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Pierre JACQUET, Rajendra K. PACHAURI et Laurence TUBIANA (dir.) Développement, alimentation, environnement : changer l’agriculture ? 2012 Dossier

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Page 1: 2012 - Regards sur la Terreregardssurlaterre.com/sites/default/files/rst/2012-12-FR.pdf · 2012 Regards sur la Terre 25,40 € Prix TTC France 6951305 ISBN : 978-2-200-27528-0 ...

Regards sur la Terre décrypte la complexité des processus qui composent le développe-ment durable et en révèle toute la richesse.

La première partie dresse le bilan de l’année 2011 : retour sur les dates qui ont marqué l’avancée des connaissances et la construction de l’action dans les domaines du climat, de la biodiversité, des ressources naturelles, de la gouvernance, de l’énergie, de la santé ou du développement ; analyse des événements clés et des tendances émergentes, identifi cation des acteurs majeurs, des enjeux et des perspectives.

Le Dossier 2012 interroge l’un des enjeux majeurs de nos sociétés contemporaines : l’agri-culture. Longtemps restée écartée des politiques de développement, celle-ci fait un retour en force sur le devant de la scène internationale. Mais si l’évidence d’un besoin d’investissements massifs dans le secteur agricole est aujourd’hui reconnue, d’im-portantes controverses demeurent. L’agriculture peut-elle être un moteur du déve-loppement ? Peut-elle assurer la sécurité alimentaire d’une population mondiale qui vient de franchir le cap des 7 milliards d’individus ? Comment concilier la produc-tion agricole avec les exigences du développement durable ? Un nouveau modèle doit-il être inventé ? Entre intérêt récent des investisseurs, débat sur les modèles de productions inscrits dans des réalités physiques, climatiques, environnementales et sociales et réflexion sur nos modes de consommation et d’alimentation, l’agri-culture, qui cristallise tant les espoirs que les résistances à la mondialisation, est aujourd’hui plus que jamais un enjeu de gouvernance mondiale.

Fruit d’une coopération entre l’AFD (Agence française de développement), l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales) et le TERI (The Energy and Resources Institute), Regards sur la Terre constitue un outil d’information et de compréhension indispensable.

Pierre JACQUET, Rajendra K. PACHAURI et Laurence TUBIANA (dir.)

Développement, alimentation, environnement : changer l’agriculture ?

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25,40 € Prix TTC France6951305ISBN : 978-2-200-27528-0

Établissement public, l’Agence française de développe-ment (AFD) agit depuis soixante-dix ans pour combattre la pauvreté et favoriser le développement dans les pays du Sud et dans l’outre-mer. Elle met en œuvre la politique définie par le gouvernement français. Présente

sur le terrain dans plus de 50 pays et dans 9 départements et collectivités d’outre-mer, l’AFD finance et accompagne des projets qui améliorent les conditions de vie des populations, soutiennent la croissance économique et protègent la planète : scolarisation, santé maternelle, appui aux agri-culteurs et aux petites entreprises, adduction d’eau, préservation de la forêt tropicale, lutte contre le réchauffement climatique… En 2010, l’AFD a consacré plus de 6,8 milliards d’euros au financement d’actions dans les pays en développement et en faveur de l’outre-mer. Ils contribueront notamment à la scolarisation de 13 millions d’enfants, l’amélioration de l’approvisionnement en eau potable pour 33 millions de personnes et l’octroi de microcrédits bénéficiant à un peu plus de 700 000 personnes. Les projets d’efficacité énergétique sur la même année permettront d’économiser près de 5 millions de tonnes de CO2 par an. www.afd.fr

Institut de recherche sur les politiques, l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) a pour objectif d’élaborer et de partager des clés d’analyse et de compréhension des enjeux stratégiques

du développement durable dans une perspective mondiale. Face aux défis majeurs que représentent le changement climatique et l’érosion de la biodiversité, l’Iddri accompagne les différents acteurs dans la réflexion sur la gouvernance mondiale et participe aux travaux sur la redéfinition des trajectoires de développement. Ses travaux sont structurés transver-salement autour de cinq programmes thématiques : gouvernance, climat, biodiversité, fabrique urbaine et agriculture. www.iddri.org

The Energy and Resources Institute (TERI) est une organisation non gouvernementale indienne créée en 1974 pour développer des solutions innovantes afin de traiter les enjeux du développement durable, de

l’environnement, de l’efficacité énergétique et de la gestion des ressources naturelles. Ses diverses activités vont de la formulation de stratégies locales et nationales jusqu’à la proposition de politiques globales sur les enjeux énergétiques et environnementaux. Basé à Delhi, l’Institut est doté de plusieurs antennes régionales sur le territoire indien. www.teriin.org

Pierre JACQUET, ingénieur des Ponts, des eaux et forêts et membre du Cercle des économistes, est chef écono-miste de l’Agence française de développement (AFD). Il est aussi président du département d’économie, gestion, finances et professeur d’économie internatio-nale à l’École des Ponts-ParisTech. Il est notamment administrateur de l’Institut français des relations inter-

nationales (IFRI), de l’Institut de la gestion déléguée (IGD) et de Proparco. Il a appartenu entre 1997 et 2006 au Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre. Il écrit une chronique mensuelle sur les acteurs du développement dans Le Monde de l’économie.

Laurence TUBIANA, économiste, a fondé et dirige l’Ins-titut du développement durable et des relations inter-nationales (Iddri) et la chaire Développement durable de Sciences Po. Elle est professeur au sein de l’École des affaires internationales de Sciences Po. Chargée de mission puis conseillère auprès du Premier ministre sur les questions de l’environnement de 1997 à 2002, elle a

été directrice des biens publics mondiaux au ministère des Affaires étran-gères et européennes. Elle est membre de divers conseils d’universités et de centres de recherches internationaux (Coopération internationale en recherche agronomique pour le développement – Cirad, Earth Institute at Columbia University, Oxford Martin School). Elle est également membre de l’India Council for Sustainable Development et du China Council for International Cooperation on Environment and Development et du Conseil d’orientation stratégique de l’Institute for Advanced Sustainability Studies e.V. (Potsdam, Allemagne).

Rajendra Kumar PACHAURI est docteur en génie industriel et en économie. Il est actuellement le directeur général de The Energy and Resources Institute (TERI) basé à Delhi (Inde). Depuis 2002, il préside le Groupe intergou-vernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) qui a obtenu le prix Nobel de la paix en 2007.

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La sécurité alimentaire, au même titre que le changement climatique ou que la crise économique actuelle, est une question systémique rendant nécessaire une coordination globale. Assurer la sécurité alimentaire pour tous nécessite de réinvestir en agriculture, mais ces investissements doivent être fondés sur le développement durable et la bonne gouvernance.

L’agriculture dans le contexte mondialLa hausse des prix des matières premières de 2008-2009 a remis au sommet de l’agenda international la question de la sécurité alimen-taire. Depuis la fi n des années 1990, celle-ci était présentée comme une question essentiel-lement nationale, le marché mondial devant assurer les ajustements globaux entre l’offre et la demande. Depuis, cette question natio-nale est devenue un problème international exigeant des solutions coordonnées.

Le retour de l’agriculture en tant qu’enjeu mondialQuand les marchés mondiaux des matières premières alimentaires ont fl ambé en 2008, principalement en raison de la demande accrue des pays en développement, mais aussi à cause de la concurrence dans l’utilisation des ressources avec la production de biocarburants de première génération [Godfray, 2010], un certain nombre d’experts ont suggéré que la fl ambée des prix alimentaires annonçait une

période de hausse et d’augmentation de la volatilité de ces prix, les marchés des produits agricoles devenant de plus en plus intercon-nectés avec les marchés fi nanciers. Cette crise n’était pas considérée comme conjoncturelle, mais comme une préfi guration de nouvelles tendances majeures. En effet, contrairement à ce qui s’était passé pour les grandes crises anté-rieures liées aux marchés, notamment celles de 1951 et de 1974, le repli des cours, qui a été très brutal en raison de la crise économique mondiale, n’a été que de courte durée. Les prix des matières premières (en particulier agri-coles) ont recommencé à croître dès la fi n 2010 et sont restés soumis à une volatilité impor-tante. Cette hausse des prix a provoqué des « émeutes de la faim » dans un certain nombre de pays tout autour du monde, ouvrant une période d’instabilité politique et augmentant le nombre de personnes souffrant de la faim et de malnutrition au niveau mondial.

Les pays ont réagi à cette hausse des prix en essayant d’isoler les marchés locaux de

Laurence TUBIANA, Iddri Noura BAKKOUR, Institut du développement durable et des relations internationales, France

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Chapitre 1Agriculture et sécurité alimentaire : prendre la mesure d’un défi global

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l’instabilité internationale, parfois par la restriction des exportations pour donner la préférence aux consommateurs locaux, renforçant ainsi les tensions sur les marchés mondiaux. La sécurité alimentaire n’était plus une question nationale, mais une crise alimen-taire mondiale présente sur l’agenda de chaque gouvernement.

Cette mondialisation de  facto de la crise alimentaire s’est traduite sur la scène poli-tique. L’ordre du jour du G8 et du G20 inclut cette question depuis 2008 : la présidence française en a même fait un point important des résolutions de novembre 2011 en créant un Partenariat mondial pour l’agriculture, l’ali-mentation et la nutrition. Le secrétaire général des Nations unies, quant à lui, a pris plusieurs initiatives dont la création de la High Level

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Source : Banque mondiale.1000 50

Part de l'agriculture dans le PIB en 2007Part de la population activedans l’agriculture en 2008

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Part moyenne de l'agriculturedans le PIB par région

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Ce qu’on sait de la faim

Les médias retiennent généralement, comme une barrière symbolique, le chiffre d’un milliard de personnes souffrant de la faim. Si la méthode utilisée par la FAO pour calculer ce chiffre est aujourd’hui discutée, on sait que le chiffre absolu de la population sous-alimentée reste supérieur au premier des huit objectifs du Millénaire pour le développement – diviser par deux la proportion de la population souffrant de la faim entre 1990 et 2015. On peut néanmoins saluer les efforts faits pour éviter que la part de la population sous-alimentée augmente au même rythme que la population mondiale totale, avec des enjeux propres à chaque région : malgré la révolution verte, beaucoup de pauvres en Asie souffrent encore de la faim ; en Amérique latine, des programmes spéci-fiques semblent avoir porté leurs fruits ; en Afrique, l’enjeu reste avant tout démographique ; dans les pays développés, la croissance d’inégalités génère des situations de sous-alimentation mal référencées dans les statistiques globales.

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Task Force on Food Security et la nomination d’un représentant spécial. Enfi n, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agri-culture (Food and Agriculture Organization, FAO) a engagé une réforme et une relance de son Comité de la sécurité alimentaire 1.

Cette crise est venue s’ajouter à d’autres préoccupations plus structurelles, notamment la capacité de réponse des agricultures mondiales à la demande à moyen et long terme, la baisse de l’aide publique au développement et des fonds nationaux dédiés à l’agriculture, l’impact du changement climatique, la situation des exclus de la mondialisation et du « milliard d’en bas » que constituent les plus pauvres et la non-durabi-lité des modèles de consommation alimentaire.

1. Pour plus de détails, voir p. 343-345.

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Ce panorama forme un ensemble d’éléments convergents qui font aujourd’hui de la sécurité alimentaire un problème global au même titre que les problèmes d’environnement ou d’insta-bilité des marchés fi nanciers.

La transformation de l’agriculture dans tous les pays développés, émergents et en développement est une des conditions de la sortie de cette crise systémique. Elle peut jouer un rôle clé dans la réduction de la pauvreté et des inégalités à travers le développement des zones rurales et le soutien aux plus petits producteurs. De nombreux travaux ont montré l’impact positif de la réduction des inégalités sur la croissance économique. Or, le dévelop-pement de l’agriculture et des zones rurales est une composante effi cace de la réduction des inégalités non seulement parce qu’elle est, en tant que telle, une base matérielle de vie et la source de sécurité alimentaire pour une part considérable de la population mondiale, mais aussi parce qu’elle produit des impacts structurels positifs sur le capital humain, la santé et l’éducation. Elle reste un moteur de la croissance économique, même dans les pays développés, comme le montre le cas de l’Irlande éprouvée par la crise fi nancière et qui se relance à travers ses exportations agricoles.

Mais la relance de la production agricole, qui a historiquement largement bénéfi cié aux consommateurs à travers la baisse des prix, doit se penser aujourd’hui dans un contexte nouveau, en dehors du cadre de la révolution verte : celui de l’enveloppe globale des res-sources naturelles et de la maîtrise des impacts de la production sur l’environnement.

Certes, ces ressources – eau, terres arables, minéraux et plus globalement fertilité des sols – ne sont pas rares ou en voie d’épuise-ment partout. Certaines sont renouvelables dans la mesure où les pratiques humaines en font un usage raisonné. Mais le constat global est le même : une utilisation plus intensive des ressources naturelles n’est pas durable pour faire face à la demande croissante de produits alimentaires, même si de nombreuses incerti-tudes demeurent sur les évolutions complexes des écosystèmes et la durabilité des modes de production alternatifs.

Que recouvre la notion de sécurité alimentaire ?Le fait que la sécurité alimentaire devienne une question globale ne signifi e pas qu’une action internationale coordonnée puisse faci-lement être entreprise car les visions de cette sécurité ne se recouvrent pas nécessairement.

La sécurité alimentaire dispose d’une défi ni-tion « canonique » adoptée au Sommet mon-dial de l’alimentation de 1996 et confi rmée en 2002 : « La sécurité alimentaire est concrétisée lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffi sante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active. »

En fait, la sécurité alimentaire est une notion à multiples facettes. Au moins quatre dimensions, parfois complémentaires, parfois dissociées, sont présentes dans les discussions internatio-nales : la question de l’auto-approvisionnement en biens de base (self-suffi ciency), question parti-culièrement sensible pour les pays lourdement dépendants des importations de produits de base étant en état d’insécurité alimentaire en temps de pénurie mondiale ; la question de la malnutrition et de la faim, à la fois structurelle (les couches les plus défavorisées des popula-tions urbaines et rurales dans les pays pauvres, émergents ou développés) et conjoncturelle ou spécifi que (les situations d’États en faillite, de guerre civile, d’accidents climatiques et de production) (food  security) ; la dimension de sécurité alimentaire (food  safety) ; et enfi n la qualité nutritionnelle des aliments, leur spéci-fi cité culturelle et alimentaire dans des espaces donnés.

De ces quatre dimensions, ce sont les deux premières qui font plus souvent l’objet du débat international et de l’intervention politique ; les deux dernières, qui impliquent des acteurs différents, ne doivent cependant pas être oubliées tant les questions de malnutrition et de mauvaise qualité des aliments transformés prennent aujourd’hui de l’importance.

Cette diversité des approches explique l’accent mis sur des modes d’action différents selon les institutions et acteurs qui les portent.

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La vision fondée sur la question de la dis-ponibilité et donc de la production agricole – condition nécessaire, mais non suffi sante, puisqu’il reste à garantir l’accès à cette pro-duction – est principalement défendue par la FAO et les institutions de la recherche agricole mondiale, créées dans le sillage de la révolu-tion verte.

Une vision alternative fondée sur la notion de droit à l’alimentation liée à la Déclaration universelle de 1948, puis le développement des droits économiques et sociaux, est portée par les Nations unies et un nombre croissant d’ONG. Certains pays, notamment l’Inde et le Brésil, l’ont traduite dans leur droit national 2. La sécurité alimentaire, vue comme la lutte

2. Cette vision est développée par Olivier De Schutter dans le cha-pitre 15.

contre la faim et la malnutrition, un des objectifs du Millénaire, fait partie intégrante des politiques de réduction de la pauvreté. Ce point de vue prévaut au sein des agences de développement des Nations unies, et en tout premier lieu la Banque mondiale, une forte corrélation étant observée entre la faim et le développement. Le Rapport 2008 sur le déve-loppement mondial [Banque mondiale, 2007] a été le premier à accorder de l’importance à l’agriculture en vingt ans, identifi ant une « décennie de négligence de l’agriculture ».

Mais la sécurité alimentaire a aussi été partie prenante du débat sur la libéralisation des échanges agricoles et les interventions des politiques publiques sur les marchés. Ce débat n’est pas clos, même si avec la paralysie des négociations commerciales à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), il a été mis

Au xxe siècle, le discours rela-tif aux politiques alimentaires tournait essentiellement autour de la faim et des problèmes de disponibilité alimentaire dans le monde en développement. De réelles avancées ont été faites dans les domaines du transfert de la recherche, du développe-ment et de la technologie entre les années 1940 et 1970, qui ont augmenté la production agri-cole à travers le monde. Ces pro-grès ont été mesurés en termes d’approvisionnement à moindre coût de plus de nourriture pour plus de personnes. Les augmen-tations de la production agri-cole favorisées par la révolu-tion verte sont souvent créditées d’avoir contribué à éviter une famine généralisée, et d’avoir permis de nourrir des milliards de personnes. Alors que l’impact de la révolution verte a été signi-ficatif en Asie (principalement pour les petits exploitants et

les consommateurs) et en Amé-rique latine (surtout pour l’agri-culture à plus grande échelle), il a été relativement faible en Afrique, non pas parce que le taux de production n’a pas aug-menté, mais parce qu’il n’a pas pu suivre le taux de croissance de la population. Ainsi, alors que la révolution verte a cer-tainement apporté un éclairage utile et mérite incontestable-ment une attention particulière pour tirer des enseignements, elle n’a pas résolu le problème suivant : comment alimen-ter une population qui devrait atteindre 9 milliards d’habitants en 2050 ?Alors que le nombre de per-sonnes sous-alimentées a dimi-nué constamment depuis les années 1970, il a recommencé à augmenter à partir du milieu des années 1990. Aujourd’hui, les statistiques montrent une aggravation dévastatrice de

la faim et de la malnutrition. Selon la FAO, qui mesure la « sous-alimentation » pour esti-mer la sécurité alimentaire dans le monde, 925 millions de personnes étaient sous-alimen-tées en 2010, chiffre qui repré-sente 13,6 % d’une population mondiale s’élevant à 6,8 mil-liards d’habitants, et presque toutes ces personnes sous-ali-mentées se trouvent dans les pays en développement [FAO, 2011a]. Ce chiffre de « sous-ali-mentation » a augmenté depuis le milieu des années 1990, en partie à cause de la crise éco-nomique mondiale actuelle, en partie parce que l’agriculture a été négligée par les gouver-nements et agences internatio-nales, notamment pour les très pauvres ; mais plus particuliè-rement, cette augmentation est due à la croissance significative des prix des denrées alimen-taires ces dernières années.

La disponibilité alimentaire et les tendances historiques de la sous-alimentation

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en sourdine. La question a refait surface, cependant, avec la vague de contrôle des exportations au moment de la crise de 2008, témoignant de la fragilité, en cas de crise, du système d’échanges. Enfi n, la sécurité alimen-taire est aussi l’objectif poursuivi par les orga-nisations humanitaires intergouvernementales et grandes ONG dans les situations de crise et l’insécurité alimentaire est considérée comme un facteur de déstabilisation politique en termes de migrations, de troubles politiques et de changements de régime, de subversion et de terrorisme. En cela, elle représente un enjeu de sécurité au sens traditionnel du terme.

La diversité de ces approches et la fragmen-tation des institutions et des acteurs qui les portent ne facilitent pas une action globale au moment même où il faut en repenser les princi-paux piliers : la production agricole, les enjeux environnementaux, les enjeux d’équité et de stabilité. Il faut reconnaître, cependant, que la question des interactions entre les différentes facettes du problème est au centre de beaucoup de travaux et de propositions de solutions, dans la recherche comme dans les politiques publiques. Même si chaque institution ou groupe d’acteurs donne la priorité à une seule dimension, la complexité des interactions est reconnue par tous : un exemple est la manière dont les institutions de développement, et les plus spécialisées comme la FAO, considèrent les préoccupations environnementales parallè-lement aux objectifs de production.

De même, les interrelations verticales font l’objet de réfl exions spécifi ques. La question de la sécurité alimentaire se déploie à différents niveaux : international (par exemple, le régime commercial ou les efforts coordonnés d’aide

L’agriculture et l’économie

Amérique latineet Caraïbes

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Population totalePopulation sous-alimentée

Régions développées

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Population totalePopulation sous-alimentée

Part de la population sous-alimentéedans les pays en développement

Évolution de la part de la populationsous-alimentée dans le monde

Source : FAOStat.

La part de l’agriculture dans l’économie et dans la population active varie largement selon les pays. Le secteur reste économiquement important, notamment en Afrique, même si la comparaison entre l’Éthiopie et le Gabon, par exemple, montre un profil très différent en termes d’emplois créés. Même dans les pays qui ont encore une forte main-d’œuvre agricole rurale comme l’Éthiopie et le Kenya, la structure agricole elle-même et les liens avec les autres sec-teurs expliquent la contribution différente du secteur à la création de richesses nationales. Enfin, de grands pays économiquement importants comme l’Inde ou la Chine, où le secteur agricole repré-sente une faible part du PIB, conservent une part importante de leur population active en agriculture. L’ensemble de ces facteurs témoigne de la difficulté d’aborder globalement la question agricole ou de proposer des stratégies pour l’avenir.

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au développement pour l’agriculture notam-ment) ; régional (les régions ont des situations de vulnérabilité spécifi ques et des dispositifs institutionnels propres) ; national (avec des politiques particulières concernant tant les droits que la disponibilité ou l’accessibilité) ; et, enfi n, local (les situations d’insécurité ali-mentaire sont toujours liées à des territoires, des ressources et des populations spécifi ques). Ces niveaux interagissent entre eux avec l’inté-gration croissante des économies à l’économie mondiale : par exemple, les investissements internationaux croissants et souvent contestés dans les achats de terres agricoles.

Il faut aussi tenir compte de la complexité, voire de la complexifi cation, des relations entre les acteurs de la fi lière alimentaire : la révolution alimentaire de la fi n du xxe siècle s’est caractérisée par des changements radi-caux dans l’ensemble du système alimentaire. D’importants moteurs et obstacles pour les changements des systèmes agricoles échappent à la production primaire, et concernent la chaîne d’approvisionnement en aval et les services de recherche et de développement en amont.

L’agriculture au cœur du développement durableL’agriculture fi gure en tête des priorités mondiales, car c’est à la fois un secteur forte-ment touché par les changements globaux (changement climatique, dégradation des ressources en eau, espèces envahissantes…) et un moteur important de ces changements, en raison de ses impacts sur l’environnement. À titre d’exemple, les acteurs du secteur agricole eux-mêmes préconisent que les négociations sur le climat prennent en compte le secteur, notamment pour ce qui concerne le fi nance-ment de l’adaptation, mais aussi pour les actions d’atténuation (comme cela a été le cas lors de la Journée de l’agriculture et du développement rural à Durban, CdP17, le 3 décembre 2011 3).

Il est de plus en plus admis qu’en raison de la rareté croissante des ressources, du changement climatique et des préoccupations relatives aux coûts environnementaux, un

3. Pour plus de détails, voir p. 243-245.

statu quo dans l’utilisation des ressources natu-relles par l’agriculture n’est pas envisageable [McIntyre et alii, 2009]. Les options possibles pour l’avenir de l’agriculture doivent donc être évaluées par rapport à ces nouvelles données fondamentales.

Il est essentiel d’augmenter la productivité de l’utilisation des ressources. Cela peut se traduire par l’optimisation de la productivité des terres, l’effi cacité de l’utilisation de l’eau, mais également par la réduction de l’utilisa-tion d’intrants extérieurs, minimisant ainsi la dépendance vis-à-vis des ressources non renouvelables comme l’énergie fossile, et réduisant aussi les impacts environnementaux. L’augmentation de la productivité est égale-ment liée à une meilleure « fermeture » des cycles naturels sur eux-mêmes (carbone, eau, azote, phosphore, matières organiques pour la fertilité des sols…) à l’échelle de l’écosystème, ce qui réduirait en outre le besoin d’intrants externes et les impacts sur l’environnement.

La résilience au changement climatique et, en général, aux risques et aux chocs envi-ronnementaux est également un élément clé pour la viabilité de long terme de l’agriculture, en particulier pour les agriculteurs les plus vulnérables.

En pratique, l’accès des petits exploitants pauvres aux technologies permettant d’amé-liorer la productivité et la résilience représente un défi majeur : l’accessibilité des technologies et le soutien public pour investir dans l’amélio-ration de la productivité joueront également un rôle clé.

L’agriculture est de nouveau à l’ordre du jour, et l’on peut espérer une nouvelle dyna-mique d’investissements : mais les défi s actuels et émergents sont tels qu’il est important de choisir les bonnes orientations pour utiliser au mieux ces investissements.

Repenser l’agriculture mondialeMaintenant que l’agriculture retrouve sa juste place au sommet de l’agenda international, la question clé est de défi nir les types de systèmes agricoles dans lesquels il convient d’investir. Étant donné l’importance capitale de la nour-riture pour le bien-être et la stabilité sociale

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et politique, il est probable que les gouverne-ments et autres organisations voudront encou-rager la production alimentaire au-delà de la simple stimulation de mécanismes de marché.

La nature des retours sur investissement – en général à long terme – pour de nombreux aspects de la production alimentaire, l’impor-tance des politiques en faveur de la durabilité et de l’équité plaident également contre le fait de s’appuyer uniquement sur les solutions de marché. Alors, comment produire plus de nourriture durablement ?

Poursuivre aujourd’hui le modèle moderne dominant d’une agriculture à grande échelle hautement mécanisée et consommatrice d’intrants, et l’étendre à de nouvelles zones où la production alimentaire devra augmenter à l’avenir, n’est tout simplement plus une option, puisque nous nous heurtons à des

limites naturelles [Buck et Sherr, 2011]. Pour déployer le potentiel de l’agriculture et per-mettre un développement durable, il faudra changer nos modèles actuels pour des modèles capables de produire des résultats sociaux, économiques et environnementaux positifs à des échelles multiples.

Les politiques agricoles ont grandement besoin de réformes, et cela s’applique à la fois aux pays du Nord et du Sud. Les contraintes sont fortes et nombreuses mais les opportuni-tés aussi.

Les défisDu côté de la demande comme de l’offre, l’agriculture est confrontée à une multitude de défi s. En ce qui concerne la demande, ces défi s englobent la sécurité alimentaire et nutritionnelle, la croissance démographique,

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Source : FAOStat.Consommation d’engrais 2002 - 2009(en millions de tonnes)

La consommation d’engrais est croissante à l’échelle mondiale (+ 14 % entre 2002 et 2009), un chiffre qui recouvre des situations contrastées : la diminution du recours aux engrais dans les pays les plus développés ne contrebalance pas la forte augmentation de leur utilisation en Asie ou en Europe de l’Est. La consommation d’intrants en Afrique subsaharienne reste par ailleurs très faible, témoignant plus d’un manque de ressources financières des acteurs agricoles que d’un choix motivé par des raisons écologiques.

Quels engrais pour quelles agricultures ?R

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l’évolution de la demande liée à l’augmenta-tion des revenus et l’utilisation des cultures vivrières pour la production de biocarbu-rants, en plus de l’émergence de l’agriculture (aliments, terre) en tant que marchandise d’in-vestissement négociée au niveau mondial.

Selon la FAO, la production alimentaire devra augmenter d’au moins 70 % d’ici 2050 pour répondre aux besoins d’une population en expansion et à l’évolution des régimes alimentaires [FAO, 2011b].

Cette situation fragile de la sécurité alimen-taire mondiale est en partie due aux différentes pressions liées à la hausse des prix, la spécula-tion sur les marchés des produits agricoles ou la pression croissante des biocarburants, mais c’est aussi, et peut-être plus fondamentale-ment, le refl et de décennies de sous-investis-sement et de mauvais investissements dans le secteur agricole, tant par les gouvernements que par les bailleurs. Les gouvernements des pays à faible revenu où l’économie repose sur l’agriculture n’ont consacré qu’environ 4 % de leurs budgets nationaux à l’agriculture [Banque mondiale, 2007] et les bailleurs de fonds ont diminué la part de l’aide publique au développement (APD) pour l’agriculture, passée d’un maximum de 18 % en 1979 à un minimum de 3,5 % en 2004 [Banque mon-diale, 2007].

Du côté de l’offre, les défi s rencontrés par l’agriculture incluent la disponibilité limitée en terres, eau, intrants minéraux et main-d’œuvre en milieu rural, ainsi que la vulnérabilité croissante de l’agriculture au changement climatique. Certains diront qu’il y a beaucoup de terre et d’eau dans le monde, mais que nous n’utilisons tout simplement pas effi cacement les ressources. La Banque mondiale estime à plus de 200 millions d’hectares les surfaces dégradées et sous-utilisées en Afrique pouvant être mises en production. Les rendements des principales cultures céréalières en Afrique pourraient faci-lement être doublés, voire triplés.

Les opportunitésBeaucoup de nouvelles opportunités émergent pour l’agriculture. Elles supposent la sensibi-lisation accrue des gouvernements, l’intérêt

des bailleurs pour soutenir et investir dans le développement de l’agriculture dans les pays à faible revenu, l’intérêt croissant des inves-tisseurs privés dans l’agriculture durable et l’augmentation de la demande des consomma-teurs pour des aliments produits de manière durable. De nouveaux marchés dynamiques, de profondes innovations technologiques et institutionnelles et de nouveaux rôles pour l’État, le secteur privé et la société civile, tout cela caractérise le nouveau contexte pour l’agriculture.

Afi n de saisir ces opportunités, il est néces-saire de poursuivre la recherche agricole et de mieux appliquer les résultats déjà obtenus. Actuellement, ni les centres internationaux de recherche du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (Consultative Group for International Agricultural Research, CGIAR), ni les centres de recherche natio-naux ne sont suffi samment fi nancés. Sur le plan positif, de nouveaux acteurs comme la Fondation Gates entrent en jeu et soutiennent fi nancièrement la recherche agricole.

Il existe de multiples possibilités d’innova-tion dans les technologies et pratiques agri-coles, allant des innovations au niveau des semences grâce à l’amélioration génétique (sélection assistée par marqueurs, OGM) aux innovations à l’échelle des exploitations avec une meilleure intégration agronomique des principes écologiques, en passant par les inno-vations reliant les agriculteurs aux marchés (telles que les applications informatiques). À l’heure actuelle, il n’y a pas de consensus mondial sur le niveau ou le type d’innovation susceptible de produire les meilleurs résultats à faibles coûts de mise en œuvre 4.

Pourtant, comme le note Olivier De Schutter [2011], transformer l’agriculture en un modèle durable, à faible émission de carbone et per-mettant de préserver les ressources, qui soit axé sur les petits exploitants, ne se fera pas par hasard, mais seulement à dessein. Pour réussir cette transition, il faudra une forte volonté politique aux niveaux nationaux et une grande coopération internationale ainsi qu’un

4. Cette discussion est développée dans le chapitre 9.

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ensemble de politiques de soutien et d’inves-tissements publics dans les infrastructures, les services de recherche et de développement agricoles et la création de conditions écono-miques propices, notamment de marchés plus équitables.

Nouveaux fondamentaux et objectifs politiquesRendre l’agriculture plus effi cace pour soutenir une croissance durable et réduire la pauvreté commence par un climat sociopoli-tique favorable, une gouvernance adéquate et de solides fondamentaux macroécono-miques. Cela nécessite ensuite la défi nition d’un agenda pour une transition vers une agriculture durable, agenda et transition qui peuvent différer radicalement d’un pays à l’autre. Ce défi est mondial et concerne tous les types d’agriculture, mais il sera relevé différemment par les pays qui ont déjà fait l’objet d’une industrialisation de l’agriculture après la Seconde Guerre mondiale ou par la révolution verte des années 1960 à 1980 (pays de l’OCDE, Asie, Amérique latine), et par les pays dont l’agriculture reste essen-tiellement « traditionnelle », c’est-à-dire à faibles intrants, avec forte main-d’œuvre et modèles extensifs. Ces différentes agricul-tures sont confrontées, dans chaque région, à des conditions divergentes de l’offre et de la demande.

Mais, face à ce défi mondial, quatre nou-veaux principes fondamentaux doivent être considérés. Le premier est la nécessité d’avoir un impact non seulement sur l’agriculture mais sur toute la chaîne alimentaire : fabricants d’in-trants, chercheurs, agriculteurs, agro-indus-tries, distributeurs et consommateurs sont tous concernés et la durabilité de l’agriculture ne peut être obtenue sans une prise en compte de la durabilité du système alimentaire plus large. Les articulations entre les différentes étapes de la chaîne de valeur doivent être améliorées, avec de meilleures conditions d’entrée et d’accès au marché, de nouveaux types de liens entre producteurs et consommateurs, et des chaînes de valeur globalement plus effi caces minimisant les pertes.

Le deuxième principe fondamental est le rôle des agriculteurs. Il est nécessaire d’autonomiser les agriculteurs en tant qu’acteurs clés de cette transition : pour s’assurer que les résultats de la recherche atteignent bien les champs, les agri-culteurs ont besoin de participer au processus d’innovation ; les choix des technologies agri-coles et des voies de transition doivent pouvoir assurer des emplois décents. Les organisations d’agriculteurs peuvent constituer un outil pré-cieux pour les mobiliser et doivent être dévelop-pées dans ce sens. Mais de nouvelles méthodes d’identifi cation des priorités de recherche, d’intégration des compétences des agriculteurs et de transmission des connaissances et des innovations sont aussi essentielles.

Le troisième nouveau principe concerne l’interaction entre l’agriculture et les autres secteurs économiques. Un programme d’« agri-culture au service du développement » ne fonc-tionnera que si les liens entre l’agriculture et les autres secteurs économiques sont favorisés

Enfi n, le quatrième consiste à encourager les investissements privés aux côtés de l’interven-tion publique en agriculture, et de superviser ces nouveaux investissements pour s’assurer qu’ils tiennent compte des besoins des petits exploitants.

Reconstruire un scénario d’économie verte avec l’agriculture durableIl n’existe pas de solution unique, mais un élément clé doit être un cadre à l’échelle appropriée pour prendre les décisions poli-tiques et de gouvernance. Ce cadre aidera à son tour à assurer que toute initiative de dévelop-pement économique fondée sur l’agriculture sera véritablement durable, discutée et validée de manière démocratique et transparente, en évitant les situations de rentes injustes ou le déni de droits. L’intervention publique sera nécessaire pour corriger les défaillances du marché (en particulier les externalités environ-nementales, positives ou négatives), construire des fi lets de sécurité et investir dans les infrastructures.

Un pays souhaitant mettre en place un agenda « agriculture au service du dévelop-pement » doit défi nir ce qu’il faut faire et la

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façon de le faire. Savoir que faire nécessite un cadre politique ancré sur le comportement des acteurs : les producteurs et leurs organisations, le secteur privé dans les chaînes de valeur et l’État. La façon de le faire nécessite une gou-vernance effi cace pour mobiliser le soutien politique et la capacité de mise en œuvre, là encore sur la base du comportement des acteurs : l’État, la société civile, le secteur privé, les bailleurs et les institutions mondiales.

Pour utiliser l’agriculture comme un moteur de développement et un fournisseur de biens publics, tels que la protection de l’environne-ment et la gestion durable des ressources natu-relles, ou encore d’aliments de haute qualité, un pays a besoin d’un programme cohérent et complet.

La capacité d’assurer la paix sociale et un système de gouvernance légitime au sein d’un environnement macroéconomique sain est une condition nécessaire pour la réussite de tout plan pour l’agriculture. Ce postulat de base a trop souvent fait défaut dans les pays agricoles jusqu’au milieu des années 1990, notamment en Afrique subsaharienne. Le programme agricole devra être écologique-ment viable à la fois pour réduire l’empreinte environnementale de l’agriculture et pour soutenir la croissance future de l’agriculture. Dans cette perspective, il est essentiel et aussi important de profi ter des connaissances locales que des progrès de la science et de la technologie, biosciences, TIC, écologie.

Le modèle doit être spécifi que à chaque pays et ses conditions naturelles et s’adapter aux projets et capacités des acteurs locaux à travers une large participation. Enfi n, le suivi des progrès de mise en œuvre, en assurant une capacité administrative adéquate, est aussi important que la conception des politiques.

Le nouvel intérêt suscité par les questions de l’agriculture ne se limite pas, ou ne devrait pas se limiter, aux pays en développement et à un agenda pour une « agriculture au service du développement ». L’agriculture – et tous les stades de nos systèmes alimentaires – doit jouer un rôle dans la réalisation du développe-ment durable dans les pays du Nord comme du Sud (comme l’illustre l’initiative Économie

verte et agriculture de la FAO, ou la Stratégie pour une croissance verte de l’OCDE).

Les pays du Nord doivent repenser leurs poli-tiques agricoles à travers le spectre de la dura-bilité (et également l’effi cacité des politiques publiques), car les signaux des marchés et le sou-tien public représentent toujours une incitation pour des pratiques agricoles non durables trop souvent à travers des subventions nuisibles à l’environnement et à l’emploi. L’agriculture peut fournir des biens et des services environnemen-taux en même temps que des biens alimentaires, mais les sociétés doivent être prêtes à payer pour leur existence. Cela doit se faire en cohérence avec nos engagements internationaux (com-merce, changement climatique, etc.). Dans la mise en œuvre des changements majeurs néces-saires, les pays sont souverains et choisiront leurs propres options ; mais les défi s de durabilité dans les trois dimensions (économique, sociale et environnementale) font qu’il est important d’évaluer les stratégies choisies, et de réaliser que la voie du développement durable peut être étroite étant donné les défi s. Quels que soient les choix, les fondamentaux doivent être justes.

Les consommateurs et les entreprises doivent également agir aux côtés des gou-vernements et des agriculteurs. Les entre-prises, en particulier, doivent appliquer une gouvernance d’entreprise responsable dans leurs activités de base, à la fois en amont et en aval de la production alimentaire. Elles peuvent jouer un rôle crucial en tant que fournisseurs d’intrants pour l’agriculture : la durabilité de la production agricole implique une utilisation durable des intrants. De même, en tant que transformateurs de produits agricoles, les entreprises sont responsables de la qualité et de la composition nutritionnelle, ainsi que du contenu de leurs campagnes de communication, qui jouent un rôle croissant dans la consommation alimentaire. Elles font partie de la solution, et ce d’autant plus que les grands groupes mondiaux de production et de distribution alimentaire façonnent les choix des consommateurs. Dans un monde où l’obésité et la malnutrition touchent un grand nombre de personnes pauvres, les entreprises ne peuvent ignorer l’impact de leurs politiques.

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Enfi n, le besoin d’un débat mondial sur les futurs modèles de consommation est pressant. Même si la diversité de la consommation alimentaire est grande et, nous l’espérons, le restera, les tendances non durables doivent être évaluées. Comme pour les habitudes de consommation énergétiques, la voie occiden-tale moderne de consommation élevée de viande basée sur une utilisation très ineffi cace de l’énergie et des ressources naturelles ne peut pas être suivie par une population de 9 milliards d’habitants. Une discussion mon-diale sur ce sujet est inévitable.

La mondialisation a joué un rôle majeur, tant positif que négatif, pour la sécurité alimentaire ; désormais, aucune solution ne peut être déployée au seul niveau national. Les différentes visions du rôle de l’agriculture et de l’alimentation devront trouver un terrain d’entente, loin de la fracture commerciale tra-ditionnelle. Réintroduire dans la discussion les

Banque mondiale, 2007, Rapport sur le développement dans le monde 2008 : l’agriculture au service du développement, Washington D. C., Banque mondiale.

Buck L. et Scherr S., 2011, “Moving Ecoagriculture into the Mainstream”, in Nierenberg D. et Halweil B., State of the World, Innovations that Nourish the Planet, a Worlwatch Ins-titute Report on Progress Toward a Sustainable Society. Dis-ponible sur : www.gcsu.edu/adp/docs/State_20of_20the_20World_20Innovations_20that_20Nourish_20the_20Planet_1_.pdf 5 (consulté le 19/01/2012)

De Schutter O., 2011, Agroécologie et droit à l’alimenta-tion, Rapport présenté à la 16e session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU [A/HRC/16/49], le 8 mars 2011. Disponible sur : www.srfood.org/images/stories/pdf/officialreports/20110308_a-hrc-16-49_agroecology_fr.pdf (consulté le 19/01/2012)

FAO, 2011a, « La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2010-2011 : le rôle des femmes en agriculture. Combler le fossé entre les hommes et les femmes pour sou-tenir le développement ». Disponible sur : www.fao.org/docrep/013/i2050f/i2050f00.htm (consulté le 19/01/2012)

FAO, 2011b, « L’état de l’insécurité alimentaire dans le monde 2011 : quelles sont les conséquences de l’instabilité des cours internationaux pour l’économie et la sécurité ali-mentaire des pays ? ». Disponible sur : www.fao.org/publi-cations/sofi/fr/ (consulté le 19/01/2012).

Godfray H. et alii, 2010, “Food Security: The Challenge of Feeding 9 Billion People”, Science, 327, 812.

Lerin F. et Petit M., 2010, « Volatilité des prix internatio-naux agricoles et alimentaires et libéralisation en Afrique du Nord », in Abis S., Blanc P., Lerin F. et Mezouaghi M. (coord.), Perspectives des politiques agricoles en Afrique du Nord, Paris, CIHEAM, coll. « Options méditerranéennes ».

McIntyre B. et alii, 2009, “International Assessment of Agricultural Knowledge”, Science and Technology for Development (IAASTD), Synthesis Report, Washington D. C., Island Press.

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différentes composantes, notamment les biens publics locaux et mondiaux que l’agriculture durable peut produire, est certainement une avancée positive.

Les gouvernements devront faire face à un paradoxe. Assurer la sécurité alimentaire est, et a été dans l’histoire de tout régime poli-tique, une responsabilité des gouvernements et un élément de leur légitimité. En tant que telle, c’est une composante importante de leur souveraineté et des exemples tragiques, comme la famine en Corée du Nord, montrent combien les gouvernements ont considéré la sécurité alimentaire comme faisant partie de leur domaine exclusif. Mais, en raison des interactions mondiales, allant du changement climatique à l’instabilité des marchés, le plein exercice de la souveraineté, dans ce cas et dans beaucoup d’autres comme le contrôle des maladies ou le réchauffement planétaire, exige une action et une coordination mondiales. ■

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Regards sur la Terre décrypte la complexité des processus qui composent le développe-ment durable et en révèle toute la richesse.

La première partie dresse le bilan de l’année 2011 : retour sur les dates qui ont marqué l’avancée des connaissances et la construction de l’action dans les domaines du climat, de la biodiversité, des ressources naturelles, de la gouvernance, de l’énergie, de la santé ou du développement ; analyse des événements clés et des tendances émergentes, identifi cation des acteurs majeurs, des enjeux et des perspectives.

Le Dossier 2012 interroge l’un des enjeux majeurs de nos sociétés contemporaines : l’agri-culture. Longtemps restée écartée des politiques de développement, celle-ci fait un retour en force sur le devant de la scène internationale. Mais si l’évidence d’un besoin d’investissements massifs dans le secteur agricole est aujourd’hui reconnue, d’im-portantes controverses demeurent. L’agriculture peut-elle être un moteur du déve-loppement ? Peut-elle assurer la sécurité alimentaire d’une population mondiale qui vient de franchir le cap des 7 milliards d’individus ? Comment concilier la produc-tion agricole avec les exigences du développement durable ? Un nouveau modèle doit-il être inventé ? Entre intérêt récent des investisseurs, débat sur les modèles de productions inscrits dans des réalités physiques, climatiques, environnementales et sociales et réflexion sur nos modes de consommation et d’alimentation, l’agri-culture, qui cristallise tant les espoirs que les résistances à la mondialisation, est aujourd’hui plus que jamais un enjeu de gouvernance mondiale.

Fruit d’une coopération entre l’AFD (Agence française de développement), l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales) et le TERI (The Energy and Resources Institute), Regards sur la Terre constitue un outil d’information et de compréhension indispensable.

Pierre JACQUET, Rajendra K. PACHAURI et Laurence TUBIANA (dir.)

Développement, alimentation, environnement : changer l’agriculture ?

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25,40 € Prix TTC France6951305ISBN : 978-2-200-27528-0

Établissement public, l’Agence française de développe-ment (AFD) agit depuis soixante-dix ans pour combattre la pauvreté et favoriser le développement dans les pays du Sud et dans l’outre-mer. Elle met en œuvre la politique définie par le gouvernement français. Présente

sur le terrain dans plus de 50 pays et dans 9 départements et collectivités d’outre-mer, l’AFD finance et accompagne des projets qui améliorent les conditions de vie des populations, soutiennent la croissance économique et protègent la planète : scolarisation, santé maternelle, appui aux agri-culteurs et aux petites entreprises, adduction d’eau, préservation de la forêt tropicale, lutte contre le réchauffement climatique… En 2010, l’AFD a consacré plus de 6,8 milliards d’euros au financement d’actions dans les pays en développement et en faveur de l’outre-mer. Ils contribueront notamment à la scolarisation de 13 millions d’enfants, l’amélioration de l’approvisionnement en eau potable pour 33 millions de personnes et l’octroi de microcrédits bénéficiant à un peu plus de 700 000 personnes. Les projets d’efficacité énergétique sur la même année permettront d’économiser près de 5 millions de tonnes de CO2 par an. www.afd.fr

Institut de recherche sur les politiques, l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) a pour objectif d’élaborer et de partager des clés d’analyse et de compréhension des enjeux stratégiques

du développement durable dans une perspective mondiale. Face aux défis majeurs que représentent le changement climatique et l’érosion de la biodiversité, l’Iddri accompagne les différents acteurs dans la réflexion sur la gouvernance mondiale et participe aux travaux sur la redéfinition des trajectoires de développement. Ses travaux sont structurés transver-salement autour de cinq programmes thématiques : gouvernance, climat, biodiversité, fabrique urbaine et agriculture. www.iddri.org

The Energy and Resources Institute (TERI) est une organisation non gouvernementale indienne créée en 1974 pour développer des solutions innovantes afin de traiter les enjeux du développement durable, de

l’environnement, de l’efficacité énergétique et de la gestion des ressources naturelles. Ses diverses activités vont de la formulation de stratégies locales et nationales jusqu’à la proposition de politiques globales sur les enjeux énergétiques et environnementaux. Basé à Delhi, l’Institut est doté de plusieurs antennes régionales sur le territoire indien. www.teriin.org

Pierre JACQUET, ingénieur des Ponts, des eaux et forêts et membre du Cercle des économistes, est chef écono-miste de l’Agence française de développement (AFD). Il est aussi président du département d’économie, gestion, finances et professeur d’économie internatio-nale à l’École des Ponts-ParisTech. Il est notamment administrateur de l’Institut français des relations inter-

nationales (IFRI), de l’Institut de la gestion déléguée (IGD) et de Proparco. Il a appartenu entre 1997 et 2006 au Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre. Il écrit une chronique mensuelle sur les acteurs du développement dans Le Monde de l’économie.

Laurence TUBIANA, économiste, a fondé et dirige l’Ins-titut du développement durable et des relations inter-nationales (Iddri) et la chaire Développement durable de Sciences Po. Elle est professeur au sein de l’École des affaires internationales de Sciences Po. Chargée de mission puis conseillère auprès du Premier ministre sur les questions de l’environnement de 1997 à 2002, elle a

été directrice des biens publics mondiaux au ministère des Affaires étran-gères et européennes. Elle est membre de divers conseils d’universités et de centres de recherches internationaux (Coopération internationale en recherche agronomique pour le développement – Cirad, Earth Institute at Columbia University, Oxford Martin School). Elle est également membre de l’India Council for Sustainable Development et du China Council for International Cooperation on Environment and Development et du Conseil d’orientation stratégique de l’Institute for Advanced Sustainability Studies e.V. (Potsdam, Allemagne).

Rajendra Kumar PACHAURI est docteur en génie industriel et en économie. Il est actuellement le directeur général de The Energy and Resources Institute (TERI) basé à Delhi (Inde). Depuis 2002, il préside le Groupe intergou-vernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) qui a obtenu le prix Nobel de la paix en 2007.

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