· - Danone - 3 M - Péchiney - France-Télécom Un mémoire de DEA de l’Université de Paris...
Transcript of · - Danone - 3 M - Péchiney - France-Télécom Un mémoire de DEA de l’Université de Paris...
PRESENTATION
Le présent rapport rend compted’une recherche commandée par laDATAR
au Laboratoire Techniques, Territoires etSociétés,agissant en coopération
avec leCEREM-FORUM de l’Université deNanterre.
Le thème central de cette recherchee s t : la globalisation et la
territorialisation desgroupes.
Le coeur dutravail aconsistédans lamise enplaced’un dispositif original
de séminairespermettant à des acteurs publics (de laDATAR en particulier)
et à des chercheurs de rencontrer desresponsables dehaut niveau de
grandes entreprises (industrielles maisaussi tertiaires), ces dernières
présentant les stratégies et leslogiques de territorialisation deleurs firmes, et
ayantaccepté derépondre aux questions de l’auditoire.Chaque séminaire
s’est déroulépendant unedemi-journée,entre mai et novembre1996,et a
fourni un riche matériau de premièremain.
Ont ainsi été auditionnés des dirigeants de :
- Rhône Poulenc Rorer
- Rhône Poulenc Chimie
- Bouygues
- Bos tonConsultingGroup
- C a n o nFrance
- N o v a t r a n s
Le rapport s’appuie également sur d’autresauditions, interviews et
présentations des responsables desentreprises suivantes :
- Lafarge
- Usinor-Saci lor
- Thomson-CSF
- C A P Gemini
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
- D a n o n e
- 3 M
- Péchiney
- France-Télécom
Un mémoire de DEA del’Université deParis XII a également étéréalisé su r
la question deséchellesgéographiquesdans lesorganigrammes(F. Wiscart,
juillet 1997), enrelation directe avec la recherche.
Le rapports’appuie enfin sur laconnaissanceaccumulée ausein desdeux
laboratoires, les recherches-actions menéesdepuis delonguesannéespar le
LATTS avec demultiples grandes entreprises et lestravaux statistiques ou
d’enquêtes menées par leCEREM-FORUM.
L’objectif de la présentenote de synthèse est defournir au lecteur les
résultatsprincipaux de cesinvestigations,sous une formeaccessible etutile,
donc relativementbrève. Il faut insister ici sur le fait que lessujetsévoqués
- la "globalisation" des grandes firmes, les transformations
organisationnelles quecette globalisation entraîne, lesimplications
territoriales de cestransformations - font l’objet d’une littérature générale
abondante,notammentsous laforme de livres demanagement quivantent
les dernières recettes-miracle,mais qu’il existe étonnamment peud’études
monographiquesprécisespermettant de dresser untableau objectif d ’un
univers organisationnel enpleine mutation.
La commande passée par la DATAR comportait principalement la
réalisation du séminaire.Les comptesrendus de ce dernier ont fait l’objet de
deux rapports d’avancement remis à laDATAR. Nos interlocuteurs o n t
demandé expressément que ces comptesrendus, qui contiennent des
éléments confidentiels, ne soient pasrendus publics au-dela desmembres
du groupe detravail.
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
SOMMAIRE
1. Introduction 4
- L e contexte: passaged’oligopoles nationaux à des oligopolesmondialisés- Un enjeu-clé pour lesterritoires- Portée et limites d’une analysecentrée sur les grandesfirmes
2. Stratégies etorganisations : les grandes tendances 13
3. Echelles géographiques et niveauxd’organisation 23
- L a dialectique entre marchés-produits et marchésgéographiques
4. Echelles géographiques etstructures fonctionnelles 31
5. Pour conclure : les groupes enFrance ; la place del’Europe : les groupes et le local 37
Références 43
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
1. Introduction
Le contexte : passaged’oligopoles nationaux à des oligopolesmondialisés
Des premières décennies dusièclejusque dans lesannées 70, lesmodalités
d’organisation de laplupart des branches ont étédominées par laformation
d’oligopoles nationaux, marquant un repli par rapport à lasituation
économiquenettement plusinternationalisée (en termesrelatifs) qui avait
prévalu jusqu’à laveille de lapremière guerre mondiale(Hirst, Thompson,
1996). L’espace de production, l’espace deconsommation etl’espace de
financement étaient en étroite correspondance au sein desstructures
nationales, cesdernières tendant à repousser ausecond rang (voire à
éliminer pratiquement, comme enFrance) lessous-espaces régionaux
comme espacesrelativement autonomes. Cesoligopolesnationaux avaient
comme caractéristiques d’être bâtisd’abord sur l’exploitation defortes
économies d’échelles et des stratégiesd’intégration verticale.Bien entendu,
certaines firmes,notamment américaines, ont implanté des unités de
production àl’étranger, etnotamment enEurope,pour bénéficier destaux
de croissance locauxélevés etpour conquérir desparts demarché ausein de
structuresencore faiblementconcentrées.Mais ces firmesmultinationales et
les firmesdomestiquesétaient soumises auxmêmes contraintesd’activité :
celle de l’environnement national.
La grande rupture quiintervient, d’abord timidement àpartir du milieu des
années70 et plus vigoureusement à partir du milieu desannées90, est celle
du passage à une situationd’oligopoles mondialisés.Ce passagerésulte d’un
double mouvement d’internationalisation des marchés et
d’internationalisation des entreprises et de laproduction, dynamiques qui se
confortentmutuellement. Pourétendrerapidementleur part demarché (la
vitessejoue un rôleessentiel), les firmessont amenées deplus en plus à
s’implanterproductivement dans leszones deconsommation, souvent par
croissance externe.Même le Japon, et plus récemment l’Allemagne,
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
structurés comme des machines à exporter àpartir du territoire national, ont
connu cette évolution. Levolume et la structure desflux d’investissements
directs àl’étranger témoignent de cettemutation. Cesflux passentd’environ
50 milliards de dollarsannuels(avant 1985)à 211 milliards en1990et à 360
milliards en 1995. Si l’on ajoute àcela desréinvestissements locaux des
bénéfices et l’appel au créditnational despaysd’implantation, cechiffre doit
être multiplié par 3 ou 4,pour mesurer correctement lesinvestissements
extérieurs des firmes.Quant à la géographie des flux,elle devient
multipolaire, les USA passantd’une position de paysémetteur largement
dominant à une situation derécepteur trèsimportant. L’Europe en général,
la Grande-Bretagne et la France en particulier,sont à la fois parmi les
premiersémetteurs etparmi lespremiers récepteurs.Soulignonsaussi, a u
passage, quecontrairement auxidées reçues sur les"délocalisations
massives" vers les pays àfaibles salaires, ces flux serecentrent très
majoritairement sur le pays de laTriade, et surquelques paysd’Asie ou
d’Amérique Latinedits "émergents".
Les grandesfirmes s’engagent ainsiprogressivement dans demultiples
marchés nationaux ou"régionaux", nonseulement par lecommercemais
par laproduction, voire par larecherche.Elles retrouvent tout ou partie de
leurs concurrents sur ces multiplesthéâtres concurrentiels, qui restent
relativement spécifiques, malgré l’abaissement généralisé desbarrières
tarifaires et non-tarifaires, nefût-ce qu’en raison desspécificités de la
consommation, desmodes de vie et desappareils de distribution.
La mondialisation des oligopoles setraduit par trois phénomènesmajeurs :
- La logique de stabilité desparts desmarchés et de rigidité desprix qui
prévalait àl’abri des frontières nationales estrompue. Lesgrandesfirmes
sont amenées,souvent àleur corps défendant, àentrer dans unevéritable
concurrence par les prix, quidégénèreparfois en guerre desprix. Mais,
simultanément, l’avantage concurrentielobtenu par lescoûts et les prix se
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
révèle totalementinsuffisant. Lesatouts de"différenciation", par la qualité,
les services associés auxproduits, la variété, la réactivité, la capacité
d’anticipation et l’innovation deviennent descritères de performance
obligatoires, non-électifs, enparticulier sur lesmarchés lesplus développés
et pour lesfirmes dont lesbasesnationales de productionsont caractérisées
par un coûtélevé dutravail.
- Ce t t esuperposition-imbrication de multiplesformes decompétitivité, a
priori peu compatiblesentreelles, et quicorrespondaient traditionnellement
à des segmentsséparés des marchésnationaux, impose deschangements
organisationnels profonds, les organisations"tayloriennes" traditionnelles
se révélant contre-productives.
- Les espaces deproduction, deconsommation et definancement sont
progressivementdissociés ; les investissementsextérieurs destinés à la
production et à la R&D nesont pas, engénéral, destinés àservir le seulpays
d’implantation, mais deszones régionales plus vastes, voire lemonde
entier. Quant aufinancement, il s’internationaliserapidement,notamment
avecl’entrée en force desfonds de pension et fondsmutuels anglo-saxons
dans le capital des firmes cotées en bourse. Dans certainspays, la
dissociationentre l’espace desgrandesfirmes et l’espace national devient
spectaculaire. Le payschampion à cetégard estsans doute laGrande-
Bretagne. Les 100 premières entreprises britanniques (en termes de
capitalisation boursière) ont un chiffre d’affaire cumulé quiéquivaut à
85,5% du PIB. Mais elles n’emploient que 17% de la populationactive
britannique !( 1 ) .
Au total, les firmes sont alors de plus en plusnombreuses à s’auto-
proclamer comme "firmes globales", ce terme polysémique de
"globalisation" voulant désigner une série derupture avec les stratégies et
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
les organisations del’ère multi-nationale ou multi-domestiqueprécédente.
Selon les cas, letermesignifie ainsi :
- la volonté d’êtreprésent, de manière à peu prèsproportionnelle à lataille
des marchés, sur la totalité du globe.(Dans ce cas, il estplus juste deparler de
"mondialisation") ;
- la volonté deconcevoir et degérer l’ensemble desactivités, quelle que
soit leur localisation, de manièreaussi "synergique" que possible,c’est-à-dire
notamment enmutualisant àl’échelle de groupe tout entier les effets
d’apprentissage résultant des diversessituations locales (technologiques,
commerciales, culturelles). Dans cecas, le terme de "globalisation" peut
s’appliquer également à des sous- ensemblescontinentaux,voire nationaux,
et à des secteurspour lesquelsn’existent que des marchésgéographiquement
segmentés,comme le ciment, par exemple.
Un enjeu-clé pour lesterritoires
Les évolutionsqu’on vient d’esquisser entraînent deschangements radicaux
des politiques industrielles nationales.Celles-ci ne sont plus tournées
prioritairement vers la construction debarrières protégeant lesindustries
nationales, maiss’inscriventdans un jeu deconcurrencemondialisée entre
les Etats eux-mêmes,cherchant àrenforcer la compétitivité deleurs groupes
nationaux et à obtenir le pluspossibled’avantages commerciaux stratégiques
pour ceux-ci. Quant auxpolitiques d’attractivité, elles deviennent plus
"horizontales" que "verticales", en se centrant sur laconstruction
d’avantagestels que la qualité desinfrastructures et des grands services
publics, la compétence de la main-d’oeuvre, ledynamisme de lacréation
technologique.
S’agissant desterritoires relevant del’échelle infra-nationale, unedouble
question sepose :comment attirer desinvestisseursmobiles ?Comment
stabiliser les firmesinstallées etfreiner leurs"nomadisme" ?Denombreux
travaux montrent que,contrairement à une imagesuperficielle, l’ancrage
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
territorial reste une ressourcetrès importante pour lesgrandesfirmes, en
particulier parce que lesnouveaux critères concurrentiels reposent sur des
effets relationnels et desexternalités dont lestissus territoriauxn’ont certes
pas le monopole, maisdont ils restent un pourvoyeur privilégié.
Néanmoins, la dialectiqueentre les tendances aunomadisme et les
tendances àl’ancrage estcomplexe et se traduit par des situationssouvent
instables.
Lebut de ce rapport estd’apporter deséléments de réponse à cettequestion
du rapport auterritoire desgrandsgroupes, en partantde leur propre point
de vue.
On procédera en trois étapes :
Une premièrepartieprésentera les principalestendances de fond(observées
dans nosenquêtes, nosentretiens et dans lalittérature engénéral) relatives
aux nouveauxschémasstratégiqueset organisationnels des grandesfirmes.
Dans une deuxièmepartie, on analysera leséchelles géographiques telles
qu’elles apparaissentdans lesorganigrammeset les structures desfirmes.
Dans unetroisièmepartie enfin, onrassemblera quelquesdonnéesrelatives
aux processus de localisation différenciés des grandes fonctions
d’entreprises.
Portée et limites d’une analysecentréesur les grandes firmes
Avant d’aborder cesthèmes, il est nécessairetoutefois de répondre àdeux
objections relatives à la portéed’une analysecentrée sur lesgrandesfirmes.
La première objectionpart d’un point de vued’économieinternationale qui
tend à relativiser fortement l’importance de lamultinationalisation de
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
firmes et du commerceinternational engénéral dansla dynamique sociale
et territoriale desnations. Ce point devue, qui a été notammentdéfendu par
D. Cohen enFrance(Cohen,1997),peut s’appuyer sur diversarguments.La
part "internationalisée’ de la production(c’est-à-dire la production des
multinationales hors deleur pays d’origine)n’était que de7 % environ d u
PIB mondial en 1990 (4,5% en 1970, 5,7% en 1982) (Lipsey, Blomström,
Ramstetter,1995). Sur les 100premières multinationales, aucune nepeut
être véritablement qualifiée de "globale" : au moins 20 d’entre elles ne
doivent leur surviequ’à desaides massives desEtats (Ruijgrok, VanTulder,
1995).Le commerce international engénéral ne représentequ’une faiblepart
de l’économie desgrandspays. Des ensembles commel’Union Européenne,
le bloc USA-Canada ou leJapon consomment à90 % leur propreproduction.
A l’intérieur même de cesensembles, lesfrontières nationales restent des
obstacles defait considérables auxéchanges. On aainsi pucalculer qu’entre
les provincescanadiennes et lesEtats des USA, les échangessont, à distance
et poids comparables,20 fois moins élevés qu’au sein du Canada(Mac
Callum,1995).En Europe, leséchangesentre payssont probablement dixfois
moins élevés, làencore àdistance etpoids comparables,qu’au sein des
espacesnationaux.
Ces arguments ont letrès grandmérite deruiner desidéesfausses,comme
celles qui attribuent à laconcurrence des pays émergentsl’origine d u
chômage en France ou en Europe. (Enréalité, les importations debiens
industriels enprovenance de cespays ne représententqu’environ 1% d u
PIB). Ils ont aussi lemérite desouligner que lesprocessus d’intégration
"régionaux" comme celui de l’ensemble européen ontencore un long
chemin à parcouriravant d’arriver au niveau d’intégration des Etats-
nations. Néanmoins, cesobjections etcesdonnéessous-estimentfortement
le poids réel desfirmes multinationales etl’impact de leur "globalisation".
Car il faut bien sur compteraussi dans lepoids des multinationales lapart
de leur production intérieure, qui est enréalité soumise auxnormes
internationales et qui est de plus en plus partieintégrante de réseauxtrans-
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
nationaux. Demême, il faut ajouter lesconsidérables effetsinduits sur les
fournisseurs, les sous-traitants, les distributeurs,formant cequ’on appelle
parfois l"’entreprise étendue", dont le degré d’intégration technique et
économique peut croître alors même que les périmètresd’intégration
juridiques seréduisent. Or, même en selimitant au périmètre officiel des
firmes et de leursfiliales de premier rang, onestime que lesmultinationales
représentent un bon tiers desactifs (industriels) mondiaux, et que les
échangesinternes entre leursétablissements (répétons-le :sans compter les
fournisseurs)représentententre lequart et letiers des échangesmondiaux
- c e qui, au passage,conduit évidemment à regarderd’un oeil différent les
chiffres du commerceextérieur des"nations". Enfin, si la responsabilité
mécanique et directe des échangesinternationauxdans lesprocessus socio-
économiquesinternes aux pays estlimitée, comment ne pasvoir que les
activités desfirmes engagéesdans lesmarchés oligopolitiques mondialisés
entraînent par demultiples effets en chaîne de trèsprofonds changements
sur les économiesnat ionales - nefût-ce qu’en imposant progressivement
des normes de production et deconsommation nouvelles ? D. Cohen,ainsi,
a sans doute raison de soulignerl’importance de ce qu’il appelle la
"troisième révolutiontechnique".Mais il a tort de dissocier cettedynamique
technologique de la dynamique d’internationalisation. Car ce que
l’observation concrète desfirmes (grandes ou petites)révèle demanière
éclatante, c’est l’imbrication profonde entre les effets et les formes de
changement techniqued’un côté, les effets et lesformes dela concurrence
mondialisée (à la fois par lesprix et la différenciation), de l’autre.
Une deuxième objection possible estcelle qui oppose lefaible poids relatif
des grands groupes, en particulier dans lacréation d’emplois, et le
dynamisme desPME. Mais, là encore, il convient de se méfier des
représentationstrop simples etdichotomiques.Bien sûr, il est essentiel de
ne pas oublier que,dans l’emploi local, une proportion très élevéerelève
d’activités proprementlocales, à courtrayon demarché. Parmi lesemplois
correspondants, on trouved’ailleurs aussi bien desemplois publics, des
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
emplois relevant de PME plus oumoins artisanaleslocales que desemplois
relevant de grands groupesinternationalisés.D’autre part, s’il est vrai que,
globalement, lapart des PMEdansl’emploi nationals’est fortement accrue à
partir du milieu desannées 80, avec un tassement à partir de1 9 9 0 -
l’emploi dans lesentreprises demoins de 500salariés a crû de 15% entre
1985 et1992alors quel’emploi dans lesentreprises de plus de500 salariés a
décru de 6,6% - l’interprétation de ces chiffresmérite beaucoup de
prudence et nedoit pas conduire trop vite à des conclusionstranchées
commecelle desadeptes de"small is beautiful". Ilfaut en effet tenir compte
du fait que desentreprises engrand nombre passent d’unecatégorie à
l’autre, et le gonflement deseffectifs des PMEobservé dans lesannées 80
tient en largepartie aux entreprises quiétaient au-dessus de la barre des500
salariés et quisont passéesen-dessous decette barre. Deuxièmement, u n e
très grandepartie des PME estcomposée de filiales degroupes, aussibien de
grands groupes que de mini-groupes qui sesont fortement développés
durant ladernière décennie. En1995,plus d’un emploi sur troisdans les
PME dépenddirectementd’un groupe (1). Et les statistiqueslongitudinales
montrent que lesgroupes prennent une partessentielle à la croissance de
l’emploi dans les PME(sur cespoints, voir F. Boccara, 1997 etVergeau,
Chabanas,1997). Il est clair enfin que les grandesdifficultés statistiques
éprouvées pour clarifier ces multiples mouvements traduisent le f lou
croissant qui caractérise les périmètres réels (de contrôleplus que de
propriété) desgrandes firmes, ainsi que l’imbrication croissanted’une
grande partie del’univers des PME et de l’univers desgroupes.Ceci doit être
particulièrement soulignédans le cas de laFrance qui secaractérise par une
relative faiblesse desgrossesPME indépendantes (le fameux"Mittelstand"
allemand), une interdépendanceéconomique très forte entre PME et
groupes,associée à unedistance culturelle et sociale particulièrementgrande
entre les dirigeants desunes et des autres.Pour toutes ces raisons, la
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
compréhension des rapports auterritoire des grands groupesreste un
préalable essentiel à unepolitique d’aménagement du territoireréaliste.
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
2. Stratégies et organisations: les grandes tendances
Le premier constat qui s’impose au vu de nos enquêtes est ladiversité des
trajectoires stratégiques etorganisationnelles, selon les secteurs,l’histoire
des firmes, les options dumanagement.Ainsi, certaines firmesabordent la
phase de "globalisation" en renforçant lacentralisation, l’homogénéisation
des procédures, desnormestechniques et industrielles (par exemple :Bosch,
Rhône PoulencRorer pour la partie production), alors qued’autresgroupes
jouent la carte de la décentralisationdans le cadre d’un schéma plus
"fédéral".
Bien entendu, lestypes desecteurs et de structures dumarché constituent
des critères dedistinction de premier rang.La stratégie etl’organisation de
Bouygues-Bâtiment, engagé sur un marché quireste principalement
national, peuventdifficilement être comparées à celles de RhônePoulenc
Chimie, qui opère (enpartie) sur desmarchés de commoditésmondialisés.
A type de marché et desecteur donné, on peut toutefois observer des
orientations sensiblement différentes : une certaine autonomie de la
dimensionstratégique parrapport auxdimensions structurelles accompagne
la globalisation. Ceci étant dit, on peut néanmoins repérer degrandes
tendances communes, qui tiennent à la similitudes desproblèmes
rencontrés. Ces problèmesgénériques peuvent se formulerainsi : (a)
commentêtre mondial,bénéficier àplein des avantages de lagrandetaille et
des économiesd’échelle qu’ellepermet, tout en restant proche des clients,
capables de secouler dans lescontraintesspécifiques dezones nationales
données, capable deréagir rapidement aux variationsconjoncturelles et
structurelles desmarchés locaux et,plus généralement, desenvironnements
locaux ? (b) comment préserver, à travers cetéquilibre difficile entre
productivité et réactivité, une véritable capacité d’anticipation et
d’innovation ? Onnotera, au passage, que lepremier problème est e n
général posédirectement et avecforce. Il a souvent tendance àocculter le
second, pourtant nonmoins important.
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
Les tentatives de réponse à cesdeuxproblèmes peuvent seregrouper en six
grandesclasses :
1) La recherche decompromis entre leséconomies de dimension et
l’ajustement à des conditionsgéographiques différenciées
Il va de soi qu’uneorganisation monolithique de la production estsouvent
incompatibleavec l’extrême diversité desconditions localesdanslesquelles
les firmes "globalisées" setrouvent engagées. Une telleorganisationpeut
existerdans des cas deproduction relativement simples etdont l’avantage
concurrentiel lui-même repose sur lastandardisation(Mc. Donald’s). De
même, pour les industries deprocesshautementautomatiséeset/ou pour
les industries productrices debiens intermédiaires faisantl’objet d ’un
marché mondial ("commodités"), la globalisationpeut se traduire par la
mise enplace de réseaux d’unités trèshomogènes et normées,constituant
des enclaves dehauteproductivité faiblementreliées àl’environnement des
pays d’accueil (1). Mais, plus on se rapproche dessecteurs deproductions
complexes tournésvers le grandpublic, plus la diversité desconditions
locales (types de marchés du travail,structures de laconsommation,
réglementations nationales, voire infra-nationales, structures de la
distribution) devientprégnante. L’enjeu crucial est alors d’arriver à un
niveau de rationalisationélevé dela production - niveau qui engénéral
n’est pas donné d’emblée, car la globalisation s’engagesouvent par
croissance externe, et setraduit dans unpremier temps par laconstitution
d’ensembles enpatchwork plus ou moinshétéroclites - tout en gardant
suffisamment de souplessepour s’ajuster aumieux aux conditionslocales,
notamment enmatière de main-d’oeuvre, de salaires, et derapports aux
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
consommateurs.Ceci pose notamment laquestion de laplace respective
dans les organigrammes desdivisions géographiques et desdivisions
produits, surlaquellenousreviendrons plusloin.
2) La recherche d’un équilibre entre transversalité et modularité des
organisations
Si la globalisation entraîne deseffets directs, comme ceuxqu’on vient
d’évoquer,elle entraîneaussi deseffetsindirectstrès importants, par lebiais
des nouvellesformes concurrentiellesqu’elle impose.Depuis unevingtaine
d’années, une expériencefondamentale, commune àtous lessecteurs, a été
la découverte du faitsuivant : pour atteindre lesobjectifs concurrentiels
exigés par lesmarchés de différenciation (qualité,niveau de service,
réactivité) et les objectifs de réduction des coûtsdans un contexte
notamment capitalistique (automatisation etintégration des processus
techniques), lesgrands cloisonnementsfonctionnels résultant des schémas
d’organisationbâtis aucours du siècle passésont essentiellement contre-
productifs. Les performances dequalité, par exemple,dépendent directement
de la pertinence des coopérations existantentre les fonctionsamont de
conception (produit etprocess), lesfonctions de fabrication, lesretours
d’expérience via lesservices commerciaux,etc.La réactivité dépend de la
coopération ausein deschaînes logistiques. Enconception, laréduction des
délais desprojets appelle denouveaux liens, voire l’intégration totale des
processus de conception des produits et desprocessus de conception des
outils, desméthodes, des process(ingénierie concourante, ou simultanée,
produit/process). Laréduction des coûts elle-mêmedépend aupremier chef
de la fiabilisation-flexibilisation desoutils de production,c’est-à-dire de la
coopération entre les fabrications, lesspécialistes de lamaintenance, les
concepteurs desoutils. Au total, la "productivité des interfaces" ou la
"productivité par la coopération" compte plus que la productivité
traditionnelle des opérations standardisées(Veltz, Zarifian, 1994).
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
Mais,bien entendu, lesformes de transversalisation et de décloisonnement
(organisations par processuset/ou parprojet) qui sontmises en oeuvrepour
répondre à ces exigences de coopérationentre services,savoirs et métiers
spécialisés seheurtent à de gravesdifficultés :
(a) comment maintenir lesspécialisations et lesstructures quipermettent
leur reproduction et leuramélioration ?
(b) comment opérer unetransversalisation à grande outrès grandeéchelle,
dés lors que les ensembles productifsmettent en jeu detrès nombreux
salariés et demultiples sites ?
La réponse auxdilemmes ainsi créés setrouve dans une combinaison
(variable) de logiques de transversalisation et de logiques demodularisation,
par la création d’unités multi-métiers de taille limitée,plus ou moins
articulées à desstructures fonctionnelles classiques et maillées par des
structures transversales. Par exemple,Thomson CSF a récemment réparti
ses activités en 120 unités "multi-métiers", auxallures de PME (selon u n e
logique de découpage parmarchés surlaquellenousreviendrons). Maiscette
décomposition est compensée par lacréation d’outils transversaux : en
l’occurrence des réseaux appelésCommonEfficiency Teams, rassemblent des
personnesd’unités opérationnellesdifférentes pour élaborer desméthodes
et capitaliser lesexpériencesdans des domainesdonnés. (16 réseauxtechno-
industriels et26 réseauxachats en1996).
Au niveau d’organisation inférieur, de nombreux sites deproduction se
réorganisent en "unités élémentairessemi-autonomes", desgroupes
transversaux divers assurant lacohérenceentre cesunités pour un certain
nombre de processuscommunscaractériséscomme cruciaux. Eningénierie,
les organisations matricielles croisant les logiques"métiers" et leslogiques
"projets" deviennent larègle, notamment pourl’objectif de réduction des
délais deconception.
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
3) La prédominance croissante de lastructuration parl’aval (les marchés, les
applications)
Dans un contextegénéral de passage de marchésd’offreurs à des marchés
d’acheteurs, ladynamique du"client-roi" s’imposeprogressivement, même
à des firmes de secteursamont structurés depuis leursorigines autour de
process technologiques de fabrication de biens ou de services debase.Toutes
les firmesenquêtées,sans exception,font évoluer leurs organisationse n
privilégiant l ’aval - les structures et les segmentation desmarchés - au
détriment del’amont. Bornons-nous à trois exemples :
- France-Télécom, qui aréorganisé complètement sesstructures encréant
des branches"clientèle" différenciéesselon lesmarchés et enrassemblant les
activités techniquesliées àl’infrastructure dans une branche-support ;
- Thomson-CSF, déjà cité, qui adéfini 80 "Stratégic Bussiness Unit",
spécialiséesselon lesmarchés, et40 "Technical BussinessUnit", rassemblant
les fonctions techniquessupport ;
- Rhône Poulenc Chimie, qui estpasséd’une logique industrielled’offre de
grands produitsintermédiaires à une "chimie d’application et deservice",
structurée pargrands domainesd’application, en "entreprises" qui n’ont pas
d’existencejuridique mais qui constituent ledécoupage stratégique de base,
chacune de ces "entreprises"devantbien entendumanier descompétences
techniques souventtrès diversifiées.RPCse rapproche ainsid’une structure
commecelle de 3M quidepuislongtemps estorganiséeautour desdomaines
d’applications, àpartir de quelquestechnologies de base transversales.
4) Lecontrôle de la chaîne devaleur commeobjectif stratégiquecentral
L’image simple mais puissante de la"chaîne de valeur" constitue
aujourd’hui un référentiel commun pour les grandesfirmes. Elle renvoie à
trois idées diversementpondérées :(a) Dans un contexte deconcurrence
complexe par la différenciation, l’essentieln’est pas de réduire
systématiquement lescoûts par des effets deproductivité classique,mais
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
d’augmenter la valeur etd’éliminer les activités nonproductrices devaleur.
(Le problème étantqu’on connaît les coûts,mais que la"valeur" doit être
anticipée). (b) Lecadre stratégiquenatureln’est pascelui de l’activité ausens
classique (spécialisationautour d’un métier oud’une technologie),mais la
chaîne d’activités quiconverge vers unevaleur d’usage donnée. (c)
L’important est decontrôler la chaîne devaleur, et non pas de laposséder : il
est souvent plusprofitable de contrôlersansposséder que de contrôler par la
propriété. Cette logique de la"chaîne de valeur" contribue ainsi à
l’externalisation croissante desactivités non stratégiqueset/ou desactivités
"banales" etstandardiséesrelevant d’une concurrencetraditionnelle par les
prix - externalisation qui aaussi letrès grandmérite, auxyeux desgroupes,
de répartir les risques,d’accroître la réactivité et de réduire la complexité de
gestion. Il estsouvent plussimple et moinscoûteux degérer via descontrats
commerciaux de prestations que degérer via des règlesorganisationnelles
internalisées. A lalimite, on aboutit auschéma de la firme creuse("hollow
corporation") detype Nike, qui necontrôle que laconception et lemarketing
du produit.
L’orientation "chaîne de valeur" conduit aussi àdonner uneimportance
cruciale aux processus logistiques et à l’articulationentre production,
marketing et distribution. Une illustrationsaisissante est l’évolution e n
France du secteur textile-habillement, entièrement restructurésous la
domination desdistributeurs, et en particulier desnouveaux distributeurs
spécialisés (detype Kiabi, Camaïeu,Promod, etc.) (Courault, Paret, 1997 ;
Philippe,1997).
5) Un régimed’innovation partenarial
Lesgrandes entreprisesglobaliséesconcentrent des moyens de recherche et
de marketing considérables. Elles sont particulièrement performantes
lorsqu’il s’agit de déployerrapidement des innovationsincrémentales, par
exemplepour leréglage deprocess complexes, en faisant circuler dessavoir-
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
faire éprouvés. Ceciconstitue l’un des avantagesstratégiquesd’une firme
comme Lafarge, parexemple, qui peutainsi élever trèsvite la productivité
de cimenteriesacquisesdans denombreux pays.Elles sont également très
orientées vers la diversification-déclinaison de produits existants,
aboutissant à lacréation d’une diversité engrande partieartificielle (mais
néanmoins coûteuse). En revanche, l’innovation ausens plusfort du terme
(création deproduits nouveaux,sansmême parler derupture) pose des
problèmes difficiles,pour diverses raisons :
(a) un produit nouveau nedéstabilise passeulement les concurrents,mais la
firme productrice elle-même ;
(b) l’orientation vers la flexibilité-réactivité à court terme est tellement
dominante qu’elle obère les capacités deflexibilité-innovation par
anticipation ;
(c) dans certainsdomaines, comme la pharmacie, le développement de
nouveaux produits devientextrêmement coûteux, eninvestissement et en
temps ;
(d) les liens deplus en plus étroits entre connaissancesscientifiques
(diversifiées) et l’innovation dans un certainnombre de domaines se
traduisent par un paradoxedifficile à gérer : une innovation fortement
"décontextualisée" dans sonorigine qui doit être "recontextualisée"pour
pénétrer les marchés, etceci selon des trajectoirestrès difficilement
prévisibles.
Ce dernier point estessentiel.La caractéristiquecommune auxtechnologies
modernes lesplus porteuses estd’être liées à desdomaines scientifiques
amont et transversaux, qui déstabilisent les filières technologiques
traditionnelles, par lamultitude et ladiversité sectorielle desapplications
possibles : c’est le caspour lestechniquesd’information, lesmatériaux, les
bio-technologies. Les coûtsélevés et la trèsgrande ouverture despossibles,
confrontés à la spécialisation età la segmentationcroissante des marchés
d’application, engendrent alors desblocagesd’innovation. Lesstratégies
d’offre traditionnelles soumisesà la sélection "darwinienne" ex-post sont
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
trop risquées. Seuls descadrescoopératifs communs auxoffreurs et aux
utilisateurs permettent dedébloquer l’innovation, en la testant et e n
mettant enplace desprocessusprogressif de co-développement.Cela vaut
pour les marchés grands publics où de tels tests à grande échelle se
répandent, maisplus encore pour les marchés professionnels. Un bel
exemplerencontré dans nosenquêtes est celui d’Usinor-Sacilor, qui,d’une
part, construit unestratégie de différenciation en nevendant plus un
matériau (l’acier) mais des"solutions-aciers" pour desproblèmes ou des
clients particuliers ; et qui, d’autrepart,teste et élabore cessolutions pas à pas
en relation directe avec les utilisateurs (l’industrie automobile, en
particulier).
De manière générale, cesproblèmes de coût et derisques del’ innovation
expliquent à lafois la concentrationcroissante de certains secteurs(comme
la pharmacie) et ledéveloppement desaccords departenariat et de co-
innovation, qui tissent leur toile à travers les structures concurrentielles
elles-mêmes(CEREM, 1998).
6) L’émergenced’un modèle cellulaire en réseau
Les diversesévolutions qu’onvient de noter convergent vers une montée
progressive de formes d’organisation enréseau, qui se mêlent auxformes
hiérarchiques traditionnelles (toujoursprésentes,bien entendu, etsouvent
renforcées) en les métissant deformes contractuelles,pseudo-marchandes
ou véritablementmarchandes. Sous desformes extrêmementdiversifiées -
insistons ànouveau surce point - sedessine entendance un"modèle de
cellules enréseau" qui est caractérisé pardeuxaspectsprincipaux :
- l e s unités de basesont desunités multi-fonctionnelles et multi-métiers,
dotées d’une autonomie opérationnelle relative, sur fond de procédures
souvent deplus en plusstandardisées(cesunités existent à desniveaux
d’organisationdivers : centres deprofit, "bussiness unit",sites deproduction
ou d’ingénierie ; cellulesélémentaires de travail ausein dessites et des
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
unités) ;
- les modes de coordination et decontrôle par la fixationcontractuelle
d’objectifs et la sanction ex-post desécarts objectifs-résultatsgagnent d u
terrain, audétriment desmodestraditionnelsappuyés sur laprescription ex-
ante des processus et desmoyens ; lesrégulations marchandes oupseudo-
marchandess’infiltrent ainsi deplus en plusdans lesensembles-noyaux des
grandesfirmes et structurent despériphéries plus ou moins étendues et
stables.
La morphologie des ensembles productifs se modifie enconséquence.La
grandefirme proprementdite apparaît deplus en plus comme lenoyau
d’une constellationd’unités périphériques deproduction, de conception, de
commercialisation,liées par descontrats àplus ou moins longterme. Elle
n’est passeulement unélément de la chaîne devaleur constituée parcette
constellation (àgéométrie variable). Elle en est lechef d’orchestre, etelle
fournit au réseau unensemble de services-supports enmatière d’achat, de
méthodes, de logistique,etc. Parexemple,IKEA, qui gère 1 800fournisseurs
dans 50 pays dispose d’unebase de données centralisée quiaide les
fournisseurs à trouver de lamatière première à bonprix et debonne qualité,
à sélectionner despartenairescommerciaux, etc.
Pour diverses raisons convergentesdéjà évoquées - réduction du coût,
flexibilité, simplification de lagest ion - la tendance estaujourd’hui, sauf
rares exceptionsdans dessecteurscomme leluxe qui ont intérêt àcontrôler
directement l’ensemble de lachaîne, à réduire leplus possible la taille d u
noyau au profit de la périphérie, parl’externalisation. "Les paquebots
doivent se transformer en uneflottille de hors-bords".Cetteexpression d u
patron de Siemens(1) exprime lerêve denombreux dirigeants degrandes
entreprises. Laréalité estencore loin de cerêve. Mais l’orientation est
clairementindiquée. Elle pose évidemmentd’importantes questionsquant à
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
la viabilité sociale - etmême économique - d’un modèle oùl’entreprise
offre plus d’autonomie mais moins deprotection, cesse d’être une
"institution" pour devenir un assemblage mouvant de relations
contractuellesplus ou moinséphémères, etrenvoie souvent lesrisques sur
les maillons les plusfaibles de la chaîne. Mais ladiscussion de ces pointssort
du cadre de ce rapport.
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
3. Echelles géographiques et niveauxd’organisation
Comment lesdiverseséchellesgéographiques - m o n d e , grandes"régions",
nations, régions infra-nationales, niveaux plus fins - s’inscrivent-elles
dans lesniveaux d’organisation des grandes firmes(1) ? On s’intéressera ici
aux organisationsformelles, aux organigrammes,étant entendu que ces
derniers ne sont qu’une desfacettes del’organisation effective desfirmes,
réalité beaucoup pluscomplexe quicomprend non seulement la distribution
officielle des pouvoirs et desresponsabilitésmais toutes sortes derègles,
écrites ou non écrites, régissant lesrelations entre cesstrates, ainsiqu’avec
l’environnement extérieur. (Pour une analysesocio-organisationnelle
mettant en lumière la diversité desmodes de fonctionnement des
entreprises, voirFrancfort, Osty,Sainsaulieu, Uhalde,1995).D’autre part, i l
est biendair que laprésence explicite de tel ou telniveau géographiquedans
un organigramme ne dit rien sur lesrelations concrètes ethautement
diversifiées qui existent entre lesactivités de la firme et lesterritoires
correspondants.Enfin, il faut ajouter que lesdivisions propres à unegrande
firme ne sont qu’un deséléments de la géographie effective de lafirme
élargie ou du "complexe économique" auquel s’intègrent ces firmes
(Ruijgrok, Van Tulder, 1995).
Ces réserves étant posées, il n’enreste pasmoins que lagéographie des
organigrammes fournit desindications intéressantes,notamment à travers
les évolutions enregistréesdepuis quelquesannées. Cette géographie des
organigrammesrésulte d’unecombinatoire àtrois paramètres : lesdivisions
géographiques, les divisions parproduits (définis par l’amont ou parl’aval),
les divisions fonctionnelles et lesmodes de relations spatialisés entre
grandesfonctions (R&D, réalisation, distribution et ventes,marketing).
Examinons d’abord lesdeux premières dimensions, avant de revenir à la
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
dimension fonctionnelle.
La dialectique entre marchés-produits et marchésgéographiques
La structure de départ commun aux grandesfirmes est la structure
multidivisionnelle (dite M) inventée parGeneral Motors etDupont de
Nemours dans lesannées 20. Dans cettestructure, les divisionsproduits
gèrent l’essentiel des activitésopérationnelles, tandis que le niveau
"corporate" se réserve la stratégie générale et lacoordination de l’ensemble.
La structure estmatricielle sil’on tient compte desgrandesfonctions venant
se croiser avec les divisions produits. La multinationalisation puis la
globalisation sont venues compliquer fortement ces organigrammes
traditionnels enintroduisant lavariable géographique. Onpeutpartir d ’une
typologiesimple(fig. 1), qui est celle deP. Dicken (Dicken,1992).
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
Le schéma (a) est celui defirmes qui débutent leurinternationalisation.La
schéma (b)donne lapriorité à la division par produits,étant entendu que
celle-ci peut correspondresoit à desmétiers techniques(avec unediversité
de marchés),soit à dessegments demarchés. Parfois il y acorrespondance
étroite (par exemple :St GobainVitrage), parfois il y adivergence entre ces
deux types dedivisions produits, la tendanceétant alors très nettement de
privilégier la division selon lesmarchésfinaux (voir plus haut le casRhône
Poulenc Chimie). Le schéma(c) privilégie la division géographique,
l’échelon debaseétant généralement lepays.
A ce stade, deux remarques s’imposent. D’abord, de nombreux
organigrammesréels sont mixtes. Par exemple, legroupe Danoneprésente
une division primaire en branches produits,plus une branche
"international" regroupant lesdéveloppements hors Europe. Ilapparaît
donc comme un mixte de (a) et de(b). Mais la division secondaire, qui est la
division par pays, correspond enfait à la véritablesegmentation desmoyens
opérationnels qui, branche par branche, sontconcentrés dans dessociétés
nationales,le tout présentant unestructure typiquementmulti-domestique,
danslaquelle les branchesproduits nejouent qu’un rôle de coordination
relativementléger. Parexemple, la branche "produitfrais" disposed’un staff
léger àParis, et tous lesmoyensopérationnelssont répartis dans lessociétés
nationales (dites bizarrement "départements" chezDanone) telles que
Danone-France, Danone-Espagne, Danone-Allemagne, etc.
Ensuite, il estdair que ni lasolution(b), ni la solution (c) ne sontoptimales.
La solution (b) conduit à desproblèmes demanque desynergie inter-
produits dans unezone donnée. Inversement la solution(c) réduit les
avantagestirés de laglobalisationpour un produitdonné. C’est pourquoi,
on a vu apparaître unesolution (d), dite "matricielle globale", illustrée
notamment parl’entreprise suisse-suédoiseAsea Brown Boveri, dont
chaque société estsous le doublecommandement de"business areas
managers" et de "countrymanagers".
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
Quelssont les principauxrésultats qui émergent de nosobservations ? Ils
sont aunombre decinq :
1)La prédominance croissante dudécoupage parproduits-marchés
Cette prédominance ressort clairement del’enquête deF. Wiscart (fig. 2). Elle
exprime la logique centrale de la globalisation qui est defaire naître des
synergies à deséchellesgéographiques deplus en plusétendues ousein de
pôles deproduits, tout en restantbien sûr proches desmarchésfinaux et de
leurs différenciations. Michelin, par exemple, acréé récemment 9pôles
mondiaux par type deproduits (pneus tourisme,pneusPL, avions, cartes et
guides,...), ce quiconstitue une révolution pour la firme clermontoise-
mondiale. Shell vient de regrouper sesactivités parlignes deproduits a u
niveau continental.Même les firmes les plus directementliées à des
marchés grand publiccréent des "pôles stratégiques" pargrands produits.
Bien entendu, il fautgarder àl’esprit ce qui a été ditplus haut, àsavoir
qu’une coordinationstratégique parproduit mondialisé ou européanisé n e
signifie pas ipso facto le déclin opérationnel dessociétésindustrielles ou
commerciales qui restentsouvent àl’échelle nationale. Ceci, sans même
parler de l’aspect juridique, puisqu’il n’existe aujourd’hui aucun statut
d’entreprise européenne, ni bien sûrmondiale, et que lesseuls cadres
juridiques restentnationaux.
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
figure 2 : Structures de 18firmes mondiales
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
2) Le maintien dedivisions géographiques fortesdans lessecteursBPG (1).
notammentagro-alimentaires,évoluent vers la "régionalisation"
Ceci s’expliqueaisément par la structureencore très divisée desmarchés
nationaux, desmodes de consommation et desappareils dedistribution.
Cela s’expliqueégalement par lemode decroissance de ce type de firme, où
la croissanceexterne (rachat de firmes et demarques presquetoujours
nationales à l’origine) joue le premier rôle. Mais on peut remarquer que ces
divisions nationales seréduisent, et que les firmes"multi-domestiques"
traditionnelles de ces secteurs ont tendance àévoluer vers desstructures
plus "régionales" (ausens :supra-national) que nationales, nefût-ce que
pour réduire les coûts destructurecréés par lareproduction dans chaque
pays des fonctions-support (marketing,développement, RH,etc.). La
conjoncture actuelle estmarquée par cettetransition, qui vaprobablement
s’accélérer enEurope dans lesannées quiviennent. Un groupecomme
Danone, par exemple, qui continue dedupliquer ses structuresdans chaque
pays, va certainementêtre amené àregrouper de plus en plus ses fonctions-
support auniveaueuropéen et à rationaliser laproduction en regroupant, là
encore, lesgrandeslignes deproduits autourd’usines européennes.
3)Les véritablesstructuresmatricielles restentrares
La quasi-totalité desgrandesfirmes ont, comme onl’a dit, des structures
composites, mêlant les divisions parproduits ou par zones de manière
différente selon les produits ou lessous-marchés : l’histoirejoue, bien sûr,
un grandrôle. Mais lesstructuresvéritablement matriciellessemblent très
rares. Une firmecomme ABB a adopté unetelle structure parce que ses
marchéssont peuterritorialisés, ausens classique du terme.
Les clientssont degrandes entreprises ou desgouvernements, lastructure
matricielle ayant aussipour objectif d’obtenir desavantages concurrentiels
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
par rapport auxfirmes "nationales" auxquelles s’adressentprioritairement
les Etats, sur des marchéscommecelui du matérielferroviaire, parexemple.
D’autres firmes, comme St Gobain,sont prochesd’une structure matricielle
en ce sensqu’elles adaptent leurorganisation géographique aux types de
marchéscorrespondants à leurs produits. StGobain estdivisé en 8branches
produits, chacuned’entre ellesdisposantd’une structuration territoriale
particulière. Ainsi, labranche conditionnement adopte unmaillage fin et
restemulti-domestique, alors que la branche vitrage estmondialisée, la
marqueautomobile Sekurit enparticulier étant présentedanstous lespays.
Globalement, 15 délégations géographiquesviennent croiser ces
organisations produits-marchésdifférenciées. Mais leur rôle reste assez
limité. Ellesassurent la représentation de la compagniedans lespays deleur
ressort,apportent uneassistance juridique,financière,politique aux sociales,
interviennent dans lesnégociationspour la création denouveauxsites ou
les opérations de croissance externe.Mais elles n’ont pas devéritable rôle
stratégique etindustriel.
4) Trois niveaux : lemonde, lebloc régional, lazonenationale
Les structuresformelles se répartissent en troisniveaux. Leniveau mondial
est de plus en plus important. Outre lesfonctions "corporate", de
nombreusesfirmes disposent d’une direction mondiale desopérations
industrielles. Mais cette dernière n’assure engénéral qu’une supervision
des fonctions opérationnellesstructurées à unniveau inférieur. Le second
niveau est le plusintéressant. Sa définition dépend bien entendu de
l’histoire de la firme et de son degréd’internationalisation. Sur les19firmes
étudiées parWiscart, 9 découpent lemonde en 3blocs, 2 en 4 blocs, 4 en 2
blocs. Cedernier cas est notammentcelui de firmes américaines comme
Philip Morris qui divisent lemonde en NorthAmerica et reste dumonde,
cette dernièreentité étant, en l’occurrence, divisée en 5parties. Engénéral,
c’est la division dela Triade qui est primaire.Le quatrième bloc lorsqu’il
existe,regroupe souvent lespaysémergents et lespays en développement.
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
L’Amérique Latine constitue rarement un bloc indépendant. Elle est
rattachéesoit à l’ensemble Amériques,soit à l’ensemble"paysémergents".
Le bloc Europe - c’est un point à souligner - coïncide rarement avec les
contours del’Union Européenne.Nombreux sontd’ailleurs les enquêtés qui
répondent que,dans unedivision Europe,l’Union Européenne estsurtout
une entitépertinentepour desjuristes. Ladivision Europe,comme division
stratégique etindustrielle, a en revanche desaires de compétences variées :
tantôt limitées aunoyau del’Europe des cinq ousix, tantôt élargie à l’Est,
voire souvent àl’Afrique. Un exemple : GeneralElectric a uneorganisation
divisionnelle par produits, chacune des branchesoptant pour une
configuration géographique européennespécifique.Transversalement à ces
branches, l’entité GE European Affaires, basée à Bruxelles, est
spécifiquement chargée d’assurerl’interface entre GE et lesinstitutions
européennes. Cesdernières apparaissentsouvent dans lesinterviews
comme la source d’un ensemble de contraintesspécifiques quiv iennent
s’ajouter à celles desEtats-nations, et non pas s’ysubstituer.
Enfin, très peu defirmes optentpour uneéchelleintermédiaire entre lebloc
"régional" et les zones nationales. L’exception est celle desfirmes qui
séparent l’Europe del’Ouest et l’EuropeCentrale et Orientale.
5) L’échelle infra-nationale eststructurée engrandesrégions
A l’échelle infra-nationale on trouve surtout des divisionsrelatives aux
fonctions commerciales.Le point remarquable(Le Pellec, al,1996)est que les
régions pour lesentreprises sont toujours de"grandesrégions" (entre 5 et 9),
qui agglomèrent les22 régionsadministratives enentités plus larges. Sur les
73 entreprisesanalyséespar les étudiants deJ.L. Guigou, 9seulementsont
structurées en10 régions etplus, une seule dispose les12 régions. L’Ile-de-
France, entant quetelle, estsystématiquementprésente, etelle estsouvent
divisée ensous-régions.
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
4. Echelles géographiques etstructures fonctionnelles
Il est temps maintenant d’introduire le troisième paramètre de
l’organisation spatiale des grandesfirmes, c’est-à-dire les structures
fonctionnelles, qui ont des rapportsà la géographienettement différenciés
- et peut-être deplus en plus différenciés. Là encore, les données
disponibles sontplus impressionnistes que véritablementsystématiques. On
peutnoter au passagequ’il seraitextrêmement utile de disposer sur cepoint
d’études plus approfondies. Car onpeut penser que lescritères de
localisation et lespolitiques d’attractivité doivent désormais être analysés et
conçus de manière"ciblée" selon les grandesfonctions des firmes, et non
plus demanière indifférenciée ou en privilégiant lecritère sectoriel. Ce
critère sectoriel a,pour desraisons statistiques évidentes, étébeaucoupplus
utilisé dans les analyses de géographie économique que le critère
fonctionnel. Or il n’est pas impossible quece dernier soit, autotal, plus
pertinent lorsqu’il s’agit d’analyser les types delocalisation. Ons’appuiera
ici, commedans ce quiprécède, sur nosobservations,ainsi que surdiverses
étudesrécentes(1).
Cinq grandestendances peuventêtre dégagées :
1) La réduction deseffectifs des siègessociaux et des fonctions corporate
centralisées
Il s’agit là d’une tendance absolumentgénérale. Ona même lesentiment
d’une sorte decompétition entre les groupespour afficher les sièges lesplus
légers possibles.D’autre part, on assiste à unedissociation croissanteentre
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
les fonctionsstratégiques et les fonctionsd’administration centralisée, ces
dernières étant à la foisallégées, parl’externalisation, et fréquemment
redéployéesdans dessitesmoinscentraux que ceux dessièges.
2) Regroupements et nouvelleshiérarchisations dans la recherche-
développement et l’ingénierie
La géographie des fonctions de R&D etd’ingénierie est une réalitécomplexe,
en évolution et entensions entre deuxséries d’impératifscontradictoires.
D’un côté : la nécessité dedisposer de masses critiques, lanécessité
d’augmenter lasurface de contactentre l’ingénierie produit et l’ingénierie
process, lanécessité corrélative derester "branchés" sur les pôles de
compétences publics et lesgrands marchés du travail de spécialistes,
d’ingénieurs et dechercheurs. Del’autre côté : la nécessité dedensifier les
relations et lesfeed-backentre les phases d’innovation et deprototypage et
les phasesindustrielles et commerciales,pour éviter que se créent des pôles
de R&D coupés de laréalité de laproduction et de laréalité desmarchés -
risque que connaissent bien lesgrands groupes pourl’avoir souventvécu.
On constatedonc diverses tendances qui traduisent deséquilibres différents
au sein de ce champ deforces :
- u n e dissociation relativeentre larecherche amont,très liée auxcentres de
compétenceuniversitaires et relativementdécouplée,dans sagéographie,
du systèmeindustriel, et le développement, qui serapproche au contraire de
l’industrie ; c’est le cas, parexemple, de la pharmacie ;
- la multiplication des structuresprojets associantsouvent chercheurs,
ingénieurs etpersonnes du marketing, cesprojets ne donnant pas lieu
nécessairement à unregroupementphysique ;c’est le cas de la sidérurgie et
de bien d’autres secteurs ;
- d a n s lessecteurs nécessitant lamise en place deprojets lourds pour le
développement de produits complexes peu nombreux, comme
l’automobile,création de pôles très concentrés d’ingénierieproduit-process,
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
dont l’avantage est depermettre le croisement àgéométrie variable entre
des structuresmétiers et desstructuresprojets ; l’exemple-type est, e n
France, celui duTechnocentre de Renault à Guyancourt, qui estorganisé, y
compris auplan de sonarchitecture,pour faciliter cette réorganisation,dont
l’enjeu estnotamment deréduire fortement lesdélais deconceptiond’un
nouveau modèle ; PSA, qui a décidérécemment defusionner lesforces de
développement de Peugeot et deCitroën, est à cet égardgêné par la
dispersion historique de sesmoyens entrel’Est et la régionparisienne ;
- hiérarchisation dessites industrielsentre sites pilotespour un produit et
un marché, sites oùsont expérimentéesprioritairement les innovations et
qui ont comme vocation departiciperactivement à l’innovation auniveau
branche, et sitesbanalisés ayant comme vocation defabriquer ou de
distribuer enmettant enoeuvre les "best practices" dugroupe(bien entendu,
un même sitepeutêtre pilote pour le produitA et banalisépour lesproduits
B ou C). Cetteorganisation existe, par exemple, depuis longtempschez
Philips.
3)Centralisation des achats
Si l’on passe auplan de la productionproprementdite, le phénomène le
plus notable est lacentralisationcroissante des achats et de lastructuration
du réseau defournisseurs,pour desraisons évidentesd’économie d’échelle.
Les avantagesprocurés par l’achat engrandesquantités et lamise e n
concurrence desfournisseurs à l’échelle mondiale sont souvent les
avantages lesplus tangibles de l’internationalisation, etc’est pourquoi cette
tendance souffre peud’exceptions.Bien entendu,cette tendance s’enveloppe
parfois deprécautions. Ainsi, Nestlé sedéfend devouloir peser sur lecours
mondial ducacao(dont il achète14 % de la productionmondiale) par u n e
politique "décentralisée" laissant à chaquefiliale le soin de choisir son
vendeur. Mais, en fait, les éléments stratégiques(niveaux des prix et
longueur de couverture des approvisionnement) sontdécidésà Vevey. Dans
les secteurs d’assemblagecomme l’automobile ou l’aéronautique, les
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
politiques àl’égard desfournisseurs sont aucoeur de la stratégie etleurs
orientations debase dépendent logiquement du niveau corporate. Le
résultat aété, aucours des 15dernières année, une réduction considérable
du nombre defournisseurs, unéclatement de la géographie des flux(malgré
les contraintes detype just-in-time), et unepression accrue sur des
fournisseurseux-mêmestrès fortement internationalisés. Dans lessecteurs
grandspublics dépendant dematières premières agricoles, lacentralisation
croissante des achats est également larègle, et setraduit géographiquement
par une déstructuration dessystèmestraditionnels d’achats fondés sur la
proximité.
4) L’organisation de lafabrication et de la logistiqueremonte vers leniveau
continental, voiremondial
En raison de laviscosité destransports et de sacomplexité technico-
économique, lemanufacturing,c’est-à-dire lafonction de fabrication et ses
prolongements logistiques amont (approvisionnements) etaval
(distribution physique) aété, jusqu’à une date récente, principalement
organisé etgéré à une échelle décentralisée (engénéral : nationale). Il y a
bien sûr des exceptions. Certains secteurs àhaute valeur ajoutée sont
organisés selon une division du travailmondiale, comme lamicro-
électronique, où l’on n’hésite pas, parexemple, à envoyer despuces
d’Europe ou d’Amérique enAsie pour une opération detest. D’autres,
comme l’aéronautique en Europe,pratiquent une divisioninternationale
sous laforme particulière desconsortiums où chaquepays réalise unepartie
du produit final. Mais il est rare que la productionsoit formellement
organisée auniveau mondial. Il y a peu de"directions de laproduction"
apparaissant aux premiers niveaux des organigrammes.Elles apparaissent
en général ausein des divisions produits ou desdirections géographiques.
Au niveau corporate, on trouve desentités définissant lesorientations
stratégiques, lesprincipes communs, des outils de contrôle et de
benchmarking interne deplus en plus centralisés. Mais l’évolution
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
constatée est trèsclairement celle d’une remontée de lacoordination
opérationnelle vers des niveaux plusélevés, le niveau du bloc régional
(continental) apparaissant en général comme le plus pertinent. Certaines
firmes enquêtées,comme Rhône Poulenc Rorer, disposent d’unedirection
mondiale desopérations industrielles.Mais le cas leplus courant estcelui
d’une transition entre une organisation nationale et uneorganisation
régionale. C’est le casnotamment pour lesfirmes "multi-domestiques" en
Europe, qui sedotent progressivementd’une structure manufacturière
européenne, ce quiimplique deuxévolutions : unecoordination plusétroite
entre lesunités européennes (usines,centres de stockage et dedistribution) ;
un resserrement sur certainssites (une ou deux usines européennespour
un produit donné, au lieu de cinq ou six ; des centres logistiques demoins
en moins nombreux). Cetteévolution est en cours.Elle met souvent lessites
européens en concurrence les unsavec les autres. Son issue esttrès
importantepour la géographie économique dechaque nation.
5) Lavente organisée à échelle fine et lemarketing commelien entre toutes
les échelles
A la logique deconcentrationcroissante de laproduction et de son pilotage
s’oppose lalogique deproximité du client qui est, plus quejamais, celle des
fonctions commerciales. Ace besoin de proximité, s’ajoutent lepoids des
réglementations nationales et la structureencoresouvent nationale de la
distribution. La vente reste donctrès majoritairement organisée auniveau
national et infra-national. Là encore, toutefois, il fautdistinguer laprésence
physique (agences,représentations commerciales proches desclients) et le
niveau de gestion, qui sembleégalementavoir tendance à remonter vers le
niveau dubloc régional.
Soulignons aupassage que cettedouble évolution de laproduction et d u
commercial n’est pas propre aux industriesmanufacturières. Pour une
entreprise commeFrance-Télécom, parexemple, un clivage apparaîttrès
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
nettement entre lalogique géographique des fonctionstechniques(qui sont
susceptiblesd’être très fortement centralisées,grâce auxtélétraitements e n
tous genres, et quin’exigent absolument plus laforte densité detechniciens
répartis sur leterritoire caractéristique del’organisation traditionnelle) et la
logique géographique desactivités commerciales, qui exige une présence très
répartie desagents. Il en va demême pour EDF,ou encorepour les banques
et les assurances. Lemarketing, quant àlui, opèrenécessairement àtous les
niveaux : mondial, continental, national etinfra-national. Il constitue de ce
fait la fonction traitd’union, dont le rôle estd’articuler les diverseséchelles
entre elles. Au niveau central, ontrouve bien sûr lagestion desgrandes
marques, de plus en plusmondialisées, nefût-ce que pour des raisons
d’économies d’échelle en publicité. Ontrouve également descapacités
d’analyses et desbases de données centralisées.Notons que lesnouveaux
outils permettantl’analyse encontinu de laconsommation ont conduit à
un développementtrès important du "géo-marketing" à uneéchelle très
f ine - au point quecelui-ci estdevenu une desprincipales applications des
systèmes d’information géographiques(SIG) informatisés.
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
5. Pour conclure : lesgroupes enFrance ; la place de l’Europe : les
groupes et le local
Les indications quiprécèdentmériteraient - répétons-le - d’être précisées
par des enquêtesplus etsystématiques, en particulierpour la localisation
des fonctions. On peut néanmoins, pour finir, rassembler quelques
remarques sur lalogique résultante de ces évolutions, vue ducôté des
territoires et desniveaux territoriaux. Nous grouperons ces remarques en
trois ensembles : lesgroupes enFrance ; lesgroupes et l’Europe ; lesgroupes
et le local.
1) Les groupes en France
Comme onl’a dit en introduction, on aurait tort,sous prétexte de PME-
isation, de sedésintéresser de l’évolution desgroupes industriels sur le
territoire français. Voici quelques éléments de synthèse (issus
principalement de Hecquet,Lainé, 1997 etRoualdes,1997) :
En 1994, lesgroupes (et leursfiliales directes)employaient 5,9 millions de
salariés,soit 46 % de l’emploi salariémarchand nonagricole. Lesplus grands
de ces groupes(plus de10000 salariés)sontprésents surtout le territoire. Sur
40 groupestertiaires (français),34 ont des établissementsdans aumoins 20
régions (il y a desexceptions, biensûr, comme Euro-Disney, laRATP,
Aéroport de Paris). Sur29 grands groupes industriels, 21 ont plus de 100
établissements, et 4seulementsont présents dans moins de 10 régions :
Dassault, SNECMA, GIAT, Verreries d’Arques. 2 groupes industriels
seulement etleur siège en dehors deParis : Michelin et les Verreries
d’Arques. Dans le tertiaire, lessièges nonparisiens sontceux du Crédit
Lyonnais (symbolique) etceux des groupes de distribution d’origine
régionale. Lesmicro-groupes,dont on adéjà noté le fortdéveloppement, ont
aussi,pour la moitié d’entre eux, desimplantations multirégionales. Les
groupes les plusconcentrés en Ile-de-Francesont ceux desservices aux
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
particuliers, assurances,sociétés deproduction audiovisuelle.
La géographie desgroupesreste clairement marquée par unedifférenceentre
Nord et Sud de laFrance. Dans l’industrie, enparticulier,l’emploi contrôlé
par les groupesdépasse64 % dans lesrégions situées aunord de laligne
Genève-Bordeaux,alors qu’il n’est que de 55% environ en PACA et
Languedoc-Roussillon. Lesgroupes industriels sontsurtout présents dans
les régionsanciennementindustrialisées,auxquelles il convientd’ajouter la
Bretagne et les métropoles en développement du sud (àl’exception deNice).
Dans tous lessecteurs, lesgroupesétrangerssuivent cette géographie, e n
accentuant lesécarts,leurs investissementsétant concentrésdans lesrégions
du Nord et del’Est, avec un poidsparticulier en Alsace et en Picardie.
A noter enfin que certains groupes ont uneforte présencedans uneseule
région. C’est le cas,outre l’Ile-de-France, de laBretagne, où les groupes
strictementrégionaux représentent 8% des emplois.
En ce qui concerne, d’autrepart, lestypes d’établissements, le phénomène le
plus frappant estcelui du recul desgrands établissements(plus de 100
salariés)dansl’emploi industriel total. Le poids de cesétablissements est
passé desdeux tiers à la moitié deseffectifs,entre 1974 et1995.Un mil l ion
d’emplois ont étéperdus dans lesétablissements quicomptaient plus de100
salariés en1975 et en1995,alors que les établissements qui ont franchi (en
hausse) la barredes 100 salariésentre 1975 et 1994n’en comptaient, à cette
dernièredate, que 175000. L’Ile-de-France, quiregroupait en1975le tiers des
emplois desgrandsétablissementsdans lesbiens d’équipement, en aperdu
plus de lamoitié. D’autre part, danstous les secteurs, les pertesd’emploi
proviennent des fermetures maisaussi des compressionsd’effectifs dans les
unités. Il estimportant toutefoisd’ajouter quecesréductions d’effectifs, qui
se traduisentglobalement par une chuterapide du nombre moyen de
salariés par établissement,dans tous les secteurs, et par ladisparition
progressive destrèsgrandesconcentrations desalariés, nesignifient pas une
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
miniaturisation de laproduction elle-même. Car latendance esttrès
clairement, nous l’avons déjà dit, à la concentration croissante de la
production dans desunités deplus en pluscapitalistiques.Là encore, l’étude
de l’évolution différentielle entre production et emploimériterait une
étude géographiquedétaillée.
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
2) La place ambiguë de l’Europe
En ce qui concerne leniveau européen,plusieurs remarques doiventêtre
faites. Tout d’abord,aucunedes entreprises quenous avonsinterrogées n e
s’est définie comme "européenne". Toutes ont affirmé d’emblée u n e
stratégie mondiale. "Nous sommes un groupefrançais à ambit ion
mondiale" : tel a été leleitmotiv des présentations réalisées dans le
séminaire. D’autre part, on l’a déjà noté, l’Europe apparaîtdans les
organigrammes sous des contourstrès différents, etpresquejamais comme
l’Union Européenne. Mais leparadoxe estque,simultanément,cetteEurope
à géométrie variable apparaît de plus en plus comme un échelon
d’organisation fondamental, notamment pour le manufacturing, la
recherche-développement, le marketing.La "globalisation", pour de
nombreux groupes,signifie d’abord la rationalisation àl’échelle européenne
de leur outil industriel et commercial. L’euro, la création d’un statut
d’entreprise européenne,l’affaiblissement de l’attrait asiatiquepour les
investissementsextérieurs vont-ils changer ladonne, etconférer àl’Europe
une véritable dimension stratégique etidentitaire, et non plusseulement
opérationnelle outechnique ?L’avenir proche ledira.
3) L’émergence denouvelles attitudesface aulocal
Deux phénomènes méritentd’être signalés,quant au moded’inscription des
grandesfirmes et deleursétablissementsdans leterritoire "local".
Le premier estl’importanceprise parla notion de "site" dans de nombreuses
multinationales. La mise en concurrence dessites entre eux, utilisée
explicitement comme facteur d’émulation et d’accroissement des
performances par les grands groupes,a comme contrepartieparadoxale que
les sites affirment uneidentité collectiveplus forte,développent desprojets
locaux de progrèsindustriel, voirecommercial, etceci d’autant plusqu’ils se
sentent menacés. D’autrepart, contrairement à cequ’on pourrait croire,
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
l’homogénéisation desnormes techniques et desoutils de contrôle de
gestion vasouvent depair, dans lesréseaux desfirmes globalisées, avec la
reconnaissance d’une certaineautonomie dessites et une place ouverte
pour la négociation etl’argumentation, en cas deproblèmes de surcapacité
par exemple.Ainsi, nous avons puobserver des cas où lessites"survivants"
ne sont pasnécessairement ceux qui affichent lesperformances lesplus
élevées à unedatedonnée(notamment les performances ducoût) mais ceux
qui ont su convaincre leurschefs parfois très lointains de l’existence de
potentialités fortes(et/ou derisques graves en cas defermeture). Du même
coup, d’ailleurs, les dirigeants de cessites se situent, objectivement et
subjectivement, au moinsautant du côté dessalariés que ducôté des
dirigeants. Par exemple, 3M Francea bâti, sous l’impulsion de sesdirigeants
(françaispour l’essentiel) unprojet industriel dont l’objectif explicite est de
garantir l’avenir des sitesfrançaisdans leréseaueuropéen, nécessairement
promis à des restructurations.
Un deuxième phénomène intéressant est lechangementd’attitude quel’on
observe progressivementquant aux types de relations entre les
établissements desgrands groupes et leur environnement local
(institutionnel, social, culturel, etc.). Ces établissements, dufait de leur
histoire, et notamment duprocessus de déconcentration industrielle des
trente glorieuses, ontlongtemps été, et demeurent en grandepartie, e n
situation d’extériorité parrapport auxsociétés locales. Cephénomène est
encoreaccentué par larotation rapide descadres,contrastantavec l’ancrage
local très fort des dirigeants dePME. Pour gérer les conséquences des
restructurations, denombreuxgroupesavaient mis enplace desstructures
(dites parfois"DATAR de groupe")destinées à faciliter lesreconversions et à
rendre lesretraits ou les réductionsd’effectifs plus indolores.
Aujourd’hui, face à la montée des exigencespolitiques locales, lesgroupes
industriels cherchent àdéfinir denouveaux rapports auxterritoires locaux,
soulignant leur appartenance, enpartie (etparadoxalement) pourmieux
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
anticiper d’éventuelles difficultés. Ce renforcement des liens avec les
territoires - par des voies aumoins autant extra-économiques que
proprement économiques - estaussi unemanière dedonner du contenu à
la thématique vague de l’"entreprisecitoyenne". De fait, les grandes
entreprises, comme lesPME, bénéficient souvent sans le savoir
explicitement, demultiplesexternalités locales, etleur environnementdans
le territoire est un gage réel de compétitivité. Si les nouvel les
problématiques"territoriales" qui secherchentdans les grandesfirmes sont
un moyen de lereconnaître,tous les acteurs serontbénéficiaires. Mais il est
clair aussi que, simultanément et contradictoirement, la recherche de
flexibilité pousse et continuera de pousser lesfirmes àgérer prudemment
leurs engagements locaux.
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
REFERENCES
BIPE-PriceWaterhouse,Etude sur l’attractivité du territoire national et l edéveloppementindustriel, rapport FranceIndustrie 2000,octobre 1997.
Boccara F.,Mythes et etréalités sur l’emploi et lacroissance des PME : le rôledes groupes(1984-1992), INSEE, Direction des Statistiques d’Entreprises,document detravail E9702, 1997.
CEREM-FORUM, L’émergence d’oligopoles en réseau fondés sur laconnaissance,rapport pour leCommissaireGénéral duPlan, mars1998.
Cohen D.,Richessedu monde,pauvreté des nations, Flammarion, 1997.
Courault B., ParetE., L’émergence du modèle "filière" et ses répercussionssur l’emploi. L’exemplefrançais Textile, Habillement, Distribution, Centred’Etudes de l’Emploi, 1997.
Dicken P., Global Shift, The Internationalization of Economic Activity, TheGuilford Press, New York-Londres,1992.
Francfort I., Osty F., Sainsaulieu R, Uhlade M.,Les mondes sociaux del’entreprise,Desclée deBrouwer,Paris,1995.
HecquetV., Lainé F., Inscription territoriale des groupes etidentité dessystèmesproductifslocaux,INSEE,document detravail E9705/H9701,1997.
Héran F., Krifa H., Stratégiesdes multinationales dans le Nord-Pas de Calais,IFRESI-CLERSE,1993.
Hirst P., Thompson G.,Globalisation in Question,Cambridge,Polity, 1996.
Kaisergruber D. -BBC, Fonctions d’entrepriseset localisation des activités e nIle-de-France,rapport IAURIF, novembre1995.
Le Pallec E., Mesle N., Tcherepakhine (de) N., Systèmes productifs etinterrégionalité en France, Analyse descriptive de la régionalisation desentreprises, mémoire de DESS Economie de l’aménagement et dedéveloppementlocal, Université deParis I-Sorbonne,1996.
Lipsey R.E., Blomströn M., Ramstetter,Internationalised Production inWorld Output, NBER WorkingPaper,5385, déc. 1995.
Mac Callum J., National Borders Matter : Canada-USRegional TradePatterns,American Economic Review,juin 1995.
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."
Roualdes D., La restructuration des grandsétablissements industriels,INSEE-Première,n˚ 513,mars 1997
Veltz P.,Zarifian P., De laproductivité des ressources àla productivité parl’organisation,Revuefrançaise de gestion,n˚ 97, janvier-février 1994.
Vergeau E.,Chabanas N., Lenombre de groupesd’entreprises a explosé en 15ans,INSEE-Première,n˚ 553,nov. 1997.
Wiscart F., Territoires et structures des firmes mondiales. L’hétérogénéitédes échelles géographiquesd’organisation, mémoire deDEA L’Urbanisme etses territoires,Université de ParisXII, juillet 1997.
ZimmermannJ.B. - PISTE,L’ancrage territorial des activités industrielles ettechnologiques,rapport CGP,juillet 1995.
La documentation Française : "Globalisation et territorialisation des groupes industriels : rapport de synthèse / Association amicale des ingénieurs des Ponts et Chaussées
et des anciens élèves de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de France ; Pierre Veltz ; Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale."