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Faut-il réhabiliter l’ordinaire ? La culture du XXe siècle a proposé une réflexion inédite sur les rapports entre le langage artistique et la réalité qui nous entoure. La banalité de la vie ordinaire va en effet cristalliser une part importante des pratiques créatrices : l’obligation de réinventer le monde passe désormais par le refus des codes et des normes et par un reclassement des choses selon une vision inscrite dans la réalité et le quotidien les plus communs parfois. Au « Grand Art », succèdent de nouvelles approches esthétiques marquées par un contexte historique, social et institutionnel s’absorbant dans l’histoire matérielle : alors que traditionnellement l’ordinaire ne se destine jamais à l’extraordinaire, deux domaines non faits l’un pour l’autre, les artistes et les écrivains cherchent moins l’absolu, l’excellence, l’idéal, le sublime, le transcendantal, que l’affirmation d’un « parti-pris des choses » : tendre vers une compréhension de l’ordinaire et du banal. Un « art sans importance » ? Un mouvement comme le Ready-made, au début du XXè siècle, en élevant « l’objet manufacturé au rang d’objet d’art […] [a] introduit l’artefact vulgaire dans le monde de l’esthétique » et entraîné conséquemment un profond brouillage des représentations à tel point qu’on pourrait parler d’une perte d’identité de l’œuvre d’art : le banal, l’ordinaire, le trivial sont-ils à même d’exprimer la dimension symbolique et spirituelle que l’artiste assignait jadis à l’art ?

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Faut-il réhabiliter l’ordinaire ?

La culture du XXe siècle a proposé une réflexion inédite sur les rapports entre le langage artistique et la réalité qui nous entoure. La banalité de la vie ordinaire va en effet cristalliser une part importante des pratiques créatrices : l’obligation de réinventer le monde passe désormais par le refus des codes et des normes et par un reclassement des choses selon une vision inscrite dans la réalité et le quotidien les plus communs parfois.

Au « Grand Art », succèdent de nouvelles approches esthétiques marquées par un contexte historique, social et institutionnel s’absorbant dans l’histoire matérielle : alors que traditionnellement l’ordinaire ne se destine jamais à l’extraordinaire, deux domaines non faits l’un pour l’autre, les artistes et les écrivains cherchent moins l’absolu, l’excellence, l’idéal, le sublime, le transcendantal, que l’affirmation d’un « parti-pris des choses » : tendre vers une compréhension de l’ordinaire et du banal.

Un « art sans importance » ?

Un mouvement comme le Ready-made, au début du XXè siècle, en élevant « l’objet manufacturé au rang d’objet d’art […] [a] introduit l’artefact vulgaire dans le monde de l’esthétique » et entraîné conséquemment un profond brouillage des représentations à tel point qu’on pourrait parler d’une perte d’identité de l’œuvre d’art : le banal, l’ordinaire, le trivial sont-ils à même d’exprimer la dimension symbolique et spirituelle que l’artiste assignait jadis à l’art ?

Marcel Duchamp « Fontaine » (détail), 1917

Marcel Broodthaers, « grande casserole de moules », 1966

Nourrie du plus banal de l’existence, cette nouvelle expressivité, si elle confère à l’ordinaire la prééminence sur l’extraordinaire, implique l’évacuation de tout lyrisme personnel et de tout préjugé conceptuel. À ce titre, Marcel Broodthaers (Bruxelles 1924 — Cologne 1976), célèbre artiste plasticien belge organisera ainsi en 1969 une exposition à l’intitulé très révélateur : « Vers un art sans importance ? ». Selon lui, l’art ne doit posséder aucune grandeur particulière.  Dès lors, il ne répond plus à la définition que l’artiste lui assignait par le passé : transformer la réalité ordinaire à l’image de ses rêves.

Pour autant, ce choix du banal possède un paradoxe fondamental : « obliger le spectateur à considérer le banal comme digne d’intérêt. Ce faisant, réfléchir à la qualité même de la banalité, au demeurant censée être dénuée de qualité » |Paul Ardenne|. Le travail sur le réel amène donc à une forme artistique résolument nouvelle qui vise non seulement à faire sortir l’art de sa tour d’ivoire pour l’ouvrir sur le monde, mais aussi à métamorphoser l’ordinaire afin de retrouver l’extraordinaire des choses.

Redécouvrir les choses, réévaluer le banal

D’origine hongroise puis naturalisé américain, André Kertész (1894 Budapest — 1985 New York) est un représentant majeur de l’avant-garde photographique à Paris durant l’entre-deux guerres. Considéré par Henri Cartier-Bresson comme l’un de ses maîtres, il a magistralement montré dans son œuvre combien le choix des sujets les plus banals ou les plus banalisés correspond à une nouvelle approche du réel qui, si elle confère à l’ordinaire la prééminence sur l’extraordinaire, oblige à redécouvrir les choses et à réévaluer le banal.

André Kertész, « La fourchette » (épreuve gélatino-argentique), 1928 Paris, Musée national d’Art Moderne

L’extraordinaire n’est plus ce qui est hors de l’ordinaire, de l’ordre commun ou de la mesure commune : il est dans l’ordinaire même, dans ce qu’on ne remarque plus, tant on y est habitué…

Observez cette scène : n’est-elle pas en apparence tout ce qu’il y a de plus banal ?  Et pourtant avec quel art le photographe parvient à transmettre une émotion, des sensations, bref un humanisme : le travail sur le cadrage, la lumière, les ombres portées, le champ et le hors champ, etc. donnent à voir et à penser autrement la réalité. Dans l’ouvrage qu’elle a consacré à Kertész³, Évelyne Rogniat dans son chapitre 6 dit ainsi :

« Quand Kertész se promène dans Paris et photographie au hasard de ses déambulations, il élabore des clichés qui mêlent banal et merveilleux : banals les décors, les situations, les

événements […]. Or, de l’un à l’autre se manifeste le surgissement dans cette quotidienneté sans histoire, d’un élément perturbateur et enrichissant, qu’on peut appeler le Merveilleux, sujet d’étonnement, de réjouissance, petit miracle. […] il donne sens à l’insignifiant : non pas sens conçu comme un message explicite, mais comme proposition à l’intelligence et à l’imaginaire […]. »

3. Evelyne Rogniat, André Kertész : le photographe à l’œuvre, Presses Universitaires de Lyon/Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1997,

L’extraordinaire n’existe que dans la conscience que nous en avons…

Comme nous le voyons, il n’y a pas intrinsèquement et objectivement d’extraordinaire : l’extraordinaire est subjectif : c’est le regard que nous portons sur les choses, les lieux ou les êtres, c’est-à-dire l’appropriation et l’intériorisation par chacune et chacun de nous d’une réalité existante, « sans histoire ». Et tout à coup, voici que cette réalité prend sens : on la fait sortir du banal et du contingent par le regard que nous lui portons. Ce n’est pas l’objet qui est extraordinaire, c’est le sens que nous lui donnons. Autrement dit, l’extraordinaire n’existe que dans la conscience que nous en avons.

Tel est le rôle de l’art : introduire dans la sphère de la connaissance l’expérience, toujours différente et subjective, d’une situation. Quand nous utilisons quotidiennement une fourchette identique à celle de Kertész, en fait nous ne la voyons même pas car nous sommes prisonniers de la contingence : notre savoir, qui est celui des situations, s’inscrit dans la norme et la finitude. En ce sens, la fourchette n’est pas digne d’intérêt : elle se présente à nous en passant inaperçue tant son insertion dans l’ordinaire est grande.

Mais si maintenant nous portons sur la même fourchette ou sur la « grande casserole de moules » de Marcel Broodthaers, un autre regard, l’objet perd tout à coup sa fonction pour acquérir de nouvelles caractéristiques : il se détache de l’uniformité par le regard que nous lui portons, il prend de l’importance pour nous, et devient événementiel.

André Kertész, Chaises de Paris, 1927

Francis Ponge et l’éloge de l’ordinaire

De nos réflexions précédentes ressort l’idée que l’ordinaire et l’extraordinaire ne s’opposent pas forcément : bien au contraire ! Comme l’a montré le poète Francis Ponge (1899-1988), les choses renferment « un million de qualités inédites », une profusion de richesses insoupçonnées qu’il s’agit de mettre en lumière. Dans Le Parti-pris des choses publié en 1941, il s’est employé à restituer la présence du réel ; un peu comme si la « grande » poésie s’effaçait pour s’inscrire dans le quotidien et l’éloge de l’ordinaire.

« Le Cageot »

À mi-chemin de la cage au cachot, la langue française a cageot, simple caissette à claire-voie vouée au transport de ces fruits qui de la moindre suffocation font à coup sûr une maladie.

Agencé de façon qu’au terme de son usage il puisse être brisé sans effort, il ne sert pas deux fois. Ainsi dure-t-il moins encore que les denrées fondantes ou nuageuses qu’il enferme.

À tous les coins de rues qui aboutissent aux halles, il luit encore de l’éclat sans vanité du bois blanc. Tout neuf encore, et légèrement ahuri d’être dans une pose maladroite à la voirie jeté sans retour, cet objet est en somme des plus sympathiques, – sur le sort duquel il convient toutefois de ne s’appesantir longuement.

Francis Ponge, Le Parti pris des choses, Paris Gallimard, 1942

La poésie telle que l’envisage Ponge refuse donc toute spéculation intellectuelle. Elle suppose au contraire une opération de transfiguration et de transgression des valeurs, des codes artistiques et des habitudes, afin d’atteindre le factuel, le banal, l’ordinaire.

Rendre extraordinaire l’ordinaire

Si traditionnellement, le sublime est élévation d’esprit, le « parti-pris des choses » est de tendre vers une compréhension métaphorique de l’ordinaire et du banal. Dès lors, l’extraordinaire n’est plus ce qui est hors de l’ordinaire, de l’ordre commun ou de la mesure commune : il est dans l’ordinaire même, dans ce qu’on ne remarque plus, tant on y est habitué, c’est-à-dire l’infra-ordinaire, pour reprendre le néologisme de Georges Pérec.

Rendre extraordinaire l’ordinaire afin d’en exprimer le sens symbolique : tel est le but de la poésie selon Francis Ponge. La poésie devient ainsi une des sources possibles d’une nouvelle forme d’art, qui réhabilite une écriture de la quotidienneté et de l’immédiateté, apte à exprimer l’extraordinaire en des termes ordinaires. Mais cette transgression, par laquelle le non-artistique pénètre le domaine de l’art, ce retour aux choses, se révèle sensible à la dimension métaphysique de l’ordinaire : poésie du banal et de l’habituel consistant à renouveler le regard porté sur l’environnement le plus prosaïque afin d’éclairer sa beauté propre, son identité.

Le poète doit ainsi chercher à extraire l’extraordinaire de l’ordinaire, tant il est vrai que l’extraordinaire fait partie de l’ordinaire. Cette alchimie du Verbe amène à une réflexion sur le statut de l’Art : « Car j’ai de chaque chose extrait la quintessence, Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or »… déclare ainsi Baudelaire dans Les Fleurs du mal : l’artiste est celui qui procède à une transmutation du langage, qui vivifie les lieux communs : c’est une sorte de voyage extraordinaire, enivrant et fantastique dans « l’épaisseur des choses ».

Nancy Fouts, « Bird on record player », 2015

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Puiser dans l’ordinaire son contenu extraordinaire…

« Redécouvrir la rareté du banal, l’exceptionnel de l’ordinaire », telle est la force de révélation de l’art. Andy Warhol (1928 –1987) a choisi dans ses sérigraphies de représenter des objets banals, ordinaires, en apparence dépourvus d’originalité et sans intérêt :

A l’alimentaire du quotidien (ainsi les fameuses boîtes de soupe Campbell), répond un art qui célèbre la vie ordinaire : l’objet banal s’introduit ainsi dans l’icône ! Regardez cette boîte de conserve Campbell’s Soup de Warhol ou le portrait de Marilyn Monroe reproduit « à l’identique » à des milliers d’exemplaires grâce au procédé de la sérigraphie : provocation ? Transgression? Ce qui est certain, c’est que cette multiplication banalisante de l’image, ce « culte de l’ordinaire », s’il ouvre la voie à un processus de désacralisation de la culture, amène à une réflexion majeure : par le fait même qu’il est débarrassé des traits de singulier ou de l’extraordinaire, l’objet banal devient original ;

l’ordinaire de la vie quotidienne se charge ainsi d’une « aura » extraordinaire : le combat contre l’institution et les normes qui enferment l’art dans les conventions.

I. L’histoire des arts

Langage, il l'est à part entière : décoratif, narratif, politique, expression d’un sentiment, que cela soit volontaire ou non, il a depuis toujours été le reflet des mœurs et des sentiments d’une époque ou d’une civilisation. Le changement social s’est traduit essentiellement par l’évolution technique et idéologique du système de représentation. Devenu, avec le temps, une science au niveau théorique aussi bien que pratique, l’image s’est dirigée dans de multiples directions, celles que l’artiste a décidé d’explorer.

La notion d’art englobe un vaste ensemble de points de vue : que l’on cherche à idéaliser pour rendre beau ou au contraire à déranger pour exprimer des sentiments liés à la peur ou à l’angoisse, la représentation picturale a su s’adapter à la pensée humaine dans toute sa diversité et sa complexité.

Depuis la Préhistoire jusqu’au début du XXème siècle, l’art a toujours été figuratif, c’est à dire que l’image créée cherche à imiter ce que l’on voit que ce soit d’une manière réaliste ou pas, selon le propos que l’artiste cherche à faire passer. Les sentiments de révolte et d’insatisfaction nés des grands bouleversements sociaux ont modifié cette figuration qui finalement s’écroulera sous les coups de la science.

La découverte des notions d’infiniment grand et d’infiniment petit imposera au peintre le problème de représenter une réalité que l’on sait mais que l’on ne voit pas.

Après des siècles de recherches sur la figuration, s’est imposée la nécessité de mettre en image l’idée subjective, invisible.

Si l’on considère que l’art est né avec l'homme il y a plus d’un million d’années, l’abstraction, elle, n’a que 100 ans. Les deux systèmes de représentation, figuration et abstraction, sont divisés en styles que l’on n'utilisera pas pour emprisonner l’œuvre dans une classification mais simplement pour aider à mieux comprendre l’évolution de ce langage qu’est l’image fabriquée, fragment de l'histoire des civilisations : l'histoire de l'art.

L’art est anarchiste car il s’est toujours créé des règles afin de mieux pouvoir s’en libérer. C’est d’ailleurs la raison de sa perpétuelle évolution, de son changement, en douceur ou avec violence.

La société contemporaine, devenue société de consommation, à fait naître de l’Art, l’art appliqué. De l’artiste est né le graphiste, du dessinateur l’illustrateur. Leur travail est parallèle mais l’influence est réciproque et va quelquefois jusqu’à la fusion des genres. Les moyens modernes liés au numérique n’ont fait que rebondir sur un débat artistique dont l’expression n’est pas prêt de trouver un terme.

Travail : réaliser un résumé en 100 mots ou un schéma du document précédent. 

Document 2.Charles Baudelaire « L’étranger » (1862)

– Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? Ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ?– Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.– Tes amis ?– Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu.– Ta patrie ?– J’ignore sous quelle latitude elle est située.– La beauté ?– Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle.– L’or ?– Je le hais comme vous haïssez Dieu.– Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?– J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages !

Document 5. Campagne Emmaüs 2005

Travail : 

Réaliser une introduction de synthèse ainsi que le plan détaillé du corpus de 4 documents.