Le livre censuré commenté par Charlie Hebdo

1
Mercredi 20 mai 2009 CHARLIE HEBDO 11 A li Amar, l’auteur de Mohammed VI, le grand malentendu (Calmann- Lévy), pouvait bien visiter tous les kiosques de Casablanca pour acheter le numéro de Charlie dans lequel nous l’in- terviewions il y a deux semaines (n° 881), la Soche- presse (filiale marocaine des NMPP) n’a pas cru bon de le distribuer. Sans doute pour ne pas faire naître chez le lecteur un désir d’achat impossible à satisfaire : la Librairie natio- nale, le diffuseur de livres hégémonique au Maroc, refuse toujours de comman- der des exemplaires à son édi- teur français. Acheté sur Inter- net ou à Roissy par des Marocains en vadrouille entre la France et leur pays, le portrait au vitriol de Mohammed VI réalisé par Ali Amar circule donc dans la monarchie comme un papyrus rare et sul- fureux qu’on se passe sous le manteau. Le citoyen marocain — non, pardon, le sujet de Sa Majesté — est dans une si- tuation assez aberrante : sa presse ne cesse de débattre d’un livre qui fait la grosse actu du moment, alors même qu’il est introuvable. Si l’en- quête au Kärcher, qui fait le bilan des dix années de règne de Mohammed VI, défraie la chronique marocaine et excite les médias, c’est notamment parce que diverses sources du livre, que l’ancien directeur du Journal hebdomadaire a ren- contrées dans l’exercice de son métier pendant dix ans, nient avoir dit ce qu’elles ont dit… Ali Amar rigole de voir comment, même parmi ses collègues journalistes, on lui reproche d’évoquer les propos off qu’il a recueillis, « comme si une enquête sérieuse pouvait se contenter des communiqués offi- ciels ! ». Exemple dérisoire : André Azoulay, un des conseillers du roi, qui avait dit de ce dernier qu’il était «ingénu» à Edwy Plenel (lequel essayait alors d’obtenir une interview de Mohammed VI), demande aujourd’hui à l’an- cien directeur du Monde de démentir cette information rapportée incidemment par Ali Amar. En France, la situation est exactement inverse : on trouve le livre facilement (et il a été réimprimé dès la pre- mière semaine de sa diffu- sion), mais presque personne n’en parle dans la presse, alors qu’il s’agit de la première enquête critique publiée par un journaliste marocain reconnu pour son indépen- dance et son obstination. Ce qui est en soi un événement éditorial qui mérite quelques commentaires. « “Le Maroc est un sujet brûlant, on ne pré- fère pas”, nous ont dit carré- ment les journalistes des radios et des télés, raconte Ali Amar. Et je ne parle pas seulement du TF1 de Bouygues, qui est capable de faire des reportages insensés sur la rénovation du port de Tan- ger sans dire que c’est Bouygues, justement, qui en a obtenu le contrat… » Les raisons d’une telle omerta ? Elles se trouvent en partie dans le livre lui-même, dont un chapitre montre bien comment les communicants et les marketeurs du régime de Mohammed VI parviennent à régulièrement vendre à la presse française des dossiers à la limite du publi-reportage sur « le Maroc en mouvement ». Selon Jean-Pierre Tuquoi (journaliste du Monde, spécia- lisé dans les pays du Maghreb et auteur de plusieurs livres sur la politique marocaine), «en France, on peut écrire ce que l’on veut sur l’Algérie. Mais sur le Maroc, rien du tout ! ». STÉPHANE BOU PROGRÈS GLOBAL MAROC Mohammed VI, notre ami le censeur BIRMANIE Votez junte En théorie, l’assignation à résidence d’Aung San Suu Kyi, qui a passé la majorité de ces vingt dernières années en prison ou bouclée chez elle, devait prendre fin le 27mai. Mais, début mai, un Américain avait gagné à la nage la maison de la dirigeante de la Ligue nationale pour la démocratie et y était resté caché deux jours. La junte a sauté sur l’occasion pour arrêter et inculper de nouveau l’opposante historique au régime. L’issue de son procès ne faisant aucun doute, Aung San Suu Kyi devrait donc de nouveau être, au mieux, condamnée à la détention à domicile. C’est bête, elle ne pourra pas aller voter pour les élections que les militaires, au pouvoir depuis 1962, ont promises pour l’an prochain… ÉTATS-UNIS Dieu en chute Il n’y a pas que des mauvaises nouvelles: même au pays des bigots, les athées prolifèrent. Selon une enquête nationale toute récente, le nombre d’Américains qui se déclarent sans religion a pratiquement doublé en dix-neuf ans : ils sont aujourd’hui 15%, contre 8% en 1990. Et c’est dans les États les plus traditionnellement culs- bénits que le phénomène est le plus sensible. Mieux, les jeunes semblent former le gros du bataillon: en 2003, l’Alliance des étudiants laïques comptait 42bureaux, aujourd’hui, elle en est à 146. Encore un effort et, dans quelques années, la devise américaine imprimée sur le billet vert, «In God we Trust», deviendra «God we Fuck». ITALIE Entrée interdite Le rêve de la Ligue du Nord est enfin réalité: l’Italie est devenue officiellement la concurrente de la France pour décrocher, au niveau européen, le titre de Miss Racisme 2009. Pour parvenir à ce résultat, Berlusconi a dû, lors de l’adoption par la Chambre des députés de la loi dite du «paquet sécurité», avoir recours à trois reprises au vote de confiance. Il existe donc désormais en Italie un délit «d’immigration et de séjour» irrégulier, puni de 5 000 à 10000euros d’amende. Quant à ceux qui hébergeront, même gratuitement, un clandes- tin, ils encourront jusqu’à trois ans de prison. Le jour où Besson se fera licencier du gouvernement Sarkozy, il saura au moins où aller vendre ses talents. GÉRARD BIARD > EN BREF Le livre d’Ali Amar sur le roi: tout le monde en parle, personne ne peut le lire…

description

Article de Stéphane Bou dans Charlie Hebdo sur la censure du livre d'Ali Amar au Maroc

Transcript of Le livre censuré commenté par Charlie Hebdo

Page 1: Le livre censuré commenté par Charlie Hebdo

Mercredi 20 mai 2009 CHARLIE HEBDO 11

A li Amar, l’auteur deMohammed VI, le grandmalentendu (Calmann-

Lévy), pouvait bien visiter tousles kiosques de Casablancapour acheter le numéro deCharlie dans lequel nous l’in-terviewions il y a deuxsemaines (n° 881), la Soche-presse (filiale marocaine desNMPP) n’a pas cru bon de ledistribuer. Sans doute pour nepas faire naître chez le lecteurun désir d’achat impossible àsatisfaire : la Librairie natio-nale, le diffuseur de livreshégémonique au Maroc,refuse toujours de comman-der des exemplaires à son édi-teur français. Acheté sur Inter-net ou à Roissy par desMarocains en vadrouille entrela France et leur pays, le portraitau vitriol de Mohammed VIréalisé par Ali Amar circuledonc dans la monarchiecomme un papyrus rare et sul-fureux qu’on se passe sous lemanteau.

Le citoyen marocain —non, pardon, le sujet de SaMajesté — est dans une si-tuation assez aberrante : sapresse ne cesse de débattred’un livre qui fait la grosseactu du moment, alors mêmequ’il est introuvable. Si l’en-quête au Kärcher, qui fait lebilan des dix années de règnede Mohammed VI, défraie lachronique marocaine et exciteles médias, c’est notammentparce que diverses sources dulivre, que l’ancien directeur duJournal hebdomadaire a ren-contrées dans l’exercice de sonmétier pendant dix ans, nientavoir dit ce qu’elles ont dit…

Ali Amar rigole de voircomment, même parmi sescollègues journalistes, on luireproche d’évoquer les proposoff qu’il a recueillis, «comme si

une enquête sérieuse pouvait secontenter des communiqués offi-ciels ! ». Exemple dérisoire :André Azoulay, un desconseillers du roi, qui avait ditde ce dernier qu’il était«ingénu» à Edwy Plenel (lequelessayait alors d’obtenir uneinterview de Mohammed VI),demande aujourd’hui à l’an-cien directeur du Monde dedémentir cette informationrapportée incidemment parAli Amar.

En France, la situationest exactement inverse : ontrouve le livre facilement (et ila été réimprimé dès la pre-mière semaine de sa diffu-sion), mais presque personnen’en parle dans la presse, alorsqu’il s’agit de la premièreenquête critique publiée parun journaliste marocainreconnu pour son indépen-dance et son obstination. Cequi est en soi un événementéditorial qui mérite quelquescommentaires. « “Le Marocest un sujet brûlant, on ne pré-

fère pas”, nous ont dit carré-ment les journalistes des radioset des télés, raconte Ali Amar.Et je ne parle pas seulement duTF1 de Bouygues, qui est capablede faire des reportages insenséssur la rénovation du port de Tan-ger sans dire que c’est Bouygues,justement, qui en a obtenu lecontrat…»

Les raisons d’une telleomerta ? Elles se trouvent enpartie dans le livre lui-même,dont un chapitre montre biencomment les communicantset les marketeurs du régime deMohammed VI parviennent àrégulièrement vendre à lapresse française des dossiers àla limite du publi-reportagesur «le Maroc en mouvement».Selon Jean-Pierre Tuquoi(journaliste du Monde, spécia-lisé dans les pays du Maghrebet auteur de plusieurs livressur la politique marocaine),«en France, on peut écrire ce quel’on veut sur l’Algérie. Mais sur leMaroc, rien du tout!».

STÉPHANE BOU

PPRROOGGRRÈÈSS GGLLOOBBAALL

MAROC

Mohammed VI, notre ami le censeur

BIRMANIEVotez junteEn théorie, l’assignationà résidence d’Aung San Suu Kyi,qui a passé la majorité de cesvingt dernières années en prisonou bouclée chez elle, devaitprendre fin le 27mai. Mais,début mai, un Américain avaitgagné à la nage la maison de ladirigeante de la Ligue nationalepour la démocratie et y étaitresté caché deux jours. La juntea sauté sur l’occasion pourarrêter et inculper de nouveaul’opposante historique au régime.L’issue de son procès ne faisantaucun doute, Aung San Suu Kyidevrait donc de nouveau être, aumieux, condamnée à la détentionà domicile. C’est bête, elle nepourra pas aller voter pourles élections que les militaires,au pouvoir depuis 1962, ontpromises pour l’an prochain…

ÉTATS-UNISDieu en chuteIl n’y a pas que des mauvaisesnouvelles: même au pays desbigots, les athées prolifèrent.Selon une enquête nationaletoute récente, le nombred’Américains qui se déclarentsans religion a pratiquementdoublé en dix-neuf ans: ils sontaujourd’hui 15%, contre 8%en 1990. Et c’est dans les Étatsles plus traditionnellement culs-bénits que le phénomène est leplus sensible. Mieux, les jeunessemblent former le gros dubataillon: en 2003, l’Alliancedes étudiants laïques comptait42bureaux, aujourd’hui, elleen est à 146. Encore un effortet, dans quelques années, ladevise américaine imprimée surle billet vert, «In God we Trust»,deviendra «God we Fuck».

ITALIEEntrée interditeLe rêve de la Ligue du Nord estenfin réalité: l’Italie est devenueofficiellement la concurrentede la France pour décrocher,au niveau européen, le titre deMiss Racisme 2009. Pour parvenirà ce résultat, Berlusconi a dû, lorsde l’adoption par la Chambre desdéputés de la loi dite du «paquetsécurité», avoir recours à troisreprises au vote de confiance.Il existe donc désormaisen Italie un délit «d’immigrationet de séjour» irrégulier, punide 5 000 à 10000euros d’amende.Quant à ceux qui hébergeront,même gratuitement, un clandes-tin, ils encourront jusqu’à troisans de prison. Le jour où Bessonse fera licencier du gouvernementSarkozy, il saura au moins où allervendre ses talents.

GÉRARD BIARD

> EN BREF

Le livre d’Ali Amar sur le roi : tout le monde en parle, personne ne peut le lire…

10-11-883-Inter 18/05/09 18:02 Page 11