Post on 24-Jan-2016
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Master Recherche Sciences-PoSociétés et politiques comparées
Sociologie généraleSéance 4 :
Générations, États-providence et régimes générationnels
Louis Chauvel – Alain Chenulouis.chauvel@sciences-po.fr alain.chenu@sciences-po.fr
http://louis.chauvel.free.fr
Sciences-Po Paris
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Plan de cette séance :
La fabrique des générations (retour à la séance précédente)=> le lien entre l’individu et la société (la socialisation)
La socialisation : un compendium des connaissances
Esping-Andersen et la comparaison internationale : les bases de ce qu’il faut savoir
Socialisation et génération dans un contexte international
Une lecture alternative du lien générations/socialisation :Le modèle de Inglehart
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Définitions de la socialisation
Socialisation : une des notions les plus anciennes, diffuses et complexes de la sociologie
Origines du mot :
Vergesellschaftung (Hegel, Marx) => socialisation de la propriété individuelle
Vergesellschaftung (Simmel) => notion centrale de la sociologie simmelienne
Parenthèse simmelienne : La notion de Vergesellschaftung chez Simmel
Pour Simmel, la société n’existe pas en soiElle n’est pas non plus la simple somme d’individus
=> Elle résulte de la polarisation/généralisation des interactions interindividuelles dans le même sens
Exemple de la pauvreté : non pas le manque, mais le fait de recevoir une aide (ou devoir recevoir)
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Définitions de la socialisation
« Socialisation » = action de rendre collectif ce qui à la source ne l’est pas
Traductions américaines de Simmel (1896-1898) => contresens de « socialization »
reprises en Français, puis en Allemand (« Sozialisierung »)Et changement de sens considérable
Définition « Moderne » (= à la Durkheim) de la socialisation
Processus par lequel la société assujettit ses nouveaux membres dans le but de les intégrer, en leur transmettant / imposant valeurs, culture,
référents, normes, rôles spécifiques
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Définitions de la socialisation
La socialisation comme façonnage social de l’individu : métaphore de la « cire molle »
« l'éducation consiste en une socialisation méthodique de la jeune génération ». (« L'éducation, sa nature et son rôle », Durkheim, 1922 [1911])
« On voit par ces quelques exemples à quoi se réduirait l'homme, si l'on en retirait tout ce qu'il tient de la société : il tomberait au rang de l'animal. »
Il met en jeu les institutions de la socialisation :
Famille, école, processus éducatifs et mondes professionnels sont des lieux centraux de la socialisation, selon des orientations et en fonction d’objectifs
distincts.
Enjeu apparemment subjectif (valeurs, rôles, savoirs représentations),
les conditions objectives sont aussi importantes (socialisation professionnelle)
=> A la fois transmission et reproduction.
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Le conflit autour de la notion de socialisation
Les deux traditions :
1- Celle qui insiste le plus sur la force du social comme institution de régulation des individus (Holisme)
Le premier travail à avoir critiqué cette approche : Wrong, D.H., 1961, « The Oversocialized Conception of Man in Modern Sociology », American Sociological Review, v.26, pp.183-93
2- Celle qui insiste plus sur la capacité des acteurs à critiquer les apprentissages qu’ils subissent et faire preuve de distanciation (individualisme, sociologie du « sujet »)La difficulté est alors celle-ci : la distanciation pure peut-elle exister sans référent ?
(chercher une troisième voie : retour à Simmel, ou à Mannheim ?)
Individualisme
Distanciation
Individu critique, sujet
(Wrong, Boudon, Dubet, sociologie “post-moderne” et du “sujet”)
Holisme
Intériorisation
Individu comme cire molle
(Durkheim, Parsons, sociologie « moderne »)
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“sociology of social class” “sociology of
the individual”
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Les théories de la socialisation et générations sociales
Contradiction entre le changement social « moyen » et l’apparition de générations sociales spécifiques.
Solution/constat de Karl Mannheim
Les « situations de générations » (Generationenlage) sont susceptibles de produire du collectif : à la fois conditions objectives d’existence, prise de conscience de ces
conditions, et référents symboliques spécifiques « Zeitgeist » et « Generationengeist »
Comment les référents symboliques se fabriquent-ils ? Pourquoi les « nouvelles générations » sont-elles plus concernées ?
« la première chose qui frappe, quand on envisage une unité de génération définie, c’est l’affinité profonde des contenus qui
remplissent la conscience de chacun.
Les contenus — du point de vue sociologique — ont de l’importance, non seulement à
cause de leur signification, mais parce qu’ils font d’individus isolés un groupe, parce qu’ils ont un effet de « socialisation ».
„Das Erste, was auffallt, wenn man eine bestimmte Generationseinheit ins Auge fasst, ist die weitgehende Verwandtschaft der Gehalte, die das Bewusstsein des einzelnen erfüllen.
Gehalte haben – soziologisch gesehen – Bedeutsamkeit, nicht nur durch die in ihnen enthaltenen und erfassten Inhalte, sondern durch das Faktum, dass sie die Einzelnen zur Gruppe verbinden, „sozialisierend“ wirken.“
(K. Mannheim, Das Problem des Generationen, 1928)
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Gosta Esping-Andersen (Danois, né en 1947)
Professeur à Universitat Pompeu Fabra (Barcelone).
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Constats historiques :
–Des besoins et aspects importants de l’existence sociale (éducation, garde des enfants, santé, retraites, etc.) sont difficilement couverts par le marché
–Tous les pays ont développé des formes plus ou moins abouties de fourniture hors marché (démarchandisation de l’accès aux biens et services)
=> Etat-providence comme lieu de distribution du bien-être
Gøsta Esping-Andersen et la typologie des États-providence
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Libéral (résiduel)
Conservateur (corporatiste)
Méditerranéen (clientéliste)
Social-démocrate (universaliste)
Modèle de démarchandisation
Théorie : Etat minimaliste, laisser-
faire, Prestations minimales,
assistance aux plus pauvres (bons pauvres et pb d’incitations),
Aides sous conditions de
ressources
Démarchandisation pour maintenir ordre
traditionnel Prestations fondées
sur profession (salariat, cotisation)
Maintien des revenus, faible
redistributions des revenus
Système mixte, fondé sur les
appartenances locales, et
l’interconnaissance, protection
intermédiaire, très inégale, secteur
salarié stable protégé et secteur de petites entreprises privées développé souvent
informel
Fondé sur socialisme Droits maximaux, droits fortement
institutionnalisés, universels, fondés
sur l’impôt, liés à la citoyenneté, haut
niveau de protection sociale et fortes redistributions
Forme du système de stratification sociale
Marché et individualisme
compétitif-concurrentiel : fortes
inégalités et dualisation
(stigmatisations des pauvres)
Origine : politique de classe, pour
stabiliser l’aristocratie
ouvrière, loyauté / Etat
=>corporations stabilisées
Stratification traditionnelle,
salariat inégalitaire et larges marges de
sans emploi
Egalité de statut de tous les citoyens
Articulation entre Marché, famille, Etat
dans les redistributions (ici : retraites)
Secteur privé dominant, services
sociaux limités Retraites :
capitalisation
Capitalisation faible, sécurité sociale
statuaire, famille patriarcale
Forte régulation familiale
intergénérationnelle, interconnaissance
locale, réseaux
Retraite : droits garantis à l’ensemble
de la population Fort emploi public et des services sociaux
Pays ? Australie, Canada, Etats-Unis, UK
Autriche, Allemagne,
Belgique, France
Italie, Espagne Suède, Finlande, Danemark, Norvège,
Pays-Bas ( ???)
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Résiduel Conservateur Social-démo.
Etat - - + + +
Marché + + (+/-)? - -
"Société civile" (+/-) ? + (-)?
Pays US UK NZ Allemagne Suède
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Comparaison internationale des dynamiques générationnelles
Spécificité française des changements générationnels ?
Deux facteurs importants :
Facteur conjoncturel ou historique : Position / cycles de Kondratiev et Juglar(US, Europe Nord, Europe Sud, Japon, Taiwan, RP Chine…)
Facteur structurel ou institutionnel : Spécificité de la représentation des travailleurs, organisation du marché du travail, du système de négociation collective, institutionnelle (cf. Esping-Andersen)
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Trois modèles d’Etat-providence :
Modèle « conservateur » (Europe continentale) : Préservation des grands équilibres, dans un système contributif « assurantiel » susceptible d’exclure les outsiders (femmes, jeunes, immigrés,…), qui font face au chômage de masse
Modèle « libéral » (monde anglo-saxon) : Marché comme référence centrale, Etat-providence résiduel (pallier accidents du marché)HLintra : inégalités économiques intracohortes plus fortes, en particulier en cas de concurrence renforcée des travailleurs moins qualifiés HLinter : mise en concurrence des générations = moindres inégalités intercohortes
Modèle « Social-démocrate » (Europe nordique) : Citoyenneté et progrès égalitaire comme référence centrale, compromis politique entre groupes sociaux (genres, générations, etc.) pour parvenir à un développement de long terme HDintra : inégalités intracohortes plus faibles HDinter : compromis entre générations = inégalités intercohortes résiduelles
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Modèle « libéral » américain :
-Dans les années soixante : édification d’un Etat-providence égalitaire développé, remis en cause depuis (voir P.Krugman NYT, http://www.cs.rpi.edu/~ingallsr/20INEQUALITY.html) -Investissements scolaires et universitaires massifs dans les années soixante, puis déclin, jusqu’en 1992 : cohortes nées entre 1955 et 1970 moins éduquées-Réduction massive des droits sociaux redistributifs pour les générations nouvelles
=> fracture générationnelle repérable, en moyenne (HLinter pas clairement vérifiée)
-Au sein des nouvelles générations, les plus diplômés connaissent un niveau de vie historiquement inédit -Jeunes pauvres encore plus pauvres
=> croissance massive des inégalités intracohortes (HLintra vraie)
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Modèle « Social-démocrate » suédois :
-Expansion massive de l’Etat-providence dans les années soixante, avec de beaux restes
-Développement maintenu et intégration des nouvelles générations dans ce modèle et progrès égalitaire comme référence centrale, compromis politique entre groupes sociaux (genres, générations, etc.) pour parvenir à un équilibre
-Objectif de réformes négociées respectueuses d’une cible de long terme partagée
Inégalités intracohortes plus faibles (HDintra vérifiée) Compromis entre générations = inégalités intercohortes très résiduelles (HDinter : +- vérifiée)
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Variations internationales : pays (post-)industrialisés et pays émergents
Spécificité française des changements générationnels très relative (les « pays industrialisés » européens face à à la croissance ralentie)
Adaptabilité des différents pays aux chocs économiques
Trois grands modèles d’évolution :
• Europe continentale/latine (+ Japon) : protection des insiders contre les outsiders (déclin moyen pour les nouveaux entrants : fortes inégalités intercohortes, et faible croissance des inégalités intra-)
• Etats-Unis : concurrence de l’ensemble des travailleurs, à l’avantage des plus hauts diplômes (croissance massive des inégalités intra-cohorte pour les nouvelles générations)
• Europe Nordique : tentative de maintien d’un système universaliste (faibles inégalités intercohortes plus difficiles à supporter pour les jeunes les plus diplômés)
Pays émergents :
• dans les pays en croissance (« NPI », Asie, etc.) : les jeunes diplômés en net progrès
• dans les pays en stagnation (Maghreb, Argentine, etc.) : constitution d’un « prolétariat académique », notamment parmi les jeunes
Conclusion provisoire :
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Une lecture alternative du lien générations/socialisation :Le modèle de Inglehart
(et les bases de ce qu’il faut en savoir…)
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• Ronald Inglehart : Pr de sociologie politique comparative et quantitative de Michigan University (Ann Harbor) = World values survey
Inglehart R., 1990, Culture shift in advanced industrial society, Princetion University Press, Princetion (NJ).
Inglehart R. et W.E. Baker, 2000, « Modernization, cultural change and the persistance of traditional values », American sociological review, vol. 65, pp. 19-51.
(La réponse )
• (Max Haller : Pr de sociologie comparative et méthodologie à l’Université de Graz, Autriche = International social survey program)
(Haller M., 2002, « Theory and method in the comparative study of values: critique and alternative to Inglehart », European sociological review, vol. 18, n.2, pp. 139-158.)
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•Inglehart et le « postmatérialisme » (et la postmodernité en contrepoint)
Le modèle de Maslow (1943) : des besoins hiérarchisés …Inglehart 1990
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Indicateur :
*maintenir l’ordre*avoir plus à dire (More say in politics)
*lutter contre la hausse des prix*protéger la liberté de parole (!!!)
Manger
Etre en sécurité
Faire de la politique
Inglehart 1990
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Problème empirique :
• Lien avec le PIB pas systématique
• Croissance de l’indicateur faible dans le temps
Intervention d’un paramètre générationnel (birth cohorts)
• Quel contexte économique dans la période de formation ?
• Effet de retard sur les valeurs => il faut attendre la disparition des anciennes générations pour que les anciennes valeurs disparaissent….
Inglehart 1990
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Une lecture générationnelle des évolutions (Inglehart)Inglehart 1990
Inglehart, Ronald, and Paul R. Abramson, “Economic Security and Value Change.”, APSR, 1994. Vol. 88: 336-353.
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Critiques généralement formulées
• Est-ce bien aussi graduel, cette hiérarchie des besoins ?Confusion entre un progrès type 1968 et besoin supérieur…(en France, et en Chine, manger est un besoin esthétique supérieur…)
• L’inflation, dans son indicateur, ce n’est pas très sérieux… « Postmatérialisme » ou peur de la hausse des prix ?L’alternative entre ordre et droit à la parole… Ce n’est pas très clair
• Dans son discours, Inglehart confond deux choses :(A) Sécularisation (ce que les français appellent « Laïcité »), et rapport à la divinité(B) Valeurs d’ « ouverture culturelle » => « postmatérialisme »
Inglehart 1990
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Néanmoins, ce qui est robuste :
• Les générations qui ont rencontré l’abondance sont beaucoup plus « ouvertes » en termes de valeurs
• Les nouvelles générations mettent en évidence sinon un retournement, en tous cas une stagnation de l’indicateur
• Ce n’est pas toujours convaincant, mais c’est assez utile pour comprendre de grands changements de valeurs
Inglehart 1990
Passage à Inglehart et Baker 2000 : des compléments la séance prochaine
Faut-il juger un modèle selon ses qualités théoriques, ou selon ses résultats ??? (réponse : les deux)
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Bibliographie succincte :
P. Berger et T. Luckman, 1966, The Social Construction of Reality: A Treatise in the Sociology of Knowledge, Garden City NY, Doubleday.
L. Chauvel, 1998 [2002], Le destin des générations : structure sociale et cohortes en France au XXe siècle, Paris : Presses universitaires de France.
A. Dubet et D. Martuccelli, 1996, « Théories de la socialisation et définitions sociologiques de l'école », Revue Française de Sociologie, 1996, 4, p. 511-536.
E. Durkheim, 1922, Éducation et société, Paris, PUF.
K. Mannheim, 1990 [1928], Le problème des générations, Paris, Nathan.
T. Parsons and R. Bales, 1955, Family, socialization and interaction process, Glencoe (Ill.), The Free Press.
D.H. Wrong, 1961, « The Oversocialized Conception of Man in Modern Sociology », ASR, v.26, pp.183-93