: facebook.com/editionsaddictives...

72

Transcript of : facebook.com/editionsaddictives...

Suivez-noussurlesréseauxsociaux!Facebook:facebook.com/editionsaddictivesTwitter:@ed_addictivesInstagram:@ed_addictivesEt sur notre site editions-addictives.com, pour des news exclusives, des bonus et plein d’autressurprises!

Égalementdisponible:

SexyRider

Samueletsasensualitétorriden’étaientpasprévusauprogramme!QuandChloéarriveàLasVegas,laissantderrièreelleuneviemorneetsanscouleurs,elles’attendàretrouversasœurJaneetvivredenouvellesexpériences.MaisJanel’aplantée,probablementsurlesroutesavecsonnouveaumec,etChloédoitsedébrouillerseule…jusqu’àsarencontreavecSamuel.Grand,mystérieux,tatouéetmotard,cethommeàlasensualitédangereusel’entraînedansuntourbillondesensationstorrides.Maisalorsquelesjourspassent,sansnouvellesdeJane,l’inquiétudemonteetChloédécouvreuneautrefacettedeLasVegas,plussombreetinquiétante…Quandtoutlemondetricheetment,Chloénepeutplussefieràpersonne.PasmêmeàSamuel.

Tapotezpourvoirunextraitgratuit.

Égalementdisponible:

ArrogantPlayer

RoseHarpernecroitplusenl’amouretn’apasletempsdeselaissercharmerpardesséducteursimmatures,aussisexysoient-ils!MaisquandparhasardelletombesurCharlie,lerebellebagarreurdontelleétaitsecrètementamoureuseenfant,toutestbouleversé.Aujourd’huiàlatêted’unempire,Charlienesemblemêmepaslareconnaîtreetsonarrogancen’apasdelimite!Roseestfurieusederessentirànouveauuneattiranceirrésistiblepourl’hommedepouvoirqu’ilestdevenu.Maisilesthorsdequestionqu’elleselaissemarchersurlespieds!Elleestdécidéeàdécouvrirtouslesmystèresdurévoltéinsoumis,enretirantl’unaprèsl’autrelesélémentsducostumetrois-piècesderrièrelequelilsecache…

Tapotezpourvoirunextraitgratuit.

Égalementdisponible:

SpicyGames

Aprèsunenuitdesexesensationnelleavecunparfaitinconnu,Camélias’enfuitaupetitmatin.Lajeunefemmeestbiendécidéeànepaslaisserunepartiedejambesenl’airladétournerdesesambitionsprofessionnelles.Candidatedel’émissionKeepCalmandCook!,unconcoursinternationaldecuisineretransmisendirectàlatélé,Caméliaresteconcentréesursonobjectif.Lepremierprixpourraitluipermettred’ouvrirsonproprerestaurant.Maisvoilàqu’aumilieudesplusgrandschefsinternationaux,elleretrouvesoninconnud’unenuit…Alliéouennemi?Amantattentionnéousexybastard?Sousl’œilimpitoyabledescaméras,entresecretsetmensonges,CaméliaetAlessandroselancentdansdesspicygamestorridesoùsexeetsentimentsformentuncocktailexplosif!

Tapotezpourvoirunextraitgratuit.

Égalementdisponible:

Lemilliardaireétait(presque)parfait

Unyachtdeluxe,desinvitésglamour,unemploideserveusebienrémunéré…MadisonSeyneradécrochélejackpot!Artisteetphotographefauchée,elleaquelquesdettesàépongeretcecontrattombepileaubonmoment.Maisentreunechefpsychorigide,unetopmodelnévrosée,unclientpotdecolle,unadodragueuretunegaminecapricieuse,rienn’estsimple!Etcen’estpasAngelDoran,propriétaireduyacht,quiluifacilitelatâcheavecsessouriresmoqueurs,sonhumourprovocantetsabeautésiparticulière.Qu’àcelanetienne,MadisonaimelesdéfisetM.BeauGossen’aqu’àbiensetenir!exsontliésparladécouverted’unsecret.Chacunalepouvoirdedétruirel’autre.Oudelesauver.

Tapotezpourvoirunextraitgratuit.

Égalementdisponible:

Agaçant,sexyetdangereux

CeluiqueBillieprenaitpourl'amantparfaitserévèleêtreunparfaitconnard.P-DGdujournalleplusludeNewYork,SeanCavendishn’apashésitéàrévélerdanssescolonnesqu’elleaeuunenfantdufuturprésidentdesÉtats-Unis!Lescandaleéclate,etlaviedelajeunefemmeestravagée.EllerefuselesexcusesdeSean,luttantcontrelessentimentsetlasensualitéqu’illuiinspire.MaisquandlapetiteCeliadisparaît,Billien’ad’autrechoixquedesetournerversSean.Pourretrouversafille,elleferaitn’importequoi…mêmerenoueravecl’hommequiestàl’originedesonmalheur!

Tapotezpourvoirunextraitgratuit.

EmmaM.Green

CORPSIMPATIENTS

Volume1

ZFIN_001

1.Respire

–Laprochainefoisquetuessurlepointdetefairetatouerlenomd’uneparfaiteinconnuesurlebiceps,souviens-toijustequel’amourn’existepas.Lecoupdefoudre,l’osmoseparfaiteetéternelle,lespetitesétoilesdanslesyeuxetlaguimauvedanslecœur:oublietoutescesconneries,Abraham.

Lesdeuxhommesprésentsdanslasallelèventlesyeuxversmoi,constatentquemesmotsn’ontpasétéprononcésàlalégère,puisreprennentleursactivitésdetatoueuretdetatoué.

–Çafaitunmaldechien,geintmonamienserrantlesdents.–Lemonsieurt’aditderespirer,Abe.–Qu’est-ce que tu crois que je suis en train de faire, Thelma ? grogne le géant en serrant les

poings.

Il faisait bien plus le fier le jour où je l’ai rencontré dans son costume des grands jours, sesfausseslunettesd’intelloachetéespourl’occasionsurlenez.C’étaitdansl’immenseopenspacedelaManhattanInsuranceCompany,ilyaunpeuplusdedeuxmois.AbrahamLawsondébutaitlemêmejobd’étéquemoi– luipour l’expérience,moipour lesdollars.Àvoirsonairsérieux,confiantetparfait sous tout rapport, rien ne le prédisposait à se trouver dans ce salon de tatouage miteuxquelquessemainesplustard,encompagnied’unefillecyniqueetdésabusée.Moi.

–Respire,répété-jed’unevoixplusdouce.

Rien n’y fait, il est toujours aussi crispé. Son beau visagemétis est contracté, il s’empêche degémirmaissoufflecommeunbœufdeKobé.Unelarmeapparaîtaucoindesonœilgauchelorsqueletatoueurattaqueleremplissagedudessin.

–Pourquoiunsablier,déjà?demandé-jeenm’attardantsurlesdétails.–Parcequeletempspasse,inexorablement…–Et?–Etçanetesuffitpas?–Onavingtetunans,Abe.Laviedevantnous.Enfin,c’estcequ’ilsdisent…–Çan’empêchepasd’êtrenostalgique,lâche-t-ilavantd’éructeruncridedouleur.

Le tatoueurauxbrasmulticolores lèveunemainen l’air (samanièrebienà luide s’excuserdefairecemétierdepsychopathe).Puissonenginse remetàgrésiller.Etàmordre lebicepsdemonnouveaucolocpourrecouvrirl’inscriptionetlatransformerenépaissabliernoir.Jemerapprocheenfaisantglissermontabouretàroulettesettapotemaladroitementl’épauled’Abraham.Lescontactshumains,cen’estpascequejemaîtriselemieux.

–Nejamaissefairetatouerleprénomd’unebombeatomiqueauxyeuxdechat!enragecedernier.Mêmeaprèssixshotsetdemidevodka!Etmêmesisonculvautledétour!Quelcon…Cesyeux…

J’auraisdûvoirqu’elleétaitfourbe!–Quoi?ironisé-je.Cassien’étaitpaslafemmedetavie?Qu’est-cequiabienputemettrelapuce

àl’oreille?–Jenesaispas,soupire-t-il,agacé.Peut-êtrelemomentoùellem’adit,unefoisdansmonappart,

quec’estmacolocqu’ellevoulaitsetaper!

Letatoueurlâcheunriregras,jemeretiensdepoufferettentededétendrel’atmosphèredanscettepiècequiempesteledésinfectantetleparfumbonmarché.

–Jazminestcanon,remarque.Aumoins,elleavaitbongoûttaCassie…–C’estaprèsPhoebequ’ellecourait,précise-t-ild’unevoixd’outre-tombe.–Phoebeadesabdosenacier!–Moiaussi!rétorquelebeaugosseenfusillantsonbourreauduregardpourluifairecomprendre

d’yallermollo.J’étaissportifiln’yapassilongtemps!–Ouais,avantdedécouvrirquetuavaisuncerveaudonttupouvaisteservir,murmuré-je.–Ilfautcroirequejel’aioublié,cesoir-là…marmonne-t-ilenconstatantlesdégâtssursonbras.

Le corps sculpté d’Abraham témoigne de son passé d’athlète : pas un gramme de gras, que dumuscle. Ses origines asiatiques (par samère) et afro-américaines (par son père) lui donnent cettecouleurdepeauetcestraitsàtomberparterre.Cequiexpliquepourquoitouteslesfillessontàsespieds.Toutes,saufCassie.

– Bref, quand une personne te laisse un goût amer, il faut l’effacer de ton système, résumé-je.Définitivement.Etçaimpliqueparfoisderecouvriruntatouagemalheureuxparunautre…

– Et les vôtres ? me demande soudain le tatoueur en fixant mes poignets. Très beau boulot,d’ailleurs…

Uneplumequicaressel’intérieurdemonavant-brasgauche,uneflèchequitransperceledroit,dupoignetvers lecreuxducoude.Ellesreprésententmesdeuxfacettes.L’artisteet laguerrière.Je lesregardeuninstant,puiscroiselesbrasdansmondos.Jen’aimepasparlerdemoi.Encoremoinsdemestatouagesetdecequ’ilsm’évoquent.

–Çavaprendreencorelongtemps?demandé-jeaucurieux–quimefaitsesyeuxdelover,avantdelesdescendresurmondécolleté.

–Toutdépenddelui.S’ilarrêtedesecrisperetdebougercommeillefait,j’enaipourmoinsdedixminutes.

Moncolocmefixed’unairdésespéré,jepuisedansmesdernièresressourcespourfairepreuvedecompassionetluisourire.

–Abe,tutesouviensdenotredeal?Jet’accompagnepourfairerecouvrirtontatouage,tum’aidesàrapporterlebureauquej’aitrouvéchezlebrocanteurduBronx…

–Hmm,gémit-ildemanièreplusoumoinsvirile,enfermantlesyeuxdedouleur.–Lebrocanteurenquestionfermeboutiquedansquarante-troisminutes.Donctunebougesplus

d’unpoilettutedétends.Compris?

Plusdecompassiondansmavoix.Undeal estundeal.Mêmepasséavecceluique je considèrecommel’undemesraresamis.Quiestaussimoncoloc.Etpresquemonex.

Seulementdeuxnuitsd’oubli.Çanecomptepasvraiment,si?

Non.

–Ouch!semarreletatoueur.Elleneplaisantepas,lajolie.Jecomprendsmieuxl’histoiredelaflèche…

–Ouais,murmureAbe.Jedemandetoujoursàvoirlaplume.Pourquoiest-cequej’aiacceptédevivreavectroisnanas,déjà?

–D’une:personnenem’appelle«lajolie».Dedeux:ilvousresteneufminutes.

Legrésillements’intensifie,jeserrelamaindemonamietlefélicitelorsquelatortureprendfin.Unefoisàlacaisse,letatoueurencaisselesbilletsvertsetmeglissesonnumérodetéléphonesansfairepreuved’unegrandesubtilité.Enluisouriant,jelaisselacartesurlecomptoiretm’empared’unbonbondansleboltransparent.

–Pas le tempspour les distractions, expliqué-je enprenant la sortie.Par contre, je connais unecertaineCassie…

Jevoisl’hommecontrariéseforceràsourirepournepasperdrelaface,puisjedisparaisdesonchampdevision.

–Dis,Thelma?Laprochainefois,tucroisquetupourraisfaireunpetiteffortaveclapersonnequitientmavieentresesmains?semarreAbrahamenmesuivantjusqu’àlastationdemétrolaplusproche.

–Tonbrasesttoujourslà,toujoursaccroché,non?souris-je.–Unmecadûsérieusementtecabosser,toi…–Pasunmec,Abe,lecorrigé-jeenfilantdanslesescaliers.–Qui,alors?–Cetteputaindevie ! soufflé-jeavantdecourircommeunedératée jusqu’audernierwagondu

métrosurlepointdedécoller.

***

Nonseulementlebrocanteurestrestéouvertdixminutesdepluspourmoi,maisj’aieudroitàunepetiteremiseetàdeuxgrosbrasdepluspourtransporterlebureauenboismassifsurles500mètresdeWaltonAvenue.Lemeublepèseune tonne,mais il nem’aquasiment riencoûté et j’ai toujoursrêvédeposséderunvraibureau.Pasuncoindetable,unaccoudoirdecanapéouuncarrédelino,non.Unvraibureau.

L’hommemuetettranspirantquinousaccompagnenousquitteunefoislequatrièmeétageatteint.Tandisqu’Abereprendsonsouffle,pliéendeux,jesonneenappuyantdixfoissurlasonnetteensaleétat.Jazminnousouvrelaporteets’écriedesavoixdecrécelle:

–C’estquoicemonstre?–Monbureau,souris-jeencaressantleboisdudosdelamain.N’est-ilpasmerveilleux?–Thelma…Tachambrefaitlatailledelacagedemonchat!–Tun’aspasdechat,Jazz,soupireAbeenrentrantdansl’appartement.Etj’aipeut-êtreportéce

machinjusqu’ici,maisnecomptezpassurmoipourlerapporterd’oùilvient!

Alorsqu’ilpassedevantelle,Jazminremarqueenfinlepansementblancquirecouvrelebicepsduseulhommedelamaison.Toutens’inquiétant,elleafficheunemouededégoût.

–Abraham,tuesblessé?

Lesyeuxaffolésdemoncolocatairecroisentlesmiensetjecomprendssansqu’ilaitbesoindelementionner:l’affaireCassiedoitresterunsecretentrenous.

–Hum…Quelqu’unm’aideàportermonprécieuxchargementjusqu’àmachambre?souris-jedetoutesmesdents.

–Àtonservice,grommelleleMétisenrevenantsursespas.C’estjusteuneégratignure,Jazz.Riendutout.

–Tonsecretestbiengardé, luichuchoté-jeà l’oreille.Mais si tupouvaisaussim’aiderpour labibliothèque…

J’éclatederireenvoyantsatêtesedécomposer,puisjeluiprécisequec’estuneblague,quejenesuispasunegarce(pasàcepoint,dumoins)etquejeluirendsimmédiatementsaliberté.Monbureautrouve sa place contre le seulmur libre dema chambre riquiqui et je l’admire un longmoment,presqueémue.

Un lit une place. Une penderie vétuste. Un bureau. Une chaise. Voilà tout ce qui occupe monterritoirede1,5m2.

–Onnepeutpluscirculer,là-dedans!rappliquePhoebe,sontablierHelloKittynouéautourdesataille.

–Ilestbeau,hein?luidemandé-jeendésignantmonbureau.–Splendideetabsolumentpasencombrant,lâchelasportive.Cesoir,c’estpizzamaison!Àtable!

Jesuismacopineàlasilhouetted’armoireàglace,toutderosevêtue,jusqu’ausalon.Deslampes,despostersetdesmeublesdetouteslescouleursoccupentl’espacede20m2 .Notreappartementn’est pas immense, loin de là, à peine 65m2 en tout, la tuyauterie est capricieuse et les voisinsbruyants, mais on s’y sent bien. Chez nous. Jazmin recoiffe sa longue crinière, puis apporte lesbouteilles d’eau et de soda.Abe nous rejoint avec les couvertsmanquants.Quand je proposemonaide,onm’ordonnedem’asseoir.

–Tuasbriquétoutelacuisineetfaittoutelavaissellecematin,tucroisquejen’aipasremarqué?mesouritPhoebe.

–Çan’ajamaisétéaussipropre!s’émerveilleJazzenadmirantsonrefletdanssacuillère.–J’aiaccumulépasmald’expérienceenménage,fais-jeenhaussantlesépaules.Etpuisc’étaitune

manièredefairemespreuves…

–Tueslàdepuisunesemaine,Thelma!Tufaispartiedelafamille,mesouritAbe.–Onnepeutplussepasserdetoi,ajouteJazz.–Quatrefromagesoulégumes?medemandelecordon-bleu.

J’optepourlesdeuxetsavourecedîneravecmestroisnouveauxcolocataires.Lejourbaissemaisleniveausonorereste lemêmedanslarue.Àla toutefindumoisd’août, il faitencoretropchaudpourfermerlesfenêtres.Danscettevillefrénétiqueetharassante,l’airfraispasseavantlecalme.

Abe,JazzetPhoebeviventensembledepuisdeuxansdéjàets’ilsontacceptédemefaireunepetiteplace,c’estuniquementparcequ’Abrahamaplaidémacausedurant tout l’été.JazminetPhoebenemeconnaissaientpasetdanslajunglequ’estNewYork,mieuxvautêtreméfiant.Maisàl’issued’uneseulerencontre,lecoupdecœuraétédéclaréetlesdeuxmeilleuresamiesontacceptédetransformerle bureau de la coloc en chambre pour moi. Financièrement, tout le monde était gagnant.Humainementaussi,mêmesij’aiencoredumalàycroire.

Disonsquej’aiquelqueslacunesenmatièredesociabilité…

Venantd’une famillenombreuse,compliquéeetbordélique, je rêvaisd’autrechose.Desolitude,d’indépendance. Mais les loyers étant ce qu’ils sont dans la Big Apple, la question ne s’est pasvraiment posée. 1 200 dollars pour un studiomiteux dans un quartier coupe-gorge ? Nonmerci.2500dollarspourunminusculedeux-piècesàproximitédelafac?Paslesmoyens.Àmoinsdefairele trottoir. Ce qui n’est pas franchement dans mes projets. Contre 600 dollars par mois, j’ai dûm’adapteràcettenouvellevieàquatreetjem’adapteencore.Moiquiaidumalànepasfuirlesgensàlapremièredifficulté,jedoisdirequejen’auraispaspumieuxtomber.Enpeudetemps,cestroisdrôlesdepersonnagessontdéjàdevenusdespiliersdansmavie.

Àdéfautd’avoirdesparentsdignesdecenom…

AbrahamLawson, alias la force tranquille.L’homme loyal, cultivé, doux et délicat, qui poseunregard lucidemaisbienveillant sur toutcequi l’entoure.Malgrénosdeuxpetites incartadesdurantl’été,ilnesubsisteaucuneambiguïtéentrenous.Jenecherchepasl’amour,nilescomplicationsetill’a bien accepté. Il changede conquête chaque semaine,mais ne jouepas avec elles.C’est unmecbien,toutsimplement.L’amitié,voilàcequinousunit.Çaetl’amourdesmots,delalittératureetdelabouffemexicaine.

Jazmin Rasgotra, alias la princesse attachiante dans toute sa splendeur. À vingt-deux ans,l’ancienne reine de beauté occupe évidemment la plus grande chambre de l’appartement. Jazz estsuperficielle, capricieuse, lunatique et elle l’assume. Elle vient d’une famille indienne trèstraditionnelleetcomplètementétouffante.AvecOwen,elleformelecouplestardelafac:«Jazwen».LebasketteuretsabeautéaffichentleurperfectionauxquatrecoinsdeColumbiaetpostentunselfiechaquejour.MaisJazminaplusd’ambitionqueça.Sonbutdanslavie?TrouverlemeilleurpartidetoutelacôteEst.Pournejamaisavoiràapprendreàcuisinercommesamère,àtravaillercommesonpère (parcequec’est tellement fatigant),poursedéplaceren jetprivé,vivreentreManhattanet lesBahamasetavoiruneribambelledetêtesblondesoubrunes.Etmalgrétoutça,elleagagnésaplacedansmoncœur.

Phoebe Sloan, aliasMissMuscles. Ce que Phoebe a de plus féminin ? Son prénom.Ah, et sontablier.Cetteblondebaraquéed’1m82estdroite,pragmatique, terreà terre, toujoursprêteàvoustendrelamain(etàlabroyer).Franchementmasculine,trèsbrutededécoffrage,elleaderrièreelletoutunelignéedeflicsquiontdumalàcomprendresapassionpourlalittérature.Trèssportive(oumaso), Phoebe se lève à 6 heures chaque matin pour faire une heure de sport intensif avantd’engloutirunénormepetitdéjeunerqu’ellefaitfriresousnotrenez.Phoebelerevendique:êtreunefemmen’empêchepasd’aimerlecamping,bricoler,manger,boiredesbièresenregardantlesportàlaTV.Àce jour,saviesentimentalese limiteàunflirtavec lemeilleuramidesonfrère…quienavaitaprèsJazz.

–Demain,larentrée,soupirePhoebeenrepoussantsonassiette.–Tesamisdetonanciennefacnevontpastemanquer?medemandeJazzencroquantdansune

pomme.–Quelsamis?

Touslestroismefixentdeleursyeuxronds,jemelèvedetableetvaism’attaqueràlavaisselle.

Columbia. La deuxième université la plus sélective de tous les États-Unis, après Harvard. Jem’apprête à fouler son sol sacré aux côtés demes colocataires, pour la première fois dema vie.Grâceàunebourseuniversitaire,monrêveestenfindevenuréalité:moiThelmaBellamy,gamineduQueens,promiseàunavenirmédiocre,jemelancedansleprestigieuxcursuslittéraireauqueljenepensaisjamaispouvoiraccéder.Jelaissederrièremoimonquartierpourri,moncommunitycollegeoùs’inscriventlesgossespasassezrichesoupasassezbrillantspourobtenirunebourseetfaireleurentréedansuneivyleague.Mesambitionsallaientau-delàdeceraccourci.J’aiforcémondestinpourenarriverlà.J’aibossécommeunedingue,jouretnuit,jusqu’àméritermaplace.Jusqu’aubout,jen’aipasosécroireàcetransfertentroisièmeannée.

Jen’ycroistoujourspas.J’attendsdemain.

Mon téléphone sonne soudain sur la table. Phoebe s’en empare etme l’apporte dans la cuisineouverte.Enuncoupd’œil,jeprendsconnaissancedequim’appelle:mamère.

–Mercimaistupeuxraccrocherpourmoi?demandé-jeàPhoebeenlevantmesmainsmouillées.–Tuessûre?–Oui.–Çafaitplusieursfoisquejetevoisévitersesappels…Toutvabien?s’inquiètelablondeàvoix

basse.–Tuastoutelanuit?luisouris-jedemanièreforcée.–Siçapeuttesoulager,alorsoui…–Laissetomber.Jen’aimepasfairepitié.–Thelma,murmure-t-elle.Regarde-toi,tuastoutpourtoi!Crois-moi,situmeracontais,j’aurais

peut-êtredelapeine,maisjamaispitié.

Je lui souris, sincèrement cette fois, et hausse les épaules. Phoebe est quelqu’un de fiable, dediscret,jepourraissûrementtoutluiraconterunjour.Maiscesoir,ellen’auraquelerésumé.

–Mamèreest fragile…là-haut, fais-jeen tapotantma tempeduboutde l’index.J’ai troispetitsfrèresdifficilesàgérer.Etunpasséunpeuchaotiqueàdigérer.Voilà.Tusaistout!

–Quelquepart,j’endoute,dit-elledoucement.Maistumeparlerasquandtuserasprête.–Deal,souris-je.Çam’éviteradedépensermonfricdansdesséancesdepsy!–Lesport,çaaideaussi.Situveuxvenirtedéfoulerunmatin,tusaisoùmetrouver!–SituarrivesàmotiverJazz,jesuispartante,ricané-je.–Pfff,soupire-t-elle.J’aiplusdechancesdemetaperBradPittetRyanGoslingenmêmetemps

quedelaconvaincredesebougerlesfesses!

Pasfaux.

–Jevaismecoucher,lesfilles.Àdemain!Onquittel’appartà8h35!nousrappellelemecdelamaison.

–Optionsalledebainsà7heures!s’écrieJazz.–Jeprends8heures,enchaînePhoebe.– Je vaisme doucher ce soir. De toute façon, je vais bosser un bonmoment avant de dormir,

ajouté-je.–Undoublecursus,marmonneAbeenlevantlesyeuxauciel.Fautvraimentêtremaso.–Tuveuxqu’onreparled’unecertaineCassie?sifflé-jeentremesdents.

Legrandmalinplisselesyeuxdedéfi,puisseraviseensouriant.

–Non.Nebossepastroptard.Bonnenuit,Maxlamenace.

Trente minutes plus tard, l’appartement entier est plongé dans le silence et la pénombre, maisl’écrandemonordinateurm’éblouitlesyeuxetrepeintmesmursblancsenbleu.Monbureauétantunpeubancal, j’aidûglisserunpetit tasdefeuillessousundespiedspourlestabiliser.Depuis, ilfaitmonbonheur.Contrairementàmoncoursenlignedemarketing.Sijemultiplielescursus,cen’estpasparplaisir.Mêmepaspardéfi.C’estpourassurermesarrières.Lalittérature,c’estmapassion,maisçanemeferapasforcémentmangeràmafaim.Lebusiness,c’estautrechose.Unevaleursûre.Ce qui explique pourquoi je lis et relis toutes ces pages sur les techniques de commercialisation,jusqu’àatteindrel’épuisementetl’indigestionmentale.

Achevez-moitoutdesuite…Çavautmieux.

Ilestpresque1heuredumatinquandjerejoinsenfinmonlit,aprèsunedoucheexpresseetlaplussilencieuse possible. Les cheveux encore mouillés, je me glisse sous le drap légèrement râpeux,vérifiequemonréveilestactivéetabandonnemontéléphonesurlatabledenuit.Quelquessecondesplustard,ilsemetàvibrer.Leprénomdemamères’afficheànouveau.

«Jill»…

Je décroche,m’attendant au pire,mais c’est finalement la voix demonplus jeune frère quimeparvient.

–Numéro1,tunedevraispasêtreaulitàcetteheure-là?legrondé-jetendrement.–Tunousmanques!lâchelepetitàlavoixaiguë.Revienshabiteravecnous!

–Jenepeuxpas,Sparrow.Jet’aidéjàexpliquépourquoi.Jevaisbientôtvenirvousvoir,maisenattendant,ilfautdormirlanuit.D’accord?

–D’accord,soupirelegarçon.–Promis?–Juré!–Craché?–Vomi!rigolealorslepetit.

Il raccroche et je me retrouve seule, à fixer le plafond fissuré en me demandant pour la centmillièmefoissij’aiprislabonnedécision.Sij’aibienfaitdelaissermestroisfrèresdansleQueens,à une heure d’ici, sous la seule surveillance de ma mère. Une mère souvent absente, abattue,démissionnaire.

J’aigrandiaveccettemère.Jesaisparfaitementlesdégâtsqueçapeutfaire.

Jen’avaispasd’autrechoix.Undoublecursusetdeuxheuresdetransportparjour,cen’étaitpasenvisageable.Maissijesuispartie,c’estaussipoureux.PourleuroffrirleplusvitepossiblecequeJill ne pourra jamais.Une vie décente. La stabilité financière et affective dont ils ont besoin pours’épanouir.Enattendantdefinirmesétudes,jefaisaumieux:j’envoieunchèqueàmamèretouslesmois (moins important depuis que j’ai dû lâchermon job), en espérant que ça l’aidera à tenir. Ànourriretsoignermespetitsfrères,plutôtquesonaddiction.

***

8h31.Abeestdéjàprêt,sonsacàdosentoilebleuedansunemain,lapoignéedelaportedansl’autre. J’enfile ma veste en jean et noue les lacets de mes Converse blanches en écoutant lespiaillementsdesunsetdesautres.

–Jazz,çavaallerlemascara!Phoebe,lacasquettedesChicagoBulls,c’estvraimentobligé?OnestaupaysdesKnicksici!commenteAbraham,outré.

–Plutôtcreverquetrahirlesmiens!semarrelablondeavantdevidersonshakedeprotéinescul-sec.

–Plutôtcreverquedécevoirmesfans!ajoutelabruneenseregardant(littéralement)lenombrildanslemiroirdel’entrée.

– Thelma… Quelque chose à ajouter ? soupire l’homme de la maison, face à sa propreimpuissance.

–Plutôtcreverqu’arriverenretard!

Jem’emparedelapoignéequ’ilvientdelâcheretsorsenpremier.Leparquetduhallcraquesousmespieds.DirectionColumbia.J’enaidesfrissons.

– Je commence par un cours de littérature européenne, nous apprend Phoebe une fois dans lemétro.

–Moiaussi!seréjouitJazzendécouvrantenfinsonemploidutemps.EnsuitetuasShakespeare?–Affirmatif,acquiescelafilledeflics.

Lesdeuxfilleséchangentunhighfive,puissetournentversAbeetmoi.

–Etvous,lesnazes?demandeJazz.–Onadesemploisdutempsdifférentscematin,commencé-je.–Maisonseretrouveà14heurespourlecoursdeMcNeil!souritmonvoisin.

Finn McNeil. Quasiment une légende, pour les passionnés de littérature que nous sommes. Àseulement trente ans, L’Homme (quimérite amplement sesmajuscules) est un auteur surdoué à lacarrièrefulgurante.Déjàsixbest-sellersàsonactif,troisadaptationsaucinéma,desprixlittérairesàneplussavoirqu’enfaire.McNeildonnenonseulementdesconférencesdanslemondeentier,maisilanimeégalementAroundtheWords,émissionpointuemaispopulairediffuséesurungrandnetwork,sortedetourdumondelittérairesuivipardesmillionsdetéléspectateurs.C’estàsedemanders’ilaencoreletempsd’avoirunevie.

Ah,j’oubliais…Sonphysiquevadepairavecsonsuccèsinterstellaire.Traduction:lespécimenestàtomberparterre.

Desimagesdeluis’insinuentdanschacundenoscerveaux.Jazmingémit,puisfaitlamoue,tandisquePhoebetrituresacasquette.Pasdedoute,çasentlajalousieàpleinnez.Etilyadequoi…Mesdeuxcopinesnefranchirontpaslesportesdececoursélitiste.J’aimoi-mêmedumalàcomprendrepourquoij’aiétésélectionnéepourassisteràsesdeuxconférencesparmoispendanttoutel’année,oùseuleuneinfimepartiedesélèvesaétéacceptée.

– Putain, quand je pense que vous avez été retenus… grommelle la sportive en contractant lesmâchoires.

–Seulementtrenteétudiantssurmille,gémitsacomplice.–Qu’est-cequevousavezracontédansvosessais?!–Laissetomber,Jazz,onestfaceàdeuxgéniesquipréfèrentgarderleursciencepoureuxplutôt

quedelapartager…

Jesouris,unpeugênée, tandisqu’Abraham, trèsfierde lui,semarreetnousfaitsignequ’ilesttempsdedescendre.

«116StreetStation».Columbiaapproche…Plusquedeuxruesnousséparent…

Jequittemesacolytesdevantl’entréeprincipaleetplongedanslebain,latêtelapremière.Jefoulel’immensepelousecentrale,croisedesvisagesdéterminés,émerveillés,paniqués,m’aventuredansdepetitesruesoùsurgissent,icietlà,desétudiantsàlarecherchedeleurbâtiment.SituédanslenorddeManhattan,lecampusdeMorningsideHeightsoccupeplusdesixblocksnew-yorkais.Autantdirequejemetslespiedsdansuninfinilabyrintheoùsesuiventdesbâtimentsauxfaçadesblanches,d’autresenbriquesrouges.L’ensembleest terriblementesthétique.L’endroitn’estpasseulementimmenseetgrouillant,ilestmagnifique.

Jepassedevantl’AlmaMater,lafameusestatuedeladéesseMinervequitrônesurlesmarchesdelaLowLibrary,etentendsunétudiantparlerducoursquim’intéresse:

–J’ailittératureanglaiseavecMrsDine.Unevraiechieuseapparemment.Fautquej’yaillesijene

veuxpasêtreenretard!

Leblondselèveetquittesesamisquidiscutenttranquillementsurlesmarchesdelabibliothèque.Lapressionmegagne,jememetsàtrottinerderrièrelui,atteignantenfinlebonblocketlasalledecoursmalindiquée.

Mamatinéepasseàunevitessevertigineuse.J’enprendspleinlesyeux,pleinlesoreilles,jesuisconcentréecommejamais,dansmonélément.Mesdeuxcoursdumatinserévèlentpassionnantset,parchance,nemedemanderontpasunechargedetravailénorme.Jemaîtrisedéjàpresquelesdeuxsujets.

J’aitoujourspréférélesbouquinsàlavraievie.Etçamesertenfinaujourd’hui…

Aprèsavoirgrignotéunsandwichsurlepouce,entêteàtêteavecLePenseurd’AugusteRodin,jeretrouveAbrahamaupieddugrandbâtimentblancetbriquedu118Street.

–Toujoursvivante?–Plusquejamais!souris-je,excitéeparcettepremièrejournée.–PrêtepourMcNeil?–Non…–Moinonplus,avouemoncoloc.

Pendant quelques minutes, notre petit groupe d’étudiants sélectionnés sur dossier se regardesilencieusement,detraversoudansleblancdesyeux,sanstropsavoircequil’attend.Lestressmontegraduellement,jusqu’àcequelagrandeportes’ouvreenfin.

–L’amphithéâtrevousattend!nousannonceunpetithommeaucheveuaussirarequelesourire.

Jeprendsplaceaudeuxièmerang, tandisqu’Abepréfères’installerdevantmoi,aupremier.J’aitoujoursétébonneélève,maisjen’aijamaissympathiséavecmesprofesseurs,jamaisfayoté,cherchéleursfaveursouàêtretraitéedifféremment.«Tropeffacée,enretrait,nesupportepasl’autorité»:c’estcequirevenaitchaqueannéesurmesrelevésdenotes.

L’amphithéâtredecinqcentsplacesestquasimentvide.Personneàmadroiteniàmagauche,sicen’estàplusieurssiègesd’écart.Jen’aijamaisétéfranchementpopulaire,etmêmesansmeconnaître,onm’évite.Et jem’en félicite. J’observe chaquevisageautourdemoi et le compte est bon : noussommestrente.L’aiguilledemamontres’arrêtesurle1,monestomacseserre.Jesorsuneliassedefeuillesblanchesdemagrandebesace,deuxstylos(toujoursêtreparée)etmetslamainsurunpetitpaquetdeM&M’s.

–Sparrow,souris-jeenpensantàceluiquil’aglissélà.

J’ouvre le sachet et croquedansunbonbon.Lepetitdernierdema famillepossèdebienpeudechose,maistoutcequ’ila,illedonnelesyeuxfermés.Unevaguedetendressem’envahittandisquejecroqueunenouvelleboulechocolatée.

Soudain, L’Homme fait son entrée. Il atteint son bureau, sous l’écran géant, pose sa pile de

dossiersetlèveenfinlesyeuxversnous.Sonassistance.Subjuguée.

Sonépaissemassedecheveuxchâtainsetsoyeuxseplacenaturellementsursoncrâne,nicoifféeninégligée,sesyeuxbleusdégagentunedouceintensité,derrièredeslunettesàmonturesnoiresquilerendentaussisérieuxquesexy.Sestraitssontd’unefinesserarechezunhomme,sapeaulégèrementhâlée.Soussavestedecostardnoire,unechemiseblanchesanscravateetplusbas,unjeanbrut.Jesavaisàquoiilressemblait,qu’ilétaitladéfinitionmêmedubeaugosseauregardinsondableetausourire enjôleur : je regardeNBC levendredi soir.Mais jen’avais aucune idéede son aura.Cettechose indéfinissablequiémanede lui. Iln’aplus rienàprouveretpourtant, ilenaencore l’envie.L’airconfiantdeceuxquin’ontpeurderien,sansêtreprétentieux.FinnMcNeiln’apashéritéd’unebeauté classique et ennuyeuse. Sa beauté vous transcende.Me transcende. Elle neme laisse aucunchoix,aucuneéchappatoire:elles’imposeàmoi.DésirercetHommeestunefatalité.

Etjedétestequ’onm’imposequoiquecesoit.

McNeilnouspassetousenrevue.Dupremierautrentième.Sesirisbleusexpressifsseposentsurchaquevisage,l’unaprèsl’autre,dansunsilenceentrecoupédechuchotementstimidesmaisexcités.Moncœurbatplusfortlorsquejeréalisequemontourviendra.Quejesuisladernière,laplusisolée,qu’ilvaforcémentleremarquer.

Etçaneratepas.Jemeretrouveclouéeàmonsiège,tantsonregardestintense.L’Hommemefixeunpeupluslongtempsquelesautres, ilmesemble,penchantlégèrementlatêteàdroite.Dansmoncerveau,unmilliardd’émotions.Jeledéfiedemesbillesnoires,refusantdeluilaissercettevictoire.Ilnesaitpasàquiilaaffaire.Unsourirefugacetraverseseslèvresfines,s’efface,puisleprofesseurmequittebrusquementdesyeux.

Respire,Thelma.

– Les vingt-quatre bibliothèques de Columbia contiennent plus de douze millions de volumes,démarre-t-ilsanspréambule,d’unevoixgraveetpuissantequirésonnedanstoutlebâtiment.

La salle est sous tension. Une tension positive, exaltante, créative. Chacun boit les mots deL’Hommequidétientlesavoiretl’expériencequinousfontdéfaut.Danscettesallesurchaufféedecedébutdemoisdeseptembre,chacundenousrêved’avoirunjourneserait-cequelemillièmedesonsuccès.

–Cemecestuneputainderockstar,entends-jechuchoterAbedevantmoi.

C’estàcemoment-làque jeme fais remarquer.Moiquinesuis jamaismaladroite,quimaîtrisetoujoursmesgestesaussibienquemespensées,j’envoievalsermonsachetdeM&M’s.Lesbonbonsatterrissentsurlesoletroulentjusqu’auxpiedsdeMrBest-seller.

Non.Non.Non…

Si.Sesyeuxseplantentànouveaudanslesmiens,maiscettefoispasdesourire.Sonregard,c’estçaquimechamboule:ilmehappe,n’hésitepasàmefixeràlavuedetous,jusqu’àmefairerougir.Ilsedégagedeluiunelibertéetuneaudacequimefascinentautantqu’ellesm’effraient.Songeur,ilme

détaille encore pendant quelques interminables secondes, puis rompt le contact en s’emparant desdossiersqu’ilasouslamain.

–Jecomptelaisserlamêmechanceàtoutlemonde,reprend-il.Jesuistrèsexigeant,maisjememontretoujoursjuste.

Desregardss’échangent,entrelesétudiants.Moi,jenequittepasmacibledesyeux.L’Hommequiatoutréussi.MêmemesstupidesM&M’ssontàsespieds.

–Peu importe votre parcours, votre passé, votre niveau social, vosmentions aux examens, vosnomsdefamille,continue-t-ilens’adossantàsonbureau.D'ailleurs,jenelesretiensjamais.Jeveuxsavoirquivousêtes,pascequ’onattenddevous.Pourdevenirungrandécrivain,ilfautavanttoutseconnaître.

Nouvelles rumeurs dans l’assistance. FinnMcNeil lève unemain, le silence revient comme parmagie.

–J’ailuvosessais.J’aidéjàmapetiteidéesurcertainsd’entrevousetjevoussuisreconnaissantde vous être ouverts à moi. C’est un travail difficile. Mais pour d’autres, plus rares, le mystèrepersiste.Etmonrôlevaêtredevousperceràjour…

Sesyeuxseposentsurmoi.Moi,lafillebruneauxyeuxnoirsquinesouritpas,toujoursclouéeàsonsiège,quin’apasd’amisetplusdebonbons.

–Quoiqu’ilensoit,nousallonsredémarrerdezéroaujourd’hui.Vousallezoublier toutcequevouspensezsavoirdemoi.Etjevaisoubliertoutcevousavezécrit,toutcequevousavezdit,pasdit,oumaldit…Çaéviteraquelqueshontesàcertains.Quelquesfiertésmalplacéesàd’autres.

Àcesmots,MrMcNeils’emparedenosessaisetlesdéchire,unparun,lentement,avecunpetitsourireencoin,commes’ilyprenaitunmalinplaisir.Lesmorceauxdefeuillestombentenlambeauxàsespieds,volettentlentement,pendantqu’ilégrènesesétrangesexigences:

–Jen’aimenil’arrogancenilamédiocrité.Etjedétestelafaussemodestie.Jemefouspasmaldevotrebagageculturel,devoséternellesexcuses,devospetitessensibilités,decequevousfaitesdevosnuitsoudecequevotrepapavousa répété toutevotrevie, aupointquevousayez finipar lecroire.Àmoiaussi,onamenti.Etiln’yadeplacenipourmonegonipourlesvôtresdanscecours.Vousn’êtespaslesmeilleurs.Lesplusbrillants.Lesgrandsécrivainsdedemain.Pourl’instantvousn’êtes rien.Essayezseulementd’êtrevous-mêmes.C’est toujours leplusdur.Sivousêtes ici,c’estjuste parce que je vous ai choisis. Arbitrairement. Parce que je vous ai trouvés un tant soit peudifférents.Intéressants.Peut-êtrequejemesuistrompé.Àvousdemeprouverlecontraire.

Il nous défie du regard, chacun à notre tour, avec nos proses déchirées, éparpillées par terrecomme si elles ne valaient rien. Un silence pesant s’abat sur l’amphithéâtre. Certains doivent ledétester pour ce geste provocateur, ce discours hors des clous.D’autres doivent admirer son côtérebelle,anticonformiste,quiaimedépasserleslimites.Jenesaispasquoipenser.Unefoisdeplus,jemeprendsenpleinetêtelecharmeetlecharismequiémanentdelui.

Jeredescendssurterrelorsqu’unegroupiedupremierranglèvelamainetluidemandedenousparlerdelui.Leprofesseurrefusepolimentgrâceàunejoliepirouettedontilestmaître,puisreprendson discours. Pendant l’heure qui suit,McNeil parle à ses élèves avec franchise, passion, humour,provocation. Il donne des surnoms à certains, en rapport avec leurs essais, et les rires emplissentl’amphithéâtreàdenombreusesreprises.

Puis vient lemoment d’évoquer sa carrière. Un parfait sans faute, qu’il résume avec beaucoupd’humilité. Je pensais rencontrer un écrivain aussi brillant qu’orgueilleux aujourd’hui, j’avais toutfaux.FinnMcNeilestunovni.Unhommeàpart.Onparleabsolumentpartoutdesondernierroman,Libérées,unthrillerpsychologiquequiprônel’émancipationdesfemmes,maisilnes’envantepas.Aucontraire.

–Les critiques littéraires et les chiffres de vente nourrissentmon compte enbanque, sourit-il àAbequivientdel’interrogersurlesujet.Maiscesontleslecteurs,lesétudiants,lespassionnés,quinourrissentmonimagination,monenvie.Les«vraiesgens».Vousêtesmonmoteur.

J’entendsuneroussemurmurerqu’elleaimeraitbienêtre«sonautrechose»etjelèvelesyeuxauciel.Commentcettegourdeapuobtenirsaplaceparmilestrente?

–Vous,là-bas,faitsoudainleprofesseurenmefixantsansdétour.Qu’enavez-vouspensé?–Jenel’aipaslu,réponds-jehonnêtement.–Pardon?–Paslu,soufflé-jeànouveau,passablementagacéeparmonassurancequifuitfaceàlui.–Levez-vous,onnevousentendpas!sourit-il,amusé.

Sesyeuxmesuiventetmehantent.Jem’exécute,résisteàl’enviedetirersurmonT-shirtcommeunegaminemaldans sapeauetmecontentedeme racler lagorge.Pour rien.Aprèsune seconded’hésitation,mesinstinctsreprennentledessus.Jechoisisl’attaque:

–Jepensaisassisteràuncoursdelittérature,pasàuneréuniondufan-clubdeMrMcNeil…

Desmurmuresoffusquésmeparviennent,parmimes«camarades»declasse.Unpeuplus loin,Abrahammesuppliesilencieusementdemetaireetdemerasseoir,maisjen’enfaisrien.Jecampesurmespositions,droitecommeun«i»,assumantparfaitementcequej’aidit.

Quelquesmètresplusbas,L’Hommeauxyeuxclairsmeregardefixement.Ilretireseslunettes,lesposesursonbureau,àl’envers,etpasselamaindanssescheveux,quisedécoiffentetseremettentenplaceaussitôt.Mêmecegestenonchalant,illemaîtriseparfaitement.D’unevoixcalmeetposée,ilmeremetàmaplacesansavoirbesoind’êtreagressif.

–L’insolencecachesouventbeaucoupdechoses,voussavez?Ellepeutmêmecacherl’essentiel…

Respire,Thelma…

2.McLove

Aprèscettepremièresemaineàlafac,unretouraubercails’impose.Ilmefautuneheureetquartpourallerdelacolocàlamaisonoùj’aigrandi,dansleQueens.Unmétro,untraindebanlieue,unbus. Un peu de marche. Le temps de bien voir les paysages changer : quitter Manhattan et sesbuildingsrutilants,traverserlesquartiersboboduQueens,LongIslandCity,Sunnyside,RegoPark,RichmondHill,pourarriverauxruescradosdeJamaica.Chezmoi.Cetendroitn’ariendefameux,sicen’estqu’ilavucohabiter50Cent,DonaldTrumpetNickiMinaj.Maislesstarsducoinsontpartiesilyalongtemps.

Mamère, elle, n’en bougera jamais. Il faut dire que c’est le seul quartier deNewYork où lesloyerssontencoreraisonnables.Detoutefaçon,ellenebossepas.Ellepayecequ’elledoit,toujoursavec un ou deux mois de retard, en comptant sur les allocations, mes chèques ou les pensionsalimentairesdestypesassezinconscientspourluifaireungosse.Elleestfortequandmême,ilyenadéjàeuquatre.Aucunn’estresté.Monpèreàmois’estbarréavantmêmedesavoirsacopinededix-neufansenceinte.Pourlessuivants,mamères’estprisepourAngelinaJolie:elleamislegrappinsurunColombien,unIrlandaisetunJamaïcain,justepouravoirunefamillecosmopolite,commelesstarsdeHollywood.Elle trouvequeça fait riche.Elleespérait aussi leur faire fairedespubspourBenettonmaismestroispetitsfrèressontbientropturbulentspours’asseoirdevantunecaméraetsecontenter de sourire. Moi je crois que si Jill Bellamy a décidé d’avoir des enfants de couleurdifférente,c’estjustepourpouvoirlesreconnaître.

Jesuis l’aînéeet la seule fillede la fratrie.Lesautresontdûsentir lecoupfourréde la famillenombreuse à gérer, quand lamère a tropbu, trop fumé, trop sniffé, ouqu’elle s’est entichéed’unnouveautypeinfréquentablequivaréveillersoninstinctmaterneletluicréerd’autresproblèmes.Ducoup,lestroissuivantssontdesgarçons:Neo,AnakinetSparrow.Moi,c’estThelma.Oui,mamèrepasse beaucoup de temps devant la télé. Et tous ses enfants portent un prénom inspiré d’un filmqu’ellearegardéenbouclependantsesgrossesses.ThelmaetLouise,Matrix,StarWars,PiratesdesCaraïbes.Jetrouveçaunpeudébile.Maisjemefélicitechaquejourqu’ellen’aitpasaccrochéàLaFamilleAddamsquandelleétaitenceintedemoi.

EntreMercredietMorticia,moncœurbalance…

Quandjefranchisleportailrouilléquin’apasvudepeintureblanchedepuisvingtans,jetombesurmonfrèrenuméroun,l’aînédesgarçons.Neoestassissurlesmarches,torsenu,entraindesefairedessinerdesformesàlatondeusesurlecrâneparsonpluspetitfrère.

–Situmecoupesunboutd’oreille,tuterappellescequejevaistecouper,moi?!menace-t-ilenempoignantl’entrejambedesonbaggy.

–Tupeuxpas,onn’estpasjuifs,luirétorquelepetit,beaucouptropmalinpoursonâge.–Personnenevacirconcirepersonne,confirmé-jeenposantunbisouausommetducranedemon

plusjeunefrèreetunepichenettederrièrel’oreilledugrand.

J’enjambelefildelatondeusetendusurleperronquipasseparlafenêtreouverteversuneprisedusalon.

Neoaquatorzeans,undébutdeboucsurlementon,unfauxdiamantàchaqueoreille,desjeansdixfoistropgrandsetdesdébardeursdeuxfoistropmoulants.Ilnevaencoursquepourfumerdanslestoilettes,graverdesinscriptionspleinesdefautessurlaportedestoilettesoumontrersonboxerquidépasseàdesfillespastrèsmalignes,toujoursdanscesmêmestoilettes.Uneobsessioncommeune autre. Je préfère qu’il soit là que dans la rue, même si le proviseur de son lycée n’est pasd’accordavecmoi.Malgrésonlookdegrosdur,Neoestdugenrelatinlover.Et ilessaietantbienquemal d’endosser le rôle d’hommede la famille depuis que je suis partie.C’est un petit con augrandcœuretausourireenjôleur.

–Ciao,bella!,melancesavoixàlamueencoreincertaine.– Ton père vient de Colombie, lui explique son intello de frère. C’est l’espagnol, ta deuxième

langue.–Etalors?–Tuviensdeparlerenitalien.–Jelesaistrèsbien!mentl’aîné,agacé,pendantquejem’éclipseensouriant.

Danslesalon,jeretrouvemamèreetmonpetitfrèrenumérodeuxdevantlatélé.Dugrosorteil,elleaugmentelesonsurlatélécommandepourcouvrirlebruitdelatondeuse,au-dehors.Puiselles’allumeunenouvellecigaretteaveclemégotencorefumantdelaprécédente.Sonfilsestallongéparterre,enslip,surleventre,danslamêmepositionquelechien,àquiilfaitléchersaglaceàl’eauuncoupsurdeux.

–Beaucoup tropprèsde l’écran,dis-je àmon frère avantde tirer sur sespiedsnoirsde crassepourlefairereculerd’unbonmètre.

L’énorme chien roule ses yeux jaunes et tristes versmoi, l’air de dire : « Traîtresse, tume lepaieras…Dèsqu’ilferaunpeumoinschaud.»Puisilsecontentedeposerlatêteparterreetd’étalersesbabinessurlelinoàlarecherched’unpeudefraîcheur.

Anakinaonzeans,debonnesjouesetdespoignéesd’amoursymétriques,ungrosclébardfainéantpourmeilleuramietautantd’ennemisquecequartiercomptedegaminsdesonâge.Officiellement,ilest«nédepèreinconnu».Maistoutlemondesoupçonnel’Irlandaisduboutdelarue,vulescheveuxorangefluodemonfrère,sesyeuxbleuclairetlesmilliardsdetachesderousseurquiconstellentsonvisageàlapeaupresquetransparente.ÇaluivautquelquessurnomstrèsinspiréscommeCalculette,Peau-Rouge ou encoreMarshmallowMan ouBonhomme deNeige, puisqu’il cumule deux tares :rouxetrondouillard.MaisAnakins’estfaituneraison,ilditqueçanepeutpasvraimentêtrepirequesonpropreprénom,detoutefaçon.Pasfaux.

– Anakin, tu m’aides à trier les chaussettes ? lui proposé-je en attrapant une panière de lingepropremaisapparemmentabandonnédepuisuncertaintemps.

–Ilpeutpas,ilestdaltonien!m’expliquemonfrèrenumérotroisenrentrantdanslamaison.

Sparrow a sept ans, un vocabulaire d’adulte, une mémoire incroyable et une paire de lunettesbleuesauxverresaussiépaisqu’unculdebouteille.Saleetcollante,labouteille.C’estlepetitdernieret legéniede la famille,deuxansd’avanceà l’école,championdesconcoursd’orthographe.Et leseul de nous tous à voir encore sonpère.Un Jamaïcain rasta qui a longtemps été le dealer demamère,avantdeserangerdéfinitivement(maisenoubliantd’emmenermamèreencurededésintox).Ilpasserégulièrementvoirsonfilsdepuisunoudeuxans,luipayedestrucsetespèrereconquérirmamèreaupassage.JeprieJahetBobMarleychaquejourpourqueçan’arrivepas.

–Vienslàquejetecroque!lancemamèreàsondernierfilsavantdemordredanssonbrasàlapeaucaramel,toutentenantsacigarettelepluséloignéepossibledesonvisage.

–Maman,t’escannibale?luidemandeSparrowensedébattantjoyeusement.–Non.J’aijusteenvied’unautrebébéàbouffer.Unbébémétisbeaucommetoi,maisquiditpas

desmotsquejecomprendspasetquiseprendpaspourBarackObamaàsixansetdemi.–J’aiseptans,rectifie-t-iltrèssérieusement.EtjeveuxpasêtreprésidentdesÉtats-Unis.Jeveux

écriredeslivrescommeThelma.–Pour l’instant, jen’écris riendu tout,monchou.Mais tupeuxfaire toutceque tuveuxetêtre

exactementquituveux!luiréponds-jeavecunsourire.–Luimetspasdesales idéesen tête,grognemamère. Ilsaurontpas tous lachanced’avoirune

boursecommetoi.

Ma mère a tendance à oublier que j’ai bossé comme une dingue pour décrocher cette bourseuniversitaire,enplusdemespetitsboulotsetdemescoursparcorrespondance,etquelachancen’arienàvoiravecça.Maisjesaisaussiqu’ellevoitd’unmauvaisœilquejem’éloignedelamaison,quejelalaisseseuleavecsestroisfilsàéleveretsesdémonsàcombattre,quejefréquentedesgenscultivésquirisquentdemefaireoubliermafamille,etsurtoutquejenepuisseplusluifilerlamoitiédema paye chaquemois, vu que je n’ai plus le temps de bosser à côté. Jill Bellamy a le sens dusacrifice…Maissurtoutpourlesautres.

–Bizarrement,tuveuxpasunfilsàlapeaublancheetauxtachesdégueupartout,soupireAnakinavantdeselever,delâchersaglaceàl’eauparterreetdesortirdelamaison,sonsliptroppetitàmoitiérentrédanslesfesses.

Il se prend les pieds dans le fil toujours tendu, tombe lourdement à genoux, débrancherageusementlatondeusequivientdelefairechuteretlabalancedetoutessesforcescontrelemur,avantdes’écroulerpourpleurersurlesmarchesduperron.

–Maisqu’est-cequetuviensdefaire,MarshmallowMan?!s’énerveNeoenallantramassersonenginexplosé.T’es taréouquoi?Putain, tumedois40dollars,mongars !Et arrêtedechouinercommeunbébé!Çafaittremblertesgougouttes!

–Neo,fous-luilapaix!Tousmesfilssontbeaux,OK?!Mêmetoi,Anakin!hurlemamèresanspenserunesecondeàselever.Sparrow,vaconsolertonfrèreavectesbellesphrases!

–Maman,soupiré-je.T’espassérieusepourlecinquièmebébé,hein?–Non,j’aiassezàfaireaveccestroismorveuxjamaiscontents,cettegrandemorveuserâleuseet

cegrosbaveuxlà-bas!Etjen’aipasencoretrouvédeprénomdecinéma.

Elle écrase sa cigarette finie depuis longtemps, augmente encore le son de la télé du bout de

l’orteiletsereplongedanssonfilm,pendantquelechiensetordlecoupourlécherlaglacefondueparterresansavoirbesoindebouger.

Lui,ils’appelleForrest.Maisc’estparcequececlebsesttellementgros,mouetparesseuxqu’onnel’ajamaisvucourir.Quandonl’aramenédurefuge,mesfrèresontpassétroisjoursàluicrier«Cours!Cours,maiscours!»ententantdelefairebougerdanslemini-jardindedevant.LenomdeForrestestvenutoutseul.Cetteénormebêtealepoilrasetbrillant,marronclair,degrandestachesblanchessursoncorpsgrasetempoté,une truffe roseetun regard trèsdoux. Iladumastiffetdudoguemais je pense surtout qu’il est croisémoitié oursmoitié veau. Il n’y a pas que courir queForrestnefaitpas:ilnesaitnis’asseoirnidonnerlapatte,maisc’estlemeilleurpoursecoucher.Partout, tout le temps. Et s’il fait office de chien de garde, c’est juste parce que son énorme têtedépasseduportailblanclesraresfoisoùildaigneselever.

Aprèsunecorvéedechaussettes,unrepaspréparé,descendriersvidés,unetondeuseréparée,lesdevoirs vérifiés et les bobos soignés, je laissemes frères endormis et sereins, prêts pour le lundimatin. Comme tous les dimanches soir depuis que j’ai quitté lamaison. C’est devenu notre petitetradition.Mamère fume sa dernière clope avecmoi sur le perron puisme laisse repartir avec uncynique:«N’étudiepastrop!Unjour,tuaurastropdechosesdanslacervellepourtesouvenirducheminjusqu’ici!»

Safaçonàelledemediremerci.Oudemesupplierdenepas lesabandonner.Jereprendsmonbus,montrain,monmétro.Jemarchejusqu’àlacoloc,crevée.Jedorspresquedéjà.Maisjesaisquejepourraisfairecetrajetlesyeuxfermés.

***

Lelendemain,deretouràColumbiaaprèsunenuittropcourte,jecourspourdéposerundocumentadministratif dans le bureau de la doyenne et arriver à l’heure àmon premier cours. La porte dubureaudeMrsSeymours’entrouvre, j’accélèrepourm’yfaufilermaisL’Hommeensortaumêmemoment,unlivreàlamain.Jefreinedetoutesmesforcespournepaslepercuter,tomberàsespiedsoufairequoiquecesoitd’autredecomplètementstupide,voirecarrémentcliché.Ilmestoppedansmonélanenmeretenantdoucementparlecoude.Etjesuissurprisedesentirsesdoigtsfraissurmapeaunue,malgréles30degrésdehors.Jen’aimepasleshommesausangchaud.Maisjememéfieencoreplusdeceuxausangfroid.

–MissM&M’s,souffle-t-ilavecunsourireparfaitementsûrdelui.

McNeilsaitdéjàquejevaisdétestercesurnom.Etj’hésiteàleluifaireremarquer,ilauraitgagné.Maisneriendirereviendraitàtolérercegenredepetitesremarquesfaciles,àlalimitedusexisme.

Jenesuispastonbonbon,Casanova.

Bon,cen’estpasnonpluscequ’iladit…

Maisjedétestenepassavoircequelesgensontvouludire!

–Vousréfléchisseztrop,meglisse-t-il,commepourm’aideràmesortirdecesilencegênant.–Bonjour,lâché-jesimplement.–C’esttout?s’amuse-t-il,presquedéçu.–Jeveuxbienrécupérermoncoude,aussi.–Ah, ilestàvous?demande-t-ilàvoixbasse, sourireaux lèvres,en laissantglisser sesdoigts

froidsetsesyeuxbrûlantssurmonavant-bras.Jolitatouage…

Cetyperessembleàunsalegosseinsolentenfermédanslecorpsd’unmâlealphadominant.Oualorsàunintellorebelle,untypeanticonformiste,explosif,déguiséenprofséduisant«biensoustoutrapport».Difficileàcerner.Jeretiremaplumedesoussonregardbleuquimedéstabilise.J’auraispréféréqu’il fixema flèche.Ouplutôt qu’il ne regarde riendu tout.Oupas commeça, avec cetteintensité-là.Ilaarrêtédesourire.Etc’estencorepire.Jeplongeàmontourmesyeuxnoirsdanslessiens,justepourmontrerqu’ilnem’impressionnepas.Quejenesuispasdugenreàbattredescilspourobtenirencoreunpeudesonattention,desavoixgrave,desonregardbrûlant,desesmainsglacées.

Pourquoi toutcequi sortde saboucheest aussi teintéd’érotisme?Pourquoi lemoindrede sesgestesinnocentsressembleauxcaresseslesplusindécentes?S’ilfaitçaavectoutessesétudiantes(etc’estprobablementlecas),c’estjusteuneenfluredeplussurterre,unséducteurinvétéréquiabusedeson pouvoir pour remplir son tableau de chasse à rallonge. S’il ne le fait pas (et je pourraiséventuellementluilaisserlebénéficedudoute),alorspourquoiilsecomportecommeçaavecmoi?

Jen’aipasletempsdedécrypterdavantagesesirischangeants,unenuéedefillesauxvoixaiguëss’abat sur«MrMcNeiiiil » commeunessaimd’abeillesquin’apasbutinédepuisdesmois.Et cen’estmêmepasunemétaphore.Elleslefrôlent,luitournentautourpoursetrouverunebonneplace,luibourdonnentdanslesoreilles,s’accrochentàsesbrasenréclamantdesautographes,desscoopssursaviepersonnelleetdesplacespourassisterauprochainenregistrementdesonémission.Alorsqu’ilsouritsincèrement,detoutessesdents,jelevoisreculer,tournersubtilementlespoignetspourdégager leursprises,écarter lescoudespourchercherunstyloà l’intérieurdesaveste,mettre seslunettesàmonturesnoires,àlafoissévèresetsexy,commes’ilajoutaitunebarrièreentresonfan-club et lui. Peu à peu, d’une façon presque imperceptible, il s’impose naturellement pour que sesgroupiesrespectentsonespacevital.Ilestdoué.Etpeut-êtremoinstactilequejelepensais.

Jem’extirpe de cette cohue oppressante, m’éloigne duCercle des Étudiantes Transies d'Amouravecl’impressionquesesyeuxbleusmesuiventànouveau.Jedoismetromper.Monsacmesemblepeser 1 tonne quand jeme remets à courir dans les couloirs. J’arrive essoufflée (et en retard) aucours,m’installe dans un coin inoccupé et sors discrètementmes affaires.En fouillant au fond demonsac,jetrouveledernierlivredeFinnMcNeil.Cetexemplairen’estpasàmoi.Jeregardeaussitôtautour,méfiante,commesionvenaitdemecambrioler,des’introduiredansmon intimité.Mais jeréalisequec’estl’écrivainlui-mêmequivientdemesurprendreenglissantsonromandansmonsacsansquejem’enaperçoive,ilyaquelquesminutes.Enpagedegarde,ilaécrit:

«Pour Thelma, qui n’aurait jamais accepté ce cadeau. En espérant quemesmots sachent voustoucher.Etquevousnefassiezjamaispartiedemonfan-club.F.McN.»

Jesourismalgrémoi.Leséducteurestde retour, saufqu’ilavisé juste.Non, jen’aurais jamais

acceptéqu’ilm’offresonlivre(jeneveuxriendevoiràpersonne).Oui,cesmots-làontréussiàmefaire flancher (et çanem’arrivepresque jamais).Et enfin, jepréféreraismourir sur-le-champquedevenirun jourunegroupiehystérique (mêmepour le type leplus talentueux, lepluscélèbreet leplussexydelaplanète).

Deuxheuresplus tard, jevois lesétudiantsautourdemoise lever : lecoursest terminé, jen’aiabsolument rien écouté, pas pris une seule note et pas relevé une seule seconde les yeux demonbouquin.Captivant.

«Trèsutile,cettebourse,Thelma!Àforcedeteremplirlacervelledemots,tunesaismêmepluscequetufouslà!Onsedemandebienpourquoit’esentréeàColumbia,tupourraisliretouscestrucsdanstachambre!Benquoi,leQueensc’estpasassezbienpourtoi?!»

Voilàcequemediraitmamèredansunnuagedefuméedecigarette.Etpourunefois, justeunefois,savoixdecamionneuseauraitraison.

JereçoisaussitôtuntextodePhoebe:

[Ont’agardéuneplaceàlacantine,commeenCM1.Grouille,yadesfrites.Phoebs]

Ilyatoujoursdesfrites.Jerejoinslacafétériadelafacensouriant(mêmesij’aidéjàunsandwichdans mon sac). En général, je préfère manger dehors, assise sur les marches devant la fac, pourprendre l’air.Etseule,pourmereposerdecettefoulecompacteetoppressantequimerappellemafamilletropnombreuse,lemanquedeplace,laqueueauxtoilettes,ledernierboutdebaconàattraperdanslapoêle,encorebrûlant,avantqu’ilnesoitmangé,latélécommandeàchoperenpremier.

Tantpis.Auself, jeprends justeunebouteilled’eaufraîcheetuneorangeetvais retrouvermescolocatairesattablés(toujoursaumêmeendroit)avecd’autresétudiantsdontlesvisagesmesontplusoumoinsfamiliers.J’attrapelaconversationencoursderoute.

–Normal,ilestbeauàcrever,richissime,brillant…Etlepire,c’estqu’ilneselaracontemêmepas.

–Qui?chuchoté-jeendirectiond’Abraham.–LeprofesseurMcLove,semarre-t-ilenformantdesguillemetsavecsesgrandsdoigts.–Qui?!–TuneconnaispasFinnMcNeil?medemande,outrée,unebrunetteàqueue-de-cheval.–Si,mais…–Surquelleplanètetuvis?renchérituneblondehilare.– Si vous gloussiez un peumoins, je comprendrais peut-être un peu plus, grogné-je dansmon

sandwich.–McLove,c’estlesurnomdeMcNeil,m’expliqueJazminavecunevoixcoquine(etbeaucouptrop

aiguë).Çaluivabien,hein?–Vraiment?Justeparcequ’iladeslunettesdesecrétairesexy?memoqué-jeenfaisantsemblant

denepascomprendrecequ’onluitrouve.– Il a plutôt une belle carrure, pour un mec qui ne fait pas de sport, commente Phoebe,

apparemmentpasd’accord.

–Commenttusaisqu’iln’enfaitpas?demandé-je.–Tunelispaslesmagazinespeopleouquoi?continueladindegloussante.–Pardon,flagelle-moi!rétorqué-jeenluitendantlebras(cequiarrêteaussitôtsonrire,vuqu’elle

necomprendpassijeveuxlafrapperoulecontraire).–Moijeletrouvecanon!décidelabrunecommesil’affaireétaitclose.–Moiaussi,répondentenchœurfillesetgarçonsdelatable.–OK,ladémocratieaparlé,m’incliné-jeenmecachantderrièremonsandwich.–Non,on lesurnommeProfesseurMcLoveparcequ’iladéjàeuplusieursconquêtesparmises

étudiantes,ilparaît,meraconteAbe.–«Ilparaît»?Doncpersonnen’ensaitrien,c’estça?–Elleestlourde,votrecopine!soupireBlondieàquij’aifaitpasserl’enviedeglousser.–IlyadeuxsortesderagotsàColumbia,expliquePhoebeàlanovicequejesuis.Ilyalespetits

potins de couloirs, qui finissent toujours par arriver tôt ou tard.Et les grandes légendes urbaines,commecelle-ci,auxquellespersonnen’osecroiremaisquiserévèlenttoujoursvraiesquandmême!

Toute la tableéclatederireetacquiesce,enyallantdesapetiteanecdotepourconfirmercequiressemble à une règle d’or universitaire : le sexe est partout. Bien caché mais partout. Dans leschambres, les vestiaires, les salles de cours. Entre étudiants, entre profs et peut-être même entreétudiantsetprofs(cequiestà lafois immoralet interdit).Jeneferais jamaisuntrucpareil. Il fautvraimentêtrestupide,avoirdutempsàperdreoutoutunaveniràgâcher.Bravolesgossesderichesetlesprofesseurssurdiplômésetsurpayés!

Soudain, Jazminattrape toute sa chevelurenoirebrillante et la rabatdumêmecôté, puis elle sepenchepar-dessuslatablepours’adresseràsontriodecolocs,surletondelaconfidence.Mêmeenchuchotant,ellearriveàavoirunevoixnasillardeunpeuagaçante.

–Moijesaisquec’estvrai,pourMcLove,sourit-elle,apparemmentfièred’elle.–Commentça?insisteAbraham,intéressé.–J’aipresqueeuuneaventureaveclui,l’annéedernière.–Presque?ironisé-je.–OK,maisçadoitrestersecret…Jepeuxvousfaireconfiance?–Accouche!marmonnePhoebe.–Bon,ons’estjusteembrassésàlaremisedesdiplômes,raconteJazzaveclesyeuxbrillants.Mais

çaauraitpuallerbeaucoupplusloin,jen’avaisqu’àclaquerdesdoigts!–Ett’aseuunecrampedumajeur?memoqué-jesansycroire.– Il embrasse hyper-bien, si vous saviez, continue-t-elle enm’ignorant. Torride ! Il a juste les

mainsbeaucouptropfroides!

Etmerde.Ellenementpas.

Pourquoiçamedérange,aufait?

–Tun’avaispasdéjàquelqu’un,toi?!l’engueulePhoebecommesic’étaitsamère.–Etalors?répliqueJazzcommesic’étaitsapetitesœurpénible.D’ailleurs,Owenm’attend.Salut,

lesnazes!

Jazminrécupèresonsacàmaingrifféetsonkilomètredecheveuxsoyeuxpuisquittelacafètpourrejoindresonpetitami,OwenLamar,lemeclepluspopulaireducampus,unimmenseNoirauxyeuxverts qui adore se balader torse nu et qui se trouve être aussi le capitaine de l’équipe de basketuniversitaire.Autantdireunbonparti.Àcôtédemoi,Abrahamestdéjàpasséàautrechose,c’est-à-direàlablondepasinsensibleàsoncharmeetquiregloussedeplusbelle.Ledécalagemefrappedeplein fouet. D’après ce que Phoebem’a dit et ce que j’ai pu entrapercevoir depuis deux jours, ladraguesembleêtrelesportnationalàColumbia.Etlesexel’optionmajeurechoisieparlaplupartdesétudiants ici. Alors que j’ai du mal à en côtoyer plus de trois à la fois (et toujours avec leursvêtements sur eux). Le dernier mec que j’ai vu nu était un plan cul d’été, qui est devenu moncolocataireetsansdoutecequej’aideplusproched’unami.

Dépitée,jeproposemonsandwichàpeineentaméàPhoebe(quinesefaitpasprierpourlefinir).Maiscequimecoupevraimentl’appétit,c’estplutôtlapetitebouledecontrariétéquiseformedansmonestomac.Sanslevouloir,jeplantemesonglescourtsdanslapeaudemapauvreorange,çamesoulage.JenepensaispasquelaréputationdeMcNeilpouvaitavoirunfonddevérité.Encoremoinsqu’ilchoisissaitsesproiesparmisespropresélèves,alorsqu’ildoitavoirdesmilliersdefemmesetde fansà sespieds. Jemesensbête.Naïve.Dupée.Peut-êtreun toutpetitpeu jalouse.Etcarrémentdéçue.

***

Jenevoulaispasyaller.MaisAbeaobtenuquatreplacespourassisterautournaged’Around theWords,l’émissiontélédeMcLove.Etilparaîtquec’esttheplacetobe,LEtrucànepasraterquandonassisteàsoncoursetqu’onespèresemettredanssespetitspapiers.Jemefouspasmaldespapierset des faveurs d’unmec qui a dumal à garder sa braguette fermée.Et si je suis prête à tout pourréussir,maseulelimiteestjustementdenepascoucher.

Toutemonenfance,j’aivumamères’enfermerdanssachambreavecdestypes,justepouravoirune dose, un peu d’argent, de compagnie, juste pour finir le mois ou pour ne pas être seule àsupporter tout ça. Je ne l’ai jamais vue bosser : elle s’est contentée d’enchaîner les amants et lesenfants,d’encaisserlesallocsetdesereposersurleshommesquipassaientdanssavie.Jeneluienveuxpasvraiment.Jillestbienplusfragile,plusdépendantequemoi.Maisonnepeutpasdirequ’ellem’afranchementservidemodèle.Etquemes«beaux-pères»successifsm’aientdonnéenviedefaireconfiance aux hommes. Jememéfie de tous.Les beaux parleurs, lesmystérieux, les sanguins, lesnonchalants,lesloups,lesagneaux…Etjememéfieencoreplusquandjen’arrivepasàclasseruntypedansunedecescatégories.

C’est la curiosité qui m’a poussée à venir sur ce plateau de tournage avec mes trois colocs.Pendant qu’Abraham passe au laser la gent féminine présente dans le public, que Jazmin bouffeMcNeil du regard et que Phoebe lève les yeux au ciel en fixant Jazz, je découvre cet universfascinant :undécor sublimepouruneamoureusedes livres (unebibliothèquegéante, illuminéedemillefeux),unécrivaincélèbre(etprofesseurd’universitéàsesheures)quidécortiquedesmotsetdesouvragesfacecaméra,dansunesortedetalk-showdécontracté.Cegenredeprogrammecultureln’intéresse jamais personne. Mais Finn McNeil réussit l’exploit de démocratiser la littérature, derendreaccessible etmarranteuneémissionquidevraitpasser tarddans lanuit, quandpersonnene

regardelatélé,delierleslivresqu’ilcritiqueàdessujetsd’actualitéetd’intéressertoutlemondeàcequ’il raconte sans jamais prendre les gens pour des imbéciles. J’ai rarement vu ça à uneheure degrandeécoute.

Biensûr,soncharismeetsonsex-appealdoiventfaireleurpetiteffetsurlaménagèredemoinsdecinquanteansetl’adolescenteexcitéequirentredescours.Maissonhumourcaustique,samodernité,sonparlervraietsonsensde larepartiem’épatent.Malgré les invitésqui l’entourent, ilest leseulmaître à bord, maîtrisant ses sujets puis improvisant avec une aisance déconcertante, sachantexactementcommentprovoquerdesréactionsdanslepublicetderrièrel’écran.

Plusieursfois,j’ail’impressionqu’ils’adressedirectementàmoi.Quesesyeuxbleus,insondablesetcerclésdelunettesnoiresseposentautroisièmerang,justeentreAbrahametPhoebe,justesurmaboucheousurmespoignetstatoués.PuisjeréalisequeJazzdoitsedireexactementlamêmechose.EtqueceMcLoveestbienunaimantàfemmes,unemachineàgroupies,unexcellentbusinessmanquisecachederrièrelapoésiepournepasavoirl’aird’unconnardfini.

– Trente minutes de break ! résonne soudain la voix du réalisateur du talk-show. Retouchemaquillagepourl’invitéenuméro4!

L’Hommequitteleplateauetdisparaîtencoulisse.Autourdemoi,lesgenss’animentetselancentdans de grands débats. Je profite de cette pause pour sortir prendre l’air (mes trois comparses nevoulantsurtoutpasquitterleurprécieuseplace).Jevaism’asseoirdansuncoin,entouréedefumeursauxvoixenrouéesquimerappellentmamère,jeprendsunbaindesoleilsansécoutercequ’ilsdisentpuissorsmescoursd’économie : toutes lesminutessontbonnesàprendrepourréviser,surligner,annoter.

–Onadeschaises,voussavez,meditunevoixgraveetprovocatrice.–Jesuisbienici,réponds-jeenlevantlenezverslasilhouettequimesurplombe.

Mainsdanslespoches,épaulescarrées,costumecintré,taillemarquée,têtelégèrementpenchée:L’Hommeestcharmant,mêmeàcontre-jour.

– Je sais que vous aimez la lumière, mais là vous me cachez tout le soleil, fais-je sur un toncontrarié.

Ilsedécaleàpeine,undemi-sourireamusésursonvisageauxtraitsparfaits.Assezagaçante,saperfection.Seslèvresfinesmaisjolimentdessinées,sesmâchoiresraséesdeprès,sonnezàl’angleviril,songrandfrontquisurplombeunregardvif,intelligent,déshabillant.

– Je croyais que votre truc, c’était les lettres, pas les chiffres, dit-il en décryptantmon cours àl’envers.

–Montruc,c’estjustementdenepaschoisir,rétorqué-jeavecunhaussementd’épaules.–Doublecursus?comprend-il,untonimpressionnédanslavoix.–Oui.–Vousnecroyezpasqu’ilfautfairedeschoix,parfois?Choisir,c’estd’abordrenoncer.–Vous,vousavezbienfinipartoutavoir,non?L’artetl’argent.Lapassionetlaréussite.Jeveux

faireaumoinsaussibien…lanotoriétéenmoins,déclaré-je,àpeineprésomptueuse.–«J’ailesgoûtslesplussimplesdumonde,jemecontentedumeilleur»,ironise-t-ilfaceàmon

ambition.–OscarWildeaaussidit:«Lasagesse,c’estd’avoirdesrêvessuffisammentgrandspournepas

lesperdredevuelorsqu’onlespoursuit»,répliqué-jesansmelaisserdémonter.–Vousferiezunebonneanimatricedetalk-show…Aplomb,culture,espritvif,phrasesprécises…–Nonmerci,lecoupé-jedanssonélandecompliments.Parlerencitations,c’estfacile.Uneforme

deparessedelapensée.Çaévited’avoiràcherchersespropresmots.–Etenvoyerchiertousceuxquivousadressentlaparole,c’estencoreplusfacile:çaévitedese

frotterauxautres…Etdeprendrelerisqued’aimerça.

Savoixfermeetposéeneme laissepas le tempsderiposter.McNeilm’abandonnedans lecoinfumeursetvaàl’intérieur,sansunregarddeplusniuneformuledepolitessepourmettrefinàcettepetite discussion. Son langage familier, sa façon d’arrêter de sourire comme simon impertinenceavaitassezduré,cettemanièredemedirequej’aitrouvéplusrebelleetplusbornéquemoi…Çamelaissesansvoix,commesonnée.

Jedécidede sécher ladeuxièmepartiede l’enregistrement.Sansdouteunpeuvexéed’avoirétéremiseàmaplace.Jen’aipasl’habitude.Encoremoinsparunhomme.Quandjeregagnelegrandstudio d’enregistrement, une bonne heure plus tard, tout le monde a déserté. Des textos sur monportablem’expliquentcequ’ils’estpassé:

[Tournageécourté,McNeilapparemmentpasd’humeur.Onsaitpasoù t’es ! Je t’attendraisbienmaislajolieblackdupremierrangm’attend.Promis,jemeferairientatouercettenuit.Aplus!Abe]

[Tropcourt,tropnul!JevoulaisqueMcLoveparleencore,souritencore,respireencore…Tantpis,jerejoinsOwen.Nem’attendezpascesoir.Bisous,lesnazes.Lovelove,Jazz]

[Espèrequ’ilnet’estrienarrivé.Appellelesflicsplutôtquemoisiproblème.Seraiàlanatation.Dispodansdeuxheuressibesoindecasserlagueuleàquelqu’un.Phoebs]

Je réponds à chacun, reconnaissante d’avoir ces trois énergumènes dansma vie pourme fairesouriremêmequandjesuispassablementénervée.Lenezvissésurmonportable,jecherchelasortie,m’égaredanslescoulissesduplateau,demandemoncheminàunassistanttropoccupéàparlerdansson talkie-walkie,puis surprendsuneconversationderrière laporteentrouverted’une loge.«FinnMcNeil»estécritdessus.

–Jesuistonagent,c’estmonrôledetediretoutça.Tumefaisconfianceoupas?–Jet’aiécouté,Ken,paslapeinederépéterlamêmechoseenmoulinantdesbras.

LeKenenquestionneressemblepasdutoutàceluideBarbie.Petit,doduetàmoitiéchauve,vêtud’un costume rose framboise et de petites lunettes rondes auxmontures blanches, il s’agite d’unefaçontrèsmaniéréeetprendtoutelaplacedansl’entrebâillementdelaporte.

–Tum’écoutesmaistunem’entendspas,darling.Tonémissioncartonne,l’adaptationcinédetonroman te bouffe tout ton temps, le tournage de ton film va bientôt démarrer et je t’ai déjà prévuplusieursconférencesenEuropepourlesmoisquiviennent.Aveclapromoetlesinterviews,tuvastetuerà la tâche,Finn !Laisse tomberColumbia.Çane rapportepas !Regarde-moiça, lescernes te

guettent!–KennethStewart,net’avisepasderecommencersurlefonddeteint,grognel’écrivain.Etjene

feraipasdebotoxnonplus,net’approchemêmepasdemonvisage!–MichaelDouglasetClintEastwoodontcommencéàtrenteans,commetoi.C’esttoutcequeje

dis,baby.–Etàquelmomentdemacarrièrequetuasprévuquej’allaisdevenirunvieuxbeau,déjà?!–Tuesbeaucouptropsexypourça.–Arrêtedemeflatter,Ken.Toutcequejeveux,c’estcontinueràenseigner.Justeunpeu,OK?Ça

me laisse lespiedssur terre,çamenourritbienplusque tout le reste. Jedois rendreunpeudecequ’onm’adonné.C’estnonnégociable.

Fascinéeparcediscourspassionné,jenevoispaslaportes’ouvriretMcNeilsurgirdevantmoi,en chemise blanche déboutonnée, les manches retroussées sur les bras, et ses cheveux châtainsdécoiffés.

–Vousêtesencorelà?souffle-t-il,aussisurprisquemoi.–Jemesuisperdue…–Pourquoiest-cequejen’ycroispasuneseuleseconde?Vousvisezloinetc’esttrèsbien.Maisil

yadeslimitesànepasfranchir,celle-cienfaitpartie.

Il retire rageusement ses lunettes et pointe la porte de sa loge avec le bout d’une branche. Sonvisageestdur,fermé,lesmusclesdesesavant-brastoutcontractés.

IlestVRAIMENTbeauàcrever…

–Jen’écoutaispas,lancé-jepourmadéfense,lecœurbattantetlavoixmalassurée.–Vousmentezmal,MissBellamy.Etilmesemblequevotrepetitamivouscherchait.Lasortieest

parici.

Son bras nu frôle ma joue quand il se tend pour indiquer la direction derrière moi. J’ail’impressionques’ilsmetouchaient,sesdoigtsneseraientpasfroids,cettefois.Etcommejen’aimepasrecevoird’ordres,encoremoinsdeshommesetencoremoinsdeL’Homme,jetentedesoutenirson regard plein de défi pendant quelques secondes. Puis jeme ravise, consciente que je doismeretournerauplusvitesijeneveuxpasqu’ilremarquemonsoufflecourt,letroubleinstantanéqu’ilsuscitechezmoi.

Je capitule en serrant les dents, tourne les talons de mes Converse et hyper-ventile en silencependantquejegagnelasortie.Peuàpeu,moncerveautentedereprendrelecontrôle.

Petit1:ilaretenumonnomdefamille.

Petit2:ilcroitqu’Abrahamestmonmec.

Petit3:cetteidéeal’airdefranchementluidéplaire.

Petit4:oùestmaVentoline,bordel?

3.Confiance

C’est lapanique.J’aipassétoutemasoiréeàdévorerledernierromandeFinnMcNeilpuisunebonnepartiedelanuitàbossersurunexposédemarketing(auderniermoment,forcément).Donc,àen croire l’heure qu’il est etma position actuelle, j’ai fini parm’endormir avec lemanuel d’unetonneécrasésurlenezetjen’aipasentendumonréveilsonner.Cen’estplusseulementlapanique.C’estlamerde.

Jebondisdemonlit,sautepartoutenenfilantlesfringuesquimetombentsouslamain,tentedemebrosser lesdentsenmême temps,maisvu l’heure tardive, j’aidéjà raté lepremiercoursde lajournée.Lepire.Enfinnon,lecontraire.Celuiànepaslouper:laconférencedeMcNeil.Seulementladeuxièmedepuisledébutdel’année,ladeuxièmedemavieetpeut-êtrebienladernière.L’Hommeseraitbiendugenreàm’excluredesonpetitgroupedeprivilégiéspourlaissersachanceàquelqu’und’autre.Deplusponctuel,deplusmotivé. J’entendsdéjà savoixgravemedescendreen flèche.Semoquerdemesambitionsdéjàoubliées.Etjevoisdéjàsesyeuxintensesmefusillerleurdéception,voirepire,leurindifférence.

Vesteenjeanenfiléesurunseulbras,besacegrandeouverteàl’épauleetConversepaslacéesauxpieds,jecoursjusqu’aumétroavecunebarredecéréalesenfoncéedanslabouche.Mesdeuxmainssontoccupéesàcherchermonportablepourenvoyerun textoassassinàAbrahamLawsonquin’amêmepas pensé àme réveiller cematin.L’égoïste.L’enfoiré. Il vam’entendre.Ouplutôtme lire.Saufquemontéléphoneaffichedéjàunmessagedelui,datantd’ilyauneheureetdemie:

[Paslapeinedem’appelerparmonprénomenentier,deprononcermonnomdefamillesurunton énervé ou de proférer des insultes : oui, j’ai essayé de te réveiller. Six fois. Tum’as hurlé «AnakinSkywalker,jesuispastonpère!»Puisjemesuisprisuncoupdebouquinsurlenez.Ettonpiedenpleindansmadescendance.Jetepardonne.Maistudevraisvoirquelqu’un.Abe]

Je ris en imaginant la scène mais je regrogne aussitôt contre moi-même. Rater un cours deMcNeil, c’est impardonnable. Surtout après lui avoir servi mes grands discours sur ma soif deréussite,laniaquequim’habite.Jemeursdehonte.

UnefoisarrivéeàColumbia,jemerueverslebâtimentdemondeuxièmecoursetm’arrêtejusteenhautdesmarches.Montéléphonevibre.

–Quoiencore,Jill?!aboyé-jeunpeuplusfortqueprévu.

Jem’attendsàentendrelavoixenrouéedemamère,àpeineremised’unecuiteoud’autrechose,m’engueulerdenejamaisl’appeler«maman»,avantdem’expliquervaguementdansquellemouiseellevientencoredesemettre,pourquelleraisonjedoisaccouriràsonsecours,«justecettefois»,etquelleingratejesuisdenepenserqu’àmoi,àmesfoutuesétudes,àmonavenirquin’était«passinoirqueçajusque-là».Ellen’aencorerienditetjebousdéjàdecolère.

–Thelma?C’estmoi.

Jefaisvolte-facependantquelesderniersretardatairespassentlagrandeporte:jenepeuxpaslesregarderentrer.Lavoixeffrayéedemonpetitfrèrevientdemesouleverlecœur.Etmapetitevoixintérieureàmoimeditquejevaisdevoirrenoncerauxcoursaujourd’hui.

–Sparrow,qu’est-cequisepasse?Çava?–Non,sanglote-t-il,àpeineaudible.–Calme-toietexplique-moi.–Jedonneseulementdeuxcoursparmoisetvousréussissezdéjààenraterlamoitié,prononce

unevoixpuissantedansmondos.

Jemeretournelentement.Moncerveaubout,écarteléentreladétresseétoufféedemonfrèreetlacolèresourdedeL’Homme.Sonvisageestfermé,sesyeuxd’unbleufroidseplissentenattendantmaréaction.Quinevientpas. Je luioffreunsoupirpour toute réponse.Et j’ai la sensationdebaisserdanssonestimeàchaquesecondeoùjeneluirépondspas,oùj’oseluiopposermonsilence,alorsqu’ilattendtoutdemoi.

–Vousseriez-vousdéjàlasséedemoi,MissBellamy?insiste-t-ilenpenchantlégèrementlatêteàdroite,sanssourire.

Iln’estpasdanslaprovocation,laséduction.Aucunetracedesouriresurseslèvresfines,aucunsigned’empathiedansleregardinsondablequ’ilportesurmoi.Maisl’intensitéquisedégagedeluimedonnel’impressiondejouermavie.

–Sparrow,nequittepas,chuchoté-jeàmontéléphone.–C’estmaman,bredouillequandmêmemonfrèred’unevoixtremblante.Elleneseréveillepas.

C’esttoutcassédanslamaison.Jeveuxpasraterl’école.EtAnakinpleuretoutesleslarmesdesoncœur.

Lemienseserre.Àseptans,monpetitgéniedefrèrerevisitesouventlesexpressionsqu’ilentend.Poète sansmême le savoir. L’autre poète, le grand, le séduisant, le troublant, continue àme fixer,jusqu’àremarquerleportablecolléàmonoreille.Etpeut-êtrel’inquiétudesurmonvisage.

– Finissez votre conversation, ajoute-t-il un ton plus bas, en croisant les bras sur son torse.J’attends.Nousavonsànousparler.

–Sparrow, tum’entends?demandé-jeàmon frère sansquitterL’Hommedu regard.Est-cequeNeoestlà?

–Non.Jel’aicherchépartout.–Est-cequ’ilyaunhommeavecmaman?–Oui,ildort.Ilronfletrèsfort.–D’accord. Jeveuxquevous sortiezdans le jardin,Anakinet toi.EmmenezForrest avecvous.

Maisnequittezpaslamaison,OK?–Ilfautquetuviennes,Thelma,mesuppliemonpetitfrèreenseremettantàpleurer.–Jenepeuxpasvenirtoutdesuite,bonhomme.

L’émotionmegagne.JeserrelesdentsfaceàFinnMcNeil,toujoursplantéfaceàmoi,lesmainsdanslespoches,sesyeuxrivésauxmiens,parfaitementmaîtredelui.Commes’ilétaitbiendécidéàne pas céder, à remporter cette confrontationmuette.À cet instant, jeme fous pasmal qu’il croieavoirgagné.Seulsmonpetitfrèreetmafamillecomptent.

–Maispourquoitunepeuxpas?gémitànouveauSparrowàl’autreboutdufil.–Parcequec’estloin.Maisjevaisfaireauplusvite,d’accord?–Combiendeminutes?–Unpeuplusd’uneheure,soupiré-je,dépitée,toutencalculantdansmatêtecombienuntaxime

coûteraitdeManhattanauQueens.Écoute-moi,Sparrow.Tuvasraccrocher.AllerchercherAnakin,luidired’arrêterdepleureretvousallezm’attendredevantlamaisontouslesdeux.Sansfranchirleportail.Vousrestezdanslejardin,promis?Vousn’avezqu’àessayerdefairecourirlechien.J’arrivedèsquejepeux.Ettumerappelless’ilyaunproblème.Tum’ascomprise,petitetête?

–Oui.

Saréponseétaitplutôtentreun«boui»arrachéetun«non,s’ilteplaît,dépêche-toi,Thelma».Magorgeseserrequandj’entendslaconversationcouperetquejesaismesdeuxpetitsfrèresseulsdansunemaisonsaccagée,encompagniedemamèreapparemmenthorsserviceetd’unparfaitinconnu,sansdouteaussiensaleétat.Jelaisseletéléphoneglisserlentementlelongdemajouebrûlante.Lesirisbleusnem’ont toujourspasquittée.Mafamilleabesoindemoi,maintenant,etc’estdevant luiquejeresteplantée.Incapabledem’expliquer,dem’excuser,demelivrer.J’auraisvouluqueMcNeiln’entende jamais cette discussion-là. Cette immersion profonde dans ma vie, ce qu’elle a de plusintime,deplussecret,depluscliché.Jen’aipashonte.Maisjedétesteêtreétiquetée,priseenpitié.Etc’estprobablementcequiestentraind’arriver.Tantpis.Trèsvite,l’angoissereprendledessusetjemeremetsàchercherunesolutionpourmesfrères.Lesrejoindreauplusvite.Lesmettreàl’abri.

–Jepeuxvousdéposer,sivousvoulez,meproposemonprofesseurd’unevoixcalme,enavançantd’unpasversmoi.

–Non,fais-jeenreculant.–Pardon?–Non,répété-jeplusfort.Vousavezdit«sivousvoulez»,etcen’estpascequejeveux.–Jevois…acquiesce-t-ilensortantlesmainsdesespoches,commes’ilpassaitàl’action.Vousne

le voulez peut-être pas, mais là, je crois que vous n’avez pas vraiment le choix. Sans êtreprésomptueux,ilmesemblemêmequevousn’avezquemoi.

EtL’Hommemetendlamain.Sansagressiviténiarrogance,justepourm’aideràmedécider.Sabelle main virile et gracieuse, ouverte et parfaitement immobile, incroyablement sûre d’elle. J’aienviedelatoucherjustepoursavoirsisesdoigtssonttoujoursaussifroids.Maisjenelaprendspas.Parcequejenesupportepasqu’onvienneàmarescousse,qu’onjouelessauveursavecmoi.Parcequejesuisfière.Butée.Etcomplètementidiote.

–Vousperdezdutemps,reprend-ilsuruntonunpeuplusferme.– Vous m’empêchez de penser. Je suis en train de réfléchir à une autre solution, avoué-je en

regardantailleurs,pournepaslaissersonbleumedéstabiliser.

Ducoinde l’œil, jevoisquandmêmeundemi-sourireétirerses lèvres.Commes’ilcomprenait

que j’étais irrécupérable. Il reprend samain, se gratte nonchalamment la tempe et fait bouger sescheveuxépaisquiattrapentlesoleil.

–Jenesaispassivousditesnonparprincipe,parpurespritdecontradictionousimplementparfierté.Maisj’aicrucomprendrequ’ungaminavaitbesoindevous,là,toutdesuite.Alorsdisonsquec’estàluiquejetendslamain.Etquec’estpourluiquevousallezrangervospetitsprincipesetvotreputaindegrandefierté.Maintenant,est-cequ’onpeutyaller?

–Oui,m’entends-jerépondreàvoixbasse,souffléeparlajustesseetlafermetédesatirade.

LaberlinebleumarinedeL’Hommeestassezspacieusepourquenoscorpsn’aientpasàsefrôler.McNeilaentrél’adressedeJilldanssonGPS,jen’aimêmepasbesoindeluiparlerpourluidonnerlechemin.Aprèsavoirfranchil’impressionnantpontsuspenduenacier,quienjambel’EastRiversur1kilomètre,jechercheunmoyenderomprelesilenceoppressantquim’obligeàpenseràSparrow,àAnakin,àmamère,àcettesituationquis’estdéjàproduitecentfois,auxdangersqu’ilscourenttousmaisquin’arriverontsansdoutepas.Ilfautquejeparlepourarrêterça.

–J’aioubliédediremerci,jecrois…–C’estfait,répond-ilenregardanttoujoursdroitdevantlui.

Aveccetteréponsebisyllabique,j’enconclusqu’ilnevapasm’aideràfairelaconversation.Jel’aipeut-être bien cherché. La tension est palpable. Et son parfum légerme chatouille les narines.Auvolant,ilactivelaclimatisation.Maisj’ouvrelafenêtrepourobtenirdel’air,duvrai.Tantpiss’ilestchaudetmoite, jenepeuxpasrespirersonoxygèneà lui.Bien tropchargéensensualité.Carmonespritrebelles’obstineaussiàpenseràMcNeil,McLoveettousleshommescontenusdansL’Homme.

–Etjenevoulaispasêtreindiscrète,ladernièrefois,surleplateautélé.Enfin,danslescoulisses,devantvotreloge.Jen’avaisrienàfairelà.Jesuisdésolée.

–C’estoublié,dit-ilavecungesteaffirmatifdumentonquiclôtladiscussion.

Luiquiestsidouéaveclesmots,sicharismatiqueencours,sià l’aisedevantunecaméra, jenecomprendspascequilerendsoudainsilapidaire,silointain.Peut-êtrequ’ilestaussitenduquemoi.Je pourrais arrêter là mais je n’ai qu’une envie, le faire parler davantage. Le pousser dans sesretranchementsàlui,pourunefois.

–Pourquoivousaimeztantenseigner?–Parlonsdetoutcequevousvoulezmaispasdemoi,Thelma…

Iltournesonbeauvisageetsonregarddouxversmoi,malgrélafermetédesavoix.Jesuisbienincapabledecomprendrecequ’ilpense,ressentouveutmedireparlà.Jemedemandebiencequ’ilcache.Et jem’avouepour la première fois àquel point je le trouve intrigant,mystérieux, attirant,terriblementsexyjusquedanssonmutisme.Notrecontactvisueldureunpeutroplongtemps.Etmefaitoubliertoutlereste.Cettefois,jen’aiplusenviedeparler.Jemecontenteraisbiendeluiarrachersesfringues,del’entraîneravecmoisurlabanquettearrièreetderespirertoutsonair.

MaisleQueensapprocheetMcNeilroulevite.Trèsvite.C’estluiquimeramèneàl’urgencequim’attend.Lespetitesviesquicomptent surmoi, lespetitesbouilles salesquipleurentpendantcette

heure trop longuequinepassepas, lespetitsyeuxmouillésquivontbrillerdemevoirarriverentrenteminutesseulement.Grâceàlui.

–Thelma!crieAnakinquandjesautedelavoiturepasencorearrêtée.

Monfrèrenuméro2ouvreleportailrouilléetsejettesurmoi.Moncœursegonfledevoirqu’ilvabienetaccessoirementqu’ilporteautrechosequ’unslipfaceàmonprofdefac.

–Ondoit pasquitter lamaison, legrondeSparrowen s’avançant jusqu’à lagrillemais sans lafranchir.

–C’est bonmaintenant, dis-je àmon plus petit frère, encore en pyjama, avant d’aller le serrercontremoi.Vousallezbien,touslesdeux?

–Benoui.J’aipaseupeurdutout,moi!sedéfendlerouquin.EtForrestacouru!Aumoinssurdeuxmètres.

Uncoupd’œilverslechienétalécontreleportail,songrasdébordantentrechaquebarreau,etjecomprendsquel’histoired’Anakinestlégèrementexagérée.Surtouslespoints.

–C’estqui?medemandeSparrowen regardantMcNeilpar-dessus sesépaisses lunettesbleues.Pourquoiilrestedanslavoiture?C’estunpolicier?

–Non!s’inquiètesoudainAnakin,mamditquec’estinterditd’appelerlapolice!–Toutvabien, lesgarçons !C’estunami, improvisé-jeen redressant les lunettes sur lenezde

monpetitfrèrepourmedonnerquelquechoseàfaire.

L’Hommesortdesaberlineàcemoment-là,commepourmontrerpatteblanche.

–Salut!ditsavoixgraveetposéeendirectiondemesfrères.Pasdeflingueparici.

Puis il écarte les deux pans de sa veste de costume pour le leur prouver. Et jeme surprends àdeviner les contours de sa taille marquée, le dessin de ses abdominaux sous sa chemise blanchecintrée,leVquidoitcourirdeseshanchesaubasdesonventre.Pasunebonneidée.

–Quelqu’unveutapprendreàconduire?propose-t-ilnonchalammentauxgarçons,avecuncoupdementonverslevolant.

–Ouais!répondent-ilsenchœur,évidemment.–Mauvaiseproposition,ettrèsmauvaiseréponse,m’opposé-jeaussitôt,enlançantunregardnoir

versleseulautreadultedecetteconversation.–Quoi?medemande-t-ilavecunpetitsourireetunhaussementd’épaules.C’estcommeçaque

j’aiappris,moi.

Je décide de l’ignorermais je ne peux pasm’empêcher de le trouver sexy, cet intello rebelle,jamaisoùl’onattend.

–Nebougezpas de là, je vais voir Jill, ordonné-je àmes frères en commençant à grimper lesmarches.Oh,etvouspouvezyaller,lancé-jeenmeretournantversmonprof.Merciencorepourletrajet.

–Jevaisresterunpeu.Justeencasdebesoin.Faitescequevousavezàfaire.

PuisMcNeil fait le tour de sa voiture, s’y adosse et porte son regard bleu et confiant sur lesenfants,commepourmelibérerdecetteresponsabilité.Dixminutesplustard,jeressorsavecuntypetorse nu et titubant que j’ai convaincu de rentrer chez lui sans faire d’histoires, en échange d’unpaquetdecigarettesàmoitiéremplietd’unebièrepresquefraîche.Iln’estpasencore11heuresdumatin.Mamère est KOmais n’a pas besoin d’unmédecin. J’ai encore une chance d’envoyer lesgarçonsàl’écolecetaprès-midietdevérifierqueNeoestenvie(coincéquelquepartentreunefilledesonâgeetuneportedetoilettes).

–Toutvabien,lespetitestêtes!annoncé-jeenressortant.Vousavezfaim?

AucunneréagitàpartForrest,oreillesredresséesetlégercouinementinterrogatifsortantdesonénormemuseau.Soncorpsn’apasbougé, ilne fautpasexagérer.Sparrow, lui,vas’asseoirsur lapremièremarche,toutenbas,croisesespetitsbrascarameletlaisseseslarmescoulerderrièreseshublotsembués.

–Qu’est-cequi sepasse?demandedoucementMcNeilens’approchantpour s’accroupirdevantlui.

Pendant que je les rejoins, mon plus jeune frère émet un long gémissement morveux qui doitcontenir des tas de phrases très intéressantesmais que personne ne peut comprendre en l’état. Pasmêmemoi.

– Je vois, acquiesce L’Homme en feintant une moue très sérieuse. Tout est parfaitement clair,maintenant.

Puis son sourire moqueur illumine son visage et force Sparrow, vexé mais stimulé, àrecommencersonexplication:

–Mamanavait promis ! Je sais qu’elle fera jamais cequ’elle a dit.Et je vais rater le concoursalorsqu’unepromesse,c’estunepromesse,etqu’onpeutpascasserlaconfiancequ’ondonneàunepersonnedeconfiance!

–C’estpresqueça,commenté-je,amusée.–ÇaferaitunbeauproverbedeConfucius,ajouteMcNeil,l’airépaté.– Il est inscrit à un concours d’orthographe depuis unmois, nous expliqueAnakin.C’est à une

heured’icietc’estlesparentsquidoiventemmenerlesenfants.Lebusdel’écoleestmort.Mamavaitditqu’elleemprunteraitlavoituredesvoisins.

–Elleavaitpasdit, elleavaitpromis !Etmaintenant, c’estdemainetelle sera jamaisenétatdeconduite!râleSparrowaveclesjouesbarréesdelarmes.

–Enétatdeconduire,lecorrigé-jesurl’expressionplusquesurlefond.

Ilaparfaitementraison.Vusonétat,Jillvamettreaumoinsvingt-quatreheurespourrécupéreretpouvoirneserait-cequesortirdesonlit,ouvrir lesyeuxoualigner troismots.Sansparlerdesonhumeur de dogue quand elle trouvera la maison sens dessus dessous, son amant évanoui et lasensationdemanquequ’elleconnaîttropbien(maissupportetoujoursaussimal).

–Jet’yemmènerai,moi,prononcesoudainMcNeilcommesic’étaitlachoselaplusnaturellequi

soit.–Non,onvatrouverunesolution,Sparrow,m’opposé-jeaussitôt.– J’ai une voiture qui marche très bien. Demain c’est samedi et je ne fais rien. Et j’adore

l’orthographe,insisteL’Hommeenseremettantdeboutpourplantersesyeuxdanslesmiens.–C’esttrèsgentilmais…–Maisc’estdécidé,m’interrompt-ild’unsouriredésarmant.–T’esunepersonnedeconfiance,toi?luidemandemonpetitfrère,méfiant,suruntond’adulte.–Quandjetendslamain,jenelareprendspas,expliquemonprofenouvrantsapaumeàSparrow.–Marchéconclu,décidelepetitgénieentapantsolennellementdanslagrandemainviriledevant

lui.Rendez-vousàdeuxheuresici.Jevaisrévisermesmots!

Sparrowseremetsursespiedsetcommenceàmonterlesmarchesd’unpasdéterminé,enessuyantleslarmesdesonbeauvisagemétissé.Jelestoppedanssonélanenl’attrapantparlecoldupyjama:

–Non, toi tu vas te préparer pour l’école ! EtAnakin aussi. On vamanger unmorceau avant.MettrelamainsurNeo.Etarrêterlesplanssurlacomète,OK?

– Ce n’est pas parce que Thelma ne sait plus rêver que vous n’avez pas le droit, prononceL’Hommeavecundemi-sourireencoinetunpetitsignedelamainversmesfrères.Àdemain!

Sa voix provocatrice s’éteint, son corps svelte refait le tour de la voiture et s’y engouffre. Laberlinebleumarine,complètementincongruedansnotrerueduQueens,démarreensilence.Etdeuxirisd’unbleuvifcroisentlesmiens,remplisdedéfi,avantdedisparaîtreàleurtour.

***

Jepassecettejournéeàrangerlamaison,essayerdefaireboireetmangermamère,sermonnerNeoquidoitabsolumentrépondreautéléphone,arrêterdedécoucheretêtrelàquandonabesoindelui.Jeréserveladiscussionsurleportobligatoiredupréservatifpourplustard.Ilaquatorzeans,bonsang.

Jeprofitedesheuresd’écolepourfinirmonexposédemarketing,àdéfautdeséchermescoursdelittérature.Jepréviensmestroiscolocatairesquejenerentreraipascesoirnidemainetquej’auraibesoin de récupérer leurs notes. Abraham et Jazmin acceptent sans broncher. Je dois inventer unprétexte bidon quand Phoebeme demande si tout va bien etme rappelle qu’on devait aller nagertoutes les deux samedi après-midi : bêtement, je me retrouve à lui cacher le stupide concoursd’orthographe demon petit frère alors que c’est la présence deMrMcNeil que je tiens à garderconfidentielle.Cettesituationmemetmalàl’aise,commesijefranchissaisdéjàunelignerougeenpassantquelquesheuresavecunprofesseurendehorsde l’université.Après tout, jen’aimêmepasbesoind’yaller.Maisest-cebienprudentdelaisserunenfantdeseptans,aussiintelligentsoit-il,avecunhommequejeconnaisàpeine,aussicélèbre,charismatiqueetbrillantpuisse-t-ilêtre?Etest-cequemacuriositévavraiment résisterà l’enviedevoirMcLoveévoluer loindesonmonde,desesfansetdesavieparfaite?Est-cequemafascinationsecrètepourluipeutsepriverdecesquelquesheuresvolées?Jamaisdelavie.Jesuisbornée,asociale,fièreetpleinedeprincipes.Maispasàcepoint-là.

Unefoismesfrèresbaignés,nourris,câlinésetcouchés,mamèrebordéecommeunenfantdeplus

àgérer,jemeremetssurlatabledelasalleàmanger.Mesyeuxsefermenttoutseuls.Toutmoncorpsestépuisé,àl’exceptiondemoncerveausurexcité.Jen’aiaucunmoyendejoindreMrMcNeilpourm’assurerqu’ilviendrademainou luidireencoreunefoisdenepas le faire.Jemedemandesi jedoischercherunplanBpouraccompagnerSparrowdansleNewJerseysiMcMenteurnesepointepas.

Mais sondernier roman,Libérées, ouvert sousmesyeux,me rappelleque ce type est aumoinsaussiféministequemoi,qu’ilafaitdel’égalitédessexesundesescombatspréférésetqu’ilaréussià remettre l’émancipation des femmes (qu’on croyait acquise) au cœur des débats de société.Objectivement,ilmesemblebienplacépourcomprendreunemèredémissionnairesanslajuger.Etincapable de trahir la confiance d’un petit garçon paumé, qui n’a qu’une sœur caractérielle pourl’élever.

Maisbon,laviem’aapprisquelagentmasculinepouvaitsemontrerpleinedesurprisesetsurtoutdelâchetés.

Une fois lebouquin refermé, je sens l’inspirationpointer leboutde sonnez. Je couche surdesfeuillesblanchesdeslignesetdeslignesquiaffluenttropvitepourêtreécritesbiendroites.Çapartdanstouslessens.Jedébordedemots.D’images,d’idées.Çafaitdesannéesquej’écrisdesnouvellesérotiques,quepersonnenelitjamais.Desmoisquejen’avaispastrouvéletempsoul’enviedem’yremettre. Mais L’Homme danse et sourit derrière mes yeux grands ouverts dans l’obscurité. Ilmarche,ilconduit;iltendlamain,s’accroupit;ilouvresavesteetplantesonregardbleudansmonnoir.McNeiletsondoubleMcLovem’inspirent,m’intriguent,m’excitent,metourmentent.

Jereposemonstylo,essoufflée.Contemplemontravail,sûrementmauvais.Repenseàceconcoursd’écritureauqueljemesuisinscrite,justeavantlarentrée.Pleined’espoiretdehargne.Jepensaisyrenoncer.Maismonprofsetrompeaumoinssurunpoint:jesaisencorerêver.

***

Àpartirde13heures,lelendemain,Sparrowfaitlescentpasdanslejardindedevantquin’aplusdepelousedepuis longtemps. Ilépelledesmots,à l’enversetà l’endroit, sanscesse, s’interrogeettentedesepiégerlui-même,medemandes’ilabon,quelleheureilest,sijesuissûreetsijepeuxluiexpliquercombiendureuneminute.Jenepeuxpas.

À13h51,NeoetAnakins’assoientchacunsurunemarchedel’escalierextérieurets’engueulent,leurloisirpréféré:

–Paslapeinedel’attendre,votresauveur!provoquel’aîné.Cegenredegarsencostardnevientjamaisdeuxfoisparici.

–Qu’est-cequet’ensais,toi?!Tul’asmêmepasvuuneseulefois,beuglesoncadet.

Neos’amuseàlancerenl’airunepetiteballeenmousseenformedesein.Illafaitrebondirsurlatêted’Anakinetlarattrape.

–Aïe!

–Ilviendrapas,jetedis.–Arrêtez,touslesdeux,grogné-jemollement.–Aïe!chouineAnakinquis’estreprislaballedansledos.–T’aspasmal,t’asunecouchedegras.Ettestachesderousseurquifontbarrière,semoqueNeo.–Lâche-leunpeu,m’agacé-je.–Crois-moi,Thelma,c’estpas toiet tesConversepourriesquivont fairevenirun typecomme

lui…–Ferme-la,Neo.Ilvavenir,pourSparrow.

À 13 h 51, la petite balle dévale les escaliers et roule jusqu’au portail blanc.Mes trois frèress’immobilisentetentrouvrent laboucheenvoyant l’impressionnanteberlinebleumarineseglisserdansJamaicaStreetsansunbruit.

–C’estlui!s’exclameAnakincommes’ilapercevaitlemessie.–Putain,labagnole,admireNeo.–Lesgrosmots!rappelé-jeparréflexe,maissansconviction.–Onyva,onyva!s’exciteSparrowentrébuchantsurlechien.–Putain,lebeaugosse,continueNeo,encoreplusébahienvoyantMcNeilsortirdelavoiturepour

ouvrirlesdeuxportièrescôtétrottoir.

Je lui envoie une petite taloche derrière la tête, lui rappelle de ne laisser entrer personne, des’occuper de son frère et de ne pas le faire pleurer jusqu’à notre retour dans quatre heures. Ilm’ignore totalement, j’embrasse la joue rebondie d’Anakin en décoiffant son casque de cheveuxroux,descendsl’escalier,caresselagrosseoreilledeForrestaupassage,prendslamaindeSparrow,quittelamaisonetm’autoriseàposerenfinmesyeuxsurFinnMcNeil.Ilestlà.Devantchezmamère,dans le Queens, un samedi après-midi de septembre. En jean brut et chemise bleu ciel, manchesretrousséessursesavant-brashâlés,sourirefiergreffésurseslèvresfinesetourlées.Sexyàcrever.

–Avouez,vouspensiezque jeneviendraispas,memurmure-t-ilquandjepasse toutprèsde luipourentrerdanslavoiture.

–Jen’avouerairiendutout,mêmesouslatorture,réponds-jeenluirendantunsourireinsolent.

Le trajet d’une heure passe à une vitesse folle dans cette berline tout confort. La présence deSparrowà l’arrière rend l’ambiancemoinsoppressanteque ladernière fois.McNeil lui faitépelerdesmots,corsantladifficultéenréalisantlescapacitéshorsnormedemonfrère.Àdenombreusesreprises,ilignorelesappelsquiarriventsursonportableconnectéautableaudeborddelavoiture.Jemesurprendsàguetterdesprénomsdefemmesurl’écran.Maisjen’ylisqueKenneth,Jack,Billy,Seamus…

–Vousêtessûrquevousn’aviezrienàfaireaujourd’hui?demandé-je,suspicieuse.–Monagendaindiqueunconcoursd’orthographedanslapetitebourgaded’Edison,NewJersey,

avecuncertainSparrow,merépond-ilsuruntonprovocateur.–Vousavezplutôtl’aird’êtreattenduailleursavecBilly,Jacketlesautres…–Etpourtant,jesuislà,medit-ilgravement,àm’enfairefrissonner.

Sonintensitémecoupeànouveaulesouffle.Onrestesilencieux,touslestrois,jusqu’àl’arrivée.

Etjedoislutterpournepasregardersanscessemonchauffeur,lafinessedesestraits,lavirilitédeson profil, sa beauté percutante, la précision de ses gestes, lesmuscles de ses bras qui tiennent levolant, le sourire amusé qu’il m’adresse après avoir chantonné, d’une voix profonde maisdécontractée,diablementsexy,surunairquipassaitàlaradio.

Sepeut-ilqueL’Hommesoitaussiunmecnormal…?

QueMcNeilsoitcapablederirede lui-même,d’êtresimple, libre,honnêteetsimplementun typebien?

Ouest-cequejesuisjusteentraindesuccomberàcesalauddeMcLove,irrésistibleetconscientdel’être?

Jene le sauraipas,oudumoinspas toutde suite,puisque lavoiture s’arrête. Justeavantque leconcoursnedémarreetqueSparrowrejoignesaplace,illeprendentrequatreyeux:

–Tueslepetitgarçonleplusintelligentquej’aiejamaisrencontré.–Jesais,confirmemonfrèreentoutehumilité.–Tuasvu?Tum’asfaitconfianceetçaamarché.Maintenant,tudoistefaireconfianceàtoi.Etça

ira.–D’accord…–Bonnechance,petitetête!ajouté-jesimplement,àcourtdebonsconseils.–Confiance,répète-t-il,parfaitementconcentré.C.O.N.F.I.A.N.C.E.

Moncœursegonfledefiertéetonvaprendreplacedanslasalle,parmitouslesparentsprésents.Jevoisdes regardsnous suivre longtemps, j’entendsdesvoixchuchoter surnotrepassage,«FinnMcNeil », « l’écrivain », « le gars de la télé »… J’avais oublié qu’il était si célèbre. Et que nonseulementjen’airienàfaireavecluiunsamediaprès-midi,maisqu’iln’asurtoutrienàfaireiciavecmoietqu’ilprendbienplusderisquesquemoi.

–Rassurez-moi,onnevapasseretrouverenphotodansunmagazinepeople,hein?luiglissé-jeàl’oreille.

–Peut-être, réplique-t-ilavecunhaussementd’épaules.Aupire, ilsdirontque j’aiun filscaché,noir,etquejemetapelababy-sittertatouée.

–J’avaisoublié,commenté-je,unpeuvexée.–Quoi?– Que vous devez être millionnaire et avoir une armée d’avocats capables de défendre votre

réputation.Queriennevousfaitnichaudnifroid.–Pasrien,non…secontente-t-ildemesouffler,commesiçasuffisaitàmediredestasdechoses.

L’envie de lui arracher ses fringues me reprend. Mais je dois sûrement me tromper surl’interprétationdecettedernièrephrase.LeconcourscommenceetilmetendunpaquetdeM&M’s,enmêmetempsquesonpetitsouriredesalegossefierdelui.J’hésiteàenvoyertouslesbonbonsparterre,parprincipe,mais j’enpiocheunquandmême,amuséepar leclind’œil.Nosgenouxetnoscoudes se frôlent pendant que Sparrow épelle tous les mots comme il faut. Ses doigts glacésrencontrent parfois les miens, sûrement brûlants, au milieu des boules chocolatées. C’est

difficilementsupportable.SparrowsetrompeetMcNeilbougonnedanssoncoin,meramenantàlaréalité.

–Iladesmotsbeaucoupplusdursquelepetitblond!s’insurge-t-ilàvoixbasse.–Vousvoulezqu’onenvoiedesM&M’sdanslesyeuxdel’arbitreouçavaaller?m’amusé-jede

sonimplication.–Ilsnepensentpasuneseulesecondequ’ungaminduQueenspuissegagner,s’agace-t-ilsursa

chaiseenregardanttoutautourdelui.

Puis il sedressed’unbondet lèveunbras, commepour intervenir. Je le retiens in extremis englissantundoigtdanslepassantdesonjean.Jejureraisqu’ilafrémi.C’estlapremièrechosequej’aipuattraper.Ilregardefixementmamainaccrochéeàlui,jelaretireaussitôtdelà,gênée,maisaussitroubléeparlecôtérebelle,emportédemonprof.Prêtàtoutpourjouerlesjusticiers.

–Paslapeinedevousfaireremarquer,luichuchoté-jependantqu’ilserassied.–Cen’estpaslaquestion,gronde-t-il.Pourquoiondevraitsetairequand…?–Votrefilscachéestmoinsfort,faites-vousàl’idée,leprovoqué-jeencore.– L’autre a au moins deux ans de plus ! Je déteste les injustices, continue-t-il quand même à

grogner.–Arrêtez,vousallezmefairepleurer!Lespetits,lespauvres,lesNoirsetlesfillesperdent,c’est

commeçadepuistoujours.Cesontlesgrandsgarçonsblondsquigagnent.–Jenesuispasducôtéquevouscroyez,lâche-t-ilenmeregardantdurement.

Je n’arrive pas à soutenir son regard bleu pénétrant plus de quelques secondes. LesapplaudissementsfusentdanslasalleetSparrowestannoncédeuxième,derrièrelegrandvainqueur,John Alexander. Je récupère mon frère, un peu déçu, lui chuchote que je suis fière de lui, et luiconseilled’allerserreràlamainàsonadversaire(quileregarded’undrôled’air).LepetitMétisdesept ans venu duQueens, aux grosses lunettes et au prénombizarre, sera sur toutes les photos duconcours.Commeça,ilauraaussiunpeugagné.

Pendant le trajetdu retourenvoiture,McNeilapprenddesmoyensmnémotechniquesàSparrowpoursesouvenirdeseserreursetneplusjamaislesrefaire.Deux«f»àsoufflerparcequ’onlefaitavec les deux joues.Un seul « l » àbalai puisqu’il n’a qu’unmanche.Mon petit frère rit, répète,mémoriseaussitôtetenredemande,fascinéparcettefaçond’apprendre.Puisilfinitpars’endormirsursonsiège,repudesavoiretd’émotions.

–Merci,murmuré-jequandlaberlines’arrêteànouveaudevantlamaisondeJamaicaStreet.–Vousl’avezdéjàdit,MissBellamy.–Oui,maispasseulementpourletrajet.Pourtoutlereste.PourSparrow…Çafaitlongtempsque

jenel’avaispasvurireautant.–Etvous,voussouriezparfois?–Pitié,parlonsdetoutcequevousvoulezmaispasdemoi…

C’est lui qui sourit en m’entendant répéter la phrase qu’il a prononcée hier, dans cette mêmevoiture, quand je lui en demandais trop. C’est lui qui craque en premier et çame fait craquer. Jepourraisdéfairemaceinture,ouvrirlaportière,prendremonfrèredansmesbrasetrentrerchezmoi.

Maisjerestelà.Sansbouger.Àattendrequequelquechosesepasse.Sanssavoirquoi.

–Jepourraissortirdelavoiture,venirvousouvrirlaportièremaisquelquechosemeditquevousn’aimezpasbeaucouplagalanterie.

–Jetrouveçainutile,acquiescé-je.Etsurfait.Etsouventsexiste.– Je ne vais faire que la moitié du boulot, alors. Pour que vous puissiez faire l’autre moitié.

Parfaiteégalité…

L’Homme frôlema hanche pour appuyer sur le bouton-pression qui détachema ceinture, il sepenche surmoipouratteindremaportièreet actionner lapoignée ; ilm’emplit lesnarinesde sonparfum léger, de l’odeur de son shampoing et de celle de sa lessive ; il m’emplit les yeux de labrillancedesescheveux,delarondeuretdesonépauleetdugrainsoyeuxdesapeau;ilseredresseenfinet j’arrêtesonvisageprèsdumien,d’unemainaudacieuse, folle, insensée,poséesursa jouedure,douce,hâlée.Jefixeseslèvresetjem’embrase,jenerespireplussicen’estsonair,jecrèved’enviedel’embrasser,et…

–Onestarrivés?murmurelavoixensommeilléedeSparrow.–Oui,répondMcNeilenmêmetempsquemoi.

Nosvoixsemêlentmaisnosbouchess’éloignent.Nossouffles,nospeaux,noscorpsseséparent.Commenosvies,ànouveau.

4.Accepter

Vendredisoir.21h21.

Six joursaprèscette tentativedebaiser ratée,quioccupe toutesmespensées, jem’octroieenfinune soirée de liberté. Loin demon bureau, demes cours, demes fiches de révision et des lèvresourléesimpriméesdansmoncerveau.SortiravecmesTroisFantastiques(surnomqu’ilssesonteux-mêmes attribué, bien entendu) devraitme faire du bien. Sauf quemon temps est précieux et queôsurprise,l’unedemescolocatairesn’hésitepasàenabuser.Unefoisencore,laprincesseindienneatrouvélemoyendeprendrelasalledebainsenotage.Etnospauvresoreilles.

Cettefilleabeauagacer,moi,j’adoresaliberté.Ellesefoutbiendel’avisdesautres,desrèglesqu’onluiimpose,etelleestcapabledefaireoubliersesécartsousesexcentricitésd’unseulsourire.Àelle,onpardonnetout.JazminRasgotrafaitsoufflersurcettecoloc(etunpeudansmavieaussi)unincroyableventdelégèreté.

–C’était obligé, les vingtminutes de retard ? râle Phoebe en voyant enfin débarquer Jazz dansl’entrée.Etcettemusiquequiagressenostympans?Etcerougeàlèvresfluorescent?

LagrandeblondeenT-shirtgrungeetjeannoir(cequ’elleconsidèrecommesatenuedesoirée)détaillelapetitebruneenfaisantlamoue.Pourenrajouter,ellesecouvrelesyeuxd’unemainetuneoreilledel’autre.Riend’anormal.Lesdeuxcopinesprennentunmalinplaisiràsechamaillerpuisàserabibocher.C’estsansfin,maisauboutdecinqsemainesdecolocation,j’aifiniparmefaireàleurritournelle.

–Situavaisunsensdelamodeunpeuplusaiguisé,tuverraisqu’ilestassortiàmespompes!luirétorqueMissBollywoodensedandinantsursachansonhindi.Je lesaipayéesunefortune, il fautbienquejelesrentabilise!

– Jazz, les voisinsvont nousmassacrer, fais-je en évoquant ses talonsquimartèlent le sol et lamusiqueinsupportablequitourneàpleinrégimedepuispresqueuneheure.

–Cesontmesracines,Thelma,sedéfend-elle,outrée.Tuveuxquejerenonceàmesracines?!–Surtoutpas,soupiré-jeenenfilantmesescarpinsargentés.

Ilscommencentàêtreusés,maisaccompagnésdemarobenoireféticheetdemescheveuxbrunsondulés,quim’arriventauxépaulesquandilssontlâchés,çapeutmarcher.

–Thelma,tuescanon,mesouffleAbrahamavantdejouerauxarbitres.Jazz,tumetstesracinesensourdine,qu’onpuisseyaller!Phoebe,tutemetsdesgouttesdanslesyeuxetçairamieux!

Résultat: toutlemondesemarreettoutlemondepasseenfinlepasdelaporte.Avecseulementtrenteminutesderetard,lasoiréepeutcommencer.Endescendantlesescaliers(prudemment,talonsoblige),jenepeuxm’empêcherderemarquerAbequienfilesesfausseslunettesàmonturesnoires.«

Unvraipiègeànanas»,àl’entendre.Saufquejenel’écouteplus.Jenesuisplusparmieux.Jesuisailleurs.AvecuncertainFinnMcNeiletsesvraieslunettessexy.

L’Hommes’invitedeplusenplussouventdansmoncerveau.

Çafrôlel’obsession…

–Thelma,qu’est-cequetufous?!Tumontes?

Encouragée(pournepasdireagressée)parmescolocs,jeredescendssurterreetsautedanslebusalorsqu’ilestsurlepointderedémarrer.Septarrêts(etdix-neufminutesderêverie)plustard,nousdéboulons bras dessus bras dessous dans la Lion’s Head Tavern, notre nouveau QG, au nord deManhattan. Ici, la bière n’est pas chère, les chickenwings sont croustillantes et les mecs pas troplourds.Ilfautdirequ’ilsontdequoifaire,avectouslesmatchsdebasketetdebaseballretransmisendirect.Phoebequitte rarement lesécransdesyeux.Abedragueunpeuet emballepresque toujourssans tropavoir à insister. Jazz seplaint souventdenepas se faire assezmater,mais elle sevengevolontierssurleswings(surtoutcellesqu’ellen’apascommandées).

–Onvadanser,après?lance-t-elle,labouchepleinedesauce.–Tuferaspeut-êtreuneretouchemaquillage,avant,acquiescé-jeenluitendantuneserviette.–Non!intervientPhoebeenreposantsapintedebièrevide.Elleestbellecommeça.Aunaturel.–Aunaturel,saucechili.LElookdecettesaison,souris-je.–Putain,quiafinilepoulet?!débarqueAbeaprèsavoirabandonnésaconquête.

Tousnosregardssetournentverslaprincesse,quiaànouveaulabouchepleine.Êtreaucentredel’attention,quellequ’ensoitlaraison,elleadoreça.

***

Minuitdix.Deuxièmehalte.SelonJazz,notrenuitdefoliedémarreenfin.LesvideursduMarqueenouslaissententreraprèsunrapidecoupd’œil.

– Celui de gauche était canon ! s’écrie Jazz, sans aucune discrétion. Et il a maté tes jambes,Thelma!

–Fous-luilapaix,tuconnaissoncredo,larembarrePhoebe.Pasdedistractionsinutiles…–Avoiruneviesexuelle,cen’estpasdistrayant,c’estvital !bougonne labruneennousmenant

jusqu’àlafosseprincipaleduclub.–Jerespectetesracines,respectemeschoix!luihurlé-jeàl’oreillepourqu’ellem’entendepar-

dessuslamusique.

Elleboude,jelaprendsparlebrasetl’attirejusqu’àlapistededanse.Jeluitourneautourenmedandinant,elleéclatederire.J’aiunefolleenviedemedéfouler.Non,unvraibesoin.Laprincesseetmoinousdéhanchonspendantunebonneheuresur leshitsdumoment, jusqu’àenavoir le soufflecourtetlescheveuxtrempés.Jazzestsuperficielle,limitepénible,maisjenelachangeraispourrienaumonde.Abenousrejoint, tenteunrockavecmoi,unedanse,disons,alternativeavecJazz,avantd’allerretrouverunePhoebestatiquemaisravie,abonnéeaubar.Moi?Jem’endonneàcœurjoie

avecmacavalière.LorsquelesmouvementslascifsdeJazzattirentdesmecsaffamésquiviennentlacoller d’un peu trop près, je me marre et m’éloigne. Elle sait très bien y faire pour attirer leshommes…Toutcommepourlesenvoyerbalader.Jenemefaispasdesoucipourelle.PlutôtpourOwen,sonboy-friendattitré,dontelleal’aird’oublierrégulièrementl’existence.

UneversionremixéedesBlackEyedPeasretentit,lafouleduclubs’enflammeetj’enprofitepourévacuertoutelatensiondelasemaineécoulée.C’esttellementbondeselâcher,parfois.

CeseraitencoremeilleurdeselâcherAVECquelqu’un…

Essoufflée,assoiffée,épuisée,jelaisseJazzentrelesmainsd’Abrahametdécided’allerretrouverPhoebeaubar.Jemefraieunétroitcheminaumilieudesdanseurs,avancedifficilementetfinisparm’yperdre.Lorsquejemelèvesurlapointedespieds,jeréalisequejemesuisenfaitéloignéedemacibleetrapprochéedescarrésVIP.

Les«VIP»…Toutcequejedéteste.

Sansquejeluiaiedemandéquoiquecesoit,moncœurs’arrête.Mesyeuxviennentdeseposersurunesilhouettefamilièreetdepuis,ilsrefusentdem’obéir.Costardnoir,épauleslargesettaillefine,profilharmonieux,traitsfins,cheveuxchâtainsbrillants,lunettesaussivirilesquesophistiquées.Endeuxmots:FinnMcNeil.L’Hommedontl’imagemepoursuitdepuisnotretoutepremièrerencontre.Etnotredernière.L’Hommeaussiirrésistiblequeredoutable,dontlesurnomm’effraiebienplusquecequejeveuxadmettre.Etjustement,McLoveestaccompagné,cesoir.Uneblondeàgrosatoutsluitourneautourenagitantsesimplants,puisluiplanteunbaisersurlabouchejustesousmesyeux.

Oui,parcequependantquemonespritbloquaitcomplètement,mespiedsontcontinuéàavancer,eux.

Jenesuisplusqu’àquelquesmètresdecespectaclehorrifiant.J’ignorequelleforcemaléfiquemecontraintàassisteràcecruelspectacle,maisjesuisincapabledem’endétourner.Jelesfixe,englués,enlacés,jusqu’àcequeMrCostardserendecomptedemaprésence(légèrementirritante,j’imagine)etmeregardeenface.Moncœurrepartenfin.Sestraitsn’ontpaslabeautémystérieuseetsensuelledemonprofesseur.Sonregardn’apascetteintensitéquimesubjugue.Cethommeestséduisant,maisiln’estqu’uneenveloppevide.Iln’estpasFinnMcNeil.

Je rebrousse chemin en riant nerveusement, retrouve Phoebe, commande quatre shots de vodkad’affiléeetvomismestripessurunhipsterquipassaitparlàetaeulemalheurdevenirmedraguer.

Enrésumé:unemerveilleusesoirée.

***

Pourmefairepardonnermonétatlamentabledelaveille(Abeadûmeporterdanslesescaliersetjemesuisréveilléetouthabillée),jepréparedespancakesauxmyrtillespourtoutlemondeetlaisseun petitmot d’excuses avant de quitter l’appartement. Sur le chemin d’Union Square, j’enfilemesfausses Ray-Ban pourme protéger des regards (bien plus désagréables que le soleil) et bois une

bouteilled’eauentièrepourm’hydrater.Saloperiedegueuledebois.

À 9 heures pétantes, j’ai rendez-vous avec Strand Bookstore, le temple new-yorkais de lalittérature.Unelibrairiemythiqueauxalluresdecaverned’AliBaba,oùjesuiscapabledeperdreunejournéeentièreàarpenterlesinterminablesrayons.

Maversiontrèspersonnelleduparcd’attractions.

Àcetteheure-ci,peudepromeneurs,detouristesoudelecteursaguerrisseprécipitentdansmontemple. J’en profite pourme glisser dansmon rayon de prédilection : les romans contemporainsd’occasion.J’ailittéralementdévoréledernierouvragedeMcNeil,celuiqu’ilaeulagénérosité(etlamalice)dem’offrir,et jesuisdésormaisàlarecherchedeseslivresprécédents.Unenparticulier:sonpremier.L’Humainderrièrelemur.Leportraitd’unhommeinnocentenfermédanslecouloirdelamort.McNeiln’avaitquedix-septanslorsqu’ill’aécrit.Sonplusgrandchef-d’œuvre,d’aprèslacritique.

Finn McNeil est un homme engagé. Chacun de ses romans porte sur une question de société,sensible,douloureuse.La luttedesclasses, lesexisme, le racisme, leserreurs judiciaires, lesNoirsquisefonttuerpardespoliciers,leshommesetfemmesenuniformequisacrifientleursviespourleursconcitoyens,lafractureentrelesgénérations.Desromanscrusquiparlentdelavraievieetquiessaient de faire changer les choses, les lois, les mentalités. L’écrivain tente de réveiller lesconsciences,maiscommetousceuxquis’yessaient,iln’yparvientjamaisassez.Saufcettefoisoùilasauvéunevie.Celleduprotagonistedesonpremier roman,quiaété innocentéetaéchappéà lapeine demort grâce à lui. Depuis, FinnMcNeil n’hésite pas à le répéter :Quelques mots peuventchangerlemonde.

–Vousmesuivezpartout,maparole!lâcheunevoixchaudeetamusée,justederrièremoi.

Jeme retourne en envoyant valser une rangée entière de StephenKing. Cette voix…Sa voix !McLovesetientfaceàmoi,unsourireaucoindeslèvres.

–Cujo,lapremièrevictimecollatéraledenotrehistoire,rigole-t-ildoucementensebaissantpourramasserlesbouquinsquejeviensderenverser.

–Quellehistoire?fais-jeenévitanttoutjustedebégayer.–Jenesaispas…Peut-être«Lafillequimalmenaitleslivresautantqu’ellelesaimait».

Il prend le tempsde ranger correctement les ouvrages cornés, je prends le tempsde l’observersous toutes les coutures (en ordonnant intérieurement à mon cœur de rester dans ma poitrine).L’Hommeestaussibeauquedansmessouvenirs:peauhâlée,tignassesavammentnégligée,chemiseblancheauxmanchestoujoursretroussées,pantalonnoir.Pasdelunettes.Sonparfumléger,presquesucré,mechatouilleànouveau.Toutenbas.Etmefaitdéplorermonjeanmoulantmaistropdestroy,mongilettropgrandetmaminetrop«lendemaindesoirée».

Pourtant,monapparencenesemblepasl’incommoder.Ilseredresse,mepasseenrevuedesonairinsondableetplantesesyeuxbleusdanslesmiens.Lorsqu’ilmeparleànouveau,jejureraisquesesirisviennentcaressermeslèvres.Commeiln’yapassilongtemps.

–Doncjedisais…Vousmesuivezàlatrace,Thelma?–Absolumentpas,riposté-je.Vousêtessurmonterritoire,ici.–Pasd’implant,pasdepuceGPS?medemande-t-ilendébutantunefouilledesonproprecorps.–Non.Onn’enestpasencorelà,vousetmoi,dis-jedansunsourire.–Voussourieztroprarement.C’estdommage.–Jesourisquandc’estnécessaire.

L’Hommeplisseunpeulesyeux,serapproche,penchelégèrementlatêteetmedétaillecommes’iltentaitdeliredansmespensées.J’aidumalàdéglutir.

–Nécessaire?répète-t-ildoucement.Parcequec’estunecorvée?–Souvent.–Pourquoi?– Parce que la vie n’est pas drôle.Que la réalité finit toujours pas vous rattraper…Et que les

souriresnedurentjamais.

McNeilsembleréfléchiruninstant,puisajoutedecettevoixdoucemaislégèrementvoiléequimesubjugue:

–Laréalitén’empêchepasdesourire,Thelma.–Lamienne,si.

Nouvellepause.Sesyeuxnequittentpaslesmiens,samains’aventuredanssescheveuxsoyeux.Jem’imagineypassermesdoigts,moiaussi.Etj’aimeça.

–Vousavezréponseàtout,commente-t-il.–Oui.–Vousbuvezducafé?–Aulitre.Noir.Sanssucre.–Allonsboireuncafé,alors.–Nonmerci.–Pardon?–J’aiditnonmerci.

Il sourit à nouveau, probablement décontenancé. Aucune femme ne refuse une invitation deMcLove,aussiinnocentesoit-elle.

–C’estàcausedevotrepetitami?–Jen’aipasdepetitami.

L’écrivain hausse un sourcil, puis le repose. Glisse les mains dans ses poches, comme s’ils’installait là, face àmoi.Vision sublime.Grisante. Je voudraisme glisser dans ses fringues,moiaussi.Etpuis jeme rappelleque flirter avecunprof, c’estmal.Etqu’iln’yapas si longtemps, jetrouvaisladraguemadeinColumbiacomplètementsurfaiteetinappropriée.

–Doncvousêtesshootéeaucafé,voussouriezseulementparnécessité,vousn’avezpasdepetitamietvousrefusezmaproposition,c’estça?

–J’aiunplanningchargé,expliqué-jesommairement.–C’est vrai, rit-il tout bas.Foutre en l’air tous les livresde cet endroit.Çavavousprendredu

temps…–Jesuisvenuecherchervotrepremierroman,avoué-je.–Vousl’aveztrouvé?–Non.Pasd’occasionentoutcas.– On a ça en commun, sourit-il en s’emparant d’un livre jauni, probablement passé entre de

nombreusesmains.–Quoidonc?–Jepréfèreleslivresquiontvécu.Jedécouvrenonseulementleurhistoire,maisaussiunpeude

celledesgensquil’ontparcouruavantmoi.–Vousnedevriezpasêtreromancier,jecrois.Plutôtpoète.–Seriez-vousen traindevousmoquerdemoi,Thelma?grogne-t-il,une lueur joueusedans le

regard.–Vousconnaissezlaréponseàcettequestion,Finn.

Aprèsavoirprislaliberté(intrépideetabsolumentpasassumée)del’appelerparsonprénom,jetourne les talons etm’éloigne en lui soufflant un rapide «Bonne journée ».Enme rapprochant àgrandspasdelasortie,jedoisprendresurmoipournepasmeretourner.

Pas.Une.Seule.Fois.

Mêmesanslunettes,cefoutucharmeopère…

«ThelmaetFinn»:l’histoireseraitdifférentedufilm,maislafinseraitlamême.

***

C’est ce que j’appelle un samedi productif. Une gueule de bois envoyée au tapis.Une situationpérilleuseévitée(boireuncaféavecmonfantasmefaithomme,c’étaittropmedemander).Unetonnedebouloteffectué.Unelessiveétendue.Etuncoupdefilcrucialpassé,pendantlequelj’aipuparleràchacundemestroisdiablotins.

À20heurespassées,jedélaissel’écrandemonordinateuretlanouvelledanslaquellejemesuislancée (lesmots commencent à se déformer) pour allerme préparer un en-cas. L’appartement estplongé dans le calme : Phoebe et Jazz sont allées se faire une toile pendant qu’Abe continue sonmarathondeTheWalkingDead,enfermédanssachambre.Jemetslamainsurunrestedemacandcheese,yajouteunetomatecoupéeencubesetquelquesboutsdejambon,puisplacelebolaumicro-ondes.Pendantuneminutetrente,jeregardeleplateautourner,rejouantdansmatêtelaconversationavecMcLove.

–Idiote,murmuré-je.Tuauraisdûleboire,ceputaindecafé!

Lespâtesmebrûlentleslèvresmaisjelesavale,affamée.Lasonnetteretentit,jemaudisAbraham,ses écouteurs et son obsession des pizzas, pose tout mon barda et me rends jusqu’à la porte, enm’assurantquejesuisprésentable.Shortgrisencotonetdébardeurvieuxrose:pourunlivreurde

pizzas,çaferal’affaire.

Saufquelapersonnequisetientlàneportenicasquetterougenicartongigantesqueauxfumetsplus ou moins agréables. L’Homme me sourit, comme ce matin, puis me tend un sac en papier.Commecematin,jecherchemesmots,sanslestrouver.Toutcequejeremarque,c’estqu’ilporteànouveauseslunettes.Etquejecrèveànouveaud’enviedel’embrasser.

Maisqu’est-cequ’ilfoutlà?!

–Désolédedébarqueràl’improviste,cen’estvraimentpasdansmeshabitudes.–Vousavezcherchémonadresse?lecoupé-je,interloquée.–Vousconnaissezlaréponseàcettequestion,Thelma.

Savoixestbasse,ilmurmureàpeinemaissesyeuxnecessentdemonteretdescendre,entremesyeuxetmabouche.Soudain,jeprendsconsciencedematenueetmecacheàmoitiéderrièrelaporte.Sesiriss’aventurentsurmesjambesnues,ils’éclaircitlagorgeetcontinue:

–Jesuisjustevenuvousapporterquelquechose.

Ilmetendànouveaulemystérieuxsacenpapier,jevoudraisl’acceptermaismaméfianceprendledessus.

–Qu’est-cequec’est?–Vousnepréférezpasledécouvrir?souritmonprofesseur.–Jen’aimepaslessurprises,confessé-jesimplement,sansanimosité.–Maisvoussouriezpresque.–Presque,murmuré-jeenm’enrendantcomptejusteàcetinstant.–Cesachautementdangereuxcontientcequevousrecherchiezcematin,m’explique-t-ilenfin,en

s’adossantaucadredelaporte.–L’Humainderrièrelemur?

Ilacquiesce,jen’acceptetoujourspaslesac.

–J’auraispul’acheterenligne,lancé-jesanstrouverlemoyendeleremercier.–Vousnecomptezpasme faciliter la tâche,hein? souffle-t-il, alorsque lamême lueurquece

matintraversedanssesyeuxbrillants.–Jenesuispascegenredefilles.–Çatombebien,jen’aimepascegenredefilles.

Unangepasse,entrenous.Toutmoncorpsestenémoi.Sesregards,sessourires,lamanièredontil s’adresse à moi, tout me trouble. Je me noie dans ses yeux, puis capitule avant de faire uneconnerie.

–Alorsj’accepte.Merci,fais-jeentendantlamain.

J’attrape le sac, mais McNeil résiste, un sourire moqueur aux lèvres. Puis, lentement, presquenonchalamment, il pose une main sur l’encadrement de la porte, juste au-dessus de ma tête,

s’approcheunpeuplusetsepencheenavant,commes’ilvoulaitquej’entendeparfaitementcequ’ils’apprêteàmedire:

–Enéchange,est-cequej’aurail’honneurdevousvoiràmonprochaincours,Thelma?Puisquevousenratezunsurdeux…

Ilaprononcémonprénom.Cen’estpaslapremièrefois,maisc’estcelledetrop.Cellequimefaitpenserquemonattirancepourluiestréciproque.Toutcommesonlangagecorporel.Sonvisagesiprès du mien. Dangereusement proche. Alors sans réfléchir, sans réaliser l’inconscience de mongeste,jemehissesurlapointedemespiedsnusetjeparcourslacourtedistancequinoussépare.Jel’embrasse. Un baiser maladroit, qui dure à peine une seconde, mais qui réveille quelque chosed’incroyableenmoi.Lorsquenoslèvressedétachentetquejefaisunpasenarrière,catastrophéeparmonaudacepassagère,ilsembletoutaussichoquéquemoi.Parmongestetoutautantqueparl’effetqueluiafaitcebaiser.Monprofesseursepasselalanguesurleslèvres,lamaindanslescheveuxetm’observe.

–Apparemment,vousneratezaussiqu’unbaisersurdeux,murmuresavoixgrave.

Finnetmoinous fixonspendantquelquessecondes, sur lepasde laporte, le soufflecourtet lecorpstendu.Puisnotredésirl’emporte.Cettefois,c’estluiquim’embrasse,bienpluspassionnément.Son corps puissant se plaque contre le mien, ses lèvres sont brûlantes, tout comme ses mainslorsqu’elless’emparentdemonvisage.Envolés,lesdoigtsglacés.Latempératuregrimpeentrenous,sa langue s’immisce dans ma bouche, provoquant mes gémissements. Ça ne dure pas longtemps,McLove reprend vite le contrôle et s’arrache à moi, mais une chose est sûre : je n’ai jamais étéembrasséecommeça.

Alorsquejetoucheàpeineterre,auloin,Abechoisitcetinstantpourréapparaître:

–Thelma,ilrestedelabièrequelquepart?

J’écarquillelesyeux,paniquée,repousseL’Hommequivientdem’embrassercommeaucunautreetrefermebrusquementlaportepourm’yadosser.Moncœurbatàmilleàl’heurelorsquemoncolocmerejointetmeretrouvedanscetteexacteposition,c’est-à-direplaquéeàlasurfacefroide.

–Toutvabien?Ilyavaitquelqu’un?–Nonnon,murmuré-je.Justeuneerreur.

***

Pas évident d’entamer un dimanche studieux après un tel retournement de cerveau. J’ai rêvé deMcNeil et McLove réunis toute la nuit. Ses lèvres étaient aussi douces que ses mains étaiententreprenantes.Monlitredecafénoiringurgité,jem’attaqueàmesfichesdemacro-économie.

Une sonnerie discrète retentit sur mon ordinateur, je clique sur ma boîte mail et découvre unnouveaumessage.

De:DirectiondesEnseignementsÀ:ThelmaBellamyObjet:CourssupplémentaireDemanièretoutàfaitexceptionnelle,lePrFinnMcNeilanimeraunetroisièmeconférenceencemois de septembre. Présentez-vous mercredi à 10 heures à l’amphithéâtre habituel. Présencerequise,coursnonfacultatif.

Encoremoinsévidentdereprendremesrévisionslorsqu’unmilliarddequestionstraversentmonesprit(déjàembruméparlesévénementsdelaveille).

Cecourssupplémentaire…Aurait-ilunrapportaveccequis’estpasséhier?

Tuesgravementatteinte,mapauvrefille.

***

– Il est de passage à NewYork, il est l’un des plus grands auteurs contemporains de science-fiction,ilmetalonnedetrèsprèsdansletopdesventes,ilfallaitquejevousfasseprofiterd’unpeudesongénie!

McNeilvientdefaireuneentréefracassantedansl’amphithéâtre,accompagnédel’immensémentconnuBillyVance.Lesdeuxécrivainssemarrentenvoyantnostêtesabasourdies,puisjecroiseenfinleregarddeFinn.Quatrejoursquejem’agaceànepenserqu’àlui.Quej’essaied’oubliercesdeuxbaisers.Queje tentede luttercontre lafatalité.Etdanssonregardbleu,cematin, jenedécèleplusrien.

Billy Vance commence sa conférence, je vois Abe au premier rang qui prend des notespassionnées,entourédetoussesnouveauxamis.Jenem’ensuisfaitaucunici,etçam’importepeu.Leseulquim’intéresse,c’estlui.

McLoveIsOver,apparemment.

Jemeforceàgriffonnerquelquesmotssurmafeuilleblanche,lançantdesregardsendirectiondeceluidontlalanguecaressaitsidélicieusementlamienne,quelquesjoursauparavant.Aucuneréactiondesapart,L’Hommem’ignoresuperbement.

Surl’estrade, toutenbas,Vancelanceunesorted’atelier,unjeuquiconsisteàimaginerlepitchd’unthrillerfuturiste.J’essaiedemeconcentrerpourparticiperdumieuxquejepeux,maismatêten’yestpas.Seuleautroisièmerang,isoléecommeàmonhabitude,j’enrage.Jedessineunehachesurmafeuille,quejerepassemillefoisaustylonoir,avantdelacroiseravecunesortedetronçonneuse.

–Çam’estdestiné?mesoufflesoudainunevoixrauque,derrièremoi.

Jesursaute.Ils’estassisauquatrièmerang,justeàmagauche.

–Neteretournepas.

Pendantl’heurequisuit, jesenssonregard,sarespiration,sachaleurdansmondos.Finnnemeparlepas,ilneprendpaslerisqued’attirerl’attentionsurnous,maissaprésencem’électrise.Aprèsm’avoirfrôlée,d’ungesteinfimedupetitdoigtsurmonbrasnu,ilm’échappeetretrouvel’estradeàquelquesminutesde la finducours. Il remercie son invité etdéposenosessais rendusaupremiercourssurlegrandbureau.

– Vous avez tous une enveloppe à votre nom, annonce-t-il lorsque Billy Vance quitte la salle.Récupérez-laetessayezd’accepterlacritique.Pourlesquestions,ceseraauprochaincours!

MrMcNeilremetsavestenoire,adresseunsignedetêteàl’assistance,puisdisparaît.Alorsquelesétudiantsrangentleursaffaires,jedévalelesgradins,trouvemonenveloppeetm’envaisàmontour.Encourant.Unefoissurlecampus,seulesurmonbanc,jeladéchireàl’abridesregardsetsorsmapiledefeuillesgribouilléesderouge.Toutenhautdelapremièrepageestécrit:

«Aussiimparfaitettouchantquel’était«Lafillequimalmenaitleslivresautantqu’ellelesaimait».J’aipresqueretrouvélegoûtdetesbaisersdansceslignes…F.»

J’ailesoufflecoupéparsonaudace,qu’iloselaisserunetracedecequis’estpassé,qu’ilprennelerisquedemettresacarrièreetsaréputationendanger.Pourmoi.J’entrembleencore,lorsqu’unevoixaiguëvientfaireéclatermabulle:

–Putain,ilm’apasloupée!

Lafillerangesonessaidanssonenveloppe,puislefourredanssonsacàmainàstrass.

–Teplainspas,ilt’apasditd’envisageruneautrevoie,àtoi!râlesonsosie,enpluspetitetplusdodu.

– Il n’épargne personne. C’est ça qui fait de lui un grand homme et un immense écrivain,philosopheblondenuméro1.

–Jevaisêtreobligéedecoucherpourqu’ilmevalidemonannée,blaguesoudainlapremière.–Ilyaunelisted’attente!glapissentsesdeuxbesties.

Siseulementlahacheetlatronçonneusepouvaientsematérialiser…

***

Abe,JazzetPhoebenem’ontpasattendueavantdes’installerdanslasalleduthéâtre,c’estmoiquileuraidemandédepartirdevant.Jen’étaispourtantjamaisenretard,avantColumbia.Maisilafalluquemejetapel’heureetquartdetransport,alleretretour,pourréglerunenouvellecrisefamiliale.J’airatémoncoursdelittératureanglaise(riendegrave,jesuisplutôtcaléesurlesujet)etmaseulechancededînerpourvolerausecoursdenuméro1.Anakins’estencorefaittaperdessusàl’école.Neovoulaitallerréglerçatoutseul.Etunefoisdeplus,mamèren’étaitpasdisponiblepoursesfilsendétresse.

Le théâtre est bourré à craquer, à seulement cinq minutes de l’ouverture du rideau. J’ai beauarpenter les rangéesdesièges rouges, jen’en trouvepasunseulde libre.La règleest stricte, ici :sièges non numérotés, premiers arrivés et premiers servis, interdiction de réserver une place àquiconque. McNeil nous avait prévenus que la salle serait bondée et qu’une bonne demi-heured’avanceminimumétaitàprévoirpouravoirleluxedes’asseoir.C’estaussiluiquiaconseillécettepiècecontemporaineàsesétudiants,lorsducoursquej’airaté.

Yassister,c’estunefaçondétournéedemeracheter…

Saufquejen’aid’autrechoixquedefairedemi-tourengrommelantdesnomsd’oiseauàl’égarddemamèreetdeprendrelatangente.Lamortdansl’âme,jepasselesgrandesportesbattantesauxdoubluresdecuiretempruntelesescaliersrecouvertsd’unépaistapisenvelours,directionlasortie.

–Jevaisvraimentfinirparcroireàunesombremachination…

FinnMcNeil vient de poser le pied sur lamêmemarche quemoi,mais il monte tandis que jedescends.Danssoncostumenoiraccompagnéd’unefinecravateassortiesurunechemiseblanche,ilestplusimpressionnantquejamais.Pasdelunettescesoir,maissescheveuxsontplaquésenarrière.Autant dire quemoi etmaqueue-de-cheval faisonspâle figure. Ilme sourit étrangement, ses yeuxsontindéchiffrables.

–Pasdemanigancesdemapart,avoué-jeentoutehonnêteté.Justearrivéeenretard.–Unehabitude…–Pasavantquejevousrencontre.–C’estdoncmafaute.–Exactement,souris-je.

Jedescendsd’unemarche,ilm’attrapesoudainparlepoignet.

–Viens,j’aiuneplacepourtoi.–Jereviendrai,résisté-jeenrécupérantmonbras.–Thelma,arrêtedefuiretacceptelamainquejetetends,bordel!

Jenesaispassicetonautoritairemeplaîtoum’irrite,maisjecèdeetl’accompagnetroisétagesplus haut, jusqu’à sa loge. Située en retrait de la scène, elle surplombe toute la salle. D’ici, nouspouvons absolument tout voir mais sommes protégés de tous les regards.McNeil ferme la portederrièrenousets’empared’unecoupedechampagne.Ici,toutaétépréparépoursavenue:bouteilledeDomPérignonetpetits-fours.

Un frissonparcourtmapeau,malgré la chaleur ambiante, lorsque je réaliseoù jeme trouve etavec qui. Ne semblant pas remarquer mon trouble, Finn se met à l’aise, déboutonne sa veste ets’assied.Ilmefaitsignedel’imiter.Jeretiremonblousonencuirmaism’assiedsàdeuxsiègesdelui.

–Vraiment?mefixe-t-il,l’airgrave.Tuaspeurdemoiàcepoint-là?–Quoi?Non,je…–Thelma…

–Cen’estpasdetoidontj’aipeur!m’écrié-jesoudaind’unevoixétouffée,tandisquel’immenserideaus’ouvrefaceànous.C’estdemoi!Denous!Del'interdit!

Nos yeux se défient un éternel instant, les siens caressentma bouche, puis toutmon corps. Enréalité,sabeautém’effraieetsoncharismemeparalyse.Jesensunechaleurétouffantem’envahir,despicotementsseréveillerlàoùilnefautpas.

Non…Thelma,non!

Àl’instantoùjemedéfendsdefaireunpasvers lui, ilsedressesursespiedsetfoncesurmoi.Plaquemoncorpscontrelesien.S’arrêteàquelquesmillimètresdemabouche:

–Thelma,dis-moinon,medemande-t-ild’unevoixaussibassequegrave.Arrête-moi.–Jenepeuxpas,soufflé-jeentreseslèvres,detoutemasincérité.

Ilmesemblequenousprenonsladécisionetlerisqueenmêmetemps.Quenousosonsàlamêmeexacte seconde. Que nous arrêtons ensemble, d’un même élan insensé, de résister à cette ultimetentation.Ilm’embrassecommeunfou,jel’embrassecommeunefolle.Surseslèvres,samâchoire,dans son cou. Je goûte à sa peau douce, à sa langue envoûtante. Finn ne résiste pas, il répond àchacunedemestransgressionsavecfougueetpassion.Ilreculejusqu’àsonsiège, j’atterrissursesgenoux,ils’emparedemonvisageetàcetinstant,jeluiappartiens.Notrebaisers’approfondit.MrMcLoveprendson tempspour faire le tourdemabouche,medéguster,mesavourer.Desfrissonsremontentlelongdemacolonnevertébrale.Jesoupire,gémissilencieusement,ilmemordlalèvre.

Lorsquesesmainsdescendentlelongdemesflancs,sefaufilentsousmachemisetteetremontentlelongdemapeaunue,jesaisquej’aidéjàperdu.Outoutgagné,questiondepointdevue.Alorsplusrien ne compte : ni la pièce de théâtre qui se joue dans mon dos, ni l’ouverture de la loge quisurplombe la salle, ni les années qui nous séparent ou le lien hiérarchique qui nous interdit cerapprochementcharnel.

Sous mon soutien-gorge, mes tétons font la rencontre de ses paumes. Son beau regard bleus’illuminedenuancesdéfendues.Ilm’embrasseànouveau,ensusurrantmonprénom,puiss’aventureplusbas.

– Si tu as lamémoire courte, soupiré-je avant de perdre complètement la tête, je veux juste terappelerquejenesuispascegenredefilles.

–Jelesais.–Alorstoutirabien,dis-jeenleregardantdroitdanslesyeux.Çan’arriveraqu’unefois.Etçane

changerarien.–Non.Parcequejenesuispascegenred’hommes.Nicegenredeprofs.Mêmesitunelecrois

pas,medéclare-t-ilgravement.–Chut,susurré-jeenmerapprochantànouveaudesabouchesensuellequim’appelle.Cesoir,je

nesuispastonélève.Ettun’espasmonprofesseur.

Alors ses doigts expérimentés font sauter le bouton de mon jean. Écartent l’élastique de monshorty.Etmetouchentlàoùsipeud’hommesm’ontdéjàtouchée.

Etd’unemanièrejusque-làinconnuepourmoi…

LesmainsdeL’Hommesont immenses, sûresd’elles etpartout surmoi.Sous leurs caresses, jesuisincapabledesentirleurtempérature:cellequienserremataillemesembleglacéeetmedonned’interminables frissons.Celle qui a plongé dansmon shortym’embrase la peau. La pulpe de sesdoigtsconsumemonclitoris,commesinoschairsjouaientà«quiseralaplusbrûlante?».Jusqu’àmaintenant,toutlemondegagne.

À califourchon sur lui, les yeux fermés, je me laisse happer par ce tourbillon de sensationsmêlées:lafouguedesesbaisers,lavirilitédesesgestes,latensiondetoutsoncorpssouslemien,lachaleurgrandissantedenotrealcôve.J’ignoresic’estMr.McNeilouMrMcLovequejechevauche,maisàcetinstant,riennemesembleimportant.Plusrienn’existeautourdemoi.Rien,àpartlui.Toutce qui compte à mes yeux, à mon corps tout entier, c’est d’assouvir mon désir violent pour cethomme.Cettebouledefeuquimonte,quigrondeetquigranditdepuislepremierjouroùj’aiposélesyeuxsurlui.

Je rouvre aussitôt les paupières : mon cerveau me rappelle de ne pas rater une miette de cespectaclesansdoutetorride.Danslasemi-obscuritéduthéâtre,jeredécouvresabeautérenversante,cevisagequejen’avaisjamaisvud’aussiprès.Jeposemesmainsimpatientessurlescontoursvirilsdesesmâchoires,mesdoigtssurlesourletsdeseslèvresfinesetsensuelles,surl’angledecenezquiluidonneunairtellementracé,surcegrandfronthâléquidominecesdeuxirisenvoûtants,bordésdecilsbruns.Puisjeglisseenfindanssesépaischeveuxchâtains,quiontlesoyeuxquej’imaginais,quejepeuxenfindécoiffer.J’yplonge,sansquitter leurpropriétairedesyeux,m’yaccrochequandsescaressesmerenversent.

–Thelma,nemeregardepascommeça,soupire-t-iltoutprèsdemeslèvres,entrel’ordresévèreetlasupplication.

–Oubienquoi?luiréponds-jesurunairdedéfi.–Oujenepourraiplusm’arrêter,gronde-t-ilàvoixbasse.

Lacouleurdesesyeuxchange:ilspassentaubleunuit,intense.Sonpouces’immobilisesurmonclitoris,commeunemenacedecoupercourtàsesdélicieuxsévices.Jemesenspalpitercontresondoigt,moncorps en redemande, il crie au scandale.Maismabouche se tait.Sonautremainquittelentementma taille, s’arrache àma peau, sort de sousma chemisette en jean, s’approche demonvisageetdégagequelquesmèchesonduléesenfuiesdemaqueue-de-cheval.

–C’esttoiquimeregardescommetunedevraispas,murmuré-jed’unevoixessoufflée.

Finnnemerépondpas.Etilmesemblequeletempss’arrête.Nosélanspassionnésrestentcommeensuspensdansl’air,lourd,suffocant.Lapiècedethéâtrenousimite.Lescomédiensnedisentplusrien.J’ignorequelsilencesejouesurscène,maisilmesemblequetoutelasalleretientsonsoufflederrièremoi.Commemoi.

–Thelma,tupeuxencoremedirenon,dit-ilsoudain.–Oui,fais-jedansunsouffle,enmemettantàonduler,malgrémoi,contresamainquinebouge

plus.

–Nefaispasça,grognesavoixrauquequimesupplieducontraire.

Sonregardchangeant,empressé,brillant,voyagedemesyeuxàmonventre,revientseposersurmabouche,puissursamainenfouiedansmonjeanouvert.

–Tunecroispasvraimentque jenesuispascegenredefilles,n’est-cepas?soupiré-jeenmedélectantdecesnouveauxplaisirs.

–Jenecroisrien,Thelma…–Tantmieux,dis-jeenenattrapantsafinecravatenoirepourlafairecoulissersursanuque.–Etjenesaispasnonpluscequetucrois…–Tantmieux,répété-jeenm’attaquantàsaceinture.

Puis,sansplusriendire,jedescendssabraguetteetplongelamainsursonsexe.Ilémetunrâleprofondquirésonnedanslesilenceduthéâtre,sansquepersonnenepuisseensoupçonnerlaraisonnilaprovenance.Lapiècereprendàgrandrenfortdetiradesdéclamées.Lepublicestsubjugué,danslasalle.EtMrMcLoveseruesurmeslèvres.Ilm’embrasseàpleinebouche,empoignemanuque,défait l’élastiquedemaqueue-de-chevalet tiresurmacrinière lâchéepourmeforceràpencher latête en arrière. Sa bouche avide se ventouse dans mon cou, sa langue brûlante goûte à ma peaufrémissante, ses dents me mordillent pendant que ses doigts reprennent leur jeu ardent sur monintimité.Jepeuxgémirdanslebrouhahaduthéâtre.Jepeuxm’abandonneràsescaressesexpertes,àsavirilitédécuplée.

Dansdesgestesurgents,maladroits, je tentededéboutonner sa chemise,d’atteindre sapeauquim’aimante,cetorsequejeveuxsentirsousmesdoigts.Pardesmouvementsprécis,fougueuxmaisparfaitementsûrsd’eux,Finnfaitsautertousmesboutons-pressionsd’unseulcoupetdisparaîtremachemiseenjeanclair.Ilenfouitsonvisagedansmapoitrinemiseànu,ilremontemesseinscontresesjoues,faitclaquermesbretellesdesoutien-gorge,lesdescendsurmesépaulesenmegriffantlapeau,découvremestétonsetengobeunsansdélicatesse.Jelesensdurcircontresalanguevorace,soussesdentsaffamées.Desflèchesdedésirmetranspercentleventre,dehautenbas,etsonmajeurentreenmoicommeuneflèchepluspuissanteencore.

J’enoublie sachemise, son torse, sonboxer, sonsexedur sousmamain. Jeme laissecaresser,pénétrer, toucher comme je ne l’ai jamais été, comme s’il n’y avait que moi au monde. Àcalifourchon sur mon nouvel amant, je m’agrippe à ses larges épaules, à son cou, aux cheveuxsoyeuxquicourentsursanuque.Jemeredresseunpeusurlesgenoux,pourquesamaingagneduterraindansmonshorty.J’écartelescuissespourmieuxl’accueillir.Enmoi.Surmoi.Partoutoùilveut.

Danscetteposition,jepourraisledominer.C’estsouventcequejefaisaveclesraresgarçonsquipartagent mes nuits. Je prends les rênes, je garde le contrôle, je joue les femmes fatales,expérimentées,pourmieuxmeprotéger.Maislà,jenepeuxpas.Nicontrôlernijouer.Danscettelogeprivée,surcesiègedeveloursrouge,L’Hommedécidedetout :demonplaisir,denosbaisers,durythmedesescaressesetdeceluidemonbassin;demelaisserrespirerounon,gémiroupas;demordillermontétonoudel’abandonner,dur,humideetdésespérémentseul;d’agacermonclitorisoudelelaisser,gonflé,tremblant,auborddel’orgasme;d’introduireundoigtdansmaféminité,oudeux ; de rester juste à l’entrée, palpitante, avide, ou de s’enfoncer dans mes profondeurs qui

n’attendentqueça.Jamaisunemainnem’afaitautantdebien,demal.Jamaisleplaisirn’aàcepointressembléàunebrûlure.Jamaisladouleurn’aétéaussiexquisepourmoncorps.Jamaisdeuxdoigtsn’ont surpassé un sexemasculin, de loin, dans leur façon deme combler, deme percuter, demeremplir,demetoucheraubonendroit,aussilentement,aussivite,aussisensuellement,aussifort.

Je me cambre et m’agite. Finn décoiffe mes cheveux de sa main libre, caresse ma boucheentrouverte,massemes seins, pétritmes fesses prisonnières demon jean, enserrema taille etmeregardejouirsursamainbrûlante,disparueentremescuisses.Sonregardbleus’illuminequandilsent mon corps vibrer sur le sien. Et il vient m’embrasser passionnément quand la jouissancem’emporte,étouffantmescrisdeplaisircontreseslèvres,respirantmonair,avalanttoutemonâme.

Jem’abandonnesursesgenoux,haletante,renversée,incapabledepenser.C’estquandilmeserrecontreluiquejemedemandecommentjevaispouvoirmeredresser,leregarderdanslesyeuxaprèsça, et l’autoriser à retirer sa main de là. Je veux qu’elle soit à moi, qu’elle reste à moi, qu’ilm’appartiennecommejeviensdeluiappartenir,commeilvientdemepossédertoutentière.

Alors,sansmelaisseraucunrépit, jeplongemesdoigtstremblantsdanssabraguetteouverte.Jeparsàlarecherchedesonsexebandé,sûrementimpatientdemetrouver.Jelecaresseàtraverssonboxerdevenutroppetit.Etjefranchislabarrièredutissupourdécouvrirsapeau,nue,douce,tendueà l’extrême. Jemesure dansma paume la taille de cette érection quime fait écarquiller les yeux,ouvrirlabouche,tomberdehaut.Àlahauteurdesaréputation.

–Thelma,grondeFinnensaisissantbrusquementmonpoignet.

Sesdoigtssontànouveauglacéssurmapeau.Sontonferme,autoritaire,sonvisagedur,fermé.

–Nemedispasquetuneleveuxpas,susurré-je,faussementsûredemoi.

Ilfixemamain,m’empêchetoujoursdelecaresser.Etplongesonregardinsondabledanslemien.

–Tun’asrienàmeprouver,ditsavoixrauque,étouffée.–Jesais.Maisj’aienviedetoi.Enviedeplus.Detout,tenté-je,hardie.–Etsituleregrettes?medemande-t-il,adouci,enplissantlesyeuxetpenchantlatête.–Jenesuispasunegamine,Finn.–Non,tuesunefemme,ThelmaBellamy.Etjerespectetroplesfemmespourleurfairefairedes

erreurs.–Jesuisunegrandefillequifaitsesconneriestouteseule,rétorqué-je,piquéeauvif.Etjepréfère

leserreursquelesfrustrations.Lesregretsquelesremords.–Tu es bien trop belle, bien trop intelligente pour que je ne te désire pas, soupire-t-il, comme

dépitéparcettevéritéavouée.Maisjenesuisniunséducteurniunprédateur.Tun’espasmaproie.–Etsijeveuxl’être?–Tuesbientropindomptablepourça,admet-ilavecunpetitsourirequimerenverse.–Jevouspensaisplusaudacieuxqueça,MrMcNeil.Plusdéterminé,pluscourageux,pluslibre.À

moinsquecesoitMrMcLovequej’aieenfacedemoi…

Jetentel’ultimeprovocationpourlefairesortirdesesgonds.Pourqueletypeencostarddanssa

logeVIP redevienne le rebelle que j’ai entraperçu parfois. Celui qui oseme remettre àma place.Glisser des bouquins dansmon sac.Venir dans leQueens pourmoi. Celui qui prend le risque dedébarquer àmacolocun soir.D’écrire cequ’il pensedemesbaisers,plutôtquedemesécrits, enrouge sur mes copies. Celui qui se fout de mon passé, de ma famille déglinguée, de la starmillionnaireetaccompliequ’ilest,de lapauvreétudiante rêveuseetcyniqueque je suis.Celuiquicèdeàlatentationparcequ’ellebienplusfortequenousdeuxréunis.

–Jedétestecesurnom,grogne-t-ilavantdemesouleverparlescuisses.

Ilseredressesursonsiège,m’emporteavecluietm’allongeàmêmelesol,brusquement,faisanttomberaupassagelacoupedechampagnevideetleplateauargentésurlequelellereposait.Lefracassemêle auxvoix des comédiens qui jouent en contrebas.Nous, on ne joue plus. Finn allonge songrandcorpssveltesurlemien.M’embrassefougueusement.Puissemetàdescendre,léchantlapeaunuequ’iltrouvesursonpassage,entremesseins,lelongdemonventre,jusqu’àl’élastiquedemonshortynoir.Jesenslabossedanssonpantaloncourir le longdemacuisse.Apparemment,cen’estpasencoremaintenantquejevaispouvoirmettreL’Hommeànu.Niàmamerci.

C’est encore lui qui soulèvemes fesses pour descendremon jean jusqu’àmes cuisses. Lui quiglissemonshortysurmeshanchespourdénudermonintimité.Luiquiplongesonvisageentremeslèvres.Etmedégusteànouveau,attisantmabouledefeupresqueéteinte.Quandilrelèvelatête,sabouchehumideetsatisfaitememurmure:

–Jeveuxencoretefairejouir,Thelma.Ça,jesuissûrquetuneleregretteraspas.

Son sourire insolent disparaît entre mes cuisses. Et le plaisir me submerge. Encore. Encore etencore.Un deuxième orgasme s’empare de toutmon corps.Différent du précédent.Aussi intense.Aussiinéditpourmoiquinelaissejamaisunhommeprendrelecontrôle.Medévorercommeill’afait. M’engloutir comme si je n’étais plus qu’un tourbillon de sensations, vidée de mon esprit,incapablederéfléchir.Pourlapremièrefoisdemavie.

Chamboulée,perdue,nemereconnaissantplus, jeremontemonjean,sautesurmespieds,enfilerapidementmachemiseetrécupèremavesteencuir.Ilnemeretientpas,jem’enfuis.Sansriendire.JusteenregardantunedernièrefoisL’Homme.McNeilouMcLove.Jel’ignore.Maiscequejesais,quejepressensàcetinstant,etsanslemoindreregret,c’estquejeneseraiplusjamaislamême.

5.Foutu

Silesinformationsqu’afficheleréveilenformedePikachusontexactes,noussommessamedi,ilest6h07dumatinetj’ailesyeuxgrandsouverts.

J’aivraimentfaitça?M’abandonneràluipourensuiteprendremesjambesàmoncou?

Etlui,ilavraimentfaitça?Résisteràsesinstinctsprimaires.Refuserd’allerjusqu’aubout,pournepasallertroploinaucasoùjeleregretterais?

Putaindegentleman.

Son regard auxnuances interdites.Sesmainsglacées, puisbrûlantes.Son souffle, ses lèvres, sapeau…Impossibled’effacercequis’estproduit,huitheuresplustôt.ImpossibledenepasfrissonnerausouvenirduvisagedeFinnMcNeilplongéentremescuisses.Impossibledecontrôlermoncorpsquis’emballeetmessentimentsquisetapentl’incrustedansmoncœurpourtantbétonné.

Jenesuispasalléejusqu’aubout,jen’aipasréellementcouchéaveclui,maiscequ’onapartagévabienau-delàpourmoi.Etc’estjustementçaquimedérange.

–Putain,Forrestapissédansmesbaskets!s’écrieAnakin(leplusmatinalduclanBellamy)depuislecouloir.

Lesmurssontfins,danscettesatanéebicoque.

Surtoutdepuisquejen’aiplusdechambreetquejedorsdanslecanapédusalon…

Aprèsavoircommismonerreurdedébutante(traduction:aprèsêtretombéeraidedinguedemonprof et le lui avoir démontré de mille et une manières avec mes organes génitaux), je me suisdébrouillée pour rentrer dans leQueens en pleine nuit. J’ai prévenuAbe que je découchais, qui aprévenuJazz,quiaprévenuPhoebs.Lemétroetletraindebanlieueétaienttoujoursenservice,maisj’aidûtroquerlebuscontremespauvrespiedsquis’ensouviennentencore.

Jem’étire,bâilleàdeuxreprises,passelamaindansmescheveux…Commelui, ilyaquelquesheures.Monespritdivagueànouveau.Moncorpsestendolorimaisdivinementrassasié.ÀcroirequeMcLoveavaitlumonmoded’emploiavantdemeconsommer.Jamaisprisunpiedpareil.

Lachaudièresemetàcognerdansunvacarmeassourdissant,jesursauteetmaudiscettebaraqueoùriennefonctionneparfaitement.Quelqu’undoitessayerd’avoirdel’eauchaude.Notepourplustard:penseràappelerleréparateur.Etàremplirlefrigo.Ungrandménageneferaitpasdemalnonplus.

C’estquandmêmefou,ceréflexedevenirseréfugierexactementàl’endroitqu’onarêvédefuir

pendantdesannées.Lecerveauhumainabeauêtreune inventiondegénie, il laisse franchementàdésirer,parfois.

Lesilencenedurejamaislongtemps,ici.Lespetitscrishorrifiésd’Anakinreprennent:

–Putain,ilaaussivomidanslacuisine!–Putain,tuvaslafermer,Peau-Rouge?!rétorqueNeo,depuissatanière(maregrettéechambre)

accoléeàlacuisine.–Putain,vousallezarrêterdejureràtouteslessauces?!m’écrié-jed’unevoixmauvaise.

Tout à coup, mon prénom retentit dans toute la baraque et Anakin se jette sur moi, suivi d’unSparrowmalréveilléetd’ungroschienmouquis’affaleparterreaprèsm’avoirléchélajoue.Lesdeuxpetitsgrimpentsurlecanapéetsefaufilentdechaquecôtédemacouverture.Pasfaciled’avoirunbrind’intimité,ici.Oualorsfairecommemamère:boireunjoursurdeuxjusqu’àfrôlerlecomaéthylique,çavouspermetdevivreparfaitementisoléeaumilieud’uneribambelledegossesexcités.

–C’estmieux,quandt’eslà,meglisselepetitdernierenmebrisantlecœur.–Mampourraitallervivreàtacoloc.Ettoituresteraisavecnous,proposelerouquin.–Voussavezbienquecen’estpaspossible,leursouris-jetristement.Maisjesuislàpourtoutle

week-end!–Tropcool,çachangetoutànosvies,ironiseNeoquidébarque,vêtuseulementd’uncaleçonet

d’unecasquetteoùestinscritBigBoss.– Toi, la petite frappe, va mettre un T-shirt et nettoyer le vomi du clébard, rigolé-je en lui

balançantuncoussinàlatronche.–Hey!Pasdeviolenceouj’appellelesservicessociaux!–Blaguepastropavecça,murmuré-jeenpensantqueçaarriverapeut-êtreunjour.Pancakesaux

brocolispourtoutlemonde?–Beuuuh!semarrentnumérosun,deuxettrois.

Mablaguen’apasbougédepuiscinqans,maisellefonctionnetoujours.Tandisquenousgagnonstous la cuisine, j’embrasse chacun de mes frères en espérant que la joie ne quittera jamaiscomplètementcettemaison.

C’estmahantise :quemamère fasse laconneriede tropetque lesgarçonssoientdisséminésàdroite et à gauche. Qu’ils grandissent séparément, dans des familles d’accueil aussi abominablesqu’éloignées.

C’est en partie la raison de ma présence ici. Évidemment, fuir pendant quarante-huit heuresManhattan,uncertainMcLoveetl’erreurmonumentalequej’aifaite,çanemedéplaîtpas.Maismapriorité,c’estdeveillersurmestroispetitslascars.Çaleresteratoujours.

Aucunhommenedoitprendrelapremièreplace.PasmêmeFinnMcNeil.

Etpeuimportesimoncœurmedictelecontraire…

***

Dimanchesoir, l’odeurdescookiestoutjustesortisdufourm’accueilletandisquejefranchislaportedelacoloc.Jen’aipasarrêtéduweek-end,entremesfrèresàoccuper, le triàfairedansmatête,lamaisonàremettresurpied,mamèreàsermonner.J’airéussiàbosserquelquesheuresde-cide-là, entredeuxactivités,mais j’aiglobalementprisdu retard. Je rentrecrevée,préoccupée,maisheureusederetrouvermesTroisFantastiques.Àquijevaisdevoirmentir…

Çametue,maisilsnedoiventpassavoirpourFinnetmoi…

«Finn»:ilvaaussifalloirquejemesurveillepournepasl’appelercommeça.

Saufquepersonnenesejettesurmoi.Abenevientpasàmarencontrepourm’accueillir,sonbeausourire de play-boy vissé aux lèvres. Jazmin nem’accueille pas en critiquantmon look, ni enmerappelantàquelpointj’aidupotentiel.Phoebenem’envoiepasdetapetropfortesurl’épauleenmeprécisantquejelaisseàdésirerniveaumusculature,maisquejeluiaiquandmêmemanqué.

Jem’aventurejusqu’ausalon,presquedéçue,etretrouvemestroiscolocatairesassisautourdelatable,bizarrementsilencieux,l’airhagard.Unmauvaispressentimentmeglacelesang.

–Thelma,ont’attendait,mesouritAbraham,l’airprofondémentmalàl’aise.–Salut,Ti!melancePhoebe,pasautopnonplus.–Tuasconsultétesmails?m’interrogeJazzsansabuserdesformulesdepolitesse.–Pardon?–Ceux du groupe de travail, préciseAbe en poussant versmoi l’ordinateur portable qui ne le

quittejamais.

Jem’approcheetmepenche,l’estomacnoué.Surl’écran,jedécouvreunmailenvoyéàtouslesétudiants du cours de McNeil. Trente personnes au total. Totalement paniquée, je lis chaqueinformation,ligneaprèsligne.

De:AnonymeÀ:GroupeMcNeilObjet:LanouvelleconquêteduPrMcLove

Àcestade,jenerespireplus.Mesyeuxparcourentl’écranettombentsurlesdeuxphotos.Surlapremière,onmevoitfaceàlui,unsourireénamourésurleslèvres,auStrandBookstore,lalibrairieoùl’ons’estcroisésparhasard.Lasecondeaétéprisesurlecampus,aumomentoùjemontedanssaberlinebleue,lejouroùilm’aconduited’urgencedansleQueens.

Souscesdeuxphotos,uneseulelégende.Elleseveuthumoristiquemaisenréalité,elleestaussihumiliantequecruelle:

«Dis,Thelma,puisquetutetapesleprof,tunepourraispasnousfilerlesujetduprochainexam?»

Mesmainssemettentàtrembler,monvisageestbrûlantmaismonsangseglace.Jesenslacolère

monterenmoi,tandisqu’Abrahamfermesonordinateuretmecaresseledospourmecalmer.

–Aprèscesphotos,ilnes’estrienpassé,lâché-jed’unevoixrauque,sansvraimentmentir.

Ilnes’est«rien»passéàcesdeuxmomentsprécis…

Pascequetoutlemondeimagine,entoutcas.

– Tu n’as pas à te justifier, me lance Phoebe. Certains connards adorent se prendre pour despaparazzis sur le campus.Créer des rumeurs et les balancer sur Internet, c’est un peu lamode dumoment.

–Çavacirculer,soufflé-jeenretenantmeslarmes.Demain,toutelafacauravucesphotos.–Peut-être,maislejourd’après,quelqu’und’autreseralacibledecesconneries,philosopheAbe.

Larouedesmédisancestournera.–C’estquandmêmemarrantquetunenousaiesriendit,mefixeJazz,pluscurieusequelesautres.–Iln’yavaitrienàdire,murmuré-je.–Tuesquandmêmemontéedanssacaisse,insiste-t-elle.–Mesfrèresavaientbesoindemoi,ilm’asimplementdéposéepourm’aider.Jen’aimepasparler

deça,vouslesavez.–C’estquoicesquestions?Dequelcôtétues,Jazz?luireprochePhoebe.–DucôtédeThelma !Toujours ! sedéfend laprincesse.Ellepeut toutnousdire, çane sortira

jamaisd’ici.C’estçaquejeveuxqu’ellecomprenne!

Leurs trois regardspeinés seposentànouveausurmoi. Jeme forceà leur sourirepuis inspireprofondémentavantdeprendrelechemindemachambre.

–J’aiduboulot.Bonnenuit,lesFantastiques…

J’écoute à peine leurs encouragements et referme ma porte pour m’y adosser. Peut-être qu’enfermanttrèsfortlesyeux,toutçadisparaîtra?

Saufquejenesuismêmepassûrequec’estcequejeveux.

Tomber amoureuse de son prof quand on n’est jamais tombée amoureuse de personne avant :balaise,Thelma…

***

Forcément, retrouver l’amphithéâtre du 118 Street n’a plus la même saveur. Je m’y pointe lelendemainpileàl’heureducours,voulantàtoutprixéviterd’avoiràadresserlaparoleàquiquecesoit.Vulenombredetêtesquisesonttournéessurmonchemindepuisquej’aimislespiedsàlafac,je sais que le mail a circulé pendant la nuit. Saloperie de curiosité déplacée. Et de nouvellestechnologies.

J’auraismieux fait de rester au lit, je crois.Àpeine entréedans la salle, j’entends les rires, lesapplaudissementset lesremarquesdésobligeantesfuser.Uncoupd’œilaugrandtableaublancet je

réalisequemaréputationestdéfinitivementfoutue.Inscritenénorme,enlettresmajuscules,grassesetagressives:

«MCLOVESETAPETHELMABELLAMY»

Je reste prostrée face à cette nouvelle humiliation.Abe, qui vient d’arriver, est déjà en train dechercher unmoyen d’effacer cesmaudites lettres,mais rien n’y fait : la trace est indélébile. Sansdouteécriteaumarqueurplutôtqu’aufeutreeffaçable,ç’auraitététropsimple.Jereprendsjusteassezdepoildelabêtepourfairevolte-faceetdisparaîtreauplusvite.Lafillequigardelatêtehauteetvas’asseoiràsaplace,c’estcellequejevoudraisêtre.Pascellequejesuisvraiment…

Lorsquejem’apprêteàquitterl’amphithéâtre,FinnMcNeilfaitsonentrée.

Sesyeuxmeparaissentplussombres,plustorturésqueladernièrefoisquejem’ysuisplongée.L’Hommeestencolère.Sabeautéestunaffrontaucommundesmortels,sonvisageunchef-d’œuvre,mais il a l’air soucieux. Son corps tendu. Ses traits froissés. Il me jette un regard furtif, maisincroyablementintense,puissetourneversletableau.

–Quelbelexempledelâcheté!gronde-t-ildesavoixpuissante.

Pas un bruit dans l’assistance. Personne n’ose regarder McNeil en face, toute l’attention resteportéesurmoi.Lassed’êtreobservéecommeunebêtedefoire,jemerapprochedelasortie.Etdoncdelui.

– Ne fais pas ça, Thelma. Ne les laisse pas gagner, murmure soudain mon professeur en meretenantsansmetoucher.

–Tunecomprendspas,ilsontdéjàgagné,fais-jed’unevoixéteinte.Mesétudes,cettefac,c’estlaseulechoseintouchablepourmoi.Laseulequipeutmesauver.

Toutenm’éloignantdelafosseauxlions,j’entendsMcGladiateurrugircommejenel’aijamaisentendurugir.Lesconspirateursvontpasserunsalequartd’heure.

***

Ladescenteauxenfersn’auraitpaspus’arrêter là.Unassistantde ladoyennem’attendaitàmoncourssuivant.Lejeunehommem’aremisuneconvocationpourlejourmême,àmidi.Biensûr,çan’apasaidéleschuchotementsàs’arrêter,autourdemoi.

11h51.Jefixeinlassablementlagrandehorlogedorée,danslasalled’attentecossuedubâtimentdeladirection.Del’autrecôtédumur,RachelSeymourdétientmonavenirentresesmains.Unesortededroitdevieoudemort.

À seulement quarante-cinq ans, c’est la doyenne la plus jeune de l’histoire de la faculté deColumbia. De celle de toutes les universités des États-Unis, je crois. Sociologue de renom,politicienneetécrivainàsesheures,cettefemmequej’admiredepuisdesannéesaunpointcommunavecmoi:elleestpartiederien.

–MissBellamy?mesurprend lasecrétaire.Vouspouvezyaller,MrsSeymourestprêteàvousrecevoir.

Commeunelégèreenviedevomir.Oudemeroulerenboule.J’inspire,expireetmerendsjusqu’àlaporte.Jefrappeàdeuxreprises,timidement,puistournelapoignée.

–Entrezetfermezderrièrevous.

Voilàlesseulsmotsquem’adresseladoyenneglaciale,sansmêmeleverlesyeuxdesesdossiers.Jem’approche à pas de loup etm’assieds face à elle. Je l’observe silencieusement, en attendant lasentence,persuadéequejevaismefairerenvoyer.Etquejelemérite.Grande,extrêmementmince,ladoyennemeprésenteunvisageosseux,unsourireauxdents immaculées,presquecarnassières,descheveux bruns, brillants et parfaitement brushés, coupés aux mâchoires. Sa tenue est stricte maisféminine.Untailleurbiencoupé.Elleestbelle,particulièremaisbelle.Austère,intimidantemaiselleaquelquechoseenplus,quelquechosedesauvage,quiexpliquepeut-êtresacarrièreirréprochable.Sij’avaisledroitdeformulerunvœu,c’estcettefemmequejevoudraisdevenir.

–Est-cequevoussavezpourquoivousêteslà,Thelma?medemande-t-ellesoudain.

Premiercontactauniveauduregard.Jevoudraisdisparaître.

–J’aidûcommettreunefaute…–Non, vous n’avez pas saisima question, sourit-elle polimentmais froidement. Pourquoi êtes-

vousici,àColumbia?–Pournepashériterdelaviemédiocredemamère.

Mafranchisemeperdrasûrement,unjour,maispasaujourd’hui.Maréponsesembleparfaitementconveniràcettefemmedepoigne.

–Pourvous élever, acquiesce-t-elle.À tous lesniveaux.Et celan’inclut pas« avoir une liaisonavecsonprofesseur».

–Cen’estqu’unerumeur,affirmé-jed’unevoixétonnammentassurée.–Peut-être,ajoute-t-elleenplissantlesyeux.Ceneseraitpaslapremièrequipolluelescouloirsde

cettefac.

J’acquiesce,attendantfébrilementlasentence.

– Je tenais à rendre la chose très claire, reprend-elle. Il est indiquédans la charte centenairedecetteuniversitéque les relationsentreélèvesetprofesseurssont formellement interditesetqu’ellespeuvent entraîneruneexclusion immédiate. Jene transigepasavec les règles,MissBellamy. J’oseespérerquevousnonplus…

Jelâcheunpathétique«Non»etmeraclelagorgeàdeuxreprises.

–Ilseraittragiquequecetteboursevoussoitretirée,ajoute-t-elle.Ilmesemblequevousaveztoutfaitpourlamériter.Deplus,vousaurieztoutlepremiertrimestreàrembourser.Soitunpeuplusde15000dollars.

–Çan’arriverapas,m’obstiné-je.–Tantmieux.J’aidesyeuxetdesoreillespartout,Thelma.Nel’oubliezsurtoutpas.

J’acquiesceencoreunefois,collectetoutesmesforcespourmereleveretsaluerladoyenne.

–Thelma?fait-ellealorsquemamainapresqueatteintlapoignée.–Oui?–Quevouslecroyiezounon, je lefaisdansvotre intérêt.UnhommecommeFinnMcNeil…Il

pourraitvousfaireperdrecepourquoivousvousêtestantbattue.–Aucunhommen’aurajamaiscegenred’emprisesurmoi,MrsSeymour.

Jequittesansmeretournercebureauaumobilierrutilant,cecouloiràlatapisserieopulenteetcebâtimentàl’architectureprétentieuse.JeretrouvelesruesdeManhattan,lewagondumétro,puismonquartiercosmopoliteetbruyantduBronx.Jesuischezmoi,ici.Dansmonmonde.

Je lève lesyeuxet, entre terre et ciel, reconnais levisagedeFinn.Depuisun immensepanneaupublicitaire,l’écrivainsexyetrichissimemeregarde.Dehaut.

Voilàpourquoiluietmoi,c’estdéfinitivementfoutud’avance.

Àsuivre,nemanquezpasleprochainépisode.

Egalementdisponible:

Corpsimpatients-2

Aprèsundébutdeviechaotique,consacréàsamèrealcoolique,sestroispetitsfrèreslivrésàeux-mêmesetsesquatrejobssous-payés,Thelmaadécidéd’échapperaudestinmédiocrequil’attend…etdes’occuperd’elle,enfin.Àvingtetunans,elledécrocheuneboursepourentreràlaprestigieuseuniversitédeColumbia,NewYork.

Lesmecs?Pasenvie.Lesloisirs?Pasletemps.Lesamis?Toutjustedivertissants.Sourire?Etpuisquoiencore?!Thelmasaitqu’elletientsonuniquechancedes’ensortir.Etriennepourral’empêcherderéussir.

Maissurlechemindelaréussite,ellevatrèsvitecroiserFinnMcNeil,lepluscélèbreetleplussexydesprofsdelittérature,dontlesbest-sellerss’arrachentparmillions.Thelmasefaitalorsunepromesse:nejamaisintégrerleCercledesÉtudiantesTransiesd’AmourquigraviteautourduProfesseurMcLove…

Retrouveztouteslesséries

desÉditionsAddictives

surlecatalogueenligne:

http://editions-addictives.com

«Toutereprésentationoureproductionintégrale,oupartielle,faitesansleconsentementdel’auteurou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alinéa 1er de l’article L. 122-4). Cettereprésentationoureproduction,parquelqueprocédéquecesoit,constitueraitdoncunecontrefaçonsanctionnéeparlesarticles425etsuivantsduCodepénal.»

©EDISOURCE,100ruePetit,75019Paris

Octobre2016

ISBN9791025733189