2. L’empreinte parentale, un phénomène épigénétique...

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Bernard AUGERE Page 1 31/03/09 L’ÉPIGÉNÉTIQUE (in Médecine/sciences Août-septembre 2008, volume 24) Le mot « épigénétique » désigne les phénomènes transmis héréditairement et qui modulent l’activité du génome sans changer sa séquence. Différents mécanismes peuvent agir sur la transcription des gènes mais aussi sur la traduction des ARN. Dans les cellules saines, des mécanismes dits épigénétiques assurent une différenciation structurale et fonctionnelle du génome, nécessaire au silence transcriptionnel de la majorité du génome et à l’activité de gènes spécifiques dans différents tissus. 1. Le contrôle épigénétique de la différenciation cellulaire à partir de l’exemple du spermatozoïde La différenciation cellulaire peut être définie comme un processus de programmation du génome conduisant des cellules pluripotentes, telles que les cellules souches, vers un état d’organisation génomique propre à une expression spécifique de gènes. Ainsi des balisages moléculaires impliquant la méthylation de l’ADN et les modifications des histones contribuent de manière déterminante à la mise en place d’un génome différencié permettant l’expression de phénotypes définis par ces cellules. Dans les spermatides, cellules post-méiotiques, la plupart des histones sont remplacées par des protamines, spécifiques des spermatides et des spermatozoïdes, qui compactent fortement leur génome. Le signal de cette reprogrammation spécifique de certaines régions du génome semble être une vague d’acétylation massive des histones. Ce marquage épigénétique est responsable de l’asymétrie entre les génomes parentaux. En effet, pour conduire à un être viable, certains gènes ne doivent être exprimés qu’à partir d’un seul des génomes parentaux. Ils sont appelés gènes soumis à l’empreinte génomique. 2. L’empreinte parentale, un phénomène épigénétique essentiel pour la reproduction 2.1. Régions ICR et asymétrie des génomes chez l’homme Les gènes soumis à l’empreinte génomique sont organisés en domaines chromosomiques qui sont contrôlés par des régions de contrôle de l’empreinte ou ICR (imprinting control region). Ces régions portent des modifications épigénétiques spécifiques comme la méthylation allélique. Une perturbation du pattern de méthylation au niveau des ICR conduit, par exemple, à une oligospermie

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L’ÉPIGÉNÉTIQUE(in Médecine/sciences Août-septembre 2008, volume 24)

Le mot « épigénétique » désigne les phénomènes transmis héréditairement et qui modulent l’activité du génomesans changer sa séquence. Différents mécanismes peuvent agir sur la transcription des gènes mais aussi sur latraduction des ARN.Dans les cellules saines, des mécanismes dits épigénétiques assurent une différenciation structurale et fonctionnelledu génome, nécessaire au silence transcriptionnel de la majorité du génome et à l’activité de gènes spécifiques dansdifférents tissus.

1. Le contrôle épigénétique de la différenciation cellulaire à partir de l’exemple du spermatozoïdeLa différenciation cellulaire peut être définie comme un processus de programmation du génome conduisant descellules pluripotentes, telles que les cellules souches, vers un état d’organisation génomique propre à uneexpression spécifique de gènes.Ainsi des balisages moléculaires impliquant la méthylation de l’ADN et les modifications des histones contribuentde manière déterminante à la mise en place d’un génome différencié permettant l’expression de phénotypes définispar ces cellules.Dans les spermatides, cellules post-méiotiques, la plupart des histones sont remplacées par des protamines,spécifiques des spermatides et des spermatozoïdes, qui compactent fortement leur génome. Le signal de cettereprogrammation spécifique de certaines régions du génome semble être une vague d’acétylation massive deshistones.

Ce marquage épigénétique est responsable de l’asymétrie entre les génomes parentaux. En effet, pour conduire à unêtre viable, certains gènes ne doivent être exprimés qu’à partir d’un seul des génomes parentaux. Ils sont appelésgènes soumis à l’empreinte génomique.

2. L’empreinte parentale, un phénomène épigénétique essentiel pour la reproduction

2.1. Régions ICR et asymétrie des génomes chez l’hommeLes gènes soumis à l’empreinte génomique sont organisés en domaines chromosomiques qui sont contrôlés par desrégions de contrôle de l’empreinte ou ICR (imprinting control region). Ces régions portent des modificationsépigénétiques spécifiques comme la méthylation allélique. Une perturbation du pattern de méthylation au niveaudes ICR conduit, par exemple, à une oligospermie

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De même, un mauvais marquage épigénétique peut induire des anomalies appelées syndrome de croissance fœtale.Le syndrome BWS est caractérisé par une surcroissance fœtale et des défauts du développement tandis que lesyndrome SRS se caractérise par un retard de croissance. C’est un défaut de méthylation au niveau des ICR dulocus IGF2-H19 qui explique ces syndromes. Alors que chez l’individu sain seul l’ICR paternel est méthylé (aucentre) chez les individus atteints soient les deux ICR sont méthylés (syndrome BWS, en bas) soit aucun ICR n’estméthylé (syndrome SRS, en haut).

2.2. Méthylation de l’ADN et empreinte chez Arabidopsis.

3. Le contrôle épigénétique dynamique de la chromatine eucaryoteLe génome humain comporte trois milliards de paires de bases qui mises bout à bot s’assemblent sur environ 1mètre d’ADN. Ce mètre d’ADN, réparti en 46 chromosomes, est confiné dans un noyau de dimensionmicrométrique (1 à 10 µm). Chez les eucaryotes, la compaction de l’ADN est assurée par un enroulement autourd’histones pour former la particule cœur du nucléosome (NCP pour nucleosme core particle). Les extrémités C-teret N-ter des histones ne sont pas structurées mais elles sont mobiles et libres, leur permettant de s’étendre au-delàdu NCP. Elles représentent 28% de la masse totale des histones et contiennent environ 1/3 de charges positivesgrâce aux nombreux résidus basiques (Lys et Arg). Certaines de ces extrémités réagissent avec l’ADN,polyélectrolyte semi-flexible dont la densité linéique de charges est de 1 charge négative par 0,17 nm. Cesextrémités font l’objet de modifications covalentes post-traductionnelles affectant particulièrement les extrémités

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amino-terminales des histones H3 et H4. La modification de certains résidus provoquant une certaine modificationde l’état transcriptionnel de la chromatine, certains auteurs ont proposé l’hypothèse d’un code histone.Les modifications post-traductionnelles les plus connues sont l’acétylation, la méthylation, l’ubiquitinylation deslysines, la phosphorylation des sérines et thréonines. Ainsi l’acétylation induite par des acétyltransférases(HAT)diminue les interactions entre NCP voisins, provoquant une décompaction de la chromatine. Par exemple,l’acétylation de la lysine 16 de H4 avec une phosphorylation de la sérine 10 de H3 amplifie l’activitétranscriptionnelle du chromosome X masculin.

Enfin, l’ADN nucléosomal peut s’ouvrir spontanément durant des intervalles de 10 à 50 ms (montré par latechnique de FRET), rendat ainsi l’ADN accessible à des protéines et des enzymes. Cette »respiration de l’ADN »est sous la dépendance de facteurs de remodelage, complexe ATPasiques.

4. Intégrité épigénétique des centromères et stabilité du génome.Les centromères, lieux d’assemblage des kinétochores, sont cruciaux pour la ségrégation des chromosomes lors dela mitose et de la méiose. Leur altération peut conduire à l’aneuploïdie. Ces régions sont organisées sous formed’hétrochromatine constitutive.Chez la souris, les centromères sont formés de séquences répétées en tandem « satellites mineurs » flanqués deséquences « satellites majeurs » péricentriques. Au niveau du centromère, la protéine CENP-A (Centromere proteinA) remplace l’histone H3 tandis que centromère et région péricentrique sont riches en protéines méthylées. Ainsiune mutation de la protéine CENP-A conduit à une perte totale de la ségrégation des chromosmes. De même, unedéméthylation chez des souris déficientes en HMT (histone methyl-transférase) conduit à l’instabilité deschromosmes.

ConclusionL’ensemble de ces observations montre que l’information épigénétique est réversible et due à des enzymes. Elleintervient dans l’empreinte génomique parentale, l’inactivation du chromosome X, la ségrégation correcte deschromosomes lors de la division cellulaire. Actuellement, de nombreuses études montrent que les changementsépigénétiques contribuent aussi au développement du cancer, notamment an causant la perte d’expression de gènessuppresseurs de tumeurs et l’expression anormale de gènes facilitateurs. Une meilleure compréhension de cecontrôle épigénétique devrait permettre de comprendre pourquoi le transcriptome tumoral diffère de celui descellules saines, leur conférant ainsi une identité cellulaire nouvelle et spécifique aux cellules malignes. Il devientalors concevable d’interférer avec ce marquage épigénétique par ciblage pharmacologique.