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Guillaume Musso
Linstant prsentroman
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mon fils. mon pre.
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Lamour a des dents et ses morsures ne gurissentjamais.
Stephen KING
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Lhistoire de nos peurs
Lhistoire de notre vie estlhistoirede nos peurs.
PabloDESANTIS
1971 Naie pas peur, Arthur. Saute ! Je te rat-
trape au vol. Tu tu es sr, papa ?
Jai cinq ans. Les jambes dans le vide, jesuis assis sur le plus haut matelas du lit su-perpos que je partage avec mon frre. Lesbras ouverts, mon pre me regarde dun il
bienveillant. Vas-y, mon grand ! Mais jai peur Je te rattrape, je tai dit. Tu fais confi-
ance ton pre, hein, mon grand ?
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Ben oui Alors, saute, champion !Pendant quelques secondes encore, je
dodeline de ma tte ronde. Puis, avec unlarge sourire, je mlance dans les airs, prt maccrocher au cou de lhomme que jaime leplus au monde.
Mais au dernier instant, mon pre, FrankCostello, recule volontairement dun pas, etje mtale de tout mon long. Ma mchoire etmon crne heurtent douloureusement le par-quet. Sonn, il me faut un moment pour me
relever. Jai la tte qui tourne et los de lapommette enfonc. Avant que je fonde enlarmes, mon pre massne une leon que jenoublierai jamais :
Dans la vie, tu ne dois faire confiance personne, tu comprends, Arthur ?Je le regarde, terrifi.
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PERSONNE ! rpte-t-il avec unmlange de tristesse et de fureur contre lui-mme. Pas mme ton propre pre !
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Premire partie
Le phare des24-Vents
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Lighthouse
Je me demande ce que lepassnous rserve.
Franoise SAGAN
1.BostonPrintemps 1991Le premier samedi de juin, mon pre a
dbarqu chez moi limproviste sur le coupde 10 heures du matin. Il avait apport unpain de Gnes et descannoliau citron que safemme avait prpars mon intention.
Tu sais quoi, Arthur ? On pourrait pass-er la journe tous les deux, proposa-t-il enallumant la machine expresso comme siltait chez lui.
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Je ne lavais plus vu depuis Nol dernier.Accoud la table de la cuisine, je contem-plais mon reflet dans les chromes du grille-pain. Javais le visage mang par la barbe, lescheveux hirsutes, le regard creus par lescernes, le manque de sommeil et labusdapple martini. Je portais un vieux tee-shirtBlue yster Cult que javais achet lors de
mes annes lyce et un caleon Bart Simpsondlav. La veille au soir, aprs quarante-huitheures de garde, javais descendu quelquesverres de trop au Zanzi Bar avec Veronika
Jelenski, linfirmire la plus bandante et lamoins farouche du Massachusetts GeneralHospital.
La belle Polonaise avait pass une partiede la nuit avec moi, mais avait eu la bonneide de dcamper deux heures plus tt, em-portant son petit sachet dherbe et son papier cigarette, svitant ainsi un tlescopagefcheux avec mon pre, lun des pontes du
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dpartement de chirurgie de lhpital danslequel nous travaillions tous les deux.
Un double expresso, le meilleur coup de
fouet pour dmarrer la journe, affirmaFrank Costello en posant devant moi unetasse de caf serr.
Il ouvrit les fentres pour arer la picedans laquelle persistait une forte odeur deshit, mais sabstint de tout commentaire. Jecroquai dans une ptisserie, tout en le dtail-lant du coin de lil. Il avait ft ses cin-quante ans deux mois plus tt, mais, cause
de ses cheveux blancs et des rides qui creu-saient son visage, il en faisait facilement dixou quinze de plus. Malgr tout, il avait con-serv une belle allure, des traits rguliers etun regard dazur la Paul Newman. Cematin-l, il avait dlaiss ses costumes demarque et ses mocassins sur mesure pour unvieux pantalon kaki, un pull de camionneurlim et de lourdes chaussures de chantier
en cuir pais.
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Les cannes et les appts sont dans lepick-up, lana-t-il en avalant son petit noir.En partant tout de suite, on sera au phare av-ant midi. On mangera sur le pouce et onpourra taquiner la dorade tout laprs-midi.Si la pche est bonne, on sarrtera la mais-on en revenant. On prparera le poisson enpapillotes avec des tomates, de lail et de
lhuile dolive.Il me parlait comme si nous nous tions
quitts la veille. Cela sonnait un peu faux,mais ce ntait pas dsagrable. Tandis que je
dgustais mon caf par petites gorges, je medemandais do lui venait cette soudaine en-vie de partager du temps avec moi.
Ces dernires annes, nos relationsavaient t quasi inexistantes. Jallais bienttavoir vingt-cinq ans. Jtais le benjamindune fratrie de deux garons et dune fille.Avec laccord bienveillant de mon pre, monfrre et ma sur avaient repris lentreprise
familiale cre par mon grand-pre une
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modeste agence de publicit Manhattan et lavaient fait suffisamment prosprer pouresprer la revendre dans les prochaines se-maines un grand groupe decommunication.
Moi, je mtais toujours tenu lcart deleurs affaires. Je faisais partie de la famille,mais de loin , un peu la manire dun
oncle bohme parti vivre ltranger et quelon croise sans dplaisir lors du repas deThanksgiving. La vrit, ctait que ds quejen avais eu loccasion, jtais parti tudier le
plus loin possible de Boston : unepre-medDuke, en Caroline du Nord, quatre annesdcole de mdecine Berkeley et une annedinternat Chicago. Je ntais revenu Bo-ston que depuis quelques mois pour y effec-tuer ma deuxime anne de rsidanat en m-decine urgentiste. Je bossais prs de quatre-vingts heures par semaine, mais jaimais ceboulot et son adrnaline. Jaimais les gens,
jaimais travailler dans lurgence et me
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coltiner la ralit dans ce quelle pouvaitavoir de plus brutal. Le reste du temps, jetranais mon spleen dans les bars du NorthEnd, je fumais de lherbe, et je baisais desfilles un peu barres et pas sentimentalesdans le genre de Veronika Jelenski.
Longtemps, mon pre avait dsapprouvmon mode de vie, mais je ne lui avais gure
laiss dangles dattaque : javais financ mestudes de mdecine sans lui demander lemoindre sou. dix-huit ans, aprs la mort dema mre, javais eu la force de quitter la
maison et de ne plus rien attendre de lui. Etcet loignement navait pas eu lair de luipeser. Il stait remari avec lune de sesmatresses, une femme charmante et intelli-gente qui avait le mrite de le supporter. Jeleur rendais visite deux ou trois fois par an,et ce rythme paraissait convenir tout lemonde.
Ce matin-l, mon tonnement nen fut
donc que plus grand. Tel un diable sorti
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dune bote, mon pre surgissait de nouveaudans ma vie, mattrapant par la manche pourme conduire sur le chemin dune rconcili-ation que je nattendais plus.
Bon, a te tente, cette partie de pche,oui ou merde ? insista Frank Costello, incap-able de masquer plus longtemps son irrita-tion devant mon silence.
Daccord, papa. Laisse-moi juste letemps de passer sous la douche et de mechanger.
Satisfait, il tira un paquet de cigarettes de
sa poche et salluma une tige avec un vieuxbriquet tempte en argent que je lui avaistoujours connu.
Je marquai mon tonnement :
Aprs la rmission de ton cancer de lagorge, je pensais que tu avais arrtSon regard dacier me transpera.
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Je vais tattendre dans le pick-up,rpondit-il en se levant de sa chaise et en ex-halant une longue bouffe de fume bleue.
2.Le trajet de Boston jusqu lest de Cap
Cod prit moins dune heure et demie. Ctaitune belle matine de fin de printemps. Leciel tait pur et clatant, le soleil claboussaitle pare-brise, distillant des particules doresqui flottaient sur le tableau de bord. Fidle ses habitudes, mon pre ne sembarrassa pas
de faire la conversation, mais le silencentait pas pesant. Le week-end, il aimaitconduire son pick-up Chevrolet en coutantles mmes cassettes en boucle dans lautora-
dio : un best of de Sinatra, un concert deDean Martin et un obscur album de countryenregistr par les Everly Brothers la fin deleur carrire. Coll sur la vitre arrire, unautocollant promotionnel vantait la candid-
ature de Ted Kennedy pour la campagne
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snatoriale de 1970. De temps autre, monpre aimait jouer au paysan bouseux, mais iltait lun des chirurgiens les plus rputs deBoston et, surtout, il dtenait des parts dansune entreprise qui valait plusieurs dizainesde millions de dollars. En affaires, tous ceuxqui staient laiss abuser par son person-nage de pquenot en avaient t pour leurs
frais.Nous avons travers Segamore Bridge,
parcouru encore une quarantaine de kilo-mtres avant de faire une halte au Sams Sea-
food pour acheter des lobster rolls
1
, despommes de terre frites et un pack de bireblonde.
Il tait peine plus de midi lorsque lacamionnette sengagea dans lalle de gravierqui conduisait jusqu la pointe nord deWinchester Bay.
Lendroit tait sauvage, cern par locanet les rochers, et presque constamment battu
par le vent. Cest l, sur un terrain isol et
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dlimit par les falaises, que se dressait 24Winds Lighthouse: le phare des 24-Vents.
Lancien btiment de signalisation tait
une structure octogonale tout en bois quiculminait une douzaine de mtres. Il sl-evait ct dune maison barde de planchespeintes en blanc et recouverte dun toitpointu en ardoise. Les jours de beau soleil,
ctait une agrable rsidence de vacances,mais il suffisait que le temps se couvre ouque le soir tombe pour que le paysage decarte postale cde la place un tableau
sombre et onirique digne dAlbert PinkhamRyder. La btisse tait dans la famille depuistrois gnrations. Mon grand-pre, SullivanCostello, lavait achete en 1954 la veuvedun ingnieur en aronautique qui lavaitlui-mme rafle lors dune mise aux enchreseffectue par le gouvernement amricain en1947.
Cette anne-l, en manque de fonds, ltat
fdral stait dlest de plusieurs centaines
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de sites qui ne prsentaient plus dimport-ance stratgique pour le pays. Ctait le casde 24 Winds Lighthouse, devenu obsolteaprs la construction dun phare plus mod-erne sur la colline de Langford, quinze kilo-mtres plus au sud.
Trs fier de son acquisition, mon grand-pre avait entrepris de rnover le phare et
son cottage pour les transformer en une con-fortable rsidence secondaire. Cest pendantquil y faisait des travaux quil avait mys-trieusement disparu au dbut de lautomne
1954.On avait retrouv sa voiture gare devantla maison. La Chevrolet Bel Air convertibletait dcapote, les cls poses sur le tableaude bord. Lors de la pause de midi, Sullivanavait pris lhabitude de sasseoir sur lesrochers pour dguster son casse-crote. Onavait rapidement conclu une noyade acci-dentelle. Mme si les mares navaient
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jamais rendu son corps, mon grand-pre futdclar mort, noy sur les ctes du Maine.
Si je ne lavais pas connu, javais souvent
entendu ceux qui lavaient frquent le dcri-re comme un personnage original et haut encouleur. En second prnom, javais hrit deson nom de baptme et, comme mon frrean nen avait pas voulu, cest aussi moi qui
portais la montre de Sullivan, une TankLouis Cartier du dbut des annes 1950, aubotier rectangulaire et aux aiguilles en acierbleui.
3. Attrape le sac en kraft et les bires, on
va casser la crote au soleil !
Mon pre claqua la porte du pick-up. Jeremarquai quil portait sous le bras le cart-able en cuir fatigu que ma mre lui avait of-fert, lorsque jtais enfant, loccasion dunde leurs anniversaires de mariage.
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Je posai la glacire sur une table en boisprs du barbecue en briques construit unedizaine de mtres de lentre de la maison.Depuis deux dcennies, ce meuble de jardinet les deux chaises Adirondack qui laccom-pagnaient rsistaient, je ne sais trop com-ment, tous les assauts des intempries. Lesoleil tait haut dans le ciel, mais lair tait
vif. Je remontai la fermeture glissire demon blouson avant de commencer dballerleslobster rolls. Mon pre sortit de sa pocheun couteau suisse, nous dcapsula deux Bud-
weiser et prit place sur un des siges en cdrerouge. la tienne ! dit-il en me tendant une
bouteille.Je lattrapai et vins masseoir ses cts.
Alors que je savourais la premire gorge debire, je vis briller dans ses yeux une lueurinquite. Le silence succda au silence. Ilnavala que quelques bouches de son sand-
wich et sempressa dallumer une nouvelle
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cigarette. La tension tait palpable, et jecompris alors quil ne mavait pas fait venirici pour passer un aprs-midi tranquilleentre pre et fils, et quil ny aurait ni partiede pche, ni tapes dans le dos, ni dorade litalienne cuisine en papillotes.
Jai quelque chose dimportant te dire,commena-t-il en ouvrant sa mallette pour
en sortir plusieurs documents rangs dansdes chemises cartonnes.
Sur chacune delles, je reconnus le logodiscret du cabinet juridique Wexler &
Delamico qui dfendait les intrts de la fa-mille depuis des dcennies.Il prit une longue bouffe de tabac avant
de poursuivre :
Jai dcid de mettre mes affaires en or-dre avant de partir. De partir o ?Un lger rictus lui tordit la lvre in-
frieure. Je le provoquai :
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Tu veux dire avant demourir? Voil. Mais ne te rjouis pas trop vite :
ce nest pas pour demain, mme sil est vrai
que lchance se rapproche.Il plissa les yeux, chercha accrocher monregard avant de mannoncer dune voixnette :
Je suis dsol, Arthur, mais tu ne touch-eras pas un dollar de la vente de lentreprise.Pas un dollar non plus de mes contrats das-surance vie ou de mes biens immobiliers.
Jeus du mal cacher ma stupfaction,
mais, dans le flot des sentiments qui men-vahirent, la surprise prit le pas sur la colre.
Si cest pour me dire a que tu mas faitvenir jusquici, tu naurais pas d te donner
autant de peine. Je me fous de ton argent, tudevrais le savoirIl inclina la tte pour dsigner les dossiers
en carton poss sur la table, comme sil
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navait pas entendu un mot de ce que jevenais de dire.
Jai pris toutes les dispositions lgales
pour que lintgralit de mon patrimoine re-vienne ton frre et ta surJe serrai les poings. quoi rimait ce jeu
pervers ? Que mon pre me dshrite, la ri-gueur, mais pourquoi organiser cette mise enscne pour me lannoncer ?
Il inhala une nouvelle bouffe de tabac. Ton seul hritageIl crasa sa clope avec son talon, laissant
flotter quelques secondes le dbut de saphrase, manire de mnager une sorte desuspense que je trouvai malsain.
Ton seul hritage sera 24 Winds
Lighthouse, affirma-t-il en dsignant la b-tisse. Ce terrain, cette maison, ce phare
Le vent se leva, soulevant un nuage depoussire. Plong dans la stupfaction la
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plus totale, il me fallut plusieurs secondesavant de ragir.
Quest-ce que tu veux que je fasse de
cette bicoque ?Alors quil ouvrait la bouche pour map-porter des prcisions, il partit dune toux in-quitante. Je le regardai spoumoner en re-grettant de lavoir suivi jusquici.
Cest prendre ou laisser, Arthur, meprvint-il en retrouvant son souffle. Et si tuacceptes cet hritage, tu tengages respecterdeux conditions. Deux conditions non
ngociables.Je fis mine de me lever quand il
poursuivit : Dabord, tu dois tengager ne jamais
vendre le bien. Tu mentends ? JAMAIS. Lephare doit rester dans la famille. Pourtoujours.
Je magaai :
Et la deuxime condition ?
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Il se massa longuement les paupires etpoussa un long soupir.
Suis-moi, annona-t-il en quittant sa
chaise.Je lui embotai le pas de mauvaise grce. Ilmentrana dans lancienne demeure dugardien du phare. Ctait un petit cottagerustique qui baignait dans son jus et sentaitle renferm. Les murs taient dcors defilets de pche, dun gouvernail en bois laquet de diverses crotes dartistes locaux met-tant en scne les paysages de la rgion. Sur le
manteau de la chemine, on retrouvait unelampe ptrole ainsi quun voilier miniatureprisonnier dune bouteille.
Mon pre ouvrit la porte du corridor un
couloir dune dizaine de mtres tapiss delattes vernies qui reliait la maisonnette auphare , mais, au lieu demprunter les escali-ers pour rejoindre le sommet de la tour, ilsouleva la trappe en bois qui permettait dac-
cder la cave.
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Viens ! ordonna-t-il en sortant unetorche de sa mallette.
Courb, je descendis dans son sillage une
vole de marches grinantes et rejoignis lapice souterraine.Lorsquil actionna linterrupteur, je d-
couvris un local rectangulaire, bas de pla-fond, aux murs de briques rougetres. Re-couverts de toiles daraigne, des tonneaux etdes caisses en bois taient empils dans uncoin, figs dans la poussire depuis Mathus-alem. Un rseau de tuyauteries vtustes
courait en cercle autour du plafond. Malgrlinterdiction qui nous en avait t faite, jeme rappelais trs bien tre venu explorerlendroit une fois avec mon frre lorsquenous tions gamins. lpoque, notre prenous avait administr une correction quinous avait dissuads dy remettre les pieds.
On joue quoi, au juste, papa ?Pour toute rponse, il tira une craie
blanche de la poche de sa chemise et dessina
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une grande croix sur le mur. Il pointa dudoigt le symbole.
ce niveau, derrire les briques, se
trouve une porte mtallique. Une porte ? Un passage dont jai mur laccs il y a
plus de trente ans.
Je fronai les sourcils. Un passage vers quoi ?Mon pre luda la question et eut une
nouvelle quinte de toux.
Cest la deuxime condition, Arthur, dit-il en reprenant son souffle. Tu ne dois jamaischercher ouvrir cette porte.
Pendant un moment, je crus vraimentquil tait devenu snile. Javais dautresquestions lui poser, mais il sempressa decouper le courant et de quitter la cave.
1. Pain hot-dog garni de salade de homard.
http://localhost/var/www/apps/conversion/tmp/scratch_1/text/PL5.xhtml#footnote-000-backlinkhttp://localhost/var/www/apps/conversion/tmp/scratch_1/text/PL5.xhtml#footnote-000-backlink7/24/2019 L'instant prsent - Musso.pdf
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Lhritage
Le pass est imprvisible.Jean GROSJEAN
1.
Lair marin qui montait de locan revigo-rait autant quil abrutissait.Nous tions de nouveau dans le jardin, as-
sis de part et dautre de la table en bois.
Mon pre me tendit un vieux stylo plumeen acier satin. prsent, tu connais les deux engage-
ments respecter, Arthur. Tout est notifidans ce document. Libre toi daccepter oude refuser. Je te donne cinq minutes pour tedcider et signer les papiers.
Il stait ouvert une nouvelle bire etsemblait avoir repris du poil de la bte.
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Je le dvisageai longuement. Jamais jentais parvenu le cerner, le comprendre, savoir ce quil pensait vraiment de moi.Pendant des annes pourtant, javais essayde laimer, envers et contre tout.
Frank Costello ntait pas mon pre biolo-gique. Mme si nous nen avions jamais parlensemble, nous le savions tous les deux. Lui,
sans doute bien avant ma naissance ; moi,depuis le dbut de ladolescence. Le lende-main de mon quatorzime anniversaire, mamre mavait avou que, pendant lhiver
1965, elle avait eu une aventure de plusieursmois avec celui qui tait lpoque notre m-decin de famille. Cet homme un certainAdrien Langlois tait reparti au Qubecpeu de temps aprs ma naissance. Javais en-caiss la nouvelle de faon stoque. Commebeaucoup de secrets de famille, celui-ci avaiteu tout le temps dinfuser sournoisement.Aussi, cette rvlation mavait presque
soulag : elle avait le mrite dclairer
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certains des comportements ombrageux demon pre mon gard.
a peut paratre trange, mais je nai ja-
mais cherch rencontrer mon gniteur.Javais mis cette information dans un coin dema tte, puis je lavais laisse driver lente-ment jusqu presque loublier. Ce ne sontpas les liens du sang qui font la famille et
dans le cur jtais un Costello, pas unLanglois.
Bon, tu te dcides, Arthur ? cria-t-il. Tula veux, cette baraque, ou pas ?
Je hochai la tte. Moi, je ne dsiraisquune chose : mettre fin cette mascaradele plus vite possible et rentrer Boston. Jedcapuchonnai le stylo, mais, au moment
dapposer ma signature en bas du document,je tentai une dernire fois de renouer ledialogue.
Tu dois vraiment men dire plus, papa. Je tai dit tout ce quil y avait savoir !
snerva-t-il.
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Je lui tins tte. Non ! Si tu nas pas perdu la raison, tu
sais trs bien que rien de tout a ne tient
debout ! Je cherche te protger !Les mots avaient fus. Intriguants, inat-
tendus, teints de sincrit.
Alors que jcarquillais les yeux, je vis queses mains tremblaient. Me protger de quoi ?Il alluma une nouvelle cigarette pour se
calmer et quelque chose sembla se dnoueren lui.
Daccord il faut que je tavoue quelquechose, commena-t-il sur le ton de la confid-ence. Quelque chose dont je nai jamais parl
personne.Un silence sinstalla, qui dura prs dune
minute. Je pris mon tour une cigarettedans son paquet pour lui laisser le temps de
rassembler ses souvenirs.
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En dcembre 1958, quatre ans et demiaprs sa disparition, jai reu un coup de filde mon pre.
Tu plaisantes ?Il tira une dernire longue bouffe detabac et, dun geste nerveux, expdia lemgot sur le gravier.
Il ma dit quil se trouvait New York etquil voulait me rencontrer le plus vite pos-sible. Il ma demand de ne parler per-sonne de son appel et ma fix rendez-vouspour le lendemain dans un bar du terminal
JFK.Fbrile, il croisa ses doigts noueux. Alors
quil continuait son rcit, je voyais ses onglessenfoncer dans sa chair.
Jai pris le train pour le rejoindre laroport. Jamais je noublierai ces retrouv-ailles. Ctait le samedi prcdant Nol. Ilneigeait. Beaucoup de vols taient retardsou annuls. Mon pre mattendait assis unetable derrire un Martini. Il semblait puis
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et avait une tte de dterr. Nous noussommes serrs dans les bras lun de lautreet, pour la premire fois, je lai vu pleurer.
Que sest-il pass ensuite ? Dabord, il ma dit quil devait prendreun avion et quil avait peu de temps. Puis ilma expliqu quil nous avait abandonns,parce quil ne pouvait faire autrement. Sansprciser lesquels, il ma confi avoir de grosennuis. Je lui ai demand comment je pouv-ais laider, mais il ma rpondu quil staitmis dans le ptrin tout seul et quil devait
trouver par lui-mme un moyen den sortir.Jtais abasourdi. Et ensuite ? Il ma fait jurer plusieurs choses. Ne
rvler personne quil tait toujours en vie,ne jamais vendre 24 Winds Lighthouse, nejamais ouvrir la porte mtallique de la cavedu phare et la faire immdiatement murer.Bien sr, il a esquiv toutes mes questions.Jai voulu savoir quand je le reverrais. Il a
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pos la main sur mon paule et ma dit : Peut-tre demain, peut-tre jamais. Ilma interdit de pleurer et ma ordonn dtrefort et de me comporter en chef de famille prsent quil ntait plus l. Puis, au bout decinq minutes, il sest lev, a aval unedernire gorge de Martini, puis il ma dit demen aller et de suivre ses consignes. Cest
une question de vie ou de mort, Frank :telles furent ses ultimes paroles.
Stupfait par cette confession tardive, je lerelanai :
Et toi, quas-tu fait ? Jai suivi ses instructions la lettre. Je
suis rentr Boston et, le soir mme, je mesuis rendu au phare o jai construit dans la
cave le mur de briques. Et tu nas jamais ouvert la porte ? Jamais.Je laissai passer un silence.
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Je refuse de croire que tu naies jamaischerch en savoir plus.
Il carta les bras en signe dimpuissance.
Javais promis, Arthur Et puis, si tuveux mon avis, il ny a que des emmerdesderrire cette porte.
Tu penses quoi ?
Je donnerais nimporte quoi pour le sa-voir, mais je tiendrai ma promesse jusquma mort.
Je pris le temps de la rflexion, puis dis : Attends, il y a quelque chose que je ne
comprends pas. lautomne 1954, lorsqueSullivan a subitement disparu, on a fouill lephare, nest-ce pas ?
Oui. De fond en comble. Dabord ta
grand-mre, puis moi, puis le shrif ducomt et son adjoint.
Donc, lpoque, vous avez ouvert laporte ?
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Oui. Je me souviens trs bien dunepice vide d peine dix mtres carrs au solen terre battue.
Il ny avait pas de trappe ou de passagedissimul ? Non, rien. Je laurais remarqu.Je me grattai la tte. Tout cela navait
aucun sens. Soyons ralistes, dis-je. Quest-ce quon
pourrait y trouver au pire? Un cadavre ?Plusieurs cadavres ?
Jy ai pens, naturellement En tout cas, si tu as mur la porte en
1958, mme sil sagit dune affaire demeurtre, il y a prescription depuislongtemps.
Frank laissa passer quelques secondes,puis avoua dune voix blanche :
Je pense que ce quil y a derrire cetteporte est beaucoup plus terrible quun
cadavre.
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2.Le ciel tait devenu noir. Le tonnerre
gronda. Quelques gouttes de pluie
claboussrent les documents juridiques. Jepris le stylo, paraphai toutes les feuilles etapposai ma signature sur la dernire page.
Je crois que cest foutu pour la pche,lana mon pre en se protgeant de la pluie.
Je te ramne chez toi ? Je suis chez moi, rpondis-je en lui
tendant le double du contrat sign.Il eut un rire nerveux et rangea le docu-
ment dans sa mallette. En silence, je le rac-compagnai son pick-up. Il sinstalla auvolant, insra la cl de contact, mais, avantquil allume son moteur, je cognai contre la
vitre. Pourquoi me demandes-tu a moi? Jene suis pas lan de la famille. Je ne suis pascelui avec qui tu tentends le mieux. Alors,pourquoi moi ?
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Il haussa les paules, incapable derpondre.
Tu veux protger les autres, nest-ce
pas ? Tesvraisenfants. Ne sois pas stupide ! snerva-t-il.Il soupira bruyamment. Dabord, jai dtest ta mre pour
mavoir tromp, concda-t-il. Puis je taidtest toi, cest vrai, parce que ton existenceme renvoyait chaque jour cette tromperie.Mais avec les annes, cest moi-mme quejai fini par har
Il dsigna de la tte la silhouette du pharequi se dcoupait sous la pluie et leva la voixpour couvrir le bruit de lorage.
La vrit, cest que ce mystre mobsde
depuis plus de trente ans. Et je crois que tues la seule personne capable de le rsoudre.
Comment veux-tu que jy arrive sansouvrir cette porte ?
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a, prsent, cest ton problme ! lcha-t-il en allumant le moteur.
Il appuya sur lacclrateur et dmarra
brusquement, faisant crisser le gravier sousles roues de la camionnette qui disparut enquelques secondes, comme avale parlorage.
3.Je courus vers la maison pour me mettre
labri.Dans le salon puis la cuisine, je cherchai
sans succs un fond de whisky ou de vodka,mais il ny avait pas la moindre goutte dal-cool dans ce maudit phare. Dans un placard,je trouvai une vieille cafetire italienne Moka
et un reste de caf moulu. Je mis de leau chauffer, versai la mouture dans un filtre etme prparai une grande tasse dun breuvageque jesprais revigorant. En quelquesminutes, une odeur agrable envahit la pice.
Lexpresso tait amer et sans mousse, mais il
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maida recouvrer mes esprits. Je restaidans la cuisine, attabl derrire le comptoiren bois crus. Pendant une bonne heure, al-ors que la pluie redoublait, je parcourus avecattention lensemble des documents jur-idiques que mavait laisss mon pre. Lesphotocopies des diffrents actes de ventepermettaient de reconstituer lhistorique du
btiment.Le phare avait t construit en 1852. Il
consistait au dpart en une maisonnette enpierre en haut de laquelle on avait amnag
un petit dme contenant une lanterne com-pose dune dizaine de lampes huile quifurent bientt remplaces par une lentille deFresnel. la fin du XIXe sicle, ldifice avaitt ravag par un boulement et un incendie.La structure actuelle la tour en bois et lamaison attenante avait t construite en1899 et, dix ans plus tard, on avait quip lephare dune lampe plus moderne krosne.
Llectrification tait venue en 1925.
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En 1947, le gouvernement amricain avaitjug que le phare ntait plus un lieu strat-gique et sen tait dfait lors dune vente auxenchres au cours de laquelle avaient t ad-jugs plusieurs autres anciens btimentsmilitaires.
Daprs les documents que javais sous lesyeux, le premier propritaire sappelait
Marko Horowitz, n en 1906 Brooklyn,dcd en 1949. Cest sa veuve, Martha, neen 1920, qui avait vendu le phare mongrand-pre, Sullivan Costello, en 1954.
Je fis mentalement le calcul : cette Marthaavait aujourdhui soixante et onze ans. Il yavait une forte probabilit quelle soit encoreen vie. Je pris un stylo qui tranait sur lecomptoir et soulignai ladresse quelle avaitfournie lpoque : 26 Preston Drive Talla-hassee, en Floride. Je dcrochai le tlphonemural et appelai les renseignements. Il nyavait plus de Martha Horowitz Tallahassee,
mais lopratrice trouva une Abigael
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Horowitz dans la mme ville. Je la priai deme mettre en relation avec ce numro.
Abigael dcrocha. Je me prsentai et lui
mentionnai lobjet de mon appel. Elle map-prit quelle tait la fille de Marko et deMartha Horowitz. Sa mre tait encore envie, mais, depuis 1954, elle avait eu le tempsde se remarier deux fois. Elle portait dsor-
mais le nom de son mari actuel et vivait enCalifornie. Lorsque je demandai Abigael sielle se souvenait de24 Winds Lighthouse, sarponse fusa :
Bien sr, javais douze ans lorsque monpre a disparu !DisparuJe fronai les sourcils en relis-
ant mes documents.
Daprs lacte de vente que jai sous lesyeux, votre pre est dcd en 1949, cest bi-en a ?
Mon pre a t dclar mort cettedate, mais cest deux ans plus tt quil adisparu.
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Comment a, disparu ? Ctait la fin de lanne 1947, trois
mois aprs avoir achet le phare et sa petite
maison. Papa et maman adoraient la rgionet avaient lintention den faire notre rsid-ence de vacances. lpoque, nous vivions Albany. Un samedi matin, mon pre reut uncoup de fil du shrif du comt de Barnstable
pour le prvenir quun arbre de la propritavait t foudroy la nuit prcdente etstait abattu sur une ligne lectrique.Daprs le policier, lorage avait galement
endommag le toit en ardoise de la maison.Mon pre prit sa voiture et se rendit 24Winds Lighthouse pour constater ltenduedes dgts. Il nen est jamais revenu.
Que voulez-vous dire ? Deux jours plus tard, on a retrouv sa
Oldsmobile gare devant la btisse, maisaucune trace de papa. Les flics passrent lephare et les alentours au peigne fin, sans
trouver aucun indice pour expliquer sa
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disparition. Ma mre garda espoir et at-tendit. Des jours, des semaines, des moisJusquau dbut de 1949 o un juge dclaramon pre officiellement mort pour pouvoirprocder sa succession.
Jallais de surprise en surprise. Jamais jenavais entendu parler de cette histoire !
Votre maman a attendu cinq ans avantde remettre le phare en vente ?
Ma mre ne voulait plus entendre parlerde cette maison. Elle sen est dsintressejusquau moment o elle a eu besoin
dargent. Elle en a alors confi la responsab-ilit un agent immobilier de New York, enlui demandant de ne surtout pas prospecterauprs des gens du coin, qui avaient tous eu
vent de la disparition de mon pre et quitaient nombreux considrer prsent quele phare portait malheur
Et depuis, vous navez jamais eu de nou-velles de votre pre ?
Plus jamais, affirma-t-elle.
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Avant de se reprendre : Sauf une fois.Je gardai le silence pour lui permettre de
continuer. En septembre 1954, il y eut un dram-atique accident New York entre les gares deRichmond Hill et de Jamaica. Ce fut unevritable boucherie : lheure de pointe, pleine vitesse, un train bond en a percutun autre qui entrait en gare. Laccident a faitplus de quatre-vingt-dix victimes et prs dequatre cents blesss. Cest lune des pires
catastrophes ferroviaires de tous les temps Jen ai dj entendu parler, mais quel
rapport avec votre pre ? Dans lune des rames se trouvait lun de
ses collgues. Il a t bless, mais il a sur-vcu. Aprs le drame, il est venu voir mamre plusieurs reprises en prtendant quemon pre se trouvait dans le mme wagonque lui et quil avait pri dans laccident.
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Tandis quelle parlait, je prenais des notes toute vitesse. Les similitudes avec ce quitait arriv mon grand-pre taientflippantes.
Bien sr, on na jamais retrouv le corpsde mon pre dans ce train, mais jtais ad-olescente lpoque et les propos de cethomme mont beaucoup trouble. Il croyait
dur comme fer ce quil racontait.Une fois quAbigael eut termin son rcit,
je la remerciai pour ses informations.Alors que je raccrochais, je pensai son
pre et mon grand-pre : deux hommesavals par les entrailles du phare, frapps quelques annes dintervalle par la maldic-tion qui planait sur ce lieu.
Un lieu dont jtais dsormais luniquepropritaire.
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Les vingt-quatre vents
Le soleil tait l qui mouraitdanslabme.
Victor HUGO
1.Un sang de glace courait dans mes veines.Avec la manche de mon pull, jessuyai la
bue qui stait forme contre les vitres. Il
ntait pas 4 heures de laprs-midi et ilfaisait dj presque nuit. Dans un cieltnbreux, une pluie continue cinglait lescarreaux. Le vent hurlait. Son souffle
balayait tout : les arbres courbaient lchine,les cbles lectriques valsaient, les chssis defentres tremblaient. La structure mtalliquede la balanoire grinait, se lamentant dansune plainte stridente semblable des pleurs
denfant.
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Javais besoin de me rchauffer. Il y avaitdu petit bois et des bches prs de lachemine. Jallumai un feu et me fis de nou-veau du caf. Ces rvlations successivesmavaient plong dans la perplexit. Mongrand-pre navait vraisemblablement paspri noy sur les ctes du Maine. Il avaitabandonn sa femme et son fils pour se faire
la belle. Mais pour quelle raison ? Certes,personne nest jamais labri dun coup defolie ou dun coup de foudre, mais ce com-portement tait mille lieues de ce que
javais pu entendre dire de la personnalit deSullivan Costello.Fils dun migr irlandais, ctait un trav-
ailleur acharn qui avait durement gagn sapart de rve amricain. Pourquoi stait-ilvapor, un jour dautomne, rompant bru-talement avec tout ce qui avait constitu sonexistence ? Quels secrets inavouables etterribles planquait-il dans les recoins de son
me ? Quavait-il fait entre lautomne 1954 et
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la fin de lanne 1958 ? Et, surtout, y avait-illa moindre chance quil soit encore en vie au-jourdhui ?
Il me parut soudain comme une videnceque ces questions ne pourraient rester sansrponse.
2.Je bravai la pluie pour rejoindre la remise
accole au cottage. Lorsque jen poussai laporte, je dcouvris, parmi les outils uss etrouills, une masse flambant neuve portant
encore ltiquette adhsive sigle HomeDepot2 . Ctait un modle allemand avecun manche en bois brut et une partie mtal-lique coule dans un alliage spcial de cuivre
et de bryllium. Mon pre avait d lacheterrcemment. Trs rcemment mme Sansdoute mon intention.
Je sentis les mchoires du pige en trainde se refermer.
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Sans rflchir, je pris la masse, un vieuxburin et une barre mine qui se trouvaientl. Je sortis de la remise et mengouffrai dansle cottage, puis dans le corridor. La trappemenant la cave tait reste ouverte. Avecmes outils, je descendis lescalier et actionnailinterrupteur pour clairer la pice.
Javais encore la possibilit de faire demi-
tour. Je pouvais appeler un taxi qui me con-duirait jusqu la gare, puis je rentrerais Boston par le train. Je pouvais demander un agent immobilier de mettre 24 Winds
Lighthouse en location. Lt, les demeuresde ce genre se louaient plusieurs milliers dedollars le mois en Nouvelle-Angleterre. Jepouvais ainsi me constituer un revenu rguli-er et continuer tranquillement ma vie.
Mais quelle vie ?En dehors de mon mtier, mon existence
tait vide de sens. Sans attaches. Sans per-sonne aimer.
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Je clignai les yeux. Une image surgie dupass simposa dans mon esprit. Jai cinqans. Ma tte blonde est leve vers mon prequi vient de me laisser tomber sur le parquetde la chambre. Je suis ptrifi.
Dans la vie, tu ne dois faire confiance personne, tu comprends, Arthur ? per-sonne ! Pas mme ton propre pre !
Cet hritage tait un cadeau empoisonn,un guet-apens que mavait tendu Frank. Monpre navait pas eu le courage douvrir laporte lui-mme. Pas le courage de rompre
une vieille promesse. Mais avant de mourir,il voulait que quelquun le fasse sa place.Et ce quelquun, ctait moi.
3.Jpongeai les gouttes de sueur qui per-
laient sur mon front. Une chaleur oppress-ante rgnait dans cette partie de ldifice.
Lair tait rare, latmosphre suffocante,
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comme dans la salle des machines dunnavire.
Je me retroussai les manches et soulevaila masse deux mains, la balanant au-des-sus de ma tte pour prendre le maximumdlan. Puis je projetai le marteau au centrede la croix.
Plissant les yeux pour viter la projection
des clats de brique et la poussire, je donnaiun deuxime coup, un troisime.
Au quatrime, je levai la masse avec plusde vigueur. Bien mal men prit : le maillet
sectionna deux tuyaux qui couraient au pla-fond. Des pelletes deau glace se dver-srent sur moi avant que jaie le rflexedouvrir le botier du compteur deau et destopper le dluge.
Merde !Jtais tremp de la tte aux pieds. Leau
tait aussi gele que jauntre et exhalait uneodeur de moisi. Je retirai immdiatementma chemise et mon pantalon. Le bon sens
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aurait voulu que je monte me changer, maisla chaleur de la pice et lenvie de savoir cequi se cachait derrire la porte furent suffis-antes pour me remettre au travail.
Torse nu, en caleon pois roses, je re-partis de plus belle, cognant les briques avecrage. Une parole de mon pre me revenait encho :Je pense que ce quil y a derrire cette
porte est beaucoup plus terrible quuncadavre.
Aprs une dizaine de coups, je sentis lasurface mtallique derrire le mur. Un quart
dheure plus tard, javais mis nu lintgral-it de louvrant : une porte basse et troite enfer forg ronge par la rouille. Avec monavant-bras, jessuyai la transpiration quiruisselait sur mon torse et me rapprochai ducorridor. Sur une plaque de cuivre visse laporte, je distinguai une rose des vents ciseledans le mtal.
Javais dj vu ce diagramme : on en
trouvait un identique, scell dans le muret de
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pierres qui ceinturait le phare. Il rcapitulaitla liste exhaustive des vents connus danslAntiquit.
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Elle tait suivie dune inscription en latinqui mettait en garde :
Postquam viginti quattuor venti
flaverint, nihil jam erit
3
.De toute vidence mais je ne savais pour
quelles raisons , cest de cette rosace que lephare tirait son nom. Au comble de lagita-
tion, je tentai douvrir la porte, mais lapoigne tait bloque, comme fige dans larouille. Je forai, mais elle me resta dans lesmains. Javisai les outils que javais avec moiet memparai de la barre mine. Jinsrai
son extrmit biseaute dans la jointure pourmen servir comme pied-de-biche. Jappuyaide toutes mes forces sur le levier jusqu en-tendre un craquement sec. La serrure venait
de cder.
4.Jallumai ma torche lectrique. Le cur
battant, je poussai le panneau mtallique qui
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racla durement le sol. Je braquai la lampe lintrieur. Le faisceau lumineux claira unesalle semblable celle que mavait dcritemon pre : moins de dix mtres carrs de solboueux encadrs par quatre murs de pierresnon tailles. Le sang pulsait dans mes tem-pes. Je pntrai prudemment dans la pice,clairant chaque recoin. premire vue, les-
pace tait vide. Le sol en terre tait instable.Javais limpression de patauger dans de laboue. Jinspectai plus attentivement lesmurs : ils taient vierges de toute inscription.
Tout a pour a ?Frank mavait-il racont des sornettes ?Cette rencontre avec son propre pre laroport Kennedy avait-elle seulement eulieu ou lavait-il rve ? Pourquoi avait-ilconstruit autour de ce phare une mythologiequi nexistait que dans ses dlires ?
Javais en tte toutes ces questions lorsquela pice fut parcourue dun improbable cour-
ant dair, puissant et glacial. Surpris, je
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laissai tomber ma lampe torche. Alors que jeme baissais pour la ramasser, je vis soudainla porte qui se refermait sur moi.
Plong dans les tnbres, je me relevai ettendis la main pour louvrir, mais mon corpsse figea, comme transform en statue deglace. Le sang bourdonna mes oreilles.
Je poussai un hurlement. Puis un bruitdaspiration dchira mes tympans jusqumtourdir, tandis que je sentais le sol sedrober sous mes pieds.
2. Grande chane amricaine de magasins debricolage.
3. Aprs le souffle des vingt-quatre vents, il ne resterarien.
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Deuxime partie
En des lieuxincertains
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1992
Les lumires de la ville
La route de lenfer est si bienpave
quelle ne rclame aucunentretien.
Ruth RENDELL
0.Des effluves puissants de myrrhe et de
bois verni.Une odeur camphre dencens et de cire
de bougie.Un marteau-piqueur qui pilonne lin-
trieur de mon crne.Jessaie douvrir les yeux, mais mes pau-
pires sont comme cousues. Je suis allongsur un sol dur et froid. Ma joue est crase
contre la pierre. Je me sens fivreux,
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grelottant. Je hoquette. Une douleur mebarre la poitrine, mempchant de respirernormalement. Ma gorge est sche, et jai ungot de ciment dans la bouche. Je reste en-core prostr plusieurs secondes, incapablede manimer.
1.
Peu peu, le silence autour de moi fitplace au bourdonnement dune foule vh-mente. Une colre gronda.
Mais contre quoi ?
Dans un effort surhumain, je me mis de-bout et entrouvris les paupires. Javais lesyeux qui brlaient et la vue trouble. Je fis desefforts pour distinguer le dcor autour de
moi.Un clairage diffus, un crucifix, des cand-labres soutenant des cierges, un baldaquinde bronze, un autel de marbre. Chancelant,je fis quelques pas. Visiblement, jtais aubeau milieu du chur dune glise. Dune
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cathdrale mme : une nef dune centaine demtres souvrait devant moi, flanque dedeux immenses ranges de bancs en boissculpt. Je levai la tte : plusieurs dizaines devitraux multicolores filtraient une lumirechatoyante. Les votes gothiques qui cul-minaient plus de trente mtres me don-nrent le vertige.
loppos du chur, un orgue monu-mental dployait sa soufflerie et ses nom-breux tuyaux sous lil cyclopen dune ros-ace en vitrail miroitant dinfinies nuances de
bleu. Appelez la police !Le cri jaillit dans la foule. Des dizaines de
paires dyeux effars taient braqus sur
moi : des touristes, des fidles agenouills enpleine prire, des prtres qui patientaientprs des confessionnaux. Je compris brutale-ment leur grondement de rprobation enconstatant que jtais presque nu, nayant
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pour tout vtement que mon caleon poisroses et ma paire de Stan Smith crotte.
Quest-ce que je fous l, bordel ?
Javais mon poignet la montre de mongrand-pre. Jy jetai un rapide coup dil 17 h 12 , quand tout se mit tourner autourde moi. Je me souvenais de la conversationavec mon pre, de mes recherches sur lephare, de la pice mure dans la cave o rg-nait une chaleur tropicale et de la portemtallique qui stait brutalement refermesur moi.
Mais que sest-il pass ensuite ?Javais les jambes en compote. Pour ne
pas mcrouler, je mappuyai sur le pupitrequi supportait une lourde bible relie. Jes-
suyai les gouttes de sueur glace quicoulaient le long de mon chine. Il fallait queje sorte dici. Et le plus vite serait le mieux.
Trop tard !
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Police ! Dont move ! Put your handsoverhead !
Deux flics en uniforme venaient dentrer
dans lglise et remontaient en courant latrave centrale de la nef.Pas question de me faire arrter avant de
comprendre ce quil marrivait. Je rassemblaimes forces et mlanai en dvalant lesmarches en marbre qui permettaient de quit-ter le chur. Les premires foules furentdouloureuses. Mes os me semblaient aussifragiles que du cristal, et, chaque pas,
javais limpression que mes jambes allaientse briser dans un craquement. Les dents ser-res, je longeai les chapelles latrales enbousculant les gens, renversant au passageun ornement floral, un porte-cierges en ferforg, des piles de missels rangs dans unetagre.
H, vous ! Arrtez !Sans me retourner, je fonai sur le sol glis-
sant. Encore dix mtres et je poussai la
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premire porte devant moi. a y est, jtaisdehors !
Je descendis une vole de marches en
pierre, dboulai sur le parvis et
2. un concert de klaxons et de sirnes me
dchira les tympans. Des colonnes de fumeblanche slevaient du macadam huileux av-ant de sparpiller dans un ciel sale ovrombissait un hlico. Lair tait lectrique,humide, suffocant comme dans un
chaudron.Dboussol, jeus du mal ne pas perdre
lquilibre. Je cherchai fuir, mais, avantque jaie pu reprendre ma course, lun des
flics se jeta sur moi, magrippant par le cou.Sa prise marracha un cri. Malgr ltreinte,je russis me retourner et repoussai monassaillant dun violent coup de pied qui lat-teignit en plein visage.
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Libre, je repris ma course, poursuivi parsa collgue une petite femme plutt ronde que je pensais pouvoir distancer rap-idement. Mais javais prsum de mes forces.Mes jambes cotonneuses menaaient de melcher, javais du mal reprendre monsouffle. Je tentai de traverser la rue malgr lacirculation, quand la fliquette me fit un croc-
en-jambe et me plaqua au sol de tout sonpoids. Avant que jaie pu me dbattre, jesentis les menottes dacier qui se refermaientdans mon dos, mordant la chair de mes
poignets.Un kalidoscope dimages vibrantes pritalors forme devant mes yeux : des taxisjaunes qui slalomaient dans un canyon deverre et de bton, des stars and stripes quiclaquaient au vent, la silhouette dune vieilleglise noye dans une fort de gratte-ciel,une statue en bronze dun Atlas athltiquesoulevant une vote cleste arienne
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La tte crase contre le trottoir, jtaisttanis par la peur. Un feu brlait dans mesentrailles, un reflux acide me rongeaitlsophage. Et alors quon tranait sur las-phalte mon corps suant quasi nu, je me de-mandais comment javais pu me retrouver New York, sur la 5e Avenue, dans lacathdrale Saint-Patrick.
3.20 heuresEn cage.
Le visage plong entre les mains, je memassais les tempes avec les pouces tout enrvant trois cachets daspirine et une per-fusion danti-inflammatoire.
Aprs mon arrestation, une voiture de po-lice mavait conduit au 17eprecinct, une fort-eresse de briques brunes situe au croise-ment de Lexington et de la 52e. Ds mon ar-
rive au commissariat, on mavait enferm
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dans une cellule collective au milieu dunefaune de SDF, de zonards et de dealers.
Situe au sous-sol du btiment, la cellule
tait une tuve. Pas de climatisation, aucunefentre, pas le moindre souffle dair. Enhiver, on devait y geler ; en t, on y tran-spirait comme dans un sauna. Assis sur unbanc fix au mur, jattendais depuis trois
heures, sans que personne ait pris la peinede me fournir de vtements. Torse nu etseulement vtu de mon caleon pois roses,javais endur tous les quolibets possibles de
la part de mes compagnons de cellule.Quand ce cauchemar va-t-il prendre fin ? a texcite de te balader poil, ptite
tarlouze ?
Cela faisait une heure que le clodo assis ct de moi masticotait. Maigre comme unchien galeux, ctait une vritable pave auvisage rougeaud recouvert de crotes. Vis-iblement en manque, il passait son temps grener une litanie de propos obscnes et
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gratter jusquau sang sa barbe jauntre etdrue. Boston, dans le service durgence oje travaillais, on nous amenait chaque jourplusieurs spcimens dans son genre : destres casss par la vie et par la rue, des tresfragiles, mais agressifs, coups de toute ral-it, que nous rcuprions en tat de comathylique, dhypothermie ou de dsordre
psychiatrique. Cest pratique, cette tenue, pour tas-
tiquer le manche, hein, ma lopette ?Il me faisait peine, mais il me faisait aussi
peur. Je tournai la tte pour lignorer ; il seleva brusquement et mempoigna le bras. Dis, taurais pas un peu de bibine plan-
que dans ton calecif ? Un peu de bistouille
dans ton gros robinetJe le repoussai en douceur. Malgr lachaleur, il tait emmitoufl dans un manteaude laine pais, fig dans la crasse. Lorsquilretomba sur le banc, japerus un journal plien quatre qui dpassait de sa poche.
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Livrogne sallongea sur la banquette, le vis-age tourn contre le mur. Alors quil repar-tait dans sa logorrhe, je lui subtilisai le quo-tidien et le dpliai fbrilement. Il sagissaitdune dition du New York Times barredune grande manchette :
Dans la course la prsidence,
la convention dmocrate donnesa bndiction Bill Clinton.Une nouvelle voix pour une nou-
velle Amrique.
Sous ce titre, une grande photo mettait enscne le candidat fendant, au bras de safemme Hillary et de sa fille Chelsea, unefoule agglutine. Le journal tait dat du
16 juillet 1992.De nouveau, je plongeai la tte entre mesmains.
Cest impossible
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Javais beau me creuser la cervelle, rien faire : mon dernier souvenir remontait dbut juin 1991. Jtais effondr. Lespacedune minute, un gouffre souvrit en moi etmon cur semballa. Pour retrouver moncalme, jessayai de contrler ma respirationet de faire appel ma raison. Comment ex-pliquer mon trouble de mmoire ? Une l-
sion crbrale ? Un pisode traumatique ?Labsorption de drogue ?
Jtais mdecin. Mme si la neurologientait pas ma spcialit, javais fait suffisam-
ment de stages dans diffrents hpitaux poursavoir que lamnsie reste souvent unenigme.
Manifestement, je souffrais dune amnsieantrograde : je navais plus aucun souvenirdes vnements qui avaient suivi mon entredans la pice interdite du phare. Depuisce jour, quelque chose stait visiblementbloqu dans mon cerveau. Javais disparu de
ma vie pendant plus dun an !
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Mais pourquoi ?Je rflchis. Javais dj vu des patients
incapables de fixer de nouveaux souvenirs
aprs un traumatisme insupportable : uneraction de dfense pour ne pas sombrerdans la folie. Mais, gnralement, leurssouvenirs finissaient par refaire surface aubout de quelques jours ; or, dans mon cas, il
sagissait dune priode de plus duneanne
Eh merde Arthur Costello ?
Un flic en uniforme venait de hurler monnom devant la porte de la cellule.
Cest moi, dis-je en me levant.Il dverrouilla la grille et me prit par le
bras pour me faire sortir. Nous parcourmesun ddale de couloirs avant darriver unesalle dinterrogatoire : vingt mtres carrs,un large miroir, une table mtallique fixe au
sol entoure de trois chaises dpareilles.
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Je reconnus le premier flic qui avait cher-ch marrter et que javais repouss duncoup de pied. Il avait un pansement auniveau de larcade sourcilire et me lana unregard mauvais qui voulait dire sale con .Sans bravade, je lui fis un clin dil qui signi-fiait : Sans rancune, mec. Il tait accom-pagn dun autre officier, une Latino aux
cheveux noir de jais relevs en chignon. Lairgoguenard, elle me tendit un pantalon detreillis lim ainsi quun tee-shirt en cotongris et rche. Pendant que jenfilais mes nou-
veaux habits, elle se prsenta comme tant labooking officer charge de la procdure mon encontre, et me conseilla de ne pas fairele malin avec elle.
son invitation, je dclinai mon identit,mon ge, mon adresse, ma profession. Aprsmavoir inform des faits qui mtaient re-prochs exhibitionnisme dans un lieu deculte, refus dinterpellation, coups et
blessures sur un reprsentant des forces de
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lordre , elle me demanda si je les con-testais. Alors que je gardais le silence, ellechercha savoir si javais des antcdentspsychiatriques. Jinvoquai mon droit nepas rpondre ses questions et rclamai unavocat.
Avez-vous les moyens de vous en payerun ou en dsirez-vous un commis doffice ?
Je souhaiterais tre dfendu par le cab-inet de matre Jeffrey Wexler, avocat Boston.
La flic ninsista pas ; elle me fit signer ma
dclaration, mindiqua que je serais prsent un juge demain matin, puis appela un deses adjoints pour me conduire lamugshotroom, dans laquelle on releva mes empre-
intes digitales et o on me tira le portrait.Avant de donner lordre de me reconduire encellule, la booking officer accepta que jepasse un coup de fil.
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4.Sans enthousiasme, je dcidai de contac-
ter mon pre, Frank Costello. Je redoutais sa
raction, mais je savais aussi que lui seulpouvait me sortir rapidement de la situationfcheuse dans laquelle je me trouvais. Jap-pelai donc Pauline, sa fidle secrtaire lhpital qui, un temps, avait t sa
matresse. Surprise de mavoir au bout du fil,elle mannona que Frank tait actuellementen vacances avec sa femme dans la rgion dulac de Cme, en Italie.
Quest-ce que cest que cette histoire,Pauline ? Mon pre ne prend jamais de va-cances et encore moins six mille kilomtresde chez lui !
Eh bien, il faut croire que tout change,rpondit-elle un peu mal laise.
coutez, je nai pas le temps de vous ex-pliquer les raisons de mon appel, mais il estimpratif que je parle Frank tout de suite.
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Elle soupira, me mit en attente et, moinsdune minute plus tard, la voix rauque et en-roue de mon pre me lana :
Bordel, cest vraiment toi, Arthur ? Salut, papa. Pourquoi es-tu rest un an sans nous
donner de nouvelles ? On sest fait un sangdencre !
En trois phrases, je lui brossai le portraitpeu reluisant de ma situation.
Mais o tais-tu pendant tout ce temps,nom de Dieu ?
Je lentendais qui stranglait de colre lautre bout du fil. Sa voix tait caverneuse,comme sil me parlait doutre-tombe.
Je nen ai pas la moindre ide, figure-
toi ! Mon dernier souvenir remonte ce jourdt o tu mas fait signer les papiers ausujet de lhritage du phare.
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Parlons-en, du phare ! Jai vu que tuavais cass le mur de briques ! Je tavaispourtant formellement interdit de le faire !
Sa rponse me fit sortir de mes gonds. Tu nattendais que a ! Tu mavais mmeachet tous les outils
Il ne me dmentit pas. Au contraire, der-rire une colre convenue, je sentis quilbrlait de savoir. La suite de la conversationconfirma mon intuition.
Alors quas-tu trouv derrire laporte ?
Un chapelet demmerdes, dis-je pourluder sa question.
Quas-tu trouv ? rpta-t-il de plus enplus menaant.
Pour le savoir, il faudra dabord que tonavocat me sorte de prison.
Il partit dans une longue toux, puis finitpar promettre.
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Jappelle Jeffrey tout de suite. Il va tetirer de l.
Merci. Dis-moi, papa, es-tu certain de
mavoir bien dittoutce que tu savais sur cephare ? Bien sr ! Pourquoi taurais-je cach
quoi que ce soit ? Mais jaurais peut-tremieux fait de me taire, puisque tu ne maspas cout.
Je ne voulus pas en rester l. Je pense plus particulirement lhis-
toire de mon grand-pre.
Quoi, ton grand-pre ? Crois-moi, je taitout dit. Je te le jure sur la tte de mesenfants.
Un rire nerveux me traversa. Il avait pass
sa vie jurer ma mre quil ne la trompaitpas. Sur la tte de ses enfants
Frank, dis-moi la vrit, bordel !Je lentendis cracher ses poumons
lautre bout du fil. Soudain, je compris. Vu la
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clrit avec laquelle Pauline avait russi lejoindre, il ntait pas en Italie, mais pluttdans un hpital soigner la rechute de soncancer, en prenant soin que cela ne se sachepas et en tant persuad de russir encoreune fois passer travers les gouttes.
Daccord, concda-t-il enfin. Il y a bienune chose dont je ne tai pas parl et que tu
mrites peut-tre de savoir.Je mattendais tout et rien. Ton grand-pre nest pas mort.Incrdule, je demandai mon pre sil se
moquait de moi. Malheureusement non. Comment a, malheureusement ?Jentendis un profond soupir puis :
Sullivan est New York. Il est interndans un hpital psychiatrique de RooseveltIsland.
Alors que jencaissais la rvlation,
quelquun me tapa dans le dos : la flic latino
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cherchait me faire comprendre que macommunication ne pouvait pas sterniserainsi. Dun signe de la main, je lui rclamaiune minute supplmentaire.
Depuis quand sais-tu quil est vivant ? Depuis treize ans. Treize ans !
Nouveau soupir de lassitude. Un soir, en 1979, jai reu un coup detlphone du responsable dune associationde Manhattan qui faisait des maraudesauprs des sans domicile fixe. Ses garsvenaient de retrouver Sullivan errant dansGrand Central Station. Il tait agressif, com-pltement dsorient, ne sachant plus ni oil se trouvait ni mme quelle poque il
tait. Et toi, son propre fils, tu las fait
interner ? Ne crois pas que je laie fait de gaiet de
cur ! explosa Frank. Il avait disparu depuis
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plus de vingt-quatre ans. Il tait malade, vi-olent, incontrlable Il racontait nimportequoi ! Il saccusait du meurtre dune femmeEt puis je nai pas pris cette dcision seul. Il ya eu plusieurs expertises psychiatriques quifurent toutes sans appel : dlire de perscu-tion, psychose, dmence snile
Mais comment as-tu pu garder cela
secret ? Javais le droit de savoir ! Tu maspriv dun grand-pre. Jaurais pu lui rendrevisite, jaurais pu
Foutaises ! Tu naurais pas aim ce quil
tait devenu. quoi a taurait servi, derendre visite un lgume ? part te fairedu mal !
Je refusai de le suivre dans ce
raisonnement. Qui tait au courant ? Maman ? Masur ? Mon frre ?
Seule ta mre tait dans la confidence.Quest-ce que tu crois ? Jai tout fait pour ne
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pas bruiter laffaire. Je voulais protgernotre famille, protger lentreprise
Sauvegarder les apparences, comme
dhabitude a a toujours t le plus import-ant pour toi, nest-ce pas ? Tu memmerdes, Arthur !Je voulus rpondre, mais il avait
raccroch.
5.9 heures du matin, le lendemain
Tu sais ce quon dit, fiston : on na ja-mais de seconde chance de faire bonneimpression.
Tandis que nous patientions dans lescouloirs du tribunal, Jeffrey Wexler maidait ajuster mon nud de cravate ; son assist-ante, arme dun pinceau virevoltant, tentaitde camoufler mes cernes et ma tte de dter-r avec du fond de teint. Nous navions que
quelques minutes pour dcider de la
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stratgie adopter avant que je comparaissedevant le juge, mais, fidle la philosophiede mon pre, ctaient les apparences qui im-portaient Jeffrey plus que le fond dudossier.
Cest injuste, mais cest comme a, repritle vieil avocat. Si tu russis donner lechange la barre, tu as dj parcouru la
moiti du chemin. Le reste, tu me laissesmen charger.
Je le connaissais depuis que jtais enfantet, sans que je sache trop pourquoi, je lai-
mais bien. Il faut dire que lhomme de loiavait bien fait les choses. Non seulement ilmavait apport un costume, mais encore ilavait pens rcuprer mon portefeuille, macarte de crdit et tous mes papiers cartedidentit, permis de conduire, passeport pour tablir avec certitude mon identitdevant le tribunal. Dieu sait comment, ilstait aussi dbrouill pour que mon cas soit
examin en priorit.
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Cette premire audience dura moins dedix minutes. Suivant une routine paresseuse,un juge encore mal rveill nona rap-idement les faits qui mtaient reprochs,puis donna la parole successivement lac-cusation et la dfense. Jeffrey commenaalors son boniment. Dun ton convaincant,enchanant les syllogismes trompeurs, il en-
treprit de dmontrer que toute cette affairentait partie que dun malentendu insignifi-ant, et il demanda labandon de toutes lescharges qui pesaient contre moi. Sans trop se
faire prier, le procureur accepta de laissertomber le chef daccusation pour exhibition.Mais, aprs un dernier change muscl avecJeffrey, il refusa de requalifier celui de coupset blessures sur un reprsentant des forces
de lordre. Jeffrey annona que, dans cesconditions, nous allions plaider non coup-able. Le procureur demanda une caution devingt mille dollars que Jeffrey parvint faire
baisser cinq mille dollars. Puis le juge
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mannona que je serais convoquprochainement pour le procs et abaissa sonmarteau.
Affaire suivante !
6. peine laudience toucha-t-elle sa fin
que je compris que Jeffrey avait pour mis-sion de me ramener Boston. Il insista pourque je rentre avec lui, mais je voulais resterlibre de mes mouvements.
Frank ne va pas tre content, maugra-
t-il. Sil y a quelquun capable de lui tenir
tte, cest bien toi, non ?Il capitula et me glissa mme quatre bil-
lets de cinquante dollars dans la poche.Enfin libre !Je sortis du tribunal et parcourus pied
plusieurs pts de maisons. Il tait dj
10 heures du matin, mais lair de la ville tait
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encore frais. Son bourdonnement, rassurant.Je navais pas ferm lil de la nuit, mais jeme sentais libr dun poids et javais ret-rouv une certaine forme physique. Mes ar-ticulations taient souples, je respirais bien,ma migraine avait disparu. Seul mon ventreme faisait mal et gargouillait. Je fis une haltedans un Dunkin Donuts, moffris un grand
gobelet de caf et un beignet avant dereprendre ma course : Park Avenue, Madis-on, la 5e. La dernire fois que javais mis lespieds New York, ctait pour fter lenterre-
ment de vie de garon dun de mes collguestoubibs. Premire halte New York, puisvire Atlantic City. Je me souvenais quenous avions lou une voiture au stand Hertzde notre htel, le Marriott Marquis, clbre
pour son bar en hauteur qui tournait sur lui-mme et permettait davoir une vue troiscent soixante degrs sur Manhattan.
En arrivant sur Times Square, jeus le
mme haut-le-cur que chaque fois. Si, la
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nuit, les cascades de nons camouflaient lechancre qui le dvorait, en plein jour, lequartier ne pouvait masquer sa dimensionsordide : les enseignes de peep-show et lesdevantures des cinmas porno taient squat-tes par des SDF, des drogus aux ttes dezombies, des prostitues fatigues. Quelquestouristes furetaient dans des boutiques de
souvenirs glauques. Un type dent faisait lamanche, portant une pancarte HIV Posit-iv attache avec une cordelette autour deson cou. La cour des Miracles au croisement
du monde
4
.Je traversai Broadway et mengouffraidans le passage souterrain qui menait au hallde lhtel. Je retrouvai facilement le stand delagence de location de voiture. Lemployconsulta son ordinateur pour constater quemes rfrences taient toujours dans leurfichier. Pour ne pas perdre de temps, jaccep-tai le premier vhicule quon me proposa : un
Mazda Navajo deux portes aux lignes
http://localhost/var/www/apps/conversion/tmp/scratch_1/text/PL9.xhtml#footnote-003http://localhost/var/www/apps/conversion/tmp/scratch_1/text/PL9.xhtml#footnote-0037/24/2019 L'instant prsent - Musso.pdf
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tranchantes et carres. Au moment de rgler,je fus surpris mais soulag de constater quema carte de paiement tait toujours active.Je minstallai au volant et quittai Manhattanpar la FDR Drive en direction du nord.
Pour retrouver la mmoire, il me fallait re-venir au traumatisme initial. L o tout avaitcommenc : dans la cave du phare des
24-Vents.Pendant les quatre heures que dura le tra-
jet jusqu Cape Cod, je passai dune stationde radio une autre, alternant les missions
dinfos et les programmes musicaux. Quatreheures dapprentissage acclr pour rat-traper une absence de plus dun an. Jemesurai la popularit de Bill Clinton dontjignorais lexistence un an plus tt ; celledun nouveau groupe de rock alternatif, Nir-vana, dont les guitares satures envahis-saient les ondes. Jappris quau printempsdes meutes avaient dvast Los Angeles
aprs lacquittement des quatre policiers qui
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avaient tabass Rodney King. la maniredont un animateur dsannonait la chansonLiving On my Own, je compris que FreddieMercury avait d passer rcemment larme gauche. Sur une station consacre aucinma, des auditeurs discutaient de filmsdont je navais jamais entendu parler :BasicInstinct, The Commitments, My Own Priv-
ate Idaho
7.Il tait plus de 14 heures lorsque je men-
gageai dans lalle de gravier qui menait 24Winds Lighthouse. Indboulonnable et en-sorcelante, la silhouette trapue du phare sedressait solidement au milieu des rochers,
exposant ses flancs en bois peint au soleil es-tival qui brillait haut dans le ciel. En sortantde la voiture, je portai mes mains en visirepour me protger de la poussire que charri-ait un vent tourbillonnant qui venait des
falaises.
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Je montai la vole de marches en pierrequi conduisait au cottage. La porte de lapetite maison accole au phare tait ferme cl, mais un violent coup dpaule me permitde la faire cder.
En treize mois, rien navait chang. Mmemobilier rustique, mme dcoration figedans le temps. Poses dans lvier de la
cuisine, je retrouvai la cafetire Moka et latasse dans laquelle javais bu mon caf plusdun an auparavant. Quant aux cendres dansla chemine, elles navaient pas t
nettoyes.Jouvris la porte du corridor lambriss quireliait la maisonnette la tour du phare. Aubout du couloir, je soulevai la trappe quidonnait accs la cave et je descendis lesmarches grinantes pour rejoindre le localsouterrain.
Jactionnai linterrupteur. La pice rectan-gulaire tait telle que je lavais abandonne
un an plus tt. Sauf que, cette fois, la chaleur
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moite avait fait place un air sec et frais.Prs des tonneaux et des caisses en bois, jeretrouvai mes outils : la masse, le burin, labarre mine, recouverts de toiles daraigne.
Derrire le mur de briques ventr setrouvait la petite porte en fer forg. Javaisoubli de refermer la trappe au-dessus desescaliers. Un courant dair faisait grincer la
porte qui vibrait sur ses gonds rouills. Jemapprochai, sans peur, esprant que lessouvenirs se mettraient affluer et quenfinjy verrais plus clair. Comprendre. Je map-
pliquai faire les mmes gestes, essuyant,avec la paume de la main, la poussire sur laplaque en cuivre et son inscription latine quisemblait me narguer :
Postquam viginti quattuor ventiflaverint,
nihil jam erit
Il faisait de plus en plus froid. Lendroit
ntait dcidment pas le plus accueillant,
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mais je ne laissai pas ma dterminationflancher. En essayant de ne pas trembler, jepntrai dans ce qui ressemblait une pris-on. Cette fois, je navais pas de torche avecmoi. La cellule tait cerne par lobscurit. Jepris une grande respiration pour me donnerle courage de refermer le battant. Alors queje tendais la main vers la poigne, un coup de
vent me devana et referma brusquement laporte sur moi. Je sursautai, puis, paralys,attendis quelques secondes, le corps con-tract, prt faire face.
Mais rien ne se passa. Pas de convulsion,pas de dents qui claquent, pas de sang quibourdonne mes oreilles.
8.Je quittai le phare la fois rassur et frus-tr, persuad nanmoins dtre pass ctde quelque chose.
Javais besoin de rponses, mais il allait
falloir que je les trouve ailleurs. Peut-tre
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dans le cabinet dun psychiatre ou lors duneconsultation chez un neurologue.
Au volant de mon SUV, je mis le cap sur
Boston pour rentrer chez moi. Lheure etdemie de trajet me parut interminable. Der-rire mon volant, je piquais du nez. Contre-coup de la fatigue, javais la tte qui tournait,mes yeux se fermaient contre ma volont. Je
me sentais sale et puis. Javais besoin deprendre une douche, puis de faire le tour ducadran pour rattraper le sommeil que javaisen retard. Surtout, javais une faim intense.
Mon estomac se creusait, se contractait, cri-ait famine.Je me garai sur la premire place libre sur
Hanover Street avec lintention de rejoindre pied limmeuble o je vivais dans le NorthEnd. Dans quel tat allait tre mon apparte-ment ? Qui avait nourri mon chat pendantmon absence ?
En chemin, je marrtai au Joes Foods
pour me ravitailler : ptes, sauce au pesto,
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yaourts, produit vaisselle, botes deWhiskas En sortant de lpicerie, je portaisdeux gros sacs en papier kraft. Je pris lescal-ier fleuri de glycines qui reliait Hanover labutte sur laquelle tait construit mon im-meuble. Jattendis lascenseur avec mes deuxsacs sous les bras. Je rentrai dans la petitecabine lintrieur de laquelle rgnait une
odeur de fleur doranger et me contorsionnaipour appuyer sur le bouton du dernier tage.
Alors que les portes en fer se refermaientet que je repensais ce que mavait dit mon
pre, mes yeux se posrent sur le cadran dema montre. Il tait 17 heures. la mmeheure, hier, je me rveillais moiti poildans la cathdrale Saint-Patrick.
Vingt-quatre heures plus ttLe nombre vingt-quatre rsonna en moi
dune trange faon. Dabord, le phare des24-Vents, puis la disparition de Sullivan quiavait dur vingt-quatre ans.
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La concidence me parut trange, mais jeneus pas le temps de my appesantir. Ma vis-ion se troubla soudain. Je ressentis des pi-cotements lextrmit de mes doigts et unhaut-le-cur me souleva lestomac.Je tremblais de tous mes membres. Moncorps se raidit, comme si jen perdais le con-trle. Comme sil venait dtre court-circuit.
Comme si des milliers de volts traversaientmon cerveau.
Je lchai mes sacs de provisions.Puis une dflagration marracha au temps.
4. Crossroads of the Worldest lun des surnoms deTimes Square.
http://localhost/var/www/apps/conversion/tmp/scratch_1/text/PL9.xhtml#footnote-003-backlinkhttp://localhost/var/www/apps/conversion/tmp/scratch_1/text/PL9.xhtml#footnote-003-backlink7/24/2019 L'instant prsent - Musso.pdf
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1993
Sullivan
Sachez que je puis croiretoute
chose, pourvu quelles soientfranchement incroyables.
Oscar WILDE
0.Une pluie torrentielle brlante sabat sur
moi.Avec une telle force quil me semble quon
me plante des clous dans le crne. Lair estsatur dune vapeur quatoriale abrutis-
sante qui tourbillonne autour de moi etmaintient mes paupires agrafes. Jai lenez bouch, je suffoque. Je tiens debout,mais presque contre ma volont, dans un
tat proche de lhypnose. Mes jambes
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flageolent et ne vont pas tarder cder.Soudain, un cri effroyable dchire mestympans.
Jouvre les yeux en sursaut. Je suis dansune cabine de douche sous un jet deaupuissant !
1.Debout ct de moi, une jeune femme
nue, recouverte de savon et de shampoing,hurlait sen dcrocher la mchoire. Sestraits dforms taient figs par la surprise et
la frayeur. Je lui mis la main sur lpauledans un geste apaisant, mais, avant que jaiepu fournir la moindre explication, elle mas-sena un violent coup de poing sur le nez.
Chancelant, je portai les mains mon visagepour me protger. Alors que je tentais dereprendre mon souffle, un deuxime coupmatteignit en pleine poitrine et me fittrbucher sur le rebord en faence de la cab-
ine. Jessayai de me rattraper aux rideaux de
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douche, mais le sol tait glissant et jemtalai tte la premire contre le lavabo.
Terrorise, la jeune femme sortit de lacabine, attrapa une serviette et jaillit hors dela salle de bains.
Prostr au sol, je lentendis confusmentqui donnait lalerte ses voisins. Les motsme parvinrent dforms, confus, mais je dis-
tinguai pourtant violeur dans masalle de bains appelez la police
Toujours pli en deux, sonn, immobile, jetentai dessuyer leau qui ruisselait sur mes
paupires. Javais le nez en sang, jtais horsdhaleine, comme si je venais de courir unmarathon.
Mon cerveau commandait de me relever,
mais mes membres restaient paralyss. Jesavais pourtant que jtais en grand danger.Javais retenu la leon de la cathdrale Saint-Patrick. Il fallait tout prix que jvite laprison. Je rassemblai mes forces, parvins dif-
ficilement me redresser, balayai la pice du
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regard, me rapprochai dun cadre vitr.Jouvris la fentre guillotine : elle donnaitsur une voie prive coince entre deux im-meubles. En penchant la tte, je distinguaiplus loin une large avenue quatre voies,rectiligne, mais pentue.
Taxis jaune vif, enfilades de faades enbriques brunes et en fonte, citernes sur les
toits : a ne faisait aucun doute, jtais denouveau New York.
Mais o ?Et surtout quand ?
Alors que des voix se faisaient plus press-antes dans lappartement, jenjambai lechssis de la fentre et agrippai lescalier desecours en mtal. Je dvalai tant bien que
mal les marches jusqu la rue, choisis unedirection au hasard et dtalai aussi vite quemes muscles me le permirent. Mon regardaccrocha les deux panneaux vert et blanc quise chevauchaient lintersection des rues : jeme trouvais au croisement dAmsterdam
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Avenue et de la 109e. Au nord-ouest de Man-hattan donc, dans le quartier tudiant deMorningside Heights. Jentendis une sirnede police qui sapprochait. Paniqu, jetournai brusquement gauche pour quitterlavenue et me rfugiai dans une contre-alletroite borde darbustes.
Coinc entre deux immeubles, je me collai
contre le mur pour me planquer et pourrcuprer de mes efforts. Je mouchai dusang dans la manche de ma chemise. Moncostume tait tremp. Visiblement, je portais
les mmes vtements que ceux que mavaitlaisss Jeffrey Wexler. Coup dil machinal mon poignet. Javais toujours la montre demon grand-pre, la trs chic Tank qui indi-quait un peu plus de 9 heures du matin.
Mais de quel jour ?Jessayai de me concentrer. Mon dernier
souvenir : la cage dascenseur de mon ap-partement, mes sacs de provisions sur le sol,
la violente crise convulsive identique celle
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que javais eue la premire fois dans la cavedu phare
Jternuai. Lair tait doux, le ciel bleu, le
soleil dj chaud. Malgr a, je claquais desdents.Il me faut de nouvelles fringues.Je levai les yeux : il y avait du linge pendu
aux fentres. Sans doute pas les habits dontje rvais, mais je ntais pas vraiment ensituation de faire le difficile. Je sautai sur unconteneur dchets, puis escaladai la faadejusqu tre en mesure datteindre les vte-
ments. Jattrapai ceux qui me tombaientsous la main et les enfilai : un pantalon detoile, un maillot ray des Yankees, unblouson en jean. Rien ntait parfaitement
ma taille le pantalon tire-bouchonnait surles chevilles, la veste tait trop cintre ,mais au moins jtais au sec. Je rcuprai lesbillets et les pices de monnaie dans la pochede mon costume puis jetai les habits mouills
dans la poubelle.
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Je rejoignis lavenue et me fondis dans lafoule. De nouveau, je fus pris de vertiges, etmon estomac se souleva men donner mal la tte. Si je voulais pouvoir rflchir, il fallaitque je mange quelque chose. Je reprai undinerde lautre ct de la rue. Mais avant derentrer dans le restaurant, je glissai deuxquartersdans le distributeur automatique de
journaux. Je regardai la date en haut de lamanchette tout en ayant peur de ce que jal-lais y dcouvrir.
Nous tions le mardi 14 septembre 1993
2. Voici vos ufs, vos toasts et votre caf,
monsieur.
La serveuse dposa une tasse et une assi-ette sur la table en formica et me gratifiadun sourire avant de repartir derrire soncomptoir. Tout en dvorant mon petitdjeuner, je parcourus la une du New York
Timesavec attention :
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Yitzhak Rabin et Yasser Arafatscellent un accord de paix.Le prsident Clinton salue
un courageux pari .
Larticle tait illustr dune photo aussifrappante quinattendue : devant la Maison-Blanche, Bill Clinton, le sourire aux lvres et
les bras grands ouverts, se flicitait de lapoigne de main entre, sa droite, le Premi-er ministre isralien et, sa gauche, le leaderde lOrganisation de libration de laPalestine.
Ce geste symbolique et les dclarationsdes participants laissaient entrevoir lespoirdune paix prochaine entre les deux peuplesennemis. Mais tais-je dans la ralit ou
dans la quatrime dimension ?Je fis le point sur ma situation. Cette fois,
quatorze mois staient couls depuis mesderniers souvenirs. Un nouveau saut dans le
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temps brutal et inexplicable. Une parenthsedmesurment longue.
Bon sang, mais que marrive-t-il ?
Je sentais mes avant-bras et mes mainsqui tremblaient. Javais peur. Jtais terror-is comme un gamin persuad quun mon-stre se cache sous son lit. Je savais que jevivais quelque chose de grave qui avait faitbasculer ma vie hors des sentiers baliss.
Je respirai fond pour me calmer, commeje le conseillais parfois mes patients. Jedevais faire face, ne pas me laisser abattre.
Mais vers qui me tourner ? qui demanderde laide ?
La rponse ne fut pas longue venir : sur-tout pas mon pre qui ne savait que me
mentir. Une autre personne se dessinait dansmon esprit : le seul homme encore en vie quiavait probablement subi ce qui tait en trainde marriver : mon grand-pre, SullivanCostello.
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La serveuse fit le tour de toutes les tablespour sassurer quaucune tasse caf ne res-tait vide. Je profitai de son passage pour luidemander un plan de la ville en lui promet-tant un gnreux pourboire.
Pendant quil tait encore chaud, je prisquelques gorges de caf en repensant ceque mavait dit mon pre : Ton grand-pre
nest pas mort. Sullivan est New York. Ilest intern dans un hpital psychiatrique deRoosevelt Island.
Sur la carte que venait de mapporter la
serveuse, je visualisai la fine bande de terre,au milieu de lEast River : Roosevelt Islandtait une le improbable coince entre Man-hattan et le Queens. Trois kilomtres de longsur environ deux cents mtres de large o jenavais jamais mis les pieds. Je me souvenaisdavoir lu un vieux polar qui voquait laprsence dune maison darrt sur lle, maiselle avait d fermer ses portes depuis
longtemps. Ou peut-tre pas. En tant
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quinterne en mdecine je savais vaguementquil y avait deux ou trois centres hospitaliersencore actifs dans lle, dont un hpital psy-chiatrique tristement clbre : le BlackwellHospital, que tout le monde surnommait lePentagone cause de la forme de son bti-ment cinq faades. Ctait l que Sullivandevait tre intern.
La perspective de revoir mon grand-preme donnait non seulement un but, mais aus-si un peu de courage. Cest l quil fallait queje me rende immdiatement. Mais me
laisserait-on entrer ? Oui, a priori, si je par-venais prouver que jtais lun de ses des-cendants directs.
Soudain, un doute me traversa.
Mon portefeuille !Tout lheure, en vidant mes poches,javais bien rcupr de largent liquide, maispas mon portefeuille qui contenait mes papi-ers didentit.
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Paniqu, je payai mes consommations etretournai en courant dans la contre-alle. Leconteneur navait pas boug. Je retrouvai laveste de costume et le pantalon que je fouil-lai mthodiquement.
RienMerde !Sil y avait un peu de logique la situation
compltement irrationnelle que je vivais,mon portefeuille aurait d rester dans moncostume. Je ne voulais pas croire quon melavait vol : dans ce cas, le voleur aurait
piqu en priorit le cash que javais dans lespoches.
Jai d le perdreJe fis quelques pas pour rejoindre Amster-
dam Avenue. Mon cerveau continuait mouliner.Jai d le perdre dans la salle de bainsMes pas me conduisirent au pied de lim-
meuble do je mtais enfui une heure plus
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tt. Lendroit tait calme, presque dsert.Aucune trace de la police ni dune quel-conque agitation. Je contournai la btisse,bien dcid forcer ma chance. Lescalier desecours tait repli, mais je parvins lat-teindre en escaladant un muret. Je montaijusqu la fentre du troisime tage. Onavait nettoy les clats de verre et un simple
carr de carton bard de bandes adhsivescolmatait dsormais la vitre brise. Je le fissauter sans effort, soulevai le chssis pourmintroduire dans la pice.
Pas de bruit. Pas de comit daccueil. Lafille avait pass la serpillire la va-vite pourfaire disparatre les taches de sang et laflotte. Javanai pas de loup sur le carrel-age. premire vue, il ny avait pas lombrede mon portefeuille. Frustr, je maccroupis,regardai sous une commode bringuebalante,puis sous une colonne de rangement en boisblanc sur les tagres de laquelle
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sentassaient mdicaments, produits debeaut, schoir, trousses de toilette.
Et l, dans la poussire, japerus mon tui
en cuir craquel qui avait d glisser lorsqueje gisais prs du lavabo.Je tendis la main pour lattraper, vrifiai
quil contenait mes papiers didentit etpoussai mon premier soupir de soulagementdepuis longtemps. La sagesse aurait vouluque je rebrousse chemin, mais, gris parcette petite victoire et mis en confiance par lesilence de la maison, je maventurai hors de
la salle de bains.
3.Le logement tait vide.
Ctait un petit appartement en dsordre,mais la dcoration soigne. Sur le comptoirdu bar de la minuscule cuisine, on trouvaitun paquet de crales entam et unebouteille de yaourt boire que loccupante
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des lieux, sans doute partie prcipitamment,avait oubli de remettre sa place.
Je picorai quelques grains de bl souffls,
puis rangeai le carton sur une tagre et lelaitage dans le frigo. Quelque chose me re-tenait ici : le dsir de comprendre pourquoijavais justement repris conscience dans cetappartement.
Je furetai dans le salon. Deux tagrestroites dbordaient de livres. Poses enpiles prs du magntoscope, des dizaines deVHS : des pisodes de Seinfeldet de Twin
Peaks, des films dauteur : Paris, Texas deWim Wenders, Sexe, mensonges et vidodeSteven Soderbergh,Mean Streetsde Mar