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Responsabilité contractuelle : la notion de prévisibilité du préjudice à l'épreuve d'une juridiction de proximité Publié le : 6 juin 2011 Adresse de l’article original : http://www.village-‐justice.com/articles/responsabilite-‐contractuelle-‐notion,10315.html Si l’article 1150 du Code civil dispose que le débiteur n’est tenu que des dommages intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est pas par son dol que l’obligation n’est pas exécutée, les juges du fond doivent expliquer en quoi le débiteur pouvait prévoir, lors de la conclusion du contrat, que le résultat de la prestation n’était pas celui recherché par le créancier. Avec son arrêt du 28 avril 2011 (pourvoi n° 10-‐15.056), la Première chambre civile de la Cour de cassation a voulu se faire entendre (sans doute par les juges du fond) si l’on en juge par la forte publicité qu’elle a donné à sa décision (FS-‐P+B+I) concernant la notion de prévisibilité du préjudice contractuel. 1. Le contexte En l’espèce, des passagers avaient contracté avec la SNCF un contrat de transport lequel avait pour objet de quitter Saint-‐Nazaire pour arriver à Paris, à la gare Montparnasse, à 11 heures 15 afin de pouvoir ensuite rejoindre l’aéroport de Paris Orly où ils devaient prendre un vol à 14 heures 10 à destination de Cuba pour passer, on le conçoit, d’agréables vacances. Mais ce qui devait arriver arriva et la SNCF, après de nombreuses péripéties techniques, ne fut finalement capable que d’acheminer ses passagers à la gare de Massy Palaiseau à 14 heures 26, rendant impossible la poursuite du voyage… Les créanciers assignèrent donc la SNCF devant la juridiction de proximité de Saint-‐Nazaire qui, dans un jugement du 18 novembre 2009, condamna la société débitrice au paiement d’une première somme en remboursement de leurs frais de voyage et de séjour, de taxis et de restauration en région parisienne et de leurs billets de retour à Saint Nazaire, ainsi qu’une seconde somme à titre de réparation du préjudice moral en découlant.
La Première chambre civile de la Cour de cassation, saisie d’un pourvoi par la SNCF, cassa et annula le 28 avril 2011, pour défaut de base légale, la décision du juge nazairien qui s’était déterminé par des motifs généraux sans expliquer en quoi la SNCF pouvait prévoir, lors de la conclusion du contrat, que le terme du voyage en train n’était pas la destination finale des passagers et que ces derniers avaient conclu des contrats de transport aérien. 2. L’analyse L’article 1150 du Code civil énonce que le débiteur n’est tenu que des dommages-‐intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors de la conclusion du contrat. En effet, il serait autrement injuste que le contractant puisse voir sa responsabilité contractuelle engagée pour des dommages qui dépasseraient son éventuelle défaillance. En d’autres termes, et pour paraphraser les Principes Unidroit, le débiteur doit être tenu du seul préjudice qu’il a prévu, ou qu’il aurait pu raisonnablement prévoir, au moment de la conclusion du contrat, comme une conséquence probable de l’inexécution [1]. Fait seule exception l’hypothèse du comportement gravement répréhensible en cas de dol ou de faute lourde, culpa lata dolo comparabitur : dans ce cas, le débiteur est également tenu des dommages imprévisibles ou imprévus [2]. L’application de l’article 1150 du Code civil n’est pas nouvelle en matière de contrat de transport ferroviaire de personnes par la SNCF. Ainsi, la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 31 mars 1994 avait déjà pu juger au visa de cette disposition que le dommage résultant pour un voyageur de l’impossibilité où il s’est trouvé, à la suite d’un retard très important à l’arrivée du train, de poursuivre son voyage comme il l’avait prévu et organisé et de la nécessité corrélative d’avoir dû racheter d’autres titres de transports n’est pas imprévisible pour la SNCF. Toutefois, la Cour d’appel de Paris fixait une limite au caractère prévisible du préjudice en estimant qu’il ne peut être alloué aux demandeurs des dommages-‐intérêts supplémentaires pour la perte d’une journée de vacances, dès lors que la SNCF ne connaissait pas l’objet du voyage et qu’elle ne pouvait pas prévoir cette conséquence particulière [3]. Le périmètre du préjudice prévisible semble donc bien incertain lorsqu’il s’agit de contrats de transport où la SNCF est partie [4] ! En vérité, l’appréciation du caractère prévisible du dommage par les juges du fond qui jouissent d’un pouvoir d’appréciation souverain en la matière [5] est facteur d’insécurité juridique puisque la prévisibilité du risque pour les contractants dépend de la démonstration par le créancier du fait que le dommage était prévisible pour le débiteur. Sans doute est-‐il tentant pour les juges du fond de prêter à la SNCF une très large appréhension des risques auxquels elle a consenti en vertu de sa qualité de professionnel des transports. Dès lors, comment ce professionnel peut-‐il en toute bonne foi prétendre à l’imprévisibilité du dommage ? Dans ces conditions, quelle différence de régime peut-‐il y avoir pour les professionnels entre une faute simple et le cas de la faute dolosive ou lourde ? Ne sont-‐ils pas, en réalité, toujours tenus à l’imprévisible ? Seule la difficulté de prouver ce qui est prévisible semble constituer un ultime rempart pour protéger les intérêts du débiteur professionnel. C’est d’ailleurs ce que les demandeurs devront démontrer devant la juridiction de renvoi !
3. La portée Si les juges du fond ne sont pas tenus de rechercher d’office si le dommage dont la réparation est demandée était prévisible [6], la solution est différente si les parties ont engagé le tribunal à le faire. C’est ce qui motive la censure de la haute juridiction. Comme l’a remarqué très justement le Professeur Olivier Deshayes [7], la cassation est avant tout « disciplinaire ». Outre le peu de rigueur juridique manifesté par la juridiction de proximité qui permet une cassation imparable pour défaut de base légale, les hauts magistrats semblent conscients des enjeux qui pourraient bien être bouleversés par une inflexion de la jurisprudence des juges du fond à s’écarter d’une stricte application de l’article 1150 du Code civil. Jonathan Quiroga-‐Galdo Doctorant [1] Article 7-‐4-‐4 des Principes Unidroit [2] Cf. H. Roland et L. Boyer, Adages du droit français, 4ème édition, Litec LexisNexis, 1999, n° 72 [3] CA Paris, 31 mars 1994 ; Gaz. Pal. 1994.1.407 [4] Voir aussi en matière de contrat de transport par taxis : CA Dijon, 7 octobre 2003 ; RCA 2004, n° 3, note Radé [5] Civ. 1ère, 3 juin 1988 ; Bull. civ. I, n° 199 [6] Civ. 1ère, 15 juillet 1999 ; Bull. civ. I, n° 242 [7] L’Essentiel Droit des contrats, 1er juin 2011, n° 6, p. 2