1992la Maitrise de La Langue

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Les textes officiels pour lcole Primaire http://appy.ecole.free.fr

LA MATRISE DE LA LANGUE LCOLE 1992

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Prface

Les Franais ne lisent plus, Les jeunes n'aiment plus lire, entend-on priodiquement. En France pourtant, on ne peut sortir de chez soi, faire le plus petit voyage, sans rencontrer quantit de gens plongs dans toutes sortes de livres. Car le livre est une part essentielle de notre culture, et notamment de notre culture scolaire, qui s'est nourrie de toute la richesse de notre littrature. Ministre de la Culture, j'ai voulu qu'il soit accessible au plus grand nombre, qu'il devienne un objet usuel, et non un objet de luxe. Ministre de l'ducation nationale et de la Culture, j'ai cur qu'il devienne un objet familier pour tous, et ds le plus jeune ge. On n'a jamais fini de lire. Qui connat ce bonheur, sait que le verbe lire se conjugue tous les temps de l'indicatif. Nous lirons, parce que nous avons lu, et parce que nous lisons ! Certes le savoir est partout l'cole, dans la rue, au muse, au cinma, au concert, sur les crans de tlvision... Mais tout ce savoir, ce sont les livres qui, finalement, le recueillent. C'est entre leurs pages qu'il se concentre. C'est dans le livre qu'on continue d'apprendre. Car le livre, soi tout seul, est un monde. Mais aujourd'hui, lire est un impratif vital. Dans la France moderne, l'crit, ce n'est pas seulement le livre, c'est le journal, le document, le mode d'emploi, l'affiche, l'cran d'ordinateur, les sous-titres d'un film... Notre monde est domin par l'information crite ; les lettres y sont la palpitation mme de la vie. Ds lors, la socit attend de l'enfant qu'il matrise la lecture, l'criture, les langues trangres et les langages techniques. L'enjeu est de taille : il y va de la libert de chacun, de la comprhension mutuelle et du savoir de tous. Bien parler, bien lire, bien crire : ces trois impratifs, videmment lis, sont la clef de la pleine citoyennet. Seulement, pour que nos enfants lisent, encore faut-il leur apprendre aimer lire. Toutes les tudes le montrent, les jeunes franais n'ont jamais t si nombreux lire, mais leur intrt pour la lecture demeure assez tide. Par des voies que chercheurs et pdagogues ne cessent d'explorer, l'cole joue un rle essentiel dans la rconciliation de la jeunesse et du livre. Il faut que nos enfants retrouvent cette lecture gourmande que prescrivait l'ami Rabelais : Vous convient tre sages, pour fleurer, sentir et estimer ces beaux livres de haute graisse (...) puis, par curieuse leon et mditation frquente, rompre l'os et sucer la substantifique moelle . Sans doute faudrait-il trouver un nouvel quilibre entre la fin et les moyens, entre l'indicatif et l'impratif de la lecture. Rabelais disait encore que l'enfant est un feu allumer, pas un vase remplir. Le secret de cette flamme rside peut-tre dans notre propre aptitude lui prsenter le livre comme une demeure accueillante, comme une matire vive. Pour que les enfants puissent apprcier un jour la solitude face au livre, pour qu'ils dcouvrent qu'on n'est jamais seul avec un livre, il faut d'abord partager avec eux nos enthousiasmes de lecteur, leur lire des livres, leur en raconter, les encourager en retour parler de ce qu'ils lisent, de ce qu'ils crivent. Le plaisir du texte est aussi un plaisir partag. Le ministre d'tat ministre de l'ducation Nationale et de la Culture

Jack LANG

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Prsentation

L'accs une bonne matrise de la langue et de la culture crite est une condition essentielle la russite scolaire et, au-del, la russite sociale. Elle est, pour cette raison, l'objectif premier de l'cole primaire. Mais, l'enseignement de la langue est aussi, depuis des annes, l'objet de multiples dbats thoriques et pratiques. Il tait donc indispensable : - d'une part, de faire le point des acquis de la recherche en matire d'apprentissage de la lecture et de l'criture ; - d'autre part, en fonction de ces acquis, de fournir aux matres un ensemble d'orientations pdagogiques cohrentes, susceptibles de les aider organiser leur enseignement. Cette brochure rpond ce double objectif. En premire partie figure le texte d'orientations pdagogiques. Il a t labor par des groupes de travail composs d'enseignants, de formateurs, de chercheurs ; il est le fruit aussi de multiples concertations. Les orientations proposes s'appuient la fois sur les programmes existants, sur la rflexion engage sur ces programmes compte tenu des enjeux actuels de l'cole, sur les acquis de la recherche scientifique et sur l'volution des pratiques pdagogiques. La seconde partie a t rdige par un groupe d'universitaires (linguistes, psycholinguistes, psychocognitivistes, sociologues) dont les travaux font autorit dans le domaine de la lecture et de l'criture. Ce texte dresse un bilan des savoirs, mais indique galement les questions qui restent en dbat. Il aidera matres et formateurs mieux analyser les pratiques existantes ou innovantes, en vue d'une efficacit renforce de l'enseignement de la langue. Il est accompagn d'une bibliographie slective, permettant de poursuivre et d'affiner la rflexion. Le Directeur des coles

A. LEGRAND

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Matrise de la langue : langage oral, lecture et production de textes l'cole maternelle et l'cole lmentaire Rpartition des enseignements dans les diffrents cycles

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AVERTISSEMENT

Les prsentes recommandations proposent une rpartition des enseignements dans les trois cycles de l'cole primaire dans le domaine du langage oral, de la lecture et de l'criture. Pour chacun des cycles sont indiqus : - les comptences dvelopper en relation avec l'volution physiologique et psychologique de l'enfant ; - des exemples d'activits et de situations pdagogiques permettant de dvelopper ces comptences ; - des justifications des orientations proposes ainsi que des explications relatives certaines comptences linguistiques ou certains processus d'apprentissage, s'appuyant sur des acquis rcents de la recherche (voir texte en deuxime partie). Cependant, il n'est pas toujours ais de dterminer si telle comptence ou telle activit correspond plutt au cycle I ou au cycle II, au cycle II ou au cycle III. Certains apprentissages relvent en effet de processus de longue dure qui peuvent s'taler sur toute la scolarit primaire, voire au-del. C'est pourquoi ce texte est quelquefois redondant d'un cycle l'autre. Les lments ainsi rpts (ou repris un autre niveau d'laboration) attirent l'attention sur la ncessaire continuit de l'apprentissage. Il en est ainsi, par exemple, de la familiarisation progressive des enfants avec les livres qui doit tre une proccupation constante de l'enseignement du cycle I au cycle III. Par contre, dans le souci de ne pas alourdir le texte, d'autres lments ne sont dvelopps que pour un cycle donn, alors que l'apprentissage dbute avant ou se continue aprs ce cycle. Il en va ainsi de la comprhension qui n'est traite qu'aux cycles II et III, alors que la comprhension (particulirement du langage oral) est videmment dj au cur des objectifs du cycle I. Il est donc indispensable que les matres prennent connaissance de l'ensemble du texte, mme s'ils sont davantage concerns par le cycle dans lequel ils enseignent.

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INTRODUCTIONLa nouvelle politique pour l'cole primaire, dans laquelle l'organisation en cycles tient une place essentielle, invite prendre en compte, autant qu'il est possible, les acquis, les procdures et les rythmes d'apprentissage de chaque enfant. Objectif prioritaire de l'cole primaire, la conqute de la langue suppose que tout soit mis en uvre pour respecter ce principe. Les diffrences entre les enfants sont dj fortes l'cole maternelle, notamment parce que les modes de vie familiaux sont divers et parce que les faons dont chaque famille considre la place du langage dans la vie quotidienne et celle de l'crit, en particulier, sont elles aussi varies. Cependant, l'impact de la scolarisation est trs fort tout au long de l'cole primaire. Il est donc indispensable d'agir de manire dterminante, du dbut du cycle I la fin du cycle III, pour que chaque enfant accde une pratique efficace de la langue franaise. Les quipes de matres, particulirement l'occasion des conseils de cycle, explicitent la rpartition des apprentissages proposs aux lves dans chacun des domaines concerns. Cette rpartition doit conduire la ralisation des objectifs viss dans chaque cycle (voir le tableau des comptences requises). Les prsentes recommandations sont un guide pour la ralisation de ces aspects essentiels du projet d'cole, elles permettront en outre de s'assurer qu'aucune tape n'a t oublie. Cependant, cette programmation constitue plus un cadre de travail qu'une planification rigide. En effet, elle ne peut tre mise en uvre sans que soient prises en considration d'une part les situations locales (tant en ce qui concerne les lves que les moyens disponibles), d'autre part les diffrences, quelles qu'en soient les origines, entre les enfants. Elle est donc bien directement dpendante du projet d'cole et des dispositifs qui ont t mis en place pour le raliser. Les instruments choisis par les matres (manuels scolaires, fichiers, didacticiels) sont des aides importantes quand il s'agit de programmer l'avance cette rpartition des apprentissages. Ils ne peuvent cependant suffire, particulirement dans le domaine de la matrise du langage. En effet, ce sont les changes oraux produits dans les situations de classe qui stimulent et enrichissent le langage des enfants, favorisent des prises de conscience relatives au fonctionnement de la langue, clairent sur la nature des erreurs ou assurent les russites, bref permettent l'acquisition des savoirs et des savoir-faire. Par ailleurs, certains des apprentissages ncessaires, particulirement ceux qui concernent les activits de production orale ou crite, ne relvent que partiellement d'exercices ou de situations standardises. Si l'on peut s'appuyer sur les progressions que proposent les manuels, il convient, de toute vidence, de les complter avec les situations de dcouverte, d'explicitation ou d'exercice appropries chacun des axes de travail qui sont proposs ici et chacun des groupes d'enfants qui composent chaque classe. Mme si cela ne concerne qu'un nombre limit d'enfants, la rduction ou l'allongement de la dure du cycle sont possibles soit pour le cycle II soit pour le cycle III. L'introduction, voulue, de cette souplesse ne doit en aucun cas se traduire par l'oubli de phases importantes de l'apprentissage (comme lorsqu'un lve sautait une classe) ou par leur rptition pure et simple (comme lorsqu'un lve redoublait). Pour atteindre une vritable matrise du langage, il est ncessaire que chaque enfant puisse coordonner des apprentissages complexes dont aucun ne doit manquer. Cela signifie donc que le conseil des matres de chaque cycle, dans chacun des domaines concerns, doit viser formuler clairement des objectifs qui peuvent tre atteints plus ou moins rapidement selon les enfants. Cela signifie aussi que les valuations devraient permettre non seulement d'apprcier l'efficacit de chaque apprentissage, mais aussi de conduire chacun des enfants ou groupes d'enfants dans le parcours de ces apprentissages successifs. Elles doivent, en effet, mettre en vidence quel moment un savoir ou un savoir-faire semblent consolids, c'est--dire susceptibles d'tre rinvestis dans d'autres apprentissages. Elles sont donc un repre pour estimer que, pour tel enfant ou groupe d'enfants, cette phase tant acheve, il peut passer une autre, alors que tel autre a encore besoin de consolider ses acquisitions.

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CYCLE DES APPRENTISSAGES PREMIERS (CYCLE 1)

Comptences 1. Apprendre parler et communiquer - Entrer dans un dialogue - Dcrire une situation simple ou une image - voquer des situations absentes ou imaginaires - Faire du langage un objet de curiosit et de jeu

Exemples d'activits, de situations d'apprentissage - Le matre sert de modle, suscite des changes oraux avec chaque enfant - Il propose des situations qui imposent le seul usage de la voix pour transmettre un message - Il fait parler les enfants sur des situations et objets ludiques, des albums, des diapositives, des films...

2. S'initier l'criture : habilet manuelle et geste graphique - Dvelopper le geste graphique - Attribuer des significations aux traces graphiques - Dcouvrir l'espace de la feuille, de la page 3. S'initier au monde de l'crit - Dcouvrir les fonctions de l'crit (qui guide les adultes, leur permet d'agir, leur donne du plaisir) - Explorer le monde de l'crit (lieux scolaires et sociaux), identifier (comparer) des crits, en utiliser 4. S'initier produire (oralement) des textes

- Copie graphique, essais d'criture - Dialogue avec le matre propos des ralisations graphiques - Dplacement des signes graphiques dans l'espace de la page

- Le matre manifeste et explicite ses rapports avec l'crit - Il est mdiateur entre l'crit et l'enfant ; il aide reconnatre, observer ; il lit pour l'enfant

- Le matre crivain dit pourquoi il crit, ce qu'il crit, montre la liaison entre son geste graphique et le message qu'il nonce.

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CYCLE DES APPRENTISSAGES FONDAMENTAUX (CYCLE 2)

Comptences 1. Continuer d'apprendre parler : du langage de l'oral au langage de l'crit - Se servir du langage comme instrument d'investigation et de reprsentation de la ralit - Acqurir un langage plus riche et plus structur (lexique, morphosyntaxe) - Dcouvrir les structures et le fonctionnement de diffrents types de textes - Adapter la parole au contexte (codes sociaux de la communication)

Exemples d'activits, de situations d'apprentissage

- Le matre propose des situations de dialogues plus contraintes : il aide des prises de parole rgles, des expressions prcises - Le matre lit des textes varis - Il guide la comprhension par des questions - Les lves restituent les textes lus par le matre - Ils dcouvrent les contraintes de l'nonciation crite (dicte l'adulte)

2. Dcouvrir la structure et le fonctionnement de la langue - Accder la conscience des lments phoniques - Observer les relations entre l'oral et l'crit - Identifier les rgularits syntaxiques les plus frquentes

- Jeux sur le matriel sonore de la langue - Dcoupage en syllabes, phonmes - Dcoupage d'noncs en mots - Reprage de mots dans un texte, d'informations dans un paragraphe, un chapitre - Manipulation, comparaison de segments, d'noncs

3. Progresser dans la pratique de l'criture cursive et dcouvrir la complexit de la typographie - Apprendre et matriser l'criture cursive - Dcouvrir divers aspects de la typographie - Apprendre explorer l'espace de la page

-

Reproduction de modles Exercices de transcription Maniement de textes imprims Exploration visuelle de textes Initiation au maniement de claviers

4. Apprendre vivre au milieu des livres et des autres crits - Dcouvrir pleinement la fonction guidage de l'crit (objets et lieux) - Dcouvrir les espaces privilgis du livre

- Exploration de l'environnement - Visite des lieux du livre (bibliothques, librairies) - Utilisation de la BCD

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5. Apprendre produire des textes - Structurer globalement un texte en l'adaptant la situation de production - Moduler les noncs produits en fonction du destinataire - Apprendre diter des textes

- criture de rcits, mais aussi d'autres textes - Dicte l'adulte - Projet d'criture et planification - Production autonome de textes (avec aide, l'enfant ne pouvant rsoudre tous les problmes la fois) - Mise en mots et orthographe - Constitution de rpertoires de rfrence

6. Parvenir une reconnaissance automatique des mots - par voie directe (mots en mmoire) - par voie indirecte (identification des composantes graphophontiques) 7. Apprendre comprendre - Comprhension littrale - Comprhension fine

- Manipulation du code graphophontique pendant un temps suffisant pour accder la voie directe

- Segmentation du texte en units plus larges que le mot - Exercices sur des phrases piges - Exercices sur l'interprtation des substituts d'autres mots, des relations temporelles, des connecteurs - Reformulations de ce qui a t lu

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CYCLE DES APPROFONDISSEMENTS (CYCLE 3)Comptences 1. Matriser le langage et ses usages - Exposer, expliquer, discuter, convaincre en situation de discussion collective - Se confronter des points de vue diffrents - Anticiper la comprhension de son message par d'autres 2. Devenir plus autonome dans la production des textes crits - Dcouvrir les contraintes des diffrents types de textes - Se doter d'une langue crite correcte et d'une orthographe assure - Apprendre matriser les diffrents types de textes Exemples d'activits, de situations d'apprentissage - Compte rendu de travail en groupe - Prise de dcision collective

- Restitution crite de textes - Mise en mmoire de structures textuelles - Transformation de textes existants - laboration collective de textes documentaires destins mmoriser des savoirs disciplinaires - Production de textes originaux (de fiction, d'information) - Approche analytique des difficults (ou planification ou mise en mots) - Rcriture

3. Disposer d'une criture manuscrite efficace et s'initier l'dition des textes

- Prise de notes pour soi, travail au brouillon - criture soigne pour un destinataire - Activits de calligraphie - Mise en page - Dcouverte des procdures de fabrication des livres et des journaux

4. largir le champ des lectures possibles - Accrotre le capital de mots en mmoire - Explorer systmatiquement le code alphabtique (relations phonmes/graphmes rares, classements) - Comprendre des textes plus divers et plus difficiles - Lire des textes de plus en plus longs - Amliorer les stratgies de lecture

- Carnet individuel de mots - tude de textes difficiles - tude des correspondances graphies/ phonies systmatises par l'API - Prparation de la lecture par mobilisation des savoirs pralables des enfants sur le sujet - Alternance de prsentations orales et de lectures silencieuses - Mises au point, reformulations (pour aider mmoriser) - Le matre montre, commente sa propre stratgie de lecture

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5. S'initier par la lecture et l'criture la frquentation des uvres littraires

- Frquentation de tous les lieux de la lecture cultive (bibliothques, librairies) - Participation des changes, des discussions sur les livres

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Cycle des apprentissages premiers (Cycle I)

L'cole maternelle, depuis ses origines, se trouve confronte un choix difficile : entreprendre l'apprentissage systmatique de la lecture et de l'criture quitte gner considrablement de trs nombreux enfants qui ne sont pas encore prts pour ces acquisitions ; se consacrer au langage oral quitte ignorer que l'enfant vit dans un monde o l'criture joue un rle prpondrant. Tout au long de son histoire, elle a orient ses activits plutt dans l'une ou plutt dans l'autre de ces directions. En plaant sous sa responsabilit la totalit du cycle I et le dbut du cycle II, en faisant de la grande section un moment charnire o se construit, de manire module, le passage de l'un l'autre, c'est cette contradiction que l'on essaie de rsoudre. L'essentiel demeure de ne pas confondre les modalits pdagogiques de l'apprentissage (qui distinguent l'cole maternelle de l'cole lmentaire) et les contenus des apprentissages euxmmes (qui distinguent le cycle I du cycle II, le cycle II du cycle III). La pdagogie de l'cole maternelle (et de toutes les classes prlmentaires : sections enfantines, classes maternelles) consiste proposer des activits langagires permettant des acquisitions varies, enrichissant l'exprience et la culture personnelles, largissant les horizons et le plaisir de la dcouverte. C'est dire qu'on est hors de toute progression linaire dfinie a priori et prprogramme. C'est la voie qui s'impose ncessairement, d'une part du fait des carts importants de dveloppement entre enfants, d'autre part du fait que les enfants sont scolariss ingalement et qu'on ne peut tabler avec certitude sur les acquis antrieurs ou sur une assiduit continue. En revanche, l'cole lmentaire, les situations de dcouverte, l'explicitation des acquis, la mise en ordre des connaissances, l'usage autonome d'activits intellectuelles de base sont ancrs dans la progressivit des apprentissages. Les enseignants doivent donc organiser en progressions clairement programmes les tches d'acquisition systmatiques qui sont prpares par des situations de dcouverte et suivies par des situations de rinvestissement. La grande section est donc une classe charnire. Appartenant l'cole maternelle, elle doit maintenir fermement les modalits de travail qui sont les siennes, qui sont le gage de sa russite auprs des enfants (et de sa rputation auprs des familles), tout en proposant des contenus d'activits qui sont dj centrs sur les apprentissages fondamentaux de l'crit. Le partage entre cycle I et cycle II s'effectue donc bien entre d'une part, les classes centres sur l'apprentissage du langage oral et l'initiation certains aspects de l'crit, et d'autre part, les classes centres sur les apprentissages fondamentaux du lire-crire. Pour le cycle I, les apprentissages doivent donc se construire simultanment dans des activits centres sur la langue orale (voir section 1 : Apprendre parler et communiquer), sur le geste graphomoteur (voir section 2 : S'initier l'criture : habilet manuelle et geste graphique), sur la dcouverte d'crits multiples dont il faut connatre la fonction, comprendre les messages, saisir les formes spcifiques (voir section 3 : S'initier au monde de l'crit), mais qu'il faut aussi apprendre produire (voir section 4 : S'initier produire [oralement] des textes).

1. - APPRENDRE PARLER ET COMMUNIQUERApprendre parler, c'est tout la fois apprendre changer avec son entourage et dvelopper les diffrentes fonctions du langage : dsigner le monde qui nous entoure, agir sur lui par la parole, voquer des situations qui ont exist ou que l'on imagine. C'est aussi apprendre s'intresser au langage, c'est--dire jouer

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avec lui tout autant qu' prter attention ses formes et son fonctionnement. Tous les changes verbaux sont, pour l'enfant, l'occasion de progresser dans la matrise des contraintes qui rgissent ces usages du langage ; ils sont aussi le moyen d'acqurir les structures et les fonctionnements du franais. Le rle de l'adulte est, dans ce domaine, dterminant. Il organise et conduit des situations collectives de communication ; il entretient des dialogues frquents avec chacun des enfants de sa classe ; il attire l'attention du groupe ou des individus sur les contraintes fonctionnelles du langage. Par la qualit de ses changes verbaux et des modles qu'il fournit, il est celui qui peut, vritablement, permettre chaque enfant de commencer matriser la diversit des usages du langage et des formes de la langue. Il est difficile, pour un enfant qui n'est pas l'aise dans sa pratique du langage, d'apprendre lire et crire. Il importe, donc, dans le cadre du cycle I, que chaque lve puisse s'exercer rgulirement : - entrer dans un dialogue avec un adulte ou un groupe de pairs et le nourrir de sa propre participation (chaque enfant bnficie ainsi d'un maximum d'occasions de dialogue et s'initie au partage avec autrui des mots et des significations sans lequel aucune lecture ni aucune production de texte ne sont possibles) ; - dcrire une situation simple ou une image, en allant progressivement de l'numration des objets l'interprtation et la verbalisation des relations qui les constituent en un ensemble organis ; - voquer des situations absentes ou imaginaires (par exemple, annoncer une nouvelle, faire un petit rcit, prvoir une action simple) ; - faire du langage un objet de curiosit et de jeu (par exemple, grce des comptines, des activits potiques, des chansons, et toutes les activits o, de manire ludique, se trouvent diffrencies et articules formes et significations : manipulations des intonations, des sons, des rimes, des rythmes, des accents, des structures grammaticales...). Au cours du cycle I, les progrs langagiers de l'enfant sont impressionnants. Chaque enseignant d'cole maternelle se souvient de tel ou tel petit nouveau dont le langage bb tait incomprhensible en dehors de son entourage familial ; quelques mois plus tard, on le retrouve tenant de vritables dialogues avec les adultes de l'cole ou avec ses camarades. On sait aussi que ces progrs sont trs variables d'un enfant un autre et peuvent tre retards par manque de sollicitations. L'adulte joue en fait deux rles distincts dans cet apprentissage. D'une part, il est un modle pour l'enfant, non parce qu'il parle un langage irrprochable, mais parce qu'il veille ce que ses propos soient explicites et comprhensibles : chaque verbalisation de l'adulte est produite dans une situation de communication vidente, accompagne de l'intonation et des gestes qui conviennent, mise en scne dans un contexte facilement dcodable. D'autre part, l'enseignant suscite des changes riches et nombreux avec chaque enfant, soit qu'il reprenne une nonciation partiellement aboutie pour en donner une forme orale correcte (ce n'est pas ncessairement une forme relevant de la langue crite), soit qu'il engage un dialogue pour qu'une volont de communication qui ne trouve pas ses mots ou ses formes syntaxiques puisse tre mene son terme par l'enfant. Ces changes peuvent porter sur le matriel phontique (on se souviendra toutefois que la plupart des dfauts de prononciation sont normaux cet ge et que, s'ils persistent, ils demandent alors tre traits de manire spcifique). Ils peuvent porter sur le lexique et viser, tout la fois, l'enrichir et en prciser l'usage. Ils peuvent porter sur la syntaxe et tendre la rendre plus sre (phrase simple ou phrases simples juxtaposes) et plus complexe (phrase comportant des liaisons de coordination ou de subordination entre propositions). Ils peuvent porter sur la morphologie (formation des pluriels, des fminins, conjugaison des verbes). Ils peuvent mme aider l'enfant dpasser le simple dialogue et l'amener noncer de petits monologues dans lesquels il sera incit allonger ses phrases, les rendre plus complexes et les enchaner les unes avec les autres. C'est aussi cet ge que l'enfant doit commencer rendre plus explicites son langage et sa communication. Toutes les situations qui interdisent de faire appel aux regards, aux gestes ou aux mimiques et imposent le seul usage de la voix pour trans-

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mettre un message (tlphone, interphone, discussion de part et d'autre d'un objet faisant cran) sont autant d'occasions de conduire l'enfant dans cette voie. Elles doivent tre suscites de manire rgulire et sans artifice. Dans tous les cas, dans ce cycle, il ne s'agit ni d'expliquer ni de contraindre des exercices trop systmatiques. L'usage de supports ludiques s'avre depuis longtemps excellent. Ainsi les marottes ou marionnettes permettent d'obtenir d'autres changes que ceux qui sont lis des situations strictement fonctionnelles. Les albums illustrs ou les diapositives fixent en mmoire une histoire raconte avec leur aide et permettent, lors de la restitution, des changes particulirement riches ; ils servent aussi mettre en uvre le langage de la description lorsqu'on les dcouvre en partant de leurs images. Il en est de mme des films muets ou des missions de tlvision qui usent d'un graphisme trs lisible.

2. - S'INITIER A L'CRITURE : HABILET MANUELLE ET GESTE GRAPHIQUEL'acte graphique est un geste dlicat qui met en jeu la motricit globale de l'enfant (contrle du corps, immobilit de la posture), sa motricit fine (rglage des gestes du bras et de la main), le contrle visuel des traces produites, l'activit symbolique enfin qui attache ces formes des significations. Vers trois ans, l'articulation entre l'activit de l'paule et celle du poignet permet l'accs une motricit fine susceptible de se donner la capacit de dessiner ou d'crire ; au mme moment l'enfant attribue des significations aux traces que laisse son activit motrice et, dans ses tracs, il prend peu peu en compte le rpertoire social des formes graphiques : le bonhomme, la maison, l'arbre et bien d'autres objets deviennent reconnaissables en s'inscrivant dans des contours attendus. Un peu plus tard, les premiers essais d'criture (ce n'est encore souvent qu'un trait plus ou moins ondul) s'inscrivent dans ce monde susceptible de reprsentation graphique. Le dialogue avec l'adulte est ici dcisif. C'est, entre autres, par le langage qu'une fonction symbolique est attache aux tracs issus de son activit motrice. Entre trois et quatre ans, la coordination oculomotrice s'affirme. A ce moment, dans ses productions spontanes, il commence imiter de l'criture. Une rupture s'instaure lorsque l'enfant lie ces activits l'existence d'un ordre oblig dans le trac. Il rgule la dynamique de son activit, contrle les gestes (sens des rotations) qui lui permettent de reproduire des formes sans pourtant tre encore capable de grer le mouvement gnral de l'criture (d'o les nombreuses critures en miroir, les dplacements de la main inverss, etc.). Mme quand l'enfant dcouvre l'criture par la reproduction des capitales d'imprimerie, il va de soi que l'apprentissage graphomoteur doit viser, terme, la matrise de l'criture cursive. Le gaucher doit faire l'objet d'une attention spcifique : il ne pourra accder une pratique efficace et rapide de cette criture qu'en automatisant des gestes diffrents de ceux du droitier. L'activit graphique est, tout au long du cycle I, une activit essentielle. A ct des activits o l'enfant est laiss libre de ses gestes, d'autres activits doivent mettre en place de bons gestes, main guide d'abord, puis avec modle dynamique (c'est--dire guid par une dcomposition de l'enchanement des gestes). Ce n'est qu'au cours du cycle II qu'on parviendra une criture purement visuelle. Il ne faudrait cependant pas limiter l'initiation de l'criture celle de la formation de lettres et de mots. Ces lments doivent s'inscrire dans l'espace de la feuille de papier et celui-ci comporte ses propres codes, explicites ou implicites. C'est par un lent processus, encore inachev au cycle I, voire au dbut du cycle II, que l'enfant s'approprie les rgles qui lui permettent de situer, dans l'espace de la page, les mots ou les signes qu'il crit. Il doit en effet apprendre que la page comporte des zones lectives o s'installe le texte, que les lments graphiques doivent tre aligns selon certaines rgularits, que les blocs de texte reprables sur la page correspondent des groupements de sens, que les espacements entre ces blocs ou, au contraire, les rapprochements peuvent

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tre porteurs de significations. D'une manire gnrale, il est important que chaque enfant ait l'occasion, ds le cycle I mais aussi au-del, de pratiquer des activits dans lesquelles il dplace, dans l'espace de la page ou de la feuille, les signes graphiques dont il a l'usage. Ces derniers peuvent tre des lettres ou des mots mais aussi, comme en mathmatiques, des symboles.

3. - S'INITIER AU MONDE DE L'CRITNous vivons dans un monde o l'crit occupe une place importante. Il ordonne l'espace urbain et professionnel, mais aussi les espaces institutionnels comme l'cole. Chaque enfant peut dcouvrir, bien avant de savoir lire, que l'criture guide dans nombre de leurs activits les adultes qui sont autour de lui. Il peut aussi dcouvrir que l'adulte prend plaisir la compagnie de certains crits dans lesquels il s'absorbe. Il peut dcouvrir enfin que l'adulte crit des textes qui ont des effets multiples dans son entourage proche ou lointain. Le milieu familial joue encore un rle prpondrant dans cette sensibilisation prcoce. Il revient l'cole maternelle d'aider construire ce qui n'a pu l'tre dans la famille ou, lorsque cela a t fait, d'en prolonger l'acquisition. En effet, les acquis familiaux restent souvent lis des faons de faire singulires, des expriences particulires. A l'cole, l'enfant trouve la possibilit de se confronter d'autres manires de considrer l'crit et, donc, de gnraliser son exprience. Ainsi, dans l'un ou l'autre cas, l'enseignant doit tre un adulte qui manifeste et explicite ses rapports personnels l'crit et qui initie chaque enfant, avant mme qu'il sache lire et crire, aux pratiques les plus diverses de l'criture. Ds l'cole maternelle, on ne saurait se limiter aux crits de l'cole, qu'il s'agisse des livres, des albums, des affiches ou des crits fonctionnels les plus divers qui peuvent y tre rencontrs (tiquettes, listes, tableaux, organigrammes, modes d'emploi, rglements). La rue, le quartier, les espaces urbains privilgis et familiers, parce qu'ils sont des lieux de rencontre et de communication, doivent tre explors. Affiches, enseignes, sigles, panneaux de signalisation, mobilier urbain sont autant d'objets qui permettent une premire initiation aux fonctions diverses de l'criture. Parce qu'ils comportent des noncs courts, ils peuvent tre abords sans que l'enfant ait une matrise assure du texte ou de la phrase complexe. On peut en tablir des relevs, s'amuser les identifier dans des contextes contrasts, s'tonner de la diversit de leur taille, de leurs formes, de leur emplacement, des images ou des signes qui les accompagnent. L'enseignant est, dans ce cas, le mdiateur privilgi entre l'crit et l'enfant. Il est celui qui dvoile un monde nouveau et complexe plus que celui qui construit des apprentissages. Il est surtout celui qui suscite la curiosit et rpond sans se lasser aux questions qui lui sont poses. A l'cole, le domaine essentiel de l'crit reste cependant le livre. Au cycle I, le coin-lecture de la classe et la bibliothque-centre documentaire sont des espaces privilgis de la dcouverte de l'crit. Ils contiennent des albums, des contes et des rcits, des magazines, des fichiers, des livres de jeunesse mais aussi des livres pour adultes, des documentaires riches et varis, des collections d'images et de photographies. L'enseignant y est tantt un conteur, tantt un lecteur, qu'il s'adresse la classe, de petits groupes ou un enfant seul. Dans les deux cas, il s'agit d'histoires ralistes ou imaginaires dont les hros, les pripties, les dnouements ravissent les enfants. En revanche, c'est seulement lorsqu'il lit que le matre donne aux enfants une premire culture de la langue crite avec ses ellipses, ses contraintes lexicales et syntaxiques et, surtout, sa stabilit dfinitive. Il redit ou relit frquemment les mmes histoires pour que chaque enfant prouve le plaisir de l'anticipation d'un texte dj connu et acquire dj certaines des caractristiques de l'crit. Il sait faire partager l'motion que procure le rcit, voire le texte lui-mme, particulirement lorsqu'il emprunte les formes rythmes de la posie. A ct de ces crits de fiction, avec l'aide de l'enseignant, les enfants commencent apprendre identifier et, dans certains cas, utiliser les crits fonctionnels qui

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sont prsents dans la classe, particulirement lorsqu'ils se trouvent sur des objets d'usage courant. Ceux-ci font alors partie de ces choses familires que l'on sait dsigner, qu'on peut aller chercher leur place et ranger ensuite convenablement. Pour certains d'entre eux, on sait quels types d'information ils contiennent et on peut, au besoin, se les faire lire par un adulte. Des documents-ressources associant crit et image (dictionnaires, imagiers, fiches ou affiches labores dans la classe) constituent autant de rpertoires auxquels il est possible de revenir. C'est souvent sur ces crits courts trs familiers (en particulier les tiquettes des prnoms) que les enfants font des remarques sur le code graphique, reconnaissent des formes stables, conduisent leurs premires identifications (longueur du mot, initiale, jambages, etc.), s'interrogent sur la varit ou les variations des formes (prnom crit en cursive ou en script, en minuscules ou en capitales). Le matre encourage toutes les remarques des enfants qui indiquent leur curiosit pour le code graphique et rpond aux questions poses ; il propose des activits permettant de comparer des formes graphiques, mais sans chercher pour autant mettre en uvre des procdures systmatiques d'apprentissage. Les enfants peuvent ainsi dcouvrir les relations qui existent entre l'oral et l'crit. Avant de savoir lire, les enfants ne pensent pas qu'une phrase crite reprsente forcment la suite des sons de la phrase orale correspondante. Le mot, c'est--dire la suite de lettres qu'isolent les blancs qui l'encadrent, est l'unit autour de laquelle se construit cette relation. Or celui-ci n'a pas d'existence propre pour un jeune enfant qui ne sait pas lire, puisque l'oral est segment par l'accentuation en groupes prosodiques plus larges. L'enfant doit donc apprendre dcouper ses noncs en mots. Ceux qui dsignent des objets ou des actions sont plus facilement dcouverts et isols que ceux qui jouent un rle grammatical (dterminants, conjonctions, etc.). Les exercices visant segmenter le langage oral en mots prparent efficacement l'apprentissage de la lecture et de l'criture.

4. - S'INITIER PRODUIRE (ORALEMENT) DES TEXTESPour que l'enfant puisse se doter de la langue de l'crit, on ne peut se contenter de l'imprgnation produite par la rencontre frquente de textes lus et de livres feuillets avec un adulte. Il importe que l'lve puisse se livrer prcocement une activit dans laquelle il prend conscience qu'il sait non seulement comprendre les textes qui lui sont lus mais qu'il peut aussi, sinon produire un texte, du moins participer la production collective de celui-ci. L'adulte est, dans la classe, le lecteur par procuration des enfants. Il doit aussi tre leur crivain. Certes, dans les premires annes de l'cole maternelle, il n'est pas encore utile de mettre en uvre, de manire systmatique, des moments de dicte l'adulte comme on le fera au cycle II. Cependant, chaque fois que l'occasion s'en prsente, l'enseignant peut utilement offrir ses lves l'exemple d'un moment de production de texte. Il suffit pour cela qu'il explicite les raisons de son acte d'criture et qu'il dise haute voix ce qu'il crit. Une lettre aux parents ou d'autres enfants, un organigramme relatif la vie de la classe, un mode d'emploi, une recette sont videmment des textes faciles mettre en situation. Toutefois, une histoire, un conte, la relation d'un vnement important de la vie collective ou de celle du quartier, une comptine, une posie ou une chanson peuvent tre produits dans un contexte qui en justifie l'occasion aux yeux des enfants. Dans tous les cas, l'important est que les lves puissent observer la liaison entre le geste graphique traant le texte devant eux et le message que l'adulte nonce au fur et mesure qu'il l'crit. Les questions et les remarques des enfants sur cette activit sont alors les bienvenues, l'objectif tant prcisment de susciter les curiosits et d'tendre le registre des observations. Toutes ces activits visent donc trois grands objectifs. D'une part, elles sont destines permettre une meilleure matrise du langage oral, objectif prioritaire du cycle I. C'est le rle de toutes les situations de rception et de production de messages centres sur la communication. D'autre part, elles ont pour objet de prparer la ma-

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trise de l'crit dans ce qu'il a de spcifique. Ainsi, par exemple, quand le matre se met lire et non plus seulement raconter des histoires, sont progressivement introduites des activits centres sur la comprhension des textes crits. Si chaque enfant a en mmoire des textes de rfrence dont la structure, la syntaxe, le lexique relvent de l'crit, les apprentissages des cycles II et III (quand il s'agira de lire et aussi de produire des textes) en seront rendus plus aiss. Enfin, les acquisitions concernant la langue crite ne portent pas seulement sur les activits de comprhension et de production, elles doivent aussi rendre attentif aux aspects formels de la langue. Manipuler le langage oral travers des jeux phonologiques varis, observer ou imiter les codes graphiques sont autant d'occasions, pour l'enfant, de dcouvrir intuitivement que la langue peut aussi tre traite pour elle-mme, indpendamment de la transmission d'un message. Faire manipuler la langue, assurer une premire imprgnation par des textes crits, exercer la comprhension et la production dans des situations de communication varies, constituent donc les trois grands domaines de travail du cycle I.

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Cycle des apprentissages fondamentaux (Cycle II)

Le cycle des apprentissages fondamentaux commence ds la grande section de l'cole maternelle et dure jusqu' la fin du cours lmentaire premire anne. Depuis 1972 les instructions officielles recommandent que soit ainsi tal sur plusieurs annes l'apprentissage explicite de la langue crite. Cette organisation des apprentissages dans la dure veut tre un lment puissant pour prvenir les checs dans l'accs la langue crite et amener chaque enfant la comptence de lecture et d'criture ncessaire une scolarisation longue. Le statut de la grande section permet la plus grande souplesse. Le cycle II s'y amorce, mais pour certains enfants le cycle I s'y termine. Sont ici essentielles les activits habituellement pratiques dans cette classe : accs aux structures textuelles et linguistiques de la langue crite, prise de conscience du systme phonologique en particulier. Il ne s'agit pas de brler les tapes, ni de hter trop le moment o commence un enseignement explicite de la lecture au risque de crer d'importantes difficults pour beaucoup d'enfants. En consquence, il est indispensable, dans tous les cas, avant de commencer les apprentissages structurs, d'amener leur pleine maturit les comptences langagires dfinies pour le cycle I ; c'est l le gage sr d'une bonne matrise ultrieure de la langue. Le cycle II s'organise selon quatre grands axes. Tout d'abord, il s'agit de poursuivre les activits visant une meilleure matrise du langage oral. Elles ont t commences au cycle I. Il convient maintenant de prvoir des situations d'apprentissage spcifiques qui prparent plus directement la rception et la production des textes crits (voir, ci-dessous, section 1 : Continuer d'apprendre parler : du langage de l'oral au langage de l'crit). Un deuxime axe concerne ce que l'on dsigne, en gnral, sous la dnomination de travail du code. Il s'agit l de tout ce qui conduit percevoir, sous la continuit des paroles nonces, leurs constituants lexicaux et phonologiques dont les quivalents en langue crite sont des mots ou des assemblages de mots et des lettres ou des assemblages de lettres. Il s'agit aussi de tout ce qui permet l'enfant de pouvoir reconnatre et reproduire les diffrentes critures manuscrites ou imprimes d'usage courant (voir section 2 : Dcouvrir la structure et le fonctionnement de la langue et section 3 : Progresser dans la pratique de l'criture cursive et dcouvrir la complexit de la typographie). Les axes suivants ne font que dbuter au cycle II. Le troisime se donne pour objectif d'articuler entre elles les capacits de production et de rception des textes de manire mieux assurer la familiarit avec la culture crite en train de se constituer. Ceci n'est possible que si les lves du cycle II continuent se doter d'une mmoire des textes lus ou entendus qui dborde et anticipe largement les activits de production qui leurs sont proposes (voir section 4 : Apprendre vivre au milieu des livres et des autres crits et section 5 : Apprendre produire des textes). Le dernier axe vise faire de chaque lve un lecteur autonome. Il associe les deux dmarches qui constituent cette autonomie : dpasser le dchiffrage et aller de la simple comprhension littrale la comprhension fine (voir section 6 : Parvenir a une reconnaissance automatique des mots et section 7 : Apprendre comprendre).

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1. - CONTINUER D'APPRENDRE PARLER : DU LANGAGE DE L'ORAL AU LANGAGE DE L'CRITTout au long du cycle II, le dveloppement des comptences de communication et d'expression orales reste un objectif prioritaire. Pour rpondre cette exigence formule depuis plus de vingt ans par les textes officiels, les matres ont souvent organis des sances de conversation collective dans la classe. Chacun a pourtant vite peru que ces moments de langage, quel que soit leur intrt, ne permettent gure aux enfants de parler (le temps de parole est limit par le nombre) ni de progresser. Ils ne sauraient donc suffire. L'objectif vis ce point de la scolarisation est en effet double. Tout d'abord, chaque enfant doit parvenir prendre la parole et enchaner ses propos sans se limiter aux situations dans lesquelles le langage accompagne spontanment les gestes, les actions, les motions, ou encore permet de formuler une demande ou de rpondre une sollicitation. En effet, entre 5 et 7 ans, le langage doit devenir un instrument d'investigation et de reprsentation de la ralit, qu'elle soit perue ou remmore, un instrument d'anticipation des vnements et des situations venir, bref un moyen de penser efficacement. Cette fonction de reprsentation (essentielle pour pntrer le monde de l'crit) ne peut se construire en laissant progresser spontanment les exigences de la communication : elle doit tre poursuivie pour elle-mme. Par ailleurs, chaque enfant doit se doter d'une langue franaise plus riche et plus finement structure, tant sur le plan de la morphosyntaxe que sur celui du vocabulaire. En effet, mme si le langage dont dispose l'lve lui permet, l'issue du cycle I, de communiquer avec une certaine aisance, cela est loin d'tre suffisant pour rpondre aux efforts intellectuels et aux acquisitions de connaissances que l'cole exige de lui. Et, l encore, tous les enfants ne sont pas au mme niveau en commenant le cycle II : il y a ceux dont le franais n'est pas la langue maternelle pour lesquels un effort tout particulier doit tre fait avec l'ensemble des moyens dont dispose le groupe scolaire ; il y a ceux dont le franais a jusqu'ici essentiellement servi accompagner les situations concrtes et satisfaire aux urgences des actions de la vie ordinaire : pour les uns comme pour les autres, l'attention des matres doit tre permanente et, si ncessaire, des dispositifs particuliers doivent tre installs (organisation spcifique de la classe, soutien, classe d'initiation, rseaux d'aides spcialises). Comme au cycle I, les exercices rptitifs standardiss, les explications magistrales ne suffisent pas transformer les faons de dire et la langue qu'on parle ; il faut donc mettre en place des occasions d'changes verbaux soutenus par l'enseignant, en petits groupes ou individuelles. Dans ces moments de dialogue, l'adulte demande des prcisions, des explications, des efforts d'explicitation qui ne sont pas requis par la seule communication (il a gnralement parfaitement compris ce que l'enfant veut dire), mais par les exigences de cette nouvelle matrise langagire. C'est pourquoi les discussions spontanes entre enfants, propres faire progresser les aptitudes la communication, ne peuvent se substituer celles qui ont lieu entre un adulte et un enfant ou entre un adulte et un petit groupe d'enfants. Les dialogues qui se nouent alors, fortement appuys sur le langage de l'adulte qui, tout la fois, sert de modle et indique des solutions aux tentatives infructueuses, permettent de vritables progrs. Les apprentissages explicites des disciplines linguistiques (vocabulaire, grammaire, conjugaison, orthographe) qui, progressivement, vont tre abords au cycle II, s'appuient trs directement sur cette matrise pralable du langage, mais ne sauraient s'y substituer. C'est au cycle II que chaque enfant apprend mieux rgler ses prises de parole en fonction du contexte o elles se produisent. On ne parle pas en cours de rcration comme en classe, un adulte comme des camarades du mme ge, quelqu'un qu'on connat comme quelqu'un qu'on ne connat pas. Le respect de ces codes implicites qui touchent tous les aspects du langage (intonation, articulation, grammaire, lexique) est un gage important de l'efficacit de la prise de parole, c'est aussi une forme de politesse et ce n'est pas son moindre intrt dans l'ducation des comportements sociaux.

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Les objectifs de matrise du langage peuvent tre viss, tout au long du cycle II, au cours de situations de communication de plus en plus contraintes. Alors qu'au cycle I, le dialogue occasionnel s'avrait l'un des meilleurs moyens de produire des changes efficaces, au cycle II, celles-ci peuvent tre mises en uvre dans des squences structures autour d'un objectif clairement dfini. Par ailleurs, au cycle II, se poursuit l'initiation au langage de l'crit commence au cycle I, mais de faon beaucoup plus intensive. Compte tenu des capacits de lecture et d'criture de cet ge, il est souvent ncessaire d'emprunter prioritairement le canal de la communication orale (lectures par l'enseignant ou avec une forte participation de l'enseignant, production de textes utilisant l'adulte comme guide et scribe). Enfin, en mme temps qu'il apprend lire et crire de manire autonome des textes sa porte, chaque enfant continue enrichir sa culture de l'crit avec des lectures plus longues et plus complexes qu'au cycle I. Il peut ainsi dcouvrir les structures et les fonctionnements spcifiques de textes de diffrents types (narratifs, mais aussi injonctifs ou descriptifs), ainsi que les structures et le fonctionnement du franais crit qui y correspondent. Dans ce but, l'enseignant continue d'tre un lecteur infatigable de textes varis : rcits, bien sr, mais aussi posies, documentaires, etc. La mmorisation de ces textes est un moyen important pour aider les enfants s'en approprier les rgularits et les spcificits. En dehors des textes appris par cur, qui peuvent tre de la prose ou des vers, on peut demander rgulirement un lve, ou un groupe d'lves, le rappel immdiat ou diffr d'un texte pralablement lu par l'adulte. C'est l'occasion d'affiner la comprhension, d'inciter au remploi du lexique ou des tournures de langue, de mettre en uvre la rflexion de chacun sur les contenus proposs (Est-ce que cette situation, cette remarque, ce personnage, etc., est possible dans ce rcit, cette histoire ?), mais aussi sur les formulations nonces (Est-ce que cela peut se dire dans une histoire, un mode d'emploi, une lettre ?). On peut, dans la mme perspective, prsenter des textes brefs qui posent de vritables problmes de comprhension (textes ambigus, elliptiques ou comportant une contradiction). Il s'agit alors de faire surgir dans la discussion les indices sur lesquels on s'appuie pour comprendre, ainsi que les procdures mentales qu'un lecteur expriment emploie sans y penser quand il lit. La dicte l'adulte, dcouverte au cycle I, peut devenir une modalit ordinaire du travail d'criture au dbut du cycle II, o elle est un moyen commode de constituer un rpertoire de textes sur lesquels de nombreux exercices pourront tre effectus, tant en lecture qu'en criture. On vise alors obtenir des crits plus longs, mieux structurs, mieux adapts leur fonction ou leurs usages. L'attention que l'enseignant accorde aux productions orales des enfants se focalise sur de nouveaux aspects de l'nonciation. Dans les cas o l'nonciation orale est oriente vers la dicte l'adulte, c'est--dire vers la production d'un texte susceptible d'tre crit, il faut trouver des situations permettant aux enfants de passer sans trop de peine du dialogue au monologue (par exemple dans des rcits rapports). L'usage des pronoms et des autres substituts du groupe nominal doit tre mieux assur que dans le cycle I. Les enchanements de phrase phrase doivent tre plus explicites et, donc, plus complexes que la simple juxtaposition ; ils doivent s'appuyer sur un usage cohrent des temps verbaux. Dans le rcit oral, en particulier, la mise en place de la situation dans l'espace et dans le temps, la prsentation des personnages, l'articulation des vnements les uns par rapport aux autres, la conclusion doivent tre facilement manipules. L'usage des pronoms de premire et deuxime personne, points d'appui de l'nonciation, et celui des pronoms de troisime personne, substituts du nom, doivent tre distingus. Un enfant qui a des difficults faire part un tiers d'un vnement que celui-ci n'a pas vcu risque d'avoir de srieuses difficults dans le dveloppement de ses capacits de production crite.

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2. - DCOUVRIR LA STRUCTURE ET LE FONCTIONNEMENT DE LA LANGUECet aspect de l'apprentissage repose sur deux types d'objectifs qui ne doivent pas tre confondus. D'une part, il s'agit pour l'enfant de dcouvrir la structure et le fonctionnement de la langue comme chane sonore l'oral et chane graphique l'crit. D'autre part, il doit dcouvrir, ce que le simple exercice de la parole ne permet pas, que la langue est constitue de mots qui sont, dans l'crit, les units de traitement de la lecture. Vers cinq ans, un enfant est gnralement capable d'accder la conscience des lments phoniques qui constituent les paroles qu'il prononce ou entend. C'est l un seuil de dveloppement que des exercices systmatiques ne semblent pas pouvoir rendre massivement plus prcoce. En revanche, ceux qui n'ont pas spontanment acquis cette conscience phonologique tirent profit d'activits ludiques mettant en jeu le matriel sonore de la langue. En jouant avec les sons, ils dcouvrent qu'au-del des assonances avec lesquelles ils se sont familiariss en apprenant des comptines, il existe entre certains mots des similitudes phonologiques. Ils peuvent alors segmenter les noncs en syllabes orales puis en phonmes. Ils acquirent ainsi, de manire progressive, un savoir des diffrents phonmes de la langue et deviennent capables de les identifier dans des contextes varis (le mme phonme ne se repre pas aussi bien selon qu'il est en dbut ou en fin de mot ou encore en milieu de mot ; la prononciation d'une voyelle n'est pas tout fait la mme selon les types de consonnes qui la prcdent ou la suivent : elle peut donc n'tre pas identifie comme le mme phonme). La connaissance du systme phonologique de la langue n'est gnralement bien acquise qu'en fin de cycle II, en fait lorsque l'colier sait lire. Cependant, toutes les recherches convergent aujourd'hui pour affirmer qu'un enfant qui sait manipuler la ralit sonore du langage a beaucoup plus de facilit pour apprendre lire. Tout se passe comme si la mise en correspondance des graphmes et des phonmes ncessaire pour matriser le code de l'crit profitait de ces acquis construits pralablement dans la seule manipulation de l'oral. Pourtant, entraner les lves segmenter systmatiquement les mots en syllabes et en sons (pellation phontique) ds le dbut du cycle II ne produit pas forcment la vigilance et l'intrt pour les caractristiques formelles de la langue. Si la capacit d'pellation phontique est bien un signe de cette vigilance, elle n'en est pas la cause. On prpare les enfants cette analyse des noncs oraux grce tous les jeux portant sur les sonorits qui peuvent alterner avec des exercices plus structurs. Il convient donc de poursuivre et d'accentuer, en passant du cycle I au cycle II, une pdagogie des comptines, des jeux rims, de l'invention verbale et potique. De mme, il est indispensable, dans la continuit de ce qui a t entrepris au cycle I, de faire mieux saisir aux enfants les relations entre l'oral et l'crit. Tout au dbut du cycle II, l'enseignant devra aider les lves observer et structurer les principes gnraux de correspondance entre un message oral et sa transcription crite. Il attirera tout particulirement l'attention sur le fait que tous les mots sont reprsents dans l'ordre de leur mission. Suivre avec le doigt un texte qui est en mme temps oralis par l'enseignant, retrouver les mots d'une petite phrase crite au tableau et prcdemment lue par l'adulte ou encore identifier dans un texte les mots qui ont t auparavant isols dans son oralisation sont de bons moyens pour faire accder chaque enfant la conscience du rle jou par les signes crits dans le codage du langage. On peut, paralllement, tendre l'exercice d'autres units, plus larges, de la langue crite comme le paragraphe ou le chapitre. Dans un texte long propos de prfrence dans sa prsentation originale, on demande aux enfants de retrouver le paragraphe dans lequel il est question de tel ou tel aspect de l'histoire, le chapitre dans lequel survient tel ou tel vnement. Les lves s'entranent ainsi se dplacer dans un crit en s'appuyant sur des indices divers qu'ils doivent pouvoir progressivement expliciter. La connaissance de la structure de l'histoire ou du document (C'est au dbut... ; C'est aprs (tel vnement)... ; C'est aprs (telle information)...), le reprage dans le texte de mots caractristiques comme Il tait une fois..., Un jour..., Soudain... ou,

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dans un document, comme D'une part..., D'autre part..., En effet..., Pourtant..., l'attention porte des indices typographiques comme une lettrine enlumine en tte de paragraphe ou une simple majuscule, ou encore aux tirets et guillemets marquant un dialogue, la sensibilisation des effets de mise en page comme un encadr, un titrage, l'usage du gras ou de l'italique sont autant de moyens dont chaque enfant doit progressivement se doter. Des exercices de ce type supposent qu'on offre des textes comportant toutes les caractristiques de l'criture imprime. Enfin, les rgularits syntaxiques les plus frquentes, comme les marques du pluriel ou celles du fminin sont rgulirement signales par les enseignants au cours du cycle II. Elles sont, enfin, systmatiquement repres dans le cadre d'une premire approche rflexive de la grammaire de la langue. En comparant des noncs, en faisant varier certaines de leurs parties, en en dplaant d'autres, les enfants voient comment fonctionne la langue crite et se dotent d'une sensibilit aux grandes architectures de la phrase. C'est l un indispensable support pour les connaissances grammaticales qui seront acquises dans des exercices spcifiques. L'apprentissage de la lecture et celui de la production de textes ne peuvent tre dissocis de l'ensemble de ces savoirs phontiques, smantiques et morphosyntaxiques.

3. - PROGRESSER DANS LA PRATIQUE DE L'CRITURE CURSIVE ET DCOUVRIR LA COMPLEXIT DE LA TYPOGRAPHIEDs le cycle I, les enfants savent distinguer entre un dessin et une criture, tant dans des activits de reconnaissance que dans des activits de production. C'est surtout au cycle des apprentissages fondamentaux qu'on entre dans la didactique spcifique de l'criture manuscrite. Elle repose sur une bonne position du corps, du bras et de la main, sur la matrise des diffrents supports d'criture (cahier, feuille, ardoise, etc.) et sur la capacit se servir des divers instruments scripteurs. On n'oubliera pas d'offrir aux gauchers la pdagogie adapte que leur latralisation requiert. La position du corps et de la main, la disposition du support d'criture sur la table, la tenue des instruments posent autant de problmes que l'enfant gaucher ne saurait rsoudre seul. Au cours du cycle II, chaque enfant doit parvenir matriser l'criture cursive. De plus, l'automatisation devra tre recherche, de manire librer l'esprit pour la gestion de l'orthographe et l'activit de la pense. La vitesse d'criture s'acclrera ultrieurement. Au cycle II, c'est l'aisance qui doit, prioritairement, faire l'objet de l'attention de l'enseignant sans que celui-ci relche pour autant l'exigence de la qualit graphique. Pour apprendre la forme de la lettre (son dessin), la liaison d'une lettre l'autre et l'enchanement des mots (la trajectoire de l'criture), la reproduction de modles est l'exercice principal. Au cours du cycle I, la copie main guide permet certains enfants de se constituer de bonnes reprsentations motrices. Paralllement, les exercices graphiques ont mis en place une coordination oculomotrice correcte, un contrle souple de la motricit manuelle. Nanmoins, la charge d'attention que requiert l'criture manuelle reste longtemps leve. C'est donc une activit fatigante, mais qui prsente l'avantage d'tre autorgule si l'enfant peut en permanence comparer ses ralisations au modle, comme dans la copie visuelle. partir de la grande section, puis au cours des premires annes de l'cole lmentaire, cette dernire est rendue progressivement plus difficile par l'loignement du modle dans l'espace ou par sa localisation dans des plans diffrents de celui du support de copie voire par de la copie lgrement diffre dans le temps (le modle, videmment trs court, est supprim lorsque l'enfant l'a regard et l'criture se fait donc de mmoire). Peu peu, lorsque l'apprentissage explicite de la lecture a commenc, des exercices de transcription dans lesquels l'lve doit copier en criture cursive un petit texte imprim ou crit en script permettent de fixer les correspondances entre les divers types d'criture.

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Les diffrents aspects de la typographie - dont le reprage facilite l'activit de lecture - sont utilement dcouverts dans des exercices de maniement de textes imprims dcoups et colls. Mise en page, titrage, organisation des relations entre texte et image constituent une premire initiation la prsentation des textes crits, en mme temps qu'un apprentissage des informations typographiques les plus simples qu'utilise l'imprimerie (celles qui doivent tre dcodes lors de la lecture). Une premire initiation l'utilisation des claviers peut contribuer heureusement la dcouverte de certains aspects du fonctionnement de la langue crite. La production des signes de l'criture n'est pas la seule activit qui mette en jeu l'habilet motrice des enfants. L'exploration visuelle d'un texte en est tout autant tributaire. Pour dplacer son regard le long d'un dessin ou d'une ligne de symboles graphiques, l'enfant du cycle I a souvent besoin de mobiliser une grande partie de son corps tant l'activit oculaire est encore difficile. Au cycle II, il a encore besoin de tourner la tte au fur et mesure que son il avance dans le texte et ce n'est que trs progressivement qu'il limite son activit motrice aux seuls mouvements oculaires. Jusqu' l'ge de 9 ou 10 ans, il n'est pas rare d'observer des lves qui, pour mieux explorer l'espace graphique, ont encore besoin de mouvements amples de la tte ou mme d'un guidage par le doigt ou la main. Si ces adjuvants ne doivent pas tre encourags, ils ne sont pas non plus proscrire. La prcision du dplacement du regard ncessaire une bonne lecture, la souplesse des retours en arrire ou des anticipations, le passage sr d'une ligne l'autre exigent du temps et, pour l'enseignant, de la patience.

4. - APPRENDRE VIVRE AU MILIEU DES LIVRES ET DES AUTRES CRITSAu cycle II, comme au cycle I, l'enfant continue de dcouvrir le monde crit qui l'entoure. L'approche des textes requiert en effet quelque exprience des usages sociaux dans lesquels ils sont pris. Avant de savoir lire et lorsqu'ils commencent apprendre lire, les lves ont dj capitalis de nombreux savoirs implicites sur les faons de vivre au milieu des informations et des ralits culturelles qui nous entourent. Lorsqu'on a affaire des enfants dont le milieu familial et l'entourage social restent loigns des pratiques de l'crit, il appartient l'cole de crer les conditions pour que cette accumulation d'expriences ait lieu pour chacun. Dcouvrir comment l'crit joue un rle essentiel dans le guidage des usagers (dans la rue, dans une gare, dans les magasins), s'intresser aux crits ports par des objets familiers (tiquettes, modes d'emploi, prcautions d'usage, marques publicitaires, compositions, etc.), s'initier enfin et surtout aux espaces privilgis du livre (librairies et bibliothques) sont des moyens pour l'enfant de dcouvrir les gestes cultivs de la lecture qui peuvent utilement accompagner l'apprentissage et, ensuite, l'enrichir et l'entretenir. Au cycle II, la bibliothque de classe, la bibliothque-centre documentaire, la bibliothque du quartier ou le bibliobus doivent devenir familiers grce un usage rgulier. Les points de vente de livres auront, de leur ct, t reconnus. Ces divers espaces culturels sont complmentaires.

5. - APPRENDRE PRODUIRE DES TEXTESL'un des plus grands progrs de l'histoire de la scolarisation survient, au dbut du XIXe sicle, lorsqu'on abandonne la tradition qui voulait qu'on n'apprenne crire que lorsqu'on savait lire. Nous sommes peut-tre arrivs un moment o un nouvel effort, aussi important, est ncessaire. Dans une socit o la plupart des enfants sont promis une scolarisation longue, on attend d'eux une matrise de l'criture sans commune mesure avec la capacit de rdiger autrefois exige en classe de fin d'tudes. L'accs la

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langue crite est aujourd'hui, prioritairement, un accs la production de textes. Cet objectif doit tre considr par tous les enseignants des cycles II et III comme la grande affaire de l'cole. En outre, en augmentant les exigences dans ce domaine, on ne peut que renforcer les capacits de lecture de chaque lve. En effet, pour que l'enfant puisse se doter de la langue de l'crit, l'imprgnation produite par la rencontre frquente de textes lus et de livres feuillets avec un adulte n'est qu'une premire tape. Au cycle II, en aidant l'colier produire prcocement des textes crits, on l'amne prouver les contraintes de la langue et des formes textuelles, anticiper la structure d'ensemble du texte qu'il veut produire, dcouvrir enfin les difficults de la mise en mots, ce qu'aucune lecture ne peut laisser supposer. Si, en outre, on n'oublie pas d'inscrire les situations d'criture proposes aux lves dans des projets, mme modestes, qui dpassent et motivent la simple activit de production, on offrira chaque enfant la possibilit d'prouver l'adquation de son travail aux buts qu'il s'tait assigns.

5.1. - Produire des textes avec l'aide de l'adulteUn exercice devenu familier l'cole maternelle, la dicte l'adulte, est un excellent moyen de faire produire des textes des enfants qui ne savent pas encore crire seuls, ou, plus tard, dont l'criture est si lente et si laborieuse que leur attention n'est pas disponible pour l'activit de production proprement dite. Pour srier les difficults, on peut mettre l'accent sur l'adaptation du texte son usage (pour informer une classe voisine vaut-il mieux faire une lettre ou une affiche ? le texte retenu possde-t-il bien les caractristiques de l'une ou de l'autre ?), sur sa structure gnrale et sur sa cohrence. On peut, au contraire, au cours d'autres sances de travail, s'attacher au dtail de la mise en mots, la cohsion de la phrase ou celle des enchanements. Selon les cas, on utilise des situations de dicte collective, de dicte en petits groupes ou, mme, de dicte individuelle. Ce dispositif peut valoir pour divers types d'crits : rcits, lettres, consignes, modes d'emploi ou mme comptines et jeux potiques. L'essentiel rside d'abord dans la prise de conscience par les lves que l'on se trouve dans une situation d'criture, que les noncs que l'on doit produire sont destins tre crits. Cette situation impose des contraintes spcifiques qui, en fin de cycle I, commencent tre senties puis deviennent, au cours du cycle II, explicitement dsignables. Dans ce but, on ne saurait se contenter de simples transcriptions de l'oral. Il est ncessaire que, avec doigt, l'enseignant aide aux reformulations des noncs en situant ses exigences peine au-del de la limite de ce que les enfants sont capables de trouver par eux-mmes. En passant du grand groupe au petit groupe, voire la relation interindividuelle, il est ainsi possible de doser les efforts et d'adapter la situation aux besoins de chacun. Quand ils sont parvenus comprendre la diffrence qui existe entre prendre la parole et dicter, beaucoup d'enfants ne savent pas encore, cependant, matriser leur dbit pour attendre que le scripteur ait termin d'crire ni demander des relectures pour contrler la cohsion de leur mise en mots et effectuer des reformulations. Par ailleurs, peu nombreux sont ceux qui savent anticiper une structure d'ensemble de leur production et respecter celle-ci au moment o ils construisent leurs noncs. Ainsi, beaucoup de dictes l'adulte obtenues au dbut du cycle II ne ressemblent pas encore des textes et relvent plutt de la libre association d'ides et de mots. L'objectif que l'on peut raisonnablement viser pour la fin du cycle II est donc la mise en place de cette double capacit : structurer globalement un texte en l'adaptant la situation dans laquelle il est produit, matriser au fur et mesure que l'on avance dans le texte les noncs produits de faon ce qu'ils soient comprhensibles par un lecteur, c'est--dire par un tiers qui, a priori, ne sait rien du contenu du texte et de la situation dans laquelle il a t produit. Ceci, videmment, ne peut tre men bien, ce niveau, que sur des thmes parfaitement matriss par les enfants. Le rcit est certainement un bon support pour construire patiemment la premire exigence. Cependant, la capacit de produire des rcits ne se transfre pas d'em-

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ble vers d'autres types de textes (prescriptifs ou documentaires, par exemple), ni d'un thme un autre thme, ni mme d'un texte court un texte plus long. Il peut donc tre ncessaire de revenir la dicte l'adulte chaque fois que l'on veut, soit augmenter l'exigence de longueur des textes produits, soit initier la classe un nouveau type de texte. Tout au long du cycle II, une attention particulire devra tre porte au projet d'criture, sa planification. Le passage du brassage des ides leur organisation est difficile, mme lorsqu'on a affaire des thmes qui sont dj planifis, comme dans le cas du rcit o le droulement squentiel de l'criture peut suivre le droulement chronologique des actions. Dans tous les autres cas, il ne peut tre franchi qu'en interaction avec l'adulte, mme la fin du cycle II. Les supports visuels sont absolument ncessaires : l'usage du tableau sur lequel on peut dplacer les morceaux de texte ou les ragencer, l'usage de grandes feuilles de papier que l'on dcoupe et colle ensuite sont autant de moyens pour matrialiser les progrs de la construction collective. C'est plutt au cycle III que l'organisation des ides pourra aussi se faire, non sur des textes dicts par les enfants, mais sur des croquis rapides qu'ils effectuent et qu'ils peuvent ensuite disposer comme les plans successifs d'un scnario (qu'il s'agisse d'un rcit ou d'un texte documentaire, voire d'un mode d'emploi). L'accumulation des productions crites de la classe, la frquentation assidue de textes appartenant au mme genre ou des genres voisins permettent de prendre progressivement conscience des similitudes et des diffrences entre les crits. Les lves deviennent ainsi capables de distinguer entre le contenu du texte (le domaine d'exprience qu'il voque) et sa forme (le type de texte concern). Ils peuvent ds lors s'appuyer sur les contraintes de construction de chacun de ces genres (un rcit ne progresse pas comme une description ni comme un dialogue) pour mieux assurer la mise en ordre de leurs ides. Pour aider les enfants aller plus avant dans cette voie, le matre peut leur faire construire, collectivement, des fiches aide-mmoire rcapitulant, au fur et mesure qu'ils sont explicits, les savoirs labors par la classe propos d'un type d'crit donn. Par exemple, si l'on a entendu, lu et compar des contes, on peut ouvrir une fiche sur laquelle on note : Pour crire un conte, on choisit un hros, une preuve difficile, un ou plusieurs amis du hros, des ennemis, des difficults, etc.. Cet outil sera prsent chaque fois que l'on s'essaiera l'criture d'un texte appartenant ce genre ou lorsqu'on en lira de nouveaux. Il sera, chaque occasion, complt des nouvelles dcouvertes. Au cycle II, il pourra en tre de mme pour les descriptions utilises dans les comptes rendus vise scientifique ou les rgles de jeu. Pour les autres types de textes, il sera certainement ncessaire d'attendre le cycle III. L'quipe des matres organisera, au sein du projet d'cole, la mise en place progressive de cet outil essentiel tout au long de la scolarit. On le voit, l'criture est une activit complexe qui implique un long apprentissage de la mise en ordre de ses ides, une sensibilisation souvent ractive aux contraintes des types de textes utiliss, l'adquation entre la ralisation obtenue et les effets que l'on souhaite produire en la communiquant un lecteur. On ne saurait donc, en aucun cas, se contenter en ce domaine des bonnes surprises que procure telle ou telle russite individuelle.

5.2. - La conqute progressive de l'autonomieAu cours du cycle II, il devient possible d'amener progressivement la majorit des enfants la production autonome et individuelle de textes crits, mais avec des exigences moins leves (en particulier en longueur) que dans les textes crits avec l'aide de l'enseignant. Peu peu l'habilet graphique devient suffisante mme si l'effort requis par l'acte d'criture ne permet pas encore une entire disponibilit pour l'organisation et la ralisation d'un texte. Des prcautions sont toutefois ncessaires. Tous les problmes rsoudre ne peuvent tre abords en mme temps. Si l'on souhaite plutt travailler l'organisation gnrale du texte, on s'appuie sur des discussions collectives, sur une pr-laboration

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orale, sur un scnario dessin, etc. Il est possible, par ailleurs, d'aider l'enfant raliser sa mise en mots en lui offrant des crits de rfrence, pralablement lus et travaills, qui constituent autant de rpertoires pour l'orthographe, le lexique et l'organisation des textes. Il y puise les lments dont il a besoin. Des imagiers, voire des dictionnaires adapts peuvent, un peu plus tard, jouer le mme rle. Comme le font la plupart des adultes experts, l'enfant crit en s'appuyant sur ses lectures, c'est--dire sur des textes qui lui servent de rfrence. Encore faut-il qu'ils soient disponibles au moment o il en a besoin. Toutes les activits susceptibles d'en augmenter le nombre et la diversit - transformation de textes pralablement lus et compris, copie partielle, etc. - sont donc des pralables dont on ne saurait faire l'conomie. Il est tout aussi utile d'apprendre chaque enfant que l'adulte peut lui fournir une aide efficace. Il doit tre ses yeux celui sur lequel on peut toujours compter pour rsoudre de manire instantane un problme d'criture. C'est particulirement le cas lorsqu'il s'agit de trouver l'orthographe exacte d'un mot sans pour autant qu'une trop longue consultation de rpertoires ou de dictionnaires risque, en interrompant son activit, de faire perdre l'enfant le fil de sa pense. La question de l'orthographe est dlicate. On ne peut en effet confondre les connaissances orthographiques des enfants (valuables dans des exercices spcifiques) et leurs capacits orthographier spontanment lorsqu'ils crivent en ayant l'esprit occup par une autre activit (penser la suite du texte, par exemple). Dans le deuxime cas, leurs performances lexicales et grammaticales sont gnralement beaucoup moins bonnes et ce ne sont pas les mmes types d'erreurs qui sont ncessairement relevs ici et l. Il faut donc, d'une part, mettre en place une didactique de l'orthographe (lexicale et grammaticale) et, d'autre part, permettre chaque lve de se doter des procdures d'autocorrection dont il a besoin lorsqu'il se trouve en situation de produire un texte. Le passage de la copie la copie diffre (le modle n'est plus sous les yeux lorsqu'on le recopie et a donc d tre mmoris pendant quelques instants), puis l'criture autonome (lorsque les mots sont crits par cur), devrait assurer chaque enfant les connaissances orthographiques qui sont adaptes ses activits d'criture et son niveau. Des exercices plus spcifiques doivent tre mis en uvre par ailleurs. La dicte traditionnelle est davantage un test d'valuation qu'un moyen d'assurer l'apprentissage des complexits du code crit, qu'elles relvent de la syntaxe, de la morphosyntaxe ou du lexique. Bien d'autres modalits d'apprentissage ont t exprimentes depuis de nombreuses annes et sont proposes dans les diffrents instruments la disposition des enseignants, en particulier dans le domaine de la morphosyntaxe. En ce qui concerne l'orthographe lexicale, les tables de frquence et de difficults en usage sont un excellent guide pour graduer les exigences chaque niveau de l'apprentissage, mais ne doivent en aucun cas tre considres comme des programmes d'enseignement. Les textes en vigueur (arrt du 28 dcembre 1976) signalent les difficults devant lesquelles des choix diffrents sont tolrs. Par ailleurs, on n'oubliera pas que la circulaire du 14 juin 1977 confirme par les instructions officielles de 1985 prconise un apprentissage continu de l'orthographe rparti sur l'ensemble de la scolarit obligatoire. A ct des exercices systmatiques ainsi gradus, il est ncessaire d'amener l'enfant ragir correctement aux problmes orthographiques qui se prsentent inopinment l'occasion des multiples activits d'criture organises dans la classe : transcription des phonmes successifs de chaque mot, usage des consonnes doubles, des lettres finales muettes avec ou sans fonction tymologique, des marques grammaticales du genre, du nombre, de la personne et des temps du verbe. Il apprend progressivement les rsoudre, automatiser les rgles ainsi construites et se donner les moyens d'un contrle de son attention dans les cas o existent des probabilits pour que la rgle la plus simple soit inoprante. Le double caractre, automatique et rflexif, de l'activit orthographique laisse penser que la pratique d'exercices rptitifs et artificiels ne saurait suffire fixer un savoir orthographique durable. Toutes les activits de production de texte dans lesquelles l'effort de mise en mots est prioritaire sont donc des bases sres pour une pdagogie de l'orthographe efficace. De plus, elles donnent aux

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lves l'occasion de rflchir sur le fonctionnement de la langue crite et offrent au matre les moyens d'une valuation fine des progrs de chacun dans ce long travail de matrise de la langue crite. L'essentiel reste d'crire souvent. En fin de cycle II, peuvent tre mises en chantier des activits d'criture plus contraintes. En offrant l'enfant des rgles formelles simples et amusantes, on dveloppe chez lui une capacit inventive, un plaisir du travail de la langue et un savoir prcoce de ses piges. Ces consignes prcises fournissent de plus des critres simples d'valuation. Les ateliers d'criture ont permis d'explorer des gammes d'exercices et de graduer leurs difficults. Par ailleurs, l'activit d'criture est mise en oeuvre dans la plupart des apprentissages, qu'ils soient instrumentaux ou disciplinaires. L encore, l'enseignant veille ce que les diffrents types de textes ncessaires soient correctement distingus. En fin de cycle II, les enfants doivent pouvoir prsenter des textes bien mis en page (avec l'aide ventuelle d'un logiciel de traitement de texte), savoir jouer des contrastes de la typographie ou de la calligraphie, organiser des rapports entre textes, images, dessins, schmas, etc. Bref, ils doivent apprendre que la production d'un texte ne s'achve vraiment que par son dition sur un support adquat et dans une forme adapte son usage. Cela n'est videmment vrai que des textes aboutis, pour lesquels l'enfant prouve une vritable fiert, source d'un intrt croissant pour son travail. Il va de soi que, lorsque l'enseignant assume la responsabilit de l'dition - c'est le cas lorsqu'il donne lire aux enfants (ou aux parents d'lves) des textes qu'il a rdigs aussi bien que lorsqu'il se substitue aux enfants dans la dernire phase d'une activit de production de textes -, les manuscrits ou les photocopies qu'il met devant leurs yeux doivent tre d'aussi bonne qualit que possible.

6. - PARVENIR UNE RECONNAISSANCE AUTOMATIQUE DES MOTSOn a longtemps imagin que l'apprentissage de la lecture comportait trois phases obliges : une phase de dchiffrage pendant laquelle l'enfant apprend les lettres et les syllabes, une phase de lecture courante pendant laquelle il exerce sa vlocit enchaner les syllabes et les mots, une phase de lecture expressive, enfin, que l'on confondait volontiers avec le moment o l'enfant devenait capable de comprendre et de montrer (en mettant le ton) qu'il saisissait la signification de ce qu'il lisait. On sait aujourd'hui que la lecture combine deux activits mentales distinctes qui doivent tre entranes en mme temps. La premire est celle par laquelle le lecteur reconnat en quelques fractions de seconde et de manire infra-consciente les mots crits, la deuxime est celle par laquelle il donne un sens cette suite de mots provisoirement tenus en mmoire et intgre les informations qu'elle apporte. Pour ce faire, il fait appel ses connaissances linguistiques, son savoir du monde qui l'entoure et ce qu'il a dj lu du texte. Parvenir la reconnaissance automatique des mots est donc bien l'objectif vis terme par l'apprentissage du code. Cette reconnaissance s'effectue de deux faons distinctes et, l encore, ces deux voies fonctionnent de manire concomitante chez tout lecteur devenu expert. La plus efficace est la voie directe : le mot est compar en quelques millimes de secondes au dictionnaire des mots conservs en mmoire et est identifi parmi ceux-ci avec l'ensemble de ses significations possibles. On voit qu'elle permet de reconnatre les mots dj connus, mais aussi qu'elle est automatique et ne met pas en jeu la conscience du lecteur. Chez l'enfant, cette capacit de reconnaissance directe ne concerne d'abord qu'un nombre limit de mots trs frquents puis devient plus efficace au fur et mesure que la familiarisation avec la langue crite se poursuit, sans qu'on sache encore vraiment ce qui produit son installation. Elle crot alors de manire trs rapide si l'enfant a bien construit son apprentissage. Il existe aussi une voie indirecte. Dans ce cas, le mot est reconnu par l'identification de ses composants graphophontiques lmentaires. Ces derniers sont perus comme une suite de sons qui est ensuite rapproche des mots disponibles

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dans le lexique oral du lecteur. Il est aussi possible, sans aller jusqu' une analyse complte, de s'appuyer sur un dcoupage morphologique, en se servant des analogies avec d'autres mots dont l'orthographe est bien connue. Lorsqu'il est expert, le lecteur utilise cette voie quand il se trouve devant un mot qu'il ne connat pas (un nom propre, par exemple). L'apprenti lecteur, lui, en a un usage presque exclusif en attendant que se constitue, dans sa mmoire, le rpertoire des modles de mots partir desquels il pourra procder des reconnaissances directes. Cette manire d'accder l'identification d'un mot comporte, videmment, de nombreuses possibilits d'erreurs. Chacun sait que le dcoupage en syllabes d'un mot crit n'est ni vident ni univoque lorsqu'on n'a pas encore identifi ce mot. Faut-il dcouper aprs la deuxime lettre ou aprs la troisime un mot qui commence par /vol-/ et qui peut, la fin de son identification se rvler tre /vol-can/, /vo-leur/ ou /vole/ (c'est--dire [vCl] dans le lexique oral du lecteur) ? Chacun sait aussi que, mme si notre orthographe est essentiellement phonographique (c'est--dire qu'elle transcrit des sons), il existe de nombreuses irrgularits concernant les mots les plus frquents de la langue qui empchent une syllabation aise. Certains mots (comme /femme/, par exemple) sont inaccessibles par la voie indirecte. Enfin, la suite des sons reconnus ne conduit pas obligatoirement, chez un jeune lecteur, l'identification d'un mot. Tout dpend, en effet, de la plus ou moins grande richesse de son rpertoire oral. Par exemple, le mot /chenal/ correctement dchiffr [IEnal] voquera difficilement le chenal du port chez un jeune enfant ; il aura donc de grandes chances de rester, mme chez un bon dchiffreur, une simple suite de syllabes ou, et c'est aussi frquent, de se dformer pour se rapprocher d'un mot connu de l'enfant comme /cheval/, par exemple. Ceci explique le rle que peut jouer le contexte chez un apprenti lecteur dans ce travail d'ajustement. Si l'enfant apprend tenir compte des contraintes de celui-ci, il affine sa capacit de reconnaissance indirecte des mots. On sait cependant qu'il abandonnera ce recours lorsqu'il accdera la voie directe de reconnaissance automatique des mots pour en rserver alors l'usage aux processus visant la comprhension. Les mthodes d'apprentissage de la lecture, qui sont en fait des mthodes d'enseignement, c'est--dire des exercices d'entranement la reconnaissance indirecte des mots, sont nombreuses et varies. Elles ne sont toutefois qu'un lment parmi d'autres d'une pdagogie de l'crit. Faut-il passer obligatoirement par la syllabe comme dans les mthodes mixtes les plus frquemment utilises ? Peut-on se contenter de morceaux de mots dcoups par analogie comme dans la mthode naturelle ? Doit-on commencer par reconnatre les plus petites units pour les composer entre elles comme dans les mthodes synthtiques ou, au contraire, partir des mots pour y retrouver des syllabes et des lettres comme dans les mthodes analytiques ou encore articuler les deux approches comme dans les mthodes mixtes ? Dans tous les cas, des enfants - les plus nombreux - apprennent lire et d'autres, malheureusement, n'y parviennent pas. L'essentiel, on en a aujourd'hui la certitude, est qu'une manipulation du code graphophontique, ncessaire au dpassement de la phase de reconnaissance indirecte des mots, ait lieu pendant un temps suffisant, sans que l'on sache encore comment se fait le passage vers une reconnaissance automatique gnralise. Il est donc prudent de continuer exercer les enfants retrouver le bruit que font les mots crits sur le papier. C'est, semble-t-il, au cours de ces activits que les enfants se dotent, sans en prendre conscience et notre insu, des moyens d'un traitement direct du code orthographique. Encore faut-il que cette mise en correspondance entre units du code crit (graphmes) et sons lmentaires du langage (phonmes) s'appuie sur une analyse correcte et cohrente de l'un et l'autre systme. Or ce n'est pas toujours le cas dans les mthodes les plus anciennes dont certaines sont encore en usage. Certains instruments didactiques, produits depuis une quinzaine d'annes, invitent les jeunes enfants s'entraner parcourir rapidement les textes qu'on propose leur lecture soit en agrandissant leur champ visuel, soit en les amenant ne fixer que certains mots sur la ligne. Cette pratique se fonde sur une conception errone du dplacement des yeux dans l'acte de lecture. Les instruments d'observation dont on a longtemps dispos laissaient supposer que le lecteur habile crme son texte. On sait,

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maintenant que l'on peut enregistrer des mouvements extrmement rapides, que l'il se pose pratiquement sur tous les mots du texte pendant la lecture et que la vitesse laquelle quelqu'un lit dpend de la vitesse laquelle il traite l'information qu'il dcouvre par crit. On lit vite lorsqu'on a peu d'efforts de comprhension faire, lentement lorsqu'on en a beaucoup. La vitesse dpend donc du processus de comprhension et non de la reconnaissance des mots. Lorsqu'un enfant est en cours d'apprentissage, il doit faire porter son effort sur les deux plans la fois. Il est sr qu'une trop grande lenteur (quand il s'en tient un dchiffrage systmatique syllabe aprs syllabe) rend difficile la tenue en mmoire des segments successifs et l'intgration des informations. En revanche, il est dangereux de laisser imaginer un enfant qu'acclrer le mouvement de ses yeux sur la page peut l'aider mieux lire. Lire vite est une consquence des modalits de la lecture et non un moyen pour les amliorer. Cette constatation faite par les chercheurs qui ont valu les mthodes dites de lecture rapide n'invalide en rien les autres activits de reconnaissance de mots ou de comprhension des textes qui sont proposes leurs cts, souvent dans les mmes fichiers ou dans les mmes didacticiels. L'important demeure de ne pas rduire l'apprent