13057-DANIEL LE GOURRIEREC-En Quete de Correspondance-[InLibroVeritas.net]

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Daniel LE GOURRIEREC En quête de correspondance - Collection Policier - Retrouvez cette oeuvre et beaucoup d'autres sur http://www.inlibroveritas.net

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Daniel LEGOURRIEREC

En quête decorrespondance

- Collection Policier -

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Table des matièresEn quête de correspondance......................................................................1

Prologue...............................................................................................2chapitre 1.............................................................................................4chapitre 2.............................................................................................9Chapitre 3..........................................................................................11Chapitre 4..........................................................................................22Chapitre 5..........................................................................................27Chapitre 6..........................................................................................32Chapitre 7..........................................................................................38Chapitre 8..........................................................................................41Chapitre 9..........................................................................................51Epilogue.............................................................................................57

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En quête de correspondance

Auteur : Daniel LE GOURRIERECCatégorie : Policier

Quel rapport entre une oeuvre écrite et son auteur? Dans cette enquêtepolicière, deux détectives accompagnent le lecteur sur la piste descorrespondances qui peuvent relier un écrivain à son écrit.

Licence : Art libre (lal)

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Prologue

Dream city, le 15 Juin 2007

Chères et tendres amies, si vous ne lisez qu'aujourd'hui ce courrier, ne croyez surtout pasque je vous ai oubliées. Comment aurais-je pu vous oublier d'ailleurs, vousdont le doux souvenir m'a escorté durant tout mon voyage et me gouverneencore maintenant que je suis si loin de vous ?

Il fallait que je parte. Sans pouvoir vous le dire. Que j'explore desterres inconnues sans souci de retour. Mais dorénavant, je ne peux tairedavantage les regrets de vous avoir si injustement quittées. Oh ! Jen'attends de vous aucun pardon, je ne formule ici aucune excuse. Leschoses se sont passées ainsi, c'est tout et nous serions bien en peine à cejour, vous et moi, de les vouloir réparer. Il fallait que je parte. Cela nedépendait pas de nous mais du démon du voyage qui était venu mechercher, qui encore me hante, et sans doute qui m'habitera toujours. Il meforça à quitter votre réalité, la réalité de votre présence. Il m'obligea àlever les tendres amarres qui m'arrimaient à vous. Et, seule, dans le monded'illusions où je fus entraîné et depuis lequel je vous écris, la vaineclairvoyance qu'offre la nostalgie me lia toujours, tel un fil d'Ariane, à vosvisages aimés. Maintenant, ce message depuis longtemps jeté à la mervous étant enfin parvenu, souhaite vous dire que votre coeur renfermetoujours celui d'un naufragé.

Les coeurs ne se bercent pas d'illusions. Ils sont bien moins futilesque nos esprits qui divaguent sans cesse par delà le trop sérieux de leursraisonnements. Les coeurs battent inlassablement le rythme de nos viesaussi sûrement que la vague a frappé mon étrave. Ils estampent sansrelâche nos chairs de leurs pulsations. Pour autant, ils gardent toujours

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les pieds sur terre et habitent nos carcasses aussi pleinement quel'imposante comtoise emplissait de son tic-tac le creux de notre maison.Eux, comme elle, ne font pas de savants calculs. Ils savent que notre tempspasse. Précautionneux métronomes, ils l'égrènent, y conçoivent nosmouvements à partir de nos aspirations, animent encore nos corps quandceux-ci s'essoufflent derrière toutes ces chimères issues de tantd'élucubrations. D'ailleurs comment les coeurs pourraient-ils faire bonménage avec l'esprit vagabond ? Avec celui qui me poussa vers ceslointains paysages. Il faut croire à présent qu'il n'avait guère de cervelle,ce vent, pour me désorienter ainsi, si loin de vous.

Mon coeur est désormais une barque qui saigne d'avoir cru que lebonheur se logeait derrière l'horizon. Or, derrière l'horizon, c'est une luneoù ne m'attendent que les ténèbres. Vos yeux étaient mon seul soleil maismon orgueil fut plus fort que la simplicité de votre amour. Je les aidésertés. Il fallait que je parte. Adieu donc et non au revoir maintenantque par ce pli je les ai retrouvés.

Cet étranger qui vous aimera toujours.

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chapitre 1

Anna replia et replaça cette lettre anonyme dans son enveloppe. Unseul timbre l'oblitérait, portant pour toute mention l'effigie d'un oiseau duparadis ; aucun cachet pour officialiser une provenance quelconque. Tousles indices marquant son origine ne pouvaient donc se trouver qu'àl'intérieur même du message. L'auteur de ce courrier qui se présentait à ellecomme un ancien proche voulait paradoxalement garder l'anonymat ! Cetteimpolitesse irrita la jeune femme qui hésita donc un instant. Ne devait-ellepas tout bonnement oublier cet inconnu qui prétendait exister dans sessouvenirs mais n'avait pas eu pour autant le courage de se présenter ensignant cette tardive et énigmatique déclaration ? Elle avait pour habitudede jeter à la poubelle dès leur réception tous ces envois inutiles qu'ellerecevait chaque jour : publicités en tous genres, lettres de relance de gens àqui elle avait plus ou moins promis un article, invitations à toutes sortes deréunions, de festivités et autres vernissages qu'un agent scrupuleux luiconseillait sans cesse mais en vain de fréquenter. Pourtant, elle ne feraitpas comme à son habitude. Elle ne se débarrasserait pas si abruptement dece courrier. Si ce fil tendu vers elle par un mystérieux Thésée du fond deson lointain labyrinthe avait un sens, c'était tout d'abord celui de permettreà son auteur de s'en sortir. Pas à elle d'y entrer. Cette lettre resterait donc làoù elle venait de la poser. Sur une des nombreuses piles de bouquins quienvahissaient son bureau. Elle ne voulait plus s'en occuper. Pourquoi seprendre la tête pour quelqu'un qui ne montre pas la sienne ? Mais que faireégalement de son indéfectible manie consistant à ressasser tous lesproblèmes se présentant à elle ? Comment ne plus penser à ce qu'ellevenait de lire ?Alors, elle imagina un destin de marque-page à cet écrit qui lui avait faitl'affront ce matin-là de la surprendre au pied du lit comme pour mieuxl'intriguer. Elle inséra dans le dernier ouvrage qu'elle avait choisi de lire,cette enveloppe importune dont elle allait oublier le texte grâce à la lectured'auteurs ayant, eux, la courtoisie de signer leurs oeuvres. Cette

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impertinente correspondance resterait bien présente sous son regard non par ses mots qui cherchaient à la troubler mais uniquement par letimbre-oiseau qui seul trouva grâce à ses yeux. L'oiseau portait le messageet de cela, elle ne pouvait lui en vouloir. Satisfaite d'avoir si habilementsolutionné ce nouveau et futile problème, elle se leva de son fauteuil pouraller s'habiller. Le vieux cuir garda un instant son empreinte. Egalement, un peu deson parfum. Il savait que cela ne durerait pas. Que sa forme et son odeurallaient bientôt se volatiliser. Avec l'âge, ce vieux serviteur se trouvait desproblèmes de mémoire. Lui qui avait modestement participé à l'élaborationde toutes ses oeuvres, qui en connaissait, à sa manière, autant que laprétentieuse bibliothèque, qui avait supporté et soutenu ses angoissesdevant la page blanche, ne pouvait plus souffrir les départs réitérés etenjoués de sa maîtresse-écrivain. Bien sûr, elle reviendrait avec le soir, letaquinerait en l'appelant « mon cher Voltaire » pour mieux se moquergentiment de sa forme bâtarde. Il savait qu'il n'avait aucun style etpourtant, à ce qu'elle disait, c'était ce qui lui avait plu lorsqu'elle l'avaitdéniché dans l'entrepôt venté de cet infâme brocanteur. Du style ! Commesi toutes ces vieilleries pouvaient en avoir ! Et pourtant, il suffisaitd'entendre le vieux grigou sous sa charpente glaciale vendre si bien sessoeurs comme des bergères et ses cousins comme des richelieus.

-Regardez Mesdames, Messieurs, tout est marqué sur l'étiquette ! Et les gens s'extasiaient plus sur ce qui était écrit que sur la beautédes vieux meubles. Alors, les clients achetaient au prix fort ce qu'on leurdésignait comme « authentique ». De cela, Anna n'avait pas été dupe. Lecommerçant avait maugréé mais il avait baissé son prix. Cela flatta levieux fauteuil d'avoir été regardé pour lui-même. Du style, non, bien sûr,lui n'en avait pas, mais tout de suite il était tombé amoureux de celui de samaîtresse qui peu à peu, en sa compagnie, s'était fait reconnaître par unpublic de plus en plus nombreux et surtout par les gens de l'édition. Alors,avec le lit « style rococo », il partageait maintenant depuis plus de quinzeans, le privilège de servir le corps de cet auteur au talent prometteur. Etcroyez-moi, ce privilège, même lorsqu'on est de bois, on ne désirenullement le céder à quelqu'un d'autre. D'Anna, il connaissait les formesgénéreuses, mais ne craignait pas qu'elle fut dépensière. Le luxe ne

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l'intéressait pas. C'était tant mieux. C'était rassurant pour lui qui ne voyaitque par ses pénates. Elle ne pensait jamais comme d'autres femmes à« refaire son intérieur ». A se séparer de lui pour un autre. Son intérieur,c'était ses bouquins. Ainsi, à longueur de romans, remaniait-t-elle lacomplexité toute féminine de ses idées pendant que lui, discret, la tenantsur son coussin et dans ses bras au plus fort de ses créations littéraires,pensait réellement être celui qui partageait le mieux son intimité.

-Objets inanimés, avez-vous donc une âme,Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer...

-Qu'est ce que tu nous chantes, l'artiste, tu vises la Star Academy ?

Les gars du labo étaient fortiches pour faire parler n'importe quelobjet, fut-ce un vieux fauteuil, mais étant scientifiques jusqu'au bout deleurs scalpels, ils ne possédaient pas une once de poésie. L'inspecteurHarvey appuya son postérieur sur le marbre froid qui devait servir à poserles ustensiles lors des rares occasions où le légiste venait faire là sesautopsies.

-C'est du Lamartine mes chéris. Mais je suppose qu'à des garscomme vous, le romantisme, ça ne dit rien. Je vous le dis tout de suite pour qu'après vous ne soyez pas surpris,Harvey n'était pas son vrai nom. Mais, ça faisait roman policier américain.En fait, il travaillait comme moi depuis vingt ans au même commissariatde Périgueux ; Vingt ans, c'est long dans la vie d'un flic surtout dans uneville de province où il ne se passe jamais rien. Alors, durant lesinterminables planques devant la banque de France où derrière l'hôtel depasse dit « des Voyageurs »situé en face de la gare, mon collègue s'étaitpris de passion pour la littérature. Il bouquinait sans cesse. En fait, ils'appelait Dubuisson, mais d'après lui, ça ne le fait pas quand on désire, untemps soit peu, rouler les mécaniques. Je crois que cette bizarrerie, (lalecture) lui était venue de l'époque où il draguait la vendeuse du pointpresse.De l'époque où nous devions surveiller les arrivées et départs desympathisants à la cause basque venus se mettre au vert dans notre arrièrepays. Moi, depuis ce commerce, idéal poste d'observation couvrant tout le

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grand hall, je relisais alors consciencieusement à longueur de planques lesavis d'obsèques et les exploits du CAP relatés dans le Sud-Ouest tandis quelui se servait des bouquins de poche pour mieux mater de notre hôtesse ledécolleté incitant à toute sorte de lecture.

-Lavigne, tu fais plouc avec ton canard! Lavigne, même si ça prête à toutes les blagues graveleuses dans notremétier, c'est mon véritable patronyme et il ne me serait pas venu à l'idéed'en changer. Les autres collègues m'appelaient « affectueusement »Sakavin et seul Dubuisson respectait mon identité. Moi, je respectais sonjeu consistant à se faire passer pour qui il n'était pas. Son truc s'était deplaire aux dames. Coûte que coûte. Cela lui valait très cher. Je veux dire encostumes car il fallait toujours qu'il soit bien habillé. Parfois, timidement,je lui faisais valoir que ces tenues étaient quelque peu trop voyantes pournotre fonction. Ce à quoi, il rétorquait :

-Lavigne, depuis le temps que nous faisons les mêmes planques, tu necrois pas que tout le monde sait qui nous sommes ? Puisque, tout comme moi il était flic de notoriété publique, autantqu'il s'appelle Harvey. D'ailleurs, ce nom lui allait bien. Vu son physique.Il était grand, élancé et ici, ses yeux bleus et ses cheveux blonds luidonnaient tout à fait le type américain. Il habitait un petit appartement audessus de la poste. Chez lui, c'était rempli de bouquins. Je ne crois pas qu'il les lisait tous. C'était plus un décor pour épatertoutes ces filles qu'il faisait monter dès que cessait le service et que jeretournais à Sarlat chez Maman. Aussi, quand le commissaire nous appeladans son bureau pour nous confier l'enquête, la première chose qu'Harveyaffirma :

-Patron, vous n'allez pas être déçu ! Lavigne et moi, tout le monde vadécouvrir qui nous sommes vraiment ! Ce à quoi le patron répliqua :

-Qui vous êtes, je m'en fous ! Je ne vous connais que trop mais je n'aique vous sous la main. Ce qui intéresse le procureur, voyez-vous MonsieurDubuisson, est pourquoi cette femme a disparu depuis quinze jours et s'iln'y a pas un enfant de salaud qui par hasard l'aurait trucidée. Je ne vousdemande pas de faire du zèle. Mais comme cette dame a le chic pourplaire aux notables, il faut bien que nous fassions semblant de travailler.

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Mais, voyez comment vont les choses. J'ai découvert tout à coup quemon collègue avec qui je bullais tranquillement depuis le début de notrecarrière gardait secrètement l'âme d'un flic.

-Tu comprends Lavigne, voilà notre chance. Celle de nous mettre envaleur. Voilà enfin du mystère, du vrai. Une véritable enquête: un vraiboulot. Nous mettrons le temps que ça prendra. Les moyens qu'il faut maisnous allons élucider tout cela, toi et moi. Ils vont entendre parler de nous. -Tu sais qu'il faut que je rentre chez ma mère vendredi avant seizeheures pour ne pas qu'elle s'inquiète. Et le commissaire a bien dit : pas dez...

-Fous-moi la paix avec tout cela ! C'est enfin l'occasion ! Nousn'avons pas le droit de ne pas la saisir ! -L'occasion de quoi ? -De nous faire un nom ! Décidément, c'était une manie !

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Comme d'habitude, la plainte avait été déposée durant le week-end.C'est pratique! Un week-end radieux. Maman nous avait préparé un civetde lièvre. Avec des pruneaux. L'après-midi, pour mieux digérer, nous nousétions rendus à la plage de Limeuil avec son nouveau compagnon. UnMonsieur qui soi-disant avait fait fortune dans la fraise. A ce qu'il disait. Ilne m'était pas sympathique. Par conscience professionnelle, je promis àMaman d'enquêter.

« Fais comme tu veux mon grand ! » m'avait-elle susurré à l'oreille,heureuse de me savoir jaloux. Moi, ce n'était de la jalousie mais vraimentde l'inquiétude de la voir tromper ainsi sa solitude avec tous ces hommesde passage. Bien sûr, pour elle, tromper la solitude ne voulait pas diretromper Papa. Ce lundi matin, il pleuvait sur Périgueux. Un crachin quirendait grise cette ville comme un début de semaine. Pour notredépartement, passer la Vézère, c'est comme passer la Loire ! C'est notrebarrière météorologique. Autant, il fait beau dans la vallée de la Dordognequi est notre Midi, autant j'y suis toujours en vacances dès que je rentre à lamaison, autant le ciel et mon moral sont souvent bas dans les hautsbocages du Périgord vert. Harvey, y était rayonnant. Nous commencionsl'enquête. Du commissariat, il avait fallut filer dare-dare vers le dépôt quijouxtait le canal. Nos collègues y avaient disposé pêle-mêle les « pièces àconvictions ». Nous irions découvrir plus tard la scène du crime. Si crime,il y avait. Disons plutôt le lieu de la disparition. Après un temps à supputersur le bric à brac de leur puzzle, nous sortîmes du labo et remontâmes àpied vers le centre-ville en empruntant les vieilles rues piétonnes. Labruine en rendait les pavés luisants.A peine si nous croisions quelques promeneurs ; nous étions fin septembreet, ici, la saison touristique était déjà terminée.

-Sale temps ! dis-je afin de permettre à mon coéquipier de penser touthaut. Mais, « sa Hauteur » ne m'entendit pas. Tout comme son cerveau

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gambergeait à la résolution de cette inespérée énigme, lui marchait àgrandes enjambées et je peinais à le suivre. (Je dois vous confesser ici nonseulement la petitesse de mes jambes mais aussi mon début d'embonpoint).J'eus beaucoup de mal à retrouver mon souffle durant notre ascension versla place de la Clautre. Cette place généralement animée le mercredi, jourde marché était déserte. Nulle vie sinon toutes ces voitures qui, parasitesmodernes de nos villes, l'utilisaient ce lundi comme un simple parking. Merevinrent alors à l'esprit, les couleurs des parasols forains, les teintescriardes des fruits et légumes de saison, la blancheur immaculée du standde la fromagère, les senteurs des fleurs fraîchement coupées mêlées aufumet des poulets rôtis. Ce kaléidoscope de sensations n'eut guère le tempsde me reposer, il fallut repartir en sueur et au petit trot par la rueLimogeanne sans prendre la peine de retrouver mon souffle. Encore moinsma rêverie. Seules âmes qui vivent, les bouchers de la halle du Codercdébitant leurs carcasses et leurs grivoiseries nous saluèrent tout étonnés denotre précipitation que ne pouvait expliquer seulement la météorologie.Moi, j'aime les halles pour la sérénité qu'on y trouve. C'est une architecturefaite de hauts piliers qui soutiennent une antique charpente. Une sorted'église où les chapelles et les absides seraient autant d'étals. Sur le marbrede ces autels païens, les viandes ont quelque chose de reposant.Les monceaux de saucisses, les amas de côtes, tous ces morceaux debarbaque qui stagnent sous les vitrines simplement séparés les uns desautres par un saupoudrage de persil me rassurent. Plus rien ne bouge. Il y alà quelque chose de sacré. On prend sa place dans la file. Face à une tête deveau, on réfléchit à ce qui pourrait nous faire plaisir pour le déjeuner. Déjàon le savoure. Je veux dire : comme il suffit d'une messe par dimanche, ici,on peut encore prendre son temps.

Je réussis à rattraper Harvey alors qu'il traversait les boulevards. Ama grande surprise, il ne prit pas à gauche vers le commissariat mais àdroite et, pour mon plus grand bonheur, au bout d'une centaine de mètresqui me parurent interminables, il poussa la porte du Café de Paris.

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Flics des petites villes, si une chose nous différencie de noscollègues des grandes agglomérations où de la capitale, c'est bien notreméthode en ce qui concerne la collecte d'informations. D'eux, on pourraitdire s'ils n'étaient citadins qu'ils sont toujours par monts et par vaux. Enfilature. En enquête, à la recherche d'indics susceptibles d'infiltrer desréseaux. Il leur faut vérifier tous les indices. Remonter toutes les pistes. Jepense qu'ils ont un métier fatigant. Ils se doivent sans cesse de courir aprèsleurs criminels et leurs délinquants. Du moins après leurs traces. Au mieuxleurs ombres. Je me doute qu'ils ont beaucoup de résultats. Plus que nousje veux dire. Les individus les voient venir. Alors comme leurs villes sontgrandes, rien de plus facile que de se cacher dans l'anonymat.

Chez nous, tout le monde se connaît. Nous connaît. Depuis toujourson nous apprécie. Nos planques, on ne les fait pas incognito. Les gensviennent nous y saluer : on est des bons gars. Or, voyez le tourment demon ami ! Malgré toute cette sympathie, Harvey souffrait de plus en plusde reconnaissance. Justement là où, professionnellement il nous en faudraitmoins. Pour peu, il rêverait de monter à Paris. Un soir de cafard, dans cemême café, il m'a dit :

-La banalité de la vie est à faire mourir de tristesse, quand on laconsidère de près.J'ai bien regardé nos verres. Eux étaient pleins. Je n'ai pas compris. C'étaitdu Pécharmant. Mais aujourd'hui, Harvey est rayonnant. Tout le monde l'a vu sur safigure quand il a décrété une tournée d'apéros alors qu'il n'était pas encoreonze heures. Du coup, Bernard, notre journaliste local s'est approché.(Bernard se trouve toujours au café de Paris. C'est son Q.G.) Il a siroté trèspoliment sa Suze. M'a cligné de l'oeil dans le dos de mon binôme commepour me remercier également. Il me connaît bien. Pour sûr, ni lui ni moi

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n' ir ions raconter que cet te tournée générale de plus de quinzeconsommations serait épongée par une note de frais. Harvey n'a pas eubesoin de plus de deux noyaux d'olives pour ponctuer ses phrases en luicrachant le morceau : nous serions sur une affaire politique. MademoiselleRostand ayant disparu.

-Anna Rostand, ma collègue ? -Ta collègue, c'est un bien grand mot ! -Elle a sa carte de presse tout comme moi. Nous exerçons la même etnoble profession de journaliste. -Oui, si tu veux, disons cela...A la différence près qu'elle, elle écrit.

Sortir les gardons qui pullulent dans l'Isle est un autre métier que depêcher les truites du Céou. Ces derniers sont gros et gras du fait desnombreuses bouches d'égouts qui alimentent cette rivière. Cela ne sertdonc à rien de trop vouloir appâter. Il faut juste repérer leurs bancs dans leseaux troubles. Une tournée, c'est tout. Le poisson vient de suite sur votrehameçon. Ensuite, savoir ferrer. Harvey connaissait son monde et lelendemain, l'article nécessaire à notre enquête paraissait. Politique. Ici,c'est le grand mot.Surtout depuis que le maire vient de rejoindre le gouvernement. Les espritss'échauffent car l'échiquier se replace. Il ne s'agit plus d'être dans lamajorité ou dans l'opposition. Il faut faire partie de la cour. Avoir desaccointances. Pour ne pas disparaître. Et croyez-moi, cela est trèscompliqué.

-Quel rapport avec votre enquête ? Avait vociféré le patron. De rapport au bout d'un jour d'enquête, c'était beaucoup nous demander. Bien sûr, il n'y en avait pas. Du moins pas encore. C'est unepelote qui se déferait d'elle-même. Il suffisait d'attendre. En fait, c'était çanotre véritable métier. Pour glaner de l'information sans nous baisser, noussemions ce que tout le monde voulait entendre. Il n'existait cet été àPérigueux que deux informations. Un : le maire était ministre, deux : notreauteur le plus doué avait disparu. Il faut toujours recouper le dernierévénement avec le contexte ambiant. Je tenais cela de l'oncle André, celuiqui possède encore une palombière sur la colline d'Escoire. Le plus

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difficile dans tout, m'avait-il appris quand je n'avais pas encore quinze ans,est de faire se poser la colombe. Tonton a toujours possédé de beauxramiers. Des bêtes à concours et qui se vendent très cher. Des bêtes auplumage soyeux et qui roucoulent au moindre vol. Elles séduisent lesoiseaux de passage aussi bien que nos accoutumées le font des V.R.P. àl'hôtel des voyageurs. Nous les surveillons également avec chacune un fil àla patte. Par ici comme ailleurs, les histoires de plume sont nécessaires. Ilne s'agit pour nous que de respecter les quotas. Les filles le savent bien.Leurs clients aussi. Nous fonctionnons, elles, eux et nous en bonne ententeet les scandales atteignent que très rarement le haut de la rue Louis Blanc. Avec les notables de la ville, les choses restent les mêmes. Ce sontgénéralement des personnages de haut vol qui ont des affaires à Bordeauxou à Paris. Des affaires d'importance. Les affaires ne se passent pas ici.Mais pourtant, tout comme les vols de grues qui nous snobent en survolant,paraît-il, et l'Afrique et les Pyrénées, nos bourgeois également toujoursnous reviennent et piaillent dès que change le temps. MademoiselleRostand ne fréquentait pas nos basses-cours. Elle était plutôt du genrepigeonnier. Pour autant, je peux affirmer qu'elle ne nous dédaignait pascomme d'autres qui ont réussi savent le faire. Non, le mercredi, on la voitparaît-il encore au marché. La vieille Madame Peytoureau qui vendtoujours ses fraises (et ses mirabelles quand vient la saison) à l'angle duCoderc, vous en dirait du bien. Et pourtant, cette paysanne ne sait pas lire.Soigner, ramasser et vendre ses fruits : voilà toute sa culture où les livresne sont pour sa balance que des unités de poids. Une livre de fraises deMadame Peytoureau vaut d'ailleurs un livre de Mademoiselle Rostand.Chacune y a mis tout son amour. Ensuite, comme elles le saventpérissable, elles le vendent. C'est un peu de la même nourriture. C'est pourcela que les gens les apprécient.

-La police a besoin de personnes comme vous et vous ferezparfaitement l'affaire ! Pour réceptionner tous les appels qui n'allaient pas manquerd'arriver après la publication de l'article, Harvey avait convaincu le patronde nous octroyer deux jeunes stagiaires de l'école de police.

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Cette école qui avait pris ses quartiers dans les casernements ducinquième Chasseur depuis que ce régiment avait été dissous, recrutaitpour la plupart ses élèves dans les départements d'outre-mer. Les deuxstagiaires en question étaient donc deux charmantes guadeloupéennes dontles physiques leur auraient tout aussi bien permis d'intégrer une écoled'hôtesses de l'air. Mais, par chance pour nous, ce genre d'établissementn'existait pas en Périgord. Harvey fit tout pour mettre ces jeunes filles àl'aise. A l'écouter leur parler, notre commissariat avait tout d'un club devacances dont nous aurions été les gentils animateurs. Il leur fit le tour dupropriétaire en évitant soigneusement les trois cellules de dégrisement oùsommeillaient encore notre clientèle de poivrots vendangée par la brigadede nuit, puis revenant dans notre bureau voulut leur faire goûter la cuisinelocale, à savoir le pot de rillettes de canard que Maman m'avaitconfectionnées pour mes sandwiches. Heureusement, ces jeunes collèguesétant plus soucieuses de leur ligne que de communier avec l'autochtone etmalgré les invitations pressantes d'Harvey qui avait trouvé un fond derhum dans le frigo, je pus sauver l'essentiel de ce qui faisait tout mêmepartie de mon patrimoine. Durant mon casse-croûte, il eut donc tout leloisir de les briefer sur le turbin en leur enseignant le maniement de notreantique téléphone tout en s'extasiant sur le charme de leur accent et ladouceur de leur voix. J'eus encore le temps de déguster trois cabecous pourfinir mon pain pendant qu'il comparait leurs silhouettes à celles de gazelleset qu'il regrettait de ne pas mieux connaître la peinture. Le téléphone toussota. Harvey invita celle qui devait être la plusjeune à décrocher. Elle répondit de sa voix sucrée à un grincheux asthmatiquesouhaitant nous mettre sur la piste de son pharmacien au prétexte quecelui-ci ne fournissait son sirop que sur ordonnance. Attentionnée, ellenota scrupuleusement les récriminations, les symptômes et l'identité duplaignant, sut rester évasive quant au montant d'une éventuelle récompenseque ne manqua pas de réclamer le délateur souffreteux. Harvey félicita lajeune fille. Vraiment, grâce à cette école, la police se modernisait : nosjeunes savaient parler. L'enquête débutait sous les meilleurs auspices.Deux vieux roublards épaulés par deux beautés intelligentes : nous allionsformer une véritable équipe de choc. Ces demoiselles n'étaient pas

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habituées aux envolées lyriques de mon collègue. Elles croyaient vraimentce qu'il disait. Lui aussi d'ailleurs. Il devint volubile. Nous étions faits pournous rencontrer. Il et elles étaient rouges d'émotion. On me regarda pourque je souscrive à mon tour à la Félicitée ambiante. Félicitée était leprénom de la plus grande. Elle était moins réservée que sa benjamine. Celame plaisait bien et pour ne pas le montrer, je baissai la tête et balayaiconsciencieusement les miettes de pain qui jonchaient mon bureau. J'avaisce matin-là mon vieux polo gris, celui dont le col rebique. Je me suis ditqu'elle le remarquerait, qu'elle allait le dire et m'en voulus de ne pas avoirmis ma nouvelle chemise. Celle à carreaux rouges et dont Maman me ditqu'elle me va très bien.

-Faudrait aller auditionner la plaignante ! : Dis-je pour m'en sortiret me donner tout de même une certaine contenance. Félicitée sourit de medécouvrir si professionnel.

-La plaignante, bien sûr ! Où avais-je la tête ? : Reprit Harvey quisouhaitait montrer que c'était lui qui dirigeait les opérations.

- Les filles, vous allez garder le standard pendant qu'avec Lavignenous allons recueillir les premières données du problème. Notez toutscrupuleusement en laissant croire à chacun que ce qu'il raconte peut-êtrede la plus haute importance. Allons-y Bob ! Filons, il s'agit de ne pasperdre de temps. Dans une disparition, les minutes sont comptées. La pluie ne s'était pas arrêtée. Je repensai aux champignons.

- Alors ? S'enquit Harvey. - 35, rue de l'Abîme. - Je te parle de la grande. Comment tu la trouves ? - Je t'ai déjà demandé de ne pas m'appeler Bob. Je m'appelle Robert.Si cela ne te plaît pas, appelle-moi Lavigne. - J'ai dit ça pour les filles ! Bob : ça en jette !

Il hâta le pas. Je haussai les épaules. Il ne lui suffisait pas de draguertoutes les femmes qu'il rencontrait, il fallait à tout prix que je participe.Moi, j'avais trop de respect et je ne savais pas manier la galanterie. C'était dans le Bas Toulon. Le quartier des ateliers. Suffisammentéloigné pour que l'on puisse prendre la voiture. Mais, Harvey préféraitmarcher et je devais le suivre. Devant le lycée Claveille, nous dûmes nous

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frayer un passage parmi tous ces jeunes qui se rassemblaient désormais surle trottoir pour fumer. Des garçons et des filles, indifféremment. Lespremiers faisaient leurs caïds et elles, en riant et en se moquant d'euxouvertement, se défendaient de les admirer.Leurs yeux pourtantsavamment fardés les découvraient. Elles se poussaient du coude entreelles, personne n'étant dupe mais, avec la fin de l'été et comme les coursvenaient juste de reprendre, elles s'étaient intérieurement juré de restersérieuses.Du moins, jusqu'aux premiers résultats scolaires. Après, ce seraitselon. Un garçon mima notre démarche empressée en battant les brasrepliés en forme d'ailes. Il nous avait reconnus. Il avait déjà eu affaire ànous pour de petits recels et des actes de vandalisme. C'était un enfant quiaurait pu mal tourner. Maintenant, il nous bravait impunément, protégé dese sentir à nouveau lycéen. Un groupe, cela donne une contenance. Sansdoute, ne souffrait-il plus de la solitude. Il eût le succès escompté vu lescommentaires qui fusaient dans notre dos. Ces quolibets ne semblaient pasaffecter mon collègue plus que la pluie qui lui collait son imperméable surles os. Il était ailleurs. Nous descendions l'avenue Victor Hugo, mais luiétait déjà en partance pour d'autres tropiques. Comme nous tous, il étaitrêveur. Des guadeloupéennes, il avait retenu la Guadeloupe où jamais iln'était allé et où il n'irait sans doute jamais. Mais l'espoir d'une île avaitpénétré son esprit. Sans le savoir, les deux charmantes stagiaires en étaientles ambassadrices. Déjà, il était sous les cocotiers alors que nous longionsle haut mur qui masque à la ville les anciens ateliers du P.O. : leParis-Orléans. Depuis que cette compagnie ferroviaire existe, se répare iciles voitures qui composent les trains. On y retape les fauteuils, aménage denouveaux wagons-restaurants, imagine de nouvelles couchettes pour ceuxqui voyagent réellement. Ceux, différents de nous, qui à la gare achètent etcompostent leurs billets. Car, en ce qui nous concerne, Harvey et moi, depuis toujours,nous ne voyageons qu'en imagination.

Mademoiselle Rostand Angélique habitait une maison à un étage,tout aussi modeste que toutes celles du quartier. Des anciennes maisons decheminots. Dans son arrière, un petit jardin avec très certainement un puitscar nous étions tout près de la source de l'Abîme : cette rivière qui ne

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mesure guère plus de cent mètres avant de se jeter dans l'Isle. C'est uncours d'eau qui à peine né, se déverse dans son confluent. Elle non plus neva vraiment pas loin, et la plus grande partie de son eau sert à alimenter leréseau de la ville. Tout comme cette rivière, ici personne ne voyage. Lesgens travaillent pour le confort de ceux qui circulent dans les trains. Ils nesont pas assez riches. Ils se trouvent comme en bout de quai mais de là àdire qu'en rêves, ils ne s'embarquent pas...

Angélique était de seize ans la soeur aînée d'Anna. Une grandedame par la taille, une vieille fille par le statut. Celui-ci se comprenaitaisément vu son physique austère : un grand nez mangeait toute sa figure,des pommettes saillantes, des sourcils épais. Un épais mais strict chignontraitait sévèrement une chevelure qui n'avait sans doute connu que très peula liberté. Pourtant, selon les compliments d'usage d'Harvey qui semblaitne pas trouver désagréable ce genre d'épouvantail, elle possédait un « portaltier ». Elle nous fit entrer dans son salon dont les nombreux bibelotsaffectaient ce même port. Tout y était désespérément en ordre et froid, augarde à vous sur les étagères. Cet agencement militaire semblait établi pourrecevoir « l'hôte ». Un hôte espéré et qui n'était jamais venu. Pour toutefantaisie tout de même, un couple d'oiseaux dans une cage auprès de lafenêtre. De nombreux napperons sur la table, la commode et les fauteuilsrivalisaient de complexité avec l'exposition de canevas qui mobilisait tousles murs. Harvey nous présenta, nous et nos fonctions. Elle nous attendait,s'attendait au pire : elle nous avait préparé du café.

-J'imagine, Madame, votre douleur mais malheureusement nous nesommes pas venus vous apporter de réponses. Nous sommes au mêmepoint que vous : nous n'avons, pour l'instant, que des questions. Voilà pourquoi je laisse tout le temps parler Harvey. Il a le sens desphrases. Tout était dit. Il ne suffisait plus que de se taire en appréciant à sajuste valeur le café. Anna n'était pas comme elle. Elle était jeune,enthousiaste, pleine d'idées et de projets : elle était la vie. On la priait tantqu'elle refusait du monde. Elle avait plusieurs livres en chantier. Dont unpratiquement terminé. Angélique partageait quelques secrets de la créationbien avant l'éditeur. Alors, quand ce samedi, inquiète de n'avoir plus de

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nouvelles depuis le début de la semaine, elle s'était rendue chez sabenjamine, elle n'aurait pu se douter que quelque chose clochait.L'appartement était vide. Dans la cuisine, la vaisselle n'était pas rangée.Sur la table, un chaton miaulait ayant fini ce qu'au papier vomi, ellesupposa être la tablette de beurre ainsi qu'un reste de repas dans un platposé sur la table et méticuleusement curé. La carafe d'eau était renversée etle matou avait du boire son contenu à même le bois de la table. Il s'échappaaussitôt par la porte d'entrée qu'elle n'avait pas refermée derrière elle. Dansla chambre, le lit était fait. L'ordinateur était resté allumé.Sur le bureau, quantités de livres et de papiers. Un plan de Paris, destickets de métro. Sur son vieux fauteuil, des vêtements, pêle-mêle. Maisdans l'imposante armoire, bien rangées, pendaient toutes ses robes, sestenues et les deux valises qu'elle lui connaissait étaient posées au fond, àleur place habituelle. Anna la prévenait toujours quand elle partait.Angélique comprit alors qu'il était arrivé quelque chose à sa petite soeurchérie. De suite, elle avait sorti du frigo une boîte d'aliments entamée etdisposé ce restant de pâtée dans l'écuelle du chaton.Puis elle avait ouvert laporte-fenêtre du balcon pour permettre à l'animal d'entrer et sortir à saguise et était redescendue pour aller sur-le-champ se présenter aucommissariat. Là, les collègues avaient pris sa déposition. Ils n'étaient passûrs de pouvoir faire quelque chose un samedi. Mais, puisqu'elle insistait,ils avaient fini par téléphoner au domicile du commissaire qui en apprenantl'identité de la disparue avait immédiatement prévenu le parquet. Leschoses n'avaient pas beaucoup avancé avec le dimanche. Nous étions déjàmardi après-midi. Elle comptait beaucoup sur nous : des hommes sûrs, luiavait-on promis.

- Madame, quand votre soeur s'absentait, où allait-elle ? - A Paris. Pour ses livres. Elle y connaît beaucoup de gens. Vouscomprenez pour son image, c'est nécessaire. Ses livres dépendent de sonimage. C'est une chose dont elle a horreur, mais, disait-elle, c'est lesystème qui veut ça. - Vous avez une photo d'elle ? Je veux dire une photo récente.

Angélique se leva pour aller chercher tous les cadres qui setrouvaient sur la commode. - Tenez voici une dizaine de clichés qui datent tous de cet été.

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Elle les disposa devant nous, sur la table basse. Nous ydécouvrîmes une femme d'une beauté époustouflante. Toutes les photos,que ce soit des portraits de pied ou ne cadrant que son visage nousstupéfièrent. D'elle, nous ne connaissions qu'un cliché se trouvant àl'arrière d'un de ces bouquins qu'Harvey avait emprunté à son libraire. Etcelui-ci ne rendait en rien compte de sa beauté que l'on découvrait àprésent.

- Mais, elle est magnifique ! S'exclama mon collègue. Et,aussitôt: Lui connaissez-vous des amants ? Angélique baissa les yeux. Je lançai un regard furibond à Harveypour lui reprocher sa façon abrupte d'aborder un sujet peut-être délicat.Mais notre interlocutrice reprit :

- Je comprends votre question car évidemment à tout le monde vientla même idée. Malheureusement, c'est un sujet difficile à aborder avec masoeur. Elle sait que je lui reprocherais une vie dissolue, aussi ne mefait-elle sur ce sujet que peu de confidences. J'imagine qu'elle rencontre denombreux hommes. Pour elle ce n'est pas difficile. A savoir ce quedeviennent ces relations, je n'en ai aucune idée et d'une certaine façon,cela vaut mieux. Je ne regrette qu'une chose, c'est que tout comme moi,elle vit la plupart du temps seule. Bien sûr, je suis beaucoup moinscourtisée. Mais, je sais une chose, une femme a besoin d'une vraie vie decouple. Tout le reste n'est que fredaine, n'est-ce pas Monsieurl'inspecteur..., comment déjà ?

- Dubuisson, Inspecteur Dubuisson, marmonna Harvey. - Eh bien, Monsieur Dubuisson, pensez-vous que ce serait un hommequi l'aurait enlevée ? Que des hommes, des vrais, sontencore capables d'enlever des femmes ?

- C'est...c'est fort possible. Vu votre soeur... Enfin, je veux direune autre femme aussi bien sûr...Toutes sont en droit d'espérer : Nousavons des exemples. Enfin, pas au commissariat : les gens ne viennent passe plaindre. Ce n'est pas forcément tragique. C'est plutôt romanesque. - Vous aimez les livres, Monsieur Dubuisson ? - Ils nous apprennent des choses. - Moi aussi, je lis beaucoup. Un livre, cela coûte si peu, et peut allersi loin ! Comment s'étonner alors que la pensée s'écoule par cette pente ?

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- C'est très joli ce que vous dites ! - Ce n'est pas de moi, mais d'un écrivain célèbre. Mais, en ce quiconcerne ma soeur ? J'ai lu dans le journal qu'il pourrait y avoir une pistepolitique. Vous croyez que c'est sérieux ? - Pour l'instant, on ne peut écarter aucune hypothèse. Vous vousentendiez bien avec elle ? - Monsieur Dubuisson ? Je cherchais chez vous un réconfort. - On ne peut écarter aucune hypothèse. Monsieur Lavigne ici présentpeut vous le confirmer, malgré l'affliction que vous ressentez nous devonspenser à tout.

Généralement, quand Harvey me cite, c'est à dire quand il ne tire pastoute la couverture à lui, c'est qu'il se trouve dans une mauvaise posture.Ainsi, cette dame sur qui son charme semblait opérer lui laissait-elleentendre qu'elle n'y restait pas insensible. Pour bien se faire comprendre,elle lui resservit du café. Il oublia de le sucrer.

- Le succès de votre soeur ne suscitait-il pas des jalousies ? - Assurément, Monsieur Lavigne. Mais, elle les ignorait. C'est

une chose qu'elle ne pouvait pas comprendre. Elle a toujours tout eu : labeauté, le talent. Pour elle, tout ce qui lui arrivait était dans l'ordre deschoses. Je ne me souviens pas l'avoir jamais vue dans une mauvaise passe.La chance a toujours été de son côté. Jusqu'à samedi dernier. - Qu'est-ce qui vous fait penser que sa bonne étoile l'a quittée ?

- Je ne sais pas. Un pressentiment. Le pressentiment qui m'a pousséchez elle et qui m'a guidée vers vous. - Existe-t-il des éléments plus concrets qui expliqueraient cepressentiment ? - Elle avait quelque chose dans les yeux depuis le début de l'été.Comme une préoccupation! Elle m'affirmait le contraire. Mais, je laconnais, c'est moi qui l'ai élevée à la mort de nos parents. - Vos deux parents sont décédés ? - Quand elle avait quatre ans, tous les deux dans un accident devoiture. J'avais tout juste dix-huit ans. A l'époque pas encore majeure. Etpourtant, c'est moi qui ai eu la charge de ma petite soeur. - Ce n'était vraiment pas de chance pour vous deux.

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- Pour moi non. Mais pour elle davantage. Mes parents étaientsouvent absents ; j'en ai beaucoup souffert. Anna ne les a pratiquement pasconnus. Ensuite, ce fut un bonheur de l'élever : vous savez, depuis toutepetite, elle a toujours été charmante. - Et la perte de vos parents ne l'attristait pas ? - Elle m'avait. J'ai tout fait pour elle. C'est pour cela que jesais quand quelque chose ne va pas. Voyez, Monsieur l'inspecteur,je sens qu ' i l es t arr ivé malheur à ma soeur. Mais , je ne peuxmalheureusement vous en dire plus. - Merci Mademoiselle Rostand pour tous ces éclaircissements. Jecrois qu'il ne nous reste plus à mon collègue et moi qu'à prendre congé. - Ne me laissez pas trop longtemps sans nouvelles, j'ai peur ! - Nous vous informerons au fur et à mesure de notre enquête. Nousallons vous laisser notre numéro de téléphone. Si des éléments suspects etdont nous n'avons pas parlé, vous revenaient, n'hésitez pas à nousrappeler. La pluie s'était arrêtée et un timide soleil cherchait à percer lamasse nuageuse. Harvey marcha moins vite qu'à son habitude non pourm'attendre mais parce qu'il était perplexe. Devant l'école primaire, unrassemblement de parents nous apprit qu'il était déjà seize heures trente.L'écho des jeux des enfants retentissait à l'intérieur des murs de la cour derécréation. Des enfants ! Voilà un monde qui nous était inconnu, nous lesdeux vieux célibataires. Je m'imaginai un instant avec femme et marmotsm'attendant le soir à la maison. On me ferait la fête. Enfin, je voyais çacomme cela. Je souris en me représentant Harvey dans la même situation.Harvey en papa poule. A quatre pattes avec ses mômes sur le dos. Non !Décidément, tout cela était du domaine du rêve. Désormais pour nousdeux, il était trop tard. Les années passent si vite. Je pensai à l'automne quirevenait déjà avec ses promesses de vendanges et de champignons. AMaman. Pour elle et moi, croyais-je, rien n'avait changé.

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Brigitt'coiff est un très bon salon de coiffure. Il n'a qu'un défaut :être désormais situé trop près du coeur historique de Sarlat. L'été venu,impossible de se garer à moins de huit cents mètres. Pourtant, c'est unetradition, Maman se rend au salon toutes les trois semaines. Depuisquarante-cinq ans. Elle était amie avec Brigitte. Elles étaient ensemble aupensionnat chez les religieuses. L'adversité dans laquelle avait baigné leurenfance avait trempé comme de l'acier la relation indéfectible qui lesunissait depuis. Elles ne s'étaient jamais éloignées l'une de l'autre. Onpouvait dire d'elles que c'était deux soeurs tant parfois les amitiésféminines sont profondes. Je posais Maman devant la devanture et allai megarer sur le nouveau parking à touristes qui coûtait un euro la demi-heure.Puis, je remontai à pied la cohorte des caravanes, des camping-cars, desvoitures lourdement chargées de vélos qui venaient chez nous goûter lecalme qu'on ne trouve à Sarlat que hors-saison. Or, Brigitte avait délaissé son salon à sa fille depuis trois ans. Auxdires des habituées, elle était partie vivre du côté de Biarritz. Pour saretraite. Maman, qui n'avait pas été mise dans la confidence, ne lui envoulait pourtant pas. Depuis leur enfance, elle n'avait cessé de l'admirer.Aussi, ce départ qui aurait pu être vécu comme une trahison, représentait-ilpour ma mère plutôt une revanche conjointe sur leurs tristes sorts. Seuleson amie avait réussi dans la vie, mais elle en partageait intérieurement lagloire. Elles s'écrivaient toutes les semaines. Un jour, nous irions en vacances à Biarritz nous qui n'avionsjamais quitté notre Périgord ! Depuis, la fille de Brigitte, Cloé, une fausse rousse, s'occupait de lacoupe et des shampooings. Son ami Patrice officiait aux couleurs. Il étaitdiplômé pour cela de la chambre des métiers et du syndicat descapilliculteurs. C'était écrit dans un cadre dans la vitrine. Cela apportaitune nouvelle clientèle masculine non négligeable. Maman trouvait cegarçon très gentil elle qui venait surtout là pour nuancer de bleu les reflets

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de sa permanente. Aujourd'hui, il n'était pas là. Lui aussi avait droit à sescongés. Tout le monde attendait sa carte postale. Il s'était envolé depuisBordeaux vers une île. Un drôle de nom, je me rappelle. Quelque chosecomme Ibiza.

Maman ne voyait pas notre enquête d'un bon oeil. Nous aurions dûla refuser. Elle reprochait à Harvey de m'avoir entraîné dans cette histoirejuste pour sa propre gloriole.

-Tu devrais te méfier de ce garçon. La seule fois où je l'ai vu, il nem'a pas paru honnête. -Mais Maman, c'était, il y a plus de vingt-cinq ans. Il venait toutcomme moi de sortir de l'école de police. Tu ne peux pas traiter demalhonnête quelqu'un qui a fait le voeu de devenir policier. -Et pourquoi pas ? Mais là, je vis bien qu'elle ne cherchait qu'à mescandaliser. Chercher une femme qui, soi-disant avait disparu ne lui disait rienqui vaille. Elle ne connaissait rien d'Anna Rostand, ni de sa personne ni deson oeuvre littéraire, mais de simplement comprendre que cette dernièren'était toujours pas mariée à plus de trente cinq ans augurait pour elle d'unréel danger pour son fils.En ce qui concerne la littérature, elle ne jurait que par Monsieur MaxFavallelli, l'ancien libraire de Sarlat qui avait réussi à la télévision. Biensûr, je me gardai de lui parler des guadeloupéennes et surtout de Félicitéequi s'était emparée de mon esprit. Pourtant, des filles, n'allez pas croire,j'en avais connu. Du moins croisé. Dans les rues de Sarlat, il y a quantitésde touristes. Des étrangères aux parlers et moeurs baroques. Dont les effetsexcentriques pouvaient m'ensorceler parfois plus d'une nuit ou deux.Depuis la mort de Papa, nous vivions mère et fils dans une douceharmonie. Ses tracas étaient mes tracas, mes problèmes les siens. Nos joiesétaient communes. On dit d'une mère qu'elle ne vit que par procuration. Jene sais pas si c'est une généralité mais la maxime vaut pour Maman. Sonexistence ne comptait pas. Ne comptait plus depuis le départ de celui dontelle avait eu l'immense bonheur d'être la femme. Maintenant, elle enélevait le fils. Depuis quarante-sept ans. Rien n'en pourrait la distrairemême pas ces messieurs âgés qui lui faisaient la galanterie de

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l'accompagner dans les thés dansants. Maman a toujours été très belle ettrès soigneuse de sa personne. C'est une sorte de fierté que nous partageonsensemble. Avec la mort de Papa, le temps s'est arrêté et ainsi, elle estéternellement jeune. Nous rions ensemble de ses amours éphémères,conscients que jamais, non vraiment jamais rien ne pourrait nous séparer.

-Cette fille est très belle et très douée. Elle attire des convoitises decertains qui pourraient l'utiliser. Et pourquoi ne serait-elle pas l'amantesecrète du maire ? Tu sais, ce sont des choses ici qui se sont déjà vues.

-Maman ! La piste politique, c'est juste pour faire parler les gens. Ilfaut que nous fassions remonter le plus d'informations possibles, mais sic'est une affaire d'ampleur nationale, d'autres déjà s'en occupent à leurniveau. Nous, nous la cherchons au ras des pâquerettes. -Tu sais, je ne pense pas que ce soit une fille pour toi. Elle est trop... -Mais Maman, c'est professionnel. Nous la cherchons parce que lecommissaire nous l'a ordonné. -Eh bien moi, je t'ordonne de te marier. -On ne va pas revenir là-dessus, Maman. A chaque fois que je t'aiparlé d'une fille possible, ça ne t'allait pas. Nous ne sommes pas biencomme cela, tous les deux ensemble ? Pour toute réponse, elle m'apporta le dessert. Une tarte aux quetsches.Cela faisait déjà plus d'une semaine que la fille avait disparu et nousn'avions toujours rien. La préfecture et le procureur faisaient pression surle commissaire. Notre supposée piste politique avait fait chou blanc : unecinquantaine d'appels que nos deux dévouées standardistes avaient dûmentrépertoriés dans le cahier prévu à cet effet. Mais, tous étaient du mêmeacabit que le premier. Les mêmes dénonciateurs que nous ne connaissionsque trop mais qui nous horrifient toujours autant par leurs médisances.Tout leur semble bon pour se débarrasser d'un voisin, d'un parent et mêmepour certains de leurs propres enfants. Il leur suffit pour cela de chargerleurs victimes expiatoires de ce nouveau forfait dont personne ne saitencore qui l'a commis. En cela, notre bonne ville n'a pas beaucoup évoluédepuis l'Occupation.Ces gens nous utilisent, nous leur police, comme des éboueurs : nousdevons les débarrasser de leurs propres saloperies.De plus, ils nous enveulent ne pas faire correctement notre métier. Sans doute nous

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dénoncent-ils d'ailleurs à nos instances supérieures ! Ce sont des justiciersdans l'âme. Pour autant, nous ne devons pas les négliger. Pour la première fois de ma vie, j'avais menti à Maman :

-Je dois, dis-je, rentrer ce dimanche dès la fin de l'après-midi pourles besoins de l'enquête. Elle dut préparer mes sandwiches à la va-vite. J'étais désolé de la voirainsi souffrir d'abîmer de si beaux magrets mais je me surprenaisdavantage à plaindre intérieurement Félicitée et un peu sa collègue restéesseules au commissariat pour réceptionner à notre place tant d'ignominies.Elles étaient si jeunes, sans doute si naïves des moeurs abjectes de certainsde nos concitoyens. Je me devais d'aller les réconforter. Curieusement, jeme sentais devenir un homme comme si de mon corps j'allais faire barrageentre la pureté que je leur prêtais et la bassesse ambiante. Cette pulsionchevaleresque m'était d'habitude étrangère et c'est en cela que je comprisque quelque chose en moi avait changé.

Félicitée était seule. Harvey venait juste de passer pour décréter quece dimanche après-midi étant calme, une unique standardiste suffisait. Ilavait proposé à la plus jeune de la raccompagner à l'école de police. Jedoutai un instant de l'honnêteté de ses propositions mais n'en laissai rienapparaître. Je m'inquiétai davantage du traumatisme psychologique quecette mission téléphonique avait pu engendrer.

-Il ne faut pas vous en faire pour nous deux, m'avait répondu avectout le charme de son accent, celle qui avait eu l'incroyable capacité de metroubler jusque chez Maman. Au pays, les gens sont pires qu'ici. Voussavez, ils sont pauvres. Maïté et moi, nous avons l'habitude d'entendreparler les gens. Ils disent des choses qu'ils aimeraient être vraies et si onles prenait au pied de la lettre alors leur vraisemblable deviendrait lavérité. Chez nous, nous disons : "Poule qui cacaye, lu même que lapondu". Les gens se construisent leur propre histoire mais aussi, et c'estplus embêtant celle des autres. Chez vous, ces braves personnes prétendentque, voler un oeuf vole un boeuf, ou qu'il faille se méfier des gens commenous au prétexte, que nous sommes des descendants d'esclaves. Nous nepouvons pas éternellement en vouloir aux anciens colons de projeter leurs

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démons sur nous. Les gens s'inventent leur monde. Mais vous MonsieurBob, que pensez-vous cette affaire ?

Une femme avait disparu que je ne connaissais pas. Je dois bienavouer maintenant que cela ne me faisait ni chaud ni froid. Cette damemême si c'était une sympathique compatriote n'était pas vraiment de monmonde. Un monde assez clos. Etroit. Sans pour l'instant le moindreimprévu. Aussi ce qui me bouleversait davantage était la présence de cettevéritable femme que j'avais prise pour une enfant.

-Robert ! Balbutiai-je. Mon prénom c'est Robert mais vous pouvezm'appeler Monsieur Lavigne, Mademoiselle... ?

-Félicitée, je m'appelle Félicitée, Robert. Elle me souriait. -Eh bien, Mademoiselle Félicitée, l'affaire se présente, heu...je veuxdire, c'est une affaire complexe... Vous avez raison, il faut se garder detout a priori... Heu... Mais peut-être désirez-vous également sortir d'icipour aller boire quelque chose en ville ? -Et le téléphone ? -Il y a le répondeur !

Pour faire réfléchir nos suspects durant nos rares interrogatoires,au-dessus de son bureau, Harvey avait affiché dans un cadre une phrase deVoltaire :

On rougirait bientôt de ses décisions, si l'on voulait réfléchir sur lesraisons par lesquelles on se détermine.

Je doute que beaucoup de nos petits malfrats aient jamais eu laculture nécessaire pour y trouver là un quelconque enseignement. Mais queles lecteurs que mon attitude ici ferait sourire, s'appliquent d'abord àeux-même cette maxime avant de me juger un brin cavalier. Bien quem'étonnant moi-même, je m'abstins de rougir et accompagnai donc majeune collègue au Café de Paris.

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Chapitre 5

L'appartement d'Anna se situait au troisième étage d'un vieilimmeuble du quartier médiéval. On y accédait par un remarquable escalierde pierre en colimaçon. La minuterie ne fonctionnait pas et nous dûmesgravir dans la pénombre ses marches usées. Nous tournions pour l'instanten rond dans le noir. Au sens propre comme au sens figuré. Nous avionsdemandé à nos collègues du labo de replacer à l'intérieur de l'appartementles quelques objets qu'ils avaient emportés afin d'étude. En effet, cettepersonne avait disparu de chez elle depuis quinze jours, mais outre sasoeur, personne ne s'en inquiétait. « Tout le monde a le droit de partir envacances » nous avait-il été répondu par toutes les autres personnes de sonentourage que nous avions interrogées. Ils se méfiaient de la vieille soeuracariâtre. Certains avançaient même l'hypothèse qu'Anna cherchait là àéchapper à son emprise. Il se pouvait très bien alors qu'elle rentre àl'instant. Comment lui expliquer notre présence chez elle ? Avions-nousseulement un mandat ? Harvey avait le passe-partout. Celui-ci sut resterdiscret en n'émettant qu'un léger cliquetis. Derrière le battant, le chat. Ilronronnait comme si nous avions été de vieilles connaissances à moinsqu'il ait pris le bruit dans la serrure pour celui d'une souris. Il semblait trèscalme. Et si, Anna était déjà rentrée ? Cette idée dut nous traverser à tousdeux l'esprit en même temps car Harvey toussota comme pour annoncernotre présence. Mais, personne ne répondit. J'imaginais déjà ma gênedevant la jeune femme qui n'aurait manqué de s'étonner que deux vieuxgarçons comme nous forcent ainsi sa porte. Ce ne sont pas des choses quise font avec les dames. Comment lui expliquer notre geste inconsidéréalors que nous pouvions tout aussi bien frapper pour qu'elle nous ouvre ?

-Il n'y a personne ! chuchota Harvey. -Alors pourquoi parles-tu à voix basse? répliquai-je sur le même

mode. Il se peut très bien qu'elle soit là, qu'elle nous ait entendu et qu'ellene réponde pas parce qu'elle est paniquée ! -Je vais crier police pour la rassurer !

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-Surtout pas, maintenant que l'on a ouvert sa porte, ce serait pire.Elle peut croire que nous venons l'arrêter et par un mouvement désespérése jeter par une fenêtre. -Tu es sûr que tu ne lis jamais de romans policiers ? -Moi, non ! Mais elle sûrement. C'est un peu son métier. -Alors, si elle les écrit, c'est qu'elle n'en a pas peur. -Tu crois ça ?

Harvey, pour toute réponse avança sur la pointe des pieds dans lecouloir qui menait à une première pièce. Le chaton l'y précéda. Enhardi,mon collègue passa discrètement sa tête par l'embrasure. Personne. Je prisl'initiative de faire la même chose en remontant le couloir dans l'autre sensjusqu'à une seconde porte. Ce devait être sa chambre. Au lieu de frapper, jetournai délicatement le bouton. Un petit bruit sec m'indiqua que le pênes'était libéré du chambranle. Délicatement, je poussai le battant. Jeconstatai qu'il tremblait en même temps que moi. C'était ma premièreopération de ce genre et j'avalai ma salive. La pièce était dans le noircomplet et le peu de lumière qui filtrait du couloir ne permettait pasd'éclairer suffisamment pour y discerner d'autres choses que des ombres.Harvey me reproche toujours mon manque d'imagination.Or, là, je crois que j'en avais trop à contempler tout ce noir. Et si, elle étaitmorte et que je découvre là son cadavre ? Ou pire, simplement endormie.Pourquoi faut-il toujours que notre esprit invente des choses quand nous nesavons pas ? On pourrait tout aussi bien s'en foutre. Jusqu'à ce matin au basde l'escalier, l'existence de cette jeune femme me laissait complètementfroid et peu m'importait ce qui lui était arrivé. Je n'avais pas le coeur à cetteenquête comme Harvey pouvait l'avoir. Or, voilà que maintenant, j'entranspirais. Elle était pour moi une inconnue qui aurait dû me laisserindifférent mais je rentrais dans sa chambre moi qui n'avais jamais étéinvité dans la chambre d'une femme. Tout à coup, dans ce noir, sa réalitém'apparut. Je sentis son odeur. Sa présence sur le lit. Sans doute, mevoyait-elle entrer, lisait-elle sur ma figure mon effroi. Que devrais-je luidire ? Si, elle ne se manifestait pas plus, c'est qu'elle m'attendait. Tout àcoup, la lumière jaillit. De l'autre côté de la pièce, mon collègue avait

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ouvert la porte qui donnait sur le salon mitoyen. -Il n'y a pas un chat dans l'appartement ! : clama-t-il. Sa blague le fit

rire. Moi pas car, je venais de vivre l'expérience qu'en dehors de laprésence physique de sa locataire, le lieu pouvait en rester habité. Curieusement, maintenant qu'on y voyait, l'appartement me parutfamilier. Non pas comme une impression de déjà vu. Mais plutôt commeun ressenti. Comme si, j'y avais vécu dans une autre existence.

-Avoue que tu as eu la trouille, c'est tout ! ricana Harvey quand je luifis part de mon sentiment. Nous sommes des flics pas des voleurs. Nous nesommes pas là pour un casse, juste des constatations.

- Mais est-ce bien moral ? - Comment ça moral ? Qu'est-ce que tu viens nous bassiner avec tamoralité ! C'est légal, on intervient de façon légale ! Dans la légalité !Nous rentrons ici car nous sommes mandatés par le procureur. Est-cequ'un jour tu saisiras la nuance entre moralité et légalité ? Enfin, Robert,combien de fois devrais-je t'expliquer toutes ces choses ? Tu ne te posespas toutes ces questions quand tu planques devant l'hôtel ! -C'est différent. Devant l'hôtel, nous sommes là pour protéger lesfilles. -Ah bon ? Tu vois cela comme ça toi ?

Harvey me trouvait trop naïf. Pour lui, c'est un défaut lorsqu'on estpolicier. Il prétend que nous devons être plus cyniques que les truands. Ilnous faut les surpasser dans l'esprit du mal.

-Le monde est glauque, tu sais mon petit Lavigne. Mets-toi bien çadans le crâne. Les gens sont des chiens. Si tu es incapable de voir cela,alors jamais tu ne résoudras une affaire. -Mais, je refuse de voir les choses de cette façon. -C'est ton métier ! Sois cynique au boulot. Sinon, il existe un autremonde. -Lequel ? -La littérature. Il dit cela en contemplant la bibliothèque. Les livres yétaient disposés pêle-mêle sur toutes les étagères.

-Colette, George Sand, Baudelaire, Montesquieu...

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Harvey lisait des noms d'auteurs qui m'étaient inconnus mais quisemblaient lui parler. Moi, ce qui parlait, c'était le mobilier. Des vieux boisqui sans doute avaient reçu un temps leurs doses d'encaustique mais quisemblaient à présent guère entretenus. La locataire n'était pas unemaniaque de la poussière. Comparé à chez Maman où tout brille, le bois icisemblait fané. Pourtant, sous la patine, je reconnaissais les veines serréesdu chêne, le rougeoiement triste d'un guéridon en merisier et dans le buffettrapu de la cuisine, la lourde solidité du châtaigner. Partout des meublesd'artisan. De ceux que l'on faisait jadis, à l'unité. De ceux que construisaitPapa. Pour sûr, chez nous, Maman les bichonnait comme des reliques. Ellem'avait communiqué que le bois reste toujours et malgré tout une matièrevivante et ce mobilier même mal entretenu lui donnait raison. Le bois, c'estcela que j'avais d'abord senti dans le noir.

-Tu trouves quelque chose ? me demanda Harvey. -Une atmosphère.

-Et alors ? -L'absence de cette dame crée une atmosphère ? -Cela ne nous dit pas pourquoi elle a disparu. -Et toi ? Tu as trouvé quelque chose dans les livres ? -Une lettre. -Une seule lettre dans autant de bouquins ? -Un courrier imbécile ! « De quelqu'un qui les aurait aimées. » C'estla seule signature ! Harley s'énervait autant après moi que cet anonyme quinous jouait un tour. Moi, je ne comprenais toujours pas :

-Qui ça, les ? - Ca ! Les ? Vas-t-en savoir ! Les ? concéda-t-il. Je voulus l'aider :

-Mais alors qui ? Qui les aime pour leur écrire ? Il réfléchissait :

-Pour l'instant on a que le verbe de bon : un aime plusieurs ! -Et alors ? -Alors rien ! C'est louche, c'est tout. -J'ai cru comprendre que beaucoup de monde aime Anna. Tu terappelles les photos ? -Tous les gens qui l'aiment, que ce soit ceux de son entourage qui lavoient, ou ses lecteurs qui la lisent sont accros d'elle. Mais, celui-ci dans

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sa lettre dit qu'il les a quittées. De plus, il le regrette. Mais il ne dit ni qui,ni pourquoi, ni qui il est. -Il aurait trouvé mieux ailleurs ? essayai-je.

-Apparemment non. -Alors c'est un con. Quand tu aimes quelqu'un, tu lui restes fidèle. -Tu dis ça pour moi, le Dom Juan ? -Je dis cela car lorsque les gens aiment vraiment, ils devraientréfléchir à deux fois avant de partir. -Tu as l'air fâché ? -Elle n'avait pas à disparaître. Et curieusement, je la sens toujourslà. -C'est un auteur ! -Et alors ?

-Regarde ! Me dit Harvey en me montrant les rayonnages de labibliothèque. Les auteurs ne disparaissent jamais. Ils sont dans leurbouquin. Il en prend un au hasard. -Celui-ci, c'est Flaubert. Tu te rappelles au Café de Paris : Labanalité de la vie est à faire mourir de tristesse, quand on la considère deprès. C'est de lui. -Alors ce jour-là, tu ne parlais pas pour de vrai. C'était encore unede tes fameuses citations ? -Evidemment si, je parlais pour de vrai. Flaubert, par ma bouche, t'aému. C'est parce que ce qu'il a écrit est vrai. Cette phrase est une véritéqui ne disparaît pas avec son auteur. Elle nous le rend toujours vivant.C'est la force de ces quelques lignes.

Ah ! Oui, je comprends. C'est comme les lignes du bois !

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Chapitre 6

Suite à l'article du journal que Harvey avait provoqué et qui ne nousavait rapporté que des ragots, des journalistes parisiens étaient descendus,alléchés par l'affaire. Un auteur a succès qui disparaît : quel beau titre,même si cela s'était déjà vu par le passé. Mais, la maison d'édition coupacourt à toutes leurs spéculations par un laconique communiqué.Mademoiselle Rostand avait pris des congés en omettant de prévenir safamille. Elle ne souhaitait pour l'instant ne divulguer aucune adresse,encore moins accorder la moindre interview. Elle peaufinait pour larentrée son dernier ouvrage et réapparaîtrait bientôt pour sa trèsprochaine promotion.

« Que cela ne vous empêche pas de travailler ! » nous menaça lecommissaire alors que nous étions maintenant à plus de trois semaines dudépôt de plainte et que notre rapport restait, malgré les tournures littérairesd'Harvey qui en avait soigné la forme, désespérément vide sur le fond.

-La maison d'édition est également très inquiète et d'après elle, cedémenti ne vous laisse que quelques jours pour que votre enquêteaboutisse avant que ce ne soit la curée. Après, vous ne pourrez alors plusrien faire, les journalistes étant capables de n'importe quoi. Les éditeursont également porté plainte secrètement et leur annonce est un faux dontils se sont entendus avec le procureur. Comme ce ne sont pas eux lesorganisateurs d'une fausse disparition de leur auteur à succès, ils sont, enpleine rentrée littéraire, très nerveux...

-Elle aurait signé ailleurs ? proposa Harvey. -Leurs concurrents jurent leurs grands dieux que non !

-Peut-on les croire ?

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-Les éditions croient surtout en leurs avocats et sur le contrat-bétonobligeant mademoiselle Rostand à publier uniquement chez eux. -Ils ont droit de faire cela ? Harvey me lança un regard sombre. Il avait horreur que j'affiche manaïveté devant le patron.

J'avais ramené le chaton chez moi. Je trouvais cela plus pratique pourle nourrir. Il s'était laissé faire comme s'il me connaissait depuis de longuedate. Je m'étais arrangé avec Félicitée pour qu'elle vienne habiter chez moidurant le week-end et ainsi, s'en occuper durant mon absence. Elle avaittrouvé « génial » de pouvoir quitter la caserne où seuls, les élèvesoriginaires d'outre-mer étaient cantonnés le samedi et le dimanche. Ce piedà terre en ville dûment approuvé par sa hiérarchie grâce aux « besoins del'enquête » qu'Harvey et moi avions fait valoir était quelque chosed'inespéré. - Pourvu que vous ne retrouviez pas sa maîtresse trop vite ! s'étaitexclamé ma stagiaire en riant et en m'embrassant goulûment sur les deuxjoues. Cette liberté que je lui offrais dans le carcan de sa formationpolicière n'avait pour elle pas de prix. Exilée de son île où, depuis toutepetite, une famille à géométrie variable lui avait laissé faire exactement cequ'elle voulait, elle souffrait énormément de la discipline militaire qui étaitdésormais la base de son instruction. La perspective du week-end en dehors de tout contrôle hiérarchiqueemplissait son horizon d'un autre bleu que celui des uniformes. Dans sesyeux, il était déjà outre-mer : elle utiliserait à sa guise ma garçonnière poury inviter ses jeunes et nombreux « fiancés » pendant que moi, je luipromettais de ne rien dire du tout à Maman. Elle avait l'amour si facile. Jel'enviais un peu, moi qui n'aimais que moi. Je pense maintenant avec lerecul que ma naïveté naturelle a pu être un excellent élément de séduction.Elle m'embrassa avec des yeux coquins. Se furent les seuls à me voirrougir.

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L'enquête nous obligea à retourner questionner la soeur aînée denotre « cliente ». C'était à vrai dire la seule piste que nous avions; elle étaità la fois la « source » de l'affaire en ayant porté plainte et également cellequi connaissait la mieux la disparue. D'elle, nous ne possédions que peud'éléments de personnalité. Pas même les photos que nous avions oubliéd'emporter. Harvey convint de cette nécessité bien que l'idée ne l'enchantâtpas. Il rechignait à retourner au Toulon.

-Je ne comprends pas. Je te croyais à « bon port » chez cette dame ? -J'ai seulement voulu la flatter pour la faire parler. Que pouvais-jetrouver d'autre à dire à ce laideron ? Tu as vu, elle me parlait comme si,elle connaissait déjà tout de moi. -C'est une personne sensible, compréhensive. De plus, habitantPérigueux depuis toujours, elle doit nous connaître. Du moins, deréputation.

-A mon avis, elle nous connaît mieux que cela. D'où a-t-elle apprisque j'aimais lire. J'ai eu l'impression d'être deviné, j'ai cru me retrouverface à ma mère. -Où est le problème ?

Harvey ne parlait jamais de ses parents. Je pense qu'il est entré dansla police pour fuir sa famille. Il est originaire de Périgueux mais jamaisnous ne rencontrons des membres de sa parenté. A croire qu'il est orphelin.Peut-être de la DASS. Enfin, entre nous, le sujet est tabou d'où monétonnement de le voir ainsi évoquer sa mère face à Mademoiselle Rostand.Il se peut qu'il y ait un rapport. Ses multiples conquêtes parmi la genteféminine lui permettaient peut-être de retrouver sa mère qu'il n'avait sansdoute pas connue pour de mystérieuses raisons. Je me souviens qu'il y a decela déjà fort longtemps, Maman m'avait fait la lecture d'un article de sonjournal féminin qui traitait de ces choses. On y professait que les hommesrecherchent toujours le souvenir de leur mère perdue dans leurs conquêtesamoureuses et dans le choix de leur compagne. Maman avait alors déclaré :

-Qui sait si tu ne dois pas attendre ma mort pour te marier ? Elle riait en disant cela. Je riais aussi tout en pensant que jeconvolerais en justes noces le jour où je rencontrerais la femme de ma vie.

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Je ne savais pas alors que ma vie appartenait à Maman. Comme la sienne àPapa.

- Vous avez reçu des nouvelles ? - Ce serait plus à moi de vous poser cette question, inspecteur. J'aidéposé une plainte pour que vous enquêtiez afin de me dire où se trouvema soeur si par chance elle est encore en vie et pourquoi est-elle partie. -Ne dites pas cela ! j'intervins plus pour secourir mon coéquipier quepour la rassurer. La plupart des autres personnes qui la connaissent sontoptimistes. Ils pensent qu'elle est tout simplement partie en vacances ! - En abandonnant en cette saison ses lecteurs et son chat ? -A propos de chat, je dois vous informer que j'ai pris celui de votresoeur pour l'instant chez moi. Cette bête mourrait de faim et j'ai cru... -Je sais, m'interrompit-elle. Vous avez bien fait. J'ai toujours euhorreur de ces bêtes. En disant cela, elle jeta un oeil attendri à ses deuxoiseaux qui se balançaient sans enthousiasme dans leur cage. Ce sont desinséparables. Ne sont-ils pas mignons ensemble ? Elle ne comprenait pas que sa propre soeur aimait les chats, animauxsi indépendants donc si cruels. Elle nous resservit du café. Nousattendîmes elle et moi qu'Harvey pose ses questions mais, il restait muet.Je voulus encore l'épauler.

-Un chat, ça vous apprend la liberté. -L'ingratitude, Monsieur Lavigne. Il va vous apprendre à trahir,méfiez-vous ! Je portai ma tasse à mes lèvres pour qu'elle ne devine pas davantagemes pensées. Elle tourna la tête vers Harvey qui, aussitôt but une gorgée decafé.

-Très bon ! Vraiment très bon ! : insista-t-il. -Ne vous donnez pas cette peine, inspecteur. Je sais que vous ne

l'appréciez pas, tout comme vous ne m'appréciez guère. A nos âges,voulez-vous, cessons de jouer les hypocrites. -Nous sommes là pour l'enquête chère Madame... : sourit-il.

-Mais vous êtes également là pour faire le joli coeur. C'est votreemploi. Apparemment, faire le galant avec moi ne semble pas vous

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convenir. Je vous en prie : ne vous forcez pas ! Arrêtons donc lessimagrées. Je sentais Harvey tout à la fois décontenancé d'être ainsi si facilementdeviné et soulagé par la liberté de ton de son interlocutrice.

-Je sais que ma soeur ne reviendra pas. Sinon, à vous deux, vousl'auriez déjà retrouvée. -Il est trop tôt pour se prononcer Madame. Nous avons trouvé unelettre. Nous avons pensé que vous pourriez nous aider à en comprendre lecontenu. -Je n'ai pas pour habitude de lire le courrier de ma soeur. -C'est une lettre anonyme. -Ah ? -Le genre de lettres qui peuvent-être lues par tout le monde carl'absence de signature lui ôte tout caractère confidentiel. -Où avez-vous trouvé cette lettre ? -Dans un livre sur le bureau de votre soeur. L'enveloppe semblaitservir de marque-page depuis un certain temps si on en croit la dated'envoi. Harvey sortit le courrier de la poche intérieure de sa veste et le tendità Mademoiselle Rostand. Elle se leva pour aller prendre une paire delunettes posée sur une commode couverte de napperons. Elle revints'installer dans son fauteuil juste face à nous. Son visage resta impassibledurant toute sa lecture puis :

-Quand l'a-t-elle reçue ? -L'enveloppe ne le précise pas. Cela vous dit-il quelque chose ? Le tic-tac de la grosse horloge meubla le silence qui suivit.Mademoiselle Rostand ne pouvait dissimuler une certaine nervosité. Elleregardait autour d'elle comme pour accrocher son regard à autre chose queses interlocuteurs. Autour de nous, il n'y avait que des meubles. Je lesobservai également. Ils étaient mieux entretenus que ceux d'Anna, mais jeregrettai que tous ces napperons et bibelots cachent la belle texture du bois.Seul un guéridon également de merisier rouge pouvait laisser apparaîtreses veines rosées. Ce meuble suscitait apparemment tous les soins de lamaîtresse de maison car il était parfaitement lustré. Malheureusement undéfaut d'un des pieds le rendait légèrement bancal. Je pensai que dans

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l'atelier de Papa, il serait possible de trouver le morceau de bois de lamême essence qui conviendrait pour une minime réparation. D'ailleurs surle plateau, Mademoiselle Rostand avait oublié une planchette également enmerisier et qui devait certainement servir de cale. Elle vit mon regard, seleva prestement pour aller ranger cette incongruité dans le tiroir de lacommode. Gêné d'avoir par mon seul regard provoqué un tel trouble, j'essayai : -Vous avez un charmant intérieur. Moi aussi, j'adore les meubles. Cela me vient de mon père. Il était menuisier et enconstruisait beaucoup. - Ce sont les meubles de nos parents, dit-elle presque en s'excusant.

- Pas ceux de chez Anna ? Cette fois-ci c'était moi qui devinais. - Non ! Ma soeur n'est pas suffisamment soigneuse. C'est moi qui

les conserve. Ils demandent beaucoup d'entretien et elle... - Je sais, je sais ! Ma maman est très maniaque avec les nôtres.Pour rien un monde, elle me laisserait toucher ne serait-ce qu'un chiffon.Elle a trop peur que je les abîme. Par courtoisie, je ne parlai pas du défaut du guéridon.

- Alors ? - Pardon ? - La lettre ? Des larmes perlèrent à ses yeux. D'un mouvement rapide, elle lesépongea de son mouchoir. Elle n'avait pas pour habitude de perdrecontenance, aussi reprit-elle rapidement son quant-à-soi.

- C'est une lettre de notre père. - Egalement un souvenir de famille ? : hasardai-je. Votre soeur etvous devez également y être très attachées ? - Je la découvre avec vous. Ce qui est bizarre est qu'il ne l'a pasexpédiée à nous deux mais à elle seule. - A l'époque, elle était trop petite pour la lire. A qui est-elleadressée ? s'impatienta Harvey. Vous ne vous souvenez pas de l'avoir unjour aidée à lire cette correspondance ?

- Monsieur Lavigne, elle vient de recevoir cette lettre et nos parentssont morts depuis trente ans !

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Chapitre 7

Nous avons l'habitude de vendanger la parcelle de MonsieurArguenau dès le premier week-end d'octobre, et malgré un été pluvieux etrelativement frais, cette année encore, nous ne dérogions pas à la tradition.L'arrière-saison particulièrement ensoleillée avait permis aux raisins derattraper leur retard et le sucre qui s'y était alors développé permettaitd'espérer un excellent millésime. Etant le plus vaillant (car le plus jeune àune exception près) de notre fine équipe, je portai comme à l'habitude lahotte. Monsieur Arguenau surveillant consciencieusement les grains que jejetais dans les barriques restait juché, en faction, sur la remorque de sontracteur. Je n'avais donc à servir que cinq vendangeurs (ce qui n'est pas riendans une vigne en pente) : Madame Arguenau, le vieux Gontran leurvoisin, l'Antoine (plus jeune de vingt ans que moi, mais que sa boiterie etson côté simplet rendait inapte à me remplacer), Madame Lavigne mère etFélicitée. Les vendanges sont toujours propices à l'allégresse et j'avaisescompté qu'elles permettraient ainsi à Maman de voir le côté positif deschoses. De plus, je comptais sur la présence de Madame Arguenau sur lemême rang pour relativiser ses appréhensions. Cette dernière avait un bonsens paysan auquel ma mère faisait confiance.

Félicitée était également originaire de la campagne, une campagnebien sûr quelque peu différente de la nôtre. Elle avait, enfant, eu plutôtl'habitude de participer à la récolte de la canne à sucre et ignorait tout denos curieuses plantations. J'avais pris la peine d'expliquer à chacun que lacanne à sucre permettait de produire le rhum et cette découverte présentaimmédiatement la jeune policière sous son meilleur aspect.

- C'est plus loin que Cognac, le pays d'où vous êtes ? : s'était enquisMonsieur Arguenau au moment des présentations. Ce qui dérida enfin Maman, alors qu'on attaquait déjà le dixièmerang, fut d'apprendre que Félicitée avait cinq frères et six soeurs, car, dansles autres familles, ce qu'elle déteste le plus sont les enfants uniques

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pourris par leurs parents. Devenue femme, une telle fille, à coup sûr,vivrait aux crochets de son mari au lieu de le servir. Elle l'expliqua àFélicitée qui, ramassant les grappes avec une grande dextérité pour unedébutante, me fit penser que les choses étaient en bonne voie.

D'ailleurs, arrivées au chai les deux femmes blaguèrent sur mon dosde me voir si malhabilement déplacer les barriques. Je n'avais pas lamaestria de Monsieur Arguenau qui à plus de soixante-quinze ans roulaitsur leur chant ces mastodontes aussi facilement qu'il avait fait valserquantités de filles dans de nombreux bals où, à l'époque, s'était bâtie saréputation. A table, Maman apprit à Félicitée à faire chabrol. Puis, la jeunefille passa avec succès les différentes épreuves gastronomiques : lesgrattons, le confit de canard aux pommes sarladaises, les cabecous déjàavancés du vieux Gontran, la salade de pissenlit aux gésiers. Il lui restaitmême suffisamment de place pour reprendre deux fois du délicieux gâteaude noix de Maman afin d'accompagner le café et la prune.

- Cette gouyatte est une perle : conclut sobrement MonsieurArguenau, honoré que nos choses de famille puissent se contracter sousson toit. J'étais conscient de la gentillesse de Félicitée. Elle faisait cela pourmoi. Ainsi, elle écoutait mes gens.

- Je ne veux pas te les imposer, ils ne sont pas de ton monde ! Luidéclarais-je alors que nous descendions tous deux dans le bas de lachâtaigneraie voir si malgré l'heure avancée de la journée nous trouverionspas quelques cèpes à rapporter à Périgueux.

- Je suis là pour découvrir. Tu sais, une île c'est petit. Ici, ta régionest grande. - Oui, mais les gens ne sont pas comme ceux de chez toi ? - Pourquoi crois-tu cela, les gens sont partout les mêmes. Ils ont lesmêmes joies, les mêmes soucis. Ta mère ressemble à toutes les mères,Monsieur Arguenau à mon oncle Fortuné. L'accent et la couleur de lapeau en moins, bien entendu. C'est toi qui te trouves différent des autres,mais plus je te connais plus je trouve que tu es comme les autres garçons. - Pourtant tu disais que chacun était dans son histoire ?

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- Je découvre la tienne. Ici, sous ces arbres je suis dans ton univers. Elle ne croyait pas si bien dire. Ce bois était toute mon enfance. Lesvieux châtaigniers centenaires n'avaient pas beaucoup plus changé que moiintérieurement. C'étaient tous des vieux enfants ; mes véritables copainsavec qui je confectionnais des cabanes pour entreposer mes rêves. Jeconnaissais par coeur le secret de leurs branchages tordus, les creux deleurs vieux troncs qui servaient de base au lancement de multiples rejetscomme autant de lances défendant mon donjon. Avec eux, je n'étais jamaisseul. La rugosité de leur écorce ne me faisait pas peur. C'était pour moi unerugosité protectrice. L'enveloppe qui me manquait de part la précocité de lamort de Papa.

Mais, la peau d'une fille est chose bien plus délicate. En voulantécarter une fougère, Félicitée qui ne les connaissait pas, se coupa un doigt.Elle me demanda à s'asseoir. Il fallait que je l'aide et je ne savais commentcar mon mouchoir était plein de sueur. Pour désinfecter la plaie, elle mepria d'en sucer le sang dont les gouttes avait déjà tâché de rouge sonéclatant tee-shirt blanc. J'aspirai ce qui m'était alors un vin inconnu tout enm'allongeant près d'elle. Je voulus encore lui enseigner comment extrairesans mal de leurs épines les quelques châtaignes fraîchement tombées de lanuit. Elle découvrit le soyeux de l'intérieur de leurs gangues et elle se mit àrire car les chatons d'une basse branche lui chatouillaient le cou. Je souris àson plaisir. Je lui aurais pareillement parlé de mes arbres mais, elle se défitde son vêtement souillé tout en se mettant, comme sur une branche, àcalifourchon sur moi. Je ne connaissais rien au bois d'ébène et lasomptuosité de ses seins me surprirent. Ensuite, je la laissai faire dans mondépucelage. Je me sentis devenir comme un palmier bercé par les ventschauds de ses tropiques. Je crois me souvenir qu'elle évoqua pour nousdeux la Soufrière. J'étais si dépaysé que sous mes reins les boguesmalicieuses des châtaignes faisaient encore tout pour me rattacher à monsol natal. Mais de ma souffrance d'hier, il y avait déjà longtemps que je nepouvais plus rien en dire.

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Chapitre 8

- C'est un ouija ! - Pardon ? - La planchette de bois posée sur la petite table chez MademoiselleRostand est un ouija. - Tu veux dire le guéridon ? - Oui. - ... - Tu ne me demandes pas ce qu'est un ouija, toi le grand spécialistedes meubles ? - Je ne me le demande pas parce que tu vas me l'expliquer,Monsieur Je sais tout !

Harvey adore les devinettes. Je n'ai pas sa curiosité. Ainsi, le typequi sort de l'hôtel avec des lunettes de soleil alors qu'il pleut, Harvey l'adeviné.

- Lui non plus tu ne le reconnais pas sous son déguisement ? - ... - C'est l'adjoint à la culture. - Lui ? Tu rigoles : c'est un barbu ! Monsieur Montfleury est bientrop raffiné pour se laisser pousser la barbe. Je sors mon sandwich-rillettes de la glacière car il est déjà dixheures. Harvey allume l'auto-radio. C'est l'heure de son émission surFrance-Musique. Je mange mes rillettes en écoutant son Mozart.

- A supposer qu'elle soit fausse sa barbe, à quoi ça lui sert de secacher pour aller voir les putes. Tout le monde est au courant que c'est unobsédé. Il passe son temps à organiser des galas de danse.

- Il n'a rien d'un obsédé. Il respecte trop les artistes. J'ai vuquelques uns de ses spectacles. Par contre, vivre avec une telle réputation,ce ne doit pas être tous les jours facile pour une personne si sensible. Du

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coup, il nous fait son cinéma. Il sait très bien que je le reconnais. Il fait çapour nous. Nous sommes son public. Et à la différence de nos concitoyens,nous, nous le fliquons officiellement. Les putes, je suis sûr qu'il ne les baisemême pas. Il doit discuter avec elles, c'est tout. - ... - Mettre des danseuses en valeur, c'est la seule chose qui l'intéressedans la vie. Après le regard sur lui d'une ville qui ne comprend rien à l'Art,c'est autre chose. Il compose comme il peut avec le mépris.

- Mais, si d'autres que toi le reconnaissent déguisé en Landru, sonhonneur part en fumée. - Son honneur, il le garde pour lui. Il se montre à nous tel que lesgens veulent le voir. Il n'attend plus aucune reconnaissance, depuis letemps. Du moment que chaque année, le conseil municipal lui reconduitson budget, cela lui suffit. Il veut rester dans l'ombre, conforme à l'imageque cette ville se fait de lui. C'est toujours le public qui décide. Pour nepas le choquer, il en rajoute. Par dépit, sans doute. Il espère seulementque ses artistes aideront tous ces gens à apprécier un peu le « Beau ».Ce n'est pas un métier facile.

- C'est quoi ton oui-da ? - Chtttt ! Harvey écoute un passage. Il me montre la radio du doigtet me sourit. Moi, ce n'est pas mon genre d'émissions. Je récupère dans lefond de la glacière, le bocal de cornichons pour en agrémenter monsandwich. Ce sont des cornichons du jardin. Chaque été, Maman en faitdes bocaux qui me tiennent toute l'année. Celui-ci d'ailleurs, c'est le der deder : Le dernier de l'an dernier. Après, j'attaquerai les nouveaux.

- Savoureux ! - N'est-ce pas ? C'est grandiose. Je suis content qu'Harvey soit de mon avis même si curieusement,il n'a pas faim et me fait signe de refermer le bocal que je lui tends. Lamusique s'arrête. Il coupe l'auto radio pour savourer le silence qui seraitencore du Mozart. Puis :

- Un ouija sert à communiquer avec les esprits. - C'est ça et donc je ne peux pas comprendre !

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J'ai horreur quand Harvey me parle comme cela. Son coup del'adjoint à la culture, je l'ai parfaitement compris. Il suffit qu'on m'explique.Je n'avais pas deviné, c'est tout. Moi, je n'y connais rien à la danse. Lesseules fois où je suis allé en boîte de nuit, c'était en service pour intervenirsur des bagarres ! Harvey n'a pas été long à me rattraper avec ses longues jambes.Encore un truc que j'ai de moins que lui.

- Fais pas le couillon, Lavigne ! Reviens, tu m'as mal compris ! C'est ça, je ne comprends rien ! J'ai oublié de vous signaler que jesuis un con ! Je m'en charge avant qu'Harvey ne le fasse à ma place. Je suisle con de service. Seulement, ce qu'Harvey ne sait pas, c'est ce qui s'estpassé entre Félicitée et moi. Je ne le lui dirai certainement pas. Lui quisaute sur tout ce qui porte jupons, ne pourrait pas comprendre. Il existe desmoments uniques dans la vie d'une personne. Des moments sacrés. Jeremonte à pied au commissariat. Il n'aura qu'à ranger la bagnole au garage.Tout seul pour une fois. Je ne vois pas pourquoi, je n'aurais pas le droit àmon chauffeur ! Trente ans de carrière dans la police, l'administration doitreconnaître ma valeur. Une voiture de service avec chauffeur : voilà ce queje mérite. Pour auditionner les témoins. Félicitée leur téléphone pourorganiser mon planning de rendez-vous. Harvey me conduit à leurdomicile. C'est moi qui pose les questions. Je mène ma propre enquête et lesoir, je dîne à l'auberge du Pouyaud. A la table du commissaire. Il estcontent de voir que je suis venu avec ma collaboratrice. Elle porte une robesuperbe. De ravissants pendentifs en fleurs de châtaigner. Les autres tablesla regardent, assise à mes côtés. Monsieur le commissaire insiste pour mefaire goûter le vin. Je diffère mon avis : il faut savoir faire patienter unsommelier. Des fois qu'il aurait des remords comme n'importe quelsuspect ! Mon supérieur apprécie mon savoir-faire. Au bout d'un longsilence, je souris au larbin. Soulagé, l'individu sert d'abord Félicitée, puis lecommissaire. L'atmosphère se détend : chacun rit de ma plaisanterie, noussommes entre gens d'esprit !

- Lavigne, vous tombez bien ! Allez me chercher Dubuisson, j'ai dunouveau pour vous ! - Bien Monsieur le commissaire !

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Je suis arrivé au commissariat trempé. Dans ma réalité. Je mets àsécher mon béret sur le haut de l'armoire. Les filles sont retournées àl'école. Nous n'aurions plus besoin d'elles. Personne ne sait que Félicitéeviendra ce week-end chez moi. Je ne parlerai pas. Je ne dirai rien. Il ne fautpas. Même pas à Maman. Surtout pas à Maman. Il faudra que j'inventequelque chose. Ne croyez pas ça : j'ai de l'imagination. Harvey arrive enfin. Il a l'air navré. On le serait à moins. Avantqu'il ne s'excuse, je le prends de haut :

- Enfin, te voilà ! Je t'attendais. J'ai du nouveau. - Ah ? - Le commissaire nous attend !

Dans un binôme, c'est important de veiller à l'égalité. C'est commedans un couple. Il ne faut pas que l'un prenne le pas sur l'autre. Harvey l'acompris à mon ton. Je n'insiste pas et nous montons d'un même pasl'escalier qui mène au bureau du patron.

- Les gars, j'ai des nouvelles de votre disparue. (Il ménage unsuspens). Elle a été vue samedi dernier au marché de Sarlat !

- J'y étais, Monsieur le commissaire, j'y étais ! Je devais acheter unsécateur pour Fé, pour fé, pour fai ... - Ne bégayez pas Lavigne, gardez votre calme ! Pour faire lesvendanges ? - C'est cela Monsieur le commissaire, chez Monsieur Arguenaunotre voisin, il y avait aussi ... - Je sais, je sais, vos vendanges, vous les racontez tous les ans àtout le commissariat. Le vin sera-t-il bon cette année ? - Excellent Monsieur le commissaire, très certainement excellent.Je vous en rapporterai quelques bouteilles le moment venu, c'est un vin quine se garde pas trop, mais... - C'est gentil Lavigne, mais vous savez que je ne veux pas d'alcoolpendant le service !

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- Ca, jamais ! Monsieur le commissaire, vous pouvez me croire !Tenez, demandez à Harvey ? - A qui ? - A moi ! Me sauve Dubuisson. Notre équipe se ressoude. A lafaçon dont il est venu à ma rescousse, je sens que mon partenaire ne metient pas rigueur de mon emportement. En deux phrases, il se porte garantde ma conduite et je me crois sauvé.

- C'est dommage que nous ne l'ayons pas vue sur ce marché ! Je deviens aussi pourpre que ma chemise.

- Qui ? - Et bien la disparue ! Je suppose que vous ne l'y avez pas aperçuepuisque vous restez là les bras ballants ?

- Ah ! La disparue... Non, bien sûr. Mais comment sait-on qu'elle yétait ? - Une commerçante l'a reconnue. Une brave dame qui l'a connaîtbien car elle tient son étal de fraises le mercredi à Périgueux. Le samedi,elle les vend à Sarlat. Mademoiselle Rostand faisait comme si elle ne lareconnaissait pas, quand cette vieille personne l'a appelée. Elle se cachaitd'elle derrière des lunettes noires comme une touriste. Sachant que nous larecherchions ici et vexée sans doute par son attitude, elle a raconté sonhistoire aux collègues qui surveillent les halles. - Et bien, alors l'enquête est terminée ?

- Lavigne ! La disparue a été aperçue, pas retrouvée. Vous allezapporter cette bonne nouvelle à sa soeur mais après je compte sur vouspour vous mettre à ses trousses. On ne déclenche pas impunément uneenquête pour personne disparue et Anna Rostand toute célèbre et adorablequ'elle soit devra nous fournir quelques explications.

Je ne suis plus le même homme depuis que j'ai fait l'amour avecFélicitée. Il y a comme un avant et un après. Avant, c'était le passé.Maintenant, il faut que j'apprenne à contrôler mes réactions. Ce sont desréactions de fierté. D'orgueil ? Les gens ne me connaissent pas commecela. Je dois faire comme l'adjoint à la culture. Ne pas les brusquer. MaisHarvey aussi à changé. Il semble plus à l'aise pour parler à MademoiselleRostand.

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- Si votre soeur se cache à Sarlat, c'est sans doute qu'elle s'estbrouillée avec son entourage de Périgueux et si ce n'est pas avec vous... ? - Mais pourquoi ne m'a-t-elle pas avertie ? Je suis sa soeur. J'aitoujours été là quand elle a eu des ennuis. - C'est peut-être qu'elle souhaite régler le problème seule. Elle estgrande. Elle n'a pas forcément besoin que vous jouiez encore sa maman.Avez-vous repensé à la lettre ? Vous disiez qu'elle était de votre père alorsque celui-ci est décédé ?

- Evidemment, sur le coup : l'émotion...Mais, bien sûr, c'est elle quil'a écrite. Je reconnais son talent. Un exercice d'écrivain sans doute ! Ellen'a que très peu connu notre père, grâce à sa plume, elle a ainsi voulu lefaire revivre. Et pour moi, cela a été plus que réussi. Mais, chez elle : sansdoute une blessure de plus que je n'ai pu panser. - Vous avez raison. C'est l 'expl icat ion logique de cepseudo-courrier qu'elle se serait envoyé à elle-même. Quels genres delivres écrit-elle ? - Monsieur Dubuisson, vous ne nous avez pas lues ? - Eh bien ! Chère Mademoisel le , voyez là une preuvesupplémentaire de mon inculture. - Ma soeur écrit des romans historiques. Nous sommes enPérigord, pays de châteaux et fiefs de nombreuses et prestigieusesfamilles. Leurs sagas sont parfois édifiantes, savez-vous ? - Je m'en doute et je comprends mieux l'intérêt des lecteurs. Mais,cela doit lui demander un grand travail de documentation ? - C'est vrai ! Et sur ce point, Anna n'est pas suffisamment sérieuse.Elle est jeune. Ce qui lui plaît, c'est la fantaisie.Elle ne me comprend pas quand ... Oh ! Pardon, je suis désolée...

Mademoiselle Rostand a renversé du café sur un de sesnapperons. Elle a l'air embêté. Elle se lève rapidement pour sauver lesdégâts. J'entends le bruit du robinet de la cuisine et je me demandecomment Maman aurait fait pour enlever cette tâche. Je repense toujours à

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Maman. Je suis inquiet. Elle s'est fait hospitaliser jeudi soir. Elle ne seremet pas du coup de froid pris après avoir transpiré l'autre jour dans lavigne. A soixante dix-sept ans, je le lui ai dit : elle ne devrait plus travaillerdans les terres. Je regarde machinalement sous mes chaussures et Harveyme fait signe de me tranquilliser. Je n'aime pas voir les gens dansl'embarras mais là, je me sens inutile. Impuissant. Il faudrait que nouspartions pour Sarlat maintenant. Pour retrouver Anna. Mademoiselle Rostand revient s'asseoir devant nous. Elle a trèscertainement du savoir pour son napperon car elle a repris son calme.

- Je vous prie de m'excuser, Messieurs. De parler d'Anna quin'est toujours pas revenue me trouble et je me suis laissée empo... - Nous comprenons très bien, Mademoiselle. D'ailleurs, nous nesouhaitons pas vous déranger davantage. J'ai fourni une description devotre soeur à mes collègues de Sarlat. Dès qu'ils l'auront retrouvée, jepense qu'elle nous fournira à tous des explications sur cette petite fugue.

- Vous croyez qu'ils vont la retrouver rapidement ? - Malgré son importance aux yeux de mon ami Lavigne, Sarlatreste une petite ville !

J'adore Harvey. Il sait réconforter les gens mieux que je nepourrais le faire. De dire que je suis son ami me fait le plus grand bien.J'aimerais lui dire que je m'en veux pour ce matin, mais devantMademoiselle Rostand, je ne peux pas : pauvre femme, je ne veux pasl'accabler davantage par mes problèmes.

Sur le trottoir, Harvey marche à grandes enjambées. Il n'a pasle temps d'écouter ce que je voudrais lui dire. Il gamberge. Comme noussommes toujours en service, je réfléchis à sa suite. A la suite. C'est vrai, àSarlat, il y a Meynardie et Peyrebrune. Je les avais oubliés, eux. Ce n'estpas pour rien. J'aurais aimé enquêter à la maison. Mais, je les vois d'ici :

- Alors, Lavigne, ils t'ont rétrogradé que tu reviens aupays ?. ... Cà nous fait plaisir que tu n'aies pas oublié les vieux copains ! Du plus loin que je me souvienne, j'ai toujours détestéMeynardie et Peyrebrune. Déjà à l'école, ils faisaient tout pour m'humilier.Des blagues sur mon père. Qu'il serait parti avec une autre femme. Un jour,

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ils ont...Il faut que je me concentre sur l'enquête. Harvey me le dittoujours :

-Lavigne, fais un effort, concentre-toi sur ce qui se passemaintenant. Tu dois vivre avec ton temps ... Vivre avec son temps : Ce n'est pas si facile !

Et si... Si, s'ils lui faisaient du mal. A la petite. Ils en seraientcapables. Ils sont capables de tout. Je voudrais le dire à Harvey mais lui,rien de cela ne semble l'inquiéter. Il vient de tourner dans la rue Wilson aulieu de revenir au commissariat. Dans cette rue, à côté du boucher et toutprès du caviste, il y a une librairie. C'est la librairie d'Harvey. Je veux dire,la librairie où il achète tous ses livres. D'habitude, je l'attends devant lavitrine du caviste. Je lis les étiquettes. Il vend aussi de la bière. Il y en a endevanture. C'est une drôle d'idée... Mais, cette fois-ci, Harvey me fait signede le suivre à l'intérieur de la librairie. Quand je rentre, il est déjà engrande discussion avec le libraire. Harvey me présente. Le libraire me tendla main comme s'il me connaissait. Il a l'air sympathique. Je ne vaispourtant pas lui dire que je ne lis jamais de livres. Il s'en va dans sa réservechercher un carton. Une femme s'approche de nous, elle fait la bise àHarvey et puis à moi ! C'est la femme du libraire. La libraire. Elle medemande si je pense que les cèpes vont encore se trouver après le froidqu'il a fait ce matin. Ce n'est pas étonnant qu'il soit si sympathique avecune femme si gentille. Mais, je n'ai pas le temps de lui répondre ; son marirevient avec un lourd carton.

- Tu sais, j'ai lu... D'accord, c'est bien écrit et elle a de bonnesidées. Mais, à mon avis, elle ne les exploite pas suffisamment. Je ne vaispas cracher dans la soupe, mais son succès est un peu usurpé : elle estdans l'air du temps. Du roman historique. Enfin, je te souhaite beaucoupde plaisir, tu en as quinze à lire. Tiens, la facture pour tes notes de frais ! Il est des moments dans la vie où l'on se sent seul. Où votreunivers s'écroule. Je ne sais pas si cela vous est déjà arrivé ? Depuis unesemaine, je m'étais volontairement éloigné de mes proches, des gens quicomptaient le plus pour moi, en leur cachant la vérité. Ma vérité. Félicitée.Je ne souhaitais en parler à personne. La garder rien qu'à moi. On existevraiment que dans les secrets. Parfois, les confidences. Comme celle que je

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vous fais. Mais, c'est la première fois que je mentais à Maman. Paromission. A Harvey. A tout le monde et même au commissaire. Je meconfinais dans mon bonheur comme un canard dans son bocal ! Car, jepensais enfin avoir droit à ce mensonge à plus de quarante-sept ans.L'amour me donnait des ailes et j'avais décidé de prendre mon envol quandvoila qu'Harvey, en qui j'avais toute confiance, me mouillait dans unemalversation dont jamais, je ne l'aurais cru capable. Bien sûr, il nous étaitarrivé d'aller dans certains restaurants où, dans l'ambiance, nous avionscommandé pour plus cher que ne permet le barème. Quelquefois. Mais,c'était des extras. Enfin, je ne conteste pas mais de là à se faire payer seslivres avec des notes de frais. Quand vous avez idée du nombre de livresqui s'entassent chez lui. A y repenser, cela représente une fortune : unstock. Voilà le mot : un stock. Jamais, je ne me serais imaginé qu'Harvey... Maintenant, la phrase de Félicitée me revient : Qui vole un oeuf, vole unboeuf ! C'est donc vrai. Harvey a dérapé et peut-être est-ce ma propregourmandise qui l'a précipité dans le trafic de bouquins ?

Il est vrai qu'il me parlait parfois de ses lectures de façon siexaltée ! Et moi qui ne me doutais de rien. Il doit depuis longtempsêtre accro à cette drogue qu'inconsciemment j'ai toujours éloignée de moi.Je remercie intérieurement Maman qui m'a prévenu durant monadolescence, (âge propice à toutes les perditions), que la lecture ne peutqu'abimer les yeux ! Sans doute, en connaissait-elle des dangers pluseffroyables, mais cette brave femme, en se défendant de me les citer m'aévité très certainement le pire.

Mon collègue est dans la panade. Je me dois de l'aider. D'avoirle courage d'une action.

- Harvey ! Tu devrais arrêter de fréquenter ces individus ? - Quels individus ? - Les libraires. Tu ne vois pas que tu es sous leur emprise ?Une seule chose les intéresse : ta consommation de bouquins. Je ne veuxpas savoir à qui tu les revends mais tu as dépassé la dose convenable : ilste les procurent désormais à pleins cartons. Tout cela, avec l'argent du

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contribuable. Arrête ! C'est ton ami qui te le dit. - J'apprécie le souci que tu te fais pour moi Lavigne. Mais, cesbouquins sont nécessaires à l'enquête. Si nous souhaitons retrouver Anna,il faut la lire. Sa piste est dans ses bouquins.

- Mais non Harvey ! Sors-toi de là ! Reviens dans la réalité. Lecommissaire nous l'a bien dit : sa piste est dans Sarlat.

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La poste n'est plus ce qu'elle est depuis que l'on a démantelé lesP.T.T. Bertrand Le Bret qui travaille à l'imprimerie du timbre me l'a dit :moins de timbres français égale moins de courrier. Les gens necorrespondent plus. Sinon, que par internet. Des mails. C'est de l'anglaisque je ne comprends pas. Je ne vais tout de même pas apprendre l'anglaiset en plus m'acheter un ordinateur comme me le propose toute cettepublicité qui bouche ma boîte aux lettres et empêche la sienne de meparvenir. Ca fait six mois qu'elles sont parties pour la Seine Saint-Denis.Où ils manquent d'effectifs. Six mois avec toute sa promotion. L'effectif,ils n'ont que cela à la bouche dans leurs bureaux de parisiens. Mais,l'affectif, l'affectif du policier de base, qu'est-ce qu'ils en font ?

Elle me l'a dit avant de partir qu'il fallait être raisonnable, quenous n'avions pas le même destin. Elle a eu des mots gentils, a pris desnouvelles de Maman, dit qu'elle ne nous oublierait pas. C'est une fille desîles. Le voyage... Il faut qu'elle voyage Un peu comme les palombes, vousvoyez ? Vous pouvez toujours avoir de beaux ramiers comme l'oncled'Escoire... mais ces bêtes-là, elles vivent pour le vent. Mon appartementétait trop petit, nous ne pouvions pas vivre comme les inséparables deMademoiselle Rostand. Je lui ai donné mon adresse. Au cas où elle auraitun coup dur. Là-bas, faire la police, ce n'est pas toujours facile à ce qu'ondit. Mais je ne veux pas sur elle vivre en parasite. M'accrocher à sajeunesse comme un vieux lierre. Je ne souhaite pas comme Harvey monterbien haut. Devenir un chêne ou même un tilleul. Non ! juste être sonarbrisseau.J'ai ouvert la porte de la cage, elle est partie, je reste avec mes racines. Jen'ai rien dit à Maman. Cela ne la regarde pas. Est-ce que je vais moi, épierses amours ? C'est mon secret mais pour qu'il dure, il faudrait juste que laposte fonctionne.

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Mademoiselle Rostand est aussi triste que moi. Sa petite soeurne revient plus. Vous pensez : mettre Meynardie et Peyrebrune à sestrousses, je ne sais pas si c'était la meilleure idée qu'Harvey ait eue. Il a finide lire ses bouquins. Bien sûr, pas d'Anna à l'intérieur. Commentvoulez-vous trouver un auteur dans ses livres ? Une fois que son livre estécrit, l'auteur va voir ailleurs, il n'y reste pas. Surtout un auteur commeAnna. Elle aussi a la bougeotte. Elle a toujours été comme cela. Depuistoute petite. Je dis :

- Il n'y a guère que dans Rustica que les mêmes journalistesreviennent tous les mois pour écrire leur article. Il y a pour chacun leurphoto sur leur page, un peu comme leur adresse, on ne peut pas setromper. A part pour le numéro du mois d'août, ils sont tous toujours là.J'en ai l'expérience, avec Maman, nous sommes abonnés depuis vingt-cinqans. Mademoiselle Rostand me sourit. Elle sait que nous partageonsla même douleur. Harvey :

- Qu'en dit votre père ? - Actuellement ? Que nous n'avons pas le même destin.

- Il a tort ? - Non, bien sûr, il a raison. C'est moi qui ai été assez folle pourcroire à tout cela. - C'est tout de même une belle oeuvre. Quinze tomes pour uneHistoire du Périgord et dernièrement, vous venez encore de recevoir unprix. - C'est du passé maintenant. - Pas pour votre éditeur. Mais, il a retiré sa plainte. Il a l'airtrès content. - Oui, nous aurions pu en faire quinze autres, mais nous avonsrevu le contrat. Il nous a compris. Désormais, c'est fini.

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Mademoiselle Rostand se lève soudainement pour allerchercher à la cuisine le service à café. Je veux l'accompagner mais Harveyme fait signe de rester assis sur mon siège. On entend le bruit des tasses.Elle revient et nous sert.

- Cela a du vous demander un énorme travai l dedocumentation. Pourquoi ne pas avoir co-signé les ouvrages ? - C'était une idée de l'éditeur. Que tout vienne d'Anna, unefemme érudite et belle à la fois. M'y ajouter aurait cassé l'image. - Ce n'est pas juste ! - Vous trouvez la vie juste, monsieur Harvey ? Vous avez perdutoute votre famille à la fin de la guerre m'a-t-on dit ? L'Histoire n'est pasjuste. Vous l'avez lu dans nos livres. Pourquoi nos petites vies le seraient ?

- Mais, et vos séances de spiritisme ? Elle sourit.

- Vous avez deviné cela aussi, Monsieur l'inspecteur ? Elle se lève pour aller prendre dans le tiroir de la commode laplanchette que j'avais prise pour une cale. Quand elle me la met entre lesmains, je constate que le bois en est bien trop beau pour une si bassebesogne. Les veines du merisier s'enroulent autour d'un oeil comme untourbillon de fumée découvrant la plage claire de l'aubier.

- C'est la première fois que vous voyez un ouija MonsieurLavigne ? - Oui, effectivement, l'inspecteur Dubuisson, je veux direHarvey m'a expliqué que c'était pour comprendre les gens importants. - On peut dire les choses comme ça. Retournez-le.

Je fais pivoter la planchette entre mes mains et son autre facem'apparaît. Bizarrement, y est inscrit toutes sortes de lettres. Des lettresd'imprimerie. Toutes les lettres de l'alphabet disposées en éventail et en basde chaque côté d'un trait vertical les mots oui et non.

- Mesdemoiselles Rostand s'en servaient pour parler avec leurpère, intervient Harley devant mon visage perplexe. N'est-ce pas,Angélique ?

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- Ne recommence pas à te moquer de moi Harvey ! Je sais trèsbien qu'il est mort depuis très longtemps. On ne parle pas avec les morts.

- Nous si, explique celle qui se laisse désormais appeler par sonprénom par mon coéquipier. Ma soeur et moi communiquions avec l'espritde notre père grâce à cet alphabet. Il suffit d'être comme vous sensibleaux vibrations du bois et suffisamment attaché au défunt pour que celui-cidaigne se faire entendre. Regardez ce guéridon. Il est bancal. Ma soeur etmoi y posions les paumes de nos mains, doigts écartés et après une longueméditation commune nous pouvions entendre notre père nous dicter notreconduite en bougeant ou non la table selon les lettres que nous luidésignions. Il est toujours resté ainsi à nos côtés depuis l'accident. Il luiarrivait de nous parler de notre mère que malheureusement nous nepouvions percevoir. De ce fait, cette maison a toujours été habitée parl'ensemble de notre famille. J'ai continué ainsi le travail d'historien quemon père n'avait pu tout publier de son vivant. Mais, ne possédant pas sesdiplômes, je n'avais aucune chance de voir notre travail commun un jourédité. Anna a une imagination débordante. Mais également une excellenteplume. Sans doute pour rêver son histoire avec nos parents qu'elle n'a quesi peu connus vivants. Elle brode sans cesse sur les contes que maman luiinventait quand elle était petite. Avec le temps, ma soeur est devenue deplus en plus belle. C'est Papa qui a eu l'idée d'en faire un écrivain célèbre.Moi, je n'ai pas un visage facile, n'est-ce pas ? En la voyant, la maisond'édition a tout de suite dit oui.

- Angélique ! Harvey lui prend les mains. Elle ne les retire pas.Vous aussi vous êtes belle à votre façon, mais les morts ne parlent pas.C'est un conte que vous-même avez inventé pour votre petite soeur.

- Vous croyez ? - ... Toute seule, je n'aurais pas eu l'autorité nécessaire, vouscomprenez ? Alors que si c'était Papa qui le lui disait... - Elle vous obéirait. - Elle ne le veut plus. Et pour bien me le faire comprendre, ellea écrit cette fausse lettre que vous m'avez portée. Et maintenant, ellem'abandonne. Quelle goujate et quelle menteuse !

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- Elle vous a écrit une belle histoire pour vous expliquer quevotre papa vous a définitivement quittées. Mais, vous gardez de lui,chacune à votre façon son souvenir dans vos coeurs. Vous en continuantson oeuvre et elle.. - Elle se référait de moins en moins à ses documents ! Aux faitsréels ! A la fin, nous nous disputions sans cesse à ce sujet. Peu luiimportait que les choses se passent à Périgueux, Sarlat ou Bergerac. Orles lieux pour l'Histoire sont importants, c'est comme cela que se construitla géographie. - Votre famille était originaire de Bergerac, je crois ?l'interrompt Harley.

- Nous ne le mentionnons pas dans nos livres ! Mais, vous avezraison. Nous y avons vécu jusqu'à l'accident. - Mais, et ce dernier livre presque terminé ? - Ma soeur refusait que j'y participe. C'était le sien !Maintenant que nous connaissions le succès, nous pouvions nous séparer,disait-elle. Je pouvais reprendre la saga des livres historiques, vu leursuccès, l'éditeur était d'accord, le public nes'offusquerait plus d'un changement de prénom et elle, elle souhaitaits'adonner à la fiction pure. Elle n'en pouvait plus de notre nom, de nosancêtres : tout ça l'étouffait alors que nous descendons tout de même d'unelignée célèbre. - Je vois ! Elle souhaite désormais donner à ses personnages laliberté qu'elle revendique pour elle-même. - Anonyme, elle risque surtout de devenir une inconnue ! - C'est son choix ! Peut-on considérer à présent que vous retirezvotre plainte ? - C'est ce qui vous semblerait le plus raisonnable ?

Mademoiselle Rostand lutte vainement un temps pour retenirdes larmes qui depuis si longtemps espèrent encore couler sur ses joues. Harvey en lui tapotant les mains respecte son chagrin puisl'informe qu'elle pourra toujours compter sur sa présence. A Périgueux, luiaussi se trouve parfois bien seul.

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- Pour l'instant, elle n'a plus besoin de vous, dis-je au momentde prendre congé, mais vous savez : un jour ou l'autre, elle vous écrira.Les femmes, elles écrivent toujours !

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Epilogue

Aujourd'hui, le froid est tombé sur Sarlat. On le sent sur lesépaules en montant aux Enfeux. La poterne indique le passage. Durant lamesse, Harvey a fait jouer du Mozart. Il est venu avec la voiture de serviceen compagnie de Mademoiselle Rostand. Moi, j 'étais déjà là : lecommissaire m'avait accordé la semaine pour accompagner Maman. Unpeu avant, elle avait encore la force de plaisanter :

- Tu sais mon grand finalement je meurs comme j'ai vécu. C'est lavigne qui m'a été fatale. Faut pas croire, Maman avait de l'esprit.

Monsieur et Madame Arguenau serrent des quantités de mains. Jene savais pas que ma mère était aussi connue.

- C'est son petit ! chuchotent-ils à des paysans encore plus courbéset vieux qu'eux. Il travaille à Périgueux.

On me salue avec respect. Sans doute, j'impressionne un peu.J'embrasse de vieilles personnes que je ne connais pas. Elles, ellesconnaissent mon histoire, Maman la leur a suffisamment rabâchée. Ellesveulent que je garde courage maintenant que je leur survivrai. C'est un belenterrement. Monsieur le Curé a dit ce qu'il fallait. Sous les ifs, il y a aussil'Antoine qui semble toujours tombé de la lune. Pour le cercueil, j'ai faitraboter le vieux chêne que Papa avait tourné de côté pour Maman. C'est dubois du même arbre que pour le sien : il n'a pas bougé. On peut le voir dansle caveau.

Monsieur Arguenau invite les gens à passer à sa ferme pourgoûter le vin nouveau. Avec le froid, personne ne traîne pas, tous serontmieux devant sa cheminée. Pour raconter les choses. C'est vrai qu'il estfameux. Il a un petit goût de noisette. Bien sûr, on ne peut encore rien dire,

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il est trop jeune. Mais Maman l'aurait apprécié : c'est Madame Argueneauqui le dit. Elle n'avait jamais l'habitude de laisser son verre vide, même cesderniers temps ! Les gens sourient. Comme les verres, un souvenir enrappelle un autre. Le vieux maître de maison tranche du pain. Je sors.

Cet automne n'en finissait pas et l'hiver est monté d'un coup du basdu vallon. Je descends le sentier qui mène aux arbres malgré toute cettepeine qui me fait souffrir. C'est comme si une énorme poutre s'étaitfracassé sur mon crâne. Pourtant, j'ai un dernier rendez-vous. Les feuillesdes châtaigniers ne sont pas encore toutes tombées. Un vent froid s'attacheà les décrocher une à une. Déjà un épais tapis recouvre le sol et lespremiers gels ont grillé les dangereuses fougères. Elles ne couperont pluspersonne. Leurs branches si altières pendent désormais lamentablement. Jedescends encore. Je retrouve notre place sous l'arbre. Notre étreinte a laissélà son empreinte. La nature en détient précieusement le secret.

Maintenant le temps est compté, il faut déjà revenir. Je me hâte etmes jambes me font mal dans la côte quand j'aperçois sa silhouette qui sedétache en contre-jour sur le haut du pré. Elle n'est pas seule, elle est venueavec Félicitée. Celle-ci court à ma rencontre :

-Anna est venue me prévenir pour ta Maman ; j'ai voulu t'envoyerun mail mais je n'avais pas ton ad... Je l'arrête :

- Dis-moi plutôt comment tu vas ? - Super, notre affectation est super ! Au début avec Maïté, nousavions un peu la trouille, tu sais le 93, ça craint. Mais, il y a un nouveaupréfet : Déguise ou un truc comme ça, il a changé la politique, on nemonte plus au casse-pipe, on refait de la police de proximité. J'ai passé undiplôme de maître-nageur et ... Anna nous a rejoint. Elle a l'air embêté : elle ne sait comment le luidire, je crois qu'elle compte beaucoup sur moi. Pourtant, elle essaie :

- Tu sais Félicitée, nous n'avons plus beaucoup de temps... - Mais si, si tu veux je pourrais conduire ta voiture cette nuit, j'aipassé mon perm... Je dis :

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Epilogue 58

- Vous ne repartez pas, Félicitée. Nous allons tous nous arrêterlà... . - Je suis allée te chercher pour que nous t'expliquions ... reprendAnna qui attend maintenant que je continue. Elle baisse la tête. Elle a dumal à trouver mes mots.

Du coup, je ne sais plus que dire. Enfin, je balbutie : - C'est...c'est fini !

- Bien sûr, c'est fini pour ta pauvre Maman, cela doit être terriblepour toi, mon bon Robert et moi qui ne parle que de moi.

Elle me serre contre elle. Elle est si belle. Si douce. Je regardeAnna pour qu'elle me la laisse encore un peu. Mais, elle fixe l'horizonderrière nous où la lune se lève et reprend :

- Nous en sommes à l'avant-dernière page ! Alors courageusement, j'assume le dénouement de l'intrigue. Aprèstout, c'est moi le flic dans l'histoire :

- Félicitée, nous ne sommes pas pour de vrai tous les deux, noussommes des personnages d'Anna. Dans un livre. Son livre. Celui qu'elleécrit en ce moment. C'est pour cela que nous ne pouvions pas la trouver.C'était une enquête qui ne menait nulle part. Mais, elle est toujours restéeauprès de nous, tu sais ? Elle pense sans cesse a et pour nous. Félicitée regarde Anna. Félicitée me regarde. Elle voudrait direque le chagrin me fait perdre la tête mais Anna lui fait signe que non.

- Mais ! ... Mais arrêtez tous les deux, c'est quoi ce délire ! vousêtes pétés ou quoi : vous êtes en train de me dire que...Je ne suis pas dansvotre combine, moi... Mais, vous me faites chier là, elle est pas du toutmarrante votre histoire ! ... Anna arrête ces conneries... dis quelquechose...

Anna ne dit rien. Déjà qu'elle s'est invitée dans son propre récitpour accompagner la fin de ses personnages. Ca ne se fait pas.Normalement, ça ne se fait pas. Sa soeur le lui a suffisamment répété.L'auteur doit avoir du recul. Elle me regarde. C'est encore à moi de parler.

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- Je comprends ta colère Félicitée, mais c'est Anna qui nous acréés. Tu comprends ? Elle est un peu comme notre maman. Tu vois :nous sommes ses enfants. Le temps de son livre, nous avons exister. Maistout se termine un jour dans les livres ou dans la vie.

- Alors, d'un trait de plume, il n'existe plus rien de nous, c'est ça ?On ne meurt pas comme ça ! - Si ! c'est cela la mort. Mais, tu sais, à la différence des personnesvéritables, il suffira qu'un seul lecteur nous lise et peut-être nous appréciepour que nous revivions le temps de sa lecture. Alors, imagine si le livre adu suc... - Et qui vous dit que quelqu'un va venir nous lire dans ce trouperdu ? Toi-même, tu n'as jamais ouvert un bouquin. Harvey ? Il vadisparaître avec nous si j'ai bien compris. Tu auras écrit tout ça pourquoiAnna ? Pourquoi tu nous a fait exister ? Tu peux me le dire ? Pourquoi ?

Je souris à Félicitée. Elle est jeune : elle s'emporte vite, c'estdifficile pour elle de comprendre. Anna lui laisse encore un peu de temps.Finalement, Félicitée finit par répondre à mon sourire. Je souris à Anna.Elle nous sourit à tous deux. Elle nous octroie comme une petite happyend. Mais, maintenant je garde le silence.

Pour faire durer. Un peu. Pour le plaisir.

Et tiens, pendant que j'y suis, avant qu'elle n'inscrive les troisdernières lettres, je laisse à l'auteur ma dernière réplique:

- Pour le panache ?

FIN

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Epilogue 60

Anna. De Bergerac, le 15 décembre 2007.

Daniel Le Gourriérec, 22 août 2007. (à suivre ... peut-être.)

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