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Revue d’art contemporain en Pays de la Loire Numéro 1 — gratuit 02point2 Les artistes Vincent Mauger — Bevis Martin & Charlie Youle — Les acteurs Laurence Gateau — Nicolas Hérisson — Les rouages Le marché de l’art contemporain en région — La course à l’atelier — Les reviews Triops à l’Atelier — Si j’avais un marteau au HaB — Cécile Bart, Papagayo à la Galerie de l’École d’arts du Choletais — Explora- teurs au Musée de l’Abbaye — MMMMM… ! au Centre d’art contemporain de Pontmain — Corrélation au musée des Beaux-arts D’Angers — Claude Rutault sur L’île de Nantes — Bruno Peinado à l’ICO René Gauducheau, Saint-Herblain Entretien Alain Gralepois.

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Revue d'art contemporain en Pays de la Loire

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Revue d’art contemporain en Pays de la LoireNuméro 1 — gratuit

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Les artistes Vincent Mauger — Bevis Martin & Charlie Youle — Les acteurs Laurence Gateau — Nicolas Hérisson — Les rouages Le marché de l’art contemporain en région — La course à l’atelier — Les reviews Triops à l’Atelier — Si j’avais un marteau au HaB — Cécile Bart, Papagayo à la Galerie de l’École d’arts du Choletais — Explora-teurs au Musée de l’Abbaye — MMMMM… ! au Centre d’art contemporain de Pontmain — Corrélation au musée des Beaux-arts D’Angers — Claude Rutault sur L’île de Nantes — Bruno Peinado à l’ICO René Gauducheau, Saint-Herblain Entretien Alain Gralepois.

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En couverture Vincent MaugerSans titre, 2012 — Briques cuites. Dimensions variables. Installation in situ. Exposition Super Asymmetry à La Maréchalerie, centre d’art contemporain de l’énsa Versailles. En partenariat avec la briqueterie Bouyer Leroux.Photo : Aurélien Mole. Courtesy de l’artiste et Galerie Bertrand Grimont.

Directeur de la publicationRédacteur-en-chef

Patrice Joly.Rédactrice-en-chef adjointe

Aude Launay.

RédacteursÉtienne Bernard, Raphaël Brunel, Alexandrine Dhainaut, Patrice Joly, Aude Launay, Marie Maertens, Eva Prouteau,Julie Portier, Mai Tran

Relecture Aude Launay, MP Launay

Design graphique Mathilde Lesueur, Jérémie Harper

Impression Imprimerie de Champagne,Langres

Éditeur Association Zoo galerie4 rue de la Distillerie44000 [email protected]

Ont participé à ce numéro :Laurence Gateau, Nicolas Hérisson,Vincent Mauger, Bevis Martin & Charlie Youle

02point2 est un supplément gratuit à la revue 02 numéro 64

02point2 bénéficie du soutien de la Région des Pays de la Loire

Les artistes

3 Vincent Mauger — Les espaces de l’imaginaire par Raphaël Brunel

8 Bevis Martin & Charlie Youle — Portfolio

Les acteurs

15 Entretien avec Laurence Gateau, directrice du Frac des Pays de la Loire par Etienne Bernard

20 Entretien avec Nicolas Hérisson, président de l’association Piacé le radieux, Bézard-Le Corbusier par Eva Prouteau

Les rouages

27 Le marché de l’art contemporain en région — Des possibilités en devenir ou des espoirs déçus ? par Marie Maertens

31 La course à l’atelier — par Patrice Joly

Les reviews

38 Triops à l’Atelier, Nantes par Julie Portier38 Si j’avais un marteau au HaB, Nantes par Alexandrine Dhainaut39 Cécile Bart, Papagayo, à la Galerie de l’École d’arts du Choletais, Cholet par Eva Prouteau39 Explorateurs, au Musée de l’Abbaye Sainte-Croix, Les Sables d’Olonne par Mai Tran40 Art de vivres — MMMMM… ! au Centre d’art contemporain de Pontmain par Eva Prouteau40 Corrélation au musée des Beaux-arts d’Angers — par Patrice Joly41 Claude Rutault — commande publique du Lycée International de L’île de Nantes par Eva Prouteau41 Bruno Peinado — commande publique à l’ICO René Gauducheau, Saint-Herblain par Aude Launay

Entretien

42 Entretien avec Alain Gralepois vice-président à la culture et au sport au Conseil Régional des Pays de la Loire par 02point2

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Vincent Mauger — Les espaces de l’imaginaire par Raphaël Brunel

Dans une vidéo intitulée Sans titre (2010), on découvre Vincent Mauger debout sur une table en train d’en découper chacun des pieds, avec calme et méthode, à l’aide d’une tronçonneuse, jusqu’à rester perché, dans un équilibre prêt à rompre au moindre faux mouvement, sur le dernier d’entre eux. On est d’abord fasciné par la facilité avec laquelle l’outil pénètre le bois et l’entaille, comme s’il s’agissait d’une matière molle, et par cette scène à la fois grave et burlesque qui illustre à merveille l’idée de scier la branche sur laquelle on est assis. Puis on se dit que le contenu de cette courte vidéo – un médium qui semble a priori très marginal dans le travail de l’artiste – pourrait apparaître comme symptomatique d’une façon de faire qui impliquerait autant une forme d’indétermination, liée à la précarité d’une situation frôlant la vanité, que maîtrise, volonté et empathie afin de comprendre comment les choses peuvent malgré tout tenir et, si possible, dans une certaine harmonie. Ce serait ainsi entre ces deux pôles – indétermination et maîtrise – qu’oscillerait la pratique de Vincent Mauger, sans être cependant habitée par une quelconque volonté d’atteindre pleinement l’une ou l’autre. Ce qui marque donc à première vue, et qui le rapproche de certains artistes de sa génération, c’est cet investissement empirique du corps dans la produc-tion d’une forme, ce que l’on associe bien souvent au « faire » et au « geste ». Mais nulles revendications ici d’un objet bien réalisé ou d’un savoir-faire perpétué, plutôt un désir d’action, une volonté de travailler de l’intérieur un matériau banal dénué de toute magie, qu’il soit utilisé dans le bâtiment ou accessible au Bricoman du coin, et d’en faire surgir, en exacerbant ses carac-téristiques propres, un imaginaire qui en déplacerait totalement l’appréhension. Bien qu’il ait recours aux briques, parpaings, tubes de PVC, palettes de bois, cagettes en plastique ou autres structures métalliques, il ne se dégage pas moins de ses œuvres une esthétique du chantier, un réalisme de la matière que la possibilité d’une projection mentale, d’un transfert du concret vers le virtuel ou, du moins, d’un aller-retour de l’un à l’autre.Le romantisme de la figure de l’artiste en créateur,

en façonneur de la matière – mais, on l’aura compris, là n’est pas vraiment la question – pour-rait être renforcé par le choix de Vincent Mauger de vivre loin de la capitale et de l’effervescence du petit monde de l’art parisien. Il s’est en effet in-stallé dans un village situé entre Nantes et Cholet, Saint-Germain sur Moine, où il a transformé un ancien garage en atelier qui lui offre tout l’espace nécessaire au développement de sa pratique. Si certaines de ses pièces peuvent y être réalisées ou assemblées, l’atelier constitue avant tout à ses yeux le territoire d’expérimentation de divers systèmes de construction qui pourront prendre corps, selon les cas, en d’autres lieux et s’adapter à une situation spatiale et architecturale singulière.

Cette expérimentation passe autant par la manipulation empirique des matières que par un travail de modélisation informatique qui peut don-ner à ses pièces des airs de prototypes, de ma-quettes à plus ou moins grande échelle et ancre résolument son travail dans une logique de projet. De l’aspect très construit des œuvres surgit ainsi le paradoxe d’un mouvement, de telle manière que l’on serait tenté d’appliquer à la démarche de Mauger l’analyse de Bernhild Boie sur l’écriture de Julien Gracq qui ne serait que « pur mouvement, prise de possession de l’espace et projection vers l’avenir1 ». Si le rapprochement semble incongru,

Mauger et Gracq – au-delà bien sûr de toute tentative de rapprochement de type régionaliste – envisagent tous deux le paysage

comme le terrain d’une fiction en attente, qui ne demande qu’à prendre corps, qu’à être habitée. Dans cette logique, la topographie et l’imagerie scientifique ou informatique constitu-ent pour l’artiste des références visuelles autant que des manières de spatialiser les choses ou les pensées qui tiennent une place déterminante dans sa pratique.

Son travail pourrait être appréhendé à partir d’une typologie de formes ouvertes à de nombreuses variations. La première d’entre elles concerne les œuvres graphiques réalisées à partir de logiciels informatiques, en couleur ou en noir et blanc, représentant des territoires au relief accidenté ou fortement vallonné, relevés topographiques imaginaires qui semblent cor-respondre à la première phase d’une potentielle mise en volume. Il a également recours à des

1 Bernhild Boie, « Chronologie », in Julien Gracq, Œuvres I, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, p. LXIII.

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supports normés, comme le papier millimétré par exemple, dont il cherche à faire surgir l’expression sensible du fortuit. Mais sa pratique est davantage associée à ses intrigants et fascinants volumes, qu’ils prennent la forme de sculptures autonomes ou d’installations in situ. Il s’appuie sur les proprié-tés des matériaux qu’il utilise pour en révéler une certaine versatilité, faisant passer des casiers à bouteilles en polystyrène pour des blocs de béton qui auraient été l’objet d’un intense travail de modelage ou d’une érosion accélérée. Les idées de formes naissent ainsi du matériau lui-même, de la manière dont il peut être travaillé et de ce qu’il peut amener d’inattendu. L’accumulation ou l’enchevêtrement d’un même élément, brisé ou découpé, crée un rythme où alternent plein et vide, où l’alvéole et le saillant dominent jusqu’à produire un résultat complexe où le regard parfois trébuche. Ses sculptures donnent à voir des fragments de paysage, évoquent météorites ou morceaux de roches solitaires, en lambeaux ou à la dérive, écrasés au sol après une longue chute, ou encore des explosions de matière, des vestiges d’un autre espace-temps et – mais ce n’est qu’une hypothèse – de probables fables écologiques. Qu’elles soient présentées dans un lieu d’exposition ou dans l’espace public,

comme lors des deux dernières éditions de la FIAC dans le Jardin des Plantes et dans celui des Tuileries à Paris, leurs silhouettes fantas-tiques entrent en résonance avec leur environnement, instaurant une situation en suspens de l’ordre de l’intrigue. Les installations in situ de Vincent Mauger, quant à elles, envahissent et remodèlent littéralement l’espace dans lequel elles s’inscrivent. Ainsi, recouvre-t-il le sol de la Chapelle des Calvairiennes à Mayenne (2005) de briques d’où surgissent ici et là monticules et vallons accidentés, celui de la Brasserie Bouchoule (Instants Chavirés, 2008) de blocs de parpaings, comme autant de paysages modélisés de la surface de

la Lune ou de Mars. En 2012 à la Maréchalerie à Versailles, il reprend le même procédé mais cette fois en creux, les élévations laissant place à un relief inversé s’enfonçant dans un faux « plancher » en briques.

Les interventions sculpturales de Vincent Mauger conservent un aspect très graphique – bien que celui-ci soit nuancé par une finition relativement brute du fait des matériaux em-ployés – qui évoque un travail en cours volontaire-ment figé. On pourrait considérer ces œuvres comme de véritables dessins dans l’espace alors même qu’elles participent pleinement à re-dessin-er l’espace qui les accueille. Elles partagent avec l’imagerie scientifique ce besoin de l’esprit de matérialiser, de donner une forme tangible à une image mentale, à une abstraction, de la simplifier afin de pouvoir l’appréhender. Il s’agit en quelque sorte de schématiser un imaginaire, d’en proposer la surface, le squelette sur lequel il va pouvoir venir se fixer, se projeter. Vincent Mauger nous propose peut-être aussi une grille de jeu, un point de départ qui pourrait résonner avec cet extrait de la bande-annonce de Tron, cette étrange production Disney de 1982 : « L’aventure com-mence dans notre monde, de ce côté de l’écran vidéo et plonge dan un micro-univers qui vit et respire dans les espaces de l’imaginaire. » Malgré leur ultra-présence, il semble se dégager des pièces de Vincent Mauger une certaine solitude, une mélancolie qui témoignerait d’un abandon, d’une déterritorialisation, d’une situation égarée mais qui serait cependant porteuse d’une dynamique à venir, comme si ces formes étaient dans l’attente d’être habitées et complétées de multiples manières •

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Vue de l’exposition « L’absence de règles est-elle une règle en soi ? » Centre d’art contem-porain d’Istres du 30 janvier au 27 mars 2012. Photos : Caroline Chevalier

Vue de l’exposition « L’omniprésence des possibles » au musée des Beaux-arts d’Issoudun du 25 février au 30 décembre 2012

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Sans titre, 2012. Bois de palettes. 3,80m de diamètre.Photo : Bérangère Marizien, Courtesy de l’artiste et de la Galerie Bertrand Grimont.

photos 4 et 5 Sans titre, 2012 – Briques cuites. Dimensions vari-ables. Installation in situ.Exposition « Super Asymmetry » à La Maréchalerie, centre d’art contemporain de l’énsa Versailles.En partenariat avec la briqueterie Bouyer Leroux.Photo : Aurélien Mole. Courtesy de l’artiste et Galerie Bertrand Grimont.

photos 1, 2 et 3 Vue de l’exposition « L’absence de règles est-elle une règle en soi ? » Centre d’art contem-porain d’Istres du 30 janvier au 27 mars 2012. Photo : Caroline Chevalier1

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Bevis Martin & Charlie Youle Portfolio

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Entretien avec Laurence Gateaudirectrice du Frac des Pays de la Loire par Etienne Bernard

EB Initiative au départ nationale, chaque FRAC a, en trois décennies, sur son terri-toire, inventé sa propre histoire et son développe-ment. Quelle est la spécificité de celui des Pays de la Loire ?

LG Le FRAC Pays de la Loire s’est, dès sa création, distingué des autres en met-tant en avant sa mission de soutien aux artistes vivants. Jean de Loisy, premier directeur du FRAC en 1983, a tout de suite mis en place le programme de résidence d’artistes des Ateliers Internationaux. C’est une initiative extraordinaire car c’est l’idée d’inviter à produire des œuvres en s’inspirant et en se nourrissant d’un contexte spécifique. C’était lier une politique d’acquisition à une poli-tique de production. Les Ateliers Internationaux sont dès les débuts devenus le pouls battant de cette politique de soutien aux artistes vivants. Nous présentons cette année la vingt-huitième édition de ce programme avec l’exposition « STAR-DUST » qui présente les travaux de huit artistes croates à l’issue de leur résidence au FRAC.

EB Qu’est ce que l’immersion dans un contexte spécifique apporte à la fois à l’artiste et au territoire ?

LG Je pars du principe qu’inviter des artistes à travailler dans un contexte permet de nouer des rapports humains forts. Cela crée un axiome qui est le regard de l’un vers l’autre. Mise en Scène, réalisée en 1991 par l’artiste américaine Renée Green dans le cadre des Ateliers Internationaux du FRAC à l’époque situé à la Garenne Lemot, et acquise ensuite, est pour moi exemplaire. C’est une pièce formidable qui s’inspire de l’histoire du commerce triangulaire et pour laquelle elle est allée faire des recherches très poussées aux archives départementales avec le concours d’un historien. Je trouve qu’il y a un regard critique par rapport à une histoire locale qui procède de l’immersion. Prenons l’exemple, complètement différent, du français Hervé Trioreau dont on peut voir le travail in situ gmTT-ck n° 1 de 2005 sur le bâtiment du FRAC à Carquefou. L’artiste a travaillé sur la faille, le défaut de l’architecture. Il a observé que les huisseries des fenêtres ne sont pas assez solides et ont tendance à écraser le verre, ce qui crée

Les Fonds Régionaux d’Art Contemporain, initiés en 1982 par Jack Lang, fêtent leurs trente ans. Ces institutions hybrides, sans pareilles à l’échelon international, se sont imposées dans le paysage artistique jusqu’à devenir les outils emblématiques et incontourn-ables de la déconcentration culturelle. Laurence Gateau, directrice du FRAC des Pays de la Loire à Carquefou revient sur cette expérience et sur les perspectives de développement de son institution.

Vue de l’exposition « Star-Dust » au Frac des Pays de la Loire. Gorán Skofic, Blow in the Face, 2012 — Photo : Marc Domage

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des fissures, et il a tout simplement souligné, redessiné ces fissures par des tubes de néon. Je trouve intéressant que le travail en immersion puisse s’orienter vers l’histoire sociale ou poli-tique d’un territoire ou, plus formellement, vers des interventions in situ. Il y a plusieurs angles d’attaque pour s’inscrire dans un lieu et son contexte. Cela dit, il me semble important de ne pas être dans l’autosatisfaction ni dans un rap-port narcissique au contexte : il y a un réel risque de s’enfermer dans sa propre histoire. Mais les artistes sont là pour nous rappeler que leur travail s’articule dans un rapport permanent au local et au global. J’y vois d’ailleurs une métaphore de ce que sont les FRAC, une manière de travailler sur un territoire (le FRAC des Pays de la Loire propose plus de vingt expositions par an sur toute la ré-gion) tout en existant au-delà aux niveaux national et international.

EB Pour revenir à ce qui fonde cet aller- retour entre local, situé et global, est-ce que cette spécificité des FRAC entre en opposi-tion ou en contradiction avec un fonctionnement de l’art profondément globalisé et déterritorialisé ?

LG Quand on parle de déterritorialisation, on parle aussi de reterritorialisation et c’est ce va-et-vient qui est intéressant. Si une œuvre se reterritorialise, c’est qu’elle a fait un petit pas de côté en opérant un déplacement des concepts manipulés par l’artiste pour se nourrir du contexte où elle se trouve. Et, à l’inverse, la matière, le substrat que l’artiste va puiser là où il se trouve pourra exister ou apparaître n’importe où ailleurs. Je parlais tout à l’heure de l’œuvre d’Hervé Trioreau sur l’architecture du FRAC. Je pense que même si elle a été conçue ici et existe ici, elle peut très bien se déplacer pour étudier d’autres architectures. Elle peut s’ancrer ailleurs. C’est d’ailleurs pour cela qu’on parle de collec-tions nomades. Dès le départ, les collections des FRAC, bien plus que celles des musées, étaient vouées à être nomades, à se déplacer dans des lieux très différents, pas nécessairement faits pour accueillir des œuvres. Il y a des artistes qui travaillent spécifiquement sur ce principe de nomadisme, ce qui nous avait inspiré l’exposition

« Nomad-ness » présentée en 2010 au Hangar à Bananes.

EB Et concrètement, comment un FRAC ancré dans son ter-ritoire peut-il exister et faire exister son territoire à l’international ?

LG Effectivement, bien que les œuvres de la collection soient

régulièrement empruntées par de grandes institu-tions internationales, le travail sur le territoire est tellement intense que le risque est d’y rester et de ne plus avoir le temps d’être dans ce rapport à l’international. C’est d’ailleurs là que le travail de l’association Platform qui réunit les vingt-trois FRAC en réseau est très important car il permet aux FRAC d’exister ensemble à l’échelle internationale.

EB Quand Platform organise des expositions de collections des FRAC à l’étranger comme récemment à Pékin, à Zagreb ou aux États-Unis, au-delà d’une entreprise de communication sur la richesse des collections, que peut-on observer ? Quelles sont les réactions des partenaires à l’international ?

LG Il est très important de montrer ailleurs ce qui est conservé en France, ce qui a parfois été produit dans nos territoires. C’est l’opportunité de toucher d’autres publics, d’avoir le regard d’autres professionnels. La réception par les commissaires américains de l’exposition « Spatial City : An Architecture of Idealism » qui s’est déployée entre Chicago, Milwaukee et Detroit en 2010, a été extraordinaire. Ils ont été éblouis par la richesse et la diversité de nos col-lections. Il faut se rendre compte que les collec-tions des vingt-trois FRAC représentent environ vingt-sept mille œuvres couvrant cinq décennies de création. C’est énorme et surtout nos col-lections sont extrêmement réactives : certaines œuvres ont été achetées immédiatement après leur production. On colle à la temporalité de la création, souvent bien plus que les musées. Nos homologues américains étaient impression-nés par cette réactivité et par la liberté de choix

Vue de l’exposition « Women at work » à Pékin,Photospring Caochangdi Arles in Beijing 2012 « Women at work » (FRAC), CAAW Space

à gauche Vue de l’exposition « Star-Dust » au Frac des Pays de la Loire. Photo : Marc Domage

à droite Vue de l’exposition « Star-Dust » au Frac des Pays de la Loire. Igor Eskinja, Untitled (Résultat des Opéra-tions - Nantes), 2012. Photo : Vaida Budreviciute

LG « Les artistes sont là pour nous rappeler que leur travail s’articule dans un rapport permanent au local et au global. J’y vois d’ailleurs une métaphore de ce que sont les FRAC, une manière de travailler sur un territoire [...] tout en existant au-delà aux niveaux national et international. »

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dans l’acquisition qu’ont les comités techniques des FRAC. Nous avons plus de liberté qu’aux États-Unis car moins de proximité avec le marché de l’art, nous ne connaissons pas cette pression du secteur privé. À l’inverse, il peut y avoir une pression exercée par le politique en France mais cela n’a jamais été le cas au FRAC Pays de la Loire. Il y a ici une vraie reconnaissance de l’expertise des membres du comité d’acquisition par les tutelles politiques mais on sait que ce n’est pas le cas partout.

EB En trente ans, on a vu les FRAC se structurer au début autour des missions de collection et de diffusion régionale puis, dans les années 2000, s’employer à des missions de production et d’exposition in situ. C’est ce qu’on

a appelé la seconde génération, pour laquelle le FRAC Pays de la Loire fait figure de pionnier puisqu’il est le premier, en 2000, à se doter d’un lieu spécifiquement adapté à ces nouvelles missions. Si on regarde vers l’avenir, quelles sont les prochaines missions ou étapes de développe-ment des FRAC ? Une troisième génération se dessine-t-elle ?

LG En 2000, le FRAC des Pays de la Loire a en effet inauguré son nouveau bâti-ment dessiné par Jean-Claude Pondevie, un travail remarquable salué par les artistes. Ce bâti-ment est le premier à avoir été conçu spécifique-ment pour répondre aux besoins et aux missions notamment de conservation et d’exposition du FRAC. C’est ce qu’on appelle le passage

en seconde génération. Cette année, d’autres FRAC inaugurent leurs lieux spécifiques dessinés par de grands architectes reconnus internation-alement comme Jakob + Macfarlane à Orléans ou Odile Decq et Benoît Cornette à Rennes, par exemple. Le fait que le FRAC des Pays de la Loire ait déjà douze années d’expérience de la seconde génération nous permet maintenant d’en tirer les leçons. Connaîtrons-nous une troisième génération ? Je pense que l’époque n’est plus aux grandes orientations à l’échelle nationale et qu’on ne peut parler qu’à partir et à propos d’un contexte donné. Ainsi, l’architecture du bâtiment de Carquefou est pensée par rapport à l’histoire du FRAC, c’est-à-dire un lieu avec des résidences d’artistes, un lieu qui affirme sa fonction de production portée par une collection. On est plus proche de l’activité d’un centre d’art que de celle d’un musée. Si on compare avec la Bretagne dont on parlait à l’instant, le FRAC à Rennes pourrait peut-être plus s’apparenter à un musée. En Pays de la Loire, il y a une présence importante des musées d’art contemporain avec le Musée des Beaux-Arts de Nantes, celui des Sables-d’Olonne et celui d’Angers. En Bretagne en revanche, il n’y a pas de grand musée dédié à l’art contemporain. Le FRAC Bretagne a trouvé sa place dans un contexte institutionnel artis-tique marqué par l’absence de musée et par la présence forte de quatre centres d’art très dynamiques. En revanche, en Pays de la Loire,

il n’y a que deux centres d’art conventionnés – le Grand Café à Saint-Nazaire et la Chapelle du Genêteil à Château-Gontier – qui font d’ailleurs un travail remarquable mais il n’y a, par exemple, pas de grand centre d’art à Nantes. Ainsi le FRAC Pays de la Loire a trouvé une place juste en revendiquant son rôle de laboratoire de création dans l’agglomération nantaise. Quant à parler de l’avenir, je pense qu’il y aurait tout intérêt à trouver un lieu de présentation à Nantes car on se rend bien compte aujourd’hui que la demande est forte et que l’éloignement du FRAC est un prob-lème pour les publics. Ceci ne remet nullement en question l’utilisation du bâtiment actuel mais cela viendrait en complément, en renfort. On pourrait ainsi imaginer que le lieu de Carquefou deviend-rait un lieu de conservation et de recherche tandis que celui de Nantes serait dévolu à la production et à la présentation, ce qui nous permettrait de trouver plus facilement notre place sur l’échiquier national et international •

Alexandre Périgot, Jardin révolutionnaire avec moins de couleurs et plus de fleurs, 2010, collection Frac des pays de la Loire, vue de l’exposition « Circumrévolution », biennale de Belleville 2012.

vue du Frac des Pays de la Loire Photo : Frac des Pays de la Loire

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EP Lorsque vous êtes devenu propriétaire de cet immense moulin au cœur du village, étiez-vous au courant du projet de Le Corbusier pour Piacé ?

NH Mon père, et un agriculteur passionné d’histoire qui fait également partie de l’association Piacé le radieux, m’en avaient vague-ment parlé, je me souviens des mots URSS, coo-pérative… Après mes études aux Arts Décoratifs à Paris, je suis parti vivre en Camargue et, à mon retour il y a huit ans, j’ai acheté le moulin avec mon frère et je me suis mis à enquêter. Dans de nombreux ouvrages sur l’architecte, le projet pour les campagnes est mentionné : y sont décrits la Ferme, le Village coopératif, la collaboration avec Norbert Bézard à Piacé.

EP Comment avez-vous construit l’exposition à partir de ces données ?

NH J’ai fait beaucoup de recherches à la Fondation Le Corbusier, j’ai eu accès aux plans numérisés et à la très importante cor-respondance entre Bézard et Le Corbusier. Avec Laurent Huron, ami qui a co-écrit l’exposition « La Ferme radieuse et le Village coopératif », nous voulions approfondir la dimension historique et faire découvrir ce projet avant-gardiste pour les campagnes : les plans d’une ferme familiale, ceux d’un village coopératif et une nouvelle organisa-tion agraire.

EP On a le sentiment d’une profonde amitié entre les deux hommes, Bézard le rural et Le Corbusier l’urbain. Presque un coup de foudre.

NH Le Corbusier a beaucoup collaboré avec des personnes qui évoluaient hors du milieu de l’architecture. L’ébéniste Joseph Savina, le peintre naïf André Bauchant…Norbert Bézard se réunissait au Café de la Boule d’Or avec ses acolytes dans l’espoir sincère de changer les campagnes. Il avait fait des études et était au courant des travaux de Le Corbusier. Il a rencontré ce dernier grâce au syndicalisme paysan, lors d’une réunion du journal Prélude à Paris, avec le rêve fou que l’architecte dessine une déclinaison de la Villa radieuse pour la campagne. Bézard avait un fort tempérament et arrivait à point nommé pour servir le projet de Le Corbusier.

EP Bézard y croit vraiment ?

NH Oui, jusqu’au bout. Et Le Corbusier aussi, qui demande à ce qu’on com-mence par construire des logis, pour sortir les paysans de la boue. Mais c’était très ambitieux, vingt hectares pour chaque ferme, qu’il projette de faire breveter par Jean Prouvé, le béton et l’hygiène, la mise en commun du matériel lourd, la verticalité des silos symbolique d’une nouvelle vision des campagnes… Bézard partira ensuite vivre à Saint-Rigomer, une commune très proche, mais toute sa vie il continue de travailler sur le Village, et lorsqu’il se remarie avec une institutrice de Parcé-sur-Sarthe, il fait dessiner les élèves sur la Ferme radieuse ! Il devient céramiste à la fin de sa vie à Paris, et Le Corbusier lui trouvera des ateliers, lui commandera des céramiques ornées de représentations de la chapelle de Ronchamp : il n’a jamais lâché Bézard, jusqu’à sa mort, où c’est le médecin de Le Corbusier qui s’occupe de lui à l’hôpital Necker. Mais économiquement parlant, l’époque est la pire pour la radicalité du Village coopératif : nous sommes en 1933. Le projet n’a jamais vu le jour.

EP Revenons à votre impressionnant moulin. Dès le départ, vous l’imaginez en espace d’exposition ?

NH Lorsque j’ai acheté le moulin à la commune, j’ai évoqué l’idée d’animer culturellement le lieu. En découvrant le projet Bézard-Le Corbusier, j’ai curieusement com-mencé à fouiller la vie de Bézard par la fin, par

Entretien avec Nicolas Hérisson Président de l’association Piacé le radieux, Bézard-Le Corbusier — par Eva Prouteau

Arrivée à Piacé par la nationale brutale qui sectionne le village, un jour plombé de gris. Juste avant le panneau indicateur de l’entrée de bourg, le parpaing géant de l’artiste Lilian Bourgeat s’expose là comme un mirage en plein champ, à côté d’un tracteur qui exécute sans broncher des travaux de voirie. Spectaculaire préliminaire avant de découvrir plus avant Piacé le radieux, projet foisonnant initié par Nicolas Hérisson fin 2008, dans ce petit coin de la Sarthe.

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Séverine Hubard, Hyacinthe descendue de l’arbre, 2010. Photo Coralie MoulinPhoto : Piacé le radieux, Bézard – Le Corbusier

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son travail de peintre et de céramiste. En paral-lèle je me suis plongé dans le projet avec Le Corbusier : l’ensemble – cet autochtone atypique, l’architecture du Village, la possibilité d’inviter des artistes autour de cette utopie – était incroyable-ment riche. J’ai alors refait les maquettes qui avaient été construites par l’atelier Le Corbusier et photographiées par Lucien Hervé mais qui ont aujourd’hui disparu. Dès 2010, j’avais réalisé la grande maquette du Village coopératif. Par ail-leurs, les amis artistes auxquels j’en parlais étaient très enthousiastes. J’ai compris que l’on pouvait prolonger cette idée de modernité en y adjoignant des visions contemporaines, en arts décoratifs, en design, en art… Je ne voulais pas figer l’exposition : d’emblée j’ai souhaité un projet vivant.

EP Parlez-nous de la mise en route.

NH En 2009, autour des maquettes, avec François Curlet, nous avons eu l’idée de la Quinzaine Radieuse : un événement pluridisciplinaire qui accompagnerait ce projet, qui parlerait différemment de la ruralité. Bézard était un grand amateur de pêche : en écho, nous avons édité deux cuillers de pêche signées François Curlet. C’est aussi François qui imagina un accrochage de dessins de Reiser dans le café du village, c’était drôle, et il pouvait obtenir des originaux… J’ai aussi invité les frères Bouroullec – Ronan était aux Arts Décoratifs avec moi – et nous avons produit les gobelets géants de l’artiste Lilian Bourgeat. Je voulais organiser un concert pour l’événement, et j’ai pensé à Jacques Bertin, chanteur à textes engagé. Je l’ai contacté et il a accepté. Toutes ces démarches m’ont coûté au départ, je venais de passer quelques années en pleine Camargue, j’étais un ours, je parlais peu. De cette première édition assez légère, j’ai beaucoup appris du rôle d’historien-maquettiste-producteur-coordinateur-communiquant : je me suis surpris à faire des choses que je n’aurais pas été capable de faire pour mon propre travail d’artiste. J’ai même fait de la comptabilité.

EP Vous réincarnez la figure « poly- instrumentiste » de Bézard.

NH Oui, on m’a déjà fait cette réflexion. J’ai l’impression d’être proche de lui quand je ressens parfois la force d’inertie, la réticence ou la frilosité d’un contexte ! J’ai appris

à connaître sa famille, aussi : son fils, Pierre Bézard, a retrouvé un carton dans la cave lors de ma dernière visite, des céramiques jamais

déballées, beaucoup de faune et de flore, ce que Bézard connaissait le mieux… Je veux répertorier le plus de céramiques possible et en faire une exposition lors de la prochaine Quinzaine, ac-compagnée d’un catalogue. Tout ceci est possible car je ne viens pas de nulle part, mes racines sont ici et cela facilite les choses. J’ai l’impression de donner du sens à ces attaches-là.

EP Dans les statuts de votre association, on lit également « mission de remise en valeur du patrimoine de la commune de Piacé ».

NH C’était important pour moi de faire revivre ce patrimoine en général, pas seulement dans l’enceinte du moulin que j’ai restauré. Très tôt, sur un document que nous avons publié, j’ai inscrit « projet culturel et touris-tique ». Tout ce que nous voulions faire était déjà listé : mise en valeur du patrimoine local, rénova-tion d’espaces abandonnés, réactivation du four à pain, on parle aussi des vignes que je souhaite replanter. Bézard est arrivé ici comme boulanger, il fut aussi apiculteur, fossoyeur, postier : la per-sonnalité de ce touche-à-tout m’autorise plein de choses, entre autres de croiser les publics et de souder les gens d’ici autour de projets con-crets, comme d’imaginer des ruches conçues par des artistes ou de planter des ceps de vignes en haut de la colline toute proche, là où nous allons installer la pièce de Stéphane Vigny au printemps, où il y eut dans le passé des parcelles de vignes qui ont donné leur nom au lieu dit. Pour le moulin, qu’il continue à « vivre » procure un grand plaisir aux gens du village, et cela constitue aussi l’un des motifs de leur visite.

EP Nous avons évoqué l’exposition- dossier autour du Village coopératif, les événements pluridisciplinaires autour du patri-moine et de la Quinzaine radieuse, mais vous avez aussi conçu tout un parcours d’œuvres pérennes dans l’espace public.

NH Le Corbusier fixe le projet de la Ferme pour l’« exposition internationale des arts et techniques appliqués à la vie moderne » de 1937 et prévoit de l’implanter à la sortie du village : comme un symbole, je voulais investir cet espace public. Une douzaine d’œuvres permanentes sont désormais présentées en extérieur : Daniel Nadaud, Lilian Bourgeat, Anita Molinero, David Michael Clarke, Séverine Hubard,

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Lilian Bourgeat,Entre N. Herisson et M. Duchamp, 2011 [production Piacé le radieux]Photo : Piacé le radieux, Bézard - Le Corbusier

NH « Bézard est arrivé ici comme boulanger, il fut aussi apiculteur, fossoyeur, postier : la personnalité de ce touche-à-tout m’autorise plein de choses... »

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Hugues Reip, Christophe Terlinden, Florence Doléac… Bientôt rejointes par deux nouvelles : une table de Neal Beggs produite à Chamarande qui reprend le vocabulaire corbuséen et sera installée dans le parc du presbytère, et un poteau électrique mêlant béton et vitrail imaginé par l’artiste Stéphane Vigny. Ce dernier reprend un modèle de poteau très ajouré, produit au Mans par l’entreprise Garczynski Traploir, dont la fabri-cation fut abandonnée car ils cassaient systéma-tiquement quand une voiture les percutait. Dans ces ajours, l’artiste insère des vitraux, inspirés de ceux de l’église de Piacé, faits en béton avec la technique dite du pavé de verre. Le développe-ment de ce parcours pérenne me tient à cœur, il peut asseoir l’identité du village, en lien avec son histoire. Les pièces sont assez cohérentes, généreuses, tous les publics peuvent y trouver leur compte. Et si nous parvenons un jour à construire le Logement du paysan conçu par Le Corbusier et à développer une programmation en lien avec la céramique – Malicorne est tout proche ! – je pense que Piacé aura un réel po-tentiel touristique. Dans le cadre des « Capsules Radieuses » – des expositions présentées au cours de l’année en dehors de la Quinzaine – j’ai récemment invité Jean-Marie Appriou, artiste et assistant de Dewar&Gicquel et de François Curlet. Je lui ai proposé une expérience collective, la construction d’un four pour cuire ses céramiques dans la ferme d’Alexandre, un voisin, un travail inédit pour lui qui n’avait jamais fait de cuisson au bois. Nous allons d’ailleurs probablement refaire un four lors de la prochaine Quinzaine Radieuse, en écho au Burning de Maroussia Rebecq, une fête de la moisson et du feu très rassembleuse elle-aussi… Et peut-être montrer la collection de pipes de l’artiste Annabelle Hulaut au café du village : le café est un lieu important pour moi, la boulangerie ayant fermé il y a trois ans maintenant, il est l’unique commerce qui reste ouvert, avec Sylvie,

la patronne, qui est au courant de tout. Nous y avons déjà montré des maquettes de Sammy Engramer et le Bunker pour six œufs de François Curlet, et cela nous permet de toucher les gens différemment.

EP La programmation s’étoffe à mesure que les années passent. Quid de la fréquentation ?

NH En 2012, la Quinzaine Radieuse était lourde à porter, en raison du nombre d’invités et de visiteurs, mais cela sanctionnait positivement le travail accompli. En soi, l’exposition du designer Christian Ragot était déjà très conséquente, avec la production d’une voiture en osier, une interprétation de la Voiture Minimum conçue en 1936 par Le Corbusier. Christian Ragot est un designer qui a intégré les collections du Centre Pompidou mais qui reste peu connu du public. Lui non plus n’a jamais été dans le système de production dominant, il a toujours travaillé en marge du design institutionnel. Il m’a entendu parler sur France Inter, il connaissait le projet pour les campagnes de Le Corbusier, et il m’a contacté suite à ce passage radio.

EP Au fil de ces quatre éditions, on retrouve une tendance au métissage des pratiques et des personnalités fortes, parfois marginales. Votre programmation a-t-elle des allures d’autoportrait en creux ?

NH Oui, j’aime bien cette idée. Je voudrais étonner les gens d’ici, faire circuler les choses, et j’ai une grande fierté à l’égard de cette campagne. Je construis intuitivement mon action. Je ne pensais pas revenir dans cette région où a vécu mon grand-père, mais je m’y sens bien. Et je me suis découvert une ambition que je n’avais pas forcément cernée au départ •

Stéphane Vigny, Château de tôle, 2011 [production Piacé le radieux] Photo Coralie Moulin. Photo : Piacé le radieux, Bézard – Le Corbusier

Vue du Moulin de Blaireau et Villa Parmentier,Florence Doléac et David de Tscharner, 2011.Photo : Piacé le radieux, Bézard – Le Corbusier

Andréa Crews, Performance Burning Vogue, 2010Photo : Maroussia Rebecq, Piacé.

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Le marché de l’art contemporain en régionDes possibilités en devenir ou des espoirs déçus ? Par Marie Maertens

Le logis du paysan de la ferme radieuse, Le Corbusier, 1934.(Maquette Nicolas Hérisson, 2008)Photo : Piacé le radieux, Bézard – Le Corbusier

NH « Le Corbusier fixe le projet de la Ferme pour l’« exposition internationale des arts et techniques appliqués à la vie moderne » de 1937 et prévoit de l’implanter à la sortie du village : comme un symbole, je voulais investir cet espace public. »

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La problématique de la différence entre le marché de l’art en région et à Paris n’est pas récente. Un essai paru en 2010 aux Presses Universitaires de Bordeaux et signé Laurent Houssais et Marion Lagrange, s’intitule Marché(s) de l’art en province 1870-1914. Au passage entre les deux précédents siècles, les modes de fonctionnement, statuts de l’objet d’art et des acqué-reurs différaient fondamentalement. Les deux auteurs s’interrogent également : y a-t-il un public en province pour l’art ? Cette question est toujours d’actualité, en Pays de la Loire, à Marseille, à Bordeaux, à Lyon, ou ailleurs… Existe-t-il un réel marché de l’art en prov-ince ou pas ? Une galerie peut-elle subsister en région ? Comment la ville ou les collectivités peuvent-elles les aider ?

Quand une galerie décide de s’installer sur un ter-ritoire, c’est un signe positif pour le marché. En 2009, Mélanie Rio ouvre une galerie à Nantes, même si elle a réalisé auparavant une étude de marché qui se révèle plutôt négative… « Mais la ville, qui était un peu une grande endormie depuis la fermeture des chantiers navals, commençait à redémarrer, notamment au niveau de l’architecture. Le Lieu Unique ou Zoo galerie en étaient des points forts. Ensuite, j’ai très vite compris que pour rentrer dans un tissu de collectionneurs, il était indispensable de faire partie des foires » précise-t-elle, après avoir participé à la dernière édition de Paris Photo et avoir organisé une exposition juste à côté de la col-lection Frédéric de Goldschmidt durant la précédente édition d’ArtBrussels. Aujourd’hui, elle a fédéré un groupe de collectionneurs dont certains ne se rendaient jamais en galerie auparavant. La moitié d’entre eux sont des Parisiens, 30% sont de la région et 20% vivent à l’étranger. Si elle offre à ses artistes un hôtel particulier de 150 m2 avec jardin privatif, Mélanie Rio produit aussi leurs œuvres et admet avoir eu un fonds important pour démarrer son activité. Aujourd’hui, elle commence à collaborer avec les institutions de la région et souhaite que ce relais s’accentue avec le temps. « J’aimerais que la ville montre davantage les artistes que je représente,

pour asseoir ma crédibilité en dehors de la région. » Optimiste quant à son développement, elle est aujourd’hui la seule galerie privée de Nantes depuis qu’Heidigalerie est en restructura-tion en attendant d’ouvrir, peut-être, à Paris. Son ancienne co-directrice, Anissa Touati, assume pour sa part une vision beaucoup plus tranchée sur la possibilité du marché de l’art à Nantes : « Il n’y a aucune mentalité d’achat. Certains mois, nous recevions deux trentenaires exerçant des professions libérales qui se renseignaient sur des pièces allant de 800 à 3000 euros. Pourtant, avec mon ancienne associée Elise Kleeb, nous nous sommes vraiment battues avec la ville et la région pour faire rayonner la galerie. Mais nous avons reçu peu de soutien et nous n’étions par exemple jamais intégrées aux programmes des voyages de presse qui attiraient les journalistes de Paris ou de l’étranger. Concernant les foires internationales, à l’inverse de Bordeaux, la ville de Nantes n’offre pas de subvention pour aider à y participer. Nous avons ainsi fait l’Arco, à Madrid, par nos seuls moyens et passions notre temps en dehors de Nantes pour essayer d’y faire venir les col-lectionneurs. » Yolande Mary, qui dirige la galerie associative Confluence, également à Nantes,

Benoît-Marie Moriceau, The Shape of Things to Come (L’abri antiatomique), 2010, polyéthylène haute densité, 384 x 227 x 133 cm.

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parle pour sa part d’un marché « murmurant », qui n’a pas beau-coup évolué depuis l’ouverture de la galerie en 2004. Même si les

« acheteurs potentiels » se font plus nombreux, notamment grâce à des rencontres réalisées sur des salons comme Art Paris, sans pour autant que la ville ou la région ait accepté d’offrir l’aide financière demandée. Aujourd’hui, ses vrais col-lectionneurs se comptent sur le doigt d’une main et la galerie survit grâce à son statut associatif, mais peine à se développer. Un constat égale-ment réalisé par Patrice Joly, fondateur de Zoo galerie : « Comme toutes les galeries associatives, nous vivotons, dès l’instant où nos statuts nous interdisent de concurrencer une galerie privée. Pourtant, nous concourons à la promotion des artistes, mais faute de crédit à la hauteur de nos ambitions, nous nous réfrénons, notamment dans notre production. » Encore plus difficile à gérer si le marché ronronne également…

Marseille fait en revanche une percée prometteuse sur le marché de l’art. Didier Gourvennec Ogor y a ouvert en septembre 2011 son espace de 210 m2, sans solliciter aucune aide de la ville ou de la région. Ayant fait ses classes dans les galeries Yvon Lambert et Georges-Philippe et Nathalie Vallois, il envisage le fonctionnement de sa galerie à l’identique de celui des espaces parisiens,

rencontre sur les foires et le reste par les collec-tions publiques, qu’elles soient françaises ou étrangères. Une nouvelle galerie, Kalima Celestin, vient d’ouvrir à Marseille au mois de septembre dernier et chacun remarque aussi le rôle que joue la foire Art-O-Rama qui en est à sa sixième édition.

Les loyers moins élevés, les plus grandes surfaces et le fait d’être moins observé qu’à Paris per-mettent davantage d’expérimentations, comme le rappelle Thomas Bernard, directeur de la gal-erie Cortex Athletico à Bordeaux : « Nous sommes obligés de compenser le fait de ne pas être au milieu d’un circuit artistique en trouvant de nou-velles idées, mais comme il n’y a plus beaucoup de lieux d’expérience aujourd’hui, même dans les centres d’art, c’est un facteur que les artistes apprécient beaucoup. Face à la crise qui est réelle, nous devons maintenir une programmation très précise et plus expérimentale, alliée à des prix très raisonnables, » relate celui qui trouve que notre époque souffre d’une « crise de l’audace ».

Dans un climat étatique qui réduit ses budgets, forçant ainsi les institu-tions à aller chercher de l’argent du côté des privés qui sont parfois les clients des galeries, il est indis-pensable de chouchouter ses collectionneurs… Également habitué des

avec le challenge de développer les primo-collec-tionneurs pour pallier le manque de marché local : « Il faut savoir qu’à Marseille, davantage de gens payent l’ISF qu’à Lyon. Mais plus je serai reconnu à l’international, plus les collectionneurs vernacu-laires viendront me voir. Rappelons que Roger Pailhas vendait des artistes marseillais à des col-lectionneurs marseillais quand il était sur un stand de foire à New York ! Il faut faire évoluer le marché local, tout en s’inscrivant sur un marché global. » La cité phocéenne lui a permis de se démarquer du nombre surchargé de galeries parisiennes et il estime avoir effectué en quinze mois d’existence ce qu’il aurait mis dix ans à réaliser dans la capitale. L’effet Marseille-Provence 2013, Capitale Européenne de la Culture, est également un moteur car même la maison de ventes Christie’s organisera durant toute l’année des circuits dans la ville à destination de ses collectionneurs VIP. La galerieofmarseille fonctionne quant à elle avec de grosses pointures depuis 2006. Son directeur, Yannick Gonzalez, s’était déjà forgé un important réseau grâce à son association Le bureau des compétences et désirs. Dès l’ouverture de sa galerie, il a regardé à l’international, en partici-pant aux foires Next de Chicago, Volta à Bâle ou Loop à Barcelone, tout en étant présent à la Fiac. La région l’aide alors par une somme forfaitaire qui peut par exemple couvrir les frais de transport. Aujourd’hui, un quart de ses ventes est réalisé grâce aux collectionneurs de la région, un autre quart grâce aux collectionneurs qu’il

foires, Thomas Bernard a développé un fort réseau à l’international et, aujourd’hui, la moitié de sa clientèle est étrangère. Il regrette pour autant le manque d’investissement de la ville qui ne le fait pas tellement profiter de son réseau. Là encore, il remarque que les voyages de presse organisés pour aller au CAPC ne font jamais un arrêt par sa galerie, « même si le bus est garé devant… » et le fait que pour se faire respecter, les institutions craignent tellement d’être stigmati-sées comme étant provinciales qu’elles en arrivent à regarder à peine les galeries de la ville. Emeric Ducreux en a fait les frais et a décidé en septem-bre dernier de fermer sa galerie, ACDC, même si la ville de Bordeaux lui permettait d’occuper un espace au loyer très réduit. Il présentait de jeunes artistes qui ont pris de l’ampleur et nécessitent aujourd’hui des frais de production importants et des investissements qui lui semblent trop risqués : « J’avais très peu de retour sur mes expositions : peu de presse et de collectionneurs. Or j’ai montré il y a quatre ans des artistes qui ont exposé les mêmes œuvres à Paris l’année dernière et tout a été vendu… » Emeric Ducreux ne souhaite pas pour autant abandonner ses artistes mais compte repenser le concept de la galerie en organisant davantage de conférences, de résidences d’artistes ou de relations privilégiées avec certains collectionneurs. Ce rôle de média-tion affirmé lui semble nécessaire pour initier le public, dans une ville où là encore l’argent n’est pas un problème puisque « certaines galeries

Vue du stand de la galerie à Paris Photo, novembre 2012, de gauche à droite Nicolas Milhé, Lombok Rudéris, 2012 /c-print, Or / 65 x 86 cm — Edgar Martins, Puppets et National Bank de la série « A metaphysical survey of british dwellings », 2010, c-print sur aluminium, semi mat UV seal — Patrick Tourneboeuf, mur avec des photographies de la série Monolithe, 2010, tirage argentique, 50 x 66 cm. Photo : Erwann Le Gars / melanieRio

Courtesy FRP2 & Galerie Gourvennec Ogor

Vue du stand ACDC sur la foire Art-o-rama, Marseille, septembre 2012 — courtesy galerie ACDC, Bordeaux

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vendent de la peinture décorative, ce que j’appelle des chromos, à 15 000 euros. Mais il est toujours plus difficile de proposer ce que le public ne connaît pas et qui est la définition même de l’art émergent. » Dans un article paru sur LaTribune. fr en avril 2012, Guillaume Cerutti, président de Sotheby’s France, qui vient d’ouvrir un bureau à Toulouse,

indique que le marché de l’art en Midi-Pyrénées recèle « énormément de richesses et de trésors en main privée dans les familles. Nous sommes d’ailleurs présents pour donner des conseils aux personnes qui possèdent des œuvres d’art. Mais il y a également des collectionneurs. L’an dernier nous avons vendu plus d’un million d’euros un tableau qui venait de Midi-Pyrénées. » Mais là en-core, la « tradition de tableaux anciens, de bijoux et de livres manuscrits » supplante-t-elle peut-être l’intérêt pour l’art contemporain…

Alors, demeurer en région ou pas ? Nombreux ont pu se sont poser la question. Olivier Houg, créateur de la galerie éponyme située à Lyon depuis 1998, a ainsi observé certains de ses col-lègues partir s’installer à Paris, tandis qu’il a fait le choix de rester et même de créer la Docks Art Fair pour démultiplier la synergie impulsée par la Biennale de Lyon. « Cette dernière a engendré un intérêt incontestable et croissant chez les collectionneurs. Nationaux ou internationaux, ils viennent plus longtemps dans la ville, même après le vernissage de la Biennale, et achètent.

Même les collectionneurs lyonnais se sont pris au jeu de cette énergie et, dans l’ensemble, mon chiffre d’affaires a augmenté de 20 % ces dernières années. » Mais si ça n’est pas encore l’euphorie, comme Olivier Houg le relativise, la région est riche, tant au niveau intellectuel qu’économique, et Lyon s’est bien éloignée de l’image de ville endormie qu’elle avait autrefois.

Parmi les autres galeristes, la solution est parfois de démultiplier ses champs d’action, comme Thomas Bernard qui compte ouvrir un bureau à Paris, car « le point de maturité de notre réseau se trouve là-bas ». Mélanie Rio organise pour sa part toujours un événement à Paris pour présenter ses artistes durant les foires importantes, qu’elle y participe ou non. De manière plus globale, ces réflexions démontrent une nécessité de repenser l’outil de la galerie dans sa conception classique. Baron Osuna, directeur de Super Window Project, s’installe ainsi au moins pour un an à l’emplacement de l’ancienne galerie ACDC, après avoir fait ses armes à Kyoto. Mais pour lui, le point névralgique de sa galerie « est davantage dans les programmes développés hors les murs ou dans les échanges effectués avec des galeries de tous horizons. » Avec une structure très souple, il s’adapte aux paramètres qu’on lui offre et précise que le sens du Super Window Project « n’est pas tant d’être nomade que d’être visible ». C’est-à-dire relayé par l’ensemble des acteurs de la culture, qu’ils soient collectionneurs, institutionnels, critiques, curateurs ou journalistes… •

Rolf Julius — Vue de la galerie Thomas Bernard

Ji-Yeon Sung — Stand de la galerie Confluence à ArtParis 2012

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La course à l’atelier par Patrice Joly

Plus que jamais l’atelier représente pour l’artiste le lieu central de la production et de l’élaboration de son travail. Alors que l’on pensait il y a peu que sa per-sistance ne résisterait pas à la montée en puissance de l’ordinateur comme outil à tout faire, non seulement ce dernier n’a pas rendu obsolète l’atelier en tant que lieu de production mais il s’avère au contraire que les deux font cause commune dans le processus d’élaboration de l’œuvre. L’ouverture sur le monde est assurée en temps réel tandis que la fonction de réflexion est préservée. Si le rapport à l’atelier a donc évolué au fur et à mesure que cette dialectique du fermé et de l’ouvert, du de-dans et du dehors, s’est enrichie de ce nouvel acteur, il n’empêche que ce lieu où s’élaborent et se testent les œuvres avant d’être lancées sur la place publique ou sur le marché de l’art reste d’une nécessité absolue, suscitant des recherches incessantes de la part des artistes en quête de l’espace idéal. Son modèle est multiforme : entre la micro pièce au milieu d’un appartement et la factory version Xavier Veilhan, autant de versions exis-tent qui correspondent à une multitude de rapports à la pratique. Sa forme reflète le degré d’investissement d’un artiste pour un espace censé générer un minimum d’isolement préalable à une phase de production (qu’elle soit ou non réalisée dans ce lieu même), de même qu’elle révèle la capacité d’enchevêtrement des stimuli extérieurs de tous ordres incorporables à la matière grise concep-tuelle : l’atelier est cette « coque » à la porosité sélective qui permet de sanctuariser le noyau sensible de l’artiste tout en laissant pénétrer sous contrôle le dehors fertilisa-teur… Dans cette courte investigation, nous n’avons pas voulu dessiner une typologie exhaustive, laissant à d’autres spécialistes le soin de réaliser cette étude1 : nous avons plutôt cherché à mettre en lumière, à travers quelques exemples ciblés, les nouvelles potentialités et les nouvelles complexités attachées à ces lieux de travail. En Pays de la Loire comme ailleurs, la question de l’atelier se pose cruellement à l’artiste au sortir de sa scolarité et tout au long de sa carrière. Le centralisme persistant du territoire artistique hexagonal rend encore plus critique en province une situation que les artistes parisiens

subissent un peu moins, car, au-delà de l’accès à un espace à soi, se pose la question de la « post-production » : comment faire connaître un travail, attirer les galeristes et les professionnels, relier cette offre proliférante à une demande distante et insaisissable, la singulariser en rendant visible ce qui relève d’une sensibilité exacerbée ? Les enjeux liés à l’optimisation d’un atelier relèvent d’une mission extrêmement ardue car cette quête est assez peu audible auprès des collectivités publiques : dans le meilleur des cas, les villes mettent en place des politiques d’accès à des ateliers aidés mais ces dernières ne résolvent pas le problème de la pérennité et de l’indépendance, encore moins celui des nécessaires politiques d’accompagnement, même si le regard porté par le politique sur l’économie artistique commence à changer lentement.

S’il est quasiment impossible d’établir une classification des ateliers à travers leur affectation puisqu’il est de plus en plus rare de se retrouver face à des pratiques monodisciplinaires, il est plus aisé d’avoir une approche territoriale. On peut diviser les ateliers en deux catégories relatives à leur mode d’occupation : l’individuel qui se

niche indifféremment en plein centre ville ou en zone rurale et le collectif qui se déploie presque exclusivement en ville, dans ces entre-deux que sont les dernières friches urbaines, ou bien le plus souvent à la périphérie des villes. En Pays de la Loire, comme dans la plupart des grandes régions, le sentiment le plus partagé au sein de la communauté artistique est celui d’un manque criant. Cette absence de l’offre publique2, si elle apparaît problématique en termes d’évaluation de la dynamique de la création, n’a pas que des défauts : elle a au moins le mérite de susciter des vocations et des réactions plutôt stimulantes…

1 Voir la très exhaustive étude de l’agence amac qui a analysé en détail la situation des ateliers en Pays de la Loire, l’offre publique en la matière ainsi que les divers projets en cours : http://amac-web.com/realisations-passees/etude-sur-les-lieux-de-travail-individuels-et-collectifs-des-artistes-plasticiens/Cette étude sur les lieux de travail individuels et collectifs pour les artistes-plasticiens a permis à la Région des Pays de la Loire de prendre connaissance des besoins comme des attentes et de créer, en février 2012, de nouvelles aides destinées à accompagner la création et l’aménagement d’ateliers individuels ou collectifs, que ces projets soient portés par des artistes ou des collectifs d’artistes. Les différents règlements d’intervention en investissement et en fonctionnement sont accessibles sur le site internet, www.paysdelaloire.fr, dans la rubrique Aides.

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Mosquito Coast FactoryArchitectes : Gaston Tolila (conception) et François Baudon (exécution)© Benoit&Marie Moriceau /ADAGPà gauche Photos : Pierre Seiter à droite Photos : Philippe Ruault

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À 30 km de Nantes, dans la petite ville de Savenay, Benoît-Marie Moriceau nous accueille dans son atelier flambant neuf qu’il a ouvert l’année dernière : venant de Rennes où il était hébergé par l’association 40mcube après avoir occupé longtemps un atelier de la ville, l’artiste a choisi cette petite commune proche de Nantes pour établir son QG en plein milieu d’une zone industrielle. Pour lui, le choix de construire est le fruit d’une longue réflexion sur son travail ainsi que sur la nécessité de posséder un atelier, couplé à l’opportunité de faire édifier une construction quasi sur mesure. Il faut avouer qu’une telle pos-sibilité est rarement le fait de nos jeunes artistes désargentés et il s’en défendrait presque. C’est en collaborant avec un jeune architecte, Gaston Tolila, qu’il a pu concevoir un édifice réellement adapté à une pratique d’atelier « moderne » c’est-à-dire allant légèrement au-delà de ce qu’on

entend généralement par « pratique d’atelier ». Ce dernier a été configuré de manière à optimiser le chargement et le déchargement des pièces lourdes, un palan installé en hauteur permet de les acheminer au sortir du camion qui peut péné-trer jusqu’au milieu de la nef. À l’étage, l’artiste a aménagé l’une des deux pièces traversantes en une véritable salle d’exposition : la Mosquito Coast Factory a déjà accueilli une exposition du jeune commissaire François Aubart et s’apprête à renouveler l’invitation. Pour Moriceau, la fonction de l’atelier va bien au-delà de celle du classique lieu de production où l’artiste se retranche afin

de penser et de réaliser ses pièces en retrait du monde même s’il ne rejette pas complète-ment cette dimension : il estime cependant que pratiquer l’atelier aujourd’hui c’est aussi accueillir des curateurs et des étudiants, les futurs commissaires et collègues avec lesquels il noue des liens et échafaude des projets. Le choix de son installation au cœur de la ZAC n’est pas non plus anodin puisqu’il lui permet d’être en contact avec tous ces métiers qui participent de la production de ses œuvres. Benoît-Marie Moriceau se sent parfaitement intégré dans ce microcosme industrialo-artisanal dans lequel il s’est immergé. D’ailleurs, l’aspect général du bâtiment témoigne de cette volonté de fusion : l’atelier pourrait tout à fait compter parmi les hangars qui composent le tissu industriel local et c’est justement de cette architecture qu’est partie la réflexion pour créer ce « grey cube » totalement métallisé. Ayant longtemps hésité à franchir le pas parce que son travail, plutôt axé sur l’in situ, ne le poussait pas forcément à investir lourdement dans une telle entreprise, l’artiste a finalement opté pour la con-struction afin justement de ne pas être enfermé dans un « dogmatisme de l’in situ » comme il le dit. Avoir un atelier c’est aussi ouvrir une gamme de possibles et surtout se donner la latitude de fractionner un emploi du temps complexe entre sa vie rennaise, sa galerie nantaise, les résidences et autres expositions, Savenay étant, au propre comme au figuré, à la croisée des chemins.

Certes, le cas de Benoît-Marie Moriceau est un peu isolé, beaucoup de jeunes artistes ne sont pas dans la position de s’offrir un tel outil. Pour la plupart, il s’agit plutôt de trouver un local à la sortie de l’école pour stocker les produc-tions accumulées pendant leurs études, pour pouvoir prendre le temps de réfléchir mais aussi pour réaliser des pièces afin de répondre aux premières sollicitations. Il n’y a par ailleurs pas de modèle unique, chaque pratique génère sa propre demande en matière d’aménagement de ce lieu éminemment multiple qu’est l’atelier. Certains artistes renoncent même à en chercher un, préférant reporter au moment de la résidence ou de l’exposition la réalisation des pièces et naviguent alors d’invitation en invitation. Pour la majorité cependant, la question se pose comme une évidence : soit parce que leur travail implique une production réalisée par leurs soins à proximité du lieu d’élaboration « propre », soit parce que l’atelier est ce lieu qui leur permet de réunir toutes les matières nécessaires à l’élaboration des futures pièces et notamment les anciennes œuvres. L’atelier est aussi une zone de stockage qui peut rapidement se transformer en lieu de présentation, en showroom. Ce cumul de bonnes raisons se double de l’argument, dans l’hypothèse du collectif, de pouvoir partager

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le prix de la location d’un ensemble plus vaste (généralement un ancien entrepôt, un hangar) et les moyens de production ou même de salarier un technicien. À l’origine du projet Millefeuilles, il y a un peu de tout ça : le constat d’un manque d’ateliers sur l’agglomération nantaise3 et la volo-nté de se prendre en charge. Les trois fondateurs, Romain Boulay, Carole Rivalin et Michel Gerson souhaitaient créer un espace qui puisse réunir un large groupe d’artistes en plein centre de Nantes, dans une zone appelée à un rapide essor, celle du « Quartier de la Création ». Rapidement, les discussions avec les responsables de la Samoa4 permettent d’identifier un lieu susceptible de répondre aux désirs des trois associés, un ancien hangar sur le quai des Antilles, à proximité de la HAB galerie5. Interrogé sur les motivations profondes du projet, Romain Boulay met plutôt en avant la notion d’autonomie que celle de col-lectif… À première vue contradictoire avec l’idée que l’on se fait d’un tel regroupement, ce souhait se révèle pourtant être un motif récurrent de la part des chercheurs d’ateliers : garder le contrôle de la destination, rester maître de la durée de l’occupation semblent être des préoccupations constantes face à l’angoisse de la restitution d’un local octroyé. En plus bien entendu de l’apport inestimable que se révèle être la possibilité de partager un espace commun, de susciter des

rencontres, d’entretenir des discussions perman-entes, de pouvoir com-parer ses pièces, les tester auprès des autres, bref de mettre en place une con-vivialité active et « intéres-sée »… Une fois l’accord signé, les sociétaires obtiennent le soutien de la région et se lancent dans la restauration et l’organisation des locaux, non sans se poser la question, primordiale, de

l’attribution des espaces. Pour ce faire ils désig-nent un jury composé de personnalités locales chargé de choisir parmi l’affluence des dossiers : pas moins de soixante-dix demandes sont déposées en provenance de la France entière, sur lesquelles ne seront retenus que 19 candidats. Le projet est plutôt translucide : répondre à une pénurie notoire et assurer une double autonomie sur le plan de l’affectation et de l’économie. À terme, Millefeuilles souhaite se passer complète-ment de subventions et témoigne d’une volonté nette de se départir des politiques publiques qui ne se montrent pas toujours très bienveillantes à l’égard de telles initiatives : la mairie sollicitée

3 Le site de Delrue est le seul collectif d’ateliers de plasticiens sponsorisé par la municipalité nantaise. Selon les vœux d’Aimé Delrue, fondateur du Carnaval de Nantes, le legs de son ancien « magasin de couleurs » était conditionné au fait qu’il reste affecté à des activités artistiques. Depuis quelques années, l’accès aux ateliers est réservé aux lauréats du Prix de la ville de Nantes qui leur octroie bourse et local gratuit pendant deux ans : cette huitaine d’ateliers que met à disposition la ville ne répond bien évidemment pas à l’immensité de la demande en provenance de l’agglomération nantaise, encore moins de la région, même si la municipalité vient d’ouvrir deux ateliers boulevard Cassin à destination des plasticiens, dans une version longue durée. Il existe cependant de nombreuses possibilités d’occupation provisoire d’ateliers dans l’agglomération nantaise comme notamment la maison de quartier Madeleine Champ de Mars qui propose des ateliers destinés à recevoir des plasticiens dans le cadre d’un projet défini, ou la Fabrique, le nouvel équipement culturel dédié aux musiques actuelles, qui fonctionne selon le même schéma.

4 La Samoa est la société d’aménagement de la métropole ouest atlantique spécialement créée en vue de mettre en place le maillage immobilier de l’« île de Nantes » qui regroupe activités culturelles et artisanales, agences d’architectes et bureaux d’études, bâti locatif et développement touristique du futur centre de Nantes.

5 Espace d’exposition à la pointe est de l’île de Nantes.

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n’a pas donné suite. Au-delà de la générosité du projet, il faut cependant se poser la question de son efficacité si l’objectif est de se faire connaître hors de la métropole et de la région. En posant radicalement la problématique de l’autonomie, les fondateurs mettent en évidence la nécessité de la synergie entre les différents acteurs de la dynamique artistique d’une ville. Il s’avère de plus en plus évident que le collectif doit s’affirmer comme un acteur majeur de la scène locale s’il veut être connecté à une scène plus large. C’est pour cette raison qu’il apparaît nécessaire de trouver des relais de visibilité auprès des collectivités territoriales afin d’optimiser les projets. Sans cela, ils risquent de rester lettre morte et l’énergie investie de s’amenuiser. En ce qui concerne la région des Pays de la Loire, le problème provient également du fait que les perspectives au niveau du marché sont relativement limitées : la seule galerie ayant un positionnement national, celle de Mélanie Rio, ne peut absorber à elle seule les générations d’artistes arrivant sur la scène locale. Quant aux galeries associatives et autres structures, comme le Frac, qui procurent des issues naturel-les aux artistes locaux, elles ne peuvent assurer ce débouché marchand même si à d’autres niveaux elles garantissent une efficacité certaine de la filière…

Vue de l’atelier Millefeuilles. Photo : Stéphane Bellanger

Vues de l’atelier Millefeuilles

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C’est un projet qui est né d’une rencontre entre deux artistes et deux architectes et qui, au final, mène à une aventure singulière où il s’agit de mettre à disposition de deux artistes invités une résidence avec un atelier en partage, le tout dans un immeuble fraîchement bâti, spécialement pensé pour la fonction et, qui plus est, au-dessus d’une galerie destinée à les accueil-lir… Il faut un peu se pincer pour y croire tant ce genre d’initiative semble relever de l’improbable, pourtant le projet de Michel Gerson et de sa compagne Béatrice Dacher, Paradise, est bien réel. Le jeune Mehdi-Georges Lahlou inaugure ce modèle plutôt novateur : une première exposition d’œuvres déjà produites, afin de familiariser les visiteurs avec le travail de l’artiste, suivie d’une résidence à l’issue de laquelle seront présentées les productions nées sur place. Pour Michel Gerson, ce type de projet ne peut aboutir qu’à la suite d’une rencontre avec des personnes fortement motivées qui permet de se libérer des pesanteurs du fonctionnement des collectivités publiques : Agnès Lambot et Philippe Barré, en l’occurrence, qui peuvent être considérés comme de véritables mécènes mettant à profit leur savoir-faire d’architectes et leur connaissance des réseaux nantais pour produire une construc-tion judicieusement agencée avec ateliers et studios à l’étage et galerie au rez-de-chaussée. Certes, Paradise ne résoudra pas à lui seul la crise des ateliers en région et il ne répond pas non plus aux attentes en matière d’autonomie mais il propose un débouché crédible à des artistes qui, comme Neal Beggs, se sont implantés à distance de la capitale des Pays de la Loire, et souhaitent y revenir le temps d’une réimplantation provisoire.

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Vincent Mauger a installé son – ou plutôt ses – atelier(s) à une vingtaine de minutes de Clisson sur l’axe Cholet-Nantes, dans une petite ville naguère fortement industrialisée où désormais les édiles cherchent à recycler les nombreux hangars et garages à l’abandon qui témoignent d’une autre époque. L’artiste qui a étudié à Angers se rappelle avoir disposé d’un espace conséquent tout au long de sa scolarité, aussi lorsqu’il lui a fallu quitter l’école, il ne souhaitait pas vraiment se retrouver comme il le dit « à devoir travailler pour payer son atelier ». En outre, après avoir constaté comme nombre de jeunes diplômés la rareté des locaux disponibles, il se voyait mal entreprendre de longues recher-ches ou bien fonder une association en vue de créer un collectif pour « monter un lieu » ; compte tenu de la spécificité de son travail qui nécessite d’investir de grands volumes, la solution rurale s’est imposée assez naturellement à lui. Depuis, il occupe un grand atelier de 160 mètres carrés, une grange où il stocke ses pièces et un autre local de travail « propre ». Pour autant, Vincent Mauger n’est pas un fan de la vie à la campagne, il peste contre la nécessité de prendre sa voiture pour aller au cinéma à Cholet à trente kilomètres et regrette le temps des études avec ses discus-sions animées ; il n’a cependant pas le sentiment d’être à l’écart des mouvements de pensée et des débats de fond, il voyage beaucoup, est souvent invité en résidence et sa carrière plutôt florissante lui permet d’être en contact régulier avec ses collègues et de « compenser » comme il le dit son relatif isolement. Il aurait bien voulu s’installer à Nantes s’il y avait trouvé les conditions d’accueil pour son travail. Il ne se plaint pas outre mesure, certainement parce que l’un des objectifs évo-qués plus haut au nombre des missions dévolues à l’atelier, à savoir trouver un débouché marchand, une galerie qui promeut son travail et le soutient, est largement assuré. Mauger semble avoir trouvé une bonne adéquation entre grands espaces et modestie des loyers, isolement intermittent et réinvention de la ruralité… Certes, ce cocktail nécessite de pouvoir s’appuyer sur une relation marchande épanouie et de supporter la vie à la campagne. Son exemple n’est donc certainement pas applicable à tous les profils d’artistes sortant de l’école et cherchant activement l’atelier idéal, il montre simplement qu’il existe des solutions hors des sentiers battus… •

Paradise, 6 rue Sanlecque, Nantes Vue de l’atelier de Vincent Mauger

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« Triops », du nom de cet animal marin dont le corps, la tête et la queue semblent appartenir à différentes espèces. Le titre est bien trouvé pour cette exposition qui réunit comme chaque année les lauréats du prix des arts plastiques de la Ville de Nantes, heureux bénéficiaires d’une bourse et d’un atelier pour deux ans. Car les travaux de Jean Bonichon, Simon Dronet et Julien Nédélec, la mouture 2012, n’ont pas grand-chose en commun, si ce n’est peut-être l’aspect ludique de leurs formes qui donnent à cet ensemble mal assorti un abord joyeux, l’humour léger recouvrant toutefois une humeur plus mélancolique. Mais les trois artistes ne semblent pas avoir réservé leurs meilleures pièces pour l’exposition, même si Bonichon y présente sa dernière série, « Le bestiaire inadapté », et si Nédélec y condense dans une salle, hélas trop sombre, son exposition personnelle présentée cette année au Musée des beaux-arts de Mulhouse. La subtilité de l’œuvre de Simon Dronet n’est en tout cas pas servie par sa série de dessins « Slogan » réalisée lors de sa résidence au Lieu Unique, figurant des scènes de manifestations légendées par des slogans empruntés à des spots publicitaires. Plus cocasse est la série « Prothèse », des-sins lisses et roses qui font le présage cauchemardesque de corps greffés de technologie. On ne retiendra malheureusement de ses installations vidéo qu’une complaisance dans le potache, flirtant par endroits avec l’héritage de Pierrick Sorin, mais cette attitude crétine revendiquée exprime un défaitisme devant l’invasion de la technolo-gie qui anéantirait toute pensée philosophique ou introspective, à en juger par le remake du jeu vidéo primordial Pong où les raquettes et la balle sont remplacées par les mots « surmoi », « ça » et « moi ». Le romantisme dérisoire propre aux actions en plein air de Jean Bonichon n’est pas non plus rendu dans les sculptures exposées ici, ni l’efficacité plastique notable dans d’autres pièces, même si sa course de cornes en plâtre sur tôle ondulée dans le patio de l’Atelier fait son effet. Son « Bestiaire inadapté » est une déclinaison d’allégories mobilières figurant l’hybridation d’un animal avec un élément de décor domestique. Là où Julien Nédélec tire aussi son épingle du jeu, c’est en nous épargnant ces messages conformes et timides sur l’état du monde. Mais là encore, l’accrochage et la sélec-tion des pièces excluent toute la réflexion sur le statut de l’œuvre (introduite par le multiple et le gratuit) et l’exercice de traduction d’un médium ou d’une consistance à l’autre (sa dernière exposition au Frac des Pays de la Loire, « Un bruit blanc », traduit des sons en sculptures). On pourrait même s’y tromper en ne jugeant que de la portée décorative, toutefois assumée et même conceptualisée par l’artiste, de ce graphisme déduit de têtes de vis (Dessins de tête), ou de ces collection d’entomologie mimées par des petits papiers colorés répertoriant des formes géométriques.

Il suffit de l’observer au quotidien, le chantier, à petite ou grande échelle, est une forme plastique en soi. Une somme de gestes, de matériaux, d’occurrences et d’objets ready-made que les avant-gardes, aux premières loges du développement des villes pendant les Trente glorieuses, ont révélés.

Du blanc d’Espagne qu’on étale grossièrement sur les vitrines aux chenilles de seaux encastrés, en passant par les échafaudages, les artistes de toutes générations réunis ici explorent l’image du chantier. À travers différents médiums, ils se réapproprient ou dé-tournent ses outils (l’exposition se fait au son de la tronçonneuse de Vincent Mauger et du marteau de Monica Bonvicini), ses codes ou sa signalétique. Si le chantier offre du grain à moudre formel, certains l’ont aussi envisagé comme métaphore de la création artistique, en s’appliquant davantage à montrer une œuvre in fieri, comme le massacre à la tronçonneuse du funambule Mauger ou les « anarchi-tectures » de Matta-Clark.

Réflexion sur la mutation constante du paysage, l’éphémère et l’entropie des matériaux, le chantier représente un cycle et, qu’il s’agisse de construction ou de déconstruction, il a évidemment rapport au temps, à la durée qui sépare deux états. Chez Didier Courbot, c’est l’antispectaculaire du chantier qui est mis en lumière. Dans sa série de photographies, le chantier et les ouvriers qui s’y activent s’entrevoient par métonymie, s’arrêtant plutôt sur les pelles ou les machines laissées en plan, pour traduire précisément ce temps intermédiaire. Métonymie aussi chez Lara Almarcegui qui non sans humour détermine le poids d’une ville (Dijon) par la quantité des matériaux avec lesquels elle a été construite. La maquette, omni-présente ici, sert à « accélérer » le temps, à prévisualiser le produit fini, exercice d’anticipation miniature que Didier Marcel prend à contresens en réalisant une maquette mobile d’un bâtiment en ruines, entre passé et futur de la forme.

« Si j’avais un marteau » est une exposition cohérente mais elle n’échappe pas au côté inventaire du thème qui demeure, lui, déceptif, insatisfaisable même, soit parce que l’accrochage collerait trop au « genre chantier » en étant littéral – ce qui est parfois le cas ici comme avec le blanc d’Espagne à l’entrée –, ou soit parce qu’il serait traité de manière trop « propre » en déployant les pièces bien distinctement dans l’espace – ce qui est aussi le cas ici. C’est finalement quand elle met en perspective œuvres d’art et maîtrise d’ouvrage dans une salle dédiée aux travaux actuels du Musée des beaux-arts que l’exposition prend tout son sens. On y découvre les plans de l’architecte Clément Josso à qui l’on doit le bâtiment origi-nal, des études de sculptures pour la façade du Musée, des pho-tographies des anciennes salles d’exposition, jusqu’aux maquettes des travaux actuels, illustration concrète de ce dont le chantier est porteur : le passage du désir à la réalité.

Triops — L’Atelier, Nantes, du 24 octobre au 10 novembre 2012par Julie Portier

Si j’avais un marteau — HaB Galerie, Nantes, du 19 octobre 2012 au 6 janvier 2013 — par Alexandrine Dhainaut

Jean Bonichon, Peau de chagrin, 2012 Vue de l’exposition « Si j’avais un marteau », au premier plan, Régis Perray.

Cécile Bart, « Papagayo » — photo : Stéphane Bellanger Berdaguer & Pejus, Anna 18, Boris 29, Helena 18, Laure 18, Yann 30, de la série Arbres, 2008.

D’un côté, la tension, la concentration, la précision d’installation. De l’autre, la sensualité, la texture char-nelle, la profusion des transparences.

Cécile Bart sait souvent atteindre ce difficile équilibre entre âpre abstraction et volupté formelle et chromatique, tout comme François Morellet allie en finesse allégresse et docte géométrie. Sa proposition à l’École d’Arts de Cholet se donne précisément comme un hommage à l’artiste qui habite à quelques encablures de là. Dans la maison Morellet, longtemps, un flamboyant per-roquet a accueilli les visiteurs dans un salon entièrement peint en jaune, en clin d’œil à la salle à manger de Monet à Giverny. Cécile Bart reprend l’anecdote dans son titre (Papagayo, perroquet en espagnol) et décline le jaune en nuances citron, soleil, paille, cad-mium… Sur chaque pan de mur des deux salles communicantes, elle installe ses panneaux de toile Tergal, étoffe arachnéenne et ré-sistante qui n’est pas sans rappeler les trames de Morellet version fibre textile. Tendues sur d’épais cadres de métal au design indus-triel, ces peintures / écrans offrent des surfaces monochromes in-croyablement mouvantes. Le tissu reçoit parfois une seule couche, parfois une épaisseur plus dense. Frontalement, le visiteur traverse l’écran translucide et son regard rencontre des constellations dif-fuses, ici de minuscules grains de peinture suspendus à la toile, là encore la figuration de l’empreinte du pinceau, aussi légère qu’une bourrasque sur un sol sablonneux. La toile, décollée à quelques centimètres du mur, surimpose ces nébuleuses au monochrome du mur qui l’accueille et, comme l’exposition est baignée de lumière naturelle, les ombres portées s’animent de façon assez hypnoti-sante. Or la même toile devient totalement opaque contemplée en oblique, matière mate ou plus irisée, rappelant la luisance bleutée des charbons anthracites ou les élytres de certains scarabées. D’où cette sensation de modulation dynamique dont le visiteur est le décisionnaire, celui qui dévoile tour à tour une peinture aérienne et lourde, cinématique ou statique, contenue ou dissoute alentour, brouillant complètement les frontières entre espace pictural et espace réel. Une peinture cérébrale qui se dérobe et danse, opu-lente comme un plumage.

Et aussi : « Suspens de Nantes, 2012 », sept peintures / écrans de Cécile Bart en suspension dans la trémie centrale des Galeries Lafayette de Nantes. Une œuvre pérenne réalisée dans le cadre du Voyage à Nantes.

Au musée des Sables d’Olonne, les artistes réunis pour « Explorateurs » traquent l’inconnu du réel, l’aventure des confins, la découverte d’horizons nouveaux autant géographiques qu’intimes : d’El Salto Angel au Venezuela (Dove Allouche) à Luang-Prabang au Laos (herman de vries), de l’Écosse au Portugal (Marcel Dinahet), du Mont-Blanc inframince (Julien Discrit) à la Montagne sans nom au Pandjsher Valley, en Afghanistan (Marine Hugonnier), des cartographies stellaires (Luigi Ghirri et Claudio Parmiggiani) aux coordonnées GPS des deux îles dénommée Inaccessible en Atlantique et en Antarctique (Charles Lopez)…

Sébastien Faucon et Gaëlle Rageot-Deshayes, les commissaires de l’exposition, se muent en découvreurs-chercheurs et trouvent ici un terrain de jeu idéal qui soulève le parallèle incontournable entre la démarche artistique et l’exploration au sens large, physique, mentale et psychologique. Des défis du voyage en révélations de terres secrètes, en présentant une trentaine d’œuvres issues des collections du CNAP, le parcours de l’exposition s’ingénie à troubler l’imaginaire, à questionner notre rapport à la nature, au paysage, à notre dasein.

Loin des récits de voyages épiques et rocambolesques, ces « explorateurs » offrent des formes à la fois conceptuelles (Fulton, Lopez, Kawara…), imaginaires (Berdaguer & Péjus, Parmiggiani, Discrit, Kuitca, Hutchinson), documentaires (Tixador & Poincheval, Renaud, Ghirri) et littéraires (Abdessemed, Dinahet, Detanico & Lain, Talec) déviant subtilement la réalité géographique vers l’inconscient, la solitude et le silence.

Relevés topo- et cartographiques, traversée des mers, contem-plation des montagnes, explorations souterraine et sous-marine, fragments de météorites, constellations… Une utopie mystérieuse de l’exploration est à l’œuvre, empreinte de la représentation à la fois poétique et politique de nouveaux espaces-temps fascinants. À l’image de la carte blanche donnée à l’écrivain Alberto Manguel et de la Bibliographie suggestive1 dans le catalogue de l’exposition, laquelle de l’Odyssée d’Homère à l’exposition Voyage Voyage conçue

par Albertine de Galbert traverse magistrale-ment deux mille ans d’écrits, de cinéma, de conférences, de traités et d’atlas…

Œuvres du CNAP de Martine Aballéa, Adel Abdessemed, Pierre Alferi, Dove Allouche, Berdaguer & Péjus, Biosphere, Andrea Blum,

Vija Celmins, herman de vries, Angela Detanico & Rafael Lain, Marcel Dinahet, Julien Discrit, Hreinn Fridfinnsson, Hamish Fulton, Luigi Ghirri, Kristjan Gud-mundsson, Sigurdur Gudmundsson, Marine Hugonnier, Peter A. Hutchinson, Anne Marie Jugnet, On Kawara, Guillermo Kuitca, Charles Lopez, Claudio Par-miggiani, Pratchaya Phinthong, Abraham Poincheval & Laurent Tixador, David Renaud, Vladimir Skoda, Nathalie Talec. Commissariat : Sébastien Faucon et Gaëlle Rageot-Deshayes.

Cécile Bart, Papagayo — Galerie de l’École d’arts du Choletais, Cholet du 6 octobre au 29 novembre 2012par Eva Prouteau

Explorateurs — Musée de l’Abbaye Sainte-Croix, Les Sables d’Olonne,du 8 juillet au 10 novembre 2012par Mai Tran

1 Écrite par Stéphanie Fargier-Demergès (CNAP), mise en forme par les graphistes du collectif Müesli, Paris.

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Sur la pointe est de l’Île de Nantes, un lycée à vocation internationale ouvrira ses portes à la rentrée 2014. C’est l’architecte parisien François Leclercq qui a remporté le concours, avec un bâtiment de 25 000 m2 conçu autour d’une vaste halle lumineuse rappelant symboliquement celles des chantiers navals. Dans cet espace, l’artiste Claude Rutault implantera son tout dernier projet, qui vient d’être sélectionné dans le cadre du 1% culturel par la Région des Pays de la Loire, maître d’ouvrage de l’établissement.

Comme Claude Rutault l’exprime avec limpidité, chez lui toute peinture commence par l’écriture. Une nouvelle définition / méthode, texte programmatique qui définit un résultat pictural à atteindre, sera — et c’est une première — mise en avant et lisible un peu partout dans le lycée, traduite en une quarantaine de langues en résonance avec la vocation internationale de l’établissement. Une phrase de Paul Celan : « Élargir l’art ? Non. Prends plutôt l’art avec toi pour aller dans la voie qui est le plus étroitement la tienne. Et dégage-toi. » Claude Rutault considère cette phrase comme « une méta-définition / méthode qui va appeler les élèves à une participa-tion active. »

En effet, chaque lycéen cohabitera quotidiennement avec une ma-trice de mille cinq cents toiles placées au sol dans la halle centrale et pourra en emprunter une pour une durée déterminée afin d’y pein-dre ce qu’il désire. Aucune toile ne sortira du lycée. L’élève pourra ensuite exposer sa réalisation sur un mur de l’établissement, visible par tous, pour deux jours, trois mois ou une année scolaire, selon ses vœux. Passé ce délai, il recouvrira la toile de blanc et la replacera dans la pile, participant de ce fait au work in eternal progress.

Claude Rutault va choisir une douzaine de couleurs différentes pour peindre certains murs du lycée qu’il investira avec des petites toiles peintes de la même couleur que le mur et qui, par un système de bandes auto-agrippantes, feront aussi office de clous pour suspendre les réalisations des élèves. La signature de Claude Rutault devient diffusément omniprésente autant qu’instrumentalisée, rendue fonctionnelle et ponctuellement invisible. Une forme d’humour, et un recul certain de l’artiste vis-à-vis de sa propre pratique.

Hydre à plusieurs têtes, le projet comporte également un grand parallélépipède en plexiglas, sculpture-enveloppe contenant à nou-veau mille cinq cents petites toiles (mille cinq cents est le nombre de lycéens qui seront accueillis dans le nouvel établissement). Chaque élève recevra en quittant le lycée l’une de ces toiles brutes, non préparées. « Je suis confiant, dit Claude Rutault. Sur le tas, certains vont en faire quelque chose, de ces toiles. »

Claude Rutault sur l’Île de Nantespar Eva Prouteau

Philippe Mayaux, Savoureux de Toi, 2006,Courtesy Galerie Loevenbruck. Photo : Fabrice Gousset

Comme pour aller directement à l’essentiel, « MMMMM… ! » s’ouvre sur une œuvre comestible signée Daniel Nadaud : un coffret de chocolats dont le couvercle s’orne d’une mouche verte, hôtesse usuellement familière des corps en décomposition. Voilà qui a le mérite d’être clair : derrière le thème de la gourmandise qui habille l’ensemble de cette exposition, c’est plutôt la nourriture comme métaphore érotique et thanatique du corps qui s’envisage ici. Bien sûr le visiteur est invité aux plaisirs de la table : vaste patchwork photographique d’Hervé le Nost où tournoient des verres de cristal sous le ciel bleu de Guyane, précieuse greffe de coquillage nacré et de service à thé réalisée par Daniel Nadaud, ou encore Do you moules à merveilles ?, œuvre collective généreuse signée Laurent Moriceau qui orchestra une performance-dégustation le soir du vernissage, armé de ses curieux appareils à sculpter la pâte. Toutefois, l’exposition aborde aussi la nourriture comme double confus de l’organisme, qui évolue dans l’obscurité du corps humain et de ses fantasmes. La tension ou l’affrontement sont dès lors assez présents : chez Daniel Nadaud, la bonne chère est aussi la chair qui nourrit les canons du côté de Verdun ou d’Alfred Krupp (Cuisine de guerre, 2011) ; dans les vidéos de Cécile Benoiton, corps alimentaire et humain font surgir l’excès, lorsqu’une tomate cœur de bœuf explose sous la pression d’un coude ou qu’une tartine disparaît sous un trop-plein de beurre. Quant aux rituels impeccables de Philippe Mayaux, ils tiennent la place d’honneur avec des sculptures-pâtisseries cannibales présentées sous cloche, feuilletés de tissus humains, vulves-moules, pieds ou langues sectionnés, charlottes de doigts, le tout traité chromatiquement sur le mode Nutella / rose bonbon. Savoureux de toi, Desirium très belle : ces confiseries morphologiques entrent en résonance avec les deux photographies de Natacha Lesueur qui montrent des aspics — spécialité culinaire moulée en gelée — appliqués sur le corps humain : le même double-mouvement de séduction / répulsion, d’érotisme / vanité s’y ressent. Enfin, à l’étage du centre d’art, les vidéos de Claude Closky et d’Hans Op de Beeck achèvent d’asseoir l’ambiguïté : le premier propose un cut-up de bouches « vues à la TV » qui ingèrent des aliments à l’envi, mimant le trop-plein de notre souriante société jusqu’à la nausée ; le second dresse le portrait de trois tablées – un enterrement, un mariage, un anniversaire — où les travellings circulaires au ralenti saisissent sur un air tragi-comique l’absurdité de ces moments de convivialité forcée. Éclatante solitude, aux antipodes du désir buccal primitif : fondre le corps de l’autre dans le sien.

Art de vivres — MMMMM… ! Centre d’art contemporain de Pontmain, du 20 octobre au 2 décembre 2012par Eva Prouteau

Au Musée des Beaux-Arts d’Angers, l’exposition « Corrélation » réunit les œuvres de trois jeunes artistes aux parcours et aux productions de prime abord éloignées, et dont le seul point commun semble le passage par l’école des beaux-arts d’Angers, qu’ils y aient effectué leur scolarité (Vincent Mauger, Roman Moriceau) ou y aient enseigné (Raphaël Zarka). Selon les commissaires, Christine Besson et Christian Dautel, leurs œuvres seraient « corrélées », c’est-à-dire, selon une définition courante, qu’elles seraient fortement dépendantes et même, pour reprendre une définition plus fine de la corrélation, que les formes de l’une se-raient « responsables » de celles des autres : belle formule qui permet de dire plus simplement qu’il existe des intrications formelles et des implications conceptuelles qui vont bien au-delà des apparences. Au demeurant, la corrélation apparaît d’emblée plus facile à détecter entre les sculptures de Zarka et celles de Mauger puisque les deux artistes expriment un rapport à la géométrie très prononcé. Si Zarka utilise des formes complexes qui renvoient à un usage savant (au sens ancien du terme) — le rhombicuboctaèdre participant de ce rapport quasi ésotérique au langage scientifique — c’est avant tout dans le but de revisiter les origines du modernisme. Le travail de Mauger renvoie également à des objets que l’on croise rarement dans la vie quotidienne – en cela il est proche d’un Zarka, mais pas pour les mêmes raisons : là où ce dernier pioche dans un réservoir de formes obsolètes, Mauger, au contraire, en crée d’inédites, même si elles ont tendance à tourner autour de figures récurrentes comme les sphères, les hélices ou leurs dérivées dont ils s’ingénie à multi-plier les déclinaisons. Entre Mauger et Moriceau et entre Moriceau et Zarka, la corrélation est beaucoup moins évidente à saisir, le benjamin du trio étant moins affecté que ses aînés par un répertoire identifiable d’emblée, se permettant de se promener à travers des genres très distants, de la sérigraphie à l’huile de vidange aux instal-lations à la peinture phosphorescente. Au-delà de l’utilisation de médiums très différents, il existe chez ces artistes un rapport flagrant à la disparition des images qui se manifeste de manière littérale dans les sérigraphies de Moriceau – utilisant un produit volatil pour ses sérigraphies de plantes en voie de disparition – alors que, chez Zarka, ce même rapport se fait de manière beaucoup plus allusive, référentielle et citationnelle, l’artiste s’employant à ressusciter des formes oubliées. Ce rapport à la disparition existe encore différem-ment dans le travail de Mauger qui consiste la plupart du temps à gommer les saillies de cubes ou autres parallélépipèdes pour faire émerger d’autres formes, opposées car arrondies, (sphères, ellipses), jouant ainsi d’une usure « assistée » des matériaux…

Corrélations — Musée des Beaux-Arts d’Angers, du 25 octobre 2012 au 17 mars 2013 — par Patrice Joly

Roman Moriceau, Gordonia axillaris, 2012, Sérigraphie à l’huile de vidange, 42 x 29,7 cm © Droits réservés

Bruno Peinado, œuvre pour l’Institut de Cancérologie de l’Ouest, 2011 : Sans titre, le jardin aux sentiers qui bifurquent réalisée dans le cadre de l’action « Nouveaux commanditaires »

Claude Rutault, AMZ. Le soleil brille pour tout le monde (Partie A), 1985 vue de l’exposition « Le sourire du chat (opus 2) » au Frac des Pays de la Loire, 2010 — œuvre de la collection du Frac des Pays de la Loire

Il y a des contextes de création plus risqués que d’autres. Il y a les 1% réalisés dans les établissements scolaires, les casernes de pompiers ou les hôtels de ville, qui, par leur symbolique, ne sont pas des bâtiments faciles pour mettre l’art en œuvre, et il y a des commandes plus délicates encore car touchant à des questions extrêmement sensibles comme celles qui s’inscrivent dans les hôpitaux ou les maisons de retraite. Fruit d’une alliance entre les Nouveaux Commanditaires et la commande publique, l’œuvre destinée à créer « un espace apaisé et stimulant »1 pour le nouvel Institut de Cancérologie de l’Ouest fut de celles-là. Confiée à Bruno Peinado, cette réalisation fut un véritable défi : comment concilier un environnement a priori inhospitalier pour l’art contemporain avec « le désir d’une œuvre vivifiante » émis par les patients ? Comment s’insérer, comme le demande le cahier des charges, dans les « espaces d’attente et de circulation », des espaces que l’art a tendance à fuir et à laisser aux designers ?

Sans titre, le jardin aux sentiers qui bifurquent est une réponse foisonnante à ces questions, une réponse labyrinthique qui pour autant n’élude pas les problématiques en jeu. Empruntant son titre à

une célèbre nouvelle de Jorge Luis Borges réputée pour être le premier texte traitant de l’hypertexte qui, tout en métaphores et en périphrases, réussit à cerner son sujet sans jamais en mentionner le nom, l’œuvre se pare avant cela d’un « sans titre » générique à propos duquel Mick Peter dira : « Nul titre d’œuvre d’art ne fut mieux imaginé pour éveiller la curiosité et attirer le regard. »

C’est un réseau de lignes convergentes, divergentes et parallèles, une arborescence aux couleurs franches très inhabituelles dans un espace clinique théoriquement teinté de beige et de gris, qui se déploie dans tout l’institut. Ce pourrait être un arc-en-ciel qui aurait touché terre et aurait essaimé sous toutes les formes à sa disposition : s’éployant en une marqueterie au sol sur plus de 600m2 par étage, se révélant au travers d’une trentaine de caissons lumineux installés au plafond, s’étirant aux murs des petits boxes d’attente en de grands wall paintings, émoustillant jusqu’aux couleurs des rideaux et des banquettes, il offre aux soignés et aux soignants un territoire d’exil intérieur possible autant qu’un lieu de passage entre le médical et l’extérieur qui tient plus de la communication que de la simple circulation.

Bruno Peinado, Sans titre, le jardin aux sentiers qui bifurquent à l’Institut de Cancérologie de l’Ouest, Saint-Herblain. par Aude Launay

1 Voir à ce sujet le livret d’accompagnement de l’œuvre édité par l’association Entre-deux, médiateur-relais en Pays de la Loire pour l’action des Nouveaux Com-manditaires de la Fondation de France. À travers les Nouveaux commanditaires, la Fondation de France permet à tous les citoyens qui le désirent, isolés ou regrou-pés, de prendre l’initiative d’une commande d’œuvre à un artiste contemporain. L’originalité du dispositif repose sur la collaboration entre trois acteurs : l’artiste, le citoyen commanditaire et le médiateur culturel agréé par la Fondation de France, accompagnés des partenaires publics et privés réunis autour du projet.

2 Mick Peter, « Actes du colloque Voyage autour de ma chambre (Conférence dans un institut non spécifié situé dans l’“Eurozone”) », Bruno Peinado, Myself, Me & I, Éditions Casino Luxem-bourg, 2012, p. 92.

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02.2 Comment la région aborde-t-elle les problématiques spécifiques liées aux arts plastiques en Pays de la Loire ? Quels outils ont été mis en place ?

A. G. La première chose que nous avons faite en 2004 a été de reconnaître la place des arts plastiques et visuels dans la politique culturelle régionale et la nécessité d’un soutien renforcé au secteur. Nous avons développé une politique en direction des artistes par des aides à la création, en direction des lieux de diffusion avec une aide aux centres d’art et à la résidence, et en direction des associations qui favorisent la diversité des expressions artistiques et la présen-tation de jeunes artistes. En 2009, nous avons mis en place la Conférence régionale de la culture (CRCC) afin de faire travailler ensemble acteurs culturels et collectivités publiques pour construire des politiques cul-turelles de façon partagée. Au sein de la CRCC, les différentes composantes du secteur arts visuels sont représentées dans une commission sectorielle. Cette commission a travaillé sur les conditions d’exercice de l’activité artistique en région, en particulier sur les lieux de travail pour les artistes et sur l’aide à l’édition d’une première monographie.

02.2 Quels sont les autres projets que la région envisage de soutenir ou de mettre en œuvre dans les années à venir ?

A. G. Nous venons de créer un soutien aux lieux de travail individuels et collectifs. Cette aide est expérimentale et elle pourrait con-naître un développement, en lien avec d’autres collectivités territoriales. Plus globalement, nous voulons contribuer à la structuration de la filière

arts visuels dans la région par une organisation plus collective du secteur. Celle-ci s’engage dans le cadre de la CRCC. Une enquête d’observation participative et partagée, coordonnée par l’agence AMAC, doit permettre aux acteurs de disposer d’une vision de la réalité socio-économique du secteur et de l’organisation de l’activité à l’échelle régionale.Par ailleurs nous avons relancé le 1% dans les établissements construits par la Région. Nous réfléchissons actuellement à une meilleure valori-sation de l’ensemble des œuvres produites ; cette collection publique est trop peu connue.

02.2 Ne pensez-vous pas que la part des arts plastiques est souvent minimi-sée dans sa contribution au dynamisme et à l’attractivité d’une région ?

A. G. Les grands événements misant sur l’art contemporain dans l’espace public ont permis de démontrer l’intérêt du public pour cette forme de création et ont encouragé une fréquentation des espaces spécialisés tout au long de l’année. De surcroît, l’action menée tout au long de l’année par le FRAC, les lieux de diffusion et les galeries privées, constitue un élément de dynamisme. L’observation devrait permettre de révéler l’existence d’une « filière à part entière » de l’art contemporain. Cette photographie don-nera une vision plus précise du dynamisme des arts visuels en Pays de la Loire.

02.2 Comment se manifeste votre intérêt pour les arts plastiques, allez-vous voir des expositions, êtes-vous collectionneur ?

A. G. Par goût personnel, je m’intéresse aux expositions présentées dans la région et aux initiatives qui concourent à faire connaître le travail des artistes plasticiens. Je prof-ite également de mes déplacements profession-nels et personnels pour découvrir des expositions et des lieux dédiés à l’art contemporain, et ainsi comparer avec la situation en Pays de la Loire. Nous avons la chance d’avoir dans la région des passeurs de l’art contemporain qui s’engagent fortement pour favoriser la rencontre entre les publics et les artistes, je pense notamment au cen-tre d’art de Pontmain ou à l’association Bézard-Le Corbusier à Piacé le Radieux, que j’ai découverte cette année •

Entretien avec Alain Gralepois — vice-président à la culture et au sport au Conseil Régional des Pays de la Loire par 02point2

Alain Gralepois est le vice-président à la culture et au sport au Conseil Régional des Pays de la Loire. À ce titre il participe à la définition des orientations de la politique culturelle régionale et veille à leur mise en action. Depuis quelques années, le Conseil Régional a engagé plusieurs chantiers concernant les arts plastiques après avoir débroussaillé quelques dossiers sensibles au sein d’une commission spécialement créée à cet effet au sein de la Conférence régionale consultative de la culture.

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