Post on 30-Mar-2016
description
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les roues del’infortune
Les Éditions de Juillet
Pierrick Baudais et François Macquaire
PSA RENNES : LA RéALité
d’uN PLAN SociAL
vécu dE L’iNtéRiEuR
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préfacePar Pascal Pellan
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L’automobile a traversé le xxe siècle à vive allure, embarquant avec elle, au
passage, des décennies d’innovations et de révolutions technologiques. Les
nouveaux matériaux en ont fait un véhicule plus sûr, plus léger, plus économe
et donc moins polluant ; l’électronique et l’informatique en ont fait une voiture
intelligente, les TIC (les technologies de l’information) un véritable espace de
communication,
Mais l’empreinte de l’automobile dépasse les seuls horizons techniques.
Symbole d’une société industrielle conquérante, elle a suscité, à bien des égards,
l’émergence de nouvelles puissances économiques régionales et accompagné une
politique ambitieuse d’aménagement du territoire. L’implantation de Citroën sur
le site de La Janais, en 1960, et la multitude d’entreprises partenaires qui se sont
greffées dans son sillage, en sont une extraordinaire démonstration. Et pouvons-
nous dire que la Bretagne ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui sans cette filière
industrielle automobile, amorcée au plus fort d’une politique très volontariste
d’aménagement du territoire et impulsée par le général de Gaulle qui marquera
d’ailleurs de son prestige l’inauguration de cette usine.
Certes l’Histoire de l’automobile de ces cinquante dernières années ne s’est pas
faite sans heurts, sans restructurations ; l’angoisse, le doute mais aussi l’espérance
ont jalonné la route de la filière automobile et ces sentiments se sont exacerbés
au rythme de la globalisation et de la mondialisation du marché. L’usine de La
Janais a été et est toujours au cœur de cette dramatique réalité et le grand mérite
du beau travail de Pierrick Baudais et de François Macquaire est d’humaniser, au
travers des témoignages émouvants, ces diverses mutations qui n’affectent pas
seulement les cours de bourse mais aussi la vie des « gens ».
À ce stade, des questions se posent, et elles sont bien posées dans le livre sur ce
qu’il aurait fallu faire hier et ce qu’il faudrait faire demain .
Je laisse le lecteur découvrir les différents points de vue développés par les auteurs
et les experts interrogés, me contentant pour ma part de livrer une grille de lecture
des événements actuels.
Premièrement, depuis un quart de siècle, l’industrie automobile française,
dans son ensemble, a su relever beaucoup de défis technologiques : le défi
électronique et informatique, le défi de la sécurité, le défi écologique. À bien
des égards, elle a été en avance sur ses concurrents et peut-être même, peut-
on dire, qu’elle a péché par excès. Dans cette course au progrès, La Janais a fait
sa part de travail et il est justice de lui en porter témoignage.
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De même, il semble nécessaire de dire que le site de La Janais ne s’est pas replié
sur lui-même mais a été pour ses fournisseurs de rang 1 et de rang 2 un formidable
diffuseur de technologies, de méthodes et d’organisation. Le réseau Performance
2010 a tiré toute la galaxie automobile bretonne vers le haut et vers des exigences
de qualité qui ont manifestement facilité la diversification des entreprises sous-
traitantes vers d’autres marchés.
Troisièmement, on ne comprend pas la situation présente si on ne met pas en
perspective l’évolution du coût des véhicules au cours de ces dernières décennies.
En valeur absolue, une voiture d’aujourd’hui, pourtant mieux équipée, est vendue
moins chère qu’une voiture d’il y a 30 ans. D’incomparables réductions de coûts
ont été imposées aux constructeurs, mais dans cette bataille des prix et de la
compétitivité, force est de reconnaître que l’industrie française a concouru avec
des handicaps de coûts particulièrement pénalisants. Cette situation n’a d’ailleurs
pas seulement affecté les marques françaises mais l’ensemble des constructeurs
historiques et des géants n’ont pas été épargnés par la révolution du marché
automobile. Seule l’industrie allemande échappe encore à la règle mais il s’agit là
d’une illustration supplémentaire de l’exception germanique.
Maintenir une filière automobile forte dans notre pays, maintenir ou à tout le
moins freiner les suppressions d’emplois s’inscrit, indépendamment de la notion
de taille critique et de rapprochement avec d’autres constructeurs, dans une
réflexion globale sur la compétitivité de l’industrie française et à cet égard, le Plan
qui vient d’être adopté à la suite du rapport Gallois laisse espérer des retombées
positives.
Maintenir une filière automobile nécessite aussi de ne pas vouloir faire de cet
indispensable objet le bouc émissaire d’un modèle de société et de ses excès.
Certes l’automobile n’a peut-être pas été aussi vertueuse qu’il eût fallu ; mais
elle a été plus responsable que d’aucuns s’attachent à dire et sans doute plus
volontariste que d’autres secteurs. Et ce qui se profile demain, l’optimisation
des moteurs thermiques et le développement des systèmes hybrides, la pile à
combustible et bien sûr le véhicule électrique peuvent réconcilier la liberté offerte
par ce moyen de transport avec les exigences écologiques. L’automobile n’est pas
un handicap pour passer d’un ancien modèle économique à une société durable ;
elle peut en être un facilitateur, ne serait-ce que pour rendre possible ce besoin de
plus en plus fort de proximité.
Tout le monde est à peu près d’accord pour dire que nous sommes en train de
changer de monde. Mais ce n’est pas parce que c’est la fin d’un monde que c’est la
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fin du monde. Comme le rappelait récemment Laurent Berger, secrétaire général
de la CFDT, « vivre mieux demain est possible mais autrement », et dans cet
autrement, il y a l’exigence pour l’automobile de se réinventer.
Alors, dans ce contexte, quel avenir pour La Janais ? On serait tenté de dire qu’au
regard de tout le chambardement attendu, rien n’est écrit d’avance et qu’il y a
toujours une marge de manœuvre dont il faut pouvoir tirer le meilleur parti.
Dans une France qui a peur du changement, la stratégie du pessimisme est
souvent une tentation forte ; mais on serait tenté de dire que c’est trop facile
d’être pessimiste, et en plus il est trop tard. En fait, il faut être courageux, au sens
où le philosophe contemporain André Comte-Sponville le définit : « le courage dit-
il, c’est la lucidité pour tout ce qui ne dépend pas de nous et la volonté pour tout
ce qui en dépend. »
Oui, il faut être lucide pour savoir que dans ce secteur la compétition est impitoyable
et que refuser de s’adapter, c’est signer son arrêt de mort.
Oui, il faut être lucide aussi pour reconnaître que les restructurations même les
mieux préparées et les plus financées, génèrent des frustrations et des déceptions
qui fragilisent les individus, dans leur vie professionnelle et personnelle ; les moins
chanceux ou les plus vulnérables en paient même le prix fort !
Oui il faut être volontaire et même audacieux pour donner au génie français et
breton les moyens de s’exprimer en fertilisant toutes les initiatives et les savoir-
faire qui permettront de réinventer une automobile, réconciliée avec l’idée que l’on
se fait d’une société durable. En matière de transition énergétique, la Bretagne est
en train de s’affirmer comme un territoire d’expérimentation et l’automobile peut
être un moyen de fédérer tout ce potentiel d’initiatives et de recherches.
Il faut souhaiter et espérer que La Janais reste la vitrine économique que l’on
connaît ; ce serait en effet la preuve la plus éclatante que la Bretagne a bien réussi
son entrée dans la Troisième révolution industrielle.
Pascal Pellan, ancien directeur de la chambre des métiers et de l’artisanat des Côtes-d’Armor et l’un des
fondateurs du Véhipôle à Ploufragan, à la fois pôle de formation automobile et vitrine du futur de l’automobile.
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introduction
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«Il faut une excellente tenue de route pour transporter pendant des années
un grand homme sans le faire vaciller », entonnaient les publicitaires de
la marque aux chevrons, au cours des années 1960. C’est un fait, la voiture des
présidents de la République française fut le plus souvent une Citroën. Mais un
seul d’entre eux est venu sur le site de La Janais, près de Rennes. Il s’agit du
général de Gaulle.
Le 10 septembre 1960, le président de la République se rend à bord de sa DS, à
Chartres-de-Bretagne, pour visiter le chantier de l’usine Citroën. Mais rien ne se
passe comme prévu : au moment où il appuie sur le bouton de mise en marche de
la presse d’emboutissage, une coupure de courant se produit.
« Cela n’est rien, je pense que cela marchera. Continuons ! », aurait alors
relativisé le général.
En réalité, tout fonctionne correctement et l’aventure débute réellement le
24 avril 1961 lorsque la première Citroën Ami 6 (une 3CV) sort des chaînes de
l’usine. Suivront d’autres véhicules comme la Dyane et la GS.
L’année 1976 marque un tournant dans l’histoire de l’usine. Le gouvernement
demande à Peugeot de racheter Citroën pour éviter la faillite de son concurrent :
PSA Peugeot Citroën voit le jour. Cette union donne naissance à la Visa produite
à 560 866 exemplaires à Rennes.
La XM va, elle, marquer le début de la fabrication des véhicules haut de gamme
à Rennes. C’est avec cette voiture que François Mitterrand quittera le palais de
l’Elysée, en 1995, sous le regard de Jacques Chirac. Les publicitaires exploiteront
là encore cet instant avec ce slogan : « Au moment des grands départs, il est
bon de savoir que l’on peut compter sur sa voiture ».
Au niveau social, la société entre de plein fouet dans les événements de
mai 1968 avec un bruit avant-coureur : une gifle à Yannick Frémin ! Ce dernier a
défrayé la chronique en 1967. À l’époque, ce secrétaire syndical CGT, à Citroën
Rennes, avait demandé un bon de délégation pour participer à une réunion.
Son chef avait refusé.
Qu’importe ! Le syndicaliste avait tout de même quitté son poste. À son retour,
il avait été sanctionné d’un avertissement.
Le ton était alors monté au point que son responsable hiérarchique l’avait
giflé. Yannick Frémin sera licencié.
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C’est encore l’époque où la direction de PSA prend les choses en main et crée son
propre syndicat : le Syndicat Indépendant des Salariés de Citroën, qui s’affilie à la
Confédération française du travail (CFT). Ce groupement a pour objectif de lutter
contre l’extrême gauche. À chaque époque, son histoire. Quarante-cinq ans plus
tard, la CGT est devenue la première organisation syndicale à La Janais.
12 juillet 2012 : le président du directoire du groupe PSA, Philippe Varin, annonce
que le groupe supprimera 8 000 postes et fermera le site d’Aulnay-sous-Bois, en
2014. « Je suis pleinement conscient du caractère douloureux ainsi que du choc
et de l’émotion que cette annonce provoque dans l’entreprise et au-delà »,
déclare-t-il alors. Pour Rennes, ce sera 1 400 postes en moins.
Le même homme affirmait à la fin de l’année 2012 : « Nous sommes en bonne
voie pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés : réaliser 50 % de
nos ventes hors d’Europe en 2015 et deux tiers à l’horizon 2020 ».
Entre l’inauguration de l’usine par le général de Gaulle et le plan social 2013 (le
troisième en six ans), un demi-siècle s’est écoulé. Une période relativement
courte à l’échelle d’un être humain. Mais intensément longue au regard des
technologies, de l’économie et des mentalités qui ont évolué.
Ces changements ont-ils été trop brutaux ? Notre ancien monde industriel n’a-
t-il pas su s’adapter, anticiper ? Ou est-ce l’argent-roi qui, seul, guide aujourd’hui
nos économies ?
Quelles que soient les réponses à ces questions d’ordre général, ce sont bien
1 400 femmes et hommes, salariés de PSA Rennes, qui s’apprêtent à quitter
l’usine. Dans quelles conditions ? Dans quel contexte ? La crise économique
explique-t-elle tout ? D’autres sont partis avant eux, mais que sont-ils devenus ?
Cette entreprise qui était le fleuron industriel de la région bretonne, a-t-elle
encore un avenir ?
Dans ce livre, nous abordons chacune de ces questions et tentons d’apporter des
réponses. Mais surtout, nous sommes allés à la rencontre de celles et ceux qui
vivent ce plan social. Avec sincérité, ils relatent leurs inquiétudes, leur lassitude,
leurs espoirs et leurs envies. Ces « volontaires » au départ, à qui on n’a pas
demandé leur avis, le donnent dans cet ouvrage.
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«On n’a jamais vu ça ! » Par deux fois, en juillet 2012, les
salariés de PSA, à Chartres-de-Bretagne, ont débrayé.
Par deux fois, les chaînes de production se sont arrêtées
pour des raisons autres qu’un incident technique ou du
chômage partiel. Des cadres aux ouvriers, le 26 juillet 2012, plus de 2 000
blouses grises(1) sont rassemblées devant les portiques métalliques pour
scander leur inquiétude.
On klaxonne, on écoute les leaders syndicaux, on crie des slogans : « Sans
nous, pas de bagnoles ! » Ou encore « Un avenir pour La Janais ». « Les gens
ont pris conscience que le pire pouvait leur arriver », résume Pierre Contesse
de Force ouvrière. Et pourtant, dans cette enceinte automobile, l’événement
est rare. Tellement inhabituel que plus personne ne semble se rappeler si de
tels mouvements ont déjà eu lieu. Certains parlent de débrayages en 1982.
Pour beaucoup, c’est une première.
Ce qui est sûr, c’est que l’heure est grave. Le 12 juillet 2012, la direction de
PSA a annoncé un nouveau plan de réorganisation. Autrement dit, de
vastes suppressions de postes : 8 000 pour l’ensemble du groupe, assorties
de deux décisions massues. La fermeture de l’usine d’Aulnay (Seine-Saint-
Denis) qui emploie 3 000 personnes. Et le dégraissage de l’usine de Rennes
(officiellement située sur le territoire de Chartres-de-Bretagne), soit la
suppression de 1 400 postes !
Pour les Rennais, le coup est rude… et rapproché. Le précédent plan de
départs volontaires avait déjà vu s’en aller un peu plus de 1 750 salariés en
2009-2010. À cette époque, bon nombre s’imaginaient que le plus dur était
passé, que c’était le « prix à payer » pour maintenir à flot cette usine vieille de
50 ans. D’autant que débutait alors la production d’un nouveau véhicule, la
Peugeot 508. L’espoir fut de courte durée.
commenten est-onarrivé là ?
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À la fin de cette réorganisation, PSA La Janais (du nom d’une ancienne ferme
où a été construite l’actuelle usine) ne comptera plus que 4 000 salariés. Soit
trois fois moins qu’en 2005, année où le constructeur employait un peu plus
de 12 000 personnes (intérimaires compris) à Chartres-de-Bretagne. En un peu
moins d’une décennie, ce fleuron de l’industrie bretonne aura donc perdu 66 %
de ses effectifs. Le chiffre absolu est encore plus vertigineux : 8 000 personnes
de moins, en seulement neuf années, c’est-à-dire l’équivalent de la ville de
Guingamp, dans les Côtes-d’Armor. Depuis 2006, les effectifs rennais ne
cessent de fondre.
Quelle dégringolade ! L’usine fut longtemps le premier employeur de Bretagne,
rang qu’elle a aujourd’hui perdu au profit de France Telecom (Orange). Au début
des années 2000, un responsable de Ouest-France résumait cette importance
EffEctifs dE l’usinE dE rEnnEs (hors intérimaires)Source dossier du comité central d’entreprise extraordinaire du 12 juillet 2012
E�ectifs de l'usine de Rennes (hors intérimaires)
Source : dossier du comité central d'entreprise extraordinaire du 12 juillet 2012
2005 : 9700 salariés2006 : 92312007 : 84892008 : 76772009 : 69072010 : 57962011 : 5664
Effectifs de l'usine de Rennes (hors intérimaires)Source : dossier du comité central d'entreprise extraordinaire du 12 juillet 2012
10000
8000
6000
2000
0 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011
Années
Nom
bre
de
sala
riés
9700
9231
8489
7677
6907
5796
5664
4000
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par cette formule : « PSA, c’est un peu comme une ville où viennent travailler
10 000 personnes chaque jour. Et d’ordinaire, lorsqu’une ville compte 10 000
personnes, Ouest-France y installe une rédaction. »
Les conséquences de cet effondrement des effectifs ne se limitent
évidemment pas à PSA. Les équipementiers et sous-traitants du constructeur
automobile trinquent aussi. À commencer par la première usine que Citroën
implanta à Rennes, celle de la Barre-Thomas (BT), dans la toute nouvelle zone
industrielle de la route de Lorient, en 1953. L’objectif était d’y produire des
roulements à billes et des pièces en caoutchouc pour les 2 CV et autres DS.
C’est l’une des premières décentralisations d’usine de la région parisienne
vers la province. Pourquoi Rennes ? Les ouvriers ruraux bretons sont réputés
paisibles et durs à la tâche.
Pour cette usine, soixante ans plus tard, ce n’est plus de l’eau qui a coulé sous
les ponts, mais un torrent. La Barre-Thomas n’appartient plus à PSA depuis
2000 et en moins de 15 ans, elle a connu trois propriétaires et autant de plans
sociaux : l’Italien CF. Gomma, le fonds d’investissement américain Silver Point
et récemment Cooper Standard. Des roulements à billes, elle n’en fabrique
plus depuis belle lurette. Elle s’est adaptée et produit des joints d’étanchéité,
des pièces anti-vibratoires pour les carrosseries et des tuyaux en caoutchouc
pour la circulation des fluides (cette dernière production échouera finalement
dans l’usine polonaise rachetée par la Barre-Thomas, au temps des dirigeants
italiens). Mais la BT a un handicap congénital : son principal client est resté
PSA à plus de 80 %. Alors qu’en 2001, ce site historique de Citroën, à Rennes,
employait encore 3 000 personnes, il n’en comptait plus que 1 000 en 2012. Et
bientôt 450… L’usine va déménager. La direction de Cooper prévoit en effet
de réunir ses sites de Rennes et Vitré en un même lieu, à mi-chemin entre les
deux : à Domagné.
D’autres équipementiers et sous-traitants ont perdu beaucoup d’effectifs.
Dans un rapport sur la filière automobile en Bretagne, publié en septembre 2012,
la Banque de France rappelait que les usines de la Barre-Thomas et de La
Janais comptaient 14 000 emplois, en 1978, qui eux-mêmes permettaient de
faire vivre, directement ou indirectement, près de 100 000 personnes dans la
région. Trente-deux ans plus tard, en 2010, la filière automobile en Bretagne
ne représente plus « que »… 20 750 emplois.
Conclusion des experts de la Banque de France : « Un constat s’impose si l’on
regarde le poids des effectifs de la filière automobile Bretagne (13,1 % des
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effectifs industriels de la Bretagne) en comparaison avec celui des industries
alimentaires (environ 40 % des effectifs industriels bretons) : c’est une
filière importante mais non prédominante dans le paysage industriel
régional. » Citroën, le phare industriel breton, est devenu une filière de second
rang. Inimaginable il y a encore peu.
Aujourd’hui, la « ville » PSA vit à l’heure de l’exode. Comment en est-on
arrivé à ce qui ressemble de plus en plus à une désertification industrielle,
avec des salariés Peugeot-Citroën obligés de quitter l’usine pour trouver du
travail ailleurs ? Le contexte économique fournit quelques explications. Mais
pas toutes. Des décisions propres au groupe PSA expliquent aussi la situation
actuelle du site de La Janais.
un marché automobilE EuropéEn saturé
C’est la faute à la crise, entend-on, si Renault vend moins de voitures tout
comme PSA. Et si les constructeurs automobiles européens tournent
au ralenti… Bref, comme aurait pu le dire l’humoriste Fernand Raynaud :
l’automobile, ça eût payé. Mais ça ne paie plus ! Paradoxe de la situation
actuelle, il ne s’est jamais vendu autant de voitures à travers le monde. « Le
marché automobile mondial croît quasiment sans interruption depuis
plus de 15 ans », indique Emmanuel Sartorius, dans son rapport remis au
gouvernement en septembre 2012. Même le contrecoup lié à la crise financière
mondiale de 2008 a été rattrapé. Mieux encore, cette croissance devrait se
poursuivre. Toujours en septembre 2012, le cabinet d’expertise PwC estimait
que la production mondiale de véhicules continuerait de progresser de
5,6 %, en moyenne, par an, jusqu’en 2018. Cette année-là, 108 millions de
voitures pourraient être produites dans le monde, contre un peu moins de
75 millions en 2011.
Avec des taux un peu inférieurs, Laurent Burelle, le président de Plastic
Omnium, un sous-traitant, a confirmé plus récemment cette tendance. « Le
marché automobile mondial va croître de 20 % dans les cinq prochaines
années, passant de 80 à 96 millions de véhicules. La croissance moyenne
sera donc de 4 % à 5 % par an. »
Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si cette évolution
concernait aussi l’Europe. Or, l’essentiel de cette progression est dû aux
pays émergents, et notamment à la Chine. Et pour cause, c’est là-bas que
15
5
15
10
20
25
Europe occidentale(France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Espagne…)Alena dont Canada, États-Unis et Mexique
Asie-Océanie dont Chine, Corée du Sud, Inde, Japon
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40
35
0
1980 1990 2000 2012
10,4
7,5 8,8
13
7,7 11
,9 14,7
8,3
13,5
11,3
6,9
35,1
Mill
ion
s d
e v
éhic
ule
s
production mondialE par ZonE
les voyants sont au vert. Le pouvoir d’achat d’une partie de la population
augmente et toutes les familles sont encore loin de posséder une voiture.
Les familles chinoises - et plus encore les indiennes - sont nettement
moins équipées en voitures que les européennes ou les nord-américaines.
Indépendamment des questions environnementales, les perspectives de
progression en Asie sont évidemment alléchantes pour les constructeurs .
Malheureusement, en Europe, le moteur ne ronronne plus autant. Il aurait
même besoin d’une sérieuse révision. Alors qu’en 2012 la production
mondiale de voitures particulières ne cessait de progresser (+50 % en Chine
entre 2009 et 2012), en Europe, durant ce même laps de temps, la production
a légèrement diminué. Ce recul est encore plus net dans les pays du sud de
l’Europe : Espagne, Italie, Grèce, Portugal…
Première difficulté, relève Emmanuel Sartorius, « le marché automobile
mondial est désormais organisé en grandes zones qui tendent à
l’autosuffisance : Europe, Asie, Amérique du Nord, Amérique latine ».
Années
16
volkswagen
toyota
General motors Hyundai-Kia
ford
nissan
psa
renault
fiat
autres constructeurs
11 %
10,9 % 9,5
%
7,5
%
6,5 %
5,1 %
4,6 %3,5 %
3,1 %
38,3
%
Autrement dit, les usines européennes ne doivent pas s’attendre à profiter de
la croissance asiatique, si ce n’est à la marge. Mais les constructeurs de l’Union
européenne peuvent-ils se contenter des ventes réalisées au sein de l’UE ?
Les spécialistes qualifient le marché européen de « mature ». Les ménages
sont déjà bien équipés en automobiles : 473 voitures pour mille habitants,
une donnée stable depuis 2004. En France, un peu plus de 83 % des ménages
disposaient d’une voiture en 2010, selon le Comité des constructeurs français
d’automobiles (CCFA). Le marché européen, contrairement à ce qui se passe
en Chine, est donc essentiellement un marché de renouvellement.
Or, non seulement le « gâteau » se rétrécit, mais en plus, il faut couper de plus
en plus de parts. Le traité de libre-échange conclu entre l’Union européenne
et la Corée du Sud, entré en vigueur en juillet 2011, prévoit de faire disparaître
la taxe de 10 % imposée par l’Europe sur les automobiles importées de Corée.
Alors certes, les produits européens vendus dans ce pays d’Asie, seront
également moins taxés. Mais la conséquence de cet accord est que les voitures
des constructeurs coréens Hyundai et Kia deviennent plus attractives.
production mondialE par constructEurSource CCFA Comité des constructeurs français d'automobiles (données 2010)
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Autre mauvaise nouvelle pour les constructeurs : en France, on roule de
moins en moins et on renouvelle de moins en moins son véhicule. Selon le
rapport Sartorius, la distance annuelle parcourue par un véhicule est passée de
14 000 km, en moyenne, en 2000, à 12 000 km en 2010. La durée de détention
d’un véhicule, elle, augmente de deux mois tous les ans. Actuellement, la
moitié du parc automobile a plus de dix ans. C’est d’une logique implacable : si
les voitures roulent moins, elles s’usent moins…
Enfin, difficulté supplémentaire pour l’Europe, sa démographie : sa population
croît faiblement et vieillit de plus en plus. « La croissance de la population
européenne dépendra pour une large part des migrations car, dans la plupart
des pays, le maintien d’un équilibre entre naissances et décès demanderait
une augmentation très importante de la fécondité. Si l’Europe se ferme
aux migrations, sa population diminuera ». En termes de consommation,
notamment, le constat n’incite guère à l’optimisme.
Face à cette conjoncture, les constructeurs les plus pénalisés sont les
généralistes : Fiat, Ford Europe, Opel, Renault et donc PSA. Ces constructeurs
sont « pris en tenaille entre la concurrence allemande qui aborde les marchés
par le haut de gamme, et la concurrence des PECO (pays d’Europe centrale
et orientale), ainsi que de la Turquie, positionnés sur les petits modèles
d’entrée de gamme », résume l’Association des collectivités sites d’industries
automobiles (ACSIA).
Les voitures se vendant moins en Europe, notamment en Europe de l’Ouest, les
usines du Vieux Continent se retrouvent sous-utilisées. Pour être rentable, on
considère qu’une usine doit produire au moins 75 % de sa capacité maximale.
Or, selon une étude du cabinet AlixPartners, parue en juin 2013, près des deux
tiers des usines européennes tournent en dessous de ce seuil. En France, en
moyenne, il est de 63 % (similaire à la Russie, à l’Espagne et à la Turquie).
C’est mieux en Allemagne et au Royaume-Uni (78 % chacun). C’est pire en
Italie (46 %).
La France, qui était le quatrième producteur automobile mondial, en 2000
(3,3 millions de véhicules assemblés), a chuté au onzième rang (1,9 million
en 2012).
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lE groupE psa obligé dE rétrogradEr
Ces dernières années, pour PSA, tout se passe comme si le groupe était
embourbé dans le marché automobile européen. C’est son aire de jeu
principale. Le constructeur y réalise la majorité de ses ventes. En 2012, 62 %
des modèles produits par Peugeot-Citroën étaient commercialisés en Europe
(Russie comprise) : près de 10 % en Amérique latine, à peine 12 % en Asie.
À titre de comparaison, pour le groupe Volkswagen (données 2011), le Vieux
Continent ne représente que 48 % des ventes et l’Asie… 32 %.
La moitié des ventes perdues par PSA cette année-là est imputable à
seulement trois pays européens : la France, l’Espagne et l’Italie. Dans ce
contexte, nous l’avons vu, les usines européennes du groupe sont sous-
utilisées. Et ce, d’autant plus que le constructeur français produit des modèles
très exposés à la concurrence. 70 % de sa production concernent des véhicules
des segments B et C.
Les constructeurs ont en effet pris l’habitude de cataloguer les véhicules
par segment : A (mini-citadines), B (citadines polyvalentes : 208, C3), C (les
compactes : 308, Renault Mégane 2), D (automobiles familiales : 508, C5), H1
et H2 (grandes routières et berlines de luxe). Sans oublier, en plus, la gamme
des 4X4, crossover et SUV.
Sur le segment B, le plus concurrentiel, PSA possède cinq usines en
Europe : Aulnay, Mulhouse, Poissy, Madrid (Espagne) et Trnava (Slovaquie).
Auparavant, elle en possédait davantage encore. Mais en 2006, le groupe
décida de fermer l’usine britannique de Ryton et de supprimer une chaîne de
production à Aulnay.
Sur des segments identiques, Opel possède, lui, huit usines en Europe : trois
en Allemagne, une en Pologne, une en Russie, une en Espagne et deux au
Royaume-Uni. Bref, les places sont chères. D’où la conclusion du rapport
Sartorius : « PSA, positionné sur des produits à faible marge, ne trouvera
donc pas son salut dans une augmentation rapide du volume de ses ventes,
sauf à regagner des parts de marché sur ses concurrents. »
En attendant cet hypothétique rebond européen, la marque au lion, on le
sait, a choisi de fermer l’usine d’Aulnay. Cela aurait pu être une autre. Celle
de Madrid (Villaverde précisément) fut un temps dans le collimateur. Elle
emploie 2 700 personnes et assemble principalement des 207. La direction de
PSA a étudié ce scénario (avec d’autres). Mais pour elle, il est désormais trop
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tard pour envisager sérieusement de fermer le site espagnol. Il y a quelques
années, le constructeur a en effet attribué à cette usine la production de son
futur modèle, connu sous le nom de E3 (E cube). Il s’agira d’une voiture Citroën,
du segment C, à un prix attractif. Elle devrait être commercialisée en 2014.
À Citroën, on refuse de parler de véhicule low-cost. Frédéric Banzet, le directeur
général de la marque, préfère évoquer une « voiture plus simple avec un
design moderne et attractif », confie-t-il au site Auto-Addict.
Pour PSA, il n’est donc pas question de faire marche arrière. La fermeture du
site madrilène induirait « des coûts complémentaires importants », note le
rapport Secafi, en 2012, réalisé pour le compte du comité central d’entreprise.
Un retard d’au moins six mois de la commercialisation de E3 engendrerait une
perte de 74 millions d’euros. Le groupe perdrait par ailleurs 23 millions d’aides
espagnoles déjà versées. Enfin, les investissements qu’il faudrait alors mener
à Aulnay seraient conséquents, alors qu’ils ont déjà été réalisés à Madrid.
Pour autant, Emmanuel Sartorius semble amer : « On peut regretter qu’avant
d’engager ces investissements à Madrid, PSA n’ait pas mené, sur l’avenir
de ses sites industriels, une réflexion d’ensemble qui laisserait aujourd’hui
davantage d’options… »
Pour sortir le groupe du marasme européen, le PDG Philippe Varin mise
sur l’international : principalement dans trois zones, la Chine, la Russie et
l’Amérique latine. Et cette stratégie commence à porter ses fruits. En 2012,
le groupe PSA a vendu 442 000 véhicules dans l’empire du Milieu, soit 9,2 %
de plus qu’en 2011. Cette tendance s’est confirmée au début de l’année 2013
puisque le constructeur français y a écoulé 227 000 véhicules lors des six
premiers mois, c’est-à-dire 33 % de plus qu’au cours du premier semestre
2012.
En Amérique latine, les premiers résultats de 2013 s’annoncent prometteurs
(+ 20 % de ventes de janvier à juin), après une année 2012, il est vrai, en retrait.
Seul le marché russe affiche un recul de 20 % des ventes.
Pour parvenir à ces résultats, PSA a multiplié les partenariats, notamment
en Chine que le groupe affiche comme « l’une des zones prioritaires de
développement ». Il a tout d’abord conclu une joint-venture (une coentreprise)
avec le groupe chinois Dongfeng. Ensemble, ils possèdent trois usines de
production en Chine. Le deuxième partenariat, plus récent, a été signé avec le
constructeur chinois Chang’An. Deux autres usines de production y sont prévues.
21
Quant à l’Amérique latine, Peugeot-Citroën a programmé d’investir
240 millions d’euros par an, d’ici à 2015, dans son usine de Porto Real
(Brésil) afin d’y doubler la capacité de production (95 700 véhicules produits
en 2012 : 207, C3, C3 Picasso…) Avec ses nouvelles usines, le groupe français
espère donc vendre toujours plus de voitures à l’étranger. En 2009, 32 % de
ses véhicules étaient vendus en dehors de l’Europe. Cette part a été de 38 %
en 2012. L’objectif annoncé est d’atteindre la moitié des ventes en dehors de
l’Europe en 2015.
Sur le papier, et de manière globale, la marque au lion pourrait donc reprendre
du poil de la bête. Et ainsi faire oublier ses récents mauvais résultats : un
résultat négatif de 1,5 milliard d’euros en 2012 et un chiffre d’affaires en
baisse de 10 %.
Deux bémols à ces perspectives encourageantes: premièrement, selon le
rapport Sartorius, les positions du groupe PSA en Chine et en Amérique latine
« sont encore trop faibles pour en escompter rapidement des résultats qui
compenseraient durablement ses pertes en Europe ».
Il y a encore moins de dix ans, le constructeur français s’était très peu développé
dans les pays émergents. Un paradoxe, selon Emmanuel Sartorius, car Peugeot
et Citroën « avaient posé un pied très tôt en Amérique latine et en Chine ».
22
Peugeot a commencé à assembler des véhicules au Brésil dès 1963 et le groupe
PSA a fait ses premiers pas en Chine dès 1985, « mais sans y mettre vraiment les
moyens […] Avec le recul, la direction de PSA semble avoir manqué d’ambition
dans l’internationalisation du groupe », note l’ingénieur.
Au cours de son histoire, le constructeur français a toujours été soucieux d’un
objectif : préserver son indépendance et faire en sorte que la famille Peugeot
demeure l’actionnaire majoritaire. Le rapport Sartorius rappelle ainsi que de
1999 à 2001, PSA a consacré d’importantes sommes à racheter des actions.
Et ce, afin que les actionnaires historiques puissent remonter au capital du
groupe. En un peu plus d’une décennie, le constructeur aura ainsi dépensé
3,082 milliards d’euros à de telles opérations « plutôt qu’au développement
du groupe ».
Durant cette même décennie, PSA a distribué 2,87 milliards d’euros de
dividendes à ses actionnaires. Soit un total de près de six milliards d’euros
consacrés au rachat d’actions et à la distribution de dividendes. Une partie de
cette somme, au moins, n’aurait-elle pas été plus profitable au constructeur
si elle avait été investie dans ses outils industriels ?
22 23
Lors de la remise du rapport au gouvernement, en septembre 2012, la famille
Peugeot – on s’en doute – n’avait guère apprécié que l’expert gouvernemental
la stigmatise sur ce point. PSA avait alors dû rappeler qu’entre 1999 et 2011, il
avait aussi investi 40 milliards d’euros dans ses usines, « dont les deux tiers en
France ». Autre interrogation de l’expert : en voulant rester indépendant à tout
prix et en s’opposant à des alliances plus larges avec d’autres constructeurs,
PSA ne s’est-il pas coupé l’herbe sous le pied ? Jusqu’alors, le groupe a
toujours préféré opter pour des partenariats très ciblés, sur des projets
précis : des moteurs diesel avec Ford, des moteurs essence avec BMW, des
véhicules utilitaires légers avec Fiat… Mais pour le rapport Sartorius, dans une
industrie où les économies d’échelle comptent énormément, cette « politique
d’alliances s’essouffle. PSA n’est plus que le huitième constructeur mondial
(le quatrième en 1978) ».
Deuxième bémol : la croissance espérée du groupe PSA en Amérique latine
et en Chine, peut-elle vraiment profiter à ses usines françaises (et donc à
ses salariés) ? En partie seulement.
Selon le rapport annuel des Douanes, en 2012, les exportations d’automobiles
françaises ne sont pas au mieux : elles ont diminué de 5 %. Et cette tendance
ne risque pas de s’inverser puisque, comme on l’a vu précédemment, PSA
augmente ses capacités de production en Chine et au Brésil. À la fois pour
produire à moindre coût, mais aussi pour mieux s’adapter aux spécificités de
ces marchés. Peugeot assemble ainsi en Chine des 207 ou 308 tricorps (des
berlines trois volumes) qu’on ne retrouve pas en France.
L’industrie automobile telle qu’elle s’est développée au XXe siècle s’essouffle
en Europe et retrouve de la vigueur dans les pays émergents. Mais pour
combien de temps ? Comment produire plus pour les consommateurs chinois
tout en préservant les usines (et donc les emplois) en France ? Quels modèles
inventer pour les automobilistes de demain ? Faute de trouver rapidement des
réponses, les salariés du secteur automobile risquent fort de continuer à en
faire les frais…
Visite guidéede l’usine
Imaginez la superficie du site :
240 hectares. Plus de 300 terrains
de football. C’est plus vaste que la
principauté de Monaco où, il est vrai,
circulent bien d’autres véhicules que
des Peugeot et Citroën. Et sur cette
étendue, plus grande qu’un rocher,
pas moins de 520 000 m2 d’ateliers
ont été construits, soit l’équivalent
de 68 terrains de foot.
Pour le dire autrement, la première
fois que vous pénétrez à l’intérieur
de cette ville-usine, vous êtes un peu
désorienté…
Pour mettre une voiture sur roues,
quatre étapes principales se dis-
tinguent : l’emboutissage, le ferrage,
la peinture et le montage.
L’emboutissage, c’est la première
étape. Peut-être la plus impres-
sionnante lorsqu’apparaissent ces
immenses bobines de tôle et d’alu-
minium dans lesquelles vont être
découpées toutes les pièces métal-
liques nécessaires à la constitution
du châssis et de la carrosserie. Dif-
ficile d’imaginer que ces feuilles de
métal, vingt-quatre heures plus tard,
vont être transformées en voiture
ultra-sophistiquée.
Une fois découpée, la tôle (cette
pièce s’appelle alors un flan) est em-
boutie : elle est déformée à souhait
sous l’action de plusieurs presses
successives. C’est là qu’apparaissent
les portières, le plancher, les ailes…
Le ferrage : cet atelier a presque été
totalement automatisé au moment
de la sortie de la XM. Les 4 000 à
5 000 points de soudure nécessaires
à chaque véhicule sont réalisés par
des robots à 98 %. Le ballet de ces
machines, soulevant comme bon
leur semble, avec une précision
millimétrée, des pièces de plusieurs
dizaines de kilos, rappelle l’une des
attractions du Futuroscope, animée
par la musique de Martin Solveig.
Mais, à La Janais, point de sons
électroniques. Le bruit n’incite pas à
danser et certaines pinces à souder
peuvent peser jusqu’à 30 kg. Les
pièces en tôle sont assemblées pour
constituer la « caisse en blanc »,
prête à être peinte.
24
La peinture : dans cet atelier, la pro-
preté est une obsession. La tempé-
rature et l’hygrométrie du lieu sont
sans cesse contrôlées pour garantir
au véhicule un aspect irréprochable.
La caisse reçoit d’abord une couche
anticorrosion. Des cordons de mastic
sont ensuite déposés afin d’assurer
l’étanchéité. Puis le véhicule est re-
couvert d’une couche d’apprêt desti-
née à lutter contre le gravillonnage,
avant que ne soit déposée la couche
de laque qui donne à la voiture sa
couleur définitive. Une voiture passe
le tiers de son temps de fabrication
dans l’atelier peinture, soit environ
huit heures.
Le montage : c’est là que sont as-
semblés les carrosseries, les moteurs
et les pièces d’habillage. La chaîne
est découpée en plusieurs zones.
Quelques-unes sont automatisées
(l’assemblage du moteur et des
essieux : le coiffage), beaucoup sont
encore manuelles.
En bout de ligne, la voiture roule
pour la première fois. Des contrôles
sont alors effectués sur des bancs
de roulage et sur piste.
Des bobines de métal aux premiers
tours de roue, la fabrication aura
duré 24 heures. Au début des années
1960, pour produire une AMI 6, il
fallait 36 heures… Et demain ? Les
futurs modèles assemblés à Rennes
le seront sur une plate-forme plus
compacte, nécessitant moins de
pièces. Le process de peinture de-
vrait aussi permettre de supprimer
la couche d’apprêt. Au final, l’objec-
tif visé par les dirigeants de PSA est
qu’une voiture puisse être fabriquée
à Rennes dans le temps « record »
de… 18 heures.
À ce rythme-là, on finira par com-
mander sa voiture le matin sur Inter-
net, pour venir la chercher le soir, en
sortant du boulot…
25
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l’usine de rennes a-t-elle visé trop haut ?
Enfin, si La Janais se retrouve aussi mal en point, c’est aussi en raison de sa
spécificité : elle est l’usine du groupe en Europe dédiée aux véhicules de la
gamme supérieure et du haut de gamme. Cette spécialisation est relativement
récente ; elle ne date que du début des années 2000. C’est Jean-Martin Folz,
alors PDG de PSA, qui lance cette nouvelle politique industrielle.
Désormais, chaque usine produit des véhicules qui sont issus d’une même
plate-forme (un même soubassement). Pour Rennes, le lancement de cette
nouvelle stratégie démarre avec la Citroën C5. L’objectif est de gagner en
productivité et de réaliser des économies. « Nous souhaitons que les voitures
Peugeot et Citroën soient construites sur des éléments communs, qui
permettent à deux véhicules de partager la même plate-forme lorsqu’ils
ont au moins 60 % de leurs coûts de production en commun », déclare Jean-
Martin Folz, en janvier 2001, à Ouest-France.
Le PDG de PSA est confiant : « Les constructeurs considèrent qu’une usine
tourne à 100 % de sa capacité quand elle fonctionne 16 heures par jour et
235 jours par an. Le site de Rennes en était très loin, à 65 % en 2000. Avec
la C5, cela va changer », assure-t-il. À l’époque déjà, le changement, c’était
maintenant. Un optimisme de courte durée, comme le montrera la suite
des évènements…
Dans le magazine Place publique, en janvier 2010, l’ancien ingénieur qualité de
PSA, Louis Mercier, rappelait que la décision de spécialiser Rennes dans le haut
de gamme avait été prise en fonction de deux critères. Le premier : « Notre
situation excentrée en Europe ne nous permet pas de faire du moyen ou du
bas de gamme eu égard aux coûts logistiques. » Autrement dit, les coûts de
transport notamment étaient trop importants pour se consacrer uniquement
aux petits modèles qui génèrent moins de marge financière.
Deuxième critère : la bonne réputation dont a toujours joui La Janais. En 1998,
un sondage interne demandé par Jean-Martin Folz, sur la performance des
usines du groupe, « fait ressortir que l’usine de Rennes est celle où la culture
qualité des opérateurs est de loin la plus élevée ».
Dès le début des années 1980, les responsables de La Janais et de la Barre-
Thomas s’intéressent aux méthodes de production des usines japonaises
27
28
réputées pour n’avoir « ni contrôle ni rebut ». En 1981, quatorze ingénieurs de
La Janais sont envoyés en observation dans les usines japonaises. Des groupes
de qualité sont mis en place à Rennes. Rien ne doit être laissé au hasard pour
satisfaire le client, y compris (et peut-être surtout) le client japonais.
Louis Mercier rapporte une anecdote qui illustre bien cette exigence. En
juillet 1989, il est envoyé au Japon pour superviser la qualité des véhicules PSA
qui partaient au pays du Soleil-Levant. « En arrivant à Hiroshima, siège de
notre importateur Mazda, les Japonais m’ont montré que les marquages
obligatoires sur les véhicules (numéros de châssis, de moteur…) n’étaient
pas lisibles, voire erronés. Dans nos usines, ces points nous paraissaient peu
importants. Mais quand vous exportez, vous savez que c’est primordial »,
prend vite conscience l’ingénieur.
À cette même période, un couac majeur va également faire prendre conscience
aux dirigeants rennais qu’on ne badine pas avec la qualité. C’est le lancement
manqué de la XM en 1989, une Citroën produite à Chartres-de-Bretagne.
Les premiers modèles de cette remplaçante de la CX, pourtant élue voiture
de l’année 1990, présentent des défauts de connectique. Les nombreuses
pannes électriques se répandent comme une traînée de poudre parmi les
automobilistes.
Un ancien agent Citroën de l’agglomération rennaise se souvient du jour où le
constructeur a présenté la XM aux concessionnaires et agents de la marque
aux chevrons. « C’était à Lyon. Un certain nombre d’entre nous sommes
repartis avec une XM. Malheureusement, plusieurs collègues sont restés en
rade sur la route. Leur voiture neuve était tombée en panne. Moi, j’ai eu de
la chance. Elle a bien roulé », raconte-t-il. Mais la mauvaise réputation était
en marche…
Ces problèmes seront réglés par la suite. Pour de nombreux concessionnaires,
en 1994, la XM est devenue une voiture très fiable. Seulement voilà, ses
débuts désastreux vont lui coller aux pneus et les ventes, elles, ne décolleront
jamais. « Le lancement de la XM est venu nous montrer que l’enjeu était
monté de plusieurs crans et qu’il nous fallait encore progresser », convient
Louis Mercier dans la revue Place publique.
Ce manque de qualité, c’est aussi, selon Gérard Glévarec, consultant automobile
indépendant, l’une des explications à l’échec des constructeurs français dans
le haut de gamme. « Du milieu des années 1990 à 2008, leurs discours
consistaient à dire que le haut de gamme serait toujours produit en France.
29
Que le savoir-faire et la haute technologie ne seraient pas délocalisés. La
vérité est que ces voitures françaises ont connu un creux de qualité qui a
duré dix ans. Elles étaient souvent en panne. Or, les clients qui achetaient les
grandes routières de Renault ou de PSA sont partis voir ailleurs, notamment
du côté des marques allemandes. Et ils ne sont pas revenus. »
L’ancien agent Citroën du pays de Rennes tempère toutefois cette analyse. Il
y eut quelques réussites aussi : la Citroën Xantia, alors qu’au moment de son
lancement la presse n’avait pourtant d’yeux que pour la Ford Mondeo ; plus
récemment la 407, la C5.
« Et puis ceux qui achètent une Mercedes ou une BMW, par snobisme ou je
ne sais quoi, n’iront pas crier sur les toits qu’ils ont eu une panne avec… »
Avec les modèles actuels, Gérard Glévarec tempère son propos, notamment
Nombre de voitures et de véhicules utilitaires
pour 1 000 habitants au 1er janvier1985 1995 2005 2010
Union européenne 27 pays - - 525 552
Union européenne 15 pays à partir de 1995 380 473 577 587
12 nouveaux pays entrants - - 333 421
Allemagne 450 529 593 545
Belgique 363 463 531 562
Espagne 276 430 569 610
France 446 520 596 599
Italie 412 541 656 688
Royaume-Uni 379 474 567 570
Suède 400 445 507 525
Pologne 117 229 378 509
Turquie 27 65 111 142
Canada 559 562 584 619
Etats-Unis 708 759 819 814
Corée du sud 25 177 315 359
Japon 375 527 586 592
Argentine 173 167 182 222
Brésil 86 89 121 153
Chine 3 8 21 47
Inde 3 6 13 16
dEnsité automobilE par pays (comparaisons internationales) Sources CCFA
30
vis-à-vis de PSA. « Aujourd’hui, Peugeot et Citroën proposent une large
gamme, innovante, fiable. Mais il leur faut rattraper le temps perdu. Et en
plus, ils n’ont pas eu de chance. Ces nouveaux modèles sont arrivés avec
la crise. »
Malgré les ratés, l’usine n’a eu de cesse de vouloir s’améliorer sur ce chapitre, en
exigeant la même qualité de ses fournisseurs et sous-traitants. Cette volonté
s’est notamment traduite par la création de l’association des industriels de
l’automobile, dans l’Ouest : Performance 2010.
Avec le soutien du conseil régional, il a également été créé, en 2003, l’institut
Maupertuis, un centre de recherche et développement dédié aux nouvelles
technologies industrielles; et, en 2005, une plate-forme de soudure par
laser : la technologie laser offrant plus de précision et permettant d’augmenter
les cadences de soudage, tout en réduisant le volume de matière utilisée.
Mais le choix de spécialiser l’usine rennaise dans le haut de gamme, il y a près
de quinze ans, ne se révèle-t-il pas un handicap en pleine crise économique ?
Les tarifs de la Peugeot 508, qui varient entre 24 000 € et 46 000 €, selon les
modèles, n’en font évidemment pas une voiture populaire. Philippe Bonnin,
le maire de Chartres-de-Bretagne, ne croit pas à une erreur de stratégie
industrielle. Mais il aurait fallu remplir une condition : « Il fallait à tout prix
pouvoir charger l’usine rennaise », autrement dit, lui assurer une production
suffisante. Soit en parvenant à mieux vendre les modèles haut de gamme PSA,
notamment face aux véhicules allemands. Ce que le constructeur n’est pas
parvenu à faire. Soit en faisant assembler à La Janais davantage de modèles
différents. « Or, le groupe PSA n’a jamais été capable de faire aboutir des
partenariats qui auraient pu permettre de charger l’usine », déplore le maire.
En dix ans, Peugeot aura vendu moins de 200 000 exemplaires de sa 607. Un
volume inférieur à ce que peut produire l’usine rennaise en une seule année.
Pour la Citroën C6, ce fut pire : moins de 24 000 exemplaires auront été vendus
en sept ans ! En 2010, la petite chaîne d’assemblage réservée à ces beaux
véhicules ne produisait déjà plus que deux C6 par jour… « Les tentatives du
groupe sur le haut de gamme ont connu des résultats mitigés », conclut
sobrement le rapport Sartorius.
Aujourd’hui, l’usine n’assemble plus aucune 607 (dont la production s’est
arrêtée en septembre 2010) ni aucune C6 (arrêt en décembre 2012). Le groupe
n’a pas souhaité remplacer ces deux modèles. L’arrêt de la C6 marqua la fin
31
des limousines françaises. Renault avait déjà stoppé la production de sa
Vel Satis à la fin de l’année 2009. Selon le journal La Tribune, il faudra attendre
2015 ou 2016 pour que PSA produise à nouveau une limousine. Ce sera dans
la gamme DS (qui comprend déjà les DS3, DS4 et DS5). Mais cette production
aurait lieu… en Chine.
Quoi qu’il en soit, pour l’usine de La Janais, il ne reste plus que deux modèles
à assembler, appartenant à la catégorie de la gamme moyenne supérieure :
la Citroën C5 et la Peugeot 508. C’est peu… Si au moins Rennes produisait
toutes les C5 du groupe, ce qui n’est pas le cas. L’usine chinoise de Wuhan en
produit aussi pour l’Asie. Et sa version DS, la DS5, a été confiée à l’usine de
Sochaux.
Conséquence : la production de l’usine ne cesse de diminuer 120 668 voitures
sont sorties des chaînes de La Janais en 2009, 116 457 en 2010. En 2011, avec
le lancement de la Peugeot 508 et l’instauration temporaire d’une équipe de
nuit, la production est remontée à 182 240 exemplaires. Elle retomba à 14 1 000
en 2012 et cette année 2013, elle devrait pour la première fois descendre en
dessous des 100 000 véhicules. Soit à peine la moitié de la capacité annuelle
de l’usine, pourtant ramenée à 200 000 véhicules en 2008. Lorsque l’usine fut
créée, elle pouvait produire en théorie jusqu’à 400 000 voitures : un volume
qu’elle n’atteindra jamais. Son record date de 2005 avec 340 000 exemplaires.
D’où la question qui hante tous les salariés de PSA : que produira à l’avenir
l’usine de La Janais ? C’est ce que nous aborderons dans un dernier chapitre.(1) En référence à la couleur des tenues de travail à PSA
Ami 6 et Ami 8. Avec l’Ami 6, Citroën
étoffe sa gamme et propose un
modèle entre la DS, grande routière,
et la populaire 2 CV. C’est une trois
chevaux fiscaux (602 cm3) et surtout
sa lunette arrière inversée offre
aux passagers arrière plus de place,
contrairement à la 2 CV. L’Ami 6 fut
produite à Rennes de 1961 à 1969.
Puis sa remplaçante, l’Ami 8, de
1969 à 1978. Sa version break fut
très prisée de la clientèle.
1 541 755 exemplaires de ces deux
modèles furent produits à La Janais.
La Dyane. Basée sur la 2 CV, elle est
destinée à concurrencer la fameuse
quatre chevaux de Renault, la 4L.
Citroën en produisit 1,4 million
d’exemplaires dont un peu plus de
373 000 à Chartres-de-Bretagne.
Son nom provient des archives de
la société Panhard que Citroën avait
rachetée. Panhard avait déposé,
à côté des marques « Dyna »,
« Dynavia » et autres « Dynamic », le
nom « Dyane ». Il n’y aurait aucune
allusion, selon son concepteur, à la
déesse romaine de la chasse…
La GS et la GSA. Sur le podium de
La Janais, elle se classe en deuxième
position. Près de deux millions
d’exemplaires (1,9 million) ont été
produits à Rennes. Ce véhicule en
trapèze, doté d’un avant évoquant
la DS, fut élu voiture européenne
de l’année en 1971. Ses qualités de
confort et sa tenue de route ont séduit
nombre d’automobilistes. Pourquoi
ce nom de GS ? Parce que le G vient
après le F… à la fin des années 1960,
les ingénieurs de Citroën planchaient
sur le projet F. Mais celui-ci, selon
le site Passion Citroën, connut bien
des déboires et le constructeur finit
par abandonner le projet F pour le
projet… G.
La BX. Cette remplaçante de la
GSA fut lancée au salon mondial
de l’automobile, à Paris, en
octobre 1982. C’est « la » voiture la
plus produite à Rennes : 2,07 millions
les principauxVéhicules produitsà la janais
32
d’ exemplaires de 1982 à 1994.
Citroën la déclina en version sportive
et la fit participer au championnat du
monde des rallyes pour concurrencer
l’Audi quattro. Ses performances
ne sont guère restées dans les
mémoires. En revanche, la BX peut
se vanter d’avoir joué dans un James
Bond, Dangereusement vôtre, avec
Roger Moore. Dans le rôle du taxi…
Pas de l’Aston Martin !
La Xantia. Elle remplaça la BX et fut
produite à un peu plus d’un million
d’exemplaires (1 080 891) à La Janais,
entre 1993 et 2002. à sa sortie, sa
ligne plus élégante fut saluée par la
presse. Sa version sportive enregistra
de nombreux succès : cinq fois
championne de France de rallycross
avec le pilote Jean-Luc Pailler.
La Xsara. Elle fut produite de 1997
à 2004 (2006 pour sa version break)
à la fois à Rennes et à Madrid. Un
peu plus de 920 000 exemplaires
sortirent des chaînes d’assemblage
rennaises. Cette remplaçante de
la ZX fut saluée pour son extrême
confort. Et son break pour son coffre
spacieux.
La Peugeot 407. Inoubliable à
Rennes. Et pour cause ! Ce fut la
première voiture Peugeot à être
produite à l’usine Citroën de La
Janais. Une mini-révolution en
interne… Mais il aura fallu près de 30
ans, après le rachat de Peugeot par
Citroën, pour que pareil événement
se produise. 862 400 exemplaires
furent finalement produits à Rennes.
L’usine vit défiler sur ses lignes
d’assemblage bien d’autres modèles :
les Citroën ZX, AX, quelques Méhari
et 2 CV, la C5, C6, la Peugeot 407
coupé…
33
34
35
partirourester ?
Les vacances et les annonces de plans sociaux font souvent bon
ménage. PSA ne dérogera pas à cette règle puisque, le 12 juillet 2012,
la direction du Groupe annonce un plan global de 8 000 suppressions de
postes en France : la fin de la production, dès 2013, à l’usine d’Aulnay
(Seine-Saint-Denis), où travaillent plus de 3 000 salariés ; la suppression de
1 400 postes à Rennes et de 3 600 autres dans les autres établissements
du groupe. Par ailleurs, avec le non-remplacement d’un certain nombre de
départs en retraite en 2012, 2013 et 2014, ce sont au total un peu plus de 10 000
postes que le constructeur s’apprête à retirer de ses effectifs. Fin 2012, PSA
employait un peu plus de 91 000 personnes en France et 202 000 à travers
le monde. Le constructeur estime aussi pouvoir reclasser 1 500 personnes
dans ses usines, « essentiellement à Poissy ». Le but officiel de ce plan est
d’endiguer les pertes financières et d’ajuster les capacités de production à un
marché européen en berne.
L’annonce du premier constructeur automobile français provoque un choc.
Dès le 17 juillet, les délégués syndicaux de PSA sont reçus par le ministre du
Redressement productif, Arnaud Montebourg. Le 25 juillet, plus de 2 000
salariés manifestent à Paris, devant le siège social du groupe, pendant la
tenue du comité central d’entreprise (CCE).
Le même jour, un expert est nommé au comité central d’entreprise afin de
connaître la véritable santé financière de l’entreprise, la stratégie du groupe
et les conséquences sociales du plan. Le 11 décembre 2012, le rapport SECAFI
est présenté à la direction et au CCE.
Les experts du cabinet Secafi reprochent à PSA de ne « pas avoir pris la mesure
des moyens nécessaires à la diversification géographique et à l’adaptation
un contExtE Estival pour unE annoncE glaçantE
36
aux comportements de consommation ». Toujours selon ce rapport, ce plan
ferait « l’impasse sur des questions de portée stratégique, sur la réflexion
sur les marques et leur positionnement et sur l’approfondissement de
l’alliance avec GM. »
À Aulnay, les syndicats SUD et CGT saisissent la juridiction civile afin de faire
annuler le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) pour « insuffisances ». Mais ils
sont déboutés par le tribunal de grande instance de Paris.
Le 16 janvier 2013, le syndicat CGT met en place une grève afin de contester la
fermeture de l’usine d’Aulnay. Les grévistes « se battent comme des lions »
(cette mention figure sur leur badge) et décident finalement de cesser la grève
le 14 mai 2013, au bout de quatre mois de lutte. Le conflit, très tendu entre
grévistes et non grévistes, s’est soldé par un accord octroyant une somme
de 19 700 € à chaque gréviste. Cette solution amiable bénéficiera à près de
200 personnes. Selon la direction, « cet accord prévoit notamment la reprise
du travail pour tous (et) la levée par la CGT et par les salariés concernés
de toute contestation sociale. À cet égard, la CGT renonce à la procédure
d’appel engagée contre le plan de restructuration du groupe ». Ce que fait la
CGT le 17 mai.
Le 19 août, le syndicat majoritaire SIA réclame en justice que cette prime
soit généralisée à tous les salariés, y compris les non grévistes. PSA y avait
consenti, à condition que ces derniers présentent une promesse d’embauche
ou la preuve d’une création d’entreprise. Cette condition n’avait pas été posée
pour les grévistes. Le juge des référés rejettera la demande un mois plus tard.
Le 18 mars 2013, l’ensemble des syndicats valide le PSE à l’exception de
la CGT. Cette dernière avait, dès le mois de décembre 2012 fait une contre-
proposition, appelée le « plan B ».
Le plan B de la CGT est une « contre-indication au plan Varin ». Il est axé
sur trois volets. Financier : un apport de capital de 1,5 milliard d’euros de
la famille Peugeot et de ses sociétés financières FFP et Peugeot Frères.
Industriel : la CGT a demandé à SECAFI l’étude d’un scénario permettant la
répartition des productions entre les sites. Social : moins de suppressions de
postes, la création de nouveaux emplois sur les sites impactés, mais aussi
sécuriser les transitions professionnelles et les fins de carrières.
37
à rEnnEs : dEs indEmnités alléchantEspour motivEr lEs départs
Dans cette situation de crise, à PSA, ce ne sont pas les accords qui manquent.
Un accord pour « permettre aux salariés de réaliser un projet professionnel
ou personnel » est conclu en novembre 2012. Il concerne principalement les
salariés d’Aulnay-sous-Bois. Et un accord sur les dispositifs d’accompagnement
complétant le PREC (plan de départs volontaires) et le PSE (plan de sauvegarde
de l’emploi) est signé en février 2013.
Seuls les spécialistes parviennent vraiment à s’y retrouver.
À Rennes, le plan social prévoit la suppression 1 400 postes d’ici à la fin de
l’année 2014, soit un poste sur quatre. Il est prévu de privilégier les départs
volontaires. Les employés auront le choix entre plusieurs options : être muté
dans une autre usine du groupe, ce qu’on appelle la mobilité interne (400
personnes) ; intégrer une des sociétés qui viendra s’implanter sur le site de
La Janais dans le cadre de la réindustrialisation de l’usine (400) ou quitter
définitivement PSA en ayant trouvé un autre employeur ou en ayant créé son
entreprise, la mobilité externe (600).
En revanche, si à la date du 31 décembre 2013, il n’est pas trouvé 1 400 salariés
motivés par un départ, PSA procédera à des licenciements économiques.
Quelques mois plus tôt, Philippe Varin, le président du directoire de PSA, s’était
pourtant voulu rassurant, affirmant qu’il n’y aurait pas de « licenciements
secs » et que personne ne serait « laissé au bord du chemin ».
Si le terme licenciement sec ne correspond à aucune réalité juridique, il
désigne habituellement ces licenciés partant sans indemnités supra-légales,
c’est-à-dire sans un dédommagement qui s’ajoute aux indemnités légales ou
conventionnelles. Mais l’expression, utilisée à escient par la direction, marque
les esprits. En somme, mieux vaudrait un bon départ volontaire qu’un mauvais
licenciement sec…
L’accord comprend huit chapitres :
Chapitre I : Calendrier prévisionnel des mesures de réduction des effectifs
Chapitre II : Populations concernées par le PSE
Chapitre III : Renforcement du rôle du Pôle de mobilité professionnelle
Chapitre IV : Accompagnement de la mobilité interne en période de volontariat
et en période de licenciement contraint
38
Chapitre V : Amélioration des dispositions relatives à la formation
Chapitre VI : Amélioration des dispositifs d’accompagnement prévus par le
projet de PSE
Chapitre VII : Dispositifs complémentaires d’accompagnement vers l’emploi
dans le cadre de reclassement externe pendant la phase de volontariat
Chapitre VIII : Dispositions finales
La plupart des salariés n’ont sans doute jamais eu connaissance de ce texte.
Le seul et unique document qui leur est remis s’intitule « pôle mobilité
professionnelle : dispositifs d’accompagnement des mobilités internes et
externes ». Ce livret de huit pages fournit des exemples de départs, permettant
aux salariés de se projeter dans le cadre d’une mutation, d’une création ou
d’une reprise d’entreprise, ou d’un congé de reclassement. Au salarié de faire
son « choix ».
Quelques exemples. Un salarié vivant en couple avec deux enfants et
acceptant d’être muté à Poissy, percevra une prime de mobilité (26 822 €), une
prime d’installation (équivalent à trois mois de salaire et 1 863 € par enfant),
une prime d’incitation (un mois de salaire) en cas de départ pendant la phase
de volontariat. Et aura droit à différentes prestations : prise en charge du
déménagement, des aides à la recherche d’emploi pour le conjoint…
Le salarié trouvant un autre CDI ou un CDD d’au moins six mois, dans le bassin
d’emploi rennais, perçoit une indemnité de départ qui peut varier de 39 200 €
(10 ans d’ancienneté et un salaire brut mensuel de 1 800 €) à 63 500 € (20 ans
d’ancienneté, salaire mensuel brut de 2 600 €).
Le salarié créant ou reprenant une entreprise, peut bénéficier d’une formation
liée à son projet et des conseils d’un cabinet spécialisé. Il recevra en outre une
indemnité de départ de 45 000 € (15 ans d’ancienneté et un salaire mensuel
brut de 1 900€) ou de près de 73 000 € (25 ans d’ancienneté, un salaire mensuel
brut de 2 700 €).
Mais une autre mesure intéresse nombre de salariés proches de la
retraite : le congé senior. Celui-ci concerne les personnes qui percevront une
retraite à taux plein dans un délai de 30 ou 36 mois (pour ceux pouvant justifier
de 17 années de travail en équipe ou étant reconnu travailleur handicapé). La
moyenne d’âge du personnel étant élevée à PSA, « plus de 500 personnes
souhaiteraient partir ainsi », selon Force ouvrière.
Durant ce congé senior, le « pré-retraité » perçoit 65 % de salaire brut (environ
39
80 % du salaire net), ainsi qu’une indemnité de départ : 10 800 € (ancienneté
de 10 ans et un salaire mensuel brut de 2 000€) ; 52 600 € (ancienneté de
40 ans, salaire mensuel brut de 2 700 €).
Autre avantage pour le salarié : durant la période du congé senior, les trimestres
sont validés en vue de la retraite. Avantage également pour le gouvernement :
« Durant cette période, ces personnes restent officiellement salariées
de PSA. Elles ne vont donc pas gonfler les statistiques de Pôle emploi »,
observe un proche du dossier.
Énumérées ainsi, les indemnités octroyées par PSA peuvent paraître
conséquentes. Et il est vrai qu’en comparant avec d’autres plans sociaux,
le constructeur automobile se montre relativement « généreux ». En ne
mentionnant que ces seules sommes, on pourrait considérer que les salariés
de PSA ne sont pas mis à la porte comme des malpropres. Mais ce serait
oublier que quitter l’usine de La Janais, à 45 ans par exemple, même avec une
prime de 30 000 € en poche, ne vous garantit pas un revenu ou un emploi pour
les années à venir.
Enfin, d’un point de vue économique, une question se pose : plutôt que de
débourser de telles indemnités, PSA n’aurait-il pas intérêt à garder ses salariés
en attendant des jours meilleurs ? Car supprimer des postes implique aussi un
coût, au moins à court terme.
Selon le rapport Secafi, « le départ contraint d’un salarié de PSA Rennes, dans
le cadre du plan de sauvegarde de l’emploi, peut être estimé en moyenne à
70 000 € ». Si l’on rapporte ce montant aux 1 400 suppressions de postes, le
plan social 2013 de La Janais coûterait à PSA 98 millions d’euros.
À Aulnay, la facture est évidemment plus élevée. Toujours selon le rapport
Secafi, la fermeture de l’usine représente « un coût cash global pour le groupe
de 250 millions d’euros. Ainsi, hors cession immobilière, il ne contribue pas au
redressement de la trésorerie du groupe avant le quatrième trimestre 2017 ».
Autrement dit, en ne raisonnant qu’en termes financiers, les suppressions de
postes seraient amorties en moins de cinq ans.
Mais en termes humains, l’impact est évidemment plus vaste.
le chômage chez psa :comment ça marche ?
Le code du travail permet aux sociétés
d’avoir recours au chômage partiel
lorsque la baisse d’activité est liée aux
cas suivants :
- la conjoncture économique
- des difficultés d’approvisionnement en
matières premières ou en énergie
- un sinistre ou des intempéries de
caractère exceptionnel
- la transformation, restructuration ou
modernisation de l’entreprise
- toute autre circonstance à caractère
exceptionnel.
Source Article R 5 122-1 du code du travail
La crise du marché automobile européen
permet donc à PSA de recourir au
chômage partiel. Et force est de
constater que depuis près de deux ans,
Rennes, l’usine « bonne élève » de PSA,
comme l’avait surnommée le quotidien
Le Monde, ne parvient à vivre qu’en
ayant recours au chômage partiel. Et ce,
de plus en plus.
En 2012, par exemple, les employés ont
chômé 50 jours. Ils sont donc restés plus
d’un mois chez eux. à moins qu’ils aient
pu suivre une formation. La Direccte (la
direction régionale des entreprises, de
la concurrence, de la consommation, du
travail et de l’emploi), service de l’état,
confirme que PSA a pu mettre en place
des actions de formation durant ces
périodes.
Qui payE ?
Afin de faire face à ces périodes
d’inactivité, le groupe PSA a négocié et
signé deux types d’accords pour pouvoir
instaurer le chômage partiel : l’un avec
l’état ; l’autre avec les syndicats.
Il a ainsi pu bénéficier de la procédure
dite de l’APLD : l’activité partielle de
longue durée.
Ce dispositif de chômage partiel, com-
plémentaire de l’allocation spécifique, a
pour objectif de permettre une meilleure
indemnisation des salariés, privés de tra-
vail durant une longue durée, mais aussi
et surtout de maintenir leurs emplois.
Les conventions signées avec le
représentant de l’état qu’est la Direccte,
sont en théorie renouvelables tous les
trois mois, dans la limite maximale de
40
douze mois. En réalité, l’accord conclu
avec l’état a permis à PSA de bénéficier
de l’APLD durant plus de deux ans
et demi.
Le principe de l’APLD est le suivant.
L’employeur verse au salarié une
indemnité pour chaque heure non
travaillée au titre du chômage partiel.
Jusqu’au milieu de l’année 2013, cette
indemnité était égale à 75 % de la
rémunération horaire brute. Le salarié
percevait donc un peu plus de 90 % de
sa rémunération nette totale (qui ne
tient toutefois pas compte des primes).
Pour ce dernier, la perte financière est
donc limitée.
Au milieu de l’année 2013, ce
pourcentage de 75 % a été ramené à
70 %. Cette diminution de 5 % équivaut
à une baisse moyenne de 70 € pour
chaque salarié.
Cette indemnité de chômage partiel de
longue durée est ensuite remboursée
à l’employeur, à la fois par l’état et par
l’Unedic (l’assurance-chômage).
Selon un accord national
interprofessionnel du 6 février 2012,
il est prévu que l’Unedic rembourse
l’entreprise à hauteur de 2,90 € par
heure non travaillée, et que l’état verse
4,84 € par heure (pour les entreprises
d’au moins 250 salariés), et 4,33 € en
deçà de ce seuil.
Dans le cas de PSA, l’employeur percevra
donc 7,74 € par salarié et par heure non
travaillée. à titre de comparaison, le
SMIC horaire brut a été fixé à 9,43 € à
compter de janvier 2013, soit 7,39 € net.
Précisons toutefois que ce dispositif
de l’APLD est encadré par une notion
de temps et d’indemnisation. La
compensation de l’allocation spécifique
par l’état est limitée à 1 000 heures par
salarié et par an : ce qui représente tout
de même un peu plus de 28 semaines
chômées par ouvrier.
Autre précision, en 2012, l’assurance
chômage a affecté 80 millions d’euros
supplémentaires au financement de
l’activité partielle longue durée. Le
groupe PSA n’a donc pas été le seul à
bénéficier de ces remboursements.
Le 22 juillet 2009, le groupe PSA a par
ailleurs négocié et signé un accord avec
41
les six organisations syndicales (CFDT,
CFE-CGC, CFTC, CGT, FO et GSEA).
Ce texte organise l’indemnisation et
la formation durant les périodes de
chômage partiel. Il fixe la rémunération
garantie durant les jours chômés, assure
le maintien dans l’emploi des salariés
concernés et précise l’organisation
de formations durant les périodes
d’inactivité.
Et ce, pas uniquement pour le site
de Rennes. L’accord APLD concerne
aussi 14 établissements de PSA, dont
Mulhouse, Poissy et Sochaux. Rappelons
qu’à ce stade, parallèlement à l’APLD,
le constructeur continuait d’actionner
d’autres leviers pour adapter ses
effectifs à ses besoins déclinants de
production en France.
Outre le chômage partiel, depuis 2009,
la GPEC (gestion prévisionnelle des
emplois et des compétences), les plans
de départs volontaires et le PSE (plan de
sauvegarde de l’emploi) ont également
permis à PSA de réduire ses effectifs.
Mais revenons à l’accord signé avec les
syndicats. Ce texte donne la possibilité
aux salariés le souhaitant de porter leur
indemnisation à 100 % de leur salaire
net, en utilisant des droits à congés.
Ou en suivant des formations. Dans ce
dernier cas, ce sont des mécanismes
financiers, autres que l’allocation de
chômage partiel, qui prennent le relais.
Ces dispositions avaient été demandées
à plusieurs reprises par les syndicats. Ce
que rappelle l’accord.
QuEllEs sont cEs formations ?
L’entreprise souhaite mettre l’accent
sur le « lean industriel », un système
de production hérité de Toyota :
l’élimination de tout gaspillage en
termes de transport, de stockage, de
gestes inutiles…
Les salariés qui veulent bénéficier de
cette formation sont indemnisés à
100 % de leur salaire net, l’entreprise
complétant l’indemnisation convention-
nelle de chômage partiel par une alloca-
tion de formation.
Dans ce cas, selon la Direccte, l’indemnité
attribuée au salarié est financée pour
moitié par PSA et pour moitié par l’état.
Malgré tout, aussi avantageuse que soit
42
cette formule pour le salarié, elle ne peut
être que limitée dans le temps, chaque
formation ne durant que quelques jours.
L’accord précisait encore que le recours
au DIF (droit individuel à la formation)
serait favorisé en 2009 et en 2010 et que
l’entreprise faciliterait la mise à jour des
passeports formation. Si PSA a mis un
point d’honneur à former son personnel,
il faut là encore noter que nombre de ces
dispositifs ont souvent été financés (en
partie ou en totalité) par l’état.
Quoiqu’il en soit, aujourd’hui, un employé
de PSA Rennes est assuré de percevoir
près de 90 % de son salaire net, lorsqu’il
se retrouve au chômage partiel.
Or, ces jours d’inactivité sont de plus en
plus fréquents :
- 50 jours chômés en 2012
- près de 80 jours chômés de janvier à fin
octobre 2013
En deux ans, le nombre de jours chômés
a quasiment doublé. Et la facture s’est
donc alourdie pour l’état.
En juillet 2012, une intersyndicale
estimait que 17 jours de chômage
collectif coûtait à la collectivité
6,7 millions d’euros. Si l’on rapporte
ce calcul à 80 jours, le coût s’élève à la
somme de 31,5 millions d’euros.
Philippe Bonnin, le maire de Chartres-
de-Bretagne, évoque d’autres chiffres.
Le financement du chômage partiel à
PSA Rennes coûte « 10 millions d’euros
à l’état par semestre ». Soit 20 millions
d’euros par an.
Pour quel résultat ? Si le système de
l’APLD a effectivement permis de
maintenir des emplois à l’usine Peugeot-
Citroën de Rennes ces trois dernières
années, ce dispositif interpelle. Il se sera
révélé efficace si le site breton continue
d’exister et de produire des voitures.
Mais si l’usine ferme, quelle aura été sa
pertinence ?
Autre interrogation : ces aides au
chômage partiel sont financées par l’état
et donc par les impôts. En caricaturant
quelque peu, on pourrait s’étonner
que des salariés aient eu à payer, en
partie (via leurs impôts), le maintien de
leur emploi…
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44
45
témoiGnaGes
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La tuile. Bien plus que ça encore. La galère. En 2003, Valérie Ollivier est
licenciée de l’entreprise Mitsubishi, à étrelles, non loin de Vitré, après
dix ans de bons et loyaux services. Deux ans plus tard, elle décroche un
nouveau CDI à l’usine PSA de Chartres-de-Bretagne. Elle espérait alors ne
jamais revivre pareil choc.
Espoir douché. Depuis des mois, Valérie ne sait pas où elle sera en 2014. Pour
quel employeur travaillera-t-elle ? Peut-être plus pour PSA. Ne pas savoir ce
qu’elle fera à l’avenir l’inquiète, forcément. Mais ces longs mois d’incertitude à se
demander si elle doit partir ou non, vers quel métier elle pourrait se tourner, dans
quelles conditions… fatiguent plus encore. Penser aux lendemains sans être
submergée par le doute, c’est l’exercice d’équilibriste auquel s’applique, depuis
plus d’un an, cette célibataire de 46 ans.
Valérie Ollivier, Dinannaise d’origine, est tombée dans le chaudron Citroën depuis
qu’elle est toute petite. Ses parents ont eux aussi été employés à l’usine de
La Janais. Sa mère a travaillé huit ans en câblerie et son père y a effectué une
grande partie de sa carrière, notamment en tant que « RU » (on prononce les
deux lettres) : responsable d’unité, autrement dit chef d’équipe. « À la maison,
j’ai toujours entendu parler de La Janais », se souvient-elle. À l’époque, le site
n’assemblait que des modèles Citroën : GS, BX… Pour ses premiers boulots d’été,
c’est tout naturellement que Valérie se trouve embauchée un mois à l’usine,
au titre « des enfants de collaborateurs ». Elle travaille aussi à la câblerie.
« J’assemblais des faisceaux électriques. »
Son bac G1 en poche (secrétariat-comptabilité), elle effectue encore de l’intérim
à PSA. « C’était en attendant de trouver autre chose… À l’époque, le site me
paraissait très grand. Avec tout cet espace et tous ces salariés, je m’étais dit
que c’était un endroit où il y avait des possibilités d’évoluer durant sa carrière. »
Plus tard peut-être… Dans l’immédiat, Valérie Ollivier trace son propre sillon
et cherche l’emploi qui lui convient. Elle occupe plusieurs postes. Neuf mois
caissière à Paris. Petit retour en intérim à PSA, puis des CDD à Canon, à Liffré
après son licenciement de mitsubishi, « le cauchemar recommence »Valérie Ollivier, 46 ans, chef d’équipe
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où sont notamment produites des cartouches d’encre, ainsi qu’au magasin La
Farfouine, à Chantepie, que gère alors sa mère.
« En 1992, j’ai finalement décroché un CDI à Mitsubishi, à Étrelles. J’y suis
restée dix ans. » Elle commence sur la ligne de production des téléphones
portables, puis devient technicienne qualité. Le travail lui plaît. La « Télécom
vallée », surnom donné alors à la région vitréenne en raison de l’implantation
de plusieurs sociétés de téléphones mobiles, y prospère plusieurs années.
Mitsubishi va ainsi fournir des emplois à un peu plus de mille personnes à Étrelles
(intérimaires compris). Un effectif qui, vingt ans plus tard, laisse rêveur…
En décembre 2001, les premiers signaux d’alerte apparaissent. « On entendait
des bruits venus du Japon. Licenciements, fermeture, restructuration du
groupe… On ne savait pas trop. La direction nous répondait : “ Ne vous
inquiétez pas. C’est la presse… ”», se souvient Valérie.
La nouvelle de la fermeture de l’usine tombe le 28 février 2002. Valérie cite
encore la date par cœur. « Je l’ai appris à la télé. L’usine allait être délocalisée en
Chine. » Mitsubishi Electrics venait d’annoncer qu’elle stoppait toute production
de téléphones mobiles en Europe. Et de fait, fermait son unique usine d’Étrelles
« dont la perte sur deux exercices serait de 775 millions d’euros », rapporte
alors le journal Le Parisien.
Les mois qui suivirent furent longs, tendus, pénibles. « La direction tentait
de nous rassurer. On ne devait pas s’inquiéter. On allait retrouver du boulot
et personne ne serait laissé sur le carreau », se souvient l’ex-Mitsubishi.
C’est aussi le discours général des autorités et des élus. Critique vis-à-vis de
l’industriel japonais. Rassurant vis-à-vis des contribuables et salariés. Claude
Guéant, alors préfet de Bretagne, assure que l’État va « faire en sorte que
Mitsubishi dédommage du sinistre social. C’est le premier impératif. Le plan
complémentaire de l’État et des collectivités n’interviendra que lorsque
nous connaîtrons celui de Mitsubishi. Nous allons nous battre pour cela ! »,
affirme-t-il.
Ici ou là, on entend des « Remboursez ! » Dix ans plus tôt, pour s’installer à
proximité du pays de la Roche-aux-Fées, élus et État s’étaient penchés sur le
berceau de Mitsubishi qui avait perçu près de 1,70 million d’euros d’aides.
Le député-maire de Vitré, Pierre Méhaignerie, tente lui aussi de fixer des
perspectives. « Je pense que dans les trois ans, nous pouvons recréer sur ce
site 800 à 1 000 emplois. La difficulté sera de trouver les emplois industriels et
tertiaires qu’attendent les personnels. »
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Mais sur l’instant, pour les salariés, l’horizon apparaît bouché. Un cabinet de
reclassement est chargé d’aider les futurs licenciés à se former ou à retrouver un
emploi. Il s’agit de la société Sodie, celle-là même qui intervient actuellement à
PSA Rennes (1).
Dans l’usine d’Étrelles, l’ambiance est tendue. Elle le restera jusqu’à la
fermeture. « On se rendait au travail, mais puisqu’on nous foutait à la porte,
on ne travaillait plus. La direction avait même envoyé un huissier pour le faire
constater. Qu’avait-on à perdre ? », raconte Valérie.
Cette dernière, qui avait appris à contrôler la qualité des téléphones portables,
engage alors une formation de « technicienne qualité » d’une durée de six
mois : trois mois de théorie, trois mois de stage à… PSA La Janais. Elle obtient
son diplôme en avril 2004. « Je savais que la Peugeot 407 arrivait à Rennes.
Et que l’usine allait peut-être embaucher. » Bingo ! Valérie commence par un
premier CDD de deux mois et demi. Puis un deuxième. En cette même année, elle
décroche enfin un nouveau contrat à durée indéterminée.
Valérie a alors 38 ans. Le secteur automobile repart à la hausse. En 2005, le
nombre de véhicules neufs immatriculés en France repasse au-dessus de la barre
des deux millions. Il atteindra 2,3 millions en 2009. « Quand je suis embauchée,
je me dis “ça y est !” Je pense alors que je vais pouvoir finir ma carrière à PSA. »
La nouvelle salariée intègre l’équipe-projet liée à la Peugeot 407 et au coupé
407. Pour l’usine rennaise, il s’agit bien plus que de produire un nouveau modèle.
C’est la première voiture de la marque Peugeot à sortir des chaînes de La Janais.
Pour certains salariés qui n’ont connu que les chevrons, l’arrivée de la marque
au lion provoque quelques grognements. « Pour quelques anciens, la première
fois qu’ils ont dû enfiler les blouses avec le logo PSA, ce ne fut pas évident.
Non pas qu’ils n’aimaient pas Peugeot. Mais ils étaient vraiment attachés à
Citroën », se souvient Valérie.
Forte de sa formation, elle passe responsable d’unité. Elle dirige une équipe
de dix contrôleurs qualité. Une fois la voiture assemblée, « on vérifie ses
fonctionnalités, son aspect. On roule un peu avec. Et l’on signale s’il y a un
défaut », explique-t-elle. Là encore, le travail lui plaît. Mais avec les précédentes
suppressions de postes (un peu plus de 1 800 en 2009-2010), elle se retrouve
à « manager » jusqu’à 52 contrôleurs. Et puisqu’il y a moins de « RU » pour
encadrer les salariés, Valérie est également moins touchée par le chômage partiel
qui rythme à nouveau l’usine depuis 2012. « En fonction des postes, certains
chôment quasiment une semaine sur deux ; d’autres une semaine sur quatre. »
50
Mais ce qui a surtout changé, c’est l’ambiance. Plus tendue au fur et à mesure
que le plan de départs prend forme. « Il faut faire attention à ce que l’on
dit. Certaines remarques qui, avant, seraient passées inaperçues, peuvent
désormais déboucher sur un conflit. Le ton monte vite. »
En tant que « RU », Valérie Ollivier est en première ligne. C’est elle qui fait face
aux questions, au désarroi ou à la lassitude des femmes et des hommes qu’elle
encadre. « Certains croient que je vais désigner ceux qui partiront… C’est
difficile à supporter car je suis confrontée à l’inquiétude des gens, à laquelle
s’ajoute ma propre inquiétude », résume-t-elle.
La direction, consciente qu’elle a besoin de personnels encadrants solides
pour faire aboutir son plan, a donc tenté d’amortir le choc lié aux départs. La
lettre adressée à tout le personnel, vers la mi-mai, illustre parfaitement les
précautions prises. Ce courrier remis individuellement à chaque salarié indiquait
si ce dernier appartenait à des secteurs où des postes allaient être supprimés.
Et si oui, combien de départs étaient attendus. « Le jour de la remise de la
lettre, la direction nous a demandé d’être vigilants aux réactions des gens »,
de repérer, autant que possible, ceux qui pourraient « péter un plomb ». Pas
de telles extrémités dans le service de Valérie. Mais elle se souvient encore de
personnes « qui avaient les larmes aux yeux. Et pourtant, cette lettre, elles s’y
attendaient… »
Les encadrants, eux, avaient reçu ce courrier quelques jours auparavant pour qu’ils
n’aient pas à encaisser la nouvelle en même temps que celle des autres salariés.
L’inquiétude de Valérie se résume en deux chiffres : « Il y a 180 responsables
d’unité dans l’usine. Quarante-quatre doivent partir. S’il y a 44 volontaires,
je suis sauvée. Sinon… » S’il n’y a pas 44 chefs d’équipes à quitter La Janais
d’ici à la fin décembre, ce seront les licenciements. Ce que la direction appelle
les départs contraints. Le choix des salariés se fera alors en fonction de divers
critères : le nombre d’enfants, un conjoint ou le célibat, l’âge, l’ancienneté dans
l’entreprise, un éventuel endettement… Autrement dit, un salarié marié, avec
trois enfants et 30 ans de boîte, a plus de chance de rester qu’une personne âgée
de 25 ans, recrutée pour le récent lancement de Peugeot 508. Sur ces points,
Valérie ne se fait pas d’illusions : « Je figure parmi les plus jeunes embauchés et
je suis célibataire. »
La première fois que nous rencontrons Valérie, en janvier 2013, elle souhaite
rester mais, au cas où, commence à chercher une porte de sortie. Elle a déjà
envisagé toutes les solutions, sans savoir encore vers laquelle s’orienter. Au sein
51
de PSA ? « Si on me propose d’aller à Sochaux, j’irai si c’est vraiment la dernière
solution. » Dans une autre entreprise ? « Pourquoi pas l’agroalimentaire… On
s’en fait tout un monde. » Changer de région ? « À la case mobilité, j’ai mis
“oui mais”… » Pour y voir plus clair, la chef d’équipe a décidé d’entreprendre un
bilan de compétences. Elle a repris son CV là où elle l’avait laissé après avoir été
licenciée de Mitsubishi. « Ce n’est pas facile, c’est une remise en question. »
Début juin, le brouillard s’est un peu dissipé sur son avenir. Elle a acquis une
certitude. « Si je trouve un poste ailleurs, je pars, c’est sûr. Et si je ne pars pas
dans le cadre de ce plan-là, je continuerai de chercher. Je n’ai plus l’impression
que cette usine ait un avenir. » Oui mais voilà, partir pour faire quoi ? « Dans
l’absolu, j’ai plein d’idées. Mais il faut rester réaliste. Je ne vais pas entamer
une longue formation. À plus de 40 ans, il y a quand même des portes qui se
ferment. » Une formation d’infirmière d’au moins trois ans, ce n’est plus pour
elle. Pour le reste, elle ne sait pas encore.
Ne chômant que très peu, elle n’a pas le temps de véritablement chercher. Pas
l’énergie, peut-être aussi, de se lancer à corps perdu dans cette nouvelle épreuve.
« Psychologiquement, c’est compliqué. Il faut se redire quelles sont ses
qualités, quels sont ses défauts… »
Valérie a aussi besoin de souffler, de ne pas toujours y penser. En juillet 2012,
alors que le plan de départs allait être dévoilé, elle s’est dit : « Le cauchemar
recommence ! J’ai passé de sales vacances. » Désormais, elle tente de se
préserver, ne lit plus systématiquement les articles de presse qui sont publiés
sur PSA Rennes. À son entourage, elle recommande de ne pas en parler. Elle n’a
pas envie que les repas de famille ou entre amis tournent exclusivement autour
de « ça ». « Pour me vider l’esprit, je vais dans les vide-greniers », sourit-elle.
C’est aussi la réalité d’un plan social : le temps fixé par la direction ne correspond
pas forcément au temps dont ont besoin les salariés pour partir.
Dernière question : pensez-vous que l’usine de La Janais existera toujours dans
dix ans ? « Je pense qu’elle va fermer. Il n’y en aura plus dans dix ans. Je ne suis
même pas sûre que l’usine va produire une nouvelle voiture. Mais j’espère me
tromper… »
(1) Au total, sur les 541 salariés qui ont été suivis par la cellule emploi-formation, 528 avaient retrouvé un emploi
stable en février 2004. Ces bons résultats ne tenaient toutefois pas compte, selon la CFDT, des 150 salariés en
CDD et 350 intérimaires qui travaillaient encore dans l’usine d’étrelles au moment de sa fermeture
5352
Quitter l’usine, c’est parfois un sacré changement de vie. Pour le salarié,
mais aussi pour l’ensemble de sa famille. Ce sera le cas pour Didier
Perrin. Après 30 années passées à La Janais, il est prêt à franchir le pas
et à tenter le rêve qu’il poursuit avec sa femme : ouvrir des gîtes en
Bretagne. Mais avant de partir de PSA, espoir et lassitude se sont succédés au fil
des semaines.
« On est quatre dans le service. Les quatre postes sont supprimés. Le service
ferme », résume Didier. Pour ce technicien, le plan de départs volontaires a des
allures de « par ici la sortie ». À 54 ans, ce n’est pas vraiment ce qu’il avait prévu.
« Je m’étais mis dans le crâne que j’allais rester à PSA jusqu’à ma retraite »,
admet-il. Avec ce nouveau plan de départs volontaires, la donne a changé. Il doit
rebattre ses cartes. À la belote, on annoncerait qu’on vient changer d’atout. Et en
cette année 2013, l’atout PSA vient d’être relégué au rang de simple carte.
Didier est né à Paris en décembre 1959. Mais toute sa famille est ancrée en
Bretagne. Sa mère, concierge dans la capitale, est originaire de Carentoir
(Morbihan) ; son père, cuisinier, est de Bruc-sur-Aff (Ille-et-Vilaine). Et comme
tout Breton parti voir, un jour, ce qu’il y avait de l’autre côté de l’horizon, ses
parents sont revenus dans leur région. Didier avait 4 ans.
Après un BTS « fabrication mécanique » passé au lycée Joliot-Curie, à Rennes, il
multiplie les petits boulots (déménageur, charpentier), puis effectue son service
militaire dans l’armée de l’air, à Saint-Jacques-de-la-Lande, près de Rennes,
après trois mois de formation à Paris. « On a eu des cours de météorologie, de
cartographie… C’était très intéressant. »
Au retour de l’armée, il ne reste que deux mois au chômage. En mai 1983, il est
embauché à PSA. Durant de longues années, il ne va pas travailler directement
à la fabrication de voitures, mais pour une filiale du constructeur : PCI (Peugeot
Citroën Industrie), à La Janais. « On concevait des machines pour différents
secteurs de l’usine, mais pas seulement. Certaines permettaient d’installer les
Didier Perrin, 54 ans, technicien
de l’automobileaux maisons en bois…
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ficelles sur les calendriers; d’autres pliaient des emballages. On partait d’une
feuille blanche et on mettait au point les machines de A à Z. On calculait la
résistance des matériaux, on chiffrait… Je m’éclatais vraiment dans ce boulot. »
Sur le plan familial, l’horizon est également sans nuages. Didier qui est un
touche-à-tout, un curieux de nature et un écologiste de conviction, entreprend de
construire sa propre maison en bois, dans la région de Guichen.
« Je suis passionné de charpente, de construction. Quand j’étais petit, en face
de chez mes parents, il y avait un charpentier-menuisier. J’étais tout le temps
fourré chez lui. » Pour les travaux, il se fait aider de son beau-père, notamment
pour charrier les mètres cubes de terre en trop, sur le terrain. En quelques mois, la
maison est sur pied.
Une ombre vient ternir ce tableau. Ses relations avec l’un de ses supérieurs
hiérarchiques se dégradent. Il se sent harcelé. « Tous les jours, il me mettait la
pression, me faisait des reproches. Je n’ai pas vu le coup venir », raconte Didier,
qui finit par craquer et par changer de service. Après 16 ans à PCI, il quitte cette filiale
et intègre l’usine de La Janais où il dessine désormais des faisceaux électriques.
Avec son départ de PCI, c’est un peu de son insouciance et de ses premières
années de bonheur qui s’envolent. Didier, qui jusqu’alors n’avait jamais pensé
se syndiquer, finit par adhèrer à la CGT. Pourquoi la Confédération générale du
travail ?
« Je me suis tourné vers les plus offensifs, vers ceux qui faisaient le plus de
rentre-dedans. En 2009, à PSA, on était encore très peu de techniciens à être
syndiqués à la CGT », se souvient-il.
Avec le temps, les regrets de Didier se sont atténués. Il sait aujourd’hui que, de
toute manière, il n’aurait pas pu poursuivre longtemps à PCI. Cette branche a été
maintenue. Mais son activité a été limitée aux besoins de PSA et réduite aux
études. « La réalisation des machines a été confiée à des sous traitants-chinois
et des pays de l’Est. »
En 2009-2010, PSA annonce un premier plan de départs volontaires de La
Janais : 1 750 postes vont être supprimés. Premières interrogations pour Didier et
sa femme Françoise. Est-ce le bon moment pour partir ? « On y a pensé un peu.
On a envie de se rapprocher de la mer. » Le couple a en fait un rêve en tête : ouvrir
des gîtes dans le Morbihan, si possible dans les secteurs d’Erdeven, d’Auray. Beau
projet, mais évidemment pas sans risque. D’abord, il faut trouver des bâtiments
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suffisamment grands et pouvant être rénovés, dans un budget raisonnable.
Ensuite, Françoise n’est pas disposée à lâcher son emploi pour un grand saut dans
le vide. Elle est coordonnatrice d’un groupe scolaire à Saint-Jacques-de-la-Lande où
elle gère une trentaine de personnes, principalement des ATSEM (agent territorial
spécialisé des écoles maternelles). L’école accueille aussi quelques enfants
handicapés. « Je suis employée par la mairie. J’adore ce que je fais », avoue-t-elle.
« Elle a un bon poste et elle est montée à la force du poignet. Il lui serait sans
doute difficile de trouver un poste équivalent ailleurs », convient Didier.
Avec ce deuxième plan de départs volontaires, forcément, le projet des gîtes refait
surface. Le couple en parle de nouveau. En mars 2013, lorsque nous rencontrons
Didier pour la première fois, ce dernier n’a pas encore tranché s’il devait quitter PSA
ou non. Plusieurs solutions s’offrent à lui. En théorie, même si son service ferme,
il pourrait rester à l’usine de Chartres-de-Bretagne. Mais à une condition : qu’un
salarié qui ne soit pas sur la liste des départs volontaires, s’en aille et que Didier
le remplace. C’est ce que la direction appelle le principe « de substitution ». Le
technicien n’écarte pas cette solution.
En théorie toujours, il pourrait postuler dans une autre usine du groupe, à Sochaux
par exemple. « Ah ça non ! On a trop envie de rester dans la région. La Bretagne,
c’est vachement important », insiste-t-il. Membre d’une association bretonne, il
s’intéresse beaucoup au chant gallo. Et un peu moins au chant franc-comtois…
Enfin, il pourrait chercher un autre employeur. « À 54 ans ? J’ai déjà des collègues
de 40 ans qui n’arrivent pas à trouver. »
En ce mois de mars, le couple commence donc à chercher un peu plus activement
des bâtisses à rénover dans le Morbihan, mais n’a pas encore arrêté de décision.
« Un projet, ça se mûrit. Pour l’instant, je laisse la porte ouverte à tout. »
Trois mois plus tard, en juin, Didier va mal. Il est en arrêt de travail pour deux
semaines. Déprime. Conséquence d’un drame familial et de la situation à l’usine.
« J’ai de nombreux collègues qui souffrent de ce qui se passe à l’usine. On
observe quelques cas de dépression, d’alcoolisme et de tentatives de suicide.
Et puis, il y a ce chômage partiel : trois semaines depuis la fin avril. Je suis à la
maison toute la journée. Ce n’est quand même pas normal. Moi, je ne vis pas ça
comme des congés. Le travail, c’est important. »
Françoise, son épouse, confirme : « Il a beaucoup écouté les autres, beaucoup
encaissé. » Cette fois, la décision de Didier semble prise. « Au début, je me
disais que j’allais peut-être rester. Mais maintenant, c’est clair, je pars. » La
lassitude de la situation actuelle pèse évidemment dans ce départ. Mais aussi
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cette impression de plus en plus vivace que l’usine n’a plus d’avenir. Produira-
t-elle la X8, la remplaçante de la C5 ? Didier n’en est pas sûr. « On nous l’annonçait
en 2016. J’ai appris que certaines études intermédiaires n’étaient même pas
lancées. Forcément, ce ne sera pas en 2016. »
Dans ces conditions, le projet de gîtes dans le sud de la Bretagne devient chaque
jour un peu plus présent. Le couple a commencé à repérer des bâtiments à rénover.
Les travaux ne font pas peur à Didier. Et ce d’autant qu’il se verrait bien les réaliser
avec l’un de ses trois enfants (le couple a trois garçons : des jumeaux de 23 ans et
un de 26 ans), charpentier de métier et récemment licencié économique. « À deux,
on peut tout remettre en état en un an. »
Mais ce projet aurait une autre conséquence de taille. À terme, le couple vendrait
son actuelle maison pour s’installer là où ils auraient aménagé les gîtes. « De
toute façon, à plus ou moins longue échéance, on avait prévu de vendre cette
maison pour vivre plus près de la mer », précise Didier.
Françoise partage ce projet. Mais dans l’immédiat, elle ne quittera évidemment
pas son emploi. C’est peu dire que le départ de son compagnon de PSA
bouleverserait aussi son quotidien. « J’ai demandé à repasser à temps plein. Je
n’avais pas envisagé ça. On arrive à un âge où l’on aurait pu profiter de la vie,
être cool. Je n’ai pas l’impression qu’on aille vers cela. Quand je rentre le soir du
travail, je suis rincée. J’aurais aussi aimé que la situation soit un peu plus calme
à la maison. »
En ce mois de juin, le couple n’a pas encore tranché . « On part un peu en
Thaïlande. Ce n’est sans doute pas raisonnable. Mais on a franchement besoin
de changer d’air… »
Début août, l’envie de quitter La Janais se confirme. Après avoir pris des
renseignements auprès de la cellule de reclassement, son projet de gîtes ne lui
permet pas de bénéficier des aides liées au PSE (plan de sauvegarde de l’emploi).
Qu’importe. Dans un premier temps, il envisage de créer une Scop (société
coopérative et participative), avec son fils charpentier et un ami couvreur, pour
construire des maisons écologiques en bois. Tout en cherchant de la pierre à
rénover du côté d’Erdeven…
Selon lui, quel est l’avenir de l’usine de La Janais ? « Je ne suis guère optimiste.
Le jour où tous ces salariés vont partir, l’entreprise va perdre énormément de
compétences. Pour apprendre certains métiers, à l’emboutissage par exemple,
il faut du temps. Et s’il n’y a plus ces compétences… »
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des milliers de nuitsà veiller sur l’usineJoseph Amouriaux, 58 ans, électromécanicien
«Tu travailles encore dimanche ! » Combien de fois
Joseph Amouriaux a-t-il entendu cette remarque ? Cet
électromécanicien de 58 ans vient de quitter l’usine
de La Janais après y avoir effectué toute sa carrière
professionnelle : 41 années dont 38 à travailler en « 3X8 », le matin, l’après-
midi, la nuit, y compris les week-ends et jours fériés. Et cette fois-ci, Joseph
« en a sa claque ».
« Je suis rentré à Citroën en août 1972. » Joseph Amouriaux avait 17 ans et
venait d’obtenir son BEP d’électromécanicien. Dans sa famille, personne ne
travaillait à La Janais. Son père était facteur et sa mère effectuait des ménages
dans une maison de repos. Le jeune Joseph n’avait pas, non plus, projeté de
postuler à Citroën dont l’usine était alors implantée depuis un peu plus de
dix ans à Chartres-de-Bretagne. « J’avais envoyé quelques CV dans diverses
entreprises du coin. Mais à cette époque, Citroën venait nous chercher
directement à l’école, avec les dossiers d’embauche à remplir. »
À 17 ans, Joseph n’avait pas encore le permis de conduire et résidait chez ses
parents à Pléchâtel (canton de Bain-de-Bretagne, Ille-et-Vilaine). Citroën allant
chercher et ramenant ses salariés par un système de navettes bien rodé, le
jeune homme se laisse tenter. Après tout, si le travail à l’usine ne lui plaît pas, il
pourra toujours partir. Comme le résume un de ses collègues, « à l’époque, tu te
présentais à l’entrée d’une entreprise, et le lendemain tu étais embauché ».
C’était en 1974, l’année du premier choc pétrolier.
Les trois premiers mois, Joseph est posté sur la chaîne d’assemblage. « Tout
le monde y passait. C’était une façon de voir si on tenait le coup. » Puis il
bénéficie d’une formation de trois mois, avant d’être affecté au dépannage des
engins à fourche. Le travail lui plaît, c’est mieux que la chaîne.
Mais ses premiers pas dans le monde industriel sont aussi marqués par sa
découverte du syndicalisme. Dès la fin de sa formation, il est convoqué dans
un petit bureau. Un agent lui glisse un bulletin d’adhésion à la CSL, le syndicat
maison d’alors. « Il était prérempli. J’ai refusé de signer. La réaction de mon
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interlocuteur a été immédiate : “ Vous êtes un Rouge ! ”» Ni rouge, ni jaune.
Le jeune embauché souhaite juste ne faire partie d’aucune chapelle. « Pendant
longtemps, chaque mois, j’ai été convoqué par l’agent de secteur. Il voulait
me faire signer à la CFT. » Mais Joseph reste ferme (1), prenant ainsi le risque
que son avancement de carrière tourne au ralenti…
À 19 ans, on lui propose de devancer son appel et de partir au service militaire.
« On m’avait alors assuré que je retrouverais mon poste en rentrant. » Joseph
accepte. Durant un an, il est envoyé dans l’est de la France, à Épinal, mais
aussi en Allemagne de l’Ouest, à Landau (ville du sud-ouest de l’Allemagne,
en Rhénanie-Palatinat). « J’étais dans les transmissions et il nous arrivait
d’aller en manœuvre à la frontière avec l’Allemagne de l’Est. On écoutait ce
qui pouvait se dire de l’autre côté du rideau de fer », sourit-il aujourd’hui.
Retour à Citroën et première déception. Joseph ne peut réintégrer son précédent
poste. « Tout avait changé. Celui qui m’avait fait la promesse, n’était plus
là. On m’a alors dit : c’est la chaîne ou la centrale. » Joseph qui n’avait guère
goûté le travail d’assemblage, opte pour la centrale.
Au sein de l’usine, c’est un monde à part. Ce service veille, comme le lait sur le
feu, sur toutes les installations qui fournissent de l’énergie et de l’eau au site
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de La Janais : les chaudières à fuel lourd (aujourd’hui passées au gaz), la sous-
station qui alimente en électricité la centaine de postes de transformation, les
compresseurs, le chauffage, le système de production d’eau déminéralisée…
Autant d’installations lourdes qui doivent être entretenues avec minutie pour
éviter tout accident grave et toute interruption de la chaîne de production. Car
les besoins en énergie sont importants. Lorsque l’usine tournait à plein régime,
sa consommation d’électricité équivalait à celle d’une ville comme Saint-Malo.
Pendant longtemps, la salle de contrôle, tapissée de manettes, d’écrans, de
potentiomètres et de téléphones, a donné le tournis aux visiteurs qui ont pu
s’y introduire. De cette salle, on pouvait avoir l’impression de piloter l’usine.
Aujourd’hui, tout est informatisé et seuls quelques ordinateurs suffisent
à remplacer la forêt d’écrans de contrôle. Plus fiable sans doute, le lieu a
désormais perdu de sa magie.
Mais ce travail plaît à Joseph. « Il n’y a pas de routine. Lorsqu’on prend son
poste, on ne sait jamais ce qui vous attend : une fuite sur un robinet, sur
une canalisation… Sans oublier tout le travail préventif et d’entretien des
installations. » Les salariés de la centrale se rendent aux quatre coins du site.
Ils connaissent ses dizaines d’hectares comme leur poche. « Il existe des plans
pour nous aider. Mais il n’y en a pas pour tous les recoins de l’usine. Qui sait,
par exemple, qu’il existe des galeries souterraines de 2 à 3 mètres de large et
de 500 à 600 mètres de long.
L’absence de routine, Joseph le reconnaît, est aussi due au rythme en trois-
huit. Et plus particulièrement aux nuits. Au sein de ces immenses bâtiments
industriels, on imagine volontiers un silence pesant, un vide stressant, propice
à un bon scénario de film d’horreur, façon Shining de Stanley Kubrick. Joseph
démystifie cette impression. « D’abord, l’environnement n’est pas silencieux.
Les installations tournent 24 heures sur 24. Et puis, le soir, il y a toujours
un peu de monde dans l’usine, notamment à l’emboutissage. Enfin, la nuit,
l’ambiance est plus tranquille. On a moins de pression. Si on n’a pas de
réparation à effectuer, on fait du préventif. On s’assure que tout fonctionne. »
Mais il en convient : « Mieux vaut être occupé vers 3 ou 4 heures du matin.
Sinon, gare au coup de barre. »
Pour faire tourner la centrale, plusieurs équipes se relaient 365 jours par an,
24 heures sur 24. On appelle cela des quarts. Chaque quart était autrefois
constitué de quatre personnes : le chef de quart, le chef de file (en raison des
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rondes qu’il effectue), un électricien et un chauffeur-mécanicien de chaudière.
Ces dernières années, à l’inverse des trois mousquetaires qui étaient au
nombre de quatre, un quart n’est plus constitué que de trois personnes. « On
dit effectivement qu’on fait le quart, un peu comme dans la marine, en
raison de nos horaires. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si nombre d’anciens
marins ont été employés à la centrale », note Joseph.
Chaque quart veille donc sur les installations soit le matin (5 h 15-13 h 25), soit
l’après-midi (13 h 15-21 h 25), soit la nuit (21 h 15-5 h 25). Auparavant, la rotation
s’effectuait au rythme de sept matinées, deux jours de repos, sept nuits, puis
huit après-midi réparties sur deux semaines.
Depuis 2007, le rythme est désormais de deux matins, deux après-midi, deux
nuits, puis quatre jours de repos.
Combien de nuits Joseph a-t-il ainsi travaillé ? Il ne sait pas. Il n’a jamais
compté. D’après son planning 2012 qu’il nous a fourni, l’électromécanicien
aura été de service 74 nuits, soit l’équivalent de deux mois et demi. Si l’on
rapporte cette proportion à ses 38 années passées en trois-huit , il aura vérifié
les installations de l’usine un peu plus de 2 800 nuits, c’est à dire l’équivalent
de 93 mois. Autrement dit, près de huit ans... Sans oublier mille week-ends de
service. «Cela représente 19 années sans samedis, ni dimanches. Lorsqu’on
voulait recevoir de la famille ou des amis, c’était vraiment compliqué. Quant
à l’éventualité de faire partie d’un club ou d’une association, c’est quasiment
impossible», soupire Joseph.
Huit ans sans dormir la nuit. Comment est-ce possible ? Lorsqu’il est de
matin, il se lève à 4 h 15 pour pouvoir embaucher une heure plus tard. « C’est
le plus dur », selon Joseph qui reconnaît être un gros dormeur. En rentrant
en début d’après-midi, il ne déroge donc pas à une sieste. « Mais je mets le
réveil à sonner. Sinon, je dormirais facilement plus de trois heures », sourit-
il. Lorsqu’il est de nuit, à son retour, il prend un petit-déjeuner et attend que
sa femme se lève vers 6h30. Pour ne pas la réveiller une fois de plus. Puis il
s’endort jusqu’à midi.
« Dès qu’il se couche, il dort. N’importe où, n’importe quand », confirme
Michelle, sa femme. Cette facilité à s’endormir, c’est peut-être ce qui a aidé
Joseph à tenir durant 40 ans. « Beaucoup ont quitté la centrale au bout de
quelques années. Tout le monde n’est pas volontaire pour effectuer de tels
horaires. Dans le service, il y a eu du turn over », admet l’électromécanicien.
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À la maison, la vie s’organise autour des trois-huit. « Chut… Papa dort »,
n’a cessé de répéter Michelle à ses deux enfants lorsque, le matin, ceux-ci se
réveillaient et que leur père avait travaillé la nuit. Plus délicat, en revanche, de
dire aux voisins de se taire… « Durant quelques années, on a habité dans un
appartement en Zup-Sud, à Rennes. Quand je les entendais faire du bruit le
matin ou passer l’aspirateur… », soupire encore son épouse, pourtant habituée
aux horaires décalés. Son père œuvrait déjà en trois-huit aux Papeteries de
Bretagne. Mais avec de tels horaires, la vie de couple et de famille a du mal à se
régler comme une horloge suisse. Michelle, femme active, travaille, elle aussi.
Elle fut d’abord vendeuse au magasin Soifilène, du mardi au samedi, de 9h à
19 heures. « Le week-end, avec Joseph, on communiquait par petits papiers
qu’on collait sur le frigo. »
Cette vie à se croiser, à jongler avec les horaires d’école des enfants,
Michelle n’en veut pas. Un peu plus jeune que Joseph, elle a préféré arrêter
son emploi durant dix ans « pour élever Arnaud et Marlène. À ma façon,
je me suis aussi adaptée aux horaires de l’usine. Le week-end, c’était
pesant. Joseph travaillait, et moi, j’étais souvent seule avec les enfants ».
Les enfants étant devenus adultes - ils ont aujourd’hui 31 et 28 ans - elle
travaille à nouveau, depuis vingt ans. Elle est ATSEM (agent territorial
spécialisé en école maternelle). « Malgré tout, j’ai un trou de dix ans dans
ma vie professionnelle. Si je veux une retraite à taux plein, il faut que je
mette les bouchées doubles », analyse-t-elle, lucide. Ce qui n’a pas l’air de
lui faire peur. Outre son emploi d’assistante scolaire, le week-end, sous un
statut d’auto-entrepreneur, elle cuisine des crêpes, des confitures ou fait de
la couture. « Je ne sais pas m’arrêter », convient-elle.
À sa façon, Joseph non plus. Très bricoleur, il a déjà en tête quelques travaux de
rénovation. Mais dans l’immédiat, ce qui le soulage vraiment, c’est de partir de
l’usine. « J’en ai ras le bol. Ces horaires-là sont quand même pénibles. » Son
travail, aussi, lui paraît moins attrayant. « Dès qu’on fait une intervention,
il faut rédiger un rapport, justifier. Une fois par mois, il faut vérifier les
standards, les procédures de contrôle… Moi, j’étais là pour bosser. »
Joseph a adhéré au congé senior. Depuis le 1er août 2013, il ne travaille plus
et est rémunéré 65 % de son salaire brut. Il sera officiellement en retraite le
1er août 2015.
Pense-t-il que l’usine de La Janais a un avenir ? « À l’usine, tout le monde est
conscient qu’elle risque de fermer. » (1) : il adhérera finalement à la CFDT en 2000.
le traVail de nuit :Quelles conséquencessur le sommeil ?
Travailler en trois-huit, et notamment la
nuit, est-il néfaste pour le sommeil ? En
2005, dans la revue municipale de Saint-
Jacques-de-la-Lande, l’un des médecins
de PSA, à Chartres-de-Bretagne,
répondait ceci : « Tous les indicateurs
dont nous disposons permettent
aujourd’hui de dire que le travail de
nuit n’a pas d’impact sur la santé des
travailleurs de nuit. Pourquoi ? Parce
que ces derniers sont volontaires sur
ces horaires nocturnes. Tous nous
disent également que le travail de
nuit est plutôt « cool » : la hiérarchie
est moins pesante et pressante que le
jour, les relations entre collègues sont
plus détendues… Ils sont de surcroît
mieux payés. »
À l’époque, l’article avait fait bondir
Joseph Amouriaux. Et pour cause.
Plusieurs études scientifiques tendent
à démontrer l’inverse. En 2010, selon
le Dr Sophie-Maria Praz-Christinaz de
l’Institut universitaire romand de santé
au travail (Suisse), seuls « 10 % des
travailleurs de nuit supportent bien
le rythme de nuit », 70 % le tolèrent
avec plus ou moins de difficultés
et 20 % doivent impérativement
changer de poste.
Selon elle, un travailleur de nuit perd
en moyenne l’équivalent d’une à deux
heures de sommeil par jour, soit trois à
quatre nuits par mois. Il accumule ainsi
« une dette de sommeil ».
Les conséquences sont multiples.
Risque d’endormissement (notamment
sur la route au moment de rentrer de sa
nuit de travail), épuisement chronique,
anxiété, dépression, augmentation
des hormones du stress qui induit
des effets sur le rythme cardiaque,
des mécanismes de compensation
(tabagisme, compulsions alimentaires).
Il y a peu, des chercheurs australiens
ont montré que les personnes privées
de sommeil avaient ainsi tendance à
grignoter davantage, notamment des
aliments sucrés. « Les travailleurs
postés qui sont sévèrement restreints
de sommeil peuvent avoir un risque
d’obésité », concluent-ils.
Le Dr Praz-Christinaz nuance toutefois.
Selon les individus, les troubles peuvent
être « tolérables » ou « plus graves,
nécessitant une intervention rapide sur
les conditions de travail ».
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«Dans la famille, on sait d’où on vient. On sait que rien n’est
jamais acquis. Mon regard sur ce qui se passe actuellement
est forcément un peu différent. » Christine Mou Mohamed
a été embauchée il y a dix ans à PSA, à la chaîne. Après avoir
quitté son pays d’origine, après avoir baroudé chez différents employeurs, elle
pensait être tombée dans une entreprise avec « des possibilités d’évolution ».
Depuis, elle voit partir les salariés les uns après les autres. Elle est devenue
déléguée syndicale, un poste où elle se sent utile. Et si elle doit quitter
l’usine, elle s’efforce de penser que ce peut être l’occasion, aussi, de nouvelles
opportunités.
« J’ai quitté le Vietnam lorsque j’avais trois ans », raconte Christine Mou
Mohamed qui est née à Ho Chi Minh Ville (Saïgon), dans le sud du pays. Ses
grands-parents étant d’origine indienne, elle suit sa famille à quelques milliers
de kilomètres de là, en Inde. « Mes parents espéraient y trouver une vie
meilleure. Malheureusement, ce ne fut pas du tout le cas. Ils ne tombèrent
sur aucun eldorado. » Christine restera cinq ans dans le sud de l’Inde où elle
fut scolarisée dans une école française tenue par des religieuses catholiques.
« Le frère de ma mère était déjà venu en France. Il y a vu l’opportunité d’un
avenir plus radieux pour la famille, car en Inde, c’était la misère. » Christine
arrive en France à l’âge de 8 ans, en 1981, alors que la récente élection de François
Mitterrand a fait naître beaucoup d’espoirs pour une majorité de Français. Sa
famille (au sens vietnamien du terme, c’est-à-dire avec les oncles, les tantes et
les cousins) s’installe dans la banlieue parisienne, à Garges-lès-Gonesse (Val-
d’Oise). Tous n’arrivent pas en même temps, mais progressivement. Chaque
nouvel arrivant économisant pour faire venir le reste de la famille.
« À un moment donné, nous vivions à cinq couples, avec enfants, dans
un appartement qui ne disposait que de trois chambres. Heureusement,
cette promiscuité n’a pas duré longtemps. Quand chaque famille a pu
devenir autonome, papa nous a rejoints. Il est arrivé le dernier. J’avais alors
« ma famille n’a pas comprisque j’aille travailler à la chaîne »Christine Mou Mohamed, 40 ans, agent de production
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10 ans. Pendant son absence, c’est mon frère aîné qui faisait office de chef
de famille. »
Les débuts sont difficiles. Les parents de Christine ne parlent pas français.
Ils parviennent malgré tout à dénicher un emploi de manutentionnaires à
l’aéroport de Roissy. Christine, ses quatre frères et sa petite sœur suivent, eux,
une scolarité ponctuée de bons résultats. « On a tous obtenu un diplôme, ne
serait-ce que le bac », insiste-t-elle. Pour Christine, ce furent un bac tertiaire
G3 et un BTS « force de vente ». Et que ce soit à l’école ou à la maison, mieux
valait bosser… « Ma famille et mon frère aîné notamment ont tout fait pour
que nous réussissions. Mais mon frère s’est parfois comporté comme un
tyran avec nous. Aujourd’hui, je me rends compte de ce que je lui dois »,
apprécie-t-elle.
Suit une série d’employeurs. D’abord, dans une entreprise de fournitures
de bureau, en région parisienne. C’est là qu’elle y rencontrera son premier
compagnon avec qui elle aura deux enfants. Ce dernier étant muté dans
une grande surface de l’agglomération rennaise, elle le suit et débarque en
Bretagne en 1997.
Là, elle travaille dans le secteur immobilier où elle s’occupe de locations
et effectue de la prospection téléphonique auprès de propriétaires. Elle y
restera deux ans et demi. Elle enchaîne avec une société spécialisée dans
le matériel médical auprès des particuliers et professionnels. « J’étais
responsable du point de vente. Je commandais les fournitures, je faisais
de la gestion de clients. Mais j’aspirais à un travail avec plus de contacts,
plus de relationnel. »
Christine va débarquer à PSA en 2003. D’abord comme intérimaire. Puis elle va
être « définitivement » embauchée en janvier 2004. L’usine a alors besoin de
main-d’œuvre pour produire la nouvelle Peugeot 407. Les postes recherchés
concernent principalement la ligne d’assemblage. La jeune femme qui rêvait
d’un emploi avec davantage de relations humaines hésite. « Ma famille n’a
pas compris que j’aille travailler à la chaîne. Ils avaient d’autres espoirs et
me disaient : qu’est-ce que tu vas faire à PSA ? Ce n’est pas ta place. »
Christine, elle, se projette dans l’avenir. « J’étais impressionnée par
l’immensité du site, tous ces robots. J’avais la sensation d’une entreprise
très bien organisée, avec des possibilités d’évolution. » Elle ne le cache pas
67
non plus. Le salaire à PSA était meilleur que dans ses précédents postes.
« Certaines primes, comme celle de doublage, permettent d’augmenter sa
paie. Parfois, jusqu’à 350 € de plus par mois. La convention collective de la
métallurgie est plus favorable que celle des prestations de services. » Sans
oublier le comité d’entreprise de PSA, lui aussi plus avantageux que dans bien
d’autres sociétés.
Christine débute donc à la chaîne. Elle est opératrice en sous-caisse.
Autrement dit, les voitures défilent au-dessus d’elle. « Je mettais en place les
écrans thermiques (1). On serrait aussi les suspensions. On disposait environ
de deux minutes par véhicule. Actuellement, le temps de cycle s’est encore
réduit. » En cas de difficulté, l’opérateur a la possibilité d’alerter un autre
salarié, appelé moniteur. Ce dernier vient alors prêter main-forte. La chaîne
n’est arrêtée qu’en dernier recours. Chaque moniteur vient ainsi en renfort à
un groupe de cinq ou six opérateurs.
Christine a travaillé en sous-caisse durant deux ans et demi, soit avec l’équipe
du matin (5 h 39 – 13 heures), soit avec celle d’après-midi (13 heures – 20 h 21).
Durant les 7 h 21 en poste, les opérateurs n’ont droit qu’à trois pauses : une
première de cinq minutes ; une deuxième de onze minutes et une troisième
de cinq minutes à nouveau. Et pas question de traînasser. La chaîne n’attend
pas. Un ancien opérateur résume ainsi le temps imparti : « Vous n’avez pas le
temps d’aller fumer une cigarette et de vous rendre aux toilettes ensuite.
C’est l’un ou l’autre. Il faut choisir. »
Christine confirme : « Il y a souvent une file d’attente à la machine à café.
La pause se fait donc souvent sur place ou sur les aires de repos prévues
pour cela. »
Sur la chaîne, l’opératrice va être affectée à d’autres postes. Durant un an
et demi, elle va travailler au niveau des coffres. « Vous êtes assise dedans,
penchée d’un côté ou de l’autre pour fixer les garnitures. » Elle sera aussi
chargée de connecter les branchements des autoradios.
Mais ces différents emplois vont lui occasionner des problèmes de santé, au
dos et aux cervicales principalement, qui vont se traduire par deux lumbagos.
En 2012, le médecin du travail considère qu’elle n’est plus apte à effectuer
certains postes de la chaîne.
Récemment, elle a été positionnée au niveau de la zone moteur : elle
approvisionne les opérateurs en pièces (les filtres à particules par exemple),
en les apportant au bord de la ligne.
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Ainsi va la chaîne : mécanique, ponctuelle, quasi imperturbable. Elle avance
au pas cadencé et donne le rythme. Une fois qu’elle est lancée, c’est aux
femmes et aux hommes de s’adapter à sa fréquence et d’être forts comme un
« chaîne ». Mais où sont passés les rêves de Christine ? Aurait-elle abandonné
son envie d’un travail avec plus d’échanges humains ? Paradoxalement, elle a
trouvé sa voie en suivant la ligne d’assemblage.
En entrant à PSA, elle s’est trouvé un autre centre d’intérêt : le syndicalisme.
« Là, je m’épanouis vraiment. Répondre aux interrogations des salariés, et
Dieu sait qu’il y en a beaucoup en ce moment, défendre l’injustice, cela me
plaît », explique celle qui est désormais membre du comité d’entreprise et de
la commission « égalité, diversité professionnelle ».
Adhérente à la CFDT, elle espère aussi participer aux prochaines élections
professionnelles, au sein de l’usine, en 2014. Pour ce syndicat, l’enjeu est
de taille. N’ayant pas obtenu 10 % des voix lors des dernières élections, il ne
figure pas parmi les syndicats représentatifs à PSA Rennes (2).
Christine espère mais ne se sent pas à l’abri de devoir quitter l’usine pour autant.
S’il n’y a pas suffisamment de départs volontaires à la fin décembre 2013, « je
serai certainement sur la liste des licenciés. Je figure parmi les plus jeunes
embauchées ». En tant que déléguée syndicale, elle bénéficie toutefois du
statut de travailleur protégé. Protégé ? Pour licencier un représentant syndical,
la direction doit obtenir l’accord de l’inspecteur du travail : ce dernier vérifie
notamment si le licenciement remet en cause (ou non) la représentativité du
syndicat, au sein de l’entreprise.
Par expérience, celle qui a quitté son pays il y a plus de 30 ans, préfère envisager
le pire. Lorsque nous la rencontrons pour la première fois, l’opératrice sait
qu’elle peut toujours compter sur un autre emploi. Son frère aîné qui vit
en Chine, lui a proposé de l’embaucher. Il travaille dans l’import-export de
matériel de climatisation pour les pays d’Amérique du sud. Mais lorsque nous
la retrouvons, en juin, elle précise : « Si vraiment, je n’avais pas le choix, j’irais
là-bas évidemment. Nous en avons parlé avec mon actuel compagnon. Nous
sommes prêts à bouger. Mais notre envie première est de rester en France. »
Son compagnon est également délégué CFDT et travaille, lui aussi, à La Janais.
S’il est peu probable que tous les deux perdent leur emploi en même temps,
l’idée de créer leur propre activité commence aussi à trotter dans leur tête. Car
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qui sait ce qu’il adviendra de l’usine dans cinq ou dix ans ?
« J’essaie de voir le bon côté des choses. Toute nouvelle expérience est
riche d’enseignements. C’est peut-être ma croyance dans le bouddhisme
qui m’aide à réagir ainsi. Et mon parcours. Le problème, en France, est qu’il
existe très peu de passerelles pour passer d’un métier à un autre. »
À 40 ans, Christine n’a en somme qu’une certitude. PSA ne sera sûrement pas
son dernier employeur…
Selon elle, quel est l’avenir de l’usine PSA ? « Tout à l’air de se dérouler
comme à l’usine d’Aulnay que le groupe va fermer. Là-bas, ils sont passés
de deux lignes de production à une. Puis à la fermeture. À Rennes, à partir
de l’automne, une ligne continuera à produire 46 véhicules par heure.
Mais l’autre descendra à 23 véhicules/heure… Du coup, des rumeurs d’un
nouveau plan social circulent. »(1) Plaque qui protège les éléments sensibles de la voiture des sources de chaleur que représentent le
moteur ou le pot d’échappement.
(2) La CGT, le SIA, FO et la CGC pour les cadres sont dits représentatifs, c’est-à-dire qu’ils peuvent
négocier des accords avec la direction. Lors des élections professionnelles de 2010, la CFDT avait obtenu
7,7 % des voix.
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Partir de PSA ? Oui, mais pour faire quoi ? La question est cruciale lorsque
vous n’avez pas de formation initiale, et que le métier que vous exercez
ne se trouve plus dans la région. Jean-Michel Panaget, depuis près de dix
ans à la chaîne, s’interroge.
Depuis qu’il a été embauché à l’usine PSA de Chartres-de-Bretagne, en 2004 (il
avait auparavant travaillé en tant qu’intérimaire à La Janais), Jean-Michel Panaget
vit au rythme de la chaîne. Quand il est de matin, il débute invariablement à 5 h 39.
Son réveil, infatigable, sonne systématiquement une heure et demie avant, vers
4 heures « Il me faut ça pour me réveiller, me doucher. Et puis le bus pour me
rendre au travail passe vers 5 heures .» Sa journée de travail dure alors jusqu’à
13 heures. Quand il est d’après-midi, il franchit un peu avant 13 heures les portillons
métalliques à l’entrée de l’usine, pour les repasser à 20 h 21. Soit précisément 7 h 21
par jour. Un rythme immuable, réglé comme un défilé du 14 juillet…
À la chaîne, les véhicules défilent devant chaque opérateur : des C5 ou 508, des
berlines, des breaks, des diesels, des moteurs hybrides… Pour chacun d’entre
eux, chacun connaît sa tâche. Sur les C5, « je branche un boîtier électronique ou
j’installe un faisceau électrique. Parfois des crochets destinés aux bagages ». Sur
les Peugeot 508, « je pose un tapis arrière anti-bruit et parfois une agrafe sous le
volant. Sur toutes les voitures, je vérifie l’airbag », détaille Jean-Michel.
L’opérateur dispose de moins de deux minutes par modèle. S’il repère un défaut,
s’il n’a pas le temps d’accomplir sa tâche avant l’arrivée du véhicule suivant, ou s’il
a besoin d’un coup de main, il tire sur une cordelette appelée andon (« lanterne »
en japonais). Cette dernière déclenche un système d’alerte ; le procédé est inspiré
des usines Toyota. « Un moniteur vient alors nous voir et nous aide. » Tout est
organisé pour que la chaîne ne s’arrête pas. Mais un grain de sable est toujours
possible en amont : « Si un robot au ferrage tombe en panne, s’il y a un problème
à l’atelier de peinture ou avec la pelle à tarte. » La pelle à tarte ? « C’est-à-dire
lorsque la voiture est soulevée, après avoir été équipée du moteur, pour changer
de ligne. » Mais Jean-Michel en convient. Les incidents ne sont pas légion et,
sur la chaîne de montage,il fait des rêves de cinémaJean-Michel Panaget, 44 ans, opérateur
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durant sept heures, « cela ne s’arrête pas. On prend les pièces qui sont apportées
le long de la ligne. On se retourne vers la voiture. On se positionne et il faut aller
vite. »
Alors, certes, il y a les pauses. Aussi certaines, elles aussi, que Noël un 25 décembre.
Lorsque Jean-Michel est de matin, la première tombe à 7 h 39 et dure onze
minutes, puis suivent celles de 9 h 45 et de 11 h 30, de cinq minutes chacune. Un
paradoxe : même pendant la pause, il faut aller vite. « Pour fumer, c’est assez loin.
Il faut traverser toutes les lignes. Le temps d’aller et de revenir, tu ne fumes
pas la cigarette en entier. Pour le café, on a notre dosette sur place. Là aussi, le
temps de faire l’aller-retour jusqu’à la machine, il te reste à peine deux minutes
pour le boire. »
Après dix ans de chaîne, Jean-Michel se dit « cassé physiquement ». Lorsque
nous le rencontrons en juin, il est en arrêt de travail. « J’ai eu des problèmes au
dos. Cette fois, ce sont les rotules.» Il appréhende de reprendre. Pour limiter les
problèmes physiques, et pour gagner en efficacité, la direction a pourtant mis
en place le « lean ». Une méthode d’organisation dont l’objectif est d’éviter tout
geste inutile. Mais un rapport confidentiel de la société Secafi en pointe les effets
pervers. « Chez PSA, par exemple, les opérateurs évitaient, dans le cadre de cette
organisation, de faire les quelques pas qui séparaient la chaîne de montage des
bacs à pièces détachées. À présent, ils ont seulement à se tourner pour prendre
les pièces.
Sur le papier, c’est un effort de moins. Mais l’analyse du travail a montré
qu’en réalité, ces quelques pas pouvaient être autant de micro-temps de
pause pour les articulations des bras et du dos. Éliminer tout ce qui n’a pas
de valeur ajoutée pour le client final (gestes ou mètres carrés, par exemple),
peut malheureusement conduire à éliminer ce qui a une valeur ajoutée pour la
santé », peut-on lire dans le rapport.
Avec ses problèmes de santé, forcément, Jean-Michel songe sérieusement
à quitter l’usine. Mais pour faire quoi ? Se former et chercher un emploi dans
le bâtiment ? Dans l’agroalimentaire ? « Avec mes problèmes au dos et aux
jambes, ce sera compliqué. Et puis des boulots physiques, je n’en veux plus »,
tranche-t-il. À 44 ans, sans formation initiale, ce célibataire a pourtant pratiqué
plusieurs métiers. Il a travaillé dans une sellerie où il aménageait l’intérieur des
véhicules, puis pour une entreprise spécialisée dans les banquettes de bars.
Il a aussi été employé dans une entreprise de nettoyage. « Je vidais et je
nettoyais les poubelles d’immeubles. Je débouchais les vide-ordures. » Il
aimerait autant ne pas recommencer.
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Alors quoi ? Les postes liés à la réindustrialisation du site de La Janais ? Pourquoi
pas… Mais au début de l’été 2013, une seule entreprise avait officiellement annoncé
son installation : la SNCF. Elle y implantera un atelier destiné à rénover les rames
TGV du Grand Ouest. Problème : cette activité n’est prévue pour durer qu’entre
trois et cinq ans. Or, durant ce laps de temps, le personnel retenu « sera toujours
salarié de PSA. Et non de la SNCF. C’est du prêt de main-d’œuvre. À l’issue de
ces trois ou cinq ans, officiellement, ce personnel réintégrera PSA », explique
Pierre Contesse, de Force ouvrière. Avec l’incertitude de savoir ce qu’il adviendra
alors de l’usine d’ici à 2018…
Malgré cela, mi-juin, il y avait déjà 170 candidatures pour 80 postes disponibles
dans le futur atelier de la SNCF.
Tout ça, Jean-Michel le sait. Il a également entendu parler de l’implantation
d’autres entreprises sur le site de La Janais. Il verra bien… L’homme ne semble
pas abattu. Mais désabusé. Il n’est pas né avec une cuillère d’argent dans la
bouche, mais il ne s’en plaint pas. Issu d’un milieu modeste - sa mère était
femme de ménage - il dit n’avoir vu son père que deux fois dans sa vie. Il résume
toute sa jeunesse en quelques mots. L’habitude de ne pas s’y attarder.
Il y a pourtant un sujet qui le fait encore rêver : le cinéma. À l’évocation de Martin
Scorsese, de Michael Mann, le sourire revient. Dans son appartement du Blosne,
à Rennes, les DVD s’empilent sous la télé. Il a adoré le film La môme avec Marion
Cotillard. Seven, avec Brad Pitt et Morgan Freeman, « est un des meilleurs films
que j’ai jamais vus ». Côté français, il est fan de Gérard Lanvin et de l’acteur-
réalisateur Olivier Marchal. « C’est un ancien policier. Dans ses films de flics, on
sent qu’il connaît son sujet. » Et quand il parle de la 508 sur laquelle il travaille
tous les jours à Chartres-de-Bretagne, c’est pour faire ce commentaire : « Vous
avez vu ? On la voit dans les séries françaises… »
Dans l’absolu, si tout était encore possible, Jean-Michel aimerait travailler dans
ce milieu. Un rêve ? Peut-être… Mais un rêve qui lui tient chaud. En août, à la
veille de reprendre le travail, ce quadragénaire ne savait toujours pas s’il devait
quitter PSA ou pas. Et surtout vers quel métier il pourrait se tourner…
Selon lui, quel est l’avenir de l’usine ? « On nous annonce une nouvelle voiture
en 2016-2017. Mais va-t-on vraiment continuer à produire la C5 durant trois
ans encore ? Tout à l’air de se dérouler comme à Aulnay… »
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«Je sortais de l’armée. Mon patron avait fait faillite. Il fallait
bien que je trouve un boulot. » Alain Teffaine, électricien de
métier, est embauché en juin 1982 à PSA, en tant que simple
opérateur de chaîne. à cette époque, il y avait encore 13 000
salariés au sein de l’usine rennaise. Son arrivée coïncide avec l’assemblage de
la Citroën BX mais aussi avec la mise en place de la robotique. L’emboutissage
et les soudures sont désormais effectués par des machines : les postes les
plus pénibles sont remplacés par des postes plus qualifiés.
En l’espace de 31 ans d’activité, Alain, ce touche-à-tout, a occupé différents
postes. « J’ai quasiment tout fait à PSA. Les faisceaux électriques sur
les BX ; quatre ans au poste d’essai sur la XM, cariste au bâtiment 27,
magasinier cariste ; à l’emboutissage pendant deux ans et conducteur
moyen installation (CMI) ».
C’est le dernier poste qu’il occupera au sein de l’usine. Pour cela, il aura été
formé durant sept semaines. « J’ai appris à dépanner, à changer les mises de
soudure, à mettre la ligne en route et à l’éteindre ».
Alain travaille au sein de l’atelier de ferrage. Constitué d’îlots robotisés, cet
atelier permet de regrouper les éléments qui vont constituer la carrosserie du
véhicule. Des machines assemblent jusqu’à 430 éléments de carrosserie qui
seront ensuite soudés par 800 robots. Jusqu’à 4 500 points de soudure peuvent
ainsi être réalisés sur une seule voiture. À l’issue de cette transformation, la
caisse en blanc est dirigée vers l’atelier de peinture.
Telle une partition de musique, tout le ferrage est donc orchestré de manière
extrêmement minutieuse même si, ici, les « musiciens » jouent plutôt de la
grosse caisse que du hautbois. Le bruit est l’une des difficultés de cet atelier.
« Chez PSA, il y a plus de cent îlots. Chaque îlot de robots correspond à une
ligne de montage. Il y a 10 îlots par ligne. Sur mon îlot, on s’occupe des
« J’ai quitté la Janaisen une matinée »Alain Teffaine, 51 ans, conducteur moyen installation (CMI)
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panneaux de côté. On pose les renforts, les intérieurs et les doublures des
ailes arrière », précise Alain.
Au ferrage, « on change de travail toutes les semaines afin de se répartir les
postes les plus pénibles. En général, on est prévenu du changement une
semaine avant. Mais parfois le jour même ». En théorie, le code du travail
impose à l’employeur de prévenir son salarié sept jours avant tout changement
d’horaire, sauf accord contraire.
Mais en cette année 2013, Alain Teffaine vit surtout au rythme d’une
production déclinante. « Avant, on arrivait à produire 215 panneaux par jour
et par équipe. Pour la 508, on n’a parfois produit que 240 à 250 panneaux
avec trois équipes. Et quand je suis parti, on ne faisait plus que 90 panneaux
par jour, sur la C5. »
Le nombre de panneaux de côté a été divisé par trois. Le travail se réduisant
comme une peau de chagrin, le chômage partiel est revenu à tour de bras.
Ces périodes, Alain a tenté de les prendre avec résignation. Et de s’en
accommoder. « On alternait les périodes de chômage partiel, applicable à
toute l’usine, et celles de chômage tournant : on faisait tourner les gens sur
la ligne de montage car on était trop nombreux. Pour le chômage tournant,
on était informé le vendredi pour le lundi. Cela durait une semaine. Mais tu
ne devais pas partir de chez toi car il fallait rester disponible ».
Côté rémunération, Alain perçoit alors 92 % de son salaire. Mais le manque à
gagner est malgré tout plus important qu’il n’y paraît. « En fait, on ne touche
pas toutes les primes d’équipes, de transport… Au total, je perdais environ
250 € net par mois ».
Alain a donc décidé de réagir. Adhérent à la CFTC, il se renseigne sur plan de
départs en cours et fait ses calculs. Tout va alors aller très vite « J’ai décidé
de chercher du travail. J’ai contacté plusieurs entreprises. J’ai déposé des CV
dès janvier et février 2013 ». S’il ne sait pas encore ce qu’il va faire, il est sûr
de ne pas vouloir rester à PSA.
Une rencontre va tout changer. Alain croise un ancien collègue qui a quitté
l’usine quatre ans plus tôt, dans le cadre du plan 2009. Ce dernier est
devenu pizzaïolo ambulant, se déplaçant de commune en commune avec sa
fourgonnette toute équipée. Or, en 2013, celui-ci vend son affaire pour ouvrir
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un restaurant. « Je connaissais bien cet ancien collègue car j’allais acheter
mes pizzas tous les dimanches soirs chez lui. Je me suis dit : “Pourquoi pas
moi ?’’ Je lui ai demandé de m’envoyer son bilan et j’ai présenté mon projet
le lundi matin à Citroën. »
Aussitôt dit, aussitôt fait. Dès le lundi, il obtient un rendez-vous avec un
responsable des ressources humaines de l’usine et avec le cabinet Sodie,
chargé du reclassement. Et voici la suite : « Le lundi matin, j’arrive au boulot.
Je demande à mon chef de prendre un rendez-vous avec la cellule “mobilité
emploi’’. Il était 8 h 30 et il m’a dit : “ tu as rendez-vous vers 10 h.’’ Un DRH
me reçoit tout seul. Je lui montre le bilan financier de mon ancien collègue.
Il me dit : “ Il est bon ! ” Il a ensuite pris rendez-vous avec Sodie en urgence.
Et à 13 h, c’était fini. Ce responsable m’a assuré que je pouvais partir. Il m’a
fait signer un document et a prévenu mon chef que je ne revenais pas ».
« J’ai pu partir aussi vite car on m’a autorisé à prendre mes vacances et
mes journées de récupération sur le champ. J’ai alors accepté le congé de
reclassement. Ils ont aussitôt appelé un maître crêpier à Maure-de-Bretagne
où j’ai pu suivre ensuite un stage. »
Ça se passe comme ça chez PSA. L’envie d’Alain de tenter sa chance ailleurs
s’est concrétisée en une matinée. Pas une heure de plus. Et sans analyse
poussée de son projet. Sur le coup, le futur restaurateur ambulant a éprouvé
une « libération ».
Quelques jours après son départ, Alain est retourné au cabinet Sodie. « On
a finalisé le dossier, le bilan financier. Ils m’ont expliqué toutes les aides
auxquelles j’avais droit. J’y suis retourné une nouvelle fois le 26 août pour
le plan prévisionnel de ma future activité. Ils me l’ont donné. Et ce fut tout.
C’est à moi ensuite d’aller voir un comptable, la chambre de commerce, le
tribunal de commerce, la banque, l’assurance… »
Fin juillet, Alain Teffaine a donc effectué un stage de 15 jours chez un maître
crêpier (coût de la formation 1 200 €). En septembre, ce fut un stage de gestion
obligatoire, via la CCI.
Au final, l’ancien conducteur reconnaît que tout est allé très vite. Trop peut-
être. À l’instar d’autres collègues, il n’a pas vraiment saisi la manière dont avait
été calculée son indemnité. « PSA nous a remis une plaquette d’information
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par le biais de notre chef. Personne n’a rien compris. Elle évoquait des
salaires à 2 500 €. Mais personne autour de moi n’avait un tel salaire. On m’a
remis un papier et on m’a dit que je toucherai 62 000 €. Mais on ne m’a pas
expliqué le calcul, ni quels étaient les salaires pris en compte. Je dois encore
recevoir 3 000 € si l’entreprise existe toujours au bout d’un an. Je ne sais pas
si Sodie va me rappeler. »
Sur l’instant, la somme peut paraître importante. Mais créer son entreprise,
aussi petite soit-elle, engendre des frais qui se chiffrent rapidement en
milliers d’euros. Alain Teffaine le savait en se lançant dans ce projet. Il a pu
le vérifier. Il s’est aménagé un laboratoire, a acheté un camion, a financé un
stage de gestion, le Kbis, une chambre froide, une machine à faire la pâte…
« Aujourd’hui, il me reste moins de 25 000 € », relativise-t-il.
Le nouveau pizzaïolo ne regrette pas sa décision. Il vend désormais ses
pizzas à Miniac-sous-Bécherel, Quévert, Irodouër, Quédillac… Il voulait partir,
quitter une usine pour laquelle il pressent encore de sombres jours. Mais il
n’aurait jamais imaginé que ce fut aussi « rapide ». Lui qui avait imaginé être
davantage soutenu lors de sa création d’entreprise, est resté sur sa faim. Il
pensait que le cabinet Sodie allait l’aider à remplir divers documents. « En fait,
à la cellule de reclassement, on m’a dit d’effectuer telle et telle démarche,
d’aller là et là. Et puis au revoir ! »
Malgré tout, Alain reste heureux d’avoir entamé une nouvelle carrière. Mais
le futur pizzaïolo gardera toujours un petit goût amer en bouche. « On nous a
dit que l’usine coûtait trop cher, que le transport des véhicules vers d’autres
pays coûtait trop cher et qu’il valait mieux les faire construire à l’étranger. »
Après plus de 30 ans d’ancienneté, difficile à digérer…
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Et après ? Après avoir franchi les grilles de l’usine une dernière fois,
que se passe-t-il ? Que deviennent ces ex-PSA, partis par choix ou
par lassitude ? Cette autre réalité des plans sociaux est plus diffuse,
plus difficile à quantifier. Quelques ex-collègues gardent contact. Pas
tous. Qui sait vraiment ce qu’ils sont devenus ? Il n’y a plus de suivi, plus de
statistiques. Quatre ans après le plan 2009, qui peut dire si tous ont retrouvé
un emploi ?
Jean-Luc Perrard, l’actuel directeur de l’usine de La Janais, admet qu’il ne sait
pas. « On suit un peu plus longtemps les gens qui ont créé ou repris une
entreprise. Il y a un suivi durant les premiers mois de leur activité. Pour les
autres, non… On a pris des précautions en amont. On s’est assuré, avant
qu’ils ne partent, que leur projet professionnel était viable. Après nous
n’avons pas de nouvelles, sauf s’ils en donnent. »
Ils ne sont plus salariés de PSA et ce n’est plus son « job ». Sa responsabilité,
répète-t-il, est de faire en sorte que les gens partent dans les meilleures
conditions possibles : en ayant retrouvé un emploi ou en étant suffisamment
formés pour en décrocher un nouveau.
Mais les salariés sont-ils toujours bien préparés à partir ? En 2007-2008, dans
l’usine cousine de La Janais, à la Barre-Thomas, 309 postes ont été supprimés.
Deux cent neuf d’entre eux ont adhéré à la cellule de reclassement. Durant un
an, deux cabinets ont aidé ces salariés à retrouver un travail ou une formation.
Pour quels résultats ? Officiellement, en avril 2010, 113 personnes étaient
« en situation d’emploi ». 54 % auraient donc retrouvé un travail ? Pas aussi
simple. Selon la CGT, seules 50 personnes avaient réussi à obtenir un CDI.
« Cela ne fait qu’un quart des licenciés », se désolait Sylvain Selon, le délégué
que sont-ils devenus ?
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CGT. Les autres avaient créé leur entreprise (huit), étaient devenus assistantes
maternelles (sept) ou avaient décroché un CDD de plus ou moins de six mois
(quarante-huit).
Quant à ceux qui n’étaient pas « en situation d’emploi », 96 tout de même,
ils étaient en formation, en recherche d’emploi, en arrêt maladie ou en
congé maternité.
Alors que sont devenus les 1 800 salariés de PSA partis en 2009-2010 ?
Pour commencer, un petit retour en arrière…
En 2007, plus dE volontairEs QuE prévu
Dès le début des années 2000, PSA met en place une gestion prévisionnelle
des emplois et des compétences (GPEC).
Cet accord permet d’adapter les effectifs de l’entreprise (mais aussi les
compétences des salariés) en fonction de l’évolution de son secteur d’activité
ou des choix stratégiques du groupe. Il s‘agit d’un accord d’entreprise signé par
les partenaires sociaux : les syndicats représentatifs d’un côté et l’employeur
de l’autre. Cette nouvelle manière de gérer les départs des salariés permet à
PSA de réduire son sureffectif et, en théorie, d’éviter des plans sociaux brutaux.
En 2007, la direction de PSA estimait le sureffectif à 4 800 salariés en France.
Cette année-là, le groupe va décider de compléter (ou d’accélérer ?) la GPEC par
un accord PREC : un « plan de redéploiement des emplois et des compétences ».
Sous cette dénomination se cache, en fait, un plan de départs volontaires.
Légalement, le terme PREC, directement attaché au groupe PSA, n’est prévu
par aucun texte. Il s’agit d’une trouvaille. L’objectif reste de baisser les charges
du groupe en réduisant sa masse salariale.
À une période où le groupe inaugure des sites de production au Brésil, en
République tchèque, Slovaquie ou en Russie, il réduit ses effectifs en France.
Huit sites de production (Aulnay, Mandeure (scooters), Mulhouse, Poissy,
Rennes, Sevelnord, Sochaux, Vesoul) sont visés par la réorganisation de 2007.
GPEC, PREC, restructuration… On ne parle déjà plus de plan social ou de
licenciements. Le vocabulaire change. Pas les effets.
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Entre 1986 et 2012, les effectifs ont baissé de 30 % en France et augmenté de
19 % dans le monde.
Depuis plusieurs années déjà, l’avenir du constructeur se dessine de plus en
plus en dehors du territoire national.
PSA adapte donc ses effectifs en conséquence. Le plan 2007 et ceux qui
suivront en sont une illustration.
Dans l’Hexagone, la préface de l’accord conclu le 2 avril 2007 précise les
modalités du plan :
« Le dispositif d’adaptation des effectifs et d’accompagnement social retenu
consiste à ne pas remplacer les départs en retraite et les départs volontaires
EffEctifs du groupE psa (2007)Source Freyssenet
250 000
1976
200 000
150 000
100 000
50 000
0 1986 1996 2006 2012
Nom
bre
de
sala
riés
Années
Dans le monde
En France
84
et, en conséquence, d’aider les salariés qui souhaitent effectuer une mobilité
interne ou externe. Il s’agit des personnes qui ont le plus de chances de
réussir une reconversion professionnelle ou un projet personnel. »
Pour que ce plan réussisse et pour ne pas avoir à recourir à des licenciements,
il est donc impératif qu’il y ait des volontaires ! Et pour cela, la direction doit
convaincre les salariés qu’il vaut mieux quitter l’entreprise avant qu’ils ne se
fassent quitter. Si PSA supprime des postes, il tient à y mettre les formes…
En 2007, l’objectif est donc de réduire les effectifs de 4 800 personnes en
France. Pour y parvenir, le groupe met en place :
- des cellules emploi-mobilité régionales (Rennes a la sienne)
- des incitations financières sont proposées aux salariés volontaires
pour quitter l’entreprise
- des aides à la mobilité à l’intérieur du groupe.
Les « volontaires » sont aidés dans leurs démarches pour trouver un nouvel
emploi, créer une entreprise ou pour entamer une formation. Mais « en aucun
cas ce dispositif ne s’adresse à des salariés qui souhaiteraient bénéficier des
assurances chômage », précise le dispositif.
Il est donc mis en place, sur le site de Rennes, tout un programme
d’informations : plaquettes, connexions Intranet et des cellules de mobilité. Des
agents y renseignent les salariés sur les indemnités possibles, leur présentent
les entreprises de la région qui recrutent, les aident à constituer un dossier
pour obtenir une formation…
Sur le papier, au moins, nombre d’efforts sont déployés pour que les volontaires
« ne restent pas sur le bord de la route ».
Et cela fonctionne. Pour la direction, le plan 2007 est un véritable succès.
Selon le directeur des ressources humaines (DRH) du groupe d’alors, Jean-
Luc Vergne, « force est de constater que les mesures mises en place par le
groupe ont suscité une forte adhésion. L’objectif initial de 4 800 départs a été
dépassé. Ceci s’explique par la qualité du dialogue social dans l’entreprise,
les innovations développées et l’engagement de la direction, qui ont permis
de mener ces adaptations rapidement et de façon responsable. »
À lire le DRH, on pourrait presque croire que les salariés ont quitté PSA la fleur
au fusil. Ils auraient admis que le constructeur ne pouvait les employer plus
85
longtemps et auraient apprécié à leur juste valeur les aides accordées par le
groupe. Mais le DRH aurait aussi pu s’étonner qu’il y ait autant de salariés à
vouloir partir. Sur la manière dont ils percevaient l’avenir de PSA (et donc le leur
au sein du groupe), cela en disait déjà long.
À Rennes, dans le cadre de ce plan, 435 personnes vont quitter l’usine.
Mais le plan 2007 n’est qu’une première étape. D’autres vont suivre en 2009
et 2013. Sous d’autres appellations. En 2013, il s’agit d’un plan de sauvegarde
de l’emploi. Face à ce jargon, localement, peu de salariés y retrouvent leur latin.
Inquiets, ils constatent l’érosion des effectifs.
Jean-Paul Béthermin, un adhérent CFTC, se souvient de cet enchaînement de
plans. « Avec la C5, C6, la 407 et la 407 coupé, le site de PSA de Rennes a
produit jusqu’à 200 000 véhicules par an. En 2005, il y avait quatre équipes
pour trois lignes de production. En 2007, j’ai donc connu mon premier plan.
Aujourd’hui, il n’y a plus qu’une ligne de production. »
À chaque dirigeant son plan :
1995-2007 : l’ère FOLZ se solde par une réussite puisque que l’homme réussit
à hisser le groupe automobile en perte de vitesse au deuxième rang européen
2007-2009 : l’ère Streiff. Le dirigeant est remercié par la famille Peugeot. On lui
reproche son management trop actif.
2009/… : l’ère VARIN se traduira par une baisse sans précédent des effectifs en
France, un début de reconquête du marché européen et le début d’une véritable
stratégie internationale.
Mais quelles que soient les politiques menées, depuis six ans, le constat reste
le même : chaque fin de plan en annonce un autre.
De ce fait, le plan de l’année 2009 va s’inscrire dans la continuité du plan 2007.
86
2009-2010 : il y a EncorE dEs volontairEs
Malgré le plan de 2007, dès janvier 2008, la direction de PSA considère qu’il
y a encore trop de salariés à l’usine de Rennes. En ce début d’année 2008, le
sureffectif est estimé à environ 2 300 personnes « au regard de son nouveau
dimensionnement ».
En 2008-2009, PSA investit en effet 50 millions d’euros pour réduire la capacité
de production de l’usine qui passe de 400 000 véhicules par an à un peu plus
de 200 000. Pour cela, là où il y avait trois lignes de montage, PSA n’en installe
plus qu’une et demie. Une ligne principale capable de produire 46 véhicules
par heure et une mini-ligne, pour le haut de gamme (la C6 par exemple), qui
tournera à deux véhicules/heure. La performance et la survie du site sont, dit-
on à l’époque, à ce prix.
De janvier 2009 à mars 2010, la direction lance donc un nouveau plan de
redéploiement des emplois et des compétences (PREC). Cette fois, ce sont
1 750 postes qui doivent être supprimés, à nouveau dans le cadre d’un plan de
départs volontaires.
Mais pourquoi ce choix du volontariat et non pas celui des licenciements
économiques ? Me Claude Larzul, avocat rennais à la Cour, spécialisé en droit
social, a son idée sur la question. « Pour mettre fin aux relations de travail
et réduire le nombre de salariés avec le minimum d’incidences financières,
l’imagination des entreprises a toujours été fertile. Intérim, contrats à durée
déterminée, ruptures conventionnelles, plans de départs volontaires, plan
de redéploiement des emplois et des compétences, et j’en oublie, tous les
moyens sont bons pour éviter le vilain mot de licenciement. »
Les départs volontaires présentent en effet d’indéniables avantages. D’abord,
un PREC risque moins d’être contesté devant les tribunaux. À cette même
période, deux syndicats, la CGT et la CFTC, demandent à la justice d’annuler
le plan de sauvegarde de l’emploi mis en place à l’usine rennaise de la Barre-
Thomas : 309 postes avaient été supprimés entre mai 2007 et avril 2008.
Selon eux, le propriétaire d’alors, le fonds d’investissement américain Silver
Point, n’avait pas suffisamment aidé les salariés licenciés.
Les indemnités de licenciement se limitaient à ce que prévoyait la convention
collective. « Rien de plus ! Le budget global de formation était de 30 000 €.
87
88
Soit, en moyenne, moins de 100 € par salarié. Comment voulez-vous former
des gens à un autre métier avec une somme si dérisoire ? », avait plaidé
Me Larzul, devant le tribunal de grande instance de Rennes.
L’aide à la formation fut, en fait, de 2000 € par salarié, si l’on se réfère aux
personnes qui en ont réellement bénéficié, et non à la totalité des ouvriers
partis, avait tenté de relativiser l’avocat de Silver Point.
Mais par deux fois, le TGI de Rennes et la Cour d’appel ont donné raison aux
deux syndicats. Les deux juridictions annulèrent le plan social. Au final, les
licenciés ne furent pas réintégrés, mais ils purent obtenir des indemnités
plus importantes.
Autre avantage d’un plan de départs volontaires. Il n’est pas soumis aux
mêmes obligations qu’un plan de sauvegarde de l’emploi. En théorie, aucun
congé de reclassement n’est nécessaire, contrairement à un PSE. Ce fut la
décision de la Cour de cassation du 26 octobre 2010. Dans le cadre d’un plan de
départs volontaires à Renault, en septembre-octobre 2008, la CGT réclamait
les mêmes droits que lors de licenciements économiques.
La plus haute juridiction française lui a donné tort, estimant que tout
licenciement ayant été exclu par l’entreprise pour atteindre la suppression de
4 000 emplois, aucun plan de reclassement n’était nécessaire.
En 2009, une nouvelle fois donc, PSA fait appel aux volontaires. Et bien qu’elle
n’y soit pas obligée, elle assortit ce plan d’une aide au reclassement. Or, une
nouvelle fois, les résultats vont dépasser les objectifs. Près de 1 800 personnes
quittèrent définitivement La Janais.
Durant ce plan, 1 203 personnes ont été accompagnées par le cabinet de
reclassement Sodie. « Ceux qui n’ont pas demandé à être suivis (soit environ
600 personnes), avaient souvent déjà retrouvé un emploi », indique-t-on à
PSA. En fait, sur ces 600 personnes, il y eut aussi 151 départs en retraite et 168
mutations dans d’autres usines du groupe.
Les 1 203 personnes ont, elles, été épaulées durant six à neuf mois. Combien
ont retrouvé un emploi à l’issue de cette période ? Le résultat n’est guère
encourageant : 78 d’entre elles avaient signé un CDI ou un CDD de plus de six
mois. Soit 6 % des volontaires au départ.
89
Dans le détail, la situation mérite toutefois d’être nuancée. Près de 850
« partants » avaient 56 ans et plus. Avec une prime de départ qui a parfois
dépassé 30 000 €, beaucoup ont pu patienter jusqu’à la retraite. Mais pas tous,
la législation sur les retraites ayant changé entre temps.
« Pour quelques-uns d’entre eux, il manquait entre 8 et 14 mois d’activité
pour pouvoir toucher une retraite à taux plein. Et à l’issue de leur congé de
reclassement, non seulement ils n’avaient pas retrouvé de travail, mais ils
n’avaient plus de droits Assedic non plus », se souvient un cadre.
360 personnes de moins de 56 ans ont également été suivies par la cellule
de reclassement. « Une solution a été trouvée pour 87 % d’entre elles. C’est
une des particularités du plan 2009-2010. Beaucoup de personnes sont
parties pour créer ou reprendre une entreprise. Ce sont des gens qui avaient
cette idée en tête depuis longtemps et qui là se sont dit “ pourquoi pas ? ”»,
observe-t-on à PSA.
163 personnes exactement ont créé ou repris une société. Des hommes à 85 %.
Des commerces à 60 % : bar-tabac, presse, PMU… 27 % d’entre eux se sont
lancés dans des entreprises de services aux particuliers (lire l’exemple d’Alain
Lerat ci-dessous). Au moment d’expliquer pourquoi ils faisaient ce choix,
beaucoup ont répondu qu’ils créaient ainsi leur propre emploi. Quelques-uns
aussi voulaient être « leur propre patron ».
En septembre 2013, après plus de quatre ans d’existence, selon les données du
cabinet Sodie, « 80 % de ces nouveaux chefs d’entreprise étaient toujours en
activité. Ce qui est plutôt une bonne nouvelle, sachant qu’après cinq années
d’existence, environ 50 % des nouvelles sociétés survivent », rappelle-t-on
à PSA.
Quant aux autres qui ont trouvé une solution, 72 ont suivi une formation
qualifiante (susceptible de déboucher sur un emploi) et 78 ont donc signé un
contrat CDI ou un CDD de plus de six mois : en tant qu’ambulancier, chauffeur
ou dans le secteur du bâtiment.
Quarante-sept personnes sont donc restées sans solution et sont allées gonfler
les rangs de Pôle emploi.
En résumé, près de 1 600 des 1 800 départs volontaires avaient une solution
certaine fin 2010. Ils avaient pu prendre leur retraite ou l’attendre patiemment,
retrouver un employeur ou créer leur entreprise. Soit 88 % des volontaires.
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alain lErat :la nuit, il pEut Enfin dormir
« Je suis parti de PSA en juillet 2009, après 37 ans à l’usine. » Alain Lerat a
préféré quitter La Janais avant sa retraite, à 55 ans. Il a profité du plan de départs
volontaires de 2009-2010. La direction voulait supprimer 1 750 postes à Chartres-
de-Bretagne. Il a sauté sur l’occasion. « J’en avais marre », lâche-t-il encore, quatre
ans après avoir mis les voiles.
Originaire du Morbihan, cet électromécanicien de formation aura passé la quasi
totalité de sa carrière à la Centrale : l’unité de production et de distribution de
l’usine en fluides et en énergie. C’est elle qui fournit le chauffage, l’eau potable et
tout le gaz nécessaire aux machines. « C’est simple. Si la Centrale ne fonctionne
pas, toute l’usine s’arrête. » C’est clair comme une carrosserie bien briquée. Mais
Alain Lerat n’a pas souvenir qu’une telle panne soit arrivée. « Je me rappelle d’un
transformateur électrique qui avait lâché. Il avait aussitôt fallu le remplacer.
On avait travaillé toute la nuit. C’est le plus gros pépin que j’ai connu », se
remémore-t-il.
Au bout du compte, l’électromécanicien admet avoir « passé du bon temps ». Y
compris lorsqu’il accepta de prendre des responsabilités syndicales à la CFDT. Il
fut délégué du personnel et membre du comité d’hygiène et de sécurité (CHSCT)
durant près de huit ans. « Cela ne m’a jamais posé de problèmes. Mais quand
je suis rentré dans l’usine en 1972, ce n’était pas aussi simple d’être encarté.
Soit vous apparteniez au syndicat-maison (la CFT qui devint la CSL en 1977
puis le Syndicat indépendant de l’automobile à partir de 2002). Soit c’était plus
compliqué pour vous. Dans les années 70, il ne fallait pas prendre un tract de
la CGT devant un membre de la direction. Vous étiez tout de suite catalogué
comme “ rouge ” et convoqué dans le bureau de la direction », se souvient Alain
Lerat. être adhérent à la CSL, « c’était une sorte de passeport. Pour espérer une
rallonge sur le salaire ou une promotion, il fallait absolument l’avoir », complète
Michel Bourdon, le représentant CGT.
Lentement, à partir de 1981 et l’élection de François Mitterrand, le climat social
va évoluer pour aboutir, en septembre 2010, à une petite « révolution » interne.
Pour la première fois, la CGT est arrivée en tête des suffrages aux élections
professionnelles avec 34,7 % des voix, devant le SIA (31,9 %). Le Syndicat
indépendant de l’automobile semble avoir saisi l’air du temps. Il a opéré une
mutation ces dernières années. Résultat, en septembre 2012, ses troupes sont
91
92
allées manifester à Paris avec les autres syndicats pour protester contre le nouveau
plan de suppressions de postes. « Il y a dix ans, c’était inimaginable. Aujourd’hui,
je suis fier de dire qu’on est un syndicat pur et dur. C’est vrai qu’on privilégie le
dialogue et la négociation, mais on n’est pas des bénis oui-oui », affirmait Pascal
Steinbach du SIA, début 2013, à France 3 Bretagne.
Toute cette évolution, Alain Lerat l’a vécue et appréciée. Mais il restait une chose
qu’il ne supportait plus : ses horaires. Trente-cinq ans en trois-huit. Quantité de
nuits à travailler de 21 h à 5 h 15. Quantité de week-ends à être de service. « À
chaque fois qu’il y avait un repas de famille, ce n’était pas possible. Ou en tout
cas très compliqué. » Quantité de matins à se lever à 4 h pour être à son poste une
heure plus tard. « C’était le plus dur… le matin… se lever. »
À ses débuts, le service était encore plus pesant. « Lorsqu’on était de week-end,
on travaillait douze heures le samedi et douze heures le dimanche. À l’époque,
il y avait quatre équipes de quatre hommes qui se relayaient. Par la suite, on est
passé à cinq puis six équipes. »
En 2009, la direction lance donc son nouveau plan de suppressions de postes. À la
Centrale, cela se traduit par une équipe de moins et un salarié de moins par équipe.
« Au lieu de six équipes de quatre, on passait à cinq équipes de trois. Et du coup,
on devait à nouveau travailler davantage de week-ends dans l’année : 13 de
plus ! C’est là que j’ai décidé de partir », explique Alain Lerat. Pour cet homme
qui avait commencé à travailler à 18 ans, il ne restait pourtant que cinq années de
bons et loyaux services à effectuer avant la retraite. Mais le ras-le-bol l’a emporté.
Bricoleur et débrouillard, l’électromécanicien qui, avec son épouse, possède une
maison aux environs de Rennes, décide de s’installer à son compte. Et de se
lancer dans le service à la personne. Son objectif : proposer de menus travaux
aux personnes âgées ou aux couples propriétaires d’une maison. Notamment de
tondre leur pelouse et de tailler leurs haies et arbustes. « Beaucoup de personnes
âgées vivent seules dans des habitations avec jardin, sans pouvoir s’en
occuper. Idem pour les couples qui n’ont pas toujours le temps d’entretenir leur
terrain », explique-t-il.
L’idée n’est pas mauvaise et a priori peu risquée. Avec son ancienneté, Alain Lerat
a pu quitter PSA « avec une bonne prime ». Avant de démarrer son activité, il avait
sept mois devant lui pour peaufiner son projet : « J’étais alors payé à 95 % de mon
salaire. J’en ai profité pour suivre une formation informatique : j’ai appris à me
93
servir des logiciels Word et Excel. » Il peut également compter sur un emprunt de
15 000 €, à taux zéro, consenti par PSA, pour s’acheter le véhicule Citroën Berlingo
nécessaire à sa future activité. Enfin, il est épaulé par le cabinet de reclassement
Sodie avec qui il effectue une étude de marché.
L’investissement s’arrête là. L’ex-salarié de PSA n’a besoin d’aucun emprunt
bancaire. Il n’a pas de matériel de jardinage à acheter. Il en possède déjà et peut
à l’occasion travailler avec les propres outils de ses clients. Il n’aura pas de stocks
à gérer.
Mais reste le plus difficile : se faire connaître. Le nouvel entrepreneur fait imprimer
des tracts qu’il distribue dans les environs, ainsi que dans la région de Ploërmel
d’où il est originaire et où il connaît encore de nombreuses personnes. Le bouche à
oreille peut rapidement constituer sa meilleure publicité.
Mais le cabinet Sodie le met en garde. Malgré le peu d’investissement initial,
« l’EURL (entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée) de M. Lerat est une
petite société. Il dégagera peu de chiffre d’affaires au bout d’une année, à peine
23 000 € (…) La société ne devrait pas tirer de bénéfice d’exploitation la première
année, sauf si le chiffre d’affaires est supérieur aux prévisions. Les années
suivantes seront également très tendues », prévoit l’étude de marché.
Pour autant, Sodie a bien compris les motivations de l’ex-salarié et ajoute :
« M. Lerat est conscient de cette situation mais il sait qu’il va y gagner en qualité
de vie (...) Il a parfaitement pris note de sa perte de pouvoir d’achat. Il souhaite
vivre différemment aujourd’hui et a intégré tous les éléments financiers. »
Au final, Alain Lerat aura « tenu quatre ans. Je pensais que cela pouvait marcher.
Mais c’est une activité saisonnière. Ce n’est pas viable. On ne peut pas gagner sa
vie avec cela uniquement. »
L’homme est un peu déçu mais pas abattu. Financièrement, il n’y a pas laissé de
plumes. « J’ai pu risquer cette entreprise car ma maison était payée, que mes
deux enfants avaient du travail et que mon épouse avait un emploi. Et puis,
grâce à cette activité, j’ai continué à cotiser à une caisse de retraite », précise-
t-il. En attendant de pouvoir la prendre – ce sera en 2014 - il fait valoir ses derniers
droits Assedic.
Depuis 2009, Alain Lerat ne se sera pas enrichi. « Mais je ne regrette rien », assure-
t-il. Depuis cinq ans, il peut enfin dormir la nuit…
94
loïc lEmarchand :« tous lEs cinQ ans, jE changE »
Le premier contact de Loïc Lemarchand avec le secteur automobile fut l’usine
de la Barre-Thomas, à Rennes. « Là-bas, j’étais responsable d’une ligne. Mais
j’étais intérimaire. Je travaillais beaucoup. À cette époque, il y avait encore du
boulot ». Il effectuait du mandrinage. Il devait produire des durites destinées
aux voitures, avant de les déposer dans des autoclaves (sortes de grosses
marmites). « On était trempé du matin au soir. C’était vachement physique.
Je suis le dernier intérimaire à être resté, puis je suis allé à Eternit », un
fabricant de matériaux pour toitures et façades.
Assez rapidement, il va revenir à PSA par la grande porte. En effet, le conducteur
de ligne a été remarqué et apprécié à la Barre-Thomas. « Mon travail avait été
très bien noté par la boîte d’intérim. Au moment du lancement de la 407, en
2004, PSA cherchait des gens motivés. Etant donné que j’avais déjà travaillé
près de quatre ans à la Barre-Thomas, j’ai été embauché. »
Etonnant parcours. À cette période, ce charcutier de formation avait voulu
tourner la page des métiers de bouche. « Envie de faire autre chose. De voir
comment cela se passait dans d’autres milieux. J’aime bien bouger. »
La suite de sa carrière le confirmera. À PSA, il suit une formation de tôlier et
obtient haut la main son diplôme. « Comme que je suis sorti premier de ma
formation, j’ai pu choisir mon poste et l’équipe dans laquelle je voulais être
affecté. J’ai choisi la nuit ». Le travail ne lui fait pas peur. C’est peu de l’écrire.
Car s’il choisit le travail nocturne, c’est qu’à cette période, il construit lui-même
sa maison. « J’avais ainsi mes journées de libre et de plus longs week-ends. »
2009, arrive le plan de départs volontaires. Loïc a moins de cinq ans d’ancienneté
à PSA mais estime que c’est peut-être le bon moment pour partir. « Je n‘avais
que 36 ans. Mais tous les quatre ou cinq ans, j’aime bien faire autre chose. Je
me suis dit pourquoi ne pas sauter sur l’occasion. » Crise ou pas, le tôlier n’a
pas froid aux yeux.
Il prend le parti de tout quitter et décide de s’installer pizzaïolo ambulant. Il
se lance dans les démarches : plan de financement, étude de marché… « À
PSA, on avait eu des réunions pour nous expliquer ce qui allait se passer
en cas de départ. Pour partir, il fallait juste faire une demande et avoir un
projet sérieux. »
95
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Banco ! Loïc Lemarchand entame la procédure liée aux départs volontaires.
Il rencontre les membres des ressources humaines puis le cabinet de
reclassement : « On va les voir. Ils étudient vos documents, discutent un peu
avec vous, font des calculs pour voir si votre projet tient la route. En réalité,
il n’y a pas trop de calculs. C’est oui pour tout le monde. Il fallait que les gens
partent. Donc celui qui avait un projet, il pouvait s’en aller ».
Après son départ, les nouvelles du cabinet de reclassement ou de PSA se font
rares. « Personne ne m’a jamais contacté. Il y a beaucoup de discours pour
nous faire partir. Mais après… Je n’attendais rien de ce point de vue-là. Il faut
être lucide. ». L’ancien salarié a tout de même reçu un courrier de PSA quelque
temps plus tard. « C’était pour acheter une voiture… »
Avec sa pizzeria ambulante, Loïc a circulé six jours sur sept dans des communes,
entre les Côtes-d’Armor et l’Ille-et-Vilaine. Dans un premier temps, pour mettre
toutes les chances de son côté, il a même pris un second emploi. « Je livrais des
journaux le matin en attendant de me faire ma clientèle. Ce second travail a
duré dix mois. »
Il le reconnaît. Le plan social lui a permis de « sauter le pas. J’ai perçu une
bonne indemnité. Je suis content de ce que j’ai eu. Dans d’autres sociétés,
c’est souvent moins ». Et d’ajouter : « Le temps que j’ai passé à l’usine m’a
bien plu. J’ai apprécié le travail en tôlerie. Citroën, c’est un monde à part. J’y
garde de bons souvenirs. »
Quatre ans après son départ, Loïc ne regrette donc pas sa décision. Il n’a pas
non plus le sentiment de devoir quelque chose à PSA. « Je suis parti. Cela les
arrangeait. Je ne leur dois rien. Ils ne me doivent rien », estime-t-il.
Aujourd’hui, Loïc s’est encore lancé dans un nouveau projet. Plus proche celui-
là de ce qu’il faisait auparavant. Il a cédé son affaire, sa pizzeria ambulante.
Sa femme et lui viennent de reprendre un restaurant à Evran, dans les Côtes-
d’Armor, avec des chambres d’hôtes. Et trois salariés.
Pour Loïc, la roue a finalement tourné dans le bon sens.
97
frédéric bEsnard :la campagnE lui manQuE
Vue de Bretagne, Poissy, ville d’environ 38 000 habitants, située dans le
département des Yvelines, ne fait pas nécessairement rêver. On aurait d’ailleurs
du mal à l’associer à une spécialité, un monument ou un personnage. Cambrai
possède ses bêtises ; Limoges sa porcelaine ; Paimpol ses cocos… Mais Poissy ?
La ville, ancienne cité royale, a pourtant vu naître l’un des plus fameux rois de
France : Louis IX, plus connu sous le nom de Saint-Louis. D’autres femmes et
hommes célèbres y ont habité : les peintres Nicolas Poussin et Claude Monet,
l’écrivain Honoré de Balzac. Plus récemment, la chanteuse Catherine Lara
y naquit. Sans oublier, pour les mélomanes avertis, Karen Cheryl qui y vécut
durant son enfance…
Plus prosaïquement, c’est le travail qui amena Frédéric Besnard, Breton de
naissance, dans cette agglomération de la région parisienne, marquée par
l’automobile. Au cours du XXe siècle se succédèrent les marques Grégoire, Ford,
Simca, Chrysler, Talbot et désormais PSA qui y possède son pôle tertiaire et
une usine.
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Frédéric Besnard a été embauché à l’usine PSA de Chartres-de-Bretagne en
mars 2004. C’est-à-dire comme beaucoup des derniers embauchés, avec la
production de la 407. Il débute comme cariste, puis devient moniteur de ligne.
« Je gérais une équipe de cinq à six personnes sur la ligne de montage et
j’étais chargé de m’assurer que les véhicules sortaient de ma zone avec la
qualité requise. »
En 2009, lorsque la direction annonce qu’elle veut supprimer 1 750 postes, ce
célibataire accepte d’effectuer des remplacements à l’usine d’Aulnay. « Une
semaine sur deux, je partais le dimanche matin ou en fin d’après-midi
et je rentrais le samedi matin. J’ai d’abord logé à l’hôtel puis j’ai intégré
une colocation. C’était beaucoup de fatigue. Mais financièrement, c’était
intéressant : on était défrayé. »
À cette époque, Frédéric Besnard ne pense pas encore quitter La Janais. Mais
il a bien envie de goûter à un autre métier au sein du groupe. Et le fait savoir.
PSA lui propose alors un marché clé en main : « On m’a annoncé qu’un poste
de gestionnaire de comptes était disponible à Poissy. Mais uniquement dans
le cadre d’une mutation définitive. J’ai réfléchi. J’avais l’impression que la
crise allait encore durer à La Janais. Le fait d’être célibataire me facilitait la
tâche. J’ai donc accepté. »
99
Lorsque nous avions rencontré Frédéric pour la première fois, en décembre 2009,
environ deux mois après son arrivée à Poissy, il affirmait ne pas avoir de regrets.
Nous l’avons recontacté près de quatre ans plus tard, en avril 2013. Il avait
raison. À Chartres-de-Bretagne, la crise a encore duré. Loin des lignes de
montage, il ne voit plus défiler des voitures, mais des colonnes de chiffres. Il est
gestionnaire de comptes de fournisseurs. « En clair, je paie les fournisseurs.
Je dispose d’un portefeuille de plusieurs milliers de fournisseurs. C’est un
métier très prenant. Car quand les fournisseurs nous appellent, c’est pour
être payés… »
Seulement voilà, si Frédéric reconnaît avoir un « très bon » poste, ce Breton ne
s’acclimate pas à la région parisienne. Lui, le natif de Montfort-sur-Meu (Ille-et-
Vilaine) : la plus grosse ville du canton avec 6 500 habitants où résidèrent aussi
quelques personnalités dont Louis-Ferdinand Céline. Mais où, a priori, Karen
Cheryl ne chanta pas. « J’ai toujours habité à la campagne. C’est l’endroit où
j’ai grandi. J’ai envie de quitter la région parisienne et de me rapprocher de
ma famille », confesse-t-il. Au point de songer à quitter PSA, puisqu’un retour
à La Janais semble exclu ? « C’est une piste de réflexion. Dans ces cas-là, on
pèse toujours la colonne des pour et celle des contre… »
Dans l’immédiat, Frédéric n’a pas encore choisi de partir.
100
ils ont Quitté rEnnEs, mais pas psa
Des salariés comme Frédéric Besnard, il y en eut d’autres. En 2009-2010,
168 personnes ont accepté d’être mutées définitivement dans une autre usine
du groupe.
Pour convaincre ces salariés, PSA a notamment distribué des plaquettes citant
des exemples de mobilité interne. Sur ce document, Vincent, 34 ans, affirme
avoir apprécié la franchise de sa hiérarchie : « J’ai ainsi pu préparer mon
changement d’orientation avec sérénité (…) »
Pour Jérôme, 28 ans, « mon gestionnaire de personnel a pris en compte mon
engagement en tant que sapeur-pompier volontaire. Un poste d’agent de
prévention et de sécurité m’a été proposé. »
Isabelle : « Avec le recul, je dirais à ceux qui n’osent pas bouger, qu’il ne
faut pas hésiter à se lancer. On apprend à se remettre en cause, à créer de
nouveaux liens, c’est toujours positif ! »
Enfin Mohammed renchérit : « J’ai apprécié la disponibilité et la patience dont
ont fait preuve mes collègues et responsables hiérarchiques. De mon côté, je
me suis retroussé les manches pour y arriver ! »
À la lecture de ces témoignages, on serait tenté de conclure que le bonheur
est dans le PREC… Sans doute existe-t-il nombre de mutations réussies. Les
exemples cités ci-dessus évoquent des salariés qui ont déménagé de Rennes
à Aulnay, de Rennes à Vesoul, d’Aulnay à Poissy ou encore de Mulhouse à
Sochaux. Leurs salaires mensuels se situent entre 2 000 et 2 500€.
Mais après coup, on ne peut s’empêcher d’être étonné que des postes aient
été proposés à l’usine d’Aulnay. Le groupe avait-il déjà envisagé sa fermeture ?
Officiellement non puisqu’il niera vouloir fermer ce site parisien jusqu’en 2012.
Selon nos informations, les salariés rennais ayant rejoint Aulnay furent rares.
Les syndicats n’en connaissent pas le nombre. Certains délégués pensent qu’il y
en eut deux. Ce qui est sûr, c’est qu’il y en eut au moins une. Elle s’appelle Vicky
Dilo. En 2009, elle avait quitté Rennes pour Aulnay avec une prime alléchante :
34 000 € plus 9 000 € d’aides pour s’installer en région parisienne.
101
En changeant d’usine, elle changeait aussi de poste et voyait son salaire
progresser de 100 € par mois. Elle quittait la chaîne pour devenir contrôleur
qualité. « Quand j’ai vu les moyens que la direction mettait en place pour nous
faire venir à Aulnay, je me suis dit : “pourquoi fermeraient-ils Aulnay ?”»,
confie-t-elle en juillet 2012 à France 3 Bretagne.
Trois ans plus tard, la néo-Aulnaysienne doit déchanter. « Pourquoi ont-ils
proposé des postes de reclassement à Aulnay, s’ils avaient l’intention de
la fermer ? Je suis persuadée, aujourd’hui, qu’en 2009, la direction avait
programmé de fermer cette usine. En 2009, moi, je voulais bouger, voir autre
chose. Mais s’il n’y avait pas eu cette proposition à Aulnay, j’aurais choisi
Poissy. Et aujourd’hui, j’aurais toujours mon emploi. »
Écœurée, la jeune femme n’a pas cherché à être mutée dans un autre site de
PSA. Elle a été licenciée en juin 2013. Revenue en Bretagne, elle envisage de
travailler à nouveau dans la restauration, son précédent métier, ou d’entamer
une formation d’assistante commerciale.
102
103
quel avenirpour l’usine ?
En mai 2011, alors que l’usine de La Janais s’apprêtait à fêter ses
50 ans, Jean-Marie Dailland, directeur du site, se voyait poser la
question suivante : fêtera-t-on les 60 ans de l’usine en 2021 ? Sa
réponse fut catégorique : « Ah oui, c’est clair ! » (1)
Deux ans et demi plus tard, fin 2013, il n’est pas sûr que ce même dirigeant
soit aussi convaincu. En tout cas, à Chartres-de-Bretagne, plus personne ne se
hasarderait à une telle affirmation. Les plus optimistes espèrent qu’il y aura
toujours une usine PSA à Chartres-de-Bretagne, mais ils pressentent que
l’effectif sera moindre. Les plus pessimistes, dont les rangs gonflent de mois
en mois, sont persuadés que le constructeur a d’ores et déjà projeté de fermer
La Janais.
L’avenir immédiat de l’usine, c’est donc l’actuel plan de sauvegarde de l’emploi
(PSE) qui prévoit la suppression de 1 400 postes : 400 départs dans le cadre de
mutations au sein du groupe ; 400 départs liés à la réindustrialisation du site
et 600 « reclassements externes », c’est-à-dire des départs définitifs.
lEs bons comptEs nE font plus lEs ami 6
Sur le papier, ce plan social est limpide. Dans les faits, l’objectif de 1 400
départs est beaucoup plus aléatoire. Prenons l’exemple des « mobilités
internes » : la direction souhaite que 400 salariés rennais acceptent d’être
mutés dans d’autres sites du groupe. Une centaine de postes est disponible
en région parisienne à Poissy (C3, DS3, 208) ; 200 à Mulhouse où est produite
la Peugeot 2008. Au total, selon Jean-Luc Perrard, l’actuel directeur de l’usine
à Rennes, le constructeur proposait, mi-2013, 1 700 postes en France. « Les
postes existent. Ils sont là, sur la table », insiste-t-il.
Ce dirigeant, arrivé il y a deux ans à Rennes, veut croire que les 400 mutations
seront possibles. Il rappelle que, par le passé, jusqu’à 900 salariés rennais sont
104
allés travailler à Aulnay ou à Poissy. Seulement voilà, ce personnel était alors
mis à la disposition des usines parisiennes, et non muté. « Cette diaspora
fonctionne effectivement tant qu’il y a un élastique qui ramène la personne
à Rennes. Là, avec ce plan, il est vrai qu’on propose de couper l’élastique »,
convient le dirigeant.
Pour autant, la direction ne renonce pas et use de tous les arguments. PSA offre
des aides pour le déménagement, pour le conjoint afin qu’il puisse trouver un
nouvel emploi. « À Mulhouse, les 200 postes sont réservés aux Rennais. Il ne
faut pas oublier non plus que nous sommes à PSA : les gens ne partent pas
avec rien. Nous ne sommes pas des sauvages », assure le directeur.
Là où il aurait tendance à être moins conciliant, c’est vis-à-vis des cadres
réticents à bouger… « Je peux comprendre les hésitations d’un ouvrier né
dans la région. Mais un cadre, lui, a une clause de mobilité dans son contrat.
Historiquement, il y a eu à Rennes une fréquence de lancement de nouveaux
véhicules supérieure aux autres sites. Certains ont alors pris racine…
Attention, je ne dis pas que tous les cadres doivent partir. À nous de faire
preuve d’un peu de pédagogie », indique-t-il.
105
En clair, si davantage de cadres pouvaient montrer l’exemple et se rendre à
Poissy ou ailleurs, la direction apprécierait le geste…
À la CFDT, on doute que les 400 mutations soient atteintes. « Tous ceux qui
souhaitaient être affectés dans une autre usine, ces dernières années, ont
eu l’occasion de le faire. S’il y a 200 mutations, ce sera déjà beaucoup »,
estimait le syndicat en septembre 2013.
Autre dossier délicat : celui de la réindustrialisation. Là encore, en théorie d’ici
à la fin 2013, PSA espère que de nouvelles entreprises s’installeront sur son
site et qu’elles embaucheront 400 de ses salariés. Problème : en septembre,
les projets concrets n’étaient pas légion.
La SNCF a confirmé qu’elle recrutera 80 personnes pour rénover ses rames
TGV du Grand Ouest. Ces salariés ne seront pas embauchés par le transporteur
ferroviaire, mais détachés durant une période de trois à cinq ans. Ensuite, ils
seront réaffectés à PSA.
Deux autres entreprises seraient prêtes à venir sur le site de La Janais : une
société de BTP et une autre spécialisée dans la construction de logements à
partir de conteneurs. « À elles deux, elles recruteraient 40 personnes. Avec
la SNCF, cela ferait donc 120 personnes recrutées pour l’instant. On est loin
des 400 », s’agace Laurent Valy de la CFDT. Et ce, d’autant plus que nombre
d’entre elles « gagneraient autour du Smic, c’est-à-dire moins qu’à l’usine ».
Alors, un fiasco cette réindustrialisation ? Au moment où ce livre paraît, il est
trop tôt pour tirer un bilan. « Ce qui est sûr, c’est qu’il faut des emplois pour
tout le monde. Peut-être aurons-nous une grosse implantation. Mais si dix
entreprises, recrutant 20 personnes chacune, viennent s’installer, cela fait
200 emplois, et cela me va aussi », insiste le directeur, Jean-Luc Perrard.
En coulisses, on évoque un industriel américain de l’agroalimentaire qui
pourrait venir s’implanter à Chartres-de-Bretagne afin de produire de la
poudre de lait. On parle de 600 emplois, peut-être 1 000 d’ici à 2019. « Si ce
projet se concrétise, ce serait le jackpot », commente, prudent malgré tout,
Pierre Contesse de FO.
Le nom du géant américain General Mills, qui a pris le contrôle de Yoplait en
2011, a un temps circulé. Mais ce dernier dément. « Nos sites industriels sont
installés au cœur de régions agricoles clés pour l’approvisionnement en matière
106
première : nous avons une usine à Arras (Pas-de-Calais) qui produit pour 77 pays
dans le monde, et une usine à Labatut (Landes) qui produit pour de nombreux
pays d’Europe. Nos deux marques concernées, Géant Vert et Häagen-Dazs, ont
d’ailleurs été certifiées « Origine France » grâce à ces deux sites. Par conséquent,
nous n’avons aucun projet à Rennes », indique la direction.
PSA a chargé le cabinet BPI de prospecter les candidats. Peugeot-Citroën
ayant désormais besoin de moins de place à La Janais, 40 hectares de foncier
sont disponibles dont quatre bâtiments industriels et six bâtiments tertiaires.
Pour mener à bien la réindustrialisation, le constructeur n’est pas seul.
Les services de l’État, les collectivités territoriales (Région, Département,
Rennes Métropole, la ville de Chartres-de-Bretagne) et différents organismes
économiques s’activent pour dénicher ces nouveaux employeurs. Le plus vite
possible…
Tout le paradoxe de cette réindustrialisation réside en effet dans le temps.
Si l’opération réussit, c’est-à-dire si 400 emplois (ou plus) finissent par voir
le jour à La Janais, les actuels salariés de PSA auront quitté l’usine depuis
plusieurs mois, sinon plusieurs années.
En attendant, et au cours de ce dernier trimestre 2013, la question qui agite
tous les salariés tient donc à un nombre : y aura-t-il 1 400 personnes à vouloir
partir « volontairement » de l’usine d’ici au 31 décembre ? Si ce n’est pas le
cas, les départs volontaires feront place aux licenciements économiques. Et
les premières notifications auraient alors lieu début avril 2014.
Ni la direction, ni les syndicats, ni les premiers concernés - les salariés - ne
souhaitent en arriver là. L’ambiance se crisperait encore un peu plus. Pour
éviter pareille échéance, deux forums de l’emploi ont été organisés à l’intérieur
de l’usine : les entreprises qui recrutent, viennent y proposer leurs postes et
recueillir des CV. « Lors de la première journée, 660 CV ont été déposés : de
l’ouvrier au cadre. Lorsqu’il y avait un forum, les années précédentes, les
salariés venaient se renseigner. Là, ils sont directement venus avec leur CV
à la main », observe Pierre Contesse qui ne sait s’il faut s’en réjouir ou s’en
inquiéter.
Pour autant, en septembre, personne n’était en mesure de dire si l’objectif de
la direction serait atteint. Dans son rapport, dès novembre 2012, Emmanuel
Sartorius se demandait si, à Rennes, on n’était pas « proche des limites du
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volontariat » : il y a déjà eu 2 222 départs de 2007 à 2009. Jean-Luc Perrard,
le directeur, lui, avait encore bon espoir. De février à juillet 2013, plus de 1 500
personnes étaient venues se renseigner au pôle de mobilité. « C’est plutôt
bon signe », estimait-il alors.
Mais après l’été, les syndicats étaient moins optimistes. Fin août, seuls 538
départs avaient été enregistrés. Chacun avait en tête les mots du président
du directoire de PSA, Philippe Varin, en juillet 2012 : « Nous avons pris
l’engagement qu’il n’y aurait pas de licenciements secs. Chaque employé
aura une solution à son problème d’emploi. » Qu’en sera-t-il vraiment ?
Quant au gouvernement, par la voix du président de la République qui
n’acceptait pas, le 14 juillet 2012, « ce plan en l’état », ou par la voix du
ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, qui avait critiqué
la stratégie de la famille Peugeot, il semble s’être résigné aux mesures telles
qu’elles avaient été annoncées par PSA dès juillet 2012. « PSA a trop tardé,
a dissimulé, et la conséquence maintenant est qu’on est obligé de prendre
des mesures de redressement (…) On n’a pas trouvé d’autres solutions »,
admettait Arnaud Montebourg au micro de RTL, en février 2013.
À La Janais, les mois passent, loin des déclarations parisiennes. Personne ne
sait si les suppressions de postes prendront la forme de départs volontaires
ou de licenciements économiques. « C’est une question de vocabulaire »,
108
lâche, dépité, un ouvrier. Beaucoup continuent néanmoins d’espérer qu’ils ne
figureront pas dans « la charrette ».
Sous couvert d’anonymat, un cadre de l’entreprise assure qu’un certain
nombre de salariés n’osaient pas venir au pôle de mobilité par peur d’être
catalogués « sur le départ » ou de figurer sur l’éventuelle liste des licenciés.
« Un salarié qui avait fini par franchir le pas, s’est exclamé : “ ça y est : je suis
fiché ! ” À ce moment-là, un autre qui se trouvait là, s’est mis à rigoler. Il lui
a répondu : “Moi, cela fait cinq fois que je viens, et je ne suis toujours pas
viré”», rapporte ce cadre.
C’est sans doute vrai. Venir se renseigner au pôle mobilité ne précipite pas
son départ de l’usine, pas plus que de parler de ses obsèques ne fait mourir.
Mais, franchement, demander à des salariés de partir volontairement sous
peine d’être éventuellement licenciés, relève du choix cornélien… Ce serait un
peu comme proposer à une personne s’apprêtant à s’engager sur une route
désertique, de choisir entre partir à pied ou monter à bord d’une voiture qui
n’aurait plus de carburant…
Le directeur en convient : « Individuellement, l’inquiétude est grande. C’est
vrai. Mais nous avons la volonté de conserver le meilleur climat possible. Les
gens restent impliqués dans leur travail. Les indicateurs de qualité que nous
avons restent bons », assure-t-il. Méthode Coué ? Les données enregistrées
109
par la direction sont sans doute bonnes. Mais tous les témoignages que nous
avons recueillis font état d’une ambiance pesante.
Car, au-delà de l’actuel plan social, l’horizon apparaît toujours bouché…
QuE produira la janais dE 2014 à 2016 ?
Et après ce plan ? Une nouvelle voiture est annoncée : la X8, la remplaçante de la C5.
Puis peut-être dans la foulée la R8, la remplaçante de la 508 (nous y reviendrons).
Ce premier nouveau véhicule n’étant pas attendu avant 2017, que produira
La Janais durant les trois prochaines années (2014, 2015 et 2016) ? Les mêmes
modèles qu’actuellement : la C5 et la 508. Certes, la Peugeot 508 va être
« restylée ». Mais ce relookage générera-t-il beaucoup plus de volume pour
autant ? On peut en douter.
Dans le volet 2 du rapport Secafi, établi à la demande du comité central
d’entreprise, le cabinet d’audit avançait les estimations suivantes en
novembre 2012. Misant sur un lancement de la X8 fin 2016, et donc une année
pleine en 2017, il prévoyait une production de 134 000 véhicules à Rennes en
2013, 125 000 en 2014, 110 000 en 2015 et 2016, et un rebond en 2017 et 2018
avec 180 000 véhicules assemblés pour chacune de ces deux années. « Le site
de Rennes doit donc faire face à une situation conjoncturelle de sous-charge
jusqu’au second semestre 2016, avant de retrouver des volumes stables
de 180 000 véhicules par an. » Et ce même cabinet de prévoir qu’avec cette
montée en charge, les effectifs de La Janais devraient alors augmenter de…
360 postes.
Malheureusement pour Rennes, ces prévisions établies en 2012 se révèlent
d’ores et déjà surévaluées. En 2013, ce ne sont pas 134 000 véhicules qui
auront été produits, mais moins de 100 000 (probablement autour de 90 000).
D’ici à l’arrivée du nouveau véhicule, l’usine rennaise n’aura d’autre choix que
de courber le dos. Pendant trois ans, « on va faire feu de tout bois. On prêtera
du personnel à d’autres sites du groupe. Il y aura du chômage partiel et la
réindustrialisation aura progressé », assure la direction de PSA. Rien de bien
rassurant en somme…
À moins que… À moins que le marché automobile européen ne reparte à la
hausse. C’est en tout cas ce que pensent et espèrent les grands patrons de
l’automobile. Début septembre 2013, au salon de l’automobile de Francfort,
Alain Mulally, le PDG de Ford, a estimé que « sur le Vieux Continent, l’industrie
110
automobile pourrait avoir quasiment atteint un point bas ». Autrement
dit, la reprise des ventes serait en vue. Même optimisme de rigueur pour le
patron de Renault, Carlos Ghosn. Le secteur automobile, en Europe, « devrait
voir le bout du tunnel. Après cinq années de baisse, il va renouer avec la
croissance », prévoit-il.
À PSA, Philippe Varin n’était pas en reste. Après tout, si les concurrents risquent
de mieux se porter, lui aussi ! « Je prévois que le groupe enregistrera une
hausse de part de marché au dernier trimestre grâce aux nouveautés que nous
lançons », a-t-il expliqué. Et parmi les nouveautés, il y a notamment la nouvelle
Peugeot 308 compacte. Ce modèle dopera-t-il à nouveau le constructeur français
comme avait pu le faire la 205 dans les années 1980 ? L’année 2014 le dira…
Ce qui est certain, en revanche, c’est que ce nouveau modèle, fabriqué à
Sochaux, ne profitera pas à l’usine rennaise.
L’idée a pourtant été évaluée par le constructeur. Celui-ci s’est demandé
s’il ne serait pas possible, en attendant la X8, de trouver des productions
complémentaires pour son site breton. La direction a ainsi étudié la possibilité
de rapatrier à Rennes une partie de cette future production programmée
à Sochaux. Soit un modèle d’une gamme inférieure à ceux produits
habituellement à Rennes. La Janais aurait ainsi récupéré un peu plus de
22 000 véhicules à assembler en 2014, 52 000 en 2015 et près de 35 000 en
2016. Seulement voilà, selon la direction, la production de la 308 à Rennes
aurait entraîné un surcoût d’exploitation de 917 € par véhicule : acheminement
des pièces ferrées, achat de pièces, transport…
Autre scénario étudié par la direction : rapatrier une partie de la production du
B78 (le C4 Picasso 2) de Vigo (Espagne) à Rennes : près de 90 000 exemplaires
en trois ans. Là encore, pour les mêmes raisons, le surcoût aurait été de 1 038 €
par véhicule. Conclusion du rapport Secafi : « Ces deux scénarios ressortent
avec un surcoût d’exploitation largement supérieur à celui du chômage
partiel pour PSA. »
Triste constat : le chômage partiel coûtera moins cher à PSA que de faire
assembler des véhicules supplémentaires à Chartres-de-Bretagne…
Pourtant, l’idée de produire des voitures qui ne seraient pas du haut de gamme,
à La Janais, revient régulièrement sur le devant de l’actualité. En février 2010,
l’économiste Bernard Jullien, directeur du Gerpisa, réseau international de
recherche sur l’industrie automobile, dans une interview à Ouest-France,
111
reconnaissait que « si le positionnement de Rennes et sa région devait rester
le haut de gamme, l’usine aurait beaucoup à craindre ».
Depuis plus longtemps encore, la CGT alerte sur « la dangerosité, pour l’avenir
du site, à ne produire que de tels véhicules ».
La direction de PSA a-t-elle fini par entendre ces craintes ? En octobre 2010,
lors de la venue de Philippe Varin à Rennes, pour la présentation de la 508, il
est question que le site produise une nouvelle plate-forme de véhicules qui
servirait de base à d’autres véhicules que ceux de la gamme supérieure. C’est
déjà ce qu’avait annoncé en interne, lors d’une visite à Rennes, Guillaume
Faury, le directeur technique du groupe PSA : « Il faut réussir l’implantation
de la BVH2’ sur le site de Rennes ». C’est le nom donné à cette plate-forme
qui doit permettre de réaliser des voitures de moyen de gamme.
En mai 2011, Jean-Marie Dailland, le directeur de La Janais, confirme cette
hypothèse de travail : l’usine fabriquera « une nouvelle base de véhicules.
Elle permettra de continuer à produire des modèles de moyenne et
haute gamme. Mais aussi de produire des véhicules distinctifs de type
premium (exemple : DS3, DS4, DS5), dans des catégories inférieures… » La
direction entrouvrait la porte. La perspective de volumes plus importants se
profilait à Rennes.
112
Depuis ? Rien ou presque. Dans son rapport, en septembre 2012, Emmanuel
Sartorius notait que le projet de plate-forme était « gelé dans l’attente
des résultats des groupes de travail, dans le cadre de son alliance avec
General Motors ». En juin 2013, dans les colonnes du quotidien Le Monde,
un consultant automobile faisait également part de ses incertitudes : « PSA
a modifié sa plate-forme BVH2, qui sera utilisée pour des véhicules de
segment C (moyen de gamme) et étirée au segment D (haut de gamme). Cela
n’est pas satisfaisant en matière de conduite. La solution serait de partager
la plate-forme de segment D d’Opel ».
Et pendant ce temps, à Rennes, « on attend toujours les investissements liés
à la nouvelle plate-forme BVH2’. Il n’y a toujours rien de concret », se désolait
Laurent Valy de la CFDT, en septembre 2013. Or, c’est sur cette nouvelle plate-
forme que doit être assemblé le nouveau véhicule attribué à Rennes…
x8, r8 : rEnnEs nE vois-tu riEn vEnir ?
En tout état de cause, il y a fort à parier que d’ici à l’arrivée du nouveau véhicule
X8 (la remplaçante de la C5), les salariés rennais devront se contenter de la
C5 vieillissante et de la 508 plutôt destinée aux flottes d’entreprises ou aux
catégories socioprofessionnelles supérieures, les CSP+.
Mais au fait, quand arrivera cette fameuse X8 ? En octobre 2010, Philippe
Varin, le président du directoire de PSA, annonçait qu’elle serait assemblée à
Rennes à compter de 2014-2015.
« Des équipes seront à l’œuvre dès 2012, sur place, pour ce nouveau projet »,
indiquait-il alors. Depuis, le projet a pris du retard. En cette période de crise, et
surtout en raison de l’alliance avec General Motors, il a été retardé d’au moins
deux années.
Dans son rapport de novembre 2012, le cabinet Secafi évoquait un lancement
à la fin de l’année 2016. En septembre 2013, plusieurs syndicats penchaient
plutôt pour le deuxième semestre 2017. Qu’en sera-t-il exactement ? Chaque
prolongation renforce en tout cas l’incertitude qui plane autour de l’avenir du
site.
Certains en viennent même à se demander si le véhicule annoncé ne serait
pas un mirage. « Ce lancement aura lieu. C’est Philippe Varin, lui-même, qui
l’a annoncé. Je ne peux pas dire mieux. Vous noterez aussi que rarement un
lancement n’a été annoncé aussi longtemps à l’avance », insiste Jean-Luc
Perrard, le directeur du site, laissant sous-entendre que le groupe ne ménage
pas ses efforts pour rassurer les Rennais.
113
114
Pierre Contesse, de Force ouvrière, ne semble pas douter que la future X8
sera fabriquée à Rennes. Peu lui importe d’ailleurs le modèle. « Que ce soit
la X8, la X9 ou un autre nom, je n’en ai rien à faire. Ce qui est important,
ce sont les volumes de production. Si l’on produit 120 000 exemplaires par
an ou 20 000, ce n’est pas la même histoire. Pour maintenir notre usine au
niveau actuel, il est nécessaire qu’on puisse produire 120 000 exemplaires »,
insiste-t-il.
Sur ce point, le directeur du site reste prudent et n’avance aucun chiffre :
« Tout dépendra du marché », élude-t-il.
Tout dépendra aussi du ou des sites de production. Rennes sera-t-il le seul site
d’assemblage de la future C5, au moins pour l’Europe ? À cette question, en
octobre 2012, Denis Martin, le directeur industriel de PSA, et ancien directeur
du site de La Janais, répondait par l’affirmative. Il précisait même le futur
rythme de production : 46 véhicules/heure, ce qui correspond globalement
à la capacité actuelle de la ligne de montage. « PSA prend, là, une décision
importante pour le site de Rennes dans un contexte de crise profonde et
structurelle de l’automobile », précisait-il dans une interview à Ouest-France.
Mais selon la CFDT, au final, Rennes n’héritera pas forcément de la plus grosse
part du gâteau : « La berline pourrait être produite en Chine pour ensuite être
vendue en Europe de l’Ouest. L’usine de La Janais ne conserverait que le
SUV. Autrement dit, cela ne concernerait que de petits volumes ».
114 115
Mi-septembre 2013, Michel Bourdon de la CGT confirmait : « On peut mettre
un mouchoir sur la X8. Elle sera produite en Chine ».
Bref, si à Rennes on parle de la X8 depuis plus de trois ans, beaucoup de
questions demeurent. Or, certaines réponses dépendront des projets nés
de l’alliance entre PSA et General Motors. Cette dernière « va avoir des
conséquences importantes sur le devenir de PSA, sur le choix d’attribution
des modèles et le niveau de productivité », indiquait, lucide, le Conseil de
développement économique et social du pays et de l’agglomération de Rennes
(Codespar), dans sa note de conjoncture en juillet 2013.
Depuis l’annonce de cette alliance, en février 2012, de multiples rumeurs ont
circulé. En juin dernier, selon l’agence de presse Reuters, la famille Peugeot
aurait été prête à céder le contrôle de PSA à General Motors qui détient
déjà 7 % du capital du constructeur français. Le lendemain, GM démentait
la rumeur, affirmant que le groupe américain « n’injectera pas de fonds
supplémentaires pour l’instant ».
Pour Gérard Glévarec, consultant automobile indépendant, si GM devait
accroître sa participation dans le capital de PSA, « ce serait terrible. Pour
l’instant, quoi qu’on en dise, on peut faire confiance à l’éthique de la famille
Peugeot pour continuer à produire des voitures en France ». Celui-ci en veut
pour preuve les récentes données du CCFA (Comité des constructeurs français
d’automobiles). En 2012, PSA a produit trois fois plus de véhicules dans
l’hexagone que Renault (respectivement 1,23 million et 444 682).
Mais l’inquiétude demeure. « Aujourd’hui, si on additionne les usines de PSA
et d’Opel en Europe, par rapport aux productions actuelles, il y en a trop »,
s’inquiète Pierre Contesse de FO. « Les Allemands ont la mécanique et la
technologie dans le sang. Ils ne lâcheront rien. Il ne faut vraiment pas que le
capital échappe à la famille Peugeot », renchérit Gérard Glévarec.
Autre rumeur : en août 2012, c’est le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine
Zeitung, qui croyait savoir que la DS5, produite à Sochaux, et la 508, produite
à Rennes, seraient à l’avenir assemblées sur le site phare d’Opel (filiale de
GM) à Rüsselsheim, en Allemagne. Grosse frayeur à Rennes. Il n’en sera rien
finalement. Du moins a priori… Les deux constructeurs ont mis en place des
groupes de travail pour préciser leurs projets communs.
Outre des achats de composants en commun, l’alliance va également
116
permettre de réaliser des économies en matière de recherche et
développement (R&D). « L’objectif annoncé de l’alliance avec GM, en ce qui
concerne la R&D, est de faire autant en dépensant moins », confirme le
rapport Secafi. Ces deux seuls axes devraient permettre à PSA de dégager
750 millions d’euros d’économies d’ici à 2017.
Concernant les modèles, les deux constructeurs ont dévoilé début 2013 deux
projets communs. Les remplaçants des monospaces Zafira d’Opel et 3008
de Peugeot seront produits sur une même plate-forme baptisée EMP2. Le
deuxième projet concerne les marques Opel-Vauxhall et Citroën : là encore, il
y aura une plate-forme commune pour remplacer le Meriva et le C3 Picasso.
PSA et la filiale européenne de GM, Opel, réfléchissent également à la manière
de rentabiliser leur alliance en Amérique latine.
Enfin, un autre projet concerne directement l’usine de Rennes : trois nouveaux
modèles devraient être assemblés sur une même plate-forme, avec quelques
éléments identiques. Il s’agira de la X8 (la remplaçante de la C5), de la 508 II
(nom de code R8) et de la remplaçante de l’Opel Insignia.
Alors verra-t-on un jour des véhicules Opel fabriqués à Rennes ? À la suite
du salon automobile de Francfort, en septembre 2013, le journal Les Échos
indiquait que « la production de véhicules PSA par Opel et de véhicules Opel
par PSA est fortement pressentie. “ La production croisée est à l’étude, ça
fait partie du cœur du dialogue au sein de l’alliance, précise Denis Martin,
directeur industriel de PSA. C’est une très bonne chose. Nous avons beaucoup
appris en produisant conjointement des véhicules avec Toyota, il n’y a pas
de raison que nous ne puissions pas faire la même chose avec Opel et GM ”».
l’avEnir : il y a dE l’élEctricité dans l’air
Et si l’avenir de La Janais passait par la voiture électrique ? La question est
posée depuis plusieurs années déjà. L’enjeu pourrait être de taille. Selon
plusieurs analystes, à l’horizon 2025, les véhicules décarbonés (qui émettent
moins de 60 g de CO2 par kilomètre : tout électrique, hybride…) pourraient
représenter en Europe près d’un véhicule sur trois. En France, cette production
nouvelle pourrait générer 15 milliards d’euros en 2030. Alléchant…
Dans cette optique, Jean-Yves Le Drian, alors président du conseil régional
de Bretagne, avait créé en 2009 un groupe de travail européen sur les
mutations de l’industrie automobile, auquel ont participé plusieurs régions du
Vieux Continent. « Des voix commencent à s’exprimer pour demander que
117
l’Europe fasse un choix technologique clair pour l’électrique et concentre
ses moyens sur cette technologie », écrivait-il, en 2010, dans la revue
Place publique, tout en appelant à un « New deal automobile européen ».
Près de quatre ans plus tard, les avancées sont minces. Certes, Vincent
Bolloré en implantant ses Blue Car via le service Autolib, à Paris, contribue à
leur démocratisation. Mais les obstacles au développement de l’électrique –
c’est-à-dire à son acquisition par des particuliers - sont encore nombreux. Des
interrogations demeurent sur la fiabilité et la durée de vie des batteries. Le
réseau des bornes de recharge reste insuffisant. L’autonomie affichée par la
plupart des modèles électriques n’excède pas 150 km au mieux… Sans parler
de l’énergie qui, en France du moins, est à 75 % d’origine nucléaire. Jusqu’à
quel point peut-on parler de véhicule propre ?
Néanmoins, l’idée que La Janais puisse produire de tels véhicules circule
régulièrement. En 2009, des élus ont rêvé que l’usine rennaise puisse
produire les Blue Car de Vincent Bolloré. Et si elles étaient « fabriquées en
Bretagne ? », s’interrogeait le maire de Quimper, Bernard Poignant, au
moment de l’inauguration de l’usine de batteries du groupe Bolloré à Ergué-
Gabéric (Finistère). Des contacts entre PSA et Bolloré ont même eu lieu pour
envisager un tel projet. En vain.
118
Dès mars 2010, Vincent Bolloré temporisait : « Ce n’est pas d’actualité »,
affirmait-il. En septembre 2013, ce rêve s’est définitivement envolé. C’est avec
Renault que l’entrepreneur breton poursuivra finalement le développement
de ses voitures électriques.
PSA et La Janais sont-ils passés à côté d’une production complémentaire ?
La direction de PSA n’a-t-elle pas cru à la technologie développée par Vincent
Bolloré ? Des batteries dites « lithium métal polymère », différentes de la
plupart des autres constructeurs. Ou Renault, qui a développé une véritable
gamme de voitures électriques, s’est-il montré plus convaincant ?
Pour le site rennais, c’est un espoir de plus qui s’envole. L’usine conserve
pourtant un atout. Elle a su s’adapter en produisant la 508 hybride (diesel-
électrique). Un bémol cependant, la majorité des modèles électriques proposés
sont de petits véhicules, ce qui ne correspond pas aux voitures actuellement
assemblées par les ouvriers rennais.
Pour autant, l’idée d’un véhicule électrique reste possible. Du moins en théorie.
PSA travaille depuis plusieurs années pour proposer son propre modèle
électrique, la BB1. Celui-ci avait été présenté dès 2009, au salon automobile
de Francfort, le stand PSA ayant alors été visité par la chancelière allemande,
Angela Merkel. Un concept-car très original inspiré du scooter : une voiture de
118 119
2,50 m d’une capacité de quatre personnes ; des moteurs situés dans les roues
et un guidon à la place du volant… Mais sa commercialisation ne semble pas
encore avoir été décidée. Ni son éventuel lieu de production…
Dans sa note de conjoncture de juillet 2013, le Codespar (le Conseil de
développement économique du pays de Rennes) ne semble guère croire en
cette opportunité. « Le poids des véhicules verts reste marginal dans le total
des ventes, avec une part de marché de seulement 1,4 %.
Au regard de la situation de PSA Peugeot Citroën, ce marché représente-
t-il une piste de développement porteuse pour le groupe ? Le groupe est-
il prêt à investir la filière de la mobilité décarbonée qui dépasse la simple
production de véhicules électriques ? », s’interroge-t-il.
fErmEturE dE la janais : lE scénarioQui Est dans toutEs lEs têtEs
Il y a encore peu, l’idée que l’usine de Chartres-de-Bretagne puisse fermer
définitivement était taboue. Fermer une usine qui a marqué l’essor industriel
de la Bretagne, qui a fourni des dizaines de milliers d’emplois à des générations
de Bretons et qui, symboliquement, fut inaugurée par le général de Gaulle…
était tout simplement IM-PEN-SABLE. Pouvait-on imaginer amputer la région
d’un de ses poumons économiques ? La seule évocation de cette hypothèse
faisait déjà tousser.
En juin 2007, dans un rapport intitulé « La filière automobile rennaise à l’horizon
2020 », le Codespar élabore pourtant ce scénario parmi trois autres. Premier
scénario : l’usine rennaise a renforcé sa spécialisation dans les véhicules
haut de gamme. Les voitures assemblées à La Janais sont « d’une qualité
irréprochable et livrées rapidement ». Possible, mais à une condition selon
le Conseil économique rennais : « Les deux marques Peugeot et Citroën sont
devenues prestigieuses et se sont forgé en Europe une image de marque ».
Plus de six ans après ce rapport, il n’est pas sûr que La Janais en prenne le
chemin. Si nombre d’interlocuteurs que nous avons rencontrés, estiment
que la gamme PSA est désormais « innovante et remarquable », elle ne
concurrence pas encore les marques allemandes pour sérieusement envisager
ce scénario. Du moins dans l’immédiat…
Deuxième scénario : les véhicules assemblés à Rennes sont acheminés aux
quatre coins du monde. L’usine « s’approvisionne massivement auprès
d’unités de fabrication situées dans des pays à bas coût de production ».
120
Pour cela, PSA s’est allié avec un autre constructeur présent sur les marchés
japonais et nord-américains. Et les liens logistiques entre le bassin rennais et
les ports de Saint-Nazaire et du Havre se sont fortement développés.
Laurent Valy, de la CFDT, ne semble pas non plus croire à ce scénario.
« Aujourd’hui, la direction nous parle beaucoup de coût du travail, ne serait-
ce qu’en nous comparant avec les autres usines européennes du groupe. Une
heure de travail d’un ouvrier à Vigo, en Espagne, revient à moins de 22 €. À
moins de 11 € à Mangualde, au Portugal, et à environ 35 € à Rennes. »
Le troisième scénario est appelé « la transition douce ». PSA ne produit plus de
véhicules haut de gamme à Rennes. Il a réorganisé ses usines au niveau mondial.
Désormais, La Janais se contente d’assembler des voitures innovantes, mais en
petites séries. PSA fait également beaucoup moins appel à des fournisseurs
régionaux (en 2010 et 2011, l’usine se fournissait, entre autres sous-traitants,
auprès de 50 entreprises situées dans un rayon de moins de 100 km autour de
Chartres-de-Bretagne).
Ces entreprises se seraient donc adaptées et auraient réussi à s’appuyer sur
les acquis de l’automobile pour se tourner vers d’autres marchés : activités
maritimes, éco-industries, domotique, traçabilité (technologie RFID…). À n’en
pas douter, ce serait le scénario du « moindre mal ». Le bassin rennais serait
moins dépendant de la filière automobile. Mais une telle évolution nécessiterait
certainement un peu de temps…
Dernier scénario, la fermeture. Voici ce qu’écrivait le Codespar il y a plus de six
ans : « Pour sauvegarder son positionnement de grand constructeur, le groupe
PSA s’allie avec un autre constructeur. La nouvelle alliance est à la recherche
de synergies et de rationalisation de l’outil industriel. Elle décide de regrouper
la plate-forme des gammes supérieures du nouveau groupe. Cet arbitrage qui
se fonde sur les avantages relatifs entre deux sites du groupe est défavorable
au site rennais. » Cela ne vous rappelle rien ? Et si c’était le cas avec Opel ? Avec
le constructeur chinois Dongfeng que PSA courtise également ?
Conclusion du Codespar : si la Bretagne veut préserver sa filière automobile,
il faudra que la région devienne plus accessible encore. Selon le conseil
économique, à terme, plus de 60 % des pièces qui composeront une voiture
assemblée à La Janais proviendront de pays où le coût de la main-d’œuvre est
bas : « Ce qui implique d’améliorer l’ensemble de la chaîne logistique, qu’il
121
s’agisse des flux de marchandises, financiers et d’informations », préconise le
Conseil économique rennais.
Plus de six ans après ce rapport, le pessimisme - ou du moins une certaine fatalité -
sur l’avenir du site semble avoir gagné du terrain. Et les discours de la direction
ne semblent rien y changer. « Nous avons ici à Rennes un capital humain, des
compétences », martèle Jean-Luc Perrard, le directeur de l’usine. « Nous croyons
en Rennes et nous lui dessinons un avenir au-delà de 2020 », affirmait le
directeur industriel du groupe, Denis Martin, en octobre 2012, dans une interview
à Ouest-France.
Seulement voilà, comme le rappelle Emmanuel Sartorius dans son rapport, le fait
que la direction ait répété jusqu’au début 2012 que l’arrêt de la production à Aulnay
n’était pas d’actualité, « a laissé des traces ».
Philippe Bonnin, le maire de Chartres-de-Bretagne, est certainement l’un des
plus ardents défenseurs de l’usine. Il a lancé en 2013 une pétition « pour la
défense de notre industrie automobile départementale ». Elle avait recueilli
plus de 4 500 signatures en septembre. Car outre les emplois, l’usine rapporte
à la ville de substantielles recettes : 4,6 millions d’euros, en 2011, la moitié
de ses recettes cette année-là. En juin 2013, à une question sur l’avenir des
122
véhicules haut de gamme à La Janais, il répondait dans un demi-soupir : « il n’y
a plus que les naïfs qui y croient encore… »
Outre le contexte économique actuel, ce qui inquiète l’élu chartrain, c’est le
peu d’investissements réalisés par le groupe dans l’usine. Entre 2008 et 2010,
PSA a, certes, investi dans l’usine rennaise. Mais c’était essentiellement pour
réduire sa capacité de production, la ramenant de 400 000 véhicules par an à
un peu plus de 200 000. « Concrètement, cela fait dix ans que le groupe n’a
pas réellement investi à La Janais. Le dernier investissement conséquent
remonte à 2002, au niveau de l’emboutissage », rappelle le maire. Même
constat de la part de Michel Bourdon, le leader de la section CGT : « Il n’y a
pas eu beaucoup de travaux pendant la traditionnelle fermeture de l’usine,
cet été (2013). C’est étonnant pour un site qui doit en principe produire un
nouveau véhicule. »
Alors l’avenir ? Les syndicats évitent de parler de fermeture. « Dans dix ans,
il y aura toujours un logo PSA devant le site. Mais nous ne serons peut-
être plus 4 000… Que produira-t-on ? Et surtout à combien d’exemplaires ?
Que ressortira-t-il de l’alliance avec General Motors ? Je pense que tant
que la famille Peugeot est aux commandes, c’est malgré tout un gage de
stabilité », répond Pierre Contesse, de Force ouvrière.
123
Laurent Valy, de la CFDT, est moins optimiste : « On se dirige vers une
fermeture. L’actuel plan social n’est pas encore terminé, qu’on entend déjà
parler de mille nouvelles suppressions de postes. Il ne resterait plus que
3 000 personnes à La Janais. C’est-à-dire comme à Aulnay… »
De son côté, Michel Bourdon, pour la CGT, se refuse d’envisager le pire. Et ce,
même si les signaux actuels ne sont guère favorables. « Il se dit que l’usine
de Rennes pourrait produire des voitures du segment C, une gamme en
dessous de ce que nous produisons actuellement, et de type crossover. Un
peu comme le Renault Capture. Avec cette nouvelle gamme de véhicules,
La Janais pourrait de nouveau espérer », estime-t-il.
De son côté, Philippe Bonnin, au travers de l’association Acsia (qui regroupe
des villes, agglomérations, départements et régions abritant une usine
automobile), proposait, en juin 2012, que les constructeurs français basent
leur développement, non pas sur le haut de gamme, mais sur les modèles qui
font leur force : les segments B et C, c’est-à-dire des véhicules de type 208,
308, 3008, C4… Acsia conseillait de s’inspirer du succès obtenu par Renault,
il y a quelques années, avec le Scenic. Selon l’association, cette gamme de
voitures, si elle est innovante, diversifiée, toujours plus propre, peut garantir
de belles perspectives aux marques françaises et par voie de conséquence le
maintien des usines sur le sol français : « Le centrage sur les segments phares
du marché français demeure à nos yeux la clé des succès français ». L’idée
du «made in France» bien avant le ministre Arnaud Montebourg, en quelque
sorte…
L’usine de La Janais est-elle à la croisée des chemins ou a-t-elle déjà amorcé
son déclin ? Après plus de 50 ans d’existence, à l’instar de certains demandeurs
d’emploi quinquagénaires, est-elle déjà trop vieille ?(1) interview parue dans Ouest-France 21 au 22 mai 2011
124
conclusion
124 125
126
Et demain ? Difficile d’esquisser à quoi ressemblera La Janais dans dix ans.
L’usine produira-t-elle toujours des voitures ? Impossible de répondre
à cette question. Trop d’incertitudes planent au-dessus du site industriel
quinquagénaire.
L’une des plus importantes concerne sans doute son partenariat avec
Opel (General Motors). Rennes en profitera-t-elle au point de produire des
voitures allemandes ? À une période où les véhicules «made in Germany»
font figure de premiers de la classe, cette perspective aurait des allures de
revanche, les voitures françaises ayant si longtemps été décriées. C’est
l’hypothèse optimiste.
Une autre, plus brutale, est celle de la fermeture. Les deux constructeurs,
ayant dressé la liste de leurs moyens de production en Europe, constateraient
qu’ils sont en surcapacité. Quels sites, dans ce cas-là, seraient sacrifiés ?
Une deuxième incertitude repose sur les transformations qui attendent
les véhicules de demain. À quoi ressembleront-ils ? Avec quelle énergie
avanceront-ils ? Quel sera notre rapport à la voiture ? Sera-t-elle devenue un
simple objet de transport ou véhiculera-t-elle encore des envies de liberté,
d’évasion et affichera-t-elle nos signes extérieurs de richesse ? Dans nos
agglomérations de plus en plus denses, quelle place lui réservera-t-on ?
La voiture électrique n’a pas encore gagné le cœur des particuliers. En un sens,
tant mieux. Si tous les automobilistes roulaient à l’électricité, la production
actuelle d’électricité ne suffirait pas à alimenter les batteries. Mais il est
cocasse d’observer que dans ce monde où les technologies avancent à grande
vitesse – en 1984, la Fiat Uno, équipée d’un cendrier coulissant et d’un tableau
de bord éclairé par une seule ampoule (une première !), était élue voiture
de l’année – la voiture électrique a, elle, longtemps fait du surplace. Qui se
souvient qu’en 1899, la Jamais contente, une voiture électrique avec 750 kg de
batteries, avait atteint 105 km/h…
Face à ces incertitudes de poids, le présent apparaît d’autant moins stable.
Fin septembre, Philippe Varin, le commandant du vaisseau PSA, a bien tenté
de rassurer. Le constructeur français continuera de produire un million de
véhicules en France, en 2016. D’ici à trois ans, il s’est engagé à ne fermer
aucune autre usine dans l’Hexagone. Trois ans de répit, mais après ? Sans
véhicule nouveau, dans quelles conditions peuvent se dérouler ces trois années
127
à Rennes ? Pour un nouveau modèle, La Janais devra attendre au moins 2017.
Très probablement, contrairement à ce que la direction avait annoncé, ce ne
sera pas la remplaçante de la C5. Celle-ci sera produite en Chine. Et si la future
C5 n’est plus produite à Rennes, la future 508 qui sera assemblée sur la même
plate-forme, risque elle aussi de quitter la Bretagne. Malgré tout, PSA indique
qu’il veut continuer à produire à La Janais entre 100 000 et 150 000 véhicules
par an. L’écart est grand : 50 000 exemplaires de plus ou de moins, ce sont des
centaines d’emplois en plus ou en moins…
Le tableau est sombre mais il existe pourtant une lueur d’espoir. PSA se
dit prêt à investir, à La Janais, dans la production d’une plate-forme sur
laquelle seraient assemblés des véhicules de milieu de gamme. Autrement
dit, des voitures du type C4, qui se vendent, et donc se produisent, en plus
grand nombre. « Si l’engagement est tenu, nous approuvons totalement le
président du directoire, M. Varin (…) Cette intention jugée indispensable par
tous, est attendue depuis 2008 », espèrent Jean-Louis Tourenne, le président
du conseil général d’Ille-et-Vilaine, et Philippe Bonnin, le maire de Chartres-
de-Bretagne, dans un courrier commun, en octobre 2013.
Leur appel, déjà maintes fois répété, sera-t-il entendu ? La direction de
PSA sera-t-elle bientôt en mesure d’indiquer des projets clairs pour l’usine ?
L’incertitude dure et devient chaque mois de plus en plus difficile à vivre pour
les salariés.
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© les éditions de Juillet, 2013
© Richard Volante pour les photographies
© Pierrick Baudais et François Macquaire pour les textes
Tous droits réservés, reproduction interdite
rEmErciEmEnts
À Valérie Ollivier, Didier Perrin, Joseph Amouriaux, Jean-Michel Panaget,
Christine Mou Mohamed, Alain Teffaine, Alain Lerat, Loïc Lemarchand,
Frédéric Besnard et Vicky Dilo pour leurs témoignages.
À Jean-François Miniac, Franck Don, Gilles Mathel, Myriam Louapré, Jean-Paul
Bethermin, Loïc Pottier, Jean Noel, Anne-Françoise Jullo, Jean Richard, Didier
Havart, Thierry Kolodjiezek, Eric Jendraszak, Claude Larzul, Alain Coquart,
Céline Houdou, Yannick Dubois, Martine Beucher et au syndicat CFTC d’Ille-et-
Vilaine pour leur soutien et leur disponibilité.
De Francois Macquaire, à Claude.
De Pierrick Baudais, à Laurence, sa compagne.
Les Éditions de Juillet bénéficient de l’aide à l’édition
de la Région Bretagne et de la Ville de Rennes.
© les éditions de Juillet, 2013
© Richard Volante pour les photographies
© Pierrick Baudais et François Macquaire pour les textes
Tous droits réservés, reproduction interdite
Juillet 2012, la direction de PSA annonce un vaste plan de suppressions
de postes en France : 8 000 dont 1 400 concernent l’usine de Chartres-de-
Bretagne. Près d’un an et demi plus tard, de nombreux salariés ne savent
toujours pas s’ils seront employés par le constructeur automobile dans les
prochains mois. Comment vivent-ils ces semaines d’incertitude ? Comment
leurs familles s’adaptent à la situation ? Après 10, 20 ou 30 ans d’ancienneté,
comment se prépare-t-on à quitter son emploi ?
Dans ce livre, tout au long de l’année 2013, plusieurs salariés ont accepté de
relater leurs craintes, leurs envies, leur métier et leur vie de tous les jours.
D’autres relatent ce qu’ils sont devenus depuis qu’ils ont quitté l’usine, en
2009-2010, années durant lesquelles 1 800 postes avaient déjà été supprimés.
Et après eux, quel sort attend les 4 000 salariés qui continueront d’assembler
des voitures à La Janais ? L’usine risque-t-elle de fermer comme celle d’Aulnay
ou peut-elle espérer de nouveaux modèles à construire ? Les auteurs apportent
des éléments de réponse.
Pierrick Baudais est journaliste à Ouest-France. Il a suivi durant plusieurs
années l’actualité économique du bassin de Rennes.
François Macquaire est juriste du travail à la CFTC.
15, rue de la Buhotière - 35136 Saint-Jacques-de-la-Lande
www.editionsdejuillet.com
Maquette & numérisation : Claire Gissot / Studio Bigot - www.studiobigot.fr
Crédits photographiques : Richard Volante
Achevé d’imprimer sur les presses de Chat Noir Impressions
Editeur : 978-2-36510 - ISBN : 978-2-36510-019-9 - Quatrième trimestre 2013