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ORSAY
N° D'ORDRE : 3874
UNIVERSITÉ DE PARIS-SUD
U.F.R. SCIENTIFIQUE D'ORSAY
THÈSE
présentée pour obtenir le grade de
DOCTEUR EN SCIENCES
DE L'UNIVERSITÉ PARIS XI ORSAY
Spécialité: Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives
Par
Philippe SARRAZIN
MOTIVATION À L’ACCOMPLISSEMENT DANS LES ACTIVITÉS MOTRICES:
MISE EN ÉVIDENCE DE PROCESSUS ET VARIABLES AFFECTANT
LES CROYANCES RELATIVES À LA NATURE DE L'HABILETÉ MOTRICE,
LE CHOIX D'UNE DIFFICULTÉ, L’EFFORT FOURNI, ET LA PERFORMANCE.
Soutenue le 13 Octobre 1995
devant la commission d'examen composée de:
Françoise BACHER Directeur Honoraire à l'École Pratique des Hautes-Études, Paris
Marc DURAND Professeur des Universités à Montpellier I Rapporteur
Jean-Pierre FAMOSE Professeur des Universités à Paris-XI Directeur de thèse
Christian POCIELLO Professeur des Universités à Paris-XI
Edgar THILL Professeur des Universités à Clermont-Ferrand Rapporteur
A mes sources de motivation les plus chères,
Anne-Marie, Émilie, Clément et Margot, ...
qui ont patiemment supporté toutes mes absences, y compris lorsque j'étais à la
maison.
La conduite à son terme de cette recherche n'aurait pas été possible seul. Ainsi, je tiens
tout particulièrement à remercier les personnes suivantes, pour leur contribution de près ou de
loin, à ce travail:
Jean-Pierre Famose, Professeur des Universités à Paris-Sud Orsay, qui a accepté
de diriger cette recherche, en a fourni l'ossature théorique, et nous a guidé tout au long de son
élaboration.
Françoise Bacher, Directeur Honoraire à l'École Pratique des Hautes Études,
3ème Section-Paris, qui a accepté, avec gentillesse, de nous recevoir de nombreuses fois pour nous
conseiller dans nos travaux et nous initier au Lisrel.
Marc Durand, Professeur des Universités à Montpellier I, pour ses nombreuses
expertises.
Yves Papelier, Docteur en Médecine, Professeur à l'Université Paris-Sud Orsay,
pour ses apports précieux dans le domaine de la physiologie de l'effort et du stress.
Gloria Balague, Professor (Department of Psychology, University of Illinois,
Chicago, USA),
Stuart Biddle, Doctor (School of Education, University of Exeter, UK), pour les
conseils qu'ils nous ont apportés au cours de nos collaborations.
François Cury, Paul Fontayne, Patrick Serre, pour les échanges, entraides,
réconforts multiples que nous avons partagés ces dernières années.
Les enseignants d'EPS de la cité scolaire Cl. Debussy, pour les nombreuses
perturbations que nous avons provoquées dans leurs cours, et les sollicitations multiples qu'ils ont
supportées.
Les sujets, qui se sont prêtés à nos expérimentations ... pas toujours de gaieté de
coeur.
Mes parents, beaux-parents, et toute ma famille, pour leurs encouragements, et
l'intérêt porté à ce travail.
SOMMAIRE
Pages
Introduction ...............................................................................................................................
Première partie: Fondements théoriques...................................................................................
Chapitre 1. Définir la motivation................................................................................................
1. Historique du concept de motivation: itinéraire d'un concept contesté.............................
1.1. La motivation comme mobilisation d'énergie...........................................................
1.2. La motivation comme associations apprises..............................................................
1.3. Motivation et cognitions............................................................................................
2. Rôle de la motivation.........................................................................................................
Chapitre 2. La motivation à l'accomplissement..........................................................................
1. Le contenu de la motivation: l'utilité de la notion de besoin.............................................
2. La motivation à l'accomplissement: de la notion de réussite à celle de compétence........
3. Le développement de la motivation à la compétence........................................................
3.1. Distinguer la chance de l'habileté..............................................................................
3.2. Distinguer la difficulté de l'habileté...........................................................................
3.3. Distinguer l'effort de l'habileté..................................................................................
3.4. Conséquences des changements dans la signification de l'habileté...........................
4. But de maîtrise versus but de compétition.........................................................................
5. Facteurs intervenant dans l'adoption d'un but motivationnel.............................................
Chapitre 3. Fonctionnement de la motivation: Un modèle expectation - valence......................
1. Quelques modèles antérieurs témoignant de la diversité des variables.............................
1.1. Le modèle de Vroom.................................................................................................
1.2. Le modèle de Campbell, Dunnette, Lawler, & Weick...............................................
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2. La motivation à l'accomplissement un modèle de fonctionnement...................................
2.1. La valence des performances ou les deux niveaux de résultats.................................
2.2. Les différents types de conséquences........................................................................
2.3. Distinction but de la tâche, but personnel et but motivationnel................................
2.4. Remarques sur le coût temporel d'une analyse cognitive de la situation: le rôle des affects.........................................................................................................................
2.5. Les expectations.........................................................................................................
2.5.1. Expectation résultat-conséquences (Erc)...........................................................
2.5.2. Expectation situation-résultat (Esr)...................................................................
2.5.3. Probabilité subjective de réussir........................................................................
Deuxième partie: Validation des outils de mesures des variables principales.........................
Chapitre 1. Les orientations à l'accomplissement en sport: Mesure et précautions d'utilisation
1. Versions préliminaires.......................................................................................................
2. Évaluation des versions préliminaires...............................................................................
3. Évaluation de la clarté des items.......................................................................................
4. Évaluation de la validité concomitante .............................................................................
4.1. Étude 1: Congruence entre des auto-perceptions et des évaluations externes...........
4.2. Étude 2: Congruence des versions anglaise et française du questionnaire................
5. Étude 3: Fidélité et validité de construit............................................................................
6. Conclusion et précautions méthodologiques.....................................................................
Chapitre 2. L'habileté perçue: considération théorique du construit et validation d'unquestionnaire pour mesurer l'habileté perçue en escalade.....................................
1. Caractère général versus spécifique de l'habileté..............................................................
2. Conception de l'habileté.....................................................................................................
3. Dimensions de l'habileté....................................................................................................
4. Étude 1: Fidélité et validité de construit de QHPE............................................................
5. Étude 2: Validité concomitante et prédictive du QHPE....................................................
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Troisième partie: Démarche expérimentale..............................................................................
Chapitre 1. Orientations à l'accomplissement et croyances relatives à la nature de l'habileté motrice....................................................................................................................
Chapitre 2: Sélection du niveau de difficulté de la tâche dans des situations de libre choix.....
1. Expérience 1: Choix de la difficulté en fonction de l'orientation motivationnelle et del'habileté perçue, dans une situation compétitive......................................
2. Expérience 2: Choix de la difficulté et probabilité de réussir, en fonction du butmotivationnel et de l'habileté perçue des sujets........................................
Chapitre 3: Niveau de ressources alloué pour effectuer la tâche: effort et persévérance..........
1. Expérience 1: Persévérance face aux échecs, en fonction de l'habileté perçue et del'orientation motivationnelle dans une situation compétitive...................
2. Expérience 2: Effort consenti en fonction du but motivationnel, de l'habileté perçue etde la difficulté de la voie, en escalade.......................................................
Chapitre 4: Fixation de buts et augmentation de la performance. De l'utilité d'une techniquemotivationnelle à une explication possible de son mode de fonctionnement..........
1. Expérience 1: Fixation de buts, impacts sur les cognitions et la performance.................
2. Expérience 2: Influence de la valence et de l'expectation dans la prédiction de laperformance, avec une tâche d'escalade...................................................
3. Expérience 3: Influences médiatrices de l'expectation et de la valence, dans la relationdifficulté du but-performance.....................................................................
Conclusion..................................................................................................................................
Bibliographie..............................................................................................................................
Annexes.......................................................................................................................................
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Introduction
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INTRODUCTION
Comprendre le pourquoi des comportements pour éventuellement mieux les prévoir
constitue, un peu, “la quête du Saint-Graal” de la réflexion humaine. En effet, les préoccupations
sur la motivation ne datent pas d’aujourd’hui, et son étude représente l’un des domaines les plus
fascinants et les plus complexes de la psychologie. Fascinant, parce que la connaissance des
raisons et des processus qui déclenchent et régulent les conduites a quelque chose de magique. Et
l'on peut rêver de cet étonnant instrument dont le possesseur serait l'égal de Dieu : un schéma
dynamique qui, rendant compte des diverses strates du processus motivationnel, serait capable
d'expliquer et donc de prédire, la gamme intégrale des comportements humains. Ce savoir ne
conférerait-il pas à son détenteur un pouvoir incontestable ? Complexe, parce que la motivation
n’est pas une réalité tangible mais une construction hypothétique qui n’existe qu’à travers des
manifestations comportementales à partir desquelles on infère l’état de motivation d’une personne.
Complexe également, parce que le comportement humain semble déterminé par de multiples
facteurs qui peuvent être en interaction. Ainsi, une même conduite peut avoir plusieurs causes ou
déterminants. On est susceptible, par exemple, de jouer au football pour des raisons de
développement personnel, comme la volonté de maîtriser une activité sportive culturellement
valorisée, ou pour le plaisir de s’affirmer meilleur que les autres. On peut également décider de
Introduction
-2-
s’adonner à cette pratique pour des raisons étrangères à celle-ci, soit dans un souci d’approbation
ou de reconnaissance sociale, pour faire plaisir à ses parents ou à son professeur d’éducation
physique et sportive, soit pour des raisons d’affiliation afin de satisfaire le désir de faire partie
d’une équipe, et d’y tisser des relations amicales, ou pour des raisons matérielles afin de gagner de
l’argent ou d’éviter une punition. A cette pluralité de raisons qui détermine un comportement
identique et qui rend l’analyse de la motivation pour le moins complexe, s’ajoute une deuxième
source de difficulté. Une même cause, ou déterminant peut s’actualiser dans une multitude de
comportements suivant les individus. Par exemple, un échec dans l’apprentissage d’une technique
sportive peut engendrer chez un élève, un embarras momentané et un redoublement d’effort, alors
qu’un autre éprouvera un sentiment de honte et un renoncement définitif. Par ailleurs, cette
différence de comportements consécutifs à une même cause peut également être constatée chez la
même personne. Ainsi, un élève qui échoue lors d'une tentative de maîtrise d'un élément en
gymnastique, dans une ambiance de travail, avec un enseignant remédiateur peut vivre la situation
de manière positive, sans préjudice pour l’investissement futur; dans un contexte de compétition,
avec un public railleur le même échec peut conduire à une éradication des efforts entrepris. Les
individus semblent donc ne pas réagir de la même façon à un même événement. Un fait qui révèle
toute la complexité du comportement que doit surmonter le psychologue de la motivation. Cette
thèse tentera de pénétrer ce processus complexe qu'est la motivation, et plus généralement sa place
et son rôle dans la conduite humaine.
"Sauf, à faillir à sa fonction essentielle, l'École ne peut se désintéresser de la force qui fait
cheminer le message vers l'enfant et des motivations qui amènent celui-ci à l'accueillir", affirmait
J. Guillaumin en 1962 dans la revue Binet-Simon. Pourtant, si dans les années soixante, soixante-
dix, on mettait l'accent sur la nécessaire prise en compte des motivations des l'enfant, et sur la
qualité de la relation pédagogique, force est de constater, depuis le début des années quatre-vingts,
la domination des démarches didacticiennes qui envahissent le champ de la réflexion en faisant
peu état de ces aspects fondamentaux. Le réductionnisme qui accompagne toujours les
phénomènes de mode en pédagogie tend aujourd'hui à ne faire envisager celle-ci que sous certains
Introduction
-3-
angles (les contenus, l'évaluation, le programme, etc.). En Éducation Physique et Sportive, le
"traitement didactique" des activités physiques et sportives, la détermination de "principes
opérationnels" "d'actions" ou "de gestions" (Pineau, 1991), l'évaluation certificative, constituent
les priorités du "discours officiel". Pourtant, la réalité de la situation pédagogique est toute autre;
et nous estimons que les problèmes liés à la motivation devraient davantage être pris en compte
dans la réflexion actuelle. Car parmi les nombreux rôles dévolus à l'enseignant d'aujourd'hui il se
doit d'être avant tout un "motivateur". Face aux problèmes de l'échec scolaire, massifs dans
certaines banlieues, au phénomène de "démission" voire de déviance témoigné par certains de nos
élèves une meilleure connaissance du processus motivationnel et des variables qui servent de
"leviers" à la motivation ne peut qu'aider tout éducateur soucieux d’intéresser ses élèves; cette
thèse tentera de les objectiver.
Pour un grand nombre de théories psychosociales, la motivation à l'accomplissement est
souvent identifiée comme un facteur central des activités humaines. S'il y a des politiciens qui
mettent en évidence les volontés des sociétés1, des chefs d'entreprise qui veulent développer
l'efficacité de leur force de travail, des parents qui encouragent les efforts de leurs enfants ou des
enseignants qui déplorent les habitudes scolaires des élèves, tout est lié à des problèmes de
motivation d'accomplissement. Le souci est à peu près toujours de mobiliser les Hommes sur des
objectifs de développement. Trop souvent il s'agit de rechercher le type de carotte (ou de bâton)
qui, agitée devant leur nez, les fera avancer dans le sens voulu (bon point, rémunération, honneur,
concurrence). Ce type de démarche présente malheureusement un caractère réductionniste, et nie
le processus dans son ensemble avec ses interdépendances et ses effets paradoxaux ou pervers.
Parmi ces derniers, nous sommes très sensibles, en tant qu'enseignant, aux problèmes de ce qui est
appelé communément la "démotivation" , avec son cortège d'avatars décrit par D. Pennac (1992):
"C’est le début de l’année. Ils ont échoué ici, dans cette école-ci, devant ce professeur-là.
1 "iI faut mobiliser les forces vives de la nation" avançait un candidat à l'élection présidentielle de 1995.
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“Échoué” est le mot. Rejetés sur la rive, quand leurs copains d’hier ont pris le large à bord de lycées-paquebots en partance pour les grandes “carrières”. Épaves abandonnées par la marée scolaire. C’estainsi qu’ils se décrivent eux-mêmes dans la traditionnelle fiche de la rentrée:Nom, prénom, date de naissance...Renseignements divers:“J’ai toujours été nul en math...” “Les langues ne m’intéressent pas”...”Je ne suis pas bon pourécrire”...”Je ne comprends rien à la physique”...”J’ai toujours eu zéro en orthographe”...”Jen’arrive pas à comprendre”...”J’aimerais bien dessiner mais je suis pas trop doué pour”...”C’étaittrop dur pour moi”...”Je manque de base”...Finis...C’est ainsi qu’ils se présentent.Finis avant d’avoir commencé.Bien sûr, ils forcent un peu le trait. C’est le genre qui veut ça. La fiche individuelle, comme le journalintime, tient de l'autocritique: on s’y noircit d’instinct. Et puis, à s’accuser tous azimuts, on se met àl’abri de bien des exigences. L’école leur aura au moins appris cela: le confort de la fatalité. Rien detranquillisant comme un zéro perpétuel en math ou en orthographe: en excluant l’éventualité d’unprogrès, il supprime les inconvénients de l’effort."
Beaucoup de ces adolescents ressemblent au renard de la fable qui, déçu de ne pouvoir atteindre
les fruits convoités, les dédaigne et les rejette comme indignes de lui: "c'est nul les maths", "à quoi
ça sert de faire de l'Anglais ?" Face à cette situation, les réponses du système éducatif sont trop
souvent inadaptées, car ce ne sont pas les bonnes explications qui sont apportées. Souvent les
problèmes de motivation sont évoqués, car dans les représentations sociales les plus fréquentes, la
motivation apparaît comme une force psychologique "magique" à l'origine de réussites que l'on
n'aurait pas supposées; malheureusement, on a inversement trop souvent tendance à expliquer
l'échec en disant d'un élève "qu'il n'est pas motivé". Cette pseudo-explication consiste à plaquer un
label, une étiquette sur des événements sans en démontrer le mécanisme causal, ce qui ne résout en
rien le problème posé. Elle tend également à considérer la variable intermédiaire "motivation"
comme un trait sur lequel on ne peut pas grand-chose; une espèce de prédisposition ou de don: on
"naît" motivé. Cette affirmation spontanée, et en l'occurrence relativement fréquente dans le
monde enseignant pour "expliquer" les échecs, pose néanmoins des problèmes théoriques et
éthiques. Elle suppose tout d'abord que la motivation est un phénomène épisodique qui apparaît de
temps en temps pour disparaître ensuite. Elle est, ensuite, "globalisante"; en caractérisant un élève
comme "non motivé", on fait fi des comportements "motivés" qu'il peut exhiber dans certaines
disciplines (en sport par exemple), ou dans d'autres cadres, ou avec d'autres professeurs. D'autre
part, cette affirmation est incomplète, elle impute, le plus souvent, l'entière responsabilité à l'élève.
En se centrant sur l'enfant plutôt que sur le contexte dans lequel il vit, on arrive à blâmer les
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victimes des situations et à occulter les conséquences des situations sur leur comportement (Ryan,
1971). Elle condamne enfin, toute remédiation éventuelle. Quelles possibilités d'action, quelles
modalités d'intervention tirera l'enseignant d'une banlieue "défavorisée" d'une attitude si
déterministe et fataliste. Que peut-il y faire, si après tout la motivation est simplement une
question de nature humaine ? Ainsi, cette attitude dispense bien souvent de se poser les vraies
questions, de s'interroger sur les causes: pourquoi l'élève n'est-il pas intéressé par la discipline ou
la situation ? Pourquoi abandonne-t-il rapidement ? Sur le processus: comment est-on motivé ? et
sur le contenu: par quoi cet élève est-il ou n'est-il pas motivé ? En occultant ces interrogations,
bien souvent on évite aussi de se remettre en cause.
Dès lors, plutôt que de considérer la motivation comme un phénomène épisodique qui fait
de temps en temps son apparition dans le comportement pour disparaître ensuite, nous la
considérerons comme un processus dynamique continu qui "régule le fonctionnement également
continu de l'individu en interaction avec son milieu" (Nuttin, 1985). Cette régulation concerne les
aspects directionnels et énergétiques du comportement. C'est la motivation qui, en dernière
analyse, est responsable de l'orientation sélective ou préférentielle d'un individu vers tel ou tel
objet plutôt que tel autre. C'est elle qui préside au déclenchement et à l'interruption d'une activité,
au changement de direction. Outre cette aspect directionnel qu'elle imprime au comportement, la
motivation régule la quantité de ressources "énergétiques" (l'effort fourni) et "temporelles" (la
persévérance), allouée pour l'atteinte (ou la fuite) d'un objet. Nous défendrons dans cette thèse
l'idée générale selon laquelle les individus sont toujours motivés pour faire quelque chose.
Autrement dit, nous préconisons un glissement de la problématique par rapport aux
représentations communes de la motivation à l'école, du "qui" est motivé, vers "par quoi" et
"comment" est-on motivé. Les problèmes motivationnels seront dès lors abordés en termes de
distribution de ressources personnelles en fonction de valences de différents résultats et de la
probabilité de leur occurrence. Par conséquent, tout comportement - même s'il s'agit d'une attitude
passive - doit être compris comme l'émanation d'un choix personnel, donc motivé. Il peut arriver,
par exemple, qu'à la suite d'une analyse de la situation (de la tâche imposée et du contexte
d'apprentissage) et d'une auto-évaluation de ses capacités, un élève soit conduit à sélectionner des
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conduites qui ne soient pas favorables à l'apprentissage (un abandon prématuré par exemple). Ce
comportement est néanmoins "motivé", au sens où il correspond à une volonté de la part de l'élève
(ne pas paraître ridicule, par exemple). Cet exemple, montre brièvement la place que nous
accorderons aux processus cognitifs d'analyse, de raisonnement, de comparaison, d'anticipation
comme déterminants fondamentaux de l'action.
Le champ des activités où les individus se réalisent et s'accomplissent, est large. Sphère
intellectuelle, artistique, professionnelle, le cercle est vaste. A l'intérieur de celui-ci, le domaine
sportif occupe une place de plus en plus valorisée, particulièrement chez les jeunes. Selon une
enquête du SECED (1980), 80% des enfants de 8 à 14 ans considèrent le sport comme quelque
chose d'important ou de très important dans la vie. Le Centre d'Étude d'Opinion (1979) montre que
c'est là leur loisir préféré (37, 30%), loin devant le cinéma (12, 60%), les sorties avec les parents
(11%), la télévision (9, 20%), les jeux (8, 10%) et la lecture (5, 10%)2. Plus récemment, l'enquête
de l'INSEP (1987) a démontré que 74% de la population française estimait "faire du sport". Bien
plus que le loisir favori de la jeunesse, le sport est devenu un événement social considérable, qui
n'a pas fini son expansion. Dès lors, prendre l'activité motrice ou le sport comme support d'une
thèse sur la motivation peut relever du plus parfait paradoxe. En effet, ces données statistiques
comme les représentations courantes veulent que le mouvement et la pratique sportive soient
source de satisfaction chez les enfants et les adolescents, car inscrits dans leur "nature". Ce lieu
commun s'ajuste pourtant mal à l'inactivité, à la passivité, bref au manque d'intérêt manifeste pour
les activités physiques et sportives de certains de nos élèves, plus nombreux qu'ils ne devraient
l'être. Même les fédérations sportives déplorent un abandon massif au début de l'adolescence
(Roberts, 1984). Comme tout les mythes derrières lesquels s'abrite le confort intellectuel, celui-là
aussi paraît devoir être remis en question. C'est pourquoi, nous nous interrogerons sur les raisons
possibles de ce phénomène d'abandon, et du manque d'intérêt constaté par certains élèves en cours
d'EPS, car c'est également un problème d'actualité.
2 Cité par Durand (1987).
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Outre la diversité des activités dans lesquelles les individus peuvent rechercher la
compétence (art, musique, domaine intellectuel, multiples activités sportives, etc.), la pluralité
caractérise également les objectifs sous-jacents aux quêtes d'accomplissement. La motivation à
réussir ne constitue pas une réalité uniforme, car succès et échecs ne sont pas des vérités
objectives, mais des perceptions subjectives influencées par le contexte et la culture. En effet,
nous ne vivons pas dans un vide social, et notre culture occidentale nous dicte de plus en plus de
conjuguer "accomplissement" ou "réussite" avec supériorité sur les autres. L'essence même du
sport traditionnel est fondée sur cette idée de joute compétitive. Le mythe du champion porté au
pinacle parce qu'il a su terrasser tous ces adversaires est largement colporté par les média. Dès
lors, beaucoup de personnes ne se sentent en réussite que lorsqu'elles ont le sentiment
incontestable d'être meilleures que les autres. Malheureusement, on peut se demander si cette
tendance égotiste largement valorisée dans notre culture occidentale n'est pas également associée à
la négation sociale, comme en témoignent ces propos d'adolescents:
"Il ne restait plus que nous deux, et ce fut le commencement d'une guerre, ...", "Il y eut une haineénorme lors de la compétition, si j'avais trouvé un moyen pour qu'il perde, je pense que je l'auraisutilisé à ce moment là,"
3
ou ceux de Linford Christie, champion olympique en titre du 100 mètres:
"Je me prépare à courir en me disant que je suis le meilleur et que personne ne peut me battre. Je haisles gens contre qui je cours... J'ai toujours rêvé de faire partie des meilleurs, ... Les américains ne sontpas imbattables. I am the best."
4
Certes, notre culture glorifie le vainqueur mais qu'en est-il des vaincus ? Il se peut que soit infligée
à l'adolescent une grave blessure narcissique. Il se peut donc que par crainte de se voir infliger
cette blessure, l'adolescent refuse les activités sportives... alors qu'il pourrait être attiré par celles-
ci, si le contexte était autre. Le corollaire extrême peut donc être l'évitement de toute tentative, de
3 Il s'agit de l'épreuve de rédaction pour le Brevet des collèges (Académie de Versailles, session 1994), dontle sujet était: "Vous avez vécu un jour un succès ou un échec mémorable (exercice scolaire, épreuve sportiveou autre). Faites-en un récit détaillé en précisant les sentiments que vous avez éprouvés".4 Tiré de L'Équipe Magazine n° 699, 5 août 1995.
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toute dépense d'énergie, par crainte de ne pas être à la hauteur et pour éviter les bouffées affectives
révulsives telle la honte qui sont associées à ce sentiment. En bref, la crainte du ridicule peut
l'emporter sur l'intention de participation, comme l'exprime cet adolescent:
"Un jeudi matin, en sport, nous faisions une course de vitesse sur 60 mètres. Je regardais mescamarades passer les uns après les autres, peut-être par peur du ridicule ou de la déception, car il estvrai que je n'ai jamais été un grand sportif accompli. De loin, j'entendais le sifflet du professeur quisignalait le départ et je revoyais mes camarades qui revenaient en clamant leurs performances à toutela population. Je me sentais de plus en plus tendu et j'espérais que je pourrais courir avec un camarademoins rapide que moi. Malheureusement, il n'y avait pas d'unijambiste dans la classe. La tension étaità son comble, plus que 4 personnes et c'était à mon tour. Étant donné que nous passions deux pardeux, et que le nombre d'élèves était impair, j'allais passer seul. Au moins je ne me ridiculiserais pas,en me faisant doubler par le premier venu. Mais soudain, la situation bascula dans l'horreur, alors quej'avais tout arrangé, je devais courir avec Morgan, le plus rapide de la classe. J'étais tétanisé, car j'étaiscertain qu'il arriverait, alors que je ne serais pas encore parti. Nous étions sur la ligne de départ, lepugilat allait pouvoir commencer, je me souviens encore de quelques phrases désobligeantes "il tetéléphonera quand il sera arrivé" ou bien "part devant, il te rattrapera."3
Les avatars de cette vision normative ou compétitive de la réussite associée à l'esprit et à l'essor
capitaliste peuvent interpeller. C'est le sens des propos tenus par Michel Serres lors d'un discours
de réception à l’Académie Française (janvier 1991):
"Notre culture nous dicte de gagner: sur les champs de bataille ainsi que dans la concurrenceéconomique et scientifique, forcenée... Parvenus aujourd’hui aux limites extrêmes des performancesde la violence martiale et de l’économie, sommes-nous si sûrs, désormais, qu’il faille vraimenttoujours gagner, y compris dans les domaines de l’esprit ?"
Pourtant les sentiments de compétence ou d’accomplissement peuvent ne pas être toujours basés
sur le désir égotiste de supériorité sur les autres. D'autres objectifs peuvent également sous-tendre
la recherche de réussite. Comme tous parents, nous avons vu nos enfants tirer un grand plaisir
lorsqu'ils arrivaient pour la première fois à maîtriser les "objets" qui les entouraient. On se
souvient également des descriptions que Piaget (1936) faisait de sa fille Lucienne âgée de trois
mois: elle,
"secoue son étagère en remuant violemment ses jambes, ce qui fait bouger les poupées. Lucienne lesregarde en souriant, et recommence illico. Les mouvements sont tout simplement concomitants à lajoie." Cependant, "Le lendemain, je présente les poupées: Lucienne remue immédiatement, bouge sesjambes, mais cette fois ci, sans sourire. Son intérêt est intense et soutenu." Deux jours plus tard, "unmouvement involontaire dérange les poupées: Lucienne les regarde à nouveau et cette fois ci, bougeavec régularité. Elle fixe les poupées, sourit à peine, remue ses jambes vigoureusement etparfaitement. A chaque mouvement, elle est distraite par ses mains... elle les examine un moment puisretourne à ses poupées." Huit jours plus tard, "dès que je suspends les poupées, elle les secoue, sans
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sourire, avec des mouvements précis et rythmés, avec pratiquement un intervalle entre chaquesecousse, comme ci elle étudiait le phénomène. Le succès provoque peu à peu son sourire."
Lucienne semble attirée par le fait d’agir avec l’environnement. Son habileté grandissante à
influencer les événements semble susciter chez elle de l'intérêt pour ceux-ci, et augmente son
attention et les efforts qu’elle déploie pour les produire. Est-elle simplement en train
d’"apprendre" comment secouer ses poupées sur l’étagère? On peut subodorer, sans trop exagérer,
qu’elle est en train d’acquérir le sentiment que l’on peut "être cause" (Nuttin, 1985) de quelque
chose, un sentiment primitif de compétence. Les poupées suspendues peuvent éventuellement
perdre de leur charme. Très vite, les enfants rampent, se tiennent debout, marchent, prennent part
aux jeux que les parents organisent, reprennent ces jeux d'eux-mêmes, et ainsi de suite. Toute
nouvelle réalisation, toute nouvelle maîtrise procure une satisfaction évidente et qui ouvre la porte
à de nouveaux défis. Au fur et à mesure que les enfants grandissent, ils se fixent des buts à plus
long terme et leurs activités sont soutenues sur de plus longues périodes.
Ainsi, les études sur les enfants nous montrent que l'on peut éprouver un grand sentiment de
réussite en maîtrisant quelque chose qui constituait un obstacle, en gagnant en connaissance, en
réalisant des buts que l'on s'était fixés; en bref, chaque fois que l'on a le sentiment de progresser ou
d'avoir donné le meilleur de soi-même; comme l'expriment merveilleusement bien les propos de
cet adolescent, qui éprouve, pour la première fois, le sentiment de "savoir" nager:
"... Alors je pris les lignes d'eau qui se trouvaient au milieu de la piscine, et je commençais à medéplacer. Dès fois, j'essayais de lâcher les lignes. Le moniteur me donna une bouée, je la pris, et je memis à faire des grands gestes dans l'eau. De jour en jour, je progressais, et je venais de m'apercevoirque je n'avais plus peur. J'étais content de moi. La dernière semaine, je savais nager, et j'étais fou dejoie car je venais de résoudre un problème qui me tourmentait à chaque fois que j'allais à la piscine.C'était un succès pour moi, je n'en revenais pas. Je venais de faire quelque chose dont j'avais très peur:savoir nager. Pour moi, c'était un exploit."3
Dans cette thèse, nous tenterons de mettre en évidence les motifs d'accomplissement qui animent
les adolescents lorsqu'ils font du sport. Nous analyserons en particulier, dans le cadre expérimental
de notre travail, les effets singuliers des deux "orientations majeures" de la motivation à
l'accomplissement - vers la maîtrise des tâches et vers la compétition.
Introduction
-10-
Il reste maintenant à développer la logique de l'exposé qui suit.
La première partie présentera les fondements théoriques sous-jacents à notre démarche.
Elle s'attachera en premier lieu à expliciter la place et le rôle de la motivation sur la conduite
humaine. Nous nous efforcerons ensuite, de chercher dans la littérature psychologique des
éléments de réponse aux questions relatives au fonctionnement de la motivation. En effet, il
n'existe plus, à l'heure actuelle, de théories "très officielles" ou à "large portée", comme le déplore
B. Weiner (1990):
"Il y a une certaine perte avec l'affaiblissement des théories plus larges, parce que c'est exactement cequ'un nombre d'idées centrales et de concepts en psychologie de la motivation a besoin." (p. 620)
Ce qui reste, c'est une variété d'approches cognitives à "moyenne portée". Celles que l'on trouve
principalement aujourd'hui sont basées sur un vaste ensemble de cognitions inter-reliées, telles les
ascriptions causales, les croyances d'efficacité, de contrôle, ou d'impuissance, et des images sur les
buts que l'on cherche à atteindre. Il n'est pas de notre prétention de construire une nouvelle théorie
plus large de la motivation, cependant nous pensons qu’il y a des éléments communs, des
convergences conceptuelles qui organisent beaucoup d’approches contemporaines sur la
motivation. Il existe également, parmi elles, des contradictions que nous analyserons. Nous
soutenons que les avancées les plus importantes pour comprendre le fonctionnement de la
motivation sont prédites par des approches socio-cognitives. Celles-ci sont construites "autour
d'espérances et de valeurs que les individus attachent aux différents buts et activités
d'accomplissement" (Roberts, 1992). Notre objectif sera de construire un modèle expectation-
valence mettant en évidence différentes variables qui agissent sur la motivation à
l'accomplissement. Nous développerons également, les présupposés théoriques sous-jacents à nos
propositions, pour mieux en cerner les limites.
Introduction
-11-
Dans une deuxième partie, nous exposerons nos travaux relatifs à la validation des
instruments de mesure de nos variables indépendantes principales: les buts motivationnels et la
compétence perçue.
La troisième partie constituera le cadre expérimental de notre travail. Seront présentées les
expériences que nous avons conduites depuis 4 ans. Elles auront pour but d'éprouver différentes
hypothèses émanant de notre cadre théorique, et appréhenderont successivement différentes
variables motivationnelles :
- les croyances relatives à la nature de l'habileté sportive,
- le choix d'un niveau de difficulté,
- l'effort alloué, la persévérance face aux difficultés et enfin,
- la performance
Nous nous sommes appliqués à bien contrôler les variables indépendantes dont dépend la
motivation. Ce souci nous a d'ailleurs parfois conduit à renouveler une expérience en maîtrisant
avec plus de précaution certaines variables.
Introduction
-12-
PREMIÈRE PARTIE
FONDEMENTS THÉORIQUES
Définir la motivation
-13-
Chapitre 1
Définir la motivation
Définir la motivation n’est pas chose aisée. Néanmoins, lorsque l’on pense à cette notion,
plusieurs idées viennent à l’esprit qui suffisent à signifier ce à quoi se réfère le terme motivation.
Dans le monde sportif, par exemple, le discours des journalistes, des sportifs comme celui des
spectateurs est chargé de métaphores et d’hyperboles assez éloquentes pour caractériser ce
concept. Le coureur de marathon qui va finir son épreuve malgré la souffrance qui le tenaille,
l’abnégation du nageur qui va enchaîner inlassablement les longueurs durant de nombreuses
heures, plusieurs jours par semaine, pendant bon nombre d’années. La motivation se définit
également souvent par son contraire, c’est à dire son absence. Ainsi, l’élève qui se détourne des
situations proposées, qui ne persévère pas face aux difficultés, ou qui fait le pitre, est souvent
qualifié de non motivé. Il n’est pas rare également d’entendre un entraîneur ou un professeur
évoquer un manque de motivation pour expliquer la contre-performance des personnes dont ils ont
la charge. Selon certains même, la motivation est "attachée si profondément" dans l'organisme
humain qu'elle s'assimile à un don (Roberts, 1992). Ces lieux communs véhiculent plusieurs
postulats qu'il convient de mettre en lumière. Tout d'abord, ils laissent supposer que l'on peut être
ou ne pas être motivé. En d'autres termes, la motivation serait une sorte de "pulsion" qui de temps
à autre fait son apparition dans le comportement pour disparaître après. D'autre part, ils postulent
l'existence d'un lien direct entre la motivation et la performance. En dernier lieu, en qualifiant un
Définir la motivation
-14-
élève ou un sportif de "non motivé", on suggère qu'il lui manque fondamentalement quelque
chose, et que cette carence est durable et peu remédiable. Nous remettrons en cause ces trois
postulats, dans le décours de cette thèse.
Au-delà de ces quelques clichés, il apparaît difficile de définir le concept de motivation
avec précision. Le dictionnaire Le Petit Robert (édition 1994) en offre la définition suivante:
"Relation d'un acte aux motifs qui l'expliquent ou le justifient. La motivation d'un acte" . Si cette
définition - qui insiste sur l'intentionnalité des conduites - est suffisante pour l'usage courant que
nous faisons du terme de motivation, elle apparaît lacunaire dans une perspective scientifique.
Pour aller plus loin dans l'explicitation du concept, il semble opportun d'effectuer un
rapide survol historique des différentes théories qui ont pris la motivation pour objet d'étude.
Considéré par certains comme une notion superflue destinée à disparaître du vocabulaire de la
psychologie, le construit5 de "motivation" a eu du mal à trouver sa place dans l'explication du
comportement. Il convient dès lors, afin de mieux cerner notre objet d'étude, de mettre en lumière
quelques unes de ces conceptions pour dégager ensuite les caractéristiques du comportement qui, à
notre avis, nécessitent qu'on fasse appel à cette "variable intermédiaire" qu'est le processus
motivationnel.
Trois courants majeurs qui ont tenté d'expliquer le comportement, ont eu des influences
sur la psychologie de la motivation. Le premier courant voit dans la conduite une nature
énergétique, le second une nature associative et le troisième la conçoit en terme de traitement de
l'information, et de processus cognitifs. On reconnaît à travers eux, trois types de théories de la
motivation qui essaient de conceptualiser le mécanisme par lequel la motivation active et dirige le
comportement: le mécanisme de "décharge", le mécanisme de "connexion" ou de la réponse
renforcée et enfin, une conception contemporaine qui met l'accent sur les processus d'information
et de représentation, et sur la formation de projets et de buts élaborés de façon cognitive.
5Du terme anglais construct , un construit correspond à un concept de niveau d'abstraction élevé.
Définir la motivation
-15-
1. HISTORIQUE DU CONCEPT DE MOTIVATION: ITINÉRAIRE D'UN CONCEPTCONTESTÉ
Suivant en cela la racine latine movere signifiant "se mouvoir", les psychologues ont
initialement fait appel à la notion de motivation essentiellement pour expliquer ce qui faisait
passer l'organisme de l’état de repos à l’état d’activité. Dans cette optique, la recherche sur le
moteur des comportements a été associée aux concepts d'instinct, de pulsion (drive), d'éveil
(arousal), de besoin (need), d'activation (energization) ou de sensibilisation (sensitizer). Ces
théoriciens ont souvent utilisé la "métaphore de la machine" (Weiner, 1991) et emprunté des
terminologies propres aux sciences physiques - tels l'énergie, le champs de forces ou les
connections associatives - pour illustrer avec commodité leurs propos.
1. 1. LA MOTIVATION COMME MOBILISATION D'ÉNERGIE
Dans beaucoup de théories initiales, la motivation, comme le mouvement en physique, se
réduit à une force qui fait passer l’organisme de l’état de repos à l’état de mouvement. On parle
alors de mobilisation, de transmission, et de décharge d’énergie (une des notions les plus
populaires en psychologie de la motivation), de balance ou d'équilibre des forces. Certains de ces
concepts sont bien illustrés dans la théorie psychanalytique formulée par Freud. Le modèle
physique qu'il a élaboré et appelé appareil psychique, a pour loi fondamentale d'éviter tout
accroissement d’énergie. La machine humaine est conçue comme fonctionnant à l'énergie, mais en
quantité fixée. Tout stimulus interne provoqué par le besoin organique est imaginé comme un
apport d’énergie6 que l’appareil psychique essayera d'évacuer par une "décharge" dans le
comportement moteur. L'idée d'un principe de conservation de l'énergie est également avancée,
selon lequel l'énergie dépensée pour réaliser une fonction serait dès lors indisponible pour d'autres
fonctions (entropie). On retrouve également ces métaphores énergétique et machinique dans la
théorie des pulsions exposée par Hull (1943)7, la théorie éthologique présentée par Lorenz (1966)
et Tinbergen (1968) en particulier à travers les notions "d'accumulation," de "débordement" et de
6 Freud définissait la "pulsion" comme une certaine quantité d'énergie tendant vers une direction déterminée.7 Cet auteur considérait "l'organisme comme un robot s'auto-entretenant totalement" (p. 27) mû par desbesoins qui fonctionneraient comme une énergie psychologique propulsant l'organisme vers l'action.
Définir la motivation
-16-
"décharge" d'énergie qu'ils utilisent, et la théorie du champ adoptée par Lewin (1935), qui partage
les suppositions éthologiques précédentes en ce qui concerne les conséquences d'un excès de
forces hydrauliques8. Plus tard, la découverte neurophysiologique des fonctions de vigilance et
d'attention, au niveau de la formation réticulaire, a donné une nouvelle impulsion à l'utilisation des
concepts énergétiques, à travers les théories de l'activation. On pense, entre autres, aux points de
vue de Hebb (1955), Berlyne (195, 1960) et Festinger (1957)9. Pour résumer, les concepts
mécaniques et énergétiques se retrouvent dans beaucoup de théories motivationnelles. Utilisés
initialement par les théories des besoins homéostatiques, on les retrouve dans les systèmes
d'inspiration cybernétique (Hunt, 1965; Miller, Galanter, & Pribram, 1960), et dans les théories de
l'attribution (Heider, 1958; Kelley, 1967, 1971). L'idée généralement répandue dans toutes ces
théories est que l'existence d'une discrépance ou d'un décalage entre un état "idéal" ou final (off)
de l'organisme et un état du moment (on) - c'est-à-dire la présence d'un besoin - constitue une
source d'activité afin de réduire à zéro ce déséquilibre. Le mécanisme motivationnel se conçoit
exclusivement comme un processus de réduction de tension, en ce sens où la motivation est un état
de tension qui cherche à rétablir l'équilibre par un comportement approprié. D'où l'étude des effets
d'une variété d'états de besoin sur une variété d'indices de motivation comme la vitesse
d'apprentissage ou le comportement de choix, et l'importance accordée aux taxonomies des
instincts et des besoins de base, illustrée dans les écrits de William Mc Dougall (1923), Henry
Murray (1938) ou Abraham Maslow (1943). La motivation est traitée sur le modèle des besoins
viscérogéniques et homéostatiques, besoins dont seule la phase de réduction (par exemple, réduire
la faim) intéresse la psychologie.
8 Lewin (1935) n'hésitait pas à utiliser la métaphore hydraulique pour décrire la "tension" (conséquence d'unbesoin) qui se "répandait", d'une région déterminée de l'individu, dans des régions adjacentes. Les idées deLewin étaient formulées dans une théorie générale du comportement selon laquelle la force (que l'on pouvaitreprésenter par un vecteur car elle avait des propriétés à la fois d'amplitude et de direction) était fonctiond'une tension à l'intérieur de l'individu, des caractéristiques de l'objet-but et de la distance psychologique vis àvis du but. Ces concepts seront à la base des théories expectations-valeurs dont il sera question plus loin.9 Dans sa théorie de la "dissonance cognitive", Festinger (1957) établit qu'une "discrépance" ou un décalageentre deux cognitions est la source d'une pulsion (ou force) qui tend à remettre les cognitions en balance ouéquilibre. L'organisme, par conséquent, est conçu comme stimulé par le but de maintenir une balancestructurelle, ou une bonne harmonie.
Définir la motivation
-17-
1. 2. LA MOTIVATION COMME ASSOCIATIONS APPRISES
Particulièrement frappante est la tendance propre aux auteurs béhavioristes, surtout ceux
de la première génération (Dunlap, 1932; Kuo, 1937; Watson, 1919), à évacuer la notion de
motivation. Certains voient en elle le moyen de baptiser des agents physiologiques fort
hétérogènes, tels la faim, la soif, la sexualité, le besoin d'oxygène, de sommeil, etc., qui
influencent le comportement. C'est ainsi que la motivation apparaît comme un terme global et peu
scientifique pour désigner l'influence d'une variété d'états physiologiques sur le comportement.
Selon eux, si la psychologie étudie tous les déterminants du comportement, il n'est pas nécessaire
d'en isoler ou grouper quelques-uns sous la rubrique "motivation". D'autre part, dans le schéma
comportemental stimulus-réponse, l'action est effectivement le propre du stimulus, puisque
l'organisme vivant se caractérise uniquement par la façon spécifique dont il "réagit" aux excitants
déterminés. Dans le réflexe, par exemple, le stimulus peut être considéré comme la condition
suffisante à la mise en marche de la réaction, le point de départ dynamique du comportement.
Donc, ou bien la motivation s'identifie au stimulus, ou bien ce terme n'est qu'un procédé superflu
pour souligner l'activité de l'être vivant. Certains auteurs ont toutefois fait appel à un facteur
motivationnel, après avoir constaté que l'organisme ne réagissait pas toujours à l'excitant que le
milieu lui proposait. L'objet sexuel, ou la nourriture qui, dans certaines circonstances, provoque
une réaction, reste quelquefois sans effet. Le facteur motivation introduit alors, avait pour objet de
rendre compte de cette différence de réactivité. Il était conçu en termes de différence de seuil dans
la réceptivité ou la sensibilité de l'organisme vis-à-vis d'un excitant donné: un facteur de
sensibilisation (sensitizer) et d'activation (energizer) qui avait comme fonction de faire baisser le
seuil de réactivité à certains excitants (voir entre autre Nissen, 1954).
1.3. MOTIVATION ET COGNITIONS
Autour des années 1950, des changements majeurs ont commencé à s'opérer dans le
champs de la motivation, dus en partie au différent Hull - Tolman, relatif à la nécessité d'inclure
des construits mentaux d'ordre supérieur parmi les déterminants du comportement (Weiner, 1991).
Ces mouvements provoqueront l'avènement des cognitions, au détriment de représentations du
Définir la motivation
-18-
fonctionnements plus mécaniques. Plusieurs données ont fait infléchir peu à peu les conceptions
dominantes, en objectivant leurs limites. Il fut tout d'abord admis - grâce aux travaux de la
biologie - que les organismes étaient toujours actifs; dès lors, il devenait impropre de concevoir la
motivation uniquement en terme de réaction. Ensuite, il fut prouvé que l'association entre un
Stimulus et une Réponse, en tant que telle, n'avait aucun pouvoir dynamique. Enfin, l'utilisation de
données cognitives comme l'attente ou l'expectation d'un but, semblait incontournable à la
compréhension du fonctionnement humain.
Motivation et activité spontanée de l’organisme
Nous avons montré précédemment l'engouement qu'a suscité le modèle énergétique pour
expliquer la conduite motivée. Selon ce modèle, la notion de motivation rend compte de la mise en
route de l'organisme. Elle fait passer l'organisme de l’état de repos à l’état d’activité; en bref, elle
est un facteur d’énergétisation. Contre une telle manière de voir, certains psychologues (Kelly,
1958) ont protesté, affirmant qu'elle reposait sur une conception statique de l'organisme: l'état
"naturel" de l'être vivant serait celui d'inactivité et il faudrait faire appel à un ressort spécial pour
expliquer son passage à l'activité. Même la biologie qui s’inspirait largement de ce modèle, a
remis en cause la validité de ce point de vue. Hebb (1949), par exemple, a formulé une hypothèse
basée, non sur la réactivité, mais sur l'activité naturelle du système nerveux. Contrairement à ce
qu'on pensait jadis, la cellule nerveuse n'a pas besoin, pour être active, d'une excitation venant de
l'extérieur; elle n'est pas physiologiquement inerte, l’activité, et non le repos, est son état naturel;
elle n’est pas seulement réactive, mais active de façon continue. Hebb a exprimé l'idée d'identifier
l'état général de motivation à la fonction de vigilance (arousal) émanant de la formation
réticulaire du tronc cérébral. Aussi, un changement dans les conditions externes ou internes n’est
pas la "cause" d’un processus dans un organisme inerte; il faut davantage le concevoir comme
modifiant des processus dans un système actif de façon autonome. De la naissance à la mort,
l’être humain "se comporte"; si la stimulation lui manque, il la recherche. Comme le dit Nuttin
(1985): "en l’absence de besoin organique (faim, soif, etc.), et/ou de stimulation externe,
l’individu reste actif, en ce sens qu’il a encore toutes sortes de choses à faire : c’est en l’absence
Définir la motivation
-19-
de faim, par exemple, que l’enfant intensifie son fonctionnement comportemental (le jeu, par
exemple), à tel point même qu’il en oublie parfois les stimuli de la faim qui l’affectent". C’est en
cela, qu’il convient d’admettre que les théories classiques homéostatiques ne peuvent suffire à
expliquer le dynamisme comportemental en général.
De l'utilité de la notion de but: critique du conditionnement
Dans certaines théories béhavioristes, la question du pourquoi d'un événement se pose en
termes d'association entre un stimulus et une réaction comportementale. Or Lewin (1922), dans
une de ses premières recherches, a montré que l'association en tant que telle n'a pas d'effet
dynamique (les associations ne sont jamais les causes d'un événement). Par exemple, le fait de
savoir quand on est adolescent, qu'effectuer un saut de 6 mètres en longueur aurait pour
conséquence de démontrer sa supériorité sur les autres (association), n'a aucune force
motivationnelle en soi. Il faut pour cela éprouver une quelconque attirance pour ce type de
conséquence (affirmer sa supériorité). Ainsi, pour que le résultat (sauter 6 mètres) ait un certain
pouvoir dynamisant, il faut au préalable que la personne valorise les conséquences qui lui sont
attenantes. Par conséquent, il apparaît évident que le schéma dans lequel la psychologie
comportementale aimait formuler les conduites de l'organisme - celui de la réaction à un stimulus -
cache quelque peu la problématique de la motivation. Dans la vie courante, la conduite humaine
est conçue spontanément comme guidée et dominée par un projet et un effort pour réaliser ou
atteindre un objet-but. Ce second schéma répond probablement à une réalité psychique et doit
avoir dès lors une valeur scientifique. Alors que le premier prend comme modèle la réaction
élémentaire du réflexe, le second a pour objet, surtout la réalité complexe de la conduite humaine.
De plus, il semble que l'effort ou la tendance à atteindre quelque chose se retrouve, à des degrés
très variables, dans nombre de conduites inférieures. N'oublions pas, en effet, que ce qui s'appelait
stimulus (inconditionné) dans une expérience de conditionnement classique, était de fait un objet
qui, pour l'animal, constituait le but d'une activité de recherche dans sa vie normale. "La nourriture
est conçue comme stimulus par l'expérimentateur qui, dans son laboratoire, l'applique à
l'organisme gustatif de l'animal pour étudier les sécrétions physiologiques qu'elle déclenche, mais
Définir la motivation
-20-
elle est vue comme l'objet-but d'une grande activité motivée par celui qui observe le comportement
dans son cadre réel" (Nuttin, 1968, p. V-4). Ainsi, à côté du schéma du conditionnement et de la
théorie S - R, des psychologues de la motivation, sous l'impulsion de Tolman (1925), furent de plus
en plus enclins à inclure, parmi les déterminants du comportement, le construit cognitif "d'attente
du but", une conception de la conduite qui se fonde sur les capacités proactives ou anticipatives
des organismes, capables de rechercher une situation ou un objet absent ou non encore existant.
Ces représentations ont donné lieu au concept de niveau d’aspiration, ou but qu'on essaie
d'atteindre (Lewin).
Les grands paradigmes antérieurs et les lois qu'ils ont établis sont peu à peu critiqués, pour
leurs explications parcellaires. Ce fut le cas, par exemple, de la célèbre "loi de l'effet" de Skinner
qui prévoyait qu’une récompense (renforçateur) augmentait automatiquement la probabilité
d'apparition de la réponse qui la précédait immédiatement, lorsque l'organisme se trouvait dans des
conditions similaires. Contrairement à cette conception de la loi de l'effet, il arrive qu'une
récompense n'induise pas obligatoirement la répétition de l'acte. Un individu peut, par exemple,
être amené à ne pas répéter une action ou tâche, alors qu'il est assuré de la réussir (la réussite
constituant ici la "récompense"). Au lieu de cela, ce qui le motive à répéter matériellement
l'activité, c'est par exemple le fait qu'il s'est proposé d'atteindre un autre standard, ou d'essayer une
autre méthode. En d'autres mots, il ne s'agit pas d'une véritable répétition, mais d'une nouvelle
tâche, d'un nouveau but, qu'il s'impose à lui-même. C'est une forme de développement de la
conduite qui ne se conçoit pas en termes de renforcement de connexions. La répétition pure et
simple peut provoquer la satiété et l'ennui, et créer des motivations au changement et à
l'exploration. D'autre part, il existe des conditions où la récompense peut occasionner une
diminution de la probabilité de l'acte. Récompenser matériellement un individu pour la réussite
d'une tâche, peut être perçu par celui-ci, comme une sorte de contrôle qui amoindrit son sentiment
d'autodétermination. Si tel est le cas, les efforts futurs sont diminués au lieu d'être majorés (Deci,
1975). De manière similaire, récompenser un succès quand la tâche est réputée facile, peut être
perçu comme un indice pour le receveur qu’il n'a qu'une faible habileté; une croyance qui, nous le
verrons, inhibe l’activité.
Définir la motivation
-21-
Il fut reconnu peu à peu qu'une récompense pouvait avoir une variété de significations, et
que chaque connotation pouvait avoir des implications motivationnelles singulières. Dans le
champ de la motivation, ces prises de conscience signifiaient que le "gagnant" du débat Hull -
Tolman était le cognitiviste Tolman, plutôt que le mécaniste Hull (Weiner, 1990). Quand
l'approche cognitive vit le jour, différentes orientations théoriques mais aussi de nouvelles
préoccupations empiriques en résultèrent. Les thèmes associés au succès et à l'échec et aux quêtes
d'accomplissement formèrent les bases de l'étude empirique de la motivation. En partie à cause de
l'importance manifeste que constitue la recherche d'accomplissement dans la vie; mais également
parce que le succès et l'échec pouvaient être facilement manipulés en laboratoire et les effets sur la
performance aisément déterminés. Nous étudierons plus loin la spécificité de ce type de
motivation.
Avec l'avènement des cognitions, s'opère un glissement d'un modèle de régulation
physiologique vers un modèle proprement psychologique. La motivation n'est plus seulement cette
modification de l'organisme le mettant en mouvement, jusqu'à réduction de la tension, mais ce
facteur spécifique qui prédispose l'individu à accomplir certains buts. Plutôt que de rechercher
l'équilibre, comme le prétendent différents modèles homéostatiques, l'homme cherche souvent à le
rompre. Dès qu'un but antérieur est atteint, il s'engage dans de nouveaux projets, dans des voies de
plus en plus difficiles. Il assume de nouvelles responsabilités et ne supporte pas la situation dans
laquelle il ne trouve aucune tâche importante à s'assigner. L'homme est malheureux et peut même
devenir névrotique lorsqu'il n'a "rien à faire", plus de projet à réaliser, lorsque plus personne
n'attend quelque chose de lui. C'est dans ce manque de quelque chose "à faire" que se trouve
souvent l'origine de la plainte du névrosé selon laquelle la vie n'a aucun sens. Le mécanisme de
réduction apparaît incomplet pour caractériser la motivation. Il ne pourrait éventuellement que
représenter l'une des deux phases du processus motivationnel, la première étant l'établissement du
but.
Outre le construit cognitif "d'attente du but", les théories contemporaines de la motivation
font appel à une pluralité de variables et processus cognitifs. La direction et l'intensité du
comportement sont fonctions non pas uniquement de l'anticipation des conséquences finales de
Définir la motivation
-22-
l'acte, mais aussi de certains processus cognitifs d'analyse, de raisonnement, de comparaison, et de
représentation. "Il y a une incorporation croissante d’une variété de variables cognitives, comme
l'illustre la triade attributions causales, croyances d’efficacité, et d'impuissance, et de sources
d’information (soi ou les autres)" (Weiner, 1990, p. 620). Comme le signal cet auteur, la nouvelle
"tendance" des modèles cognitifs est l'inclusion du self. "Ajoutez ... (aux cognitions
susmentionnées)... les construits d’actualisation de soi, de concept de soi (self-concept), de
détermination personnelle (self-determination), d’estime de soi (self-esteem), de valeur de soi
(self-force), d’auto-handicap (self-handicapping), et le reste de l’alphabet de soi, et il est évident
que le soi est sur le point de dominer la motivation" (Weiner, 1990, p. 621). Ces nouvelles
préoccupations, et ces nouveaux concepts associés aux conceptualisations contemporaines de la
motivation traduisent ce que Weiner (1991) a désigné sous la métaphore: "la personne est divine"
(i.e., rationnelle, qui agit en connaissance de cause). Dans le modèle de fonctionnement de la
motivation à l'accomplissement que nous proposerons, et dans la partie expérimentale qui suivra,
nous montrerons le rôle joué par différentes cognitions: les perceptions de la difficulté des tâches,
l'habileté que le sujet estime avoir, les chances qu'il se donne d'atteindre une performance
déterminée, ou les croyances plus fondamentales qu'il a sur la nature des choses. Le point de vue
que nous défendons est que les individus ont une "idée" des conséquences possibles de leurs actes
moteurs, et qu'ils émettent à la fois des calculs probabilistes sur l'occurrence de ces différentes
conséquences (expectation) et sur la satisfaction qu'ils anticipent de les atteindre (valence).
Après avoir esquissé le cheminement du concept de motivation, parmi les différentes
théories qui l'ont appréhendé, et souligné certains de ces attributs, il nous reste à préciser le rôle
qui lui est dévolu, avant d'en proposer une définition.
2. RÔLE DE LA MOTIVATION
La motivation s'étudie, soit comme variable dépendante en examinant les facteurs dont elle
dépend et qui interviennent dans son développement, ce sera l'objet de nos recherches, soit comme
variable indépendante en se demandant dans quelle mesure elle contribue à "expliquer" la conduite
(Ryan, 1970). C'est sur ce dernier point que l'on voudrait faire quelques remarques afin de préciser
Définir la motivation
-23-
le rôle de la motivation dans le comportement humain. Nous nous inspirons largement pour cela,
des conceptions défendues par Joseph Nuttin (1985).
Le comportement est une fonction de relation. Pour Nuttin, le comportement est une fonction de
relation, c'est-à-dire une entrée en relation d'un sujet avec un environnement perçu et conçu. Mais
le comportement ne se réduit pas à son sens restreint d'action exercée sur une situation (phase
exécutive du comportement). Le processus comportemental au sens large comporte trois phases:
(1) traitement complexe des informations internes et externes pour donner une signification à la
situation, (2) phase dynamique, où différentes opérations cognitives activées et dirigées par l'état
de besoin du sujet, transforment ce besoin en formes comportementales concrètes (buts et
moyens), (3) phase exécutive du comportement.
La motivation est l'aspect dynamique de cette relation. Pour le psychologue qui considère le
comportement comme une fonction de relation, la motivation est l’aspect dynamique de l’entrée
en relation d’un sujet avec le monde. "Dynamique", car une des caractéristiques de l'être humain
est qu'il n'assiste pas aux événements en pur spectateur, il ne fait pas non plus que "Réagir à des
Signaux", il se comporte en acteur. L’aspect dynamique des relations comportementales se
manifeste, entre autres, par le fait qu’en face de différents éléments situationnels, l'acte qui mène à
un type déterminé de conséquences (la reconnaissance sociale, ou la compétence, par exemple) est
répété, et donc préféré à celui qui a été suivi de la conséquence opposée. "La motivation est au
fond une question de relations préférentielles entre l'organisme (l'individu), d'une part, et le
monde, de l'autre. Elle est l'aspect dynamique et directionnel du comportement" (Nuttin, p. 37).
Cette régulation est continue. Une fois admise l'idée d'un fonctionnement continu de l'être vivant
(Hebb, 1949), la motivation ne peut se conceptualiser comme une entité à part ni se réduire à une
quantité d'énergie, ou à une impulsion aveugle et inconsciente, comme le laissaient sous-entendre
les premières théories. La motivation n'est pas non plus un phénomène épisodique qui, de temps à
autre fait son apparition dans le comportement pour disparaître ensuite. L'étude des besoins
Définir la motivation
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homéostatiques dans leurs bases physiologiques était de nature à suggérer une telle périodicité (la
faim, par exemple), toutefois, il semble plus heuristique de considérer la motivation comme un
processus dynamique continu qui "règle le fonctionnement, également continu, de l'individu en
interaction avec son milieu" (Nuttin, 1985). Ainsi, les motivations spécifiques ne sont pas les
incitateurs du comportement d'un organisme qui, sans cela, serait "sans rien faire"; elles sont les
régulateurs d'un courant continu de comportements. Se comporter est ainsi un mode d'activité
vitale qui trouve sa source dynamique ultime dans la vie même (Nuttin, 1985).
Cette régulation concerne les aspects directionnels et énergétiques du comportement. L'organisme
ou l'individu n'est pas indifférent aux objets10 ou situations du milieu avec lesquels il entre en
relation. Il se caractérise par des relations préférentielles ou sélectives. Ainsi, certains objets sont
convoités ou préférés, d'autres au contraire craints et apparemment nocifs; certaines formes de
contact et de relation sont même "requises" - au sens où leur absence dérange le fonctionnement -
et déclenche chez l'individu une activité qui se dirige vers la réinstallation de la relation préférée.
L'orientation sélective qui caractérise la motivation, s'exprime dans le fait que la conduite persiste
jusqu'au moment où un objet d'une catégorie bien déterminée est atteint; cet objet constitue alors
un terme - provisoire ou définitif - pour l'activité du sujet. Ainsi, outre l'aspect directionnel qu'elle
imprime au comportement, la motivation régule la quantité de ressources énergétiques (l'effort
fourni) et temporelles (la persévérance), allouée pour l'atteinte (ou la fuite) d'un objet.
Le "but" permet cette fonction de régulation du comportement. Grâce aux fonctions cognitives qui
pénètrent le dynamisme des relations entre le sujet et son environnement, la motivation devient
une "structure cognitivo-dynamique" (Nuttin, 1985) qui dirige l’action vers des buts concrets. Le
comportement étant une activité dirigée - et non pas une réaction quelconque - c’est le but
conscient qui, en grande partie, règle cette direction. Comme le pense Nuttin (1985) "l'activité du
sujet est dirigée vers, et réglée par, un résultat à atteindre, c'est-à-dire un but cognitivement présent
qui concrétise le besoin du sujet". Ce qui initie et régule la conduite, c'est l'établissement d'un but,
10 Au sens large d'événements, d'objet statique, de personnes, d'une situation ou d'une relation.
Définir la motivation
-25-
d'un objectif, d'un "standard", c'est-à-dire, une représentation anticipée du résultat à obtenir.
Toutefois, la grande majorité des objets différents que poursuit l'être humain ne sont que des
moyens destinés à atteindre des buts ultérieurs moins nombreux. Le comportement humain
s'organise en série de buts subordonnés. Ainsi, la structure hiérarchique "moyen-fin" est
essentielle à comprendre. Nous montrerons dans le chapitre 3 de cette première partie, l'existence
de buts plus généraux que d'autres. Cette recherche des buts ultimes s'identifie à la découverte des
"besoins fondamentaux". Par la suite, la connaissance d'un but ultérieur donne une signification
nouvelle à la variété des moyens qui ne se comprennent qu'en fonction de celui-ci. Les hypothèses
que nous émettrons sur les comportements concrets qu'actualisent les sujets, ne seront formulées
qu'en fonction d'un but ultérieur - quelquefois implicite - que nous aurons caractérisé, et que
poursuit le sujet. On ne peut guère saisir l'intensité avec laquelle un objet est poursuivi par un
sujet, aussi longtemps qu'on ne saisit pas le lien qui, pour lui, unit l'objet à un but fondamental.
Nos hypothèses consisteront à définir précisément ce que recherchent les sujets (le but
motivationnel) et à expliciter les moyens qui permettent de l'atteindre en fonction de différentes
cognitions intermédiaires (habileté perçue, expectation de réussite, etc.). Cette représentation du
fonctionnement de la motivation ne sous-entend pas obligatoirement que le dynamisme situé en
amont du but concret soit conscient; la sensation de faim, ou de peur peut rester inconsciente. Il
n’empêche qu’à la suite de cette sensation l’homme se forme le but d’aller manger ou d’éviter une
rue; c’est le but concret qui, à ce moment, dirige effectivement son comportement (Nuttin, 1985).
Pour résumer les propositions précédentes, nous définirons la motivation comme un
construit hypothétique utilisé pour désigner de manière générique l'aspect dynamique et
directionnel (sélectif ou préférentiel) du comportement. Ce dernier ne se réduisant pas à une
phase exécutive, la motivation caractérise le processus par lequel des ressources personnelles de
temps, d'énergie, etc., sont allouées en vue d'atteindre un but, un objet ou un résultat quelconque -
concrétisation d'un "besoin" plus fondamental. Étant donné le caractère bipolaire de la relation
comportementale individu-Monde, le dynamisme de régulation de cette relation (i.e., la
motivation) prend son origine dans l'individu et/ou dans l'objet qui se présente et éveille, chez
Définir la motivation
-26-
celui-ci, un besoin latent. Comme agent de régulation continu du comportement, la motivation
préside au déclenchement et à l'interruption d'une activité, au changement de direction et d'objet-
but, règle l'intensité et la persévérance dans l'effort.
Cette conception de la motivation suppose deux réflexions. Tout d'abord, elle sous-entend
que toute action est motivée, dans la mesure où elle correspond à un but que cherche à atteindre
(ou à éviter) l'individu. Ainsi, la passivité d'un élève dans une salle de classe est motivée au même
titre qu'une phase plus active. Nous le montrerons dans la partie expérimentale de nos travaux, la
peur de paraître incompétent aux yeux de ses camarades peut inhiber tout comportement actif,
chez l'élève qui doute de ses possibilités. Son mutisme est motivé par son souci de ne pas paraître
incompétent. D'autre part, cette conception de la motivation incite à l'appréhender dans le cadre
des relations entre l'être humain (agissant) et les objets ou situations du milieu sur lesquels porte
son action. C'est essayer, dans ce cadre, d'étudier ce qui active et dirige la conduite (le contenu de
la motivation), et le mode de fonctionnement et de régulation de celle-ci. Ces deux problèmes
seront traités dans les chapitres suivants.
Maintenant qu'une définition générale de la motivation a été proposée, nous sommes en
meilleure position pour en étudier les caractéristiques. Autrement dit, nous pouvons à présent
objectiver les indicateurs comportementaux ou construire une "taxonomie de modèles
comportementaux" (Maehr, 1974) à partir desquels on infère la motivation d'un individu, et qui
permettent de la considérer comme une variable dépendante. Pour certains auteurs (Maehr, 1974,
1984; Maehr & Braskamp, 1986; Roberts,1992) il est préférable d'aborder l'étude de la motivation
à partir des comportements qui définissent de manière typique la "motivation".
En général, cette entrée par les comportements (Durand, 1987; Famose, 1990, 1991;
Maehr, 1974, 1984; Maehr & Braskamp, 1986; Roberts, 1992; Vallerand & Thill, 1993), révèle
l'existence de plusieurs grandes configurations comportementales qui permettent de caractériser la
motivation: la direction, l'intensité, la persévérance, la motivation continuelle et la performance.
Définir la motivation
-27-
Le choix . La focalisation sélective de l’attention, l’orientation vers telle ou telle direction parmi
d’autres, la sélection d’un acte moteur, sont des manifestations comportementales qui traduisent
un choix réalisé par le sujet. Dans le domaine de la recherche, cette variable est très souvent
utilisée comme mesure dépendante de la motivation. La sélection ou l'abandon d’une activité
sportive, l’orientation préférentielle vers une forme d'entraînement particulière, le choix d'une
tâche spécifique ou d'un niveau de difficulté parmi une série d'alternatives, etc. sont autant
d’illustrations de cette variable comportementale.
L’intensité de l'effort . Elle se traduit par la quantité de ressources énergétiques et cognitives
affectée par le sujet à la réalisation d'une action particulière. Les premières sont les plus "visibles"
dans le domaine sportif, et sont caractérisées par la vigueur, l’amplitude avec laquelle un individu
répond à une situation; vitesse, force, temps de réaction, ..., elles illustrent l’énergie, les
ressources, que le sportif accepte d’allouer à son activité. Dans une rencontre sportive, par
exemple, on observe parfois les joueurs sentant la partie leur échapper, "baisser les bras", tandis
que leurs adversaires maintiennent leurs efforts et leur concentration jusqu’au terme de l’épreuve.
Dans le domaine de l’apprentissage moteur, on peut observer certains élèves réduire leur effort de
manière ostentatoire, voire même exécuter des comportements de pitrerie; pour d’autres,
l’amplitude, la vigueur des réponses motrices, la recherche de l’aide et de conseils auprès du
professeur, traduisent la volonté d’investir un effort conséquent.
La persévérance. C'est la tendance à continuer ou à s'acharner dans une direction donnée, pendant
une période de temps plus ou moins grande, malgré les difficultés rencontrées. Dans certains cas,
l’individu fait preuve d’opiniâtreté face aux obstacles qu'il rencontre. A l’inverse, l’abandon
rapide, le renoncement et l’esquive d’une confrontation à un problème quelconque illustrent la
conduite d’une personne peu persévérante. Dans le domaine sportif, les charges d’entraînement
accumulées par les athlètes de haut niveau, comme les nageurs, par exemple, les longues heures
passées sur les routes par les marathoniens, ou par opposition l’abandon de l’alpiniste en plein
milieu de la voie, témoignent de l’expression de cette forme particulière de la motivation. A
Définir la motivation
-28-
l’école, les élèves peuvent rester concentrés et actifs pendant longtemps, réaliser de nombreux
essais, ou alors fuir la difficulté et abandonner la situation proposée dès que celle-ci devient trop
contraignante.
La motivation continuée. Elle se caractérise par la tendance à retourner vers une activité ou vers
une tâche en dehors du contexte initial dans lequel les individus les ont effectuées. Elle se traduit
par une volonté de poursuite de l’activité dans un cadre différent. Le système scolaire illustre
parfaitement cette conduite: pendant sa scolarisation, l’élève peut poursuivre, dans le cadre d’une
pratique volontaire (l’association sportive de l’établissement, chez lui, avec des amis, etc.), ce
qu’il réalise avec obligation dans le temps scolaire. Tel enfant s’amuse chez lui à dribbler avec un
ballon (tâche que lui avait assigné son professeur d’EPS dans le cadre d’une séance
d’apprentissage), tel autre pratique la gymnastique sportive à l’association sportive, etc. A l’âge
adulte il peut poursuivre l’activité comme une pratique de loisir, ou bien y renoncer avec
soulagement.
La performance. Cette mesure a "traditionnellement" était longtemps utilisée comme variable
motivationnelle, malgré le fait qu'elle ne soit pas à proprement parlé un "comportement", mais le
produit mesuré de celui-ci (cf. Famose, 1993a, et le chapitre 4 - partie 3). Plus récemment, Roberts
(1992) a critiqué l'utilisation de cette variable comme indice de motivation dans le domaine du
sport et de l’exercice physique, principalement parce que la performance est affectée par une
pluralité de construits autres que la motivation (l'habileté, les aptitudes, les conditions
contextuelles, etc.). Nous reparlerons de ces problèmes liés à l'utilisation de la performance
comme variable dépendante, dans la dernière chapitre de la partie expérimentale de cette thèse.
Derrière ces différentes configurations comportementales qui témoignent de la motivation
du pratiquant, il est possible de dégager deux processus fondamentaux: (1) un processus de
décision, et (2) un processus d'allocation de ressources. Si la motivation est l'aspect dynamique du
processus continu de régulation du comportement, elle se manifeste par des décisions ou des choix
Définir la motivation
-29-
réalisés par le sujet, parmi une série d'alternatives. Décisions fondées sur une analyse de la
situation, dans laquelle il occupe une place importante. Lorsque nous observons des individus
faire des choix apparents entre plusieurs alternatives, persévérer dans des tâches, fournir beaucoup
d'effort, dépenser de l'argent pour se rendre sur les lieux de pratique, ou pour acheter des livres qui
traitent des activités physiques, etc., nous pouvons conclure qu'ils choisissent une manière
particulière d'investir leurs ressources personnelles de temps, d'énergie (et parfois d'argent). C'est
la raison pour laquelle, le terme d'investissement semble bien adapté à la motivation, parce qu'il
traduit la signification sous-jacente aux différentes configurations comportementales qui lui sont
associées.
Définition et rôle de la motivation étant précisés, il reste maintenant à se pencher sur son
contenu et son mode de fonctionnement.
Motivation à l’accomplissement
-30-
Chapitre 2
La motivation à l'accomplissement
1. LE CONTENU DE LA MOTIVATION: L'UTILITÉ DE LA NOTION DE BESOIN
Dans le cadre de notre travail expérimental, nous étudierons une forme bien délimitée de
motivation - la motivation à l'accomplissement - pour en spécifier les déterminants et l'intensité
dans des conditions concrètes. Au préalable nous voudrions développer quelques idées relatives
aux orientations dynamiques du comportement en général, c'est-à-dire, les "besoins" ou les
catégories d' "objets" que l'être humain essaie d'atteindre de réaliser ou d'éviter, et qui sont
"requises" pour son bon fonctionnement (Nuttin, 1985).
On peut distinguer dans le comportement, un niveau de surface que Nuttin appelle la
direction "routière" ou le chemin concret qui mène à l'objet, et une orientation ou directionnalité
plus profonde qui se manifeste par des contacts privilégiés avec certaines catégories d'objets, ou
des aversions pour d'autres. La notion de besoin recouvre cette orientation préférentielle. Son
utilisation en psychologie, est aujourd'hui "suspecte" pour beaucoup d'auteurs. Du fait de sa
connotation avec "besoin physiologique", ils rechignent à l'utiliser pour caractériser certaines
tendances psychologiques du sujet. Peut-être à cause de son caractère trop déterministe qui s'ajuste
mal aux "tendances" ou orientations psychologiques plus malléables. Nous reviendrons plus loin
sur ce point.
Motivation à l’accomplissement
-31-
Le recours à la notion de besoin n'a pas pour objectif d'expliquer tout comportement par
référence à un besoin hypothétique sous-jacent. Dire qu'un comportement correspond à un besoin
n'apporte pas plus d'explications que caractériser l'opium comme une "force dormitive" (Nuttin,
1985). L'illusion d'expliquer le phénomène est créée avant même que les processus qui le régissent
aient été explorés. Ainsi, l'utilisation de la notion de besoin ne se substitue aucunement à la
recherche des facteurs et processus concrets nécessaires à l’explication du fonctionnement
comportemental (ils seront traités dans le chapitre suivant). Cette notion répond uniquement à une
question relative à la direction active du comportement. Quand on considère la conduite - comme
nous l'avons fait dans le chapitre précédent - non comme la réaction à un stimulus mais comme
l’activité d’un sujet entrant en relation avec son milieu, il est nécessaire de rechercher le genre de
relations que le sujet essaie d’établir ou les conséquences qu’il préfère atteindre; en d’autres mots,
les catégories de buts qu’il poursuit et qui, ainsi, affectent la direction de son comportement. C'est
un problème qui se rapporte au contenu de la motivation - c'est-à-dire à son aspect qualitatif.
Selon Nuttin, cet aspect qualitatif ou directionnel de la motivation est sa caractéristique
essentielle. Même les aspects activation et intensité ne se conçoivent, selon lui, qu'en rapport avec
la nature de l'objet. En d'autres termes, la motivation n'est pas une quantité d'énergie
qualitativement neutre comme les théories du niveau d'activation le laissaient entendre, elle est en
premier lieu une tendance spécifique vers tel ou tel groupe d'objets.
On peut s'interroger sur l'utilité de chercher les catégories générales d'objets auxquelles
s'intéresse le sujet humain: pourquoi les besoins fondamentaux ? Quand on parle de motivation on
fait toujours appel à une variable qu'on infère à partir d'aspects observables du comportement.
Même le but concret que poursuit le sujet se déduit de certaines caractéristiques de sa conduite
(que nous avons énumérées dans le chapitre précédent). "L'utilité de la notion de besoin, dans le
sens d'une même orientation dynamique qui sous-tend une variété de comportements, réside dans
l'unité et la compréhension que cette orientation dynamique introduit dans la diversité chaotique
des comportements" (Nuttin, 1985). En psychologie humaine, le désir de comprendre le "chaos"
motivationnel dirige la recherche vers la découverte de lignes générales qui sous-tendent une
multiplicité d'objets juxtaposés. C'est un travail d'abstraction et de généralisation. Dans la
Motivation à l’accomplissement
-32-
multitude des objets concrets, certaines orientations plus générales se laissent découvrir.
L'individu qui grimpe à l'arbre et cueille des fruits et celui qui va à la chasse exécutent des
comportements forts différents et atteignent des objets qui, à première vue, ne se ressemblent
guère. Toutefois, on y découvre facilement un trait commun qui nous permet de les grouper dans
une catégorie commune: la recherche de "nourriture". Celle-ci définit un "besoin" général
fondamental, dans la mesure où l'individu ne peut fonctionner convenablement sans cette catégorie
d'objets. L'opération devient de plus en plus complexe au fur et à mesure qu'on passe aux besoins
psychologiques. Il s'agit dès lors d'une interprétation ou d'une construction intellectuelle de la part
de l'observateur qui comme telle est sujette à amendement et discussion. Par exemple, ce qui est
perçu comme un "comportement de dépendance" pour les uns peut être conçu comme un "besoin
d'affiliation", par d'autres.
La tâche des psychologues est compliquée par la multitude infinie de comportements, pour
lesquels il faut reconnaître une fonction ou un signification commune. Le besoin de compétence,
par exemple, peut se manifester sous des formes très différentes et se traduire en une pluralité de
buts concrets: gagner Roland Garros, maîtriser le salto avant, traverser l'Atlantique à la nage, ou
gagner le prix Nobel. Les objets ou les processus qui permettent d'inférer un sentiment de
compétence sont à tel point différents qu'on a pu conclure parfois, que ce "besoin" n'existait pas
dans certaines cultures (McClelland, 1961). Il semble aujourd'hui plus heuristique de considérer la
diversité des formes comportementales comme le fruit d'une disparité des situations culturelles et
des conditions de vie, plutôt que d'invoquer des différences fondamentales dans l'homme lui-
même. Le fait qu'un événement satisfait ou non la recherche de compétence d'une personne dépend
de son appréciation subjective. Dans certaines cultures, le garçon qui aspire à dépasser ses
condisciples aux examens ou sur un terrain de sport tend par là à affirmer sa compétence, de même
que celui qui, dans un autre milieu ou une autre culture, passe des heures à jouer d'un instrument
de musique pour maîtriser davantage la pratique de celui-ci. L'accomplissement est une notion
subjective, c’est-à-dire qu'elle dépend des conceptions qu'en a l’individu. Certaines formes
d’accomplissement envisagées par une personne peuvent être considérées comme des
déformations par une autre. En un mot, référer à un besoin d'accomplissement ne renseigne pas sur
Motivation à l’accomplissement
-33-
les facteurs qui déterminent des comportements spécifiques (c'est l'objet du chapitre suivant), mais
révèle simplement leur direction commune, qui se manifeste dans les conséquences recherchées.
Répétons le, en apposant une étiquette à certaines manières de se comporter, on ne prétend
aucunement "expliquer" ce comportement. Dire qu'un individu a besoin d'approbation sociale ou
de se sentir compétent, n'a pas plus de portée que d'affirmer qu'il a besoin de nourriture. Dans les
deux cas, il s'agit d'une généralisation et d'une interprétation à partir d'un ensemble de
constatations. En groupant, un ensemble de conduites sous la rubrique recherche de nourriture, ou
recherche d'approbation sociale, on met en relief une fonction commune qu'on croit découvrir
dans une variété de formes concrètes. C'est déjà un résultat intéressant dans l'effort intellectuel
pour grouper et synthétiser la multitude des comportements. La notion de besoin que l'on rajoute à
ces labels est basée sur des faits constatables. En premier lieu, le fonctionnement biologique ou
psychologique de l'individu se trouve dérangé ou détérioré quand certaines relations ne peuvent se
maintenir ou s'établir avec certains objets du milieu (physique ou social). Cette constatation
justifie l'adjectif "requis" qu'utilise Nuttin (1985) pour signifier que l'absence de ces contacts
dérange le fonctionnement de l'individu. Parfois même, cette absence peut entraîner pour
l'organisme des conséquences néfastes et fatales au niveau biologiques ou psychologique (nous le
verrons plus loin); dans d'autres cas, il ne s'agit que d'expériences plus ou moins désagréables. En
deuxième lieu, l'organisme déploie toutes sortes d'activités orientées vers l'établissement ou le
rétablissement des relations préférées. Enfin, le contact avec l'objet requis déclenche des réponses
d'acceptation affective. Ces besoins qui se concrétisent dans des buts donnent au comportement sa
direction active, son organisation structurée et sa signification.
Selon Nuttin, ces orientations fondamentales ne sont pas simplement l'effet d'un
apprentissage, elles sont "innées" dans la mesure où elles ne sont pas le résultat d'un renforcement
extrinsèque, mais fonctionnent elles-mêmes comme des agents primaires de renforcement. Ainsi,
avant tout apprentissage, l'enfant préfère, de la part des parents, des contacts d'affection aux
relations de rejet, comme il préfère certaines températures et certains goûts à d'autres qu'il écarte
ou évite. L'apprentissage est responsable de la direction "routière" du comportement, c'est-à-dire
de la concrétisation (Nuttin parle de "canalisation") du besoin vers tel ou tel objet-but. Cette
Motivation à l’accomplissement
-34-
allusion au caractère héréditaire ou inné des orientations dynamiques fondamentales ne doit pas
prêter à confusion. il s'agit plus d'amorces provisoires initiales plutôt que des réactions réflexes
achevées. On peut dire avec Le Ny (1967) que, chez l'homme, "l'équipement héréditaire consiste
de moins en moins en mécanismes tous montés, imposant de façon rigide à l'individu ce qu'il doit
faire; l'hérédité se contente désormais de lui indiquer quelques uns des points par lesquels son
activité doit passer, et lui laisse une possibilité plus ou moins grande de la construire lui-même en
l'articulant autour de ces points nodaux". C'est dans ce sens qu'il faut comprendre la notion de
besoin. Ce ne sont pas des comportements innés comme les instincts, ou les réflexes, mais des
orientations. Le caractère inné ou la détermination héréditaire d'un trait psychologique ne garantit
pas, automatiquement, sa présence manifeste ou phénotypique au niveau du comportement.
Plusieurs psychologues sont assez réticents à cette approche. Ils estiment qu'il n'est pas
nécessaire d'avoir recours à des besoins sous-jacents - et encore moins innés - pour expliquer le
comportement humain. Certains auteurs (Csikszentmihalyi, 1977; Dweck & Legett, 1988;
Nicholls, 1984, 1989) préfèrent parler d'état motivationnel ou subjectif pour caractériser cette
tendance dynamique. Nicholls (1984), par exemple, utilise les termes implication de l’ego ou
implication dans la tâche pour caractériser des états où les individus cherchent à manifester leur
habileté dans le sens différencié ou indifférencié (cf. infra). Csikszentmihalyi (1977) décrit
également des états subjectifs où les individus sont fortement impliqués dans des tâches et
fortement marqués par des sentiments de compétence. La même hésitation à référer explicitement
à la variable intermédiaire qu'est le besoin se manifeste chez plusieurs auteurs de tendance
cognitiviste qui préfèrent se limiter à des processus cognitifs - tels la prévision et l'évaluation -
pour expliquer le comportement motivé. Bandura (1977b) parle, par exemple, de "l'influence, par
l'intermédiaire de la pensée anticipative (anticipatory thought), des conséquences lointaines sur le
comportement actuel". Si la prévision de certaines conséquences affecte le comportement, on
pourrait penser que ceci est le reflet d'une motivation du sujet pour ou contre ces événements.
Bandura parle aussi des "avantages valorisés" (valued benefits) et de "désagréments futurs"
(future trouble), sans mentionner les origines motivationnelles de ces éléments "valorisés" et de
Motivation à l’accomplissement
-35-
ces "désagréments". D'autres auteurs utilisent le concept de "satisfaction anticipée" (Bandura &
Cervone, 1983, Garland, 1985; Locke, 1968) sans référer à la source motivationnelle de cette
satisfaction. Les sujets étudiés ont la curieuse habitude de n'être satisfaits d'eux-mêmes qu'après
avoir obtenu le but qu'ils se sont posés ! Et une fois le but atteint, ils ne peuvent être satisfaits
qu'après être parvenus à des buts de plus en plus élevés. On peut se demander si la tendance à
s'intéresser à soi-même, à s'évaluer et à obtenir des "buts de plus en plus élevés" s'apprend à partir
de conditions situationnelles sans qu'il soit nécessaire de faire appel à un substrat d'orientation
dynamique préexistant ? Conclure simplement qu'il se produit un processus d'évaluation, laisse
encore dans l'ombre l'origine motivationnelle de ce phénomène. Bandura (1977b, 1986) fait bien
allusion à une self-motivation, mais il est opposé à tout appel à des tendances motivationnelles
innées. Selon lui, les attentes d'efficacité personnelle sont suffisantes pour expliquer et prédire le
comportement motivé. Certaines de ses recherches ont montré que les sujets étaient d'autant plus
motivés qu'ils se sentaient "efficaces" dans un domaine. Ainsi, en mesurant les attentes (ou
cognitions) d'efficacité personnelle, il est possible de prédire avec beaucoup de précision le
comportement ultérieur de la personne, sans pour autant introduire un hypothétique "besoin" (de
compétence, en l'occurrence) dans le modèle théorique. Bandura estime, d'autre part, que si le
besoin de compétence était inné, il se manifesterait par une propension de tout individu à
augmenter ses connaissances (ou habileté) quel que soit le domaine (scolaire, sportif, etc.). Or
force est de constater qu'il n'en est pas ainsi dans la réalité. Deci & Ryan (1985) et Nuttin (1985)
ont répondu aux critiques formulées par Bandura, en particulier sur les deux points précédents.
Tout d'abord, pour ces auteurs la notion de besoin est essentielle pour une compréhension plus
exhaustive de la motivation humaine; et on peut, pour répondre à Bandura, s'interroger sur les
raisons de l'importance pour l'être humain, des attentes d'efficacité personnelle. Sans un "besoin"
de compétence, les cognitions d'efficacité personnelle ne seraient pas importantes pour l'être
humain, et n'auraient pas d'impact sur son comportement. Pour Roberts (1992), une théorie ne peut
prétendre au statut de "motivationnelle" que si elle spécifie le pourquoi du comportement; c'est-à-
dire la tendance dynamisante ou le besoin des individus. Dès lors, certaines théories, en particulier
la théorie de la fixation de buts (Goal-setting), ne peuvent être considérées comme des "théories
Motivation à l’accomplissement
-36-
de la motivation", car elles n'apportent aucune explication psychologique suffisante sur les raisons
des conduites, même si elles spécifient la direction du comportement. Nous reviendrons sur ce
problème dans le dernier chapitre de la partie expérimentale de cette thèse.
En ce qui concerne la controverse innée/acquise des besoins, plusieurs éléments peuvent
être apportés. En premier lieu, les recherches sur les nourrissons et les animaux de quelques jours,
que nous développerons plus loin, montrent nettement une propension des uns et des autres à la
maîtrise de l'environnement. La dimension innée du besoin demeure donc plausible. En second
lieu, l'argument avancé par Bandura relatif au caractère nécessairement omniprésent des
comportements d'accomplissement pour pouvoir parler de "besoin", n’est pas forcément en
contradiction avec la thèse du caractère inné d’une tendance générale à la compétence. Étant
donné les limites de ses fonctions cognitives et autres, l’homme n’est motivé qu’à l’égard d’une
sélection d’objets possibles. Même le besoin inné de nourriture n’incite personne à manger tout
objet comestible. Il y a un phénomène de saturation et de limite dans le traitement de l’information
comme dans celui de l’alimentation. Loin d’être motivé à tout connaître et à tout comprendre,
l’homme ne cherche même pas à tout voir, tout lire ou tout entendre. Il faut cesser de concevoir le
"besoin" comme connotant ou dépendant des besoins organiques, dits "primaires". Ce concept, tel
que le conçoit Nuttin et comme nous l'avons développé plus haut, n'est pas synonyme de "montage
très précis". Il est préférable d'envisager une spécification du besoin général, en fonction des
conditions situationnelles, qui a pour effet de le délimiter ou de le "canaliser". Ainsi, un même
objet peut susciter le besoin chez un individus mais pas chez un autre. Ceci implique que dans
certaines conditions le besoin reste latent alors que d’autres conditions situationnelles pourraient
l’activer. Tout trait inné doit se concevoir comme une potentialité qui s’actualise dans certaines
conditions situationnelles.
Admettre l'influence du contexte, c'est reconnaître l'existence d'une "dimension normative"
(Maehr, 1974). En effet, l'individu ne vit pas dans un vide social. En tant que membre d’un groupe
culturel, ses actions sont influencées par une ligne directrice, des attentes ou des valeurs du groupe
qui est signifiant pour lui. Certains domaines d'accomplissement sont plus valorisés que d'autres,
du fait de leur signification sociale. L'Everest constitue un objet physique, dont l'ascension
Motivation à l’accomplissement
-37-
représente une situation d'accomplissement pour les occidentaux. Par contre, dans la culture
tibétaine, le même comportement n'a pas la même valeur. La motivation à la lecture de mes
enfants, qui s'étend bien au-delà des exigences du contexte dans lequel lire est une tâche
d’accomplissement (i.e., l'école), est certainement supérieure à celle d'autres enfants. Cet attrait est
probablement lié à la place spéciale que revêt cette activité dans une famille d'enseignants. On
pourrait multiplier les exemples relatifs à l'influence du "style de vie" ou des "conditions
d'existence" sur les "habitus" des individus; champ qui nécessite plus particulièrement un éclairage
de sociologue (Boltansky, 1971; Bourdieu, 1979; Pociello, 1983). Ces données qui plaident en
faveur de l'importance du contexte et de la culture sur la valorisation de certaines conduites ou
objets ne sont pas de nature à remettre en cause un soubassement inné. Nous verrons plus loin que
l'influence du contexte ou de la culture se manifeste non seulement au niveau d'une valorisation
particulière de certains domaines d'accomplissement (suivant les groupes culturels il est important
de réussir à l'école, en sport, dans le domaine artistique, etc.), mais également au niveau de la
"définition" de la réussite elle-même. Pour certains, il s'agit de montrer sa supériorité sur les
autres, pour d'autres groupes culturels, la réussite se conjugue davantage avec l'épanouissement et
le progrès personnel, ou avec la solidarité au groupe.
En résumé, les besoins de l'individu peuvent être conceptualisés comme des catégories de
relations qui unissent l'individu à son environnement, pour autant que ces relations soient requises
au fonctionnement optimal de l'organisme ou de la personnalité (Nuttin, 1985). Ils existent sous
une forme pré comportementale, état dans lequel la "relation requise" n'a pas encore trouvé sa voie
comportementale adéquate dans le monde. Cette voie concrète du besoin est largement influencée
par le contexte dans lequel vit le sujet. Le concept de besoin tel qu'il est défini ici, est compatible
avec l'approche de la motivation par les objets ou "valeurs" qui incitent et dirigent l'action,
approche que nous développerons dans le chapitre suivant. En gardant toutefois à l'esprit qu'un
objet recouvre une certaine valence ou devient un incitateur, uniquement parce qu'il existe une
orientation dynamique ou un besoin sous-jacent.
Motivation à l’accomplissement
-38-
Pour Nuttin (1985), il faut éviter à tout prix de concevoir les besoins psychologiques
comme une série d'entités autonomes qu'on peut numéroter et compter. Il faut essayer, au
contraire, d'étudier la diversité des motivations comme un processus de différenciation et de
concrétisation à partir du dynamisme fonctionnel central. Nous avons parlé un peu plus haut d'une
telle structure hiérarchique au sommet de laquelle existerait un besoin fondamental qui se
différencierait en multiple besoins spécifiques, qui se traduiraient eux-mêmes par des buts
concrets très distincts. Nous envisagerons plus loin, la même organisation hiérarchique pour
rendre compte du "continuum perceptif" qui régule la motivation des individus (cf. partie 2,
chapitre 2).
Nous allons, à présent développer une de ces orientations dynamiques, que certains ont
appelé la motivation à l'accomplissement ou la recherche de la compétence.
2. LA MOTIVATION À L'ACCOMPLISSEMENT: DE LA NOTION DE RÉUSSITE À CELLEDE COMPÉTENCE
Le besoin d'accomplissement, qui est la traduction littérale de l'anglais (need of
achievement), correspond à une construction théorique destinée à caractériser une fonction
commune que l'on repère derrière différents comportements. Identifié à l'origine par Murray
(1938), ce besoin a été l'objet de multiples reformulations et théorisations. Plutôt décrit que défini,
celui-ci correspondait pour cet auteur, au désir "d'accomplir quelque chose de difficile, de
maîtriser, manipuler ou organiser des objets physiques, des êtres humains ou des idées, de faire
cela aussi rapidement et aussi indépendamment que possible, de surmonter des obstacles et
d'atteindre un haut standard, d'exceller, de rivaliser et de surpasser les autres, d'accroître son
amour propre par la mise en oeuvre efficace du talent" (p. 166). Il revient à l'école de Wesley et au
groupe dirigé par McClelland et Atkinson d'avoir vers 1950, défini le concept de besoin
d'accomplissement et proposé une méthodologie pour l'évaluer. Pour McClelland, Atkinson, Clark
& Lowell (1953), il existe chez tout individu une tendance à bien faire, à rechercher l'efficacité
dans les interactions avec l'environnement ainsi qu'une "aspiration à atteindre dans une
compétition un but conforme à des normes d'excellence". Une avancée théorique déterminante fut
Motivation à l’accomplissement
-39-
réalisée avec l'apparition du concept de "compétence perçue" ou de "sentiment de compétence".
S'il existe une tendance à rechercher la compétence, les perceptions de celle-ci par l'individu sont
décisives pour sa motivation. En fait, c'est White (1959) qui marque véritablement l'entrée du
cognitivisme en psychologie de la motivation. Selon lui, toutes nos tentatives qui visent à se
confronter à l'environnement relèvent d'un besoin de se sentir compétent (urge toward
competence), qu'il définit comme le besoin d’interagir efficacement avec son environnement, de
chercher à le contrôler et à le maîtriser. Cet auteur proposa le néologisme d'effectance pour
désigner simultanément la tendance à rechercher la production d'un effet et la quête d'efficacité.
White percevait ce besoin comme une source d'énergie incitant l'organisme à chercher à maîtriser
son environnement et qui permettait de rendre compte des comportements comme l’exploration, la
curiosité, le jeu. Ce besoin d'interagir efficacement avec l'environnement était, selon lui, d'origine
intrinsèque et procurait un plaisir inhérent à la pratique de l'activité lorsqu'il était satisfait. Les
travaux de Susan Harter (1978) ont prolongé et complété ceux de White. Cherchant à expliquer la
tendance des individus à essayer de maîtriser leur environnement, elle a en particulier, constaté le
caractère polymorphe de la compétence (cf. partie 2 - chapitre 2), et envisagé l'aspect
développemental du concept. Ces travaux ont donné lieu à une batterie d'outils destinés à évaluer
la compétence perçue à différents niveaux d'âge. Dans les théories socio-cognitives
contemporaines (Ames, 1984; Duda, 1992; Dweck, 1986; Maehr & Braskamp, 1986; Nicholls,
1984, 1989; Roberts, 1992), si la notion de "besoin" a disparu (cf. supra), la motivation
d'accomplissement caractérise deux orientations ou tendances dont l'objectif commun est de
témoigner ou faire preuve d'habileté.
Le terme achievement comme sa traduction littérale accomplissement traduisent en fait
assez mal la signification que revêt le concept. Si ils permettent de mettre l'accent avec justesse sur
la notion d'atteinte ou de réussite d'un but, d'un objectif ou d'un projet (accomplir, exécuter ou
réaliser quelque chose), ils laissent inexprimée la nature de ce but. En anglais, le terme est parfois
synonyme d'exploit; tandis qu'en français, il peut connoter avec bien-être ou épanouissement
(s'accomplir dans son travail). En fait, la notion a été utilisée pour symboliser la réussite (ou le
Motivation à l’accomplissement
-40-
succès) dans la réalisation d'une tâche. Mais on connaît depuis longtemps le caractère subjectif du
succès et de l'échec. Hoppe (1930) sous la direction de Lewin, fut le premier à montrer que
réussite et échec n'étaient pas définissables en des termes objectifs. C'est en fait le rapport entre le
but fixé et le niveau de performance réalisé qui détermine la qualité de la réussite ou de l'échec.
Un même résultat objectif peut être une réussite pour quelqu'un, et un échec pour un autre, et ce
qui est considéré d'abord comme un succès peut apparaître comme un échec dans une autre
circonstance. Selon Maehr & Nicholls (1980), le succès et l'échec ne sont pas des événements
concrets, mais des "états psychologiques", conséquences de l'atteinte ou de la non atteinte de buts.
Pour ces auteurs, les individus ne cherchent pas à atteindre des buts concrets pour eux-mêmes,
mais parce que leur atteinte entraîne quelque chose qu'ils estiment désirable (comme être reconnu
compétent, sensible, ou loyal). De fait, l'existence de variations culturelles dans les qualités
personnelles qui sont vues comme désirables implique nécessairement une interprétation
différente des situations de succès ou d'échec.
Dans le domaine du sport, le caractère subjectif des notions de succès et d'échec est bien
mis en évidence dans une étude de Spink & Roberts (1980). Ces auteurs ont mesuré la satisfaction
éprouvée par des joueurs de tennis, à l'égard de leur performance, au cours de plusieurs rencontres.
Les joueurs devaient également évaluer l'habileté dont ils pensaient avoir fait preuve pendant le
jeu, ainsi que celle de leur adversaire. Les données ont révélé que les vainqueurs des rencontres
(résultat objectif) qui étaient satisfaits (résultat subjectif) estimaient également que leur adversaire
était d'un bon niveau. Ces joueurs pensaient que battre un tel adversaire était satisfaisant - une
expérience pleine de succès. D'un autre côté, les vainqueurs qui n'étaient pas satisfaits
considéraient qu'ils avaient battu un adversaire inférieur et attribuaient la victoire au manque
d'habileté de celui-ci. Ces joueurs ne percevaient pas le fait de battre un adversaire inférieur
comme satisfaisant et l'expérience n'était pas perçue comme une réussite. Le degré de satisfaction
montre également le caractère subjectif de l'échec. Les sujets qui avaient perdu face à un
adversaire qu'ils estimaient de bon niveau, n'étaient pas mécontents de leur performance. Cette
défaite n'était pas interprétée comme un échec, l'adversaire étant simplement reconnu comme étant
le plus fort. Les joueurs pensaient même qu'ils avaient fait preuve d'un bon niveau d'habileté et
Motivation à l’accomplissement
-41-
l'expérience était un succès relatif. D'un autre côté, les perdants qui n'étaient pas satisfaits
considéraient qu'ils avaient perdu face à un adversaire de faible niveau. Leur défaite signifiait
donc nettement que leur propre habileté était basse, ce qui générait un sentiment d'échec prononcé.
En résumé, le succès et l'échec doivent être compris comme des données subjectives qui fluctuent
suivant les individus ou les circonstances. Un même résultat objectif (gagner ou perdre un match,
par exemple) peut être vécu de manière totalement différente. Les expériences de succès et d'échec
sont perçues comme telles, en fonction de la signification du résultat obtenu, pour l'individu. S'il
reflète une qualité que le sujet estime désirable, alors l'expérience est vécue comme un succès;
dans le cas contraire, c'est un échec.
Si le caractère subjectif des concepts de succès et d'échec est admis depuis longtemps,
certains modèles théoriques (Atkinson, 1964; Atkinson & Raynor, 1974; McClelland, 1961;
Weiner, 1974) n'ont pourtant reconnu à cette notion qu'une définition possible. Par exemple, la
motivation à l'accomplissement telle que la conçoit McClelland: "l'aspiration à atteindre dans une
compétition, un but conforme à des normes d'excellence", correspond à une vision restreinte du
concept, fortement liée aux normes et valeurs de la culture américaine masculine blanche. Plus
précisément, la vision "compétitive" du concept qu'il adopte, correspond particulièrement aux
normes et valeurs de la culture dominante américaine. Elle véhicule une idéologie de la réussite,
dans laquelle il est affirmé que tout individu peut "réussir", quelque soit le domaine, dès lors qu'il
s'en donne les moyens, et qu'il se montre meilleur que les autres. On reconnaît l'idéologie du Self
made man, partie intégrante de l'American Dream . McClelland a été très influencé par les idées
de l'économiste et sociologue allemand Max Weber (1930). Comme lui, il accorde un rôle
important à la variable "personnalité" dont l'impact se révèle jusque dans la richesse des nations.
Le Spirit of Hermes qu'il décrit (McClelland, 1961) caractérise un trait de personnalité:
l'impatience à entreprendre. Ce trait - fruit d'une éducation précoce - est plus ou moins présent
suivant les membres de sociétés variées. Il est également possible de le mesurer par des tests
projectifs, puis plus tard, à l'aide de questionnaires psychométriques (Mehrabian, 1969).
Motivation à l’accomplissement
-42-
De nombreuses critiques se sont élevées contre les hypothèses de McClelland. Elles
visaient à dénoncer le caractère ethnocentrique et sexué du besoin, tel que le concevait l'auteur.
Autrement dit, la conception de McClelland est trop rigide et limitée dans la mesure où elle ne
repose que sur un modèle de réussite érigé comme référence: celui de la classe dominante. Cette
démarche, et les outils qu'elle utilise, a obligatoirement pour conséquence de constater des
"déficits" de motivation d'accomplissement parmi certains groupes culturels (notamment les noirs
et les hispaniques), ainsi que parmi les femmes. Contre une telle manière de voir, des auteurs
(Maehr, 1974; Maehr & Nicholls, 1980) ont avancé l'hypothèse d'une "universalité" de la
motivation à l'accomplissement, seule sa nature pouvant changer en fonction de variables
situationnelles et culturelles. Autrement dit, plutôt que d'affirmer que certaines cultures ont une
motivation peu élevée à l'accomplissement, ils plaident plutôt pour un caractère polymorphe de
celle-ci. Comme nous en avons parlé plus haut, les influences culturelles se manifestent non
seulement au niveau des objets ou des domaines sur lesquels se porte l'attention des sujets (le
domaine intellectuel, moteur, artistique, professionnel ou autre), mais également sur les finalités à
atteindre. Le bien matériel, et la supériorité sociale sont des objectifs qui peuvent ne pas être
valorisés par certaines cultures. Néanmoins, ces groupes culturels peuvent faire preuve d'une
motivation très importante, mais au service d'autres objectifs. Plutôt qu'une définition trop étroite
comme McClelland, Maehr (1974) propose une définition plus large de la motivation à
l'accomplissement. Elle "réfère premièrement à tous les comportements qui apparaissent en
référence à un standard d'excellence et ainsi qui peuvent être évalués en termes de succès et
d'échec. Une seconde condition qui la définit est que l'individu doit d'une certaine manière être
responsable du résultat. Troisièmement, il y a un certain niveau de défi et avec cela, un certain
sentiment d'incertitude impliqué" (p. 888).
La notion de standard d'excellence fait allusion à des qualités culturellement désirables.
Ces qualités, sous-jacentes au sentiment de réussite ou d'échec, diffèrent fortement suivant les
pays ou les groupes culturels. Sans trop nous étendre sur ce thème, on peut citer plusieurs études
qui ont appréhendé les différences sémantiques dans les concepts de succès et d'échec en fonction
des cultures (Freeman, Romney, Ferreira-Pinto, Klein, & Smith, 1981; Fryans, Salili, Maehr, &
Motivation à l’accomplissement
-43-
Desai, 1983; Osgood, Miron, & May; 1975). A chaque fois, des différences notables sont apparues
entre la culture occidentale et celle des différents pays étudiés. Pour les Japonais, par exemple,
l'accomplissement semble moins un phénomène individuel que dans les sociétés occidentales.
C'est plutôt un concept qui se rapproche du groupe et en premier lieu, de la famille. La réussite
n'est pas uniquement une question de compétence témoignée, mais également un problème de
contribution au groupe. Dans le domaine du sport, Duda (1980, 1981, 1983, 1985, 1986b; Duda &
Allison, 1986) a également mis en évidence des différences dans les conceptions de la réussite
sportive parmi des sous-groupes culturels américains (Blancs, Noirs, Navajos, et Hispaniques).
Certains groupes ne la conçoivent qu'en terme de supériorité sociale, alors que pour d'autres il est
davantage question de progrès et de maîtrise personnelle, ou d'intégration dans un collectif.
Pour résumer, dans la perspective proposée par Maehr (1974), l'étude de la motivation à
l'accomplissement revient à analyser la manière dont les individus issus de groupes culturels
distincts, infèrent en eux-mêmes la présence ou l'absence de qualités désirables. Compte tenu des
variations culturelles de ces qualités, l'analyse de la motivation à l'accomplissement diffère
fortement suivant les cultures. Ainsi, les sociétés dont les membres sont dévoués principalement à
atteindre l'illumination spirituelle ou la solidarité au groupe doivent être considérés comme
orientés vers l'accomplissement, au même titre que dans nos sociétés occidentales. Ils sont
néanmoins orientés vers un but d'accomplissement dont la nature est différente de celui
culturellement valorisé par notre société.
Maehr & Nicholls (1980) ont proposé une seconde approche pour étudier la motivation à
l'accomplissement. Au lieu de chercher à observer la manière dont les membres issus de cultures
diverses conçoivent la réussite (ou les qualités culturellement désirables), ils arguent en faveur
d'une "recherche active d'universaux" (p. 235). Les différentes théories contemporaines de la
motivation à l'accomplissement ont suffisamment développé ce concept pour le différencier
raisonnablement d'autres types de motivation (sociale, morale, etc.). Ainsi, bien que l'on ne puisse
pas faire l'économie de l'étude de la manière dont les différents groupes culturels conçoivent la
réussite, il est également nécessaire de définir en quoi le comportement d'accomplissement peut se
Motivation à l’accomplissement
-44-
distinguer des autres. Les auteurs contemporains (Ames, 1984; Asch, 1952; Ausubel, Novak, &
Hanesian, 1978; Crandall, Katkovsky, & Preston, 1960; Crutchfield, 1962; Dweck, 1986; Harter,
1978; Heckhausen, 1982; Kukla, 1972, 1978; Maehr & Nicholls, 1980; Nicholls, 1984, 1989;
White, 1959) considèrent généralement que le trait distinctif d’un comportement
d’accomplissement réside dans son but qui est la compétence ou plutôt la perception de la
compétence. Nicholls (1984) définit le comportement d’accomplissement comme un
"comportement dont le but est de développer ou manifester - à soi ou aux autres - une habileté
élevée, et d’éviter de manifester une faible habileté" (p. 328). Ceci indique que dans les situations
d’accomplissement, toute perception d'une habileté élevée est vécue comme un succès, alors que
l'échec est associé aux témoignages de faible habileté (Kukla, 1978; McFarland & Ross, 1982;
Nicholls, 1984, 1989). Cette spécification de la motivation à l'accomplissement s'inscrit
pleinement dans la définition, plus large, proposée par Maehr (1974): (1) Le standard d'excellence
dont il est question ici, est le témoignage de compétence ou d'habileté11. On connaît, en effet,
l'importance que revêt la compétence, l'habileté ou les capacités, dans notre société. Tout le
système éducatif tourne autour du développement, de la mise en évidence et de la certification des
compétences de chacun. (2) L'habileté est censée être une caractéristique entièrement dépendante
de l'individu: un résultat lié à l'habileté se distingue nettement de celui obtenu grâce à la chance.
(3) Enfin, on ne peut à proprement parler d'habileté ou de compétence que lorsque la tâche (ou le
champ) maîtrisée représente un certain niveau de difficulté. Nous le verrons plus loin, les termes
d'habileté, ou de difficulté peuvent avoir plusieurs acceptions, au cours de l'ontogenèse, qu'il est
nécessaire de distinguer.
Plutôt que de définir une seule "tendance" à l'accomplissement (comme le faisait
Atkinson, 1964; Atkinson & Raynor, 1974; McClelland, 1961; Weiner, 1974), on admet désormais
l'existence de deux orientations, qui correspondent à deux manières distinctes de définir
subjectivement le succès et de juger la compétence. L'une des grandes avancées théoriques des
11 Comme Nicholls, et d'autres (Duda, 1992; Roberts, 1992), nous ne distinguons pas les concepts decompétence et d'habileté, qui seront utilisés de manière alternative dans le décours de cette thèse. Néanmoins,certains auteurs introduisent des nuances sémantiques. Pour De Montmollin (1984), l'habileté se réfère à unetâche précise tandis que la compétence est proche de la notion de qualification et renvoie à un domained'activité socialement signifiant (un métier ou une activité sportive, par exemple).
Motivation à l’accomplissement
-45-
travaux de Nicholls réside dans la mise en évidence de changements développementaux dans les
différents concepts liés à l'accomplissement. Son travail (pour une revue, voir Nicholls, 1989) fit
ressortir le manque de nuances de certains modèles théoriques, dans la signification des différents
concepts qu'ils utilisaient. Certains emploient des conceptions de la difficulté de la tâche ou de
l'habileté utilisent plus fréquemment les enfants de 5 ans que les adultes (Nicholls & Miller,
1983). On est en droit de s'interroger, dès lors, sur le bon fonctionnement d'une théorie de la
motivation d'accomplissement conçue pour les adultes mais dont les concepts clés correspondent à
ceux employés par les enfants plus jeunes ? Selon Nicholls (1989), la recherche sur les enfants
peut contribuer à mieux comprendre les adultes, et son hypothèse fondamentale est qu'à certains
moments les adultes utilisent des concepts similaires à ceux des enfants, alors qu'à d'autres, ce
n'est pas le cas. "Ces changements de signification sont la clef de la compréhension du
développement de la motivation d’accomplissement" (Nicholls, 1989). Nous allons dans un
premier temps décrire les étapes de construction du concept d'habileté qui est un processus de
différenciation et d'intégration par rapport à d'autres concepts liés à l'accomplissement (la chance,
la difficulté et l'effort). Nous montrerons en particulier l'existence de deux significations possibles
au concept d'habileté, qui sont à la base de deux tendances dynamiques à l'accomplissement.
Celles-ci seront décrites dans un deuxième temps. Enfin, le rôle du contexte et de la personnalité
seront analysés dans une troisième partie.
3. LE DÉVELOPPEMENT DE LA MOTIVATION À LA COMPÉTENCE
Selon Nuttin (1985), le développement de l'être vivant quel qu'il soit, s'explique par un
besoin fondamental inné d'"entrer en relation fonctionnelle avec le monde". C'est d'ailleurs à partir
des effets néfastes que produit, pour le jeune organisme, l'absence ou même la restriction
d'interaction, que l'auteur belge déduit le caractère de "besoin" que revêt ce dynamisme basal. Les
effets nocifs sur les possibilités de fonctionnement ultérieur de l'animal, provoqués par une
absence ou une restriction expérimentale de stimulation, ont été constatés par plusieurs auteurs
(Held & Heim, 1963; Salama & Hunt, 1964). Si, par exemple, un chimpanzé est élevé dans
Motivation à l’accomplissement
-46-
l'obscurité complète, des déficits importants seront occasionnés au niveau de ses capacités de
fixation, de discrimination des objets et de perception des profondeurs. Pour les bébés, la
passivité, l'apathie, et un retard profond sont les conséquences d'environnements extrêmement
insensibles, comme on a pu le trouver dans certains hôpitaux et orphelinats (Casler, 1961). Une
place toute spéciale, est à accorder à l'interaction sociale. L'effet néfaste de la privation
d'interaction sociale individualisée est bien connu depuis les travaux sur l'hospitalisme (Spitz,
1945, 1946; Dennis, 1941). Pour résumer, le plus grand danger qui puisse menacer un jeune être
vivant, c'est précisément qu'on le laisse tranquille, c'est-à-dire, qu'il ne reçoive aucune stimulation
de l'extérieur.
Pourtant, si le rôle structurant des stimulations pour l'épanouissement des fonctionnalités
n'est plus à démontrer, il convient de mettre en évidence une caractéristique plus active qui
apparaît très vite, quand l'être vivant prend l'initiative de faire quelque chose. C'est le cas tout
spécifiquement du bébé humain. Ainsi, la main du bébé qui touche un objet tend à le "prendre", ce
qui implique une recherche de stimulation continuée et plus intense de l'objet contacté. De même,
l'oeil du bébé qui continue à suivre l'objet en mouvement cherche ainsi une stimulation prolongée
et non sa fuite. Aujourd'hui, comme le dit Bühler (1968), il est généralement admis que l'enfant est
"un chercheur actif d'expériences". Ce qui attire l'attention de l'enfant, ce sont davantage les
changements produits dans le milieu que le stimulus en tant que tel.
Dans son interaction avec le milieu, le sujet ne cherche pas uniquement à "percevoir" les
changements qui se produisent autour de lui, il ne cherche pas uniquement à "s'accommoder", il
cherche principalement à produire lui-même quelques modifications ou quelques effets dans
l'environnement. Une des caractéristiques fondamentales de l'être humain est qu'il n'assiste pas aux
événements en pur spectateur; il se comporte en acteur (Nuttin, 1985). Il ne tend pas seulement à
entrer en relation avec l'environnement, il tend aussi à "agir sur" la situation dans laquelle il se
trouve. Dès l'âge le plus tendre, le bébé manifeste une attention toute spéciale pour l'effet qu'il
produit, par ses actions, sur le milieu. Parmi les innombrables séquences d'événements qui se
présentent dans le champ visuel du bébé, c'est le changement qui suit son acte qui attire
spécialement son attention. C'est ce que Groos (1930) ou Piaget (1936) ont constaté depuis
Motivation à l’accomplissement
-47-
longtemps chez l'enfant. White (1959), avait également souligné l'intérêt et la curiosité
omniprésente des jeunes enfants pour les effets de leurs propres actions. La même thèse est
avancée par deCharms (1968) lorsqu'il dit que l'être humain est surtout désireux de produire, de
façon efficiente, des changements dans son environnement, ce que Bandura (1977b) appelle
"exercer une action efficace". Ce qui paraît fondamental dans ce type de conduite, c'est la
perception d'un lien de causalité entre les actions du sujet et les conséquences qu'elles entraînent.
Les théories béhavioristes de l'apprentissage et du conditionnement négligeaient tout lien autre que
le lien temporel entre la réponse du sujet et son effet. Par exemple, l'offre d'une boulette de viande
"suit" l'action de l'animal qui appuie sur un levier. L'effet n'est pas considéré comme "produit" par
la réponse du sujet, on dit simplement qu'il "suit" cette réponse dans le temps. C'est au contraire,
l'attribution, par le sujet, d'un lien de dépendance réel entre l'effet obtenu et l'action exécutée, qui
est essentielle dans le comportement humain. Ce lien de "causalité perçue" est de la plus grande
importance, et les conséquences motivationnelles sont considérables selon qu'un comportement
personnel est perçu comme produisant un effet, ou simplement comme suivi d'un événement
survenant de façon autonome. Ce qui est surtout intéressant dans ce phénomène, c'est le fait que,
dès l'âge de quelques mois, la séquence "acte-changement" est apparemment perçue comme
quelque chose de plus qu'une simple succession temporelle fortuite. L'enfant tend d’emblée (sans
apprentissage préalable) à répéter son mouvement, comme s’il soumettait à une vérification
empirique l’hypothèse implicite que son acte a produit le changement. Le fait de pouvoir
manipuler avec "efficacité" les événements paraît donner beaucoup plus de satisfaction que la
simple perception de changements automatiques (c’est-à-dire, uniquement une relation
temporelle). C’est ce que Nuttin (1973) appelle le "plaisir d’être cause" ou le plaisir de causalité
(causality pleasure). Insistons encore une fois, sur la différence essentielle entre un événement
perçu comme "causé" ou produit par l’acte du sujet, et l’événement qui suit simplement cet acte
sans lien causal perçu ou supposé. On connaît les expériences qui provoquent, chez le sujet,
l’impression d’être "sans moyen d’action" (helpless). L'attitude dénommée "impuissance apprise"
par Seligman (1975) désigne le comportement de sujets qui ne perçoivent aucune relation entre
leurs actes et les événements qui se produisent dans une activité donnée; autrement dit ils se
Motivation à l’accomplissement
-48-
sentent impuissants et sans possibilité d'action sur les événements. Une telle attitude peut être
instaurée en exposant les sujets à des situations où les résultats de leurs actions ne sont pas
"contingents" avec ces dernières, soit en les récompensant pour des actions différentes (sans raison
particulière), soit en manipulant la tâche de telle sorte que les mêmes actions ne donnent jamais
les mêmes résultats. Il s'en suit le développement d'un sentiment d'incompréhension, de crainte et
d'anxiété (pouvant aller jusqu'à la dépression), et la croyance, de la part des sujets, en leur
incapacité à contrôler leurs actions et à atteindre les buts désirés. Dans le comportement orienté
vers l’efficacité, le plaisir de causalité semble exiger que l’effet produit soit un effet attendu, alors
qu’une activité produisant des effets imprévisibles implique, à la longue, un sentiment
d’incompétence, d’inefficacité et d’impuissance (manque de contrôle). Il est vrai, certains auteurs
ont montré que les perceptions de changement d’effets, consécutifs à des actes identiques
pouvaient être une source de surprise ou d’émerveillement (Berlyne, 1960); cependant, un grand
nombre d’expériences appuie la thèse selon laquelle la production d’effets imprévisibles implique,
à la longue, un sentiment d’incompétence, d’inefficacité et d’impuissance.
Pour résumer, si l'environnement n'est pas insensible, le bébé manifeste rapidement une
propension à produire des changements, à créer de nouveaux effets, à être efficace ou cause de
quelque chose. La fonction commune de ces comportements, différemment dénommés suivant les
auteurs, semble être la quête d'un sentiment précoce d'habileté ou de "compétence". Face à la
complexité du monde, "la tendance innée de l'individu à l'auto-développement et au
fonctionnement optimal" (Nuttin, 1985) se traduit en efforts pour acquérir des compétences
(White, 1959), un comportement efficace (Bandura, 1977b), dont il est la cause (Nuttin, 1985).
Très vite les enfants rampent, se tiennent debout, marchent, prennent part au jeux que les
parents organisent pour eux, etc. Toute nouvelle réalisation, toute nouvelle réussite est vécue
comme une conquête personnelle qui procure une satisfaction évidente et ouvre la porte à de
nouveaux défis. Ce sentiment précoce de compétence repose sur des standards auto-imposés et des
critères auto-référencés d'habileté (ou de compétence). C'est la maîtrise personnelle des objets et
des situations qui fonde les expériences de succès et le sentiment de compétence. Mais en
grandissant, la nature des conceptions de la compétence change également. Une des avancées
Motivation à l’accomplissement
-49-
fondamentales des travaux de Nicholls, est d'avoir précisément mis en évidence une évolution des
conceptions ou des significations du concept d'habileté au cours de l'ontogenèse. Avec l'âge, les
critères et les processus sous-jacents au sentiment de compétence, évoluent.
Dans le dynamisme qui pousse le sujet à "faire quelque chose" en interaction avec le
milieu, à y "produire un événement" par lui même, l'objet social, c'est-à-dire le partenaire ou alter
ego humain occupe une place toute spéciale (Nuttin, 1985). Les psychologues de l'enfance
(Bühler, 1968; Piaget, 1945) insistent sur les conduites d'imitation des enfants avant la fin de la
première année. "Faire comme quelqu'un d'autre" constitue une "stratégie" précoce d'auto-
développement. Dans ce cadre, l'autre remplit la fonction de modèle. Cette tendance à "faire
quelque chose sur le modèle de l'autre" implique, à côté d'une identification à l'alter ego, un
processus de comparaison sociale. Celle-ci, d'abord implicite, prend très vite des formes explicites.
L'enfant paraît supposer vers la fin de la seconde année, qu'il doit "pouvoir faire", lui aussi, ce que
font les (ou certains) autres autour de lui. Ainsi, il tire du comportement observé d'autrui, des
standards de jugement de sa compétence. Bien que ces modèles de références semblent auto-
imposés, ils ne sont pas auto-référencés au même sens que les standards de performance des
enfants plus petits. Ces critères sont extrinsèques dans la mesure où les enfants ne les auraient pas
adoptés si ils ne les avaient pas observés chez un autre. Certains dépassent d'ailleurs largement
leurs capacités, et l'échec à les atteindre est source d'inquiétude et de doute liés au sentiment
d'incapacité de l'enfant à se montrer aussi compétent que le modèle (Kagan, 1981).
Outre son caractère formateur (dans sa fonction d'imitation), la comparaison sociale
acquiert également une propriété rivalisante. Comme les adultes, les jeunes enfants regardent
quelque fois les autres pour apprendre d'eux, afin de pouvoir eux-mêmes mieux comprendre et
progresser. A d'autres moments, ils les regardent pour évaluer leur propre compétence.
Progressivement, ils comprennent que terminer une construction après un autre, ou confectionner
un assemblage de cubes moins élevé qu'un pair, est un signe de moindre compétence par rapport à
ce dernier. En témoignent, les signes de honte évidents. Le développement d'une sensibilité plus
grande à la compétitivité et à la comparaison sociale semble également concomitant à une
diminution de l'intérêt "intrinsèque" pour la tâche, lorsque les enfants ne peuvent pas, ou pensent
Motivation à l’accomplissement
-50-
qu'ils ne peuvent pas égaler la performance d'un autre. "Au fur et à mesure que les enfants
grandissent, il devient plus facile de transformer des activités qu’ils trouvent satisfaisantes en soi,
en une source de honte" (Nicholls, 1989, p.14). Cependant, les jeunes enfants n'utilisent pas
toujours la capacité à s'évaluer d'après la performance des autres, et la prestation supérieure d’un
pair peut être, suivant le contexte, objet d’admiration, source de connaissance, ou atteinte à
l’estime de soi.
Ces transformations révèlent les grandes lignes de la maturation du concept de
compétence (ou d'habileté). De critères initialement auto-référencés, l'évolution de la nature des
conceptions de la compétence chez l'enfant se traduit par la place grandissante des indices
extrinsèques et de la comparaison sociale, pour juger de la compétence manifestée. Néanmoins,
ces transformations ne signifient pas que les enfants utilisent toujours la comparaison sociale pour
évaluer leurs prestations. D'autre part, pour juger de la singularité entre l'adulte et l'enfant, de la
signification du concept d'habileté, et pour cerner son origine, il est nécessaire de définir
précisément ce terme (Nicholls, 1989). Pour cet auteur, le développement de la signification du
concept est un processus de différentiation et d’intégration hiérarchique d'autres notions liées à
l'accomplissement, à savoir: la chance, la difficulté et l'effort. Ainsi, la définition de l’habileté qu'il
propose présente trois aspects qui nécessitent trois tests séparés. Le premier aspect est relatif à la
distinction du concept d'habileté de celui de "chance". Considérée comme admise par la plupart
des adultes, cette différenciation peut apparaître saugrenue. Néanmoins, nous ne pouvons pas
assurer que les enfants considèrent la chance et l’habileté comme deux domaines ou types de
causalité distincts. Le second aspect de cette définition de l'habileté concerne le rôle de la
comparaison sociale pour juger à la fois de la difficulté de la tâche et du niveau d'habileté. Enfin,
le troisième aspect de cette définition est relatif à la notion de capacité par opposition à celle
d’effort. Ces trois aspects du concept d’habileté sont représentés brièvement dans le tableau 1 et
vont être développés à présent.
3.1. DISTINGUER LA CHANCE DE L'HABILETÉ
Motivation à l’accomplissement
-51-
Pour apprécier les différences de compréhension des concepts de chance et d’habileté,
Nicholls & Miller (1985) ont utilisé un test de discrimination visuelle. Ce dernier était bâti autour
de ce que l'on pourrait appeler une définition adulte d’une tâche nécessitant de la chance; c'est-à-
dire une épreuve où ni la quantité d’effort, ni le niveau d’habileté ne peuvent influencer le résultat.
Deux tâches étaient présentées aux sujets. La première faisait appel à leur habileté à retrouver un
modèle de dessin parmi six autres un peu différents. Dans la deuxième tâche, les dessins étaient
retournés. Dès lors - d'un point de vue d'adulte - la découverte du dessin similaire au modèle ne
peut relever que de la chance, car ni la quantité d’effort, ni le niveau d’habileté ne peuvent jouer
sur le résultat. Pour témoigner de la compréhension des concepts, les sujets avaient simplement à
soutenir qu’il n’y avait aucun moyen d’influencer le résultat sur la seconde tâche, alors que la
première dépendait de l'habileté et/ou de l'effort du sujet. L'étude des réponses d'enfants de cinq à
quatorze ans à une série de questions standards, a permis à Nicholls et Miller de distinguer quatre
niveaux de différenciation entre les concepts de chance et d'habileté. Le niveau 1 prédomine chez
les enfants de cinq ans. Vers sept et huit ans, les enfants se répartissent à peu près de manière
équivalente entre les niveaux 1, 2 et 3. A onze et douze ans, les sujets se situent sur les niveaux 3
et 4, et à partir de treize et quatorze ans, tous les sujets sont au niveau 4.
Niveau 1. A ce stade, il n'y a apparemment pas de différenciation entre les concepts de chance et
d’habileté car les sujets sont incapables de distinguer les tâches dont le résultat dépend de la
chance de celles tributaires de l'habileté. Pourtant, les réponses des enfants les plus jeunes
témoignent d'une prise de conscience d'une relative différence de difficulté entre les deux tâches.
Celle-ci semble être fondée uniquement sur "l'apparence". En effet, pour ces enfants, l’effort est
censé améliorer les résultats sur les deux tâches. Néanmoins, la tâche requérant de l'habileté est
considérée comme nécessitant plus d’effort ou comme étant plus difficile du fait de la complexité
des stimuli (détails) visuels qu'elle présente. Par contraste, la tâche tributaire de la chance, n’ayant
pas de tels stimuli (les cartes sont retournées), est perçue comme plus facile ou comme nécessitant
moins d’effort. En résumé, à ce premier niveau, les sujets ne présentent aucun signe de
compréhension des deux formes de causalité (la chance versus l'habileté). Ils ne sont pas encore
Motivation à l’accomplissement
-52-
capables de reconnaître que seule la tâche requérant de l’habileté offre plus de chances de
contrôler les résultats.
Tableau 1Niveaux de différenciation du concept d’habileté de ceux de difficulté, de chance, et d'effort
(d'après Nicholls, 1989).
Difficultéet habileté
Chanceet habileté
Effortet habileté
(1) Égocentrique. Les propresattentes de succès des enfantssont à la base de l'estimation duniveau de difficulté de la tâche etde l’habileté.
(2) Objective. Les propriétésconcrètes de la tâche (telle que lacomplexité) sont à la base dujugement de son niveau dedifficulté. Le niveau d’habiletéest indiqué par le résultat obtenu.
(3) Normative. La difficulté dela tâche et l’habileté sont jugéesen fonction de la performancedes autres. Les tâches que peu depratiquants peuvent réaliser sontperçues comme difficiles, et lesuccès sur celles-ci est vu commeun indicateur d’une hautehabileté.
Avant l’âge de 7 ans
(1) Il n'y a pas de différenciationentre les tâches dont le résultat estlié à la chance, et celles où il estnécessaire d'être habile pourréussir.L'appréciation de la difficulté entreces deux types de tâches se fondesur des indices apparents, commele nombre de stimuli ou de détails.
De 7 à 11 ans
(2) L’effort est censé améliorer laperformance sur les tâches où laréussite est liée à la chance, commesur celles où il faut être habile pourréussir; néanmoins les secondessont perçues comme étant plussensibles à l’effort.
(3) Les sujets commencent àreconnaître que les tâchestributaires de la chance offrent peud'opportunité d’utiliser leurhabileté pour influencer le résultat.Pourtant, certains pensent encorequ'ils peuvent le faire si ils font desefforts d'attention ...
A partir de 11 ans
(4) La chance et l’habileté sontnettement différenciées. L’effortest supposé n’avoir aucun impactsur les résultats qui dépendent de lachance.
(1) Un résultat obtenu grâce à uneffort plus intense témoigne d'uneplus grande habileté. L’effort et lesrésultats sont imparfaitementdifférenciés en tant que cause eteffet.
(2) L’effort est la cause desrésultats. Ainsi, un effortéquivalent est censé conduire auxmêmes résultats, quelques soientles sujets.
(3) L’habileté (en tant que causedes résultats) est partiellementdifférenciée de l’effort.
(4) L’habileté est considéréecomme une capacité qui limitel’effet de l’effort sur laperformance.
Motivation à l’accomplissement
-53-
Niveau 2 . A ce stade, les sujets différencient partiellement la tâche dont le résultat est tributaire
de la chance de celle nécessitant de l’habileté. Comme au stade précédent l’effort est censé
améliorer la performance sur les deux types de tâches, mais les secondes sont perçues comme
offrant plus de chance de réussite si l’effort est grand. Cependant, les raisons de cette distinction
ne sont pas encore établies.
Niveau 3. Comme au stade précédent, la distinction entre la tâche dont le résultat est tributaire de
la chance, et celle nécessitant de l’habileté, n'est que partielle. Néanmoins, les raisons de cette
distinction sont plus explicites. Les sujets estiment, à présent, que la réussite sur la tâche requérant
de l’habileté est plus probable, car ils ont la possibilité de comparer les cartes, ce qui n’est pas le
cas pour l'autre type de tâche. Néanmoins, les sujets ont du mal à dénier leur impuissance à
contrôler le résultat sur la tâche dont la réussite est pourtant tributaire de la chance. Ainsi, l'effort
est encore perçu comme pouvant améliorer la performance sur cette tâche, même si ils
reconnaissent que cette amélioration sera plus importante pour la tâche requérant de l'habileté.
Niveau 4. La tâche dont le résultat est tributaire de la chance est nettement différenciée de celle
nécessitant de l’habileté. A présent, les sujets semblent avoir compris qu’un effort quelconque n'a
aucun impact sur le résultat d'une tâche tributaire de la chance, alors que l’effort peut, par contre,
affecter le résultat d'une tâche requérant de l’habileté.
Ces différentes conceptions de la chance et de l’habileté traduisent des différences
qualitatives dans la signification ou le contenu de ces concepts. Avec Nicholls (1989), on peut
caractériser le développement des significations comme un processus de différenciation et
d’intégration hiérarchique. Dans le cas présent, c’est seulement à partir du quatrième niveau que
les concepts de chance et d’habileté se différencient totalement l'un de l'autre. Néanmoins, la
signification de chaque concept dépend toujours de celle de l’autre. Ainsi le concept de chance
prend toute sa signification en vertu de sa distinction avec celui d’habileté. Réciproquement, sans
la notion de chance, le concept d’habileté serait mal défini.
Motivation à l’accomplissement
-54-
La validité des différentes conceptions dégagées par Nicholls & Miller (1985) a été
confortée par l'objectivation des liens qu'elles entretiennent avec la persévérance de
l'investissement, sur des tâches dont la réussite est tributaire de la chance ou de l'habileté. Dans
leur expérience, Nicholls & Miller (1985) ont, à l'aide d'interviews, déterminé les conceptions de
la chance et de l'habileté des sujets. Ces derniers ont ensuite été confrontés à deux tâches, l'une où
il fallait être habile pour réussir, l'autre où il fallait avoir de la chance. En fait, les deux tâches
étaient insolubles; le temps passé à tenter de réaliser la tâche a été considéré comme un indice de
persévérance. Les sujets qui avaient atteint le quatrième stade (celui où la chance est nettement
différenciée de l’habileté) sont restés significativement plus longtemps sur les tâches requérant de
l'habileté par rapport aux sujets des stades inférieurs. Sur la tâche qui nécessitait de la chance, la
tendance était inversée: les sujets du quatrième stade persévéraient moins longtemps sur ces tâches
que ceux des niveaux inférieurs. A première vue, les conséquences de cette différenciation des
concepts de chance et d’habileté apparaissent positives pour le bien être émotionnel du jeune
enfant. En effet, lorsque les concepts sont différenciés, il est peu probable qu'il consacre du temps
et de l'énergie sur des tâches dont la réussite est tributaire de la chance. Par contre, il est plus à
même de le faire sur les tâches où "cela peut payer". D'autre part, les sujets les plus âgés sont plus
à même d'invoquer la malchance pour excuser un échec. Cette solution ne semble pas "viable"
quand les sujets sont plus jeunes, car la notion de malchance n'est qu'imparfaitement différenciée
de celle de "faible habileté" ou de "manque d'effort" (Nicholls, 1989). Enfin, la différenciation des
concepts d’habileté et de chance rend plus extrêmes les états émotionnels liés au succès ou à
l'échec quand les tâches sont dépendantes de l'habileté plutôt que de la chance. Autrement dit, au
quatrième niveau de différenciation, la fierté en cas de réussite, et la honte en cas d'échec, seront
plus grandes si les tâches sont considérées comme requérant de l'habileté pour réussir, plutôt que
de la chance. Des études ont montré que les jeux de chance suscitaient, même chez les adultes, une
tendance à s’investir émotionnellement et à agir comme si les résultats pouvaient dépendre d'une
quelconque action du sujet (Langer, 1975; Weiner, 1980). Il semble qu' "on ne se résigne pas
facilement à être impuissant, à ne pas contrôler les événements" même quand les tâches sont
purement aléatoires (Durand, 1987, p. 77). Les données de Nicholls & Miller (1985) indiquent que
Motivation à l’accomplissement
-55-
les jeunes enfants sont encore plus enclins à l'être. Dès lors, l'approche relativement enjouée des
activités d’accomplissement par les enfants, constatée par certains (Harter, 1975), pourrait
s'expliquer par le manque de différenciation des concepts de chance et d'habileté. Dans ce cas, le
succès sur des tâches requérant de l’habileté n’occasionne pas une fierté franche, et l’échec
n'engendre pas une honte trop importante (Nicholls, 1989). "Lorsque de jeunes enfants pensent
qu’ils sont sur le point d’être perçus comme incompétents, leur expectation se rapproche du
sentiment qu’un adulte peut éprouver lorsqu'il joue aux cartes et qu'il en a de mauvaises en main.
Quand il est adolescent (i.e., au quatrième stade de différenciation), ses expectations d’apparaître
incompétent ressemblent à une attente plus "pure" d’être incompétent: le sentiment que quelque
chose va mal chez lui. Les sentiments d’incompétence devraient donc avoir plus d’effets négatifs
pour l’estime de soi, l’apprentissage et la performance chez les adolescents que chez les jeunes
enfants" (Nicholls, 1989, p. 29).
3.2. DISTINGUER LA DIFFICULTÉ DE L'HABILETÉ
Que signifie: "sauter 6 mètres en longueur" ? Quelle difficulté constitue cette
performance, et quel niveau d'habileté révèle-t-elle chez l'athlète qui l'a réalisée ? Quand on
interroge les adultes sur ces notions d'habileté ou de difficulté de la tâche, on peut se rendre
compte que la signification qu'ils accordent à ces concepts repose sur un processus de
comparaison sociale. Ainsi, la valeur brute d'une performance n'a de signification pour l'adulte que
si elle est située au regard d'une population de référence. Ce n'est que "par rapport" à une
population type qu'ils peuvent juger de la qualité ou de la médiocrité d'une performance, que ce
soit une épreuve sportive ou un test d'intelligence. Si l'ascension du Mont Everest est jugée comme
un accomplissement impressionnant, c'est parce que peu d'individus ont été capables de le faire.
Mais plus il y d'expéditions qui atteignent le sommet, plus l'indice de compétence qu'il signifie en
alpinisme, diminue. Dès lors, ceux qui s'évertuent à démontrer une habileté exceptionnelle dans ce
domaine cherchent de nouvelles voies plus difficiles. Dire que les tâches sont plus difficiles et
qu’elles demandent une habileté plus importante quand seule la minorité des membres d’un groupe
Motivation à l’accomplissement
-56-
de référence peut les faire, traduit l'utilisation d'une conception normative de l’habileté et de la
difficulté de la tâche.
Nous avons dit un peu plus haut, que le processus d'évaluation sociale apparaissait assez
tôt dans le développement de l'enfant. Vers deux ans, l'observation de la performance d’un autre
peut influencer la manière dont s'évalue l'enfant. Certains sont contrariés ou honteux, en présence
d'une prestation supérieure à la leur. A partir de l'âge préscolaire des conduites de rivalité peuvent
survenir, surtout si le contexte les accentue. On pourrait sauter de ces constatations à la conclusion
que les jeunes enfants accordent au concept d'habileté la même signification normative que celle
de l'adulte. Mais cette ressemblance pourrait être trompeuse; désirer faire aussi bien que les autres
peut ne traduire qu'une forte envie de se conformer aux autres. Ainsi, la performance d’autrui
pourrait avoir plus ou moins la même signification qu’un parent qui dirait: "c’est ce que tu devrais
faire".
Dès lors, un test plus direct de l'évolution de la signification du concept semble nécessaire.
C'est ce qu'ont fait Nicholls & Miller (1983) en présentant à des enfants de cinq à quatorze ans,
quatre boites dont chacune contenait un puzzle. Sur le couvercle de chaque boite était dessiné
schématiquement un nombre particulier d'enfants (présentés comme étant du même âge que le
sujet) capables de réaliser le puzzle. Les questions posées avaient pour but de mettre en évidence
la nature des changements dans la signification des concepts de difficulté et d'habileté. Elles
étaient du type: "Quel puzzle ne pourrait être fait que par des enfants très habiles ?" "Pour quelles
raisons peux-tu dire qu'il faut vraiment être habile pour faire celui-là ?” Nicholls & Miller (1983)
ont considéré les enfants qui choisissaient la boite sur laquelle figuraient le moins d’enfants - c'est-
à-dire celle qui contenait le puzzle qui n'était réalisable que par une petite proportion d'individus -
comme ayant une conception normative de l’habileté. Vingt neuf pour cent des enfants d’environ
six ans et 52 % des enfants d’environ sept ans ont satisfait à ce critère. Ces résultats conformes à
ceux trouvés auparavant (Nicholls, 1978, 1980) suggèrent un changement important dans la
manière dont les enfants construisent les notions d’habileté et de difficulté.
Motivation à l’accomplissement
-57-
Plusieurs autres expériences ont permis à Nicholls & Miller (1983) de distinguer trois
niveaux de différenciation de ces concepts (tableau 1), le niveau normatif étant le plus différencié
(et intégré). Ces niveaux sont résumés ci-dessous :
Niveau 1. Au niveau le plus bas, appelé "égocentrique", l’enfant juge le niveau de son habileté et
celui de la difficulté des tâches d'une manière auto-référencée. Les deux concepts sont compris en
termes de probabilités subjectives de succès. Autrement dit, les concepts d’habileté et de difficulté
ne sont pas différenciés l’un de l’autre. Ainsi, "difficile" signifie "difficile pour moi", et ne se
distingue pas de "je ne suis pas habile pour faire ça". Quand, par exemple, on demande à des
enfants d'âges différents, d'ordonner du plus facile au plus difficile une série de puzzles de
différentes pièces, une proportion significative d’enfants de moins de cinq ans n'est pas capable
d'indiquer que la difficulté (et l'habileté) est proportionnelle au nombre de pièces (Nicholls &
Miller, 1983). Au lieu de cela, ce sont leurs espérances de succès qui servent de critères de
classement. Malgré le fait qu'elle soit encore indifférenciée, la conception égocentrique de
l'habileté a déjà le potentiel de générer des évaluations négatives de soi. Un enfant de 1an et demi
peut dire, à la suite de l'observation d'une performance supérieure à la sienne, "c'est dur". Avec son
niveau de compréhension, cet adjectif signifie "dur pour moi" ou "je ne peux pas le faire". Ce
sentiment d'incapacité à égaler la performance observée d'un autre est à même d'occasionner une
sensation d'incompétence, même si l'enfant a une compréhension bien moins mature des concepts
d'habileté et de difficulté.
Niveau 2. Vers 5-6 ans, les conceptions de la difficulté et de l'habileté des enfants sont dénommées
"objectives", car elles reposent sur des caractéristiques "objectives" de la tâche (telles le nombre
de pièces d'un puzzle, la distance par rapport à une cible, etc.). Les enfants comprennent, à
présent, que le puzzle le plus complexe requiert le plus d'habileté. En d'autres termes, les enfants
de ce stade reconnaissent une variation simultanée dans le niveau de difficulté des tâches et dans
les niveaux correspondants d'habileté requise par ces tâches, variation qui est indépendante de
leurs propres probabilités subjectives de succès. Difficulté et habileté sont donc partiellement
Motivation à l’accomplissement
-58-
différenciées des attentes personnelles de réussite. Néanmoins, les deux premiers concepts
demeurent encore imparfaitement différenciés. Par conséquent, la formulation "c’est dur" ne se
distingue pas de "il faut être habile pour réussir", mais ces deux formulations commencent à se
distinguer de "c'est trop dur pour moi". Les enfants ne sont pas encore capables de comprendre si
la réussite d'une tâche est un indicateur d'une haute habileté ou simplement le fait d'une tâche
facile. Ils perçoivent qu'une tâche est plus difficile qu'une autre, de part ses propriétés objectives,
et requiert plus d'habileté pour la réaliser, mais ne peuvent pas encore comprendre que cette tâche
plus difficile peut demeurer "facile" si la plupart des membres d'une population de référence est
capable de la réussir.
Niveau 3. Vers 6-7 ans, l’habileté et la difficulté se différencient totalement, et leur conception
repose sur des critères normatifs. Ainsi, une tâche est perçue comme étant difficile si uniquement
la minorité d'une population de référence est capable de la réussir. Cette minorité est alors
considérée comme étant la plus habile. Ceci signifie que ce qui est "difficile pour moi" ou "plus
difficile" (conception objective) se distingue à présent de "difficile" (dans le sens le plus mature,
normatif).
Pour résumer, vers 6-7 ans, quand l'enfant accède à l'école primaire, la place accordée à la
comparaison sociale pour juger de la difficulté des tâches et de la compétence manifestée,
augmente sensiblement (Frey & Ruble, 1985; Ruble, Feldman, & Boggiano, 1976; Stipek &
Tannatt, 1984). Ces enfants deviennent plus réceptifs (par rapport aux plus jeunes), aux
informations relatives à la manière dont leurs pairs ont accompli la tâche sur laquelle ils
travaillent. Leur compréhension plus mature des concepts de difficulté et d'habileté pourra affecter
leur évaluation d'eux-mêmes et les actions qu'ils entreprennent. Comprendre qu'être habile signifie
être plus habile que les autres, est plus à même de réduire le sentiment de réussite que l'on peut
éprouver en accomplissant une tâche. En effet, avec une conception normative de l'habileté, il y a
nécessairement une élite, une moyenne et des "mauvais". Ainsi la probabilité que tout le monde se
perçoive habile diminue. En définitive, lorsque les enfants de cet âge sont préoccupés par leur
niveau d'habileté, ils manifestent une propension plus grande à se situer par rapport aux autres, et
Motivation à l’accomplissement
-59-
sont moins enclins à se focaliser sur leur développement personnel. Nous le verrons, pour
échapper aux conséquences négatives d'une comparaison défavorable, les enfants peuvent être
amener à dévaloriser les tâches ou les domaines d'accomplissement qui ne permettent pas de
mettre en évidence leurs attributs. S'il s'agit de l'école, leur volonté d'apparaître compétents pourra
donc se faire aux dépens de leurs progrès scolaires.
3.3. DISTINGUER L'EFFORT DE L'HABILETÉ
Nous avons vu précédemment que les deux premiers aspects de la définition de l'habileté
que propose Nicholls (1989) reposent, d'une part, sur une distinction nette des concepts de chance
et d’habileté, et d'autre part, sur la maturation d'une conception normative de la difficulté et de
l'habileté. Le troisième aspect de sa définition est relatif au développement de la notion de
"capacité". La conception normative permet de situer toute prestation ou performance, comme
quelque chose de "bon" ou de "mauvais", en référence à une norme. Ainsi, ne pas réussir à sauter
10 mètres en longueur ne peut être synonyme d'absence d'habileté car personne n'est capable
d'effectuer un tel saut. C’est uniquement quand on est incapable de faire ce qu'une majorité réussit
qu’on fait preuve d'incompétence. Implicitement, il est sous-entendu que la personne qui a
accompli la tâche, a donné le meilleur d'elle-même. En d'autres termes, qu'elle a fourni la plus
grande quantité d'effort possible, mais que malgré cela, elle a atteint une limite qui permet de la
situer sur un continuum hiérarchique. Par conséquent, en termes d'adultes, on suppose que l'effort
augmente la performance, mais uniquement dans les limites de la capacité du moment de la
personne. L'objet n'est pas ici de savoir si l'habileté peut se développer par la pratique, cette
préoccupation constituera le thème de notre première étude (chapitre 1 - partie 3), mais de savoir
si l'enfant comprend comme l'adulte, que ses capacités du moment limitent l'impact de l’effort sur
l'amélioration de sa performance par rapport à celle des autres. Ici encore, nous voyons la nature
interdépendante des concepts. En définissant l’habileté comme une capacité, nous sous-entendons
quelque chose concernant la nature de l’effort: à savoir, que l’effort a un effet sur la performance
mais dans les limites des capacités de l'individu. Bien que l’effort et l’habileté soient des concepts
Motivation à l’accomplissement
-60-
distincts et qualitativement différents, leurs significations sont interdépendantes. La définition de
l’un implique inévitablement la définition de l’autre (Nicholls, 1989).
Nous avons dit au début de ce chapitre que les enfants cessaient d'entreprendre des actions
qui ne produisaient aucun effet. Dans des cas extrêmes d'"impuissance", ils devenaient même
complètement passifs. Néanmoins, leur capacité à reconnaître les situations où leurs efforts ne
portent aucun fruit, ne signifie pas pour autant qu’ils construisent l’habileté comme une capacité.
Pour établir ceci, il est nécessaire de nous assurer que l'enfant comprend qu'à performance
équivalente, la personne qui fournit plus d'effort que les autres a une capacité moins importante, et
qu'à effort équivalent, cette personne obtiendrait une performance moins importante que les autres.
En d'autres termes, il faut vérifier que l'enfant reconnaît l'existence d'une relation inversement
proportionnelle entre l'habileté et l'effort.
Pour éprouver l'évolution de la signification du concept de capacité, Nicholls et ses
collaborateurs (Miller, 1985; Nicholls, 1978; Nicholls & Miller, 1984; Nicholls, Patashnick &
Mettetal, 1986) ont présenté sous une forme filmée ou iconographique deux enfants d’école
élémentaire assis côte à côte, travaillant sur une série de problèmes. L'un travaillait assidûment, et
l’autre de manière intermittente sur la même durée. Tous deux arrivaient aux mêmes scores. La
maîtrise de la notion de capacité était révélée en reconnaissant que l’enfant le plus paresseux
arrivait au même résultat que l'autre parce que son habileté était supérieure, et qu’il aurait obtenu
une performance supérieure, s'il avait fourni autant d'effort que lui. Selon Nicholls & Miller
(1984), il existe 4 niveaux de différenciation des concepts d'habileté et d'effort.
Niveau 1. Avant 6-7 ans, l’effort, l’habileté et la performance obtenue sont imparfaitement
différenciés en tant que cause et effet. Les enfants se centrent sur l’effort (l'enfant qui fait le plus
d'effort est perçu comme étant plus habile que l'autre, même s’il obtient un résultat plus faible) ou
sur le résultat (l'enfant qui obtient un résultat plus élevé est considéré comme travaillant plus -
même si ce n’est pas le cas - et est perçu comme étant plus habile). Par conséquent, effort, résultat
et habileté sont équivalents, et les explications des résultats sont tautologiques.
Motivation à l’accomplissement
-61-
Niveau 2. De 7 à 9 ans, l’effort et le résultat sont différenciés en tant que cause et effet.
Probablement sous la pression éducative, l’effort est perçu comme la cause principale des
résultats. Ainsi, les enfants sont persuadés que des efforts comparables amènent à des résultats
semblables dans une tâche donnée. Un résultat identique obtenu avec un niveau d'effort différent
demeure inexpliqué, ou alors sont invoqués soit un effort momentané (l'enfant apparemment le
plus paresseux a du travaillé intensément pendant un petit moment), soit une mauvaise utilisation
de l’effort (celui qui a travaillé le plus intensément a dû aller trop vite et a commis des erreurs).
L'habileté comme capacité qui limite l'effet de l'effort sur la performance demeure encore un
facteur non pertinent et ignoré.
Niveau 3. De 9 à 11 ans, cette notion de capacité émerge progressivement, et se différencie
partiellement de celle d'effort. Ainsi, l’effort n’est plus la seule cause des résultats. Les
explications de enfants relatives à la constatation que des efforts différents peuvent conduire à des
résultats identiques contiennent des allusions qui sous-entendent la conception de l’habileté
comme capacité (du type "la personne qui travaille moins intensément est plus rapide ou plus forte
que l'autre"). Ce fonctionnement cognitif n'est pas cependant, systématiquement poursuivi
jusqu’au bout, et les enfants avancent toujours l'idée selon laquelle un effort équivalent conduira à
des résultats identiques.
Niveau 4. Enfin, vers 11-12 ans, l’habileté et l’effort sont nettement différenciés. L’enfant conçoit
à présent l’habileté comme l'adulte, c'est-à-dire comme une capacité qui module l’effet de l’effort
sur la performance. Ainsi, de faibles capacités limitent forcément l'impact de l'effort sur la
performance. Inversement, un effort important se traduira en une performance d'autant plus grande
que les capacités de l'individu sont importantes. De plus, cette conception présuppose une relation
inversement proportionnelle entre l’effort et l’habileté: à performance égale, un effort moindre
témoigne d’une habileté plus grande et réciproquement.
Pour Kun (1977), cette évolution dans la différenciation et l'intégration des concepts est le
fruit d'une évolution des capacités et stratégies cognitives de l'enfant. Cet auteur a montré une
Motivation à l’accomplissement
-62-
évolution des attributions en fonction de l'amélioration des capacités de calcul sous-jacentes. Les
jeunes enfants seraient incapables d'une gestion cognitive de la situation dans toute sa complexité:
selon eux si plusieurs causes expliquent un résultat, elles co-varient en intensité (c'est pourquoi
l'habileté est positivement corrélée avec l'intensité de l'effort mise en jeu). Plus tard, ils seraient
capables d'appliquer des principes de réversibilité, et donc de compenser les effets des différentes
causes (effort et habileté sont requis de manière inversement proportionnelle pour réussir une
tâche: plus on est compétent et moins on a besoin d'effort pour réussir et inversement).
3.4. CONSÉQUENCES DES CHANGEMENTS DANS LA SIGNIFICATION DE L’HABILETÉ
L'émergence, dès le début de l'adolescence, d'une conception différenciée de l'habileté a
des répercussions fondamentales sur le sentiment de compétence ou d'incompétence que peut
éprouver l'individu. Le monde est rempli de tâches irréalisables. Aucun homme n'est capable de
sauter d'un bond par dessus la Seine, en plein Paris. Pourtant, notre incapacité à faire une telle
chose n'occasionnera jamais un sentiment d'incompétence. "C'est être incapable de faire ce que
d'autres peuvent faire, ou - lorsque l'habileté est construite comme une capacité - avoir besoin de
faire plus d'effort que les autres pour une performance équivalente, qui fait que nous éprouvons un
sentiment d'incompétence" (Nicholls, 1989, p. 60). Faire référence à la conception différenciée de
l'habileté signifie qu'une tâche, pour laquelle nous estimons que d'autres personnes réussiront en
consacrant moins de temps ou d'effort, n'offre aucune perspective d'éprouver un sentiment
d'accomplissement. De plus, un échec assorti d'un effort intense témoigne d'une incompétence
encore plus grande, si les tâches sont inférieures ou égales à la moyenne. Par conséquent, un
travail intensif ne sera jamais une option attractive, quand l'individu s'attend à échouer sur des
tâches où la majorité réussit. Un tel effort est nettement moins valorisé lorsque la conception de
l'habileté est la plus mature, car il connote bien moins avec la compétence, comme c'était le cas
pour les niveaux précédents. Enfin, lorsqu'on doute de son habileté, la référence à la conception
différenciée s'accompagne d'une diminution des croyances aux vertus de l'effort à augmenter sa
performance par rapport à celle des autres.
Motivation à l’accomplissement
-63-
En conclusion, quand nous émettons des doutes sur notre habileté, même si nous
demeurons convaincus de pouvoir apprendre et progresser, nous considérons que le meilleur que
nous puissions faire sera toujours insuffisant; cette déficience sera vécue comme plus sensible
qu'avant, quand la signification de l'habileté était moins mature. Ce sentiment se manifestera par
une dévalorisation des activités qui pourraient révéler notre incompétence et nous conduira à
tenter d'éviter de telles activités. S'il est difficile de s'échapper de l'école avant l'âge de 16 ans, la
pratique sportive fédérale demeure elle volontaire, et l'abandon massif constaté à partir du début
de l'adolescence peut être, en partie, lié à l'émergence du concept d'habileté comme capacité
(Roberts, 1984). Cette tendance est d'autant plus parlante, quand on connaît l'importance de la
réussite sportive pour les adolescents garçons (Coleman, 1961; Roberts, 1984). Par conséquent,
l'abandon de la pratique au début de l'adolescence a peu de chance d'être lié à une quelconque
perte du désir d'être compétent dans ce domaine. Dans une étude sur les jeunes qui abandonnent la
lutte, Burton & Martens (1986) ont fourni un appui à cette hypothèse. Ils ont constaté que les
lutteurs qui avaient abandonné cette activité avaient une habileté perçue plus basse que ceux qui
continuaient de pratiquer. Les deux groupes ne différaient pas, cependant, dans l'importance qu'ils
octroyaient à la pratique sportive. Seule la lutte - sport pour lequel ils se sentaient moins
compétents - étaient moins valorisée par ceux qui avaient abandonné de la pratiquer.
Dans le cadre de la scolarité obligatoire, ce renoncement peut avoir des conséquences
dramatiques. Si l'adolescent n'a pas la possibilité de manifester sa compétence dans une discipline
quelconque, la dévalorisation en bloc de tout ce qui touche à la réussite scolaire risque de
constituer la seule solution. Dès lors, les comportements "anti-scolaires", de renoncement, de
pitrerie ou de déviance constitueront une alternative permettant de préserver une certaine estime
de soi (cf. chapitre 3 - partie 3). Le lien entre l’âge, le développement du concept de capacité, et la
diminution de la performance après un échec a été plus directement établi par Arden Miller
(1985). Il a constaté une diminution de la performance sur des tâches d'anagramme après une série
d’échecs, parmi les élèves de 11-12 ans, mais pas parmi ceux de 7-8 ans, alors que ces deux
groupes avaient une habileté perçue identique. La persistance (l'effort) et la performance ont plus
de chance d'être diminuées quand la conception de l'habileté devient plus différenciée et quand les
Motivation à l’accomplissement
-64-
adolescents sont exposés à des échecs éventuels indicateurs d'incompétence. A l'inverse, les
conceptions indifférenciées de l'effort et de l'habileté qui prédominent pendant la période qui
couvre l'école primaire semblent favoriser le maintien d'un investissement nécessaire au
développement des compétences "de base", même parmi ceux qui doutent de leur compétence
(Nicholls, 1989). Les postulats que nous venons de développer, relatifs aux conséquences de
l'évolution des significations de l'habileté, constitueront les bases des hypothèses de la partie
expérimentale de cette thèse.
4. BUT DE MAÎTRISE VERSUS BUT DE COMPÉTITION
L'idée originale de Nicholls (1984, 1989) est d'avoir reliée chacune des deux conceptions
de l'habileté apparues au cours de l'ontogenèse à des buts12. Plus précisément, selon Nicholls et
d'autres (Ames, 1984; Duda, 1987; Dweck, 1986; Maehr & Braskamp, 1986; Nicholls, 1984,
1989; Roberts, 1992), la motivation à l'accomplissement peut se manifester par deux tendances
dynamiques (différenciation du besoin), chacune faisant référence à l'une des deux conceptions de
l'habileté. Ces tendances correspondent à deux manières distinctes de définir le succès et de juger
de l'habileté manifester.
. Dans le premier cas, les expériences d’apprentissage, de maîtrise et d’amélioration
personnelle sont vécues comme des succès, satisfaisantes en elles-mêmes. L'individu se sent
d'autant plus habile qu'il a le sentiment de progresser, de maîtriser les objets, de résoudre des
problèmes, et ce, grâce aux efforts qu'il fournit. Il utilise des critères auto-référencés, et un
processus de comparaison temporelle. On parle dans ce cas de but de maîtrise (mastery goal)
(Ames, 1984; Roberts, 1992), d'implication dans la tâche (task involvement) (Duda, 1992;
Nicholls, 1984, 1989), de but d'apprentissage (learning goal) (Dweck, 1986) ou de but de
performance (performance goal) (Burton, 1989; Vealey, 1986). L'athlète qui compare son temps
12 Les "buts" auxquels il est fait allusion ici, sont encore des tendances dynamiques globales qui peuventactiver une gamme importante de comportements, et non un but concret au sens de Nuttin (1985) (cf. supra).Pour bien faire la distinction, nous parlerons plus loin de "but motivationnel", pour caractériser cestendances.
Motivation à l’accomplissement
-65-
réalisé lors d'une course avec son record personnel, et le basketteur qui analyse sa prestation lors
d'un match en terme de nombre de passes décisives, ou d'efficacité défensive adoptent ce type de
but (Cury et Sarrazin, 1993). Il implique une référence à la conception la moins différenciée de
l'habileté, comme les enfants les plus jeunes, car la comparaison avec les autres est sans
fondement.
. Dans le deuxième cas, l'amélioration, l'effort et la maîtrise personnelle ne sont pas
suffisants pour expérimenter un succès. Pour cela, l'individu doit faire mieux que les autres, ou
aussi bien qu'eux, mais avec moins d'effort. Le sentiment d'habileté est ici subordonné à des
critères externes (la performance et l'effort manifestés par les autres) et à un processus de
comparaison normative avec un groupe de pairs. Chaque fois que l'individu est préoccupé par son
positionnement par rapport aux autres, c'est-à-dire, dès qu'il veut faire mieux que ses pairs, ou dès
qu'il veut leur dissimuler ses faiblesses, on parle de but de compétition (competitive goal)
(Roberts, 1992), d'implication de l'ego (ego involvement) (Duda, 1992; Nicholls, 1984, 1989), de
but de performance (performance goal) (Ames, 1984; Dweck, 1986) ou de but de résultat
(outcome goal) (Burton, 1989; Vealey, 1986). Le sportif qui veut battre coûte que coûte ses
adversaires, ou l'élève qui cherche à dissimuler son incompétence en mathématiques poursuivent
ce type de but. La référence à la conception différenciée de l'habileté (comme une capacité qui
limite l'effet de l'effort sur la performance) est ici requise. Quand on cherche à se positionner par
rapport aux autres, il faut être certain que la performance réalisée traduise l'habileté, et non l'effort
fourni ou la facilité de la tâche. Avec ce but, l'effort est considéré comme une "épée à double
tranchant" (Covington & Omelich, 1979); alors qu'il pourrait contribuer à augmenter la
performance et l'habileté des individus, il peut en cas d'échec sur des difficultés inférieures ou
égales à la norme signaler encore plus l'incompétence de ceux-ci. Pour les individus qui s'attendent
à paraître incompétents, renoncer ou adopter des stratégies ostentatoires d'effort réduit constitue
une alternative (cf. chapitre 3 - partie 3).
Motivation à l’accomplissement
-66-
5. FACTEURS INTERVENANT DANS L'ADOPTION D'UN BUT MOTIVATIONNEL
Nous avons situé - dans la définition de la motivation que nous avons proposée - l'origine
du dynamisme motivationnel soit dans l'individu, soit dans l'objet qui se présente et éveille, chez
celui-ci, un besoin latent. Cette conception est conforme à la troisième stratégie d'analyse de la
motivation, décrite par Maehr (1974, p. 892) (figure 1). Celle-ci identifie à la fois la personnalité
et la situation comme des variables simultanément critiques à la motivation. Ce modèle insiste
également sur le rôle de la culture qui "façonne" une sensibilité à certaines formes d'expression de
la compétence. Ainsi, même s'il est probable que les adultes de toutes les sociétés comprennent
l'habileté comme une capacité, certaines cultures valorisent davantage la maîtrise et le progrès
personnels par rapport à la compétition (Nicholls, 1989).
Culture Personnalité Situation = Motivation
Figure 1: description de la 3ème stratégie d'analyse de la motivation d'après Maehr (1974)
Le cadre de vie, la pression éducative, bref le "climat motivationnel" (motivational climate) (Ames
& Ames, 1984; Ames, 1992) dans lequel vit l'enfant rend particulièrement prégnantes certaines
valeurs, certaines conceptions de la réussite. Selon ces auteurs, les parents, les enseignants ou les
entraîneurs créent, par la structure générale des informations qu’ils donnent et des consignes qu’ils
prescrivent, un climat psychologique qui accentue l'une ou l'autre des deux conceptions de
l'habileté. En valorisant une comparaison sociale ou à l’opposé en insistant sur les progrès
personnels, les parents ou les enseignants peuvent générer chez les enfants une disposition
motivationnelle plus ou moins stable, plus ou moins durable, qu'il est possible de repérer à l'aide
de questionnaires (cf. partie 2 - chapitre 1).
Dans le domaine du sport, Chaumeton & Duda (1988) ont montré que les entraîneurs
privilégiaient davantage les feed-backs de résultat (classement, exhortation à vaincre, etc.) au
détriment des feed-backs de processus (qui insistent sur la manière d’apprendre, de progresser) à
mesure que l’on progressait dans la hiérarchie sportive. Cette accentuation des valeurs normatives
Motivation à l’accomplissement
-67-
de la réussite, au fur et à mesure de l'élévation du niveau de pratique, se traduit par une tendance
de plus en plus grande à rechercher un but de compétition. C’est effectivement ce que nous avons
constaté (Famose, Cury & Sarrazin, 1992). De jeunes joueurs de tennis de 12 ans (qui avaient
donc atteint le stade de la conception différenciée de l’habileté) recherchaient de plus en plus un
but de compétition au fur et à mesure de leur ascension dans la hiérarchie tennistique (les
classements FFT). Les filles qui pratiquaient un sport dans une structure fédérale étaient
également plus enclines à poursuivre un but de compétition que celles qui ne pratiquaient pas. Ces
données corroborent l'influence du climat que promeut le contexte sportif compétitif, sur
l'adoption d'une tendance à poursuivre un but de compétition.
Dans le cadre scolaire nous avons confirmé cet effet du contexte sur l'orientation
dynamique des élèves en comparant deux institutions féminines qui valorisaient chacune deux
climats antinomiques (Famose, Durand, Cury & Sarrazin, 1993). Le premier était très accès sur la
compétition et la comparaison sociale: fonctionnement autoritaire, évaluation normative avec
publication des résultats, classement régulier, sanctions et récompenses, médailles en fonction du
travail et de la discipline, etc. Par contraste, le second était très accès sur la maîtrise et le progrès
de chacun: fonctionnement démocratique, apprentissage autonome sur la base du contrat,
évaluation individualisée et formative, absence de récompense, de notation, et de classement en
fonction des résultats, valorisation de l’effort fourni et des progrès réalisés, etc. Les résultats ont
montré que les filles qui "vivaient" dans un climat de comparaison permanente recherchaient
davantage un but de compétition que celles issues du climat de maîtrise; la réciproque était
également vraie en ce qui concernent les buts de maîtrise. Un effet de "contamination" a
également été trouvé; le fait d’être dans un climat scolaire normatif était associé à une
accentuation des objectifs compétitifs même non scolaires: les filles poursuivaient également des
buts de compétition dans le domaine sportif, même quand elles n’en faisaient pas en club. Cette
"généralisation" des orientations à travers les domaines d'accomplissement est conforme aux
résultats de Duda & Nicholls (1992).
Pour résumer, l'environnement dans lequel vit l'enfant, de part la structure d'information
qu'il délivre, valorise une certaine conception de l'habileté. Cette accentuation peut avoir comme
Motivation à l’accomplissement
-68-
conséquence la construction d'une tendance chez l'enfant à rechercher dans les situations
d'accomplissement, un but conforme à la définition du succès qui lui a été inculquée. Nous
utiliserons les terminologies orientation vers la maîtrise et orientation vers la compétition pour
caractériser ces deux tendances (dispositions, traits de personnalité) dynamiques, relativement
durables et générales. Nous parlerons de but motivationnel de maîtrise versus de compétition, pour
caractériser le but que poursuit effectivement le sujet dans une situation donnée13. Il existe
actuellement un corps de données qui plaide en faveur d'une indépendance entre celles-ci (cf.
partie 2 - chapitre 1). Un individu peut donc poursuivre simultanément ces deux buts, n'être
intéressé par aucun des deux (il n'est pas motivé par l'accomplissement, du moins dans le domaine
en question), ou valoriser l'une des deux orientations de manière préférentielle.
Outre la propension des individus à rechercher plus ou moins ces deux types de buts dans
les situations d'accomplissement, le contexte du moment dans lequel se trouve l'individu peut
susciter la poursuite d'un but motivationnel particulier, en accentuant l'une des deux conceptions
de l'habileté.
Un but motivationnel de compétition a plus de chance d'être généré quand les tâches - a
fortiori si elles impliquent des habiletés valorisées culturellement - (1) sont présentées comme des
tests (faisant référence à des normes) (Nicholls, 1984, 1989), (2) dans une situation de compétition
interpersonnelle (Nicholls, 1984, 1989), ou (3) quand la "conscience de soi publique" est sollicitée
par la présence d’un auditoire, d'un enregistrement vidéo, etc. (Carver & Scheier, 1981; Nicholls,
1984, 1989).
Un but motivationnel de maîtrise a plus de chance d'être induit par des contextes qui
mettent en valeur (1) le processus d'apprentissage (par rapport aux résultats normatifs), (2) la
maîtrise de tâches adaptées au niveau de chacun pour favoriser le sentiment de contrôle des
sujets14 (3) l'investissement et le progrès (Ames, 1992; Ames & Archer, 1987; Brophy, 1987;
Maehr & Midgley, 1991; Meece, 1991; Nicholls, 1989).
13 Nicholls (1989) utilise dans ce cas, la terminologie "implication" (involvement).14 Pour plus de détails sur les caractéristiques que doivent présenter les tâches, consulter Cury & Sarrazin(1993), Famose (1990), et Thill (1989).
Motivation à l’accomplissement
-69-
Cette conviction relative à une influence du contexte sur le but motivationnel poursuivi a
conduit la recherche contemporaine d'une part, à mettre en évidence les dimensions du climat qui
ont une quelconque influence sur la poursuite d'un but motivationnel15, et d'autre part, à construire
des outils permettant de mesurer les perceptions des sujets relatives à la structure motivationnelle
du contexte dans lequel ils se trouvent, que ce soit à l'école (Ames & Archer, 1988), dans le
domaine du sport (Seifriz, Duda, & Chi, 1992; Walling, Duda, & Chi, 1993) ou celui de
l'éducation physique (Biddle, Cury, Goudas, Sarrazin, Famose, & Durand, 1995; Cury, Famose,
Biddle, Goudas, Durand, et Sarrazin, soumis; Cury, Sarrazin, et Famose, 1993, 1994; Goudas &
Biddle, 1994; Papaioannou, 1994).
En concevant le but motivationnel poursuivi par le sujet comme le fruit d'une interaction
entre des données personnelles et des données contextuelles, il est possible d'imaginer des
situations où ces deux variables s'ajustent bien, et d'autres où la tendance personnelle entre en
"conflit" avec les données contextuelles (Roberts, 1992). En d'autres termes, quand la structure de
la situation est conforme à la tendance du sujet, on peut penser que celui-ci poursuivra le but
motivationnel qu'il affectionne de manière idiosyncratique. Cependant, quand le contexte
motivationnel valorise une conception de la compétence qui n'est pas celle qui caractérise la
tendance du sujet, il s'en suit un "conflit de valeur" qui a pour conséquence soit l'infléchissement
de la tendance du sujet dans la même direction que celle du contexte, soit une redéfinition de la
tâche pour qu'elle s'ajuste mieux à ce qu'il recherche (cf. infra). On peut par exemple imaginer
qu'un sujet orienté vers la compétition, placé dans un contexte de maîtrise, introduise des
modalités compétitives (comparaison, concurrence, etc.) pour satisfaire sa conception de la
compétence. On peut aussi penser qu'un sujet orienté vers la maîtrise de la tâche placé dans un
contexte compétitif, soit "perturbé", et déplace son attention de la tâche vers le niveau d'habileté
qu'il pense manifester par rapport à ses pairs. Ce constat n'est pas sans poser des problèmes pour la
recherche. Quand l'objectif du chercheur est d'éprouver des hypothèses relatives aux incidences
15 L'opérationnalisation des dimensions du "TARGET" d'Epstein (1988) qui signifie Tâche, Autorité,Reconnaissance, Groupement, Evaluation, et Temps, est sur ce point prometteuse (cf. Ames, 1992; Maehr &Midgley, 1991).
Motivation à l’accomplissement
-70-
comportementales de chacun des buts motivationnels, il est nécessaire de garantir que le but
poursuivi par le sujet est bien celui dont on teste les effets. Ce problème sera traité plus loin
(partie 3- chapitre 1).
Les caractéristiques de la motivation à l'accomplissement ayant été précisées, nous allons
à présent exposer un modèle de fonctionnement de la motivation.
Fonctionnement de la motivation
-71-
Chapitre 3
Fonctionnement de la motivation:
Un modèle expectation - valence
"L'évolution de la psychologie de la motivation s'est accompagnée d'un déplacement de ses
centres d'intérêt. Aujourd'hui, les chercheurs étudient davantage les processus de régulation que le
contenus de la motivation" (Durand, 1987, p. 58). C'est à l'analyse de ces processus qu'est consacré
le présent chapitre. L'objectif est de compléter l'étude du "contenu" de la motivation qui précède,
par une analyse plus fonctionnelle.
Selon nous, la plupart des théories contemporaines de la motivation sont construites de
manière plus ou moins explicite, autour de variables cognitives et de valeurs. C'est la raison pour
laquelle la base de notre modèle explicatif de la motivation s'inscrit dans le paradigme des théories
expectation-valence (expectancy-value), également appelées valence-instrumentalité-expectation
(VIE). Toutes ces théories trouvent leur fondement dans une analyse commune des situations de
choix. Un individu est conçu, selon elles, comme étant confronté à une série d’alternatives
d’actions. Il est admis que chacune de ces alternatives est associée à un nombre de conséquences
possibles, qui à leur tour présentent une attractivité (ou valence) plus ou moins grande pour
l’acteur. Chaque conséquence est perçue comme ayant une certaine probabilité subjective
Fonctionnement de la motivation
-72-
d'occurrence (expectation16). Probabilité et attraction de chaque conséquence possible d’un acte se
combinent pour déterminer la "force" de chaque acte. Il est ensuite présumé que l'action adoptée
par l'individu correspond à celle qui présente la force17 la plus importante. On peut résumer de
manière très globale l'idée générale de ces théories en citant Lawler (1973):
La force de la tendance à agir d'une certaine façon dépend de la force de l'expectation que l'acte serasuivi par une conséquence donnée (ou résultat) et de la valeur ou attractivité de cette conséquence (ourésultat) pour l'acteur. (p. 45)
Si Lawler accentue le notion d'anticipation des conséquences liées à une action et celle de valence
ou attractivité perçue de ces conséquences, il laisse inexprimée l'idée d'un autre type d'expectation:
la probabilité perçue d'atteindre l'acte en question. L'ensemble de ces expectations sera développé
par la suite. On le voit, ce paradigme expectation-valence est rationnel et déterministe. Il admet
que les individus choisissent leurs activités afin de maximiser le résultat final. Ce modèle
n'implique pas nécessairement que les individus agissent avec une information complète ou qu'ils
peuvent discriminer toutes les alternatives possibles. Il n'implique pas non plus qu'ils soient
conscients de toutes ces données; certaines cognitions peuvent rester à un niveau infra-conscient,
nous en reparlerons plus loin.
Ces idées, qui trouvent leur origine dans les travaux de Tolman (1932) et de Lewin (1936)
apparaissent dans les positions théoriques de beaucoup d'auteurs (Atkinson, 1957, 1964;
Campbell, Dunnette, Lawler, & Weick, 1970; Edwards, 1954, 1961; Galbraith & Cummings,
1967; Heckausen, 1977; Rotter, 1954; Vroom, 1964)18. Une des caractéristiques communes à ces
théories est qu'elles s'attachent, dans la pure tradition hullienne, à déterminer les propriétés
mathématiques des actions, à partir d'équations complexes. Dans les théories socio-cognitives
contemporaines (pour une revue consulter Roberts, 1992), alors que les variables fondamentales
demeurent, ces préoccupations ont disparu. Comme l'exprime Nicholls (1989), toutes les relations
16 L'expectation "se définit par des attributs cognitifs, car elle implique la capacité d'établir des relations: à sesouvenir d'un événement, à anticiper un autre événement ou à croire qu'un événement particulier sera suivi decertaines conséquences" (Thill, 1987, p. 37). Ce terme est synonyme "d'attente", "espérance" , "prévision"ou "probabilité".17 Cette notion de "force" est synonyme de celle de motivation.18 Pour une revue consulter Thill (1993).
Fonctionnement de la motivation
-73-
dans la nature ne sont pas forcément écrites dans le langage des mathématiques; il n'est donc pas
forcément nécessaire d'avoir recours à elles pour prédire un comportement.
1. QUELQUES MODÈLES ANTÉRIEURS TÉMOIGNANT DE LA DIVERSITÉ DESVARIABLES.
Avant d'exposer un modèle expectation-valence appliqué aux situations
d'accomplissement, nous allons présenter quelques-uns des modèles VIE qui ont le plus marqué la
recherche, pour mettre en évidence les variables clés de ces théories. Le premier modèle issu de la
psychologie du travail, est celui de Vroom (1964).
1.1. LE MODÈLE DE VROOM
Vroom a en fait, proposé deux modèles, le premier pour prédire la valence des résultats, et
le second pour prédire la force incitative à l'action. Le modèle de Vroom (figure 1), comme
beaucoup d'autres modèles distingue deux niveaux de résultats. Le premier niveau de résultat est
constitué par toute chose (objet, but concret, tâche, niveau de performance) qu'un individu peut
vouloir atteindre. Le deuxième niveau représente les conséquences différées (argent,
reconnaissance du supérieur, etc.) auxquelles conduit l'atteinte du premier niveau. La valence d'un
résultat est définie comme la force positive ou négative de l'orientation affective d'une personne.
De manière similaire à Lewin, la valence fait référence à la satisfaction anticipée associée à un
résultat. Elle se distingue de la valeur du résultat qui correspond à la satisfaction éprouvée par
l'atteinte de celui-ci.
. Le modèle de la valence établit que la valence d'un résultat est une fonction de la somme
algébrique du produit des valences de tous les autres résultats différés auxquels il mène, et de leur
instrumentalité:
Fonctionnement de la motivation
-74-
Vj = f (Vk . I jk )k = 1
n
∑ ,
où
Vj = la valence d' un résultat j,
I jk = l' instrumentalité connue d' un résultat j
à atteindre un résultat k;
Vk = valence d' un résultat k;
n = le nombre de résultats.
L'instrumentalité correspond à une croyance relative à la corrélation qui existe entre
l'atteinte du résultat de premier niveau et celui du second niveau. Elle varie entre -1 (quand le
résultat en question est perçu comme ne conduisant en aucune façon au résultat du second niveau)
et +1 (quand le résultat en question est perçu comme conduisant toujours au résultat du second
niveau). Ce modèle peut prédire la satisfaction que l'ouvrier retire de son travail, ou une
préférence professionnelle. Par essence, le modèle avance que la satisfaction du travailleur vis-à-
vis d'une tâche dépend de l'instrumentalité de celle-ci à atteindre d'autres résultats (financiers,
promotion sociale, etc.) et de l'importance de ces résultats.
V j
V j
Sujet Effort i
V k
V k
V k
V k
E1
E2
I
I
I
I
Comportement Résultats de Résultats de 1er niveau R j 2ème niveau R k
VModèle de la valence Modèle de la force
F
j
i
Figure 1. Schématisation du modèle de Vroom (1964), d'après Thill (1993). Dans ce schéma, Ereprésente l'expectation, V la valeur, I l'instrumentalité; i définit le degré d'effort, j et kcorrespondent aux résultats du premier et du second niveau.
Fonctionnement de la motivation
-75-
. Le second modèle de Vroom concerne les variables qui caractérisent un comportement:
l'effort fourni. La force attribuée à la réalisation d'une action est une fonction de la somme
algébrique des valences de tous les résultats multipliée par l'expectation qu'une action sera suivie
de l'obtention de résultats:
Fi = (E ij . Vj)j= 1
n
∑ ,
où
Fi = la force qui pousse l' individu à accomplir l' acte i,
E ij = l' amplitude de l' expectation qu' un acte i sera suivi
d'un résultat j;
Vj = la valence d' un résultat j;
n = le nombre de résultats.
Comme on peut le voir sur la figure 1, la force d'un comportement (i) ne dépend pas seulement des
valences (Vj) associées au résultat attendu (Rj), mais de la croyance (Eij) en la probabilité de voir
le comportement mener au résultat en question. L'expectation correspond à une probabilité perçue
concernant les liens existant entre un comportement (l'effort déployé) et un résultat (un niveau de
performance déterminé). Elle varie entre 0 (aucune chance pour qu'un comportement quelconque
ne conduise au résultat) et +1 (certitude d'atteindre le résultat). Elle se distingue de
l'instrumentalité dans la mesure où elle est une association action-résultat, alors que
l'instrumentalité est une association résultat-résultat. Le modèle de Vroom est un modèle de choix
comportemental (i.e., du niveau d'effort consenti). Selon lui, la force (i.e., la motivation) à
produire une certaine quantité d'effort dépend d'une part de l'expectation de voir ce niveau d'effort
conduire à un certain niveau de performance, et d'autre part, de la valence de cette performance.
Dans une reformulation du modèle de Vroom, Galbraith & Cummings (1967) ont fait
ressortir la nécessité d'intégrer les deux modèles précédents. L'effort au travail, est censé dépendre,
dans ce modèle, de l'expectation qu'un niveau d'effort donné conduise à un niveau de performance
déterminé, pondéré par la valence de ce niveau de performance. La valence de celui-ci est alors
déterminée par l'examen du degré avec lequel il contribue à l'atteinte du second niveau de résultats
Fonctionnement de la motivation
-76-
(instrumentalité) pondéré en retour par la valence respective de chacun des résultats du second
niveau.
1.2. LE MODÈLE DE CAMPBELL, DUNNETTE, LAWLER, & WEICK (1970)
Une version plus élaborée du modèle de Vroom a été proposée par Campbell et al. (1970).
Elle est visible sur la figure 2. Conceptuellement et théoriquement plus "élégant", ce modèle est
également plus "encombrant".
"Motivation" de l'individu
BT I BT II BT I BT II
Buts externes de la tâche
Buts internes de la tâche
Expectation II: probabilité perçue d'obtenir le 1er niveau
de résultat, si le but de la tâche est atteint
Ra Rb
1er niveau de résultats (récompenses),
chacun ayant une valence spécifique
2ème niveau de résultats (besoins),
chacun ayant une valence spécifique
Instrumentalité
R1 R2 R3
Expectation I: probabilité perçue d'atteindre un but, pour
un individu donné, dans une situation particulière
Figure 2: représentation schématique d'un modèle hybride expectation-valence de la motivation autravail, d'après Campbell et al. (1970)
Ces auteurs ont établi plus précisément la nature des buts de la tâche (BT) que les
individus essaient d'atteindre. Ils correspondent à des standards de production ou à des limites de
temps à respecter, etc. Nouveauté par rapport aux modèles précédents, les buts sont divisés en buts
externes de la tâche assignée à l'employé, et en buts internes que l'individu se fixe à lui même.
Nous reviendrons plus loin sur ces notions proches de celles de tâches prescrites et tâches
redéfinies. On peut constater également l'apparition de deux expectations. EI caractérise
l'expectation selon laquelle le comportement (i.e., l'effort ) de l'individu conduit à des buts de la
Fonctionnement de la motivation
-77-
tâche, et EII correspond à l'expectation d'atteindre, à partir du but, certaines récompenses (e.g., une
promotion, de la reconnaissance, etc.). L'instrumentalité représente ici le lien perçu entre l'atteinte
des récompenses de premier niveau et la satisfaction de besoins plus fondamentaux (sentiment
d'accomplissement, besoins matériels, etc.). On retrouve dans ce modèle, l'idée d'une organisation
hiérarchique des buts, dont nous avons parlé dans le chapitre précédent; chacun des buts de niveau
inférieur servant de moyen pour atteindre un finalité plus générale. Comme pour les autres
modèles VIE, chaque niveau de résultat présente une valence spécifique qui se combine avec les
différentes expectations pour prédire la motivation de l'individu.
2. LA MOTIVATION À L'ACCOMPLISSEMENT - UN MODÈLE DE FONCTIONNEMENT
Le modèle de la motivation que nous allons présenter s'efforce de faire le lien entre
différents champs théoriques, qui ont pris ce concept pour objet d'étude. Construit sur une
"architecture" appartenant au paradigme VIE, et en particulier au modèle d'Heckhausen (1977), il
intègre des données issues des théories de l'attribution causale (Heider, 1958; Kelley, 1967;
Weiner, 1974, 1985), et des théories socio-cognitives contemporaines (Bandura, 1977a, 1986;
Dweck, 1986; Dweck et Elliott, 1983; Harter, 1978, 1980; Maehr & Braskamp, 1986; Maehr &
Nicholls, 1980; Nicholls, 1984, 1989). Notre modèle met en évidence une série de variables et de
processus cognitifs et dynamiques, qui président au déclenchement et à l'interruption d'une
activité, au changement de direction, et qui règlent l'intensité de l'investissement. Dans un premier
temps nous décrirons les variables dynamiques, c'est-à-dire les valences, ou les conséquences que
les individus cherchent à atteindre à travers leurs actions. Dans un deuxième temps, nous
analyserons les processus cognitifs à l'origine des expectations. Autrement dit, toutes les
représentations et les comparaisons que l'individu peut effectuer avant de formuler des prévisions
d'efficacité, ou des croyances relatives aux conséquences possibles de ses actions; en bref, les
différentes variables cognitives qui interviennent entre les variables dynamiques et l'acte concret.
Au préalable, nous proposons d'illustrer ces notions par un exemple issu du domaine scolaire, qui
met en évidence les principales variables de notre modèle.
Fonctionnement de la motivation
-78-
Envisageons dans le cadre d’une séance d’éducation physique et sportive, une tâche dont
le but serait de courir en 20 minutes la plus grande distance possible, et un élève qui décide de
s’engager dans cette épreuve, soit parce qu'il a le sentiment de "ne pas avoir le choix", des
conséquences négatives comme les réprimandes du professeur ou l'administration d'une mauvaise
note étant attachées à un éventuel refus (Expectation résultat-conséquence: Erc), soit également,
parce que son habileté perçue dans l'activité lui donne confiance en ses capacités à réussir la tâche
(Expectation action-résultat: Ear). A la mi-course, des circonstances extérieures altèrent sa
confiance (Expectation action-résultat en fonction de la situation du moment: Ears); il accuse un
retard considérable sur ses camarades, retard rendu préoccupant par la présence d’observateurs et
le caractère compétitif de l’épreuve instauré par le professeur. De plus, la pluie se met à tomber. Il
peut alors décider d’arrêter et de prétexter qu’il est "inhumain" de courir sous la pluie, ou que
celle-ci rend la piste glissante donc dangereuse (Expectation situation-résultat indépendamment
des actions du sujet). Après avoir pesé ses chances de finir sa course plus ou moins bien classé
(Ear et Easr), et celles de convaincre son entourage du bien fondé de son arrêt, notre coureur
considérera simultanément les conséquences probablement liées aux deux résultats possibles (Erc
ou instrumentalité): l'arrêt ou la poursuite de la course. Si il continue à courir et qu’il prévoit de se
classer dans les derniers, il s’attend à faire la démonstration d’une faible habileté à la course,
vraisemblablement accompagnée de railleries de la part de ses camarades. De plus il anticipe des
douleurs physiques accrues du fait de la quantité d’effort à fournir pour terminer. Après
l’estimation de ces conséquences négatives associées au résultat "finir la course", l’élève peut
également anticiper des conséquences positives. Terminer la course et réaliser sa meilleure
performance du cycle après avoir fourni un effort maximal, peut être une source personnelle de
satisfaction et d'accomplissement . D’un autre côté, si il arrête de courir en prétextant les
intempéries, il échappe au mauvais classement fortement probable et à la honte qui lui est
attachée; en bref, il évite de manifester clairement son incompétence. De plus, il fait cesser
immédiatement la douleur physique qui ronge ses muscles. Parallèlement à l'évaluation des
conséquences positives liées au deuxième résultat: "arrêter la course", le sujet apprécie également
les conséquences négatives attachées à celui-ci. S'il s'arrête, il prend le risque de ne pas réussir à
Fonctionnement de la motivation
-79-
convaincre ses camarades et/ou le professeur; d’où la probabilité de moqueries encore plus
importantes et d’un blâme de l’enseignant pour un effort peu soutenu; le tout pouvant être assorti
d’une mauvaise note. L’élève basera sa décision finale de continuer à courir ou d’arrêter, à la fois
sur les conséquences positives et négatives de chaque résultat respectif et sur l’importance relative
de ces conséquences (valences). Son orientation motivationnelle (vers la maîtrise ou la
compétition) et les signaux à caractère compétitif du contexte, confèrent une valence plus ou
moins grande aux différentes conséquences possibles. Si l’étudiant est fortement animé par le
désir de montrer sa supériorité sur les autres (sujet Compétition), la perspective de terminer dans
les derniers n'est pas satisfaisante. Il est donc probable qu'il arrête de courir - et invoque la
responsabilité des événements extérieurs (la pluie, etc.) pour expliquer son acte - afin d'entretenir
le doute sur ses capacités réelles (et par là, protéger son estime de soi). Si l’élève valorise plutôt le
progrès et l’effort (sujet Maîtrise), l'interprétation de la situation est toute autre. Il est
probablement plus sensible aux conséquences positives liées à la réalisation de la course comme la
perspective d'améliorer son record personnel ou le sentiment d'avoir donné le meilleur de lui-
même. D’autres incitateurs externes peuvent également éveiller certaines tendances latentes, et
augmenter la valence positive ou négative de chaque résultat. Par exemple, les récompenses ou les
sanctions éventuelles (notes, prix, punitions...), mais aussi le souci de faire plaisir à l’enseignant
ou aux parents (approbation sociale). Outre les valences positives et négatives attachées à chaque
résultat, sa décision finale repose également sur l'amplitude des expectations (Ear et Easr) à
atteindre chacun d'eux.
Le processus motivationnel qui se traduit par cette décision finale dépend donc du "poids"
(certains parlent de "force") plus important que revêt un résultat quelconque parmi une série
d'alternatives perçues, du fait d'une part de sa valence (qui est fonction elle-même des
conséquences attendues du résultat et de la valence de ces conséquences) et des expectations du
sujet. Pour chaque décision finale, les expectations et les valences des résultats alternatifs sont
traitées comme des prémisses d'un "syllogisme psychologique" (Bolles, 1972), où la "prise de
décision" constitue la conclusion. Ceci objective la nature "rationnelle" de ce modèle cognitif.
Fonctionnement de la motivation
-80-
2.1. LA VALENCE DES PERFORMANCES OU LES DEUX NIVEAUX DE RÉSULTATS
La plupart des modèles VIE font la distinction entre les notions de résultat et de
conséquence, ou plus précisément la distinction entre deux niveaux de résultat. Nous avons
plusieurs fois souligné, l'importance de distinguer dans le comportement une dimension "de
surface", et une dimension plus fondamentale. La connaissance de ce niveau plus profond confère
une nouvelle dimension à la compréhension des comportements.
En agissant sur son environnement l’individu produit des "effets", ou des "résultats" qui
lorsqu’ils peuvent être évalués sont appelés "performance" (Famose, 1993a). Ces résultats de
premier niveau n'ont, en eux-mêmes, aucune valeur particulière. Cette valeur s'acquiert en fonction
des événements ou des conséquences (résultat de deuxième niveau) qu'ils apportent dans leur
sillage. Ce n’est que parce qu’il entraîne d’autres conséquences qu’un saut en longueur de huit
mètres ou un lancer de balle dans une cible acquiert une certaine importance. La valence d’un
résultat dépend donc des conséquences multiples (positives ou négatives) qui lui sont attenantes.
Si sauter huit mètres a été expérimenté par l’individu comme lui permettant d’atteindre certaines
conséquences désirables (sentiment de compétence, récompenses financières, etc.), alors cette
performance aura une certaine attirance. En d’autres termes, c’est parce qu’un individu est
convaincu d’obtenir une gratification ou une punition quelconque d’un certain résultat, que ce
dernier acquiert une certaine valence. Chaque personne ayant des besoins propres et une histoire
singulière il est vraisemblable que chaque conséquence présente, pour chacune d'elles, un pouvoir
incitatif (i.e., une valence) singulier. Ainsi, suivant les personnes, des valences différentes seront
associées à un même résultat objectif.
2.2. LES DIFFÉRENTS TYPES DE CONSÉQUENCES
Chaque résultat de premier niveau donne naissance à une variété de conséquences. Il
acquiert donc sa valeur à partir d'une variété de sources, dont certaines entrent en conflit. Dans le
domaine du sport, il y a quatre grands types de conséquences (tableau 1).
Fonctionnement de la motivation
-81-
Tableau 1Conséquences possibles liées à la pratique d'une activité sportive
CONSÉQUENCES
IMMÉDIATES DIFFÉRÉES perceptions de compétence
Sensationscorporelles
Maîtrise de la tâcheProgrès réaliséavoir donné sonmaximum
Supériorité sur lesautres
Approbationsocialeplaire aux autres,rendre les autresheureux
Récompensesextrinsèques:gagner un prix, unebonne note, del'argent
A- Les sensations corporelles.
Le premier type de conséquences provient directement de l'activité elle-même. La pratique
sportive produit des sensations (kinesthésique, labyrinthique, visuelle, etc.) qui ont une tonalité
plus ou moins agréable et qui sont plus ou moins recherchées suivant les individus. On pense bien
sûr aux activités de glisse ou de "vertige": ski, patin, deltaplane, surf, gymnastique acrobatique,
etc. ou celles à forte incertitude qui provoquent un désordre sensoriel, et un afflux massif de
sensations. Les anglo-saxons parlent de "fun" pour désigner ce type de conséquences.
B- Conséquences liées aux perceptions de compétence
A côté des effets directement attachés à l’action, il existe une catégorie de conséquences
liée aux perceptions de compétence. Nous l'avons largement développé dans le chapitre précédent,
elles sont de deux types: (1) le sentiment de maîtrise et de progrès qui fait référence à une
conception indifférenciée de l'habileté (Nicholls, 1989) et (2) le sentiment de supériorité sur les
autres qui fait référence à une conception plus différenciée de l'habileté. Le processus est le
suivant: après un acte moteur, le sujet prend connaissance grâce à une auto-évaluation et/ou une
évaluation apportée par les autres, de sa propre performance. Celle-ci est comparée à un standard
quelconque, indicateur de compétence. Si le sujet recherche la maîtrise, le standard est auto-
référencé, si au contraire, c'est la compétition qui est recherchée, le standard est normatif. En
fonction de cette comparaison, le sentiment d'avoir progressé et/ou d'avoir surpassé les autres
Fonctionnement de la motivation
-82-
confère une valence positive à l'acte. Dans le cas contraire, c'est une valence négative. Nous
développerons plus loin ces processus.
C- Conséquences liées à l'approbation sociale
On parle d'approbation sociale lorsque le résultat obtenu par l'individu suscite de la part
d'autrui significatif, des louanges, des satisfecit ou des blâmes. Cette approbation sociale est liée à
la manifestation "d'intentions vertueuses" (Maehr & Nicholls, 1980). Un élève particulièrement
sensible au désir de faire plaisir à ses parents, ou de plaire à son enseignant, est particulièrement
attentif aux jugements de valeurs prodigués par ces différentes personnes. Parmi les résultat
vertueux, une place toute spéciale est à accordée, dans le domaine scolaire, aux démonstrations
d'effort (Covington & Omelich, 1979a, 1979b); certainement parce que l'effort (contrairement à
l'habileté) est attaché principalement à la volition. Le sujet qui recherche l'approbation sociale
produira des niveaux élevés d'effort pour manifester ses intentions vertueuses. Outre l'effort, le
courage, l'honnêteté, etc. sont également des comportements valorisés socialement.
D. Les conséquences extrinsèques
Les récompenses ou les punitions tangibles telles que l’argent, les notes, les punitions,
etc., font partie des conséquences extrinsèques, car elles sont, par définition étrangères à la tâche.
Celle-ci n'est plus qu'un moyen pour atteindre autre chose. Des recherches ont montré qu'en
récompensant l’engagement d’un individu dans une tâche initialement intéressante pour lui, son
investissement à l’égard de cette tâche diminuait lorsque cessait la récompense (cf. Deci, 1980;
Durand, 1987). Il est néanmoins important de noter que certaines recherches n’ont pas trouvé cette
érosion de l’intérêt (Vallerand, 1983; Weinberg & Jackson, 1979). L’explication apportée mettait
en avant la valeur informative que peut comporter ce type de récompense sur les perceptions de
compétence de l’individu. Les conséquences extrinsèques du résultat sont très souvent les seuls
feed-backs que la personne reçoit à propos de son habileté; elles peuvent donc parfois servir les
conséquences liées à la compétence.
Fonctionnement de la motivation
-83-
Les différentes conséquences que nous venons d'énumérer (et qui ne sont probablement
pas exhaustives) peuvent "s'additionner", et majorer la valence d'un résultat, ou "entrer en conflit"
et la diminuer. Un sportif qui vient de battre son record personnel, peut percevoir à travers ce
résultat, outre les conséquences positives liées à la perception d'un progrès, l'occasion de se
montrer meilleur que les autres, de recueillir l'approbation de son entraîneur ou de ses supporters,
et éventuellement de recevoir l'argent d'un sponsor. Cette addition de conséquences confère une
valence très positive à ce résultat. D'un autre côté, un élève en difficulté dans la réalisation d'une
tâche peut anticiper - s'il augmente ses efforts - des conséquences positives liées à l'approbation
qu'il recueillera de la part de son enseignant, mais également des conséquences négatives liées au
risque de "grossir" encore plus son incompétence aux yeux de ses camarades, si il échoue à
nouveau (cf. infra). Comme le disent certains, l'effort est "une épée à double tranchant"
(Covington & Omelich, 1979a); le choix final de l'élève dépend de la conséquence qui présente le
plus d'importance à ses yeux.
2.3. DISTINCTION BUT DE LA TÂCHE, BUT PERSONNEL ET BUT MOTIVATIONNEL
Le but de la tâche correspond au standard de performance imposé par l'extérieur (par un
enseignant ou un entraîneur par exemple), nous reviendrons plus longtemps sur ce concept dans le
chapitre 4 - partie 3. En réponse à celui-ci, le sujet peut se fixer un but personnel de la tâche. Ce
dernier correspond en quelque sorte à l'image du niveau de performance futur qu'il désire
atteindre, c'est-à-dire l'image du premier niveau de résultat. C'est l'objet-but concret dans la
terminologie de Nuttin (1985), celui qui guide le comportement.
Le but motivationnel correspond au second niveau de résultat. On peut le définir comme
étant l'image anticipée des conséquences que le sujet s'efforce d'obtenir au moyen d'un résultat de
premier niveau. Forme d'expression (ou différenciation) de besoins qui leur sont plus
fondamentaux (compétence, estime de soi, etc.), ces buts motivationnels ont un pouvoir
dynamique et active une gamme importante de comportements. Cette distinction entre but
personnel et but motivationnel montre qu'il est nécessaire pour le sujet, d'effectuer une analyse
cognitive pour savoir lequel des buts de premier niveau (buts personnels) va permettre l'atteinte
Fonctionnement de la motivation
-84-
des buts de second niveau (buts motivationnels). Nuttin (1985) parle du "traitement cognitif du
besoin", pour caractériser ce passage d'une tendance latente (le besoin) à un acte concret (le but
personnel). Le choix d'un but personnel se fait en fonction de son "instrumentalité" pour atteindre
un (ou des) but(s) motivationnel(s) valorisé(s) par le sujet.
Pour résumer, lorsque le sujet poursuit un but motivationnel, il cherche à obtenir
activement une conséquence particulière positive, ou à éviter une conséquence négative. Les
hypothèses que nous émettrons dans la partie expérimentale reposent sur une description des
résultats de premier niveau que doivent poursuivre les sujets si ils veulent atteindre les
conséquences de second niveau (les buts motivationnels). Dans le cadre restreint de cette thèse,
nous envisagerons uniquement les conséquences liées à la perception (ou non) de la compétence;
c'est-à-dire les buts motivationnels de maîtrise et de compétition.
La tâche (but et contexte) imposée de l'extérieur par un enseignant ou un entraîneur peut
très bien être en décalage avec les buts motivationnels poursuivis par l'élève ou le sportif.
Autrement dit, il se peut que le sujet ne trouve pas dans la situation l'occasion de satisfaire un but
motivationnel qu'il recherche particulièrement; il éprouvera, dès lors, des réticences à l'adopter.
"Dans la mesure où le sujet n’assume pas ces tâches comme des buts qu’il s’assigne à lui-même
(i.e., des buts personnels), l’activité et son résultat lui resteront plus ou moins étrangers" (Nuttin,
1953). Quand le décalage entre la tâche imposée par l'enseignant et les buts motivationnels
poursuivis par le sujet est trop grand, il est possible que ce dernier redéfinisse et transforme ce qui
lui était prescrit. On parle dans ce cas de tâche redéfinie (Famose, 1990). Un élève qui poursuit un
but de compétition peut, par exemple, élever démesurément la difficulté de la situation de tir au
panier proposée, en augmentant la distance à la cible, ou en se plaçant dos à celle-ci. Ces
nouveaux standards que l'élève se fixe lui permettent - en minimisant l'incidence de l'échec
consécutif à un tir raté - de satisfaire sa volonté de démontrer sa supériorité, ou de ne pas révéler
ses lacunes. Il y a peu de chance qu'un élève préoccupé exclusivement par le désir d'apparaître
supérieur aux autres s'engage dans une tâche, qui comporte le risque de démontrer son
incompétence.
Fonctionnement de la motivation
-85-
En résumé, il se produit un "va et vient" entre une analyse des tâches prescrites en terme
de ce qu'elles permettent d'atteindre (qu'est-ce que je gagne à accomplir telle ou telle tâche ? Est-ce
vraiment important pour moi ?) et une opérationnalisation du but motivationnel qui se traduit par
un questionnement du type, que dois-je faire pour atteindre ce que je recherche ? Ce double
questionnement peut aboutir à l'établissement d'un but concret qui diffère de celui assigné
initialement.
2.4. REMARQUES SUR LE COÛT TEMPOREL D'UNE ANALYSE COGNITIVE DE LASITUATION: LE RÔLE DES AFFECTS.
Les modèles expectation-valence consistent, en quelque sorte, à considérer séparément les
différentes "options" possibles et, pour reprendre le jargon économique contemporain, à appliquer
à chacun d'eux une analyse de "rapport coût/bénéfice". Gardant à l'esprit, ce que les théoriciens de
la décision (Edwards, 1954, 1961) appellent l'"utilité subjective attendue" (subjectively expected
utility) - autrement dit, l'objectif que l'on veut maximiser - on déduit ce qu'il faut ou ne faut pas
faire. Nous avons longuement développé un exemple de ce type de calculs complexe au début de
ce chapitre. Cette conception du fonctionnement de l'être humain a été critiquée, d'une part pour
son côté trop "positif" (décisions rationnelles et fondées, individu qui agit en connaissance de
cause après avoir pesé le pour et le contre, etc.), et d'autre part pour le coût temporel que
représentent ces calculs sophistiqués. En effet, une analyse exhaustive de la situation apparaît peu
probable compte tenu des capacités limitées de traitement de l'information que présente l'être
humain. Si ces calculs si complexes étaient mis en oeuvre, les décisions rapides requises par la
plupart des situations de vie réelle ne pourraient être prises.
Pour répondre à ce problème il nous apparaît utile de rappeler ici (à la suite de Maehr,
1984) que l'individu peut très bien ne pas avoir forcément une conscience claire des buts
motivationnels qu'il poursuit. Il n'est pas nécessaire de supposer qu'il dépense une quantité
considérable de temps pour identifier les buts motivationnels et pour planifier la façon de les
atteindre. En fait, l'individu apparaît souvent non concerné par ses buts ou intentions; c'est-à-dire,
qu'il semble vivre d'un moment à l'autre, d'une situation à l'autre, sans penser aux conséquences de
Fonctionnement de la motivation
-86-
ses actions. Nous estimons néanmoins qu'il a une connaissance latente de ce qu'il espère et attend
d'une tâche spécifique et, qu'il est capable, par un questionnement approprié, de verbaliser ses
expectations.
D'autre part, ce modèle n'implique pas nécessairement que l'individu agit avec une
information complète ou qu'il peut discriminer toutes les alternatives possibles (Heckhausen,
1977).
Enfin, conformément à l'hypothèse des "marqueurs somatiques" (Damasio, 1995), nous
pensons que le système affectif de l'individu lui permet une analyse plus rapide de la situation en
lui fournissant un signal immédiat - sous forme d'émotion positive ou négative - sur les
conséquences éventuelles de ces actes. Comme le dit Nuttin (1985): "l'affect remplit lui-même
souvent, dans le comportement, une fonction d'information (et, donc, plus ou moins cognitive)
pour autant que l'affect est le guide primaire du comportement de l'individu dans un monde plein
de risques et de dangers" (p. 232). Fruit de l'expérience, cette information somatique pro-active
permet à l'individu de prendre rapidement une décision en faisant l'économie d'une analyse
exhaustive de la situation. Perception, affectivité, cognition et motivation en général s'imbriquent
plus intimement dans le fonctionnement du comportement que nos classifications et
cloisonnements abstraits semblent l'indiquer.
Nous venons de parler longuement de la valence des résultats. Néanmoins celle-ci, aussi
élevée soit elle, ne suffit pas à initier et à réguler les comportements. En effet, elle ne dit rien sur
le caractère plus ou moins atteignable des résultats. C'est pourquoi notre modèle accorde
également un rôle central aux expectations, dans le processus motivationnel. Il présuppose que les
individus font non seulement des estimations sur ce que leur apporte un résultat donné (et qui
confère à ce dernier sa valence), mais également sur leur capacité à atteindre ce résultat. Ces
activités cognitives infra-conscientes sont l'objet précisément de la partie suivante.
2.5. LES EXPECTATIONS
Confronté à une tâche, l’individu fait appel à son expérience pour anticiper les événements
probables à venir. Par une activité cognitive, plus ou moins consciente, il formule un certain
Fonctionnement de la motivation
-87-
nombre d’expectations. C’est à dire qu’il émet différentes prévisions, formule plusieurs attentes
ou espérances concernant l’évolution des choses indépendamment et/ou en fonction de son action.
Ces probabilités d’apparition, ce plus ou moins grand degré de certitude quant à l’occurrence des
événements représentent des variables déterminantes des comportements motivationnels. Nous
nous appuierons sur le modèle d'Heckhausen (1977) pour mettre en évidence différentes
expectations qui participent à la régulation d'une action. Cet auteur en décrit quatre qui
interviennent dans une séquence d'événements en quatre stades: situation-action-résultat-
conséquence. Le point central de ces expectations est le résultat (de premier niveau) anticipé
(figure 3).
SITUATION (S) ACTION (A) RESULTAT (R) CONSEQUENCES (C)
Expectations S --> R (ESR)
Expectations A - S --> R (EASR)
Expectations A --> R (EAR)
Expectations R --> C (ERC)
(Instrumentalité)
Figure 3. Quatre sortes d'expectations estimant différentes étapes d'une séquence d'événements (d'après Heckhausen, 1977)
2.5.1. EXPECTATION RÉSULTAT-CONSÉQUENCES (Erc)
La première expectation concerne l’espérance qu’un résultat quelconque conduise aux
conséquences désirées. Elle correspond au concept d'"instrumentalité" utilisé par d'autres théories
(cf. supra). Confronté à une tâche le sujet évalue l'opportunité qu'elle présente d'atteindre un but
motivationnel. S'il perçoit à travers elle, la possibilité d'atteindre ce qu'il recherche - et si ses
expectations d'efficacité lui permettent d'espérer réaliser la tâche - il y a de grandes chances que le
sujet soit motivé par celle-ci, et consacre du temps et de l'énergie pour la réaliser. Dans le cas
contraire il peut décider de ne pas s'y engager, ou de redéfinir la tâche. En d'autres termes, pour
atteindre un but motivationnel, le sujet fixe au préalable un standard personnel à partir duquel il
Fonctionnement de la motivation
-88-
pense manifester son habileté dans le sens désiré, à savoir: être meilleur que les autres, éviter
d'être inférieur ou au contraire progresser, repousser ses limites. Dans le cadre du sport et de
l'éducation physique, ce standard peut correspondre à une tâche d'un certain niveau de difficulté,
ou une zone de performance à atteindre. Préoccupé essentiellement par le désire de faire la
démonstration de sa supériorité sur ses pairs, un garçon de troisième peut, par exemple, situer la
zone de performance permettant de satisfaire ce désir aux alentours de quatre mètres soixante dix
en saut en longueur. "Sauter au delà de cette distance" devient son standard. Si la performance
réalisée est très nettement en dessous de cette performance de référence, le collégien peut soit
développer un effort important s’il est convaincu de pouvoir réaliser cette distance (Ear), soit
adopter un autre but motivationnel (par exemple "éviter de se montrer ridicule" qui est lui même
fortement attaché à un autre standard, par exemple une performance en dessous de laquelle le sujet
pense qu’un jugement négatif est probable). Les critères pris en compte pour l’établissement du
standard sont différents en fonction du but motivationnel poursuivi. Le sujet qui poursuit un but de
compétition prend pour référent la performance des autres, ou des indices normatifs situant le
"bon", le "moyen" et le "mauvais". Il s’agit pour lui de faire mieux que les autres, ou aussi bien
mais avec moins d’effort. Celui qui poursuit un but de maîtrise se sert de critères personnels;
améliorer "sa" performance devient son but. Ses propres espérances de réussite sur une tâche
constituent des indicateurs de valence anticipée. Plus ses chances de réussir sont hautes, plus la
valence est faible car le sujet ne perçoit pas d'opportunité de se sentir plus compétent. A l'inverse,
une diminution des chances de réussir (jusqu'à un certain seuil) augmente la valence du résultat,
car elle permet d'espérer un sentiment de progrès (compétence) accru(e).
2.5.2. EXPECTATION SITUATION-RÉSULTAT (Esr)
Cette expectation est relative à l'anticipation de l’évolution de la situation,
indépendamment des actions de l'individu. Le sujet peut être amené à se poser la question : "que
va-t-il se passer si je ne fais rien ?"; et à anticiper les conséquences de ce résultat. Il est, en effet,
des circonstances où le sujet estime que "ne pas agir" peut être un résultat de valeur. Un élève
particulièrement préoccupé par le souci de préserver son intégrité physique peut éprouver de fortes
Fonctionnement de la motivation
-89-
réticences à s’engager dans des situations perçues comme "dangereuses", par exemples, des
positions inhabituelles en gymnastique, des tâches d’affrontement au corps à corps, etc. L’inaction
peut être perçue comme le moyen le plus sûr de satisfaire cette préoccupation.
2.5.3. PROBABILITÉ SUBJECTIVE DE RÉUSSIR
Nous l'avons signalé dans le chapitre précédent, pour pouvoir parler de "motivation à
l'accomplissement", il faut que l'individu estime qu'il a (ou qu'il devrait avoir) une certaine prise
sur les événements. En d'autres termes, il doit attribuer le résultat à atteindre à ses propres
actions (habileté, efforts, stratégie, etc.). Si tel est le cas, et si le sujet estime qu'il est capable
d'atteindre le résultat, la valence de ce dernier est positive (plus ou moins suivant le but
motivationnel, et l'amplitude de l'expectation); par contraste, si il sent qu'il ne peut pas l'atteindre,
sa valence est négative. Parfois, nous le verrons, il existe des tâches perçues comme étant hors
d'atteinte, mais qui présentent pourtant une valence importante pour certains sujets, car l'échec sur
des tâches où la majorité échoue est moins aversif que l'échec sur des tâches où la plupart
réussissent; les premières signalant moins l'incompétence que les secondes. Sans nous étendre sur
le sujet, à côté des attributions qui surviennent a priori, on est tenté d'admettre avec Bernard
Weiner (1974, 1985), l'existence de cognitions a posteriori, issues de l'action et de son
interprétation en terme d'identification des causes du résultat obtenu, qui ont une importance
considérable dans la régulation de la motivation; nous aurons l'occasion d'y revenir.
Une fois convaincu de l'influence de ses actions sur le décours des événements à venir, le
sujet exprime son espoir ou la confiance en ses capacités à transformer la situation pour parvenir à
un résultat attendu. Cette expectation est double, car il émet tout d’abord des prévisions quant à la
probabilité que son action, en conditions habituelles, permette d’atteindre un standard de
performance (Ear); parallèlement la prise en compte de facteurs conjoncturels facilitants ou
gênants peut modifier ses chances d’atteindre le résultat (Easr). Combinées, ces deux prévisions
représentent la probabilité subjective de réussir, qui se traduit par une interrogation du type:
"quelles sont mes chances de réussir la tâche ou d'atteindre le but".
Fonctionnement de la motivation
-90-
Pour formuler cette expectation, le sujet met en rapport plusieurs perceptions: la difficulté
de la tâche (contraintes externes), son habileté générale (qui est un trait, c'est-à-dire une
caractéristique durable, cf. chapitre 2 - partie 2), la quantité d'effort à fournir, la stratégie à
posséder, et des données plus conjoncturelles (le matériel, les conditions climatiques, un public
hostile ou favorable, la forme physique, la santé, la peur, le stress, etc.).
A partir de cette représentation du fonctionnement de la motivation à l'accomplissement
que nous venons de développer, nous émettrons dans la partie expérimentale de cette thèse,
certaines hypothèses à éprouver. Celles-ci porteront sur des croyances et des comportements que
devraient actualiser les sujets en fonction d'une part, des conséquences qu'ils recherchent (i.e., les
buts motivationnels) et d'autre part, de deux expectations majeures: un trait (l'habileté perçue) et
un état (la probabilité de réussir). Les processus sous-jacents seront également précisés. Les
comportements de choix d'un niveau de difficulté, de persévérance face aux obstacles, d'effort
fourni, et la performance constitueront nos variables dépendantes. Avant d'aborder la partie
expérimentale de cette thèse, il nous est apparu nécessaire de présenter certaines précisions
théoriques sur nos deux variables indépendantes principales: les orientations à l'accomplissement
et l'habileté perçue. Ces précisions seront assorties d'une démarche de validation d'outils destinés à
les mesurer.
-91-
DEUXIÈME PARTIE
VALIDATION DES OUTILS DE MESURES DES VARIABLES PRINCIPALES
Mesurer les orientations à l’accomplissement
-92-
Chapitre 1
Les orientations à l'accomplissement en sport :
Mesure et précautions méthodologiques
Ce chapitre a pour objectif de valider un outil de mesure destiné à évaluer les orientations
à l'accomplissement en sport. Nous l'avons vu dans la partie précédente, la réussite ou
l'accomplissement n'est pas une réalité uniforme. Deux buts motivationnels existent dans les
situation d'accomplissement: un but de maîtrise et un but de compétition.
Nous parlons ici d'orientations pour "qualifier les différences individuelles qui existent
dans la prédisposition à rechercher tel ou tel type d'implication" Nicholls (1989, p. 95). Ce sont
donc des tendances ou des dispositions relativement endurantes une fois établies, à rechercher
certains types d'expériences (bien que toujours modifiables). Dans les termes de notre modèle, les
orientations à l'accomplissement des sujets constituent des variables "dynamiques" qui pré-
orientent l'individu vers une classe particulière d'objets19. Elles ont une incidence sur la manière
dont le sujet interprète différents aspects de son environnement, et vont marquer positivement ou
négativement la valence de la situation dans laquelle il se trouve, et en particulier la valence du
niveau de difficulté auquel il est confronté. Elles ont une influence sur les cognitions, les
19 Certains les désignent sous le terme de "motifs" (Atkinson, McClelland ou Heckhausen), d'autres commeNuttin (1985) parlent de "besoins" (cf. partie 1 - chapitre 2).
Mesurer les orientations à l’accomplissement
-93-
comportements et les émotions. Il est donc fondamental, pour le chercheur de pouvoir identifier de
façon fiable et commode la nature de l'orientation motivationnelle des sujets auxquels il
s'adresse20.
A ce jour, si différents questionnaires sont disponibles en langue anglaise21, aucun, à notre
connaissance, n'a été validé en langue française, pour la culture française. Comme Vallerand
(1989) le préconise, la constitution d’instruments psychométriques n’est recommandée qu'en
l'absence, dans la littérature internationale, d'outil fidèle et valide. La recherche souffre en effet,
d’une profusion d’instruments souvent similaires, qui appréhendent des concepts assez proches.
Lorsqu'un outil existe déjà dans une langue étrangère, sa validation transculturelle est vivement
conseillée. C’est la raison pour laquelle, nous avons (Durand, Cury , Sarrazin & Famose, sous
presse) - dans le cadre d’échanges internationaux - avec l'autorisation et l'aide des auteurs, traduit
et validé le "Perception of Success Questionnaire" (POSQ) de Roberts et Balague. Ce
questionnaire a été développé au cours des cinq dernières années pour mesurer, dans le contexte
sportif, les deux orientations à l’accomplissement de la théorie de Nicholls. Initialement constitué
de 48 questions (Balague & Roberts, 1989), l'outil a connu plusieurs modifications, évoluant vers
des versions à 29, 16, et enfin 12 items (Roberts & Balague, 1989, 1991). La version définitive
comporte deux sous-échelles de six items: Maîtrise et Compétition (annexe 1).
Traduire littéralement un instrument psychologique étranger, ne mène qu’à une chose: une
traduction; qui n’assure en rien la validité et la fidélité de l’instrument dans la culture française.
Pour cela, une méthodologie rigoureuse (et astreignante) est nécessaire. Vallerand (1989;
Vallerand & Halliwell, 1983) la décrit en 7 étapes: (1) mise au point d’une version préliminaire,
(2) évaluation et modification de la version préliminaire, (3) évaluation de la clarté des questions
par des membres de la population cible lors d’un prétest, (4) évaluation de la validité concomitante
20 Nous ne parlons pas pour le moment, de variations liées à la situation, qui bien sûr existent; ce point seradéveloppé à la fin de ce chapitre.21 Dans l’ordre d’apparition, on peut trouver l’ “Inventaire d’Orientation à l’Accomplissement”(Achievement Orientation Inventory) d’Ewing (1981; Pemberton, Petlichkoff, & Ewing, 1986), l’ “Inventaired’Orientation Compétitive” (Competitive Orientation Inventory) de Vealey (1986, 1988), le “Questionnaired’Orientation en Sport” (Sport Orientation Questionnaire) de Gill & Deeter (1988), le “Questionnaire dePerception du succès“ (Perception of Success Questionnaire) de Roberts & Balague (1989, 1991), et le“Questionnaire d’Orientation sur l’Ego et sur la Tâche en Sport” (Task and Ego Orientation in SportQuestionnaire) de Duda (1992; Duda & Nicholls, 1989).
Mesurer les orientations à l’accomplissement
-94-
du questionnaire, (5) évaluation de la fidélité test-retest et de la consistance interne de
l’instrument, (6) étude de la validité de "construit" du questionnaire, (7) établissement de normes.
Dans ces grandes lignes, la procédure de validation qui va suivre a respecté les étapes
préconisées par Vallerand. Au total 3 études ont été conduites22, avec des adolescents, car ils
constituent la population "cible" qui sera utilisée dans nos expériences ultérieures. Les études 1 et
2 ont porté sur l'évaluation de la validité concomitante par deux procédures différentes. L'étude 3 a
apprécié la fidélité (consistance interne et stabilité temporelle) et la validité de construit du
questionnaire.
1. VERSIONS PRÉLIMINAIRES
Selon l’avis de plusieurs chercheurs en psychologie transculturelle (e.g., Brislin, 1986;
Brislin, Lonner, & Thorndike, 1973), la technique de la traduction inversée (“back-translation”)
est la plus à même d’établir une bonne version préliminaire de l’instrument psychologique. Elle
permet de vérifier la justesse de la traduction en comparant cette dernière avec la version originale
de l’instrument; et offre par là, une garantie contre les biais d’une traduction effectuée par un
chercheur seul. Nous avons donc, en premier lieu, fait traduire la version originale par deux
chercheurs en psychologie du sport bilingues. Cette première phase a abouti à la constitution de
deux versions françaises. Dans un deuxième temps, ces traductions ont été soumises à deux
experts bilingues, qui les ont retraduites en anglais. Il s'agissait de deux professeurs d'anglais âgés
de 50 et 52 ans ayant vécu respectivement 10 et 15 ans aux États-Unis, qui n'avaient pas eu
connaissance au préalable de la version anglaise du questionnaire. L’adéquation entre la version
retraduite et la version originale était un signe de qualité des transcriptions intermédiaires.
2. ÉVALUATION DES VERSIONS PRÉLIMINAIRES
Cette seconde phase d’évaluation a eu pour but d’étudier la valeur des versions
préliminaires, de manière à construire une seule version française expérimentale de l’instrument.
L’évaluation a été réalisée par un comité constitué de quatre chercheurs en psychologie du sport,
22 Publiées dans Durand, Cury, Sarrazin, et Famose (sous presse).
Mesurer les orientations à l’accomplissement
-95-
et des quatre personnes bilingues qui ont effectué la phase préalable. Les critères étaient (a)
conformité à l'esprit du questionnaire initial et à la théorie des buts d'accomplissement, (b)
conformité à la lettre aux items du questionnaire en langue anglaise, (c) clarté de la langue
française. Les items pour lesquels la traduction inversée correspondait aux items originaux (7
items sur 12) ont été conservés tels quels. Les cinq autres ont été quelques peu remaniés pour être
plus facilement compréhensibles.
3. ÉVALUATION DE LA CLARTÉ DES ITEMS
Beaucoup de recherches ont démontré une discordance entre la perception de
l’expérimentateur et celle du sujet (McAuley & Gross, 1983; Russel, 1982). Il est donc important
de vérifier la manière dont les membres de la population cible perçoivent l’instrument. Cette étape
de vérification se fait dans le cadre d’un prétest de la version expérimentale. Elle a pour but de
déterminer si les items sont clairs, et rédigés sans ambiguïté. Nous avons pour cela, demandé à
vingt sujets aléatoirement choisis dans la population cible (des collégiens et des lycéens), de
répondre individuellement à une version préliminaire du questionnaire23. Ils devaient également
expliciter au cours d’un entretien avec un expérimentateur, chacune de leurs réponses, ainsi que
leur interprétation des items en répondant aux questions: "comment comprenez vous cet item ?" et
"à quoi vous fait-il penser ?" Cette procédure a permis de révéler le caractère ambigu de certaines
notions. Ainsi, le sens du mot "goal” dans les phrases “I reach a goal” ou “I reach personal
goals” - traduit par “J’atteins un but (personnel)” - semble assez problématique. Dans la culture
française, ce terme est moins usité qu’aux États-Unis, et semble désigner autant un résultat
normatif (une note, un classement, etc.) qu’un résultat lié à la maîtrise de quelque chose (d’un
mouvement, d’une technique, etc.). Dans le cadre du questionnaire de Roberts & Balague, les deux
items étant censés saturer sur la sous-échelle "maîtrise"; nous les avons reformulés de manière à ce
qu’ils soient conformes à la signification attendue (items 2 et 10, annexe 2). Ces trois premières
étapes ont mené à la constitution du "Questionnaire de Perception du Succès en Sport" (QPSS),
dont il fallait s'assurer de la validité.
23 Certains parlent de méthode du sondage aléatoire, ou “random-probe technique” (Schuman, 1966)
Mesurer les orientations à l’accomplissement
-96-
4. ÉVALUATION DE LA VALIDITÉ CONCOMITANTE
La notion de validité fait référence à l’obligation, pour le test en question, de mesurer
effectivement ce qu’il est censé mesurer. La validité concomitante (concurrent validity) est
démontrée empiriquement lorsqu’un test est fortement corrélé avec un critère mesurant le(s)
même(s) concept(s) (Allen & Yen, 1979).
4.1. ÉTUDE 1: CONGRUENCE ENTRE DES AUTO-PERCEPTIONS ET DES ÉVALUATIONS EXTERNES
Nous avons dans une première étude analysé la validité concomitante du QPSS en étudiant
les convergences entre les orientations à l’accomplissement rapportées par des adolescents et leurs
comportements évalués par leurs enseignants d'éducation physique.
MÉTHODE
Sujets
Les sujets étaient 206 garçons et 247 filles, âgés en moyenne de 13.5 (ET = 1.1),
scolarisés dans un collège de la banlieue parisienne. Ces adolescents provenaient en majorité de
familles de cadres et de professions libérales, et pratiquaient un sport de façon régulière. Leurs
enseignants d'éducation physique (N = 8) étaient âgés en moyenne de 36.8 ans (ET = 4.2).
Procédure
Les élèves ont été invités à compléter le QPSS, de façon collective, au cours du deuxième
trimestre de l’année scolaire. Parallèlement, il a été demandé aux enseignants d'évaluer
l'orientation motivationnelle de chaque élève sur un Item Maîtrise et un Item Compétition, à l'aide
d'échelles de Likert en 5 points allant de (1) "presque jamais orienté vers ..." à (5) "presque
toujours orienté vers...". Les deux orientations étaient décrites oralement aux enseignants puis
présentées en termes comportementaux dans un tableau qu'ils avaient sous les yeux pendant la
passation (tableau 1). Il leur était rappelé que ces deux dimensions n’étaient ni exclusives, ni
Mesurer les orientations à l’accomplissement
-97-
exhaustives et qu'un élève pouvait être estimé à un haut niveau ou à un bas niveau simultanément
sur les deux items.
Les réponses apportées par les élèves étaient anonymes, mais l'indication de l'âge et du
sexe sur les questionnaires a rendu possible la comparaison des réponses des élèves et des
enseignants.
Tableau 1Caractérisation des élèves au regard des dimensions “maîtrise” et “compétition”
Un élève orienté vers la “maîtrise”:
- cherche à apprendre, à progresser, à maîtriser
les situations (surtout les inédites)
- il fait pour cela des efforts, et des répétitions
- il est centré sur le processus d’apprentissage, donc
attentif aux consignes de l’enseignant. Il pose des
questions et demande de l’aide.
- il peut se poser des défis de maîtrise (améliorer son
temps personnel, maîtriser une voie en escalade qui
lui pose des problèmes, etc.), et en tire une grande
satisfaction quand il les atteint.
Un élève orienté vers la “compétition”:
- cherche à montrer qu’il est meilleur que les autres,
et à éviter de montrer qu’il est moins bon qu’eux.
- il fait des efforts uniquement s’il estime que la
situation lui permettra d’atteindre ce but. Il
recherchera donc celles qui mettent en évidence ses
qualités et arrêtera très vite une situation qui tourne
à son désavantage.
- il est centré sur la comparaison avec les autres: une
meilleure performance, une meilleure note
(“combien t’as fait”, “combien t’as eu”), et introduit
la compétition même si elle n’a pas lieu d’être.
- il refuse parfois l’aide du maître, synonyme
d’incapacité (“oui, je sais, je sais”).
RÉSULTATS ET DISCUSSION
Les coefficients de corrélation entre les estimations des enseignants et les orientations
rapportées par les élèves (moyennes des items de chaque sous-échelle du questionnaire) sont
visibles dans le tableau 2. Des corrélations moyennes et significatives existent entre les
orientations des élèves et les comportements qu’ils actualisent, évalués par leurs enseignants.
Selon nous, ces corrélations sont moyennes pour des raisons méthodologiques et théoriques. Au
Mesurer les orientations à l’accomplissement
-98-
niveau méthodologique tout d’abord, des imprécisions dans les estimations des enseignants sont
probables. En effet, ces derniers ont avoué avoir eu des difficultés pour caractériser l’ensemble des
élèves sur les deux orientations, compte tenu de l’effectif (une trentaine d’élèves par classe) et des
2 ou 3 heures par semaine dont ils disposaient. Au niveau théorique ensuite, malgré l’affirmation
de l’existence d’un trait ou d’une orientation relativement stable, Nicholls (1989) a maintes fois
souligné le rôle du contexte dans l’adoption d’un but particulier. La difficulté des enseignants à
caractériser leurs élèves est donc d’autant plus grande que les comportements peuvent évoluer en
fonction des jours et des activités.
Tableau 2Corrélations de Bravais-Pearson entre les orientations à l’accomplissement perçues par les élèves et leurs comportements évalués par les enseignants
2. 3. 4.Orientations des élèves
1. Maîtrise
2. Compétition
.01 .39*
.01
-.04
.49*Évaluations des enseignants
3. Maîtrise
4. Compétition
.06
Note : * p < .0001
Enfin, il faut souligner le caractère subjectif des appréciations réalisées par les élèves. Un
décalage entre ce qu’ils pensent des moments où ils se sentent en réussite en sport (leur(s)
conception(s) de la réussite) et les comportements qu’ils actualisent, est probable - comme dans
toutes perceptions. D’autant plus, comme ces le cas ici, quand les interrogations mettent
“[...]en évidence la conception socialement désirable de la réussite. Cela n’implique pas pour autantque les comportements de la plupart des gens soient dirigés, dans une large mesure, par cetteconception de la réussite”. Maehr et Nicholls (1980, p. 234; souligné par nos soins).
Cette population a donc pu, plus ou moins consciemment, valoriser les réponses des items liés à
l’orientation vers la maîtrise, car les notions d'effort et de progrès qu'elle véhicule, sont très
"appréciées" par l'institution scolaire (Covington & Omelich, 1979a, 1979b; Weiner, 1972). Ceci
Mesurer les orientations à l’accomplissement
-99-
peut expliquer la corrélation moins importante témoignée au niveau de l’orientation vers la
maîtrise. Un décalage - plus important que pour l’autre orientation - a du survenir entre les
réponses des élèves et leurs comportements évalués par les enseignants. En d’autres termes, ces
derniers doivent certainement évaluer leurs élèves comme moins orientés vers la maîtrise que
ceux-ci ne le disent (nous reviendrons sur ce problème à la fin de ce chapitre).
Compte tenu de l’effectif très important de cette étude, et de ce qui vient d’être dit, ces
résultats peuvent être interprétés comme le signe d'une bonne validité concomitante du QPSS.
4.2. ÉTUDE 2: CONGRUENCE DES VERSIONS ANGLAISE ET FRANçAISE DUQUESTIONNAIRE
Si plusieurs instruments destinés à mesurer les orientation à l’accomplissement en sport
existent en langue anglaise, nous l'avons dit, il n'en existe point de validés en français. Il n'est donc
pas possible d’éprouver la validité concomitante du QPSS, en le corrélant avec d'autres outils
similaires.
Une autre manière d'attester à la fois, de la validité concomitante et de contenu de la
version traduite d'un questionnaire étranger consiste à démontrer empiriquement la présence de
congruences élevées (voire l’absence de différences) entre la version originale et la version
traduite (Spielberger & Sharma, 1976). Il est nécessaire, dans une telle optique, d’avoir recours à
des sujets bilingues; ce qui fut fait dans l’étude suivante.
MÉTHODE
Sujets
Huit femmes et sept hommes âgés en moyenne de 44.5 ans (ET = 6.8), pratiquant
régulièrement un sport, et parfaitement bilingues ont été volontaires pour participer à cette étude.
Mesurer les orientations à l’accomplissement
-100-
Il s'agissait de 12 professeurs d'anglais de collèges et lycées de nationalité française et de trois
assistants d'anglais, de nationalité anglaise et enseignant dans des lycées en France.
Procédure
Les sujets ont reçu pour consigne de compléter successivement les versions anglaise et
française du questionnaire à dix minutes d’intervalle. L’ordre de présentation des items était
contrebalancé dans les deux variantes. Il était spécifié de ne pas chercher à établir d’équivalence
entre les items, ni à comparer les réponses apportées d’une version à une autre.
RÉSULTATS ET DISCUSSION
Les coefficients de corrélation pour les deux sous-échelles totales sont r = .93 pour la
sous-échelle Maîtrise, et r = .91 pour la sous-échelle Compétition. Les coefficients de corrélation
pour chaque item varient de .54 à .90, et sont tous significatifs au seuil p <.01. Les comparaisons
des scores à chaque item, et sous-échelle, à l'aide de test-t sur séries appariées (Triandis & Davis;
1965) ne révèlent aucune différence significative au seuil p = .10.
Ces résultats peuvent être interprétés comme le signe d'une bonne validité concomitante et
de contenu du QPSS.
Néanmoins, si les résultats exposés ci-dessus nous confortent quant au "contenu" de
l'outil, ils ne nous renseignent pas sur les caractéristiques psychométriques de la version française
elle-même. Seules les étapes suivantes permettent de le faire.
5. ÉTUDE 3: FIDÉLITÉ ET VALIDITÉ DE CONSTRUIT
La fidélité d’un test psychométrique concerne la précision de l’instrument quelque soit
l'objet mesuré (Nunnaly, 1970). Un test fidèle appréhende toujours le construit psychologique de
la même façon; il est fiable. Plusieurs indices de fidélité sont utilisés dans la littérature
scientifique, mais les recherches récentes sur la validation de questionnaires psychologiques
Mesurer les orientations à l’accomplissement
-101-
préconisent l’utilisation de deux types d’indices: la consistance interne ou l’homogénéité, et la
stabilité temporelle. Lorsque le test psychologique est mesuré sur une échelle continue24, l’analyse
des coefficients alpha de Cronbach (1951) est recommandée. Une telle analyse permet d’évaluer
jusqu'à quel degré les items sont homogènes, tout en tenant compte de leur nombre dans le test en
question. La deuxième mesure de fidélité porte sur les propriétés de stabilité temporelle de
l’instrument. Cette statistique ne s’applique, bien évidemment, qu’aux instruments qui sont censés
mesurer des construits relativement stables dans le temps.
L’évaluation de la validité de “construit” (construct validity) consiste à vérifier si l'outil
mesure bien le construit tel qu’il a été défini dans le cadre théorique. Cette évaluation a une grande
importance, car il est possible qu’un questionnaire possède une validité concomitante et de
contenu sans pour autant manifester une validité de construit25. Il est donc important de démontrer
que la théorie qui sous-tend l’instrument psychologique - dans le cas présent, l’existence de deux
orientations à l’accomplissement - est valide dans la culture "d'accueil". Compte tenu des
influences culturelles plusieurs fois démontrées (Duda, 1980, 1981, 1983, 1986a, 1986b; Duda &
Allison, 1982; Maehr & Nicholls, 1980) on peut s'interroger sur la pertinence de l’outil et de la
théorie sous-jacente à ce dernier, pour la culture française. L’évaluation de la validité de construit
d’un questionnaire psychologique peut se faire à trois niveaux, (1) au niveau de la structure de
construit elle-même, (2) au niveau des relations entre les différents construits inhérents à la
structure théorique, et enfin (3) au niveau des conséquences du ou des construits.
* Structure du Construit Psychologique
Au premier niveau d’analyse, l’évaluation de la validité de construit d’un questionnaire
psychologique consiste à démontrer que ce dernier est bel et bien formulé selon la théorie qui le
sous-tend. L’utilisation de l’analyse factorielle s’avère fort pertinente pour cette fin. En effet, dans
la mesure où ce type d’analyse permet d’étudier les regroupements entre les items, il devient
possible de vérifier si les résultats démontrent bel et bien la présence de deux facteurs
correspondant aux types d’orientations proposés par la théorie. Certains auteurs substituent
24 Une échelle de type Likert, comme c’est généralement le cas de la plupart des échelles contemporaines.25 L'inverse est également possible, d'où la nécessité d'appréhender la validité de manière exhaustive.
Mesurer les orientations à l’accomplissement
-102-
d’ailleurs la notion de "validité factorielle" à celle de validité de construit (Allen et Yen, 1979).
Deux grandes classes d’analyses factorielles sont utilisables: les analyses factorielles exploratoire
et confirmatoire. Les chercheurs utilisant l’analyse factorielle exploratoire adoptent une démarche
inductive, en essayant de reproduire la structure originale. A l’étude des faits, ils constatent le
nombre de facteurs obtenus ainsi que les saturations des items sur les différents facteurs. Si ceux-
ci correspondent aux résultats originaux, un soutien est apporté à la dimension structurelle de la
validité de construit de l’instrument. Si les résultats ne coïncident pas avec les résultats de la
version originale, il est nécessaire de reformuler (ou supprimer) les items problématiques.
L’utilisation de l’analyse factorielle confirmatoire permet de vérifier si la version traduite
correspond au modèle original. Son principe repose sur les modèles structuraux en psychologie:
"... un modèle structural consiste en une formalisation mathématique traduisant un certain nombre
d’hypothèses relatives aux éléments essentiels d’un phénomène et aux lois qui le régissent. Il
permet de déduire les conséquences logiques de ces hypothèses et de les confronter aux résultats
de l’expérience" (Bacher, 1987, p. 349). Cette méthode de validation s’appuie sur un raisonnement
hypothético-déductif: la démarche consiste à construire un modèle et à formuler des hypothèses
quant à l’effet de variables sur certaines autres (Bacher, 1987). Il s’agit ensuite de traduire ce
modèle conceptuel en modèle mathématique par l’intermédiaire d’équations structurales qui
quantifient le poids respectif des différents paramètres. Le logiciel LISREL 8 (Jöreskog & Sörbom,
1993) permet le traitement du modèle proposé en le confrontant à la réalité des données obtenues.
Divers indices d’adéquation sont alors proposés supportant ou infirmant la structure postulée. Les
deux types d’analyses factorielles ne nous paraissent pas entrer en concurrence; elles semblent
plutôt complémentaires. La première est plutôt de nature descriptive et inductive. Elle reconnaît
une structure latente (des facteurs) dans les variables observées, ce qui est intéressant pour des
études de nature exploratoire ou aucune hypothèse précise n’est formulée. Elle laisse également au
chercheur la possibilité de tendre vers la structure recherchée (quand il y a des hypothèses
explicites), par réajustement successifs (suppression d’items, ou reformulation de ceux-ci). Elle
pose néanmoins des problèmes statistiques, comme la détermination du nombre de facteurs à
extraire (à quel niveau arrête-t-on l’extraction?). L’analyse confirmatoire ne se pose pas ce type de
Mesurer les orientations à l’accomplissement
-103-
questions; elle est plus "exigeante". En confrontant la structure factorielle du modèle à l’épreuve
des faits elle confirme ou non la validité de ce dernier.
* Relations entre les différents construits inhérents au modèle théorique
Outre le fait de constater un regroupement des items conformément à la théorie, il est également
important de démontrer que les variables latentes sont reliées entre elles d’une façon attendue.
Dans ce cas, un soutien additionnel est apporté à la composante structurelle de la validité de
construit de l’instrument.
* Effets ou corrélats du construit psychologique
Le troisième niveau d’analyse de la validité de construit d’un instrument porte sur les
conséquences ou corrélats du construit psychologique. Il s’agit d’évaluer si l’instrument servant à
mesurer le construit psychologique produit des effets conformes aux hypothèses issues de la
théorie . On parle alors de validité "prédictive" (Predictive validity) .
MÉTHODE
Sujets
Cent filles et 100 garçons, âgés en moyenne de 14.33 (ET = 1.14), scolarisés dans une cité
scolaire de la banlieue parisienne, et ayant une pratique sportive régulière, se sont portés
volontaires pour réaliser cette étude. Au niveau socioprofessionnel, cet échantillon se caractérisait
par une sur-représentation des enfants de cadres et professions libérales et une sous-représentation
des enfants d’ouvriers et employés.
Procédure
Le questionnaire a été administré à deux reprises (test et retest) au cours de séances
collectives séparées d'un mois. Les réponses étaient anonymes mais les indication du sexe et de la
date de naissance des sujets ont permis de comparer les réponses au cours des deux passations.
Mesurer les orientations à l’accomplissement
-104-
RÉSULTATS ET DISCUSSION
Analyse factorielle exploratoire
Nous avons pris comme norme d’extraction des facteurs, la règle de "la limite la plus
basse" de Guttman (1954): le nombre de facteurs à extraire dans l’analyse en composante
principale devait être équivalent au nombre de valeurs propres supérieures à 1. De plus, chaque
facteur devait rendre compte d’au moins 5% de la variance expliquée. Enfin, un item ne devait
corréler que sur un facteur, avec un poids minimum de .40 pour être retenu. Les deux modes de
rotations Varimax et Oblimin ayant donné des résultats similaires, seules les rotations Oblimin
sont présentées.
Comme on peut le voir sur le tableau 3, les 12 items se sont répartis sur les deux facteurs
attendus. Ils expliquent l’essentiel de la variance (58%).
Tableau 3Résultats de l’analyse factorielle du QPSS (rotations Oblimin)
Items:J’éprouve un fort sentiment de réussite quand...
Facteur 1: orientation
vers lacompétition
Facteur 2:orientation
vers lamaîtrise
... je bats les autres
... je suis le plus fort
... je gagne
... je suis le meilleur de tous
... je montre que je suis meilleur que les autres
... je domine mes adversaires
... j’arrive pour la première fois à faire une technique ou un mouvement qui était difficile pour moi... je m’améliore... je surmonte mes difficultés... je progresse après avoir fait de gros efforts... j’arrive à faire la technique ou le mouvement que je m’étais promis de réussir... j’utilise au mieux mes possibilités
Valeur propre % de la variance Corrélation entre les facteurs Facteur 1
.83 .85 .72 .86 .76 .82
.05 -.07 -.03 -.13
.18 -.10
4.0234%
-
.01 -.05 .12 -.03 -.22 .001
.71 .72 .65 .72
.68 .65
2.8824%
-.08
Mesurer les orientations à l’accomplissement
-105-
Analyse factorielle confirmatoire
L'analyse confirmatoire a été réalisée à l'aide du programme LISREL 8 (Jöreskog &
Sörbom, 1993) et selon le modèle théorique présenté dans la figure 1. Pour réaliser celle-ci, nous
avons adopté les conventions d’usage qui sont d’encadrer les variables observées (dans le cas
présent, il s’agit des réponses aux items), et d’encercler les variables latentes (les facteurs
attendus). Afin d'évaluer la validité du modèle, le logiciel propose une série d’indices
d’adéquation. La valeur du χ2 représente un indicateur du niveau de correspondance entre une
structure factorielle proposée et les données collectées (ici une matrice de corrélations de Bravais-
Pearson). χ2 peut, en principe, être utilisé comme épreuve de signification avec, pour degrés de
liberté k (k + 1) - t , ou k est le nombre de variables observées et t le nombre de paramètres estimés
(Bacher, 1989). Lorsque le χ2 est non significatif, l’hypothèse nulle peut être retenue. Néanmoins,
il est important de noter qu’un χ2 significatif n’indique pas forcement une absence d’adéquation.
En effet, cette valeur est très sensible aux nombre de variables observées, et au nombre de sujets.
Plus l’effectif est important, moins l’indice a de chance d’accepter l’hypothèse nulle. Pour cette
raison, Jöreskog (1969) suggère d’utiliser le ratio entre le χ2 est le degré de liberté comme moyen
d’évaluer l’ajustement des données. Un ratio plus bas que 2 est généralement acceptable. D’autres
indices - moins sensibles au nombre de sujets - existent également. Le GFI (goodness of fit index)
indique la proportion de variances et de covariances dont rend compte le modèle; l’AGFI
(adjusted goodness of fit index) ajuste le GFI aux degrés de liberté. Tous deux sont normés, et
varient entre 0 et 1. L’ajustement est d’autant meilleur qu’ils sont proches de 1. Malheureusement,
il n’existe pas de distribution statistique de ces valeurs; on ne peut donc pas connaître leur
significativité. Néanmoins des règles empiriques avancent que l’ajustement est satisfaisant si les
valeurs sont proches de .90. Enfin, le RMR (root mean square residual) est une mesure de la
moyenne des variances et covariances résiduelles. Il est donc préférable qu’il soit faible. Là aussi,
les normes sont empiriques; une valeur comprise entre .05 et .1 est correcte selon Rupp & Segal
(1989).
Mesurer les orientations à l’accomplissement
-106-
Les premiers résultats montrèrent une adéquation imparfaite entre le modèle factoriel
initial et les données recueillies: χ2 (53) = 99.45, ddl = 53, p <.0001, GFI = 0.92, AGFI = 0.89,
Ratio χ2 /ddl = 1.9, RMR =0.07.
Figure 1. Modèle théorique du questionnaire d’orientation à l’accomplissement. Les variables δreprésentent l’erreur de mesure de chaque item. Les variables x constituent les variables observées (scoresaux items), les variables ξ sont les variables latentes (sous-échelles). Les flèches traduisent les hypothèsesliant les différentes variables. Les λ symbolisent les relations entre les variables manifestes exogènes (lesscores) et les facteurs, les φ la corrélation entre les facteurs.
Mesurer les orientations à l’accomplissement
-107-
Les indices de modification du logiciel, ont suggéré d’ajouter des corrélations entre les variances
résiduelles de deux paires d'items de la même sous-échelle (Newcomb & Bentler, 1987), C5 (je
suis le plus fort) et C3 (je gagne), et C.7 (je suis le meilleur de tous) et C.3. Avec ces
modifications, le modèle présente un ajustement satisfaisant aux données: χ2 (51) = 78.69, ddl =
51, p = .01, GFI = 0.94, AGFI = 0.91, Ratio χ2 /ddl = 1.54, RMR = 0.06), et confirme la validité
de construit du QPSS. Le tableau 4 présente les saturations standardisées (les λ) de l’analyse
confirmatoire. Comme on peut le remarquer, les valeurs de ces saturations sont relativement
élevées (elles varient entre .55 et .83).
Corrélations entre les sous-échelles du QPSS
Les résultats précédents ont démontré le regroupement des items sur les facteurs,
conformément à la théorie. Parallèlement, il est important d’étudier les relations entre ces
facteurs. En effet, des liaisons en accord avec le modèle théorique apportent un soutien additionnel
à la composante structurelle de la validité de construit.
Tableau 4Résultats de l’analyse factorielle confirmatoire du QPSS avec LISREL 8
Items:J’éprouve un fort sentiment de réussite quand...
Orientationvers la
compétition
Orientationvers la
maîtrise
... je bats les autres
... je suis le plus fort
... je gagne
... je suis le meilleur de tous
... je montre que je suis meilleur que les autres
... je domine mes adversaires
... j’arrive pour la première fois à faire une technique ou un mouvement qui était difficile pour moi... je m’améliore... je surmonte mes difficultés... je progresse après avoir fait de gros efforts... j’arrive à faire la technique ou le mouvement que je m’étais promis de réussir... j’utilise au mieux mes possibilités
Corrélation entre les facteurs Facteur 1
.80 a
.83 .68 .80 .70 .77
0000
00
0 b
00000
.62 .67 .55 .66
.59 .58
-.07
Notes: a = Solutions standardisées à partir d'une matrice de corrélations de Pearson: n = 200. b = fixé
Mesurer les orientations à l’accomplissement
-108-
Les relations qui unissent les deux orientations motivationnelles suscitent toujours un
débat d’écoles. En effet, Dweck et ses collègues (Dweck, 1986; Dweck et Elliot, 1983; Dweck et
Legett, 1988), ou d'autres (Ames & Archer, 1987; Vealey, 1986) utilisent une échelle bipolaire
pour les évaluer. Ils admettent donc plus ou moins explicitement l'existence d'une relation
dichotomique (ou une forte corrélation négative) entre ces deux orientations, alors que Nicholls
(Nicholls, 1984, 1989; Nicholls et al., 1986) argue en faveur d’une relation orthogonale (ou
indépendante). Compte tenu du cadre théorique et de la méthodologie adoptés, nous nous
attendions davantage à corroborer les hypothèses.
Deux types de corrélations ont été calculées entre les sous-échelles du QPSS: les valeurs
issues des analyses factorielles exploratoire et confirmatoire, et la corrélation de Bravais-Pearson.
Les premières représentent des indices d’associations entre les facteurs latents issus de l’analyse
factorielle, en contrôlant l’erreur de mesure des énoncés ainsi que de l'autre facteur (Bentler,
1980). Ces corrélations sont respectivement r = -.08, pour l’analyse exploratoire, r = -.07 pour
l’analyse confirmatoire, et r = -.06 (p >.05) pour la corrélation de Bravais-Pearson entre les
moyennes des scores aux deux sous-échelles. Ces trois indices sont très similaires et témoignent
d’une relative orthogonalité entre les deux orientations, conformément à la présomption de
Nicholls (1989). Ils sont conforment aux données antérieures trouvées dans le domaine du sport
(Duda & Nicholls, 1992, Duda , Fox, Biddle, & Armstrong, 1992; Roberts & Balague, 1989, 1991;
Treasure & Roberts, 1994) et apportent donc un soutien supplétif à la validité de construit du
QPSS.
Consistance interne des sous-échelles, et stabilité temporelle
La consistance interne est, le plus souvent, éprouvée par le coefficients alpha de Cronbach
(1951). Cet indice peut varier entre 0 et 1.00, l’homogénéité étant jugée d’autant plus satisfaisante
que les pointages sont élevés. Il est à noter, toutefois, qu’un score trop élevé (supérieur à .90, par
exemple) peut traduire une certaine redondance dans les items et laisser supposer qu’ils mesurent
un aspect très (trop) restreint du concept visé (McIver & Carmines, 1981). Des valeurs situées
Mesurer les orientations à l’accomplissement
-109-
entre .70 et .90 sont donc généralement préférables (Nunnaly, 1978). Les résultats témoignent
d'une bonne consistance interne (tableau 5).
Tableau 5Coefficients alpha de Cronbach et corrélations test-retest pour les deux sous-échelles
Sous-échelles: alpha au test alpha au re-test Corrélations test-retest
Maîtrise .78 .75 .60
Compétition .89 .88 .67
Les coefficients de corrélations test-retest sont supérieurs ou égaux à .60. Compte tenu du
délais d’un mois qui sépare les deux passations, ces valeurs sont satisfaisantes et confirment la
fidélité de l’instrument comme la stabilité des orientations à l’accomplissement.
Influences du construit psychologique: l’effet sexe
Le troisième niveau d’analyse de la validité de construit d’un instrument porte sur les
conséquences du ou des construits psychologiques. En effet, si l’outil produit des effets conformes
à certaines hypothèses issues de la théorie, alors un appui supplémentaire est apporté à sa validité.
Dans cette étude, nous nous sommes attachés à l’effet "sexe". Plusieurs études antérieures utilisant
des moyens d’investigation variés ont trouvé une orientation des garçons plus marquée vers la
comparaison sociale que les filles, alors que ces dernières adhéraient davantage à une
représentation de la réussite caractérisée par la maîtrise des tâches (Duda, 1986a, 1986b, 1988;
Duda et al., 1992; Ewing, 1981; Famose, Cury et Sarrazin, 1992; Gill, 1986).
Une analyse de la variance à un facteur fixe - le facteur sexe - et un facteur répété - le
facteur sous-échelle - a révélé un effet significatif du facteur répété [F (1, 198) = 285.56, p <.001],
aucun effet principal lié au sexe [F (1, 198) = 1.61, p >.21], et une interaction Sexe x Sous-échelle
significative [F (1, 198) = 9.11, p <.01]. Des tests post-hoc de Newman-Keuls au seuil de
significativité de p<.05 ont mis en évidence un sentiment de réussite plus élevé chez les filles
lorsque les critères faisaient référence à la maîtrise et chez les garçons lorsque les critères faisaient
Mesurer les orientations à l’accomplissement
-110-
référence à la compétition (graphique 1). Cet effet du sexe sur l'orientation motivationnelle -
conforme aux attentes - consolide la validité de construit du QPSS.
2,5
3
3,5
4
4,5
5
Compétition Maîtrise
Filles
Garçons
Graphique 1 : Interaction sexe x orientations motivationnelles
Nous avons réalisé d'autres analyses pour tester les effets ou corrélats du construit
psychologique (Cury, Famose & Sarrazin, 1994; Durand et al., sous presse). Conformément à la
théorie (Nicholls, 1989) et aux données antérieures dans le domaine sportif (Duda, Chi & Newton,
1990; Duda & Nicholls, 1992; Goudas, Biddle & Fox, 1994), la sous-échelle Maîtrise du QPSS
s'est avérée très corrélée avec les sous-échelles Intérêt et Effort de la version française de
l'Inventaire de Motivation Intrinsèque (IMI) (Plant & Ryan, 1985; McAuley, Duncan & Tammen,
1989). Aucune liaison significative n'a été constatée entre la sous-échelle Compétition et l'IMI.
Ces liaisons en accord avec la théorie constituent un argument en faveur d'une validité de construit
acceptable du QPSS.
Moyennes et écarts types des sous-échelles du QPSS
La dernière étape d’une validation transculturelle concerne l’établissement de normes.
Comme le mentionne Anastasi (1976), en l’absence de normes, un score brut d’un individu sur un
test psychologique donné ne veut rien dire. En règle générale, on utilise pour cela les moyennes,
Mesurer les orientations à l’accomplissement
-111-
les écarts types, les percentiles ainsi que les scores Z et T. Dans l’optique de cette validation,
l’établissement de normes est sans fondement. En effet, l’écart d’âge avec la population originelle
utilisée par Roberts et Balague, comme l’absence de conformité au niveau socioculturel ne permet
pas de comparer les deux populations. D’autre part, l’échantillon utilisé dans cette étude n’est pas
représentatif des caractéristiques de la population française; les résultats seraient donc sans grand
intérêt.
Tableau 6Moyennes et écarts-types obtenus pour les deux sous-échelles, en fonction du sexe, et pour la population totale.
Filles Garçons Population totale
M ET M ET M ET
Orientations
Compétition 2.95 1.04 3.30 1 3.12 1.03
Maîtrise 4.58 0.44 4.43 0.58 4.51 0.52
Le tableau 6 présente les moyennes et les écarts-types constatés sur les deux sous-échelles, pour la
population totale, et pour chaque sexe. L’analyse de la variance effectuée plus haut (graphique 1),
a mis en évidence une différence significative entre les deux sous-échelles, pour la population
totale. Les sujets semblent plus orientés vers la Maîtrise (M = 4.51) que vers la Compétition (M =
3.12). On peut toutefois s'interroger sur la validité de ce constat, et éventuellement l'imputer à
l'outil.
6. CONCLUSION ET PRÉCAUTIONS MÉTHODOLOGIQUES
Le but des différentes études développées dans ce chapitre consistait à mettre au point et à
valider une version française du POSQ de Roberts et Balague (1989, 1991), pour son utilisation
par des adolescents. Nous avons pour cela respecté les grandes lignes de la procédure préconisée
par Vallerand (1989). En l'état ce questionnaire dénommé Questionnaire de Perception du Succès
en Sport (QPSS) comportant deux sous-échelles de six items : Maîtrise et Compétition, constitue
Mesurer les orientations à l’accomplissement
-112-
un instrument fiable et valide. La validité concomitante de l’outil a été démontrée de deux
manières différentes. Sa consistance interne est satisfaisante ainsi que sa stabilité temporelle sur
un délais d’un mois. La validité de construit du QPSS a été corroborée par l’analyse factorielle
exploratoire, l’analyse factorielle confirmatoire, l’analyse des corrélations entre sous-échelles et
l’étude des effets du construit (effet "sexe").
En résumé, le QPSS semble à même d'être utilisé dans toutes recherches en langue
française qui appréhendent la motivation à l’accomplissement, à partir des buts que poursuivent
les sujets. Cet outil possède en outre des qualités non négligeables, en particulier le fait qu’il ne
comprenne que 12 énoncés et qu’il soit facile à administrer (passation collective d’une dizaine de
minutes).
Certaines précautions nous apparaissent néanmoins nécessaires pour son exploitation.
Dans toutes les études que nous avons conduites, (avec plus de 1000 sujets dont l'âge variait entre
12 et 22 ans), nous avons trouvé à chaque fois des scores plus importants pour la Maîtrise que
pour la Compétition. Cette différence traduit-elle pour autant une prévalence de la première
orientation sur la seconde ? Nous n'en sommes pas sûrs. Bien sûr, des raisons culturelles peuvent
être invoquées, pour justifier cette préférence (Maehr & Nicholls, 1980). Nous estimons qu'elles
ne sont pas suffisantes pour expliquer un tel écart. Comme le pense Nicholls (1989), bien des
problèmes de motivation seraient résolus si la plupart des personnes considérait la réussite (ou la
compétence) en termes de Maîtrise. Pourtant force est de constater, qu'en sport comme à l'école,
les préoccupations liées à la démonstration (ou à la dissimulation) de son habileté par rapport à
celles des autres, sont omniprésentes. Par conséquent, il est vraisemblable que la méthodologie
utilisée ici accentue l'orientation socialement valorisée de la réussite, sans pour autant garantir que
c'est celle-ci qui sera la plupart du temps préférée par les individus.
Plusieurs données empiriques viennent appuyer cette hypothèse. Une recherche de Weiner
et al. (citée dans Weiner, 1972) sur les conséquences affectives des perceptions (ou attributions)
d’effort et d’habileté, montra qu’une réussite engendrait un sentiment d’accomplissement plus
grand lorsqu’elle était attribuée à l’effort plutôt qu’à l’habileté. Une étude similaire de Nicholls
(1976) fit apparaître un résultat sensiblement différent lorsque la méthode de présentation des
Mesurer les orientations à l’accomplissement
-113-
stimuli était modifiée. Il demanda à ses sujets d'exprimer leur préférence entre deux modes
d’obtention du succès; le premier était consécutif à un effort important et à une faible habileté
alors que le second résultait d’un faible effort et d’une habileté élevée. Des divergences dans les
réponses apparurent en fonction de la manière dont la question était posée. Si l’interrogation
faisait allusion à la situation qui procurait le plus de fierté, alors les sujets préféraient
majoritairement le succès consécutif à un effort important (un résultat similaire à celui de Weiner).
Par contre, si on leur demandait quel genre de personne ils préféraient être, la plupart des sujets
choisissait celle avec une habileté importante. La première réponse semble refléter la perception
de l’alternative la plus vertueuse, ou la plus socialement désirable. La suivante paraît, au contraire,
traduire la préoccupation qui le plus souvent, gouverne les comportements d’accomplissement des
étudiants américains. Fontayne (1995) a également constaté, avec une population d'adolescents
français, des différences de résultats en fonction de la méthodologie utilisée. Quand ils
remplissaient le QPSS, les scores des sujets étaient supérieurs pour la sous-échelle Maîtrise par
rapport à la sous-échelle Compétition, comme dans les études antérieures. Par contraste, quand on
demandait aux sujets de faire un récit détaillé d'une expérience mémorable de succès ou d'échec en
sport, ils relataient en grande majorité des expériences qui faisaient allusion à la Compétition. Le
même effet "sexe" était pourtant constaté avec les deux méthodologies, ce qui appuie, en quelque
sorte, leur validité de construit respective.
Des tendances distinctes semblent donc émerger en fonction de la méthodologie utilisée,
ou des questions posées. Apparemment, quand la question est "ouverte", les expériences de succès
rapportées par les adolescents sont celles où ils se sont montrés meilleurs que les autres. A
contrario, lorsque les réponses sont plus "fermées", avec le QPSS par exemple, l'analyse des
résultats traduit un assentiment globalement plus marqué pour la conception la plus socialement
désirable (i.e., la maîtrise personnelle et l'effort).
Des réserves qui précèdent, il ne faudrait pas sauter à la conclusion que le QPSS n'a, en
définitive, aucune valeur. Les investigations statistiques précédentes attestent du contraire; en
particulier la validité concomitante montrée dans l'étude 1 (les corrélations entre les réponses des
élèves et les comportements qu'ils actualisent appréciés par les enseignants) et la validité
Mesurer les orientations à l’accomplissement
-114-
prédictive du questionnaire révélée dans l'étude 3 (la confirmation d'un effet "sexe"). Néanmoins,
nous voudrions attirer l'attention sur les "conditions limites" de son utilisation, pour ne pas lui en
faire dire plus qu'il n'est censé en faire. Une rigueur méthodologique est nécessaire pour se
prémunir de certains artefacts. Ce questionnaire reflète la qualité ou le type de critère utilisé par
les sujets pour définir le succès ou la compétence dans le domaine sportif. Le postulat théorique
sous-jacent étant que ces différentes conceptions correspondent aux orientations motivationnelles
dominantes des sujets, en bref ce qui "dynamise" leur comportement, lorsqu'ils pratiquent un sport.
Ainsi, dire d'un sujet qu'il est "orienté vers la maîtrise des tâches et le progrès" signifie qu'il
devrait chercher à faire de son mieux et à gagner en habileté chaque fois qu'il s'engage dans une
activité sportive26. L'évaluation des deux manières de concevoir le succès est sans conteste,
importante dans notre cadre théorique. C'est déjà un progrès considérable, par rapport aux théories
antérieures qui ne considéraient qu'une "définition" possible de la réussite (e.g., McClelland,
Atkinson, etc.). Néanmoins, à la suite des remarques développées dans le paragraphe précédent, il
nous paraît hasardeux d'avancer qu'un individu a une propension plus grande à rechercher un type
d'expérience plus qu'un autre, en comparant ses réponses aux deux sous-échelles de ce
questionnaire. En conséquence, plutôt que de réaliser des comparaisons entre ces deux orientations
(qui seront biaisées compte tenu de l’influence sociale des perceptions), il apparaît préférable de
caractériser (et éventuellement de comparer) les individus au regard de chacun d’eux. Ainsi, nous
pensons qu'un sujet peut être "orienté" vers la Compétition, même si le score qu'il obtient à cette
sous-échelle est moins élevé que celui qu'il rapporte sur l'autre sous-échelle. Inversement, on peut
considéré un sujet comme "non orienté" vers la Maîtrise, même si le score qu'il rapporte est
supérieur à celui constaté sur la sous-échelle Compétition. Tout dépend en fait de sa position dans
la distribution de la population sur la sous-échelle. Dans les expérimentations qui vont suivre,
nous qualifierons les sujets d' "orientés" vers la Maîtrise (ou la Compétition) lorsque leur score se
situera dans le tiers supérieur de la distribution de la population totale, sur cette sous-échelle. Ils
seront considérés comme "non orientés" lorsqu'ils se trouveront dans le tiers inférieur de la
26 En faisant fi des influences liées aux contextes qui, bien sûr, existent. Il en sera fait allusion plus loin.
Mesurer les orientations à l’accomplissement
-115-
distribution. Cette méthodologie exigeante requiert, à l'évidence, une population initiale
considérable.
Une dernière remarque nous semble également importante à mentionner. L'existence d'une
correspondance terme à terme entre les réponses aux questionnaires et le but poursuivi nous paraît
utopique. Autrement dit, ce n'est pas parce qu'un sujet obtient un score important à la sous-échelle
Maîtrise, qu'il va obligatoirement poursuivre dans chaque situation un but de maîtrise. Tout
d'abord, comme nous l'avons déjà souligné, parce qu'il existe un décalage entre les perceptions ou
les représentations cognitives des sujets, largement influencées par les valeurs culturelles
dominantes, et la réalité. Ensuite, comme le dit Nicholls, parce que:
"C'est une chose de définir le succès en terme de gain de performance ou de démonstration d'unesupériorité sur les autres ... C'est autre chose, somme toute, de rechercher véritablement à atteindre cesbuts ou même de penser qu'il est possible de les accomplir de manière équivalente dans différentstypes de situation". (Nicholls, 1992b, p. 274. Souligné par nos soins).
Cet auteur le confesse et Roberts (1992, p.16) le met en évidence dans son "schéma du processus
dynamique de la motivation", l'influence des indices situationnels est considérable. Nous le
verrons dans certaines expériences de cette thèse, une inadéquation entre les orientations
motivationnelles et le contexte de présentation des tâches, peut être à l'origine de comportements
non attendus, parce qu'il est difficile de prédire dans ce cas, quel but motivationnel est poursuivi
par le sujet.
Si l'on veut tester les conséquences comportementales des buts motivationnels, il nous
apparaît préférable de créer un contexte de présentation des tâches qui soit conforme aux
orientations dominantes des sujets. En d'autres termes, pour éprouver l'influence respective des
deux buts motivationnels sur les conduites motivées, il semble nécessaire de mettre
particulièrement en valeur l'un ou l'autre des buts motivationnels. La démarche qui nous semble la
plus appropriée pour cela consiste, (1) à repérer le "profil", ou l'orientation dominante du sujet à
l'aide du QPSS, et (2) une fois cette structure latente (et endurante) constatée, susciter par les
instructions apportées et le contexte créé, un but motivationnel qui soit en accord avec celle-ci. Par
exemple, pour donner une signification compétitive à la tâche, il est nécessaire de créer une
Mesurer les orientations à l’accomplissement
-116-
compétition, d'insister sur le classement, et de donner un caractère "public" à la situation. C'est
seulement dans ces conditions que l'on peut garantir, à peu près, que le but motivationnel
poursuivi par le sujet, est bien celui dont on teste les effets. Dans les termes de notre modèle, ces
précautions permettent de valoriser certaines conséquences attenantes aux actions du sujet - à
savoir le progrès, la suprématie ou l'évitement des témoignages d'incompétence. On postule que
pour atteindre ces conséquences le sujet choisira un certain niveau de difficulté, et/ou allouera une
certaine quantité de ressources.
Nous avons développé dans la partie théorique, la nécessaire prise en compte de variables
d' "expectation", à côté de ces variables de "valeur". Si c'est la compétence qui est valorisée et
recherchée, les perceptions d'habileté seront vraisemblablement des médiateurs cognitifs cruciaux
à la motivation de l'individu. C'est précisément de ce construit d'habileté perçue - et de sa mesure -
dont il va être question à présent.
Mesurer l’habileté perçue
-117-
Chapitre 2
L'habileté perçue :
considération théorique du construit et validation d’un questionnaire
pour mesurer l'habileté perçue en escalade
Comme le souligne Roberts (1984), un aspect constant de la recherche, demeure dans
l'importance accordée à la perception de l'habileté comme "construit" essentiel à la compréhension
de la motivation à l'accomplissement.
"La perception d'habileté de l'athlète est un médiateur important de la motivation dans le contextesportif. Le développement de nouvelles théories de la motivation en sport a édifié la perception del'habileté comme son construit central. J'avance que la perception de l'habileté sert de médiateur à ungrand nombre de comportement d'accomplissement [...]" Roberts (1984, p. 224).
Un corpus grandissant de données soutient désormais son rôle dans la médiation des conduites
scolaires ou sportives (Bandura, 1977b, 1986; Bukowski & Moore, 1980; Covington & Omelich,
1979b; Diener & Dweck, 1978; Duda, 1989a, 1992; Dweck, 1986; Dweck & Elliott, 1983;
Nicholls, 1976, 1978, 1984, 1989; Rejeski & Lowe, 1980; Roberts, 1975, 1984, 1992; Roberts,
Kleiber, & Duda, 1981; Spink & Roberts, 1980). On peut néanmoins remarquer l'utilisation de
termes variés, en fonction des courants théoriques, pour désigner une construction assez similaire.
Qu'elles soient appelées "probabilités de réussite" (probabilities of success) (Atkinson, 1957,
1964) , "sentiment d'efficacité personnelle" (self-efficacy) (Bandura, 1977a, 1986), "confiance en
soi" (self confidence) (Corbin, 1984), "habileté perçue" (perceived ability) (Dweck, 1986; Kukla,
Mesurer l’habileté perçue
-118-
1972; Nicholls, 1984, 1989), ou "compétence perçue" (perceived competence) (Feltz & Brown,
1984; Feltz & Petlichkoff, 1983; Harter, 1978, 1981; Lintunen, 1987; Roberts et al., 1981)27, les
perceptions relatives aux capacités personnelles dans toutes ces formes, semblent constituer la
pierre angulaire des comportements liés à l'accomplissement tels que la persistance face aux
difficultés, l'effort appliqué, la concentration, ou la sélection d'une activité particulière.
Si l'importance de ce construit a été maintes et maintes fois soulignée, une pluralité
d'instruments nécessaires à sa mesure a vu le jour dans la littérature spécialisée, traduisant par là
une certaine singularité de conception des différents auteurs. Bon nombre d'outils semblent très
généraux (Harter, 1978; Lintunen, 1987; Ryckman ,Robbins, Thornton, & Cantrell, 1982), alors
que d'autres sont très spécifiques à une tâche (Bandura, 1977a; Griffin & Keogh, 1982), voire à un
résultat donné (Atkinson, 1957; Heckhausen, 1977; Vroom, 1964). Face à cette diversité, il nous
apparaît important d'être critique dans nos approches, et prudent dans l'utilisation des outils de
mesures. Nous verrons un peu plus loin que ces derniers peuvent être à l'origine d'interprétations
et de conclusions totalement différentes, comme c'est le cas pour l'explication de la relation
expectation-performance (Partie 3-Chapitre 4). Pour éviter les artefacts méthodologiques, il
semble important d'utiliser des outils de mesures qui soient en rapport avec ce qui est étudié.
Échouer à cela, constitue un facteur limitatif pour notre compréhension de la motivation à
l’accomplissement (Roberts, 1992). Les instruments d'Harter (1978, 1981), par exemple, se
placent dans une perspective normative, lorsqu'il est demandé aux enfants d'évaluer leur
compétence en sport, comparativement à leurs camarades. Pourtant, le cadre théorique de cet
auteur traduit davantage une conception de l'habileté proche de la "maîtrise". Ce hiatus est
probablement une des causes des résultats équivoques trouvés dans les recherches qui ont utilisé
ses outils (Feltz & Petlichkoff, 1983; Feltz & Brown, 1984; Roberts et al., 1981; Ulrich, 1987).
27 On trouve également une pléthore d'autres terminologies, entre autres celles de "sentiment de compétence"(sense of competence) (Maehr & Braskamp, 1986), de "capacité perçue pour répondre aux demandes del'environnement" (perceived capacity to meet environmental demands) (Csikszentmihalyi & Nakamura,1989), d' "estimation physique" (physical estimation) (Dishman, Ickes, & Morgan, 1980; Fox, Corbin, &Couldry, 1985, Sonstroem, 1978), d' "efficacité physique personnelle" (physical self-efficacy) (Gayton,Matthews, & Burschstead, 1986; Ryckman, Robbins, Thornton, & Cantrell, 1982; Valois, Godin, &Shephard, 1986), de "confiance dans le mouvement" (movement confidence) (Crawfoord & Griffin, 1986;Griffin & Keogh, 1982), de "confiance en sport" (sport-confidence) (Vealey, 1986), ou d' "expectationaction-résultat" (Action-Outcome Expectancies) (Heckhausen, 1977; Vroom, 1964).
Mesurer l’habileté perçue
-119-
Selon nous, avant d'élaborer de tels instruments de mesure, il est nécessaire d'apporter des
réponses à trois problèmes majeurs. Le premier a trait au caractère général et/ou spécifique de la
compétence. Le second problème se rapporte à la nature, ou à la conception de l'habileté utilisée
par les sujets. Nous l'avons développé dans la partie théorique, les travaux de Nicholls (Nicholls,
1989; Nicholls & Miller, 1984; Nicholls et al., 1986) ont montré une évolution de la signification
du concept d'habileté au cours du développement de l'enfant. Enfin, la troisième difficulté est liée
au contenu, ou aux dimensions pertinentes à retenir dans le questionnaire, à partir desquelles les
sujets sont censés évaluer leur compétence.
1. CARACTÈRE GÉNÉRAL VERSUS SPÉCIFIQUE DE L'HABILETÉ
Comme le fait remarquer Marc Durand (1987, p. 46):
“Une question fondamentale émerge de ces travaux, relative au degré de généralité et de permanencede ce sentiment de compétence: selon les auteurs, on a affaire soit à une représentation stable qui"couvre" tout le domaine des activités physiques et sportives, soit à des processus très ponctuels dontla fonction pour le sujet est d'évaluer sa propre capacité à faire face aux exigences d'une tâcheparticulière".
Selon nous, cette problématique généralité versus spécificité peut être dépassée - à l'instar de
certaines théories contemporaines qui ont pris le "concept de soi" (self-concept) comme objet
d'étude - en concevant l'existence d'une succession de perceptions à l'égard de sa propre personne
organisée selon des niveaux hiérarchiques généraux/spécifiques ou trait/état (Fox & Corbin, 1989;
Marsh, Byrne, & Shavelson, 1988; Shavelson, Hubner, & Stanton, 1976; Sonstroem, Harlow, &
Josephs, 1994; Sonstroem & Morgan, 1989). Comme l'exprime la figure 1, il est possible
d'imaginer un continuum évaluatif vertical au sommet duquel se situe un sentiment global
d'estime de soi (Self esteem), dont la nature et le contenu reposent sur des perceptions de soi dans
plusieurs domaines spécifiques et séparés de la vie, tels que "le physique", "le social", "le travail",
etc.28 Chacun de ces domaines est lui-même constitué de sous-domaines, qui se différencient à
28 Comme les perceptions de soi deviennent de plus en plus différenciées avec la maturité, les chercheurs onttrouvé qu'il était nécessaire de construire des "profils" qui incluaient de plus en plus de sous-échelles, au furet à mesure de l'avancée en âge. Ainsi, Harter (1985, 1988) a choisi d'intégrer 5 dimensions dans le "Profil dePerception de Soi" pour enfant, puis 8 pour les adolescents et 11 pour les adultes. De manière similaireMarsh & Shavelson (1985) ont développé des "Questionnaires de Description de Soi" de plus en pluscomplexes avec l'âge (SDQ I, SDQ II, et SDQ III).
Mesurer l’habileté perçue
-120-
leur tour. Ainsi pour un adolescent, l'estime de soi dans le domaine intellectuel peut reposer sur
des perceptions d'habileté en mathématiques ou en français. Le "soi physique" est, quant à lui,
souvent défini dans la littérature, à partir de deux sous-domaines: l'habileté physique (et/ou
sportive) et l'apparence (Fox, 1990; Fox & Corbin29, 1989; Lintunen, 1987; Ryckman et al., 1982;
Shavelson & Bolus, 1982; Shavelson, Hubner, & Stanton, 1976; Sonstroem, Harlow, & Josephs,
1994; Sonstroem & Morgan, 1989).
Estime de soi globale
Estime de soi dans le domaine physique
Estime de soi dans le domaine social
Estime de soi dans le domaine intellectuel
Compétence en Sport
Apparence physique
Compétence ou habileté en escalade
Compétence ou habileté en football
...
Capacité à Capacité à s'équilibrer sur s'engager au des supports dessus de son verticaux dernier point d'attache
Habilité au tir
Silhouette physique
taille fine
Je me donne une grande chance de réussir cette voie
Je peux marquer Je me sens coquet ce pénalty aujourd'hui
...
...
SOMMET DOMAINES SOUS- DOMAINES
FACETTES
SOUS- FACETTES
ETATSPÉCIFIQUE ET CHANGEANT
GÉNÉRAL ET DURABLE...
Compétence en Math.
Compétence en Français
Figure 1: Continuum hiérarchique de perceptions de soi, du général et durable au spécifique et changeant (inspiré de Fox, 1990).
29 Dans leur "profil de perception de soi physique" (PSPP: Physical Self-Perception Profile ) pour jeunesétudiants de College, le sentiment global de valeur de soi physique (PSW: Physical self-worth ), situé ausommet de leur structure hiérarchique repose sur 4 domaines plus spécifiques. En plus de la "compétenceSportive" et de l’ “apparence corporelle" on trouve également la "condition physique", et la "force".
Mesurer l’habileté perçue
-121-
Ce modèle présuppose deux idées fortes particulièrement intéressantes. Premièrement, il
apparaît que plus on "descend" dans le continuum, plus les construits deviennent spécifiques et
caractéristiques d'un "état", c'est à dire davantage sujets à changement dans le temps en fonction
de la situation. Par contraste, plus on s'élève dans l'organisation hiérarchique plus les concepts
sont globaux et "résistants", c'est à dire indices d'un "trait de personnalité", relativement durable.
La seconde idée majeure est liée à la possibilité de concevoir une influence réciproque de ces
différentes constructions cognitives. Ainsi, le sentiment global de "valeur en Sport" peut
influencer une plus ou moins grande assurance dans les expériences physiques, les activités
nouvelles, ou l'Éducation Physique. A un niveau davantage spécifique, le sentiment de compétence
dans une activité sportive particulière doit influer sur la confiance en la possibilité d'accomplir
certaines habiletés sous-jacentes à celle-ci, qui elle même agit sur la certitude plus ou moins
grande d'accomplir une tâche ou une performance particulière. Réciproquement, les perceptions
des plus bas niveaux attachées à des comportements spécifiques peuvent se généraliser à, ou
influencer, des perceptions plus globales. Ainsi, la certitude de pouvoir réaliser une action ou une
tâche précise peut augmenter un sentiment d'habileté plus large qui lui-même est susceptible
d'affecter la compétence perçue dans une activité sportive. Cette dernière est capable, de manière
subséquente, de modifier un sentiment plus global de compétence en Sport, qui en retour imprime
particulièrement la valeur générale d'un "soi physique". Cette organisation hiérarchique est
particulièrement heuristique, d'autant qu'elle se prête particulièrement à une validation par
l'entremise des modèles statistiques structuraux (analyse factorielle confirmatoire et pistes
causales). Plusieurs données ont d'ailleurs corroboré certains postulats énoncés ci-dessus (Brody,
Hatfield, & Spalding, 1988; Fox & Corbin, 1989; Holloway, Beuter, & Duda, 1988; McAuley,
Courneya, & Lettunich, 1991; Sonstroem, Harlow, & Josephs, 1994), mais des recherches futures
sont nécessaires pour déterminer, par exemple, le pouvoir de généralisation (ou d'influence) plus
important de certaines perceptions sur d'autres.
Face à cette diversité de constructions, la sélection du type de "perceptions de soi" à
mesurer devra dépendre du problème posé au chercheur. En d'autres termes, chaque concept a un
pouvoir explicatif (et donc prédictif) approprié à certaines variables plus qu'à d'autres. Dès lors, on
Mesurer l’habileté perçue
-122-
peut se poser des questions sur l'utilisation de certaines échelles trop globalisantes ou situées à un
niveau trop élevé dans la hiérarchie, pour rendre compte de certains comportements. Est-ce
pertinent d'utiliser une échelle mesurant "l'estime de soi physique" pour prédire la performance
dans des tâches spécifiques ? Certains auteurs (Bandura, 1991; McAuley & Gill, 1983; Wylie,
1974) ont sérieusement remis en cause le bien-fondé de mesures globales composées de sous-
échelles évaluant "l'attractivité du corps" (Harter), ou la "confiance dans sa présentation physique"
(Ryckman et al., 1982) pour prédire des comportements liés à l'accomplissement. Plutôt, ces sous-
échelles semblent davantage attenantes à l'acceptation de soi ou à l' "amour de soi" - c'est à dire
aux sentiments et affects qu'éprouve l'individu à l'égard de sa propre personne - qu'à la dimension
"compétence" (Sonstroem & Morgan, 1989). Cette présomption a d'ailleurs été confirmée par
Sonstroem et al. (1994). Quand on étudie la motivation à l'accomplissement, il semble donc
préférable - plutôt que des échelles trop générales - d'utiliser une mesure spécifique à un
domaine d'activité socialement signifiant (qu'il s'agisse d'une profession, d'une discipline
scolaire, d'une activité sportive ou artistique, etc., c'est à dire pour toute chose qui possède une
réalité sociale importante et distincte).
2. CONCEPTION DE L'HABILETÉ
Dans la plupart des recherches la notion d’habileté est appréhendée dans une perspective
normative, c’est à dire comparativement à celle des autres (Burton & Martens, 1986; Feltz &
Petlichkoff, 1983; Gould, Feltz, Horn, & Weiss, 1982; Harter, 1978; Klint & Weiss, 1987; Roberts
et al., 1981; Weiss, Bredemeier, & Schewchuk, 1986). Or, nous avons vu dans la partie théorique
que pour Nicholls et ses collègues (Jagacinski & Nicholls, 1984; Nicholls, 1984, 1989; Nicholls &
Miller, 1984; Nicholls, Patashnick & Mettetal, 1986) il existait non pas une mais deux conceptions
de l’habileté. Certains se sentent habiles quand ils ont le sentiment de progresser, de faire des
efforts ou de maîtriser davantage leur environnement, tandis que pour d'autres, le sentiment
d'habileté dépend de la performance qu'ils obtiennent et de l'effort qu'ils ont fourni pour l'obtenir
comparativement à l'effort et la performance d'autres membres d'un groupe de référence.
Mesurer l’habileté perçue
-123-
L'existence de ces deux significations vient apparemment compliquer la mesure du
construit d'habileté. On peut s'interroger sur la fiabilité de la mesure si les indicateurs à partir
desquels les sujets infèrent leur habileté sont différents (auto versus normo référencés) ? Aura-t-
elle le même pouvoir prédictif ? Un élément de réponse est apporté dans les écrits de Nicholls et
dans certains de ses travaux. Il semblerait que cet auteur plaide en faveur de deux variables
distinctes, requérant deux mesures différentes.
"Pour tester les prédictions relatives à l’investissement sur la tâche, on estime que l’habileté perçue(dans le sens indifférencié) des individus peut être basée sur leurs expectations de succès. Un indiced’habileté perçue ayant un rapport avec l’investissement sur l'Ego devrait indiquer les évaluations desindividus concernant leur habileté relativement aux autres [...]" Nicholls (1989, p. 110-111).
Cette prescription repose sur une constatation qu'il dégage de ces travaux, selon laquelle les
étudiants interprètent une formulation du type "quelqu’un est capable" comme signifiant qu'il
possède une haute habileté par rapport aux autres (i.e., en utilisant la conception la plus
différenciée). Par contre, l'énoncé "quelqu’un réussit à travers un effort élevé" (i.e., conception la
moins différenciée de l'habileté) n'est pas interprété comme le signe d'une haute habileté
(Jagacinski & Nicholls, 1984). Il appert que les questions relatives à leur compétence intensifient
chez les individus une position auto-évaluative et amplifient la tendance à employer la conception
la plus différenciée de l’habileté. Cette supposition est renforcée par les hautes corrélations
trouvées entre les évaluations apportées par les étudiants ayant trait à leur habileté scolaire par
rapport aux autres (“comparé aux autres je me sens” (1)”pas intelligent” à (5)”très intelligent” )
et de simples estimations personnelles sans références aux autres (“je me trouve” (1)"pas
intelligent” à (5)”très intelligent” ) (Nicholls, Patashnick, & Nolen, 1985, p. 685).
“Apparemment, les estimations des étudiants sur leur habileté comme simplement haute versus basse“chargent” sur le même facteur que l’estimation de leur habileté relativement aux autres”. Nichollset al. (1988).
Cette utilisation dominante de la conception différenciée de l'habileté lorsqu'il est fait
explicitement allusion au niveau que l'on a, ne signifie pas qu'il n'est pas possible de tirer une
grande satisfaction de l’apprentissage et de l’augmentation de ses habiletés, indépendamment de
Mesurer l’habileté perçue
-124-
toutes comparaisons aux autres. Il est toujours possible de gagner un sentiment de compétence et
d’accomplissement "même parmi ceux qui, après réflexion, reconnaissent qu’ils ont une habileté
nettement en dessous de la moyenne" (Nicholls, 1989, p. 94). Nous avons souligné l'expression
"après réflexion" pour bien signifier que c'est la préoccupation explicite ou consciente relative au
"niveau" de compétence qui tend à activer la conception la plus mature de l'habileté (comme c'est
le cas lorsqu'il est demandé aux sujets d'évaluer leur niveau de compétence sur une échelle)30. Par
contre, lorsqu'aucun signal évaluatif n'est saillant dans la situation, l'utilisation de la conception
indifférenciée de l'habileté sera plus importante. En d'autres termes, il semblerait que le processus
d'évaluation de l'habileté utilisé par le sujet - consécutif à l’emploi de la conception indifférenciée
- soit de nature inconsciente, puisque comme nous l'avons déjà dit, toute préoccupation formelle
actionne la signification normative de la compétence.
"La formulation selon laquelle “les individus peuvent utiliser une conception indifférenciée del’habileté pour évaluer leur performance” pourrait induire qu’ils évalueront consciemment leurcompétence dans les termes d’une conception indifférenciée. Cette signification n’est pasintentionnelle. (souligné par nos soins). Une préoccupation explicite ou consciente relative au fait desavoir si son habileté est adéquate tendra à activer la conception de l'habileté comme capacité".Nicholls (1989, note 5, p. 222)
Pour résumer, le concept d'habileté a une signification normative (au moins après 12 ans). Lorsque
le sujet poursuit un objectif de maîtrise - que ce soit de manière spontanée, ou induit par la
situation - l'habileté perçue ne constitue pas le meilleur prédicteur de la motivation des sujets. En
effet, la perception d'une faible habileté (i.e., relativement aux autres) n'est pas forcément associée
à une diminution de l'intérêt, car il est toujours possible d'éprouver un sentiment de compétence
quand des progrès sont constatés. L'indice évaluatif qui apparaît le plus prédicteur de la
motivation des sujets préoccupés par la maîtrise et le progrès, est beaucoup moins global que
l'habileté perçue. Il s'agit, d'un indicateur très spécifique comme les espérances d'atteindre
une certaine performance (i.e., les probabilités de réussite ou expectations actions-résultat). Ces
30 Nous le verrons par la suite, que cette conception est également davantage utilisée lorsque - plutôt qued’être présenté d’une façon “neutre” - les tâches qui impliquent des habiletés valorisées, sont présentées (a)comme des tests de ces habiletés, (b) dans un contexte de compétition interpersonnelle ou de comparaison,(c) dans des situations qui augmentent la facette publique de soi.
Mesurer l’habileté perçue
-125-
évaluations ne font pas explicitement référence à l'habileté, et apportent des renseignements sur ce
que le sujet pense être capable de réaliser lui dans une situation donnée.
De ce que nous venons de dire, il ressort que pour étudier la motivation à
l'accomplissement, il faut prendre en compte au moins trois variables médiatrices: (1) une variable
"dynamique": la tendance des sujets à rechercher de manière privilégiée des conséquences
particulières (l'orientation motivationnelle) et/ou l'inclination du contexte dans lequel se trouve le
sujet, à valoriser un but motivationnel particulier, (2) une variable d'évaluation de soi,
caractéristique d'un "état" (c'est-à-dire, propre à une situation donnée) : l'expectation des sujets à
réaliser une tâche ou une performance particulière, et (3) une variable "endurante" (un "trait")
d'évaluation de soi: l'habileté perçue, dans le secteur d'activité en question, en gardant à l'esprit
qu'elle a une signification normative.
Pour mesurer ce dernier construit, il convient de déterminer à présent les différentes
dimensions à retenir, à partir desquelles les sujets sont susceptibles d'effectuer des inférences
d'habileté, dans un domaine particulier.
3. DIMENSIONS DE L'HABILETÉ
Le continuum évaluatif hiérarchique proposé plus haut reconnaît l'existence de construits
plus généraux que d'autres, qui "synthétisent" en quelque sorte, les perceptions situées au niveau
inférieur. Cette représentation a inspiré deux démarches distinctes de construction d'outils
permettant d'évaluer les perceptions de soi.
La première consiste à utiliser des formulations très globales du type "en sport, je suis un des
meilleurs athlètes" ou "en mathématiques, je suis un des plus mauvais" et à demander aux sujets
de répondre sur des échelles d'approbation/désapprobation de type Likert. Cette méthode a été
utilisée dans tous les travaux récents de Nicholls et de Duda. Elle présente l'avantage de faire
l'économie du contenu spécifique de chaque domaine (les soubassements de ce sentiment global)
et d'être relativement courte à faire passer (une ou deux questions maximum). Néanmoins, ces
caractéristiques constituent pour certains auteurs, des limites.
Mesurer l’habileté perçue
-126-
"Dire simplement: "quel est votre niveau de confiance [...]" est insuffisant, car cela ne prend pas encompte les différentes composantes qui sont appropriées pour juger l'efficacité de quelqu'un [...]"McAuley (1992, p. 110).
La deuxième démarche consiste à construire des échelles qui appréhendent les différentes
composantes constitutives de construits globaux. Vealey (1986, 1988), par exemple, a
conceptualisé et élaboré un inventaire mesurant la "confiance en sport (trait et état)" (Trait vs State
Sport-Confidence Inventory), qui objective différentes dimensions sous-jacentes à la croyance ou
au degré de certitude que les sportifs ont d'être capables de réussir en sport. Les items sont du
type "... confiance à exécuter les sous-habiletés nécessaires pour réussir l'habileté", "... confiance à
bien se comporter sous la pression", "... confiance à prendre des décisions cruciales pendant la
compétition". Traduisant la même volonté, l’échelle de Ryckman et al. (1982), et celle pour jeunes
enfants de Lintunen (1987), comportent une sous-échelle "d'habileté physique perçue" (Perceived
Physical Ability) censée représenter un construit global dont les composantes seraient des
perceptions de soi dans différentes capacités physiques "de bases" (e.g., les réflexes, la force, la
vitesse, l’agilité, etc.). Enfin, la notion de "niveau d'efficacité personnelle" (Level of self-efficacy)
de Bandura (1977a, 1982, 1986) - qui consiste à lister le nombre de tâches (ou sous-habiletés) à
réaliser pour conduire au comportement cible (ou à la compétence globale en question), puis à
demander aux sujets si ils se sentent ou non capables de les accomplir - nous semble également
correspondre à cette démarche31. La limite de tels outils réside dans leur caractère très spécifique,
à la fois à une activité et à une population déterminée. Il se peut alors que le contenu de l'échelle
ne soit pas d'une importance centrale au construit global, pour une population particulière. Les
composants de la confiance en sport de Vealey (1986, 1988), par exemple, si ils paraissent adaptés
à une population de sportifs de bon niveau, semblent davantage problématiques pour une
population plus jeune, ou moins spécialisée. Cette incertitude, quant à la valeur particulière que
représentent les différentes dimensions sous-jacentes à une perception globale pour une population
31 Bandura définit l’efficacité personnelle comme un jugement personnel “sur la manière dont on peutexécuter convenablement une série d’actions nécessaire pour conduire aux situations prospectées” (Bandura,1982, p. 122).
Mesurer l’habileté perçue
-127-
donnée nécessite l'établissement de données psychométriques rigoureuses afin d'établir la fiabilité
et la validité de l'échelle.
Afin de surmonter ces obstacles, nous (Famose, Sarrazin, & Cury, 1994a) avons adopté
une troisième démarche. Entre la simple question sur la perception globale du construit et
l'inventaire des composants qui le constituent, nous avons opté pour une position intermédiaire. En
nous appuyant sur la littérature relative à l'habileté motrice, nous avons cherché à objectiver les
différentes dimensions à partir desquelles il est possible de définir l'habileté. Il ne s'agit pas de
dresser la liste exhaustive des composantes ou des sous-habiletés indispensables à une habileté
sportive complexe - travail fastidieux, qui nécessite d'être répété pour chaque habileté sportive
abordée32 - mais de dénombrer les indices macroscopiques, significatifs pour une population
donnée, qui définissent l'habileté dans une activité quelconque.
Nous avons tenté de dégager de la littérature sportive, les principaux traits caractéristiques
de l'habileté motrice. Au sens strict, cette notion renvoie à l'idée de maîtrise dans la réalisation
d'une tâche, c'est à dire à l'acquisition d'un certain degré d'efficacité. Les exemples abondent: au
football, c'est marquer des buts, en escalade, c'est grimper des voies de plus en plus hautes et
difficiles, en gymnastique c'est produire ou reproduire fidèlement des formes gestuelles de plus en
plus complexes.
"L'habileté motrice est une capacité acquise par apprentissage à atteindre des résultats fixés à l'avanceavec un maximum de réussite et souvent un minimum de temps, d'énergie ou des deux" . Guthrie(1957).
Cette définition, souvent citée, rejoint assez la conception la plus différenciée de l'habileté de
Nicholls. On y retrouve la notion de capacité, et l'aspect finalisé du concept qui se définit par un
but à atteindre ("résultats fixés à l'avance"). On peut également retrouver la relation inversement
proportionnelle entre l'effort et l'habileté ("maximum de réussite et minimum de temps, d'énergie
ou des deux"). Cette constatation appuie le point de vue de Nicholls (1992a) selon lequel le
32 Il y a en effet peu de chance pour que les sous-habiletés constitutives de la compétence en football soientles mêmes que celles de l'escalade ou du rugby.
Mesurer l’habileté perçue
-128-
concept d'habileté est "général" dans la mesure où il peut s’appliquer de manière équivalente aux
activités physiques, intellectuelles, artistiques, etc.
Plusieurs dimensions semblent caractériser l'habileté motrice:
. l'habileté motrice est efficace
"L'habileté motrice fait naître les comportements moteurs efficaces pour une tâche
particulière ou pour un groupe limité de tâches" Famose (1990). La notion d'efficacité fait
référence à la qualité de la performance ou encore au niveau de performance obtenu
indépendamment de son coût. Un signe incontestable d'efficacité, est la capacité à réaliser des
niveaux de plus en plus élevés de difficulté objective (ou normative) de la tâche ; c'est à dire,
lorsque le but et/ou les conditions environnementales sont de plus en plus contraignants. "Il ressort
que le moyen le plus logique d'évaluer le niveau d'habileté des pratiquants consiste à le référer au
niveau de difficulté de la tâche" Famose (1990). Cet indice de "niveau de difficulté maîtrisé" nous
paraît intéressant à retenir, d'autant plus lorsqu'une cotation explicite existe dans l'activité sportive
(comme c'est le cas en escalade, en ski, en gymnastique, etc.).
. l'habileté motrice est adaptative
Cette notion d'adaptation est connexe à celle d'efficacité. Un sportif habile est efficace
dans la mesure où il peut atteindre le résultat fixé à l'avance, dans la plupart des situations, c'est à
dire avec des conditions environnementales changeantes. Le skieur habile peut "passer partout",
quelque soit la pente, la qualité de la neige, etc. Le grimpeur efficace peut escalader toutes les
voies auxquelles il est confronté. On dit également d'un bon joueur de football qu' "il sait tout
faire"; c'est à dire qu'il maîtrise la majorité des capacités (affectives, cognitives et motrices)
constitutives d'une compétence plus large à laquelle il est fait allusion. C'est ce répertoire qu'il
possède qui permet son grand pouvoir d'adaptation. Cet indice signifie d'autant plus l'habileté que
l'activité sportive est complexe et que sa "logique interne" requiert cette capacité d'adaptation.
Mesurer l’habileté perçue
-129-
. l'habileté motrice est efficiente
L'habileté motrice est "non seulement efficace puisqu'elle permet d'atteindre le but
préalablement fixé, mais elle est aussi efficiente, puisqu'elle permet au sujet de réaliser une
performance de haut niveau d'une manière économique" Famose (1990, p. 179). Cette notion fait
référence à la dépense d'énergie, requise pour accomplir une quantité donnée de travail. D'autres
auteurs ont, semble-t-il, accentué l'importance de cette caractéristique. Ainsi, pour Knapp (1963)
l'habileté est: "la capacité à produire un résultat prédéterminé avec un maximum de certitude et un
coût énergétique minimal". Sparrow (1983) insistait également sur cette caractéristique lorsqu'il
affirmait que "la diminution de l'effort investi est une variable contribuant fondamentalement à la
description de l'habileté motrice". Cette apparente "facilité" caractéristique de l'athlète habile,
semble être un indice d'intérêt à retenir.
De ces trois dimensions caractéristiques de l'habileté, nous avons constitué 5 items du
Questionnaire d'Habileté Perçu Spécifique (QHPS). Un fait allusion à l'efficacité (item 5), deux
sont relatifs à l'adaptation (item 2, et 4), et deux à l'efficience (item 3 et 6). Nous avons également
ajouté - comme Nicholls (Nicholls et al., 1985, 1989) - deux items relatifs à la perception globale
de l'habileté. Le premier (item 1) ne donne aucun indicateur auquel se référer, et laisse cette
initiative au sujet interrogé. Le second (item 7) accentue la comparaison normative, en demandant
aux personnes d'estimer leur habileté dans l'activité sportive en question en "se comparant à la
plupart des camarades de leur âge". Cette adjonction devrait permettre de constater, d'une part, si
les hautes corrélations rapportées par Nicholls entre ces deux formulations, se retrouvent dans le
champ sportif, et d'autre part, si les dimensions retenues dans le questionnaire sont pertinentes et
saturent avec ces deux perceptions plus globales, ou sur l'une plus que l'autre.
Les dimensions du questionnaire que nous avons retenues ne sont pas exhaustives, d'autres
auraient pu être ajoutées (par exemple, le niveau d'automatisation qui diminue le "coût mental" et
permet d'accomplir l'habileté en pensant à autre chose; ou encore, le degré de mémorisation ou de
Mesurer l’habileté perçue
-130-
permanence de l'habileté dans le temps, etc.). D'autre part, même si l'idée initiale était de
construire un questionnaire qui soit applicable pour toutes les activités sportives, chacune de ces
dimensions peut être, plus ou moins significative selon les activités , et la population. Il est donc
nécessaire de tester les propriétés psychométriques du questionnaire spécifié pour chaque sport, et
pour chaque population cible. Les deux études qui vont suivre ont pour but de valider une version
expérimentale à 7 items du Questionnaire d'Habileté Perçue en Escalade (QHPE) (annexe 2), avec
une population d'adolescents. L'étude 1 a porté sur l'évaluation de la fidélité et de la validité de
construit du questionnaire. L'étude 2 a évalué sa validité concomitante et prédictive.
4. ÉTUDE 1: FIDÉLITÉ ET VALIDITÉ DE CONSTRUIT DU QHPE
MÉTHODE
Sujets
La version expérimentale du questionnaire a été administrée à 100 filles et 100 garçons,
âgés en moyenne de 14.33 (ET = 1.14), scolarisés dans une cité scolaire de la banlieue parisienne.
Tous les sujets étaient volontaires pour participer à cette étude, et avaient pratiqué l’escalade
depuis au moins un an dans le cadre des cours obligatoires d’EPS.
Procédure
Le questionnaire a été administré à deux reprises (test et retest) au cours de séances
collectives séparées d'un mois. Les réponses étaient anonymes mais les indications du sexe et de la
date de naissance des sujets ont permis de comparer les réponses au cours des deux passations.
Cinq minutes étaient approximativement nécessaires pour répondre aux questions.
Format des réponses
Pour répondre aux questions, les sujets utilisent une échelle en 11 points et 5 expressions
(cf. annexe 2). Nous avons opté pour ce format, similaire à ceux que l'on trouve en
Mesurer l’habileté perçue
-131-
psychophysique, parce que le recours à des expressions verbales ou des "ancrages verbaux"
permet une évaluation plus précise que la simple utilisation d'un étalonnage numérique (Borg,
1970, 1972). Il est à noter toutefois, le caractère "subjectif" de ces annotations verbales. Si ces
dernières ont pour but d’aider le sujet à répondre, elles ne précisent pas "objectivement" ce qui se
rattache à chacun des ancrages verbaux. On aurait pu, par exemple, remplacer "difficile" (item 5)
par "grimper du 5+". Compte tenu de la nature "perceptive" du construit, nous avons laissé au
sujet l’initiative de définir ce qu’il entendait par ce terme, plutôt que d’imposer une norme
"extérieure".
Pour éviter un "effet d’accoutumance", l'ordre des ancrages verbaux des items 3, 5, et 7
étaient inversés.
Tableau 1Résultats de l’analyse factorielle (méthode par défaut) du QHPE
Items du questionnaire d’habileté perçue en escalade: Facteur1
Facteur2
1- Quand tu fais de l’escalade, tu te sens le plus souvent2- Quand tu fais de l’escalade, combien de voies différentes es-tu capable de réaliser3- Quand tu fais de l’escalade et que tu es confronté à une nouvelle voie, parviens-tu le plus souvent à la grimper4- Quand tu fais de l’escalade, es-tu capable de réussir la plupart des voies5- Quand tu fais de l’escalade, quel niveau de difficulté es-tu capable de maîtriser (surmonter)6- Quand tu fais de l’escalade et que tu es confronté à un problème (un obstacle dans ta progression), parviens tu, le plus souvent, à le surmonter7- Quand tu fais de l’escalade et que tu te compares à la plupart des camarades de ton âge, tu te sens
Valeur propre % de la variance
.87
.86
.82
.83
.86
.75
.87
4.9270%
-.25
-.05
.21-.09
-.07
.49
-.26
0.547.8%
Analyses des données
Les données ont été examinées suivant les étapes et les principes développés dans le
chapitre précédent. Afin de déterminer la validité de construit du questionnaire une analyse
factorielle exploratoire et une analyse factorielle confirmatoire ont été réalisées. La consistance
Mesurer l’habileté perçue
-132-
interne a été calculée par le coefficient alpha de Cronbach (1951), et la stabilité temporelle de
l’échelle a été éprouvée au cours d’une procédure test-retest sur un délai d’un mois.
RÉSULTATS
Analyse factorielle exploratoire
Comme l’indique le tableau 1, l’analyse en composantes principales des réponses soutient
la validité de construit du questionnaire. Seul un facteur présente une valeur propre supérieure à 1.
Après une procédure de rotation orthogonale/varimax, on peut constater une saturation de
l’ensemble des 7 items sur la dimension dégagée. Cette dernière explique 70 % de la variance. Il
est à noter que l’item 6 a un coefficient de saturation de .49 sur un second facteur. Nous n’avons,
cependant, pas tenu compte de ce fait, car la valeur propre de ce dernier est égale à 0.54, donc plus
petite que l’unité.
Analyse factorielle confirmatoire
X 1
X 2
X 3
X 4
X 5
X 6
λ1 1
λ2 1
λ3 1
λ4 1
λ5 1
λ6 1
δ1
δ2
δ3
δ4
δ6
X 7δ7
λ7 1
δ5
ξ1Habileté perçue en Escalade
Figure 1 : Modèle factoriel théorique du questionnaire d’habileté perçue en escalade
Mesurer l’habileté perçue
-133-
L'analyse confirmatoire a été réalisée à l'aide du programme LISREL 8 (Jöreskog &
Sörbom, 1993), et selon le modèle théorique présenté dans la figure 1. Les indices initiaux
d’ajustement fournis par le logiciel ont traduit une adéquation imparfaite des données recueillies
au modèle factoriel initial: χ2= 50.39, ddl = 14, p <.0001, GFI = 0.93, AGFI = 0.86, Ratio χ2 /ddl
= 3.6, RMR = 0.03. Le chi-carré est significatif, le ratio est plus grand que 2, et certains résidus
standardisés ont une valeur supérieure à cinq. Les indices de modification du logiciel, ont suggéré
d’ajouter des corrélations entre les variances résiduelles des items 1 et 7, 2 et 4, et 3 et 6. Étant
donné la ressemblance qui existe entre ces différentes paires d’items (qui représentent chacune
une dimension de l'habileté que nous avions dégagé), il a été décidé d’ajouter ces modifications au
modèle initial. Les indices d’ajustement se sont révélés, dès lors, considérablement améliorés: χ2
= 8.75, ddl = 11, p = .64, GFI = 0.99, AGFI = 0.97, Ratio χ2 /ddl = 0.8, RMR = 0.01). L’analyse
factorielle confirmatoire soutient donc, elle aussi, la validité de construit du questionnaire
d’habileté perçue en escalade.
Le tableau 2 présente les saturations standardisés (les λ) de l’analyse confirmatoire (à partir d’une
matrice des corrélations Bravais-Pearson). Comme on peut le remarquer, les valeurs de ces
saturations sont très élevées, elles varient entre .69 et .85.
Tableau 2 Résultats de l’analyse factorielle confirmatoire avec LISREL 8
Items du questionnaire d’habileté perçue en escalade: Facteur
1- Quand tu fais de l’escalade, tu te sens le plus souvent2- Quand tu fais de l’escalade, combien de voies différentes es-tu capable de réaliser3- Quand tu fais de l’escalade et que tu es confronté à une nouvelle voie, parviens-tu le plus souvent à la grimper4- Quand tu fais de l’escalade, es-tu capable de réussir la plupart des voies5- Quand tu fais de l’escalade, quel niveau de difficulté es-tu capable de maîtriser (surmonter)6- Quand tu fais de l’escalade et que tu es confronté à un problème (un obstacle dans ta progression), parviens tu, le plus souvent, à le surmonter7- Quand tu fais de l’escalade et que tu te compares à la plupart des camarades de ton âge, tu te sens
.84 a
.83
.77
.78
.85
.69
.83
Note: a = solutions standardisées à partir d’une matrice de corrélations Bravais-Pearson: n = 200.
Mesurer l’habileté perçue
-134-
Consistance interne du questionnaire, et stabilité temporelle
Des coefficients alpha .91 et .90 ont été trouvés au cours des deux passations
(respectivement au test et au re-test) (tableau 3). Les 7 items du questionnaire présentent donc une
grande homogénéité.
Tableau 3 Alpha de Cronbach et corrélations test-retest (durée un mois)
Alpha au test Alpha au re-testCorrélations test-retest
(Bravais-Pearson)Habileté perçue
en escalade .91 .90 .79
La corrélation test-retest, entre la moyenne des items de l’échelle est élevée (r = .79).
Compte tenu du délai d’un mois qui sépare les deux passations, cette valeur confirme la fidélité du
questionnaire, et la relative stabilité temporelle du construit.
DISCUSSION
Globalement, les résultats ci-dessus démontrent la fiabilité et la validité de construit du
questionnaire d’habileté perçue en escalade. Plusieurs points peuvent être soulignés. Tout d’abord
- comme l’avaient constaté Nicholls et ses collègues dans le domaine intellectuel (Jagacinski &
Nicholls, 1984; Nicholls et al., 1985, 1989) - il semblerait qu’une interrogation explicite relative à
la compétence dans une activité physique, active la conception normative de l’habileté. Les
différentes analyses factorielles ont montré une saturation de l’item 1 et de l’item 7 sur un facteur
identique. Les sujets semblent donc comprendre la formulation "quand tu fais de l’escalade,
comment te sens tu le plus souvent ?", de manière identique à "[...] comment te sens tu, comparé
aux autres de ton âge". D’autre part, les différents indicateurs d’habileté retenus à partir d'une
analyse de la littérature scientifique relative à ce concept dans le domaine moteur, semblent
pertinents pour les sujets de cette population et pour l’activité "escalade". Les notions
d’adaptation, d’efficacité et d’efficience semblent bien constitutives de l'habileté. Enfin, le
construit apparaît relativement stable, et caractéristique d’un "trait".
Mesurer l’habileté perçue
-135-
5. ÉTUDE 2: VALIDITÉ CONCOMITANTE ET PRÉDICTIVE DU QHPE
Afin d’éprouver la validité concomitante du QHPE, nous allons dans cette étude,
examiner les relations existant entre ce questionnaire et celui de Ryckman et al. (1982). Nous
l’avons vu plus haut, ce dernier mesure un sentiment d’efficacité physique personnel très général.
Conformément à notre représentation hiérarchique des évaluations de soi développée au début de
ce chapitre, nous pensons qu’une partie du score obtenu au questionnaire d’habileté perçue en
escalade peut être prédite par le construit de nature plus globale, mesuré à l’aide du questionnaire
de Ryckman et al. Dans un deuxième temps, la validité "prédictive" du QHPE sera appréhendée
par l’examen de la corrélation qui relie l’habileté perçue en escalade avec l’envie plus ou moins
grande de pratiquer cette activité. Pour plusieurs auteurs l'habileté perçue joue un rôle important
dans la médiation de l'intérêt (Feltz & Brown, 1984; Feltz & Petlichkoff, 1983; Harter, 1981;
Kukla, 1978; Roberts, Kleiber & Duda, 1981; Roberts, 1984;1992; Nicholls, 1984, 1989; Ulrich,
1987). Plus précisément, on émet l’hypothèse d’une préférence plus marquée des individus pour
l’escalade lorsqu’ils s’attendent à manifester de la compétence dans cette activité. Par contraste,
l’aversion devrait être plus grande pour cette dernière quand ils s’attendent à être incompétents.
Cette prédiction rejoint celle d’Ogilvie & Tutko (1971) selon laquelle, les individus s’investissent
dans les activités qui sont perçues comme requérant des attributs dont ils pensent disposer.
MÉTHODE
Sujets et procédures
En fin d’année scolaire, 125 filles et 125 garçons âgés en moyenne de 13.6 ans (ET = 1.8)
ont répondu à une série de questions présentée comme étant destinée à mieux cerner les
motivations des élèves vis à vis des activités pratiquées durant l’année, afin d’aider les enseignants
d’EPS de l’établissement à préparer l’année scolaire suivante. Le questionnaire était administré à
la fin d’un cours, par un enseignant entraîné à cet effet. Les sujets répondaient de manière
Mesurer l’habileté perçue
-136-
anonyme (seuls la date de naissance, le sexe étaient demandés), et le caractère facultatif de
l’enquête était souligné. Trente minutes étaient approximativement nécessaires pour répondre aux
questions.
Questionnaires
L’échelle d’efficacité physique personnelle (PSE): ce questionnaire a été construit par Ryckman
et al. (1982) pour mesurer un sentiment d’efficacité personnel physique global. Il est constitué de
deux sous-échelles. La première représente l’ "habileté physique perçue" ou PPA (Perceived
Physical Ability). Elle comprend 10 items évaluant des perceptions de soi dans différentes
capacités physiques "de bases" ("j’ai d’excellents réflexes"; "je ne peux pas courir vite"; "en
raison de mon agilité, j’ai pu effectuer certaines choses que beaucoup d’autres n’auraient pas pu
faire"). La deuxième sous-échelle, la "confiance dans la présentation physiques de soi" ou PSPC
(Physical Self Presentation Confidence), contient 12 items appréciant différentes perceptions
relatives à l’apparence corporelle ("les gens ont une mauvaise idée de moi à cause de mon allure",
"j’ai des complexes liés à mon apparence physique, qui me dérangent", "j’envie ceux qui ont un
meilleur look que le mien"). Pour répondre aux questions, les sujets utilisent des échelles Likert en
6 points. Les auteurs du PSE ont rapporté une fiabilité et une validité adéquate de l’instrument, et
en particulier sa capacité à prédire la performance sur des tâches qui nécessitent des aptitudes
physiques simples (temps de réaction, coordination simple). Certains auteurs ont confirmé la
validité prédictive de l’outil pour la performance au marathon (Gayton et al., 1986), alors que
d’autres l’ont remise en cause lorsqu’il s’agissait d’habiletés plus complexes comme la
gymnastique (McAuley & Gill, 1983).
Mesure de l’appétence / aversion pour l’escalade. Pour mesurer l’attrait (ou l’aversion) plus ou
moins grand(e) des sujets vis à vis de cette activité, nous avons utilisé une échelle de type likert en
7 points libellée ainsi: "Dans le cadre de la préparation de la rentrée scolaire prochaine, nous
aimerions connaître tes goûts et ton désir de pratiquer les activités suivantes:...". Suivait ensuite
une série de 12 activités sportives parmi lesquelles figurait l’escalade. Les réponses possibles
Mesurer l’habileté perçue
-137-
allaient de (1) "Non, je n’aime pas du tout cette activité" à (7) "Oui, j’adore ça", en passant par (4)
"Ni oui, ni non, ça m’est égal".
RÉSULTATS ET DISCUSSION
Analyses préliminaires du PSE
L’objet de cette étude n’étant pas la validation (transculturelle) de cet outil, seule la
consistance interne sera examinée. L’homogénéité des 10 items du PPA, comme celle de l’échelle
globale (PSE), se sont avérées très satisfaisantes (α = .88, et .86, respectivement). Par contre, les
12 items du PSPC ont présenté une valeur de .55. Cette sous-échelle semble avoir certains
problèmes de fiabilité, comme l’ont souligné d’ailleurs McAuley & Gill (1983). Cependant,
l’objectif de l’étude présente étant essentiellement, d’analyser les relations qu’entretiennent le
QHPE avec le PSE global et la sous-échelle PPA, la consistance interne du PSPC semble
acceptable à cette fin.
Validité concomitante
Tableau 4Corrélations entre les différentes mesures dépendantes
1 2 3 4 5
1:Appétence/
aversion 1
2: PSE .17* 1
3: PPA .21* .82** 1
4: PSPC .10 .81** .41** 1
5: QPHE .58** .35** .48** .09 1
*p <.01 **p <.001
La moyenne des items constitutifs des différentes échelles a été calculée, et des
corrélations Bravais-Pearson ont été réalisées entre celles-ci. Les coefficients de corrélations ainsi
Mesurer l’habileté perçue
-138-
que les niveaux de significativité associés sont montrés dans le tableau 4. Le QHPE corrèle de
manière significative avec le PSE et le PSA, mais pas avec le PSPC. Comme nous l’avons dit plus
haut, il semblerait qu’il existe une relative indépendance entre l’estimation de l’"apparence
corporelle" et la compétence perçue dans un domaine physique particulier (en l'occurrence
l’escalade). Ce résultat appuie certaines données antérieures (Sonstroem & Morgan, 1989;
Sonstroem et al., 1994). L’existence d’une liaison moyenne33 entre la perception physique globale
(PSA) et la compétence perçue en escalade, corrobore la validité concomitante du QPHE.
Néanmoins, ces deux perceptions ne partagent que 23% de variance commune. En d’autres termes,
un peu moins d’un quart du score au questionnaire d’habileté perçue en escalade peut être prédit
par celui du PSA. Ce constat est conforme à une organisation hiérarchique de la motricité, où les
évaluations locales sont un peu influencées par des perceptions plus globales, mais demeurent
relativement spécifiques à la situation.
Validité prédictive
La validité prédictive du QHPSE a ensuite été examinée. Le tableau 4 montre une liaison
moyenne et significative (r = .58, p <.001) entre le QPHE et l’échelle d’appétence/aversion.
Autrement dit, perception de compétence en escalade et intérêt pour cette activité sont liés
positivement (ou varient dans le même sens). Ce résultat - conformes aux données antérieures
(Famose, Sarrazin, & Cury, 1995; Feltz & Brown, 1984; Feltz & Petlichkoff, 1983; Harter, 1981;
Kukla, 1978; Roberts, Kleiber & Duda, 1981; Roberts, 1984; Sarrazin, Cury & Famose, 1993;
Nicholls, 1984, 1989; Ulrich, 1987) - soutient notre hypothèse initiale selon laquelle les sujets
préfèrent davantage les situations d'accomplissement dans lesquelles leur compétence peut être
manifestée, et évitent celles dans lesquelles leur incompétence peut être visible. On peut
également constaté, en toute logique, que la perception d'habileté prédit d’autant plus
l’appétence/aversion envers l’escalade, que le construit est spécifique au domaine en question. En
effet, les indices de corrélations sont plus élevés entre le QPHE et l’échelle d’appétence/aversion,
33 McAuley & Gill (1983) rapportent des coefficients de corrélations - entre le PSE et 4 agrès de gymnastique- qui s’échelonnent entre .26 et .40, donc assez proches de celui trouvé dans cette étude.
Mesurer l’habileté perçue
-139-
qu’entre cette dernière et le PSE ou ses sous-échelles. Par conséquent, conformément à notre
représentation hiérarchique des perceptions de soi développée plus haut, il est possible d’émettre
l’hypothèse d’une cascade d’influences. La perception de sa valeur physique globale (mesurée par
le PSE) pourrait marquer l’habileté perçue en escalade, qui en retour, médierait l’attrait pour cette
activité. Cette constatation plaide également en faveur de l’utilisation d’outils spécifiques à un
domaine, lorsque l’on veut étudier les effets de l’habileté perçue sur la motivation.
CONCLUSION
Les différentes études présentées dans ce chapitre appuient la validité et la fiabilité du
QHPE pour mesurer le construit d' "habileté normative perçue en escalade". Cette variable
médiatrice ne rend compte que de 33% de la variance de l’intérêt pour l’escalade. Il semble donc
que l'on puisse être attiré par cette activité même si on ne se perçoit pas comme étant
particulièrement habile dans celle-ci. Inversement, de hautes estimations d'habileté ne sont pas
toujours associées à une grande attirance pour l'activité dont il est question. En d’autres termes,
vouloir démontrer son habileté (dans le sens normatif) n’explique qu’une partie de l'appétence
pour une activité sportive. C’est également le constat que Roberts (1992) a été amené à faire à la
lecture de la littérature existante (Feltz & Brown, 1984; Feltz & Petlichkoff, 1983; Roberts,
Kleiber & Duda, 1981; Ulrich, 1987). Les deux tiers de variance inexpliqués suggèrent donc
l’existence d’autres motifs de participation. La recherche de sensations fortes, d’amusement, de
relations amicales, ou de la forme physique constituent également, entre autres, des bonnes raisons
de pratiquer à côté de la volonté de se montrer le meilleur (Durand, 1987; Gill, Gross &
Huddleston, 1983).
Dans le domaine strict de la motivation à l’accomplissement qui nous intéresse, nous
verrons dans les chapitres suivants que la motivation peut demeurer élevée si l’objectif des sujets
est la maîtrise des tâches ou la recherche du progrès (i.e., s'ils poursuivent un but de maîtrise) -
Mesurer l’habileté perçue
-140-
même lorsque ces derniers se perçoivent incompétents. Par contre, lorsque c’est la démonstration
d’une supériorité sur les autres qui est recherchée (parce que c'est l'orientation caractéristique de
l’individu et/ou parce que ce dernier a été sensible aux incitations du contexte), l'habileté perçue
jouera un rôle médiateur très important.
Rappelons pour conclure, qu'il semble nécessaire - lorsqu’on prend la motivation à
l’accomplissement comme objet d’étude - de tenir compte à la fois des expectations des sujets
(constituées d'une variable trait: l'habileté perçue et d'une variable état: les chances perçues
d'atteindre une performance déterminée) et des buts motivationels ou conséquences de leurs
actions qu’ils valorisent (les valences). Échouer à cela conduirait à une investigation incomplète
des processus et ferait courir le risque de résultats inconsistants. Dans les expériences qui vont
suivre, quatre groupes seront constitués à chaque fois, sur la base de l’orientation motivationnelle
des sujets (compétition versus maîtrise) et de leur habileté perçue (élevée versus faible).
TROISIÈME PARTIE
DÉMARCHE EXPÉRIMENTALE
Croyances relatives à la nature de l’habileté
- 142 -
Chapitre 1
Orientations à l'accomplissement et
croyances relatives à la nature de l'habileté motrice34
Nous avons souligné dans le chapitre précédent, l'importance que représente le concept
générique d’habileté perçue dans la recherche sur la motivation. Si dans les premiers travaux,
l'idée d'une variation sémantique du construit n'a pas été envisagée, les recherches de Nicholls et
de ses collègues (Jagacinski & Nicholls, 1984; Nicholls, 1984, 1989; Nicholls & Miller, 1984;
Nicholls et al., 1986) ont montré l'existence de deux significations possibles de l'habileté: la
première est proche de celle d'effort , tandis que la seconde rejoint celle de capacité (cf. partie 1).
"Il est important d'insister sur le fait que les conceptions de l'habileté décrites ci-dessus concernent leprocessus d'évaluation de l'habileté mais ne donnent aucune explication sur leur nature et leurdéveloppement". Nicholls (1989, p. 63)
Comme le souligne Nicholls (1989, 1992a), les deux conceptions de l’habileté font
référence à la manière dont les individus expliquent leur performance immédiate et en particulier
la contribution relative de l’effort et de l’habileté à la performance manifestée. Elles mettent en
évidence deux processus distincts (un processus diachronique et un processus de comparaison
sociale) à partir desquels l'individu infère un sentiment d'habileté (ou d'incompétence). Ces deux
34 Tiré de: Sarrazin, Biddle, Famose, Cury, Fox & Durand (in press) et Sarrazin, Famose, Biddle, Fox,Durand & Cury (sous presse).
Croyances relatives à la nature de l’habileté
- 143 -
conceptions n’épuisent cependant pas le champs des concepts liés à l’accomplissement (Nicholls,
1992a), car elles n’apportent aucune information sur ce que pensent les individus de la manière
dont on devient habile, ou sur les limites de la capacité qu’on peut atteindre, en bref sur les
transformations à long terme et les déterminants de l'habileté. C’est ce que nous appellerons, dans
ce chapitre, les croyances relatives à la nature de l'habileté motrice.
Pour mettre en évidence de telles croyances nous avons pris comme point de départ de
notre étude exploratoire, à la fois les opinions d’experts sur l’organisation de la motricité, et celles
de personnes moins spécialistes. Le discours des journalistes, des sportifs comme celui des
spectateurs est assez éloquent sur certaines singularités de points de vue relatives aux déterminants
de l’habileté (ou de la réussite) sportive. Certains athlètes semblent véhiculer l’image du travail,
du sacrifice et de l’abnégation; on loue leur réussite fruit de leur patient labeur. Pour d'autres
sportifs, c'est l'image de la facilité et du don, qui est mise en avant. A coté de ces conceptions
"naïves", l’analyse "scientifique" est riche d’informations sur la nature et les déterminants de la
compétence sportive. Par exemple, pour Fleishman (1964; voir également Ackerman, 1990;
Schmidt, 1982; et pour une revue en français, Famose et Durand, 1988) la performance est
l’actualisation d’aptitudes (les capacités régionales ou "qualités de base") et d’habiletés (les
capacités spécifiques à une tâche ou classe de tâches). Les secondes sont conçues comme le
résultat d’un apprentissage spécifique, facilement améliorables et donc beaucoup moins stables et
déterminées par des facteurs génétiques que ne le sont les aptitudes. De ces deux analyses nous
retiendrons qu’il existe plusieurs dimensions attenantes à la nature et aux déterminants de
l’habileté motrice. Par conséquent, lorsque nous évoquerons ces "croyances" nous ferons
particulièrement allusion aux conceptions des individus se rapportant: (1) aux possibilités de
développer l’habileté dans le temps (est-elle améliorable ou plutôt stable?), (2) à ses déterminants
(faut-il avoir des prédispositions génétiques, ou faut-il apprendre?) et (3) à sa relative généralité
(y-a-t-il une habileté générale, ou est-elle spécifique à une situation?). Si certaines dimensions
semblent présenter des points communs - concevoir l’habileté comme déterminée génétiquement
semble a priori attenant à une conception "stable" de celle-ci - il n’est pas évident que ceci soit le
Croyances relatives à la nature de l’habileté
- 144 -
cas pour des adolescents. En tout cas, on peut émettre l’hypothèse d’un poids plus marqué de
certains concepts par rapport à d’autres.
Des études ont analysé, dans une perspective développementale, l’évolution de telles
croyances avec des tâches motrices variées (Durand et Cailton, 1991; Watkins & Montgomery,
1989). Deux phases distinctes paraissent se dessiner autour de l’âge de douze ans. Les enfants les
plus jeunes semblent croire en "la toute puissance de l’apprentissage" (Durand et Cailton, 1991)
au point de négliger la part des aptitudes dans la performance sportive. A partir de 12 ans, au
contraire, l’"optimisme" de la première période est tempéré par la prise de conscience d’une
relative stabilité des performances dans les tâches d’aptitude. Les mentions relatives à la
possession d’un "don" ou à l’habileté "naturelle" sont également plus fréquentes.
Selon Dweck et ses collègues, l’importance de ces croyances est considérable (Dweck &
Bempechat, 1983; Dweck & Elliot, 1983; Dweck & Leggett, 1988). Travaillant dans le domaine
intellectuel, ces auteurs postulent l’existence d’un lien de dépendance entre les "conceptions (ou
théories implicites) de l’intelligence" et le but que poursuit l’individu. Plus spécifiquement, le
modèle de Dweck avance l’idée d’une cascade d’influences: il existerait deux théories de
l’intelligence différentes dénommées "théorie de l’entité" et "théorie par augmentation" qui
mènent à des buts de nature différente ("de performance" versus "d’apprentissage"35) qui, de façon
subséquente, organisent des patrons de réponses particuliers (adaptatifs versus non adaptatifs),
pouvant aller dans certaines conditions jusqu’à la "résignation" (Dweck & Leggett, 1988). Dès
lors, les différents buts alliés à chaque théorie peuvent être vus comme des moyens de générer
l’estime de soi, conformément aux conceptions sur eux-mêmes adoptées par les gens. Ainsi,
concevoir son intelligence comme une "entité" - c’est à dire un trait fixe et non contrôlable - ne
peut que s’associer à la poursuite d’un "but de performance" par lequel l’individu cherche à
gagner un jugement favorable sur son niveau d’intelligence en se comparant aux autres. Par
opposition, imaginer son intelligence comme une qualité malléable, contrôlable qui peut
35 Bien qu'il existe des divergences de points de vue, que nous avons soulevées dans la partie précédente,entre Dweck et Nicholls, les buts "d'apprentissage" et "de performance" de Dweck sont assez similaires à"l'implication dans la tâche" et "l'implication de l'Ego" de Nicholls. Pour une discussion plus approfondie desdifférences entre les positions de Dweck et celles de Nicholls, voir Nicholls (1989, note 3, chapitre 9).
Croyances relatives à la nature de l’habileté
- 145 -
augmenter dans le temps - c’est à dire adhérer à la conception "par augmentation progressive" de
l’intelligence - peut être associé à un "but d’apprentissage" par lequel l’estime de soi sera
maximisée avec la maîtrise et le progrès réalisés. Dweck & Legett (1988) ont même avancé l’idée
d’étendre leur formulation "théorie-but-comportements" à d’autres domaines que
l’accomplissement (en particulier, ceux de la vie sociale et de la moralité). Certaines données ont
d’ailleurs corroboré leurs hypothèses (Dweck & Bempechat, 1983; Dweck & Elliot, 1983; Dweck
& Leggett, 1988; Leggett, 1985). Dans le domaine du sport, les travaux de Dweck ont inspiré une
étude qui a abordé les liens existant entre les buts et les conceptions de l'habileté motrice (Biddle
& Fox, 1992; voir aussi Sarrazin, Biddle et al., in press). Utilisant le même cadre théorique et les
mêmes outils, celle-ci a effectivement trouvé certains liens conceptions-orientations, mais bien
moins importants que ceux observés au niveau intellectuel par Dweck & Leggett (1988).
Selon Nicholls (1992a), que nous rejoignons, les travaux de Dweck posent des problèmes
théoriques et méthodologiques:
"Nous ne pouvons pas étudier efficacement les concepts que les enfants ont de l'intelligence ou de lacompétence sportive, en demandant (comme Dweck & Bempechat, 1983) si de telles habiletés sontmodifiables ou non. L'intelligence peut avoir de nombreuses références... elle se réfère communémentau potentiel génétique, au potentiel atteint et à la compétence démontrée.". Nicholls (1992a, p. 45)
Tout d'abord, concevoir l’intelligence uniquement dans une perspective stable/améliorable
n’épuise pas toutes les dimensions qui lui sont attenantes. L’intelligence, comme l’habileté
motrice, peuvent avoir d’autres dimensions et significations qu’il est nécessaire de discerner. C’est
ce qui nous a amené à distinguer, dans un premier temps, différentes croyances relatives à la
nature de l'habileté motrice. En second lieu, le type d'outils utilisé par Dweck pose des problèmes.
Elle présente les deux conceptions de l’intelligence et les deux types de but de manière
dichotomique. Nous pensons qu'en "forçant" les individus à choisir un but plutôt que l’autre et une
théorie de l’intelligence plutôt qu’une autre, on altère la réalité de ceux-ci, et on interdit des
conceptions plus "mixtes". Enfin, la relation entre les buts et les conceptions n'est pas
consensuelle. Plutôt que de parler de "liens de dépendance" comme Dweck, Nicholls (1989,
1992a) préfère parler de concomitances entre le but poursuivi et certaines conceptions. Il suggère
Croyances relatives à la nature de l’habileté
- 146 -
l’existence d’une relation rationnelle entre l’orientation des individus et leurs perceptions,
croyances et comportements. Les différentes orientations motivationnelles ne représentent pas
seulement différents types de besoins, elles impliquent différentes vues sur le monde, et affectent
la collecte des données et leur interprétation. "Même si les gens possèdent la même collection de
conceptions, ils utilisent souvent différentes parties de cette collection, en fonction des intérêts ou
objectifs qu’ils poursuivent" (Nicholls, 1992a, p. 43).
L’étude de Durand et Cailton (1991) a montré l'apparition, vers l’âge de 12 ans, d'une
différenciation de la nature et des déterminants des tâches. Les sujets devenaient capables de
distinguer les tâches "d'aptitudes" des tâches "d'habileté", et concevaient les premières comme
beaucoup plus stables, déterminées génétiquement et générales que les secondes.
En accord avec le point de vue de Nicholls, nous émettons l’hypothèse, qu’à partir de cet
âge, les croyances des individus relatives à la nature de l’habileté motrice seront liées à leur but ou
orientation motivationnelle dominante. Plus précisément, nous nous attendons à ce que les sujets
orientés vers la maîtrise conçoivent la nature de l'habileté motrice comme instable, spécifique, et
liée à l'apprentissage. Des études sur les causes perçues du succès ont montré que les personnes
qui poursuivaient un but de maîtrise estimaient de leur ressort (ou sous leur contrôle) le succès
dans leur tentative (Duda & Nicholls, 1992; Duda, Fox, Biddle, & Armstrong, 1992; Nicholls,
1989). Selon nous, cette contrôlabilité perçue de la réussite attenante au but de maîtrise,
s'accommode mieux d’une conception améliorable et spécifique de l’habileté motrice, déterminée
par le travail et l’apprentissage. Par contraste, nous pensons que les sujets orientés vers la
compétition conçoivent davantage la nature de l'habileté motrice comme stable, générale, et liée à
la possession d’un don. Chercher à démontrer sa supériorité sur les autres, c’est d’abord évaluer sa
performance en fonction de critères externes et normatifs (Nicholls, 1984, 1989). C’est également
reléguer le rôle de l’effort et du travail à un second plan (à performance égale, l’habileté est jugée
d’autant plus élevée que l’effort a été bas). Ce but s'accommode donc moins de la conception
améliorable et déterminée par le travail, de l’habileté. Au contraire, nous pensons que la
préoccupation obsédante de faire mieux que les autres ou d’éviter de faire pire qu’eux focalise
Croyances relatives à la nature de l’habileté
- 147 -
perpétuellement les individus sur leur niveau d’habileté, et facilite par là une conception "stable",
"générale" et "innéiste"; en bref, un attribut dont on est ou non en possession.
MÉTHODE
Sujets
Trois cent quatre élèves âgés de 11 à 17 ans (moyenne = 14 ans; ET = 1.62) provenant
d’une cité scolaire de la banlieue parisienne ont été volontaires pour participer à cette étude. Ces
184 filles et 120 garçons étaient issus des 7 niveaux de classe du secondaire.
Procédure
Les questionnaires étaient administrés dans une classe à la fin d’un cours, par un des
auteurs. Ce dernier s’est présenté comme un étudiant qui menait une enquête sur la motivation des
jeunes vis à vis du sport, et notamment, 1) sur les moments où ils se sentaient en réussite lorsqu’ils
pratiquaient une activité sportive, et 2) sur la manière dont ils concevaient la compétence dans ce
domaine. On signalait aux sujets qu’ils n’étaient pas obligés de répondre aux questionnaires, mais
que leur participation serait grandement appréciée. De plus, il était précisé qu’il ne s’agissait pas
d’un test ou d’un examen et qu’il n’y avait pas de bonnes ou de mauvaises réponses. Enfin, on
insistait sur le fait que l’anonymat était garanti et que pour cela, ils n’avaient pas à inscrire leur
nom sur le questionnaire. On prévenait également que les données obtenues ne serviraient qu’à des
fins de recherche et demeureraient strictement confidentielles; seuls la date de naissance et le sexe
leur seraient demandés. La durée approximative pour répondre aux questionnaires était de 20
minutes.
Mesures
Orientation motivationnelle. La "tendance" à valoriser en sport, la compétition et/ou la
maîtrise des tâches a été estimée par les 12 items du QPSS (cf. partie 2 - chapitre 1).
Croyances relatives à la nature de l’habileté
- 148 -
Croyances relatives à la nature de l'habileté motrice. Inspirés du modèle de Dweck
(Biddle & Fox, 1992; Dweck & Bempechat, 1983; Dweck & Elliot, 1983; Dweck & Leggett,
1988), nous avions lors d’une étude préliminaire, utilisé un format dichotomique (échelle
bipolaire). Ainsi pour préciser sa conception de l'habileté motrice, le sujet devait choisir entre Don
ou Apprentissage, entre Stable ou Améliorable, et entre Générale ou Spécifique. Cependant, au
cours d’entretiens réalisés avec les sujets, il s’avérait gênant pour certains d’exclure une
conception plus que l’autre, les deux pouvant contribuer équitablement à l’habileté dans le
domaine sportif. Ce point de vue qui correspond à l’analyse "scientifique" (Ackerman, 1990;
Fleishman, 1964), devait être pris en compte. C’est pourquoi, le format dichotomique a été
abandonné au profit d’une échelle d’approbation/désapprobation en cinq points. Une enquête
préliminaire a été réalisée avec 10 filles et 10 garçons pour repérer les significations relatives aux
différentes dimensions retenues, de la nature de l’habileté. Pour cela, les sujets devaient choisir
parmi plusieurs formulations, ou ajouter librement, celles qui explicitaient le plus les concepts de
Don, Stable, Générale, ... Cette procédure a permis de constituer les items du Questionnaire de
Croyances relatives à la Nature de l’Habileté Sportive (QCNHS) (annexe 4). Celui-ci est composé
de six sous-échelles, caractéristiques des 6 dimensions retenues: Stable (4 items du type: "on a un
certain niveau en sport, et on ne peut vraiment pas faire grand chose pour changer ce niveau");
Améliorable (3 items du type: "en sport, si on travaille longtemps et souvent on progresse
forcément"); liée au Don (4 items du type: "pour être bon en sport, il faut posséder à sa naissance
les qualités de base qui permettent de réussir dans ce domaine"); liée à l’Apprentissage (4 items du
type: "pour réussir en sport, il faut apprendre des techniques, des mouvements, des stratégies,..., et
les répéter de nombreuses fois"); Générale (3 items du type: "en principe quand on est bon dans un
sport, on est bon dans presque tous les autres sports (même s’ils ne se ressemblent pas)") et
Spécifique (3 items du type: "une même personne peut avoir un bon niveau dans un sport et ne pas
réussir dans d’autres sports"). Le QCNHS est présenté de la sorte: "Dans ce questionnaire, nous
cherchons à savoir ce que pensent les élèves de la réussite sportive. En particulier, à quoi elle est
due, ou comment expliquer le fait que quelqu’un soit bon ou mauvais dans ce domaine. On
répondait aux différentes affirmations du questionnaire sur une échelle en cinq points allant de
Croyances relatives à la nature de l’habileté
- 149 -
(1)“pas du tout d’accord” à (5) “tout à fait d’accord” . Le point central (3) était précisé par
l’expression “ni oui, ni non”.
Analyses préliminaires des questionnaires
La validité de construit des questionnaires a été examinée à partir d’une analyse factorielle
exploratoire. Le nombre de facteurs retenus pour chaque analyse en composante principale était à
chaque fois équivalent au nombre de valeurs propres supérieures à 1. De plus, chaque facteur
devait rendre compte d’au moins 5% de la variance expliquée. Enfin, un item spécifique ne devait
corréler que sur un facteur, avec un poids minimum de 0.40 pour être retenu. Les deux rotations
Varimax et Oblimin ont été calculées à chaque fois. Celles-ci ont produit des résultats similaires
pour chaque analyse, en conséquence seules les rotations Oblimin sont présentées. La "consistance
interne" des différentes sous-échelles a ensuite été appréhendée par le calcul des coefficients
alpha (Crombach, 1951).
RÉSULTATS
Orientation motivationnelle
L’analyse en composantes principales a confirmé la validité de construit du questionnaire.
Deux facteurs dont la valeur propre excède 1, et qui expliquent 54% de la variance, ont été mis en
évidence. Les 12 items se sont répartis de manière homogène sur les deux dimensions attendues.
Les coefficients alpha de ces sous-échelles sont respectivement de 0.76 et 0.75, preuve d’une
consistance interne acceptable (Nunnally, 1978).
Croyances relatives à la nature de l'habileté motrice
Comme le montre le tableau 1, la validité de construit du QCNHS a été confirmée par
l’analyse en composantes principales. Six facteurs - dont la valeur propre est supérieure à 1 - sont
ressortis de l’analyse exploratoire. Facteurs sur lesquels se sont répartis comme prévu les 21 items
du questionnaire.
Croyances relatives à la nature de l’habileté
- 150 -
Tableau 1Analyse factorielle (rotation Oblimin) et consistance interne du QCNHS
Facteur 1 - Apprentissage (valeur propre = 4.94, % de la variance = 24%, alpha = 0.75)
.67
.80
.74
.66
Pour réussir en sport, il faut apprendre des techniques, des mouvements, (des stratégies...), et lesrépéter de nombreuses fois.Il faut apprendre et beaucoup travailler pour être bon en sport.Pour avoir un bon niveau en sport, il faut passer par une (ou des) période(s) d’apprentissage etd’entraînement.C’est par l’apprentissage et/ou le travail que l’on peut réussir et avoir un bon niveau en sport.
Facteur 2 - Générale (valeur propre = 2.90, % de la variance = 14%, alpha = 0.82).84
.85
.81
Quand on est bon en sport, on réussit dans toutes les activités, même si elles sont très différentes(athlétisme, gymnastique, sports collectifs, natation, tennis, escalade, ...).En principe quand on est bon dans un sport, on est bon dans presque tous les autres sports (mêmes’ils ne se ressemblent pas).Quelqu’un de bon en sport, réussit dans n’importe quelle activité sportive.
Facteur 3 - Don (valeur propre = 2.44, % de la variance = 12%, alpha = 0.88).76.80
.83
.82
Pour réussir en sport, “il faut avoir ça dans la peau”, il faut avoir des “prédispositions naturelles”.Il faut posséder certains “dons” (qui permettent de réussir tout de suite et sans trop forcer) pourêtre bon en sport.Pour être bon en sport, il faut posséder à sa naissance les qualités de base qui permettent deréussir dans ce domaine.Pour être bon en sport, il faut être “doué” naturellement.
Facteur 4 - Améliorable (valeur propre = 1.20, % de la variance = 6%, alpha = 0.73).70.80.79
En sport, si on travaille longtemps et souvent on progresse FORCEMENTLe niveau que l’on a en sport va OBLIGATOIREMENT s’améliorer par le travailSi on s’en donne les moyens (si on fournit des efforts), le niveau que l’on a en sport vaFORCEMENT s’améliorer.
Facteur 5 - Stable (valeur propre = 1.08, % de la variance = 5%, alpha = 0.75).70
.72
.73
.65
On a un certain niveau en sport, et on ne peut vraiment pas faire grand chose pour changer ceniveau.Même si on fait des efforts, le niveau que l’on a en sport CHANGERA PEU.Le niveau que l’on a en sport est quelque chose que l’on peut difficilement faire évoluer.Il est difficile de changer le niveau que l’on a atteint en sport.
Facteur 6 - Spécifique (valeur propre = 1.02, % de la variance = 5%, alpha = 0.55).51
.87
.53
Une même personne peut avoir un bon niveau dans un sport, et ne pas réussir dans d’autressports.Il n’est pas rare qu’une personne en réussite (bonne) dans une activité sportive, connaisse desdifficultés dans d’autres activités sportives.On peut très bien être bon dans un sport, et avoir des difficultés avec d’autres sports.
Corrélationsentre facteurs:
Facteur 1Facteur 2Facteur 3Facteur 4Facteur 5Facteur 6
Facteur 1-
-.10-.16 .47-.31 .10
Facteur 2
- .23 -.01 .09 -.34
Facteur 3
- -.19 .54 -.10
Facteur 4
--.35 .05
Facteur 5
--.06
Facteur 6
-
Croyances relatives à la nature de l’habileté
- 151 -
Ces six dimensions sont dénommées: conception de l’habileté liée à l’Apprentissage,
conception Générale de l’habileté, conception de l’habileté liée à un Don, conception Améliorable
de l’habileté, conception Stable de l’habileté et conception Spécifique de l’habileté. Les facteurs
expliquent 66% de la variance. Les coefficients alpha de ces sous-échelles, de 0.88 à 0.55,
attestent d’une consistance interne acceptable, excepté pour les items Spécifique. Néanmoins,
étant donnée la nature exploratoire du QCNHS, il a été décidé de garder cette sous-échelle dans les
analyses ultérieures. Les corrélations inter-factorielles positives entre les dimensions
Apprentissage et Améliorable (r = 0.47), Don et Stable (r = 0.54), et Don et Générale (r = 0.23)
témoignent d’une relative interdépendance entre ces conceptions de l'habileté motrice. Les
corrélations négatives entre les dimensions Stable et Apprentissage (r = -0.31), Stable et
Améliorable (r = -0.35), Générale et Spécifique (r = -0.34), et Don et Améliorable (r = -0.19)
démontrent une certaine “relation d’opposition” entre ces différentes conceptions.
Moyennes et écarts-types aux sous-échelles du QCNHS et du QPSS
Tableau 2Moyennes et écarts-types des réponses aux sous-échelles des deux questionnaires, par sexe et pour la population totale.
Échantillon totalN=304
GarçonsN=120
FillesN=184
M ET M ET M ET
Orientations motivationnelles:
CompétitionMaîtrise
Croyances relatives à lanature de l’habileté sportive:
StableAméliorable
DonApprentissage
GénéraleSpécifique
3.044.52
1.924.182.414.202.124.14
1.030.50
0.780.801.050.710.940.73
3.264.44
1.894.192.524.282.154.05
0.980.57
0.760.801.020.700.950.76
2.904.58
1.924.172.344.152.114.20
1.04*0.44*
0.800.801.060.710.940.70
Note: * indique une différence liée au sexe à p < 0.05.
Croyances relatives à la nature de l’habileté
- 152 -
Les moyennes et les écarts-types pour chacune des sous-échelles (par sexe et pour tout
l’échantillon) sont présentés dans le tableau 2. Les tests-t sur séries non appariées révèlent une
différence significative entre les filles et les garçons au niveau de l’orientation vers la comparaison
sociale et l’orientation vers la maîtrise.
Étant donné l’absence d'un effet "sexe" ou d'un effet "âge" (11 - 17 ans) sur une quelconque sous-
échelle du QCNHS, les données n'ont pas étaient différenciées dans les calculs qui suivent.
Relations entre orientations motivationnelles et conceptions de la compétence sportive
L’analyse des corrélations (tableau 3) confirme l’existence de relations significatives entre
l’orientation vers la compétition et les conceptions Stable (r = 0.14), Don (r = 0.26) et Générale (r
= 0.15); et entre l’orientation vers la maîtrise et les conceptions Améliorable (r = 0.36),
Apprentissage (r = 0.38) et Spécifique (r = 0.14). Des corrélations négatives sont également
apparues entre l’orientation vers la maîtrise et les conceptions Stable (r = -0.30), et Don (r = -
0.17).
Tableau 3Corrélations entre les orientations motivationnelles et les croyances relatives à la nature de l’habileté sportive.
Orientations motivationnelles : Compétition Maîtrise de la tâche
Croyances relatives à la nature del’habileté sportive:
Stable Améliorable
Don Apprentissage
Générale Spécifique
.14** .01 .26*** -.01 .15** -.03
-.30*** .36*** -.17** .38*** -.04 .14*
Note : *p < 0.05 **p < 0.01 ***p < 0.001
La relation multivariée entre les orientations motivationnelles et les conceptions, a été
examinée par une analyse de corrélation canonique (canonical correlation analysis). Comme le
Croyances relatives à la nature de l’habileté
- 153 -
montre le tableau 4, deux fonctions significatives sont apparues (les corrélations canoniques furent
.47 et .28, pour respectivement la fonction 1 et la fonction 2).
Tableau 4Coefficients canoniques standardisés pour les orientations et les croyances
Fonction 1 Fonction 2Orientations motivationnelles :
MaîtriseCompétition
Croyances relatives à la nature del’habileté sportive:
Stable Améliorable
Don Apprentissage
Générale Spécifique
1.00-.03
-.33.40-.07.49.09.26
-.12-1.00
.02-.21-.86-.15-.42-.21
Pour la première fonction, une forte orientation vers la maîtrise était positivement associée aux
conceptions Améliorable et Apprentissage, et négativement reliée à la conception Stable. Par
contraste, la seconde fonction a montré qu'une orientation vers la compétition était associée aux
conceptions Don et Générale (tableau 4). L'analyse de la redondance canonique a montré que
15.3% de la variance dans les scores du QCNHS étaient expliqués par les orientations.
Comparaison entre "profils motivationnels"
Les analyses corrélationnelles réalisées ci-dessus ne tiennent pas compte de
l’indépendance des orientations des sujets. Ainsi, il est possible qu’une certaine relation entre une
orientation motivationnelle et une croyance soit abusivement atténuée, ou accentuée, par
l’importance plus ou moins grande que le sujet accorde à la deuxième orientation. Par conséquent,
nous avons examiné les différences de conceptions relatives à l'habileté motrice en fonction des
"profils de buts" (Ames & Archer, 1988; Fox, Goudas, Biddle, Duda, & Armstrong, 1994). Afin
de définir ces profils, nous nous sommes servis de la répartition des scores en centiles sur chacune
Croyances relatives à la nature de l’habileté
- 154 -
des deux orientations motivationnelles. Ainsi, un sujet fut classé "haut" dans une orientation
quand il était situé dans le tiers supérieur de la distribution, et "bas" quand il se situait dans le tiers
inférieur. A partir de ces premières discriminations, quatre groupes au profil motivationnel
singulier furent reconnus: un groupe bas en comparaison sociale-bas en maîtrise (n = 22), un
groupe bas en comparaison sociale-haut en maîtrise (n = 32), un groupe haut en comparaison
sociale-bas en maîtrise (n = 29) et un groupe haut en comparaison sociale-haut en maîtrise (n =
27).
Tableau 5Différences constatées entre les quatre profils motivationnels au niveau des 6 sous-échelles du QCNHS. Il s’agit d’analyses de la variance (quand l’homogénéité des variances a été constatée), dans le cas contraire de tests de Kruskal-Wallis sur les rangs.
Profils:(a)
Bas Compét./Bas Maîtrise
(n = 22)
(b)Bas Compét./Haut Maîtrise
(n = 32)
(c)Haut Compét./Bas Maîtrise
(n = 29)
(d)Haut Compét./Haut Maîtrise
(n = 27)
F(3,106)
H (3)N=110
Croyances: M∑ desrangs M
∑ desrangs M
∑ desrangs M
∑ desrangs
Stable: 2.24 1539.5b
1.64 1377ac 2.06 1761b 1.91 1427.5 -------- 10.6*
Améliorable: 3.76bd 847.5 4.41ac 2169.5 3.90bd 1269 4.40ac 1819 4.9** --------
Don: 2.53 1385.5b
1.66 1071acd 2.61 1868b 2.77 1780.5b
-------- 21.8***
Apprentissage 3.82bd 871.5 4.46ac 2216.5 3.87bd1214.5
4.45ac 1802.5 6.2*** --------
Générale: 1.94 1273 1.66 1383 2.23 1842 2.11 1607 -------- 7.3 ns
Spécifique: 4.06 973b 4.43 2102.5a
c
4.08 1413.5b 4.37 1616 -------- 8.2*
Note: * p <.05, ** p <.01, *** p <.001. Les lettres indiquées à côté des moyennes correspondentaux différences entre groupes aux tests post-hoc de Scheffé (seuil p <.05) quand l’homogénéité des variancesa été constatée. Quand l’homogénéité n’a pas été constatée, les différences observées entre les groupesproviennent de tests U de Mann-whitney sur les rangs.
Les différences de conception des sujets en fonction de leur "profil motivationnel" ont été testées
par des analyses de variance, dans le cas où l’égalité des variances était vérifiée. Dans le cas
contraire des tests de Kruskal-Wallis sur les rangs ont été effectués. Une différence significative a
été observée entre les quatre profils pour les croyances: Améliorable, Apprentissage, Stable, Don,
et Spécifique (tableau 6). Des analyses post-hoc de Scheffé ont montré que - quelle que soit par
ailleurs leur orientation vers la compétition - les deux groupes Haut Maîtrise se distinguaient des
Croyances relatives à la nature de l’habileté
- 155 -
deux groupes Bas Maîtrise par des conceptions Améliorable et Apprentissage. plus fortes D’autre
part, des tests de Mann-Whitney sur les rangs permirent de constater que - comparé aux deux
groupes Bas Maîtrise - le groupe Haut Maîtrise-Bas Compétition, avait une conception Spécifique
plus élevée et une conception Stable plus faible. Par rapport aux trois autres groupes, ce profil se
distinguait par une croyance plus faible sur l'importance du don. La conception générale de la
compétence ne marquait pas significativement un groupe particulier (p =.06); néanmoins la plus
forte croyance en la généralité de la compétence semble caractériser les deux groupes Haut
Compétition, et surtout le groupe Haut Compétition-Bas Maîtrise.
DISCUSSION
L’objet de cette étude était de montrer que les croyances relatives à la nature et aux
déterminants de l’habileté motrice d'adolescents étaient reliées à leurs orientations
motivationnelles. En premier lieu, les résultats de cette étude appuient certaines données
antérieures relatives aux buts d’accomplissement, en particulier l'orientation plus marquée des
garçons pour la compétition, et des filles pour la maîtrise (Duda, 1986a, 1986b, 1988; Duda et al.,
1992; Ewing, 1981; Famose et al., 1992; Gill, 1986).
-1
0
1Fonction1
Fonction2
Maît. Compét. Stable Amél. Don Apprent. Géné. Spécif.
Figure 1 : Chargements canoniques: orientations motivationnelles et croyances
Croyances relatives à la nature de l’habileté
- 156 -
Conformément à notre hypothèse, cette étude a établi les liens existant entre les
orientations motivationnelles (vers la maîtrise ou vers la compétition) et les croyances relatives à
la nature de l’habileté motrice (son caractère améliorable ou stable, général ou spécifique,
déterminé par l’apprentissage, ou par des prédispositions naturelles). L’analyse des corrélations a
révélé des relations modérées, mais néanmoins significatives entre l’orientation vers la
compétition et l’adhésion à une conception stable et générale et innéiste de l'habileté motrice. Une
relation positive est aussi apparue entre l’orientation vers la maîtrise et l’adhésion à une
conception améliorable, spécifique et déterminée par l’apprentissage. Cette orientation s’est
avérée négativement reliée aux conceptions stable et innéiste de l’habileté. L'analyse canonique
(figure 1) a confirmé les liens entre l'orientation vers la compétition et les croyances Générale et
Don, d'une part, et entre l'orientation vers la maîtrise et les croyances Améliorable, Apprentissage
et Instable, d'autre part. Ces résultats fournissent un appui à notre hypothèse.
Stable Amél. Don Apprent. Génér. Spécif.1,5
2
2,5
3
3,5
4
4,5
BsComp-BsMaît
BsComp-HtMaît
HtComp-BsMaît
HtComp-HtMaît
Figure 2 : Scores moyens des quatre "profils motivationnels" aux sous-échelles du QCNHS
Les analyses des croyances en fonction des "profils motivationnels" contrastés montrent
des résultats encore plus nets. On peut voir sur la figure 2, une distribution homogène des
conceptions Améliorable, Apprentissage et Spécifique entre les quatre groupes. Quelle que soit
leur orientation vers la compétition, les deux groupes Haut Maîtrise se distinguent des deux
Croyances relatives à la nature de l’habileté
- 157 -
groupes Bas Maîtrise par une plus grande croyance en la nature améliorable et déterminée par
l'apprentissage de l'habileté. Un second patron de répartition des croyances caractérise le groupe
Bas Compétition-Haut Maîtrise. Ce profil présente un plus grand rejet - par rapport aux trois
autres groupes - d'une influence des prédispositions naturelles. Par rapport aux deux profils Bas
Maîtrise, ce groupe adhère davantage à la conception Spécifique, et croit moins au caractère
Stable de l'habileté. Par contre, le profil Haut Compétition-Haut maîtrise ne se distingue pas des
autres groupes pour ces deux croyances, comme si la forte orientation simultanée vers la maîtrise
et la compétition provoquait une croyance "intermédiaire". Les sujets de ce groupe semblent
concevoir l’habileté motrice à la fois déterminée par l’apprentissage et par des dons naturelles. Ce
profil motivationnel typique de l’élite sportive (Famose, Cury & Sarrazin, 1992) adhère donc à
une conception assez proche de l’analyse scientifique (Ackerman, 1990; Fleishman, 1964). Il
serait peut-être intéressant, à ce propos, d’appréhender les conceptions relatives à la nature de
l’habileté en fonction du niveau d’expertise des sujets. La présente étude n'avait pas de données
pour tester cette hypothèse.
Dans l’ensemble les résultats de cette étude confortent l’hypothèse de Nicholls (1989,
1992a) sur l’existence de concomitances entre le but poursuivi et certaines conceptions. Selon lui,
si les individus poursuivent différentes priorités, ils se posent forcément des questions différentes
et interprètent la réalité environnante de manière également différente. En d’autres termes, les
concepts qu'ils emploient, les données qu’ils collectent, et la manière dont ils interprètent ces
données sont consubstantiellement liés à leurs buts ou préoccupations. L’existence de liaisons
rationnelles entre les buts et les conceptions a été confirmée par les associations révélées dans
notre étude, qui nous apparaissent, somme toute, des plus logiques.
Pour autant, nos résultats, s’ils accréditent la thèse de Nicholls, ne permettent pas de
rejeter le point de vue de Dweck et de ses collègues (Dweck & Bempechat, 1983; Dweck & Elliot,
1983; Dweck & Leggett, 1988; Leggett, 1985). Au contraire, il est tout à fait envisageable de dire
que ce sont les différentes conceptions relatives à la nature de l’habileté motrice (les "théories
implicites", dans la terminologie de Dweck) qui mènent à des buts différents. Ainsi, penser que
l’habileté sportive est améliorable, spécifique à un domaine (ou à une tâche), et liée à
Croyances relatives à la nature de l’habileté
- 158 -
l’apprentissage, occasionne plus facilement la poursuite d’un but de maîtrise que ne le ferait la
croyance en une habileté stable, générale et déterminée par un don. D’autre part, cette dernière
conception de l’habileté s'accommode mieux d’une orientation vers la compétition. Concevoir
l’habileté comme une entité stable, générale et liée à des prédispositions génétiques, subordonne la
perception d’un sentiment de compétence à un processus de comparaison sociale. En effet, la
poursuite d’un but d’apprentissage devient dès lors sans fondement, puisque le travail n’est pas
perçu comme pouvant améliorer l’habileté.
Ces liaisons observées entre les conceptions relatives à la nature de l’habileté et les
orientations motivationnelles peuvent ne pas être "figées". On peut très bien envisager une
évolution dans le temps à la fois des buts et des conceptions, en fonction de variables
situationnelles et de l’expérience du sujet. Par exemple, la constatation d’une faible amélioration
du niveau d’habileté malgré des efforts importants peut faciliter l’adhésion à une conception stable
et innéiste. Cette croyance peut également varier en fonction de l’activité sportive elle-même ou
du type de tâche. L’habileté en athlétisme peut plus facilement être conçue comme "basale" et
limitée par des prédispositions génétiques, que ne le feraient les sports collectifs où de nombreuses
habiletés doivent être coordonnées et où l’aspect stratégique est important (Sarrazin, Cury, &
Famose, 1993).
Cette évolution quant à la nature des habiletés sportives peut aussi être associée à des
variations dans le choix du but d'accomplissement. Plus précisément, on peut penser que la
perception d’une certaine marge de progrès dans une activité quelconque oriente
préférentiellement les sujets vers un but de maîtrise. Par contre, dès que celle-ci devient plus
réduite, une alternative s’offre alors au sujet préoccupé par la manifestation de sa compétence. Il
peut décider de se soustraire à la tâche qui n’est plus gratifiante en elle-même, puisqu’elle ne
permet plus d’éprouver un sentiment d’habileté (dans le sens auto-référencé). Il peut également
choisir de s’orienter préférentiellement vers un but de compétition qui permettra éventuellement
de faire la démonstration de son habileté (dans le sens normatif), et par là de recueillir d’autres
gratifications. Encore faut-il que son habileté perçue soit suffisamment haute pour pouvoir
supporter la comparaison. Si tel n’est pas le cas, une conception stable et déterminée par un don
Croyances relatives à la nature de l’habileté
- 159 -
associée à une basse habileté perçue s’accompagne d’un affaiblissement de la motivation
d’accomplissement dans ce domaine (ou dans une activité particulière), comme nous l’avons
constaté dans une étude antérieure (Sarrazin et al., 1993). Une activité sportive était moins
attractive quand sa réussite apparaissait liée à un don plus qu’à l’apprentissage; et ce de manière
d’autant plus marquée que le sujet s’estimait faible dans l’activité. Pour des raisons similaires, les
conséquences sont également néfastes à l’investissement et à son maintien, quand l’habileté est
conçue comme relativement stable ou peu améliorable (Sarrazin et al., 1993). L’adhésion à une
conception stable et innéiste de l’habileté sportive, simultanée à la perception d’une faible habileté
dans ce domaine, devrait se traduire en toute logique, par le rejet à la fois du but de maîtrise et du
but de compétition. Or nous avons constaté que le profil Bas Compétition-Bas Maîtrise présentait
une acceptation assez marquée pour la conception stable et innéiste de l’habileté. D’autres études
devraient, en mesurant l’habileté perçue, explorer cette hypothèse.
Dans cette étude, nous avons montré que les orientations motivationnelles étaient
associées à des croyances sur la nature et les déterminants de l'habileté motrice. Des travaux futurs
devraient envisager l’impact du niveau d’expertise ou de l’habileté perçue sur ces liaisons, ou
encore l’influence réciproque des conceptions et des buts et leur évolution dans le temps en
fonction des expériences vécues et des particularités spécifiques à chaque sport. D'un point de vue
pratique, on peut penser que les habiletés sportives qui sont perçues par les élèves comme stables
et/ou liées à la possession d'aptitudes soient particulièrement peu attirantes pour ceux qui pensent
ne pas posséder ces attributs. Nous l'avons dit dans la partie théorique, et nous chercherons à le
confirmer dans les chapitres suivants, quand l'habileté est conçue comme une capacité, la
perception d'une basse habileté a des répercussions motivationnelles négatives. De manière
similaire, les croyances relatives à la nature des habiletés sportives peuvent avoir de fortes
conséquences motivationnelles, et affecter les préférences d'activités sportives et l'investissement
dans celles-ci. Pour le professeur d'EPS, il semble, quand il en a la possibilité, préférable de
"programmer" des activités dont la performance est tributaire du travail plus que de
prédispositions naturelles (la course de haie plutôt que la course de vitesse, le triple saut plutôt que
le saut en longueur, par exemple).
Sélection d’un niveau de difficulté
- 295 -
Chapitre 2
Sélection du niveau de difficulté de la tâche
dans des situations de libre choix
Nous avons démontré dans le chapitre précédent, l'existence d'une liaison rationnelle entre
les orientations à l'accomplissement et certaines croyances ou "vues sur le monde" (Nicholls,
1989). Nous allons à présent, dans les chapitres qui suivent tester l'impact des buts motivationnels
sur les conduites.
Conformément au cadre théorique que nous avons adopté, les hypothèses que nous
émettons consistent en une description précise de ce que les sujets recherchent - c'est-à-dire, leur
but motivationnel, ou dans les termes des théories Valence-Instrumentalité-Expectation, les
conséquences valorisées de leurs actions - associée d'une description des liens instrumentaux
qu'ils établissent entre ces conséquences désirées et les actions qui sont censées y conduire. Dans
ce chapitre, les prévisions portent sur le choix d'un niveau de difficulté, quand plusieurs
alternatives s'offrent aux sujets - une variable dépendante "traditionnelle" de la recherche sur la
motivation à l'accomplissement (voir Heckhausen, 1977). L'effort consenti et la performance
obtenue seront traités dans les chapitres qui suivent.
Sélection d’un niveau de difficulté
- 161 -
MOTIVATION
Haute
FaibleProbabilité de réussite
Très haute Moyenne Très faible
Très facile "incertaine" Très " de défi" difficile
Difficulté égocentrique
Figure 1: niveau prévu de motivation des sujets Maîtrise, en fonction de la probabilité subjective de réussir.
Hypothèse 1. Les individus qui poursuivent un but motivationnel de maîtrise se sentent
compétents lorsqu'ils ont le sentiment d'apprendre, de résoudre des problèmes et de progresser
dans la maîtrise des éléments. Pour eux, la certitude de réussir une tâche ne permet pas d'anticiper
un sentiment important de compétence - si une tâche semble facile, sa maîtrise n’apparaît pas
demander plus d’habileté. Une perspective certaine d’échec n’offre pas non plus d'opportunité de
se sentir compétent. En définitive, on prédit qu'avec un but de maîtrise, les tâches sont plus
attractives quand elles sont perçues comme nécessitant un effort intense pour réussir et quand ni le
succès ni l’échec ne semblent certains, c'est-à-dire quand la difficulté est "intermédiaire" pour
l'individu, ou quand ses probabilités subjectives de réussir sont "moyennes". On parle de tâche de
"défi" personnel (figure 1). Il convient d’insister ici sur l’aspect auto-référencé du jugement de
difficulté formulé par ces sujets; d’où la notion de difficulté égocentrique utilisée par Nicholls
(1984, 1989). Compte tenu des différences d'habileté perçue, une tâche peut constituer un "défi"
pour un individu, mais pas pour un autre. Par conséquent, la difficulté choisie est d’autant plus
importante que l’habileté perçue est élevée (figure 2).
Sélection d’un niveau de difficulté
- 162 -
MOTIVATION
Haute
Faible
Très facile Moyenne Très difficile
Difficulté objective ou normative
Figure 2 : Niveau de motivation prévu pour 2 sujets Maîtrise confrontés à des niveaux distincts de difficulté. Le tracé en gras correspond à celui qui a une habileté perçue élevée, l'autre tracé, à celui qui a une faible habileté perçue.
Hypothèse 2. Le jugement de compétence des sujets qui poursuivent un but motivationnel de
compétition, est subordonné à l’habileté (et à l'effort) des autres, c'est-à-dire à la difficulté
normative des tâches. Pour faire preuve d’habileté il faut réussir une tâche d'une difficulté
supérieure ou égale à la moyenne. Un échec associé à une difficulté inférieure ou équivalente à la
moyenne, dénote une faible compétence. Les tâches moyennes offrent donc la possibilité de
performances au-dessus ou au-dessous de la norme, en fonction respectivement, du succès ou de
l’échec manifesté. Le choix de la difficulté dépend de l’habileté perçue de l'individu, dans
l’activité en question. Les individus qui estiment avoir une habileté élevée, s’attendent à se
montrer meilleurs que la norme. En fonction de ce qu’ils pensent être capables de faire, ils vont
sélectionner une tâche dont la difficulté est supérieure ou égale à ce que fait la "moyenne" des
individus du groupe de référence. Le schéma est plus complexe parmi les individus qui s'estiment
plus faibles que la norme. Ils s’attendent à échouer et à se sentir malhabiles (voire ridicules) quand
la difficulté normative de la tâche est moyenne. Par conséquent, ils vont éviter une difficulté si
aversive. Le choix d'une tâche facile ou difficile constitue une alternative. Compte tenu du niveau
de difficulté, échouer dans une tâche difficile, n'est pas synonyme d'une habileté plus faible que la
norme. D’un autre côté, réussir sans trop forcer une tâche facile, entretient aussi une incertitude
Sélection d’un niveau de difficulté
- 163 -
sur son habileté. Selon Nicholls, le choix préférentiel entre ces deux niveaux de difficulté dépend,
d’une part de la certitude plus ou moins grande du sujet quant à l’insuffisance de son habileté, et
d’autre part de son objectif. En effet, le but de compétition est double; il peut se traduire par la
"volonté de chercher à démontrer une habileté supérieure" ou par "le désir d’éviter de manifester
un faible habileté" (Nicholls, 1984, 1989). Les individus qui s'estiment plus faibles que la
"moyenne" mais qui n'ont pas abandonné l'objectif de démontrer leur habileté doivent choisir une
tâche difficile (une tâche facile ne permettant pas d'inférer automatiquement une habileté
supérieure à la norme). Dès que l'individu est convaincu de manquer d'habileté, sa réponse
rationnelle s'il n'a pas la possibilité de se soustraire à la tâche, est le rejet du but inatteignable de
démontrer son habileté au profit du second: éviter d’établir clairement son manque d'habileté.
Dans ce cas, le choix se porte vers une tâche facile, requérant peu d'effort. Ces prédictions sont
symbolisées dans la figure 3.
MOTIVATION
Haute
Faible
Très facile Moyenne Très difficile
Difficulténormative
Figure 3 : Niveau de motivation prévu pour 2 sujets Compétition confrontés à des niveaux distincts de difficulté. Le tracé en gras correspond à celui qui a une habileté perçue élevée, l'autre tracé, à celui qui a une faible habileté perçue.
Comme le signale Duda (1992), peu de recherches en sport, ont analysé le choix d’un
niveau de difficulté. Les rares qui aient utilisé une tâche motrice, avaient pour but d’éprouver les
hypothèses d’Atkinson (1964) sur la prise de risque (deCharms & Dave, 1965; Hamilton, 1974;
Sélection d’un niveau de difficulté
- 164 -
Roberts, 1974). A notre connaissance, aucune ne s'est servie de la perspective socio-cognitive de
Nicholls. C'est la raison pour laquelle, nous avons décider de conduire les deux expériences
suivantes. La tâche qui a servi de support à notre expérimentation, est une tâche d'escalade sur
structure artificielle. Elle présente l'avantage de mettre en évidence à la fois l'habileté du
pratiquant et l'effort déployé, de comporter une certaine part d'incertitude quant au résultat, et de
faciliter l'appréciation de celui-ci en termes de réussite ou d'échec. Enfin, elle comporte plusieurs
niveaux de difficulté relativement évidents, et présente une "valeur culturelle" nettement
supérieure à celle des tâches de laboratoire habituellement utilisées.
1. EXPÉRIENCE 1: CHOIX DE LA DIFFICULTÉ EN FONCTION DE L'ORIENTATIONMOTIVATIONNELLE ET DE L'HABILETÉ PERÇUE, DANS UNE SITUATIONCOMPÉTITIVE
36
L'objectif de cette première expérience était d'éprouver les hypothèses que nous avons
émises. Elle avait également pour but de tester l'influence d'un contexte de comparaison forcée
(i.e., une compétition). Nous avons parlé dans la partie théorique de l'influence simultanée sur le
but motivationnel que recherche le sujet, du contexte et de la tendance latente (l'orientation). On
peut penser que le contexte compétitif dans lequel se trouvent les sujets, peut "perturber" ceux qui
ont une orientation vers la maîtrise, en particulier ceux qui ont une faible habileté perçue.
MÉTHODE
Sujets
Quatre cent cinquante adolescents d'un collège mixte de la banlieue parisienne, d'origine
socio-économique "favorisée" (une majorité de leurs parents faisant partie des cadres et des
professions libérales), ont participé à cette expérience. Ils étaient âgés en moyenne de 13 ans et 2
mois (ET = 1.4).
36 Tiré de: Sarrazin (1992); Famose, Sarrazin, Cury, & Durand (1993a); Famose, Sarrazin, & Cury (1995).
Sélection d’un niveau de difficulté
- 165 -
Tâche
Cinq voies d'une hauteur de 7, 50 mètres, étaient présentées aux sujets. On leur disait
qu'elles étaient nouvelles, et que le taux de réussite d'un large échantillon d'élèves de leur âge avait
permis de déterminer leur difficulté. Sur la première voie 90% étaient parvenus jusqu'en haut (elle
était "très facile"), sur la seconde 75% (elle était "facile"), sur la troisième 50% (elle était
"moyenne"), sur la quatrième 25% (elle était "difficile") et sur la dernière 10% (elle était "très
difficile").
Procédure
Cette expérience s'est déroulée pendant les séances d'éducation physique et sportive des
sujets, lors d'un cycle de 4 séances. La très grande majorité des sujets n'avait jamais pratiquait
l'escalade auparavant. A la fin de la deuxième séance d'initiation, les sujets remplissaient un
questionnaire évaluant, d'une part, leur orientation motivationnelle et d'autre part leur habileté
perçue en escalade. Sur la base de ces deux mesures, quatre groupes ont été constitués: un groupe
à orientation Maîtrise élevée-compétition faible et à Habileté perçue Élevée (12 garçons et 13
filles), un groupe à orientation Maîtrise élevée-compétition faible et à Faible Habileté perçue (12
garçons et 13 filles), un groupe à orientation Compétition élevée-maîtrise faible et à Habileté
perçue Élevée (14 garçons et 11 filles) et un groupe à orientation Compétition élevée-maîtrise
faible et à Faible Habileté perçue (13 garçons et 12 filles). Pour effectuer ces groupes, la
répartition des scores en centiles, à chacune des sous-échelles du questionnaire d'orientation
motivationnelle a été utilisée. Les sujets étaient classés "élevés" dans une orientation quand ils
étaient situés dans le tiers supérieur de la distribution, et "faible" quand ils se situaient dans le tiers
inférieur. Les sujets ont, d'autre part, été considérés comme ayant une "habileté perçue élevée"
lorsque leur réponse à l'item évaluant l'habileté perçue en escalade, était supérieure à 4. Quand la
réponse était inférieure, on considérait qu'ils avaient une "faible habileté perçue".
Les sujets ont été confrontés à une situation dans laquelle ils devaient choisir et escalader
une voie parmi cinq, dans un contexte compétitif. Pour cela, une compétition était organisée entre
tous les membres de la classe, qui devait donner lieu à un classement avec proclamation publique
Sélection d’un niveau de difficulté
- 166 -
des résultats. Le classement devait être effectué à partir du résultat obtenu à l'issue d'une ascension
unique. Chaque voie était affectée d’un nombre de points (de 1 point pour la plus facile, à 5 pour
la plus difficile). On insistait sur le fait qu’il fallait réussir la voie choisie, tout échec se voyant
attribuer 0 point. La difficulté normative des voies était soulignée. Une caméra filmait la
prestation des sujets, qui se déroulait devant les autres. La difficulté de la voie choisie a constitué
la variable dépendante de cette expérience; tous les sujets ont spécifié par écrit, avant la
compétition, et isolément, leur choix.
Questionnaires
Orientation motivationnelle. La "tendance" à valoriser, en sport, la compétition et/ou la
maîtrise des tâches a été estimée par les 12 items du Questionnaire de Perception du Succès en
Sport (QPSS) (cf. partie 2 - chapitre 1). Dans cette recherche, les coefficients alpha des deux sous-
échelles d'orientation vers la maîtrise et vers la compétition se sont respectivement élevés à .70 et
.81.
Habileté perçue en escalade. Les sujets estimaient leur niveau en escalade sur une échelle
de type Likert en 7 points, avec (1) "je me sens très mauvais" et (7) "je me sens très bon".
RÉSULTATS
Aucun effet "sexe" n'ayant été remarqué à l'intérieur des groupes comme pour l'ensemble
de ceux-ci, les résultats qui suivent ne tiennent pas compte de cette variable.
Le nombre de sujets de chaque groupe ayant choisi les différentes voies est présenté dans
le tableau 1. La répartition des sujets sur chacune des 5 voies, en fonction de leur groupe, s’écarte
de manière significative de la distribution théorique: χ2 (12, N = 100) = 76.28, p <.0001.
L’analyse de la contribution des cases a posteriori (qui permet d'identifier les cases d'un tableau
de contingence responsables d'un χ2 significatif, au seuil p <.05) révèle que les sujets des deux
Sélection d’un niveau de difficulté
- 167 -
groupes à habileté perçue élevée sont sous-représentées dans les voies facile et très facile. Le
groupe Maîtrise-Habileté perçue élevée est sur-représenté dans la voie moyenne, alors que le
groupe Compétition-Habileté perçue élevée est sur-représenté dans les voies difficile et très
difficile. Le groupe Maîtrise-Faible habileté perçue est sur-repésenté dans les voies facile et très
facile, et sous-représenté dans la voie difficile. Enfin, le groupe Compétition-Faible habileté
perçue est sur-représenté dans la voie facile, et sous-représenté dans la voie moyenne. Une
différence significative existe entre les deux groupes à faible habileté perçue: χ2 (3, N = 50) =
10.44, p <.05. L’analyse de la contribution des cases a posteriori au χ2, montre que les sujets
Maîtrise sont sous-représentés dans la voie difficile, alors que ceux du groupe Compétition sont
sur-représentés dans cette voie. Il n'existe pas de différence significative entre les deux groupes à
Habileté perçue élevée: χ2 (2, N = 50) = 1.48, p >.10.
Tableau 1Répartition des effectifs de chacun des 4 groupes en fonction de la difficulté normative de la voie.
Difficulté normative des voies:
Très facile Facile Moyenne Difficile Très difficile
Orientation
vers la maîtrise
vers la compétition
Habileté perçue
Élevée
Faible
Élevée
Faible
0
11
0
5
0
10
0
13
12
4
8
1
10
0
12
6
3
0
5
0
DISCUSSION
L'objet de cette recherche était de constater le choix d'un niveau de difficulté d'une voie en
escalade, en fonction de l'orientation motivationnelle et de l'habileté perçue des sujets, dans un
contexte de compétition. Les résultats ont montré trois profils distincts de choix de difficulté
normative. Certains sujets n'ont choisi que les voies moyenne à très facile, et ont rejeté les voies
facile et très facile; il s'agit des sujets à haute habileté perçue, quelle que soit leur orientation
Sélection d’un niveau de difficulté
- 168 -
motivationnelle. D'autres sujets ne se sont pas risqués sur des voies d'une difficulté supérieure à la
moyenne. Le choix des voies "très facile", "facile" et "moyenne" (avec une préférence pour les
deux premières) caractérise le groupe Maîtrise-Faible habileté perçue. Le dernier profil est
caractéristique des sujets Compétition-Faible habileté perçue. Ils ont choisi les voies "très facile",
"facile", ou "difficile", avec une quasi aversion pour la voie "moyenne" (graphique 1).
0
10
20
30
40
50 Très facile
Facile
Moyenne
Difficile
Très difficileMaîtrise- Maîtrise- Compétition- Compétition-Faible H.P. Haute H.P Faible H.P. Haute H.P.
Graphique 1 : Répartition des effectifs de chacun des quatre groupes en fonction de la difficulté.
Ces données sont en partie conformes à nos hypothèses. Comme prévu, elles confirment le choix
préférentiel des deux groupes à habileté perçue élevée, pour une difficulté supérieure ou égale à la
moyenne. Elles constatent le rejet de la tâche moyenne du groupe Compétition-Faible habileté
perçue, et la sélection d'une tâche difficile (pour un quart d'entre eux) ou facile, voire très facile
(pour les trois quarts). Néanmoins, on pouvait s'attendre à ce qu'une forte proportion des sujets du
groupe Maîtrise-Faible habileté perçue opte pour la voie moyenne. Or, seulement 16% l'ont fait,
44% préférant la voie très facile et 40% la voie facile. On peut invoquer l'influence du contexte
compétitif pour expliquer ce résultat. Il a pu "perturber" la tendance motivationnelle de ces sujets
en induisant des préoccupations relatives à leur niveau d'habileté (Roberts, 1992). Néanmoins, en
l'absence d'une mesure de leur probabilité subjective de succès, on ne peut pas garantir que le
niveau de difficulté choisi par les sujets Maîtrise, ne constituait pas pour eux, une tâche de défi.
C'est la raison pour laquelle, nous avons conduit cette deuxième expérience. Pour nous assurer de
la poursuite réelle du but motivationnel dont on teste l'influence sur les comportements de choix,
Sélection d’un niveau de difficulté
- 169 -
nous avons placé les sujets dans un contexte conforme à leur orientation motivationnelle (cf.
remarques sur l'utilisation du QPSS à la fin du chapitre 1 - partie 2). Pour apporter un soutien plus
catégorique à nos hypothèses, nous avons ajouté une mesure de la probabilité subjective de
réussir.
2. EXPÉRIENCE 2: CHOIX DE LA DIFFICULTÉ ET PROBABILITÉ DE RÉUSSIR, ENFONCTION DU BUT MOTIVATIONNEL ET DE L'HABILETÉ PERÇUE DES SUJETS
37.
MÉTHODE
Sujets
Cinq cents garçons d’un collège de la banlieue parisienne, d'origine socio-économique
"favorisée" (une majorité de leurs parents faisant partie des cadres et des professions libérales),
ont répondu dans un premier temps à deux questionnaires. Quatre vingt deux sujets ont été
sélectionnés parmi eux, pour participer à l’expérience. Ils étaient âgés de 12 à 16 ans (moyenne =
13 ans et 8 mois, ET = 1.7). Les sujets avaient pratiqué l'escalade depuis au moins un an sur la
structure artificielle du collège.
Tâche
Cinq voies d'une hauteur de 7, 50 mètres, étaient présentées aux sujets. Leur difficulté
normative avait été repérée lors d’une étude préalable (avec 100 sujets du même âge). Quatre vingt
quatorze pour cent réussirent la première voie, qualifiée de "très facile", 80% la deuxième
qualifiée de "facile", 54% la troisième qualifiée de "moyenne", 23% la quatrième qualifiée de
"difficile", et 3% la cinquième voie qualifiée de "très difficile". 37 Tiré de: Sarrazin, Famose, & Cury (1995a).
Sélection d’un niveau de difficulté
- 170 -
Procédure
Sur la base de deux questionnaires évaluant l'orientation motivationnelle des sujets et leur
habileté perçue en escalade, quatre groupes ont été constitués: un groupe à orientation maîtrise
élevée compétition faible et à habileté perçue élevée (n = 21), un groupe à orientation maîtrise
élevée compétition faible et à faible habileté perçue (n = 19), un groupe à orientation compétition
élevée maîtrise faible et à habileté perçue élevée (n = 21) et un groupe à orientation compétition
élevée maîtrise faible et à faible habileté perçue (n = 21). Pour effectuer ces groupes, la même
démarche que celle de l'expérience 1 a été utilisée. La seule différence est liée à l'habileté perçue;
les sujets ont été considérés comme ayant une "habileté perçue élevée" lorsque la moyenne de
leurs réponses au questionnaire d'habileté perçue en escalade, était supérieure à 6. Quand la
moyenne était inférieure on considérait qu'ils avaient une "faible habileté perçue".
Les sujets ont été confrontés à une situation dans laquelle ils devaient choisir et escalader
une voie parmi cinq, dans un contexte conforme à leur orientation motivationnelle.
Avant que les sujets ne commencent leur ascension, on leur demandait d’estimer les
chances qu’ils se donnaient de parvenir au sommet de la voie choisie (probabilité de réussite).
Cette mesure ainsi que la difficulté normative de la voie choisie, constituaient les deux variables
dépendantes de cette étude.
Passation
Les sujets des groupes Maîtrise, se présentaient individuellement dans la partie du
gymnase qui contenait le mur d'escalade. L'expérimentateur précisait qu'il s'agissait d'un cours
particulier d’escalade durant lequel le but était de progresser dans cette activité. Il présentait les
cinq voies en précisant leur niveau de difficulté à partir d'arguments relatifs à la difficulté
objective des passages (nombre de prises, facilité de préhension, inclinaison du support, etc.).
Aucune référence n’était faite à leur difficulté normative. L’expérience se déroulait sans
spectateur et en l'absence du professeur. Il était dit aux sujets des groupes Compétition qu’ils
allaient réaliser un concours d’escalade avec d’autres élèves de leur âge; concours qui devait
donner lieu à un classement (proclamé) en fonction des résultats obtenus lors d'une ascension
Sélection d’un niveau de difficulté
- 171 -
unique. Chaque voie était affectée d’un nombre de points (de 1 point pour la plus facile, à 5 pour
la plus difficile). On insistait sur le fait qu’il fallait réussir la voie choisie, tout échec se voyant
attribuer 0 point. La difficulté normative des voies était soulignée. Une caméra filmait la
prestation des sujets, et l’épreuve avait un caractère public.
Questionnaires
Orientation motivationnelle. La "tendance" à valoriser, en sport, la compétition et/ou la
maîtrise des tâches a été estimée par les 12 items du Questionnaire de Perception du Succès en
Sport (QPSS) (cf. partie 2 - chapitre 1). Dans cette recherche, les coefficients alpha des deux sous-
échelles d'orientation vers la maîtrise et vers la compétition se sont respectivement élevés à .78 et
.89.
Habileté perçue en escalade. Nous avons utilisé le Questionnaire d’Habileté Perçue
Spécifique, de Famose, Sarrazin, et Cury (1994a) (cf. partie 2 - chapitre 2). Dans cette recherche,
la consistance interne du questionnaire s'est avérée satisfaisante (alpha = .88).
Probabilité subjective de réussir. Une échelle de catégorie en 5 points a été utilisée, avec
(1) "pratiquement aucune chance d’atteindre le sommet", (2) "une petite chance d’atteindre le
sommet", (3) "une chance sur deux (autant de chance de réussir que d’échouer)...", (4) "une bonne
chance ..." et (5) "presque certain d’atteindre le sommet".
RÉSULTATS
Choix de la difficulté de la voie
Le nombre de sujets de chaque groupe ayant choisi les différentes voies est présenté dans
le tableau 1. La répartition des sujets sur chacune des 5 voies, en fonction de leur groupe, s’écarte
de manière significative de la distribution théorique: χ2 (12, N = 82) = 79.11, p <.001. L’analyse
de la contribution des cases a posteriori révèle que, sur l’ensemble des quatre groupes, les sujets
Maîtrise-Faible habileté perçue et Compétition-Habileté perçue élevée sont sur-représentés dans la
voie moyenne, alors que le groupe Maîtrise-Habileté perçue élevée est sur-représenté dans les
Sélection d’un niveau de difficulté
- 172 -
voies "difficile" et "très difficile". Le groupe Compétition-Faible habileté perçue est sur-représenté
dans les voies "très facile" et "facile". A l’inverse ce groupe, ainsi que les sujets Maîtrise-Habileté
perçue élevée, sont sous-représentés dans la voie moyenne. Enfin, les sujets Maîtrise-Faible
habileté perçue sont sous-représentés dans la voie difficile.
Tableau 1Répartition des effectifs de chacun des 4 groupes en fonction de la difficulté normative de la voie.
Difficulté normative des voies:
Très facile Facile Moyenne Difficile Très difficile
But motivationnel
de maîtrise
de compétition
Habileté perçue
Élevée (n = 21)
Faible (n = 19)
Élevée (n = 21)
Faible (n = 21)
0
1
0
7
0
2
0
7
0
15
11
1
15
1
8
4
6
0
2
2
Une différence significative existe entre les deux groupes à faible habileté perçue: χ2 (4,
N = 40) = 23.29, p <.001. L’analyse de la contribution des cases a posteriori au χ2, montre que les
sujets Maîtrise sont sur-représentés dans la voie moyenne, alors que ceux du groupe Compétition
sont sur-représentés dans les voies "facile" et "difficile".
Il existe également une différence significative entre les deux groupes à Habileté perçue
élevée: χ2 (2, N = 42) = 15.13, p <.001. Les contributions a posteriori révèlent que le groupe
Maîtrise est sur-représenté dans la voie difficile, alors que le groupe Compétition est sur-
représenté dans la voie moyenne.
Choix en fonction des probabilités subjectives de réussir
Le nombre de sujets de chaque groupe sur les cinq catégories correspondant aux "chances
de parvenir au sommet de la voie choisie" est présenté dans le tableau 2.
Sélection d’un niveau de difficulté
- 173 -
Tableau 2Répartition des effectifs de chacun des 4 groupes en fonction de la probabilité subjective de réussir
Probabilités subjectives de réussir la voie choisie
Très élevée élevée Intermédiaire Faible Très faible
But motivationnel
de maîtrise
de compétition
Habileté perçue
Élevée (n = 21)
Faible (n = 19)
Élevée (n = 21)
Faible (n = 21)
0
0
2
5
0
0
14
8
16
14
4
1
5
5
1
5
0
0
0
2
La distribution s’écarte de la répartition théorique: χ2 (12, N = 82) = 61.95, p <.001.
L’analyse de la contribution des cases a posteriori au χ2, démontre une configuration de choix
identique entre les deux groupes Maîtrise. Ils sont sur-représentés dans la catégorie "probabilité
intermédiaire" de réussir et sous-représentés dans la catégorie "probabilité élevée". A l’inverse,
les deux groupes Compétition sont tous deux, sous-représentés dans la catégorie "probabilité
intermédiaire" de réussir. Les sujets Compétition-Faible habileté perçue sont sur-représentés dans
les gammes de probabilité "très faible" et "très élevée". Les sujets Compétition-Haute habileté
perçue sont, quant à eux, sur-représentés dans la catégorie d’espérance de succès "élevée" et sous-
représentés dans celle d'espérance "basse".
On constate une différence significative entre les deux groupes à Faible habileté perçue:
χ2 (4, N = 40) = 26.23, p <.001. Par rapport à ceux du groupe Compétition, les sujets Maîtrise ont
davantage choisi une voie pour laquelle ils estimaient avoir une probabilité intermédiaire de
réussir; alors que les choix des premiers correspondaient plus à une attente de succès "élevée" et
"très élevée".
Il existe aussi une différence significative entre les deux groupes à Habileté perçue élevée:
χ2 (2, N = 42) = 25.87, p <.001. Le groupe Maîtrise est sur-représenté dans la catégorie
"probabilité intermédiaire de réussir", alors que le groupe Compétition, est sur-représenté dans la
catégorie "espérance élevée de succès".
Sélection d’un niveau de difficulté
- 174 -
DISCUSSION
L’objectif de cette expérience était d’étudier le choix, effectué par des sujets de 13 ans,
d’un niveau de difficulté d’une voie en escalade et la probabilité subjective de réussir, en fonction
du but motivationnel et de l'habileté perçue dans l’activité. La variable dynamique "but
motivationnel", cruciale au modèle, nécessitait un contrôle particulièrement minutieux. En effet,
des recherches antérieures ont montré que la poursuite d'un but était tributaire à la fois d'une
"tendance" ou orientation personnelle, et de la demande environnementale (Ames, 1992; Nicholls,
1989; Roberts, 1992). Nous avons donc jugé souhaitable de créer un contexte de présentation de la
tâche (les consignes apportées) en accord avec l'orientation motivationnelle des sujets, pour
garantir la fiabilité du but dont nous testions les effets, et pour pouvoir confirmer (ou infirmer) nos
hypothèses avec plus de certitude que dans l'expérience 1.
01020304050607080
Très Facile
Facile
Moyenne
Difficile
Très difficile
Maîtrise - Maîtrise - Compétition - Compétition -Faible H.P. Haute H.P. Faible H.P. Haute H.P.
Graphique 1 : Répartition des effectifs de chacun des quatre groupes en fonction de la difficulté.
Les résultats ont montré des préférences différenciées conformes à nos hypothèses. Les
sujets qui poursuivaient un but de compétition et qui doutaient de leur habileté en escalade ont
rejeté la voie moyenne. Leur choix s’est porté, pour les deux tiers d'entre eux, sur les voies "facile"
ou "très facile" et pour un quart d'entre eux, sur les voies "difficile" et "très difficile". Ils se sont
distingués dans leurs préférences, de ceux à faible habileté perçue qui poursuivaient un but de
Sélection d’un niveau de difficulté
- 175 -
maîtrise. Ces derniers ont majoritairement choisi la voie moyenne. Les deux groupes à habileté
perçue élevée ont sélectionné des voies d’une difficulté normative supérieure ou égale à la
moyenne. Néanmoins, contrairement à ce que nous attendions, ces deux groupes ont fait preuve
d’inclinations distinctes. Les sujets Maîtrise ont choisi exclusivement des tâches "difficile" ou
"très difficile", alors que ceux qui poursuivaient un but de compétition ont davantage investi la
voie moyenne (graphique 1).
L’examen des probabilités subjectives de réussir apporte également un soutien aux
hypothèses, et met en évidence les processus sous-jacents. Les sujets avec un but de maîtrise ont,
en grande majorité et quelle que soit leur habileté perçue dans l’activité, choisi des voies pour
lesquelles ils se donnaient autant de chances de réussir que d’échouer, c’est-à-dire des tâches de
défi personnel; une minorité a préféré une voie pour laquelle elle estimait la probabilité de réussir
plutôt basse. Aucun sujet Maîtrise n’a choisi la facilité, c'est-à-dire un choix attaché à des chances
élevées de réussite (graphique 2).
01020304050607080
Très élevée
Elevée
Intermédiaire
Faible
Très faible
Maîtrise - Maîtrise - Compétition - Compétition -Faible H.P. Haute H.P. Faible H.P. Haute H.P.
Graphique 2 : Répartition des effectifs de chacun des quatre groupes en fonction des probabilités subjectives de réussir.
La certitude de réussir une tâche, quand on cherche à apprendre, à résoudre des problèmes
et à progresser, ne permet pas d'anticiper un sentiment d'habileté: si une tâche semble facile, sa
maîtrise n’apparaît pas demander plus d’effort ou d'habileté. A l’opposé, une perspective certaine
d’échec n’offre pas non plus l’éventualité d’un sentiment d’habileté. Ainsi, les tâches trop aisées,
Sélection d’un niveau de difficulté
- 176 -
comme celles qui comportent un trop grand risque d’échec sont logiquement rejetées au profit de
celles qui présentent un niveau optimal et réaliste de difficulté. Les préférences des sujets qui
poursuivent un but de maîtrise sont donc fondées sur des critères auto-référencés: les probabilités
subjectives de succès. En conséquence, le choix de différentes difficultés "objectives" s’explique
par l’hétérogénéité de l’habileté des sujets. Ceux à faible habileté perçue ont majoritairement
sélectionné la voie "moyenne", parce qu’ils estimaient également "moyenne", leur probabilité de
réussir cette voie; alors que pour la majorité des sujets à habileté perçue élevée, c’est la voie
"difficile" qui constituait un "défi" (cf. graphique 1 et graphique 2).
L'examen des probabilités subjectives de réussir des sujets des groupes Compétition
confirme des préoccupations distinctes. Ceux à habileté perçue élevée désiraient démontrer leur
supériorité sur les autres. Pour cela, ils ont tous sélectionné une tâche dont la difficulté était
supérieure ou égale à la norme (graphique 1). En effet, une tâche réputée facile à maîtriser par la
plupart des membres d’un groupe de référence, ne permet pas d'offrir l’opportunité d’un sentiment
d'habileté, car le succès ne peut être attribué qu'à sa facilité. Il apparaît également que leur
préférence a été guidée par le souci de réussir facilement la tâche: les trois quarts estimaient
élevées, leurs chances de réussir (graphique 2). Deux raisons peuvent expliquer ce résultat, l’une
théorique et l’autre méthodologique. D’un point de vue théorique, il a été montré qu'avec un but de
compétition ce qui compte c'est "faire mieux que les autres avec peu d’effort" (Nicholls,
Patashnick & Mettetal, 1986). Ainsi, le choix à "faible risque" des sujets Compétition-Habileté
perçue élevée peut être rationnel dans la mesure où l’on considère qu'ils ont voulu, pour témoigner
de leur habileté, jouer sur le registre du "moindre effort", en réussissant avec facilité leur voie.
Mais il fallait également pour cela que la difficulté soit au moins égale à la norme. Parallèlement,
le système de cotation en vue du classement, utilisé dans cette expérience peut être aussi
incriminé. En effet, le fait de n’octroyer les points qu’en cas de réussite de la voie, a pu induire
une stratégie à faible risque. Les modalités de réponse des sujets qui doutaient de leur habileté
sont parfaitement en accord avec la théorie. La peur de ne pas réussir la voie "moyenne" - à haut
risque symbolique puisqu’elle correspondait à ce qu'il était "normal" de faire - a conduit ces sujets
à la rejeter massivement. Deux configurations de préférence ont pu être constatées, à partir
Sélection d’un niveau de difficulté
- 177 -
desquelles il est possible d’inférer deux stratégies distinctes. Une minorité a opté pour des
difficultés importantes d’un point de vue normatif, où les chances de réussite étaient faibles, alors
que la majorité a investi les voies "facile" et "très facile", où la probabilité de réussir était élevée.
Les premiers sont vraisemblablement des sujets qui doutaient de leur habileté mais qui n'avaient
pas renoncé à la volonté de se montrer habiles. En effet, en choisissant une voie difficile (voire
très difficile), ils ont sélectionné dans la gamme des difficultés susceptible de permettre de
s'affirmer meilleurs que la norme. Ce choix présente également un autre avantage. Quand le niveau
de difficulté est tel que la majeur partie d'une population de référence est censée échouer, un échec
(probable) est facilement excusable. Ce choix est donc rationnel car il laisse planer un doute sur
l'habileté réelle: en ratant une tâche difficile on ne peut pas conclure à un manque d'habileté
comme cela s'avérerait être le cas si la difficulté était "moyenne". Si, à la suite d'échecs
renouvelés, les sujets qui poursuivent un but de compétition sont convaincus de ne plus pouvoir se
montrer habiles, ils deviennent davantage enclins à "éviter de faire la démonstration de leur
manque d'habileté". La solution la plus commode serait de se soustraire à la situation, mais quand
cela n'est pas possible, une tâche facile pour laquelle ils se donnent de grandes chances de réussir
sans trop fournir d'effort devient une alternative valorisée. Selon Nicholls (1984, 1989), il y a une
troisième catégorie de sujets à faible habileté perçue. Ils sont tellement convaincus de leur faible
habileté qu'ils ont abandonné l’idée d’éviter de paraître malhabiles. Le choix d'une tâche très facile
constitue, pour eux, la manière la plus économique de s'accommoder de la situation ... et de la
quitter.
Les résultats présentés dans cette expérience confirment les hypothèses que nous avions
émises. Ils apportent donc par là, une validation écologique au modèle de la motivation à
l'accomplissement fondé sur les buts motivationnels des sujets (Ames, 1984; Duda, 1987, 1992;
Dweck, 1986; Elliot & Dweck, 1988; Famose, 1990, 1991, 1993; Nicholls, 1984, 1989; Roberts,
1992; Thill, 1993b).
Ce modèle apparaît plus riche que d'autres théories du choix de la tâche, parce qu'il intègre
davantage de variables. Ainsi, le modèle mathématique de la "prise de risque" d'Atkinson (1964),
souvent testé, ne distingue pas la difficulté normative et la probabilité subjective de succès. On
Sélection d’un niveau de difficulté
- 178 -
peut donc s'interroger sur la signification des termes "facile" ou "moyenne" quand il est prédit que
les individus à "haute motivation résultante" (i.e., motivés par la recherche du succès) préfèrent
des tâches moyennes, alors que ceux à "basse motivation résultante" (i.e., davantage motivés par
l'évitement de l'échec que la recherche du succès) optent préférentiellement pour des difficultés
extrêmes (une tâche facile ou difficile). En effet, une tâche peut être difficile pour quelqu'un et
facile pour la majorité d'un groupe de référence. Cette ambiguïté se retrouve dans les recherches,
dans certains cas la difficulté est conçue comme la probabilité subjective de succès (Hamilton,
1974; Moulton, 1965), dans d'autres il s'agit de la difficulté normative (Trope & Brickman, 1975).
Plus fondamentalement, la manière dont sont appréhendés les deux motifs d'Atkinson (rechercher
le succès versus éviter l'échec) pose des problèmes méthodologiques et théoriques. Alors qu'elles
sont censées évaluer la "valeur" que le succès ou l'échec représente pour l'individu, les différentes
mesures utilisées (Atkinson & Feather, 1966; Mandler & Sarason, 1952; Mehrabian, 1969) se
révèlent très corrélées à des échelles d'habileté perçue (Crandall, 1973); les individus qui
recherchent le succès ont une habileté perçue élevée, alors que ceux qui évitent l'échec ont une
faible habileté perçue. Ceci interroge la validité de construit de cette variable et pose des
problèmes de fond car une mesure de la capacité perçue ou, plus exactement, de "la probabilité
subjective de réussir", fait déjà partie du modèle d'Atkinson. L'absence d'une discrimination très
nette entre ces deux concepts a d'ailleurs conduit certains auteurs à considérer qu'une différence
d'habileté perçue était en fait, la seule différence motivationnelle importante entre les groupes à
"motifs" différents (Kukla, 1972; Meyer, 1987). Avec ce présupposé et en admettant, comme le
suggère Nicholls (1984, 1989), que le caractère généralement public (ou compétitif) des
expériences ait induit un but de compétition, certaines expériences construites pour tester les
prédictions d'Atkinson produisent des résultats conforment à ceux que nous avons trouvé ici, pour
les sujets Compétition (deCharms & Dave, 1965; Hamilton, 1974; Roberts, 1974). Elles montrent,
une préférence marquée des sujets à basse motivation résultante (i.e., à basse habileté perçue) pour
une difficulté extrême (très facile ou très difficile). Néanmoins, compte tenu des ambiguïtés, un
grand nombre d'études a produit des résultats équivoques, remettant en cause la validité du modèle
d'Atkinson.
Sélection d’un niveau de difficulté
- 179 -
La distinction entre les deux buts d'accomplissement et la prise en compte des variables
cognitives qui leur sont liées (habileté et difficulté normative perçues pour le but de compétition,
et probabilité subjective de réussir pour le but de maîtrise) semblent plus heuristiques que les
modèles antérieurs (Atkinson, 1964; Kukla, 1972, 1978; Heckhausen, 1977); cette expérience le
confirme, au moins avec une population de garçons. Cette restriction peut être considérée comme
limitant la généralisation des résultats. En effet, des études antérieures ont révélé l'orientation plus
marquée des filles vers la maîtrise, et des garçons vers la compétition (Duda, 1988; Famose, Cury,
et Sarrazin, 1992; Gill, 1986); différences qui disparaissent dès que les filles s'adonnent à une
pratique sportive compétitive régulière (Famose et al., 1992). Néanmoins, compte tenu de la place
déterminante dans le modèle, du but poursuivi par le sujet, on peut penser qu'à but motivationnel
et habileté perçue équivalents, les filles et les garçons font des choix d'un niveau de difficulté
similaire. D'autres recherches pourraient être envisagées avec une population féminine, pour
éprouver cette hypothèse.
Dans une perspective pédagogique, la connaissance des motifs et des variables médiatrices
qui régulent la motivation, ne peut qu’aider à mieux comprendre les élèves, et à aménager les
situations proposées. Quel éducateur n’a pas, en effet, déploré un jour le choix illogique des sujets
auxquels il s’adressait ? On peut quotidiennement observer des élèves qui, malgré la présence de
tâches "faites pour eux", préfèrent des difficultés inconsidérées donc inadaptées, ou à l’inverse
d’une trop grande simplicité et, par conséquent, sans intérêt pour l’apprentissage. Il n’est pas rare
de voir certains élèves, en situation de libre choix d’un élément en gymnastique, ou d’un
adversaire dans les activités duelles, opter pour des tâches ou des concurrents dont ils sont sûrs de
venir à bout facilement. On en trouve d’autres qui préfèrent systématiquement des difficultés
insurmontables, comme un élément très difficile, ou un adversaire réputé excellent, alors qu’ils
sont convaincus de ne pas réussir. Ce modèle permet de mieux comprendre ces conduites qui
semblent, au prime abord, irrationnelles pour l’enseignant. La sélection d’une tâche pour laquelle
le sujet est convaincu de réussir parce qu’il l’a toujours facilement maîtrisée, ou certain d’échouer
parce qu’elle excède largement ses possibilités, est certainement irrationnelle du point de vue de
celui qui cherche à (faire) apprendre ou à progresser. Reconsidérées à la lumière de quelqu’un qui
Sélection d’un niveau de difficulté
- 180 -
refuse d’accepter la perspective d’être malhabile, ou d’un autre qui ne cherche pas à établir son
habileté dans l’activité où il est impliqué, mais qui est obligé de faire un choix pour échapper à la
situation, ces préférences ne le sont plus. Les modèles de choix qui sont apparus suggèrent qu'un
but de compétition, contrairement à un but de maîtrise, facilite l'apparition de modèles "non-
adaptatifs" pour l'investissement ou l'apprentissage (Dweck, 1986). Cette expérience l'a révélé, la
poursuite d'un but de compétition et plus particulièrement la préoccupation d’éviter de signaler
clairement ses limites peut conduire à des pis-aller: sélectionner une difficulté où la plupart
échoue (et donc se condamner à l'échec), adopter des stratégies de "moindre effort" ou fuir la
situation constituent semble-t-il, les seules alternatives.
Effort et persévérance
- 181 -
Chapitre 3
Niveau de ressources alloué pour effectuer la tâche:
effort et persévérance
L'objet de ce troisième chapitre est relatif au choix d'une quantité de ressources
énergétiques (i.e., l'effort) et/ou temporelles (i.e., la persévérance) que le sujet décide d'allouer à la
réalisation d'une tâche. Dans certaines situations, le sujet n'a pas l'initiative de choisir ce qu'il doit
effectuer. Ceci est particulièrement le cas dans le domaine scolaire, où l'élève doit simplement
exécuter ce qui lui est assigné. On parle de "tâche prescrite" (Famose, 1990). Une fois la décision
prise de s'y engager, c'est l'intensité de l'investissement qui traduit la motivation. Il peut "se donner
au maximum" et faire preuve d'opiniâtreté face aux obstacles rencontrés ou au contraire "ne pas
forcer" et abandonner rapidement.
La logique des hypothèses que nous avons émises pour le choix du niveau de difficulté de
la tâche (chapitre 2) peut être appliquée, avec quelques modifications, pour prédire l'effort fourni,
quand les sujets sont assignés à des tâches de niveaux différents de difficulté.
Les sujets qui poursuivent un but motivationnel de compétition cherchent avant tout les
situations qui leur permettent de se montrer meilleurs que la norme, et évitent celles qui signalent
leur incompétence. Il existe pour ces sujets une relation inversement proportionnelle entre l’effort
Effort et persévérance
- 182 -
et le niveau d'habileté. Ainsi, à performance égale, un effort moindre témoigne d’une habileté plus
grande et réciproquement (Jagacinski & Nicholls, 1984). Conformément à notre modèle
expectation-valence, quand le sujet poursuit (ou valorise) un but motivationnel de compétition, la
quantité d'effort qu'il fournit dépend, d'une part, du niveau de performance maximal que peut
espérer le sujet s'il travail intensément (expectation action-résultat), et d'autre part, du lien
"instrumental" qui existe entre ce niveau de performance (ou d'autres) et l'atteinte du but
motivationnel (expectation résultat-conséquences); à savoir se montrer meilleur que les autres
et/ou ne pas se montrer plus mauvais que la norme. En d'autres termes, l'investissement
énergétique et/ou temporel est élevé lorsqu'il apparaît comme une nécessité pour montrer sa
supériorité sur les autres. Par contre, si le sujet est persuadé qu'un gros investissement ne permet
pas d'espérer atteindre ce but ou pire, qu'il conduit à signaler son incompétence de manière encore
plus visible, il est probable que la quantité d'effort allouée sera faible. Ces présomptions
fournissent les bases pour prédire l'effort et la persévérance en fonction de l’habileté perçue du
sujet d'une part, et de la difficulté perçue de la tâche d'autre part.
Les sujets Compétition qui estiment avoir une habileté élevée, s'attendent à se montrer
meilleurs que la majorité de leurs pairs. Pour concrétiser ce but, ils fournissent un effort élevé
lorsqu'ils sont confrontés à des tâches qui sont "instrumentales" à la démonstration de la
compétence: les difficultés normatives supérieures ou égales à la moyenne. Par contraste, ils
consacrent peu de temps et d’effort à des tâches faciles qu'ils sont sûrs de réussir ou à des tâches
dont la difficulté est telle que l’échec apparaît certain malgré un effort maximum.
Les sujets qui s'estiment plus faibles que la norme perçoivent à travers une tâche facile ou
difficile d'un point de vue normatif, l'opportunité d'éviter les témoignages d'une faible habileté. Ils
font de gros efforts quand les tâches sont faciles et quand ils estiment pouvoir les réussir (un échec
serait un témoignage incontestable d'incompétence). Quand la tâche est difficile, un effort
important permet d'espérer pouvoir faire preuve d'habileté, et un échec avec un tel niveau de
difficulté n'est pas synonyme d'un manque d'habileté. Les niveaux moyens, d'un point de vue
normatif, sont les plus aversifs, car ils sont d'une part, les plus "diagnostiques" du niveau
d'habileté du sujet (réussite égal habileté supérieure à la norme, et échec égal incompétence), et
Effort et persévérance
- 183 -
d'autre part, ils sont associés à de fortes présomptions d'échec. Comme l'échec signale d'autant
moins le manque d'habileté qu'il est associé à un faible investissement, la probabilité d'une
réduction de l'effort pour protéger son estime de soi (Birney, Burdick, & Teevan, 1969;
Covington, 1984; Covington & Beery, 1976; Covington & Omelich, 1979a; Frankel & Snyder,
1978) est plus grande, quand la difficulté est moyenne.
Quand le sujet poursuit un but de maîtrise, la quantité d’effort allouée reflète sa croyance
quant aux opportunités de progresser dans la tâche, compte tenu de ses possibilités. L'effort est
important, s'il estime qu'il est nécessaire pour conduire à un niveau de performance qui traduit un
progrès personnel. L'investissement est plus faible, s'il estime qu'il est suffisant pour maîtriser la
difficulté, ou qu'un effort important serait vain. Comme pour le choix (chapitre précédent), le sujet
est plus motivé et exerce un effort maximal lorsqu'il estime intermédiaires, ses chances de réussir
la tâche. Compte tenu des différences d'habileté perçue, une tâche peut constituer un "défi" pour
un sujet, mais pas pour un autre. Si les niveaux de difficulté (normatifs ou objectifs) ne sont pas
extrêmes, la plupart des sujets Maîtrise se sentent capables de progresser. Comme c'est
précisément ce qu'ils recherchent, l'investissement est important dans cette gamme de difficultés.
Compte tenu des différences d'habileté (réelles et perçues), on s'attend à ce que l'investissement le
plus intense du groupe à faible habileté perçue corresponde à un niveau plus bas de difficulté que
celui du groupe à habileté perçue élevée.
S'il existe certaines données, dans le domaine intellectuel, pour appuyer ces prédictions
(pour une revue, voir Nicholls, 1984, 1989), à notre connaissance, il n'existe aucune étude dans le
domaine du sport qui ait envisagé l'influence du but motivationnel,de l'habileté perçue et de la
difficulté de la tâche sur l'intensité de l'investissement. Les quelques études conduites dans le
cadre de la théorie des buts, appréhendaient les rapports entre les deux orientations vers un but
motivationnel (Tâche vs Ego) et divers indicateurs d'intensité comportementale, comme le nombre
d'heures de pratique sportive par semaine (Duda, 1988), l'effort exercé évalué par l'entraîneur
(Duda, Smart, & Tappe, 1989), et plus généralement la persistance ou l'abandon de la pratique
sportive (pour une revue, consulter Duda, 1992). Globalement ces études révèlent un
Effort et persévérance
- 184 -
investissement plus important quand les sujets sont orientés vers la tâche. Comme l'affirmait Duda
(1992): "Bien que l'intensité comportementale ne soit pas une variable facile à opérationnaliser, un
grand nombre de travaux sur l'interdépendance entre les buts et l'effort exercé, sont nécessaires
dans le domaine moteur." (p. 75) Les deux expériences qui suivent apportent une contribution à ce
thème de recherche.
1. EXPÉRIENCE 1: PERSÉVÉRANCE FACE AUX ÉCHECS, EN FONCTION DE L'HABILETÉPERÇUE ET DE L'ORIENTATION MOTIVATIONNELLE DANS UNE SITUATIONCOMPÉTITIVE
38
Cette recherche constitue la quatrième séance du cycle, dont nous avons parlé dans
l'expérience 1 du chapitre précédent. Les sujets ont réalisé une compétition dans laquelle ils
étaient confrontés à une difficulté présentée comme "moyenne", mais qui, en réalité était bien plus
importante. Son objectif était d'éprouver particulièrement les hypothèses suivantes.
Hypothèse 1. Confrontés à une difficulté normative moyenne, les sujets Compétition avec
une faible habileté perçue s'attendent à échouer et à révéler leur manque d'habileté. Ils sont plus
enclins à adopter une stratégie d'effort réduit pour protéger leur valeur propre, car l'échec avec un
effort peu important signale moins l'incompétence que s'il est associé à un effort intense
(Jagacinski & Nicholls, 1984). En conséquence, effort et persistance sont réduits avec ce niveau de
difficulté.
Hypothèse 2. Les sujets Compétition avec une habileté perçue élevée fournissent un effort
intense pour réaliser une difficulté moyenne, dont la réussite leur permet d'espérer atteindre leur
but: montrer leur supériorité. Un feed-back d'échec va à l'encontre de leur attente et produit en
retour une majoration de l'effort et une persévérance importante.
38 Tiré de: Sarrazin (1992); Famose, Sarrazin, Cury, & Durand (1993b); Famose, Sarrazin, & Cury (1995).
Effort et persévérance
- 185 -
Hypothèse 3. Les sujets Maîtrise s'attendent à progresser quand la difficulté n'est ni trop
facile, ni trop importante. Ils sont donc prêts à faire des efforts pour parvenir à cette fin. Les
échecs sont considérés comme des indicateurs du chemin qu'il reste à parcourir pour maîtriser la
tâche; des signes qu'il faut redoubler d'effort ou changer de stratégie pour réussir. En conséquence,
effort et persistance sont importants avec ce niveau de difficulté, quelle que soit l'habileté perçue.
Comme pour l'expérience 1 du chapitre précédent, nous voulions également tester
l'influence d'un contexte de comparaison forcée (i.e., une compétition). On peut penser que ce
contexte gêne particulièrement ceux qui ont une faible habileté perçue. Nous avons utilisé comme
mesure d'allocation de ressources, le temps consacré à la tâche malgré les nombreuses chutes (i.e.,
la persévérance). Une mesure "d'effort perçu" utilisée en psychophysique a également été ajoutée.
Néanmoins, son caractère "subjectif" peut la rendre très sensible aux biais attributionnels. Les
sujets peuvent prétendre avoir fourni peu d'effort - alors que la réalité est toute autre - pour
protéger l'estime d'eux-mêmes.
MÉTHODE
Sujets
La même population que celle décrite dans l'expérience 1 du chapitre 3, a été utilisée ici.
Tâche et procédure
Une voie d'une hauteur de 7, 50 mètres, était présentée aux sujets des quatre groupes. On
leur disait qu'elle était nouvelle, et que cinquante pour cent d'un large échantillon d'élèves de leur
âge étaient parvenus jusqu'en haut; on pouvait donc la considérer comme "moyenne". En réalité un
passage très difficile, mais bien dissimulé, avait été introduit dans le deuxième tiers de la voie. Il
devait occasionner des chutes qui entraînaient obligatoirement un retour au sol. Chaque sujet
disposait d'un temps maximum de 5 minutes, mais pouvait s'arrêter quand il le désirait. Une
compétition était organisée entre tous les membres de la classe, qui devait donner lieu à un
Effort et persévérance
- 186 -
classement avec proclamation publique des résultats. Le classement devait être effectué à partir du
temps réalisé pour escalader la voie. Une caméra filmait la prestation des sujets, qui se déroulait
devant les autres. Pour assurer une certaine crédibilité à la difficulté (manipulée) de la voie, l'ordre
de passage des concurrents était basé sur le résultat obtenu à la compétition précédente. Les moins
bien classés passaient en premier et les meilleurs en dernier. Nous avions peur que des échecs
répétés d'élèves perçus comme supérieurs à la norme par l'ensemble du groupe, introduisent des
doutes quant à la difficulté annoncée de la voie, et par là biaisent les résultats. Après leur
ascension, les sujets estimaient individuellement et en aparté, l'effort qu'ils avaient fourni au cours
de leur tentative. Cette mesure, et le temps consacré à la tâche malgré les chutes renouvelées (i.e.,
la persévérance), constituent les variables dépendantes de cette expérience.
Mesure de l'effort perçu
123456789
101112131415
Extrêmement léger
Très léger
Léger
Moyen
Intense
Très intense
Extrêmement intense
Figure 1 : Échelle d'effort perçu, "RPE scale" de Borg (1970)
Les sujets estimaient l'effort fourni au cours de leur tentative, sur l'échelle de jugements
absolus, dite RPE scale (Rating of Perceived Exertion) de Borg (1970). Cette échelle a fait de
nombreuses fois la preuve de sa liaison linéaire avec la charge objective de travail, ainsi qu'avec la
fréquence cardiaque (voir Delignières, 1993; Delignières, Legros, & Famose, 1991). Divisée en 15
Effort et persévérance
- 187 -
échelons, cette échelle est ponctuée de labels verbaux sur les chiffres pairs (figure 1). La question
posée est: "Quelle quantité d'effort estimes-tu avoir fourni pour grimper cette voie ? Entoure le
chiffre qui correspond le mieux à celle-ci".
Lors d'une réunion post-test avec les élèves et en présence des enseignants, l'accent a été
placé sur l'objet de l'expérience, et le caractère arbitraire des résultats obtenus, afin d'en minimiser
l'impact éventuel.
RÉSULTATS
Deux sujets du groupe Maîtrise-habileté perçue élevée ont réussi la voie; ils n'ont donc pas
été inclus dans les calculs suivants. La variable "sexe" ne présentant pas d'effet significatif sur
l'effort perçu et la persévérance, les analyses rapportées ci-dessous ont été conduites sans prendre
en considération ce facteur.
Effet de l'orientation motivationnelle et de l'habileté perçue sur l'effort perçu
Tableau 1Moyennes et écarts-types des quatre groupes au niveau de l'effort perçu et de la persévérance (en secondes).
Orientation Compétition Orientation Maîtrise
Hab. Perç. élevée Faible Hab. Perç. Hab. Perç. élevée Faible Hab. Perç.
M ET M ET M ET M ET
Effort perçu 10.88 3.1 8.88 2.6 10.39 2.21 10.60 1.96
Persévérance 276.96 51.87 187.40 77.80 281 40.53 237.08 78.73
Les moyennes et les écarts-types des quatre groupes sont visibles dans le tableau 1.
L'homogénéité des variances ayant été constatée, une ANOVA 2 x 2 (Orientation motivationnelle x
Effort et persévérance
- 188 -
Habileté perçue) a été effectuée avec l'effort perçu comme variable dépendante. Seule une
interaction significative orientation x habileté perçue est apparue: F (1, 94) = 4.73, p< .05. Les
tests post-hoc de Newman-Keuls (au seuil de significativité p< .05) ont révélé une différence
significative entre le groupe Compétition-faible habileté perçue et les trois autres groupes
(graphique 1). Les sujets de ce groupe estiment avoir fourni moins d'effort que tous les autres.
8
8,5
9
9,5
10
10,5
11
Hab.Perç.
élevée
Faible
Hab.Perç.
Maîtrise
Compétition
Graphique 1 : Interaction orientation motivationnelle x Habileté perçue, pour l'effort perçu
Effet de l'orientation motivationnelle et de l'habileté perçue sur la persévérance
Les moyennes et les écarts-types des quatre groupes sont visibles dans le tableau 1. Une
ANOVA 2 x 2 (Orientation motivationnelle x Habileté perçue) a été effectuée avec la persévérance
(en secondes) comme variable dépendante. Elle fait apparaître un effet principal de l'orientation
motivationnelle [F (1, 94) = 4.20, p<.05], les sujets Maîtrise persistent en moyenne plus longtemps
que les sujets Compétition (258 vs 232), un effet principal de l'habileté perçue [F (1, 94) = 25.95,
p<.0001], les sujets à habileté perçue élevée persistent davantage que les sujets à faible habileté
perçue (278.90 vs 212.24), et une interaction orientation x habileté perçue qui approche le seuil de
significativité [F (1, 94) = 3.03, p<.10] (graphique 2).
Effort et persévérance
- 189 -
170
190
210
230
250
270
290
Hab.Perç.
élevée
Faible
Hab.Perç.
Maîtrise
Compétition
Graphique 2 : Interaction orientation motivationnelle x Habileté perçue, pour la persévérance (p =.08)
DISCUSSION
Cette recherche avait pour objectif d'étudier l'impact respectif de l'orientation
motivationnelle et de l'habileté perçue, sur la persévérance et l'effort estimé, quand la difficulté de
la tâche était présentée comme normativement moyenne, dans un contexte de compétition.
Conformément à nos hypothèses, les sujets orientés vers la compétition à faible habileté perçue
ont d'une part, affirmé qu'ils avaient accordé une quantité d'effort plus faible que les autres, et sont
d'autre part, restés moins longtemps au contact de la tâche. Ceux qui avaient une habileté perçue
élevée qu'ils soient orientés vers la maîtrise ou vers la compétition ont persévéré plus longtemps
sur la tâche, et ont rapporté des niveaux plus élevés d'effort. Enfin, les sujets orientés vers la
maîtrise à faible habileté perçue ont rapporté des niveaux élevés d'effort, ont persévéré plus
longtemps que les sujets Compétition-faible habileté perçue, mais moins longtemps que les sujets
à habileté perçue élevée.
Dans un contexte de comparaison sociale, la présentation d’une tâche d’une difficulté
normative moyenne semble provoquer un cruel dilemme chez les sujets orientés vers la
compétition qui ont une faible habileté perçue. Bien qu’un effort élevé puisse augmenter leur
performance, il comporte toujours le risque de souligner encore plus l’incompétence en cas
Effort et persévérance
- 190 -
d’échec (Jagacinski & Nicholls, 1984; Miller, 1985). Comme leurs attentes de succès sont faibles
avec un niveau de difficulté moyen, leur probabilité estimée de se montrer incompétents est très
élevée. Une réduction de l'effort semble constituer une alternative de poids, pour réduire
l'incidence de l'échec. Plusieurs chercheurs ont évoqué la possibilité d'une réduction volontaire de
l'effort pour protéger l'habileté perçue et l'estime de soi, quand les sujets anticipent un échec au
cours d'une activité importante pour eux (Covington, 1984, 1985; Covington & Beery, 1976;
Covington & Omelich, 1979a; Frankel & Snyder, 1978; Jones & Berglas, 1978; Snyder, Smoller,
Strenta, & Frankel, 1981). Conformément à la littérature sur les biais attributionnels, cette
réduction calculée de l'effort permettrait d'inférer l'échec à un manque d'effort (ou à des causes
externes) plutôt qu'à un manque d'habileté. Différents auteurs (Berglas & Jones, 1978; Covington
& Beery, 1976; Covington & Omelich, 1979a; Frankel & Snyder, 1978; Pyszczynski &
Greenberg, 1983; Snyder, Stephan, & Rosenfield, 1978; Thill, 1993b) avancent que cette
réduction de l'effort est une stratégie de protection de l'estime de soi destinée à minimiser ses
faiblesses. Dans le cas présent, la stratégie consiste en un retrait précoce de la tâche quand l'échec
est anticipé, comme pour signifier: "je n'ai pas réussi d'accord, mais je n'avais pas forcé !", et
d'invoquer des excuses pour justifier cette absence de tentative (Covington & Omelich, 1979a,
1984). Dans notre recherche, les valeurs plus faibles d'effort que les sujets estiment avoir fourni,
peuvent être interprétées comme étant conformes à l'hypothèse d'une stratégie de protection de soi
qui permet d'éviter la mise en jeu d'attributions internes et stables (i.e., l'habileté). Ces inférences
de moindre effort vont pourtant à l'encontre des valeurs scolaires qui sont plus "doloristes".
Covington & Omelich (1979a, 1984) ont montré, en effet, que les élèves qui travaillent avec
vigueur s'attendent à être moins sévèrement punis par des enseignants hypothétiques que ceux qui
font peu d'efforts. Reconnaître, comme les sujets Compétition-faible habileté perçue l'ont fait dans
cette recherche, ne pas avoir forcé, c'est s'exposer au blâme éventuel des professeurs. Pourtant,
malgré ce risque, les valeurs rapportées sont plus basses.
Jagacinski & Nicholls (1990) ont remis en cause cette stratégie de réduction de l'effort
pour protéger son estime de soi, qui en quelque sorte, revient à accepter son incompétence; c'est-à-
Effort et persévérance
- 191 -
dire à rejeter l'objectif premier de la stratégie. Nous reviendrons sur ces processus sous-jacents,
dans le chapitre suivant. Pour l'instant, nous devons accepter le fait que ces sujets se désengagent
rapidement quand la tâche est "diagnostique" du niveau d'habileté, et quand les risques d'échec
sont grands. Nos résultats sont conformes à ceux trouvés avec des tâches intellectuelles (Frankel &
Snyder, 1978; Miller, 1985), bien que nous n'ayons pas pu comparer l'investissement des sujets
pour d'autres niveaux de difficulté.
Conformément à notre deuxième hypothèse, les sujets orientés vers la compétition à
habileté perçue élevée se sont investis intensément. Quand ils sont confrontés à des échecs, alors
qu'ils tentent d'effectuer une difficulté moyenne, ces sujets voient compromises, leurs attentes de
se montrer meilleurs que la norme. Comme c'est précisément leur but ultime, et qu'ils estiment être
capables de le faire, ils redoublent d'effort et persévèrent. La valeur élevée d'effort qu'ils estiment
avoir fourni peut être interprétée, dans le cadre de la littérature sur l'inférence causale, comme un
aveu d'incompétence, car nous l'avons dit, l'échec associé à un effort intense grossit encore plus le
manque d'habileté surtout pour des tâches où la majorité d'une population de référence est censée
réussir. Ce constat peut être interprété de deux façons. Soit les sujets ont voulu se prémunir - plus
ou moins consciemment - de sanctions éventuelles de la part de l'enseignant qui était présent, s'ils
ne rapportaient pas un niveau élevé d'effort (Covington & Omelich, 1979a, 1984, Jagacinski &
Nicholls, 1990, expérience 1). Soit, et c'est plus probable, le niveau d'effort rapporté correspondait
réellement à ce qu'ils pensaient avoir fourni. Dès lors, pour protéger leur sentiment de compétence,
ils ont pu attribuer leur échec à des causes instables (un manque de forme, ou de chance), ou
externes comme la difficulté. Compte tenu de leur ordre de passage (dans les derniers), et du
nombre important d'échecs auquel ils ont du assister, la difficulté devait leur sembler plus
importante qu'elle ne leur était annoncée. Admettre avoir fourni un effort important a moins
d'incidence néfaste sur la valeur de soi, quand l'échec est imputé à la difficulté de la tâche, et
quand celle-ci est telle que la plus grande partie de la population échoue.
Les sujets orientés vers la maîtrise se sont investis plus intensément que ceux orientés vers
la compétition. Leur interprétation positive de l'échec, c'est-à-dire, comme le signe de l'utilisation
Effort et persévérance
- 192 -
d'une mauvaise stratégie (un mauvais choix d'itinéraire pour parvenir au sommet, etc.), ou d'un
manque d'effort a probablement majoré leur investissement. Néanmoins, les sujets Maîtrise à
faible habileté perçue ont moins persévéré que ceux à habileté perçue élevée. Ce résultat peut être
imputable à deux facteurs. En premier lieu, on peut invoquer une influence du contexte de
compétition, qui les a focalisé "contre nature" sur leur niveau d'habileté, et fait se comporter
(presque) comme les sujets Compétition à faible habileté perçue. L'absence de comparaison avec
un contexte neutre ou de maîtrise rend difficile toute conclusion. En second lieu, la difficulté de la
voie a pu apparaître si excessive pour ces sujets, qu'elle excédait leurs possibilités. C'est la raison
pour laquelle ils ont moins persévéré que ceux à habileté perçue élevée, sans pour autant invalider
catégoriquement notre troisième hypothèse. En l'absence d'une mesure des probabilités subjectives
de réussir, il est difficile d'apporter un soutien catégorique à cette éventualité. Les valeurs
importantes d'effort, rapportaient par les deux groupes Maîtrise, peuvent être surprenantes dans le
cadre de la littérature sur l'inférence causale. Quand l'objectif est la maîtrise et le progrès, on peut
penser que l'échec constaté est attribué à un manque d'effort, comme cela a été observé avec une
tâche intellectuelle (Thill, 1993b) ou motrice (Brunel et Thill, 1993; Thill & Brunel, 1995). Si tel
avait était le cas, les valeurs rapportées devraient être plus basses. L'absence de comparaison avec
une situation de "réussite" rend difficile toute interprétation sur le processus d'inférence d'effort
des sujets. De plus, nous pensons que compte tenu de l'investissement réel dont ils ont fait preuve
pour essayer de maîtriser la tâche, il leur était difficile d'invoquer un manque d'effort comme cause
de leur échec. Ils ont probablement attribué leur insuccès à d'autres raisons, comme par exemple
l'utilisation d'une mauvaise stratégie (une cause interne et instable, mais contrôlable au même titre
que l'effort) et/ou la difficulté de la tâche (pour ceux à faible habileté perçue). En l'absence d'une
mesure des attributions causales on ne peut qu'émettre des hypothèses sur les processus sous-
jacents. En dernier lieu enfin, ces sujets ont pu, comme nous l'avons dit pour le groupe
Compétition-Habileté perçue élevée, vouloir se conformer aux valeurs scolaires de l'effort. Pour ne
pas s'attirer les remontrances de l'enseignant, ils ont rapporté des valeurs importantes d'effort
fourni.
Effort et persévérance
- 193 -
Pour corroborer plus fortement les hypothèses que nous avons émises au début de ce
chapitre, nous avons conçu une seconde expérience. Afin d'éviter toute ambiguïté, nous avons
placé les sujets dans un contexte conforme à leur orientation motivationnelle, comme dans
l'expérience 2 du chapitre précédent. Pour apprécier l'investissement différencié des sujets en
fonction de la difficulté, cinq niveaux différents de difficulté sont proposés. Les recherches sur ce
thème (Frankel & Snyder, 1978; Kernis, Zukerman, Cohen, & Spadafora, 1982; Miller, 1985)
présentent toutes des plans expérimentaux où sont comparées les performances des sujets assignés
à des difficultés distinctes; chaque groupe n'effectuant qu'une seule difficulté. Compte tenu de la
pluralité de facteurs qui peuvent intervenir dans la performance (cf. le chapitre suivant), une
modification de cet indicateur n'est pas la preuve formelle d'un changement préalable d'effort
exercé. C'est la raison pour laquelle (1) le critère d'effort que nous avons retenu est un indicateur
physiologique plus "objectif", et (2) nous avons opté pour un plan expérimental "intra-sujet", qui
consiste à faire réaliser à chaque sujet les cinq niveaux de difficulté. Pour révéler réellement leur
investissement, nous avons décidé de ne pas imposer de limite de temps. En effet, dans
l'expérience précédente un sujet pouvait très bien utiliser ses 5 minutes imparties, pour faire plaisir
à l'expérimentateur ou au professeur, sans pour autant forcer réellement. Enfin, pour tenter de
mieux comprendre les processus sous-jacents, une mesure de la probabilité de réussir, et un
questionnaire d'attribution causale de l'échec ont été administrés.
2. EXPÉRIENCE 2: EFFORT CONSENTI EN FONCTION DU BUT MOTIVATIONNEL, DEL'HABILETÉ PERÇUE ET DE LA DIFFICULTÉ DE LA VOIE, EN ESCALADE
39
MÉTHODE
Sujets
Soixante-dix-huit garçons ont été sélectionnés parmi un groupe de 500, en fonction de leur
orientation motivationnelle et de leur habileté perçue. Il s'agit des 82 sujets retenus dans
39 Tiré de: Sarrazin, Cury, & Famose (1994); Sarrazin, Famose, & Cury (submitted).
Effort et persévérance
- 194 -
l'expérience 2 du chapitre précédent, moins 4 sujets qui n'ont pas pu conduire l'expérimentation
jusqu'à son terme.
Tâche
Cinq voies d'une hauteur de 7, 50 mètres, dont la difficulté normative avait été repérer
préalablement, étaient présentées aux sujets (cf. expérience 2 du chapitre précédent).
Procédure
Sur la base de deux questionnaires évaluant l'orientation motivationnelle des sujets et leur
habileté perçue en escalade, quatre groupes ont été constitués: un groupe à orientation Maîtrise
élevée compétition faible et à habileté perçue élevée (n = 20), un groupe à orientation Maîtrise
élevée compétition faible et à faible habileté perçue (n = 18), un groupe à orientation Compétition
élevée maîtrise faible et à habileté perçue élevée (n = 20) et un groupe à orientation Compétition
élevée maîtrise faible et à faible habileté perçue (n = 20). (cf. expérience 2 du chapitre précédent,
pour les modalités de constitution des groupes).
Passation
L'expérimentateur allait chercher les sujets pendant leur cours d'EPS, et les conduisait
dans la partie du gymnase qui contenait le mur d'escalade. Suivant les contextes, la session se
déroulait en présence d'un public (une dizaine d'élèves du même âge), ou dans un gymnase vide.
Les sujets étaient confrontés à une situation dans laquelle ils devaient escalader les 5 voies qui
leur étaient proposées, dans un contexte conforme à leur orientation motivationnelle, et en
disposant du temps qu'ils désiraient. L'expérimentateur précisait aux sujets des groupes Maîtrise,
qu'il s'agissait d'un cours particulier d’escalade durant lequel le but était de progresser dans cette
activité, et que pour cela, ils allaient être confrontés à 5 voies dont la difficulté différait. Il utilisait
pour les décrire, des arguments relatifs à la difficulté objective des passages (nombre de prises,
facilité de préhension, inclinaison du support, etc.). Aucune référence n’était faite à leur difficulté
normative. L’expérience se déroulait sans spectateur et en l'absence du professeur. Quand un sujet
Effort et persévérance
- 195 -
chutait, l'expérimentateur disait d'une voix neutre: "pour grimper, tu as utilisé telles et telles prises
(qu'il montrait du doigt), et tu n'as pas pu franchir le passage; ne peux-tu pas t'y prendre autrement
? As-tu vu toutes les prises ?" Pour ne pas induire un phénomène de "désirabilité sociale",
l'expérimentateur ne délivrait aucun encouragement, et il rappelait régulièrement au sujet qu'il
pouvait arrêter quand il voulait, et passer à la voie suivante. Il était dit aux sujets des groupes
Compétition qu’ils allaient réaliser une compétition d’escalade avec d’autres élèves de leur âge;
compétition qui devait donner lieu à un classement (proclamé) en fonction des résultats obtenus.
Chaque voie était affectée d’un nombre de points (de 1 point pour la plus facile, à 5 pour la plus
difficile). En cas d'échec, aucun point n'était attribué. Une caméra filmait la prestation des sujets,
et l’épreuve avait un caractère public. La difficulté normative des voies, et le nombre de points qui
étaient impartis étaient rappelés avant chaque ascension. Aucun encouragement ni réprimande
n'étaient délivrés.
Pour diminuer l’effet "fatigue", ils accomplissaient les 5 voies sur deux jours différents
avec une période de repos d’au moins 10 minutes entre chaque tentative.
La plupart de nos hypothèses étant articulée autour de la difficulté "moyenne", nous avons
décidé de faire commencer chaque sujet par cette voie, pour que leur comportement ne subisse pas
éventuellement l'influence des résultats obtenus au cours d'autres ascensions. Par la suite, l'ordre
de présentation des voies était tiré au sort.
Avant que les sujets ne commencent leur ascension, on leur demandait d’estimer les
chances qu’ils se donnaient de parvenir au sommet de la voie (probabilité de réussite).
Immédiatement après leur échec sur la voie moyenne, les sujets à faible habileté perçue
remplissaient un questionnaire qui les interrogeait sur les causes de leur échec.
Mesures
Probabilité subjective de réussir. Une échelle de catégorie en 5 points a été utilisée, avec
(1) "pratiquement aucune chance d’atteindre le sommet", (2) "une petite chance d’atteindre le
sommet", (3) "une chance sur deux (autant de chance de réussir que d’échouer)...", (4) "une bonne
chance ..." et (5) "presque certain d’atteindre le sommet".
Effort et persévérance
- 196 -
Questionnaire d'attributions causales. Les sujets à faible habileté perçue qui échouaient
la voie moyenne, remplissaient un questionnaire qui listait 6 causes possibles à leur échec: (1)
l'habileté ("j'ai raté parce que je ne suis pas assez bon en escalade"), (2) la chance ("j'ai raté parce
que j'ai manqué de chance"), (3) la stratégie ("... je n'ai pas utilisé le bon itinéraire pour grimper"),
(4) la difficulté ("... c'était trop difficile pour moi"), (5) l'effort ("... je n'ai pas assez forcé"), et (6)
la forme ("... je n'étais pas assez en forme"). Les réponses étaient portées sur des échelles Likert en
5 points, avec (1) pas du tout d'accord et (5) tout à fait d'accord.
Figure 1 : Schéma du dispositif d'enregistrement de la fréquence cardiaque (Bauman, BHL 5000).
L'effort. Nous avons conceptualisé cette variable, comme la quantité de ressources
énergétiques consentie par le sujet. Pour l'évaluer, nous avons utilisé un indice physiologique: la
fréquence cardiaque; nous basant sur la relation linéaire qui existe entre l'intensité du travail et la
fréquence des battements cardiaques. Cette dernière a été enregistrée en continue avec une
méthode ambulatoire (cardio-fréquence-mètre BHL-5000, Bauman, construction électronique
médicale, Fleurier, Suisse), pendant toute la durée de l'expérimentation. Le Bauman BHL-5000 est
Effort et persévérance
- 197 -
un appareil de faible poids que l’on peut accrocher à la ceinture, et qui est relié au sujet par 3
électrodes autocollantes collées sur la poitrine (figure 1). Il possède un microprocesseur capable
de mesurer l'intervalle de temps entre 2 impulsions cardiaques (intervalle R-R) avec une précision
au millième de seconde. Les données sont récupérées par le logiciel fourni avec l'appareil (Ancarr,
Fleurier, Suisse), et converties en format ASCII. Après avoir "nettoyé" les fichiers importants
(jusqu'à 10000 lignes) des éventuels artefacts, nous avons retenu, pour chaque ascension, la
fréquence maximale atteinte au sommet d'une courbe d'allure exponentielle (graphique 1). La
durée d’ascension étant le plus souvent supérieure à 1 minute 30 secondes, nous avons estimé que
cet indicateur était assez révélateur de l’effort consenti.
150
155
160
165
170
175
Détail graphique 2
5'50 6'00 6'10 6'20 6'30
Graphique 1 : Évolution de la fréquence cardiaque (en battements par minute), battement par battement.
168
169
170
171
172
173
174
175
6'15 6'20
Graphique 2 : Détail du graphique 1. La valeur retenue ici est "175".
Effort et persévérance
- 198 -
Les sujets ne connaissaient pas les finalités de l’appareillage; on leur disait simplement
qu’il était destiné à une étude sur la violence des efforts en éducation physique et sportive, en
fonction des activités pratiquées.
Lors d’une réunion post-test avec les élèves et en présence des enseignants, l’accent a été
placé sur l’objet de l’expérience, et le caractère arbitraire des résultats obtenus, afin d’en
minimiser l’impact éventuel.
Analyse des données
Cent enregistrements prélevés au hasard dans l'échantillon (soit à peu près le quart) ont été
analysés par l'expérimentateur et une deuxième personne experte en physiologie de l'exercice. Les
valeurs de l'effort qu'ils ont recueillies l'un et l'autre (sans concertation) se sont avérées très
corrélées, r = .95 (p <.001), ce qui atteste de la fiabilité de la méthode d'extraction des données.
Nos hypothèses sur l'effort fourni en fonction du but motivationnel, de l'habileté perçue et
de la difficulté de la tâche ont été éprouvées par une analyse de la variance, après avoir vérifié
l'homogénéité des variances. La méthode des contrastes a été systématiquement appliquée pour
tester les différences entre groupes. Des analyses du chi-carré ont été effectuées pour comparer les
probabilités subjectives de réussir ainsi que des tests-t pour les attributions causales.
RÉSULTATS
Effort fourni en fonction du but motivationnel, de l'habileté perçue et de la difficulté
Le tableau 1 présente les moyennes et les écarts-types des fréquences cardiaques, en
fonction des trois variables dépendantes. Une ANOVA 2 x 2 x 5 (Orientation motivationnelle x
Habileté perçue x difficulté de la voie) avec mesure répétée sur le dernier facteur, a été effectuée
en prenant la fréquence cardiaque comme variable dépendante. Elle fait apparaître: (a) un effet
principal du but motivationnel, F (1, 74) = 4.66, p < .05, et de la difficulté de la tâche, F (4, 296) =
3.45, p < .01, (b) des effets d'interaction de niveau 1 entre le but motivationnel et la difficulté de la
Effort et persévérance
- 199 -
voie, F (4, 296) = 8.17, p < .0001, et entre l'habileté perçue et la difficulté de la voie, F (4, 296) =
16.98, p < .0001, et (c) un effet d'interaction de niveau 2 entre le but motivationnel, l'habileté
perçue et la difficulté de la tâche, F (4, 296) = 3.17, p < .01 (graphique 4).
Tableau 1Moyennes et écarts-types (entre parenthèses) des fréquences cardiaques en fonction du but motivationnel, de l'habileté perçue et de la difficulté de la voie.
Difficulté normative des voies:
Très facile Facile Moyenne Difficile Très difficile
But motivationnel
de maîtrise
de compétition
Habileté perçue
Élevée (n = 20)
Faible (n = 18)
Élevée (n = 20)
Faible (n = 20)
163.39(12.71)
169.06(15.03)
162.84(14.41)
168.27(12.50)
167.38(12.23)
170.90(14.04)
166.88(13.28)
171.39(15.66)
172.15(13.03)
174.59(15.00)
175.43(12.82)
159.77(16.18)
178.30(13.43)
167.68(14.75
170.99(16.82)
163.08(17.14)
183.43(14.05)
165.53(16.79)
166.68(23.02)
148.19(18.59)
Sur l'ensemble des cinq voies, les sujets Maîtrise ont fourni plus d'effort que les sujets
Compétition (171.24 vs 165.35).
163
164
165
166
167
168
169
170
171
T.Facile Facile Moyenne Difficile T.Difficile
Graphique 3 : évolution de la fréquence cardiaque de toute la population, en fonction de la difficulté de la voie.
Effort et persévérance
- 200 -
L'évolution constatée de l'effort fourni, pour l'ensemble de la population, en fonction des 5
niveaux de difficulté correspond à une courbe en U inversé (graphique 3); les niveaux extrêmes se
différenciant significativement des niveaux intermédiaires (p <.05).
145
150
155
160
165
170
175
180
185
T.facile Facile Moyenne Difficile T.Difficile
Compétition-
faible H.P.
Compétition-
H.P. élevée
Maîtrise-
faible H.P.
Maîtrise-
H.P. élevée
Graphique 4 : Interaction but motivationnel x habileté perçue x difficulté de la voie
L'application de la méthode des contrastes fait ressortir un effort moins important du
groupe Compétition-faible habileté perçue, sur la voie moyenne ou la voie très difficile,
comparativement aux trois autres groupes (p < .01). Le groupe Maîtrise-habileté perçue élevée se
distingue par un effort plus important sur la voie très difficile, comparativement aux trois autres
groupes (p < .01), et sur la voie difficile, comparativement aux deux groupes à faible habileté
perçue (p < .05).
L'effort consenti en fonction de la difficulté de la voie, a été différent suivant les groupes.
Les sujets Compétition-faible habileté perçue ont fourni le plus d'effort sur les voies très facile, et
facile; ces deux niveaux se différenciant significativement des trois autres (p < .05). Ils ont
consenti le moins d'effort sur la voie très difficile, celle-ci se différenciant significativement des
quatre autres (p < .05). Il n'y a pas de différence significative entre l'effort fourni sur la voie
difficile et celui fourni sur la voie moyenne. Le groupe Compétition-habileté perçue élevée a
fourni le plus d'effort sur la voie moyenne comparée à la voie très facile ou la voie facile (p < .01).
Effort et persévérance
- 201 -
Les sujets ont fait moins d'effort sur la voie très facile que sur la voie facile (p < .05) ou la voie
difficile (p < .05). Le groupe Maîtrise-faible habileté perçue a consenti plus d'effort sur la voie
moyenne que sur la voie difficile (p < .05) ou la voie très difficile (p < .01). Enfin, le groupe
Maîtrise-habileté perçue élevée a fourni d'autant plus d'effort que la difficulté augmentait, il existe
une différence significative entre toutes les voies au niveau de l'effort fourni (p < .05).
Expectation de réussir les voies en fonction du groupe
Pour constater la répartition des probabilités subjectives de réussir de chaque groupe, en
fonction de la difficulté de la voie, nous avons effectué une analyse du chi-carré. Pour faciliter
l'exploitation des données, nous avons catégorisé comme "expectation faible", les sujets qui
portaient les réponses 1 et 2 sur l'échelle; comme "expectation intermédiaire", les sujets qui
portaient la réponse 3, et comme "expectation élevée", ceux qui mentionnaient les réponses 4 et 5.
Les valeurs du χ2, ainsi que les répartitions en pourcentage des catégories d'expectations, dans
chacun des groupes pour chaque difficulté, sont visibles dans le tableau 2.
Tableau 2Répartition en pourcentage des probabilités subjectives de réussir dans chaque groupe, pour chacune des voies
Très facile Facile Moyenne Difficile Très difficile
Faib. Inter. élev. Faib. Inter. élev. Faib. Inter. élev. Faib. Inter. élev. Faib. Inter. élev.
C-Bs
C-Ht
M-Bs
M-Ht
5
0
5.56
0
0
0
0
0
95
100
94.4
4
100
35
0
11.1
0
15
0
11.1
0
50
100
77.7
8
100
75
0
38.9
0
25
10
55.6
5
0
90
5.56
95
100
55
94.4
15
0
15
5.56
65
0
30
0
20
100
95
100
85
0
0
0
15
0
5
0
0
χ2
n =78
(ddl = 3) = 2,17p >.50
(ddl = 6) = 23,76p < .001
(ddl = 6) = 72,53p < .0001
(ddl = 6) = 48,46p < .0001
(ddl = 6) = 11,61p = .06
Notes. C-Bs = Compétition-faible habileté perçue, C-Ht = Compétition-habileté perçue élevée,M-Bs = Maîtrise-faible habileté perçue, M-Ht = Maîtrise-habileté perçue élevée.Faib. = faible, Inter. = intermédiaire, et élev. = élevée.
Effort et persévérance
- 202 -
Aucune différence significative n'existe avec la voie très facile. Dans l'ensemble, les sujets
estiment avoir de grandes chances de réussir cette voie.
Une différence significative apparaît pour la voie facile. Alors que les sujets à habileté
perçue élevée sont sur-représentés dans la catégorie "probabilité élevée", les sujets du groupes
Compétition-faible habileté perçue sont moins représentés dans cette catégorie, et sur-représentés
dans la catégorie "faible probabilité".
Il existe une différence significative avec la voie moyenne. Les sujets à habileté perçue
élevée sont sur-représentés dans la catégorie "probabilité élevée", alors que les sujets à faible
habileté perçue sont sous-représentés dans celle-ci. C'est l'inverse qui se produit pour la catégorie
"faible probabilité". Les sujets du groupe Maîtrise-faible habileté perçue sont également sur-
représentés dans la catégorie "probabilité intermédiaire".
T.Facile Facile Moyenne Difficile T.Difficile
1
1,5
2
2,5
3
3,5
4
4,5
5 Compétition-Faible H.P
Compétition-H.P.élevée
Maîtrise-Faible H.P
Maîtrise-H.P.élevée
Graphique 5. Moyennes des probabilités subjectives de réussir, de chacun des groupes pourchaque voie.
Il y a une différence significative pour la voie difficile. Les sujets à faible habileté perçue
sont sous-représentés dans les catégories "probabilité intermédiaire" et "probabilité élevée", et sur-
représentés dans la catégorie "faible probabilité". Le groupe Compétition-habileté perçue élevée
est sur-représenté dans la catégorie "probabilité élevée", alors que le groupe Maîtrise-habileté
perçue élevée, est plus représenté dans la catégorie "probabilité intermédiaire".
Effort et persévérance
- 203 -
Il n'existe pas de différence significative pour la voie difficile, la majorité des sujets ayant
de faibles attentes de succès. Dans l'ensemble, les résultats montrent une diminution des
probabilités de réussite au fur et à mesure de l'augmentation de la difficulté, pour les 4 groupes.
Cette diminution commence d'autant plus tôt que l'habileté perçue des sujets est basse. Cette
tendance est confirmée par le calcul des moyennes des probabilités subjectives de réussir pour
chaque groupe et pour chaque voie (graphique 5).
Attributions causales.
Des tests-t sur séries non appariées ont été effectués en prenant les 6 réponses au
questionnaire d'attributions causales comme variables dépendantes. Ces effets, ainsi que les
moyennes et les écarts-types, sont visibles dans le tableau 3.
Tableau 3Moyennes et écarts-types (entre parenthèses) des réponses au questionnaire d'attributions causales à l'échec, des deux groupes à faible habileté perçue.
Manqued'habileté Malchance
Mauvaisestratégie Trop difficile
Pas assezforcé
Pas assez enforme
Compétition(n = 20)
Maîtrise(n = 10)
4.05 (2.21)**
2.1 (1.37)
1.5 (1.57)
1.5 (1.08)
2.30 (1.45)**
3.70 (1.25)
4.05 (2.16)
3.40 (1.78)
2.4 (1.47)*
3.5 (1.65)
2.7 (1.88)*
1.6 (0.97)
Note. ** <.05, * <.10
Les sujets Compétition-faible habileté perçue qui ont échoué la voie moyenne invoquent
plus souvent que les sujets Maîtrise-faible habileté perçue, un manque d'habileté (p = .02) ou un
manque de forme (p = .09) comme raisons de leur échec. A l'inverse, les sujets Maîtrise font plus
souvent allusion à l'utilisation d'une mauvaise stratégie (p < .02), ou à un effort pas assez soutenu
(p =.07)
Effort et persévérance
- 204 -
DISCUSSION
L'objectif de cette expérience était de vérifier que le processus d'allocation de ressources
énergétiques (i.e., l'effort fourni) était fonction du but motivationnel poursuivi par le sujet
(maîtrise vs compétition), de son habileté perçue (élevée vs faible) et de la difficulté perçue de la
voie - dans une situation écologique.
Compte tenu de l'influence de l'état émotionnel (ou stress) sur le rythme cardiaque, on
peut s'interroger sur la pertinence de l'indicateur retenu, comme mesure de l'effort. Le contexte de
compétition dans lequel se trouvaient certains sujets n'a-t-il pas suscité une augmentation de la
valeur retenue, alors que la quantité d'effort demeurait plus faible ? Pour répondre à cette
interrogation, nous nous sommes penchés sur les travaux de la physiologie de l'exercice
musculaire relatifs à l'influence du stress psychogène et du stress métabolique sur la majoration de
la fréquence cardiaque (Christensen & Brandsborg, 1973; Robinson, Epstein, Beiser, &
Braunwald, 1966; Rowell & O'Leary, 1990). Si pour les physiologistes, l'effort est considéré
comme un "stress", sa commande et son influence sur l'organisme se différencient nettement de
ceux du stress d'origine purement psychologique. Dans ce dernier cas, l'augmentation de la
fréquence cardiaque est liée à une sollicitation du système sympathique. Néanmoins, l'influence du
système parasympathique demeure en parallèle, et on peut trouver sa trace sous la forme de ce qui
est dénommé "arythmie respiratoire" - c'est-à-dire, une variabilité importante de la fréquence
cardiaque. En revanche, l'augmentation cardiaque d'origine métabolique est due à l'action du
système sympathique, précédée (dans les premières secondes de l'exercice) d'une levée du système
parasympathique. La variabilité est donc très réduite.
L'analyse de cette variabilité de la fréquence cardiaque à partir des périodes R-R de
l'électrocardiogramme constitue un principe récent d'investigation non invasive du système
nerveux autonome (Pagani, Lombardi, Guzzetti, Rimoldi, Furlan, Pizzinelli, Sandrone, Malfatto,
Dell'Orto, piccaluga, Turiel, Baselli, Cerutti, & Malliani, 1986; Perini, Orizio, Baselli, Cerutti, &
Veicsteinas, 1990). Un certain nombre d'outils d'analyse et de traitement des signaux enregistrés
Effort et persévérance
- 205 -
permet d'évaluer le rôle et l'influence respectifs des activités sympathique et parasympathique,
discriminant ainsi le stress psychogène, du stress métabolique. L'outil le plus simple consiste à
exprimer dans un repère orthonormé les valeurs des périodes R-R(i) (en ordonnées) en fonction des
valeurs des périodes R-R(i-1) (en abscisse): il s'agit là d'une sorte de diagramme dont on doit le
principe au mathématicien français Poincarré. Une variabilité lente, comme celle liée à l'activation
métabolique due à l'exercice physique (inhibition du système parasympathique et activation du
système sympathique) se traduit par un graphique en forme de nuage de points d'aspects très
allongé (graphique 6).
120
130
140
150
160
170
180
120 130 140 150 160 170 180
FC (n)
FC (n-1)
Graphique 6 : Diagramme de Poincarré, effectué à partir des données du cardio-fréquence-mètrerelevées pour un sujet Compétition, au cours de l'ascension d'une voie. Le nuageallongé traduit un stress métabolique.
Inversement, l'influence parasympathique (associée à l'action du système sympathique) qui
demeure au cours d'un stress psychogène se traduit par une variabilité importante de la fréquence
cardiaque. Celle-ci va avoir tendance à élargir le diagramme de points. Ce nuage plus "ventru"
(graphique 7) illustre le fait que deux périodes R-R successives peuvent présenter une différence
importante de durée.
Effort et persévérance
- 206 -
85,00
95,00
105,00
115,00
125,00
135,00
85,00 95,00 105,00 115,00 125,00 135,00
FC (n)
FC (n-1)
Graphique 7: Diagramme de Poincarré, effectué à partir des données du cardio-fréquence-mètrerelevées pour un sujet Compétition, avant l'ascension d'une voie. Le nuage "ventru"traduit un stress psychogène.
Ainsi, pour des fréquences cardiaques qui ne dépassent pas 130 à 140 pulsations par minute,
l'examen des diagrammes de Poincarré permet de déduire si l'augmentation de fréquence cardiaque
observée est due à une baisse du tonus vagal liée à l'exercice lui-même (graphique 6), ou si au
contraire, cette augmentation est due à un stress psychogène (graphique 7). Au delà de cette zone
de fréquences cardiaques, il est admis par la plupart des physiologistes que les fréquences
observées ne peuvent être seulement dues à un stress psychogène. Lors d'un exercice physique
d'intensité relativement importante, la sécrétion de catécholamines par l'organisme est telle que
celle qui pourrait être due au stress psychogène seul apparaît négligeable en comparaison.
Pour résumer, les travaux de la physiologie nous apportent un éclairage sur l'influence du
stress sur l'augmentation de la fréquence cardiaque. Ce champ théorique considère l'effort ou
l'allocation de ressources énergétiques également comme un stress dont l'origine et les effets se
distinguent du stress purement psychogène. Il est peut-être temps d'uniformiser nos terminologies,
quand nous utilisons des concepts "empruntés" à d'autres champs théoriques. L'examen des
diagrammes de Poincarré d'une vingtaine de sujets Compétition a montré effectivement la
Effort et persévérance
- 207 -
présence d'un stress psychogène dans les minutes qui précédaient les différentes ascensions. Il
était également présent parmi certains sujets Maîtrise; comme quoi, l'incertitude de réussir une
tâche de "défi" pour ces sujets génère aussi un stress (Beggs, 1990). D'autres études pourraient
explorer cette voie, et exploiter cette méthodologie nouvelle et "objective" d'évaluation du stress
psychologique. Dès le début des ascensions, le stress physiologique semblait prendre le pas sur
celui d'origine psychologique (graphique 8). Dans notre recherche, nous avons effectué des calculs
avec des fréquences cardiaques qui se situaient entre 140 et plus de 200; c'est-à-dire, dans une
gamme de fréquence reconnue comme étant peu influencée par un stress psychogène. Si ce dernier
avait eu une quelconque influence, son effet se serait traduit par une systole isolée plus courte que
les autres (ou un pic). Or, nous avons relevé à chaque fois, la valeur la plus importante située sur
une courbe d'allure exponentielle (graphique 1), et non pas la valeur isolée la plus importante. Par
conséquent, il est peu probable que les données que nous avons recueilli dans notre expérience
aient subi une quelconque influence du stress psychologique.
110
120
130
140
150
160
170
110 120 130 140 150 160 170
Début de l'ascension
FC (n)
FC (n-1)
Graphique 8: Diagramme de Poincarré, effectué à partir des données du cardio-fréquence-mètrerelevées pour un sujet Compétition, juste avant, et pendant l'ascension d'une voie. Lenuage "ventru" traduit un stress psychogène majorant la fréquence cardiaque jusqu'à130-140 puls./min. Au delà, l'augmentation de la fréquence cardiaque est purementd'origine physiologique (nuage étroit).
Effort et persévérance
- 208 -
Nous avons constaté une évolution de la fréquence cardiaque de l'ensemble de la
population, qui ressemble à un U inversé (graphique 3), l'effort le plus important étant consenti
pour les difficultés intermédiaires. Si ce résultat correspond aux hypothèses de Kukla (1972, 1978)
relatives à l'évolution de l'effort consenti en fonction de la difficulté perçue, il ne prend pas en
compte les influences du but motivationnel, et de l'habileté perçue qui interagissent avec la
difficulté perçue, dans le processus d'allocation de ressources.
L'examen des expectations de réussir les voies en fonction du groupe a montré une
diminution perçue des chances de réussir la voie au fur et à mesure que la difficulté de celle-ci
augmentait. Cette diminution commençait d'autant plus tôt que l'habileté perçue du groupe était
faible. Ce constat confirme le rôle de ce construit endurant qu'est l'habileté perçue sur une
cognition plus contextuelle qu'est la probabilité de réussir (cf. chapitre 2 - partie 2). Alors que les
deux groupes à faible habileté perçue ne présentaient aucune différence au niveau de la mesure de
ce construit (4,41 vs 4,56, p > .70), on constate pourtant que le groupe Compétition est plus
souvent représenté dans la catégorie "faible expectation" que le groupe Maîtrise; ce dernier étant
plus souvent représenté que le premier dans la catégorie "probabilité intermédiaire" (tableau 2).
L'absence de référence normative du contexte Maîtrise a-t-elle eu pour incidence d'augmenter les
expectations des sujets ? D'autres investigations apparaissent nécessaires pour confirmer ce point.
Le but motivationnel, et non l'habileté perçue, a eu une influence directe sur l'effort
consenti pour l'ensemble des voies. Les sujets Maîtrise ont fourni plus d'effort que les sujets
Compétition. Ce résultat est conforme à certaines données antérieures qui utilisaient d'autres
critères d'effort (Duda, 1988; Duda, Smart, & Tappe, 1989).
Conformément à nos attentes, les sujets qui valorisaient la maîtrise de la tâche et le
progrès ont fourni un effort maximal pour un niveau de difficulté qui différait suivant leur
habileté perçue. Le groupe à faible habileté perçue a consenti le plus de ressources énergétiques
sur la voie moyenne, tandis que le groupe à habileté perçue élevée a davantage "forcé" sur la voie
très difficile; à un niveau supérieur à celui de tous les groupes (graphique 9). Si l'examen des
Effort et persévérance
- 209 -
probabilités subjectives de réussir apportent un soutien à notre hypothèse pour le groupe à faible
habileté perçue, le comportement des sujets à habileté perçue élevée n'était pas attendu. Les
premiers ont consenti plus d'effort sur une voie dont la majorité du groupe émettait des
probabilités intermédiaires de réussir (tableau 2). Par contre, les sujets Maîtrise-habileté perçue
élevée avaient en grand majorité (85%) de faibles expectations de réussir la voie très difficile,
pour laquelle ils ont consacré le plus d'effort. Quand ils ne sont pas dans une situation où ils
peuvent choisir leur niveau de difficulté (chapitre précédent), les sujets Maîtrise qui ont confiance
en leur possibilité semblent ne pas rechigner à fournir des efforts importants, même lorsqu'ils
estiment avoir une faible probabilité de réussir. La liaison linéaire que l'on a constatée entre la
difficulté de la voie (et les expectations de réussir) et l'effort fourni, semble accréditer la thèse
selon laquelle la valence de la difficulté est d'autant plus élevée que les expectations de réussir
sont basses; une liaison dont nous reparlerons dans le chapitre suivant. Quand c'est le progrès et la
maîtrise qui sont recherchés, les sujets concèdent le plus d'effort sur des niveaux de difficulté qui
leur apparaissent de "défi". Ceux qui ont une habileté perçue élevée semblent même capables de
poursuivre leurs efforts sur des niveaux qui excèdent largement leurs possibilités. Leur
interprétation positive de l'échec, a été confirmée par l'analyse des attributions causales (tableau
3). Comparativement aux sujets Compétition-faible habileté perçue, les sujets Maîtrise-faible
habileté perçue qui échouent sur la voie moyenne, attribuent davantage leur échec à l'utilisation
d'une mauvaise stratégie (p < .05), ou à un effort insuffisant (p < .10), c'est-à-dire deux causes
contrôlables qui laissent espérer un succès futur.
Le groupe Compétition à habileté perçue élevée a fourni le plus d’effort sur la voie
moyenne, et la voie difficile, significativement plus que sur la voie très facile ou la voie facile (il
n'y a toutefois pas de différence significative entre l'effort fourni sur la voie facile et celui fourni
sur la voie difficile) (graphique 9). Ce résultat est conforme à nos attentes et aux résultats de
l'expérience précédente. Comme nous l'avons expliqué, les sujets qui cherchent à se montrer
meilleurs que les autres et qui ont une habileté perçue élevée maintiennent un effort important
quand ils sont confrontés à des niveaux de difficulté dont la maîtrise signale une habileté
supérieure à la norme; c'est à dire les difficultés normatives supérieures ou égales à la moyenne.
Effort et persévérance
- 210 -
Par contraste, ils consacrent peu de temps et d’effort à des tâches faciles qu'ils sont sûrs de réussir
ou à des tâches dont la difficulté est telle que l’échec apparaît certain malgré un effort maximum.
L'étude des expectations de réussir montre effectivement que la voie très facile et la voie très
difficile où l'effort a été le plus faible, sont respectivement associées à une probabilité élevée
(100% du groupe) et faible de réussir (95% du groupe). Nicholls (1989) a émis l'hypothèse d'un
moindre investissement des sujets Compétition-habileté perçue élevée sur les niveaux de
difficulté les plus faciles, par rapport à celui réalisé par le groupe Compétition-faible habileté
perçue. Bien que les différences ne soient pas significatives, la tendance observée dans cette
expérience est conforme à cette hypothèse (graphique 9).
145150155160165170175180185
T.Facile
Facile
Moyenne
Difficile
T.DifficileCompétition- Compétition- Compétition- Maîtrise- Maîtrise- Faible H.P Faible H.P. H.P. élevée Faible H.P. H.P. élevée (n = 20) (n = 11) (n = 18) (n = 20) (n = 20)
Graphique 9 : Évolution de la fréquence cardiaque en fonction du groupe et de la difficulté de la voie.
Le groupe Compétition-faible habileté perçue a fourni le plus d'effort sur la voie très facile
et la voie facile, significativement plus que sur les trois autres niveaux (il n'y a toutefois pas de
différence significative entre l'effort fourni sur la voie très facile et celui fourni sur la voie
difficile) (graphique 9). Ils se sont, de manière significative, moins investis que tous les autres
groupes sur la voie moyenne et la voie très difficile. Ce résultat est en partie conforme à nos
attentes. L'investissement plus prononcé des sujets de ce groupe sur les voies les plus faciles,
comme le moindre effort consenti sur la voie moyenne étaient prévus. Néanmoins, nous nous
attendions à un investissement plus important sur la voie difficile. On peut constater sur le
Effort et persévérance
- 211 -
graphique 4, une tendance qui va dans ce sens, mais qui n'est pas significative. Par contre, pour 11
sujets de ce groupe, les différences d'investissement sont significatives entre la voie moyenne et la
voie difficile (p < .01) (graphique 9). Ce constat peut s'interpréter à la lumière de la théorie de
Nicholls (1984, 1989). Cet auteur distingue 3 groupes de sujets à faible habileté perçue. Les
premiers n'ont pas renoncé à faire la preuve de leur habileté dans l'activité. Cette volonté maintient
un certain investissement, surtout sur les tâches faciles et difficiles, où la réussite sur les premières
et l’échec sur les secondes ne permettent pas d’exclure catégoriquement l'idée que le sujet possède
une certaine habileté. Les niveaux normatifs moyens qui comportent les plus grands risques
symboliques sont quant à eux associés au plus bas niveau d'investissement, car les attentes d'échec
sont élevées (tableau 2) et l'incompétence est encore plus visible quand l'échec est associé à un
effort important (Jagacinski & Nicholls, 1984; Miller, 1985). Nous reviendrons plus loin sur cette
stratégie de réduction de l'effort. Dans la seconde catégorie, les sujets sont plus convaincus de
manquer d'habileté, et moins engagés à prouver leur compétence. Ils cherchent plutôt à éviter de
révéler de manière trop voyante, leur incompétence. Ils sont plus enclins que ceux du premier
groupe à adopter des stratégies d'effort réduit quand leur probabilité de succès sont faibles, et
s'investissent fortement uniquement quand leurs chances de réussir sont élevées (sur des tâches
normativement faciles). Avec une difficulté moyenne, leur effort est encore plus faible que ceux
du premier groupe. Ainsi, plus l'habileté est basse, moins l'effort est important sur ce niveau de
difficulté. Dans un troisième groupe, les sujets sont tellement convaincus d'avoir une faible
habileté qu'ils ne cherchent même plus à éviter de démontrer leur incompétence. Ils ne font des
efforts que s'ils servent à d’autres objectifs (le plus souvent extrinsèques) comme l'évitement de
punitions, la promesse d'une récompense, ou la possibilité de quitter rapidement la situation. Dans
un tel cas extrême, le terme "impuissance apprise" peut être employé, bien que dans la théorie, il
ne soit utilisé que pour caractériser une diminution de la performance consécutive à la perception
d'une absence de contingence entre le résultat et l’action personnelle (Abramson, Seligman, et
Teasdale, 1978). Durand (1991) préfère d'ailleurs utiliser la notion d' "incompétence acquise" pour
caractériser cette "résignation personnelle" (Bandura, 1977a) qui survient quand le sujet se sent
incapable d'effectuer les actions qui conduisent au résultat désiré. C’est à dire, quand il s’attend à
Effort et persévérance
- 212 -
échouer, et qu’il endosse la responsabilité de l’insuccès. Ainsi, il n'y a pas un mais trois modèles
comportementaux prévus pour les sujets à faible habileté perçue. Si tous sont censés ne pas
s'investir sur la voie moyenne (ce que nous avons constaté), l'effort soutenu sur la voie difficile ne
caractérise que certains d'entre eux (ceux qui se sentent les moins malhabiles et qui cherchent
encore à prouver leur compétence). C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas trouvé de
différence significative entre l'effort fourni sur la voie moyenne et celui fourni sur la voie difficile.
Les sujets qui ont renoncé à établir leur compétence (ceux des deux derniers groupes dans la
classification de Nicholls) se désengagent rapidement quand ils sont sûrs d’échouer. Ils ont donc
fait baisser la moyenne des efforts du groupe sur la voie difficile. Un argument en faveur de cette
thèse réside dans l'examen des corrélations entre l'habileté perçue des sujets de ce groupe et la
fréquence cardiaque. Sur les 5 voies, elles sont respectivement de r = .08 (ns), .37 (ns), .45 (p
<.05), .46 (p <.05), et .05 (ns). On peut le constater, il y a une liaison significative entre l'habileté
perçue et l'effort fourni sur la voie moyenne et sur la voie difficile. Ceux qui se sentaient les moins
malhabiles du groupe se sont plus investis que ceux qui s'estimaient vraiment faibles. Les travaux
futurs dans ce domaine devront envisager une autre méthodologie de constitution des groupes,
pour mieux cerner les particularités de chaque sous-groupe de sujets Compétition à faible habileté
perçue.
En résumé, avec un but de compétition - contrairement à ce qui se produit avec un but de
maîtrise - l'effort est plus diminuer par l'expectation de se montrer incompétent, que par
l'expectation de ne pas réussir la tâche (Nicholls, 1989). En effet, certains sujets Compétition-
faible habileté perçue ont fait plus d'effort sur des tâches pour lesquelles ils émettaient des chances
très faibles de réussir mais où l'échec n'était pas synonyme d'incompétence (i.e., les tâches
difficiles) que sur des tâches où ils avaient plus de chances de réussir mais pour lesquels un échec
dénotait l'incompétence (i.e., les tâches moyennes d'un point de vue normatif) (tableau 2). Cette
constatation va à l'encontre de l'hypothèse de Carver et Scheier (1981) selon laquelle le succès
plutôt que la manifestation de la compétence constitue le but du comportement
d’accomplissement. Si c’était le cas, les tâches faciles, où la réussite est garantie, seraient plus
attractives.
Effort et persévérance
- 213 -
Nous l'avons signalé dans l'expérience précédente, pour un grand nombre de chercheurs,
les sujets qui anticipent un échec et une perspective d’apparaître incompétents, réduisent leur
engagement de telle sorte que l’échec puisse être attribué à un faible effort - protégeant ainsi
l'habileté perçue (Covington & Omelich, 1979a; Frankel & Snyder, 1978; Nicholls, 1984). Cette
stratégie "auto-handicapante" n’a pas été démontrée de manière convainquante. Jagacinski &
Nicholls (1990) l'ont, dans une étude récente, remise en cause. Selon eux, cette stratégie de
réduction auto-protectrice de l’effort destinée à protéger l’habileté de la personne, ne pourrait
marcher que dans la mesure où il serait évident pour cette personne ou tout autre observateur,
qu’elle ne se donne pas à fond dans l’activité. Si ce mécanisme fonctionnait, il devrait être visible
à travers un comportement ostentatoire d’effort réduit (traduisant un choix calculé et volontaire).
Cette conduite existe; on se rappelle des facéties d'un skieur, lors de l'épreuve du combiné aux
Jeux Olympiques d'Alberville, qui persuadé qu'il ne pourrait postuler à la victoire finale après une
faute technique, termina sa manche par une prestation parodique, allant même jusqu'à passer la
ligne d'arrivée en marche arrière. Mais force est de constater que ce n’est pas toujours le cas, et
pour l’instant, aucune étude n’a prouvé que cette réduction de l'effort avait pour objectif de
diminuer l'attribution de l'échec potentiel à un manque d'habileté. Les résultats de Jagacinski et
Nicholls ont montré que si les étudiants connaissaient cette stratégie, comme un moyen de se sortir
d’une situation menaçante - et n’hésitaient pas à la faire adopter par un autre quand ils étaient en
position d’observateur - ils rechignaient à l’utiliser pour eux mêmes. Pour ces auteurs il y a un "vis
de forme" dans les conceptualisations avancées pour expliquer cette réduction de l’effort. Choisir
volontairement de réduire son investissement pour éviter l’inférence d’incompétence, c’est
accepter en quelque sorte d’être incompétent; c’est donc rejeter l’objectif premier de la stratégie.
D’autres raisons sont apportées pour expliquer cette diminution. Il se peut, en premier lieu, que
cette réduction s’effectue sans que le sujet en ait conscience. C’est un trait des mécanismes de
défense de l'ego, comme Freud les concevait, qui ne peuvent pas marcher si leur objectif est
reconnu. La deuxième possibilité, qui recueille la préférence des auteurs, est que cette diminution
de l'effort est un aspect du processus de désengagement de la tâche. L'étude des attributions
causales, que nous avons effectuée dans cette recherche apporte un soutien à cette hypothèse. Si
Effort et persévérance
- 214 -
l'effort réduit qu'ont manifesté les sujets Compétition à faible habileté perçue sur la voie moyenne
était une stratégie pour diminuer l'attribution de l'échec à un manque d'habileté, les sujets ne
devraient pas - c'est une lapalissade - attribuer leur échec à un manque d'habileté; surtout avec une
voie "diagnostique" du niveau d'habileté. Au lieu de cela, ils devraient invoquer principalement un
manque d'effort, ou d'autres causes instables (la malchance, un manque de forme, etc.). Pourtant,
en comparaison avec les sujets Maîtrise qui présentent le même niveau d'habileté perçue, les sujets
Compétition ont attribué leur échec principalement à un manque d'habileté (tableau 3). Ils ont
même fait moins souvent allusion à un manque d'effort que les sujets Maîtrise, et il n'y a pas de
différence au niveau de la "malchance". On constate toutefois une tendance à invoquer un manque
de forme (p <.10). Les résultats que nous avons trouvés dans cette recherche n'appuie pas
l'hypothèse d'une réduction de l'effort pour protéger son habileté perçue. Le fait d'attribuer avec
insistance un échec à un manque d'habileté traduit plutôt l'absence (ou l'affaiblissement) de
l'engagement à vouloir établir sa compétence. Dès lors, en accord avec Jagacinski & Nicholls
(1990), il semble que la réduction d’effort fasse partie d’un processus destiné à protéger son
estime de soi, mais qui ne sert pas à maintenir une perception de haute habileté dans l'activité
concernée. Ce processus est associé à une dépréciation à la fois, de l'utilité de l'effort (Ames,
1984; Diener & Dweck, 1978; Dweck, 1986) considéré comme "une perte de temps" (Thill,
1993b) et, de l'activité en question. D'où les affirmations que l'on entendait fréquemment parmi les
sujets à faible habileté perçue: "c'est nul l'escalade", "à quoi ça sert l'escalade" ou "c'est pas un
sport l'escalade". Cette dépréciation de l'activité s'accompagne d'une perte du désir de la pratiquer,
comme nous l'avons constaté (Famose, Sarrazin, et Cury, 1995; Sarrazin, Famose, Cury, 1993). Si
notre recherche apporte dans l'ensemble un appui considérable aux hypothèses que nous avons
émises, et à celles de Nicholls (1989. Jagacinski & Nicholls, 1990), d'autres études sont
nécessaires pour mieux comprendre les stratégies de protection de l'estime de soi, et plus
généralement le processus de désengagement de la tâche.
Fixation de buts
- 215 -
Chapitre 4
Fixation de buts et augmentation de la performance.De l'utilité d'une technique motivationnelle à une explication possible
de son mode de fonctionnement
La dernière partie de cette thèse est relative aux problèmes théoriques et méthodologiques
d'une technique, largement utilisée dans le domaine industriel pour augmenter - ce que les experts
en management appellent: "la motivation de l'employé". Cette technique est la fixation de buts
(goal setting). Le concept de "but" n'est pas quelque chose de nouveau en soi. Nous l'avons vu
dans notre partie théorique, il puise ses origines au tout début de la psychologie, dans les travaux
de Kulpe, Lewin, Tolman, Watt, etc. On le retrouve dans différents modèles expectation-valence,
et dans les modèles d'inspiration cybernétique (Hunt, 1965; Festinger, 1957; Miller, Galanter &
Pribram, 1960; Nuttin, 1985, etc.). Parfois, suivant les auteurs, d'autres concepts similaires lui sont
préférés: le "standard de performance" (un étalon ou une norme de mesure pour évaluer la
performance), la "tâche" (un corps de travail requérant une activité physique et/ou mentale), le
"niveau d'aspiration" (le but que l'on cherche à atteindre), etc. Derrière ces notions se dissimulent
deux postulats communs: l'intentionnalité des actions et la "médiation cognitive". Plus près de
nous, Ryan (1970) publia une revue de la littérature qui fut très influente, sur le rôle de l'intention
dans la motivation. S'appuyant sur les travaux de ces pères fondateurs, il se fit le défenseur de
l'existence d'un lien causal entre les intentions et les actions. Paradigme qui n'est plus trop contesté
aujourd'hui.
Fixation de buts
- 216 -
Recherches fondamentale et appliquée ne vont pas toujours de paire, l'histoire de la
psychologie et de la science en générale l'attestent. Il en est de même pour les courants théoriques
qui ont pris le concept de but comme objet d'étude et les recherches pratiques qui ont utilisé la
fixation de buts. Ainsi, bien avant que la notion de but ne soit conceptualisée, Taylor (1911/1967)
développa dès le début du siècle, des techniques d'organisation scientifique du travail, où chaque
ouvrier était assigné à une tâche (ou un but) qui était une composante du procédé plus général de
production. La technique de Management By Objective (voir Odiorne, 1978, pour un résumé),
largement utilisée dans le contexte industriel, est le résultat final des efforts de Taylor.
Ces deux courants de pensée (théorique et appliqué) convergèrent dans les travaux
d'Edwin Locke (1968) de l'université de Maryland, de Gary Latham et de ses collègues (Latham &
Lee, 1985; Latham & Locke, 1975); et d'autres qui ont appréhendé l'effet de la fixation de buts sur
la performance. Un des présupposés de base de la recherche sur la fixation de buts est que les buts
conscients sont les régulateurs les plus immédiats et les plus directs de l'action humaine. Selon
Locke (1968, p. 158), "... les idées conscientes de l'homme affectent ce qu'il fait; i.e., l'une des
fonctions (biologiques) de la conscience est la régulation de l'action". Même si, un peu plus tard, il
admettait: "... aucune correspondance terme à terme n'est présumée entre les buts et l'action, car
les gens peuvent faire des erreurs, manquer de capacités pour atteindre leurs objectifs, ou avoir des
conflits ou prémisses subconscients qui pervertissent leurs buts conscients" (Locke, Saari, Shaw,
& Latham, 1981, p.126). En fait Locke réussit à mettre en évidence, dans son modèle de la
motivation "guidée par des buts" dans les situations industrielles, l'importance de la médiation
cognitive dans la réalisation d'une tâche.
Le concept de "but" dont il est fait allusion ici se démarque nettement de celui de besoin,
de valeur, ou de but motivationnel qui sont considérés comme formant une "toile de fond à
l'action" (Locke & Henne, 1986). En effet, le but correspond ici à une image d'un niveau de
performance à accomplir dans le futur (Famose, 1993b; Garland, 1985; Thill, 1993a). Ils sont
cognitifs et peuvent exister sous une forme verbale ou sensorielle; l'image peut être conservée en
mémoire primaire ou secondaire, et être rappelée à un moment ultérieur pour être comparée avec
la performance du moment. Ils sont mesurables et au moins ordinaux (cf. infra, le développement
Fixation de buts
- 217 -
relatif au concept de performance). Cette définition exclut les images de tous les résultats qui sont
perçus comme des conséquences de la performance, mais qui ne sont pas elles-mêmes des
productions directes, mesurables de l'action sur la tâche (e.g., le sentiment d'accomplissement,
l'approbation sociale, les récompenses extrinsèques). En effet, les gens peuvent se fixer des buts
pour toutes sortes de résultats (e.g., gagner Roland Garros, être riche). Mais ces buts généraux sont
situés à un niveau plus élevé d'une organisation hiérarchique moyens-fins. Même si, nous le
verrons, il est fondamental de s'interroger sur les conséquences de second niveau auxquels
conduisent les buts, on considère que ces conséquences ont une influence moins directe sur la
performance que celle exercée par les buts.
Traditionnellement conçue comme un procédé pour augmenter la production de l'ouvrier,
il n'est pas surprenant de constater que la plus grande partie de la littérature sur la fixation de buts
soit basée sur des recherches dans l'industrie et le monde du travail. Depuis peu, certains ont
cherché à étendre l'utilisation de cette technique dans d'autres contextes: à l'école (e.g., Bandura &
Schunk, 1981), dans le domaine clinique (cf. Ahrens, 1987, pour une revue de questions sur le rôle
des buts dans la dépression) ou dans le sport. Dans ce dernier contexte, les premiers articles
cherchaient essentiellement à donner des idées pratiques pour aider à maximiser la motivation et la
performance des sportifs, plutôt que de tester véritablement la relation fixation de buts -
performance dans ce domaine spécifique (e.g., Beggs, 1990; Botterill, 1980; Cury et Sarrazin,
1993; Gould, 1987; Locke & Latham, 1985; McClements & Botterill, 1979; Thill, 1989). La
similarité des deux contextes favorisait d'ailleurs ce transfert de procédés; Locke & Latham (1985)
affirmaient : "Les tâches accomplies dans les situations industrielles et dans les laboratoires ont
beaucoup en commun avec les activités sportives, dans la mesure où les deux impliquent des
actions mentales et physiques dirigées vers une certaine finalité" (p. 206). En fait, ils ont même
suggéré une efficacité supérieure de la technique dans le domaine du sport dans la mesure où
l'évaluation de la performance des individus - une condition nécessaire aux effets positifs de la
fixation de buts - est beaucoup plus facile à effectuer en sport que dans les situations industrielles.
Pourtant, les premiers résultats expérimentaux qui ont véritablement appréhendés les effets de la
fixation de buts dans le domaine moteur, ont été très équivoques (pour une revue, consulter Hall &
Fixation de buts
- 218 -
Byrne, 1988; Locke, 1991; Weinberg, 1992; Weinberg & Weigand, 1993). La croyance intuitive
d'une généralisation des effets de la fixation de buts, des situations industrielles à l'environnement
sportif, apparaît quelque peu infondée. Il incombe donc aux chercheurs d'essayer de comprendre
pourquoi les résultats sont inconsistants. Pour cela, il semble essentiel de mieux étudier les
processus motivationnels sous-jacents, pour cerner les limites de la technique. C'est ce à quoi nous
nous appliquerons, mais nous le verrons, les différents cadres théoriques existants fournissent des
explications qui ne sont pas toujours concordantes; contradictions qu'il faudra surmonter.
L'aspect le plus testé de la théorie, ou plutôt, de la technique de la fixation de buts, tourne
autour de la relation difficulté / spécificité du but - performance. Il a été montré de manière
répétée une relation linéaire et positive entre la difficulté / spécificité du but et la performance
(Locke, 1968). Autrement dit, les buts spécifiques (i.e., quantifiés; e.g., exprimés en durée, en
charge, etc. à atteindre) et difficiles conduisent à de meilleures performances que les buts faciles,
les buts vagues du type "faites de votre mieux", ou aucun but du tout. Ainsi, donner aux individus
une idée très claire de ce que l'on attend d'eux semble les aider, même s'ils doivent faire des efforts
considérables pour atteindre de tels buts.
Ces effets sont néanmoins assujettis à certaines conditions limites. L'individu doit tout
d'abord avoir une connaissance ou une habileté suffisante pour atteindre (ou se rapprocher) du but
(Locke et al., 1981). L'individu doit ensuite accepter et demeurer engagé à atteindre le but (Erez &
Zidon, 1984, Locke et al., 1981). Enfin, l'individu doit disposer d'un feed-back, qui le renseigne
sur la distance qui le sépare du but fixé. Locke et al. (1981) affirmaient "... ni la connaissance du
résultat seule, ni les buts seuls ne sont suffisants pour améliorer la performance. Les deux sont
nécessaires" (p. 135). Plusieurs expériences ont confirmé cette affirmation (Bandura, 1977a;
Bandura & Cervone, 1983; Bandura & Simon, 1977; Erez, 1977).
Cet effet positif de la difficulté des buts sur la performance a été reproduit de nombreuses
fois, avec des tâches, des durées, des sujets, des mesures de performance, des contextes
(laboratoire aussi bien que terrain), des modes de fixation de but (assigné, auto-imposé, en
collaboration), très distincts (pour une revue, consulter: Latham & Lee, 1985; Locke et al., 1981;
Locke & Latham, 1990). Ces effets extrêmement forts ont été confirmés dans deux études
Fixation de buts
- 219 -
récentes, qui ont passé en revue la littérature existante sur la fixation de buts, à partir des
techniques de méta-analyses (Mento, Steel, & Karren, 1987; Tubbs, 1986). Mento et al. (1987)
sont même allés jusqu'à affirmer: "Si jamais il devait y avoir une candidate viable, issue des
sciences liées aux organisations (industrielles), pour être élevée au statut de loi scientifique de la
nature, alors les relations entre difficulté / spécificité du but et performance sont dignes d'une
considération sérieuse" (p. 74).
Face à ce corpus de résultats relativement consistants, Locke et al. (1981) se sont
interrogés sur la manière dont la fixation de buts pouvait affecter la performance. Selon eux, la
technique opère par le biais de mécanismes motivationnels. Ainsi, les buts (1) dirigent l'attention
et l'action, (2) mobilisent et régulent l'effort proportionnellement à la difficulté, (3) accroissent la
persévérance, et (4) favorisent le développement de nouvelles stratégies ou plans d'action destinés
à atteindre le but. Selon nous, si la théorie de Locke insiste sur le processus cognitif que représente
le but, et son rôle dans l'action humaine, il semble abusif, sans précision supplémentaire, de
considérer sa théorie comme "motivationnelle", dans la mesure où elle n'apporte aucun élément de
réponse à la question du "pourquoi" un individu est motivé à atteindre un but qui lui a été fixé, et
pourquoi il est d'autant plus motivé que ce but est difficile. Nous verrons que ce problème est
probablement à l'origine des certains résultats inconsistants trouvés dans la littérature spécialisée
en général, et dans le domaine du sport en particulier. Même si elle offre à l'utilisateur potentiel de
la technique, des lignes claires sur les principes efficaces de la fixation de buts40, elle ne parvient
pas à élargir les procédés par lesquels la pratique fonctionne, comme d'autres théories peuvent le
faire. C'est la raison pour laquelle, plusieurs chercheurs ont tenté d'expliquer les effets motivants
de la fixation de buts en utilisant des modèles théoriques établis, en particulier les théories
valence-expectation (Campbell, Dunnette, Lawler, & Weick, 1970; Dachler & Mobley, 1973;
Garland, 1984, 1985; Locke, Motowidlo, & Bobko, 1986; Matsui, Okada, & Mizuguchi, 1981;
Mento, Cartledge, & Locke, 1980; Motowidlo, Loehr, & Dunnette, 1978; Steers & Porter, 1974).
40 Principes qui résident dans l'actualisation de la plupart des variables de l'acronyme "DEMASCOPP" quisignifie "DÉfi", "Mesurable", "Acceptable", "Spécifique", "COntrat", "de Performance" et "Planifié" (Cury etSarrazin, 1993).
Fixation de buts
- 220 -
Nous avons amplement développé les principes des théories Valence-Instrumentalité-
Expectation (VIE) dans notre partie théorique, nous en reprendrons donc uniquement la logique.
Bien qu'elles présentent certaines singularités, les théories VIE (Campbell et al., 1970; Galbraith
& Cumming, 1967; Lawler & Porter, 1967; Vroom, 1964) suggèrent que trois variables affectent
la "force" (i.e., la motivation) d'un individu à accomplir une certaine action - dans le cas présent, à
atteindre un but. (1) L'expectation, ou la probabilité subjective d'atteindre le but, (2)
l'instrumentalité, ou la croyance qu'un certain niveau de performance conduira à (ou évitera)
d'autres résultats (argent, reconnaissance, sentiment d'accomplissement, blâme, etc.), et (3) la
valence ou la satisfaction anticipée liée à l'atteinte du but, du fait de l'importance des résultats
auxquels il est censé conduire. Les théories VIE considèrent également la motivation comme la
combinaison multiplicative de l'expectation et de la valence. Par conséquent, la motivation pour
atteindre un but devrait être plus forte, quand augmentent la probabilité d'atteindre le but, et/ou
l'anticipation d'une satisfaction importante liée à son atteinte. Autrement dit, si la valence est
maintenue constante alors la force à agir sera d'autant plus grande que l'expectation sera haute.
Certaines recherches conduites à l'université du Minnesota semblent appuyer cette affirmation
(Eden, 1984; Mento et al., 1980).
P E R F O R M A N C E
DIFFICULTE DU BUT
EXPECTATIONS
Facile Difficile
Hautes Basses
Théorie de la fixation de buts (Locke)
Théorie VIE (Vroom)
Figure 1: Relations théoriques entre les Expectations, la difficulté du but et la performance,prédites par la théorie VIE et la théorie de la fixation de buts (d'après Famose et al.,1994).
Fixation de buts
- 221 -
Par contraste, plusieurs études sur la fixation de buts ont montré une relation linéaire
négative entre la difficulté du but et la probabilité subjective de l'atteindre (Garland, 1982, 1983;
Locke, 1964, 1966, 1968, 1982; Mento et al., 1980; Motowidlo et al., 1978). Puisque, comme cela
s'est avéré de manière répétée (Locke & Latham, 1990), la difficulté du but est positivement reliée
à la performance, alors la relation entre l'expectation et la performance doit être négative.
Ainsi, il y a apparemment une contradiction entre la fixation de buts et les théories VIE,
dans la mesure où elles font des prédictions opposées à propos de la relation expectation -
performance. Celles-ci sont symbolisées dans la figure 1
Une première tentative de résolution de la controverse a été de reléguer au second plan le
pouvoir de prédire la performance que constitue les théories VIE. Ainsi, certains ont avancé que
les variables de ces théories avaient moins de valeur prédictive de la performance, que du but
réellement poursuivi par un individu (i.e., le choix personnel d'un but), ou de l'acceptation et de
l'engagement à accomplir le but prescrit. Certaines preuves ont appuyé cette position (Locke et al.,
1981; Mento et al., 1980). Dans les deux études qu'ils ont conduites, Mento et al. (1980) ont
trouvé que l'expectation et la valence "n'étaient pas reliées à l'effort ni à la performance, quand
d'autres facteurs (e.g., le but) étaient contrôlés" (p. 438). Seuls le niveau de difficulté du but
assigné et le niveau du but réellement poursuivi par les sujets étaient fortement reliés à l'effort et à
la performance. Et de spéculer, "Alors que les buts peuvent être les déterminants les plus directs
de l'effort et de la performance, au moins sous les conditions de ces expériences, les concepts de la
théorie VIE affectent l'acceptation ou non du but assigné" (p. 438). En d'autres termes, plus fortes
sont l'expectation et la valence vis à vis du but assigné, plus fort sera l'engagement du sujet à
l'atteindre. Néanmoins, cette proposition nous paraît insatisfaisante dans la mesure où il nous
semble parfaitement envisageable de concevoir l'existence de buts posés a priori, pour lesquels
l'individu formule des expectations et des valences. Dans cet éventualité, les différences de
performance entre deux niveaux de difficulté du but traduiraient une différence de "force"
motivationnelle que représente chacun d'eux. D'autre part, comme nous l'avons signalé plus haut, il
existe des preuves relatives à un effet direct de l'expectation sur la performance.
Fixation de buts
- 222 -
Deux autres solutions ont été envisagées afin de résoudre le conflit. La première, soulevée
par Garland (1984), Locke et al. (1986) est d'ordre méthodologique. Pour ces auteurs si certaines
études n'ont pas trouvé de liaison positive entre l'expectation et la performance (comme le
prévoient les théories VIE), ceci est dû à un "artefact de l'analyse des données" (Locke et al.,
1986, p. 331). Plus précisément, les chercheurs de ces études auraient calculés les corrélations
"pour tous" les sujets, et auraient purement et simplement négligé de différencier les corrélations
"entre" les groupes de celles mesurées "au sein" de chacun d'eux. Ainsi, la liaison expectation du
but-performance "entre" les groupes est probablement négative (i.e., le groupe assigné au but le
plus difficile rapporte des expectations plus basses, et des performances plus hautes, contrairement
au groupe assigné au but le plus facile qui rapporte de hautes expectations et de basses
performances), mais la relation "au sein" de chaque groupe peut très bien être positive (i.e., les
sujets qui rapportent les plus hautes expectations rapportent les plus hautes performances). Nous
reviendrons sur ce problème d'analyse des données dans notre première expérience.
La seconde solution est à la fois méthodologique et théorique. Elle a recours à la théorie
de l'efficacité personnelle de Bandura (1977a). Pour éviter l'artefact précédemment mis en
évidence, Garland (1984, 1985) propose d'évaluer les construits d'expectation et de valence
conformément à un référent commun, indépendant du but poursuivi. Selon lui, les sujets assignés à
différents buts rapportent des expectations et des valences relatives à chacun de ces buts. Ainsi,
d'un groupe à l'autre, les mesures ne sont pas établies pour la même chose; et pourtant, elles sont
mélangées dans les calculs, d'où des résultats inconsistants. S'appuyant sur les recommandations
méthodologiques de certains (Ilgen, Nebeker, & Pritchard, 1981), il propose d'évaluer l'expectation
(et la valence) relative(s) n'ont pas à un but, mais à une rangée de niveaux de performance,
commune à tous les sujets. Ce procédé permet ainsi de comparer les mesures des sujets des
différents groupes, malgré le fait qu'ils soient assignés à des buts différents.
Le construit "d'expectation de performances" (performance expectancy) et sa mesure,
développés par Garland (1984, 1985) sont très similaires au concept clé "d'efficacité personnelle"
de la théorie de l'apprentissage sociale de Bandura (1977b), dont nous avons déjà parlé (partie 2 -
chapitre 2). Résultat, entre autres choses, de la performance passée, l'efficacité personnelle - qui
Fixation de buts
- 223 -
est un jugement personnel "sur ses capacités à pouvoir exécuter convenablement une série
d’actions requises pour conduire aux situations prospectées" (Bandura, 1982, p. 122) - serait
positivement reliée à la motivation et à la performance (Bandura, 1977a, 1982). De ce point de
vue, la prédiction est la même que celle des théories VIE. Néanmoins, l'efficacité personnelle est
un concept plus large que celui d'expectation, dans la mesure où il inclut des facteurs tels les
croyances de l'individu en ses capacités à fonctionner sous le stress, en son ingéniosité, en son
adaptabilité, etc. Bandura mesure généralement deux aspects de l'efficacité personnelle, qu'il
appelle "niveau" et "force" (figure 2), les deux étant reliés aux capacités perçues de l'individu,
d'atteindre plusieurs niveaux de performance. Le niveau d'efficacité personnelle est évalué à partir
du nombre de réponses affirmatives dans la première colonne, la force d'efficacité personnelle est,
quant à elle, calculée en faisant la moyennes des scores rapportés dans la deuxième colonne
(figure 2).
NIVEAU (ou amplitude)de l’efficacité personnelle
FORCE de l’efficacitépersonnelle
Je peux grimper en moins de:Oui / Non
de 1 à 100 %de certitude
2 minutes
1 minute et 30 secondes
1 minute
30 secondes
Indices d’efficacité personnelle: Nombre de “oui” Moyenne desréponses
Figure 2. Échelle d'efficacité personnelle utilisée dans la première expérience, d'après Bandura (1982).
De manière similaire à l'expectation de performances, Garland (1984, 1985) définit le
construit de "valence de performances" (performance Valence) comme la satisfaction anticipée,
non pas associée à un niveau de performance (ou but assigné), mais à plusieurs niveaux
spécifiques. Si la relation positive que postule Garland ou Bandura entre l'expectation et la
performance est conforme à celle des théories VIE, les liaisons qu'ils proposent entre la valence et
la performance, d'une part, et entre le niveau de difficulté du but, l'expectation et la valence,
Fixation de buts
- 224 -
d'autre part, ont de quoi surprendre. Dans sa théorie de la médiation cognitive Garland (1985,
Garland, Weinberg, Bruya & Jackson, 1988) propose un modèle qui tente d'intégrer à la fois les
données de la fixation de buts, et les concepts des théories VIE. Selon lui, les buts sont des
"événements cognitifs qui influencent la motivation et la performance à travers leurs influences
sur deux construits cognitifs médiateurs, appelés expectation de performances et valence de
performances " (Garland, 1985, p. 346). De ce point de vue, il rejoint nos conceptions. Les
relations causales qu'il propose entre les principales variables de sa théorie, sont symbolisées dans
la figure 3.
Habileté sur la tâche
Expectation de performances (efficacité personnelle)
But de la tâcheValence de performances
Performance
+++
++
--
-
Figure 3: relation entre but de la tâche, expectation, valence et performance d'après Garland (1985)
Contrairement aux résultats des théories VIE, Garland prévoit un impact positif du niveau
de difficulté du but sur l'expectation. Ainsi, plus difficile est le but, plus hautes sont les
expectations. Il explique cette relation surprenante par l'intermédiaire de trois mécanismes
cognitifs. Tout d'abord, en fixant un but difficile on favoriserait la construction de stratégies
efficaces pour réaliser la tâche. Ce postulat est similaire à celui de Locke et al., (1981). Ces
stratégies peuvent également impliquer des innovations techniques. Ainsi, plus les buts seraient
difficiles, plus l'utilisation de stratégies ou de techniques perçues comme efficaces serait grande;
en retour, l'expectation de performances et la performance devraient augmenter. Le deuxième
processus auquel fait appel Garland proviendrait de ce qui est décrit comme une erreur ou un biais
dans l'estimation de la probabilité des événements (Kahneman & Tversky, 1973). En gros, il s'agit
du processus par lequel l'individu est amené à espérer fortement, ce qu'il cherche à accomplir;
Fixation de buts
- 225 -
comme on dit simplement "à prendre ses désirs pour des réalités" (Jones, 1977). Autrement dit,
plus il veut accomplir un but, plus il a tendance à surestimer ses capacités à l'atteindre. Enfin, le
troisième processus est relatif aux propriétés du but lui même. Défini comme "une image d'un
niveau de performance futur que l'individu souhaite accomplir" (Garland, 1985, p. 347), cet image
réside en mémoire et demeure cognitivement disponible dans le temps. Dès lors, elle servirait de
support ou "d'ancre" auquel l'individu resterait attaché jusqu'à ce qu'il l'ait atteinte (Tversky &
Kahnemen, 1974). La constatation de progrès dans sa direction se traduirait ensuite par une
augmentation du sentiment d'efficacité personnelle de l'individu (Cervone & Peake, 1986).
Garland propose également une relation négative entre le but et la valence et entre celle-ci
et la performance. Pour justifier cette dernière relation, qui va à l'encontre des prédictions
traditionnelles des modèles VIE, l'auteur a recours implicitement aux modèles d'inspiration
cybernétique "de réduction de la tension" instaurée par un but. Selon ces modèles, la perception
d'un décalage entre le standard fixé et l'état du moment, provoque une "force" ou une tendance à
l'action afin de réduire à zéro la "discrepance" instaurée (Festinger, 1957; Miller et al., 1960;
Nuttin, 1985). Prolongeant ce raisonnement, Garland prévoit que l'anticipation d'une moindre
satisfaction d'atteindre un standard déterminé, stimulera les efforts de l'individu. Autrement dit,
moins l'individu sera satisfait, ou plus il sera mécontent, d'atteindre dans le futur un certain niveau
de performance (donc plus la valence attachée à cette performance sera basse), plus l'individu
redoublera d'effort pour dépasser ce standard (donc plus la performance sera haute). Par exemple,
si on considère deux individus qui ont accompli une performance identique sur la même tâche, et
si on leur pose la question d'estimer le degré de satisfaction qu'ils éprouveraient dans le futur s'ils
réalisaient la même performance, on devrait théoriquement trouver que celui qui anticipe une
moindre satisfaction (ou un mécontentement plus grand ou une valence plus basse) obtient une
meilleure performance. Cette représentation "mécanique" de la valence est similaire au processus
"auto-évaluatif" rapporté par Bandura & Cervone (1983). Ces auteurs stipulaient d'ailleurs: "c'est à
la fois la satisfaction anticipée de réaliser le niveau de performance fixé et le mécontentement
personnel lié aux standards de performance sous-jacents qui fournissent des incitateurs aux efforts
supplémentaires" (p. 1017).
Fixation de buts
- 226 -
La relation négative entre la difficulté du but et la valence est issue directement de cette
représentation. Selon Garland (1985), le but de la tâche détermine le niveau de performance qui
satisfait l'individu. Par conséquent, plus le but est difficile, moins il a potentiellement de chance
d'être atteint, et donc plus le niveau de performance réalisé risque de mécontenter l'individu.
Mécontentement qui, en retour, stimulera, comme nous venons de le voir, ses efforts et
augmentera sa performance. Ce postulat est également adopté par Bandura (1988): "Les buts
spécifient les exigences conditionnelles à une évaluation de soi positive; en rendant la satisfaction
personnelle tributaire de l'atteinte du but adopté les individus donnent une direction à leur action
et créent les incitateurs personnels pour persister dans leurs efforts jusqu'à ce que leur
performance corresponde à leur but" (p. 41). Appliquons ce principe à l'exemple dans lequel deux
individus décident, dans une épreuve de saut en longueur, d'atteindre 5 mètres pour le premier et 6
mètres pour le second. Si tous deux acceptent pleinement leur but, le premier sera satisfait de tout
niveau de performance supérieur ou égal à 5 mètres, et mécontent en dessous de cette zone de
performance. Le spectre potentiel de mécontentement sera plus large pour le second individu, car
il devra atteindre au moins 6 mètre pour être satisfait. Par conséquent, l'obtention d'une
performance de 5 mètres cinquante devrait fortement mécontenter la seconde personne, et
conduire à l'extase la première. D'où la relation négative prévue entre le niveau de difficulté du but
et la valence. Pour résumer les conceptions de Bandura ou de Garland, la fixation d'un but élevé a
le potentiel, d'une part d'augmenter l'efficacité personnelle, et d'autre part d'accroître
l'insatisfaction personnelle; tous deux augmentent en retour motivation et performance.
Comme nous venons de le voir rapidement, la compréhension fine des mécanismes qui
expliquent la relation entre la difficulté du but et la performance, a conduit à de nombreuses
controverses théoriques et méthodologiques. L'application de théories explicatives plus larges et
l'utilisation de construits médiateurs ne semblent pas aller de soi, et des problèmes demeurent.
L'ensemble de ces problèmes nous a conduit à réaliser trois expériences. La première a été
construite selon un modèle traditionnel de fixation de buts. La deuxième et la troisième
expériences sont conçues pour tester d'autres propositions méthodologiques et théoriques que
celles avancées actuellement.
Fixation de buts
- 227 -
1. EXPÉRIENCE 1: FIXATION DE BUTS, IMPACTS SUR LES COGNITIONS ET LAPERFORMANCE
Suivant en cela les études traditionnelles sur la fixation de buts, le plan de cette expérience
a prévu d'assigner à trois groupes de sujets choisis au hasard, un but spécifique à atteindre, d'un
niveau de difficulté donné, sur une tâche d'escalade. Les sujets ont dû répéter leurs tentatives sur
trois essais. Un quatrième groupe a effectué également la tâche, mais sans but particulier à
atteindre. Cette expérience avait essentiellement pour objectif de tester l'hypothèse fondamentale
de la technique de la fixation de buts: "les buts spécifiques et difficiles conduisent à de meilleures
performances que les buts faciles ou vagues du type faites de votre mieux". Nous avons, en effet,
souligné l'aspect inconsistant des résultats relatifs à la fixation de buts en sport. En second lieu,
cette expérience cherchait à tester les effets de différentes variables cognitives médiatrices; en
particulier, l'influence du but sur l'expectation et la valence, et l'impact des ces deux variables sur
la performance. Nous avons également tenu à mettre à l'épreuve différents outils "concurrents",
mesurant des construits similaires, qui ont été proposés dans la littérature, et dont nous avons parlé
plus haut.
Avant de rentrer plus en détail dans le protocole et les résultats de cette expérience nous
voudrions dire quelques mots sur la performance en générale, et sur son utilisation comme
variable dépendante principale.
"La signification de la notion de performance ne peut être, à notre avis, valablement
appréhendée que si on la situe à l'intérieur de la séquence d'événements, bien connue, ... : Tâche -
activité - résultat " (Famose, 1993a, p. 23). Si, selon cet auteur, la tâche se définit comme tout ce
que l'individu cherche à faire, l'activité comme tout ce que le sujet met en oeuvre pour accomplir
la tâche, et le résultat comme le produit de l'activité, alors la performance peut se concevoir
comme "le résultat obtenu par le pratiquant lors de l'accomplissement d'une tâche donnée, perçu,
mesuré et évalué par lui ou par un observateur extérieur" (Famose, 1993a, p. 28). En définissant
la performance comme le produit perçu et mesuré de l'action, on admet qu'il est possible de la
Fixation de buts
- 228 -
situer sur un continuum ou une échelle ordinale de quantité (e.g., plus ou moins loin) ou de qualité
(e.g., plus ou moins beau). Dans les différentes expériences que nous avons conduites
précédemment, la performance des sujets était appréciée en fonction du niveau de difficulté de la
voie qu'ils étaient capables d'escalader. Aucun résultat autre que la difficulté maîtrisée de la tâche
(e.g., le temps) n'était sous-entendu dans l'appréciation de la performance. Nous nous sommes
basés implicitement sur la représentation "sociale" ou "légitime" de la performance en escalade,
dans laquelle le standard de performance à atteindre réside uniquement dans la maîtrise (ou
l'adaptation à) des conditions environnementales propres à chaque voie41. Pourtant, la
"récupération" de l'activité par une logique sportive compétitive (Vigarello, 1988), a transformé
non seulement son mode de pratique et son "esprit", mais également les résultats retenus comme
critères d'appréciation de la performance. Ainsi, outre la difficulté de la voie, le temps nécessaire à
son ascension est également pris en considération à présent dans les compétitions d'escalade. Dès
lors, la difficulté de la tâche (ou la valeur d'une performance) s'établit en fonction du temps réalisé.
C'est précisément de "cette" performance dont il sera question dans les expériences que nous
allons conduire à présent. Les raisons de ce choix sont doubles. Tout d'abord, nous avons voulu
nous rapprocher au mieux des tâches dans lesquelles la technique de fixation de buts est
traditionnellement testée (tâches accessibles à tous, où la difficulté est manipulée en fonction d'un
standard quantitatif: un nombre d'actions à effectuer, un temps à réaliser, etc.); ensuite, parce que
la performance dans bon nombre de disciplines sportives repose sur ce type de critère.
Dans les représentations communes, la performance signale souvent la motivation. Ainsi,
la bonne prestation d'un athlète est mise sur le compte de sa volonté, et à l'inverse, un manque de
motivation est souvent évoqué comme cause d'une contre-performance. Les choses ne sont pas si
simples. La performance reflète bien plus que la motivation; aptitudes, habileté, chance, etc.,
beaucoup de paramètres interviennent dans celle-ci. C'est la raison pour laquelle Roberts (1992)
41 La tâche d'escalade peut s'assimiler à une tâche de locomotion sur des supports verticaux qui implique lanécessité de s'équilibrer au cours de la progression (pour lutter contre la pesanteur). L'ascension est rendueplus ou moins complexe en fonction du nombre de prises disponibles, de la qualité de leur préhension, del'inclinaison du support, etc.
Fixation de buts
- 229 -
s'interroge sur la validité de la mesure dans le contexte sportif: "Une des plus grosses erreurs,
selon moi, a été l'utilisation non critique de la "performance" comme mesure dépendante quand on
étudie la motivation dans le sport et l'exercice... Dans certains contextes d'accomplissement la
performance peut être appropriée, mais dans le domaine du sport et de l'exercice physique, la
validité de la performance peut être questionnée" (p. 23). Nous sommes moins critiques que cet
auteur sur l'utilisation de cette variable; et, sans que ceci ne constitue une preuve irréfutable de sa
valeur, nous pensons qu'il est possible de l'utiliser, car une longue tradition de recherches en
psychologie l'a fait. Néanmoins, certaines précautions doivent être prises si l'on veut que cette
mesure ne signale que la motivation (i.e., l'effort) de l'individu. Il est tout d'abord nécessaire de
contrôler minutieusement toute la variance de la performance due aux capacités initiales (habileté
et aptitudes). Pour cela, Locke et al. (1981) préconisent de les évaluer au cours d’un "essai pré-
expérimental" (p.146). Si les groupes constitués ne doivent pas présenter de différences au niveau
des performances initiales, il est nécessaire d'envisager des procédures statistiques qui contrôlent
toute la variance due à celles-ci. En effet, il peut toujours y avoir une différence substantielle entre
les groupes, même si elle n'est pas significative, qui pourra influencer les résultats finaux; des
analyses de covariance, de régression multiple et des pistes causales semblent les plus appropriées.
Il faut tout de même garder à l'esprit que la performance obtenue à une session préliminaire n'est
qu'un indicateur imparfait des capacités du pratiquant, car elle dépend elle aussi de facteurs
motivationnels. Ainsi, le sujet peut "ne pas forcer" au cours des essais préliminaires, et enregistrer
une performance initiale en dessous de sa valeur. D'autre part, il faut être conscient qu'au fil des
essais les sujets progressent dans la tâche, et que plus ils progressent plus ils approchent de leurs
limites, ce qui permet moins aux facteurs motivationnels d'influencer la performance (Feltz, 1982;
Garland, 1985). Enfin, il est nécessaire de tenir compte des données "contextuelles" qui peuvent
diminuer la performance, comme le dérapage sur une prise, un stress excessif, etc. (pour une revue
plus détaillée des composantes de la performance, voir Famose, 1993b). Passées en revue les
précautions nécessaires, présentons à présent la première expérience.
MÉTHODE
Fixation de buts
- 230 -
Sujets et plan d’expérience
Cinquante deux garçons (âge moyen 13.8, écart-type 1.2) se sont portés volontaires pour
participer à cette expérience. Ils provenaient d’une cité scolaire de la banlieue parisienne, et
avaient tous pratiqué l’escalade depuis au moins un an. Les sujets se rendaient individuellement
sur le lieu de l’expérience, durant leur temps libre (i.e., en dehors des heures de cours). Après
l’estimation de leur performance de base durant une phase préliminaire, ils étaient assignés au
hasard à l’une des quatre conditions expérimentales, durant trois essais.
Tâche
La tâche consistait à grimper une voie sur un mur vertical de 7, 50 mètres, "le plus vite
possible" au cours de la phase pré-expérimentale, et "en cherchant à atteindre un temps déterminé"
lors des sessions tests. La difficulté de la voie était située à 4+, dans la cotation fédérale.
Procédure
Tous les sujets ont participé à une période préliminaire de pratique sur deux séances, afin
d’effectuer plusieurs essais de familiarisation, et trois tentatives chronométrées. Cette session pré-
expérimentale avait pour but, à la fois de diminuer un effet "apprentissage" éventuel et de
conduire à l’établissement d’une performance de base: le meilleur temps réalisé lors des épreuves
chronométrées. Les sujets ont été ensuite assignés au hasard à l’une des 4 conditions
expérimentales. Dans les trois premières conditions, un but à atteindre était prescrit aux sujets.
Pour cela, on leur disait d'essayer de réaliser au moins le temps de 90 secondes, 45 secondes, ou
15 secondes, au cours de 3 tentatives (sur trois semaines différentes). Un repère (feed-back)
temporel leur était apporté toutes les 10 secondes, au cours de leur ascension. Dans la dernière
condition, aucun temps à atteindre n’était spécifié, et aucune indication chronométrée n'était
portée à la connaissance des sujets. Il leur était seulement stipulé de faire ce qu’ils pouvaient. Pour
ne pas laisser aux sujets de ce groupe "contrôle", l'opportunité de se servir de leur performance
passée afin d'établir un but personnel spécifique à atteindre au cours des essais ultérieurs - ce qui
aurait biaisé les résultats - l'expérimentateur ne leur communiquait aucun feed-back, et enregistrait
Fixation de buts
- 231 -
à leur insu, la performance qu'ils réalisaient. Cette procédure a était préconisée par Locke (1991),
pour palier les résultats inconsistants trouvés dans certaines recherches sur la fixation de buts en
sport. Pour la même raison, les sujets de ce groupe ne remplissaient aucun questionnaire.
Afin de minimiser toute interaction entre les sujets et éviter que le standard d'un groupe ou la
performance obtenue par un sujet ne soit adopté par un autre, les sujets se rendaient seuls sur le
lieu de pratique, et on leur stipulait de ne révéler ni le but qui leur était assigné, ni leur
performance. Cet effet "compétition" a été incriminé comme pouvant être en partie responsable de
l'inconsistance de certains résultats trouvés dans la littérature sur la fixation de buts en sport (Hall
& Byrne, 1988; Locke, 1991; Weinberg, 1992; Weinberg & Weigand, 1993).
Lors des trois sessions expérimentales, une fois le but à atteindre assigné à chacun, les sujets
remplissaient un questionnaire à 5 items, et s'échauffaient plusieurs minutes avant d'effectuer
l'épreuve.
Mesures des différentes variables cognitives
Une fois le but fixé, et avant leur tentative, les sujets des trois premières conditions expérimentales
remplissaient un questionnaire mesurant les différentes variables cognitives, et utilisant différentes
manière de mesurer des construits similaires.
Expectation du but fixé. Selon les procédures traditionnelles des théories VIE,
l'expectation (ou la probabilité subjective) a été mesurée en demandant aux sujets d'estimer leurs
chances d’atteindre le but fixé sur une échelle en 100 points, étalonnée par intervalles de 10 unités
de (1) "aucune chance d'y arriver" à (100) "sur et certain d’y arriver", en passant par la valeur
intermédiaire de certitude (50) "une chance sur deux".
Valence du but fixé. Conformément à la formulation originale de Vroom (1964), on
demandait aux sujets d’enregistrer le niveau de satisfaction qu’ils éprouveraient s’ils atteignaient
le but fixé. Ils portaient leur réponse sur une échelle en 9 points avec (1) "très insatisfait", (5)
"indifférent", et (9) "très satisfait".
Efficacité personnelle ou Expectations de niveaux variés de performance. Comme le
préconisent plusieurs auteurs (Bandura, 1982; Garland, 1984, 1985; Ilgen et al., 1981; Locke,
Fixation de buts
- 232 -
Frederick, Lee, & Bobko, 1984; Locke et al., 1986), l'expectation a également été mesurée
conformément à plusieurs niveaux de performance, de manière à disposer d'un référent commun
quand les sujets poursuivent des buts distincts. Pour cela, les sujets des trois groupes assignés à un
but ont indiqué leurs probabilités subjectives de grimper la voie en atteignant au moins les
performances de 2 minutes, 1 minute 30 secondes, 1 minute, et 30 secondes. Ils répondaient à
chacune des 4 questions sur une échelle identique à celle décrite pour l’expectation du but (cf.
2ème colonne de la figure 2).
Valence de niveaux variés de performance. De manière similaire à l’expectation de
performances, la valence de performances a été mesurée en demandant aux sujets d’indiquer la
satisfaction anticipée d’atteindre les quatre niveaux de performance mentionnés plus haut
(Garland, 1985). Les échelles de réponses pour ces questions étaient identiques à celle utilisée
pour mesurer la valence du but fixé.
But fixé par le sujet. La dernière question demandait aux sujets de mentionner s’ils
comptaient éventuellement poursuivre un but différent de celui fixé; le cas échéant, ils
l’exprimaient en minutes-secondes sur le formulaire.
RÉSULTATS ET DISCUSSION
Performance de base dans les différents groupes.
La performance de base, appelée par certains "habileté sur la tâche" (Garland, 1985;
Locke et al., 1981), est une variable non motivationnelle dans la théorie de la fixation de buts,
mais qui peut avoir un impact sur la performance au cours des différentes sessions. Par
conséquent, il est nécessaire qu'il n'y ait aucune différence entre les groupes, avant les conditions
expérimentales. Une ANOVA à un facteur a donc été conduite sur les scores de performances de
base; les résultats n'ont révélé aucune différence entre les groupes, [F (3, 48) = .03, p = .99]. La
performance de base moyenne pour l'ensemble des sujets était de 46 secondes, avec une étendue
de 15 secondes à 3 minutes. Le pourcentage de sujets qui ont atteint ou excédé les buts de 90, 45
et 15 secondes, au cours de la phase pré-expérimentale était respectivement de 91% , 51% et 5%.
Fixation de buts
- 233 -
Ces données suggèrent que les standards demandés sont respectivement "très facile", "moyen" et
"très difficile".
Fiabilité des indices d'efficacité personnelle et de valence de performances.
L'indice d'efficacité personnelle (expectation de performances) a été calculé en faisant la
moyenne des réponses aux 4 questions. Les coefficients alpha obtenus pour cette mesure aux trois
sessions expérimentales furent respectivement de .77, .76 et .76. Ce qui démontre une consistance
interne acceptable de l'indice (Nunnaly, 1978). De manière similaire, l'indice de valence de
performances a été calculé en faisant la moyenne des réponses aux 4 questions, relatives aux
quatre niveaux de performance. Les coefficients alpha obtenus furent respectivement de .77, .75
et .66., ce qui est également acceptable.
Influence du but assigné sur les différentes variables
Malgré l'absence de différence entre les groupes au prétest, et afin de maximiser le
pouvoir statistique du test et réduire l’erreur expérimentale, une ANCOVA 4 x 3 (Groupes x Essais)
avec mesure répétée sur le dernier facteur, a été conduite pour analyser les données relatives à la
performance, à l'efficacité personnelle, à la valence de performances, et au but réellement
poursuivi par les sujets. La performance de base réalisée lors de la période préliminaire a été
utilisée comme covariable.
Le tableau 1 montre les moyennes et les écarts-types (des trois essais42) obtenus par
chaque groupe sur les différentes variables, ajustés en fonction de la covariable. Cette dernière
était significativement associée aux quatre variables dépendantes. Un effet principal significatif du
but assigné peut être constaté sur chacune de celles-ci. Rappelons que le groupe "faites au mieux"
n’a pas été inclus dans l’analyse pour les trois dernières variables.
Tableau 1.
42 Les coefficients alpha calculés sur les trois essais expérimentaux, pour la performance, l'efficacitépersonnelle, la valence de la performance et le but poursuivi, ont révélé une haute fiabilité des mesuresmoyennes; ils se sont respectivement élevés à .99, .96, .94, et .96. Les données relatives aux scores obtenusau cours de chaque essai sont visibles sur les différents graphiques.
Fixation de buts
- 234 -
Valeurs moyennes (des 3 essais) obtenues par chacun des groupes sur les différentes variables
But assigné NBut
réellementpoursuivi
Performance Efficacitépersonnelle
Valencede
performancesExpectationdu but fixé
Valence dubut fixé(essai 1)
(a) Faites au mieux
(b) Très facile (90 sec.)
(c) Moyen (40 sec.)
(d) Très difficile (15 sec.)
13
13
13
13
MET
MET
MET
MET
-
41.66 c.d(21.78)
35.11 d(13.53)
28.23 b.c(19.02)
44.02 c.d(41.63)
44.12 d(24.08)
36.70 a.d(14.87)
29.05 a.b.c(18.79)
-
69.44 c.d(21.76)
80.35 b(13.72)
81.29 b(20.90)
-
5.37 d(1.62)
5.07(1.23)
4.56 b(1.69)
-
93.59 c.d(23.97)
66.28 b.d(36.52)
29.82 b.c(27.25)
-
2.85 c.d(2.79)
5.38 b.d(2.79)
8.31 b.c(1.49)
Effet de la covariable(performance initiale) ddl F P <Effet du but assigné ddl F P <
1, 352399,70
.0001
2, 3521.97.0001
1, 47820.36.0001
3, 4710.69.0001
1, 35144.28.0001
2, 3513.92.0001
1, 3549.80.0001
2, 354.91.05
---
2, 3618.80.0001
---
2, 3616.37.0001
Note. Les moyennes du but poursuivi, de la performance, de l'expectation de performances et de lavalence de performances sont ajustées en fonction de la covariable (performance initiale). Les lettres situées àcôté des moyennes signalent les différences entre les groupes au test post-hoc de Newman-Keuls (seuil p<.05). Par exemple, dans la colonne "but réellement fixé", on peut constater que le groupe (b) "but trèsfacile" se distingue significativement des groupes (c) et (d).
Performance. L'ANCOVA montra un effet principal du but assigné [F (3, 47) = 10.69, p <
.0001], sur la performance. Des tests post-hoc de Newman-Keuls (au seuil de significativité de p
< .05) ont révélé que le groupe "but très difficile" se distinguait significativement des trois autres
groupes, par une performance moyenne plus importante. Le groupe "but moyen" présentait une
performance moyenne supérieure à celle des deux autres groupes et se distinguait
significativement du groupe "faites au mieux"; la différence avec le groupe "but très facile"
approchait le seuil de significativité (p =.09). Ce dernier groupe ne se distinguait pas du groupe
"faites au mieux". L'ANCOVA révéla également un effet principal significatif du facteur répété [F
(2, 96) = 44.43, p < .0001], et une interaction (groupe x essais) significative [F (6, 96) = 5.38, p <
.0001].
Les analyses post-hoc montrèrent que si en moyenne, l'ensemble des groupes a progressé
significativement au cours des trois essais, la progression a été très différente suivant les groupes.
Fixation de buts
- 235 -
Cette évolution est visible sur le graphique 1. Le groupe "but très facile" ne progresse pas
significativement. Le groupe "faites au mieux" montre une différence significative uniquement
entre l'essai 1 et l'essai 3. Seuls les groupes "but moyen" et "but très difficile" ont progressé
significativement d'un essai à l'autre. Ces résultats fournissent dans l'ensemble un appui important
à la théorie de la fixation de buts: les buts les plus difficiles ont conduit à de plus hautes
performances que les buts faciles ou vagues du type "faites au mieux".
p
e
r
f
o
r
m
a
n
c
e
25
30
35
40
45
50
Pré-test Essai 1 Essai 2 Essai 3
Faites aux mieux
Très facile
Moyen
Très difficile
Graphique 1: Évolution de la performance (non ajustée) pour chaque groupe, au cours des essais successifs
Efficacité personnelle. L'ANCOVA montra un effet principal du but assigné [F (2, 35) =
13.92, p < .0001] sur le score d'efficacité personnelle, Les tests post-hoc ont révélé que
l'expectation de performance moyenne du groupe "but très facile" était significativement moins
importante que celles des deux autres groupes. Celle du groupe "but très difficile" était supérieure
à celle du groupe "but moyen" mais la différence n'était pas significative. L'ANCOVA révéla
également un effet principal significatif du facteur répété [F (2, 72) = 27.43, p < .0001]. Les
analyses post-hoc montrèrent qu'en moyenne, l'ensemble des trois groupes a progressé
significativement au cours des trois essais. Cette évolution est visible sur le graphique 2. Ces
résultats sont conformes à ceux trouvés par Garland (1985; Garland et al., 1988). Ils montrent une
évolution moyenne positive du sentiment d'efficacité personnelle au cours des essais,
concomitante à l'évolution de la difficulté du but (et à l'élévation de la performance). De plus, les
Fixation de buts
- 236 -
deux groupes qui ont obtenu la meilleure performance (groupes "buts très difficile " et "but
moyen") rapportent les plus hauts scores d'efficacité personnelle, par rapport au groupe qui a
obtenu la plus mauvaise performance ("but très facile").
E
x
p
e
c
t
a
t
i
o
n
s 20
30
40
50
60
70
80
90
100
Essai 1 Essai 2 Essai 3
Eff.perso.But T.facile
Eff.perso.But Moyen
Eff.perso.But
T.difficile
Exp.du But T.facile
Exp.du But Moyen
Exp.du But T.Difficile
Graphique 2: Évolution de l'efficacité personnelle et de l'expectation d'atteindre le but, pour chaque groupe, au cours des essais successifs.
Valence de performances. L'ANCOVA montra un effet principal du but assigné [F (2, 35) =
4.91, p < .05] sur le score de valence de performances. Les tests post-hoc ont révélé que la valence
de performances moyenne du groupe "but très facile" était significativement moins importante que
celle du groupe "but très difficile". C'est la seule différence qui fut constatée. L'ANCOVA révéla
également un effet principal significatif du facteur répété [F (2, 72) = 34.29, p < .0001], et une
interaction (groupe x essais) significative [F (4, 72) = 3.30, p < .05]. Les analyses post-hoc
montrèrent que si en moyenne, la valence de l'ensemble des trois groupes a baissé
significativement au cours des trois essais (bien qu'il n'y ait pas de différence significative entre
les 2 derniers essais), la baisse a été différente suivant les groupes. Cette évolution est visible sur
le graphique 3. La baisse n'est pas significative entre les essais pour le groupe "but très facile",
alors qu'elle l'est pour les deux autres groupes entre l'essais 1 et l'essai 2, mais pas entre l'essai 2 et
l'essai 3. Pour résumer, c'est résultats montrent une diminution de la valence, concomitante à
l'augmentation de la difficulté du but (et à l'élévation de la performance). De plus, le groupe qui a
Fixation de buts
- 237 -
obtenu la plus haute performance ("but très difficile") rapporte les plus basses mesures de valence,
alors que le groupe qui a obtenu la moins bonne performance ("but très facile"), obtient les
mesures les plus hautes; ces résultats sont conformes à ceux de Garland (1985).
v
a
l
e
n
c
e
3,5
4
4,5
5
5,5
6
Essai 1 Essai 2 Essai 3
Très facile
Moyen
Très difficile
Graphique 3 : Évolution de la valence de performances (données non ajustées) pour chaque groupe, au cours des essais successifs
Le but réellement poursuivi. L'ANCOVA montra un effet principal du but assigné [F (2, 35)
= 21.97, p < .0001] sur le but réellement poursuivi par les sujets. Les tests post-hoc ont révélé que
les trois groupes se distinguaient significativement dans le but moyen qu'ils poursuivaient
réellement. Le groupe assigné au but le plus difficile a choisi un but qui est significativement plus
difficile que celui des deux autres groupes. Ce résultat démontre la relative réussite de la
procédure expérimentale. Il est intéressant de noter que les sujets assignés au but très difficile se
sont fixés, en moyenne, un but considérablement plus bas que celui qui leur était prescrit (28.23
secondes au lieu de 15). Néanmoins ce but est significativement plus haut que celui des autres
conditions. D'un autre côté, le groupe assigné au but très facile s'est fixé, en moyenne, un but
considérablement plus haut que celui qui lui était prescrit (41.66 secondes au lieu de 90). Ces
résultats suggèrent que l'acceptation des buts assignés n'est pas un simple phénomène
dichotomique (Garland, 1985).
L'ANCOVA révéla également un effet principal significatif du facteur répété [F (2, 72) =
14.77, p < .0001], et une interaction (groupe x essais) significative [F (4, 72) = 4.58, p < .01]. Les
Fixation de buts
- 238 -
analyses post-hoc montrèrent que si en moyenne, le but de l'ensemble des trois groupes s'est
progressivement élevé au cours des trois essais (bien qu'il n'y ait pas de différence significative
entre les 2 derniers essais), cette augmentation a été différente suivant les groupes. Cette évolution
est visible sur le graphique 4. L'évolution n'est pas significative au cours des essais pour les
groupes "but très facile" et "but moyen", mais elle l'est pour le groupe "but très difficile" (sauf
entre les deux derniers essais). Ici aussi, les données sont en accord avec celles de Garland (1985).
Elles révèlent une augmentation du but réellement poursuivi, concomitante à l'augmentation de la
difficulté du but (et à l'élévation de la performance). Encore une fois, le groupe qui a obtenu la
plus haute performance ("but très difficile") rapporte des niveaux de buts redéfinis plus élevés que
ceux du groupe qui a obtenu la moins bonne performance ("but très facile").
B
u
t
p
o
u
r
s
u
i
v
i
20
25
30
35
40
45
Essai 1 Essai 2 Essai 3
Très facile
Moyen
Très difficile
Graphique 4: Évolution du but poursuivi réellement par chaque groupe (non ajusté), au cours des essais successifs
Expectation du but fixé. Une ANOVA 3 x 3 (Groupes x Essais) avec mesure répétée sur le
dernier facteur fut réalisée en prenant l'expectation du but comme variable dépendante. Cette
mesure ne nous apparaissait pas devoir être corrigée par la performance de base - comme ce fut le
cas pour les variables précédentes - qui comme nous le verrons, sont très dépendantes de l'habileté
initiale. L'ANOVA révéla un effet significatif du facteur groupe, [F (2, 36) = 18.80, p <.001], et du
facteur répété [F (2, 72) = 15.99, p <.001]. Des tests Post-hoc de Newman-Keuls (au seuil de
significativité de p < .05) objectivèrent des différences entre l’ensemble des 3 groupes. Comme on
peut s’en rendre compte sur le graphique 2, en moyenne, le groupe assigné à un but très facile a de
Fixation de buts
- 239 -
plus hautes expectations d’atteindre ce but que le groupe affecté à un standard moyen, qui lui
même se donne plus de chances que le groupe assigné à un but très difficile. En d’autres termes,
plus le but prescrit est difficile, plus les chances moyennes du groupe de l’atteindre diminuent.
Ces données sont à l'opposée de celles constatées pour le sentiment d'efficacité personnelle. Par
contre, l'évolution des deux mesures est similaire au cours des essais: il y a une amélioration des
scores concomitante à l'amélioration de la performance.
Valence du but fixé. La feuille relative à la mesure de la valence du but ayant été oubliée
dans le questionnaire, pour les essais 2 et 3, il n'a pas été possible de constater l'évolution de celle-
ci au cours des essais. Sur le premier essai, une ANOVA révéla un effet significatif du facteur
"Groupe" [F (2, 36) = 16.37, p <.001]. Les tests Post-hoc objectivèrent des différences entre
l’ensemble des 3 groupes. Comme on peut s’en rendre compte dans le tableau 1, le groupe assigné
à un but très facile a rapporté de plus basses satisfactions anticipées d’atteindre ce but que le
groupe affecté à un standard moyen, qui lui même enregistrait une valence moins grande que le
groupe assigné à un but très difficile. Autrement dit, la valence du but fixé augmente avec la
difficulté, contrairement à la valence de la performance.
Liaisons entre les variables
Les corrélations Bravais-Pearson, entre les différentes variables de l'expérience sont
visibles sur le tableau 2. Elles ont été calculées, pour chacune, à partir de la moyenne des trois
essais. Seule la valence du but n'a pas été incluse dans l'analyse. La performance de base apparaît
très corrélée avec la performance finale et chacune des variables cognitives mesurées. Il sera donc
nécessaire de contrôler son influence initiale, afin de constater les effets singuliers des autres
variables. Le but assigné est fortement corrélé négativement avec l'expectation du but. Autrement
dit, plus le but assigné est haut, plus les chances perçues de l'atteindre diminuent. Le but
réellement poursuivi est fortement relié à l'efficacité personnelle, la valence de la performance et
surtout la performance finale. Ces trois dernières variables sont très corrélées entre elles, ce qui,
nous le verrons plus loin peut interpeller la validité discriminante de l'efficacité personnelle et de
Fixation de buts
- 240 -
la valence de la performance. Enfin, l'expectation du but apparaît beaucoup moins corrélée à la
performance que ne l'est l'efficacité personnelle. C'est précisément de cette liaison qu'il va être
question à présent.
Tableau 2Corrélations entre l'ensemble des variables
Variables 2 3 4 5 6 7
1. Performance de base .06 .92*** .90*** .62*** -.88*** .89***
2. But assigné .24 .22 -.69*** -.16 .25
3. But réellement poursuivi .96*** .36* -.93*** .99***
4. Efficacité personnelle .39* -.93*** .95***
5. Expectation du but -.42** .36*
6. Valence de performances -.92***
7. PerformanceNote: * p <.05, ** p <.01, *** p <.0001
Relation expectation - performance, une distinction en fonction des niveaux d'analyse et du typed'outils utilisés.
L'examen des relations entre les deux mesures d'expectation et la performance, en fonction
des niveaux d'analyse ("au sein" de chaque groupe, "entre" les trois groupes, ou "parmi l'ensemble
des sujets" de tous les groupes) fournit un appui à la thèse de Garland (1984, Locke et al., 1984,
1986). Comme on peut le voir sur le tableau 3, quand les corrélations sont calculées "au sein" de
chacun des groupes (ou conditions de but assigné), les liaisons entre l'expectation du but et la
performance, d'une part, et entre l'efficacité personnelle et la performance, d'autre part, sont
positives et significatives. En revanche, lorsque la corrélation est calculée pour l'ensemble de la
population, celle-ci tombe fortement quand elle est analysée à partir de l'expectation du but, mais
pas quand elle est effectuée à partir de la mesure d'efficacité personnelle. Les raisons en sont les
suivantes.
Tableau 3Relation entre l'efficacité personnelle ou l'expectation du but et la performance
Fixation de buts
- 241 -
But assigné N
difficulté normative(% de réussite de la
population au prétest)r expectation du but -
performancer efficacité personnelle -
performance
90 secondes
40 secondes
15 secondes
Toute la population
13
13
13
39
91 %
51 %
5 %
-
.88 ***
.95 ***
.80 **
.36 *
.93 ***
.97 ***
.96 ***
.95 ***Note: * p <.05, ** p <.001, *** p <.0001
En premier lieu, lorsque le sujet évalue sa probabilité d'atteindre uniquement un niveau de
performance (ou but) donné, cette mesure exprime forcément quelque chose de différent suivant
les groupes (puisque des niveaux singuliers de buts sont proposés à chaque groupe). Si, comme
nous l'avons constaté (tableau 1), la moyenne des expectations du groupe assigné au but le plus
difficile est plus basse que la moyenne des expectations du groupe assigné au but le plus facile,
alors le niveau de difficulté du but et cette mesure d'expectation doivent être corrélés
négativement. Dans cette expérience cette corrélation s'est élevée à -.69 (tableau 2).
Deuxièmement, comme on peut le constater sur la figure 4, la relation entre l'expectation
d'atteindre le but assigné et la performance est négative (en pointillés), car le groupe assigné au
but le plus difficile a obtenu la moyenne des performances la plus élevée, et a enregistré également
les plus basses mesures d'expectation du but. En revanche, le groupe assigné au but le plus facile a
obtenu la plus mauvaise performance et a rapporté les plus hauts scores d'expectation du but
(tableau 1). Dans cette expérience cette corrélation s'est portée à -.99 (N = 3, p <.02). Si on
déplace l'analyse d'une perspective "inter-groupe", comme on vient de le faire, à une perspective
"intra-groupe", en d'autres termes, si on calcule la corrélation expectation d'atteindre le but -
performance, au sein de chaque groupe (i.e., avec des sujets qui poursuivent le même but) cette
valeur tend à être positive (les trois ovales, dans la figure 4). Autrement dit, même si les
expectations s'abaissent d'un groupe à l'autre simultanément à l'augmentation de la difficulté du
but, les sujets qui rapportent les plus hautes expectations "au sein" de chaque groupe, obtiennent
les meilleures performances. Dans cette expérience, les corrélations se sont étendues de (.80 à
Fixation de buts
- 242 -
.95), la liaison la plus forte étant attribuée au groupe "but moyen". Ces données sont conformes à
d'autres études antérieures (Garland, 1984; Locke et al., 1984).
HAUTE
BASSE
PERFORMANCE
Basse Moyenne Haute
Haute Moyenne Basse
EXPECTATION
DIFFICULTE DUBUT
r
r
r
E-Pparmi tous lessujets, est faible
E-Pentre les groupesest <0
E-Pàl'intérieur desgroupes est >0
r est <0
Figure 4: les relations entre l’expectation et la performance quand l’expectation est mesuréeconformément à un niveau de but assigné (ou choisi), d'après Locke et al. (1986).
Enfin, la corrélation globale "parmi l'ensemble des sujets" de tous les groupes (le cercle
qui englobe le tout, dans la figure 4), tend à être relativement petite parce que les corrélations
"entre" groupes et "au sein" de chaque groupe sont de signe opposé et s'annulent l'une et l'autre;
elle est ici de .36 (tableau 2). Selon Garland (1984), c'est cette absence de distinction des niveaux
d'analyse qui est responsable des faibles corrélations trouvées dans les études qui appréhendent la
relation expectation - performance dans le cadre de la fixation de buts de difficulté croissante.
"Ainsi, bien que l'expectation puisse être reliée négativement à la performance (ou proche de
zéro), pour l'ensemble des sujets assignés à des niveaux variés de difficulté, la relation entre
l'expectation et la performance à l'intérieur de chaque groupe de but, peut être positive" (Garland,
Fixation de buts
- 243 -
1984, p. 81). C'est pourquoi, il propose afin d'éviter cet artefact de mesure des données, soit (1)
d'utiliser la régression multiple pour contrôler le niveau du but, et apprécier l'effet distinct de
l'expectation, soit mieux (2) d'estimer l'expectation non pas d'atteindre le seul but assigné, mais
d'effectuer plusieurs niveaux de performance. Dans le deuxième cas, même si les sujets sont
assignés à différents buts, l'indice d'efficacité personnel qu'ils rapportent (i.e., la moyenne des
expectations d'atteindre différents niveaux de performance) demeure indépendant de ces derniers
car toutes les mesures sont faites conformément à un référent identique, et sont donc directement
comparables.
Avec ce nouveau procédé de mesure, le sens des relations est exposé graphiquement sur la
figure 5. Tout d'abord, étant donnée l'augmentation des mesures d'efficacité personnelle
concomitante à l'élévation de la difficulté du but (comme nous l'avons constaté plus haut: cf.
tableau 1), la corrélation entre la difficulté du but et l'efficacité personnelle est à présent positive.
Dans cette étude, elle ne fut pas significative compte tenu la taille de l'échantillon (r = .22, tableau
2). D'autre part, l'évolution dans la même direction de la difficulté du but, de la performance, et de
l'efficacité personnelle, rend positives les corrélations efficacité personnelle - performance,
qu'elles soient calculées "entre" groupes (r = .84, N = 3, p <.05), "au sein" de chaque groupe
(tableau 3), ou "parmi l'ensemble des sujets" (tableau 3). Pourtant l'utilisation de cette mesure nous
interpelle. Si elle facilite la comparaison entre groupes en faisant fi des buts assignés ou redéfinis,
elle n'est que d'un intérêt limité pour notre problématique. Quel intérêt, en effet, peut représenter
un indice "moyen" d'estimations qui se sont réparties sur plusieurs essais ? En faisant cela, on
constate évidemment un sentiment moyen d'efficacité personnelle supérieur dans le groupe qui a le
plus progressé. Mais ne semble-t-il pas plus correct d'un point de vue théorique, de dire que cette
augmentation suit l'évolution de la performance, plutôt qu'elle ne la conditionne ? C'est ce que
nous essayerons de vérifier un peu plus loin.
Fixation de buts
- 244 -
HAUTE
BASSE
PERFORMANCE
Basse Moyenne Haute
EXPECTATION
DIFFICULTEDUBUT
r
r
E-Pentre les groupeset parmi tous lessujets est >0
E-Pàl'intérieurdesgroupes est >0
r est >0
Basse Moyenne Haute
Figure 5: les relations entre l’expectation et la performance, quand l’expectation est mesuréeconformément à plusieurs niveau de buts ou de performances (expectation deperformances ou efficacité personnelle), d'après Locke et al. (1986).
Prédiction de la performance finale et du but redéfini
Le tableau 4 présente une série d'analyses de régression multiple, que nous avons conduite
afin de prédire la performance finale, ou le but réellement poursuivi, en contrôlant l'influence de la
performance initiale et d'autres variables médiatrices et en utilisant les deux variables
d'expectation. On peut constater, à la lumière de ces résultats que la performance finale n'est pas
influencée par le sentiment d'efficacité personnelle quand la performance de base et le but
réellement poursuivi sont contrôlés. Par contre, ce construit a une action positive sur le niveau du
but réellement poursuivi. Ces résultats semblent donc appuyer davantage la thèse d'une influence
prépondérante de l'expectation sur le but fixé (Locke et al., 1984; Mento et al., 1980) que celle
relative à son action directe sur la performance (Garland, 1985). D'autre part, la valence de la
Fixation de buts
- 245 -
performance semble n'influencer ni la performance finale, ni le but réellement poursuivi quand la
mesure d'efficacité personnelle est contrôlée. Enfin, conformément aux résultats de Garland
(1984) et aux arguments développés plus haut, l'expectation du but a une action positive sur la
performance, même quand la performance initiale et le but réellement poursuivi sont contrôlés.
Pratiquement parlant, la performance est la plus importante quand le but poursuivi est le plus
élevé, et quand les expectations de l'atteindre sont les plus hautes. Ce modèle prédit un étonnant
99% de la variance de la performance.
Tableau 4.Résultats des analyses de régression multiple pour la performance finale et le but poursuivi
Variable dépendante Variables indépendantes β F ddl p < R2
Performance
Performance
Performance
But réellement poursuivi
Performance de baseEfficacité personnelleValence de la performanceRégression globale
Performance de baseBut réellement poursuiviEfficacité personnelleValence de la performanceRégression globale
Performance de baseBut réellement poursuiviExpectation du butRégression globale
Performance de baseEfficacité personnelleValence de la performanceRégression globale
.14
.60-.24
-.111.07.007-.24
-.301.23.11
.14
.60-.24
1.2813.832.68
119.27
3.79151.93
.006.08
513.15
15.29365.6710.36
913.11
1.2613.832.68
119.27
1, 351, 351, 353, 35
1, 341, 341, 341, 344, 34
1, 351, 351, 353, 35
1, 351, 351, 353, 35
ns.0001
ns.0001
.05.0001
nsns
.0001
.001.0001
.01.0001
.05.001ns
.0001
.91
.98
.99
.91
Relation difficulté du but - expectation, une relation positive ?
Nous avons, rappelons le, constaté un indice d'efficacité personnelle plus élevé parmi les
groupes assignés au but "très difficile" et "moyen" par rapport au groupe "but très facile". Cette
relation a de quoi surprendre, car on pouvait s'attendre à une diminution du sentiment d'efficacité
avec l'augmentation de la difficulté. Nous avons au début du chapitre exposé les arguments de
Garland (1985) relatifs à ce phénomène. Néanmoins, nous pensons que ce constat est également
Fixation de buts
- 246 -
imputable à la fois au type d'outil utilisé et à l'évolution de la performance au fil des essais.
Rappelons que les groupes qui ont rapporté les plus hauts indices d'efficacité personnelle, ont
également obtenu les plus hauts niveaux de performance. De plus, la performance a évolué pour
l'ensemble des trois groupes, de manière positive au cours des essais, progression similaire à
l'évolution globale du sentiment d'efficacité personnelle. Dès lors, on peut émettre l'hypothèse
d'une influence de la performance passée sur l'indice d'efficacité personnelle, qui en retour
pourrait influencer la performance future. Ce que Bandura (1977) appelle le "déterminisme
réciproque". L'examen de ces corrélations est visible sur le tableau 5.
Tableau 5Relations entre les deux mesures d'expectation et la performance antérieure et ultérieure
Performance
Session Essais expérimentaux Préliminaire 1 2 3
Expectation du but Efficacité personnelle
Expectation du but avant essai 2 Efficacité personnelle _______
.39* .31*
.93*** .90***
Expectation du but avant essai 3 Efficacité personnelle _______
.31* .26 ns
.96*** .94***
.66*** .47**
.90*** .86***
Note. * p <.05, ** p <.01, *** p <.001
Dans chaque case, la corrélation de gauche correspond à la liaison entre la performance passée et
l'indice d'efficacité personnelle qui la suit. La valeur de droite correspond à la corrélation entre
l'efficacité personnelle et la performance qui suivit.
On peut constater tout d'abord, que l'efficacité personnelle est très corrélée à la
performance, qu'elle soit passée ou future. Cette corrélation importante provient, selon nous, de la
nature même de l'outil utilisé. Prenons l'exemple de deux sujets de cette expérience. Le premier a
obtenu une performance initiale d'une minute et 50 secondes. Quand on lui présente l'outil
mesurant l'efficacité personnelle (figure 2, colonne de droite), il mentionnera vraisemblablement
qu'il se sent capable de réaliser 2 minutes, qu'il est nettement moins certain d'effectuer 1 minute 30
Fixation de buts
- 247 -
secondes, et quasiment sûr de ne pas pouvoir réaliser 1 minute ou 30 secondes. Il obtiendra donc
un score d'efficacité personnelle d'environ 40/100. A l'inverse, le deuxième sujet qui a obtenu une
performance initiale de 15 secondes sera lui quasi certain d'effectuer tous les niveaux de
performance présentés dans cette échelle. Il obtiendra donc un score proche des 100/100. Comme
on peut le constater, si les sujets ont connaissance de leur performance, il est probable que les plus
hauts indices d'efficacité personnelle soient rapportés parmi ceux qui obtiennent les plus hautes
performances, et inversement pour les performances les plus basses. D'où, la forte corrélation
constatée entre l'efficacité personnelle et la performance. Ce n'est bien sûr pas le cas pour
l'expectation du but, pour les raisons que nous avons développées plus haut. D'autre part, on peut
s'apercevoir que pour chaque essai, l'efficacité personnelle est davantage corrélée avec la
performance passée qu'avec la performance ultérieure. Ces données, conformes à certaines
expériences antérieures (Feltz, 1982; Locke et al., 1984) appuient l'hypothèse de Bandura (1982)
relative à l'influence déterminante de la performance passée, sur le sentiment d'efficacité
personnelle de l'individu. Elles sont également en accord avec l'existence d'un "déterminisme
réciproque" entre ces deux variables (Bandura 1977b). Pour notre propos, on peut subodorer que
le plus haut niveau d'efficacité personnelle obtenu par le groupe assigné au but très difficile, est
consécutif à l'augmentation de la performance la plus importante constatée dans ce groupe. Ainsi,
au départ, s'il n'y a pas de différence entre les groupes au niveau de la performance, il est peu
probable qu'il y en ait au niveau de l'efficacité personnelle (graphique 2). Puis, les sujets assignés
au but le plus difficile qui acceptent de le poursuivre (ou qui redéfinissent un but proche de celui-
ci), pourront progresser s'ils fournissent beaucoup d'effort. Comme un feed-back leur est fourni, ils
s'apercevront de leur progrès, ce qui augmentera leur score d'efficacité personnelle à la mesure
suivante, sentiment qui pourra éventuellement en retour "fortifier" leur engagement et augmenter
leur performance ultérieure. Et ainsi de suite. Le même processus se produira pour le but moyen et
le but très facile, mais à des niveaux de performance en dessous (et à condition que les sujets se
satisfassent du but assigné, et qu'ils ne redéfinissent pas un but nettement supérieur). En définitive,
quand la moyenne des indices est calculée sur tous les essais, on obtient le résultat présenté ici: un
niveau d'efficacité personnelle le plus haut pour le but le plus difficile. Ce résultat se retrouvera
Fixation de buts
- 248 -
probablement à chaque fois qu'il y aura (1) des essais répétés pour réaliser une tâche, (2) un feed-
back de performance précis, et (3) un indice "moyen" d'efficacité personnelle.
Reste à expliquer l'absence de différence au niveau de l'efficacité personnelle entre les
groupes "très difficile" et "moyen", qui pourtant obtenaient des performances distinctes. Selon
nous, ce phénomène provient de l'échelle utilisée ici, qui ne discrimine pas assez les performances
supérieures. Comme on peut le voir sur le tableau 1, le premier groupe a obtenu un performance
moyenne de 29.05 secondes, et le second une performance de 36.70. Or le niveau de performance
supérieur de l'échelle ne dépasse pas 30 secondes; c'est-à-dire qu'il se situe entre ces deux
moyennes de performances. Une différence entre ces deux groupes serait en toute logique,
vraisemblablement apparue, si l'échelle avait présenté des niveaux supérieurs de performance. La
détermination a priori de ces niveaux semble d'ailleurs assez problématique, quand on utilise ce
type d'outil. Où les situer ? Selon quels critères ? Les réponses ne vont pas de soi.
Quand l'expectation est mesurée conformément à un but assigné, les mesures sont
inversées par rapport à celle de Garland. La moyenne des expectations (des trois essais) est plus
basse quand augmente la difficulté du but (tableau 1). On peut néanmoins constater, au fur et à
mesure des essais, une augmentation, similaire à celle du sentiment d'efficacité personnelle, de
l'expectation d'atteindre chacun des niveaux de but (graphique 2). Cette augmentation est
imputable au nombre croissant de sujets qui - dans chaque groupe - constate des progrès et se sent
de plus en plus capable d'atteindre le but assigné. Un fait qui corrobore l'influence de la
performance passée sur l'expectation.
Relation difficulté du but - valence, une relation négative ?
De manière similaire aux expectations, la relation entre le niveau de difficulté du but et la valence
n'est pas sans poser certains problèmes. Quand la valence est mesurée comme Garland (1985) le
préconise, c'est-à-dire, en fonction de plusieurs niveaux de performance, on constate une
diminution de celle-ci concomitante à l'élévation de la difficulté du but. Selon nous, le même
argument que celui développé pour l'efficacité personnelle, s'applique ici aussi. Reprenons
l'exemple de nos deux sujets. Si on demandait au sujet qui vient de réaliser 1 minute et 50
Fixation de buts
- 249 -
secondes, quelle satisfaction il anticiperait d'atteindre 2 minutes à l'essai ultérieur, il est fort
probable que son sentiment serait mitigé. En revanche, il devrait fortement être satisfait de
l'atteinte potentiel des niveaux suivants (1 min. 30 sec., 1 min., et 30 sec.). Son indice de valence
de performances devrait donc avoisiner les 8/9. A l'inverse, le deuxième sujet qui a réalisé une
performance initiale de 15 secondes anticipera vraisemblablement plus de mécontentement que de
satisfaction d'atteindre les niveaux de performance proposés. Son score de valence devrait donc
être proche de 1/9. Par conséquent, à l'inverse de la mesure de l'efficacité personnelle, l'indicateur
de la valence de performances révélé par cet outil, est très corrélé négativement avec la
performance réalisée. Autrement dit, plus la performance réalisée est élevée, plus la valence de
performances est faible; et inversement. Dès lors, si on tient le même raisonnement que celui
développé pour l'efficacité personnelle, il n'est pas surprenant de constater une diminution plus
importante de la valence pour le groupe "but très difficile". Cette diminution n'est que la
conséquence de l'augmentation perçue de la performance. Comme on peut le constater sur le
graphique 3, il n'y a pas de différence entre les groupes au début, et l'écart se creuse de plus en
plus entre ceux-ci au fur et à mesure des progrès constatés. L'instrument proposé par Garland,
permet de part ses propriétés intrinsèques, une mesure des concepts qui va dans le sens de ces
prédictions !
Par contre, lorsque la valence est mesurée conformément à un but assigné, on observe une
augmentation de la valence du but, consécutive à l'augmentation de sa difficulté (tableau 1). Une
relation opposée à celle rapportée par la mesure de Garland.
Relation efficacité personnelle- valence de performances - performance
Les relations entre ces trois variables, qui sont apparues dans cette expérience, interpellent
la validité de construit des mesures d'efficacité personnelle et de valence de performances. On peut
constater, sur le tableau 2, une forte corrélation positive entre l'efficacité personnelle et la
performance (.95), et une forte corrélation négative entre d'une part, la valence et la performance
(-.92), et d'autre part, entre l'efficacité personnelle et la valence (-.93). Même si certaines théories
ont prédit l'existence d'un lien négatif entre l'expectation et la valence, ces deux construits
Fixation de buts
- 250 -
devraient a priori être relativement indépendants, et exercer une influence distincte sur la
performance. Or ici, il appert une relation très forte, et en sens inverse entre les deux variables
cognitives entre elles et avec la performance. Ce constat nous pousse à suspecter une absence de
discrimination entre les deux construits. Cette suspicion est confortée par les équations de
régression multiple que nous avons effectuées. Elles n'ont révélé, à chaque fois, aucun effet
significatif de la valence, lorsque l'efficacité personnelle était contrôlée (tableau 4). Ces données
nous incitent à penser que la conceptualisation de Garland (1985) relative aux concepts de valence
et d'expectation de performances est imparfaite, et que les outils qu'il utilise pour les apprécier
sont tautologiques. La figure 6 montre de manière graphique la relation d'opposition parfaite qui
unit ces deux variables.
1min 15
1 min.
45 sec.
30 sec.
15 sec.
PERFORMANCES
Efficacité personnelle
Efficacité personnelle
Méconten- tement
Sa tis fac tion
Sa tis fac tion
Mé con ten te ment
Sujet A (perf. 1min.10 )
Sujet B (perf 35 sec.)
Figure 6 : efficacité personnelle et valence de la performance, pour deux sujets, lorsque ces deuxconstruits sont appréciés conformément à un référent commun et une étendue deperformances
Quand on situe les sujets sur un continuum commun de performances, et qu'on leur demande
d'apprécier d'une part, leur capacité perçue d'atteindre plusieurs niveaux de performances situées
sur ce référent, et d'autre part, d'anticiper la "valence" (satisfaction/mécontentement) de les
atteindre, on s'aperçoit que les sujet qui obtiennent initialement une performance médiocre (sur ce
continuum) ont ipso facto un faible sentiment d'efficacité personnelle, et une forte valence de
Fixation de buts
- 251 -
performances (satisfaction anticipée). Pour les sujets qui obtiennent initialement les performances
les plus hautes, c'est l'inverse qui se produit. D'où la forte relation négative constatée entre ces
deux concepts, et la forte relation, positive pour l'efficacité personnelle, et négative pour la
valence, qu'ils entretiennent avec la performance. Cette relation est beaucoup trop "automatique"
pour ne pas être suspecte ! Elle pose en tout cas le problème de l'emploi d'outils de mesure qui se
réfère à un continuum de performance, dans le cadre précis qui nous intéresse. Nous reviendrons
sur ce point plus loin.
CONCLUSION
Des données récentes concernant les effets de la fixation de buts sur la performance
sportive ont remis en cause l'utilité de la technique dans ce domaine particulier, car elles n'ont pas,
le plus souvent, constaté de différences entre les groupes assignés à des buts spécifiques, et le
groupe de contrôle qui n'avait qu'un but vague du type "faites de votre mieux" (pour une revue, cf.
Weinberg, 1992; Weinberg & Weigand, 1993). Des auteurs (Hall & Byrne, 1988; Locke, 1991,
Weinberg, Bruya, & Jackson, 1985) ont imputé ce constat d'échec à plusieurs facteurs. Tout
d'abord, la nature des tâches utilisées. Très souvent il s'agissait de tests d'aptitude, comme le sit-up
(tâche d'endurance abdominale, où il s'agit de réaliser le plus de flexion-extension du buste,
pendant une période de temps de 2 à 3 minutes). Quand ils réalisent ce type de tâche, les sujets
peuvent très vite se heurter à des limites de performance, qui comme nous l'avons déjà souligné,
restreignent les effets de la fixation de buts. Deuxièmement, la nature de la population a été
évoquée comme pouvant limiter les effets de la technique. En effet, si les sportifs utilisés dans les
différentes études sont déjà fortement motivés par la pratique motrice, il y a peu de chances qu'une
technique motivationnelle produise des effets spectaculaires. La troisième explication souvent
incriminée rejoint la seconde. Il s'agit de la constatation d'une fixation spontanée de buts
spécifiques, réalisée par les sujets du groupe "faites de votre mieux". Ce faisant, le contrôle
véritable des effets de la fixation de buts est rendu particulièrement difficile. Selon Hall & Byrne
(1988), cette fixation spontanée de buts par les sujets du groupe contrôle est due à la manière dont
Fixation de buts
- 252 -
ils interprètent la situation. S'ils la perçoivent comme une situation qui accentue la comparaison
sociale, il est fort probable qu'ils commencent à rivaliser avec les autres "oubliant" qu'ils n'ont
théoriquement pas de buts particuliers à atteindre. Comme nous l'avons vu dans notre cadre
théorique, les sportifs sont plus enclins à valoriser la comparaison sociale, et à rechercher la
compétition pour établir leur compétence. Pour cela, ils peuvent être amenés à adopter un standard
de performance qui peut être la performance réalisée par un autre (avec l'intention de faire mieux
qui celui-ci). Si les sujets qui n'ont en théorie aucun but particulier à atteindre, ou qui sont assignés
à des buts faciles, se mettent à adopter le but poursuivi par les sujets du groupe "but très difficile"
pour rivaliser avec eux, on comprend mieux l'inconsistance des résultats trouvés dans le domaine
sportif.
Ce constat amène deux conclusions. Tout d'abord, il apparaît nécessaire de réduire
l'impact potentiel de la compétition dans les études destinées à tester les effets véritables de la
fixation de buts. Deuxièmement, il pose le problème du "pourquoi" un individu se fixe (ou
accepte) un but particulier; question insuffisamment traitée dans toutes les recherches sur la
fixation de buts, en sport.
Dans le monde du travail, il existe une relation au pouvoir qui est loin d'être équivalente à
celle du monde sportif. Les cadres disent à leurs subordonnés ce qu'ils doivent faire, et ils
attendent une obéissance ... qu'ils obtiennent le plus souvent. Des raisons extrinsèques à la
pratique comme le salaire, la reconnaissance ou le blâme du supérieur constituent généralement
des motifs à l'action. Ainsi, il n'est pas surprenant que dans ce contexte, la question de
l'acceptation (ou la redéfinition) des buts ne se soit guère posée, et que les buts les plus difficiles
conduisent effectivement à de plus hautes performances. Dans le domaine du sport, les raisons de
l'engagement sont davantage à chercher du côté du sentiment d'accomplissement que procure
l'atteinte d'un but (i.e., une motivation intrinsèque), que du côté des incitateurs extrinsèques (même
s'ils ne sont pas totalement absents). Dès lors, comme nous l'avons montré dans les parties
précédentes de notre thèse, un but prescrit devrait être plus ou moins motivant en fonction, d'une
part, de l'orientation motivationnelle du sujet et/ou du contexte dans lequel il se situe, et d'autre
part, de l'estimation de ses capacités. Pour un sujet qui poursuit un but motivationnel compétitif, le
Fixation de buts
- 253 -
but de la tâche prescrit suscitera une motivation plus ou moins grande en fonction de l'opportunité
perçue qu'il véhicule, de permette de faire preuve de compétence (ou d'éviter de témoigner son
incompétence) relativement aux autres. Nous l'avons vu, le choix réalisé par les sujets
Compétition, d'un niveau de difficulté ou d'une quantité de ressources allouée est tributaire du
niveau de compétence perçue. Ceux qui s'estiment en dessous de la norme préfèrent des difficultés
normatives "faciles" ou "difficiles", alors que ceux qui se sentent au dessus de la moyenne, optent
préférentiellement pour des difficultés supérieures ou égales à la norme. Par contraste, les sujets
qui poursuivent un but motivationnel de maîtrise verront dans les buts de plus en plus difficiles
pour eux - c'est-à-dire compte tenu de leurs possibilités - l'occasion de se sentir plus compétents
(dans les limites de leurs capacités, bien sûr). Dès lors, la technique de fixation de buts, n'a un
pouvoir motivationnel que si elle s'inscrit dans un contexte de "maîtrise" de la tâche. Les sujets
devraient préférer les buts les plus difficiles (ou consacrer plus d'effort pour les atteindre)
uniquement s'ils perçoivent à travers eux la possibilité d'éprouver un sentiment d'accomplissement
plus grand. Autrement dit, si ces buts sont, d'une part, "instrumentaux" à la perception d'un
sentiment de maîtrise accrue, et d'autre part, si ce "besoin" de maîtrise est particulièrement
important pour l'individu.
Les résultats de cette recherche ont indiqué qu'avec une population de collégiens, une
tâche d'escalade, et en contrôlant minutieusement la comparaison sociale, on pouvait constater une
augmentation de la performance consécutive à la fixation de buts de plus en plus difficiles. Les
sujets assignés au but "très difficile" et "moyen" ont obtenu de meilleures performances que ceux
du groupe "but très facile" ou but vague du type "faites de votre mieux". Seuls ces deux derniers
groupes ne se distinguaient pas. Cette expérience fournit donc un appui au postulat de base de la
technique de la fixation de buts: "plus spécifiques et difficiles sont les buts fixés, plus haute est la
performance"; mais on pourrait ajouter une condition limitative supplémentaire, "... si on s'inscrit
dans une perspective de maîtrise, c'est-à-dire, si les sujets cherchent à progresser et à maîtriser la
tâche".
Fixation de buts
- 254 -
Néanmoins, compte tenu des différences de performance initiale, les buts assignés à
chaque groupe ne constituaient pas une difficulté identique au sein de ceux-ci. Le but "moyen",
par exemple, pouvait être très difficile pour certains et très facile pour d'autres. Si, dans les
situations industrielles, les buts assignés sont a priori accessibles par l'ensemble des ouvriers qui
doivent les atteindre, la réalité sportive est toute autre. Les aptitudes initiales et l'habileté du sujet
ont un poids beaucoup plus important dans la performance sportive, que dans la performance
obtenue sur une tâche industrielle, où en principe, les tâches sont simples et accessibles par la
plupart. Dès lors, proposer un but de "sauter 8 mètres" en longueur pour des adolescents, ou dans
le cas présent de "grimper la voie en moins de 15 secondes", n'a un réel pouvoir motivant que pour
une minorité. Même si, en moyenne, le groupe assigné au but "très difficile" a davantage progressé
que les autres, on a pu constater une "redéfinition" du standard assigné qui s'est traduit par un but
moyen réellement poursuivi moins élevé dans le groupe "but très difficile" (tableau 1). A l'inverse,
le but "très facile" n'a pas suscité un entrain véritable, et a été redéfini à la hausse. Ce constat rend
difficile la comparaison de la "force" motivationnelle respective de chacun des buts à travers les
groupes, dès lors qu'il représente une réalité si différente au sein de chacun d'eux. Il nous apparaît
donc préférable - afin de tester véritablement la technique de fixation de buts - d'exprimer les buts,
non pas sur un continuum commun de performances, identique à tous - c'est-à-dire, comme nous
l'avons fait ici en proposant trois buts identiques aux membres de chacun des groupes - mais
d'exprimer le but en terme de pourcentage d'augmentation à partir d'une performance de base
déterminée au cours d'une session pré-expérimentale. On peut postuler, que le but "augmenter sa
performance de base de 30%" (exprimé en minute-seconde pour être plus concret) constitue une
difficulté similaire pour tous les sujets du groupe, quelles que soient leurs capacités initiales. De
plus, cette procédure véhicule une signification égocentrique de la difficulté (pour reprendre la
terminologie de Nicholls, 1989) qui s'ajuste mieux au cadre restreint dans lequel fonctionne, selon
nous, la fixation de buts, à savoir, un contexte et/ou une orientation vers la maîtrise.
Les construits cognitifs médiateurs que nous avons utilisés dans cette expérience, n'ont pas
démontré un réel pouvoir prédictif (hormis le but réellement poursuivi). Quand d'autres variables
Fixation de buts
- 255 -
étaient contrôlées, l'efficacité personnelle et la valence de performances ne prédisaient pas la
performance finale. Nous voyons à cela des raisons théoriques et méthodologiques.
D'un point de vue méthodologique, nous nous sommes aperçus que l'utilisation des outils
de mesure des concepts d'efficacité personnelle et de valences de performances proposés par
Garland (1985) ou Bandura (1982, 1988) posait des problèmes. Indépendants du but prescrit, ils
sont apparus, tous deux, intimement liés au niveau de performance du moment du sujet. Exprimés
sur un continuum de performance commun à tous les sujets, on pouvait constater que plus le sujet
avait une performance initiale importante, plus l'efficacité personnelle qu'il rapportait était grande,
et plus la valence de performances était petite (car le niveau de performance susceptible de le
satisfaire était de plus en plus élevé, donc le mécontentement de plus en plus grand). Ce constat est
trop "automatique" pour ne pas interpeller, surtout quand on connaît le poids des différences
initiales dans la performance finale en sport. Ce type d'outil "impose" en quelque sorte, aux
meilleurs "performeurs" de rapporter de hauts scores d'efficacité perçue, et de bas scores de
valence de performance. Peut être est-il plus approprié pour les études qui utilisent des tâches
industrielles où les différences de base ont moins d'impact sur la performance ? D'autre part, on
peut s'interroger sur la valeur d'outils qui reposent sur des moyennes de mesures. Nous l'avons
constaté, les estimations d'efficacité personnelle et de valence de performances évoluaient en
fonction de la performance constatée à chaque essai. Quel intérêt prédictif revêt, dès lors, une
mesure moyenne, comme le préconise Garland (1985) ? Nos calculs ont également remis en cause
la validité de construit des concepts d'efficacité personnelle et de valence de performances qui,
nous semble-t-il, mesurent la même chose. En effet, plus haute était l'efficacité personnelle, plus
basse était la valence de performances, la corrélation entre les deux étant très forte. Dans les
théories VIE, ces deux concepts sont a priori indépendants, même si dans certains cas, que nous
développerons ultérieurement, la valence peut dépendre en partie de l'expectation.
D'un point de vue théorique, la modélisation de Garland (ou celle de Bandura), sans
remettre en cause sa valeur, ne semble pouvoir fonctionner qu'une fois (1) les buts pleinement
acceptés par les sujets, et (2) s'ils disposent de plusieurs tentatives pour les atteindre, et d'un feed-
back qui les renseigne sur l'évolution de leur performance. Néanmoins, elle ne donne aucune
Fixation de buts
- 256 -
information sur les raisons qui poussent un individu à valoriser et à accepter un but particulier au
départ. Dans ce cadre restreint, et conformément aux prédictions de Garland (1985), nous avons
bel et bien constaté une augmentation de l'efficacité personnelle concomitante à l'élévation de la
difficulté du but. Mais au lieu de prédire la performance subséquente, comme cet auteur le
prévoyait, cette augmentation semblait davantage liée à la performance antérieure. L'augmentation
de l'efficacité personnelle suivait en quelque sorte, l'évolution perçue de la performance au fil des
essais, mais elle ne prédisait pas la performance à venir, quand le niveau du but était contrôlé.
Nous ne remettons pas en cause la possibilité d'une augmentation du sentiment d'efficacité
personnelle dans le temps, quand un sujet poursuit un but difficile, ni même la possibilité que ce
sentiment renforcé augmente la performance ultérieure (le "déterminisme réciproque dont parle
Bandura), mais selon nous, la relation positive prédite par Garland entre la difficulté du but et
l'efficacité personnelle n'est, encore une fois, que la résultante de l'acceptation du but par le sujet
et le fruit de ses tentatives pour l'atteindre dans le temps. Nous pouvons le constater, ce concept
d'efficacité personnelle, bien qu'étant en rapport (cf. partie 2, chapitre 2), n'est pas un construit
équivalent ni sur le fond, ni sur la forme, à celui d'expectation d'atteindre un but. Alors que le
premier est "large", fortement corrélé au niveau de performance du sujet et indépendant du but
assigné, l'expectation est au contraire très "spécifique" au but assigné. Nous avons trouvé qu'elle
diminuait quand augmentait la difficulté du but, un résultat conforme aux données antérieures
(Garland, 1982, 1983; Locke, 1964, 1966, 1968, 1982; Mento et al., 1980; Motowidlo et al.,
1978). Très différent du concept d'expectation, le concept d'efficacité personnelle ne nous semble
pas à même de résoudre le conflit qui existe entre la théorie de la fixation de buts et les théories
VIE, comme le postulaient Locke et al., (1986). Si l'augmentation de la performance consécutive à
l'augmentation du but n'est pas un phénomène lié à l'expectation, comme le proposaient certains
(Garland, 1984, 1985; Locke et al., 1986), il est vraisemblable qu'il faille chercher du côté de la
valence une explication au phénomène; mais pas celle à laquelle fait allusion Garland (1985).
La notion de valence développée par cet auteur s'assimile à un phénomène mécanique de
"réduction de tension" instauré par le standard de performance, qui opère par l'intermédiaire d'un
processus de comparaison interne (Bandura, 1978). Quand les gens s'engagent à atteindre des buts
Fixation de buts
- 257 -
explicites, ils perçoivent une discrépance négative entre ce qu'ils font et ce qu'ils cherchent à
accomplir. Ce décalage occasionne un "mécontentement personnel" (Bandura, 1978; Bandura &
Cervone, 1983) ou une "valence négative" (Garland, 1985) qui sert "d'incitateur motivationnel"
(Bandura & Cervone, 1983) ou de "force à l'accomplissement" (Garland, 1985) qui stimulent les
efforts. Plus le décalage entre la performance du moment et le but fixé par l'individu est grand
(i.e., plus le but est difficile), moins l'individu est satisfait (donc plus la valence est basse), et
moins il est satisfait de cet écart plus les efforts seront intensifiés au cours des essais ultérieurs.
D'où la relation négative entre la difficulté du but et la valence, d'une part, et entre la valence et la
performance d'autre part. En considérant la valence comme le pendant du but à atteindre, ce
modèle rejoint les modèles d'inspiration cybernétique (Festinger, 1958; Miller et al., 1960; Nuttin,
1985). Sans lui ôter de sa valeur, le construit de "valence de performances" de Garland ne
correspond en rien, à celui de "valence du but" des théories VIE, utilisé pour caractériser la
somme des conséquences (intrinsèques ou extrinsèques) positives ou négatives (paie,
reconnaissance, accomplissement, sanction, blâme) perçues comme étant associées à un niveau de
performance donné, et l'importance de ces conséquences pour l'individu. La valence du but,
comme nous l'avons vu dans cette expérience, tend à s'élever avec l'augmentation de la difficulté
du but. Nous essayerons de montrer qu'elle est reliée positivement à la performance, et plus
généralement, pourquoi elle augmente avec la difficulté du but.
Pour résumer, il nous semble que le modèle de Garland (1985) et les outils qu'il utilise ne
fonctionne que lorsque le but assigné est accepté par le sujet, et qu'il sert "d'ancre" à atteindre au
cours des essais successifs. Ce modèle n'explique donc pas pourquoi un sujet accepte au début de
poursuivre un but très difficile plutôt que facile, et demeure engagé à atteindre ce but difficile
alors que son expectation de le réussir est moins haute que celle d'atteindre le but facile.
C'est précisément pour tenter de répondre à ces interrogations que les deux expériences
qui suivent ont été construites. La première envisage la contribution respective de la valence et de
l'expectation d'atteindre un but, sur la performance. Le but a été exprimé de telle sorte qu'il
corresponde à une difficulté "identique" pour tous les sujets. Cette expérience a également pour
objectif de tester l'impact de différentes variables pouvant influencer en amont ces deux construits.
Fixation de buts
- 258 -
La deuxième expérience a eu pour finalité de comprendre pourquoi un but qui est difficile à
atteindre constitue une "force" motivationnelle supérieure à celle qu'exerce un but facile, alors que
les chances d'atteindre le premier sont plus faibles que celles d'atteindre le second. Pour répondre
à cette interrogation nous avons du envisager une troisième solution méthodologique à celles
proposées par Garland (1984). Pour ne pas employer les outils de mesure qu'il préconise, ni
s'exposer au risque d'un artefact de l'analyse des données lié aux calculs inter-groupes, nous avons
opté pour un plan expérimental "intra-sujet". Selon nous, pour éprouver au mieux les modèles
VIE, il semble nécessaire que les analyses soient faites à partir d'une population identique qui est
confrontée à plusieurs niveaux de difficulté de buts, et qui formule pour chacun d'eux à la fois
l'expectation de les atteindre et la valence qu'ils représentent.
2. EXPÉRIENCE II: INFLUENCE DE LA VALENCE ET DE L'EXPECTATION DANS LAPRÉDICTION DE LA PERFORMANCE, AVEC UNE TÂCHE D'ESCALADE 43
Dans cette seconde expérience, nous avons cherché à tester l'impact respectif sur la
performance, des deux variables clés des théories VIE: l'expectation et la valence du but. Nous
l'avons dit au début de ce chapitre, certains (Locke et al., 1984; Mento et al., 1980) ont contesté
les capacités des théories valence-instrumentalité-expectation, à prédire l'effort et la performance.
Ainsi, avant d'envisager les répercussions d'une augmentation de la difficulté du but sur ces deux
variables et la performance, il nous est apparu heuristique, dans un premier temps, de vérifier si
l'expectation et la valence d'un but difficile unique avaient une quelconque influence sur la
performance. Afin d'éprouver les prédictions des théories VIE, il semble important que le but fixé
soit d'une difficulté à peu près équivalente pour tous les sujets; ce qui ne fut pas le cas dans
l'expérience précédente. C'est la raison pour laquelle, dans cette recherche, le but assigné sera
l’émanation d’un pourcentage similaire d’augmentation d’une performance de base que les sujets
43 Tiré de: Famose, Sarrazin, et Cury (1994b)
Fixation de buts
- 259 -
auront réalisées préalablement, et non pas un niveau de performance identique pour tout le monde.
Cette expérience a également été construite pour tester les prédictions de Famose (1993b) relatives
à l'influence que pouvaient avoir d'autres variables sur l'expectation et la valence du but fixé. Les
principales hypothèses que nous mettions à l'épreuve des faits sont résumées dans la figure 1.
Performance de base
Habileté perçue Expectation du but
Difficulté perçue de la voie
Difficulté perçue du but assigné
Valence du but
Performance
Orientation vers la "maîtrise"
+
+
+
+
+
- -
-- -
Figure 1 : modèle théorique des liaisons entre différentes variables qui influencent la performance
Hypothèse 1: conformément aux prédictions des théories VIE, nous prévoyons que la
performance motrice est une fonction positive de l'expectation. En d'autres termes, plus l'individu
croit qu'il est en mesure d'atteindre le but difficile, meilleure sera sa performance.
Hypothèse 2: toujours en accord avec les théories VIE, nous postulons que plus le but à atteindre
est valorisé par le sujet, meilleure sera la performance. Ce construit de "valeur", et la relation qu'il
entretient avec la performance, se démarquent nettement de ceux décrits par Garland (1985) que
nous avons développés longuement.
Hypothèse 3: la valence du but difficile est une fonction positive de l'orientation vers la maîtrise
du sujet. Nous supposons que ce but difficile à atteindre sera d'autant plus valorisé qu'il permettra
au sujet d'anticiper un sentiment de maîtrise accrue de la tâche. Autrement dit, ce niveau de
difficulté du but sera d'autant plus important pour les sujets, qu'ils percevront à travers lui
Fixation de buts
- 260 -
l'occasion d'éprouver un sentiment de compétence - c'est à dire une relation d'instrumentalité entre
ce niveau de difficulté et ce besoin - et qu'ils rechercheront activement ce besoin. Le sentiment de
compétence ou d'accomplissement auquel il est fait allusion ici est, bien évidemment, celui
engendré par le progrès réalisé dans la maîtrise de la tâche (Nicholls, 1989). Si les sujets sont
fortement orientés vers la "maîtrise des tâches" en escalade, ils devraient percevoir le lien
"instrumental" qui relie ce niveau de difficulté avec le sentiment de maîtrise et de progrès, et donc
valoriser ce but à atteindre.
Hypothèse 4: la valence du but est une fonction négative de l'expectation du but. Dans le cadre
des théories VIE, expectation et valence sont indépendantes; mais dans un contexte de maîtrise de
la tâche, il est probable que les performances qui sont perçues comme faciles à atteindre soient
moins importantes que celles qui sont perçues comme plus difficiles à réaliser. Néanmoins, la
relation que nous proposons n'est pas totalement déterministe comme c'est le cas pour la théorie de
Garland (1985) que nous avons vue précédemment, ou celle d'Atkinson (1958) dans laquelle la
valeur incitative du succès est inversement proportionnelle à la probabilité du succès (I = 1-PS ).
Hypothèse 5: l'expectation du but est une fonction positive de l'habileté perçue. Comme nous
l'avons vu dans la partie 2-chapitre 2, l'habileté perçue est un "trait" relatif à la "confiance" que le
sujet a en ses capacités à faire face aux exigences de la tâche; trait qui, suivant l'organisation
hiérarchique que nous avons proposée, influencera "l'état" du moment du sujet. Ainsi, nous
croyons que plus le sujet se sentira habile en escalade, plus ses expectations d'atteindre le but
seront hautes.
Hypothèse 6: l'habileté perçue a une influence indirecte sur l'expectation, par le biais de la
difficulté du but et de la difficulté de la tâche. Conditions de réalisation et but à atteindre sont
rarement différenciés dans les études sur la fixation de buts. En sport pourtant, les premières
constituent des paramètres limitatifs importants de la performance. Dès lors, il nous semble utile
de distinguer les perceptions des sujets relatives, d'une part, à la difficulté de la tâche, c'est-à-dire
Fixation de buts
- 261 -
aux conditions de réalisation indépendamment du but, et d'autre part, à la difficulté du but, c'est à
dire au standard de performance à atteindre indépendamment des conditions de réalisations (pour
une discussion plus développée de cette distinction, voir Famose, 1983; 1990, 1993b). Nous
prévoyons une influence négative de l'habileté perçue sur la difficulté perçue de la tâche et la
difficulté perçue du but; autrement dit, plus le sujet se sentira habile moins il trouvera la voie et le
but assigné difficiles. D'autre part, nous pensons que la difficulté perçue de la tâche et du but
auront une influence négative sur l'expectation. Ainsi, plus le sujet trouvera difficiles la voie à
escalader et le but assigné, moins ses expectations d'atteindre le but seront élevées.
MÉTHODE
Sujets
Les sujets étaient 81 adolescents (44 garçons et 37 filles) d’une cité scolaire de la banlieue
parisienne. Agés de 14, 5 ans en moyenne (écart-type 1,5 ans), ils étaient tous volontaires pour
réaliser cette expérience, et avaient tous pratiqué l'escalade pendant au moins un an au collège.
Tâche
La tâche consistait à escalader deux fois de suite une paroi verticale haute de 7,50 mètres
(cotation fédérale: 4+), "le plus rapidement possible" lors des phases pré-expérimentales, et "en
cherchant à atteindre un but spécifique" lors de la session test. Entre les deux ascensions, le
chronomètre était arrêté. Il était enclenché à nouveau dès que le sujet posait le pieds au sol. Le
choix de faire grimper deux fois la voie a été motivé par la volonté de rendre la tâche relativement
contraignante à travers une période de temps suffisamment étendue pour fournir un test fiable sur
la manière dont les variables et les processus postulés affectent la performance. Nous craignions,
en effet, qu’une tâche trop facile ou trop courte altère certains processus décrits dans le modèle.
La moyenne des performances réalisées au terme de la session pré-expérimentale était de 58
secondes (étendue: 20 secondes à 2 minutes 24; écart-type: 22 secondes).
Fixation de buts
- 262 -
Procédure
L'expérimentation s'est déroulée pendant les séances d'éducation physique des sujets. A
chaque session, l'expérimentateur allait chercher les sujets dans leur groupe, et les conduisait dans
la partie du gymnase qui contenait le mur d'escalade. Tous les sujets ont participé à une période
préliminaire de pratique de trois séances espacées d'une semaine, afin d'effectuer plusieurs essais
de familiarisation, et trois tentatives chronométrées. Le meilleur temps réalisé lors de ces essais
préliminaires a constitué la performance de base. Au cours d'une quatrième séance (session test),
l’expérimentateur proposait aux sujets de réaliser la voie en cherchant à atteindre un but précis:
"améliorer de 30% sa performance de base". Pour bien le concrétiser, l’expérimentateur exprimait
le but en minutes-secondes (après avoir consulté une table), et ajoutait qu’il allait compter à haute
voix, seconde par seconde, le temps qui s’écoulait. Lors des quatre séances, les sujets
accomplissaient la tâche individuellement pour éviter toute comparaison sociale (Hall & Byrne,
1988; Locke, 1991; Weinberg, 1992) et on leur demandait de ne pas communiquer leur
performance. Le sujet disposait d'une deuxième tentative, s'il en formulait la demande. Cette
éventualité a été laissée pour que la performance réalisée reflète l'engagement du sujet et traduise
au mieux les processus motivationnels. En effet, une précipitation excessive ou une glissade
pouvaient altérer la performance, sans pour autant traduire un manque d’engagement. Juste avant
l'épreuve, le sujet remplissait un questionnaire qui lui prenait un dizaine de minutes, puis
s'échauffait.
Mesures des différentes variables cognitives
Une fois le but fixé, et avant leur tentative, les sujets remplissaient un questionnaire
mesurant différentes variables cognitives.
Orientation vers la Maîtrise. La "tendance" des sujets à plus ou moins valoriser la maîtrise
des tâches en escalade a été évaluée par les six items de la sous-échelle "maîtrise", du QPSS (cf.
partie 2 - chapitre 1). Les questions étaient du type: "je me sens très en réussite en escalade quand
je surmonte mes difficultés", ".. quand j’arrive pour la première fois à faire la technique, le
mouvement, le passage qui étaient difficiles pour moi".
Fixation de buts
- 263 -
Habileté perçue en escalade. Nous avons utilisé le Questionnaire d’Habileté Perçue
Spécifique à l’escalade (cf. Partie 2 - chapitre 2).
Difficulté perçue de la voie et du but. Les sujets estimaient de manière séparée la
difficulté de la voie et la difficulté du but qui leur était assigné, sur l'échelle de catégorie DP-15 de
Delignières, Famose, et Genty (1994). Divisée en 15 échelons, cette échelle est ponctuée de labels
verbaux sur les chiffres pairs (figure 2). La question posée était: "selon toi, à quel niveau de
difficulté se situe la voie (le but) ? Pour répondre, le sujet devait entourer un numéro.
123456789
101112131415
Voie (ou but) extrêmement facile
Voie (ou but) très facile
Voie (ou but) facile
Voie (ou but) moyen(ne)
Voie (ou but) un peu difficile
Voie (ou but) difficile
Voie (ou but) extrêmement difficile
Figure 2 : échelle de cotation DP-15 pour la perception de la difficulté (Delignières et al., 1994).
Expectation du but fixé. Le sujet estimait ses chances d’atteindre le but fixé sur une
échelle en 9 points, avec (1) "pratiquement aucune chance d'y arriver" et (9) "presque certain d’y
arriver", en passant par (5) "une chance sur deux". Nous avons substitué cette échelle en 9 points à
celle en 100 points de la première expérience, car il nous semble que la vision "probabiliste" que
véhicule la seconde s'accommode mal à l'appréciation plus "naïve" des jeunes sujets qui résonnent
plutôt en terme qualitatif (on a beaucoup, peu ou pas du tout de chance de réussir).
Valence du but fixé. Conformément à la formulation originale de Vroom (1964), on
demandait aux sujets de mentionner le niveau de satisfaction qu’ils éprouveraient s’ils atteignaient
le but fixé. Les réponses étaient portées sur une échelle en 9 points avec (1) "très insatisfait", (5)
"indifférent", et (9) "très satisfait".
Fixation de buts
- 264 -
Compte tenu de l’aspect peu discriminant de l’échelle précédente44, une deuxième échelle
a été rajoutée, basée sur les recommandations d’Ilgen et al. (1981). Ces auteurs préconisent
d’évaluer la valence à partir de l’attractivité ou de l’importance que représentent le but. Les sujets
devaient répondre à la question: "est-ce important pour toi de réaliser le but fixé ?", à l’aide d’une
échelle en 9 points avec (1) "non ce n’est pas du tout important pour moi d’atteindre ce but" et (9)
"oui c’est très important pour moi d’atteindre ce but", en passant par (5) "ni oui ni non". Nous
avons appelé "satisfaction anticipée" la première mesure, et "importance du but" la seconde.
Performance.
Le temps réalisé par les sujets a été utilisé comme indice de performance dans le modèle
global (figure 1). Pour éprouver ce modèle et tester l'impact des variables cognitives, nous avons
eu recours à deux procédures. La première représentait une sorte de modèle auto-régressif de
premier ordre (Hertzog & Nesselroade, 1987), dans lequel la variable performance était posée
comme une variable "trait", "cause d'elle-même", à deux moments distincts. Une fois son poids
contrôlé, il était alors possible de constater l'influence des autres variables sur la performance
finale. Influence qui devrait traduire le processus motivationnel. Dans la seconde procédure, nous
avons utilisé comme variable "motivationnelle" dépendante, à l'instar de Bandura & Cervone
(1983), le pourcentage de changement de performance entre les sessions préliminaires et la session
test (figures 4 et 5). Nous reviendrons plus loin sur les limites de l'utilisation de cette variable.
Afin d'éprouver nos hypothèses, nous avons eu recours à une analyse des pistes causales,
ou analyse de parcours (path analysis), à l'aide du logiciel LISREL 8 (Jöreskog & Sörbom, 1993).
Cette technique statistique permet d'étudier les relations entre un ensemble de variables dont
certaines sont considérées comme indépendantes et d'autres dépendantes. Chaque variable est
exprimée comme une fonction linéaire des variables qui, d'après le modèle postulé, la déterminent.
Cette expression constitue une équation structurale, du type:
44 On a en effet constaté, lors d’une étude préliminaire, une forte “saturation” des réponses sur la valeur 9. Ilsemblerait que les sujets puissent anticiper une grande satisfaction à l’atteinte d’une performance élevée,même si celle-ci ne présente pas une grande valence, car utopique. Il est probable qu’une grande majorité desportifs réponde “9” à la question: “seriez-vous satisfait de courir le 100 mètres en moins de 10 secondes?”Pour autant, la grande valence de ce but ne serait pas certaine.
Fixation de buts
- 265 -
X4 = P41 X1 + P42 X2 + P43 X3 + e4 ,où X4 est la variable prédite (par exemple la performance
dans la figure 1), X1 est la première variable indépendante (par exemple, la performance de base
dans la figure 1), P41 est le coefficient de piste (path coefficient) qui indique le poids de la
première variable indépendante sur la variable dépendante. X2 et X3 représentent deux autres
variables indépendantes (par exemple, l'expectation et la valence dans notre modèle). e4 est une
variable résiduelle qui symbolise les sources de variation non incluses dans le modèle, nécessaires
pour rendre compte totalement de la variation de la variable dépendante. Chaque variable
dépendante est exprimée par une équation structurale (il y en a donc 5 dans notre modèle), qui est
en fait une équation de régression. La méthode d'estimation est celle du maximum de
vraissemblance. Les coefficients de piste obtenus sont des coefficients de régression partielle
réduits, dont la valeur quantifie le poids d'une variable sur une autre, quand l'influence des
variables situées en amont dans le modèle est maintenue constante (pour davantage d'explications
sur les analyses des pistes causales et le modèles structuraux, consulter, Bacher,1987, 1988, 1989;
Jöreskog, 1993). Pour résumer, ce type d'analyse permet de distinguer le type d'effets (positif ou
négatif) des variables entre elles, d'estimer leur importance relative, et de déterminer par quelle
voie (directe ou indirecte) chaque variable influence la suivante.
Le logiciel Lisrel 8 fournit des indicateurs d'ajustement (goodness of fit statistics) entre le
modèle théorique et les données collectées (cf. partie 2-chapitre 1). Il apporte également, le cas
échéant, des indications pour modifier le modèle (modification indices) afin qu'il s'ajuste mieux
aux données. L'utilisation de l'analyse des pistes causales est assujettie à une condition limite: ce
modèle linéaire n'est utilisable que sur des variables ayant le niveau d'échelles d'intervalles ou
considérées comme telles. Quand les données initiales relèvent davantage d’échelles ordinales -
comme c'est le cas ici - Jöreskog (1990) préconise d'utiliser les corrélations polychoriques pour
tester les modèles d'équations structurales. Ainsi, les données relevées furent traitées
préalablement par le logiciel PRELIS 2 (Jöreskog & Sörbom, 1993) qui en a extrait une matrice de
corrélations polychoriques (entre variables ordinales) et polysériales (entre variables continues et
variables ordinales) utilisée par la suite.
Fixation de buts
- 266 -
RÉSULTATS ET DISCUSSION
Aucun effet "sexe" (au seuil p <.05) n'a été constaté sur une quelconque variable de cette
expérience. Les scores obtenus par les filles et les garçons n'ont donc pas été différenciés dans les
calculs.
Fiabilité de l'échelle d'orientation vers la maîtrise et d'habileté perçue.
Les coefficients alpha de ces deux échelles se sont respectivement portés à .64 et .83, ce
qui témoigne d'une consistance interne acceptable (Nunnaly, 1978). La moyenne des réponses
portées dans chaque questionnaire a donc été calculée et utilisée pour la suite.
Influence du but assigné sur la performance
Un test-t sur séries appariées a été effectué en prenant la performance de base et la
performance au test comme variables dépendantes. La différence entre les deux passations est
significative: t (80) = 11.43, p <.001. En moyenne le groupe a progressé de 12.29 secondes. Ainsi,
la fixation d'un but spécifique et concret assortie d’un feed-back immédiat a eu pour effet
d’accroître significativement la performance lors de la session test, par rapport aux sessions
préliminaires où le but demeurait vague (du type "faites de votre mieux"). Ce résultat est conforme
aux données relatives à la fixation de but (Locke & Latham, 1990) et à l'expérience précédente.
Néanmoins, cette évolution semble hétérogène. Si les sujets ont progressé en moyenne de 20%
(écart-type=11.7, étendue: de -18.75 à +37.93), 18% de la population a progressé de moins de
10%, 33% des sujets ont vu leur performance s’accroître de 10 à 20%, 28% de 21 à 29%, et enfin
21 % des sujets ont constaté une augmentation supérieure ou égale à 30%. On peut donc
s’interroger sur les déterminants de cette fluctuation dans l’augmentation de la performance.
Mise à l'épreuve du modèle théorique
Fixation de buts
- 267 -
Tableau 1Corrélations entre les différentes variables
Variables 2 3 4 5 6 7 8 9 10
1. Performance de base
2. Orientation "maîtrise"
3. Habileté perçue
4. Diff. perçue de la voie
5. Diff. perçue du but
6. Expectation du but
7. Importance du but
8. Satisfaction du but
9. Performance réalisée
10. Progrès en pourcent.
.15 .34**
.31**
-.38***
-.18
-.37***
.12
-.17
-.21*
-.01
-.003
.12
.28**
-.15
-.72***
-.18
.42***
.29**
-.05
-.10
.13
.06
.25*
.34**
-.08
.09
-.15
.52***
.91***
.23*
.34**
-.40***
.05
.16
-.06
.07
-.27*
.24
-.004
-.05
-.17
.39***
.35**
.02
.14
Note: * p <.05, ** p <.01, *** p <.001
Le tableau 1 présente les corrélations Bravais-Pearson entre les différentes variables
mesurées. Celles-ci font apparaître une liaison entre les deux variables principales et le
pourcentage d'augmentation de la performance. Ainsi, les sujets ont d'autant plus progressé que
leurs expectations d'atteindre le but étaient grandes (r = .39), et que le but était important pour eux
(r = .35). L'importance semble reliée à l'orientation vers la maîtrise (r =.42). L'expectation est très
corrélée avec la difficulté perçue du but (r = -.72), mais pas avec la difficulté perçue de la voie (r
= -.15, ns). L'habileté perçue est bien reliée avec la difficulté perçue du but (r =-.21), et la
difficulté perçue de la voie (r = -.37). Enfin, la satisfaction anticipée et l'importance ne sont pas
corrélées de manière significative avec l'expectation; la première présente une liaison négative (r =
-.15), et la seconde une liaison positive (r = .13).
Trois modèles ont été testés par LISREL 8. Le premier correspond rigoureusement à celui
de la figure 1. Les indices d'ajustement étant médiocres, une alternative (modèle 1bis) a été
proposée à partir des indices de modification du logiciel. Les deux modèles suivants ont utilisé
comme variable finale, non pas la performance brute, mais le pourcentage de changement de
Fixation de buts
- 268 -
performance. Le deuxième modèle utilise "l'importance" comme variable de valence (figure 4),
tandis que le troisième modèle utilise "la satisfaction anticipée" (figure 5).
Le tableau 2 présente les indices d'ajustement des quatre modèles, et le tableau 3, le
pourcentage de variance expliquée de chacune des variables des différentes équations structurales.
Le modèle de la figure 1 semble résister relativement bien aux données collectées, quand
est ajoutée une piste entre la performance initiale et la difficulté perçue de la voie. L'ajustement
des modèles 2 et 3 est correct, bien que le deuxième semble davantage se rapprocher des données
observées que le troisième (tableau 2).
Tableau 2Indices d'ajustement des différents modèles testés
Indices d'ajustement Modèle 1 Modèle 1bis Modèle 2 Modèle 3
Chi 2
Ddl
p =
Ratio chi 2/ddl
GFI
AGFI
RMSR
47.08
15
.00004
3.14
.88
.71
.13
28.32
14
.01
2.02
.93
.81
.09
20.53
12
.06
1.71
.94
.87
.06
22.32
12
.03
1.86
.94
.85
.07
Notes : GFI: Goodness of fit index. Plus il est proche de 1 meilleur est l'ajustementAGFI: Adjusted godness of fit index. Plus il est proche de 1 meilleur est l'ajustementRMSR: Root mean square residual.. Plus il est proche de 0 meilleur est l'ajustementChi 2: non significatif, il constate l'absence de différence entre le modèle et les donnéesRatio chi 2/ddl : inférieur à 2 il traduit un ajustement satisfaisant
Influence de la performance de base. Le premier constat que l'on peut faire est relatif au
poids considérable que représente la performance initiale sur la performance finale (figure 3). Il
est supérieur à celui d'une quelconque autre variable du modèle, certainement parce que la
variance des différentes variables motivationnelles n'est pas aussi grande que l'étendue des
différences de capacités initiales. Ce constat donne du poids aux réticences de Roberts (1992) a
utiliser la performance, comme indicateur motivationnel dans le domaine sportif, car selon lui: "la
relation entre motivation et performance est beaucoup plus modeste que nous l’avons soutenu" (p.
Fixation de buts
- 269 -
23). Néanmoins, des relations - certes plus modestes - existent entre nos variables motivationnelles
et cet indicateur.
Performance de base
Habileté perçue Expectation du but
Difficulté perçue de la voie
Difficulté perçue du but assigné
Importance du but
Performance
Orientationvers la "maîtrise"
+.94
+.12 (ns)
+.14
+.19
+ .42
-.34 -.16
-.69-.23 +.08 (ns)
ζ (.44)
ζ (.11)
ζ ( .81)
ζ (.95)
ζ (.88)
r = .34
r = .36
r =.17
(modèle 1bis)
Figure 3 : Résultat de l'analyse des pistes causales du modèle théorique de la figure 1. Le seuil de significativité des coefficients de piste est p <.05. Les ζ symbolisent la variance résiduelle des variables dépendantes.
Influence de la valence et de l'expectation du but sur la performance. Comme on peut le
voir sur la figure 3, lorsque le poids considérable de la performance de base est maintenu constant,
on peut observer une influence positive de l'expectation et de la valence ("importance du but") sur
la performance obtenue. Ce poids est majoré dans le modèle 2 (figure 4) qui prend uniquement
comme variable "motivationnelle" le pourcentage d'augmentation de la performance; c'est-à-dire
en enlevant une partie de ce qui relève des capacités initiales. Nous sommes conscients du
caractère imparfait que représente cet indicateur, car, comme nous l'avons déjà signalé, il est plus
difficile de progresser quand on arrive à une performance "plafond", sans que pour autant cette
hausse plus modeste soit imputable aux variables cognitives d'expectation et de valence45.
Autrement dit, un sujet peut être très motivé, et pourtant ne progresser que moyennement du fait
45 Pour une analyse plus fine des problèmes liés à la mesure des changements, on pourra consulter Bacher,1983, 1989; Burr & Nesselroade (1990)
Fixation de buts
- 270 -
de son niveau de départ (même quand le progrès est exprimé en pourcentage). Malgré ces limites,
les hypothèse 1 et 2 semblent confirmées.
Influence de l'habileté perçue sur l'expectation. Dans tous les modèles éprouvés, l'habileté
perçue n'a exercé aucune influence directe sur l'expectation (les modèles 2 et 3 ne présentent pas
de pistes entre ces deux variables, car à chaque fois, elles n'étaient pas significatives dans les
calculs que nous avions conduits), l'hypothèse 5 n'a donc pas trouvé d'appui dans les résultats de
cette expérience. Ceci est peut être dû à l'ajout des variables médiatrices de difficulté perçue qui
peuvent "faire tomber" son influence directe. En effet, l'influence indirecte de l'habileté perçue sur
l'expectation, par l'intermédiaire de la difficulté du but et la difficulté de la tâche a été confirmée.
Ainsi, ce trait latent qu'est l'image que l'on a de son habileté globale dans un domaine particulier,
semble influencer les perceptions de difficultés plus conjoncturelles. Malgré le fait que le but
assigné soit formulé pour chaque sujet (i.e., il ne représente pas une difficulté "objective"
identique à tous), les perceptions de la difficulté du but et de la tâche étaient quand même
influencées par leur habileté perçue . Plus haute était l'habileté perçue, plus basses étaient la
difficulté perçue de la voie et celle du but. La piste ajoutée entre la performance initiale et la
difficulté de la voie dans le modèle 1bis, n'a pas remis en cause cette relation; mais l'influence de
l'habileté perçue sur la difficulté de la voie est devenue plus modeste (-.18 vs -.34). L'adjonction
de cette piste suscitée par les indices de modifications du logiciel, ne va pas à l'encontre de la
cohérence du modèle. Elle suggère que les sujets ont pu s'appuyer sur leur temps réalisé pour
grimper la voie au cours des sessions préliminaires, pour apprécier sa difficulté. Cette piste
supplémentaire augmente la variance expliquée de la difficulté perçue de la voie (tableau 3). Les
influences significatives et distinctes de la difficulté perçue de la voie, et de la difficulté perçue du
but corroborent notre sixième hypothèse. Plus difficiles le but et/ou la tâche étaient perçus, plus
basses étaient les expectations. Compte tenu de la nature de la tâche (un temps à réaliser), la
difficulté du but a un poids bien plus important dans l'estimation de l'expectation que la difficulté
de la tâche; mais il est intéressant de constater cette double influence du standard à atteindre et des
conditions environnementales (un fait souvent négligé dans les différentes recherches).
Fixation de buts
- 271 -
En définitive, les relations causales habileté perçue --> difficultés perçues --> expectations,
révélées dans cette expérience fournissent un appui à l'organisation hiérarchique des différents
construits de "perceptions de soi" que nous avions envisagé dans le chapitre 2, de la seconde
partie.
Tableau 3Pourcentage de variance expliquée de chaque variable, dans les différents modèles proposés.
% de variance(R2)
Diff. perçuede la voie
Diff. perçuedu but
Expectations Valence Performance%
d'évolutionde la perf.
Modèle 1
Modèle 1 bis
Modèle 2
Modèle 3
12%
30%
11%
11%
5%
5%
5%
5%
44%
44%
55%
55%
19%a
19%a
19%a
14%b
90%
90%
-
-
-
-
26%
17%
Note : (a) il s'agit de l'importance, et (b) de la satisfaction anticipée
Influence de l'orientation vers la maîtrise sur la valence du but. Comme nous en avions
émis l'hypothèse, l'orientation vers la maîtrise des sujets est reliée positivement à la valence du
but, surtout quand c'est "l'importance" qui est prise en compte. Notre troisième hypothèse est donc
confirmée. Néanmoins, le faible pourcentage de variance de la valence expliquée (tableau 3),
suggère que d'autres paramètres que la maîtrise de la tâche peuvent affecter la valence du but.
Dans le cas présent, et conformément au cadre théorique, on peut subodorer que le désir de faire
plaisir à l'expérimentateur par exemple a pu majorer la valence du but indépendamment de
l'orientation vers la maîtrise. D'autre part, au cours d'entretiens informels avec les sujets après la
phase expérimentale, certains pourtant fortement orientés vers la maîtrise en escalade, ont déclaré
ne pas valoriser ce type de tâche (i.e., chronométrée), car "aller plus vite" ne correspondait pas à
l'image qu'ils avaient de la discipline. Pour eux, "maîtriser" et "progresser" se conjuguent
davantage avec "franchir des obstacles ( difficiles pour soi)" ou "être plus à l'aise sur la voie". On
rejoint ici les représentations sociales sur la performance "légitime" dont nous avions parlé plus
haut. Ce fait a probablement altéré la relation entre l'orientation vers la maîtrise et la valence du
but.
Fixation de buts
- 272 -
Habileté perçue Expectation du but
Difficulté perçue de la voie
Difficulté perçue du but assigné
Importance du but
Evolution dela perf. en %
Orientationvers la "maîtrise"
+.35
+.33
+ .43
-.34-.19
-.71-.23 +.08 (ns)
ζ (.46)
ζ (.74)
ζ (.80)
ζ (.95)
ζ (.89)
r = .36
Figure 4 : coefficients de pistes et variance résiduelle des variables du modèle 2
Relation entre l'expectation et la valence. L'influence de l'expectation sur la valence s'est
distinguée en fonction de la question posée pour mesurer la valence. Quand il s'agit de la
"satisfaction" anticipée, une relation négative, conforme à nos attentes, apparaît (figure 5). En
d'autres termes, plus basses sont les expectations du sujet, plus haute est la satisfaction anticipée
d'atteindre le but. Par contraste, quand "l'importance" est utilisée, la relation s'avère non
significative (figure 4); ce qui correspond davantage aux prédictions des théories VIE. Il faut
également noter que lorsque la première mesure est employée, l'influence de la valence sur la
performance devient non significative (figure 5), les indices d'ajustement sont moins bons (tableau
2), et le pourcentage de variance dans l'évolution de la performance tombe (tableau 3).
Fixation de buts
- 273 -
Habileté perçueExpectation du but
Difficulté perçue de la voie
Difficulté perçue du but assigné
Satisfactionanticipéed'atteindre lebut
Evolution dela perf. en %
Orientationvers la "maîtrise"
+.42
+.12 (ns)
+ .31
-.34-.19
-.71-.23 -.24
ζ (.46)
ζ (.83)
ζ (.86)
ζ (.95)
ζ (.89)
r = .36
Figure 5 : coefficients de pistes et variance résiduelle des variables du modèle 3
Selon nous, ces deux variables, bien que corrélées (r = .52), sont différentes. D'ailleurs un
test-t sur séries appariées en prenant l'importance et la satisfaction comme variables dépendantes,
a révélé une différence significative [t (80) = 6.84, p <.0001]. La moyenne des réponses à l'item
"satisfaction" (M = 7.84, ET = 1.49) est plus élevée que celle portée pour l'item "importance" (M
= 6.58, ET = 1.83). Comme nous l'avions soulevé, il semble plus facile de répondre favorablement
à l'échelle de satisfaction anticipée, qu'à celle d'importance anticipée. On peut très bien déclarer
anticiper une grande satisfaction à l'atteinte de ce but difficile, et pour autant ne pas considérer
celui-ci comme ayant de la valeur. Cet argument explique, selon nous, la corrélation négative
constatée entre l'expectation et la satisfaction anticipée, et l'indépendance qui existe entre
l'expectation et l'importance. Comme nous l'avions émis dans l'hypothèse 4, seuls les sujets qui
recherchent la maîtrise doivent percevoir à travers une tâche plus difficile l'occasion d'éprouver
davantage de compétence, et donc, par voie de conséquence, valoriser davantage ce but. Il semble
que le contexte de maîtrise dans lequel se trouvaient les sujets n'est pas, cependant, été significatif
pour tous (Roberts, 1992). Si le contexte n'est pas conforme aux préoccupations dominantes du
sujet, il est probable qu'il ne conduise pas à une accentuation des signaux que l'on voudrait
pertinents. En d'autres termes, un contexte de maîtrise peut ne pas rendre importantes les tâches de
défi personnel, pour les sujets qui ne sont pas préoccupés par l'apprentissage et le progrès. Pour
Fixation de buts
- 274 -
vérifier cette hypothèse, nous avons catégorisé comme "très maîtrise", les sujets qui se situaient
dans le tiers supérieur de la répartition des scores sur cette échelle, et comme "peu maîtrise" les
sujets qui se situaient dans le tiers inférieur. D'autre part, les sujets qui portaient les réponses 1, 2,
ou 3 dans l'échelle d'expectation du but ont été qualifiés comme ayant de "faibles expectations"
d'atteindre le but, ceux qui mentionnaient les réponses 7, 8, ou 9, comme ayant des "hautes
expectations", et les autres comme ayant des "expectations intermédiaires" de réussite. Une
ANOVA 3 x 2 (Expectations x Orientation vers la maîtrise) a été effectuée en prenant
"l'importance" comme variable dépendante. Les résultats ont révélé un effet principal significatif
de l'orientation vers la maîtrise [F (1, 44) = 21.81, p <.0001]. Par rapport aux sujets ayant une
faible orientation vers la maîtrise, les sujets fortement orientés vers la maîtrise trouvent le but fixé
plus important (M = 7.75 vs M = 5.15), ce résultat confirme celui trouvé dans les analyses des
pistes causales. Aucun effet principal du niveau des expectations ne fut constaté, mais une
interaction significative ressortit de l'analyse [F (2, 44) = 3.69, p <.05]. Cet effet est visible sur le
graphique 1. Elle pourrait s'interpréter ainsi: pour les sujets faiblement orientés vers la maîtrise,
l'importance du but est d'autant plus grande que les expectations sont hautes (i.e., que le but leur
apparaît facile), tandis que pour les sujets fortement orientés vers la maîtrise, l'importance est
d'autant plus grande que le but est perçu comme incertain ou difficile à atteindre. Si cette analyse
confirme les résultats que nous avions trouvé dans les expériences sur le choix d'un niveau de
difficulté (chapitre 2-partie 3) - à savoir, une plus grande valence pour les difficultés égocentriques
intermédiaires chez les sujets "maîtrise" - elle montre également que certains peuvent davantage
valoriser (à un niveau moindre par rapport aux précédents) les faibles difficultés. Peut-être
perçoivent-ils à travers cette facilité perçue (i.e., hautes expectations), l'occasion de réussir le
tâche et donc éventuellement de faire plaisir à moindres frais à l'expérimentateur ? D'autres
expériences semblent nécessaires pour vérifier cette hypothèse.
Fixation de buts
- 275 -
Graphique 1 : Interaction expectation x Maîtrise sur la variable "importance"
Pour résumer, l'ANOVA que nous avons effectuée a révélé que certains sujets trouvaient
d'autant plus important le but assigné, qu'ils se donnaient des chances intermédiaires ou basses de
succès. Il s'agissait des sujets pour qui la maîtrise des tâches et le progrès étaient très recherchés
en escalade. Pour d'autres au contraire, de hautes chances de réussite rendaient le but important à
atteindre. Dès lors, il n'est pas étonnant qu'une relation d'indépendance soit apparue dans cette
expérience entre l'expectation et l'importance.
CONCLUSION
Les résultats de cette recherche apportent un appui à plusieurs hypothèses que nous avions
mis à l'épreuve. Tout d'abord, ils soutiennent un des postulats de la théorie des buts, selon lequel le
fait de donner aux individus un but concret et difficile accompagné d'un feed-back, a un effet
motivant, et augmente la performance (Locke & Latham, 1990).
En second lieu, les résultats confirment le rôle médiateur, entre le but et la performance,
joué par les deux construits clés des théories VIE: l'expectation d'atteindre le but et la valence du
but. Ainsi, plus hautes étaient les chances que se donnaient le sujet d'atteindre le but, et/ou plus
grande était l'importance accordée au but, meilleurs étaient la performance et le progrès réalisé.
Ces deux construits sont apparus indépendants, quand "l'importance" était utilisée comme variable
Fixation de buts
- 276 -
de valence. A cet égard, et conformément aux recommandations d'Ilgen et al. (1981), l'importance
que revêt le but semble mieux traduire le construit de valence que ne le fait la satisfaction
anticipée. Quand cette mesure était utilisée, le modèle s'ajustait mieux aux données, et prédisait
une part plus grande de variance d'amélioration de la performance.
D'autres variables apparaissent exercer une influence sur les deux concepts précédents.
Conformément aux prédictions de Famose (1993b), l'habileté perçue agit sur l'expectation du but
par l'intermédiaire de la difficulté perçue de la voie et la difficulté perçue du but. D'autre part,
l'orientation vers la maîtrise semble influencer positivement l'importance d'atteindre un but
difficile (pour soi).
Enfin, la relation négative entre l'expectation du but et l'importance de celui-ci ne semble
le fait que des sujets fortement orientés vers la maîtrise des tâches en escalade. D'autres sujets ont
au contraire trouvé le but plus important lorsqu'ils estimaient qu'il était facile à atteindre.
Après avoir constaté dans cette expérience l'impact particulier de l'expectation et de la
valence d'un but difficile, sur la motivation et la performance, il semble nécessaire à présent
d'envisager l'influence respective de plusieurs buts de difficultés variées sur ces deux variables et
la performance. Nous postulons que les différences de motivation et de performance traduisent
une différence de "force" qu'exerce chacun des buts. Force qui est elle même dépendante de la
combinaison des expectations et des valences que formulent les individus pour chacun des buts.
Conformément à nos hypothèses sur le cadre restreint dans lequel fonctionne la fixation de buts,
seuls des sujets "orientés vers la maîtrise" seront utilisés.
3. EXPÉRIENCE III : INFLUENCES MÉDIATRICES DE L'EXPECTATION ET DE LAVALENCE, DANS LA RELATION DIFFICULTÉ DU BUT - PERFORMANCE46
Nous avons constaté dans la seconde expérience, suivant en cela les postulats des théories
VIE, une influence directe et à peu près équivalente, de l'expectation et de la valence d'un but
difficile sur la performance. Ce constat consacre l'aptitude des théories VIE et de leurs deux
46 Tiré de Sarrazin, Famose, et Cury (1995b).
Fixation de buts
- 277 -
concepts clés, à prédire la motivation (et la performance). Nous avons également observé dans la
première expérience, une diminution des expectations avec l'augmentation de la difficulté du but,
alors que la performance augmentait dans le même temps. Dans le cadre conceptuel des théories
VIE, on ne peut imputer cette augmentation de la performance attenante à la difficulté du but,
qu'au "poids prépondérant de la valence sur l'expectation" (Famose, Sarrazin, & Cury, 1994) - tout
du moins nous le pensons, pour les sujets orientés vers la maîtrise de la tâche. En effet, pour que
les buts les plus difficiles conduisent à une performance (i.e., motivation) plus élevée, il faut que
les sujets estiment que le résultat final lié à l'accomplissement du but le plus difficile à atteindre
est suffisamment plus important que les autres alternatives représentées par les buts plus faciles,
pour constituer une compensation à la difficulté plus importante. Dans les termes des théories VIE
(en particulier, le modèle de la force de Vroom, 1964, ou le modèle de Galbraith & Cummings,
1967; cf. partie 1), la quantité d'effort fourni est liée à la "force" respective qu'exerce une série de
résultats alternatifs (dans le cas présent: des buts). Plus la force est élevée, plus l'effort le sera
également. Cette force dépend de la combinaison (généralement un produit) des valences et des
expectations. Les différences de performance constatées entre les buts faciles et les buts difficiles
sont donc la conséquence d'une différence de force (i.e., d'effort ou de motivation) qu'exerce
chacun de ces buts. Pour un individu "quelconque" on pourrait postuler que l'augmentation de
l'expectation et la diminution de la valence associées à un but facile produisent une "force" qui soit
équivalente à celle exercée par un but difficile où l'augmentation de la valence est associée à une
diminution de l'expectation. Dans de telles circonstances, les deux composantes pourraient se
"neutraliser" (Matsui, Okada, & Mizuguchi, 1981). L'orientation vers la maîtrise des sujets vient,
selon nous, modifier le poids que représente la valence des différents niveaux de performance.
Quand les individus recherchent le progrès ou la maîtrise des tâches (résultat de second niveau), la
valence d'une difficulté est proportionnelle aux possibilités perçues du sujet. Moins l'individu se
sent capable d'atteindre un but (i.e., plus ce but est difficile à atteindre pour lui), plus ce dernier
prend de la valeur parce qu'il est de plus en plus "instrumental" au résultat valorisé (le sentiment
de maîtrise). A l'inverse, un but perçu comme trop facile à réussir ne présente guère d'intérêt car
Fixation de buts
- 278 -
peu propice (instrumental) à une maîtrise plus grande. Bien sûr, il doit exister une limite en deçà
de laquelle les expectations du sujets sont tellement faibles que la "force" du but diminue 47.
L'objectif de cette recherche est précisément de tester cette supposition du rôle
prépondérant de la valence (i.e., modérateur quand les expectations sont hautes avec un but facile,
et majorateur quand les expectations sont basses avec une but difficile) chez les sujets orientés
vers la maîtrise. Nos principales hypothèses sont symbolisées dans la figure 1.
Difficulté du but
Expectation
Valence
Performance
Performancede base
+
+ +
-
-
ns
Figure 1 : modèle théorique des liaisons entre la difficulté du but, l'expectation , la valence, et la performance.
Hypothèse 1. Quand les sujets sont préoccupés par la maîtrise, la difficulté du but a une influence
positive sur la valence et négative sur l'expectation. Autrement dit plus le niveau de difficulté du
but est élevé, plus les chances estimées de l'atteindre diminuent, et plus l'importance qu'il
représente augmente.
Hypothèse 2. Quand les sujets sont préoccupés par la maîtrise, l'expectation a une influence
négative sur la valence. Plus le sujet estime que le but est facile pour lui, moins il lui confère de la
valence.
Hypothèse 3. La valence a un poids prépondérant sur la performance, tandis que l'expectation a
une influence insignifiante. Autrement dit, même si le sujet a de hautes expectations d'atteindre le
47 Nous avons constaté dans l'expérience2 du chapitre précédent que l'effort fourni par les sujets Maîtrise,était le plus important quand ils estimaient avoir une chance sur 2 de réussir; ou en dessous quand leurhabileté perçue était élevée.
Fixation de buts
- 279 -
but, celles-ci n'auront pas d'impact direct sur la performance, compte tenu de l'influence négative
qu'elles exercent sur la performance par l'intermédiaire de la valence.
Pour pouvoir comparer la "force" qu'exercent les différents buts, il faut d'une part, que
chaque niveau de difficulté corresponde à peu près à la même chose pour tous les sujets (ce qui n'a
pas été le cas dans l'expérience 1), et d'autre part, que chaque sujet soit confronté à chacun de ces
niveaux (ce qui n'a pas non plus été le cas dans l'expérience 1). Mitchell (1974) soulevait déjà il y
a 20 ans, le problème de tester une théorie destinée à prédire la force respective que représentent
plusieurs buts pour un même sujet, avec des plans d'expériences qui comparent des sujets
différents assignés à des buts distincts: "toute tentative d'utilisation d'analyses "entre sujets"
(across-subjects) basée sur une théorie "intra sujet" (within-subjects) est bornée à avoir des
problèmes" (p. 1070). C'est la raison pour laquelle les sujets "maîtrise" de cette expérience seront
confrontés à trois buts différents, exprimés en pourcentage d'amélioration d'une performance de
base.
MÉTHODE
Sujets
Deux cents garçons d'un collège de la banlieue parisienne ont répondu dans un premier
temps à un questionnaire. Vingt-cinq sujets ont été sélectionnés parmi eux pour participer à
l'expérience. Ils étaient âgés de 13,6 ans en moyenne (écart-type, 1,4). Les sujets étaient tous
volontaires pour réaliser cette expérience. Ils pratiquaient l'escalade depuis au moins un an.
Tâche
La tâche était identique à celle de l'expérience 2.
Procédure
Sur la base d'un questionnaire évaluant l'orientation vers la maîtrise en escalade, un groupe
de 25 sujets a été constitué. Il s'agissait de ceux qui avaient obtenu "5" à la moyenne des items de
Fixation de buts
- 280 -
questionnaire, c'est-à-dire, la plus haute valeur possible. L'expérimentation s'est déroulée en
dehors des heures de cours des sujets, pendant leur temps libre. Tous les sujets ont participé à une
période préliminaire de pratique de trois séances, similaire à celle décrite dans l'expérience 2, afin
de déterminer une performance de base. A la fin de celle-ci, l'expérimentateur a expliqué aux
sujets qu'il allait leur assigné trois buts particuliers à atteindre, au cours des trois séances à venir.
Ces buts correspondaient à 5%, 20% et 40% d'augmentation de leur performance de base (qu'il
exprimait en minutes-secondes après avoir consulté une table). Toutes les combinaisons possibles
d'ordre de présentation des trois buts ont été composées et administrées équitablement à l'ensemble
des sujets. Lors des trois séances, les sujets accomplissaient la tâche individuellement pour éviter
toute comparaison sociale, et on leur demandait de ne pas communiquer leur performance. Pour
mieux concrétiser le but, l'expérimentateur comptait à haute voix, seconde par seconde, le temps
qui s’écoulait. Le sujet disposait d'une deuxième tentative, s'il en formulait la demande (la
meilleure performance étant retenue), pour les raisons développées dans l'expérience 2. Juste avant
l'épreuve, le sujet remplissait un questionnaire à 3 items qui lui demandait d'apprécier la difficulté
du but, ses chances de l'atteindre, et la valence qu'il représentait. Puis il s'échauffait. Après sa
tentative, le sujet estimait sur une échelle l'effort qu'il avait fourni.
Mesures des différentes variables cognitives
Orientation vers la Maîtrise. La sous-échelle Maîtrise, reformulée pour l’escalade, du
QPSS a été exploitée (cf. expérience 2).
Difficulté perçue de la voie et du but. Les sujets utilisaient l'échelle de catégorie DP-15 de
Delignières et al. (1994).
Expectation du but fixé. Le sujet estimait ses chances d’atteindre le but fixé sur une
échelle en 9 points, avec (1) "pratiquement aucune chance d'y arriver" et (9) "presque certain d’y
arriver", en passant par (5) "une chance sur deux".
Valence du but fixé. Les sujets estimaient l'importance du but assigné à l’aide d’une
échelle en 9 points avec (1) "non ce n’est pas du tout important pour moi d’atteindre ce but" et (9)
"oui c’est très important pour moi d’atteindre ce but", en passant par (5) "ni oui ni non".
Fixation de buts
- 281 -
Effort perçu. Les sujets utilisaient la "RPE Scale" de Borg (1970), pour évaluer la
quantité d'effort qu'ils estimaient avoir fourni dans leur tentative.
RÉSULTATS ET DISCUSSION
Contrôle du plan expérimental
Rappelons le, l'ordre de présentation des buts a été contrebalancé suivant les sujets.
Certains devaient réaliser au cours de leurs trois sessions expérimentales, l'ordre 5%, 20%, et
40%; d'autres suivaient une répartition différente: 40%, 20%, et 5%. Les six dispositions possibles
ont été composées. Afin de s'assurer que l'évolution éventuelle de la performance soit bien liée à la
difficulté du but assigné, et non le fruit d'un "apprentissage" éventuel, (comme nous l'avons
constaté dans l'expérience 1), nous avons réalisé une ANOVA à mesure répétée, en prenant la
performance réalisée aux trois sessions, dans l'ordre successif. Celle-ci ne fut pas significative:
F (2, 48) = 0.79, p >.45. La succession des trois passations n'a pas produit une hausse
significative de la performance. Pour réaliser les calculs qui vont suivre, les buts et les différentes
variables mesurées, ont été replacés dans l'ordre croissant de difficulté des buts.
Tableau 1Moyennes et écarts-types des différentes variables mesurées obtenus pour chaque but assigné
(a) But 5% (b) But 20% (c) But 40%M ET M ET M ET F (2, 48)
Performance en sec.
% d'augm. de la perf.
Expectation
Valence
Difficulté perçue
Effort perçu
28.42bc
9.60%
6.68bc
6.04bc
7.04bc
8.28c
11.70
5.39
1.70
0.89
2.17
2.03
26.60ac
14.76%
5.08ac
7.40ac
9.56ac
8.88c
10.64
7.38
1.41
0.71
2.55
2.20
24.35ab
24.28%
2.76ab
8.28a
13.36ab
11.52ab
9.73
9.99
1.33
0.79
1.50
1.73
20.16*
-
108.18*
39.88*
74.42*
37.62*
Notes : * p <.001. Les lettres situées à côté des moyennes signalent les différences entre les groupes au test post-hoc de Newman-Keuls (seuil p <.05).
Fixation de buts
- 282 -
Quatre vingt dix pour cent des sujets de l'expérience ont atteint le but de 5%, 48% ont
atteint celui de 20%, et aucun n'a atteint le but de 40%. On peut donc considérer le premier but
comme étant "facile", le second "moyen", et le dernier "difficile".
Influence du but assigné sur les différentes variables
Une série d'ANOVAs à un facteur (la difficulté du but) et à mesure répétée a été calculée.
Les résultats de celles-ci, ainsi que les moyennes et les écarts-types des différents groupes sont
visibles dans le tableau 1. Les standards assignés ont eu un effet significatif sur chacune des
variables dépendantes.
En premier lieu on peut constater une influence du but assigné sur la difficulté perçue. Les
sujets ont bien signalé une augmentation de la difficulté, parallèlement à l'augmentation du but
assigné (graphique 1).
6
7
8
9
10
11
12
13
14
but5% but20% but40%
Difficulé perçue
Effort perçu
Graphique 1: évolution de la difficulté et de l'effort perçus, en fonction de la difficulté du butassigné.
En second lieu, on peut apprécier l'augmentation de la performance consécutive à
l'augmentation de la difficulté du but (graphique 2). Ce résultat est conforme à celui de
l'expérience 1 et aux données antérieures sur la fixation de buts (Locke & Latham, 1990), alors
que la difficulté des buts est "égocentrique" (Nicholls, 1989), et la procédure différente. Même
quand le but était inaccessible, la performance continuait à augmenter, à un niveau supérieur à
Fixation de buts
- 283 -
celui atteint avec les autres buts. Cette observation va dans les sens des résultats trouvés par
Weinberg et ses collaborateurs (Weinberg, Bruya, Jackson, & Garland, 1987; Weinberg, Fowler,
Jackson, Bagnall, & Bruya, 1991), qui n'ont constaté aucune détérioration de la performance
quand les sujets étaient assignés à un but inatteignable. Ces auteurs n'avaient néanmoins pas réussi
à constater d'évolution de la performance consécutive à la fixation d'un but de plus en plus
difficile. Ce résultat est imputable, selon nous, à des différences de méthodologie et de tâches
(pour une discussion plus approfondie de ces problèmes, voir Locke, 1991; Weinberg & Weigand,
1993).
p
e
r
f
o
r
m
a
n
c
e
24
24,5
25
25,5
26
26,5
27
27,5
28
28,5
but5% but20% but40%
Graphique 2 : évolution de la performance en fonction de la difficulté du but.
Conformément à notre première hypothèse, le but difficile a conduit à de plus basses
expectations et à une valence plus élevée que le but moyen ou le but facile (graphique 3). D'autre
part, on peut voir sur le graphique 1, une évolution de l'effort perçu a posteriori par les sujets, qui
augmente avec la difficulté du but (bien qu'il n'y ait pas de différence significative au niveau de
l'effort perçu, entre le but facile et le but moyen). Les sujets avaient donc l'impression d'avoir
fourni un effort d'autant plus important que le but était difficile. Ce constat apporte un appui
indirect à notre hypothèse relative à l'existence d'une différence de "force" que revêt, pour les
sujets, chacun des buts. Les fortes expectations et la faible valence associées au but le plus facile
n'ont engendré qu'une force réduite, qui s'est traduit par un effort et une performance limités. Par
Fixation de buts
- 284 -
contraste, les (très) faibles expectations et la valence élevée associées au but le plus difficile ont
suscité une force importante qui s'est traduit par un effort et une performance supérieurs.
2
3
4
5
6
7
8
9
but5% but20% but40%
Expectation
Valence
Graphique 3: évolution de l'expectation et de la valence en fonction de la difficulté du but.
Test du modèle théorique
Tableau 2Corrélations entre les différentes variables
Variables 2 3 4 5 6 7
1. Performance de base
2. But assigné (5, 20, 40)
3. Expectation
4. Valence
5. Difficulté perçue
6. Performance
7. Progrès en pourcentage
.00 -.05
-.76***
.06
.76***
-.66***
-.08
.78***
-.87***
.68***
.93***
.20
-.18
.31***
.22*
-.03
.61***
-.46***
.75***
.48***
.32**
Note: * p <.05, ** p <.01, *** p <.0001
Le tableau 2 présente les corrélations Bravais-Pearson entre les différentes variables du
modèle. Conformément à nos hypothèses, le but assigné est corrélé négativement avec
l'expectation, et positivement avec la valence, la difficulté perçue et le progrès. L'expectation est
corrélée négativement avec la valence et le progrès. La valence est corrélée positivement avec la
Fixation de buts
- 285 -
difficulté perçue, la performance et le progrès. Enfin, la difficulté perçue est corrélée positivement
avec la performance et le progrès.
Des données initiales nous avons extrait une matrice polychorique qui nous a permis
d'éprouver le modèle à l'aide du LISREL 8. Le résultat de l'analyse des pistes causales que nous
avons effectuée est fortement en accord avec le modèle proposé, que ce soit en utilisant la variable
"difficulté perçue": χ2 (3, N = 75), p = .14, GFI = 1.00, AGFI = 1.00, RMR = 0.01, ou la variable
"difficulté du but" (variable ordinale à trois niveaux): χ2 (3, N = 75), p = .36, GFI = .98, AGFI =
.92, RMR = 0.03. Nous avons en outre effectué les mêmes calculs en prenant le "pourcentage
d'évolution de la performance" comme variable finale. Les résultats sont identiques, et les
coefficients de pistes sont encore plus forts.
Difficultéperçue dubut
Expectation
Valence
Performance
Performancede base
ζ (.52)
ζ (.07)
ζ (.24)
− .87
+.44
− .28
+ .05 (ns)
+ .28
+ .92
Figure 2 : coefficient de pistes et variance résiduelle des variables du modèle.
Comme on peut le voir sur la figure 2, la difficulté du but exerce bien une action positive
sur la valence et une action négative sur l'expectation, ce qui est conforme à notre première
hypothèse. On peut également constater l'influence négative qu'exerce l'expectation sur la valence.
Ainsi, plus hautes sont les expectations d'atteindre un but, plus bas est l'intérêt qu'il représente,
quand le sujet est orienté vers la maîtrise; un résultat conforme à notre seconde hypothèse. Enfin,
on peut se rendre compte de l'action prépondérante de la valence sur la performance - quand
l'influence de la performance de base est maintenue constante. Contrairement à ce que nous avions
constaté dans la deuxième expérience, l'expectation n'a ici aucune influence positive directe sur la
Fixation de buts
- 286 -
performance. Elle a trouvé au contraire une influence modératrice indirecte par l'intermédiaire de
la valence. Quand l'expectation est haute, la valence diminue, et si la valence est basse, la
performance faiblit. Ces résultats sont en accord avec notre troisième hypothèse.
Ce modèle global prédit 92% de la variance de la performance finale.
CONCLUSION
Nous avons confirmé dans cette recherche l'influence positive de la difficulté du but sur la
performance, dans un plan d'expérience "intra-sujet". Quand les sujets ont une propension à
rechercher la maîtrise des tâches et le progrès, et qu'ils sont assignés à des buts difficiles (et même
inaccessibles), ils fournissent plus d'effort et progressent davantage que lorsqu'ils sont assignés à
des buts plus faciles. Nous avons également apporté un appui au rôle médiateur de l'expectation et
de la valence du but, qui combinés confèrent une "force" spécifique à chacun des buts.
L'anticipation d'atteindre facilement un but ne permet pas au sujet "orienté vers la maîtrise"
d'espérer éprouver un sentiment de compétence (dans le sens le moins différencié de la
terminologie de Nicholls). Ainsi, malgré l'opportunité perçue de réaliser facilement le but, la force
qu'il représente est moindre car sa valence est faible. A l'opposé, un but perçu comme difficile à
atteindre, constitue une "force" importante parce que le sujet "maîtrise" perçoit à travers lui la
certitude d'éprouver un sentiment de compétence; sentiment qu'il valorise tellement qu'il compense
l'incertitude de réussir le but. En quelque sorte, "l'importance supplée le doute" (Sarrazin et al.,
1995b). En définitive, le postulat de la théorie de la fixation de buts selon lequel les buts les plus
difficiles conduisent à de meilleures performances n'est concevable - dans les termes des théories
VIE - que si le poids de la valence est plus important que celui des expectations. C'est-à-dire, si
elle pondère d'une part les expectations élevées, et si elle majore d'autre part les faibles
expectations. Thill (1993a) le signale: "Comme la probabilité de réussite peut s'avérer faible pour
des buts difficiles, la valeur élevée correspondante pourra compenser le caractère faiblement
stimulant des expectations" (p. 397). Nous ajouterons une condition limite, ce rôle prépondérant
Fixation de buts
- 287 -
de la valence sur les expectations semble ne pouvoir être constaté que si les sujets désirent le
progrès, et la maîtrise. En conformité avec les résultats que nous avons obtenus pour les sujets
Maîtrise-habileté perçue élevée dans l'expérience 2 du chapitre précédent, les sujets de cette
expérience ont fait d'autant plus d'effort que leurs expectations de réussir étaient faibles.
BILAN DES TROIS RECHERCHES
Ces trois recherches ont été inspirées par un grand volume de travaux antérieurs, à la fois
conceptuels et empiriques, dans le domaine industriel et le contexte sportif, sur la fixation de buts.
Plusieurs théories ont constaté un lien important entre l'intention humaine et l'action, et le postulat
fondamental de Locke (1968) selon lequel les buts influencent la performance, n'est à l'heure
actuelle guère remis en cause. La technique de la fixation de buts repose entièrement sur ce
postulat. Développée depuis plus de 25 ans, elle fournit à l'utilisateur potentiel des principes
généraux sur la manière d'augmenter la motivation et la performance. Néanmoins, elle ne parvient
pas à élargir les procédés par lesquels la pratique fonctionne. Elle suggère, par exemple, à
l'entraîneur ou à l'éducateur qu'il suffit de fixer des buts difficiles mais clairement définis, pour
constater des améliorations régulières et inévitables de la performance. Malheureusement, la
réalité n'est pas ainsi faite. Même si la technique insiste sur la nécessité d'accepter le but, pour que
ce dernier conduise au plus haut niveau de performance, elle ne donne aucune indication sur les
raisons qui peuvent pousser un individu à le faire, ni sur les variables médiatrices que l'on peut
trouver entre le but et la performance. Ainsi, un flou théorique demeure sur les motifs qui poussent
un individu à accepter un but assigné, et à être d'autant plus motivé que ce but est difficile. C'est
d'ailleurs ce constat qui incita Hall & Byrne (1988) à conclure: "il incombe aux chercheurs de se
centrer sur la compréhension du pourquoi et du comment la fixation de buts affecte la performance
plutôt que de concevoir davantage d'investigations empiriques pour démontrer ce qu'elle fait" (p.
197).
Nous avons dans un premier temps passé en revue certains travaux qui ont essayé
d'expliquer le phénomène, et mis en évidence les controverses théoriques et les problèmes
Fixation de buts
- 288 -
méthodologiques qui ont émaillé les recherches. Définition des concepts, mesure de ceux-ci, plans
expérimentaux, sont autant d'obstacles qui gênent la compréhension des mécanismes et la
confrontation des résultats. Certains auteurs ont apporté des explications qui nous semblaient
lacunaires. Il en est ainsi par exemple, de la théorie de la médiation cognitive de Garland (1985).
Si cette théorie a le mérite de révéler une augmentation du sentiment d'efficacité personnelle parmi
les sujets qui se sont fixés un but difficile à atteindre, nous avons montré que cette augmentation
était la conséquence de l'évolution de la performance, et qu'elle était de ce fait, étroitement liée à
l'acceptation du but. Cette observation ne permettait pas néanmoins d'expliquer pourquoi les sujets
valorisaient un tel but et essayaient de l'atteindre.
Conformément au cadre théorique que nous avons adopté dans cette thèse, nous pensons
que les théories valence-instrumentalité-expectation sont les plus heuristiques dans la mesure ou
elles permettent d'expliquer les raisons qui poussent un individu à allouer plus ou moins de
ressources énergétiques et temporelles pour atteindre un but, et à obtenir une performance plus ou
moins haute. La théorie de Nicholls (1989) nous a servi de trait d'union entre les postulats de la
théorie de la fixation de buts et les concepts des théories VIE, en précisant la variable
"dynamique" qui agit dans les situations d'accomplissement. Les différences dans les variables
personnelles telle que le besoin d'accomplissement ou l'habileté perçue n'ont reçu que très peu
d'attention de la part des chercheurs. Peut-être parce que le problème de l'acceptation des buts ne
se posait pas ou peu dans les situations industrielles. Locke et al. (1981) concluaient d'ailleurs
dans leur revue de la littérature sur l'influence potentielle de variables qui pouvaient affecter les
effets de la fixation de buts: "la seule chose consistante à propos des études sur les différences
individuelles dans la fixation de buts, c'est leur inconsistance" (p. 142). A l'inverse des situations
industrielles, nous pensons que la construction d'un modèle de fixation de buts dans les contextes
scolaires ou sportifs nécessite de se concentrer sur "l'individu", parce que l'investissement relève
davantage de raisons "intrinsèques" qu' "extrinsèques" (même si les secondes sont loin d'être
totalement absentes). La structure moyen (but fixé) - fin (conséquences attendues) nécessite d'être
particulièrement objectivée dans ces contextes.
Fixation de buts
- 289 -
Les recherches que nous avons conduites ont utilisé une méthodologie et des outils
particuliers que nous avons justifiés à chaque fois. Nos résultats ont prouvé la validité des modèles
VIE pour expliquer le phénomène de la fixation de buts. On comprend mieux à présent comment
la technique fonctionne et quelles sont ses conditions limites d'utilisation. Quand aucun
"renforçateur" extrinsèque n'est présent, l'augmentation de la difficulté du but n'a d'influence
positive que si le sujet perçoit à travers ce but difficile à atteindre, l'occasion d'éprouver un
sentiment accru de compétence; c'est-à-dire, si l'atteinte de ce but lui permet d'espérer gagner en
maîtrise ou en compréhension, et si cette maîtrise accrue est importante pour lui. Quand tel est le
cas, cette anticipation peut conduire le sujet à poursuivre des buts d'une difficulté nettement
supérieure à ses capacités. Dans le cas contraire, il est peu probable que la technique soit efficace.
Cette condition limitative peut aider à comprendre pourquoi la recherche dans le domaine du sport
a fourni des résultats équivoques (Hall & Byrne, 1988; Locke, 1991; Weinberg & Weigand, 1993).
Pour le praticien, elle donne des indications sur les variables contextuelles dans lesquelles doit
être incluse la fixation de buts. Cette technique semble, a priori, peu efficace si le contexte ou le
"climat" (Ames, 1992) dans lequel se situe l'individu est centré sur la comparaison sociale, et
probablement, comme nous l'avons vu dans nos premières expériences, s'il doute de ses capacités.
Si on comprend un peu mieux comment fonctionne la technique, d'autres recherches apparaissent
nécessaires pour spécifier davantage les conditions limites de son utilisation, notamment au niveau
des variables de tâche, de sujet, et de contexte.
Apprendre à se fixer soi-même des buts adaptés (i.e., de maîtrise, et personnels) semble
s'avérer d'une grande utilité dans le domaine scolaire et sportif. Le défi des éducateurs et des
chercheurs est précisément d'objectiver les manières d'y arriver, et les travaux de Burton (1983,
1989) sont sur ce point très prometteurs. Il semble également nécessaire de s'interroger dans le
futur sur le problème de la quantification des buts (Locke et Latham, 1985), c'est-à-dire trouver
une métrique appropriée en fonction des activités sportives, en particulier les sports d'opposition,
ou la performance individuelle est plus difficilement "chiffrable".
Conclusion
- 290-
CONCLUSION
L'origine de cette recherche provient d'une série d'interrogations que nous nous sommes
posés en temps qu'enseignant, dans l'exercice quotidien de notre métier. Pourquoi les élèves ne
sont-ils pas intéressés par les activités ou les tâches que nous leur proposons ? Pourquoi
abandonnent-ils rapidement dès qu'ils sont confrontés à un obstacle, alors que la tâche semble
accessible compte tenu de leurs possibilités ? Plus généralement, par quoi sont-ils motivés ? Et,
comment est-on motivé ?
Pour répondre à ces questions, nous nous sommes penchés sur la littérature - le plus
souvent anglo-saxonne - qui a pris la motivation à l'accomplissement comme objet d'étude. Dans
la variété des approches cognitives à "moyenne portée" qui existe aujourd'hui, nous avons cru
déceler certains éléments communs, certaines convergences conceptuelles. Selon nous, les
avancées les plus importantes pour comprendre le fonctionnement de la motivation sont prédites
par des modèles expectation-valence. Ce paradigme rationnel et déterministe - qui insiste sur les
processus de représentation et de comparaison pré-comportementaux - suggère que trois variables
principales affectent simultanément la motivation d'un individu: (1) la probabilité subjective
d'atteindre un but ou un résultat fixé de l'extérieur ou par l'individu lui-même, (2) l'instrumentalité,
qui représente l'expectation que le but ou le résultat ait une ou plusieurs conséquences (positives
ou négatives) et (3) la valence, qui exprime l'amplitude de l'importance accordée au résultat,
Conclusion
- 291 -
compte tenu de la valeur que représentent les conséquences auxquelles il est censé conduire. En
gros, ces théories postulent que l'engagement dans une action nécessite au préalable,
l'acquiescement à trois interrogations: suis-je capable de réaliser le but, la tâche, le résultat
demandés ? L'obtention de ce résultat déclenche-t-elle de manière quasi certaine une contrepartie ?
L'enjeu présente-t-il un intérêt ou une réelle valeur pour moi ? Trop souvent hélas dans le système
éducatif, une situation acquiert sa valence uniquement par les conséquences extrinsèques qu'elle
permet d'atteindre ou d'éviter (bon point, rémunération, honneur, blâme, punition).
Nous nous sommes, dans cette thèse, uniquement intéressés aux conséquences plus
"intrinsèques". L'utilisation de la "théorie des buts" (Weiner, 1990), ou plutôt ce que nous avons
appelé les "buts motivationnels", nous a permis d'isoler la variable "dynamique" qui oeuvre dans
les situations d'accomplissement - c'est-à-dire les conséquences que cherchent à atteindre ou à
éviter les individus. Selon cette approche, témoigner ou faire preuve d'habileté est l'objectif
majeur des individus dans les contextes d'accomplissement (Ames, 1984; Duda, 1992; Dweck,
1986; Maehr & Braskamp, 1986; Maehr & Nicholls, 1980; Nicholls, 1984, 1989; Roberts, 1992).
Mais l'habileté ou la réussite, n'est pas une donnée uniforme, et il existe deux manières distinctes
de définir subjectivement le succès ou l’échec, et de juger l'habileté manifestée. Dans le premier
cas, les expériences d’apprentissage, de maîtrise et d’amélioration personnelle sont vécues comme
des succès, satisfaisantes en elles-mêmes. On parle de "but motivationnel de maîtrise". Dans le
deuxième cas, l'amélioration ou la maîtrise personnelle n'est pas suffisante pour expérimenter un
succès. Pour cela, l'individu doit faire mieux que les autres, ou aussi bien qu'eux, mais avec moins
d'effort. Chaque fois que l'individu est préoccupé par son positionnement par rapport aux autres,
c'est-à-dire, dès qu'il veut faire mieux que ses pairs, ou dès qu'il veut leur dissimuler ses faiblesses,
on parle de "but motivationnel de compétition". Ces buts motivationnels résultent à la fois d'une
tendance latente (une propension à) - fruit de la pression éducative et culturelle, et d'indices issus
de la situation qui éveillent ou suscitent.
La mise en évidence de ces deux tendances dynamiques confère une autre dimension à
l'étude des comportements. En effet, on émet l'hypothèse d'une singularité des cognitions, des
émotions et des comportements en fonction des priorités (ou conséquences) recherchées. Plus
Conclusion
- 292 -
exactement, on présume que chaque but motivationnel fonctionne avec des "programmes"
différents, s'appuie sur des variables (personnelles et situationnelles) distinctes, est lié à des
croyances, des émotions et de comportements très particuliers.
Quel est l'impact au niveau des croyances et des comportements de tels buts motivationnels ?
Quelles sont les variables personnelles et situationnelles qu'ils accentuent, quels sont les processus
sous-jacents ? Au terme de cet exposé, nous pensons avoir contribué à apporter certaines réponses
à ces interrogations.
Nos principaux résultats peuvent se résumer ainsi:
. Chaque but motivationnel est associé à certaines croyances relatives à la nature et aux
déterminants de l'habileté motrice. Les sujets orientés vers la compétition conçoivent l'habileté
motrice comme quelque chose de plutôt stable, de général (quand on est bon, on est bon quelle que
soit l'activité) et de déterminé par des prédispositions naturelles (un don). Pour les sujets orientés
vers la maîtrise, l'habileté motrice est améliorable, spécifique à une activité, et liée à
l'apprentissage. Nos résultats ont montré également la possibilité d'adhérer à une conception plus
"mixte" quand les sujets sont orientés simultanément vers la maîtrise et la compétition.
. La préférence pour le niveau de difficulté d'une tâche, dépend des opportunités qu'elle
présente de permettre de manifester sa compétence ou d'éviter de faire preuve d'incompétence. Ce
choix est une fonction non seulement du but motivationnel, mais également de certaines
cognitions. Quand le sujet poursuit un but motivationnel de maîtrise, la certitude de réussir une
tâche ne présente aucun intérêt. Il préfère celle qui pourrait lui procurer un sentiment de progrès.
On l'appelle "tâche de défi personnel", c'est-à-dire celle dont la probabilité de réussir est
intermédiaire. Pour le sujet compétition, les calculs sont plus complexes. Pour manifester sa
compétence, il doit faire mieux que les autres ou aussi bien qu'eux mais avec moins d'effort. Les
indices normatifs sont donc requis. Pour ces sujets, le choix dépend d'une disposition endurante:
l'habileté perçue. Pour manifester leur compétence, les sujets à habileté perçue élevée
sélectionnent une difficulté supérieure ou égale à la norme, l'examen de leur probabilité de réussir
Conclusion
- 293 -
semble révéler un souci de réussir avant tout la tâche. Ceux qui ont une faible habileté perçue
rejettent la difficulté normative moyenne pour laquelle ils anticipent un échec, et l'occasion de se
montrer incompétents. Leur préférence se porte sur des difficultés normatives extrêmes, c'est-à-
dire, une tâche facile qu'ils sont sûrs de réussir ou une tâche difficile où l'échec ne signifie pas
obligatoirement un manque d'habileté.
. Dans la logique des résultats précédents, nous avons trouvé que les ressources en temps
et en énergie (l'effort physique) allouées à la tâche différaient en fonction du but motivationnel, de
l'habileté perçue et de la difficulté de la tâche. Les sujets Compétition à habileté perçue élevée
fournissaient plus d'effort (objectivé par une fréquence cardiaque plus importante) et persévéraient
longtemps sur les difficultés normatives moyennes. Par contraste, ceux à faible habileté perçue
allouaient moins de temps et d'énergie sur ce niveau de difficulté. Ils "forçaient" davantage sur les
niveaux inférieurs, là où leurs chances de réussir étaient élevées. Certains d'entre eux fournissaient
également plus d'effort pour une tâche difficile. Les sujets Maîtrise à faible habileté perçue
consentaient le plus d'effort pour la tâche moyenne, celle où ils émettaient des probabilités
intermédiaires de réussir. Les sujets à habileté perçue élevée semblaient, quant à eux, fournir un
effort d'autant plus élevé que la tâche était difficile, et que leurs expectations de réussir
diminuaient.
. Enfin, nous avons trouvé que la performance des sujets Maîtrise augmentait de manière
linéaire à la difficulté du but qui leur était assigné, quand celui-ci était concret, et qu'un feed-back
de performance était apporté.
Les recherches que nous avons conduites, appuient la thèse de Nicholls (1989) selon
laquelle l’orientation et/ou le but de maîtrise favorisent un investissement continu et durable. Par
contraste, quand on assimile la réussite à une supériorité sur les autres, on rend tributaire le
sentiment de compétence, d'une perception favorable de son habileté par rapport à autrui.
Contrairement au but de maîtrise, le sujet est forcé de se prêter à des calculs complexes de
comparaison normative (du niveau d'effort, de l'habileté,...). Ce processus peut entraîner des pis-
Conclusion
- 294 -
aller quand l'habileté perçue est faible: la sélection de difficultés extrêmes, l'adoption de stratégies
de "moindre effort" ou le rejet de la situation.
Ces résultats interpellent l'utilisation de la compétition (au sens de comparaison,
classement, ...) comme ressort pédagogique. Comme Asch l’avait exprimé: "lorsqu’on réfléchit,
on a besoin d’être préoccupé par le problème, et non par son ego" (1952, p. 304). A l'école en
général, et en éducation physique en particulier, la compétition n'a de sens qu'à sa place de jeu;
c'est-à-dire de situation motrice d'opposition posant par là des problèmes particuliers à surmonter.
Mais le jeu perd son sens si son résultat, la victoire, devient une fin en soi. Évidemment, on peut
rétorquer qu'un but motivationnel de compétition, c’est mieux que pas de but (d'accomplissement)
du tout (Spence & Helmreich, 1983).
A la suite de notre travail, il nous semble heuristique d'orienter la recherche sur les
variables situationnelles et contextuelles qui permettent de valoriser un but motivationnel de
maîtrise, et, plus généralement, sur le processus de socialisation des buts d'accomplissement qui
favorise la construction d'une personnalité "orientée vers la maîtrise". "Donnez à l'enfant le désir
d'apprendre" écrivait J.J Rousseau dans l'Émile en 1762, ... "et toute méthode lui sera bonne". Il
est plus que jamais nécessaire de donner aux élèves cette envie d'apprendre, car ils vont devoir le
faire partout et tout au long de leur vie.
Comparé au travail qu'il reste à faire pour parvenir à cette fin, nos expériences ne
constituent qu'un corpus fort limité. Elles apportent néanmoins un éclairage sur certains processus
et certaines variables motivationnelles, et une consistance dans les résultats qui valident - dans un
contexte écologique - les hypothèses avancées par certaines théories socio-cognitives
contemporaines (Nicholls, 1989, en particulier).
D'autres variables auraient pu être intégrées, comme par exemple celles qui amenuisent
l'intérêt intrinsèque de la tâche sans pour autant induire un but de compétition (cf. Boggiano &
Main, 1986; Deci & Ryan, 1985; Lepper & Greene, 1978), ou les affects qui, selon Weiner (1990)
devront marquer la recherche de la prochaine décennie; autant de pistes à exploiter dans nos
travaux futurs.
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ANNEXES
Annexe 1 : Version originale du questionnaire de perception du succès en sport de Roberts, G.C. &Balague, G. (university of Illinois)
Perception Of Success Questionnaire (POSQ)
This is a questionnaire which asks you to express your perception of what success in sportmeans to you. There are no right or wrong answers. We ask you to circle the number that best reflectshow you feel about that question.
THANK YOU FOR YOUR COOPERATION
WHEN PLAYING SPORT, I FEEL MOST SUCCESSFUL WHEN:
Stronglydisagree
Neutral Stronglyagree
Ego :
1. I beat other people 1 2 3 4 5
2. I am clearly superior 1 2 3 4 5
3. I am the best 1 2 3 4 5
4. I out perform my opponents 1 2 3 4 5
5. I win 1 2 3 4 5
6. I show other people I am the best 1 2 3 4 5
Mastery:
7. I reach a goal 1 2 3 4 5
8. I overcome difficulties 1 2 3 4 5
9. I reach personal goals 1 2 3 4 5
10. I perform to the best of my ability 1 2 3 4 5
11. I master something I couldn’t do before 1 2 3 4 5
12. I show clear personal improvement 1 2 3 4 5
Annexe 2 : Version française du Questionnaire de Perception du Succès en Sport (QPSS)
LE QUESTIONNAIRE QUI SUIT EST ANONYME POUR QUE LES RÉPONSES QUE TU APPORTERASSOIENT LES PLUS SINCÈRES POSSIBLES.SEULS TA DATE DE NAISSANCE ET TON SEXE SERONT DEMANDÉS.SI TU N’AS PAS ENVIE D’Y REPONDRE , REND TOUT DE SUITE CE QUESTIONNAIRE .
Avec ces questions, nous essayons de comprendre quand est-ce que tu éprouves unsentiment de réussite en sport. En d’autres termes à quel moment tu es content de toi ensport, parce que tu te sens capable, qualifié, ou compétent.
Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses ; il faut simplement donner ton avis àchaque affirmation, sans faire aucun commentaire. Commence par lire quelques affirmationsavant de répondre. Ensuite entoure un seul chiffre parmi les 5 qui te sont proposés, à chaqueaffirmation.
ATTENTION: répondre que l’on est fortement d’accord avec une affirmation, revientà dire que l’on recherche fréquemment en sport, le comportement ou le résultat enquestion.
pas du tout ni oui tout à faitd’accord ni non d’accord
1- J’éprouve un fort sentiment de réussite en sport quand: je bats les autres. 1 2 3 4 5
2- J’éprouve un fort sentiment de réussite en sport quand: j’arrive pour la première fois à maîtriser une technique qui constituait une difficulté pour moi
1 2 3 4 5
3- J’éprouve un fort sentiment de réussite en sport quand: je suis le plus fort.
1 2 3 4 5
4- J’éprouve un fort sentiment de réussite en sport quand: je m’améliore.
1 2 3 4 5
5- J’éprouve un fort sentiment de réussite en sport quand: je gagne
1 2 3 4 5
6- J’éprouve un fort sentiment de réussite en sport quand: je surmonte mes difficultés.
1 2 3 4 5
7- J’éprouve un fort sentiment de réussite en sport quand: je suis nettement le meilleur de tous.
1 2 3 4 5
8- J’éprouve un fort sentiment de réussite en sport quand: je progresse après avoir fait de gros efforts. 1 2 3 4 5
9- J’éprouve un fort sentiment de réussite en sport quand: je montre que je suis meilleur que les autres.
1 2 3 4 5
10 - J’éprouve un fort sentiment de réussite en sport quand: j’arrive à faire la technique ou le mouvement que je m’étais promis de réussir
1 2 3 4 5
11- J’éprouve un fort sentiment de réussite en sport quand: je domine mes adversaires.
1 2 3 4 5
12- J’éprouve un fort sentiment de réussite en sport quand: j’utilise au mieux mes possibilités.
1 2 3 4 5
Annexe 3 : Questionnaire d’Habileté Perçue Spécifique à l’escalade
Ce questionnaire concerne uniquement L’ESCALADE. Entoure pour chaque question le chiffre qui se rapproche le plus de ce que tu ressens. Je te rappelle qu’il n’y apas de mauvaise réponse, que ce n’est pas noté et que le questionnaire est anonyme; donne donc ton avis en étant le plus sincère possible pour chaque question.
1- Quand tu fais de l’escalade, tu te sens le plus souvent:Très mauvais Médiocre Moyen Bon Très bon
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
2- Quand tu fais de l’escalade, combien de voies différentes es-tu capable de réaliser:Très peu quelques unes plusieurs beaucoup Énormément
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
3- Quand tu fais de l’escalade et que tu es confronté à une nouvelle voie, parviens-tu le plus souvent à la grimper:oui
presqueimmédiatement
ouiavec peu derépétitions
ouiaprès quelques
répétitions
pas toujours, mêmeaprès un grand
nombre de répétitions
Non le plus souvent,ou alors trèsdifficilement
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
4- Quand tu fais de l’escalade, es-tu capable de réussir la plupart des voies:
rarement quelques fois régulièrement souventpresquetoujours
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
5- Quand tu fais de l’escalade, quel niveau de difficulté es-tu capable de maîtriser (surmonter):très difficile difficile moyen facile très facile
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
6- Quand tu fais de l’escalade et que tu es confronté à un problème (un obstacle dans ta progression), parviens tu, le plus souvent, à le surmonter:non le plus souvent ,
même en faisanténormément d’effort
pas toujours, mêmeen faisant beaucoup
d’effort
ouien forçant
moyennement
ouisans forcervraiment
oui, avec unegrande aisance(très peu d’effort)
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
7- Quand tu fais de l’escalade et que tu te compares à la plupart des camarades de ton âge, tu te sens:très bon bon moyen médiocre très mauvais
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
Annexe 4: Questionnaire des Croyances relatives à la Nature de l'Habileté Motrice (QCNHM)
Dans ce questionnaire, nous cherchons à savoir ce que pensent les élèves de la réussite sportive. En particulier, àquoi elle est dûe, et comment expliquer que quelqu’un est bon ou mauvais dans ce domaine.Donne ton opinion sur les affirmations suivantes en étant le plus sincère possible. Il n’y a pas de bonnes ou demauvaises reponses, donne juste ton opinion sur chaque affirmation, sans commentaire. Commence par lirequelques affirmations avant de répondre.
Pas du tout Ni oui Tout à fait d'accord ni non d'accord
1- On a un certain niveau en sport, et on ne peutvraiment pas faire grand chose pour changer ce niveau. 1 2 3 4 5
2- Pour réussir en sport, “il faut avoir ça dans la peau”,il faut avoir des “prédispositions naturelles”.
1 2 3 4 5
3- Pour réussir en sport, il faut apprendre destechniques, des mouvements, (des stratégies...), et lesrépéter de nombreuses fois.
1 2 3 4 5
4- Quand on est bon en sport, on réussit dans toutes lesactivités, même si elles sont très différentes (athlétisme,gymnastique, sports collectifs, natation, tennis,escalade...).
1 2 3 4 5
5- Même si l’on fait des efforts, le niveau que l’on a ensport CHANGERA PEU.
1 2 3 4 5
6- Une même personne peut avoir un bon niveau dans unsport, et ne pas réussir dans d’autres sports.
1 2 3 4 5
7- Il faut posséder certains “dons” (qui permettent deréussir tout de suite et sans trop forcer) pour être bon ensport.
1 2 3 4 5
8- Il faut apprendre et beaucoup travailler pour être bonen sport.
1 2 3 4 5
9- En sport, si on travaille longtemps et souvent onprogresse FORCEMENT .
1 2 3 4 5
10- En principe quand on est bon dans un sport, on estbon dans presque tous les autres sports (même s’ils ne seressemblent pas).
1 2 3 4 5
11- Le niveau que l’on a en sport est quelque chose quel’on peut difficilement faire évoluer.
1 2 3 4 5
12- Pour être bon en sport, il faut posséder à sanaîssance les qualités de base qui permettent de réussirdans ce domaine.
1 2 3 4 5
13 - Pour avoir un bon niveau en sport, il faut passer parune (ou des) période(s) d’apprentissage etd’entraînement.
1 2 3 4 5
14- Il n’est pas rare qu’une personne en réussite (bonne)dans une activité sportive, connaisse des difficultés dansd’autres activités sportives.
1 2 3 4 5
15- Le niveau que l’on a en sport vaOBLIGATOIREMENT s’améliorer par le travail.
1 2 3 4 5
16- Quelqu’un de bon en sport, réussit dans n’importequelle activité sportive.
1 2 3 4 5
17- Il est assez difficile de changer le niveau que l’on aatteint en sport.
1 2 3 4 5
18- Pour être bon en sport, il faut être “doué”naturellement.
1 2 3 4 5
19- On peut très bien être bon dans un sport, et avoir desdifficultés avec d’autres sports.
1 2 3 4 5
20- Si l’on s’en donne les moyen (si on fournit desefforts), le niveau que l’on a en sport va FORCEMENTs’améliorer .
1 2 3 4 5
21- C’est par l’apprentissage et/ou le travail que l’onpeut réussir et avoir un bon niveau en sport.
1 2 3 4 5
RÉSUMÉ
Motivation à l'accomplissement dans les activités motrices: mise en évidence deprocessus et variables affectant les croyances relatives à la nature de l'habileté motrice,le choix d'une difficulté, l'effort fourni et la performance.
Ce travail a pour objectif de mettre en évidence certaines variables et processus qui affectent lamotivation à l'accomplissement, dans les activités motrices. Il s'appuie sur des données issues duparadigme expectation-valence (Vroom, 1964), et des théories socio-cognitives contemporaines surles buts (Nicholls, 1989). La première partie présente les concepts et théories de la motivation engénérale, et de la motivation à l'accomplissement en particulier. Les notions d'expectation, de valenceet de motivation à l'accomplissement y sont particulièrement développées. La deuxième est unapprofondissement théorique des deux variables indépendantes principales (l'orientationmotivationnelle vers la "maîtrise" et vers la "compétition", et l'habileté perçue en escalade), assorti dela validation d'outils destinés à les mesurer. La troisième partie propose 1 étude et 7 expérimentationsregroupées selon 4 thèmes: les croyances relatives à la nature de l'habileté motrice, le choix d'unniveau de difficulté de la tâche, l'effort et la persévérance dans la tâche, et la performance. Dans cequ'ils ont d'essentiel, nos résultats montrent qu'avec un but de compétition, la motivation est tributaired'une perception favorable de son habileté par rapport à autrui. Ce processus peut entraîner des pis-aller quand l'habileté perçue est faible: la sélection de difficultés extrêmes, l'adoption de stratégies de"moindre effort" ou le rejet de la situation. Par contraste, quelle que soit l'habileté perçue, un but demaîtrise entraîne la sélection d'une tâche de défi personnel, et un investissement important et durable,particulièrement pour ce type de difficulté. La consistance des résultats valide - dans un contexteécologique et avec une tâche motrice d'escalade - les hypothèses avancées par certaines théoriessocio-cognitives contemporaines, celles de Nicholls (1989) en particulier, et consacre la valeur duparadigme expectation-valence pour expliquer le fonctionnement de la motivation humaine.
ABSTRACT
Achievement motivation in sport and exercise activities: presentation of processes andvariables affecting conceptions of the nature of sport ability, choice of difficulty,supplied effort, and performance.
The purpose of this thesis is to illustrate certain variables and processes affecting achievementmotivation, in sport and physical exercise. It is supported by data stemming from expectation-valenceparadigm (Vroom, 1964), and contemporary socio-cognitive theories on goals (Nicholls, 1989). Thefirst part introduces concepts and theories of motivation in general, and of achievement motivation inparticular. Notions of expectation, valence and achievement motivation especially developed. Thesecond part presents a theorical deepening of the two main independant variables ("mastery" and"competitive" goal perspectives, and perceived ability in climbing), and the validation of instrumentsintended to measure them. The third part is composed of 1 study and 7 experiments classifiedaccording to 4 themes: conceptions of the nature of sport ability, choice of a difficulty-level of thetask, effort and persistence in the task, and performance. Our results show essentially that whencompetition is the goal, motivation depends on a good perception of one's ability in comparison withothers. This process can bring second-best results when perceived ability is low: choosing extremedifficulties, adopting "slightest effort" strategies or rejecting the situation. On the other hand,whatever the perceived ability, a mastery goal leads to the choice of a personal challenge task, and agreat and sustained involvement, especially for this type of difficulty. The consistency of the results -in an ecological context and with a climbing task - supports the hypothesis presented by somecontemporary socio-cognitive theories, in particular, Nicholls' one (1989), and establishes the value ofthe expectation-valence paradigm to explain how human motivation works.