de situation de travail, ce sont des personnes qui en sortent bien souvent. Cela invite aussi à penser les questions d’exclusion professionnelle, peut-être moins sous l’angle de l’équipement des individus (pour qu’ils soient mis aux

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normes des attentes supposées du marché), mais peut-être davantage à regarder les causes et les choix d’action pour lutter contre l’exclusion professionnelle, sous l’angle, d’une part, du fonctionnement RH de l’entreprise, et puis peut-être aussi, d’autre part, sous l’angle du fonctionnement des intermédiaires du marché du travail qui sont amenés à les aider par rapport à leurs préoccupations de recrutement et d’intégration ; mais ça on aura peut-être l’occasion d’en reparler pendant le débat. Alors, pour vous présenter de manière un peu rapide les pratiques de recrutement telles qu’elles ont cours dans notre société française. Déjà, si l’on regarde le processus de recrutement, c’est un processus de sélection, avec une volonté de l’entreprise, qui est toujours dans un contexte d‘incertitude majeure lorsqu’elle est amenée à recruter, à trouver le meilleur ; c’est le « jeu du meilleur-gagne ». Sauf que c’est le « jeu du meilleur-gagne », mais avec des règles parfois un peu floues, parfois un peu tronquées. Je vais vous en prendre trois exemples.

Les besoins de recrutement Sur ce qui fait état des besoins de recrutement, c’est-à-dire les offres d’emploi, je vous invite à en avoir une lecture assez critique puisque, quels que soient les supports que vous êtes amenés à consulter, que ce soit le service public de l’emploi, les journaux, je vous mets au défi, à la lecture d’une offre d’emploi, de vous projeter sur la réalité de travail qui vous attend derrière. Par contre, les offres d’emploi, lorsqu’on regarde comment elles sont formulées, vous y voyez effectivement beaucoup d’attentes en termes de profilage. On est dans l’utopie d’un critère de personne, d’individu qui pourrait répondre à un besoin mal défini, et puis la manière de définir ce besoin se résume à des critères d’expérience, de diplômes, des critères ‘’personnologiques’’. Hier, François Daniellou parlait des non-personnes, ou des non-présents dans l’entreprise, je n’ai plus le terme exact : il est assez frappant de voir que les recrutements sont beaucoup organisés par mimétisme ou par clonage, ce qui n’est sans doute pas sans incidence sur la typologie et les caractéristiques des individus qui composent une organisation.

Le process de recrutement Sur le process de recrutement lui-même : les process sont très normés (CV, lettre de motivation, entretien d’embauche) et ont très peu de validité par ailleurs. La littérature sur le recrutement est pléthorique, vous pouvez en remplir des pleines armoires, il y a à boire et à manger ! Et puis, je rappellerai juste que, par rapport à la question posée aujourd’hui (la place du travail dans le recrutement), que les seules méthodes de recrutement qui ont une validité prédictive sont justement celles qui permettent de recruter par rapport à une confrontation à la situation de travail, une situation de travail qui soit la moins décontextualisée possible par rapport à ce qui attendra le nouveau salarié.

L’intégration au poste Alors, une fois que les meilleurs ont gagné et franchi la porte de l’entreprise, la période d’intégration au poste c’est « le meilleur qui gagne » à nouveau. L’intégration au poste, c’est souvent la part mal ou peu pensée du recrutement. La réalité de travail se découvre donc sur l’instant : ou bien l’intégration n’est pas préparée, ou bien elle est organisée sous forme d’intégration procédurale, elle se limite souvent à un livret d’accueil. Cela pose aussi une autre question, celle de la structure globale des entreprises. Vous savez qu’en France, je crois que le chiffre exact est 99,9% des entreprises qui sont des TPE et des PME, donc évidemment, des entreprises au sein desquelles la fonction RH d’employeur s’ajoute à celle d’entrepreneur, elle n’est donc pas souvent structurée. Et puis de l’autre côté, vous avez les 0,1% qui restent, regroupant 52% des salariés, avec là des structures RH extrêmement bien formalisées, mais qui sont quand même très éloignées de la sphère productive. On a d’un côté le recrutement qui se gère dans la sphère RH, mais le lieu d’accueil et de travail qui reste quand même très à distance et que l’on découvre vraiment très loin après avoir franchi les différentes étapes du recrutement.

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Les conséquences de ces pratiques, je pourrais le dire là aussi de manière un peu caricaturale : tout le monde perd. Mais pour les salariés, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que les plus débrouillards, dans ces systèmes de recrutement, vont, peut-être avec l’aide des collègues en place, pouvoir s’en sortir lors de l’intégration initiale. Par contre, pour ceux qui seront les moins habiles, effectivement, on va très rapidement vers du turnover, vers des ruptures de contrat, qui sont d’autant plus préjudiciables que, ce qu’il se passe classiquement dans ces cas-là, c’est que les salariés qui sont en échec intègrent cet échec, se responsabilisent et l’internalisent, ce qui n’est bien évidemment, pas favorable à la suite de leur carrière professionnelle. Du côté des entreprises, on est évidemment sur des processus coûteux en temps et aux résultats aléatoires. On sous-estime bien souvent le temps nécessaire à la montée en puissance d’un nouveau collaborateur. Préparer l’intégration, c’est déjà se poser la question au départ quand on recrute : « Au moment où mon nouveau collaborateur va franchir la porte de l’entreprise, de quelle nature va être l’activité de travail que je vais lui proposer ? Sera-t-elle favorable à ce moment-là à un accueil intégrant qui réunisse les conditions d’apprentissage ? » Tout cela sont des choses qui sont assez peu pensées, et puis, comme lors du recrutement on a peur de se tromper (l’échec est toujours coûteux et cuisant), on a aussi des comportements de gestion de main-d’œuvre qui sont potentiellement contre-productifs. Je prendrai un exemple : quand on regarde les entrées sur le marché du travail en flux, on a une explosion, au fil des années, des contrats de très court terme (des CDD de moins d’un mois notamment). Évidemment, les entreprises ont parfois des difficultés à se projeter à plus ou moins long terme, mais on est vraiment sur des pratiques très normatives de reproduction de modes d’entrée qui passent par des parcours de précarité qui ne sont, là aussi, pas très productifs pour permettre l’intégration du nouveau, ni pour sa montée en compétences.

Notre intervention auprès des entreprises

Alors, comment propose-t-on d’intervenir auprès d’une entreprise ? Ce que je vais vous présenter là est une séquence classique : de l’analyse du besoin à l’accompagnement à l’intégration au poste. Évidemment, c’est un temps court qui mériterait que l’on s’intéresse à tout l’amont du processus qui génère la décision de recrutement (soumise à des facteurs internes et externes multiples), mais, comme APSO lorsqu’elle a été accompagnée par mes collègues de TRANSFER, il y a trois grands points de vigilance.

L’analyse du besoin

Le premier c’est déjà, bien entendu, l’analyse du besoin. Un besoin de recrutement nécessite au préalable de connaître l’entreprise, son organisation, son contexte, tout simplement de franchir ses portes, d’aller voir de l’intérieur ce qu’il s’y passe. Ça nécessite effectivement de préciser ce besoin, non plus sous l’angle du profil attendu du candidat (qui ne veut pas dire grand-chose), mais sous l’angle des activités de travail qui vont être confiées, des conditions de réalisation, du collectif de travail au sein duquel le nouvel arrivant va être intégré. Cela signifie également, dès cette analyse du besoin, de pouvoir se projeter sur l’après recrutement, de ne pas trop se focaliser sur le process lui-même, mais de se dire : « Le jour du démarrage, le moment où il va arriver, quelles sont d’ores et déjà les conditions que je peux réunir, que je peux anticiper pour que sa mise au travail se déroule dans les meilleures conditions possibles ? » Ce registre de questionnement est souvent absent de cette phase d’analyse du besoin.

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La mise en relation avec le candidat

Lorsque vous regardez ce qu’il se passe lors d’un entretien d’embauche, qui est la pratique la plus classique dans les entreprises : l’examen des motivations, du parcours de l’individu, on parle de plein de choses, parfois cela frise le shamanisme soyons clairs ! Mais, tout compte fait, le temps de dialogue et d’échanges sur le travail est minoritaire : 10-20% des échanges. C’est, tout compte fait, très peu de temps accordé. Donc, ce que l’on va proposer à l’entreprise, c’est de recontextualiser dans un premier temps cette rencontre avec le candidat et puis, plutôt que de démarrer par un examen et un passage à la moulinette par le recruteur, peut-être de privilégier une rencontre sur le poste de travail, d’aller voir ce qu’il s’y passe, puis discuter à partir de cette présentation du poste, si possible en activité. Ce type de rencontre a aussi une autre vertu : c’est l’occasion pour le candidat de dialoguer avec les collègues en place, de se faire identifier et, cela aussi, on l’a vu au travers de nombreuses études que l’on a pu réaliser, c’est prédictif d’une réussite de recrutement. Ça prépare l’accueillant et le nouvel arrivant, et va permettre d’encourager par la suite les comportements d’entraide et de coopération au travail.

L’intégration du nouveau recruté

Il y a eu un débat à la fin de l’intervention précédente, sur la notion de compétence, eh bien effectivement je crois que la compétence n’est pas un bien d’existence, elle est émergente, situationnelle et interactionnelle. Sur la question de l’intégration, de savoir comment est-ce que l’on va animer ce temps d’intégration nécessite, évidemment, plusieurs conditions à réunir. Ces fameuses situations de travail intégrantes, apprenantes… Ce n’est pas en trois petits points que l’on va les résumer, mais je crois qu’il y a déjà un élément important, c’est de pouvoir structurer des espaces d’échange, de dialogue, par l’égard de la participation des salariés tout simplement. Pour un néo-recruté, pouvoir poser ses questions, bénéficier d’un espace d’échange sur la situation de travail, la manière dont il l’a vécue, les questions qu’il se pose aussi, tout simplement les interrogations qu’il peut poser sur l’organisation en tant que naïf, va lui permettre de découvrir et questionner des évidences, des habitudes, et tout cela est précieux et favorable à la réussite de cette intégration. La diversité des soutiens qui va être apportée est là aussi quelque chose d’essentiel. Alors, on parle beaucoup de tutorat. De mon côté, je suis un peu sceptique sur le rôle du tuteur, sceptique dans la mesure où on va confier à un individu unique une responsabilité d’intégration qui est, par définition, une responsabilité collective. C’est bien de mettre des tuteurs en place, mais la question est peut-être aussi à poser sous l’angle de la diversité des soutiens, des rôles, des responsabilités d’un collectif dans l’intégration d’un nouveau. Et puis évidemment, une situation de travail qu’on découvre se planifie, elle s’organise, elle se pense, elle s’ajuste en cours de route et cela signifie qu’évidemment cela fait beaucoup bouger le curseur en termes d’organisation d’équipes et au niveau de la répartition des tâches.

La démarche appliquée à l’entreprise

Avant le témoignage de François Fourton, le directeur d’APSO, Fabrice Cloarec se propose de présenter la traduction en termes de démarche de cette réflexion qu’avait TRANSFER sur les processus d’intégration et de recrutement dans le cas de la démarche UED et le travail qui a pu être fait ensemble. La démarche de TRANSFER, c’était d’accompagner une personne avec des méthodologies plutôt intéressantes. L’ARACT était en pleine réflexion, avec le réseau ANACT, sur les organisations apprenantes, les organisations intégrantes. On s’est dit « comment, à partir, de situations un peu uniques et caractéristiques, on pouvait amener tout un réseau, qui est celui de TRANSFER qui couvre l’ensemble du territoire, à bouger un peu les pratiques de l’entreprise de façon plus globale, comment faire en sorte que ce soit dans le processus RH que ces questions du travail soient prises en compte ?».

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On a mené une expérimentation dans quelques entreprises. On a travaillé principalement dans des entreprises de la propreté pour des questions expérimentales. Il fallait qu’en amont de l’expérimentation au départ, l’entreprise nous garantisse une embauche dans le temps de l’expérimentation et quasiment dans le timing où on arrivait au moment de l’embauche. On a fait un travail de co-diagnostic avec les équipes de TRANSFER où on est intervenu. Nous regardions globalement l’entreprise, son organisation, son activité, et TRANSFER scrutant et retravaillant plus particulièrement les processus RH de recrutement et d’intégration. Ça nous a amené ensuite à pouvoir travailler auprès des équipes de TRANSFER pour acculturer aussi ces équipes à une approche globale de l’entreprise : les situations de travail (ils ont eu droit au schéma des cinq carrés dans les formations des équipes de TRANSFER). Et ce que va vous présenter François Fourton, de la société APSO, ne faisait pas partie de l’expérimentation. C’est la traduction opérationnelle sur le terrain de cette démarche qui a été mise en œuvre et déployée dans les entreprises.

Le témoignage de François Fourton, Dirigeant d’APSO

Bonjour, je suis François Fourton, société Atlantic Projection, je suis créateur d’entreprises depuis une quinzaine d’années. Actuellement, ma société compte vingt salariés, je suis basé à Bordeaux. Ma zone d’activité, c’est le Grand Ouest de la France, j’ai une petite clientèle plutôt professionnelle, des grands groupes comme Vinci, et une autre activité plus orientée en direction des particuliers. Mon effectif support se compose d’un personnel administratif, donc comptable, secrétaire, accueil. J’ai également une force commerciale destinée aux particuliers de deux personnes, une logistique organisationnelle avec un conducteur de travaux et un chef d’équipe et d’une douzaine d’ouvriers. Je fais appel également de temps en temps à des entreprises sous-traitantes. Je suis là pour témoigner de ce que j’ai vécu avec la rencontre de TRANSFER, d’Olivier Foschia et de ses équipes. Ce que j’ai apprécié, c’est la démarche, c’est la force de proposition. Ils sont venus me voir, je ne m’y attendais pas, j’étais dans un questionnement de savoir comment orienter mon développement, comment recruter, je n’en avais pas forcément besoin. Je me reconnais beaucoup dans la description qui est faite de l’employeur qui recrute toujours par clonage : on prend toujours les mêmes et cela permet de se donner raison. Et j’ai découvert que l’on pouvait être questionné au préalable sur « qu’est-ce que vous allez faire de la personne que vous allez recruter ? ». Il y a un deuxième axe aussi qui m’a beaucoup intéressé, c’est la force de proposition. La personne que j’ai rencontrée est venue me questionner, comment je fonctionnais, qui j’étais, comment j’avais été formé, comment j’avais structuré mon entreprise, quel temps cela m’avait demandé, et m’a proposé des axes de développement. Par la suite, la proposition d’un collaborateur que je ne connaissais pas encore m’a été faite et j’ai vu, du fait de ses compétences et de la proposition immédiatement ce que je pouvais faire. Je trouve cela très intéressant parce que cette force de proposition permet de créer un poste qui n’était pas forcément à l’origine prévu dans mon projet de développement tout simplement. [Fabrice Cloarec]

Un petit mot peut-être sur les prérequis : qu’est-ce que ça vous a obligé à mettre en œuvre ? On vient de voir qu’il y a une réflexion située dans le travail préparatoire, mais au cours des échanges avec François Fourton, cela a posé la question « qu’est-ce que ça avait changé aussi globalement dans son questionnement d’entreprise ». Et, par rapport aux personnes que vous avez embauchées via ce processus, qu’est-ce que ça a changé, ou quelles contraintes ça a généré pour vous ?

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[François Fourton]

On a parlé tout à l’heure d’un livret d’intégration, je n’avais pas de plan d’intégration. Il faut bien voir que les petits entrepreneurs, ce n’est pas péjoratif, on n’a pas toutes les compétences requises pour bien recruter. On est dans un projet qui est personnel, qui se transforme en projet collectif et puis après, on se débrouille avec tout ça. Et j’avoue que cette approche m’a ouvert les yeux sur un peu plus de rigueur, un peu plus de questionnement, un peu plus d’ouverture, un peu plus de structuration dans la démarche de recrutement. Ça a modifié ma façon de faire travailler mes salariés ensemble. Bien identifier quel était le rôle que j’attendais, les tâches qui étaient attendues dans l’entreprise, et prendre le temps de la présentation également parce que souvent, comme vous le disiez tout à l’heure, les autres collaborateurs sont surpris, ils se sentent parfois déstabilisés dans la démarche de recrutement, puisqu’il y a des connexions entre les deux. Cette démarche a changé ma façon de voir le recrutement et mon organisation. [Fabrice Cloarec]

Dans les échanges, ce que j’ai trouvé intéressant, c’est le bénéfice de la méthode qui oblige l’entreprise à être au clair sur son travail et à sortir de ce fantasme du prescrit où on recruterait sur des a priori des profils et ensuite on fait la même chose, on intègre sur du travail prescrit. Là, la méthode oblige l’entreprise à prendre du recul et à se dire « voilà, quelle est véritablement l’activité de travail que je vais proposer à ces personnes ? Comment j’introduis une notion de progressivité dans la montée en compétences de cette personne ? » Puisque justement, comme on n’est pas dans le prescrit, on peut rentrer dans un peu plus de finesse en disant « comment j’adapte une montée en charge : première semaine, premier mois ; comment je fais le lien avec le sens, l’activité ». Autant de choses qu’on a éprouvées dans d’autres entreprises qu’on accompagne sur des démarches d’amélioration des conditions de travail, où on a un recrutement et un mode d’intégration où le salarié est censé être 100% apte le lendemain de son embauche. Et donc, on ne va pas voir la progressivité en termes d’acquisition de compétences, on ne va pas faire le lien avec les besoins de formation, avec des éléments sur la santé-sécurité au travail qui ne seraient pas intégrés dans le processus. Puisque de toute façon, on est dans le prescrit. On continue à faire vivre ce qu’on disait sur la première communication, ce mur entre la prévention et l’activité de travail (et encore, quand on parle d’activité de travail, on parle bien souvent de prescrit dans les descriptifs d’emplois). Cette démarche était intéressante parce que ça obligeait l’entreprise à intégrer, dans son mode de fonctionnement habituel, cette prise en compte de l’activité. En termes d’intérêts, on s’est rendu compte aussi que cette question d’adapter le travail à l’Homme et non le contraire, qui est un peu notre créneau et le vôtre, pouvait trouver sa réalité parce que justement l’entreprise, le collectif qui va chercher à intégrer le salarié, est repassée par un questionnement de l’activité. Cette sortie d’un mode totalement prescrit de l’organisation permet par conséquent d’intégrer des notions d’aléas, permet de faire le lien ensuite avec de la formation, où on va plutôt travailler sur une réflexion de la formation des aléas, et non pas ce que nous disent les salariés quand on les interroge : « on nous a formés sur des situations quand tout allait bien, et c’est quand je reviens en entreprise pour mettre en œuvre mes connaissances que j’essaie de transformer en compétences, que je m’aperçois que je traite 80% de dysfonctionnements alors qu’on m’a formé sur un fonctionnement optimal à 100%. » Voilà un des hiatus que permet de casser ce type d’approche.

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[Olivier Foschia]

Juste un mot en écho au témoignage de François. On est dans le champ du recrutement, dans le prescrit, parfois à outrance. L’exemple que vous citez montre bien que l’offre et la demande, ça bouge. Le besoin de recrutement, ce n’est pas quelque chose de très bien défini, c’est à l’occasion des rencontres, des échanges justement, s’ils ont lieu, autour de la situation de travail. Le besoin de recrutement évolue. On le redéfinit différemment, par rapport à l’individu spécifique qu’on envisage de recruter, ce qu’il va pouvoir apporter. Et puis, ce qui est frappant dans les processus d’intégration, lorsqu’on s’y intéresse et lorsque justement, on structure suffisamment ces temps d’échanges avec le nouveau, c’est que l’organisation de travail, lorsqu’un nouveau arrive, bouge nécessairement. L’intégration d’un nouveau fait bouger l’organisation, ça fait bouger les rôles, ça fait bouger cette conception. Et le point du nouveau est régulièrement révélateur. Le nombre de situations où des chefs d’entreprise nous ont dit lorsqu’on les amène à travailler sur l’intégration d’un nouveau salarié, découvrent simplement l’activité de travail qui est sous leur nez, où ils disent tout simplement « je ne pensais pas que ce travail, dont j’avais une vision assez simple tout compte fait, mobilisait autant d’événements, mobilisait autant d’ingéniosité situationnelle ». C’est frappant, c’est-à-dire que, pour les acteurs qui sont en interne, ces occasions d’intégration permettent de découvrir une réalité du travail qui est parfaitement méconnue par les acteurs qui sont censés la manager.

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R.I.F ou l'émergence d'une fonction dans l'organisation : témoignages croisés, ergonome-R.I.F, sur un long processus

Catherine Cerezuela-Penabayre

Responsable Intégration Formation A330, Airbus Operations SAS, Toulouse Sophie Aubert

Ergonome, Airbus Operations SAS, Toulouse

Histoire de la naissance du R.I.F

[Catherine Cerezuela-Penabayre] L'histoire se déroule chez Airbus, sur 15 ans et raconte comment est née la fonction de Responsable Intégration Formation (ou R.I.F). J'assure ma fonction sur l'Unité 1 de la chaîne d’assemblage A330 et Sophie appartient au service d'Ergonomie et Performance Industrielles qui est partagé par toutes les chaînes d'assemblage d'Airbus au même titre que le service « Formation Production ». [Sophie Aubert]

Dans les années 2000, nous intégrons les compagnons qui sortent de notre lycée Airbus, directement sur nos chaînes. Ces compagnons reçoivent quelques formations théoriques, à partir des manuels métiers. Chaque formation dure une journée environ où défilent quelques 200 pages Word sous forme de transparent projeté. De fait, les savoir-faire sont directement développés sur avion, par parrainage, plutôt "à la dure". En 2002, nous sommes en pleine conception de l'usine A380 et des postes d'assemblage de l'avion. En même temps, naît le service « Formation Production ». On sait que, quand on ouvre une nouvelle chaîne d'assemblage, c'est à peu près 650 compagnons que l'on va recruter et former. Tous les manuels métiers Word sont donc transformés en modules de formation Power Point. Riches de l'expérience que l'on avait menée à la peinture1, nous proposons de développer les savoir-faire hors situation avion, à l’aide d’exercices d’entraînement pratiques. À l'époque, nous ne sommes pas entendus par le service « Formation Production » qui poursuit un objectif quantitatif de production de modules de formation. De ce fait, sur le plateau de conception de l'usine, nous développons un atelier d'entraînement, hors situation avion, c'est-à-dire hors pression temporelle, mais avec les mêmes exigences qualités que sur avion. Nous incorporons dans les situations de formation, des déterminants des futures situations de travail. En 2004, la chaîne démarre, les recrutements sont nombreux : des compagnons issus de notre lycée Airbus ainsi que des intérimaires. Ils sont formés pendant des jours avec des planches PowerPoint. Ils ne sont plus « parrainés » : on parle de tutorat, c'est plus soft et un peu plus encadré, et c’est ainsi qu’ils développent les savoir-faire requis, sur avion. En 2006, notre ergonome sous-traitante, qui accompagnait la phase de démarrage de l'A380, pose un diagnostic sur des problèmes de performance, de qualité, d'efficacité, voire aussi de santé sur le poste

1 AUBERT S., DANIELLOU F.,(1999), "L'ergonome et les compétences, les compétences de l'ergonome" in Actes des Journées de Bordeaux 1999

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d'assemblage du fuselage et des voilures de l'A3802. Il part de problèmes de qualité et de santé avec des chefs d'équipe qui courent partout, à la limite du burn-out, ainsi que beaucoup de tensions dans le collectif de compagnons. La recherche des causes racines pointe que le lycée développe des savoir-faire très génériques chez les compagnons qui sont éloignés des situations réelles sur avion. Par exemple, ils apprennent le perçage avec une perceuse à colonne, or dans notre usine, les compagnons percent avec des perceuses à la main ou avec des machines automatisées. D'autre part, il arrive un moment où tout le bassin d'emploi est appauvri ; ainsi sur le poste il y a jusqu’à 60% d'intérimaires qui n'ont aucune formation aéronautique de base. Enfin, les opérateurs expérimentés qui assurent le rôle de tuteur arrivent des différentes chaînes d'assemblage (A300, A320, A330). Tous interprètent les référentiels qualité et procéduraux de manière totalement différente. Tous ces éléments expliquent que les chefs d'équipes qui courent partout, s'épuisent. Les ateliers d'entraînement développés étaient en dormance ; ils n'avaient pas encore été utilisés, nous proposons donc au responsable Production local de les ouvrir. En un été, ergonomes et hiérarchie production montent les exercices pratiques, un programme de formation, avec une progression pédagogique. Je forme des compagnons, pour le rôle de « référent » : ce sont eux qui vont coacher les exercices ; ils vont devoir animer une pratique réflexive auprès des apprenants, car ces derniers vont devoir apprendre de leurs erreurs. Pour autant, il nous faut quelqu'un qui manage le déploiement de ces sessions par la pratique, qui s'occupe de la logistique, de la planification. On recherche un responsable de cet atelier d’entraînement. Mais est-ce suffisant ? Non, car si on s'arrête là, cela ne marchera pas. Il nous faut également quelqu'un qui veille à ce que le plan de formation requis, constitué des formations théoriques, soit correctement déployé, et que le tutorat permette vraiment d'accompagner les nouveaux vers l'autonomie. À cette époque, on n’anticipait pas les besoins de recrutement ; il était donc impossible de commencer de former la personne avant son arrivée sur le poste. Il est donc stratégique que la future fonction dont nous dessinons le contour, suive également le processus de recrutement et l’influence en anticipant les besoins de recrutement et la planification des délivrances des formations. On milite localement auprès de ce responsable Production pour avoir quelqu'un qui piloterait l’intégration des nouveaux arrivants, la bonne réalisation du plan de formation et donc la « bonne » formation des compagnons. C'est de cette façon que naît ce que nous avons appelé un « Responsable Intégration Formation » : un R.I.F.

La construction des missions du R.I.F

En 2006, nous rédigeons une lettre de mission, avec quatre axes, où il s'agit : - de piloter l’atelier d’entraînement par la pratique, - d'assurer les interfaces avec le lycée Airbus, de manière à constituer un vivier avec les stagiaires, - d'assurer une meilleure intégration des nouveaux arrivants, - de participer aux revues de conception des modules théoriques développés par le service « Formation Production ». Ce poste est créé en local, auprès du responsable Production A380. Le profil de ce R.I.F est un expert technique, un compagnon qui est passé par les postes de chef d'équipe et chef d'atelier. Fait marquant, le R.I.F est connu localement, mais par contre il n'y a aucune visibilité de sa fonction : elle n'est 2 BERNADOU B., POULOSSIER M-P., (2010), "Conception d'un système de formation : d'une expérience locale à l'inscription dans un projet d'industrialisation", in Actes des Journées de Bordeaux 2010

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absolument pas connue des autres services, tels que les ressources humaines et les centraux métiers. Analysons ce qui se passe de 2006 à 2009. Quand le service Ergonomie a développé les formations par la pratique, il a fallu aller négocier ce champ d’intervention auprès du service « Formation Production ». L’entente trouvée est qu’ils développent toutes les formations théoriques et le service Ergonomie développe toutes les « formations à la pratique par la pratique ». C’est une délégation sur ce périmètre. Dans le même temps, Airbus continuait de monter en cadence, nous avions besoin de nouveaux compagnons. Pour éviter de se retrouver avec des personnes sans aucune connaissance en aéronautique, le service Formation Production met en place des contrats de qualifications paritaires de la métallurgie. Ainsi tout intérimaire reçoit un minimum de 6 à 9 semaines de formation. Début 2007, le directeur de l'A330 nous appelle, et nous dit "voilà, je vais bientôt, en quelques mois, doubler la cadence de production, et je pense que sur le poste jonction fuselage, on ne va pas y arriver, est-ce que vous pouvez venir nous aider ?". Nous posons un diagnostic ergonomique de performances, nous analysons les problèmes de qualité réels, les parcours formants, et nous trouvons plusieurs causes racines aux dysfonctionnements. Une des causes principales résidait autour des problèmes de qualité du robot, qui faisait des alésages, mais il y avait également des problèmes qualité sur l’opération qui précédait l’alésage : le perçage manuel. Nous proposons donc un plan d'actions pour améliorer la fiabilité du robot, que je ne vais pas développer ici. Concernant le perçage manuel, nous tentons avec le service « Méthodes » de transformer les outils d'aide au perçage pour tenir la perpendicularité. Juste pour vous donner une représentation de la difficulté, les compagnons percent en soute, sous des rails : c'est comme si vous perciez, accroupi sous une chaise, et qu’on vous demande 2 degrés de tolérance par rapport à la perpendicularité sinon le trou est en défaut. Malgré plusieurs tentatives, aucun outil d’aide ne permet d’améliorer la qualité du perçage. Nous proposons alors de développer un atelier d’entraînement par la pratique, ce qui signifie financer un poste de R.I.F et des compagnons qui vont être des référents, pour animer les exercices que nous allons concevoir. En juin 2007, nous convainquons la Direction de l'A330 d'investir. Six mois plus tard, le Directeur nous dit "il nous faudrait la même chose pour le poste de jonction voilure, mais aussi pour la mise en place des faisceaux électriques". Nous développons tout ceci en parallèle, et en juin 2009, le premier R.I.F organise la première session de formation. Pour m’aider sur les aspects techniques, j’ai demandé un R.I.F expert-technique. Durant la conception, il m’a aidé pour rechercher tout le matériel afin qu’il soit identique à celui sur avion. Les photos ci-après montrent des bâtis créés pour la salle de formation par la pratique.

Après un an de fonctionnement, lorsqu’on compare les missions du R.I.F A330 à celui de l'A380, ici aussi le poste R.I.F A330 est créé en local, auprès du responsable de production. C'est un niveau chef d'équipe. La visibilité de la fonction n’est toujours qu’en local. En revanche, on constate que le R.I.F A330 se focalise uniquement sur la première mission de mise en place des sessions de formation : planifier, assurer la logistique d'approvisionnement. Ce qui diffère fortement par rapport au R.I.F A380, c'est que

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sur la chaîne A330, la mission du R.I.F est restreinte au seul management de l’atelier de formation par la pratique. Dans Airbus, on commence à parler de ces salles de formation par la pratique, mais on ne parle jamais de la fonction du R.I.F et il n’existe pas une représentation partagée de son rôle.

En parallèle, Airbus est en train de construire le nouvel avion A350 tout en carbone. En phase de conception, nous faisons venir les directeurs de production et les futurs exploitants dans nos ateliers d’entraînement. Ils sont convaincus par le principe, et recrutent dès cette phase un R.I.F A350. Fin 2009, le R.I.F de l'A330 émet le souhait de prendre un poste de chef d'atelier sur la future chaîne de l'A350. Le directeur A330 me demande dans l'urgence de rédiger une lettre de mission pour un nouveau R.I.F. C'est urgent parce qu'il va y avoir une forte montée en cadence sur l'A330 dans deux mois, et six mois plus tard, il y aura l'ouverture de la chaîne A350, avec le recrutement de 650 compagnons, engendrant un grand nombre de mouvements d’effectifs sur l’assemblage des chaînes d’assemblage Airbus. Au mois d'août, je rédige cette lettre de mission, autour de cinq axes : - exploiter l’atelier d’entraînement par la pratique, - déployer les modules de formation par la pratique selon le mode pédagogique qu'on avait mis au point, suivre et tracer la progression jusqu'au retour au poste, - constituer un vivier de compétences et anticiper tous les mouvements d'effectifs. Cet axe peut être décliné en trois points : participer aux entretiens de recrutement comme n'importe quel chef d'atelier, assurer les interfaces avec le lycée Airbus, assurer le suivi de l’ensemble des stagiaires, et suivre l'évolution de l'autonomie de l'arrivant non seulement dans l’atelier d’entraînement, mais aussi sur le poste, - piloter le plan annuel de formation, afin de supporter les chefs d'équipe et de définir les priorités pour déployer ce plan de formation auprès des compagnons. Le R.I.F doit reporter l'avancement du plan au niveau du responsable Production (son manager), - participer aux revues de conception des formations organisées par le service « Formation Production » pour les modules théoriques, et nous émettre de nouveaux besoins, pour développer des exercices par la pratique. Là, nous demandons un profil chef d'atelier minimum parce que l'on s'était rendu compte qu'il était plus difficile pour un chef d'équipe d'aller négocier la disponibilité des compagnons référents lorsqu'il fallait monter une session de formation. J’alerte également le Directeur sur le fait qu’il faut quelqu'un qui ait la capacité d'intégrer la fonction R.I.F dans les processus intégration et recrutement, qui avaient été délaissés, puisque, conjoncturellement, on s’était plutôt focalisé sur le développement des 3 ateliers.

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Témoignage d'une R.I.F

[Catherine Cerezuela-Penabayre]

Nous sommes en août 2010, je suis en mobilité après un long parcours en logistique et un an au Lean. Travaillant sur l'aménagement cabine de l'A330, j'entends parler d'un poste de R.I.F qui se libère sur l'assemblage avion. Je ne connais pas du tout cet atelier d’entraînement, et on m’en parle en me disant qu’il s’agit de gérer des plannings sur une salle de formation. Je contacte le responsable et je vais passer l'entretien fin août. Je vous propose de revenir sur cet entretien pour vous faire part de trois étonnements. Tout d'abord, le responsable d'unité conduit son entretien à partir d’une lettre de mission et me décrit le poste. Là, étonnement, bouche bée : « Comment ? À la "mine", ils s'intéressent à l'intégration de leurs compagnons ! » (on appelle la "mine" l’unité d’assemblage structure, car l’activité est dure). Il poursuit l'entretien en me décrivant avec une précision incroyable les missions et les tâches. Je me projette totalement. Pour moi, cela ne fait pas un pli : ce poste il est pour moi ! Je vois bien que le manager se base vraiment sur cette lettre de mission pour analyser l'adéquation du poste et de mon profil. Donc il faut absolument que je gagne ce poste. Par contre, je me pose LA question : qu'est-ce que viennent faire les ergonomes là-dedans ? Je vois le logo du service sur la lettre de mission : pourquoi les ergonomes ici ? Je connaissais bien ce service, car je l’avais sollicité pour des problèmes de manutention de sièges et de gros volumes quand j'étais dans mon autre vie en logistique. Je n’ai pas la réponse, mais la chance est avec moi. Je suis recrutée et je me retrouve en tutorat sur cette mission 15 jours plus tard. Le tutorat va être ciblé seulement sur l’organisation des sessions de formation par la pratique. Autant vous dire que je n’y connaissais rien à l’assemblage en arrivant de l’aménagement commercial où règne une ambiance feutrée. Je me retrouve à « la mine », je suis pommée. Et à chaque fois que je rentre dans mes salles de formations, qui est-ce que je trouve ? Une ergonome, chez moi ! Alors bon, moi j’ai un fort caractère, elle aussi : on nous avait prédit pleins de choses ! Nous avions donc deux choix : soit se crêper le chignon, soit discuter, échanger. Je ne vous dis pas ce qu’on a choisi... Là, je comprends que ce sont les ergonomes qui ont construit les exercices par la pratique pour développer les savoir-faire requis sur nos postes de travail, à partir de leurs connaissances des situations de travail et surtout à partir de comment l’homme apprend. J’ai mis un moment à comprendre ! Je découvre également que nos référentiels chez Airbus ne sont pas complets. Ils donnent plein d’informations, mais ils ne disent rien sur les ressources à déployer par les compagnons pour arriver à obtenir la qualité exigée. Au début je pense que l’ergonome à côté, c’est une extra-terrestre, car elle connait les opérations techniques enseignées dans mes ateliers, mais surtout elle en parle d’un point de vue du travail humain. Puis, en travaillant avec les autres ergonomes, je découvre que ce sont tous les ergonomes qui réfléchissent comme ça. J’ai eu trop envie de réfléchir comme eux, d’analyser les problèmes de cette façon, c’est pour ça que je suis en DU3 cette année. Donc vous avez compris, Airbus à ce moment-là est très centré sur un modèle de formation où le formateur déverse plein de substances dans la tête du compagnon. Alors après 7 heures de PowerPoint, à rester concentré, hop c’est magique, le compagnon sait faire ! Là, je découvre qu’il y a des conditions pour apprendre, et comme m’a souvent dit Sophie : « on n’apprend pas à la place de l’apprenant ». On peut juste faciliter les conditions de son apprentissage. Effectivement, en réalité, apprendre c’est la première tâche tacite quand on arrive sur un poste, pas seulement pour les compagnons, mais pour toute personne qui arrive sur un poste. Mais pour les compagnons, si on ne leur fournit pas les moyens adaptés, c’est très long et très stressant pour eux, car ils ont la responsabilité du travail fait sur avion.

3 DU (Diplôme Universitaire) d’Ergonomie à l'Université de Bordeaux

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Si l’on revient à ma fonction de R.I.F, on notera que la non existence officielle de la fonction dans l’organisation est un gros souci ! Si je n’ai pas le support du manager pour légitimer ma fonction dans cette organisation, tout capote. Donc au sein de l’unité, je vois bien qu’il faut agir et je vais donc rencontrer le responsable de l’A330 parce que j’ai besoin que les compagnons référents soient disponibles quand je dois monter des sessions de formation par la pratique. Effectivement, à ce moment-là, je passe des heures de négociations épuisantes avec tous les chefs d’ateliers pour qu’ils détachent un référent, ce qui vient en contradiction bien sûr avec l’objectif de finir l’avion et c’est souvent l’avion qui prévaut. Je vais donc demander à mes ergonomes chéris des arguments factuels pour démontrer à mes patrons la valeur ajoutée de ces ateliers de formation par la pratique. Je veux des ressources pour pouvoir former les nouveaux arrivants. Et j’ai réussi ! Ainsi j’ai pu obtenir six ressources à plein temps, en dehors des coûts affectés à l’avion. Je vais pouvoir assurer des formations sur les deux vacations jour / nuit. On est en train d’attaquer la montée en cadence de l'A330 et on va devoir assurer le transfert d’expérimentés sur la chaîne A350. Il s’avère que trois mois plus tard, ce fonctionnement est enfin rodé et désormais ce sont les chefs d’atelier des postes qui me sollicitent pour intégrer tous les nouveaux arrivants, les stagiaires, et qui bien souvent, dès qu’il y a un souci de qualité ou autre, me renvoient également des compagnons expérimentés.

[Sophie Aubert]

Quand tu dis que tu as négocié et convaincu le directeur d’avoir six équivalents temps plein, ce ne sont pas des ressources qui te sont directement rattachées : ce sont six ressources supplémentaires qui sont réparties sur les postes de travail correspondant aux ateliers d’entraînement. Cela nous a permis de former une vingtaine de compagnons référents. Ainsi à tout moment Catherine peut prélever ces six ressources en termes de capacité, mais il y a vingt « référents » qui travaillent sur avion, près des nouveaux arrivants et qui vivent les problèmes de production. Ce ne sont pas des formateurs déconnectés.

[Catherine Cerezuela-Penabayre] Il n’est pas question d’avoir des « référents » trop loin de la problématique terrain. L’atelier d’entraînement par la pratique c’est un « organisme de formation » qui doit bouger avec le poste. C’est ça le plus important. Le R.I.F n’étant pas une fonction officielle, le processus de recrutement n’y fait pas référence, et il a fallu gagner sa place. 4 ans de karaté ça aide ! Sur l’exemple du recrutement, le processus est largement distribué entre plusieurs fonctions ressources humaines et business. Les RH de recrutement recherchent des profils qui ont les valeurs Airbus, et enfin, les managers de terrain participent aux entretiens techniques. Est-ce qu’on prend des intérimaires ou non ? Est-ce qu’on prend des CQPM (Certification de Qualification Paritaire de la Métallurgie) ? Les « RH contrats » choisissent la meilleure formule du moment ! Or elle varie tout le temps, sans avertir les managers locaux, sans anticiper les conséquences et les actions à mener. Donc là forcément, il y a eu des problèmes. Mon responsable d’unité me demande de veiller au bon déroulement de l’ensemble de ces recrutements et de réguler face à toutes les variabilités, en étant le rouage manquant en cas de dysfonctionnements. Concernant le processus d’intégration des ressources sur nos postes d’assemblage, je pilote l’intégration de ces ressources jusqu’à l’obtention de leurs qualifications. Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? Cela veut dire que je suis la maman de tout le monde. Dès qu’ils arrivent, je les prends avec moi, je vais leur montrer leurs postes de travail, leurs environnements de travail, en insistant lourdement sur la

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sécurité. Je leur présente les métiers avec lesquels ils vont collaborer. Puis je décris le processus d’assemblage pour que cela soit clair et logique dans leur tête et qu’ils sachent situer leur rôle dans l’ensemble de la chaîne A330. Ensuite je les intègre dans les ateliers d’entraînement par la pratique. Les ergonomes ont développé un outil pour nous aider à anticiper l’impact des mouvements d’effectifs, en qualitatif je dirais, et ainsi analyser nos capacités à intégrer les personnes sur chaque poste. Donc ceci nous permet de prendre des décisions par anticipation ou bien de lancer des plans de formation accélérés. Il faut savoir qu’on a changé sur notre chaîne plus de 70% des effectifs suite à recrutement de nouveaux ou mobilités internes en moins de 30 mois, et qu’on n’a rien perdu dans notre qualité avion, bien au contraire on l’a améliorée ! [Sophie Aubert]

Faisons un point là où nous en sommes sur la fonction de R.I.F au sein d’Airbus. Nous avons un R.I.F à l’A380, un à l’A330, un à l’A350. Fin 2011, on obtient un Award corporate (concours interne au niveau mondial qui récompense 25 projets). Les publications qui s’en suivent mettent un coup de projecteur sur le dispositif de « formation à la pratique par la pratique ». Je pense que l’année qui a suivi, les visites demandées représentaient 15% de notre charge annuelle. La conséquence, c’est le modèle qui se développe en dehors de Toulouse : Nantes, Saint-Nazaire, en Allemagne également, et on rajoute un deuxième R.I.F à l’A350 sur le domaine Cabine. Et puis en 2013, les R.I.F toulousains me disent, « Sophie, ça serait bien que tu animes le réseau parce qu’on aurait besoin de discuter entre nous, d’échanger sur nos process, nos difficultés, les outils que les uns ou les autres ont développés, mais que l’on ne connaît pas… ». Mon responsable valide cette mission et nous menons des réunions à peu près tous les deux mois pour essayer de mettre en place tous les processus que le R.I.F pilote ainsi que ceux auxquels il contribue. Les ateliers d’entraînement continuent leur développement, notamment à l’A350, la visibilité sur ce dispositif de formation par la pratique augmente, mais ce n’est toujours pas le cas de la fonction R.I.F. En 2013, les R.I.Fs me disent « bon maintenant, ça n’est plus possible, en termes de conditions de travail c’est difficile, il faut toujours aller négocier. On a besoin que tu nous aides, il faut officialiser la fonction au niveau des services centraux des chaînes d’assemblage." On se réunit, et on valide une lettre de mission du R.I.F., toujours sur les cinq axes. Dès lors, nous organisons des réunions avec le service central qui doit avaliser la fonction R.I.F comme métier de la Production. Sont représentés tous les R.I.F des chaînes d’assemblage A330, A350, A380, le R.I.F de la peinture. Comme il n’y a pas de R.I.F à l’A320 c’est l’adjoint de production qui vient. Tout le monde est d’accord sur le fait qu’un R.I.F est celui qui pilote l’outil « atelier d’entraînement » et qu’il participe à toutes les définitions des modules de formations théoriques. En revanche, le manager de l'A320 refuse de dire que « l’intégration des nouveaux arrivants » est une mission « cœur de métier » du R.I.F ainsi que la participation au recrutement, comme le manager technique. » Cela se termine que le métier de R.I.F. est créé, mais que ces deux missions sont optionnelles. Je ne vous raconte pas la frustration dans le collectif de R.I.Fs parce que pour eux, le « I. » d’Intégration, c’est vraiment leur cœur de métier, le dispositif de formation c’est juste un outil parmi d’autres. Ce qui est un petit peu ironique dans notre histoire, c’est que dans la foulée, ce manager est muté et de suite après, en novembre, l’A320 crée le poste de R.I.F et lui colle les cinq missions et aucune n’est optionnelle !

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Toujours dans la même temporalité, les R.I.F de Nantes, Saint-Nazaire me demandent d’intégrer le réseau R.I.Fs. : « bon allez, on vous prend ! ». On essaye de se voir deux fois par an tous ensemble pour réfléchir à comment développer la partie intégration et recrutement notamment.

Perspectives d'avenir

Juste pour terminer, quelles sont les perspectives ? Aujourd’hui, le service « Formation Production » aussi a évolué sur les besoins des compagnons : l’objectif n’est pas d’avoir des pages et des pages de PowerPoint, c’est d’être en capacité de maîtriser les situations avion. Désormais nous travaillons ensemble service Ergonomie et service « Formation Production » pour réduire au maximum les formations théoriques au juste besoin et développer les formations par la pratique là où des compétences complexes sont nécessaires. Dans ces ateliers, on joue des partitions, des gammes comme sur avion avec un niveau de complexité progressif et on intègre tous les aléas, tous les pièges que l’on peut avoir sur avion. Les « référents » animent une véritable boucle d’apprentissage pour faciliter l’apprentissage réflexif. Pour autant, on ne voit pas 99% des situations de travail, l’apprentissage se poursuit donc par tutorat. Nous avons également influencé les exercices au lycée, enfin nous travaillons sur un découpage du cursus formation, car il est impossible « d’avaler » les connaissances telles que les formations étaient planifiées. Et justement, en parlant de demain, malheureusement on ne pourra pas être là, parce que demain il y a une réunion à fort enjeu. En effet, un gros projet arrive d’Airbus Group qui annonce qu’en 2020, 90% de nos formations doivent être sous format digital. Nous allons donc tenter de convaincre l’équipe projet que pour nos compagnons, les savoir-faire, les compétences, passent par le corps. Il faut qu’ils puissent pratiquer, répéter, pour pouvoir développer leurs propres compétences. Je terminerai par là pour les éléments de discussion : l’histoire n'est jamais terminée, c’est toujours un recommencement. Qu’est-ce qu’il faut pour être en capacité de proposer de nouvelles fonctions dans une structure ? Il me semble déjà qu’il faut avoir posé un diagnostic de dysfonctionnement. Je pense que ce qui a été aussi majeur, François (Daniellou) et Serge (Volkoff) en ont parlé lors de la conférence inaugurale, c’est que c’est parti d’initiatives locales. Cela a permis de remporter la conviction, de montrer la valeur ajoutée, la pertinence de ce qu’on est en train de développer. Ce qui est important également, c’est d’accompagner le changement, parce que je vous avoue que lorsqu’un ergonome crée une fonction, il se retrouve dans la configuration du prescripteur qui rédige des missions, des tâches. Sauf que vous avez vu qu’en termes de conditions de travail, ce n’est pas toujours si simple pour les R.I.Fs. Aussi, je me sentais responsable : je ne pouvais pas les lâcher, je me devais de les accompagner. En revanche, en termes de retours d’expérience, ce que j’aurais dû faire et qui aurait pu limiter la complexité de l’exercice de leur fonction, c’eut été d’accompagner le changement auprès des autres fonctions qui allaient collaborer avec la nouvelle fonction que l’on souhaitait mettre en place. Si c’était à refaire, je pense qu’il y aurait beaucoup plus à investir sur cet aspect-là, notamment auprès des fonctions RH. Après la question de la responsabilité, nous pourrions également discuter de la question du positionnement pour être en capacité de créer une nouvelle fonction dans une structure. Quand on conçoit une nouvelle fonction, on bouge les processus en place, on en crée d’autres, tout est fragile. Dire cela implique deux options : soit cela décline, cela meurt ou soit cela se développe. Donc si on veut aller vers le développement, il faut communiquer. Il faut aussi rendre la fonction moins dépendante du soutien managérial local, c’est important. Comment faire ? Il faut arriver à intégrer la fonction dans les différents processus maison, dans les processus de recrutement (pour les entretiens techniques). Il faut mettre en place de nouveaux processus sur comment on conçoit un tel dispositif de formation par la pratique et quel est le rôle du R.I.F à ce moment-là parmi tous les autres métiers. En fait, il faut être flexible et évolutif parce que l’entreprise bouge tout le temps. Ceci est très important. Mais il faut aussi arriver à cadrer le

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développement, parce que l’on développe une nouvelle fonction, forcément, chacun se l’approprie, mais si on vise une certaine visibilité par l’organisation, il est indispensable que tous les acteurs de la nouvelle fonction puissent se retrouver sur un espace commun et des processus communs. Et donc pour tendre vers un métier, il est nécessaire de développer des processus, des outils, des méthodes et donc à leur tour, pour cette fonction, y associer des savoirs à acquérir. Finalement, je pense que la condition de survie d’une fonction que l’on crée, c’est le mouvement avec les autres acteurs, avec différents acteurs. Et cela fait appel à de l’engagement, à de l’énergie, à des valeurs aussi, notamment sur les conditions d’apprentissage des acteurs d’une organisation.

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Management des conditions de travail, ergonomie et développement durable

Sylvain Biquand

Abilis ergonomie, Paris

Benoit Zittel Anthropie, Paris

Johnathan Belmont

Directeur des établissements Gcsms, Coulomme [Sylvain Biquand]

Notre communication s’inscrit dans la problématique posée par François Daniellou à l’entrée de ces journées. Il s'agit de la question d’une action durable sur les conditions de travail alors même que l’intervention ergonomique est souvent limitée dans le temps. Comment inscrire et avancer sur la problématique du temps court de l’intervention ? Comment mettre l’entreprise en capacité de construire des processus garantissant l’intégration à la fois de la prise en charge des conditions de travail et d’espace de débat dans l’organisation ? Ce sont sur ces processus clairement mis à mal en ce moment que nous, ergonomes, devons avancer.

1. Introduction 1.1 La problématique de l’entreprise

La démarche que nous proposons est arrivée à la croisée de deux problématiques : • Une problématique d’entreprise : les entreprises sont confrontées à des obligations légales sur

les RPS et sur les TMS. • Une autre problématique plus avancée qui est d’amener l'amélioration des conditions de travail

par l’intervention ergonomique et de l'intégrer dans un contexte d’entreprise.

Du côté de l’entreprise, il y a des enjeux de performance que les conditions de travail ne doivent pas mettre à mal. L’amélioration des conditions de travail reste souvent une action essentiellement interne, qui peut être vue comme un coût et non comme quelque chose qui peut valoriser l'entreprise à l’extérieur. Pour exister dans le champ de l’entreprise, il est important de comprendre les contraintes de la responsabilité sociale (RSE) qui s’appuie en particulier sur un référentiel ISO 26000. D’après le point 6.4.6 (santé et sécurité au travail), il convient notamment qu’une organisation élabore, mette en œuvre et conserve une politique de santé et de sécurité au travail reposant sur le principe de l’application de normes strictes en matière de sécurité et santé d’une part et de performance d’autre part. Ce sont ces deux éléments qui se soutiennent et se renforcent mutuellement. De plus, il conviendrait qu’une organisation prenne et applique les 9 principes de prévention qui sont dans la loi L4121-2. Les normes sont établies par de longs processus faisant intervenir beaucoup d’acteurs qui ont oublié la notion de réduction du risque à la source. Cette norme nous parle, car elle porte sur l’analyse et la maitrise des risques engendrés par les activités sur la santé et la sécurité. Elle demande qu’on enregistre et qu’on

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étudie tous les incidents et problèmes de santé afin de les réduire et de les éliminer. Bien entendu, les risques psychosociaux en font partie. De fait, cette norme devient un référentiel pour les entreprises.

1.2 La problématique des ergonomes

L’expérience acquise lors de nos interventions nous amène à nous poser les questions suivantes : • En référence, à l’idée du temps court et du temps long de l’intervention, comment aller plus loin ? • Comment aller plus loin dans l’instruction de la demande et agir au bon niveau pour être

durablement efficace et ne pas seulement résoudre le problème d’un poste ? • Comment aller plus loin que la prise en compte ponctuelle du travail ? Comment intégrer notre

action dans le fonctionnement de l’entreprise, dans sa stratégie, dans ses processus ? • Comment pérenniser une organisation qui pourra anticiper et gérer les conditions de travail ?

Il faut avoir l’accord de l’entreprise pour mettre en lien gestion des conditions de travail et la performance. Il faut valoriser l’intervention ergonomique afin d’en tirer le meilleur et de concrétiser les changements qui en découlent. Il est donc important de mettre en accord la problématique de l’entreprise et notre problématique d’ergonome. Pour un usage durable du travail humain, il faudrait intégrer l’expérience des travailleurs dans le développement des projets, faire des conditions de travail un facteur déterminant de la production actuelle et future sans oublier de motiver tous les niveaux du management. C’est pour cela que l’on va s’intéresser aux processus de structuration des conditions de travail dans l’entreprise. La démarche de l’ISO 26000 décrit ce qui doit être atteint dans le domaine de l’amélioration des conditions de travail, mais n’indique pas comment y arriver. Notre démarche s’appuie sur un référentiel structurant l’amélioration continue des conditions de travail. Elle propose la structuration des processus et leur valorisation en processus de gestion et de performance durables.

2. Le concept

2.1. Les principes

L’idée était de pouvoir construire quelque chose autour de cette notion de processus de gestion des conditions de travail. Le premier principe consiste :

• À comprendre et à prendre en compte la performance dans son écologie propre, • À développer un système d’interaction cohérent mettant en convergence des enjeux, des

ambitions politiques et stratégiques avec les réalités du terrain. Le second principe consiste à instruire les notions de bien-être au travail et de responsabilité sociétale avec des enjeux de performances. Il s’agit aussi de leur apporter un support pour valoriser en interne et en externe l’ensemble des actions mises en œuvre. Comme nous allons le voir dans ce cas, l’idée est de valoriser la question du processus mis en œuvre et non de sanctionner des résultats en termes d’amélioration des conditions de travail.

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2.2. Les 3 dimensions

L’idée du système mis en place est de le construire autour de la condition du management des conditions de travail pour aider l’entreprise à gérer l’existant et améliorer le futur de ses conditions de travail. Cela passe par plusieurs étapes qui s’articulent autour d’un diagnostic ergonomique. Il interroge 3 dimensions de l’entreprise :

- La politique mise en œuvre - Sa visibilité du terrain - Sa capacité à l’animer

Ces dimensions permettent de définir un cadre dans lequel nous allons pouvoir structurer la démarche de l’entreprise. L’articulation de ces 3 piliers va permettre la convergence vers la question du management des conditions de travail. Le tout s’articule autour d’un processus. L’enjeu essentiel est sa pérennité. Le processus passe par la demande de l’entreprise qui souhaite s’engager dans cette réflexion autour des conditions de travail puis par la réalisation d’un diagnostic par un ergonome européen. Pourquoi un ergonome européen ? Aujourd’hui, c’est la seule certification (certification ARTEE) qui permet de garantir entre autres une pratique autour de la formation et de l’intervention. Une fois que le diagnostic réalisé par l’ergonome, l’entreprise sollicite cette démarche par un dossier étudié par un comité constitué d’ergonomes. Si le processus répond au référentiel (3 piliers), elle est labélisée. Le label est remis en question tous les ans. L’ergonome vient faire le point avec l’entreprise sur le processus mis en place. L’idée étant de créer un lien entre l’entreprise, ce qu’elle met en place et l’ergonome. [Jonathan Belmont]

3. Retour d’expérience

3.1. Le contexte

Je voulais vous témoigner aujourd’hui le retour d’expérience d’une entreprise qui est allée au bout de cette démarche. Il s’agit de vous expliquer, du point de vue du chef d’entreprise, pourquoi on est entrés dans cette démarche et ce que ça nous a apporté. Je gère plusieurs établissements sanitaires et médico-sociaux (cliniques, maison de retraite, foyer d’accueil pour handicapés vieillissants). Ce témoignage porte sur un établissement que je dirigeais il y a quelques années à Mazamet dans le Tarn. C’est un EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) d’environ 85 lits géré par 80 salariés. Dans ce cadre, on trouve bien sûr plusieurs types d’emplois : des administratifs, des infirmiers, des aides-soignants, des agents de service hospitaliers, des agents de maintenance, des médecins. Divers emplois autour du sanitaire, mais une vraie culture d’entreprise. L’établissement a été créé dans les années 80. Le diagnostic s’effectue lui en 2010-2011. L’établissement avait alors subi beaucoup de modifications architecturales avec des extensions et un changement de direction dont je faisais partie. Nous souhaitions justement mettre en place une certaine organisation de travail, mais nous heurtions à plusieurs facteurs. Ayant dépassé la barre des 50 salariés, notre projet était de mettre en place une délégation unique du personnel. Ayant un nombre important d’accidents, la CRAM avait alors pointé notre établissement. Le secteur des établissements médico-sociosanitaires est un des secteurs les plus accidentogènes devant le BTP. La question : comment répondre aux demandes de la CRAM ? Nous avons rédigé des fiches d’analyse

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d’accident de travail et des arbres des causes sans vraiment savoir comment organiser nos actions. Le CHSCT mis en place ne savait pas comment faire ni comment mettre en place une dynamique globale sur les conditions de travail. Par ailleurs, les modifications d’organisation liées entre autres à l’ouverture d’une unité Alzheimer ont modifié les habitudes de travail et été à l’origine de retentissements sociaux. Tout cela a créé des freins et des inquiétudes. C’est à ce moment-là que nous nous sommes demandé qui pourrait nous accompagner dans cette démarche. Nous avons eu l’information que l’ANACT pouvait nous accompagner avec des diagnostics des conditions de travail puis nous nous sommes rapprochés du cabinet Anthropie avec qui nous avons démarré la démarche. Notre objectif était de déployer un diagnostic des conditions de travail sans savoir ce qui allait ressortir. Pour répondre à la CRAM, nous devions faire quelque chose. Avant cette démarche, nos actions étaient surtout axées sur les aides à la manutention. C’est vrai, on était assez innovant là-dessus depuis notre arrivée il y a 2-3 ans, mais effectivement on voyait bien que ce n’était pas suffisant.

3.2. Déroulement de la démarche

En termes de méthode, le pilier de la démarche a été la constitution d’un comité de pilotage. Ce comité se voulait représentatif et non pas tourné vers les 2-3 cadres de la direction. Il y avait aussi bien les délégués du personnel, les membres du CHSCT et les représentants des différents métiers dans l’entreprise. Le diagnostic en lui-même s’est appuyé sur 3 points :

• L’analyse documentaire : qui nous étions, ce que nous avions fait, où en étions-nous en termes d’absentéisme, de turn-over, de nombre d’accidents de travail, le document unique, les fiches de poste, nos plannings.

• L’observation des situations de travail sur site (vrai apport du cabinet) : ça a duré 5 jours. L’ergonome est allé voir toutes les situations de travail des différents métiers.

• Il a réalisé des entretiens collectifs pour faire émerger des problématiques et des entretiens plus spécifiques avec certains cadres.

L’ergonome a mené son diagnostic sans contrainte ce qui a donné lieu à la restitution d’un diagnostic (environ 50 pages avec des illustrations des situations, des analyses et des préconisations). Pour nous, le diagnostic, ça a été un paradoxe. On s’attendait à avoir beaucoup de problématiques issues des postures, des efforts et de l’organisation. Le diagnostic a en fait révélé des éléments que nous n'aurions peut-être pas pu trouver seuls et qui étaient beaucoup plus liés au processus de management et de gestion des projets. Effectivement, les aides techniques mises en place avaient porté leurs fruits, mais ne résolvaient pas les difficultés portant sur diverses questions liées à l’intégration et l’appropriation d’un nouvel outil, d’un nouveau processus de travail. Nous souhaitions moderniser cette gestion de projets. En effet, on s’est rendu compte que la direction achetait de nouveaux chariots sans prendre le temps de constituer des groupes pour vérifier quels étaient leurs besoins. On se disait seulement que c’était du matériel neuf et que comparé à ce qu’elles avaient, ça allait être beaucoup mieux. Ce n’était pas toujours le cas, par exemple, ils étaient obligés de travailler en ouvrant le tiroir parce qu’on n’avait pas prévu la tablette qui permettrait d’appuyer un document sur lequel les opérateurs devaient écrire. Toute cette partie du diagnostic nous a permis de créer une instance paritaire de pilotage et le suivi des actions. Quinze actions techniques pouvaient être résolues rapidement, tout le reste concernait la mise en place et la création d’un processus d’accompagnement et de validation de nos projets. C’était vraiment ça le gros du travail à faire. Le gros apport du diagnostic a été la méthode. À partir de là nous avons développé deux axes : la formalisation d'un document qui explicitait les objectifs d'organisation et les moyens pour les mettre en œuvre. Ce document, c'est la procédure : dès qu'on crée

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une extension, qu'on veuille créer une unité Alzheimer ou même intégrer de nouveaux chariots de ménage ou de soin, il y a un process que l'on respecte :

• Créer un comité de pilotage. Il procède à la définition du besoin. • Constituer un groupe de travail qui définit ce qui lui manque dans sa pratique, ses besoins, fait

des essais, va voir ailleurs. • Procéder à une restitution en assemblée générale pour que toute l'équipe soit au courant de ce

qui se met en place. • Faire un test des hypothèses retenues et un bilan • Réaliser une communication générale et l'implantation de la nouvelle organisation.

Depuis que l'on suit cette méthodologie pour les projets, nous avons levé beaucoup de freins par rapport à l'exécution du travail, mais aussi sur toute la partie sociale de l'entreprise ou tout le monde devient auteur des projets. Ma problématique était « comment faire pour que cela devienne pérenne ? Comment je fais, alors que je ne suis plus dans l'établissement actuellement, pour que la démarche demeure dans le temps ? » La démarche T est venue appuyer ce processus puisque chaque année, il y a une garantie de se reposer les questions pour savoir si nous avons bien poursuivi nos démarches et valider cela. C'est vraiment un plus pour nous en termes de management pour que cette méthode devienne durable dans l'entreprise : c'est le garde-fou de la démarche T. Je ne suis plus dans ces établissements, mais là où je suis nous avons également mis en place cette démarche.

4. Retours réflexifs

[Benoit Zittel]

L’idée était de pouvoir donner une visibilité des problématiques qu'a l'entreprise en interne et lui donner les clés pour pouvoir structurer la démarche. Si je reprends les trois piliers : dans la question de l'accompagnement il s'agissait aussi de faire formaliser à l'entreprise sa volonté, comment elle allait organiser la gestion de ses conditions de travail en interne et de quelle façon elle allait suivre son processus en fonction du plan d'action. [Sylvain Biquand]

Clairement la démarche est un moyen de focaliser l'entreprise à la fois sur le travail, mais aussi de l'intégrer dans la durabilité de l'action, de créer un processus dynamique qui doit bénéficier à l'entreprise, mais aussi au développement de l'intervention. Vis-à-vis de l'extérieur, l'entreprise peut à travers cette labellisation améliorer son image interne, mais aussi sur le marché de l'emploi. Les prérequis de la norme ISO 26000 peuvent être plus facilement remplis, l’obtention de la certification en est facilitée. D'autre part, on crée des espaces de discussion qui vont eux-mêmes ouvrir les marges de manœuvre nécessaires à l'organisation d'une gestion durable des projets. Le suivi annuel n'est pas seulement une garantie de retour pour nous, c'est aussi comme le disait monsieur Belmont un garde-fou pour l'entreprise. [Benoit Zittel]

Pourquoi un label ? En fait il y a une double réflexion qui a pour objectif de répondre aux problématiques que l'on a citées au début. Comment arrive-t-on à engager une entreprise sur une réflexion de fond à propos de la structuration de ses conditions de travail ? Comment arriver à l'intégrer dans une action durable ? Nous envisageons cette démarche comme un outil pour les entreprises, mais aussi pour l'ergonome puisque cela ouvre les portes d'entrée de jeu sur ces questions de stratégie et de gestion interne des conditions de travail ; on est directement mis au-delà de la simple question du poste. Pourquoi

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ce positionnement ? Ce que l'on voit aujourd'hui dans cette question du développement durable et de la RSE, c'est que l'on voit émerger d'autres secteurs qui se positionnent sur cette question de la labellisation en entreprise : les Labels Lucie, BestWorkPlace, etc. qui ne vont finalement pas très loin dans l'analyse, ni dans le diagnostic interne des entreprises et la mise en place d'un accompagnement pour gérer ces questions de travail.

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Atelier interactif des Journées de Bordeaux

Comment les appels d’offres réinterrogent/façonnent-ils la pratique de l’ergonome ?

Animé par Laurent Van Belleghem, Ergonome consultant REALWORK, professeur associé CRTD-CNAM, Paris.

Bonjour à tous. Merci d’être là pour cet atelier qui sera consacré cette année à la question suivante : Comment les appels d’offres réinterrogent/façonnent-ils la pratique de l’ergonome ? En définissant cette problématique, les organisateurs n’ont pas nécessairement cherché à faire de lien entre le thème de l’atelier et le thème général des Journées de Bordeaux 2015, je le rappelle : « Travail de qualité, emploi durable et performance globale ». Je me suis dit, à bien y réfléchir, on peut se dire qu’il y a un certain nombre de rapprochements qu’on peut faire entre le thème particulier de l’atelier et le thème général des Journées. Notamment, on pourra remarquer l’intérêt des appels d’offres :

- Premièrement, à clarifier la relation maîtrise d’ouvrage-maîtrise d’œuvre : à la poser dans un cadre éthique, notamment dans le domaine public pour éviter des formes de corruption.

- Et puis, à rendre transparentes les règles du jeu, qui doivent permettre, in fine, un travail de qualité des fournisseurs en général, et des ergonomes en particulier.

- Et de fait, la question du lien entre les appels d’offres et la question de la qualité : le travail des intervenants ici est tout de suite posé.

- Bien sûr, cette intention initiale vis-à-vis de la clarté que souhaite atteindre cet appel d’offres ne se fait pas sans un certain nombre de contraintes qui se posent aussi à l’ergonome :

- D’une part, les appels d’offres demandent un certain formalisme de réponses, ce qui n’est pas simple, on va le voir.

- Les possibilités d’analyse de la reformulation de la demande sont parfois très fermées, et je pense que cela va être une question qui va nous animer.

- Et puis, il y a un certain nombre de contraintes en termes de coût et de délais qui peuvent peser sur la réponse que les ergonomes pourront être amenés à faire.

Mais de fait, il y a une intention éthique qui doit fonder la relation entre les méthodes de l’appel d’offres et l’ergonome, et cela vise bien (on peut le croire en tout cas), à améliorer la qualité de la réponse du répondant et la qualité de son intervention. Et de fait, on pourrait renommer cet atelier, pour faire le lien avec le thème des Journées de Bordeaux 2015 : « Comment les appels d’offre contribuent-ils ou pas à un travail de qualité des ergonomes ? » C’est une question parmi d’autres que je vous propose de traiter, notamment avec les intervenants présents autour de cette table. Je vous les présente rapidement. Tout d’abord, Yvan Boby, ergonome et co-fondateur du Cabinet Initiatives Prévention, qui regroupe aujourd’hui près de 45 collaborateurs, dont une quinzaine d’ergonomes. Il y a fondé une grande partie de sa stratégie commerciale sur la réponse

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aux appels d’offres : il nous expliquera comment, et comment, dans son histoire, dans son parcours personnel, il a contribué à définir cette stratégie. Ensuite, Arnaud Tran Van, consultant au sein du Cabinet Ancoe, qui regroupe deux intervenants et une assistante commerciale : on n’est donc pas dans les mêmes rapports de taille, et les rapports d’appels d’offres vont nécessairement être différents. Il nous dira comment, dans ce type de structure et dans son histoire personnelle, se joue ce rapport aux appels d’offres. Et enfin, comme il m’a semblé qu’il ne s’agissait pas simplement de voir comment un ergonome était amené à répondre aux appels d’offres, mais aussi comment être amené à en émettre (et donc à en rédiger), il m’a semblé intéressant de faire intervenir Marie-Hélène Gervais. Elle est ergonome, coordinateur national du Ministère Economique et Financier, et actuellement mise à disposition au service du Premier ministre. On verra notamment que la question de la rédaction des appels d’offres n’est pas qu’une question technique, c’est avant tout une question de stratégie, notamment quand on est seule ergonome dans une organisation qui compte environ 190 000 agents. Donc la question de l’ergonome et du développement de l’ergonomie au sein de ce type de structure se pose. Chaque intervenant va présenter le rapport qu’il entretient aux appels d’offres dans sa pratique et dans son histoire. Ensuite, on commencera à engager un débat que j’animerai, notamment autour d’un certain nombre de questions qui pourraient se poser, et on pourra aussi faire circuler le micro dans la salle à ce moment-là. Et puis, le moment que vous attendez tous : on conclura par la séance de questions twitter et SMS. Quelques consignes : l’objectif de cette séance est d’essayer de donner la parole à tout le monde, et pas simplement à ceux qui osent prendre le micro pendant la séance des questions. Évidemment, on attend que les plus jeunes d’entre vous, les étudiants, les jeunes ergonomes, etc. puissent s’emparer de cette nouvelle technologie pour pouvoir poser les questions qu’ils n’osent pas poser autrement. Donc, deux moyens de le faire :

• Twitter, tout d’abord via le hashtag #JdB2015 et le compte @lesjournees. • Pour ceux qui n’auraient pas un smartphone ou une tablette, ils peuvent le faire aussi par SMS.

Vous pourrez aussi poser vos questions aux intervenants : l’idée sera qu’on prenne un maximum de questions dans un mode de questionnement plus rapide que la séquence qui aura précédé.

Jusqu’à ce matin, je pensais que j’allais faire moi-même le tri des questions et les poser. Mais comme j’ai fait un appel d’offres auprès de la promo pour m’aider techniquement : il y a deux étudiants qui sont là avec moi. Je leur ai proposé qu’ils animent eux-mêmes cette séquence. C’est eux qui feront le tri des questions : ils auront sûrement un regard pertinent du haut de leur Master 2 pour savoir quelles sont les questions qu’ils ont envie de faire valoir, et c’est eux qui les poseront en direct. Ceci étant dit, je vais commencer par laisser la parole à Yvan Boby, qui va nous présenter dans sa pratique et dans son histoire personnelle, la façon qu’il a eue d’aborder la question des appels d’offres.

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Exemple de pratique dans un cabinet pluridisciplinaire intervenant en santé au travail & performance

Intervention d’Yvan Boby Ergonome, Cabinet Initiatives Prévention, Saint-Herblain

Introduction

Laurent, quand tu m’as sollicité en fin d’année dernière, j’étais cogérant du cabinet « Initiatives Prévention ». Depuis je ne le suis plus. J’ai démissionné de ma fonction de gérant le 24 février dernier. Aujourd’hui je vais intervenir en tant que cofondateur du cabinet « Initiatives Prévention » et en tant qu’ergonome pour vous relater mon expérience professionnelle au cours de ces années de chef d’entreprise-ergonome dans ce cabinet. Il y aura quatre parties :

- Présentation d’Initiatives Prévention, de sa structuration pour comprendre comment nous avons choisi de répondre aux appels d’offres depuis le démarrage du cabinet en 2007.

- Logique « Commerciale » : comment le cabinet a grandi grâce à sa stratégie fondée sur sa réponse aux appels d’offres.

- Logique « Technique » - des cahiers des charges qui influencent la pratique des ergonomes - En conclusion, mon point de vue sur la qualité du travail des ergonomes au cours de ces années.

1. Présentation Initiatives Prévention

Deux fondateurs d’Initiatives Prévention, aux profils distincts « sciences humaines » et « sciences de l’Ingénieur ». Moi, portant le côté sciences humaines, en tant qu’ergonome. Aujourd’hui, il y a 45 collaborateurs, dont 15 ergonomes, avec de la pluridisciplinarité : des psychologues du travail, des sociologues, avec des profils différents, non-ergonomes de formation. J’avais aussi envie de qualifier notre approche sur ce distinguo :

- Une approche orientée « travail », comme on les pratique habituellement, avec des compétences en ergonomie et psychologie du travail principalement

- Et aussi des consultants qui interviennent dans des champs orientés sur « l’emploi », avec notamment des missions orientées autour des questions de handicap, et particulièrement des SAMETH (Service d’appui au maintien dans l’emploi), ce qui caractérise le cabinet Initiatives Prévention.

Une stratégie (commerciale) fondée dès le départ sur la réponse à des appels d’offres, secteur privé et Marchés publics avec un objectif de développement de l’entreprise. On est partis à deux en 2013-2015 : aujourd’hui, Initiatives Prévention, c’est 45 collaborateurs. Donc l’idée était d’assurer un certain développement sur un certain nombre de territoires. Notre chiffre d’affaires en 2013 a atteint 2,6 millions d’euros, sachant que 80% du chiffre d’affaires est issu des réponses à des appels d’offres. Des marchés pluriannuels, des marchés sur différents territoires, des équipes constituées de consultants avec un manager sur ces territoires. La réponse aux appels d’offres a vraiment structuré le cabinet.

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Logique « Commerciale » - Le regard d’un gérant qui a vu son Cabinet grandir, en partie grâce à sa stratégie fondée sur la réponse aux appels d’offres Au niveau commercial, le plus important est que nous avions un accès aux appels d’offres publiés, principalement Marchés publics avec l’appui d’un prestataire externe qui nous fait parvenir régulièrement des annonces d’appels d’offres, sur la base de mots clés que nous lui fournissons. C’est quasiment quotidien. Et puis d’autres sources existent, il n’y a pas que celle-là. Mais la principale est là. Je ne suis pas un spécialiste, mais en préparant l’intervention d’aujourd’hui, j’ai regardé un peu ce qu’était un appel d’offres, sur Wikipédia (source pas terrible, mais quand même) : « Un appel d'offres est une procédure qui permet à un commanditaire (le maître d'ouvrage), de faire le choix de l'entreprise (le soumissionnaire qui sera le fournisseur) la plus à même de réaliser une prestation de travaux, fournitures ou services. Le but est de mettre plusieurs entreprises en concurrence pour fournir un produit ou un service. » Dans un appel d’offres, il y a un commanditaire (maître d’ouvrage) et un soumissionnaire, que nous représentons en tant que cabinet d’ergonomie (on devient fournisseur). Les appels d’offres publics sont soumis à des règles dans le cadre du code des Marchés Publics. Ces règles varient par rapports à des seuils qui sont fonction de la typologie du secteur d’activités. Vous n’avez pas les mêmes seuils si vous êtes sur la fonction publique d’État ou sur la fonction publique territoriale. Ces seuils sont relativement importants parce que ça va guider la façon dont nous allons pouvoir répondre, ou en tout cas, la façon dont sont structurés les appels d’offres.

Article 26 du code des Marchés Publics : L’appel d’offres est ouvert, lorsque tout opérateur économique peut remettre une offre. L’appel d’offres est restreint, lorsque seuls les opérateurs économiques y ont été autorisés après sélection peuvent remettre des offres. Alors comment Initiatives Prévention répond au marché ? Comment avons-nous développé notre stratégie commerciale sur cette base d’appels d’offres ? En développant un véritable savoir-faire interne avec la mise en place d’un protocole interne qui nous permet de répondre régulièrement aux appels d’offres, de structurer les modalités de réponse commerciale. C’est nous-mêmes (la direction) qui recevons les appels d’offres. Nous les transmettons aux différents établissements en passant par les managers des équipes qui, en concertation avec les consultants, vont lire l’appel d’offres, en sortir la « substantifique moelle », pour savoir si nous répondons ou non à cet appel d’offres. Donc cela passe

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par les consultants, par les assistantes qui gèrent la partie administrative et puis nous, la direction, réalisons l’évaluation pour savoir si nous répondons ou pas à l’appel d’offre. Dans le cas des appels d’offres pluriannuels, avec des volumes relativement importants, nous allons constituer une équipe que nous allons coordonner au niveau de la direction. Pour cela nous avons formé en interne les différents collaborateurs à cette méthodologie de réponse aux appels d’offres. Nous avons créé un outil (d’aide à la « lecture » des appels d’offres), la fiche de synthèse (en 3 parties) qui va permettre de ressortir les différents points-clés des appels d’offres, notamment sur la partie administrative, parce que c’est complexe. Je ne vais pas vous dire ce que signifie tous ces termes, mais vous avez souvent à demander ou compléter des documents tels que DC1 (lettre de candidature), DC2 (déclaration du candidat), DC3 (AE : Acte d’engagement), NOTI1 (attestation sociale), NOTI2 (attestation fiscale), BPU, CCTP, CCAP, RC, CE, KBIS, Lettre d’accompagnement, Attestation d’assurance RC d’exploitation, RIB, Étiquettes, Pouvoir, Mémoires techniques, Références, CV. Et il est important de s’appuyer sur des personnes qui maîtrisent le sujet, et nos assistantes sont très bien formées sur ces questions. Les consultants aussi sont formés sur ces questions administratives pour mieux comprendre comment répondre à un appel d’offres et ce qui se cache derrière, pourquoi ces règles, etc., et quelles conséquences cela engendre. Pour la partie 3 de la fiche de synthèse, les consultants vont ressortir sur la partie technique : l’interlocuteur technique, les critères de sélection, la synthèse de la demande, le plan ou cadre de réponse exigé, les variantes, les livrables, les modalités de facturation, etc. C’est à partir de cette base-là que nous allons pouvoir nous positionner sur la réponse et commencer à y réfléchir sérieusement.

Cas 1 : à partir de la veille et l’appui du réseau, réponse à un appel d’offres de l’AGEFIPH : Les EPAAST

Donc un exemple, j’ai choisi tout à fait au hasard, l’exemple du cahier des charges des EPAAST (Étude préalable à l’aménagement et à l’adaptation des situations de travail), réponse à un appel d’offres de l’AGEFIPH, en 2011. C’est un marché qui n’est pas forcément Marché Public mais qui y ressemble beaucoup. Les critères sont proches d’un point de vue administratif et juridique des règles de Marché Public, avec un cadrage relativement important, un questionnement, puisque cela a chamboulé la façon d’intervenir dans ce secteur pour les ergonomes ; et des documents de marché qui ressemblent étrangement à ceux qui existent dans des Marchés Publics. Pour vous dire aussi, c’est un marché à bons de commande, nous intervenons à chaque fois que nous avions une commande. À l’époque, c’était 35 lots, une période de 4 ans dont la dernière est renouvelable Un montant du Marché total de 28 millions d’euros. Ils nous ont donné un montant maximum pour chacun des lots, et je suis arrivé à 28 millions d’euros sur 4 ans. Ce n’est pas rien comme marché : le plus petit lot est de 187 000 € et le plus gros lot de 4 867 000 € pour un seul candidat (monotitulaire). Le choix d’Initiatives Prévention, en 2011, a été de se positionner sur plusieurs lots de ce marché.

Cas 2 : Marché Public MAPA, restreint : réponse à un appel d’offres d’une Collectivité Territoriale

Un autre exemple qui n’a absolument rien à voir, qui est beaucoup plus modeste : celui d’un appel d’offres provenant d’une collectivité territoriale. Le sujet c’est une étude ergonomique, diagnostic et proposition d’aménagement de postes dans le cadre d’affections périarticulaires, sur la base de l’article 28 du code

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des Marchés Publics. Pourquoi je précise ? Ici, on est dans le cas de marché de procédure adaptée, donc avec un formalisme beaucoup moins important et une possibilité de négocier (contrairement à des marchés où on est au-dessus des seuils, où la négociation n’est pas possible).

Art 28 du code des Marchés Publics « - Lorsque leur valeur estimée est inférieure au seuil de procédures formalisées définies à l'article 26, les marchés de fournitures, de services ou de travaux peuvent être passés selon une procédure adaptée, dont les modalités sont librement fixées par le pouvoir adjudicateur en fonction de la nature et des caractéristiques du besoin à satisfaire, du nombre ou de la localisation des opérateurs économiques susceptibles d'y répondre ainsi que des circonstances de l'achat. Le pouvoir adjudicateur peut négocier avec les candidats ayant présenté une offre. Cette négociation peut porter sur tous les éléments de l'offre, notamment sur le prix.)

Dans le marché MAPA la négociation est possible. Le rédacteur est le Service des Conditions de travail, avec le nom d’une personne et ses coordonnées, la possibilité de contact préalable, d’échange y compris sur le budget alloué à ce marché.

Logique « Technique » - des cahiers des charges qui influencent la pratique

D’un point de vue technique, comment les cahiers des charges des appels d’offres influencent-ils sur notre pratique ? J’ai pris 4 points, qui ne sont pas forcément exhaustifs, sur à la fois la question :

- du rédacteur du cahier des charges et la cible, - sur la possibilité d’analyse de la demande et la reformulation : la visite, les « questions / réponses » préalables, - le contenu : la demande et l’expression du besoin, les auditions, et les conditions de la réponse : le montant du marché, les délais de réponse, les références exigées, les compétences demandées, etc., - la mise en concurrence : le commercial et le technique.

3.1. Le cahier des charges : le rédacteur Dans le Cas 1, qui a rédigé le cahier des charges des EPAAST ? Je n’en ai aucune idée. (EPAAST, ce n’est pas une étude ergonomique) Dans le cahier des charges, le mot « ergonomie » n’est pas présent. À qui est destiné le Marché ? Quand le mot « ergonomie » n’est pas présent, on peut se poser la question. Dans le Cas 2 (CCTP de la collectivité territoriale), on a le nom, Mme S. technicien en hygiène et sécurité du travail. En termes d’analyse et de reformulation de la demande ça change tout de connaître ou pas le rédacteur, au moins sa fonction, et d’avoir des échanges en amont avec lui.

3.2. L’analyse et la reformulation de la demande

Sur l’analyse et la reformulation de la demande, beaucoup d’appels d’offres exigent une reformulation écrite des enjeux. On n’a jamais de reformulation de la demande dans les cahiers des charges. Par exemple : écrire une note synthétique portant sur la compréhension de la mission et des objectifs du projet par le candidat. Donc, quand on répond à un appel d’offres, on nous demande de prouver qu’on a compris la demande, même si cela fait partie des critères de sélection. Exemple de critère : compréhension générale de la demande : 10 %. On se pose donc la question suivante : quelles marges de manœuvre pour l’analyse de la demande au cours de la démarche commerciale ? Et même après ? Puisque cela varie en fonction du type d’appel d’offres.

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3.3. La demande : l’expression du besoin Sur l’expression du besoin, on a une variabilité énorme. Je vous ai mis quelques éléments :

- Sur la possibilité ou non d’obtenir de l’information sur la demande au préalable : est-ce qu’on peut poser des questions, rendre visite, venir échanger, etc.

- Sur les attendus formalisés en matière de méthodologie : quelles sont les étapes proposées dans le cahier des charges, la structure du projet, est-il mentionné dans le cahier des charges « analyse de l’activité », de l’accès au terrain (les modalités participatives), etc.

- Les montants du Marché peuvent également constituer un frein, en tout cas un questionnement : parfois on n’a aucune information ; le plus souvent on a une fourchette entre un montant minimum et un montant maximum.

- L’audition (l’oral après l’écrit) : certains appels d’offres en proposent, d’autres pas. C’est aussi un point clé. Il m’est arrivé d’avoir la possibilité, suite à une audition, d’avoir des échanges et de pouvoir reformuler ma proposition. Donc une quasi-reformulation de la demande. Et cela a été payant, puisque nous avons remporté le marché.

- Les délais de réponse et d’autres points qui influencent fortement la réponse aux AO.

Cas 1 : Exemple du cahier des charges EPAAST

Dans l’exemple du cahier des charges EPAAST, j’ai tiré un PowerPoint de l’AGEFIPH : le commanditaire positionne clairement le prestataire EPAAST (ce n’est pas l’ergonome), dans la réalisation de l’étude ergonomique et la restitution d’un rapport. Mais la question de l’analyse de la demande est positionnée du côté du prescripteur, c'est-à-dire celui qui va nous solliciter pour l’intervention. Et cela va même plus loin, puisque l’analyse de la demande a été détaillée comme suit. Le prescripteur (pas l’ergonome) est en charge de :

- vérifier l’éligibilité,

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- avoir l’avis du médecin du travail, - analyser la situation : en quoi la situation est complexe, - obtenir l’accord explicite des différents acteurs impliqués dans la démarche, - faire une première évaluation de la situation globale, - définir un périmètre (c'est-à-dire le nombre de jours) prescrit par une personne qui n’est pas

ergonome (le plus souvent le consultant SAMETH qui n’est pas ergonome, ça peut arriver).

Donc, on arrive à un processus d’intervention très formaté puisque l’on a répondu sur la base d’un cadre de réponse que nous devons respecter. Après, l’évaluation des interventions se fait surtout sur la base du respect des délais (il n’y a pas que cela, mais c’est le principe le plus important). Alors vous voyez que le cahier des charges va largement influencer les démarches ergonomiques. Je parle ici d’un processus d’intervention formaté.

Cas 2 : au sein de la Collectivité, l’appel d’offres restreint

Sur le Cas 2, au sein de la Collectivité territoriale qui nous a sollicités pour des problématiques de TMS au sein d’un service. On a un cahier des charges : 1- Cadre de l’intervention 2- Pilote de la prestation 3- Contexte de la demande 4- Objectifs à atteindre 5- Principes généraux souhaités pour l’intervention (approche globale, pluridisciplinaire, participative,

transformation des situations de travail) 6- Schéma global d’intervention (précisé en 7 étapes) 7- Phasage de l’intervention 8- Références

Au point 6 (j’ai sorti cela du cahier des charges), les 7 étapes prescrites de la démarche : - Contact préalable avec Service Conditions de travail

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- Réunion de coordination interne - Réunion de démarrage - Analyse ergonomique - Rapport d’intervention présenté au Service Conditions de travail - Réunion de restitution - Rapport de synthèse

Et ce que l’on a fait, parce que nous avions les coordonnées de la personne du service Conditions de travail : je l’ai appelée, j’ai posé différents types de questions pour lesquelles j’ai eu une réponse. J’ai pu négocier, discuter sur ces différentes étapes afin de proposer une méthodologie pas complètement à l’envers de ce qui est proposé là, mais, avec des ajouts : notamment une phase d’analyse socio-organisationnelle (pour un pré diagnostic) qui me paraissait nécessaire. Il y a donc un nombre de jours ajoutés avec une facturation. On a aussi discuté du budget. J’ai pu faire évoluer la question du budget grâce aux échanges avec la personne. De même j’ai proposé une instruction de solutions opérationnelles (avec constitution de groupes de travail), phase qui n’était pas prévue. Et nous avons gagné le marché, ce qui veut dire que ces échanges ont été fructueux. Ils ont permis de faire connaissance, d’établir un contact humain plus que nécessaire, de commencer à bâtir une relation. Cela nous a même permis de faire émerger de nouvelles attentes du côté de la collectivité, afin d’adapter une forme de méthodologie plus pertinente par rapport à la problématique qui nous était proposée.

3.4. La mise en concurrence

Sur la question de la mise en concurrence, il ne faut pas se le cacher, dans un certain nombre de situations c’est un jeu de dupes. On peut, nous aussi, rédiger des cahiers des charges et y répondre derrière. Ceci dit, nous avons développé une compétence commerciale. On voit que cette compétence pour répondre aux appels d’offres est nécessaire. On peut donc avoir des intervenants « spécialisés » dans la réponse aux appels d’offres des Marchés Publics (selon des cadres structurés). Ou pour le dire autrement, ce n’est pas parce qu’on est un bon ergonome qu’on gagne le marché. C’est parce qu’on a bien compris comment il fallait répondre commercialement. C’est la réalité. Ce qui pose la question de

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l’éthique derrière, du travail de qualité (ou de non-qualité) que ça peut occasionner, en relation avec ce savoir-faire commercial.

Conclusion – Point de vue sur la Qualité du travail des ergonomes

En conclusion, j’ai vu au cours de ces années une évolution de plus en plus formatée des demandes et des cahiers des charges, réduisant la possibilité d’une véritable analyse et reformulation de la demande. Mais il reste quelques marges de manœuvre à exploiter. Les marchés viennent de donneurs d’ordre de taille importante : plus on est sur des niveaux nationaux, plus ils sont formatés. Par contre, je constate aussi beaucoup d’appels d’offre venant des Marchés « locaux » (par exemple de Collectivités territoriales ou d’entreprises de droit privé), où le regard d’acteurs institutionnels est finalement un « garant » d’une pratique plus « ouverte », favorisant les échanges et la mise en place des conditions de la réussite.�En effet, lorsque les entreprises s’adressent à des acteurs institutionnels tels que l’ARACT, la CARSAT ou la MSA, les cahiers des charges ne sont pas les mêmes et il y a des possibilités d’échanges un peu plus importants. Donc, les appels d’offres constituent sans conteste une opportunité d’intervention en ergonomie. Initiatives Prévention a fait un choix gagnant en répondant à certains appels d’offre et en développant une compétence interne pointue sur le sujet. Les ergonomes, « dans la place », investissent le champ des conditions du travail et influencent les donneurs d’ordre pour les futurs projets. En même temps, les appels d’offres sont de plus en plus formatés et semblent suivre un mouvement de normalisation dangereux pour l’adaptation de la démarche aux véritables besoins des entreprises. Le « lobby des achats » prend de l’ampleur au fil des ans. Là aussi, une part de la réalité de terrain semble échapper à des acteurs plus préoccupés par la gestion du risque juridique que la pertinence de l’action. On aboutit alors à un risque de « normalisation » de l’intervention même de l’ergonome, obligé de se plier à un cadre restreint, sans possibilité d’en sortir au détriment des véritables enjeux de terrain.

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Comment est-ce que les appels d’offres interrogent-ils la pratique des ergonomes ?

Intervention de Arnaud Tran Van Ergonome européen, Ancoe, Talence

Je suis très content d’être ici aujourd’hui avec vous, et ça me fait plaisir de participer à cet atelier. Parce que c’est vrai que des moments de communications, des moments de réflexion, on en a quelques-uns. Mais des moments où on se parle entre nous et où l’on se trouve dans un atelier plutôt typé sur la pratique pour essayer de réfléchir sur nos modes d’intervention, c’est plus rare : donc je crois que ça fait du bien. Par contre j’ai fait un peu le mauvais élève parce que quand Laurent (Van Belleghem) m’a cité pour participer à l’atelier, le titre m’a plu, j‘ai eu envie. Mais j’ai des réflexes qui ressortent et mon premier réflexe a été de reformuler : je suis donc d’accord pour discuter de la façon dont les appels d’offres interrogent la pratique des ergonomes. Mais sur cette question-là, j’aurai répondu qu’ils l’interrogent en effet. Pour aller un peu plus loin, je me suis plutôt demandé comment les appels d’offres jouent des ergonomes dans leur pratique. Ma question étant : qu’est-ce que cela influe sur notre manière de travailler ? Passer en deuxième c’est confortable parce que j’ai appris plein de choses. Je crois que j’ai appris pas mal de choses sur la raison pour laquelle je perds plein d’appels d’offres. On est dans le gagnant-gagnant, aujourd’hui. Mais je crois que je vais continuer à en perdre et quelque part, le fait d’en perdre est une manière pour moi de pratiquer mon métier, de me sentir à l’aise dans ce que je fais : c’est un peu cela le sens d’ANCOE.

1. ANCOE, faire du conseil un facteur de développement à partager Donc je fais, par rapport à la consigne, une présentation d’ANCOE. On est un très petit cabinet puisque l’on est deux intervenants : je ne vais pas faire de suspens, il y a Thierry Morlet qui est ici, qui est le deuxième intervenant d’ANCOE. Mais on a surtout une philosophie commune et c’est cela que je voulais partager avec vous. On n’a pas de slogan commercial à ANCOE : c’est quelque chose sur lequel on n’est peut-être pas très bon. Et je voulais juste corriger ce que disait Laurent tout à l’heure : on a une assistante administrative, Sabrina, mais elle n’est pas du tout assistante commerciale. On n’a pas cette fonction, on ne sait pas le faire et c’est vrai que l’on n’est pas structuré : ce n’est pas quelque chose sur lequel on a la possibilité de répondre. Aujourd’hui nous sommes deux intervenants avec une assistante administrative. Nous sommes un peu gourmands, notre territoire est un peu large : on a un bureau à Albertville avec notre assistante, et un bureau à Talence, à côté de Bordeaux. On a donc une volonté commune de faire de la pratique de l’ergonomie un espace de développement du travail et des organisations. Et le petit bonus est que l’on essaye de faire en sorte que cette pratique d’intervention soit aussi un espace de développement pour nous, que l’on puisse s’y retrouver, que l’on soit dans une sorte de « pratique plaisir ». En tout cas, la manière d’être juste dans notre approche dans nos réponses est notre manière de faire les choses. C’est vraiment cela qui nous pilote et qui nous guide. Aujourd’hui on est deux, demain on sera peut-être trois, quatre ou cinq. C’est un sujet de réflexion que l’on a régulièrement. On est aussi en fonction de gérant d’entreprise, on a un devoir de mise en

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perspective, de projection à minima : cela fait sourire, on essaye, on fait cela sérieusement. Mais nous sommes surtout dans un rapport à l’opportunité : c’est-à-dire que l’on n’imagine pas la pratique de l’ergonomie, dans notre approche, dans un rapport salarial. Demain on peut grandir, mais plutôt dans un espace de collaboration, avec des gens qui seront dans une philosophie similaire et une envie de pratiquer de la même manière. Les axes qu’il faudra tout de même partager sont d’avoir une pratique juste et une pratique équitable : c’est-à-dire que nous ne sommes pas dans un rapport opportuniste au marché. Ce qui nous guide est le fait de nous sentir en adéquation avec ce que représente l’ergonomie pour nous, et la manière dont elle est un outil. Je pense que lorsque Thierry et moi avons rencontré l’ergonomie, elle nous a donné beaucoup de sens qui nous a permis d’avoir un autre regard sur le travail, mais aussi un autre regard sur le monde, une autre lecture des situations. Moi je fais plus mes courses de la même manière : je ne m’agace pas de la même manière dans une file d’attente, de la même manière quand je vois qu’il y a une situation un peu compliquée, j’essaye plutôt de comprendre quel est le point de blocage, ce qui l’a provoqué. Parfois, je m’agace aussi, je vais être honnête, Il m’arrive aussi de me retrouver sur une plateforme téléphonique d’un centre d’appels et de me dire : « Mais qu’est-ce qu’il se passe ? » Alors on joue à des jeux pervers : on peut expliquer que si l’on dit que l’on se fait insulter, on sait qu’il y a des indicateurs qui vont remonter et que l’on va rapidement avoir un responsable. On sait jouer avec cela. En tout cas c’est bien notre rapport sur ce monde qui permet de travailler, qui nous permet de faire de l’ergonomie. Mais nous ne sommes pas pilotés par le marché, au sens où je n’ai pas de chiffre, je ne sais pas faire. Évidemment je les ai quelque part en tête et parce qu’on fait aussi des bilans comptables tous les ans. Mais je ne sais pas le pourcentage de notre chiffre d’affaires qui est lié à des appels d’offres : ce n’est pas ce qui compte. L’essentiel pour nous est d’être dans un bon équilibre. Et l’équilibre, je vais y revenir, est aussi un bon équilibre par rapport à nos propres conditions de travail. Notre rôle d’ergonome est donc un regard sur le monde, mais c’est aussi un rôle dans le développement social. Avec Thierry, nous sommes très engagés pour participer à la formation des ergonomes : en tout cas on y donne du temps. Nous sommes aussi très engagés dans la vie associative de la communauté. Parce qu’on croit qu’il y a surtout une dimension collective dans la manière de développer l’ergonomie. C’est pour cela que je suis content d’être avec vous aujourd’hui, parce que comment travailler collectivement la question de réponse aux appels d’offres ? Comment peut-on faire certaines choses ? C’est le débat que l’on va avoir avec vous.

2. Appel d’Offres : un point de rencontre ? Un exercice de style

Appel d’offres : De quoi parle-t-on ? Il nous faut maintenant parler de nos conditions de travail, car la présentation qu’a faite Yvan avec des C1 et des C2, on les fait évidemment. En tant que consultant, on est amené à répondre aux appels d’offres, à s’y plier en général. Il faut avoir ces documents. En général, on a des dossiers que l’on compile le soir à l’hôtel pour les envoyer, parce qu’on est souvent dans l’urgence, parce qu’on n’a pas la structure derrière pour anticiper la réponse. Parfois, on est content lorsque l’on arrive à envoyer la réponse la veille. En tout cas c’est cette gestion de nos conditions de travail, de notre propre temps qui nous permet de travailler. Les conditions de travail sont notre manière d’être juste et d’avoir un bon rapport à l’intervention

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que l’on va mener. On n’est pas tous les jours à manger des langoustes, mais en même temps ce n’est pas coûteux parce que l’on maîtrise la situation. Parfois, on rentre à la maison après dix jours d’absence. On est dans un certain contrôle, dans une certaine maitrise et c’est important. La manière dont j’ai réfléchi aux appels d’offres est la suivante : pour nous, c’est un point de rencontre qui se joue dans un exercice de style. Comment joue-t-on de ce système-là pour apporter une réponse pertinente et, de temps en temps, en gagner ? Pour nous il y a deux approches à distinguer dans un appel d’offres. Il faut déjà savoir si le rédacteur de l’appel d’offres est du métier ou pas. Est-ce qu’il y a un rapport différent qui va se jouer à l’analyse de la demande ? Ce qui se joue c’est : est-ce qu’il y a une volonté, de la part du commanditaire, d’être challenger sur la problématique qu’il a pu exprimer ? Est-il plutôt dans une recherche (ce que j’ai nommé « une prestation de service ») ? Est-il plutôt dans un cadre assez formalisé ? Je ne suis pas dans le jugement en disant cela. Évidemment, il y a des raisons qui expliquent cela. Est-il plutôt dans un cadre de maitrise de l’action dans lequel les marges de manœuvre sont assez réduites ? Alors cela n’empêche pas d’y répondre. Parfois, on peut aussi faire des réponses très décalées, parce que cela va permettre, du coup, de perdre l’appel d’offres. Mais cela va peut-être permettre de faire bouger les lignes la fois suivante : c’est aussi une technique. Après, on peut se poser la question suivante : « Quelles sont les règles du jeu ? » Est-ce qu’on nous demande vraiment de répondre ou est ce qu’on répond en faisant les lièvres ? Est-ce qu’il y a une shortlist ? On sait qu’on est quelques-uns à être mis en concurrence : on est quand même un petit milieu, on se connait quand même, pas tous, mais un certain nombre, alors parfois on échange. Parfois, on peut se grouper pour répondre à des appels d’offres. Mais les règles du jeu sont-elles aussi la volonté d’une rencontre qui pourrait se faire ? D’’avoir passé un coup de fil, d’avoir eu cet échange structurant et que quelque chose soit passé ? Ou est-on dans un système très ouvert, où il y a plusieurs mondes qui sont mobilisés, où il n’y a pas que l’ergonomie ? On n’est pas un cabinet pluridisciplinaire. Mais on trouve que l’ergonomie est déjà assez étoffée de ce point de vue là. Donc y a-t-il aussi à jouer de « Qu’est-ce que l’ergonomie ? ». Est-ce que notre rôle est aussi, en répondant, de dire que pour nous l’ergonomie est ceci, que ça permet de faire cela ? Cela permet de décaler un peu le regard de nos commanditaires. Enfin quand on répond à l’appel d’offres, on se dit qu’il faut identifier, évaluer les critères d’évaluation : sur quoi va-t-on être évalué ? Est-ce une question de disponibilité, une question de tarif, une question de technicité ou d’expertise sur un sujet particulier ? Ou est-ce une volonté de travailler avec un homme ? Parfois on prend beaucoup de plaisir à travailler avec certains commanditaires, parfois non : le pendant marche aussi.

Une complexité qui laisse des marges de manœuvre Dans ce système-là (qui est un peu complexe), pour nous, il reste des marges de manœuvre. Nous avons la même idée en tête, tous les deux. Répondre à un appel d’offres signifie que l’on va provoquer une rencontre entre les enjeux d’un interlocuteur et des attentes que l’on peut avoir : c’est parfois différent. Il faut donc réussir à trouver le bon moyen pour que cette rencontre se fasse. Les attentes du commanditaire sont parfois de l’ordre du cadrage technique, financier ou des enjeux internes de mobilisation (Marie-Hélène va peut-être en évoquer après) ; mais aussi les ambitions de l’intervenant. Comment tout cela tient-il dans un équilibre économique, dans un rapport à la rentabilité ? Je ne répondrai pas à un appel d’offres pour lequel je considère que je ne suis pas rentable sur l’appel d’offres. Je ne pourrai pas faire cela intellectuellement : évidemment j’ai ce calcul là. Quand on a des appels d’offres dans lesquels on nous demande une enveloppe globale avec les frais inclus dans l’appel d’offres, on en

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a évidemment une estimation. En effet, si je considère qu’il y a un risque de débordement en termes de nombre de jours, cela peut ne pas me poser de problème du tout. Cependant, je vais tout de même faire attention à ne pas perdre d’argent dans le modèle économique, dans ma réponse à l’appel d’offres. Les manœuvres sont tout de même de trouver un terrain d’entente entre un commanditaire contraint et les marges de manœuvre d’un intervenant j’ai donc essayé de jouer pour les twitter : « Est-ce que la pratique de l’ergonomie se résume à une technique ? » Moi je n’y crois pas. Donc, répondre à un appel d’offres revient nécessairement à travailler une reformulation de la demande. Mais en même temps, quand je réponds à un appel d’offres, il ne faut pas que je perde de vue la finalité. La finalité de cette affaire est l’action : c’est la rencontre de terrain que l’on va pouvoir faire, l’analyse du système positif, du produit, de l’interface informatique ; c’est ce que l’on va mobiliser sur un site avec des gens. Tout cela se joue tout de même, derrière. Mais cela reste déterminé par les marges de manœuvre que l’on va pouvoir se laisser, nous, intervenants. Il s’agit, à un moment donné, de ne pas de se saborder et de se laisser de quoi respirer.

Oui les appels d’offres guident la pratique… Oui les appels d’offres guident la pratique. C’est un exercice de style qui détermine les conditions futures d’intervention. Je me rappelle lorsque j’ai été formé ici, à Bordeaux, qu’on se disait qu’il existait des conditions minimales pour intervenir, en de ça desquelles je ne pourrai pas y faire de l’ergonomie... Alors cela ne veut pas dire que je ne peux pas y intervenir : cela veut dire que je ne pourrai pas faire d’ergonomie. Et ça, c’est quelque chose qui est ancré en moi, que j’ai et qui joue sur ma réponse aux appels d’offres. Finalement, dans cet exercice de style, qu’est-ce qu’on porte ? Parfois on porte des enjeux disciplinaires, un peu macro ; parfois, on porte des logiques économiques ; et quand tout cela ne peut pas tenir ensemble, parfois il vaut mieux savoir perdre un appel d’offres, et peut-être que perdre des appels d’offres permet aussi parfois (je suis peut-être rêveur) de transformer certaines situations. C’est une question, je crois, que l’on a à se poser collectivement. Finalement, la façon dont les appels d’offres guident la pratique est de deux manières :

• Du point de vue du métier, répondre à un appel d’offres veut dire identifier le champ des possibles et voir de quelle manière on peut faire ce travail de reformulation de la demande. Cela signifie parfois de faire tenir ensemble des éléments différents et de les ramener dans une même problématique, pour donner un autre éclairage sur la situation et permettre de faire avancer.

• Mais c’est aussi une question professionnelle, parce que c’est aussi un exercice de style qui permet de tenir un équilibre économique, qui est lié au mode d’organisation de la structure à laquelle on répond. C’est une question compliquée de se demander comment faire évoluer notre discipline, nos pratiques, notre exercice du métier (je vous parle en tant que consultant), pour pouvoir trouver cet équilibre qui permet d’être dans un développement qui fonctionne.

Quels enjeux pour l’ergonomie ? Une approche collective des appels d’offres ? Quels enjeux cet exercice nous amène pour l’ergonomie ? Comment peut-on, ou pas, avoir une approche collective des appels d’offres ? D’une part, c’est une question d’orientation : les appels d’offres, comme toute demande, sont une opportunité. Donc on peut se saisir de cette opportunité en se disant « je peux le faire, je ne m’interdis pas de faire bouger des murs, même si parfois ils sont un peu rigides ». En tout cas je ne me mets pas, à moi-même, intervenant, des barrières immatérielles que je m‘interdirais de franchir, même si je considère intrinsèquement qu’il faut le faire. C’est donc une question de posture.

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Un équilibre, une réponse au besoin et aux contraintes du commanditaire : évidemment qu’il faut le faire. J’ai encore à peu près les pieds sur terre parfois : il faut tout de même être dans la réponse à ce qui est attendu. Mais il faut aussi être dans un espace de développement technico-économique, en répondant : « Qu’est-ce que cela nous apporte ? Qu’est-ce qu’on va en apprendre ? Qu’est-ce que cette expérience va nous enseigner pour la suite de notre pratique, pour notre exercice ? Une mise en perspective de l’activité est importante. Je dis « sans soumission » parce que le terme « soumissionnaire » me dérange et ce n’est pas la manière dont j’ai envie d’exercer. Quelques leviers que je vous propose pour discussion : c’est de tenir ensemble une éthique, une ambition, des coûts. C’est un sujet que l’on ne peut pas avoir, mais à un moment ou à un autre il faudrait que l’on puisse l’avoir : quel est le coût de l’ergonomie ? Comment est-ce qu’on l’évalue ? Moi j’ai toujours du mal dans une phase de négociation : le matin quand je vais à la boulangerie, je ne discute pas le prix de la baguette. Donc j’ai du mal à jouer ce coup de la négociation sur un taux journalier, qui serait une remise en question comme cela, d’un coup, de ce que vaut une prestation. Si l’on considère qu’une prestation en ergonomie vaut un coût, il faut peut-être l’assumer. Enfin, utiliser le fil du titre d’ergonome européen est quelque chose d’important. Cela existe, donc il faut jouer de cette modalité-là. C’est quand même quelque chose qui, je crois, nous réunit au sein de cette communauté professionnelle, donc il faut s’en servir. Cela fait vingt ans que ce titre existe et ce n’est sans doute pas pour rien. Parce que si on ne le fait pas, il y a des risques pour l’ergonomie avec un cloisonnement, une restriction, peut-être, de certaines pratiques et une mise en danger de certaines structures de conseil. Si elles entrent dans un jeu tarifaire, elles vont perdre de toute façon, car quoi qu’il arrive, il y aura toujours moins cher ailleurs.

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Intervention de Marie-Hélène Gervais

Ergonome, Service du Premier Ministre, Paris

1. Le lieu de mon histoire avec les appels d’offres 1.1. Un Ministère de la Fonction Publique d’État

Je suis ergonome, et je vais vous raconter l’histoire de l’appel d’offres qui a construit également ma fonction d’ergonome au sein des Ministères Économique et Financier. Le lieu de mon histoire avec les appels d’offres était au Ministère de la Fonction Publique. Ce ministère a commencé à deux ministères, pour finir à cinq. Puis, il n’y en avait plus que deux. Donc c’est très compliqué : vous commencez à peine à comprendre les sigles, que ceux-ci changent ; vous commencez à travailler avec un directeur, mais il change également un mois après. La question de l’adaptabilité et de la pérennité se pose d’emblée. Aujourd’hui c’est un Ministère Economique et Financier avec deux Ministres. C’est en fait 192 000 agents et 700 sites en 2005. RGPP passant par-là, nous sommes 150 392 agents en 2013. Dans ce Ministère, nous avons un secrétariat général : c’est important en termes de positionnement vis-à-vis de la stratégie de l’ergonome. Ce positionnement qui ne m’appartenait pas, qui existait déjà avant mon arrivée en 2005 (une ergonome y était depuis dix ans avant mon arrivée, elle a commencé avant et continuera après moi), au sein d’une Direction des Ressources humaines et un bureau « santé et sécurité au travail ». Celui-ci est transversal à l’ensemble des deux ministères, donc de fait, à l’ensemble des directions générales qui le compose. En effet, dans les directions générales, il y a :

- la direction générale des impôts, et la direction générale de la comptabilité publique qui se sont réunies ;

- et les douanes, pour vous parler des plus connues.

Donc il est important que le positionnement que l’ergonome soit au sein du secrétariat général, parce que la notion de transversalité, qui n’est pas impliquée directement dans les enjeux des directions, nous permet d’avoir un positionnement de l’ergonome différent. Il y a des instances CHSCT : 19 000 agents ont 102 CHSCT de proximité ; on a un CHSCT ministériel, un CHSCT d’administration centrale. Nous avons également des acteurs de prévention, déjà existants avant mon arrivée, qui vont venir impacter le positionnement de l’ergonome. De plus, nous avons l’inspection santé et sécurité au travail (et je pense que nous sommes le seul Ministère de la Fonction Publique d’État où l’inspection santé et sécurité au travail a été rattachée à un bureau sécurité et santé au travail). Par ailleurs, nous avons la médecine de prévention. Enfin, nous avons le pôle ergonomie des Ministères. Pourquoi « pôle ergonomie » ? Parce qu’au début j’étais toute seule et on m’interdisait de dire « pôle » en tant que structure, donc j’ai d’emblée imposé le « pôle ergonomie ». En 2009, nous sommes passés à deux ergonomes ; en 2010 nous sommes montés jusqu'à cinq ergonomes ; et aujourd’hui nous sommes quatre ergonomes.

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1.2. La politique Santé Sécurité aux Ministères Economique et Financier de 2005 à 2014

Quand je suis arrivée en 2005, la politique santé et sécurité au Ministère, les politiques ministérielles évoluaient sans arrêt : c’est fatiguant. De plus, le CHSCT ministériel, en tant que référence du 24 novembre 1993, a vu apparaître les premiers appels d’offres. Ils avaient appelé cela le « laboratoire expérimental », pour valider les apports de l’ergonomie, et de fait, recruter un ergonome des finances. Aujourd’hui, on ne se positionne pas comme « l’ergonome des finances », mais comme « les ergonomes des Ministères ». Sur cette politique Santé Sécurité au travail, on a connu une évolution : nous avons eu un Comité Technique Ministériel en 2010. Dans les discours de la Ministre de l’époque, la notion « d’adaptation du travail à l’agent » a été reprise comme un enjeu majeur de la politique Santé Sécurité au sein du Ministère.

1.3. 2005 : quelles attentes par rapport au nouvel ergonome ?

Je venais d’un hôpital au Havre, donc ce n’était pas le même contexte ni la même dimension. Je me suis donc retrouvée là-bas. On m’avait formulé des attentes de la part de ma propre hiérarchie : c’est un élément important lorsque l’on est ergonome interne. Elles étaient les suivantes : « se faire comprendre quand je parle », « modéliser en rédigeant le guide des bonnes pratiques en ergonomie », « ne pas parler d’organisation avec les directeurs », « former à l’ergonomie, puisque l’ergonome ne peut pas aller partout », et surtout, « rester à Paris ». Vis-à-vis de la pluridisciplinarité (cela a été un choc), j’ai eu la demande de la coordinatrice nationale des inspecteurs santé-sécurité (qui, à l’époque, était l’adjointe de bureau) : elle était de « rédiger un support compréhensible et intelligent de formation à l’ergonomie pour que les inspecteurs hygiène-sécurité puissent présenter l’ergonomie aux CHSCT locaux ». Donc je me suis dit : « Au secours ! Allo, les copains, qu’est-ce que je fais ? » Il y avait donc des attentes formalisées, car les représentants du personnel, les fédérations syndicales de Bercy, sont des acteurs très importants et très aidants pour les ergonomes. Ils avaient donc des attentes importantes autour de la mise en place des marchés de mobilier et de fauteuils de bureau, et de porter la politique en ergonomie. Mais ils me demandaient surtout (puisque des appels d’offres avaient été réalisés avant mon arrivée), d’essayer d’en sortir à partir de documents auxquels je n’avais pas participé, pour en tirer des éléments de modélisation en ergonomie. Une première question s’est donc posée à moi : « Il y a un ergonome pour 192 000 agents et 700 sites, donc comment faire ? ». Comment faire en restant à Paris (sans parler d’organisation du travail) ? Comment faire en laissant les autres acteurs de prévention parler d’ergonomie à la place des ergonomes ? De quelle ergonomie va-t-on parler ? Ce n’était pas gagné.

2. L’ergonomie aux Ministères Economique et Financier de 2005 à 2014

Quelles postures et valeurs porter ? Je me suis donc demandé quelle posture et quelles valeurs je voulais d’emblée. Le poste d’ergonome interne est compliqué, car on vient déranger énormément de choses. La posture que j’ai essayé d’amener à ma sous-directrice de l’époque est le fait que j’étais là pour essayer de véhiculer les traductions concrètes de la discipline. Je suis ergonome : je ne suis pas aménageur d’espaces, je ne suis pas là pour faire du mobilier, je ne suis pas là pour définir combien de roulettes il faut à la chaise de bureau. Mais c’est ce que l’on me demandait. Donc, il s’est avéré complexe de lui faire comprendre que l’ergonomie n’était pas ce pour quoi elle m’avait recrutée.

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De plus, avant d’être ergonome, on est un agent des Ministères Economique et Financier. On doit donc respecter les valeurs et les règles des Ministères. On doit également savoir gérer au quotidien des injonctions contradictoires, et donner le point de vue du travail sur des stratégies qui ne sont pas prédéfinies par nous, mais par les directions. Amener les Ministères à une vision globale est un point important. Ne plus parler de poste et de situation de travail, mais du travail en tant que tel est important : avec des questions sur les objectifs individuels par rapport aux objectifs collectifs. La valeur que je voulais aussi poser d’emblée, était d’éviter le risque que le rôle de l’ergonome soit instrumentalisé, et qu’il ne devienne uniquement qu’un technicien au détriment de son vrai rôle (en tout cas, c’est comme cela que je voulais faire de l’ergonomie à Bercy), qu’est la construction sociale de l’intervention, pour faire progresser les situations de travail. Concernant le travail et l’analyse du travail, je me suis confrontée à ma sous-directrice pour lui dire qu’il fallait aller voir sur le terrain : « Si vous voulez me laisser faire mon travail d’ergonome, il faut que vous me laissiez aller sur le terrain. Il faut que je puisse observer, interviewer, confronter, délibérer, etc. Il faut donc que j’y consacre du temps : entre-deux, je ne suis pas ergonome à Bercy pour rédiger des notes nationales. Je ne suis pas une cadre A de l’administration, je suis ergonome ». Donc, par rapport à ma hiérarchie non ergonome, l’enjeu était évidemment de ne pas perdre le point de vue du travail, tout en satisfaisant ses attentes : je suis aussi un agent qui gère en partie sa carrière. Il faut surtout savoir garder énormément d’humilité quand on construit un poste. De l’humilité, parce qu’il faut être humble envers soi-même, mais aussi envers son métier. Quand on est dans une grosse structure comme la mienne, il faut être très humble au niveau de la représentation que les autres se font du métier d’ergonome. Avant, l’ergonome équivalait à la table, la chaise, l’éclairage, le bruit, mais ce n’était pas du tout du type : « Mais de quoi vous vous mêlez ? Pourquoi vous poser des questions sur l’organisation du travail ? Ce n’est pas votre boulot ». Il ne faut surtout pas galvauder l’éthique du métier pour bien faire vis-à-vis de ces attentes-là. Je pense que c’est une dualité très importante quand on est ergonome interne. 2007-2009 : une activité redéfinie par rapport à ma posture et mes valeurs J’ai fait un pari : ce ne seront pas les inspecteurs en santé-sécurité au travail qui feront les formations à l’ergonomie, je les ferai toute seule. J’ai pris mon bâton de pèlerin, ma valise en carton, et je suis allée dans tous les départements : j’en ai fait 88, de Toulon à Vesoul, en un an. C’était très intéressant, car j’ai appris plein de choses. Mais ce que les gens m’ont surtout renvoyé est le fait qu’ils mettaient enfin un visage sur la fonction d’ergonome de la centrale, tout comme : « Vous allez vraiment venir chez nous ? ». Quand je les appelais pour l’inspection des demandes, je leur demandais :

- « Quel jour voulez-vous que je vienne ? » - Et ils me répondaient : « Mais vous allez vraiment vous déplacer ? Vous allez vraiment venir

chez nous ? » - « Oui, oui, le but est de venir chez vous » - « Ah bon, mais ils vont vous payer ça à la centrale ? »

Avant mon arrivée en 2005, des réunions interministérielles d’ergonomie avaient été mises en place (cela n’existe plus aujourd’hui). C’était un levier pour moi, dans un premier temps, pour construire et faire évoluer le pouvoir d’agir des ergonomes internes par rapport aux décideurs des directions générales. Mais c’était également un levier par rapport à ma propre stratégie : je comptais sur ce que voulez me faire faire ma hiérarchie du rôle des ergonomes, par rapport aux directions (qui étaient les

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commanditaires). Donc c’est une posture assez complexe. RGPP (la Révision Générale de l’ensemble des Politiques publiques) a mis en place la création d’une direction générale des finances publiques (cela a été un levier important de mon positionnement et de mon action). Cette Direction Générale a été l’association entre la Direction Générale des Impôts et la Direction Générale des Comptabilités publiques. À la DGFIP, l’objectif était de mettre en place des hôtels des finances. Il y avait trois sigles avant que l’on arrive à comprendre ce sigle-là. Il y a eu une réforme, qui a été très importante pour : c’était la mise en place en des SIP (les Services des Impôts des Particuliers). Cela a été très important pour nous, parce qu’il fallait que l’on puisse anticiper. J’étais toute seule : il y avait 400 SIP à mettre en place en France et dans les DOM-TOM. Comment faire pour répondre à l’ensemble de ces projets, puisque l’objectif était que les ergonomes puissent se positionner sur ces projets architecturaux ? Une deuxième demande m’a été faite : le fait de rédiger un guide national d’aménagement des SIP, comme un guide des bonnes pratiques. Je me suis donc posée de nouvelles questions : comment développe-t-on une approche de conduite de projet ? Est-ce que ce n’est pas là un des prismes d’action important ? Cela questionne donc une chose : est que je me positionne en ergonomie de conception ou en ergonomie de correction ? Cela aurait pu être un positionnement, que mon prédécesseur avait eu, par exemple. Je ne l’ai pas fait. Je me suis dit qu’au contraire, avoir des projets de correction, des petits projets dans des petits départements, a autant de légitimité qu’un projet d’une Direction Générale. En ayant des démarches « exemplaires », on va pouvoir venir requestionner les Directions Générales : on fait de l’ergonomie ascendante et non pas de l’ergonomie descendante. C’est quelque chose qui n’existait pas beaucoup à Bercy auparavant. Puis, de nouvelles questions se sont posées par rapport aux demandes formulées autour des SIP. C’était principalement des problématiques autour des open spaces : « Vous, la nouvelle ergonome des Ministères, dites-leur, a ces « vilains méchants » de la DGI que ce n’est pas bien faire des open spaces ! ». Très vite, nous avons positionné la question autour de la notion des usages des espaces de travail (les ergonomes ne sont pas des aménageurs d’espace), de la notion de polyvalence des espaces, et de la notion de polyvalence des organisations. En effet, l’objectif de la Direction Générale des Impôts était de faire des organisations du travail complètement évolutives et que les espaces soient donc aussi évolutifs. En faisant des espaces ouverts, ils étaient persuadés qu’ils allaient répondre aux besoins d’évolution des organisations du travail, ce qui était l’erreur à ne pas faire. D’autres notions importantes sont celles de la polyvalence et de la « polycompétences ». D’autres questions se sont posées : notamment celle du pouvoir décisionnel des directions locales par rapport aux directions générales. J’ai reformulé la notion de guide des SIP à partir des principes fonctionnels et spatiaux pour les accueils et les espaces collectifs, pour écrire un « guide national fonctionnel et spatial des SIP » (et ceci, avant et après la mise en place des premiers SIP). Alors comment répond-on aux diverses demandes avec efficience ? Ces demandes sont formulées par les directions locales ou nationales. Il y a différentes instances : les CHSCT ministériels, l’administration centrale de proximité, les inspecteurs santé-sécurité et les médecins de prévention. Ce sont ces trois entités qui peuvent saisir l’ergonome. La question qui se pose est : fait-on de l’ergonomie par petit bout ou monte-t-on une stratégie de développement globale de l’ergonomie ? C’est plutôt cette orientation que j’ai prise : c’était plutôt ambitieux et prétentieux, mais nous avons essayé de faire au mieux.

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3. Une stratégie de développement de l’ergonomie aux Ministères Economique et Financier Une modalité de gestion des saisines La première chose qui a été dite est que le pôle ergonomie est l’unique interlocuteur des directions, et qu’en aucun cas, les départements n’ont recours aux prestations d’ergonomes externes sans passer par les ergonomes du Ministère. Cela a des avantages et des inconvénients : cela a été très important et très impliquant, mais il fallait pouvoir justifier notre action par la suite. On avait un levier très important, j’en ai entièrement conscience. Le seul Ministère de la Fonction Publique d’État qui a un budget propre à allouer au fonctionnement des CHSCT est Bercy. C’est vrai que c’est un levier très intéressant pour le développement de l’ergonomie. Ce qui était surtout important était de dire aux CHSCT que l’on allait évoluer, et que l’évolution allait amener à ce que l’utilisation des budgets de CHSCT ne soit pas sur des prestations techniques et matérielles (de type stores, abatants de toilettes), mais plutôt vers des prestations intellectuelles aux services des projets. De plus, il y a eu une coordination nationale du pôle, à qui le CHSCT demande des comptes, mais pas simplement sur des budgets : ils payent des interventions en ergonomie pour avoir un retour sur investissement. Selon eux, vous êtes l’ergonome des ministères, donc c’est à vous de venir nous prouver que l’on a bien investi. Enfin, nous avons mis en place une fiche informatisée de saisine des ergonomes, qui est modélisée et à disposition de l’ensemble des personnes qui peuvent nous saisir. Nous avons fait ces modalités de gestion de saisines pour structurer le traitement des demandes instruites. En effet, l’ergonome des Ministères va faire la visite préalable et va faire la reformulation de la demande : les ergonomes internes ont déjà fait la reformulation de la demande au préalable, quand on fait appel à des prestataires. On va donc transmettre aux directions générales l’ensemble des demandes : l’enjeu est de ne pas de travailler seul dans son coin, mais d’être dans une logique « Ministère ». L’enjeu de la gestion des saisines était aussi de faire des démarches adaptées par rapport au contexte, qui est toujours singulier. C’est aussi la culture de Ministère de Bercy : ils aiment beaucoup les « bonnes pratiques », le benchmarking, etc. Aussi, quand je disais que chaque situation était différente l’une de l’autre, cela posait beaucoup de problèmes aux directeurs. Des démarches efficientes après la saisine instruite Nous avons mis en place des démarches efficientes et les interventions en ergonomie étaient celles réalisées avec les appels d’offres. Merci à Yvan d’avoir expliqué la notion des marchés adaptés et la loi MOP. Il était important pour nous de recourir à des prestataires en ergonomie : ils étaient pour nous des partenariats indispensables temporaires qui étaient, de mon point de vue, la meilleure réponse vis-à-vis de la volumétrie et de la variabilité des saisines qui m’arrivaient en tant que telles. Toutefois, en tant qu’ergonome des Ministères, c’est aussi à nous de faire de l’ergonomie. Je ne voulais pas uniquement être une gestionnaire des saisines, mais également être une vraie « ergonome », et donc faire nous-mêmes des interventions en interne. Au sein de Bercy, nous les avons nommés : « accompagnement en ergonomie » ; « intervention » quand les ergonomes externes les font avec nous ; et « accompagnement ergonomique » quand c’est fait uniquement par des ergonomes des Ministères.

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Le recours à prestataire externe par appels d’offres Le recours aux prestataires par appel d’offres nous permettait d’obtenir une capacité à intervenir. Notre enjeu était de mettre en place une stratégie, qui est celle de ne pas faire toutes les démarches en direct, même si les ressources internes ont été limitées à un moment donné. Quand j’étais toute seule, je ne pouvais pas coordonner l’ensemble des interventions à cause du nombre important de saisines. Il a donc fallu monter et recruter des ergonomes, mais j’ai dû mener une bataille quotidienne. Le fait que les appels d’offres soient mis en place avec un cofinancement des directions et des CHSCT était important. Notre objectif était de mettre en place des prestations opérationnelles portées par les directions. C’est important que les directions restent maitre d’œuvre et d’ouvrage des prestations en ergonomie, et non pas les ergonomes des ministères. Ceci, tout en impliquant systématiquement les agents, les représentants du personnel et les acteurs de prévention. Mais on ne fait pas appel a des prestataires comme on veut.

4. Comment les appels d’offres réinterrogent-ils la pratique de l’ergonomie ? Appels d’offres : de l’instruction à la coordination des interventions Des appels d’offres régissent des codes des marchés publics avec la rédaction des Cahiers des Charges Techniques. En tant qu’ergonome des Ministères, je vais rédiger le Cahier des Charges Techniques, mais pas le CCAP et l’acte d’engagement (tout ce dont ont parlé Yvan et Arnaud). Moi, j’aide la direction à rédiger la partie technique de l’appel d’offres. La ressource interne du pôle ergonomie est importante, parce qu’il a des connaissances fines de la structure et de ses évolutions ; il connait également les enjeux des projets et les marges de manœuvres ; et il va surtout pouvoir aller mobiliser les interlocuteurs pertinents, locaux et nationaux, pour aider les prestataires à mettre en place leurs démarches. Cela conditionne fortement le fonctionnement des ergonomes internes, puisqu’ils sont, entre autres, garants des règles de déontologie et de l’éthique du métier. On m’a demandé de faire appel à un ergonome « vite fait » pour qu’il écrive ce que l’on doit faire : j’ai répondu que les ergonomes n’étaient pas là pour cela, et que mettre de l’ergonomie se faisait obligatoirement par une conduite de projet structurée en ergonomie. Il est important de construire en amont les conditions favorables pour que le prestataire et l’ergonome interne puissent faire leur travail avec :

- un cadrage de la demande et du périmètre, de la temporalité et des recherches de marges de manœuvre en amont,

- l’anticipation de l’acceptabilité des recommandations par les directions générales.

Ce dernier point est très important parce que je me suis fait prendre dans mon propre piège sur certains projets architecturaux. Le directeur venait présenter les préconisations au sein de la Direction Générale, et cette dernière rétorquait les recommandations. Cela s’est produit une fois, pas deux. L’enjeu pour moi, en tant qu’ergonome des Ministères était d’aller préparer l’ensemble des démarches d’ergonomie avec les différents métiers, pour que l’on définisse bien les marges de manœuvre que l’on avait, afin que cela aboutisse réellement à des transformations de situations de travail. Enfin, nous avions une volonté importante de ne pas tirer vers le bas le nombre de jours dans les marchés publics et donc, de fait, réussir à avoir une réelle action.

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Recours aux prestataires par appels d’offres et politique interne en ergonomie L’intérêt est de permettre une logique homogène entre les différentes interventions, avec la mise en place de formes d’implication structurée : un comité de pilotage projet systématiquement dans toutes interventions ergonomiques, et un chef de projet. Un comité de pilotage est important pour que les directeurs s’impliquent dans la démarche. Ce n’est pas l’assistance de prévention qui va porter la démarche en ergonomie : c’est bien le directeur du département ou la direction générale, en tant que telle, qui porte le projet, et qui va devoir rendre des comptes sur ce que l’on fait ou non après la démarche ergonomique. Cela a de l’intérêt, car cela permet, avec l’accord des directions, que les critères de réponses techniques soient toujours supérieurs aux critères « prix ». On « évite la règle du moins-disant », et c’est également important pour les prestataires. Nous participons, avec la direction, au choix des prestataires en réalisant un tableau des offres comparatives. Je me suis posée une question importante : « comment vais-je faire pour ne pas me mettre à dos mes collègues ergonomes en ne les choisissant pas pour les interventions d’ergonomie ? » Cela permet aussi d’objectiver le choix et de pouvoir en parler avec les cabinets de consultants de ceux qui ne sont pas retenus, et pourquoi. Le point de vigilance est évidement de ne pas être trop dirigiste, et surtout prescriptif dans le déroulé de la démarche.

J’ai essayé de faire un graphique sur l’évolution des démarches en ergonomie au Ministère, pour vous donner un contexte. Nous avons pratiquement travaillé avec 40 cabinets d’ergonomie, en dix ans. La volonté était de ne pas travailler uniquement avec certains cabinets, mais aussi d’avoir l’opportunité d’offrir des prestations à de jeunes cabinets d’ergonomie qui se mettent en place, et enfin, d’avoir une grande diversité de cabinets d’ergonomie.

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Nous avons une grande évolution entre 2007 et 2012 (je vous rappelle qu’entre 2008 et 2009 j’étais toute seule), donc en 2008, j’ai eu besoin d’avoir énormément recours aux prestataires, pour ensuite capitaliser ce que nous avaient apporté les interventions en ergonomie. Cela nous a permis de passer à deux en 2009, de pouvoir faire un peu plus d’accompagnement ergonomique. Les prestations en ergonomie étaient donc vraiment ciblées sur des problématiques importantes et des sujets importants, parce que les ergonomes des ministères n’ont par une expertise sachant sur l’ensemble des thématiques : nous ne sommes pas experts sur les RPS, les TMS, l’architecture, etc. On avait vraiment la volonté de construire ensemble, avec les prestataires, de la compétence pour les ergonomes des Ministères, mais aussi pour les cabinets : en tirant tout le monde vers le haut, on apporte ces éléments. En 2012 le nombre d’interventions a diminué, cela ne veut pas dire qu’on fait moins d’ergonomie avec des prestataires externes, puisque les thématiques sont plus importantes par rapport aux RPS, par exemple : il y a une intervention, mais il y a plus de nombres de jours donc il faut être vigilant sur les chiffres.

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Débat Laurent Van Belleghem : Merci beaucoup. La reformulation de la demande est-elle nécessairement le fait de celui qui répond, et qui sera donc amené à intervenir ? Si un ergonome interne prend la plume, par exemple, on peut imaginer qu’il puisse y avoir une forme de reformulation de la demande qui soit déjà prise en charge. Elle n’a donc plus nécessairement besoin d’être faite. Mais, du point de vue du métier, cela peut-il s’entendre ? Celui qui intervient doit-il nécessairement passer par la question de l’analyse et de la reformulation de la demande ? Je m’adresse d’abord à Arnaud et Yvan. Arnaud Tran Van : Moi c’est l’histoire du « cadeau bonux ». Vous savez, à l’époque, dans les paquets de lessive, il y avait toujours un cadeau. Ce qui fait ressource dans l’ergonomie est le fait qu’il y ait des éléments de base sur lesquels on s’entende très rapidement (je fais écho à la conférence précédent l’atelier sur la structure). Je pense qu’il y a des choses sur lesquelles on se retrouve concernant la structuration, en termes de conduite de projet, comme l’a aussi développé Marie-Hélène. En tant qu’ergonomes, on a le rôle d’être acteurs de la mise en dynamique et de ce qui va se jouer dans l’entreprise. Du moment où l’on fait cela, l’ergonomie est toujours une force de promotion du « cadeau bonux ». Ce que l’on va ramener du terrain et nos expériences en tant qu’intervenant (qui sont nécessairement singulières et différentes), vont nécessairement enrichir la problématique. Donc, il faut entendre et savoir répondre au fait qu’il y ait eu une reformulation de la demande initiale par le commanditaire : on répond donc évidemment à la commande. Cela n’empêche pas de pouvoir alimenter, et de mettre en discussion, le fait que nous avons aussi un regard, et que cela peut compléter la problématique. Yvan Boby : J’avais été confronté à cette question de la commande quand j’étais conseiller en prévention à la MSA (car on recevait aussi des commandes). On se posait déjà la question du lien entre cette commande et la possibilité de reformuler une demande, pour enrichir la commande institutionnelle. Ce n’est pas simple, mais c’est possible. Je reste persuadé que dans des situations où le contact humain est là, sur des projets locaux, moins ambitieux, il peut y avoir de vrais échanges. On peut reformuler la demande et transformer cette commande.

Marie-Hélène Gervais : Je vais avoir la posture de la méchante. Quand je suis arrivée au Ministère, je n’avais jamais vu un cahier des charges. Je ne savais pas ce que c’était, et du jour au lendemain, il a fallu que je fasse un cahier des charges pour une prestation d’ergonomie. La première demande était aux douanes, sur les bureaux de garantie. Cette demande avait été initiée avant mon arrivée. La commande de la Direction Générale des Douanes était : « Comment, au sein des bureaux de garantie, allait-on poser la question de l’impact des réformes et du travail en tant que tel ? » Pour en revenir à la demande, je suis allée voir un bureau de garantie à Paris, et je me suis retrouvée face à des agents assis autour d’une table. Moi, petite ergonome qui commençait : « Bonjour, je suis la nouvelle ergonome des Ministères, je viens pour questionner et analyser le travail. L’ergonomie ne se résume pas à la table et la chaise. » et les agents me répondant : « Mais Madame, on n’a plus de travail ! » J’étais bien embêtée. C’était ma première expérience et cela m’a refroidie. Je me suis demandé comment faire. J’ai donc demandé : « Pourquoi n’avez-vous plus de travail ? Que s’est-il passé ? » C’est à partir de là que la commande s’est transformée en une demande plus structurée, concernant l’impact que cela avait eu sur le métier. En l’occurrence, par rapport au bureau de garantie, il y a eu la disparition du métier. La manière dont les agents vivaient cela a donc été un premier exemple. Ce qui est compliqué pour nous, ergonomes des Ministères, est qu’il faille avoir une double posture quand on rédige un cahier des charges. Il faut se demander : « Si j’étais un prestataire en ergonomie, comment je ferais une réponse au cahier des charges que je suis en train d’écrire ? » Cela permet de dimensionner, mais ce n’est pas évident pour moi. J’ai donc posé beaucoup de questions aux collègues à Bordeaux et

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à la SELF : « Qu’est-ce qu’une prestation en ergonomie ? Que mettez-vous dans vos réponses aux appels d’offres ? Parce que moi, je ne sais pas : je vous en rédige, mais je ne sais pas ce qu’il faut que je mette dedans. Comment faites-vous pour structurer vos démarches d’ergonomie ? Combien de jours faut-il ? À quel coût ? Intègre-t-on ou non la question des déplacements ? Quel est le prix moyen ? Parce que je dois aussi dimensionner l’enveloppe budgétaire pour la prestation en ergonomie ». Ce n’était donc pas évident. La question de la commande et de la demande se résume en la question suivante : « Qu’est-ce que j’aimerais si j’étais un ergonome qui fait ce cahier des charges ? » Comment je me positionne vis-à-vis d’une direction ? Parce qu’en tant qu’ergonome interne, je dois aussi répondre aux attentes des directions, et pas simplement des attentes des prestataires en ergonomie. C’est donc une tension qui n’est pas facile. Par ailleurs, je me suis retrouvée à travailler avec divers cabinets d’ergonomie dans lesquels il y a de la variabilité humaine. Donc ce n’est pas toujours facile. Nous sommes là pour construire ensemble une approche en ergonomie. Donc pour moi, l’approche commande/demande est compliquée, car elle se fait avec des enjeux qui ne m’appartiennent pas, qui appartiennent à Bercy.

Question dans le public :

Je ne sais pas si c’est une question : c’est en même temps une question et une soumission, ou plutôt une proposition. La question tourne autour de se mettre d’accord sur des prérequis pour pouvoir effectivement avancer dans la difficulté. Aussi, poser le problème qui fait que ça peut être compliqué, cette histoire d’appels d’offre. Je me posais la question, pour revenir sur des basiques de nos métiers et les basiques des travailleurs, sur les marges de manœuvre que peuvent avoir les travailleurs de l’ergonomie, qui sont dans ce cas-là consultants, au sens du conseil, mais probablement moins de la prestation. Ils pourraient effectivement développer des compétences dans l’interaction qu’ils peuvent avoir avec leurs clients. Dans ce cas de figure, ils pourraient commencer leur travail, justement, au stade de cette interaction (très étroite dans certains cas, ou parfois inexistante), parce qu’elle se fait par l’intermédiaire de messages écrits et puis dans d’autres cas, elle donne lieu à des échanges voire des rencontres. Je me posais la question, si, justement, entre les ergonomes consultants et les ergonomes qui passent des commandes, il pouvait y avoir quelque chose autour du registre des marges de manœuvre : c’est à dire élargir la fenêtre d’interaction. Je ne sais pas si cela est relatif à des publications qui ont été faites (je pense au niveau de l’INRS), sur comment choisir un consultant : certaines choses sont parues là-dessus. Elles recommandent de ne pas négliger cette étape, de prendre le temps de recevoir les consultants et de les écouter et de voir ce qu’ils ont peut-être à dire. Je crois que la notion de regard sur les enjeux ne peut pas être la même quand on est à l’intérieur ou à l’extérieur. Souvent, quand on est à l’intérieur, on a du mal à comprendre les enjeux. Et s’il y a un point où l’on peut être d’accord entre consultants, même si on est concurrent, c’est que l’on est tous porteurs d’expérience que l’on a eue à l’extérieur, et que l’on peut faire bénéficier nos futurs clients.

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Questions par SMS et Twitter Question 1 : Un bon ergonome est-il un bon commercial ? Yvan Boby : Pas forcément, mas pour un bon ergonome, son intervention va définir sa carte commerciale. Arnaud Tran Van : Être commercial, je pense, c’est quelque chose qui vient télescoper dans notre métier. Marie-Hélène Gervais : En tout cas je ne suis pas un commercial, mais je suis une VRP de l’ergonomie. Question 2 : Pour quelles raisons, en tant qu’ergonome, je refuse de répondre à des appels d’offres ? Arnaud Tran Van : Parce qu’on n’a pas le temps d’y répondre et de faire des réponses sérieuses, parce qu’on n’a pas le temps de réaliser un travail de qualité dans les détails imposés par l’appel d’offres. Par exemple, l’année dernière, on a été sélectionnés sur un appel d’offres, on était sur une shortlist, mais on était que deux donc on a été obligés de décliner parce qu’on n’a pas les moyens pour faire cela. Yvan Boby : Je te rejoins tout à fait. Heureusement que l’on se met sur la capacité de refuser de répondre à des appels d’offres parce que l’on n’a pas une disponibilité sérieuse pour répondre. Question 3 : Sur quels critères les ergonomes des Ministères décident-ils d’intervenir sur une demande sans faire appel à des ergonomes externes ? Marie-Hélène Gervais : Soit les ergonomes internes font des interventions, soit ils font appel à des externes dû aux marges de manœuvre, à la temporalité du projet et à la temporalité pour réaliser une démarche. En l’occurrence, je me souviens d’un directeur qui m’a dit : « Madame Gervais, c’est bien votre truc de décliner une démarche ergonomique, mais quand vous me donnez l’estimation, ça me ferait plus si je faisais appel à un prestataire, ça me couterait deux fois plus ce que j’ai comme argent pour mettre en place le projet ». C’est vrai, aujourd’hui, les critères sont la temporalité, la complexité. Quand c’est long et très complexe et que l’on n’a pas les compétences, on va en partenariat avec les prestataires. Quand on a déjà des retours d’expériences ou que l’on a des expertises en interne, il ne faut pas oublier qu’on est quatre et que l’on a des expertises en interne, on peut nous initier des réflexes autour des questions sur les IHM, par exemple.

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Développer l’emploi durable par l’introduction d’une nouvelle technologie

Laurent Salles Directeur adjoint de la société SASSO

Nicolas Boizumeau Conseiller prévention à la MSA Sud Aquitaine

Introduction

[Nicolas Boizumeau]

Bonjour à toutes et à tous. Je m’appelle Nicolas Boizumeau et je suis conseiller en prévention des risques professionnels à la MSA Sud Aquitaine. Je ne vais pas vous présenter la MSA, mais simplement vous dire que la MSA est une entreprise qui gère la protection sociale de tous les salariés-exploitants qui sont affiliés au régime agricole et que la MSA dont je fais partie est implantée sur les Landes et les Pyrénées Atlantique. Je fais plus particulièrement partie d’un service dit de « santé-sécurité au travail », où vous allez retrouver à la fois des médecins du travail, des infirmières en santé au travail, des assistantes et des conseillers en prévention. L’une de nos principales missions est de mettre en place et de développer des actions de prévention des risques professionnels dans les entreprises qui sont adhérentes dans le but de préserver la santé et la sécurité des salariés et des exploitants. Dans ce cadre là, on est amenés, parfois, à accompagner les entreprises et c’est ce dont on va parler ensemble aujourd’hui. Juste un petit mot, je ne suis pas ergonome de formation, j’ai plutôt un cursus dans la maitrise des risques industriels, et en 2013 j’ai suivi le DU d’Ergonomie de Bordeaux, notamment sur le terrain qu’on va vous présenter aujourd’hui, qui a fait l’objet de mon support de DU. Le sujet que l’on va aborder aujourd’hui c’est la question de l’emploi durable. François Daniellou parlait d’opportunité sur laquelle on peut mobiliser l’entreprise ou d’opportunités qui permettent de mettre ces questions-là en avant. Ça a été le cas dans l’entreprise SASSO qu’on va vous présenter là, c’est l’introduction d’une nouvelle technologie qui vient revoir un petit peu tous les process de l’entreprise et à cette occasion, l’entreprise a souhaité aussi lier les questions de pénibilité au travail, les questions de conditions de travail, pour permettre d’avoir à terme des emplois durables, et avancer sur ces questions-là. On va faire ça en deux temps, je vais laisser le soin à Laurent Salles, qui est à mes côtés, de se présenter et de présenter l’entreprise et le contexte dans lequel s’est inscrit le projet, et après je reviendrai sur l’intervention et on fera la conclusion ensemble.

1. Présentation de l’entreprise et de son contexte [Laurent Salles]

Bonjour je me présente, Laurent Salles, société SASSO pour Sélection Avicole de la Sarthe et du Sud-Ouest. La première partie de la présentation va consister à vous expliquer ce que nous faisons, tout simplement.

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Place du sélectionneur dans une filière Donc vous avez l’habitude de consommer des poulets que vous achetez dans un supermarché ? Vous mangez des poulets, effectivement vous les avez achetés dans un rayon de supermarché, ces poulets sortent d’un abattoir, l’abattoir a acheté des poulets à un éleveur. L’éleveur a élevé ces poulets pendant 12 semaines, et ces poulets étaient poussins un jour. Ces poussins sortent d’un couvoir qui a livré l’éleveur. Ces poussins sortent d’un œuf qui est incubé pendant 3 semaines dans le couvoir, cet œuf sort du cloaque de la poule qui n’est pas dans le couvoir. La poule est dans un bâtiment de reproduction. La poule c’est l’animal qui est ici là et ça, c’est le coq. Ouais… parce que pour faire un œuf à couver il faut une poule et un coq et ces animaux ne sont pas livrés adultes dans le bâtiment de reproduction. À un moment donné, ils ont aussi 1 jour, comme le poussin qui est là. Et donc ces animaux-là quand ils ont 1 jour se sont des poussins d’un jour futur reproducteur et ils peuvent éventuellement sortir d’une entreprise comme la nôtre, la SASSO. Voilà ce que c’est notre métier. Nous en fait, chez nous, nous avons les grands-parents des poulets que vous mangez. Maintenant que les présentations sont faites, on peut commencer. Le marché de la volaille, la vision de la SASSO SASSO c’est une entreprise un petit peu particulière. On ne représente que 2/1000ème du marché du poulet mondial. Vous allez dire que 2/1000ème d’un marché c’est vraiment pas grand-chose. Et pourquoi on ne représente que 2/1000ème de ce marché-là ? Parce qu’on se positionne comme l’alternative à l’agriculture traditionnelle, une agriculture respectueuse de l’Homme, de l’animal et garant du maintien d’une diversité génétique. En clair, nos poulets, les poulets que vous consommez on peut les produire de différentes manières. On peut faire un poulet fermier autoproduit, poulet traditionnel que l’on va acheter chez mamie, sur la place du marché à Mont-de-Marsan par exemple. On peut aussi acheter un poulet label rouge que l’on va acheter en grande surface. On peut manger du bio, on peut acheter du poulet certifié et on peut aussi acheter du poulet standard. Tous ces animaux-là, grosso modo, vivants ils pèsent 2,2 kilos. La seule différence qu’il y a entre ces animaux c’est la génétique, par exemple la SASSO produit une génétique un peu particulière : c’est les conditions d’élevages, c’est le modèle d’alimentation et c’est la durée d’élevage. Tout ça fait la qualité du produit. Et nous on est positionnés sur la ligne supérieure, c’est-à-dire le label, le bio, le fermier et l’autoproduit. C’est par là que l’on est amené à distribuer nos produits. Une entreprise de 35 ans SASSO c’est une entreprise qui est basée dans la Sarthe, sélection avicole de la Sarthe et dans le Sud Ouest à Sabres, moi je suis de Sabres, c’est là qu’est le siège social de l’entreprise. Qu’est-ce qu’on fait ? On fait de l’élevage de poussin, de l’élevage de reproducteur et de l’accouvage, c’est notre contexte. Chez nous on retrouve le même métier que chez notre client, les accouveurs, l’élevage des poussins jusqu’à 20 semaines, la reproduction de 20 semaines à 65 semaines puis l’accouvage pour distribuer nos animaux.

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2. Métiers et cycles de production Maintenant, je rentre dans le vif du sujet. Alors ça consiste en quoi le métier de sélectionneur ? Déjà tout le métier de la sélection est basé sur l’identification animale et ça va être le cœur du sujet aujourd’hui. Nous ce que l’on fait c’est de la sélection par généalogie. En clair, on veut savoir quels sont les parents d’un petit poussin, quels sont ses frères et ses sœurs, quels sont ses ascendants et tout le métier va consister à ça. Après, une fois qu’on a fait nos mesures de sélection, on fait des calculs biomathématiques pour obtenir les meilleurs candidats dans le schéma de sélection. Donc effectivement, si on ne sait pas quelle est la parenté de l’animal on est perdu. Donc on fait naître les animaux à 1 jour, on va faire des contrôles individuels de 1 jour à 10 semaines sur ces animaux, ça, c’est en élevage, puis on va faire un premier tri qu’on va appeler le « choix jeune », c’est-à-dire qu’on va choisir les meilleurs candidats sur ses mesures prises durant le premier temps d’élevage. Vous voyez on avait 2 000 sujets, 2 000 femelles, 400 mâles, on n’a plus que 1 200 femelles et 240 mâles dans le schéma de sélection. Les autres sujets on va les valoriser autrement. Tou va fonctionner de cette manière-là, en entonnoir, avec un grand nombre de candidats au départ dont on connait toute la généalogie et au final on va retenir les meilleurs. Focus sur la main-d’œuvre en 2013 Maintenant, tout le travail consiste sur cette partie qui est là. Je travaillais chez SASSO de 2003 à 2006, c’est là que j’avais rencontré Nicolas, après je suis allé travailler comme directeur dans une entreprise qui s’appelle Ayor et là je suis revenu depuis le 1er janvier 2013, et un des faits marquants de l’année 2013 à la SASSO ça a été le nombre d’arrêts de travail, les départs des gens parce qu’il y avait de la lassitude, enfin il y avait un contexte RH très difficile. Alors moi je ne suis pas un spécialiste des ressources humaines, moi je suis ingénieur zootechnicien, la zootechnie c’est le pendant de l’agronomie sur le monde animal. L’âge moyen du salarié en 2013 est de 42 ans, l’ancienneté moyenne est de 11 années. Vous avez vu tous ces gens-là : plus de 20 ans d’expérience, et 20 ans d’expérience dans des conditions relativement difficiles...

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Un projet R&D… un projet RH Il y a quand même une problématique RH assez lourde avec une grosse difficulté : c’est le maintien dans l’emploi avec un métier qui est spécifique, ce métier-là il ne s’apprend pas sur les bancs de l’école, ça passe forcément par l’entreprise. Faisant ce constat, on s’est posé pas mal de questions sur la façon de faire évoluer le métier, et comment passer à une nouvelle forme de travail, simplifier le travail. Et on avait une vraie problématique en termes d’identification animale. En clair on voulait améliorer nos projets de sélection, tout en résolvant des problèmes RH. C’est comme ça qu’on a construit ce projet, j’ai fait appel à Nicolas.

3. L’accompagnement technique et méthodologique de l’équipe projet Un projet basé sur une nouvelle identification animale, c’est ce dont on va vous parler. Il est basé sur une identification avec une puce RFID qui permet d’automatiser la lecture de la bague de l’animal, pour son identification. En clair, c’est de remplacer les actions : tenue de l’animal, lecture de la bague, annonce vocale de la bague, audition de la bague et saisie de la bague. Ces 5 actions sont 5 sources d’erreur. Tout le schéma est basé sur l’identification animale. Maintenant on peut rentrer dans le vif du sujet, je vais passer la parole à Nicolas qui a intégré une équipe de zootechniciens et une entreprise d’automatisme qui nous a aidés sur ce projet-là. [Nicolas Boizumeau]

Comment s’est fait l’accompagnement ? D’abord comment la demande est venue vers moi ? Laurent a rencontré à un moment donné le médecin du travail, dans le cadre de la présentation des nouvelles infirmières à la MSA auprès de l’entreprise. C’est à cette occasion-là que Laurent a fait part de ces problématiques RH notamment au médecin du travail. Le médecin du travail sachant que j’étais en cours de formation DU a trouvé intéressant que l’on puisse lier les deux, c’est un peu comme ça qu’est né le partenariat. On s’était déjà rencontré en 2006 pour d’autres questions, et là c’était l’occasion de retravailler ensemble sur un projet.

Les enjeux du projet : performance et emploi durable L’idée ici était de déterminer comment s’est déroulé l’accompagnement. Ce qui est important au départ déjà c’est de rassembler un petit peu les différents enjeux qui ont tourné autour de ce projet. Laurent en a parlé, il y a vraiment des questions de performances par rapport à la fiabilisation de la traçabilité avec une sécurisation des données qui sont produites lors des chantiers. Puisqu’il y a beaucoup d’opérations où chaque animal est identifié par une bague. Et donc il faut prendre les animaux un par un, lire la bague, que le collègue comprenne le numéro et le saisisse sur un outil informatique pour ensuite entrer des valeurs qui sont demandées lors des chantiers, par exemple les couleurs de la plume, la couleur des pâtes, le poids de l’animal… À chacune de ces interventions, il y avait des erreurs possibles, et comme il a dit une erreur c’est de la perte d’information, c’est de la perte de génétique, c’est de la perte de performance pour l’entreprise. Après il y avait la question de la performance sur les chantiers, notamment sur la durée des chantiers. Il y avait une habileté assez importante sur la durée des chantiers, qui était source de pénibilité pour les opérateurs puisque lire des bagues quand vous avez 10 animaux ça peu aller, mais quand vous en avez 800-900 ou plus de 1 000, vous comprenez qu’à un moment donné ça puisse être pénible pour les opérateurs. Ça, c’est plutôt du côté de la performance. Du côté de l’emploi, un des enjeux de l’introduction de cette nouvelle technologie c’est d’en profiter pour questionner tout ce qui est du domaine des conditions de travail lors des chantiers et voir dans leur globalité pas spécialement sur l’introduction de la nouvelle technologie, mais bien sûr début jusqu’à la fin du chantier. Avec des questions de maintien dans l’emploi du personnel, il l’a dit, derrière on a des personnes qui ont l’expérience qui ont de l’ancienneté, mais qui ont une usure professionnelle qui est constatée notamment

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par le médecin du travail qui peuvent à terme poser des difficultés au maintien de leur emploi et derrière éventuellement des pertes de savoir-faire.

Objectifs de l’intervention ergonomique, construire la conduite de projet L’idée c’était d’intégrer tout ce qui est analysé des situations de travail et des conditions de travail dès la conception des différents outils, chose qui a été faite. Au niveau de la conduite de projet, on a mis en place une petite conduite de projet, c’est une entreprise qui a 30 salariés, il faut jouer aussi avec ça dans la construction de la conduite. Une petite équipe où on a retrouvé les acteurs qui étaient principalement concernés par l’introduction de cette nouvelle technologie avec le concepteur, deux responsables et moi en tant qu’intervenant en ergonomie. Là vous avez un peu le schéma général de l’intervention et ce qu’il faut retenir c’est que le gros du travail ça a été de simuler le travail. Je n’aime pas forcément ce terme de simulation parce qu’on n’a pas fait que simuler, on n’a pas cherché qu’à se rapprocher le plus près de la réalité. On s’est mis vraiment en condition de travail à chaque fois avec deux phases de simulation. Une phase de simulation qui était plutôt d’ordre fonctionnel qui était de s’assurer que les différents outils qui allaient être créés faisaient bien ce qu’on leur demandait, simplement de pouvoir lire la bague, de remonter les informations vers une interface et de pouvoir exploiter les informations. Et une deuxième phase qui était plutôt liée à l’utilisabilité des différents outils ici rentre toute la partie analyse de l’activité qui était réintégrée au travers des simulations et au travers de la conception des outils. Et un dernier élément qui n’est pas encore formalisé puisqu’au niveau du développement du projet on est dans la phase de validation de l’utilisation qui sera une phase de déploiement avec la formalisation des organisations et la formation, qui est importante, du personnel.

Exemple avec un chantier de pesée Un petit exemple rapidement, c’est l’exemple d’une pesée pour vous montrer comment c’était avant et comment ça va devenir. Donc tout simplement à gauche vous avez le système avec la bague métallique et à droite vous avez l’organisation future où il y a déjà des choses qui sont visibles en termes de transformation. Tout ça a pu se faire via les simulations où on a mis en œuvre différentes hypothèses d’organisation. Là vous avez quelques schémas du travail qui a pu être réalisé à la fois en termes d’organisation du chantier, mais aussi d’un point de vue des performances avec des analyses de l’activité en termes de traitement des animaux. Il y a eu aussi

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des phases de prototypage avec des formalisations en 3 dimensions par le concepteur, c’était plutôt intéressant pour se rendre compte de ce qu’allaient être les futurs outils utilisés.

Avancement du projet Où est-ce qu’on en est maintenant ? Ça c’est peut-être une donnée qui est importante, c’est que c’est un projet qui prend du temps, c’est-à-dire qu’introduire une nouvelle technologie sur des éléments fondamentaux dans une entreprise ça ne peut pas se faire du jour au lendemain. Il y a tout un historique, il y a 30 ans d’expérience avec la bague donc on ne peut pas bouleverser toute l’organisation de l’entreprise. Donc à ce jour on est dans les phases de simulation de l’utilisation pour pouvoir formaliser les organisations et préparer la phase de déploiement.

4. Conclusion

Quelques éléments clés Pour conclure, on peut dire que c’est vrai, sur ce type d’intervention, la conduite de projet qui intègre les situations de travail réel a un poids non négligeable. Ça permet de se mettre en situation, de pouvoir ajuster les différents aléas qui peuvent se produire, et de pouvoir les préparer dès la conception, c’est un point fort et du temps gagné pour la suite. Sur la nouvelle technologie en soi, ce qui est intéressant, c’est qu’elle permet aussi au fur et à mesure qu’on fait la simulation des possibilités organisationnelles, notamment de la polyvalence. Il faut savoir que, quand on fait un chantier comme ça, souvent les gens tenaient le poste du début à la fin, c’est-à-dire qu’il n’y avait pas de rotation au sein de l’équipe. Vous aviez une personne qui pendant toute la durée du chantier ne faisait que lire la bague et il y a des moments, par exemple, elle vous disait « j’ai buggé », parce qu’à un moment donné elle sature. Là l’avantage de cette nouvelle organisation c’est que les gens vont pouvoir aussi tourner sur les différentes tâches et ça va pouvoir être intéressant du point de vue de l’amélioration des conditions de travail. Par contre il faut faire attention à certaines choses, c’est que souvent on va gagner du temps par l’automatisation de certaines tâches, mais il ne faut pas confondre, gain de temps et performance, parce que plus on va chercher à aller vite plus on va créer aussi des erreurs puisqu’il faut aussi, derrière, faire les opérations de saisie sur les interfaces. Donc plus on va accélérer la prise d’informations plus on voit qu’il y a des erreurs qui se produisent avec des erreurs de cotation notamment. C’est un élément qu’il faut arriver aussi à tenir dans le cadre de l’intervention. Après, on n’en est pas encore là, mais c’est vrai qu’intégrer les opérateurs dans la phase de simulation pour tout ce qui est utilisation ça leur permet aussi de commencer à s’approprier les outils, parce qu’au départ les gens qui ont toujours travaillés avec du papier et du crayon se retrouvent avec un outil technologique avancé donc il y a toujours des craintes : « est-ce qu’on va pouvoir y arriver ? Comment ça va pouvoir se faire ? Est-ce que je vais toujours être performant ? » La simulation a un avantage pour ça. Et ce n’est pas parce qu’on a intégré les opérateurs dans les simulations qu’il faut mettre de côté la formation. La formation reste un élément important qu’il reste à développer.

Retour réflexif d’un conseiller en prévention qui pratique l’ergonomie En tant que conseiller en prévention, sur la question de l’emploi durable, ce qui ressort c’est que cette question implique de préserver et de développer tout ce qui est savoir-faire, compétences et conditions de travail, et ça ne peut pas se faire sans préserver la performance économique de l’entreprise. Ce n’est pas toujours des choses qui sont évidentes et la question est un peu de voir quand on a un environnement économique et social qui est pour l’entreprise toujours en mouvement, quelles garanties l’intervention ergonomique peut-elle apporter ? Et comment ça peut rester dans l’entreprise sur le long terme ?

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Conclusion [Laurent Salles]

L’intérêt de ce projet pour nous ça a été effectivement de resituer correctement, en parallèle de ce projet, les supports et la finalité de l’entreprise. Donc l’homme en l’occurrence ce sont les salariés de l’entreprise, car, chez nous, nous sommes tous salariés. Les outils ce sont nos bâtiments d’élevage, voire tous les autres outils qu’on peut avoir à disposition, et les animaux : vous avez vu avant la SASSO, il n’y avait rien. C’est parce que tous les animaux qui sont à la SASSO appartiennent à la SASSO. On ne fait rentrer aucun animal extérieur. La finalité de l’entreprise ça reste quand même les salariés : à la fin du mois on va être payé, on va avoir une vision à terme de ce que l’on réalisera pour amener l’entreprise ailleurs. La finalité de l’entreprise ce sont aussi les clients. Si on n’avait pas nos clients, on ne serait pas là. Et ce sont aussi nos actionnaires, qui sont des entreprises de taille importante, des groupes nationaux, coopératives nationales… Et autour de ces 6 points, on se retrouve finalement avec quelques activités clés dans une entreprise comme la nôtre. Il y a la sélection génétique (comme je vous ai dit, c’est la généalogie, c’est l’identification animale), il y a le contexte de la gestion sanitaire. Nous on réalise plus de 60% de nos activités grâce à l’export. L’exportation de process c’est un métier, et c’est le nôtre. Il y a tout un aspect de zootechnie et vu qu’on autoproduit tout, il faut avoir des idées et on fait beaucoup de R&D. Et dans tout ce contexte-là finalement, je vous ai dit il y a l’homme, l’outil, l’animal, et moi il me semble que si on ne reste pas sur ce fond commun pour bien appuyer sur ces activités : que fait l’homme dans la société ? À quoi sert l’homme dans la société ? Sous-entendu nos collègues et salariés, effectivement on passe à côté du sujet. Moi je suis rentré dans une entreprise où je voyais les gens arriver le matin en boitant, qui arrivaient fatigués, je voyais des gens qui étaient surmenés par leur travail, car justement dans les situations de travail vous a décrit Nicolas tout à l’heure, il y a des gens qui peuvent rester 7-8 heures au même poste à s’user et enchaîner le matin et recommencer une autre tâche et on n’est pas dans un travail constant. On va travailler vous l’avez vu dans un bâtiment d’élevage, on s’adapte à l’environnement de l’animal. Donc l’intérêt d’un projet comme ça ce n’est qu’un petit pas dans le projet d’amélioration de nos activités, pour remettre un coup de jeune dans cette entreprise de trentenaires et pour tous les projets on a la même approche : une approche pluridisciplinaire. C’est-à-dire que nous on a certaines compétences, on a des zootechniciens, on a des commerciaux, et il y a des domaines d’activité où on n’est pas bons. RH, ergonomie, peut-être commerce, peut-être gestion d’entreprise. Sur tous ces projets sur lesquels on n’est pas bons, on essaie d’adopter une approche pluridisciplinaire qui est au sein de l’entreprise déjà, ou alors on fait appel à des professionnels externes comme Nicolas.

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L’évolution de la fonction d’accueil dans la banque entre enjeux de qualité de service et de travail de qualité

Ludovic Ponge

Responsable de mission SECAFI Département Changement Travail Santé, Bordeaux

Introduction Bonjour à tous. Je vais vous présenter un changement qui a lieu en ce moment dans les banques sur la fonction d’accueil. Je me présente, je suis responsable de mission au sein du cabinet SECAFI qui fait notamment des expertises CHSCT, et je suis un jeune ergonome puisque j’ai eu mon Master il y a deux ans. Je suis entré dans l’ergonomie tardivement après un cursus où j’avais une formation en économie et gestion, et un parcours d’organisateur dans une banque, puis chez SECAFI. Je vais donc évoquer avec vous tout d’abord le contexte bancaire, et ensuite, les enjeux concernant une évolution que l’on observe dans de nombreuses banques sur la fonction d’accueil. Et je finirais par l’exemple d’une intervention sur ce sujet.

1. Contexte bancaire

1.1. Un contexte de mutations majeures des organisations et des métiers des banques de Réseaux

Le contexte des banques aujourd’hui s’inscrit dans un environnement avec de nombreuses évolutions impactant le travail depuis les années 2000. Quand je suis entré dans la banque, une de mes premières missions a été d’implanter la messagerie électronique « Lotus Notes ». C’était la fin des années 1990 et on se posait des tas de questions comme : est-ce qu’il faut que les messageries soient individuelles ou collectives ? Les nouvelles technologies commençaient à arriver dans les agences et on s’interrogeait en termes de fonctionnement et d’utilisation de ces outils : qui former ? Combien de personnes ? Depuis les années 2000, le fonctionnement des banques a énormément évolué avec les évolutions technologiques ce que l’on appelle les « murs d’argent » avec tous les automates bancaires, les plateformes téléphoniques, de nouvelles offres de produits et services. De plus, la réglementation s’est durcie avec des obligations de plus en plus importantes qui sont imposées, par exemple sur le fait de bien connaitre ses clients... Toutes ces évolutions ont parcouru l’organisation des banques et impacté le travail en agences. Et maintenant, il y a une nouvelle évolution qui apparait, depuis quelques années : c’est qu’il y a de moins en moins de visites physiques clients en agences. Globalement les clients fréquentent moins leur agence même s’il y a toujours une frange de population qui continue à venir régulièrement. Les banques ont aussi adopté des stratégies pour essayer de plus faire utiliser les automates par les clients et donc, au bout d’un moment cela a des conséquences sur la fréquentation des agences. Enfin, une dernière évolution concerne le fait que les clients sont de plus en plus informés, et de plus en plus exigeants.

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1.2. Un contexte de baisse des flux clients en agence favorisant une évolution de la gestion

d’accueil

Ces différents éléments impactent les stratégies des banques et leur manière de fonctionner vis-à-vis des clients. Aujourd’hui, nous observons un développement de nouvelles organisations, reposant sur une volonté de transformation des métiers de l’agence vers plus de commercial avec l’expérimentation de nouveaux fonctionnements ainsi que la mise à disposition de nouveaux outils et moyens. Les banques revoient les aménagements des agences, renvoient les appels téléphoniques vers les commerciaux... Ainsi, les plateformes téléphoniques évoluent énormément. Au début des années 2000, les banques avaient transféré les appels vers des plateformes téléphoniques. Maintenant, certaines les retransfèrent vers les agences. Puis, il y a de nouveaux modes de contact avec la clientèle (e-mail, SMS, etc.). Ces changements se traduisent par une évolution de l’activité en agences en termes de gestion de l’accueil. C’est le développement aujourd’hui, dans divers réseaux bancaires, de ce que l’on appelle « l’accueil partagé » avec notamment : - L’idée que l’ensemble des métiers doivent participer à la gestion de l’accueil, - L’externalisation vers des prestataires d’une partie des tâches qui sont réalisées à l’accueil,

notamment toutes les tâches de gestion des automates. - La revue des horaires clients, du mode du fonctionnement d’ouverture des guichets vis-à-vis du client

avec diverses solutions (par exemple, ouverture l’après-midi uniquement au conseil sur rendez-vous).

2. Vers l’accueil partagé

2.1. L’accueil enjeu de représentations

Dans le cadre de l’accueil partagé, il y a deux grands enjeux concernant la question des représentations des acteurs autour de la fonction d’accueil. Cette réflexion est issue de plusieurs interventions, à partir de différents éléments collectés sur la transformation de l’accueil. Le premier enjeu sur les représentations de l’accueil se situe au niveau du service aux clients. Généralement, les directions de projet évoquent la nécessité de professionnaliser l’accueil, compte tenu de limites aujourd’hui identifiées à la fois sur la situation de souvent faire gérer l’accueil par les personnels les moins expérimentés (par exemple, des CDD quand il y a des remplacements), et à la fois le besoin de plus développer l’activité commerciale. Cette volonté d’augmenter le temps commercial se traduit par de nouvelles organisations qui permettent d’avoir de plus en plus de métiers de conseillers, et d’augmenter les plages horaires de conseil à destination des clients pour augmenter le nombre de rendez-vous par salariés. Côté salariés, l’accueil est vu comme une ressource pour dégager du temps commercial aux conseillers : la qualité de l’accueil et le besoin de professionnalisation sont mis en avant en exprimant le fait que « plus on est professionnel à l’accueil, plus la qualité du service rendu est importante ». Globalement, nous notons souvent un consensus sur le rôle central de l’accueil, le besoin de le professionnaliser, mais avec deux visions différentes : - Une première vision des directions de projet, qui expriment le besoin de réduire les postes et plages

d’accueil pour développer le temps commercial. - Et la vision des équipes : qui expriment le besoin de renforcer le professionnalisme pour faciliter le

travail des commerciaux. Ils expriment que « plus on traite bien le client à l’accueil, moins il y aura

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de dysfonctionnements » vis-à-vis des commerciaux, et plus cela leur permet de consacrer du temps au commercial.

Il me semble aussi important (et cela, nous le faisons en intervention) de parler de ce qu’est l’activité à l’accueil. Tout le monde a une représentation de l’activité à l’accueil d’une banque, mais généralement celle-ci est restreinte, car on ne sait pas tout ce qui s’y fait ni la manière dont les choses se font. Tout d’abord, ce que l’on observe, c’est la multitude des tâches à gérer : - multiplicité des opérations courantes, - variété des clients et besoins, - gestion du téléphone en même temps que l’accueil physique des clients, - traitement des mails...

Il y a aussi des activités spécifiques : parce que même avec l’externalisation, il reste tout de même des tâches. Il y a aussi encore des opérations comptables à passer. À l’accueil, on va aussi se retrouver face à des aléas à gérer. Lors d’une observation : deux « plantages » informatiques dans la matinée, où l’opérateur doit relancer sa machine, faire patienter les clients... L’accueil c’est aussi les relations avec les clients. Avec, par exemple, des opérateurs qui nous disent : « on échange aussi une conversation avec les clients, on ne fait pas qu’une opération ». Aussi, au poste d’accueil, les banques demandent de plus en plus de réaliser des ventes, de prescrire un certain nombre de produits (des produits dits « simples »), et de gérer les agendas des conseillers (pour mettre des rendez-vous). C’est donc une activité souvent multiforme et les représentations trop souvent s’arrêtent aux seules opérations réalisées devant le client, et oublient qu’il y a tout un tas d’autres actions à mener autour. Le second enjeu de représentation sur l’accueil porte autour de la qualité du travail. Généralement, la vision qui nous remonte concernant la qualité du travail se réduit à la bonne réalisation des opérations (respect de la prescription). Mais, en prenant le temps d’observer, on note que c’est un poste clé en termes de qualité de la relation client : « c’est la vitrine de l'entreprise ». C’est un poste central où, si le salarié n’est pas bien formé, il va générer des dysfonctionnements, des réclamations ou des renvois de tâches vers le conseiller (et donc accroitre sa charge de travail). C’est un poste clé en termes de fonctionnement, parce que si l’opérateur est capable de prendre un dossier de A à Z cela permet au final « de libérer du temps commercial ». C’est donc bien un poste clé en termes de qualité client, mais paradoxalement c’est un poste qui manque très souvent de valorisation et reconnaissance. Avec, par exemple, des conseillers qui expriment que lorsqu’ils remplacent leur collègue à l’accueil, les clients leur font des remarques du type : « vous êtes puni aujourd’hui ».

2.2. Enjeux pour l’activité future probable Le mouvement vers l’accueil partagé va générer un certain nombre d’enjeux pour l’activité de l’ensemble des équipes des agences et plus particulièrement les commerciaux. Nous avons noté des enjeux autour de l’activité et des compétences avec un phénomène d’intensification du travail : - La participation des métiers commerciaux à l’accueil, va nécessiter de donner du temps, qui était

jusqu’à présent disponible, pour du commercial ou de « l’administratif » (du traitement de dossiers…). - La compensation du temps passé à l’accueil ne se traduit pas systématiquement par une diminution

des objectifs de vente. - Le nombre de rendez-vous par semaine se réduit du temps passé à l’accueil (une journée par

semaine passée à l’accueil correspond à 4 à 5 rendez-vous non réalisés).

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- L’activité d’accueil modifie l’organisation des journées (et la réalisation des tâches), chacun devant prévoir dans la semaine du temps à passer à l’accueil.

Cette participation s’accompagne d’un phénomène d’augmentation des interruptions de tâches pour les conseillers parce qu’il faut : prendre des appels téléphoniques ou aller accueillir des clients même si l’on est en rendez-vous ou sur un dossier ; se déplacer plus fréquemment quand l’après-midi l’agence est ouverte au conseil, mais l’accueil fermé. Par exemple, l’après-midi quand un client sonne, il faut qu’un conseiller se lève, aille accueillir le client, et parfois il se rend compte, que ce n’est pas son rendez-vous, mais un client qui veut déposer un chèque... C’est aussi des enjeux de compétences avec certaines tâches d’accueil qui ne sont pas maîtrisées par tous. Derrière l’accueil, il y a des compétences spécifiques sur certaines tâches techniques : par exemple, des opérations pour des clients professionnels. Et dans ce cas les conseillers particuliers, c’est-à-dire sans clients professionnels en gestion, ne connaissent pas toujours ces opérations-là et il faut les apprendre. C’est encore, des enjeux au niveau des emplois, parce qu’il ne reste plus que des métiers commerciaux et que globalement les postes d’assistants dédiés à l’accueil ont vocation à disparaître (et un certain nombre de ces postes ne sont pas remplacés) avec aussi des impacts en termes de gestion des absences. Enfin, c’est des enjeux sur les aménagements des postes de travail, puisqu’il y a des nouveaux concepts d’aménagement. Aujourd’hui, il existe des agences, où les guichets d’accueil sont supprimés et il n’y a plus que des bureaux de conseillers avec des salons d’attente, et les opérations guichet se font dans un bureau individuel. Il y a aussi des situations où de nouveaux plots d’accueil sont mis en place. Dans ce cas, les enjeux conditions de travail restent malheureusement toujours prégnants. Même s’il y a eu un travail au niveau de la conception, nous avons quand même un certain nombre de choses à dire autour de l’aménagement de ces postes de travail. Voici un exemple parmi d’autres d’un nouveau poste d’accueil :

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3. Exemple d’une intervention

Je vais maintenant vous parler d’une expertise CHSCT sur ce type d’évolution. C’est une situation de changement important, et les CHSCT peuvent dans ce cas demander une expertise. Nous sommes donc intervenus suite à la demande d’un CHSCT.

3.1. Le contexte de l’intervention

La banque dans laquelle nous sommes intervenus est une banque avec de multiples changements au niveau Groupe sur l’évolution du modèle des agences. C’est une banque qui avait déjà fait évoluer l’organisation de son réseau d’agences quelques années auparavant. Nous sommes intervenus en 2012 et le réseau avait évolué en 2008. Il y a donc une succession de changements pour les salariés. Cette banque avait inscrit dans son plan stratégique une dizaine de chantiers d’évolution concernant aussi bien le siège que le réseau. Elle avait aussi un accord sur les aspects conditions de travail. Le projet de cette banque était assez classique dans le milieu bancaire, avec trois principaux changements : - la mise en place de l’accueil partagé, - la structuration du fonctionnement des agences, - la mise en place d’une nouvelle approche de la clientèle.

Les évolutions d’organisation et de fonctionnement portaient sur : - L’accueil, - Le management et fonctionnement avec un principe d’affectation des équipes sur une agence

principale et rayonnant sur plusieurs points de vente rattachés, - La refonte des portefeuilles clients des commerciaux en lien avec l’évolution de la relation clientèle,

et le développement d’une nouvelle approche commerciale. Le planning et le processus de consultation du CHSCT étaient moins classiques. Aujourd’hui, nous observons de plus en plus de banques qui font des phases dites « pilotes » sur un panel d’agences avant de déployer les changements sur l’ensemble des agences, parce que les investissements d’aménagement sont importants et elles préfèrent donc les tester avant. Dans notre cas, la banque avait mis en place un processus de changement dans lequel elle avait prévu de faire un premier pilote (avec plusieurs agences), avant un élargissement à l’ensemble du Réseau en 2014 après un bilan de sa phase pilote. Par contre, elle ne prévoyait pas de revenir en consultation du CHSCT, avant le déploiement généralisé en 2014, mais seulement avec des concertations sur les éventuelles évolutions du projet. L’avis du CHSCT était donc à rendre avant le déploiement du pilote. Le CHSCT nous a demandé de venir regarder ce projet. Globalement, sa demande portait sur les trois axes : l’accueil partagé, le management et fonctionnement, et la refonte des portefeuilles avec l’approche clientèle. Son objectif était de comprendre les enjeux de la transformation au-delà de la présentation du document de la direction : jusqu’où vont les enjeux liés aux changements ? La direction n’avait pas vraiment fait de différence entre les documents CE et CHSCT, et donc les aspects conditions de travail restaient peu détaillés.

3.2. Méthodologie Concernant la méthodologie, nous avons abordé le sujet au travers d’un « double regard » : sur le fonctionnement de l’existant et sur le projet.

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Sur l’existant, il y a eu : - des entretiens avec les agents et les managers ; - des groupes « d’expression » de salariés par métiers (population homogène sans hiérarchie :

assistants, conseillers, managers), pour comprendre les contraintes et les ressources actuelles, échanger et réfléchir avec eux sur la cible. Cela nous permettait de savoir s’ils se projetaient dans le cadre du projet et quelles ressources ils considéraient nécessaires.

Ces groupes nous ont permis de remonter à la direction de projet, un certain nombre d’éléments autour du ressenti et des besoins des salariés. Après, nous avons analysé le projet assez classiquement (par des entretiens), mais en plus avec un avantage important qui était que nous avons pu observer une situation de référence (une agence test). Nous avons également négocié et obtenu de faire un point de retour d’expérience de la phase pilote du projet. Voici quelques éléments sur le fonctionnement des groupes « d’expression » : - Entretiens collectifs avec animation de quatre groupes métiers : managers de proximité agences,

conseillers particuliers, chargés professionnels, assistants qui géraient la fonction accueil. - Expression du ressenti des salariés sur plusieurs questions. Les questions sont un peu différentes

pour les managers et pour les équipes, en lien avec le métier et les activités de chacun. Ce sont des groupes qui durent 3h : je prends des notes à l’écran, de manière à ce que les gens voient ce que j’écris. On débat dessus, et selon les cas on priorise les sujets.

3.3. Enjeux pour le travail Je vais maintenant parler des résultats de ce que nous avons observé. La situation de référence nous a permis de tirer un certain nombre d’enseignements sur le fonctionnement de l’accueil partagé, sur l’organisation ; mais aussi sur les conséquences du choix de différencier un certain nombre de tâches d’accueil : les retraits « cartes minute », la gestion des appels téléphoniques, les opérations liées à l’accueil physique. La situation de référence nous a permis d’évoquer des enjeux en termes d’emplois et d’activité : - les enjeux sur les effectifs et les incidences sur les métiers d’assistants d’accueil qui évoluaient vers

un métier de conseil, - tous les enjeux liés à la formation, la montée des compétences de ces personnes-là, - le fait, qu’en lien avec ce projet, il y avait une réduction des moyens de remplacement et donc un

enjeu important en termes de gestion des absences, - la complexité en termes de planification des plages d’accueil dans l’agence. Avec le découpage des

activités d’accueil, le projet démultipliait le nombre de personnes qui devaient se trouver en position d’accueil à un instant « t ». Il fallait quelqu’un dédié à l’accueil téléphonique, quelqu’un d’autre dédié à l’accueil physique et encore quelqu’un de dédié aux opérations avec cartes de retrait.

Nous avons aussi noté que la situation de référence avait été faite dans une agence de taille importante avec beaucoup de personnel. Ainsi, notre questionnement portait sur les plus petits points de vente : comment allaient-ils pouvoir gérer tout cela avec moins de moyens ? Un autre point qui remontait était l’enjeu sur le temps disponible pour le commercial et la gestion administrative des dossiers clients. Au départ, le projet visait à libérer du temps commercial, mais au final, nous notions qu’il était toujours nécessaire de consacrer du temps pour assurer l’accueil. Le projet diluait l’activité d’accueil sur un plus grand nombre de métiers, mais sans pour autant réduire le temps nécessaire à cette activité.

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Enfin, le retour d’expérience sur les premières agences dites « pilotes », nous a permis de faire remonter un certain nombre de difficultés de la mise en œuvre. Nous avons noté que la majorité des agences ne démarrent pas avec un cadre d’organisation au complet (en raison d’absences, de mobilités…). Nous avons identifié un certain nombre de tensions dans l’activité : - liées aux tâches supplémentaires à gérer lors des absences, - au fait que l’externalisation de certaines tâches avait été retardée, - à des reliquats de tâches non prévues qui restaient à assurer, ce qui nécessitait plus de temps que

prévu et s’ajoutait aux plannings d’accueil, - au fait que le projet accroissait un certain nombre de mobilités géographiques.

Aussi, un autre point qu’il est intéressant à noter, était que l’ensemble de ces difficultés et tension n’apparaissaient pas dans les indicateurs de suivi prévus au niveau de la gestion du projet. Ceux-ci étaient « au vert », puisque par exemple le taux de « décroché » des appels clients s’était amélioré, le nombre de retraits « cartes minute » avait diminué. Du point de vue du projet, les indicateurs paradoxalement tendaient à montrer que cela fonctionnait plutôt bien. Et maintenant, après un an de fonctionnement, que se passe-t-il ? - Les effectifs ont dû être renforcés : nous avions noté qu’il y aurait une vraie difficulté sur ce point, et

cela est apparu rapidement après la généralisation. - La banque a décidé d’adapter le temps d’accueil sur un certain nombre de métiers, avec une

diminution du nombre de journées de présence à l’accueil pour les chargés professionnels (que nous avions observé fortement en difficulté lors de l’intervention) et les managers.

- Aujourd’hui parmi les élus du CHSCT, il y a un manager : quand je l’appelle, il n’est pas rare qu’il me dise : « C’est moi qui assure le téléphone de l’agence ce matin, je ne peux pas rester trop longtemps au téléphone portable ».

- La planification de la continuité du service reste une difficulté persistante au quotidien avec : la gestion des absences, la gestion des plannings, et cela malgré les outils mis en place pour aider le management.

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Comment la prise en compte du travail et de la santé des femmes et des hommes contribue à questionner et transformer

l’organisation du travail, les contraintes de travail, le management et les parcours ainsi que l’articulation des temps ?

Florence Chappert Chargée de mission, ANACT, Lyon

On va terminer en beauté cette matinée par un sujet qui concerne, vous allez le découvrir, la manière dont, dans le réseau ANACT, nous avons pris en compte cette question des situations de travail différenciées des femmes et des hommes. Nous travaillons en réseau. Laurence Vergneaux, de l’ARACT Aquitaine et qui est ici dans la salle, fait partie de notre groupe « Réseau Égalité ». Depuis 5 ans, nous avons développé une approche dite « genre » dans nos méthodes d’amélioration, nos approches, nos diagnostics en matière d’amélioration des conditions de travail. On n’utilise pas le terme « genre », parce qu’aujourd’hui, vu la polémique qu’il y a eu, notamment au niveau de l’éducation nationale, on parle de femmes et d’hommes, voire on parle d’ « égalité », mais ce n’est pas tout à fait la même chose, parce que le concept d’égalité en santé au travail n’est pas si simple que cela à appréhender.

1. Introduction

Pendant une dizaine d’années, avant 2009, le réseau ANACT-ARACT avait des demandes concernant la mixité au travail : à quelles conditions de travail introduire des femmes dans des métiers d’hommes ? Jamais dans le sens inverse. Quand j’ai pris en charge le projet, il y a un peu plus de 5 ans, j’ai voulu objectiver les choses sur un sujet qui fait tout de suite appel à des stéréotypes de genre, à des débats assez « passionnels ». Finalement, la porte d’entrée que nous avons eue lorsque nous sommes intervenus dans les entreprises en essayant de chausser les « lunettes du genre », c’est celle des données sexuées en santé au travail, sauf que, ce n’est pas aussi simple de les obtenir, aussi bien au niveau national que dans les entreprises. En général, les données en santé au travail ne sont jamais sexuées. L’hypothèse que nous avons faite, avec les intervenants du réseau ANACT-ARACT, c’est que, quand on rentre par un problème d’usure professionnelle, de TMS, etc., finalement prendre en compte les situations de travail et de vie différenciées des femmes et des hommes permettait à la fois d’améliorer nos diagnostics et de faire progresser nos recommandations en matière de prévention. À l’inverse, une autre entrée qui est de plus celle du réseau de l’ANACT, c’est l’entrée par les obligations d’égalité professionnelle. Chaque entreprise de plus de 50 salariés a aujourd’hui pour obligation de produire annuellement un rapport de situation comparée femmes-hommes. Jusqu’à l’année dernière, les indicateurs concernaient le salaire, la carrière, la promotion... Depuis la loi d’août 2014 sur « l’égalité réelle entre les femmes et les hommes », ils concernent également des indicateurs de santé au travail et, depuis le 1er décembre 2014, les entreprises qui ne remplissent pas leurs obligations d’égalité professionnelle ne peuvent plus, théoriquement, soumissionner à la commande publique. C’est quand même extrêmement contraignant théoriquement, car dans la réalité des faits, les obligations d’égalité professionnelle sont peu mises en œuvre.

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1.1 Quelques données statistiques La première difficulté à laquelle on a été confrontés part du fait que les femmes ont une durée de vie supérieure à celle des hommes sauf que, quand on regarde l’espérance de vie en bonne santé, l’écart, en 2010 n’est que d’un an et demi. Par ailleurs, on a constaté que la santé au travail était surtout, mais beaucoup de chercheurs et chercheuses avaient déjà fait le constat auparavant, pensés par rapport à des métiers à risques, notamment dans des secteurs à prédominance masculine, que la santé au travail des femmes avait, pendant longtemps, été conçue aussi pour les protéger. Ainsi, le travail de nuit qui n’existait pas, sauf pour certaines professions, et qui a été autorisé à partir de 2001. Aujourd’hui, il y a des études qui sont en train de sortir, auxquelles s’ajoute un groupe d’expertise de l’ANSES [Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail] sur le lien entre travail de nuit, notamment horaires postés ou atypiques et prévalence, entre autres, du cancer du sein. Autre point qui ne nous facilite pas la tâche, les études SUMER de 2003 ou 2010, faites par la DARES [Direction de l'Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques], montrent que les femmes font moins le lien que les hommes entre leur état de santé et leur travail. Un homme en mauvaise santé dira plus volontiers « c’est la faute de mon travail », une femme beaucoup moins et on le retrouve effectivement dans ces enquêtes. Plusieurs raisons pour dire que l’on a eu beaucoup de mal à pouvoir obtenir, à la fois dans les entreprises et à la fois au niveau national, des données sexuées en santé au travail. Les données de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie montrent qu’en 13 ans, entre 2000 et 2013, sur 18 millions de salariés, il y a eu une baisse du nombre d’accidents de travail de 17%. Mais cette moyenne masque des disparités suivant le sexe, puisqu’il y a eu baisse de 29% pour les hommes et augmentation de 25% pour les femmes, sachant que, les hommes restent deux fois plus accidentés que les femmes. Alors vous me direz, ce n’est pas un bon indicateur même si cela nous donne quand même des éléments, il nous faut des taux de fréquence. La dernière étude que l’on a est une étude, là aussi de la DARES, publiée en 2014, mais seulement sur une période de 5 ans (2005-2010). Elle montre que le taux de fréquence des accidents des salariés a baissé de 11%, mais il a baissé de 15% pour les hommes et a légèrement augmenté (de 2.5%) pour les femmes. L’hypothèse que nous faisons, et que nous retrouvons au travers d’autres indicateurs en santé au travail, c’est que finalement, depuis plus de 10 ans, les femmes sont rentrées sur le marché du travail, mais dans des activités exposées aux risques au moins d’accidents, et que les politiques de prévention, aujourd’hui, ne les touchent pas assez dans leurs emplois. Si l’on remonte aux questions de conception, les systèmes de travail ne se sont pas assez transformés, que c’est au niveau de l’organisation du travail, des contraintes de travail, de la question du management, des parcours, des horaires et de l’articulation des temps. D’autres statistiques montrent qu’il y a désormais plus d’accidents de trajet pour les femmes que pour les hommes, mais ce ne sont pas des accidents en voiture, mais en transports en commun, à pied. Aucune étude n’a été faite pour comprendre pourquoi, mais on retrouve, par exemple, une augmentation de plus de 50% d’accidents de trajet sur 12 ans dans des secteurs comme la banque, l’assurance, l’administration du secteur privé, et puis la santé, le service et le travail temporaire. Sur les maladies professionnelles, on constate depuis 2001 que la progression de la reconnaissance des maladies professionnelles, qui sont essentiellement des TMS, a été deux fois plus rapide pour les femmes que pour les hommes. Il y a pourtant depuis 2011 une baisse du nombre de maladies professionnelles. On peut supposer quand même que les efforts au niveau de la prévention ou de la conception portent leurs fruits. On sait qu’il y a eu la réforme des critères du tableau 57 qui fait que le nombre de TMS diminue. Quand on regarde plus finement en termes de taux de fréquence, le taux de fréquence des maladies professionnelles des femmes est systématiquement supérieur à celui des hommes et, pour les

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TMS, il est le double. Ça, ce sont des données que l’on a que de 2007, donc vous voyez qu’il y a un retard dans l’actualisation des données nationales. En termes d’absence, nous au niveau du réseau ANACT-ARACT, de plus en plus, en entreprise nous n’utilisons pas les indicateurs « accident » ou « maladie professionnelle ». D’abord il y a de la pression à la sous-déclaration, il n’y en a pas heureusement partout, mais par contre, nous sommes attentifs aux indicateurs d’absence, d’inaptitude qui sont en train de monter en flèche et qui sont, pour nous, des indicateurs reflétant beaucoup plus, je prends des précautions, l’état de santé des salariés. Les études de la DARES sur 2003-2011 nous disent que les femmes sont 30% plus absentes que les hommes, hors congés maternité/paternité bien sûr. Nous-mêmes, nous avons travaillé sur les données d’une mutuelle qui couvre 2,7 millions de salariés, on trouve les mêmes données. Absentéisme supérieur de 40%, avec 14 jours d’absence en moyenne pour les femmes et 10 jours pour les hommes. Tout de suite, c’est la charge familiale qui nous est renvoyée. Or, l’étude de la DARES ou celles menées au sein du réseau ANACT-ARACT, montrent qu’on a des résultats similaires, quand on a un enfant de moins de 6 ans, l’écart de taux d’absentéisme n’est que de 0.2%. Par contre, il y a une situation familiale qui est associée à beaucoup plus d’absences, mais qui ne couvre que 10-15% des salariés d’une entreprise, c’est la situation de séparé/divorcé/veuf qui est associé, pour les femmes comme pour les hommes, à beaucoup d’absences, mais ce n’est pas la majorité des salariés.

1.2 Les 4 axes de lecture Les chercheurs, du groupe « Genre, activité, santé » piloté par Sandrine Caroly, membre du groupe IEA [International Ergonomics Association] et du groupe « Gender and work » dont Karen Messing fait partie, nous ont beaucoup inspirés et nous ont aidés à construire ces hypothèses qui nous permettent de comprendre pourquoi les indicateurs de santé au travail dans les entreprises sont différents pour les femmes et pour les hommes. Au départ, nous avons beaucoup regardé les études épidémiologiques et nous avons vu qu’elles ne nous aidaient pas beaucoup parce qu’elles raisonnent généralement, toutes populations confondues (hommes et femmes) et elles raisonnent surtout « toute chose égale par ailleurs ». Or, dans les entreprises, ce que l’on voit toujours c’est « toute chose inégale par ailleurs ». C’est-à-dire que les femmes et les hommes ne sont pas dans les mêmes métiers, n’ont pas les mêmes parcours, n’ont pas les mêmes horaires et les mêmes activités hors travail, n’ont pas les mêmes conditions de travail. D’où le fait que nous ayons bâti 4 hypothèses, 4 axes d’analyses pour comprendre les écarts de santé et qu’on utilise maintenant aussi quand on entre par l’égalité professionnelle au travers des écarts de carrière, voire de rémunération et finalement nos quatre axes d’analyse :

1. Le premier c’est l’organisation et la répartition des activités. Les femmes et les hommes sont souvent affectés à des métiers distincts, à des postes distincts, voire si ce sont les mêmes postes, ce ne sont pas forcément les mêmes activités ou la même manière de les réaliser.

2. En termes de conditions de travail, elles et ils ne sont pas exposées aux mêmes conditions de travail et surtout, il y a une invisibilité. C’est tout le travail de Karen Messing et de son équipe du laboratoire Cinbiose avec le partenariat « L’invisible qui fait mal » qui a été mené avec les centrales syndicales. Il montre l’invisibilité de l’exposition aux risques ou pénibilités dans les emplois à prédominance féminine. Ce sont les emplois légers contre les emplois lourds.

3. En matière de management et de parcours, effectivement, c’est quelque chose qui est beaucoup plus connu, les femmes et les hommes n’ont pas les mêmes opportunités d’évolution professionnelle pour X raisons.

4. En termes de temps de travail et d’articulation des temps, ils n’ont pas les mêmes horaires de travail, pas la même durée du travail et pas les mêmes activités hors travail.

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Donc ces quatre grandes familles de facteurs mettent en avant des conditions d’exposition différenciées pour les femmes et pour les hommes et donc des impacts différenciés sur la santé, mais aussi sur la carrière, sachant également, et là je reviens à l’item « conditions de travail », que les mêmes conditions d’exposition peuvent conduire à des effets semblables ou différents sur les femmes et sur les hommes, compte tenu des différences biologiques ou sociales.

2. Exemple appliqué dans une imprimerie 2.1. Les critères à observer

Certains d’entre vous connaissent sans doute le cas que l’on utilise beaucoup. C’est le cas d’une « imprimerie » qui a été réalisé par un intervenant ergonome de l’ARACT Basse-Normandie. C’est une entreprise qui a beaucoup investi dans un certain nombre de machines, ce qui a intensifié les rythmes et les cadences. L’entreprise appelle pour la deuxième fois l’ARACT pour diagnostiquer pourquoi il y avait une montée de l’absentéisme ? Ce n’est qu’au deuxième rendez-vous, que l’entreprise commence à pointer les femmes en disant : « Il nous semble que c’est plus particulièrement dans cet atelier, et que cela concerne plus particulièrement les femmes. » Alors effectivement, l’intervenant met en lumière que les femmes, dans un atelier particulier qui est surreprésenté dans les absences, représentent que 40% de l’effectif. Mais elles sont surreprésentées dans tous les indicateurs santé, pas seulement les absences, mais les plaintes, les restrictions d’aptitude, les douleurs … Ils ont fait passer un questionnaire où l’on demande aux gens de localiser leurs douleurs. Alors, ce que met très vite en évidence l’intervenant c’est que, dans cet atelier, les femmes et les hommes ne font pas les mêmes métiers, que les femmes occupent 4 types de postes, et particulièrement les postes d’aide-finition, tandis que très peu d’hommes les occupent, bien que ce soit le poste d’entrée dans l’entreprise. Mais on voit que les hommes ont accès à 9 types de postes, alors que les femmes ont accès à 4 types de postes effectivement. Le deuxième axe que met en évidence l’intervenant est l’invisibilité des conditions de travail. C’est effectivement de montrer que les postes sur lesquels sont majoritairement les femmes sont très contraignants, très sollicitants au niveau de la gestuelle. Il met également en évidence le fait que les opérateurs, et souvent les opératrices, portent jusqu’à 11 tonnes par jour, en portant, toutes les 45 secondes, des paquets de livres ou de cahiers qui font 20 kilos. C’est l’histoire des petites charges cumulées. Finalement, alors qu’au début de l’intervention, tout le monde (du haut en bas de la hiérarchie) partageait le fait que la pénibilité c’était les postes des hommes, grâce à l’introduction d’autres critères pour mesurer la pénibilité (la question du poids porté, celle du nombre de gestes par minute), l’intervenant a pu faire évoluer la vision de la pénibilité dans l’entreprise et, de fait, la pénibilité avait évolué. Les hommes étaient à des postes de conducteurs de machines, beaucoup moins sollicitants, en tout cas sur le plan physique, que les postes des femmes. Si l’ergonome s’était arrêté là, finalement le diagnostic aurait été tronqué. Ce qu’il a le plus apporté, et ce que nous développons dans le réseau ANACT-ARACT, c’est ce qu’on appelle un « diagnostic démographique ». On en a fait un petit outil qui est sur Excel et disponible sur internet, sur le site www.ega-pro.fr du Ministère de la Santé, et qui a finalement pu montrer que, en termes de parcours, l’entreprise avait essayé de gérer la pénibilité par le recrutement d’hommes jeunes. Mais, ce qu’elle n’avait pas anticipé, c’est que les hommes jeunes recrutés à ces postes d’aide-finition n’allaient pas rester dans le poste en question. L’intervenant a pu montrer que, au bout de 3 ans en moyenne, ils partaient, soit vers d’autres entreprises, soit vers d’autres postes (dans l’atelier ou l’entreprise) ; postes qui n’étaient, majoritairement, pas accessibles aux femmes, notamment à cause de la pénibilité. Je pense notamment au poste du massicotier, celui qui coupe les cahiers, qui est très difficile.

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2.2 Autres critères qui expliquent la différence Un autre point sur les questions de temps que l’intervenant a pu mettre en lumière c’est qu’il y avait une prime de pause. C’était tacite dans l’entreprise, c’était quelque chose qui avait une quarantaine d’années, que finalement les postes des femmes devaient être des postes avec pauses, pauses non payées, tandis que les postes des hommes ayant été automatisés avaient, eux, négocié une prime supplémentaire. Les femmes avaient essayé de négocier une prime également, mais cela leur avait toujours été refusé. Il a donc mis en exergue ce point lié aux temps de travail qui a un impact sur le salaire. L’entreprise a mis en œuvre des actions, ce qui n’est pas toujours évident parce que, après un diagnostic, on chausse les « lunettes du genre » et cela peut parfois avoir un effet de sidération. C’est-à-dire que là, lors de la restitution, les femmes se sont mises à pleurer. Il y a eu réellement une prise de conscience de la réalité de la disparité des situations qui était difficile à accepter pour tous. Mais, finalement, l’entreprise s’est engagée dans deux types d‘actions qui concernaient à la fois l’amélioration des conditions de travail et le parcours pour tout le monde et particulièrement l’amélioration des conditions de travail des postes des hommes par le biais de l’organisation du travail. Si on rentre par les questions de « genre » ou de « différences de situations de travail hommes/femmes », ce n’est qu’une méthode pour ouvrir le champ des possibles. L’objectif c’est d’améliorer les conditions de travail pour tout le monde, pour les femmes et aussi pour les hommes. Et le premier point était peut-être plus spécifiquement centré sur les parcours des femmes.

2.3 Autre exemple d’entreprise Un autre cas d’entreprise que je vais simplement effleurer est le cas d’une grande entreprise qui nous a interpellés directement sur la question « Pourquoi les femmes sont plus absentes que les hommes alors qu’elles font le même métier ? ». Dans les niveaux d’absence, on enlève désormais (mais c’est un calcul assez fastidieux) le nombre de jours d’arrêt maladie ou pathologiques avant maternité, mais qui, d’après nos estimations, correspondraient à peu près dans cette entreprise où les femmes ont en moyenne 44 ans à 5% (soit 1 jour) de l’absence moyenne rapportée des femmes sur des niveaux d’absence très élevés qui sont en moyenne de 29 jours. Cela n’explique pas tout. Ce que l’on a pu déconstruire très vite, ce sont les 3 niveaux d’absence : absence pour maladie ordinaire (65% du volume total d’absence), absence pour longue maladie (qui ne concerne que 4% des personnes, ce qui est très peu, mais qui pèse beaucoup pour l’entreprise), absence pour accidents. Nous nous sommes focalisés sur l’absence pour maladie ordinaire. On avait l’air de nous dire que finalement, comme les femmes ont leur charge familiale, elles doivent s’absenter plusieurs fois sur de courtes périodes. En fait pas du tout ! Elles sont surreprésentées dans les absences longues de plus de 30 jours. Notre diagnostic c’est qu’elles tiennent et puis un jour ça craque. Ce qu’on a pu montrer assez vite c’est que dans cette entreprise on nous a dit que finalement l’absence était liée à l’âge (plus on est âgé, plus on est absent) ou l’absence est la faute du management. On a essayé d’aller voir dans le travail. Au niveau des statistiques, on leur a montré que par exemple l’absence pour maladie ordinaire démarrait très tôt, à 25 ans, et qu’elle diminuait avec l’âge. Ce qu’on a montré également, c’est ce que je vous disais tout à l’heure, c’est l’absence pour situation familiale. Il n’y a que dans les cas ou femmes et hommes sont en situation de séparation / veufs, que le niveau d’absence est beaucoup plus important comparativement à la situation de célibataire ou de couple. Cela ne recouvrait que 12% de la population de l’entreprise. Par ailleurs, toutes absences confondues, plus on a d’enfants moins on est absent. Si on regarde la maladie ordinaire, on a un pic quand il y a un enfant. On retrouve dans nos statistiques ce pic sur 2,7 millions de salariés. Le creux d’absence est

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généralement vers 2 enfants. Mais là, ce sont des deltas très limités par rapport au niveau d’absence qui est très élevé. On a appliqué notre petit modèle. Pour chercher à comprendre, qu’est-ce qui dans l’organisation du travail, les conditions du travail, le management et des parcours et dans le temps de travail conduisait à ce dont on nous parlait : des TMS, des RPS, des maladies, de l’insatisfaction. Ce qui pouvait conduire à de l’absentéisme différencié des femmes et des hommes. Sachant que nous on s’intéresse à ce qui est lié au travail, mais que bien sûr il y a de l’absentéisme lié à la grippe, au fait de se casser la jambe, etc. L’intervention est en cours, mais on a pu constater en termes d’organisation du travail que parce que la règle d’ancienneté prévalait dans la répartition des postes et des secteurs que les femmes étaient surreprésentées dans des secteurs où il y avait le plus de paquets. Cela jouait sur la charge physique et l’usure prématurée. Par ailleurs, il y avait de grandes différences d’équité, notamment au niveau de la charge physique des postes qui était assez variable. On a pu constater également que la question de l’inaptitude générait une certaine équité. Qu’un certain nombre d’activités, notamment de préparation du travail étaient sous-estimées dans le temps, ce qui obligeait les agents (les femmes comme les hommes) à se dépêcher énormément dans le travail. En termes de contrainte de travail, on a pu également mettre en lumière le fait que les exigences physiques du travail étaient quand même au-delà de pratiques corporelles ordinaires et elles étaient quotidiennes. Et qu’il y avait un manque de préparation, de prise en compte des différences biologiques femme-homme pour pouvoir assumer de telles exigences, ce qui n’est pas le cas dans le sport par exemple. Par ailleurs un point sur lequel je vais m’attarder, c’est la question de l’adaptation du matériel à l’arrivée des femmes : il y a eu bien sûr une transformation de certains équipements, une adaptation, mais pas suffisante. Il continue à y avoir pour toutes les personnes qui sont de petite taille et de grande taille beaucoup de problèmes d’inadaptation qui impliquent beaucoup de postures inadéquates (pointe des pieds, bras en hauteur, jambe qui se baissent…). Même si l’entreprise a mis en place des hauteurs variables, un certain nombre de systèmes sont très peu mis en œuvre. Les courbes de taille, faites par les médecins du travail, montrent que ceux qui sont dans la moyenne (pour les femmes 1,63 et pour les hommes 1,75) sont finalement relativement peu. Il y a beaucoup de gens aux extrêmes. Je reviens juste sur un problème quand les gens travaillent dehors : c’est l’accès aux toilettes pour les femmes qui est difficile dans certains secteurs. Donc elles ne mangent pas, ne boivent pas ce qui génère des infections urinaires. Il y a aussi des problèmes de drague que rencontrent les femmes quand elles travaillent à l’extérieur. Drague qui est tout à fait sous-estimée. D’ailleurs elles-mêmes n’en parlent pas, mais c’est aussi du sexisme en interne qui continue un peu dans toutes les entreprises. Un système de temps partiel qui fait que, par exemple, il y a une semaine de pause toutes les 5 semaines et non pas comme ça se fait dans toutes les entreprises 1 jour par semaine. Ce qui ne leur permet pas de récupérer ni de pouvoir concilier les temps si elles le choisissent. Également des horaires tôt le matin qui conviennent plus ou moins (pour les 25-35 ans). Et puis des règles de congés qui privilégient l’ancienneté et les enfants, mais que de 6 à 16 ans et pas de 0 à 16 ans. Finalement ce regard « genré » a eu l’intérêt d’ouvrir le champ des possibles. En même temps, vous voyez qu’en termes de solution on est dans l’amélioration de l’organisation et des conditions de travail, du management, des temps de travail pour tous les salariés. Il ne s’agit absolument pas de faire des mesures spécifiques pour les uns ou pour les autres. Par exemple vous connaissez cette norme des 15 kilos au lieu du Code du travail avec ses 25 kilos pour les femmes et 55 pour les hommes, ce qui va peut-être renforcer le fait d’arriver à mieux la mettre en place dans la réalité. Théoriquement c’est une recommandation, mais de fait elle n’est pas forcément mise en place.

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3. Quelques recommandations

Quelques recommandations que l’on peut faire. Dans la conception des systèmes de travail, prendre en compte les 4 éléments définis ci-dessus. Les situations de travail différenciées des femmes et des hommes qui ne sont pas forcément dans les mêmes métiers ni dans les mêmes activités. Il n’y a pas non plus les mêmes expositions. Même si c’est le cas, il n’y a pas les mêmes effets sur la santé. Bien sûr on recommande le fait qu’il y ait des statistiques sexuées en santé au travail, mais vous savez que les médecins du travail ne sont pas obligés par le Code du travail à les produire. De fait les logiciels ne sont pas faits pour ça. Dans le document unique d’évaluation des risques, il serait utile d’arriver à prendre en compte l’évaluation des risques pour la santé reproductive des femmes, mais aussi des hommes, qui sont d’ailleurs peu connus. Ne pas oublier, quand il y a hiérarchisation des risques, les pénibilités ou les risques des emplois à prédominance féminine. Et puis d’intégrer cette approche genre, mais aussi âge dans les approches des CHSCT, dans la construction des accords RPS, séniors, pénibilité… Je voudrais ajouter deux mots sur une loi qui est passée en août 2014. Le Code du travail et le législateur, pendant des années, ont considéré que l’égalité entre les sexes c’était la négation des différences. Quasiment tout a été enlevé du Code du travail sur la prise en compte des différences, excepté cette histoire de poids, le plomb et bien sûr la protection de la femme enceinte. Le législateur aujourd’hui a mis en place ces indicateurs sexués au travail pour aller dans le sens d’une égalité en santé au travail en prenant en compte les différences. Du coup il y a eu 2 articles de loi qui ont été introduits dans la loi-cadre égalité et votée par le parlement. C’est d’une part d’introduire dans les approches égalité professionnelle qui étaient surtout centrées sur l’emploi et les salaires des indicateurs sexués en santé au travail. D’ailleurs, il y a un groupe de travail actuellement du conseil supérieur de l’égalité qui va définir lesquels vont être recommandés. Et par ailleurs, l’article 20 de la loi dit que : « l’évaluation des risques professionnels doit tenir compte de l’impact différencié de l’exposition en fonction du sexe ». Avec le réseau Anact, nous avons constitué un groupe de travail qui vise à outiller les entreprises par rapport à l’interprétation et à la mise en œuvre de cet article parce qu’il ne s’agit pas de déconstruire tout le document unique, mais au contraire de l’enrichir. Voilà, pour nous, les 2 éléments qui nous apparaissent importants : les effets différenciés sur la santé du travail des femmes et des hommes, c’est-à-dire, d’introduire des données sexuées en santé au travail quand on construit le document unique premièrement et puis, d’avoir en tête le fait qu’une même exposition ne produit pas forcément les mêmes effets (CMR, horaires de travail). C’est surtout de prendre en compte que dans une entreprise, dans la vie réelle, les expositions sont différenciées avant tout parce que les métiers ne sont pas les mêmes. La ségrégation des métiers existe et elle est encore extrêmement forte. Les conditions de travail ne sont pas les mêmes, ni les parcours, ni les temps de travail, ni les activités hors travail. Pour tous ceux et celles qui travaillent sur-le-champ de l’égalité professionnelle. Ce n’est pas évident d’intégrer les questions de santé parce que santé veux dire vulnérabilité. Qu’il y a un risque de stigmatisation, de défavoriser les femmes sur le marché du travail. Voilà quelques questions que je me pose pour conclure :

• Est-ce que l’on peut parler de conditions de travail sans parler d’égalité ou d’équité ou sans parler des injustices ?

• Dans quelles mesures des organisations de travail apparemment neutres produisent des inégalités dans les situations de travail ?

• Comment parler ou construire des règles collectives de travail tout en prenant en compte les différences (âge, origine …) ?

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Fil Rouge

Dominique LHUILIER Professeure émérite des universités

CNAM Centre de Recherche sur le travail et le Développement, Paris C’est un peu étrange de retrouver la parole. Cela fait 3 jours que j’observe et que je me tais. Je suis ravie d’être là et ravie de la proposition qui m’a été faite. C’est une très belle expérience, même si c’est totalement épuisant, très stressant. Je ne regrette rien. J’ai essayé de sous-traiter le fil rouge aux masters, mais ils ont résisté. Néanmoins, ils proposent une contribution intéressante. Donnons-leur la parole : vidéo micro trottoir « Alors, si je vous dis : travail de qualité, emploi durable, performance globale, qu’est-ce que cela vous inspire ? ». À vrai dire, les premiers échanges sur travail de qualité, emploi durable et performance globale m’ont laissé à peu près dans le même état que les personnes interviewées, en tout cas dans une perplexité. Quel est le fil rouge, comment comprendre cette problématique ? Je vais vous raconter (brièvement) comment j’ai travaillé. J’ai été frappée par la qualité de l’accueil, par l’ensemble des découvertes que j’ai pu faire et par une convivialité que beaucoup de milieux professionnels pourraient envier. Je ne vous parlerai pas de mon milieu. Il y a eu de nombreux moments de rire ici, mais aussi dans toutes les coulisses. Merci pour tout ça. Je voudrai remercier François Daniellou de m’avoir proposé cette tâche immense, mais vraiment passionnante ainsi que Dominique Baradat. Je pense qu’elle a sans doute contribué à ce que j’arrive ici d’une manière ou d’une autre. Je remercie aussi les masters pour les échanges que nous avons eus. Ils ont joué un rôle important dans l’organisation, mais aussi dans l’ambiance. Être le buvard, c’était la tâche à réaliser devant un ordre du jour important, complet et riche. C’est épuisant parce que cela demande une mobilisation, une concentration et une attention continue. On a tous pu entendre 11 communications. Elles étaient d’ailleurs le plus souvent à plusieurs voix ce qui donnait à voir beaucoup de choses et notamment les modalités du travail réalisé avec les commanditaires, avec les demandeurs chacun dans des styles différents (des chefs d’entreprise, des dirigeants, mais pas seulement). Cela donne à voir aussi comment dans ces coopérations les objets que l’on construit ensemble ne sont pas nécessairement les mêmes. Je pense que cela permettait de le voir même si dans les échanges ou dans les présentations on a sans doute moins mis de zoom sur cette part de l’activité de l’ergonome. On a aussi eu le droit à des mises en scène de coopérations entre collègues. Là encore, il y avait différents styles. Je me suis appuyée sur tout ça, sur un déjeuner avec des étudiants du master, plein de rencontres, d’échanges et de discussions avec les uns et les autres. En tant que buvard, il faut que j’essaie de construire quelque chose qui tienne un peu la route dans un temps très contraint. Le recours habituel pour un enseignant est de fouiller dans son stock de diapos disponibles, mais là ça ne marche pas ! Alors, je vais commencer par vous parler de mes étonnements. Le plus évident, c’est la découverte de votre milieu, car je ne suis pas ergonome. C’est très étonnant de voir un milieu aussi fortement structuré avec un concentré d’histoires diverses dans une histoire collective qui est, semble-t-il, très vivante. C’est un milieu qui donne à voir aussi une certaine habitude dans ce travail de réflexion collective sur les pratiques. C’est aussi, me semble-t-il, et je pense que le camembert (recensement des profils participants à ces journées) que l’on nous a montré le premier jour le montre bien, un espace d’accueil et d’insertion dans le métier. Il n’y a pas beaucoup de milieux professionnels où l’on se donne les moyens de faire dans

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sa propre communauté professionnelle ce que l’on cherche à faire quand on intervient dans les affaires ou dans la vie des autres et de ce point de vue là j’ai eu pendant ces trois jours beaucoup d’envies. Je ne savais pas si je devais mettre sur le compte des recommandations de l’ARACT en début d’événement ou si c’était de l’ordre d’un acquis, la bienveillance dans les échanges. Bienveillance qui n’empêche pas de n’en penser pas moins. Peut-être que les controverses, les discussions peuvent prendre des formes plus rudes au moment des pauses ou des diners. Dans l’ensemble, je trouve qu’il y a là une manière de se dire les choses même si l’on n’est pas d’accord. Évidemment, il y a matière à désaccord. Il peut être reproché dans ces situations et ce n’est pas propre aux journées de Bordeaux, que l’on parlera d’autant mieux si l’on raconte de belles histoires. C’est sans doute aussi la limite de l’exercice, quand on ne raconte que de belles histoires, ce n’est pas nécessairement là que l’on apprend le plus. Moins on parle du travail réel (les impasses, les empêchements) moins on a matière à cette réflexion collective qui fait avancer le métier. Il faut prendre au sérieux l’idée que dans la construction, l’entretien de ces espaces et regroupements où l’on débat ensemble, se jouent des enjeux de santé évidents. Je pense que le développement de l’isolement et de la solitude au travail ne concerne pas que les ergonomes, c’est une problématique plus générale que l’on peut très bien expliquer par des transformations majeures du monde du travail. Dans la construction du fil rouge, il y a trois niveaux de lecture d’où le caractère passionnant et complexe de l’exercice. C’est-à-dire être à l’écoute des présentations des activités de l’ergonome sur le terrain, être dans une situation d’observation de l’activité en relation avec les JDB et repérer les résonnances que ne manquent pas d’avoir tout ça avec l’exercice de mon propre métier de psychosociologue du travail. Pour faire court, j’ai démarré en psychologie clinique et je suis allée vers la clinique du travail. On pourrait dire les cliniques du travail à partir d’un ancrage propre et plus du côté de la psychosociologie du travail, mais avec cette idée centrale que l’on ne peut pas faire de la clinique du travail dans la segmentation des orientations des disciplines, des sous disciplines, des écoles, etc. L’idée de discipline sœur pour reprendre l’expression de François Daniellou lors de la première journée est fondamentale parce que ce sont véritablement des espaces de dialogue à développer. La clinique du travail, ce n’est pas seulement la clinique de l’activité. Il y a beaucoup de gens qui parlent indifféremment de clinique du travail et de clinique de l’activité. C’est embêtant, car la clinique du travail est beaucoup plus large. Elle aussi pluridisciplinaire puisque l’on va retrouver par exemple l’ergologie. On y intégrera aussi la clinique médicale du travail. Je pense que vous avez tous entendu parler notamment des travaux de Philippe Davezies. Pour une bonne part, on peut y intégrer de mon point de vue, l’ergonomie de l’activité et puis bien sûr la psychodynamique du travail, la clinique de l’activité et la psychosociologie du travail. La psychosociologie du travail, qu’est-ce que c’est ? Pour vous donner une idée, quels sont mes repères pour penser et travailler ? Quelques personnages centraux, Meyerson, Curry, Mendel notamment et cette idée fondamentale : l'unité dialectique des activités humaines. Le sujet humain n'est pas qu'un travailleur, avec cette idée centrale des interdépendances entre différents types d'expériences, différents investissements et ceci dans différents domaines de vie. Ceci rejoint, je pense, l'idée formulée par François Daniellou : "l'activité d'une tranche de vie". L'activité de travail a des visées qui dépassent le lieu de sa réalisation, elle intègre le passé et le futur. Si nous voulons comprendre "l'ici et le maintenant" dans cette conduite il faut intégrer le passé et le futur et cette perspective d'intersignification et de personnalisation. Enfin il y a une autre idée très importante pour nous : le travail n'est pas qu'activité, c'est aussi une restitution. Ceci peut contribuer à expliquer que le travail prenne des formes aussi différentes suivant les sociétés. Nous pensons essentiellement le travail comme travail salarié. Il y a des époques et des pays où le modèle du travail salarié est très secondaire. Ce n'est pas du tout dans ces cadres-là qu'il faut construire et ceci pose des tas de questions. Cela nous amène à revisiter notre manière de conduire l'analyse du travail.

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Il y a une autre idée centrale que nous avons en partage avec les cliniques du travail, c'est la dimension recherche-action même si la clinique de l'activité dit qu'elle ne fait pas de recherche-action, mais de la psychologie fondamentale de terrain. Pour ce qui est de l'idée que toute production de connaissances est fondamentalement étayée sur des perspectives de transformation. Voici une définition de la recherche-action à laquelle je me réfère : production de connaissances et action : « Un projet qui répond à la fois aux préoccupations pratiques d’acteurs se trouvant en situation problématique et au développement des sciences sociales par une collaboration qui les relie selon un schéma éthique mutuellement acceptable. » (Rapport, 1968-1973, p. 115). Le processus de production de connaissances et la contribution qu’en retirent les acteurs par rapport aux questions qu’ils se posent sont deux effets mutuellement dépendants. La question de l'intervention est également pour nous une question fondamentale qui est aussi une vieille histoire si on considère que la recherche-action a commencé avec Elton Mayo ; même si aujourd'hui nous pouvons utiliser des formes de type "recherche intervention", ce qui peut mener d'ailleurs à une relative méconnaissance des antécédents. Revenons à la problématique : "travail de qualité, emploi durable, performance globale". Au premier abord, je me disais que cette manière de juxtaposer faisait penser à cette tendance lourde que l'on retrouve dans le monde du travail qui est la segmentation des dossiers (même si cela n'a rien de nouveau). Cela n'a rien de nouveau et en même temps j'ai l'impression que ça s'amplifie avec la montée d'une lecture gestionnaire des problèmes qui fait que l'on a : un dossier "Document Unique", un dossier "RPS", un dossier "Qualité de Vie au Travail", etc. Est-ce qu'en problématisant les choses de la sorte nous rendons compte implicitement des formulations qu'utilisent les commanditaires ? Ou bien des formulations que prennent aujourd'hui les demandes sociales ? Il est de plus en plus question de la qualité de vie au travail, mais en même temps c'est très polysémique et c'est aussi un terrain très conflictuel. L'emploi durable, c'est le plus souvent associé de façon très réductrice à l'idée de maintien en emploi ; retour à l'emploi ou retour en emploi avec l'idée que le risque majeur ici soit d'occulter le travail. Et puis performance globale, ceci semble non seulement polysémique... Je ne suis pas sans savoir que les ergonomes sont des pros de la problématique des régulations, mais en même temps qui dit régulation dit conflictualité et il y a évidemment une conflictualité des performances. Ceci est un énorme chantier, mais je pense qu'il en sera question lors du prochain congrès de la SELF puisque le thème retenu parle de "santé et performance". J'ai bien entendu le fil rouge proposé par François Daniellou et Serge Volkoff où ils ont, me semble-t-il, tiré le fil du temps, du temps long des histoires dans un contexte ou prévaut le court-termisme, l'urgence, la nécessité dans nos propres activités de dépasser l'ici et le maintenant, d'aller au-delà de cette fenêtre de l'intervention, la nécessité de reconnaitre des temporalités multiples, de penser les trajectoires professionnelles, cette question du travail soutenable, dans la durée, mais aussi sans doute dans l'interdépendance des domaines de vie, cette problématique de l'usure prématurée et des différentes formes de prévention que l'on peut envisager. Il était aussi beaucoup question, notamment dans pas mal d'interventions, du turn-over. À l'issue de l'exposé de la première matinée (François Daniellou et Serge Volkoff), un exposé qui constituait finalement un panorama, une reprise de toute une série d'axes de travail, quelqu'un disait que finalement ça pouvait être là le manifeste de l'ergonomie. Le programme annonce lors de cette ouverture était extrêmement ambitieux et vaste et chacun peut à partir de là puiser dans cet inventaire, tirer un fil en fonction des contextes, des demandes, mais aussi en fonction de ses engagements propres, car je pense que nous construisons nos pratiques à partir de la part de nous même que nous y mettons. François Daniellou évoquait mon attachement particulier à la question des processus

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d'exclusion que l'on rencontre un peu partout, mais bien sûr d'autres privilégient d'autres problématiques ou d'autres sensibilités. Dans les discussions tout au long de ces Journées de Bordeaux j'ai trouvé que les fils étaient vraiment tricotés serrés. J'ai été particulièrement intéressée par la place qui était donnée explicitement ou non à la question du corps au travail, notamment le corps de l'ergonome. À se sujet ça a commencé très fort avec l'exposé de l'ergonome dans la mine. Ceci pose toute la question des éprouvés, des sens, des affects, des traces dans le corps de ces multiples histoires du travail, mais aussi du hors travail. On peut dire aussi que le corps est dans ce carrefour temporel, il est nécessairement mobilisé dans ce fameux cœur à l'ouvrage dont on nous a parlé de nombreuses fois, au risque d'ailleurs d'y perdre un doigt si je me souviens bien dans l'exposé de Laguiole. Je ne suis à la fois pas surprise et en même temps intéressée et préoccupée par l'idée qui prévaut ici, mais aussi chez d'autres professionnels comme les psychologues du travail qu'il faille parler du travail, il faut sortir le travail de son invisibilité, il faut restaurer la place du travail, redonner au travail la centralité qu'il pourrait avoir perdu. Je ne peux qu'adhérer à ce programme, mais en même temps immédiatement je me dis "comment ?" et ceci n'est pas gagné. À quelles conditions ? Pour quoi faire ? Et avec quels risques ? Parler du travail c'est risqué pour de nombreuses raisons. Je me dis qu'il y a des gains dans cette affaire, qu'il y a des bénéfices évidents, mais il y a aussi des risques et des pertes possibles. Il nous faudrait peut-être revisiter l'histoire des dispositifs dits de participation par exemple les cercles de qualité. Il y a eu des travaux sur les effets produits par les cercles de qualité, sur ces espaces où l'on a tenté de donner plus de visibilité à la question du travail, du travail réel, où on a développé la participation. Je pense que nous aurions aussi intérêt à s'appuyer sur cette histoire. J'ai aussi trouvé intéressant qu'il soit beaucoup question des représentations des ergonomes et du métier. Dans ma propre trajectoire professionnelle je n'ai jamais rencontré l'ergonomie à la faculté, je l'ai découverte sur le terrain à une époque où j'avais été embauchée pour travailler aux Études et Recherches chez EDF dans une équipe Facteurs Humains où il y avait des ergonomes qui travaillaient sur la fiabilité humaine dans la conduite des centrales nucléaires. Les collègues travaillaient beaucoup sur la question des IHM. Nous avons parlé de l'idée que l'ergonome est plutôt sur la question de la conception et de la correction avec comme activité l'analyse du travail avec une relativisation/suspension de la question de l'emploi. Il a été aussi très manifestement, enfin pour moi c'était une découverte, mais aussi pour les plus jeunes avec qui j'ai pu discuter, la découverte de nouvelles problématiques qui sont finalement de nouveaux champs d'activité pour les ergonomes, ce qui inclut la mise en place de collaborations avec de nouveaux partenaires. J'étais à la fois surprise et heureuse qu'on puisse parler entre ergonomes du chômage, car les chômeurs sont aussi des travailleurs. La question de l'intervention était aussi très présente tout au long de ces Journées de Bordeaux avec des débats parfois amorcés, parfois plus soutenus. Quelles sont les visées de l'intervention ? C'était clair notamment lorsqu'on a parlé par exemple des appels d'offres. Quelles sont les visées métier ? Quelles sont les visées privilégiées dans les commandes ? Quelles sont les visées tel qu'on peut les dégager dans les demandes ? Quelles sont les différentes postures des uns et des autres ? Il y a une grande diversité, me semble-t-il. Il y a également une diversité dans les dispositifs et les partenaires. Vous n'allez pas être surpris aux vues de ce panorama de qui je suis et de l'inventaire des possibles dans la construction de ce fil rouge que finalement je choisis de manière arbitraire de tirer un fil, c'est-à-dire cette question de la dialectique inclusion/exclusion ou insertion/exclusion. Je fais ce fil rouge à plusieurs niveaux : dans le monde du travail, car je pense que c'est une question centrale. Ça a toujours été une question centrale dans toutes les sociétés, mais au travail aujourd'hui les enjeux autour de cette problématique sont essentiels et comme le disait quelqu'un de Toulouse, l'insertion c'est tout au long de la vie. Ce n'est pas uniquement la question du recrutement et de l'installation à un poste de travail. C'est

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une question qui se pose massivement dans le monde du travail aujourd'hui, c'est une question qui se pose également dans nos propres mondes, car évidemment nous ne sommes pas hors du monde du travail et il y a d'ailleurs de ce point de vue là des histoires saignantes chez nous aussi. Cela va nous conduire nécessairement à relier emploi et travail et nous avons à y gagner. Alors même qu'il y a une sorte de division du travail, entre d'un côté les professionnels de l'emploi et de l'autre côté les professionnels du travail. À un moment je travaillais avec des médecins du travail à propos de la santé des intermittents du spectacle et il est impossible de comprendre leur travail si nous n'intégrons pas l'idée qu'il a en permanence à développer deux activités : la répétition/le spectacle en cours et en même temps la recherche d'emplois à venir. C'est vrai pour les intérimaires et dans beaucoup d'autres situations. La recherche de nouvelles missions, la recherche d'un nouveau chantier est quelque chose qui n'apparait pas vraiment. L’intérêt de relier emploi et travail vient aussi de ma rencontre initialement fortuite avec la question du « placard ». On n’a jamais eu de commande, comme vous, je suppose, relative à des « placards ». Il est rare que l’on fasse appel à des consultants, car on a des personnes en emploi, mais qui n’ont plus de travail et dont il faudrait solutionner ce problème. Les intervenants et les consultants peuvent rencontrer des « placardisés » qui sont nécessairement débranchés de l’activité. Sans celle-ci il n’y a rien d’autre que des « placards ». On retrouve ainsi la problématique de l’exclusion. Intégrer l’emploi et le travail permettrait alors de penser le travail hors emploi. Je pense que l’on a beaucoup à gagner de penser le syndicalisme comme un travail et de montrer l’interdépendance entre l’activité syndicale et professionnelle. Cela permettrait de réaliser aussi la question du travail au noir qui se développe, ainsi que le travail des retraités. Je suis frappée de voir la productivité de ceux qui sont considérés comme inactifs. Je ne vous parle pas non plus du travail domestique, etc. Je parlais de dialectique inclusion / exclusion, c'est-à-dire que l’on ne pourra jamais raconter des histoires univoques qui ne seraient faites que de processus d’insertions sans que l’on ne voit apparaître des processus inverses. Je vais prendre des morceaux d’histoires de travail qui sont les miennes actuellement. J’investis beaucoup un dispositif qui s’appelle « groupes d’analyse de pratique ». Ce sont des groupes de travail sur le travail où l’on installe des échanges institués sur le travail. Alors je pense par exemple, puisque l’on a parlé du BTP, à des groupes d’analyse de pratique d’assistantes sociales et de conseillères en reclassement dans le secteur du BTP. Secteur en crise dont le robinet de l’inaptitude coule à flots. Il n’a pas été question de cela dans les présentations faites, mais je suis frappée de voir l’importance des accidents du travail, des maladies professionnelles, plus globalement des maladies chroniques et d’une histoire ancienne qui est l’usure prématurée des jeunes dans la dimension du travail par les âges. C'est-à-dire pour économiser les plus anciens, ce sont les jeunes qui font les tâches les plus pénibles, etc. Ce n’est pas très original, on le retrouve dans la fonction publique avec les jeunes enseignants qu’on envoie dans les Zones d’Éducation prioritaire de Seine-Saint-Denis, les jeunes policiers qu’on envoie dans les quartiers dits « chauds », les jeunes surveillants dans les grosses maisons d’arrêt où ils sont sensés gérer à la sortie de l’école 120 détenus à leur étage. La division du travail entre les plus anciens et les plus jeunes pose des problèmes majeurs. Quand cela se traduit par une multiplication des inaptitudes, il ne se pose pas la question du retour dans l’emploi, mais la question du retour en emploi. Cela signifie en fait perdre sa place, mais aussi perdre son métier. C'est-à-dire, on est plus en capacité de réaliser son métier. Évidemment que le BTP n’est pas seulement cela, il y a aussi d’autres histoires d’insertion par exemple. On nous a parlé de deux sortants de prisons ayant pu être insérés et formés par exemple. Il y a aussi des actions essentielles de réduction de la pénibilité du travail, de la prévention des risques, etc. En poursuivant sur la piste des « rebuts des chantiers », c'est-à-dire des inaptes, je les ai retrouvés par hasard dans le cadre d’une recherche-action sur vivre et travailler avec une maladie chronique. Dans cette recherche-action que je ne vais pas vous détailler, on va aller voir cette entreprise pour essayer de comprendre pourquoi cette entreprise a une telle concentration de RQTH alors que c’est une entreprise

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du secteur du nettoyage industriel et que l’on connaît la pénibilité dans ce secteur d’activité. Cette entreprise que l’on nommera entreprise Leblanc recrute et fidélise pour du « sale boulot ». Je m’explique, on a un concentré de pénibilité avec les horaires de travail, les temps de transport, les contraintes physiques, la confrontation au sale, la souillure, la manipulation de produits toxiques, le défaut de reconnaissance, la disqualification du travail, la flexibilité, la précarité du travail et de l’emploi, des rapports de domination, etc. Tout cela structure les métiers du nettoyage et malgré tout il y a un dépassement très net du quota exigé de RQTH pour se soustraire aux pénalités. Il y a des avantages financiers évidents, des avantages d’image, des avantages de recrutement dans un secteur ayant une faible attractivité, où recruter des handicapés peut être une solution qui contribuera à expliquer pourquoi on retrouvera dans ces secteurs des « rebuts du BTP ». Cela permet aussi de fidéliser la main-d’œuvre et de faciliter le travail de l’encadrement, car le handicap ne fait pas communauté. La dette oblige, ce qui signifie que quand on a un problème de santé grave, trouver un emploi est presque une reconnaissance et une faveur et du même coup cela contribue en général plutôt à ne pas s’engager dans des résistances collectives comme le recrutement communautaire qui favorise des contres pouvoir. Cela permet aussi de requalifier le « sale boulot », c'est-à-dire que cela permet à ces entreprises et son encadrement de considérer que non ce secteur n’est plus celui des négriers et qu’aujourd’hui on fait du social dans l’industrie du propre. C’est aussi du fait de la visibilité du travail, notamment un secteur d’activité qui laisse des marges de manœuvres importantes. Autrement dit qui laisse des régulations informelles étant très fortes. Peut-on parler pour autant de gagnant – gagnant ? Je ne pense pas. Si en prenant ces quelques exemples, je mets l’accent sur les processus d’exclusion, il est aussi question de processus d’insertion ou d’inclusion qui peuvent se décliner dans différentes formes à différents moments des trajectoires des uns et des autres. Il s’agit dans tous les cas de trouver sa place dans une histoire à poursuivre tout en y jouant aussi sa propre histoire. C’est quelque chose qui me semble utile et fondamental. C’est cette notion d’activité que reprend Tosquelles, qu’on peut aussi considérer comme l’un des fondateurs de la psychopathologie du travail. Il dit que l’activité n’est pas le mouvement, l’activité n’est pas l’occupation, l’activité n’est pas l’exécution de ce qui est attendu ou prescrit par d’autre, l’activité au sens où il l’entend est une activité propre. C'est-à-dire une activité personnelle et personnalisante à travers laquelle on va construire un monde commun, une histoire commune. On va retrouver ici une question centrale pour vous, d’après ce que j’ai pu comprendre, y compris dans la discussion avec la question : est-ce que la référence au genre nous sert ou nous complique les choses ou est ce qu’elle est en contradiction avec le principe d’individualisation de reconnaissance de singularité ? Je pense que fondamentalement, la prévention de l’exclusion passe par la reconnaissance de la singularité et la variabilité. Le problème c’est que cette singularité et variabilité personnelle est toujours inscrite dans des processus collectifs et sociaux étant eux-mêmes à contrario producteurs de normes et de normalisation. Donc, comment soutenir cette contradiction entre normalisation et normativité ? Je pense que c’est une problématique commune à beaucoup de métier, le vôtre, mais aussi le nôtre. Comment soutenir une normativité étant nécessaire à la santé sans exposer aux désaveux, discriminations à partir du moment où on prend ses distances par rapport aux normes dominantes ? Que celles-ci soient produites par l’organisation ou les collectifs de travail. Derrière cette question, d’autres en découlent : comment on construit des passerelles entre enjeux individuels et collectifs ? Question qui est commune aux DP et syndicalisme. Comment respecter les composantes individuelles et résister aux processus d’individualisation ? Comment traiter la dialectique de l’hétérogénéité et de l’homogénéisation du particulier et du général, de l’individu et du général, etc. Collectif de travail. J’ai de plus en plus mal avec les collectifs de travail. Je vais vous faire part de mes états d’âme. On ne parle plus d’équipe ni de groupe. On utilise maintenant une formule quasiment systématique de collectif de travail. Il y a un abus de langage ou alors cela devient compliqué ou il y a des choses que l’on ne voit plus ou ne pense plus. Je pense véritablement qu’un collectif de travail est une dynamique, un processus et non un état. Cette dynamique n’est jamais stabilisée et c’est une

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dynamique caractérisée par le fait qu’elle permet à la fois la personnalisation du travail et la contribution au renouvellement d’un patrimoine commun qu’on peut appeler genre, règle de métier, etc. Il y a collectif de travail quand il y a des dynamiques collectives qui conjuguent organisation de l’ensemble et vecteur de singularité. Sinon on a affaire à des processus de groupe. Il y a des études stockées depuis des années sur les dynamiques de groupe. Ce qui domine n’est pas ça le plus souvent, mais plutôt la pression à la conformité, l’illusion groupale, des dynamiques cohésives, mais cohésives défensives. Je pense que c’est important de faire la différence entre le groupe de travail et le collectif de travail. En tout cas, c’est clair pour penser la dialectique insertion / exclusion. Il y a un autre fil rouge que l’on pourrait évidemment tirer de ces journées étant centralement la question de la qualité du travail. Elle me semble suffisamment générale et générée pour couvrir la question de l’emploi durable et la question de la performance globale. Il y a une inflation discursive sur la qualité, peut-être d’ailleurs qu’on en parle d’autant plus qu’on a une montée en puissance de la flexibilité qui s’accompagne d’une montée du travail sans qualité pour reprendre la formule de Sennett. Ce que je trouve intéressant dans la problématique de la qualité c’est qu’elle est structurellement conflictuelle. Il y a toujours un propos, des jugements portés sur la qualité, des modalités de construction de la qualité, des conflits de jugements, des conflits de critères qui apparaissent très vite. Comme le souligne Hughes, psychologue de l’école de Chicago que j’affectionne beaucoup. Il parle du drame social du travail qui ne tient pas de la diversité, voire de la conflictualité des points de vue respectifs des acteurs ici sur la qualité, mais aussi beaucoup d’autres choses. Le drame social du travail c’est le défaut de confrontation et régulation de ces lectures, points de vue. Je vais aller vite, car vous savez ça très bien. Il a été question de qualité, par exemple par rapport à la qualité prescrite, des certifications, de la qualité des produits, des poulets, de la qualité des services, des processus, de la qualité des régulations. Il a même été question d’ailleurs de labellisation de la qualité de prestation ergonomique. La qualité c’est aussi le travail bien fait. Le travail bien fait du point de vue des opérateurs n’ayant pas forcément le même point de vue sur l’affaire. Les règles de métiers constituent des repères pour penser la qualité au sens du travail bien fait. Au-delà de ça, il y a encore une question essentielle pour penser la qualité c’est le statut du travail comme valeur. En tout cas, il me semble que c’est dans l’activité que se déterminent les fins et les moyens, c’est dans l’activité qui est établi ce qui est désirable, ce qui est valorisable. Et c’est donc à travers elle et par elle que se manifeste ce à quoi chacun tient. Du même coup, quand la formation des valeurs, parce que la qualité ne tient pas seulement sur des discussions sur le process, sur le comment, mais elle tient aussi des discussions sur les finalités, les objectifs poursuivis. Donc quand la formation des valeurs est soustraite à l’analyse et aux controverses alors les courbes de buts ne sont plus débattues. J’ai cru voir dans vos échanges des conflits de buts, ou un certain nombre de conflits de valeurs. Il nous faut construire des environnements débattables, vous savez vous les ergonomes mieux dans ce domaine. Mais je voudrais m’arrêter ici sur une idée qui court, c’est que le travail de qualité au sens du travail bien fait, le travail dans lequel on puisse se reconnaître, est fondamental à la santé. Et avec cette formule, il n’y a pas de bien-être sans bien faire. Et je voudrais souligner, de mon point de vue, le paradoxe du travail bien fait. Il peut être source de santé, mais il peut être un risque pour la santé. Je voudrais citer Winnicott qui souligne que « vivre créativement est toujours plus important pour l’individu que bien faire ». Il semble que la santé ou la maladie se construisent moins dans des formes de reconnaissance de la conformité aux attentes ou aux normes sociales, de l’organisation du métier ou collectif de travail, que dans la capacité ou ces empêchements à créer de nouvelles normes. La santé se loge dans la créativité ou la normativité, plus que dans le travail que l’on fait et qu’on forme aux règles de métier, on est donc assuré d’avoir faire du « bon boulot », car aujourd’hui la mise en concurrence entre soi souci de soi et souci du travail bien fait est décuplée. À Laguiole par exemple, on peut aller jusqu’à s’y user la santé ou perdre un doigt. Donc du cœur à l’ouvrage oui, mais cela n’est pas suffisant. Je pense qu’il y a plein de situations que l’on connait, où l’on peut expérimenter que pour pouvoir continuer à mettre du sien dans le travail pour pouvoir préserver cet engagement subjectif qui est indispensable à la santé au travail, chacun va exposer sa santé en prenant sur soi au risque d’une montée de l’usure au travail. Il y a des symptômes

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montrant que nous sommes sur la corde raide et qu’on prend sur soi pour continuer à faire un travail de qualité. Si on parle de qualité de travail, on est obligé de parler de la Qualité de Vie au travail (QVT). Une formule disait que les discours sur la QVT sont comme l’orchestre sur le pont lors du naufrage du Titanic. On nous parle aujourd’hui beaucoup de QVT alors que globalement il y a de quoi être préoccupé dans le monde du travail. Maintenant, pour problématiser les choses en termes de QVT, cela permettrait de réarticuler la qualité du travail, mais aussi la question des engagements dans les autres domaines de vie (criminalité ou discrimination). Mon projet n’est pas d’être dans la déploration, de faire la part des choses entre les discours, les déclarations de l’intention, et la mesure des réalités que l’on note du côté du monde du travail (chômage, inaptitude …), cela serait plutôt la résistance en prenant au sérieux ce qu’ont rappelé François Daniellou et Serge Volkoff que le point d’appui est de détecter les formes de résistances développées par les opérateurs eux-mêmes, c'est-à-dire qu’une dirigeante est aussi un opérateur. L’expérience de la vulnérabilité (c'est-à-dire du réel comme limite, obstacle) est source d’une puissance inventive et créative insoupçonnée. Dans cette perspective toutes les interventions ont bien montré que les dispositifs qui favorisent l’individualisation des situations fabriquent de l’altérité. Les dispositifs mis en place pour mesurer, évaluer, corriger « l’inadaptation », « l’inaptitude », « l’inemployabilité », « les troubles psychosociaux » sont toujours exposés à l’ambiguïté de leurs objectifs comme des résultats obtenus. Cette ambiguïté a été résumée par une formule d’une « handicapée » et relevée par Claude Veil (1968) : « On essaie de liquider les gens qui posent des problèmes plutôt que les problèmes que les gens posent ». Cette phrase fait penser au chantier insertion/exclusion qui dépasse l’accompagnement des personnes « handicapées ». Une autre formule d’une personne ayant une sclérose en plaques et un cancer du sein dit : les handicapés sont des régulateurs d’humanité dans notre société. On n’est pas des robots ! Dans le monde du travail, il faut juste être efficace et rien d’autre. Ils ne voient pas comment on a été enrichi par la maladie ; ils ne voient que la fonction abimée, pas les autres. Quand on a été malade, on a une force supérieure à avant, une force de vie. Et on met plus d’humains dans nos relations, y compris dans les relations professionnelles. Les autres dénient, fuient, mais c’est faux bien sûr : ils ne sont pas invincibles. Il est temps d’humaniser le monde du travail ! » Dans cet appui sur les résistances, qui sont naturellement développées dans les processus de normativité, qui sont activés par l’expérience de la vulnérabilité. Le fil rouge ce serait celui de « donner forme humaine au travail » qui pourrait être un programme commun à l’ensemble des travailleurs et un vaste chantier. Il pourrait nous faire méditer sur les mondes du travail que nous fabriquons, par exemple de nos cabinets, avec par exemple, la dualité d’un ergonome qui manage un cabinet avec un groupe d’ergonome.

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Au sommaire des Journées précédentes

Les Journées de Bordeaux sur la pratique de l’Ergonomie se sont déroulées chaque année

depuis 1994, et ont chaque fois fait l’objet d’une publication. Les sommaires des Actes des années précédentes sont regroupés ci-après.

Les actes complets des précédentes années sont disponibles en version numérique sur notre

site internet : www.jdb-ergonomie.fr

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Journées 1994 « La Pratique de l'Ergonomie »

Avant-propos François Daniellou L'ergonome est-il un praticien ? François Daniellou La compréhension de l'activité des concepteurs : un enjeu essentiel Alain Garrigou La compréhension de l'activité des concepteurs Chantal Massip La conception architecturale : qui sont les concepteurs ? Élise Ledoux Les actions courtes en ergonomie Jacques Christol La prise en compte du travail humain dans la conception d'une ligne de fabrication. Les apports d'un diagnostic court à la SNPE Willy Vasse Le point de vue de l'ANACT sur l'intervention en temps contraint François Guérin Le diagnostic court Serge Deltor Les formations-actions Catherine Teiger La formation-action : quelle méthode pour une pratique de l'intervention ? Françoise Barthelot, Jacques Escouteloup, Christian Martin et Marie Wallet Formations-actions avec des militants syndicaux Francis Bourdon Ergonomie, organisation et analyse du travail des cadres Alain Wisner Quelques aspects du travail du chef de chantier du bâtiment Francis Six Organisation et travail de l'encadrement dans une industrie à risques François Daniellou et Gabriel Carballeda Questions d'éthique en ergonomie Philippe Davezies L'éthique sur le terrain Francis Dupont

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Journées 1995 « L'ergonome et les compromis »

Avant-propos François Daniellou L'ergonome et les compromis François Daniellou Les lésions périarticulaires : quelle intervention de l'ergonome ? - Ilkka Kuorinka Un cadre théorique et méthodologique d'intervention sur les LATR - Pascale Carayon Constats et éléments de discussion tirés d'une intervention relative aux TMS Catherine Elia Affections périarticulaires des membres supérieurs et conditions de travail : quel type d'intervention ? Pierre Franchi et Alain Jabès Diversité des positionnements, diversité de compromis : questions de choix, questions politiques ! - Bernard Mélier L'ergonomie et la conduite accompagnée de projet Nicole Falcetta Ergonomie et médecine du travail dans une grande entreprise : stratégie pour une grande appropriation par la production Rémy Le Trequesser et Jean Lhomme Unicité du positionnement, diversité des pratiques Jacques Duraffourg Entre politique et pratique Patrick Sagory Une méthode d'analyse spécifique comme support du développement de l'ergonomie Michel Sailly L'intervenant, l'enseignant-chercheur Christian Martin et Albert Ripon Entre travail et emploi : l'ergonomie défiée François Hubault Âge, condition de travail et emploi Antoine Laville et Serge Volkoff Ergonomie et réinsertion dans un collectif Jean-Marie Francescon Conception de situations de travail et handicap Alain Duffort et Jean-François Thibault Synthèse des journées François Daniellou

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Journées 1996 « La construction de l'intervention ergonomique »

Avant-propos François Daniellou La construction de l'intervention ergonomique François Daniellou Quelques réflexions limitées et discutables sur nos façons de pratiquer l'ergonomie Jacques Christol Intervention et conduite de projet : quels modes de régulation les ergonomes déploient-ils en action ? Marçal Jackson Les interventions sur le travail : "des résultats attendus aux effets" Bedra Bedr et Pierre Richard Les organisations syndicales et l'intervention Anne Flottes La construction psychosociale de l'intervention Albert Ripon La pratique de la construction en ergonomie : les hauts, les bas et les changements de manière de faire Dominique Le Borgne Réflexions sur la pratique : le stagiaire et le consultant Sylvain Biquand, Christelle Casse, Brice Labille et Ludovic Peltier Assistance à la maîtrise d'ouvrage : le positionnement des différents acteurs Jacques Escouteloup et Christian Martin Aménager les horaires sans changer les horaires : contradiction ou défi ? Yvon Quéinnec, Madeleine Bourdouxhe et Serge Guertin Comment une intervention se structure-t-elle dans le temps au cours d'un projet de conception architecturale à l'hôpital ? Françoise Barthelot et Marie Wallet Démarche de conception d'Interface homme-machine centrée utilisateur. Quand, avec qui et comment ? Annie Drouin Aspects temporels : contraintes et enjeux de la transformation Pierre Nahon Démarche en matière de santé Willy Vasse et Michel Berthet Synthèse des journées François Daniellou

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Journées 1997 « L'Ergonome, le Maître d'Ouvrage et la Maîtrise d'Œuvre »

Avant propos François Daniellou L’ergonome, le Maître d’Ouvrage et la Maîtrise d’œuvre François Daniellou De l’analyse des dysfonctionnements d’un atelier à un projet d’organisation d’un secteur industriel, la coopération ingénieur-ergonome Bernadette Bernadou et Eric Gillard Décrire l’organisation du travail, une assistance à la Maîtrise d’Ouvrage ? Gabriel Carballeda, Jean-François Thibault Les points d’entrée de l’ergonome, du sociotechnicien sur les projets Michel Guy La Maîtrise d’Ouvrage et les ergonomes aux premières phases d’un projet Pierre Etcheverry Expériences de la DACT, quelques principes pour une pratique d’intervention Henri Poinsignon Représentations, interprétations, confrontations : réalités de l’espace de travail. À propos de la conception d’un service d’urgences Dominique Tessier, Josette Guy, François Brivet et Marie Wallet La construction de l’équipe de Maîtrise d’Ouvrage. Le projet du C.H. Machecoul Marie-France Barreau et Jean-Paul Puyo Les différentes étapes de l’intégration de l’ergonomie dans les projets François Amzulesco Comprendre l’activité des ingénieurs de projet : un enjeu pour l’intervention précoce de l’ergonome Marie Bellemare et Alain Garrigou Méandres cognitifs des phases initiales de la conception Pierre Falzon et Françoise Darses Démarche qualité et ergonomie : organisation des relations contractuelles dans une grande entreprise Michel Naël Les interactions Maîtrise d’Ouvrage / Maîtrise d’Oeuvre : un processus permanent pendant le projet Christian Martin Synthèse des Journées Pierre Richard

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Journées 1998 « Participation, représentation,

décision dans l'intervention ergonomique » Avant-propos François Daniellou Participation, représentation, décisions dans l’intervention ergonomique François Daniellou La participation, problématique et exemples Matthieu de Nanteuil et Pascale Mercieca Participer : un partenariat avec ou sans confrontation sur le travail ? Frédérique Guillon Réflexion sur la pratique de l’expertise Pascal Josse et Rémy Jean Sanofi Ambares : histoire d’une nouvelle dynamique d’amélioration des conditions de travail privilégiant la dimension sociale Willy Vasse, Thierry Masson et Jean-Claude Bère Représentations - Participation des acteurs de l’intervention ergonomique Philippe Negroni, Jean-Baptiste Hervé et Pascal Étienne Les rencontres successives d’une section syndicale avec l’ergonomie Bernard Dugué et Jean Buet Des injonctions contradictoires à la reformulation des règles de fonctionnement : un exemple de participation des salariés Jacques Duraffourg et Tchibara Aletcheredji Reconnaître la participation pour comprendre les représentations Damien Cru De la participation des salariés à la décision des gestionnaires : de nouvelles représentations à construire Jocelyn Villeneuve Intervention ergonomique et organisation(s) du travail dans un projet de restructuration : le rôle de l’encadrement Christine Pigeyre et Jacques Escouteloup Les paradoxes de la participation dans les projets Christian Martin et Dominique Baradat Simulation et participation Pascal Béguin Synthèse des Journées. Yves Schwartz

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Journées 1999 « L’Ergonome et les compétences, les compétences de l’ergonome »

Avant-propos François Daniellou L’ergonome et les compétences, les compétences de l’ergonome François Daniellou et Sophie Aubert Cheminements d’un ergonome sur chantiers Francis Six Dans une pratique institutionnelle, l’ergonome est-il un problème, devient-il soluble ? Pierre Rabardel L’ergonome est la mission du service public. Michel Berthet Témoignage d’un CHSCT : les compétences des ergonomes en situation d’expertise. Jean-Mary Dany, Alain Le Carrour et Alain Rigaud Cinq ans de collaboration pour comprendre et se former à l’approche ergonomique. Jean-Louis Darzacq et Dominique Baradat Des théories implicites (et explicites) du changement chez les ergonomes français et québécois Geneviève Baril-Gingras Le prescrit de la formation face à la réalité de la pratique : les régulations de deux jeunes ergonomes Bénédicte Girard et Patrick Badets Conduite de projet et instruction des choix : un autre regard sur les compétences Élise Ledoux L’action de conception : un nouveau champ de compétences ? Henri Tiger et Alain Jeantet Enseignement, formation et construction des compétences des futurs ergonomes: acquisition d’un regard pour et par l’action Monique Noulin Eur. ERG., est-ce la reconnaissance d’une compétence ? François Hubault et Marie-Christine Le Port

Synthèse des Journées Yves Lichtenberger

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Journées 2000 « Les ergonomes, les prescripteurs et les prescriptions »

Avant-propos François Daniellou Les ergonomes, les prescripteurs et les prescriptions François Daniellou et Francis Six Crises et variété des rapports de prescription Armand Hatchuel Le management participatif comme prescription Aline Lewkowitch et Jean Schram La prescription interrogée par le prescrit Philippe Douillet Place de la prescription dans l’intervention de l’ergonome : à propos de quelques exemples Nicole Carlin L’ergonome et les prescripteurs de l’usage du temps Catherine Jonville et Claude Soulas Construction des connaissances et utilisation de procédures Catherine Sauvagnac L’ergonome peut aussi prescrire de l’ergonomie Thierry Roger La légitimité de la prescription dans les projets Jérôme Grall et Christian Martin La prescription, un objet intermédiaire Alain Garrigou, Philippe Dubuc et Jean-Louis Ferrière Agefiph – ergonomes : attentes, représentations et construction d’un partenariat Véronique Chapat et Jean-Paul Parisot L’Aract Aquitaine prescrit-elle ? Angelico Benetti, Dominique Baradat, Catherine Brun et Pascal Huguet Synthèse des Journées Pierre Falzon Le débat continue Prescription, des déterminants de l’activité au pouvoir de prescrire Marilyne Mallot Activité de prescription et processus de prise de décision Bernard Dugué Prescriptions, injonctions et pressions François Daniellou, Jérôme Grall, Christian Martin et Francis Six Et quelques autres réactions

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Journées 2001 « L’ergonome et les solutions »

L’ergonome et les solutions François Daniellou L’argumentation en ergonomie : l’accompagnement à la conduite de projet et la construction de solutions Jesùs Villena L’intervention anthropologique ou les dimensions culturelles des solutions Philippe Geslin Restructuration et précarité des solutions Alain Jabès Ergonomie des solutions ou solutions de l’ergonomie : intervenir dans les PME et les TPE Michel Viossat De l’action à l’évaluation : quels indicateurs ? Pierre Pavageau et Annie Touranchet De l’analyse aux résultats, les solutions, une affaire collective Dominique Baradat, Christian Letierce et Christian Martin Des solutions de l’ergonome aux compromis élaborés par les acteurs du changement : quelle place pour l’intervenant dans des processus d’innovation ? François Guérin En quoi la question des solutions pour l’entreprise guide-t-elle la construction de nos interventions ? L’exemple de deux diagnostics courts Cécile Petit et Florent Arnaud De l'ergonomie de problème à l'ergonomie de système : l’ergonome, un ingénieur comme les autres... Michel Mazeau Le rôle de l’ergonome dans la construction et l’évaluation de solutions : produire des exigences argumentées Florence Reuzeau Le pilote, l’ergonome et le GPS Chantal Tannière et Philippe Lautrou La solution en gestion : un concept porté disparu Jean-Claude Moisdon Synthèse des journées : quelques propos sur l'intervention ergonomique Guy Jobert

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Journées 2002 « Ergonome interne, ergonome externe,

les formes de l’engagement » Avant-propos François Daniellou Les formes de l’engagement, au pluriel François Daniellou et Christian Martin L'engagement, ses déterminants et ses effets Jacques Curie Engagement sur l’objet, neutralité de la posture : est-ce possible ? Serge Deltor Témoignage d’un consultant interne - Support au changement d’organisation et de pratique Michel Guy La mobilisation collective dans l'entreprise. Condition de l'engagement de l'ergonome externe : qu'on leur coupe le cou ! Fabien Coutarel, Bernard Dugué, François Daniellou, Etienne Menantaud De l’ergonomie parapluie à l’ergonome qui se mouille Laurent Pagnac À l’origine du sens de l’engagement : histoire(s) de l’ergonome ? » Frédérique Guillon Approche collective sur l’emploi et l’organisation du travail dans l’élevage laitier Catherine Brun Quelle lecture de notre métier d’ergonome souhaitons-nous de la part des acteurs d’un projet industriel : notre stratégie, notre positionnement, notre référentiel métier Bernadette Bernadou, Arnaud Courcelle Quels positionnements et engagements des ergonomes face au clivage MO/ME ? Didier Dubourg, Jacques Escouteloup De l'emploi partagé à une pratique partagée : l'expérience de la confrontation de pratiques Sabrina Mérin, Dominique Anouilh L’ergonomie n’est pas une solution, c’est une réponse : à quoi et en quoi l’ergonome s’engage-t-il ? François Hubault "Have I really made a difference? " Reflections on my first 25 years as an ergonomist. Or Evidence Based Ergonomics Peter Buckle S'engager à comprendre le travail Jacques Duraffourg

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Journées 2003 « 10 ans de pratiques de l’ergonomie : avons-nous beaucoup changé ? »

Ouverture des dixièmes journées de Bordeaux sur la pratique de l’ergonomie François Daniellou, Bernard Bégaud, Dominique Ducassou, Angelico Benetti Dix ans de pratiques de l’ergonomie : Avons-nous beaucoup changé ? François Daniellou L’évolution du travail depuis deux décennies : intensité et fragilité Serge Volkoff L’aménagement des situations de travail en faveur des travailleurs handicapés : un révélateur de l’évolution de la pratique Pierre Blanc Quelques explications relatives aux évolutions des actions et des métiers du Réseau ANACT, et quelques questions aux ergonomes François Guérin Expertises CHSCT : 10 années de pratique - Évolutions et Réflexions sur la mise en œuvre d’une démarche Raphaël Thaller, Pascal Josse et Philippe Bertannier Variations sur 10 ans de pratique professionnelle Véronique Poète Activité de service : le poids du dossier dans le processus de management « La construction de la décision par le bas » Jean-Michel Laxalt et Johann Petit Réflexion sur le cheminement et le devenir des ergonomes au Québec Nicole Vézina L’intervention du conseiller prévention, une pratique à l’interface d’une double commande Daniel Lavallée et René Brunet Conception et validation Facteur humain en milieu simulé Thomas Autier et Jullian Lopez Évolutions des recherches ergonomiques sur les activités de service Annie Weill-Fassina et Sandrine Caroly 1983 – 2003 : Retour sur 20 ans de pratique de l’ergonomie François Jeffroy L’ergonomie en Aquitaine : la rencontre de volontés individuelles et de besoins socio-économiques Angelico Benetti et Willy Vasse Synthèse des Journées sur la Pratique mars 2003 : « Avons-nous changé » ? Table ronde

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Journées 2004 « L’ergonome et la stratégie de l’entreprise »

Avant-propos - François Daniellou L’ergonome et la stratégie de l’entreprise - François Daniellou L’ergonome et le dirigeant - Jacques Christol Comment l’intervention de l’Aract peut contribuer à réinterroger la stratégie d’une entreprise ? - Francis Zilioli et Véronique Pilnière Agir sur le management et les politiques RH en s’appuyant sur l’analyse des situations de travail de personnes handicapées - Alain Lévénès L’ergonomie, une ressource pour quelle stratégie ? Jean-Paul Mauclaire et Bernard Mélier Projets de direction hospitalière et collaboration d’ergonomes Mireille Cazassus, Bedra Bedr, Pascale Freigneaux et Pierre Richard L’ergonomie inscrite dans la stratégie de l’entreprise : l’expérience du projet A380 Bernadette Bernadou, Julien Falgayrat et Guy Weissenbacher Les 35 heures en chantier : quand la direction décide de ne pas exclure les conditions de travail et la santé - Sandra Sablon et Jean-Claude Pastot Négociation collective et stratégies d’entreprise Bernard Dugué Le Schéma Directeur Général, un outil stratégique de référence Christian Martin Les ateliers Comment développer politique et prospection commerciales Animateur : Tchibara Aletcheredji Intervenants : Marie Christine Le Port, Damien Huyghe et Thierry Morlet Comment recrute-t-on un ergonome ? Animateur : Stéphane Denis Intervenants : Thierry Roger, Serge Deltor et Henri Fanchini. Fil Rouge L'ergonome et la stratégie de l'entreprise, un retour sur les trois journées de débats Johann Petit

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Journées 2005 « L’ergonome dans les collaborations multiprofessionnelles »

Ouverture - Dominique Baradat Ouverture du thème - L’ergonome dans les collaborations multiprofessionnelles François Daniellou, Brahim Mohammed-Brahim Clés pour des interventions multidisciplinaires réussies : l’expérience grecque Dimitris Nathanael De l’aménagement d’un poste de grattage de gésiers à la conception d’une nouvelle salle d’éviscération de canard gras par une approche pluridisciplinaire Patrick Campedel et Gabin Gindro L’ergonome et ses rencontres dans l’industrie automobile : l’apport de la connaissance des organisations à l’action en ergonomie - Véronique Godard Les coopérations en prévention dans le monde agricole - Franck Chabut et Claude Duverneix Mêlez-vous de ce qui vous regarde ! - Gérard Bouché Ergonomie et santé au travail, quels enjeux, quelles coopérations possibles ? Danièle Estève, Stéphane San Millan, Lucie Nouviale et Aurélie Tondoux Les approches pluridisciplinaires, en parler ou en faire - René Gamba Quels pouvoirs d’agir pour quels acteurs ergonomiques ? Pierre Rabardel Dimension collective de l’activité et instrumentation de gestion : un lien indissociable Philippe Lorino Fil Rouge Thomas Autier et Jullian Lopez Les ateliers Quelle est la place de l’écrit dans l’intervention ergonomique ? Faut-il laisser beaucoup de traces écrites ? L’écriture électronique a-t-elle des effets différents sur les acteurs des projets ? Animateur : Damien Huyghe Intervenants : Bruno Michel, Pierre Nahon, Jacques Escouteloup et Florence Susset Comment construire soi-même son propre poste, lorsque l’on arrive dans une structure peu habituée à disposer d’un ergonome ? Animateur : Brahim Mohammed-Brahim Intervenants : Cédrik Renault, Frédéric Darmon et Philippe Négroni

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Journées 2006 « La place de l'évaluation dans la pratique de l'ergonome »

Ouverture - Dominique Baradat La place de l’évaluation dans la pratique de l’ergonome - François Daniellou Évaluer pour améliorer : les principes à suivre pour mener des évaluations constructives et utiles Diane Berthelette L’évaluation au-delà des outils, une construction sociale pour la prévention Emmanuel Albert, Aurélie Landry et Isabelle Mary-Cheray De l’évaluation à la projection: agir dans un cycle continu pour améliorer les conditions de travail Cyril Bourgeois et Thierry Lemoine Quand l'exploitant est intégré à la conception, quel regard porte-t-il sur l'action de l'ergonome ? Jérôme Grall et Henri Rachou L’évaluation ou comment appréhender les décalages entre Objectifs et Résultats Sébastien Arnaud L’évaluation de l’ergonomie dans les programmes architecturaux par et à travers les jurys de concours Jean-Luc Reinero Déterminer la valeur et l'importance d'une intervention : l'ergonome confronté encore à la mesure, à la subjectivité et à la finalité de son action Fabrice Bourgeois L’évaluation comme porte d’entrée de l’ergonome dans le champ du produit : 12 ans de pratique au travers de 4 exemples Damien Huyghe et Stéphane Denis Essai d’évaluation d’une formation à l’ergonomie sur les pratiques professionnelles des préventeurs Michel Duwelz et Jean-Jacques Verdebout Fil rouge : La place de l’évaluation dans la pratique de l’ergonome - Pierre Falzon Les ateliers : La pratique en pratique Accueil des jeunes ergonomes dans le cabinet Animateur : Jacques Escouteloup Intervenants : Jacques Duraffourg, Eric Hermann et Chantal Tannière Collaboration ergonomes interne / externe Animateur : Jean-François Thibault Intervenants : Jean Schram, Irène Rousselot, Anne Grunstein et Sonia Sutter NB : Rachid Salmi n’a pas souhaité que sa communication orale soit publiée ici, car elle s’appuie sur des travaux à paraître par ailleurs.

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Journées 2007 « Quand l'ergonome fait travailler les autres est-ce de l'ergonomie ? »

Quand l’ergonome fait travailler les autres, est-ce de l’ergonomie ? François Daniellou et Christian Martin Ni avec toi ni sans toi : joies et frustrations dans les pratiques métissées de l’ergonomie Jesús Villena-Lopez Faire travailler les autres ? Le cas des expertises CHSCT sur la souffrance au travail Solange Lapeyrière et René Gambin Quelles modalités d’action de l’ergonome sur un projet architectural de huit ans, bilan et perspectives. Jérôme Grall et Nadine Soubrier Les formes de mobilisation d’autrui dans l’intervention ergonomique et leurs enjeux. Sous-traitance, délégation, partage ? Tchibara Aletcheredji De l’implication des acteurs dans l’intervention à des questions de recherche sur la pratique en ergonomie Sandrine Caroly Les directeurs des opérateurs comme les autres Dominique Baradat, Véronique Carrère et Laurent Égal L’intervention outillée : témoin d’un passage à témoin Pierre Etcheverry et Christian Martin Histoires de réseaux en ergonomie : Comment tisser sa toile ? Arnaud Tran Van, Yannick Grasser, Alexis Pallot et Willy Vasse Retours sur une expérience de recherche-action sur l’intensification du travail Bernard Dugué et Jean-Francis Lacombe Positionner les conditions de travail dans un projet sous fortes contraintes : la mise en place de tableaux de bord Pascale Bossard et Romain Chevallet L’animation des groupes et la transmission du savoir des ergonomes Pierre Nahon Fil Rouge Thierry Morlet

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Journées 2008 « Diversité des domaines d’intervention, nouvelles pratiques de l’ergonomie :

Qu’avons-nous encore en commun ? » Ouverture des Journées de Bordeaux Jean-François Thibault Diversité des domaines d’intervention, nouvelles pratiques de l’ergonomie, qu’avons-nous encore en commun ? François Daniellou Différentes fonctions, différents champs : quelle influence de l’ergonomie ? René Amalberti À la rencontre de l’Interaction homme-machine. Quid de nos pratiques et de notre positionnement Annie Drouin Ma pratique de consultante en ergonomie Catherine Servignat Variations autour de la pratique de l’expertise CHSCT Philippe Buet, Eloïse Galioot De l’angoisse à la méthode ou le nécessaire équilibre entre nature et fonction pour l’ergonome en service de santé au travail Olivier Lhospital, Isabelle Bidegain, Caroline Mange Les salles de contrôles, pratique ergonomique et développement Raymond Lu Cong Sang Ergonomes-chargés de mission : l’objet travail n’est-il pas en train de nous échapper ? Bertrand Poète Intervenir en maintien dans l’emploi : une démarche commune dans un contexte particulier ? Mélanie Sapet Comment développer l’ergonomie dans un groupe industriel international quand simultanément le métier se construit ? Claude Dornic Le métier de contrôleur sécurité au service prévention de la CRAM Aquitaine Nicolas Bourdonneau Intervention ergonomique et recherche interactive Jörgen Eklund Piloter le département santé travail de l'ANACT : en quoi l'ergonomie est une ressource ? Jack Bernon Diversité des domaines d’intervention, nouvelles pratiques de l’ergonomie : Qu’avons-nous encore en commun ? Laurent van Belleghem

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Journées 2009 « L’ergonome et les débats sur la performance de l’entreprise »

L’ergonome et les débats sur la performance de l’entreprise François Daniellou Conditions de travail et performance Jean-François Thibault Le personnel soignant à l’épreuve de la performance dans un service de gérontologie Corinne Gaudart L’action syndicale face aux indicateurs de performance de l’entreprise : exemple dans le secteur de l’automobile Karine Chassaing, Serge Dufour Travail, organisation et performance dans les structures des services à la personne Frédéric Dumalin Performance et santé : l’équation est-elle possible ? Questions d’une jeune ergonome engagée dans ses premières interventions Dorothée Aucher Intégrer ou pas une démarche Lean : quels enjeux pour la santé ? Isabelle Jay L’influence sur la performance de l’entreprise : quelles marges de manœuvre pour l’ergonome en SST ? Cyril Leboucher, Stéphane Porot Atelier « La pratique en pratique » Trois expériences d’ergonomes relatives à la performance Jérôme Grall, Bernard Mélier, Sophie Aubert, Thierry Morlet Ergonomie Interne et Performance de l’entreprise. Exemple du Lean Manufacturing Alexandre Morais Économie de service, économie immatérielle, économie de la fonctionnalité, des raisons qui recentrent la performance sur le travail. François Hubault Pertinence et efficacité de l’apport de l’analyse ergonomique en temps de crise Bruno Michel Fil rouge Pascal Lièvre

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Journées 2010 « L’ergonome et les gestionnaires des ressources humaines :

Intervenir pour prévenir les risques du travail »

L’ergonome et les gestionnaires de ressources humaines : intervenir pour prévenir les risques du travail François Daniellou Contribuer à la réflexion sur des actions de prévention et de formation nationales à partir d’une intervention locale : le cas de l’horticulture Corinne Agostini, Valérie Pueyo Conception d’un système de formation : D’une expérience locale à l’inscription dans un projet d’industrialisation Bernadette Bernadou, Marie-Pierre Poulossier Carrières des ergonomes, regard décroisé d'un responsable RH et d'un ergonome Damien Huygue De l’ergonomie à la gestion du travail : une démarche précoce pour prévenir les situations de handicap au travail Florence Gautronneau, Samuel Libgot La contribution de l’ergonome aux simulations organisationnelles : exemple dans une entreprise de pétrochimie Ivan Boissières, Alain Garrigou Quand les Ressources humaines rencontrent l'ergonomie pour se mettre au service de la prévention Cécile Gatard De la maladie du travail à la maladie au travail : témoignage Dominique Baradat, Patrick Leclerq Quand la prévention de l’usure professionnelle réinterroge des dispositifs de DRH Daniel Depoisier Ne dites pas à ma mère que je suis Ergonome en formation, elle me croit toujours DRH Christine Denis-Lutard, Alain Lévénès Du raisin au vin : quelle place pour la prévention dans un projet de conception ? Joffrey Beaujouan, Sophie Poulalion Fil rouge Serge Volkoff La pratique en pratique « Revenir après l’intervention » Animation : Sophie Aubert Intervenants : Vincent Guilloux, Aude Jonville, Pierre Richard

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Journées 2011

« L’intervention de l’ergonome sur les nouvelles organisations : Enjeux de santé et de performances »

Introduction du thème : L’intervention de l’ergonome sur les nouvelles organisations : Enjeux de santé et de performances François Daniellou, Sophie Aubert-Blanc

Le rôle des consultants dans la diffusion des transformations organisationnelles Valérie Boussard

Logistique rationalisée à l’hôpital : l’homme facteur de risque ou facteur de gain ? Chantal Tannière, Pascal Fourrier

Le Lean et les Lean : marges de manœuvre de l'ergonome et conséquences sur les conditions de travail des opérateurs Laurence Bellies, Willy Buchmann

Quand le Lean rencontre l’ergonomie… L’exemple de Coloplast Xavier Merlin, Jean-Yves Dauba

Comprendre le lean pour l’appliquer ? L’expérience d’une ergonomie-formatrice lean Émilie Marc

Lean Management : avec ou sans modèle du fonctionnement humain ? Bernard Michez

Le lean et l’anguille : comment cuisiner le lean ? Emmanuelle Florence

Accompagnement d’un test de préparation des commandes par reconnaissance vocale dans une base logistique de la grande distribution Thierry Pradère

Nouvelles organisations et vieilles recettes tayloriennes Bernard Dugué, Johann Petit

Les évolutions organisationnelles dans les universités françaises : quelles conséquences pour l’enseignement et la recherche en ergonomie ? Fabien Coutarel, François Daniellou

Atelier sur la pratique « Savoir dire non et pouvoir le dire … une problématique de praticien » Animateur : Thierry Morlet

Participants : Chrystel Plenet, Arnaud Désarménien, Yves Mémeteau

Fil Rouge Fabrice Bourgeois

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Journées 2012

« L’ergonome et la pénibilité du travail »

Introduction des 19e Journées de Bordeaux sur la pratique de l’ergonomie L’ergonome et la pénibilité du travail François Daniellou La prise en compte de la pénibilité au travail : définition, compensation et prévention Annie Jolivet Négociation et confrontation au réel en matière de pénibilité Xavier Haubry Loi sur la pénibilité : un levier pour l’ergonome dans la mise en place d’une politique d’amélioration des conditions de travail chez Servair Stéphane Gillot De la pénibilité à la prévention de l’usure professionnelle Jean-François Thibault et Ludovic Bugand Réduire la pénibilité en mutualisant le travail, les équipements, les compétences et le revenu Maryline Mallot et Pierre Lafragette Des simulations pour comprendre comment se fabrique la pénibilité Sandrine Nahon et Eric Fortineau Prévention intégrée à la conception en pôle Urgences Marjorie Vonwyl « Là où l'ergonome passe la pénibilité trépasse ? » Accompagnement d'une entreprise du secteur agroalimentaire sur les questions de pénibilité Jean-Baptiste Lépy et Didier Boudy Quels enseignements tirer d’une démarche sur les risques psychosociaux pour réfléchir à l’application du décret sur la pénibilité ? Le cas d’une grande entreprise de distribution Véronique Poète Comment une intervention ergonomique dans le secteur du BTP contribue à rendre lisible la pénibilité tant du point de vue juridique que normatif ? Jean-Luc Reinero Usure et ressenti : une expérimentation de prévention en Santé au travail Dr Alain Carbonne-Blanqui, David Habatjou et Thierry Paravis Atelier La pratique en pratique : Entendre, comprendre et traiter les demandes en matière de pénibilité : quelle posture des ergonomes ? Christian Revest, Pascale Bossard et Stéphane Lauret Animé par Thierry Morlet et Jérôme Grall

Les ergonomes et la pénibilité du travail : quels enseignements retirer de ces trois jours ? Joffrey Beaujouan et Samuel Le Gal

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Journées 2013

« Nouveaux enjeux de la pratique professionnelle des ergonomes »

Introduction des 20e Journées de Bordeaux sur la pratique de l’ergonomie Nouveaux enjeux de la pratique professionnelle des ergonomes Sophie Aubert et Johann Petit Prospectives des systèmes de production. Quels enjeux pour l’ergonomie ? Sandrine Caroly Agir sur la santé à l’échelle d’une branche professionnelle Betty Vadeboin, Sébastien Arnaud, Jérôme Grall et Michel Plassart 50 ans de la SELF : retour prospectif sur des débats toujours d’actualité François Hubault Agir sur un territoire viticole - Les apports de l’ergonomie Laurence Vergneaux, Xavier Merlin et Séverine Curaudeau-Camus L’intervention ergonomique au service de la construction d’une politique régionale de prévention dans le secteur du spectacle vivant, cinéma et audiovisuel Catherine Pinatel Quand nos échecs construisent nos réussites Thierry Morlet Table ronde : la pratique en débat Les enjeux du développement de l’ergonomie à l’international dans les grandes entreprises Pierre Olivier, Alexandre Morais et Arnaud Courcelle Le client m’a dit « mais qu’est-ce que le risque chimique a à voir avec l’activité de travail ? » Je vais vous dire ce que je lui ai répondu et ce qu’il en a conclu Brahim Mohamed-Brahim De l’injonction de sécurité à la recherche d’effectivité : comment changer les logiques managériales et infléchir les processus de décision ? Hervé Lanouzière Ergonomie et Développement Durable Francisco Duarte Fil rouge François Daniellou

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Journées 2014

« L’ergonome et le travail des managers » Introduction aux 21e Journées de Bordeaux sur la pratique de l’ergonomie : L’ergonome et le travail des managers François Daniellou, Karine Chassaing, Bernard Claverie Dirigeant et encadrant : de la « boîte à outils » managériale à la construction collective de projets Frederik Mispelblom Beyer Manager de terrain : acteur d’une régulation impossible Emmanuel Pasquier Témoignage d’un cadre supérieur paramédical : Manager ou gestionnaire de contraintes ? Françoise Duclaud, Olivier Lhospital Quand la Petite Enfance découvre l’ergonomie : un double investissement sur l’humain Thierry Morlet, Claire Topen Les managers : des opérateurs stratégiques, un premier contact stratégique Dominique Baradat, Philippe Capdeviellle Ergonomes et responsables des ressources humaines dans la conduite d’une démarche de prévention de la pénibilité : L’exemple d’Arkema Loïc Grosdemouge, Dominique Massoni Une fenêtre sur le travail : « La place des cadres et des managers dans nos interventions » Solange Lapeyrière, Damien Cru « La construction d’un projet de service : subtil maillage entre instruction et décision » Jacques Escouteloup, Bernard Lattes Ergonomes et managers : contrat ou partenariat ? Bernard Heldt De l’utilité de la formation de l’encadrement à l’observation du travail ? Yann Guillerm Formation action de managers à la sécurité Vanina Mollo, Nicolas Touché La démarche du conseiller en prévention pour sensibiliser l’acteur dirigeant : comment cultiver les liens santé-travail ? Marc Viel Fil Rouge : L’ergonome et le travail des managers Mathieu Detchessahar

Actes de Journées de Bordeaux Sur la Pratique de l’Ergonomie Mars 2015

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Version numérique des Actes

des Journées de Bordeaux sur la pratique de l’ergonomie 2015 Disponible en ligne gratuitement sur www.jdb-ergonomie.fr

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Aucune utilisation commerciale n’est permise.

Bordeaux, mars 2016

Travail de qualité, emploi durable, performance globale

En ce temps de crise et de tensions dans les organisations, comment la compréhension et la prise en compte du travail, proposées par les ergonomes, peuvent-elles contribuer à une structuration de l’emploi favorisant :

• le développement des compétences et la prévention des exclusions ;

• le travail de qualité, l’innovation et la compétitivité des entreprises ?

Le point de vue du travail peut éclairer de nombreuses dimensions du recrutement et de la gestion de l’emploi :

• la gestion des âges et des compétences, les parcours d’intégration ;

• l’emploi des femmes et des hommes ;

• la précarisation de l’emploi, la mobilité (notamment le télétravail) et la gestion des parcours professionnels fractionnés ou découpés (« coworking ») ;

• l’émergence de nouveaux métiers, de nouvelles formes et fonctions d’encadrement ;

• la prévention collective des situations de handicap et de l’exclusion ;

• la recherche de formes organisationnelles favorisant le développement des personnes.

Réunis pour les 22e Journées de Bordeaux, les ergonomes ont échangé sur leurs pratiques et ont débattu des succès, écueils et échecs d’interventions portant sur ces questions.