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L’express
Guérir sans médicaments
Actualité/ Sciences
publié le 20/03/2003 à 00:00
Le psychiatre David Servan-Schreiber n'est pas un poseur de bombes. Pourtant,
le livre qu'il publiera, le 24 mars, aux éditions Robert Laffont risque de provoquer
une certaine déflagration dans le monde médical ou, au moins, de sérieusement
agacer. Son titre sonne comme un défi: Guérir le stress, l'anxiété et la dépression
sans médicament ni psychanalyse. En clair, ni Freud ni Prozac. De quoi susciter
quelques sourires, au pays de Descartes et de Lacan. De quoi faire réfléchir, aussi.
Car David Servan-Schreiber n'est pas l'un de ces gourous adeptes des poudres de
perlimpinpin et de la méthode Coué qui encombrent les étagères des librairies du
New Age. Son livre capte l'attention parce tous les préceptes et les conseils qu'il y
défend sont étayés de chiffres et lestés d'une somme d'études scientifiques dont il
paraît difficile de mettre en doute le sérieux. La personnalité même de son auteur
mérite qu'on s'y arrête: ce Français - il est le fils de Jean-Jacques, le fondateur de
L'Express - est l'un des pionniers de la recherche en sciences neurocognitives, tout
en ayant accumulé une longue expérience de praticien des maladies mentales.
Récemment, la revue en ligne Hypermind l'a classé parmi les 12 chercheurs les
plus remarquables au monde dans le domaine du cerveau, en compagnie du Nobel
Herbert Simon et du Français Jean-Pierre Changeux (L'Homme neuronal, Odile
Jacob). Il a reçu plusieurs distinctions: élu par ses pairs meilleur psychiatre de
Pennsylvanie et meilleur médecin de Pittsburgh. Bref, ce chercheur aime ses
patients. Et tient à les guérir. A tel point qu'il veut leur éviter les pièges de la
surconsommation médicamenteuse et de la noyade sur le divan des
psychanalystes. Lui propose une troisième voie: la médecine des émotions. Un
ensemble de traitements visant à soulager stress et dépression, avec des
méthodes qui font appel au corps plutôt qu'à la parole, quitte à court-circuiter cette
dernière. «Le langage n'est pas la voie royale vers nos émotions», assure-t-il. Sept
méthodes aux noms barbares, inspirées tantôt des médecines traditionnelles,
tantôt des techniques de pointe: intégration neuro-émotionnelle par les
mouvements oculaires (EMDR, Eye Movement Desensitization Reprocessing),
régularisation du rythme cardiaque pour contrôler les émotions, synchronisation
des horloges biologiques, acupuncture, exercice physique, apport d'acides gras
oméga 3, techniques de «communication affective».
«Un Français sur cinq consulte pour des troubles psychiques», souligne David
Servan-Schreiber. 11 000 Français se sont suicidés en 2002. Chaque année, en
France, 6% des hommes et 10% des femmes sont atteints par un épisode
dépressif, selon la Fondation pour la recherche médicale. Selon une toute récente
enquête menée par le Pr Jean-Pierre Olié, chef de service à l'hôpital Sainte-Anne,
à Paris, 1,5 million de Français absorbent quotidiennement des antidépresseurs.
Les conclusions de l'étude suggèrent «une tendance continue à l'augmentation de
la consommation d'antidépresseurs».
La psychanalyse? Une perte de temps
David Servan-Schreiber ne se déclare pas, par principe, hostile aux médicaments.
Il en prescrit lui-même. «Ils sont importants, et prodigieusement utiles», précise-t-
il. Mais autant les antibiotiques sont efficaces, puisqu'ils guérissent définitivement
les infections, autant les bienfaits des médicaments psychiatriques sont relatifs: ils
cessent, affirme-t-il, dès qu'on interrompt le traitement. Le taux de récidive d'un
épisode dépressif sur deux ans est de 35%, et de 60% sur douze ans, selon la
Fondation pour la recherche médicale. «Nous vivons sous la tyrannie du syndrome
des antibiotiques, déplore Servan-Schreiber, qui ont constitué une révolution après
la guerre. De même que l'on cherche le bon antibiotique pour la bonne bactérie, on
voudrait la bonne pilule pour le bon trouble psychologique.» Et le réflexe de
prescription est devenu à ce point généralisé que, «si une patiente pleure devant
son médecin, écrit-il, elle est pratiquement sûre de se voir proposer une
ordonnance pour un antidépresseur».
Quant à la psychanalyse, c'est souvent une perte de temps, accuse David Servan-
Schreiber. Selon lui, elle entraîne les patients dans la dépendance - une analyse
dure, en moyenne, six ans. «Guérir n'est d'ailleurs pas le but de ce travail, dénonce-
t-il. Les psychanalystes en conviennent: il s'agit seulement de s'accepter. Si, après
ce travail sur soi, on se sent mieux, c'est du bonus.»
Dans la salle à manger de David Servan-Schreiber, une photo en noir et blanc d'un
JJSS tout jeune, flanqué de deux enfants, est posée sur une étagère. «L'esprit de
mon père souffle à travers toutes les pages de mon livre», affirme-t-il. Il l'a en partie
écrit sur le bureau où, il y a trente ans, il l'avait vu, tout un été, rédiger son best-
seller, Le Défi américain. David vient seulement de rentrer en France, après vingt
ans passés aux Etats-Unis.
En 1980, après avoir commencé ses études de médecine au centre hospitalier
universitaire Necker, à Paris, il était parti pour les Etats-Unis. Il se passionne pour
l'informatique. «C'était alors le début de l'intelligence artificielle appliquée à la
médecine, raconte-t-il. On commençait à se servir des ordinateurs pour l'étude du
cerveau. Je m'y intéressais énormément. Je voulais étudier dans un département
de pointe.» Le jeune Servan-Schreiber termine ses études de médecine à
l'université Laval, au Québec. Il part ensuite pour l'université Carnegie Mellon, à
Pittsburgh, aux Etats-Unis, campus le plus avancé dans les sciences de
l'informatique. «Je leur ai alors proposé de faire un doctorat dans un domaine qui
n'existait pas encore: les sciences neurocognitives, sous l'égide du Pr Herbert
Simon et de James McLelland, l'un des pionniers de la simulation des réseaux de
neurones par ordinateur», raconte-t-il. Sa thèse de doctorat est publiée en 1990
par la prestigieuse revue Science, puis il cofonde, avec Jonathan Cohen, le premier
laboratoire de sciences neurocognitives appliquées à la psychiatrie. 20 personnes
travaillent sous la direction des deux jeunes médecins. A l'aide d'ordinateurs, ils
réalisent des simulations des réseaux de neurones pour comprendre leur rôle dans
les émotions. «Nous avons senti qu'il y avait une révolution dans la chimie du
cerveau,» raconte le Dr Jonathan Cohen, aujourd'hui directeur du Center for the
Study of the Brain, Mind and Behavior, à Princeton, qui a le calibre, selon les
spécialistes, d'un futur Prix Nobel. «La psychiatrie souffrait jusque-là d'un
dédoublement de la personnalité, poursuit le chercheur. Une partie de cette
discipline étudiait le comportement de l'esprit, l'autre, le cerveau. Nous avons
réalisé des modèles informatiques pour comprendre comment fonctionnait le
cerveau et quels étaient les mécanismes de ses dysfonctionnements.»
Au bout de six ans, le contact avec les patients lui manquait. «Plus ça marchait en
science pure, et moins j'en voyais, se souvient-il. Je n'avais plus le temps. Mais,
quand je soignais des malades, à la fin de la journée, je me sentais bien. Savoir
comment aider les individus qui souffraient était finalement plus intéressant que la
recherche.» Servan-Schreiber retourne suivre trois ans de spécialisation en
psychiatrie, toujours à Pittsburgh. A sa sortie, en 1997, il est engagé comme chef
du département de psychiatrie de l'hôpital de Shadyside, qui dépend de l'université
de Pittsburgh, l'une des plus importantes du pays. Le département reçoit plus de
fonds de recherche du gouvernement que tous les autres - y compris le prestigieux
département de transplantation hépatique et cardiaque. Servan-Schreiber, alors,
enseigne et voit des patients. «J'ai adoré travailler là, confie-t-il. C'est l'année la
plus heureuse de ma vie. J'étais confronté à la réalité et je pouvais faire quelque
chose de concret pour aider les gens.» «Il est brillant, c'est un visionnaire, affirme
le Dr David Blandino, son patron à Shadyside. C'est un formidable professeur qui
allie un don pédagogique à une grande intensité.»
Après sa formation scientifique dans le laboratoire, David Servan-Schreiber est
déconcerté par la réalité de la pratique clinique. «Les médecins me semblaient trop
imprécis dans leur démarche, explique-t-il. Ils étaient beaucoup plus intéressés par
la pratique que par les fondements scientifiques de ce qu'ils enseignaient. J'avais
l'impression de n'apprendre que des recettes. Je trouvais cela trop éloigné de
l'esprit de questionnement permanent et de la précision mathématique qui m'était
devenue familière.»
En 1996, David Servan-Schreiber vit une expérience qui constitue un tournant dans
sa carrière. Il a alors 34 ans, et part mener une évaluation des réfugiés tibétains à
Dharamsala, où réside le dalaï-lama, pour Médecins sans frontières, dont il est l'un
des cofondateurs aux Etats-Unis. «La médecine tibétaine, à base d'herbes,
d'acupuncture et de méditation, avait l'air d'être un gag. Lorsque j'ai demandé à
des gens pour lesquels j'avais une grande estime: ?Qui allez-vous voir quand vous
êtes malade? ? Tous m'ont répondu: ?Si nous avons une fracture ou une
appendicite, nous consultons la médecine occidentale. Mais si nous avons une
maladie chronique, ses traitements ne marchent pas.?» C'était comme si, soudain,
un voile se levait: ce que l'on traitait à Pittsburgh, c'étaient des maladies chroniques
avec les moyens de la médecine aiguë. Quand les gens viennent nous voir pour
l'asthme, nous leur donnons un produit pour traiter la crise d'asthme, pas pour
guérir la maladie elle-même. Or, en psychiatrie, toute maladie est chronique.» Il
ajoute: «Je n'ai rien contre la science, évidemment. Je suis sorti du terreau de la
médecine occidentale.» Mais, parce que les études sur l'efficacité des méthodes
alternatives commencent à s'accumuler depuis une vingtaine d'années, que les
données sont publiées dans les revues scientifiques les plus sérieuses, Servan-
Schreiber décide de s'y mettre: «Je n'avais plus d'excuses pour ne pas apprendre
ces autres méthodes. J'ai alors découvert qu'en réalité elles n'étaient pas utilisées
parce qu'elles exigent des consultations plus longues. L'acupuncture ou l'hypnose
prennent du temps. Or il y a une pression fantastique pour remplacer ces remèdes
par des interventions qui rapportent de l'argent.»
Des techniques complémentaires
Autre clef des résistances du milieu médical, selon lui: les traitements
conventionnels font vivre quantité d'intermédiaires. «Chaque fois que je prescris du
Prozac, il y a toute une chaîne de gens qui, derrière moi, gagnent de l'argent - du
labo aux démarcheurs médicaux. Le système économique a tout à gagner à ce que
je prescrive un médicament» (lire l'article sur Philippe Pignarre). Autre frein à
l'adoption des techniques «complémentaires»: la plupart de ces interventions ne
peuvent pas faire l'objet d'un brevet, il n'y a donc aucun intérêt financier à investir
dans la recherche. Enfin - et c'est peut-être là le véritable verrou - on ne comprend
pas encore les mécanismes d'action d'un grand nombre de ces pratiques. «Des
études, comme celles de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ou du National
Institute of Health, démontrent l'efficacité de certains traitements, telle
l'acupuncture, qui combat la nausée pendant la grossesse - mais on ne peut pas
expliquer pourquoi cela marche. De la même façon, il a fallu quinze ans pour que
le lithium soit approuvé. On ne saisissait pas comment un sel naturel soignait les
maladies maniaco-dépressives. La médecine occidentale - et je l'approuve - veut
comprendre. C'est un obstacle à l'acceptation de certaines techniques.» D'aucuns
déclarent qu'ils ne croient pas en ces traitements, déplore-t-il. «Mais croit-on aux
antibiotiques? Non. On observe leur efficacité, et on les utilise!»
En 1997, David Servan-Schreiber est l'un des cofondateurs du Center for
Complementary Medecine (CCM), à l'université de Pittsburgh, l'un des tout
premiers centres de médecine alternative rattaché à un hôpital universitaire. «Nous
avons volontairement utilisé ?complémentaire?plutôt qu'?alternative? parce que
nous ne voulions pas nous livrer à du prosélytisme, explique le Dr Harold Pincus,
vice-président du département de psychiatrie à l'université de Pittsburgh. Il
s'agissait d'étudier ce que les expérimentations nous donnaient, de voir comment
on pouvait appliquer ce que l'on trouvait et d'analyser quels étaient les mécanismes
au travail.»
Des ordonnances surprenantes
A partir de 1997, pendant cinq ans, David Servan-Schreiber étudie et met en
pratique la nouvelle médecine des émotions qu'il développe aujourd'hui. «C'était
passionnant parce qu'il fallait se défendre et constamment rechercher des
arguments pour préserver le centre», lance-t-il. Surtout, au CCM, il est obligé de
soumettre ces techniques «complémentaires» aux critères draconiens de
l'expérimentation scientifique, en partie pour calmer le scepticisme de certains
médecins. «Les mandarins les plus académiques de l'hôpital voulaient d'abord être
certains que ce qui était pratiqué sur les malades était absolument sans risque,
explique le Dr Blandino. Ensuite, nous devions fournir les preuves que les
traitements que nous proposions étaient véritablement efficaces. C'était la
responsabilité de David.»
Les ordonnances de celui-ci ont parfois de quoi surprendre ceux qui fonctionnent
encore dans l'ancien paradigme. A l'hôpital de Pittsburgh, avant de les laisser sortir,
les médecins lui confiaient les patients souffrant de dépression après un pontage
coronarien ou bien se remettant lentement d'une fracture du col du fémur. «Les
collègues qui m'avaient précédé avaient déjà prescrit une longue liste de
médicaments, raconte-t-il. Antiarythmiques, antihypertenseurs, anti-
inflammatoires, antiacides, etc. On attendait que je joue mon rôle et que j'ajoute
mon ?anti? à moi.» Mais Servan-Schreiber trouve stérile de participer à cette
course aux médicaments. Ses recommandations dans le dossier médical, alors,
font parfois penser à la nouvelle de l'écrivain anglais Jerome K. Jerome dans
laquelle le narrateur déclenche l'hilarité du pharmacien lorsque celui-ci découvre
l'ordonnance prescrivant comme remède à son mal un steak et un verre de vin.
«Quant à la dépression, le plus bénéfique pour ce patient serait de se procurer un
chien, écrit David Servan-Schreiber. Si le patient soutient que ce sera trop de
travail, un chat fera l'affaire, lequel n'a pas besoin d'être sorti. Si cela lui semble
toujours trop, un oiseau, ou bien un poisson. Si le patient refuse toujours, alors,
une belle plante d'appartement.» Au début, admet-il, il reçoit «des coups de fil un
peu irrités» des internes des services de chirurgie orthopédique ou
cardiovasculaire, «peu habitués à ce que l'on prescrive une ménagerie aux
malades». A tort, souligne David Servan-Schreiber. Selon une étude publiée dans
l'American Journal of Cardiology, les hommes et les femmes victimes d'un infarctus
qui possèdent un animal de compagnie ont six fois moins de risque de mourir dans
l'année suivant l'opération. Une autre enquête de Harvard démontre que le simple
fait de s'occuper d'une plante «réduit de moitié la mortalité des pensionnaires des
maisons de retraite». David Servan-Schreiber s'applique à lui-même ses propres
remèdes. Il vit avec son chat, Titus, un magnifique abyssin, qui lui a été offert par
son oncle, Jean-Louis Servan-Schreiber, directeur de la revue Psychologies
Magazine, à laquelle David collabore régulièrement. Les grands principes de sa
médecine des émotions reposent sur des observations à la fois simples et subtiles.
A l'intérieur du cerveau se trouve un cerveau émotionnel, avec une architecture
singulière et une organisation cellulaire différente du reste du néocortex, la partie
la plus évoluée du cerveau, siège du langage et de la pensée. Or le cerveau
émotionnel fonctionne souvent indépendamment du néocortex: on ne peut pas
commander à une émotion d'augmenter, de la même manière qu'on ne peut
commander à son esprit de parler ou de se taire.
Le cerveau émotionnel contrôle tout ce qui régit le bien-être psychologique et une
grande partie de la physiologie du corps: le fonctionnement du c?ur, la tension
artérielle, les hormones, le système digestif et même le système immunitaire.
Les désordres émotionnels sont la conséquence de dysfonctionnements de ce
cerveau émotionnel. Souvent, ils ont pour origine des expériences douloureuses
sans rapport avec le présent, mais imprimées de façon indélébile dans ce cerveau
émotionnel. «Ce sont ces expériences, expose David Servan-Schreiber, qui
continuent souvent de contrôler notre comportement, parfois des dizaines d'années
plus tard. La principale tâche du psychothérapeute est de «reprogrammer» le
cerveau émotionnel afin qu'il soit adapté au présent, au lieu de continuer de réagir
à des situations du passé. Il est souvent plus efficace d'utiliser des méthodes qui
passent par le corps et influent directement sur le cerveau émotionnel, peu
perméable à la raison.»
Sept méthodes pour trois maux
Les techniques de David Servan-Schreiber, qui, affirme-t-il, «ont été validées
scientifiquement par des études offrant des garanties de rigueur et de crédibilité»,
peuvent parfois paraître simplettes - courir, mieux se nourrir, prendre soin d'un
animal, voire bouger les yeux - afin de guérir d'un mal aussi sérieux que la
dépression. Pour convaincre, David Servan-Schreiber aime raconter l'histoire de
Keith. Ce jeune homme souffrait, depuis cinq ans, d'une grave dépression. Lorsqu'il
a consulté le service de biologie psychiatrique du Hammersmith Hospital, à
Londres, le psychiatre qui l'a examiné, le Dr Puri, a été consterné. Son score au
test mesurant le degré de dépression était le plus élevé qu'il eût jamais vu. Le Dr
Puri lui proposa un traitement à base d'huile de poisson purifiée, qui régénère les
membranes des neurones. Il supprima tous les médicaments, sauf un
antidépresseur. Neuf mois plus tard, tous les symptômes du mal s'étaient dissipés.
«Le métabolisme du cerveau du jeune homme s'était modifié du tout au tout»,
raconte Servan-Schreiber. Le résultat est si étonnant que le Dr Puri en a publié la
description dans les Archives of General Psychiatry. «C'est une preuve que cette
approche est efficace même quand, comme dans ce cas, il ne s'agit pas de la petite
pathologie de ville», souligne Servan-Schreiber.
La maladie revient-elle si on interrompt le traitement? Les chiffres sont parlants:
lorsqu'on enlève leurs antidépresseurs aux patients, 50% d'entre eux rechutent.
Avec l'intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires, une étude de
suivi montre que, quinze mois plus tard, les malades n'ont pas rechuté. «On peut
donc parler de guérison», affirme le psychiatre. Des chercheurs de l'université
Duke, en Caroline du Nord, ont récemment réalisé une étude comparative du
traitement de la dépression par le jogging et par un antidépresseur reconnu, le
Zoloft. Après quatre mois de traitement, les patients des deux groupes se portaient
aussi bien. La prise de médicaments n'offrait aucun avantage particulier par rapport
à la pratique régulière de la course à pied. Mais, un an plus tard, la différence était
notable: plus d'un tiers des personnes soignées au Zoloft avaient rechuté, alors
que 92% de celles qui avaient été soignées par le jogging allaient tout à fait bien.
David Servan-Schreiber propose donc sept méthodes pour soigner la dépression,
l'anxiété et le stress - trois maux qui font de plus en plus de ravages. Une étude
publiée en 1995 montre que le stress est un facteur de risque plus important que
la cigarette pour les maladies du c?ur. «Les sept approches que j'utilise dans ma
pratique, déclare-t-il, exploitent les mécanismes d'autoguérison présents dans le
cerveau humain.» Et il ajoute qu'il ne s'agit surtout pas de croyances. Trois d'entre
elles sont particulièrement originales et seront sûrement discutées.
1. La cohérence cardiaque.
Le diagramme d'un c?ur en bon état doit avoir une alternance régulière
d'accélérations et de décélération du rythme cardiaque. Cette forte variabilité des
battements du c?ur correspond à ce que les médecins appellent la «cohérence».
«Le c?ur est alors comme un joueur de tennis qui passe d'un pied sur l'autre en
attendant le service de son adversaire, explique David Servan-Schreiber. S'il est
rigide, le joueur risque de rater le service, voire de tomber - ce qui, pour le c?ur,
serait une arythmie.» Cette variabilité est maximale à la naissance. Ensuite, nous
en perdons 3% par an, jusqu'à notre mort. Or les émotions négatives - la colère,
l'anxiété, la tristesse, les soucis banals, même - font chuter la variabilité cardiaque.
«C'est précisément l'accumulation des passages chaotiques, qui, à la longue,
drainent notre énergie», poursuit Servan-Schreiber. 6 000 cadres de plusieurs
grandes entreprises britanniques - Shell, BP, Unilever, Hongkong Shanghai
Banking Corp. - ont participé à des séminaires pour apprendre la cohérence
cardiaque. David Servan-Schreiber analyse comment parvenir à la cohérence: «La
meilleure façon est de prendre deux respirations lentes et profondes qui stimulent
notre système parasympathique. Il faut laisser son attention accompagner le
souffle tout au bout de l'expiration et faire une pause de quelques secondes.» Il
faut ensuite reporter l'attention sur la région du c?ur et imaginer que l'on respire à
travers le c?ur. Deux chercheurs du Heartmath Institute, en Californie, ont publié
une étude dans l'American Journal of Cardiology. Selon ceux-ci, le simple fait
d'évoquer une émotion positive, grâce à un souvenir, induit très rapidement une
transition de la variabilité cardiaque vers une phase de cohérence.
Après six mois d'entraînement, 80% des cadres, eux, ne se disaient plus épuisés,
et ils étaient six fois moins nombreux à souffrir d'insomnie. «Si vous dites: ?Faites
de la méditation, du yoga?, les gens pensent New Age et ne vous entendent pas,
remarque David Servan-Schreiber, qui a récemment animé un séminaire avec les
cadres de la Caisse d'épargne. Au contraire, si vous montrez que vous pouvez
apprendre à contrôler votre physiologie, à glisser à travers les difficultés de
l'existence, et que vous constatez comment l'organisme réagit, alors là, ça change
tout.» Avantage de la méthode, contrairement au yoga ou à la méditation, la
cohérence se pratique dans toutes les situations de la vie courante.
2. L'intégration neuro-émotionnelle par les mouvements
oculaires.
C'est l'une des pratiques les plus déroutantes de David Servan-Schreiber - qui
l'utilise surtout avec les grands traumatisés - bien qu'elle soit désormais largement
utilisée en Europe: quelques séances, pendant lesquelles le patient suit des yeux
les mouvements de droite à gauche d'un métronome ou d'une baguette, tout en
évoquant le souvenir du traumatisme, et le patient est, de manière spectaculaire,
remis sur pied. «Au début, raconte David Servan-Schreiber, j'étais extrêmement
sceptique. L'idée que l'on pouvait résoudre des traumatismes émotionnels en
bougeant les yeux rythmiquement me paraissait totalement saugrenue. Ce qui a
fini par me convaincre, c'est une étude sur le traitement de 80 patients présentant
des traumatismes émotionnels importants. Dans celle-ci, publiée par le Journal of
Consulting and Clinical Psychology, 80% des malades ne montraient plus de
symptômes de troubles post-traumatiques liés au stress après trois séances.»
«C'est une méthode scientifiquement validée dans un secteur où peu de choses le
sont», affirme le Pr Jean Cottraux, de l'hôpital neurologique de Lyon et auteur de
La Répétition des scénarios de vie (Odile Jacob). Tout se passe, commente le
psychiatre qui a travaillé au Kosovo avec des enfants victimes de viols ou de graves
blessures, comme si les mouvements oculaires facilitaient un accès rapide à tous
les canaux d'association connectés au souvenir traumatique ciblé par le traitement.
Au fur et à mesure que ces canaux sont activés, ils peuvent se connecter aux
réseaux cognitifs qui, eux, contiennent de l'information ancrée dans le présent.
3. Acides gras oméga 3.
L'Occident a connu deux grandes révolutions, affirme David Servan-Schreiber: «Le
jour où les historiens se pencheront sur l'histoire de la médecine du XXe siècle, je
crois qu'ils décèleront deux tournants majeurs. Le premier est la découverte des
antibiotiques; le second est une révolution en cours: la démonstration scientifique
que la nutrition a un impact profond sur presque toutes les grandes maladies de la
société occidentale. Les cardiologues commencent à peine à l'admettre. Les
psychiatres en sont encore très loin.» Depuis une dizaine d'années, les chercheurs
se sont rendu compte de l'importance pour le cerveau des acides gras essentiels
dits oméga 3, qui font fonctionner le cerveau et que l'on trouve surtout dans le
poisson (saumon sauvage, maquereaux, anchois, sardines et harengs,
notamment), mais aussi dans la graine de lin, l'huile de colza, les noix et les haricots
de soja. En Israël, le Dr Nemets a mené une expérience en soignant ses patients
avec l'oméga 3. Plus de la moitié de ceux qui, jusque-là, n'avaient réagi à aucun
traitement ont vu leur dépression disparaître en trois semaines. Une deuxième
étude, publiée dans les Archives of General Psychiatry, rapporte des résultats
analogues.
Les autres méthodes préconisées par le psychiatre sont plus classiques: l'énergie
de la lumière, qui réduirait la dépression, l'acupuncture, dont les aiguilles sont
capables de bloquer les régions du cerveau émotionnel, sièges de la douleur et de
l'anxiété, selon une étude menée à Harvard; l'exercice physique, qui produit, au
bout de plusieurs mois, exactement le même effet que la prise d'un antidépresseur.
Pourtant, ces traitements préconisés par David Servan-Schreiber ne valent rien
sans ce qu'il appelle la «communication émotionnelle». «Quelle différence y a-t-il
entre les gens qui sont heureux et ceux qui ne le sont pas? s'interroge-t-il. Ceux
qui sont heureux sont en relation avec un être humain, en tout cas avec le vivant.»
L'essentiel est d'être «en relation avec le vivant». C?urs brisés, de Murray Parkes,
étude statistique d'accroissement de la mortalité chez les veufs, publiée par le
British Medical Journal, a montré que la survie moyenne des hommes âgés ayant
perdu leur femme était de loin inférieure à celle d'hommes dont l'épouse était
encore en vie.
C'est peut-être avec ce mélange d'évidence oubliée et d'audace dans les
interventions thérapeutiques que David Servan-Schreiber nous oblige à
appréhender autrement nos problèmes psychologiques. Ses thèses ne sont pas
inscrites dans les tables de la Loi, mais elles méritent d'être observées. Il est temps
d'ouvrir notre champ d'investigation, dans un pays qui détient le record mondial de
consommation d'antidépresseurs.