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L La Lettre de la Bibliothèque - N° 19 - PRINTEMPS 2005 1 L A LETTRE DE LA BIBLIOTHÈQUE N° 19 - Printemps 2005 Maison de la culture du Japon à Paris A LETTRE DE LA BIBLIOTHÈQUE La Lettre de la Bibliothèque - N° 19 - PRINTEMPS 2005 1 N° 19 - Printemps 2005 ISSN 1291-2441 M atsuo Bashô (1644- 1694) est le plus émi- nent poète du Japon, et son haiku sur le « vieil étang » a fait littéralement le tour du monde. Si plus de trois cents ans se sont écoulés depuis la compo- sition de ce poème, l’on s’est tou- jours accordé à dire qu’il évo- quait « le bruit de l’eau provoqué par une grenouille plongeant dans un vieil étang ». Mais une telle interprétation ne permet pas de comprendre où réside l’intérêt ou le charme de ce haiku. Le véritable sens de celui-ci ne serait-il pas plutôt : « Le son produit par une grenouille qui plonge a fait surgir dans l’esprit du poète l’image d’un vieil étang » ? En d’autres termes, ne s’agirait-il pas d’un poème qui, au-delà de la simple description d’un fait, témoigne du soudain déploiement, au sein de la réalité (une grenouille sautant dans l’eau), de cet univers intérieur qu’est le « vieil étang » ? Ce printemps va sortir un ou- vrage intitulé La grenouille a- t-elle plongé dans le vieil étang ? (Furuike ni kaeru wa tobikonda ka ?), Editions Kashinsha, dans lequel je présente une nouvelle interprétation du célèbre haiku de Bashô. Tout d’abord, on remarquera à la fin du premier vers, «furuike ya », la présence du kireji « ya ». Les kireji (signes de coupe) ne sont pas la marque d’une ellipse, ni d’une insistance : comme leur La grenouille n’a pas plongé dans le vieil étang Hasegawa Kai, poète « Furuike ya Kawazu tobikomu Mizu no oto » (Bashô) fige / concombre de mer), traitent d’un seul et même sujet. En l’oc- currence, c’est de l’évocation verbale du « concombre de mer à la fois vivant et gelé » que naît le charme poétique de l’ensemble. En revanche, comme le montre bien un autre haiku de Bashô : « Kiku no ka ya /Nara niwa furuki / Hotoketachi » (Senteurs de chrysanthème ! / À Nara qu’ils sont chenus / tous les Bouddhas), les « poèmes de plu- sieurs pièces assorties » reposent sur des relations de terme à terme. En somme, ce sont ces re- lations, comparables à des ac- cords musicaux, qui font jaillir le climat poétique. Dans le haiku sur le « vieil étang », les deux dernières me- sures possèdent à elles seules une signification cohérente. En re- vanche, le premier vers n’est nul- lement indispensable au sens de l’ensemble. Par conséquent, il s’agit bien d’un « poème de plu- sieurs pièces assorties ». Ce « vieil étang », dont on a toujours cru qu’il existait sans doute quelque part, se trouvait donc tout simplement dans le cœur de Bashô – espace du de- dans où une grenouille surgie de l’extérieur aurait bien été en peine de pénétrer. Pencher pour une telle inter- prétation, c’est voir se dessiner des perspectives nouvelles. Tout d’abord, parce qu’on est en me- sure alors de comprendre vrai- ment les haiku les plus célèbres nom l’indique, leur rôle est d’in- terrompre le cours d’un texte. Les kireji, avec leur fonction de césure, créent entre deux termes un ma qui est à la fois intervalle spatial, pause temporelle, mais aussi respiration mentale. Dans la mesure où Bashô créé ainsi un important effet de ma entre «furuike ya» et les deux vers suivants, rien n’autorise à conclure que son haiku parle «d’une grenouille plongeant dans un vieil étang ». En second lieu, un certain mystère plane sur la genèse de ce poème. Shikô, l’un des disciples de Bashô, relate dans son ou- vrage, La lande des pins et des puéraires, comment le haiku fut conçu : un jour de printemps, Bashô en composa d’abord les deux dernières mesures, qui lui furent inspirées soudain par le bruit d’une grenouille sautant dans l’eau. Un autre de ses dis- ciples, Kikaku, lui suggéra de dé- buter par « yamabuki ya » (jaunes fleurs de kerrie !), mais le poète opta finalement pour « furuike ya » (vieil étang ! ). Enfin, ce haiku fait partie de l’une des deux catégories dont re- lèvent tous les poèmes du genre : les « poèmes de plusieurs pièces assorties », par opposition aux « poèmes façonnés d’un seul tenant ». Ces derniers, dont on trouve un exemple dans le texte de Bashô « Ikinagara / hitotsu ni kôru / namako kana » (Tout vif que tu sois / le gel en un bloc te

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N° 19 - Printemps 2005 N° 19 - Printemps 2005 La grenouille n’a pas plongé dans le vieil étang Hasegawa Kai, poète « Furuike ya Kawazu tobikomu Mizu no oto » (Bashô) ISSN 1291-2441 Maison de la culture du Japon à Paris La Lettre de la Bibliothèque - N° 19 - PRINTEMPS 2005 La Lettre de la Bibliothèque - N° 19 - PRINTEMPS 2005 1 1

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La Lettre de la Bibliothèque - N° 19 - PRINTEMPS 2005 1

LA LETTRE DE LA

BIBLIOTHÈQUE

N° 19 - Printemps 2005Maison de la culture du Japon à Paris

A LETTRE DE LA

BIBLIOTHÈQUE

La Lettre de la Bibliothèque - N° 19 - PRINTEMPS 2005 1

N° 19 - Printemps 2005

ISSN 1291-2441

Matsuo Bashô (1644-1694) est le plus émi-nent poète du Japon, et

son haiku sur le « vieil étang » afait littéralement le tour dumonde. Si plus de trois cents ansse sont écoulés depuis la compo-sition de ce poème, l’on s’est tou-jours accordé à dire qu’il évo-quait « le bruit de l’eau provoquépar une grenouille plongeantdans un vieil étang ». Mais unetelle interprétation ne permet pasde comprendre où réside l’intérêtou le charme de ce haiku.

Le véritable sens de celui-cine serait-il pas plutôt : « Le sonproduit par une grenouille quiplonge a fait surgir dans l’espritdu poète l’image d’un vieilétang » ? En d’autres termes, nes’agirait-il pas d’un poème qui,au-delà de la simple descriptiond’un fait, témoigne du soudaindéploiement, au sein de la réalité(une grenouille sautant dansl’eau), de cet univers intérieurqu’est le «vieil étang»?

Ce printemps va sortir un ou-vrage intitulé La grenouille a-t-elle plongé dans le vieil étang?(Furuike ni kaeru wa tobikondaka ?), Editions Kashinsha, danslequel je présente une nouvelleinterprétation du célèbre haiku deBashô.

Tout d’abord, on remarqueraà la fin du premier vers, «furuikeya », la présence du kireji « ya ».Les kireji (signes de coupe) nesont pas la marque d’une ellipse,ni d’une insistance : comme leur

La grenouille n’a pas plongé dans le vieil étang

Hasegawa Kai, poète« Furuike ya

Kawazu tobikomuMizu no oto » (Bashô)

fige / concombre de mer), traitentd’un seul et même sujet. En l’oc-currence, c’est de l’évocationverbale du «concombre de mer àla fois vivant et gelé » que naît lecharme poétique de l’ensemble.

En revanche, comme lemontre bien un autre haiku deBashô : « Kiku no ka ya /Naraniwa furuki / Hotoketachi »(Senteurs de chrysanthème ! / ÀNara qu’ils sont chenus / tous lesBouddhas), les « poèmes de plu-sieurs pièces assorties » reposentsur des relations de terme àterme. En somme, ce sont ces re-lations, comparables à des ac-cords musicaux, qui font jaillir leclimat poétique.

Dans le haiku sur le « vieilétang », les deux dernières me-sures possèdent à elles seules unesignification cohérente. En re-vanche, le premier vers n’est nul-lement indispensable au sens del’ensemble. Par conséquent, ils’agit bien d’un « poème de plu-sieurs pièces assorties».

Ce « vieil étang », dont on atoujours cru qu’il existait sansdoute quelque part, se trouvaitdonc tout simplement dans lecœur de Bashô – espace du de-dans où une grenouille surgie del’extérieur aurait bien été enpeine de pénétrer.

Pencher pour une telle inter-prétation, c’est voir se dessinerdes perspectives nouvelles. Toutd’abord, parce qu’on est en me-sure alors de comprendre vrai-ment les haiku les plus célèbres

nom l’indique, leur rôle est d’in-terrompre le cours d’un texte.Les kireji, avec leur fonction decésure, créent entre deux termesun ma qui est à la fois intervallespatial, pause temporelle, maisaussi respiration mentale.

Dans la mesure où Bashôcréé ainsi un important effet dema entre «furuike ya» et les deuxvers suivants, rien n’autorise àconclure que son haiku parle«d’une grenouille plongeant dansun vieil étang».

En second lieu, un certainmystère plane sur la genèse de cepoème. Shikô, l’un des disciplesde Bashô, relate dans son ou-vrage, La lande des pins et despuéraires, comment le haiku futconçu : un jour de printemps,Bashô en composa d’abord lesdeux dernières mesures, qui luifurent inspirées soudain par lebruit d’une grenouille sautantdans l’eau. Un autre de ses dis-ciples, Kikaku, lui suggéra de dé-buter par «yamabuki ya» (jaunesfleurs de kerrie !), mais le poèteopta finalement pour « furuikeya» (vieil étang! ).

Enfin, ce haiku fait partie del’une des deux catégories dont re-lèvent tous les poèmes du genre :les « poèmes de plusieurs piècesassorties », par opposition aux« poèmes façonnés d’un seul tenant ». Ces derniers, dont ontrouve un exemple dans le textede Bashô « Ikinagara / hitotsu nikôru / namako kana » (Tout vifque tu sois / le gel en un bloc te

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composés par Bashô après le«vieil étang». Tous reposent surcette même combinaison d’élé-ments réels et de visions inté-rieures. Ils présentent d’ailleursune structure absolument iden-tique à celle de « Furuike ya » :c’est par le biais d’une sonorité– stridulation des cigales, chantdu coucou, bruit d’une averse dedébut d’hiver – que tout un pay-sage mental se déploie au cœurmême de la réalité.

On a toujours prétendu, pourdes raisons restées bien vaguesjusqu’à présent, que le haiku du

«vieil étang» correspondait pourBashô à une expérience cruciale,l’« éveil » aux principes esthé-tiques que ses disciples et lui allaient désormais cultiver. Notreinterprétation ne rend-elle pascette assertion convaincante?

Mais le plus important, c’estqu’il est possible, grâce à cettenouvelle perspective, de dépas-ser le réalisme plat qui a prédo-miné tout au long du XIXe et duXXe siècles pour frayer une voieà l’imaginaire, qui s’exerce defaçon privilégiée à travers le lan-gage. Le « vieil étang », sum-

mum de l’art du haiku, est aussila pierre angulaire de la culturejaponaise. Il est permis de rêverque l’avenir de celle-ci, et duhaiku lui-même, pourra être in-fléchi par l’interprétation quenous donnons ici.

(Traduit du japonais par Domi-nique Palmé)

Hasegawa Kai, président ducercle de haiku Koshi, sélec-tionne les haiku des lecteurs pourla rubrique poétique du journalAsahi et écrit un article journa-lier pour le quotidien Yomiuri.

Traduire l’article de HasegawaKai, sorte de « pavé dans la vieillemare des idées reçues », a fait re-jaillir en moi, par ricochet, des ré-miniscences d’autres éclats depoésie, présents dans l’œuvred’Ôoka Makoto et de TanikawaShuntarô. Ceux-ci, nés tous deuxen 1931, comptent parmi les fi-gures les plus fécondes de la litté-rature japonaise d’aujourd’hui.

On lira tout d’abord les textesen question comme un témoi-gnage de la longévité du petit ba-tracien qui, après avoir pénétré pareffraction dans le paysage mentalde Bashô, n’a cessé depuisd’ébranler de ses « plocs » obsti-nés d’autres rives imaginaires.

Tanikawa Shuntarô :

[…] « La grenouille peut bien sau-ter dans la vieille mare ce n’est paspour autant que le monde changeMais le changer, est-ce donc si im-portant ? »

(extrait de Kita-Karuizawa Nichi-roku, « Journal de Kita-Karuiza-wa», 1993)

Ôoka Makoto :

Qu’est-ce que la poésie ?

Ignorant la signification du tempsAveugle aux coloris de l’espace

la voici grenouillevenue au monde à l’instant même

et, d’un bond dans l’espace-tempsvieille mare

(in Shi towa nanika ?, « Qu’est-ceque la poésie ?», 1985)

À travers ces « citations» deBashô, nos deux écrivains re-nouent – consciemment ou non –avec l’un des procédés de prédi-lection du waka classique : celuidu honkadori, « emprunt à unpoème de base». Ôoka Makotolui-même, dans « Poésie et poé-tique du Japon ancien »,, souligneque « … le honkadori n’avait riend’un plagiat des œuvres mar-quantes du passé, bien au con-traire : il s’agissait […] de rendrehommage à un chef-d’œuvre et, decette manière, de faire renaîtrecelui-ci sous une autre forme. »

Cependant, les variations tis-sées par Ôoka et Tanikawa sur lethème du « vieil étang » illustrentavant tout le rapport à la foisconflictuel et fructueux liant cer-tains auteurs japonais à une tradi-tion singulière, tant par la lourdeurde son protocole que par uneconcision proche de l’indicible.

Face à cet héritage, Tanikawachoisit le registre de la désinvoltu-re, voire de la provocation. Maisréduire ainsi le haiku de Bashô àun épiphénomène sans incidencesur les destinées du monde, n’est-

ce pas insinuer que la poésie, purjeu de l’esprit et du langage, ne sedistingue que par son inanité ?…Dans un autre vers du même texte« La poésie est plus vieille quel’Histoire », l’écrivain sembleaboutir à un constat d’impuissan-ce : voilà longtemps que tout a étédit. Le bruit de l’eau dans laquellesaute indéfiniment la grenouilleaurait-il pour effet pervers de con-traindre à jamais les poètes au si-lence ?

Plus paradoxal encore est lepoème d’Ôoka : par sa richesse lapidaire, il peut donner lieu à plu-sieurs interprétations possibles. Etnotamment celle-ci : si la poésiepréexiste à nos catégories spatio-temporelles, elle peut prendre,quand elle s’incarne dans l’instan-tanéité, la forme bondissante d’unegrenouille. D’ailleurs… grenouilleet vieille mare ne seraient-elles pasune seule et même réalité ? Parcequ’elle bouscule – comme les kôandu zen Rinzai – nos certitudes rationnelles, l’interrogation inhé-rente à ce poème nous laisse aussiétourdis que le premier être vivantau premier jour du monde…

Que retenir de cette brève in-cursion dans l’univers intemporeldu vieil étang ? Peut-être que lavaleur du haiku réside moins dansses qualités esthétiques que dansles réflexions et les rêveries qu’ilsuscite en nous… C’est du moinsce que suggère Ôoka quand il définit en ces termes l’originalité

Si l’étang est vieuxLa grenouille se porte bien,

Je vous remercie !

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REGARDS SUR LE FONDSREGARDS SUR LE FONDS

ART

- WEISBERG, G. P., BECKER,E., POSSEME, E. (dir.) Les ori-gines de l’Art nouveau. Amster-dam : Van Gogh Museum, Paris :Les Arts décoratifs, Anvers: FondsMercator, 2004. 295p.

Après l’Exposition universellede 1878, l’art japonais devient unesource d’idées nouvelles en l’Oc-cident, ouvrant la voie notammentà un mouvement artistique appelé« Art nouveau ». Le marchandd’art aussi érudit qu’inspiré, Sieg-fried Bing (1838-1905), se révèlealors un personnage clé dans l’es-sor du japonisme et devient égale-ment peu après, avec sa galerie dumême nom, le précurseur de l’Artnouveau. Fondateur de la revue LeJapon artistique, Bing est unecombinaison atypique d’hommed’affaire, de critique d’art et demécène. A travers le catalogue del’exposition L’Art nouveau : laMaison Bing, on peut découvrirune époque passionnante où l’artde l’Occident rencontre celui del’Orient.

L’exposition elle-même setiendra au Musée des Arts décora-tifs à Paris en 2006.

- RICHIE, Donald Le Cinéma japonais, trad. Romain Slocombe.Monaco : Ed. du Rocher, 2005.402p.

Donald Richie, l’un des plusgrands spécialistes du cinéma ja-ponais en Occident et auteur deplus de quarante livres sur le Ja-pon, dresse ici un panorama com-plet de l’histoire du cinéma japo-nais des origines à nos jours. Ne selimitant pas aux classiques (Kuro-sawa, Ozu et Mizoguchi), il faitdécouvrir des auteurs méconnus etreconsidère les films de genre.

En plus d’une riche iconogra-phie, les amateurs de cinéma dési-reux de se constituer une vidéo-thèque japonaise trouveront en find’ouvrage un guide des meilleursfilms japonais existant en vidéo etDVD, référencés et commentés.

- LUCKEN, Michael Grenades etamertume – Les peintres japonaisà l’épreuve de la guerre 1935-1952. Paris : Les Belles Lettres.2005. 446p.

Le japonologue et historien del’art Michael Lucken nous livreavec cet ouvrage, adaptation d’untravail universitaire récompensé parle prix de la meilleure thèse deL’INALCO en 1999, un nouvelopus sur l’art japonais du XXe

siècle, et non des moindres puisque

la période étudiée est celle de laDeuxième guerre mondiale et del’immédiat après-guerre, qui suscitetoujours de nombreuses interroga-tions. Ainsi dans quelle mesure lesartistes ont-ils participé au projetexpansionniste et militaire duJapon? Les peintres – et notammentLéonard Foujita – furent sommésd’apporter leur contribution à l’ef-fort national. Quels furent ainsi leschoix de ces artistes et de quellemanière ceux-ci, dans leur diversité,se sont-ils exprimés? Entre volontéd’oubli et prises de conscience, lapériode de l’après-guerre se déclineégalement sous des formes artis-tiques variées qui jettent un éclai-rage supplémentaire sur la spécifi-cité du nationalisme japonais.

LITTÉRATURE

- LOZERAND, Emmanuel Litté-rature et génie national – Nais-sance d’une histoire littérairedans le Japon du XIXe siècle. Paris : Les Belles Lettres. 2005.389p.

Cet essai met en perspectivel’émergence, vers 1890, d’une ré-flexion collective sur l’histoire de lalittérature japonaise. Grâce à uneétude comparatiste des différentscourants de pensée qui existaient enEurope au XVIIIe et XIXe siècles,sur l’histoire, la littérature et la na-tion, cet ouvrage nous livre les clefspour appréhender les raisons quiont poussé les intellectuels japonaisà doter rapidement le Japon, d’unehistoire littéraire et à affirmer ainsi,au monde, son identité nationale.L’auteur dresse brillamment un pa-norama des circonstances dans lesquelles cette genèse s’est accom-plie tout en présentant habilementl’ensemble du corpus littéraire japonais.

de la démarche de Bashô : « … lepoète flotte dans un espace inté-rieur […] où il n’est plus nécessai-re de savoir ce qu’on écoute. […]Il s’agit d’un espace de concentra-tion détachée, qui est aussi celuide la méditation. »

Pour finir, je soumets à l’ap-préciation des lecteurs une traduc-tion inédite – preuve par l’absurdeque Jean Sarocchi a raison d’affir-mer, dans un article aussi éruditqu’iconoclaste Traduire le haiku?:« Bien traduire le haiku ne se peut

ni ne se doit. Mais l’on peut, etl’on doit, bien le trahir ».

« Tout un vieil étang !Là où saute la grenouille

dans un clapotis »

Dominique Palmé

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MAISON DE LA CULTURE DU JAPON À PARISBIBLIOTHÈQUE

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Tél : 01.44.37.95.50 - Fax : 01.44.37.95.58 - internet : http ://www.mcjp.asso.fr

Directeur de la publication : Masateru NAKAGAWARédaction : Etsuko MORIMURA - Kazuo LEE - Florence PASCHAL - Pascale TAKAHASHI -

Racha ABAZIED - Taka OKAZAKI - Cyrille ROBERTComposition : Texto! Roubaix - Impression : Imprimerie Artésienne Liévin

Dépôt légal : 2e trimestre 2005

Maisonde la Culturedu Japonà Paris

Heuresd’ouverture

Du mardi au samedi

13h00-18h00Nocturne le jeudi

jusqu’à 20h00

FermetureLes dimanches,

lundis et jours fériéset tout le mois d'août

Hayashi Fumiko ou l'errance d'une femme écrivain

LECTURE-CONFÉRENCELECTURE-CONFÉRENCE

La bibliothèque de la Maison de la culture du Japon à Paris a eu le plai-sir d’accueillir le 12 mai dernier Mme Anne Bayard-Sakai, professeur à l’IN-ALCO et la comédienne Christine Melcer pour une lecture-conférence trai-tant de l’une des figures majeures de la littérature féminine au Japon :l’écrivain Hayashi Fumiko.

La présentation de l’auteur et de son œuvre que fit Mme Anne Bayard-Sakai a été ponctuée par la lecture, par Mme Melcer, d’extraits choisis deNuages flottants, donnant ainsi au texte une dimension charnelle et artistique.

Mme Bayard-Sakai a retracé l’itinéraire peu commun de l’auteur, qui passa une enfance misérable surles routes du Japon avant de faire ses débuts littéraires dans les milieux anarchisants des années vingt. Avecle succès fulgurant de Hôrôki (Chronique de mon vagabondage / Jours d’errance), Hayashi Fumiko ac-quiert alors une renommée et une aisance financière qui lui permettent de voyager, notamment en Chine eten France. Elle devient ensuite correspondante de guerre durant la période impérialiste du Japon et enchaîneles commandes pour les journaux et revues de l’époque. Hayashi Fumiko (1903-1951) décèdera relative-ment jeune d’une crise cardiaque suite à l’excès de travail.

L’écriture de Hayashi Fumiko est d’inspiration autobiographique, l’errance de ses personnages reflétantla sienne mais aussi celle de son époque : Nuages flottants, premier roman de cet auteur traduit récemmenten France, a pour cadre l’occupation coloniale du Japon en Indochine et le Tokyo de l’immédiat après-guerre. Les deux protagonistes tentent désespérément de revivre leur amour passé en Indochine, seulementleur combat est perdu d’avance car leur défaite est aussi celle de l’empire japonais. La confusion senti-mentale des personnages se fait l’écho du chaos de l’après-guerre.

Bien que d’un bout à l’autre, la narration se déroule à travers le prisme des sentiments contradictoireset fluctuants d’êtres ballottés par le cours des événements, ce grand roman est soutenu par une écriture sen-sible et aussi empreinte d’une grande lucidité.

Le regard distancié de Hayashi Fumiko ne se départit jamais d’une certaine tendresse vis-à-vis de seshéroïnes. C’est une voix singulière de la littérature féminine japonaise du siècle écoulé que ce roman etcette conférence ont permis de faire résonner de nouveau.

Hayashi Fumiko en langue française :

• Nuages flottants (roman), trad. Corinne Atlan, Le Rocher, 2005.

• Le chrysanthème tardif (nouvelle), trad. Anne Bayard-Sakai dans Anthologie de nouvelles japonaisescontemporaines, Gallimard, 1989.

• La ville (nouvelle), trad. Fusako Saito-Hallé dans Les ailes, la grenade, les cheveux blancs, Ph. Picquier, 1991.

• Erratum Lettre n°18 : Le roman L'Eclipse de Hirano Keiichirô a été traduit par Jean Campignon.

• Pendant toute la durée de l'exposition « Hiroshige-Cent vues célèbres d'Edo », la bibliothèque présente despanneaux et une sélection d'ouvrages sur l'influence de Hiroshige dans le mouvement du Japonisme en Europe.

BLOC-NOTES