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réalités en gynécologie-obstétrique # 166_Novembre/Décembre 2012 Le dossier La césarienne 1 RéSUMé : Les ruptures utérines que l’on observe en France surviennent dans 8 cas sur 10 au niveau de la face antérieure de l’utérus, pendant le travail, chez une patiente présentant un antécédent de césarienne. Les ruptures complètes ont des conséquences maternelles et fœtales plus sévères que les ruptures sous-péritonéales. Le diagnostic doit être évoqué dans les circonstances suivantes : présence de facteurs de risque (en premier lieu : utérus cicatriciel), signes cliniques maternels (douleur sus-pubienne brutale, métrorragies, état de choc), troubles de dynamique utérine, souffrance fœtale aiguë (parfois seul symptôme), modification de l’état de la présentation. Toute suspicion de rupture utérine impose une laparotomie en extrême urgence, car le pronostic fœtal peut être engagé. Un traitement conservateur, reposant sur la suture de la déchirure, est le plus souvent possible. L’hystérectomie doit être réservée aux grands délabrements utérins ou aux phénomènes hémorragiques non contrôlés. L. CRAVELLO Service de Gynécologie-Obstétrique, Hôpital La Conception, MARSEILLE. Prise en charge d’une rupture utérine utérin, vivant le plus souvent. Dans les rup- tures complètes, ou intra-péritonéales, tous les plans et les membranes sont atteints. Les conséquences potentielles sont une rétraction du corps utérin, un décollement du placenta, une expulsion intra-abdomi- nale du fœtus et une mort fœtale. Dans les deux cas, l’intensité des phénomènes hémorragiques est variable. [ Antécédents Selon les antécédents, on distingue : 1. Les ruptures spontanées sur utérus “sain” Elles sont la conséquence d’une dystocie mécanique sévère avec prise en charge inadaptée : disproportion fœto-pelvienne, L a rupture utérine est une urgence obstétricale rare (moins de 0,2 %), qui est définie comme une solution de continuité non chirur- gicale du muscle utérin. Elle peut être spontanée ou provoquée, survenir sur un utérus sain ou sur un utérus patholo- gique (utérus cicatriciel post-césarienne pour l’essentiel), et se révéler pendant la grossesse ou pendant le travail. Nous allons détailler dans un premier temps ces différents paramètres. [ Classification anatomique La rupture utérine a pour localisation le plus souvent la face antérieure du seg- ment inférieur (70 à 80 % des cas). Les ruptures segmento-corporéales repré- sentent 10 à 20 % des cas. Le siège corpo- réal pur est très rare (corne, fond utérin). En fonction de la profondeur de paroi concernée, on distingue les ruptures incomplètes et les ruptures complètes (fig. 1). Dans les ruptures incomplètes, ou sous-péritonéales, les membranes sont intactes, plus ou moins herniées entre les berges de la déhiscence musculaire et visibles sous le péritoine. Le fœtus est intra- Fig. 1.

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  • ralits en gyncologie-obsttrique # 166_Novembre/Dcembre 2012

    Le dossierLa csarienne

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    Rsum:Les ruptures utrines que lon observe en France surviennent dans 8 cas sur 10 au niveau de la face antrieure de lutrus, pendant le travail, chez une patiente prsentant un antcdent de csarienne. Les ruptures compltes ont des consquences maternelles et ftales plus svres que les ruptures sous-pritonales. Le diagnostic doit tre voqu dans les circonstances suivantes : prsence de facteurs de risque (en premier lieu : utrus cicatriciel), signes cliniques maternels (douleur sus-pubienne brutale, mtrorragies, tat de choc), troubles de dynamique utrine, souffrance ftale aigu (parfois seul symptme), modification de ltat de la prsentation. Toute suspicion de rupture utrine impose une laparotomie en extrme urgence, car le pronostic ftal peut tre engag. Un traitement conservateur, reposant sur la suture de la dchirure, est le plus souvent possible. Lhystrectomie doit tre rserve aux grands dlabrements utrins ou aux phnomnes hmorragiques non contrls.

    L.CraveLLoService de Gyncologie-Obsttrique, Hpital La Conception, MARSEILLE.

    Prise en charge dune rupture utrine

    utrin, vivant le plus souvent. Dans les rup-tures compltes, ou intra-pritonales, tous les plans et les membranes sont atteints. Les consquences potentielles sont une rtraction du corps utrin, un dcollement du placenta, une expulsion intra-abdomi-nale du ftus et une mort ftale. Dans les deux cas, lintensit des phnomnes hmorragiques est variable.

    [ AntcdentsSelon les antcdents, on distingue :

    1. Les ruptures spontanes sur utrus sain

    Elles sont la consquence dune dystocie mcanique svre avec prise en charge inadapte : disproportion fto-pelvienne,

    L a rupture utrine est une urgence obsttricale rare (moins de 0,2 %), qui est dfinie comme une solution de continuit non chirur-gicale du muscle utrin. Elle peut tre spontane ou provoque, survenir sur un utrus sain ou sur un utrus patholo-gique (utrus cicatriciel post-csarienne pour lessentiel), et se rvler pendant la grossesse ou pendant le travail.

    Nous allons dtailler dans un premier temps ces diffrents paramtres.

    [ Classification anatomiqueLa rupture utrine a pour localisation le plus souvent la face antrieure du seg-ment infrieur (70 80 % des cas). Les ruptures segmento-corporales repr-sentent 10 20 % des cas. Le sige corpo-ral pur est trs rare (corne, fond utrin).

    En fonction de la profondeur de paroi concerne, on distingue les ruptures incompltes et les ruptures compltes (fig.1). Dans les ruptures incompltes, ou sous-pritonales, les membranes sont intactes, plus ou moins hernies entre les berges de la dhiscence musculaire et visibles sous le pritoine. Le ftus est intra-

    Fig. 1.

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    prsentations anormales, obstacles pr-via, avec travail long et structure sani-taire dfaillante ou retard la ralisation dune csarienne. Dautres facteurs de risques peuvent tre retrouvs : malfor-mations utrines mconnues (utrus pseudo-unicorne avec grossesse dans la corne rudimentaire), placenta accreta (la notion dutrus multi-cicatriciel est alors souvent prsente), mle invasive, cho-riocarcinome, voire adnomyose.

    2. Les ruptures provoques sur utrus sain

    >>> Avec causes mdicamenteuses : uti-lisation inadquate dutrotoniques ou de prostaglandines.

    >>> Avec causes obsttricales : manuvres manuelles internes, extrac-tions instrumentales.

    >>> Avec causes traumatiques, par trau-matismes physiques directs ou indi-rects : chute, coup violent, accident de la voie publique, actes de guerre, attentats, agressions (plaies par balle ou par arme blanche).

    3. Les ruptures utrines sur utrus cicatriciel

    Lantcdent de csarienne est de loin la cause principale.

    Les lments prendre en compte pour suspecter une ventuelle fragilit de la cicatrice sont les suivants :> nombre de csariennes ;> terme de ralisation ;> type dhystrotomie : segmentaire (horizontale ou verticale, segment infrieur constitu ou pas) ; segmento-corporale verticale ou cor-porale pure fundique ; qualit de la suture, traits de refend ;> suites opratoires : endomtrite, abcs de paroi, reprise chirurgicale.

    Dautres antcdents chirurgicaux ut-rins peuvent tre en cause :

    > perforations utrines ( loccasion dune aspiration, dun curetage, dune hystroscopie diagnostique ou plus sou-vent opratoire) ;> hystroplasties : section de cloison ut-rine par hystroscopie ou laparotomie (rarissime), plastie dagrandissement, cure de synchies. Ces gestes peuvent fragiliser le mur utrin, mme en dehors de toute perforation ;> salpingectomie avec rsection dune corne pour grossesse angulaire ;> myomectomies : doivent tre pris en considration, comme aprs csarienne, les lments suivants : technique opra-toire, nombre de fibromes retirs et dinci-sions pratiques, ventuelle ouverture de la cavit, qualit des suites opratoires ;> amputation du col.

    [ Terme de la grossesseSelon le terme, on distingue :

    1. Les ruptures en dehors du travail

    Elles reprsentent moins de 5 % des ruptures. Elles intressent surtout les cicatrices corporales ou les cicatrices mconnues. Une rupture insidieuse sur cicatrice segmentaire est toujours pos-sible (se mfier dun facteur extrieur a priori anodin comme un petit trauma-tisme).

    2. Les ruptures utrines pendant le travail

    Elles reprsentent de loin le phnomne le plus frquent.

    A propos de 371 021 naissances aux Pays-Bas sur une priode de 5 ans, Zwart a retrouv 210 cas dclars de rupture utrine (soit 5,9/10 000), dont 87,1 % sur utrus cicatriciel [1]. La mta-ana-lyse de Guise [2] a port sur 568 articles concernant laccouchement des utrus cicatriciels. Lpreuve du travail aug-mente le risque de rupture utrine dans une proportion de 2,7/1 000. Le nombre

    de csariennes itratives qui seraient ncessaires pour viter un cas de rupture utrine est de 370 (213-1 370).

    Enfin, la rupture utrine peut tre dia-gnostique aprs un accouchement par voie basse, lors dune rvision utrine. Sil ny a pas dargument dcisif en faveur dune rvision utrine systma-tique aprs un accouchement normal sur utrus cicatriciel [3], les indications sont trs larges, au moindre doute : contexte obsttrical, droulement du travail, modalits de laccouchement et de la dlivrance, petit saignement.

    [ Les consquences de la rupture utrine1. Consquences ftales

    Lengrenage rupture des membranes, dcollement placentaire et expulsion intra-abdominale du ftus explique lapparition dune souffrance ftale aigu ou suraigu suivie, en labsence dintervention, dune mort ftale. La mortalit prinatale est de 45 90 % dans les pays sous-mdicaliss. Dans les pays industrialiss, elle est nulle pour les ruptures sous-pritonales, en revanche, elle peut atteindre 30 % en cas de rup-ture complte grave. Zwart [1] lvalue 8,7 % (avec un risque global de 0,01 0,04 % pour les utrus cicatriciels).

    2. Les consquences maternelles

    >>> Hmorragie intra-pritonale avec tat de choc, suivie de troubles de la coagulation.

    >>> Lsions anatomiques associes : rupture vsicale ; plaie du trigone, de luretre pelvien en latro-utrin ; dchirures cervicales vaginales lorsque la rupture se prolonge vers le bas ; altration du pronostic obsttrical ult-rieur ; complications urinaires distance.

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    Le pronostic vital maternel peut tre engag. La mortalit maternelle est de 2 20 % pour les pays en voie de dvelop-pement. Elle est nulle dans ltude de Zwart [1]. En France, lInstitut national de veille sanitaire a rapport en 2010 les causes de mort maternelle sur 2 priodes successives [4] : 11 cas lis des ruptures utrines ont t colligs entre 2001 et 2003 (4,4 % des causes de morts mater-nelles) et 2 cas entre 2004 et 2006 (0,9 % des causes de morts maternelles).

    [ Le diagnosticIl repose sur un faisceau darguments, portant sur 3 types de donnes :

    1. Les signes fonctionnels

    >>> La douleur, brutale, aigu, en coup de poignard, prcde de douleurs sus-pubiennes. La douleur est abdominale, rapidement diffuse en cas dhmopri-toine massif. En prsence dune anesth-sie pridurale, on note une modification de la qualit antrieure de lanalgsie par irritation pritonale constante.

    >>> Les signesdechochmorragique : tachycardie, hypotension, agitation, sudation.

    >>> Les mtrorragies : hmorragie vagi-nale, de sang rouge, mle du liquide amniotique. Lhmorragie extriorise peut tre minime ou absente en cas dh-mopritoine prdominant, de plaie sur cicatrice utrine fibreuse peu hmorra-gique ou exsangue.

    2. Les anomalies du monitoring

    >>> Troublesdelacontractilitut-rine : hypercinsie de frquence et contractions bigmines (signes prcurseurs), atonie utrine aprs la rupture (disparition brutale de la dynamique utrine). Ces paramtres sont mieux apprcis par tocomtrie interne [5].

    >>> anomaliesdurythmecardiaqueftal : souffrance ftale aigu (tachycar-die, ralentissements variables, bradycar-die sans rcupration). Il sagit parfois du premier et seul signe conduisant une intervention en urgence.

    >>> Lchographieabdominaleencoursdetravail, en dehors dventuelles diffi-cults techniques de ralisation dans un tel contexte, peut tre dinterprtation faussement rassurante. Elle est surtout lorigine dune perte de temps trs pr-judiciable en cas danomalies du rythme cardiaque ftal.

    3. Les donnes de lexamen clinique

    >>> Modificationutrines : tirement du segment infrieur, ascension de lanneau de rtraction (utrus en sablier), puis pertes de contours normaux de lutrus, voire palpation directe du ftus sous la peau.

    >>> Modificationdelaprsentation : lors du toucher vaginal, la dilatation ne progresse plus, mais surtout on observe une modification de la hauteur de la pr-sentation ou un changement de la nature de la prsentation, traduisant le dbut de la migration intra-abdominale du ftus.

    [ La prise en chargeElle est simple dans son principe : toute suspicion de rupture utrine impose une exploration chirurgicale en extrme urgence [6].

    Des mesures doivent immdiatement tre prises : adaptation de la prise en charge par lanesthsiste-ranimateur (en particulier en cas de mauvaise tol-rance maternelle), dbut dune antibio-prophylaxie, commande des produits sanguins, appel du pdiatre sans retard.

    La laparotomie est suivie de lextraction rapide du ftus, puis dun bilan lsion-nel prcis.

    1. La voie dabord

    Chez une patiente dj opre, il faut reprendre la cicatrice antrieure.

    Une mdiane sous-ombilicale dem-ble simpose en cas de suspicion de rupture secondaire un traumatisme abdominal grave, pouvant ncessiter une exploration de ltage sus-msoco-lique (foie, rate).

    2. Le bilan lsionnel, une fois la dlivrance ralise

    Il faut : dgager la totalit de la plaie utrine (attention ne pas mconnatre des traits de refend vers le bas pouvant tre mas-qus par la vessie) ; sassurer de lintgrit de lappareil urinaire (preuve au bleu vsical, vri-fication des uretres).

    3. La prise en charge utrine

    Un traitement conservateur doit tre tent en premire option, de faon sys-tmatique : suture directe de la dchirure ; rsection des berges fibreuses dune cicatrice antrieure puis suture ; toujours sassurer par un point en X de lhmostase de lextrmit la plus dclive dun trait de refend infrieur ; laspect atypique de la dchirure impose le plus souvent une suture par points spars ( renforcs par un surjet).

    Il ny a pas dindication pratiquer une ligature de trompe dans le mme temps opratoire la suite dune rupture dia-gnostique en urgence chez une patiente non informe.

    La seule exception cette rgle est la rupture sous-pritonale diagnostique en peropratoire lors dune csarienne programme sur utrus cicatriciel, chez une patiente ayant accept durant la grossesse le principe de la strilisation tubaire aprs information adquate.

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    Une hystrectomie dhmostase peut tre demble indique en cas de dla-brement utrin complexe, de lsions des pdicules utrins, de rupture sur pla-centa accreta. En fonction de la nature des lsions anatomiques, il peut sagir dune hystrectomie dhmostase diffi-cile, demandant une expertise chirurgi-cale affirme.

    Une hystrectomie dhmostase peut tre indique dans un deuxime temps, en cas de dveloppement secondaire dune atonie utrine persistante, aprs chec des traitements conservateurs.

    Si les possibilits du plateau technique et de ltat de la patiente le permettent, le recours une embolisation vasculaire doit avoir de larges indications pour complter une hmostase insuffisante.

    Bibliographie1. Zwart JJ, richters JM, Ory F et al. Uterine rup-ture in The Netherlands : a nationwide popu-lation-based cohort study. BJOG, 2009 ; 116 : 1 069-1 078 ; discussion 1 078-1 080.

    2. Guise JM, McDOnaGh Ms, Osterweil P et al. Systematic review of the incidence and conse-quences of uterine rupture in women with pre-vious caesarean section. BMJ, 2004 ; 329 : 19-25.

    3. PerrOtin F, Marret h, FiGnOn a et al. Scarred uterus : is routine exploration of the cesarean

    scar after vaginal birth always necessary ? J Gynecol Obstet Biol Reprod, 1999 ; 28 : 253-262.

    4 . h t tp : / /www.invs . sante . f r /d isplay/ ?doc=publications/2010/mortalitematernelle/index.html

    5. DiaZ sD, JOnes Je, seryakOv M et al. Uterine rupture and dehiscence : ten-year review and case-control study. South Med J, 2002 ; 95 : 431-435.

    6. sOciety OF Obstetricians anD GynaecOlOGists OF canaDa. SOGC clinical practice guidelines. Guidelines for vaginal birth after previous cae-sarean birth. Number 155 (Replaces guideline Number 147), February 2005. Int J Gynaecol Obstet, 2005 ; 89 : 319-331.

    Lauteur a dclar ne pas avoir de conflits dintrts concernant les donnes publies dans cet article.