Monsieur Édouard Philippe Premier ministre Hôtel Matignon...

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MonsieurÉdouardPhilippePremierministreHôtelMatignon

57ruedeVarenne75700ParisSP07

Paris,le3mai2018

Objet:Transpositiondeladirective(UE)2016/343du9mars2016-RECOMMANDEA.RMonsieurlePremierministre,LeSyndicatdesavocatsdeFranceaétéalerté,notammentparsesmembres,d'unesituationinacceptablequantauxboxinstallésdanslessallesd'audiencepénale.Un grand nombre d'avocats a découvert, à la rentrée des vacances judiciaires 2017, la mise en place dans denombreusesjuridictionsdecagesdeverrequiontétéinstalléesaucoursdel'été.Cestravauxontétéopéréssansquelesreprésentantsdelaprofessionaientétéinformés,tantauplanlocalquenational,pasplusquelesorganisationssyndicales.Ainsi,àEvry,Meaux,Nanterre,Créteil,Melun,Bobigny...ilaétédécouvertdesenclosdeverreencadrantlesboxdessallesd'audience.Unedécisionaétéprisepourgénéraliserlamiseenplaced'enceintesvitrées,semblet-ilauvisadel’article5.1.3.2.6Le box sécurisé des salles d'audience de la directive nationale de sécurité des activités judiciaires, politiqueministérielle dedéfenseet de sécurité, approuvéepar arrêtédu18 août 2016portant approbationde la politiqueministériellededéfenseetdesécuritépubliéaubulletinofficielduministèrede la justice,BOMJn°2016-08du31août2016.Unrecoursenannulationcontreladécisionimplicitederefusd’abrogationdelacirculaireprécitéeestactuellementpendantdevantleConseild’Etat.Uneactionen responsabilitépour faute lourdedu servicepublicde la Justiceaégalementété introduitedevant letribunaldegrandeinstancedeParis(TGIParis,1èrechambre,SyndicatdesavocatsdeFranceetautresc/MinistredelaJustice,12/2/2018,n°17/15785).LeDéfenseur des droits, dans son avis du 18 avril 2018, recommande à laministre de la Justice et auministre del’Intérieurd’abrogerlesdispositionsréglementairesenvigueurquiprévoientl’installationgénéraliséedeboxsécurisésdanslessallesd’audience.Commeleconstateàjustetitre,leDéfenseurdesdroits,l’actueldispositifdesboxsécurisésdanslessallesd’audienceconstitue

- unerestrictionauxdroitsdeladéfense:qualitédeséchanges,confidentialité,transmissiondesdocuments,accèsdespersonnesàmobilitéréduite;

- uneatteinteàlaprésomptiond’innocence;- etcontrevientaudroitdel’Unioneuropéenne.

Eneffet,ils’avèrequelaFrancedevaittransposerladirective(UE)2016/343duParlementeuropéenetduConseildu9mars 2016, portant renforcement de certains aspects de la présomptiond'innocence et dudroit d'assister à sonprocèsdanslecadredesprocédurespénales,publiéeauJournalofficieldel'Unioneuropéennedu11mars2016.Le Syndicat des avocats de France entend vous saisir, conformément à vos attributions constitutionnelles, d’unedemandepréalabletendantàlatranspositiondeladirective(UE)2016/343du9mars2016portantrenforcementdecertains aspects de la présomption d'innocence et du droit d'assister à son procès dans le cadre des procédurespénale.

SyndicatdesavocatsdeFrance–34rueSaint-Lazare,75009,Pariswww.lesaf.org-tél.:01.42.82.01.26

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L'article14de ladirectivesur le titre«Transposition»mentionne que«LesEtatsmembresmettentenvigueur lesdispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directiveauplustardle1eravril2018.IlsinformentimmédiatementlaCommission.»A ladatedesprésentes, le siteEURLEXde laCommissioneuropéenne indiqueque laFrancea transmis, le18août2017, lesdispositions législatives, réglementairesetadministrativesnécessairesvisantàseconformerà laprésentedirective.Ils’agitnotammentsesdispositionsdu

- codedesdouanes(articles65et413bis),- codepénal(articles226-13etArticleR.642-1),- codecivil(article9-1),- codedeprocédurepénale,sansplusdeprécision.- ainsiquel’article9delaDéclarationdesdroitsdel’Hommeetducitoyende1789.

Or, ces dispositions sont de portée générale,mais surtout, sont dépourvues de tout lien avec les exigences de ladirectiveetnepeuventêtreappréhendéescommeun instrumentde transpositionausensdudroitde l’article288alinéa2duTraitésurlefonctionnementdel’Unioneuropéenne.Ainsi, l'article 5 de la directive précitée, sous le titre «Présentation des suspects et des personnes poursuivies»prévoitque:

1. Les Étatsmembres prennent lesmesures appropriées pour veiller à ce que les suspects et les personnespoursuiviesnesoientpasprésentés,àl'audienceouenpublic,commeétantcoupablesparlerecoursàdesmesuresdecontraintephysique.

2. Le paragraphe 1 n'empêche pas les Etats membres d'appliquer les mesures de contrainte physique quis'avèrent nécessaires pour des raisons liées au cas d'espèce relatives à la sécurité ou à la nécessitéd'empêcherlessuspectsoulespersonnespoursuiviesdeprendreoud'entrerencontactsavecdestiers.»

Le point 1 de l'article 5 pose le principe et le point 2 prévoit une dérogation «au cas d'espèce» concernantl’utilisationdesmesuresdecontraintephysique.Leconsidérant20quiéclairel'article5prévoitque«(20)Lesautoritéscompétentesdevraients'abstenirdeprésenterles suspects ou les personnes poursuivies comme étant coupables, à l'audience ou en public, par le recours à desmesuresdecontraintephysique,tellesquemenottes,boxesvitrés,cagesetentravesdemétal,àmoinsquelerecoursàde tellesmesuresnesoitnécessairepourdes raisons liées au cas d'espèce relatives soit à la sécurité, notammentpourempêcherlessuspectsoulespersonnespoursuiviesdenuireàeux-mêmesouàautruioud'endommagertoutbien, soit à la nécessité d'empêcher les suspects ou les personnes poursuivies de prendre la fuite ou d'entrer enrelationavecdestiers,commedestémoinsoudesvictimes(…).Or,ilestpatentqu’aucunetranspositiondecesdispositionsdeladirectiven’aétéréaliséeendroitinternes’agissantplusparticulièrementduplacementdesdétenus,prévenusouaccusésdansundispositifd’encagementvitréset/oumétalliqueslorsdeleurprésentationàl’audience.LeConseilconstitutionneldanssadécisiondu10juin2004,Loisurlaconfiancedansl’économienumérique(n°2004-496 DC) a jugé qu’en vertu de l’article 88-1 de la Constitution, « la transposition en droit interne d’une directivecommunautairerésulted’uneexigenceconstitutionnelle».LeConseild’Etatafaitsienceraisonnementàlafaveurdel’arrêtd’Assembléedu8février2007,SociétéArcelorAtlantiqueetLorraineetautres,n°287110.Ainsiilvousincombe,conformémentàcetteexigenceconstitutionnelle,dedonnerunepleineeffectivitéaudroitdel’Unionconformémentauxprincipesd’effetdirect,deprimauté,d’unitéetd’effectivitédégagéparlaCourdejustice(CJCE,VanGendenLoos,5février1963,aff.26/62,Costac/ENEL,aff.6/64CJCE,15juillet1964,Costac/ENEL,aff.6/64etCJCE,9mars1978,Simmenthal,aff.106/77).Lerespectdecetteexigencesupposel’adoptiondenormesnationalesencadrantleplacementetlaprésentationdesindividusdansdesdispositifsd’encadrementlorsdesaudiences.En l’absencede tellesnormes, la Franceméconnait lesdispositionsde l’article5de ladirectiveainsique lesdroitsfondamentauxgarantisparlesarticles47,deuxièmealinéa,et48,paragraphe1,delaChartedesdroitsfondamentauxdel’Unioneuropéenne.Parailleurs,laCoureuropéennedesdroitsdel’Hommeadéjàjugéquelefaitdeplacerunepersonnedansunecagemétallique dans une salle d'audience, constituait en soi - compte tenu de son caractère objectivement dégradant,incompatible avec les normes de comportement civilisé qui caractérisent une société démocratique -un affront àdignité humaine et constituait un traitement dégradant contraire à l'article 3 de la Convention. (Svinarenko etSlyadnev c. Russie [GC], 17/7/2014, nos 32541/08 et 43441/08, § 127, Yaroslav Belousov c. Russie, 4/10/2016 nos2653/13and60980/14,§122,Karachentsevc/Russie17/04/2018,no23229/11,§49)

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S'agissant des box vitrés, si la Cour considère que les cabines en verre ne présentent pas l'aspect brutal des cagesmétalliques,elleretienttoutefoisquelaseuleexpositionauxyeuxdupublicétantsusceptibledeporteratteinteàl'image des accusés et de susciter en eux des sentiments d'humiliation, d'impuissance, de peur, d'angoisse etd’infériorité, ce traitementaatteint leminimumdegravité requispour tomber sous le coupde l’article3 (YaroslavBelousovc.Russie,4/10/2016nos2653/13and60980/14,§124)De même, le 21 avril 2005 dans le cadre de l’examen de la communication n°1405/2005 présentée par MikhailPustovoit contre l’Ukraine, le Comité des droits de l’Homme des Nations-Unies a adopté des constatations selonlesquellesl’enfermementdeM.Pustovoitdansunecageaucoursdesonprocèspublic(…)avaitviolél’article7duPacte international relatifauxdroits civilsetpolitiquesconsidéréisolément,àraisondutraitementdégradantsubiparlui,etconjointementavecl’article14§1dupacte,àraisondutraitementdégradantquiacompromisl’équitédesonprocès.(CDH21avril2005,Pustovoitc.Ukraine,CPR/C/110/D/1405/2005,paragraphes9.3et10)Etencore,danssonobservationgénéralen°32relativeàl’article14duPactesurledroitàl’égalitédevantlestribunauxet les cours de justice et à un procès équitable, le Comité des droits de l’Homme rappelle au point 30 que « lesdéfendeurs ne devraient pas normalement être entravés ou enfermés dans des cages pendant les audiences, niprésentésautribunald’unemanièrelaissantpenserqu’ilspeuventêtredescriminelsdangereux».Outre la méconnaissance de l’article 5, il y a lieu de constater qu’aucune voie de recours en droit interne n’estdisponibleetaccessibleauxindividus,afindecontesteraupréalableleurplacementetprésentationdansundispositifd’encadrementlorsdesaudiences.Or,l’article10deladirectiveprécitée,sousletitre«Voiesderecours»prévoitque:

1.LesÉtatsmembresveillentàcequelessuspectsetlespersonnespoursuiviesdisposentd'unevoiederecourseffectiveencasdeviolationdesdroitsprévusautitredelaprésentedirective.2.Sanspréjudicedesdispositifsetrégimesnationauxconcernantl'admissibilitédespreuves,lesÉtatsmembresveillentàceque lesdroitsde ladéfenseet l'équitéde laprocéduresoientrespectés lorsde l'appréciationdesdéclarations faites par des suspects ou des personnes poursuivies ou des éléments de preuve obtenus enviolationdudroitdegarderlesilenceoududroitdenepass'incriminersoi-même.

Denouveau,laviolationdeladirectiveestmanifeste.Cetteabsencede transpositionde ladirectiveest susceptibled’engager la responsabilitéde lapuissancepubliquenationalepourviolationdudroitdel’Unioneuropéenne(CJCEFrancovich,19novembre1991,aff.C-6/90,CJCE,5mars1996, Brasserie du Pêcheur S.A. (aff. C-46/93 et C-48/93) et ce «quel que soit l'organe étatique dont l'action oul'omissionaétélacause»dupréjudice.LaCourdeJusticeconsidèrequesiledroitnationalnecomprendpasdeprocédurepermettantlamiseenœuvredudroit de l’Union européenne, il revient aux autorités étatiques de la créer (CJCE, 19 juin 1990, Factortame, aff. C-213/89).Comptetenude la transposition imparfaitede ladirective (UE)2016/343du9mars2016relativeà laprésomptiond'innocence,nousvoussaurionsgrédebienvouloirprocéderà

- l’adoptiondedispositions législatives,réglementairesetadministrativesnécessairespourseconformerà laprésentedirective,notammentsur lamiseenœuvrede l’article5de ladirective,afinquedesmesuresdecontrainte physique, telles que menottes, boxes vitrés, cages et entraves de métal ne soient utilisées àl’encontre des suspects et les personnes poursuivies à l'audience ou en public, que dans les cas limitatifsénoncésparladirective,

- l’adoption de voie de recours en droit interne, afin que le recours éventuel aux mesures de contraintephysique puisse l’objet d’une contestation préalable devant l’autorité judiciaire avant leur utilisation àl’encontredessuspectsetdespersonnespoursuiviesàl'audienceouenpublic,

Jevouspriedecroire,MonsieurlePremierministre,enl’expressiondematrèshauteconsidération.

LaurenceRoquesPrésidenteduSAF

CopieàmadameNicoleBelloubet,gardedesSceaux,ministredelaJustice