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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Ligue des Familles (Belgique),The Population Research Institute – Vaestoliitto (Fin-lande),UNAF, Union Nationale des Associations Familiales(France), The Family & Child Care Center (Grèce),C.O.F.A.C.E., Confédération des OrganisationsFamiliales de la Communauté Européenne (Belgique)
USAGES SOCIAUX DU TEMPS ET MIGRATIONS
—“LES FAMILLES A LA CROISEE DE L’ESPACE ET DU TEMPS”
—ACTES DE LA CONFÉRENCE EUROPÉENNE,
COMITÉ ÉCONOMIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN, BRUXELLES, 12 - 13 JANVIER 2004.
Avril 2004Rapport final du projet européen “Migration et temps : perspectives dedéveloppement durable dans le domaine familial”, COFACE — DG Emploiet Affaires sociales de la Commission Européenne / ProgrammeVP/2002/011, Ligne budgétaire B3-4102 : Actions d’analyses et deRecherches sur la situation sociale, la démographie et la famille, J.O. C112du 9 mai 2002.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
SOMMAIRE
AUTEURS (page 4)
CONTRIBUTIONS (page 5)
PRÉSENTATION GÉNÉRALE (page 7)
PRÉAMBULES (page 8)
Pr. 1 (page 8)
Pr. 2 (page 10)
Pr. 3 (page 13)
Pr. 4 (page 16)
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Synthèse — Préconisations (page 19)
PREMIÈRE PARTIE : Usages des temps
Présentation (page 41)
Chap. 1 : Temps, rythme, milieu (page 44)
Chap. 2 : Critique de l’approche usuelle par les statistiques (page 52)
Chap. 3 : Comment se construit une statistique européenne ? (page 64)
Chap. 4 : Conciliation des temps : éclairer les compétences invisibles à
l’œuvre dans la sphère domestique (page 79)
Chap. 5 : Les arrangement entre les sexes au sein des populations
migrantes (page 85)
DEUXIEME PARTIE : Le temps des sans papiers
Chap. 6 : L’usage des temps et la question des délais (page 89)
Chap. 7 : Le temps des sans papiers (page 94)
Chap. 8 : Le projet des migrants — Une affaire de temps (page 101)
Chap. 9 : Prestations familiales et regroupement familial — L’accès aux
droits sociaux des familles étrangères contrarié par les politiques
migratoires (page 113)
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
TROISIEME PARTIE : Migrations et temps
Présentation (page 135)
Belgique
Chap. 10 : Un projet d’enquête sur le temps des migrants (page 141)
Finlande
Chap. 11 : Une politique d’intégration plus active pour un pays
d’immigration de fraîche date (page 172)
Chap. 12 : L’utilisation du temps par les migrants - Activités et services
proposés (page 176)
Chap. 13 : The Use of Time - Services and Activities for Unemployed Im-
migrants in Finland (page 183)
France
Chap. 14 : Situation de l’immigration et débats méthodologiques
(page 202)
Grèce
Chap. 15 : Développement durable : les migrants à la croisée de
l’espace et du temps (page 228)
CLÔTURES
Cl. 1 (page 266)
Cl. 2 (page 269)
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
AUTEURS
ALIPRANTI Laura Centre National de Recherches Sociales, EKKE alipranti@germanosnet.gr
BRIESCH Roger Comité Economique et Social Européen, Belgique http…esc.eu.int
BRUN François Centre d’études de l’emploi, France francois.brun@mail.enpc.fr
CHOQUET Luc-Henry Union Nationale des Associations Familiales, France luc-henry.choquet@wanadoo.fr
CROFF Brigitte Brigitte Croff Conseil & Associés, France bgcroff@aol.com
DIEU Anne-Marie Ligue des familles, Belgique am.dieu@liguedesfamilles.be
DUCLOS Laurent Commissariat général du Plan, France lduclos@plan.gouv.fr
FOTAKIS Constantinos DG Emploi et Affaires sociales, Union européenne, Belgique http://europa.eu.int/comm/employment_social
GAUDIER Lydie Ligue des familles, Belgique l.gaudier@liguedesfamilles.be
HERMANGE Marie-Thérèse Parlement Européen http://webperso.easynet.fr/mhermange/F-site.htm
LAY William COFACE, Belgique http…coface-eu.org
LASSON Steen Mogens COFACE, Belgique http…coface-eu.org
MATH Antoine Institut de Recherches Economiques et Sociales, France antoine.math@ires-fr.org
MIKKONEN Anna The Population Research Institute –The Family Federation of Finland,Väestöliitto, Finlande mikkonenanna@hotmail.com
NIVIÈRE Delphine ENS Cachan - EHESS, France delphine.niviere@ensae.org
PAPADIMITRIOU Vivie, The Family & Child Care Center,Grèce kmop@teledomenet.gr
REA Andrea Université libre de Bruxelles, Belgique area@ulb.ac.be
SIGMUND Anne-Marie Groupe III, Comité Economique et Social Européen, Belgique http//…esc.eu.int
SÖDERLING Ismo The Population Research Institute –The Family Federation of Finland,Väestöliitto, Finlande ismo.soderling@vaestoliitto.fi
TAYLOR Graham DG Emploi et Affaires sociales, Union européenne, Belgique http://europa.eu.int/comm/employment_social
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
CONTRIBUTIONS
Parlement, Union européenne, Bruxelles
Marie-Thérèse HERMANGE
- Préambule 1
Comité Economique et Social Européen, Bruxelles
Roger BRIESCH, Président
- Préambule 2
Anne-Marie SIGMUND, Présidente du Groupe III
- Clôture 1
Commission Européenne, DG Emploi et Affaires sociales, Direction de la
protection sociale et de l’intégration sociale, Bureau des analyses
démographiques et sociales, Bruxelles
Constantinos FOTAKIS
- Préambule 3
Graham TAYLOR
- Clôture 2
COFACE, Bruxelles
Steen Mogens LASSON
- Préambule 4
Belgique
Anne-Marie DIEU (Ligue des familles, Bruxelles)
- Troisième partie, Présentation
Lydie GAUDIER (Ligue des Familles, Bruxelles)
- Troisième partie, Présentation
- Troisième partie, Belgique, Chap. 10
Andrea REA (Université libre de Bruxelles, ULB)
- Deuxième partie, chap. 7
Finlande
Ismo SÖDERLING (The Population Research Institute –The Family Federa-
tion of Finland, Väestöliitto, Helsinki)
- Troisième partie, Finlande, Chap. 11
Anna MIKKONEN (The Population Research Institute –The Family Federa-
tion of Finland, Väestöliitto, Helsinki)
- Troisième partie, Finlande, Chap. 12
- Troisième partie, Finlande, Chap. 3
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
France
François BRUN (Centre d’études de l’emploi, Noisy-le-grand)
- Deuxième partie, chap. 2
Luc-Henry CHOQUET (UNAF, Paris)
- Introduction générale : Synthèse — Préconisations
- Première partie, Présentation
- Deuxième partie, chap. 6
- Troisième partie, France, Chap. 14
Brigitte CROFF (Brigitte Croff Conseil & Associés, Ivry/Seine)
- Première partie, chap. 4
Laurent DUCLOS (Commissariat général du Plan, Paris)
- Première partie, chap. 1
- Première partie, chap. 2
Delphine NIVIÈRE (ENS Cachan, EHESS, Paris)
- Première partie, chap. 3
Antoine MATH (IRES, Noisy-le-grand)
- Deuxième, chap. 9
Grèce
Laura ALIPRANTI (Centre National de Recherches Sociales, EKKE)
- Première partie, chap. 5
Vivie PAPADIMITRIOU (The Family & Child Care Center,Athènes)
- Troisième partie, Grèce, chap. 15
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
PRÉSENTATION GÉNÉRALE
Cet ouvrage rassemble des contributions issues de quatre mouvements
familiaux d’importance nationale, la Ligue des Familles (Belgique), The
Population Research Institute - Vaestoliitto (Finlande), l’Union Nationale
des Associations Familiales (France), The Family & Child Care Center
(Grèce).
La mission avait pour objectifs le développement d’indicateurs et de
méthodologies d'analyse de la situation sociale en Europe, dans les
domaines de l’usage des temps et des migrations, en mettant l’accent sur
deux points :
- La collecte et la prise en considération d’informations plus qualitatives
liées à la prise en compte de la dimension familiale, de la vision subjective
des individus, de leur qualité de vie ;
- Le souci d’expérimentation de nouvelles pratiques démocratiques basées
sur la participation.
Une tendance a guidé ce projet européen coordonné par la C.O.F.A.C.E.
dans la perspective de la méthode ouverte de coordination (MOC) : c’est
le rôle constant des indicateurs, des méthodologies d'analyse, des
chiffres, des données statistiques et des comparaisons internationales,
dans les controverses et les débats en matière de politique européenne.
La constitution progressive d’un espace-temps européen accentue la “mise
en équivalence” des personnes et incite à l’unification des systèmes de
collecte permettant aux acteurs des politiques de réaliser les
dénombrements utiles au cadrage des actions. Partant, les actions
européennes ne peuvent que sortir renforcées de l’installation de
références acceptées uniformément et qui se substituent aux entrées
nationales.
En réalité, cette mission intitulée dans un premier temps “Migration et
Temps : Perspectives de Développement durable dans le domaine
familial”, avait pour objectifs d’aboutir à un certain nombre de
préconisations utiles à rendre effectives et concrètes les actions
d’analyses et les recherches sur la situation sociale, la démographie et la
famille en s’éloignant des généralisations trop sommaires qui réduisent les
possibilités de qualifier les situations.
Au cours du déroulement des travaux, plusieurs réunions et séminaires
ont rassemblé les membres des associations engagés dans l’opération et,
fréquemment, des experts appelés sur tel ou tel aspect de la question.
Les principaux résultats de la mission ont été présentés à l’occasion d’une
conférence européenne, les 12 et 13 janvier 2004 à Bruxelles, dans le
cadre du Comité Economique et Social Européen, dont sont tirées les
contributions du présent ouvrage, à la seule exception de la Finlande pour
qui a été rajouté aux transcriptions en langue française des deux
conférences le texte rédigé en anglais d’une contribution à la mission.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Préambule 11
MARIE-THÉRÈSE HERMANGE
Je tiens à vous rendre hommage pour votre action, imaginative, concrète,
de proximité, afin de rendre plus humaine la problématique des
migrations à travers la nécessaire prise en compte de ses dimensions
familiale et humaine.
Il semble que cette réflexion est essentielle surtout dans le contexte
actuel où le phénomène des migrations s'est imposé avec force dans
l'agenda politique des Etats membres de l'Union européenne. Au cours des
dernières années, plusieurs actes ont été proposés ou adoptés afin de
mettre en place une politique commune en matière de migration et de
droit d’asile, respectueuse du droit à la vie de famille, tel que défini par
l'art. 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Le Parlement européen a donné récemment son feu vert à deux nouvelles
initiatives visant à muscler la coopération entre la Commission
européenne et les Etats membres en matière d'immigration. La première
est une proposition de règlement portant création d'un réseau pour les
officiers de liaison "immigration" détachés par les Etats membres dans des
pays tiers. La seconde est un plan d'action destiné à améliorer les
statistiques au niveau européen.
La Commission européenne s'attelle également à la mise en place d'un
Observatoire des migrations chargé de fournir à l'Union des informations
de meilleure qualité sur les tendances et les politiques migratoires.
Cette démarche importante s'inscrit dans la perspective de la méthode
ouverte de coordination qui, sans générer d'activité législative, a pour
objectif d'optimiser l'usage des données nationales existantes en matière
des migrations au niveau européen.
Votre engagement dans le projet européen est essentiel puisqu'il met tout
particulièrement l'accent sur la collecte et la prise en considération
d'informations plus qualitatives liées à la prise en compte de la dimension
1 [Note de la rédaction : Madame Marie-Thérèse Hermange, députée au Parlementeuropéen, qui était en déplacement à Strasbourg dans le cadre de son activitéparlementaire, avait tenu à adresser un message aux participants de la Conférenceeuropéenne des 12 et 13 janvier 2004, relative au projet européen "Migration etTemps: perspectives de développement durable dans le domaine familial", dont leprésent rapport constitue les actes.]
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
familiale, de la vision subjective des individus ainsi que de leur qualité de
vie.
Cet aspect semble primordial car il semble que le phénomène de
migrations n'est pas perçu dans sa globalité.
En effet, les organes compétents se focalisent presque exclusivement sur
une seule des deux faces de la médaille, celles des politiques ou celles des
mécanismes de contrôle. Or, de cette façon, on dissimule la "dimension
quotidienne" des personnes migrants , certes moins visible, mais plus
importante au plan de l'impact social, culturel et économique.
Votre projet démontre la nécessité d'opérer un important changement
dans la manière de penser la problématique des migrations qu'on a
tendance à considérer aujourd'hui trop souvent parmi les "urgences"
auxquelles on ne répond que par des interventions d'ordre public. En
réalité, derrière les considérations d'ordre purement technique dans le
domaine des migrations il nous faut faire une large place à la dimension
humaine, synonyme d'avenir et d'espoir.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Préambule 2
ROGER BRIESCH
C’est un grand plaisir d’ouvrir en compagnie du Président de la COFACE
les actes de la conférence qui a eu lieu en janvier au sein du Comité
Économique et Social Européen.
Nos responsabilités communes mais diverses, tendues vers un même
objectif, sont de contribuer à construire une société plus juste, plus
humaine, plus fraternelle. Nous sommes appelés avec encore plus de
détermination à être par notre réalisation des créateurs d’espoirs.
Cette maison est la vôtre à un double titre : D’une part, parce que vos
organisations sont d'une manière ou d'une autre représentées au sein du
Comité, d’autre part, parce que le comité en tant que lieu institutionnel de
représentations et de débats des organisations de la société civile, a
vocation à accueillir faciliter et enrichir ce type d’événement.
“Les familles à la croisée de l’espace et du temps”, le thème du rapport et
de la conférence est à la fois orignal et légitimement ambitieux. Il est
certainement de ceux, au combien nécessaire, dans la période actuelle,
qui sont de nature à donner une âme à l’Europe.
Cette initiative au nom du Comité Économique et Social Européen m’offre
aussi l’opportunité de mesurer le chemin parcouru ensemble avec vos
organisations ainsi qu’avec la COFACE.
Certes, on peut le déplorer la dimension familiale est insuffisamment
affirmée dans le traité européen.
Néanmoins, elle a toujours tenu une grande place dans les travaux
consultatifs du Comité Économique et Social Européen.
Nombreux sont les avis du Comité Économique et Social Européen
concernant directement la famille, ou intégrant la dimension familiale.
Que ce soit en liaison avec le monde du travail ou, plus généralement, sur
des questions de société.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
A partir des thèmes aussi variés et fondamentaux que les congés
parentaux, les familles monoparentales, la conciliation de la vie
professionnelle et familiale, la lutte contre l’exclusion sociale et la
pauvreté ou encore le logement, le Comité Économique et Social c’est
toujours fortement exprimé en faveur de la préservation de la solidarité
familiale.
Ses différentes prises de positions méritent d’autant plus d’être
soulignées, qu’elle résulte d’une coopération et d’une application efficace
de vos représentants, et surtout qu’elle est portée par une Institution, le
Comité Économique et Social, qui est un organe de synthèse, permettant
la confrontation de points de vue différents, voire nettement divergents et
d’aboutir à l’adoption de compromis dynamiques.
Allons plus loin : l’équilibre entre travail et vie familiale est difficile à
préserver. A cet égard, de nouvelles formes de travail flexible sont à
double tranchant : elles peuvent s’adapter aux besoins familiaux, mais
elles peuvent aussi être source de stress et d’intensification du travail, au
détriment du temps et de la qualité du temps passé en famille. Ce défi
risque de devenir plus grand encore dans le cadre de l’élargissement.
Dans les nouveaux pays, l’adhésion, la semaine de travail dure en
moyenne 44,4 heures, alors qu’elle est en moyenne de 38,2 heures dans
les pays de l’actuel Union Européenne. Il y a là un défi important, des
horaires de travail plus chargés ne doivent plus jouer au détriment de la
vie familiale.
Le Comité Économique et Social a soutenu la directive sur le temps de
travail, et proposait de développer des formules négociées, d’adaptation
du temps de travail, tenant compte du contexte du secteur et de la nature
des emplois. Car la flexibilité doit, là aussi, préserver deux ambitions :
assurer une meilleure productivité, tout en intégrant la dimension
familiale.
Concernant les familles migrantes autre thème important de votre
conférence, le Comité c’est également exprimé avec force et vigueur. Le
temps consacré à la famille par les travailleurs migrants des pays tiers, en
effet, ne peut se faire et se développer que si un droit au regroupement
familial est affirmé dès le départ.
C’est pourquoi le Comité Économique et Social Européen a défendu avec
des organisations comme les vôtres, la nécessité de réforme législative et
d’une législation européenne d’harmonisation. Le Comité Économique et
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Social Européen c’est exprimé en faveur du regroupement familial pour les
résidants des pays tiers, tant parce qu’il le considère comme un des droits
fondamentaux des personnes immigrés et réfugiés, qu’en raison de son
importance dans le processus d’intégration.
La proposition de directive de la commission de 1999 sur le regroupement
familial avait apporté une première réponse. Elle définissait un cadre
juridique commun pour les conditions d’entrées et de séjours des
ressortissants des pays tiers, et garantissait de façon claire et uniforme le
droit au regroupement familial. Malheureusement, cette proposition
soutenue par le Comité Économique et Social, a été fortement modifiée,
limitée dans sa portée par le Conseil. Sur ce problème, comme sur
d’autres, ils nous faut poursuivre notre action et nos interventions pour
être compris, entendu.
Qu’ils s’agissent de citoyens des Etats membres ou de ressortissants des
pays tiers, votre discussion d’aujourd’hui, apportera sûrement une valeur
ajoutée au débat européen. Consacrer du temps au temps et affirmer les
droits fondamentaux de la vie familiale, y compris dans le contexte des
migrations, sont des thèmes essentiels pour le développement durable
d’une société mobile, multiculturelle, équilibrée.
Ma conclusion sera donc simple : sur ces sujets essentiels comme sur
d’autres, la coopération entre nous est naturelle et fructueuse.
Elle l’est pour le Comité, parce que vous nous sensibilisez davantage et en
détail à une dimension essentielle de la société européenne.
Elle l’est également pour vos organisations, car le Comité vous offre une
enceinte unique de synthèse qui vous permet de présenter, de discuter et
de diffuser vos analyses et vos propositions dans l’intérêt commun.
Au nom du Comité Économique et Social et en mon nom propre, je vous
souhaite donc, non seulement la bienvenue chez nous, mais le plus grand
succès au résultat de ces travaux.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Préambule 3
CONSTANTIN FOTAKIS
Monsieur le Président du CES, Monsieur le Président de la COFACE,
Chers représentants des Etats membres, j’aimerais remercier les
organisateurs de l’occasion qu’ils me donnent aujourd’hui, de
partager avec vous mon expérience et suis également heureux de
prendre connaissance de ce qui a été élaboré sur ces sujets très
importants qui touchent à l'inclusion sociale des familles migrantes.
J’aimerai ici, mettre l’accent sur les intérêts spécifiques sur lesquels
nous nous concentrons. La Commission Européenne considère la
famille comme une pierre angulaire de la société actuelle, dans nos
pays, même si elle ne dispose pas d'une compétence légale spécifique
pour développer des politiques dans le domaine de la famille. Ainsi, la
famille et les questions familiales sont, aux yeux de la Commission,
intrinsèquement liées aux politiques sociales européennes telles que
la Stratégie Européenne pour l'Emploi ou la Stratégie Européenne
d'Inclusion Sociale.
C’est la raison pour laquelle d'année en année la Commission accorde
une place grandissante à la dimension familiale dans la définition de
ses orientations politiques. Si je peux me permettre de résumer la
question familiale, nos sociétés d’aujourd’hui se trouvent face à un
paradoxe : d’un côté, nos sociétés mettent de plus en plus l’accent
sur l’importance de la famille mais, en même temps, nous sommes
les témoins d’une réelle transformation de ce concept de la famille et
cette transformation conduit à ce que la famille n’est peut-être plus
capable d’apporter tout ce qu’elle apportait auparavant à ses
membres. Nous faisons face également à un vieillissement certain de
la population européenne et ceci représente un réel fardeau pour les
familles, parce que ce sont les familles qui, en tout premier lieu,
prennent soin des personnes âgées. Les familles ne se concentrent
pas uniquement sur leurs enfants mais s’occupent également de leurs
parents, des personnes âgées.
Pendant ces 50 dernières années, l’accent a été mis sur la
participation des femmes à la vie sociale et à la vie économique de
nos pays. Le rôle des femmes a donc été profondément modifié et
nous devons faire face à ce nouveau défi. Un défi qui s’adresse à la
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
fois à la population féminine mais également à nous tous, puisque le
rôle des femmes qui change au sein de la société a également un
impact direct sur le rôle qu’elles jouent au sein de leur famille. Les
hommes sont en conséquence également concernés.
Nous faisons face également à un autre phénomène : de plus en plus
de jeunes, aujourd’hui, en Europe, demeurent chez leurs parents, au
foyer familial qu’ils quittent de plus en plus tard. En Italie par
exemple, 50% des jeunes hommes et des jeunes femmes de plus de
30 ans vivent encore avec leurs parents, ce qui veut dire que le
soutien parental financier entre autres est encore lourd pour ces
familles et ceci a des conséquences directes sur l’emploi des parents.
Le fait que ces jeunes restent chez leurs parents, bien entendu, leur
évite d’être exclus de la société. Mais ce n’est pas sans conséquences
sur le marché de l’emploi. Nous pensons, en ce sens, qu’il serait utile
de conduire davantage de recherches sur la famille et sur ces jeunes
qui demeurent de plus en plus longtemps chez leurs parents et sur les
conséquences qu’il faut tirer de cette tendance de société.
Nous faisons face ainsi à un nouveau type de famille. Nous avons un
âge moyen du premier mariage qui ne cesse d’augmenter, nous
avons également un taux de divorce qui ne cesse d’augmenter
surtout au sein des pays très développés. Nous devons également
constater un nombre croissant d’enfants nés hors mariages, de
nouvelles formes de familles, des familles monoparentales, des
familles hors mariage, des familles recomposées, à l’instar des pays
scandinaves où plus de 45% des enfants sont nés hors mariage.
De nouveaux types de familles émergent au sein des 15, mais aussi
de nouveaux types de familles migrantes, sur lesquelles nous devons
également nous pencher puisqu’elles vivent en Europe. Ces familles
ont des cultures différentes, des habitudes différentes, des us et
coutumes différents.
Etant donné le vieillissement de la population européenne, nous
pensons qu’il nous faut davantage nous pencher sur ces questions de
la migration. Ce n’est pas uniquement davantage de main d’œuvre
pour les 15 ; c’est aussi une question liée au vieillissement de la
population. En période de croissance économique par exemple, on se
rend compte que les pays qui ne disposent pas de ressources
humaines suffisantes perdent un réel potentiel de croissance. Lorsque
la croissance est là, il faut en profiter au maximum, parce qu’elle
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
n’est pas éternelle, et qu’on risque toujours de faire face à une
récession.
C’est la raison pour laquelle je pense que l’étude qui est présentée est
très intéressante parce qu’elle explore un domaine particulièrement
utile, un domaine qui nous permettra à l’avenir de mieux sculpter et
de mieux modeler notre politique de migrations au niveau
communautaire.
A l'issu du sommet de Thessalonique, en Grèce, qui s’est concentré
sur ces questions, le Conseil Européen a invité la Commission à
présenter un rapport annuel sur l'immigration et l'intégration en
Europe. Ce rapport sera publié en Juin 2004 et nous serions très
heureux que les résultats de cette action contribuent à enrichir les
travaux qui y sont présentés.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Préambule 4
STEEN MOGENS LASSON
Tout d’abord, une brève présentation de la Confédération des
Organisations Familiales de la Communauté Européenne (COFACE1).
En tant que porte-parole des organismes de famille auprès de l’Union
Européenne, la COFACE tâche de favoriser la dimension de la famille dans
les politiques de la Communauté. Constituée en 1958 en Comité d'Action
Européenne au sein de l'Union Internationale des Organismes Familiaux
(UIOF), la COFACE a acquis progressivement son autonomie. En 1979, elle
a pris le statut d'une association internationale sans but lucratif, sous le
nom de la Confédération des Organisations Familiales de la Communauté
Européenne et à présent, de l'Union Européenne. C’est une organisation
qui rassemble des organisations familiales nationales à caractère général
ou organisées autour d'un intérêt familial spécifique. Elle compte à ce jour
70 organisations réparties dans 14 Etats membres de l'Union européenne.
Elle représente ainsi plusieurs millions de parents et d'enfants.
De nombreuses décisions prises au niveau européen touchent directement
les familles et les enfants. C'est le cas dans le domaine économique et
social et aussi dans beaucoup d'autres domaines importants tels que la vie
des familles, la consommation et l'environnement, l'éducation, le
handicap, le logement, la santé et le développement rural. La liste n'est
pas exhaustive.
L'incidence des politiques européennes sur les familles et les enfants est
telle que l'élaboration progressive d'une politique familiale et de l'enfance
européenne s'impose. Cette politique peut se définir comme étant la
dimension familiale et de l'enfance à donner aux politiques économique,
sociale et culturelle développées au niveau européen.
Pour promouvoir une telle politique, la COFACE agit dans trois directions
complémentaires : elle est, comme porte-parole des organisations
familiales, l'interlocuteur des instances européennes dans tous les secteurs
où les droits et les intérêts des familles et des enfants sont impliqués ; elle
informe les organisations nationales des développements de l'Union
européenne et encourage une prise de conscience européenne ; elle
organise des échanges d'idées et d'expériences et une entraide entre les
organisations familiales des divers pays. L'action de la COFACE a contribué
au développement de la politique européenne dans des secteurs comme la
défense des intérêts des consommateurs, la protection sociale, la lutte
contre l'exclusion sociale et la discrimination, les programmes d'aide aux
1 [Note de la rédaction : http://…: www.coface-eu.org]
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
personnes handicapées, de promotion de la santé et de l'éducation. Ainsi,
la politique familiale et de l'enfance prend progressivement place dans le
champ d'action européen. La COFACE entend poursuivre son travail dans ce
sens. En outre, elle élargit son action aux pays qui envisagent de rejoindre
l'Union Européenne. Des contacts sont entretenus avec les pays d'Europe
centrale et orientale qui s'associent à l'UE. Les statuts de la COFACE
encouragent ces développements. La COFACE entend intensifier sa
collaboration avec les institutions européennes et leur demande de prévoir
un fondement juridique incontestable de la politique familiale et de
l'enfance européenne dans le Traité de l'Union ; d'être consultée dans tous
les secteurs où la dimension familiale et de l'enfance des politiques
européennes est impliquée; d'organiser chaque année une réunion du
Conseil des ministres ayant la politique familiale et de l'enfance dans leurs
attributions.
Cette mission n'est certainement pas la première que la COFACE a menée
sur les questions de la migration et les questions des usages du temps,
mais c'est la première fois que les deux thèmes sont articulés ensemble. Ce
qui constitue une expérience très originale et stimulante pour une
organisation de familles. La préoccupation n'a jamais été absente de nos
esprits et dans les années 80, la COFACE avait déjà installé un groupe de
travail sur les familles migrantes et réalisé une étude extrêmement
importante, qui a été fortement appréciée par la Commission Européenne.
Nous avons examiné l'exécution de la directive 1977 concernant la
scolarisation des enfants migrants en mettant l’accent sur les aspects
positifs mais, également, sur les imperfections de la mise en application de
la directive par les Etats membres. Plusieurs, en effet, éprouvaient
quelques difficultés, notamment avec la diffusion simultanée de la langue
du pays d'accueil et de la langue d'origine. Bien que cette directive ne
concerne que les ressortissants des Etats membres, elle avait une portée
évidente en direction des migrants de pays tiers.
Dans les années 90, nous avons continué à étudier les problèmes liés aux
dimensions familiales des migrations et avons fait bon accueil à l'idée d'une
directive européenne concernant le regroupement familial. Nous avons
organisé une conférence en 1995 sur cette question et avons discuté ses
conclusions à notre Conseil d’administration, insistant sur le besoin des
migrants de vivre en famille. Nous sommes également devenus membre
de la coordination européenne pour le droit des étrangers de vivre en
famille (www.coordeurop.org). Ainsi les thèmes de la conférence et du
rapport ne sont pas inconnus à la COFACE.
Pour ce qui concerne les usages du temps, les organismes européens qui
représentent les familles soulignent fréquemment l'importance de cette
question. De plus, la COFACE met l’accent pour définir les besoins de toutes
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
les familles sur trois aspects : les familles ont besoin de ressources
financières, de services et de temps. Ces trois aspects permet de
synthétiser la politique de la famille et chacun des trois éléments a reçu un
traitement spécifique au niveau de l’Union : l'aspect temporel a donné lieu
entre autres à une directive européenne concernant le congé parental en
1996.
La COFACE avait incité dés 1983 à l'adoption d'une telle directive mais son
ébauche a été bloquée pendant plus de dix années par un Etat membre et
seulement adoptée en 1996 grâce à un changement de gouvernement et à
l'exécution du Traité de Maastricht qui prévoyait la négociation collective
entre les partenaires sociaux au niveau de l’Union.
Bien que la directive ne soit pas parfaite en raison de son manque de
disposition en matière d’aide financière accordée aux parents prenant le
congé en vue d’accompagner leurs enfants, c'est une étape très importante
pour les familles européennes en termes de traduction de l’idée selon
laquelle l’Union prend réellement des mesures en faveur de ses citoyens. Le
rôle de la COFACE a d’ailleurs été décisif dans l’adoption de cette directive.
En somme, les migrations et les usages sociaux du temps ne sont pas des
sujets inédits pour nous quoique demeure, dans ces deux domaines,
beaucoup à faire au niveau de l’Union.
Nous pouvons découvrir de nouvelles perspectives en étudiant le rapport
entre les deux axes, au niveau de l’Union comme au niveau national. D’où
l’intérêt particulier de cette mission engagée dans le cadre d’une
convention avec la Commission Européenne.
Nous espérons que les lecteurs apprécieront.
- 18 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
INTRODUCTION GÉNÉRALE : SYNTHÈSE — PRÉCONISATIONS
Luc-Henry CHOQUET
1 — Introduction
Cette rencontre d’équipes provenant de quatre pays a été organisée
conventionnellement par la COFACE et la DG Emploi et Affaires sociales de
la Commission, dans le cadre d’un programme d’actions, d’analyses et de
recherches sur la situation sociale, la démographie et la famille.
L’objet était d’indiquer des pistes en matière de méthodologies d'analyse
et de développement d’indicateurs concernant la situation sociale en
Europe dans deux domaines, les usages sociaux des temps et les
migrations, en mettant tout particulièrement l’accent sur trois points :
- une meilleure prise en compte de la dimension familiale,
- une meilleure prise en compte de la vision subjective des individus, de
leur qualité de vie,
- un souci d’expérimentation de nouvelles pratiques démocratiques basées
sur la participation.
Le travail en commun était conduit, en vue de la tenue d’une conférence
européenne et de la réalisation d’un rapport sur ces deux thèmes en
mettant l’accent sur ces points. L’objectif était donc de nature
méthodologique renvoyant à des questionnements multiples sur les
approches, les catégories , les variables, à partir des contextes nationaux
des quatre pays européens (Belgique, Finlande, France, Grèce) et, en
conséquence, à travers les avancées législatives récentes et les
controverses politiques et scientifiques sur les deux thèmes.
Néanmoins, l’objectif ne pouvait pas être atteint sans une interrogation
des pratiques d’observation et de recueils statistiques et qualitatifs en
matière d’immigration et d’usages sociaux des temps. En effet, notre
objet ne pouvait être cantonné à un état des lieux détaillant la nature des
recueils en la matière.
Partant, nous avons tenu à souligner les avantages à tirer de la prise en
compte de facteurs précédemment ignorés ou laissés dans une sorte
d’invisibilité, dans les trois dimensions qui fondaient la pertinence du
projet : la dimension familiale, la vision subjective des individus, la
facilitation de leur participation.
De plus, cette analyse a pu avantageusement prendre en considération la
diversité des expériences nationales concernant les thèmes choisis et
- 19 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
utiliser l’effet propre à la dimension comparative quand elle combine
heureusement le dépaysement et le rapprochement. Néanmoins, il y avait
là plusieurs difficultés dont il faut prendre, d’emblée, la mesure.
2 — Les difficultés du projet
2.1 — Les difficultés de l’approche comparative.
2.1.1 - Les institutions européennes ont installé les comparaisons
internationales comme un point de passage obligé de la recherche dans
les domaines économique et social. Mais plusieurs exemples ont rendu
perceptible la difficulté de ces comparaisons. Parmi eux, on peut citer le
rapport de 1999 intitulé Au-delà de l’emploi, qui explorait en détail ces
questions1.
Lorsqu’on se place, en effet, au niveau requis par l’analyse des situations
concrètes, par les catégories d’analyses, des problématiques qui
paraissaient à première vue semblables, voisines ou, au moins,
comparables, se révèlent fréquemment disparates. On illustrera ce point
d’un seul exemple, en considérant les situations nationales sur le plan de
l’immigration qui sont très différentes.
Evolution 19702000 et 199019952000
Immigrés 1970-2000Evolution
1990199520002
Stock Proportion Stock Proportion Proportion Proportion
2000 1970 1970-2000 1995-2000/1990-1995
En millier % En millier % % Millier/millier = %
Belgique 879 8.58 680 7.04 22 65/85 = 0.76
Finlande 134 2.59 32 0.70 271 21/43 = 0.49
France 6277 10.60 5210 10.26 3 194/361= 0.54
Grèce 534 5.04 90 1.02 394 173/265 = 0.65
Un. Eur. 25673 7.02 14232 4.18 68 2959/5234 = 0.57
Source : O.N.U. et Eurostat
La Finlande est un pays d’immigration peu nombreuse, récente et
composée de personnes d’origine finlandaise, justement, ayant émigré
précédemment dans les Etats de l’ancienne Union soviétique. En Grèce,
pays fortement attracteur, la perspective à un peu plus de dix ans est de
25 % de la population résidente issue de l’immigration en majeure partie
d’origine albanaise. Très différemment, la France et la Belgique sont
1 Supiot (A.), Au delà de l'emploi : transformation du travail et devenir du droit du travailen Europe, Flammarion, 1999.2 Quotient entre le nombre d’immigrés entre 1995 et 2000 et le nombre d’immigrésentre 1990 et 1995
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
traditionnellement des pays d’immigration où la présence d’une population
immigrée demeure assez stable, de l’ordre de 7,5 % de la population
totale pour la France.
Face à cette variété, il faut se garder d’adopter des attitudes extrêmes :
- la première serait de s’en tenir aux écarts et de s’interdire les
rapprochements utiles pour penser dans l’espace communautaire ces deux
questions de l’usage des temps et des migrations ;
- la seconde serait à l’opposé de ne pas prendre en considération ces
disparités et de proposer des réflexions méthodologiques qui nivelleraient
ou gommeraient totalement les situations nationales.
Notre projet, en ce sens, entendait se situer à l’opposé d’un Procuste, ce
célèbre brigand de la mythologie, qui arrêtait les voyageurs et les
attachait, les grands sur un petit lit et les petits, sur un grand lit, coupant
ensuite les membres qui dépassaient et étirant ceux qui étaient trop
courts.
En réalité, des problématiques ont pu être dans les quatre Etats membres
saisies de façon transversale et elles ont été classées à partir d’axes sur
lesquels nous reviendrons.
2.1.2 – Ces différences ont pu peser dans le déroulement du travail dans
la mesure où la convergence entre les termes ne correspondait pas
toujours à une identité des procédures et dans la mesure où la substance
en était différente.
Le rapprochement entre les différents pays permettait de cerner, de façon
comparative, les divers concepts utilisés pour établir les enquêtes et les
données statistiques relatives à la population étrangère ou plus
généralement aux populations issues de l'immigration.
Pour cerner le ou les concepts les plus utilisés pour identifier ces
populations, notons que les quatre pays retiennent le critère de
"nationalité" pour définir leur concept de "population étrangère". Mais on
ne peut parler d'harmonisation entre eux car le concept est variable et
peu adapté pour décrire la réalité actuelle et l'écart entre le nombre de
personnes de nationalité étrangère et celui des personnes issues plus ou
moins directement de l'immigration s'agrandit.
La dénomination "population étrangère" est utilisée par les quatre mais
trois seulement utilisent la dénomination "population née à l'étranger". Le
critère permettant d'identifier cette population est le "pays de naissance"
et la Grèce ne dispose pas de tabulations concernant la population
ventilée selon le pays de naissance.
Mais les personnes, nées à l'étranger de parents qui sont nationaux et nés
dans le pays, sont comprises et les personnes, de nationalité étrangère
des seconde et troisième générations qui sont nées dans le pays, sont
exclues.
La France affine le concept en définissant le concept de population
immigrée par la combinaison des critères de "nationalité", de "lieu de
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
naissance", qui conduise à appeler “immigrés” les personnes nées à
l'étranger, entrées sur le territoire avec une nationalité étrangère et
résidant en France depuis un an au moins, en bref, les “résidents nés
étrangers à l'étranger”. En France, est immigrée une personne née hors
de France, qui a une nationalité étrangère ou est devenue française. Le
tableau suivant résume la situation de l'usage dans les pays :
* : dénomination utilisée
— : non utilisée
Source : Eurostat
Le rapport intermédiaire avait déjà rendu compte du débat récurrent en
France sur l’usage de catégories "ethniques", dans la statistique publique,
débat qui mêle des aspects politiques, idéologiques et scientifiques et qui
rebondit de deux façons :
- avec l’introduction de réflexions sur la pertinence de l’auto-
déclaration des personnes ;
- avec l’interrogation sur la pertinence, en matière d'intégration, du critère
juridique de la nationalité par rapport à l'histoire des flux migratoires qui
réclamerait d'appliquer des modèles statistiques d’âge d’entrée, de date
d’entrée (cohortes) et de durée de séjour.
2.1.3 - Une autre difficulté de l’approche comparative a résulté du fait que
le groupe des pays représentés ne comprenait que quatre des Etats
membres de l’Union et que l’exemple anglo-saxon n’était pas représenté.
Le groupe, de façon délibérée, n’a pas tenté de prendre en compte la
situation des pays non représentés en son sein, car il n’était pas possible
dans les délais impartis de l’envisager sérieusement et de façon
suffisamment systématique et détaillée. Cela explique que la conférence
et le rapport sont exclusivement composés des analyses et des
informations communiquées par les membres des quatre groupes sur
chacune des situations nationales. Le vœu des membres demeurant que
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Terme B Fin F G
“population étrangère” * * * *
“population née à
l'étranger”
* * * —
“immigré ” — * * —
“2d et 3ème génération” — — * —
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
les orientations proposées par le rapport permettent, simplement mais
nettement, d’ouvrir un débat sur l’enrichissement des approches dans les
domaines des temps et des migrations, à travers une prise en compte
plus intensive et plus compréhensive, autrement dit, à l’instar de ce que
proposait Max Weber, en se penchant sur l'appréciation subjective que les
acteurs sociaux se font de la réalité et au sens qu’ils donnent à leur
action.
2.2 — Difficultés, enfin, liées à l’ampleur des thèmes. Les aspects de la
réalité sociale sur lesquels nous avons engagé la réflexion expriment un
état de la société, dans ses dimensions sociologique, économique,
juridique, politique et culturelle. Partant, il n’était pas possible de réfléchir
à des préconisations orientées à partir des objectifs indiqués, dont la
dimension familiale ou subjective, sans les rapporter à l’évolution des
pratiques, en matière législative et sans prendre en considération les
débats et les controverses récentes. D’où la nécessité d’un partage des
connaissances qui a conduit au rapport intermédiaire qui précisait ces
questions. Mais, pour être fructueux, ce partage devait se préserver d’une
trop forte réduction, autrement dit, d’un écrêtage des disparités entre les
situations nationales ou, a contrario, d’une hypertrophie des différences,
bref, du risque de l’abstraction ou de la prolifération des phénomènes
étudiés.
3 — L’impératif de méthode
Face à ces difficultés, nous ne pouvions qu’être amenés à adopter une
certaine prudence, dans les orientations de notre travail et dans la
formulation de ses résultats. Nous ne pouvions apporter des réponses très
amples aux problèmes soulevés. Le mieux auquel nous sommes parvenus
pour inciter à la prise en considération d’informations plus qualitatives
liées à la prise en compte de la dimension familiale, à la vision subjective
des individus de leur qualité de vie, au souci d’expérimenter de nouvelles
pratiques basées sur la participation, a consisté à tenter de croiser, autant
que faire se pouvait, nos sources nationales, à les soumettre à la
discussion et à la critique.
Cet impératif de méthode a guidé l’organisation de nos travaux. Ceux-ci
ont principalement consisté à partir des comparaisons et des
confrontations en une réflexion de nature prospective conduite parmi
notre groupe qui a sollicité, tout au long de la mission, les avis d’un large
éventail d’experts extérieurs représentatifs des institutions de la
recherche, de la statistique et des affaires sociales des quatre partenaires.
Cette approche family and subjective friendly, des deux questions de
l’usage des temps et des migrations a bénéficié de l’effort du groupe de
replacer dans leur contexte ces questions. Le relevé des points de vue
- 23 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
sociaux, institutionnels et culturels permettant de poser des liens entre les
représentations de ces questions et les propositions affichées.
Toutefois, nous avons peiné à trouver, malgré cet effort de replacement
dans leur contexte, une présentation des résultats où l’éventail des
différences pouvait apparaître d’une façon maîtrisée. Il faut y voir l’effet
du décalage entre le temps nécessaire à une telle investigation et le délai
relativement court qui nous était imparti.
Néanmoins, les résultats doivent, à coup sûr, leurs intérêts au caractère
collectif des réflexions du groupe qu’ils traduisent. Nourris des échanges
réalisés et confrontés à la pluralité des expertises qui ont accompagné le
déroulement des réunions, ils ont permis de formuler les considérations et
les recommandations qui ont été d’ores et déjà présentées de façon plus
ou moins diffuses et foisonnantes dans les contributions belge, finlandaise,
française et grecque.
On peut souligner d’ores et déjà quelques mérites comme celui de
commencer à rassembler des éléments de comparaison de la question des
migrations, des analyses comparatives ponctuelles, des éléments
d’enquêtes fragmentaires de ces systèmes, d'offrir en quelques points
soumis à la discussion une esquisse d’examen du temps des migrants,
notamment des personnes non régularisées dites “sans papiers”, que les
évolutions des techniques d’enquête n’ont pas rendu moins opaque, afin
d'appuyer certaines des orientations proposées sur son observation.
Dans un premier temps, à l’issue de réunions du groupe de pilotage et
d’un séminaire européen, un rapport intermédiaire a été produit auprès de
la Commission dont chacune des contributions présentait l’architecture
suivante :
1 ère partie : Usage des temps a- Les problématiques récentes et leur actualisation législativeb- Les débats scientifiques et statistiquesc- L’analyse de la manière dont la question du temps est instruite dans lesappareils statistiques nationaux et les manques dans les croisementsstatistiques actuels concernant les usages des temps dans la famille
2 ème partie : Migrations a- la législation en matière de nationalitéb- les principaux débats politiques, idéologiques et scientifiquesc- les distinctions immigrés, étrangers, réfugiés, demandeurs d’asile,…d- les manques dans les croisements statistiques entre les variablesrelatives aux étrangers, immigrés,…, et les variables relatives à la famille
La deuxième phase a abouti à la Conférence européenne, au Comité
économique et social européen, à Bruxelles, les 12 - 13 Janvier 2004,
dont le présent rapport présente les actes complétés de quelques
contributions rédigées par des experts absent lors de la conférence.
En réalité, il est frappant que les membres du groupe et les experts se
soient attachés à des évaluations méthodologiques des enquêtes budget-
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
temps et des approches statistiques de la question migratoire pour
proposer des inflexions qui situent clairement leur contribution au débat
sur les approches statistiques européennes de ces questions.
Ces choix procédaient de la conviction que notre époque tend à mettre au
premier plan la question du partage des temps sociaux entre homme et
femme et, ce faisant, la question de l’égalité, qui a vocation plus loin à
prendre en considération la question des droits et de la qualité de vie des
migrants.
Ces choix appelaient la formulation de recommandations d’un point de vue
épistémologique. Nous voudrions nous arrêter à quelques unes de ces
suggestions en traitant successivement des enquêtes temps et des
approches statistiques du temps des migrants. Le lecteur y trouvera des
renvois aux chapitres suivants.
4 — L’approche des temps sociaux
4.1 – L’approche des temps sociaux est une question d’actualité que le
groupe au cours de l’ensemble de la mission a souhaité, en vue de
souligner la dimension familiale et subjective des individus, envisager
dans son inflexion en termes d’arrangement entre hommes et femmes.
Le constat de base est que les transformations actuelles des formes de vie
introduisent fréquemment des nouveaux partages qui peuvent
s’additionner aux facteurs de discrimination qui trouvaient leur origine
dans les modes de vie traditionnels dont l'organisation du travail et, en
réalité, les réelles évolutions juridiques et le mainstream laissent
échapper malgré cela des facteurs réels de discrimination nés de la
division sexuelle du travail et de la répartition des tâches domestiques
auxquelles contribuent les disparités salariales et la plus grande flexi-
bilisation des horaires...
L’angle d’attaque de l’approche des temps sociaux a longtemps considéré
la “déstructuration” de la vie familiale par les conditions de travail avant
d’examiner la contrainte issue de la vie privée elle-même.
Aujourd’hui, on commence à observer d'un pays à l'autre les différences
attachées aux caractéristiques des situations de travail, de statuts
d'emploi ou aux décalages d'une catégorie à l'autre et aux contraintes
issues de la vie privée. L’analyse des contextes économiques, sociaux,
institutionnels et culturels permet de faire le lien entre les conceptions, les
enjeux des politiques du temps et les préférences affichées.
Par exemple, dès lors que les femmes sont nombreuses sur le marché du
travail, à plein temps dans le cas de la Finlande ou de la France, elles ont
de plus en plus de difficultés à assumer à la fois le travail et les tâches
domestiques et éducatives. Ce qui soulève le problème du partage des
rôles entre les hommes et les femmes et conduit à la mise en cause des
arrangements entre les sexes qui s’étaient construits jusqu’à la période
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
précédente et pose nettement la question de la conciliation entre vie
professionnelle, vie personnelle et vie familiale.
On voit noté que « finalement, là ou l’Europe a eu un rôle vraiment
moteur, c’est en matière d’égalité de traitement entre femmes et
hommes, le modèle des pays du Sud étant contraint de s’aligner sur celui
des pays du Nord1». Les experts retiennent essentiellement le signifiant
(“l’égalité”), renvoient aux directives2 qui en réalisent la promotion pour
en faire plus ou moins la paraphrase, confortant une sorte « de vision,
faite norme, de la “bonne” politique économique3”.
Mais, ce faisant, le levier dans l’évolution des arrangements entre les
sexes que peut constituer la possibilité qu’ont les hommes et les femmes
de réaliser un équilibre entre leur carrière professionnelle et leur vie
familiale demeure peu relevé. La conciliation entre vie professionnelle, vie
familiale et vie personnelle n’est alors pas tant conçue dans son impact
sur la qualité de vie des familles que confinée à son rôle de contributeur à
l’œuvre d’ensemble des stratégies visant à relever les taux d’emploi4. En
réalité, les conditions de partage des tâches entre hommes et femmes
sont médiocres et personne n’en doute. Mais quels éléments apporter au
dossier et comment le montrer ? (Cf. infra Première partie).
4.2 – Des données provenant d’enquêtes nationales sur l'utilisation du
temps ont conduit à des estimations (un échantillon représentatif
d'individus a répondu à des questions relatives à leur propre personne et
au ménage et rempli un agenda de leurs activités au cours d'un jour de
semaine et d'un jour de week-end, répartis sur l'ensemble de l'année ; les
activités ont été codées). Des tableaux de base indiquant le temps moyen
journalier et le taux de participation pour différentes activités ont été
établis et mis à disposition sous une forme publiée par Eurostat5
Le premier objectif d’Eurostat, dés le début des années 1990, a été de
disposer des outils statistiques nécessaires à fournir des données
1 Cf. Chassard (Y.), "Un modèle social européen par défaut", in Dehove (M.), Lenouvel état de l'Europe, La découverte, Paris, 2004 (à paraître).2 Cf. Directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise enœuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce quiconcerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et lesconditions de travail [Journal officiel L 39 du 14.02.1976], modifiée par la Directive2002/73/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 septembre 2002 [Journalofficiel L269 du 5.10.2002].3 Cf . Lordon (F.), « La métamorphose de la politique économique », La Lettre de laRégulation, n°18, Septembre 1996.4 Cf. Rapport de la commission au conseil, au parlement européen, au comitééconomique et social européen et au comité des Régions - Rapport sur l’égalitéentre les femmes et les hommes, 2004. http://europa.eu.int/comm/employment_social/equ_opp/index_fr.htm5 Cf. Aliaga (C.), Winqvist (K.), “Comment les femmes et les hommes utilisent leurtemps”, Eurostat-Statistiques en bref, décembre 2003 ; Time use at differentstages of life - Results from 13 European countries, Eurostat, July 2003.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
comparables, utiles à l’élaboration et à la formulation de la politique
sociale communautaire. Partant, l’effort a porté sur la production et
l’intégration de données issues des sources nationales pour produire des
indicateurs spécifiques pour les besoins communautaires : l’intégration
statistique passant par l’harmonisation et la coordination des procédures.
Concrètement, comme Delphine Nivière l’illustre en s’intéressant au projet
européen de statistiques sur les revenus et les conditions de vie
(European Statistics on Income and Living Conditions – EU-SILC), la
construction d’une nouvelle opération statistique européenne voit les
représentants nationaux assister aux réunions du groupe de travail
européen et représenter les indicateurs statistiques, le délégué national
faisant l’aller-retour entre son institut national et Eurostat, transportant
de l’un à l’autre les variables-cible européennes et les variables
nationales, la base de données nationales se trouvant traduite et
transférée jusqu’au tableau final des indicateurs1.
Parfois, la conception de la version européenne de la nomenclature utile à
coder les activités demeure marquée par des représentations particulières
et comme telle teintée d’arbitraire. Mais la force de telle nomenclature
réside sans doute, écrit Annick Kieffer, « dans [leur] usage dans des
études quantitatives, permettant d’établir des comparaisons directes de
mesures (par exemple de l’évolution des inégalités sociales d’éducation)
dans le temps et entre les pays », ajoutant que la position de fait
relativiste des nomenclatures pragmatiques, comme la PCS française2,
freine leur utilisation dans les travaux qui mobilisent des données issues
d’un grand nombre de pays : « [les nomenclatures pragmatiques] sont
vouées à un destin national. »3
Par exemple, pour aboutir à une liste d’indicateurs fondés sur des
variables déjà produites par les États membres en matière de
nomenclatures nationales d’emploi et de profession4, l’universitaire P. Elias
(Warwick) qui avait participé à la conception de la nouvelle nomenclature
britannique a été chargé par Eurostat de la conception de la version
1 cf. infra, Première partie, Chap. 3 dont on pourra trouver une version pluscomplète dans Nivière (D.), Chiffres européens en construction - La naissance destatistiques européennes sur les revenus et les conditions de vie, Ecole NormaleSupérieure et Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, octobre 2003. Pourune approche plus détaillée des statistiques européennes sur les revenus et lesconditions de vie, European Statistics on Income and Living Conditions (EU-SILC), 2 La nomenclature française des catégories socio-professionnelles peut être dite“pragmatique” dans la mesure où elle fournit davantage une topographie socialequ’une échelle hiérarchisée, dans la mesure où ses libellés renvoient aux mots enusage dans la profession, combinant les dénominations issues des descriptions desagents eux-mêmes, des dispositions légales relevant du droit ou des conventionscollectives.3 Cf. Kieffer (A.), « Catégorisation statistique et harmonisation européenne :l’exemple des catégories socioprofessionnelles », Correspondances, n° 64-65,janvier-avril 2001. 4 Cf. unstats.un.org/unsd/statcom/doc99/11-f.pdf et /doc00/2000-14f.pdf
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
européenne de la nomenclature des professions (CITP88.Com) qui, ce
faisant, demeure marquée par la représentation hiérarchisée de la société,
d’origine britannique.
Que la nomenclature soit arbitraire par l’origine institutionnelle ou le
pragmatisme de sa confection, la nécessité demeure de récupérer les
formes juridiques, institutionnelles et sociales qui donnent sens aux
termes communs et permettent d’interpréter les divergences
terminologiques et, ce faisant, les variations.
4.3 – Les travaux de 2002 et 2003 d’Eurostat publiés dans Statistiques en
bref donnent à propos des manières des femmes et des hommes d'utiliser
leur temps, des résultats pour 10 puis 13 pays européens1. Cette
comparaison européenne est ainsi une comparaison de résultats issus
d’enquêtes nationales, et non pas le retraitement d’une base de données
agrégées, dont les champs et les procédures d’enquête sont encore
suffisamment différents pour qu’on les tienne pour des limites au
commentaire des tableaux comparatifs. De plus, le niveau de résolution
des comparaisons dépend de la construction de la nomenclature,
autrement dit d’une partition en types d’activité. Celle-ci peut témoigner
de cette similitude de mode de vie et rend possible le rapprochement des
durées moyennes consacrées à chaque type d’activité consommatrices de
temps journalier, mais sa pertinence sociologique et pratique se pose
lorsque l’indicateur mentionné du « pourcentage journalier de personnes
ayant pratiqué l’activité considérée » se révèle variable, voire mince.
Dans ce cas là, la relative absence de problématisation des résultats à
l’entrée, au-delà du mot d’ordre certes utiles de l’égalité2, se double d’un
fort préjugé de continuité et de comparabilité qui rapprochent des
situations sans doute dissemblables.
« Choisir de rechercher l’homogénéité formelle des codes, écrivait Pierre
Bourdieu et Alain Darbel, [c’est] courir le danger, inhérent à toute
comparaison d’indices abstraits et faussement interchangeables, de
comparer des faits formellement comparables mais réellement
incomparables et, inversement, d’omettre des faits formellement
incomparables mais réellement comparables »3.
Toutefois, il y a une justification à cette sorte de coup de force qui serait
une orientation « action » de la comparaison qui, comme nous l’a signalé
un expert français, peut trouver son sens dans la distinction entre enquête
1 Cf. Aliaga (C.), Winqvist (K.), op. cit.2 « La répartition du travail rémunéré et du travail domestique selon le sexe diffèreconsidérablement ; Les différences dans l'utilisation du temps par les femmes etles hommes sont plus importantes au sein des ménages avec enfants » Cf. Aliaga(C.), Winqvist (K.), op. cit.3 Cf. Bourdieu (P.), Darbel (A.), L’amour de l’art, Les éditions de minuit, collection« le sens commun », Paris, 1966.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
statistique « d’interpellation » et enquête « d’interprétation des
données »1.
Mais l’articulation entre les deux approches, qui tente de répondre aux
limites des enquêtes statistiques, n’est pas toujours satisfaisante. En
vérité, la reconstitution des éléments de contexte indispensables à
l’interprétation des « données » prélevées sur les unités statistiques
interrogées est reportée très en aval et est rarement réalisée.
L’explication des similitudes et des différences observées, faute de
disposer des informations permettant d’en reconstituer les cohérences, ne
permet pas d’assurer la consolidation de l’ensemble et il demeure, en
conséquence difficile « d’interpréter les données» des enquêtes
« d’interpellation » (cf. infra première partie, Chap. 1 et 2).
4.4 – Dans un autre exemple de statistique européenne, les ambitions des
collections et de l'étalonnage, à partir de l’utilisation sélective du taux
d’emploi plutôt que de celui du chômage dans la stratégie européenne
pour l’emploi (SEE), culminent souvent finalement dans une méthode de
score qui voit les pays classés par ordre le long d'une batterie
d'indicateurs : « Comme il est impossible de sérieusement rapporter les
1 Cf. Gomel (B.), Défense et illustration d'une approche de l'évaluation, Documentdu Centre ‘Etudes de l’Emploi, 03/01, janvier 2003, disponible sur http…cee-recherche.fr/fr/fiches_chercheurs/texte_pdf/gomel/BGsemeval03.pdf.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
écarts de score à des pratiques précises à imiter - et comme le Centre ne
dispose d'aucun pouvoir, ni de l'information nécessaire pour orienter les
choix, le soin de découvrir les règles aptes à améliorer les politiques, au
regard de leurs performances, est laissé aux Etats membres. La porte est
ouverte à une dégénérescence instrumentale de la méthode1» La
démonstration de Robert Salais vaut mutatis mutandis, dans l’exemple qui
nous intéresse : Loin de conduire à mieux concevoir jusqu’à quel point et
pourquoi les hommes et les femmes ne se retrouvent pas dans des rôles
plus symétriques, en famille et sur les lieux de travail (comme pourrait le
laisser supposer le rapprochement des temps), la statistique reste plus
orientée, mainstream oblige, vers son aspect formel (d’égalité hommes-
femmes) et incite à se consacrer à un alignement des traductions
temporelles de l’activité quotidienne. S’est trouve retardé, ce faisant, son
apport au questionnement des dimensions familiales et de qualité de vie
des individus à travers la question de la conciliation entre vie
professionnelle, vie familiale et vie personnelle et celle des arrangements
entre les sexes2.
4.5 – « En Europe, observe Eurostat, les femmes et les hommes ont des
manières similaires d’utiliser leur temps, mais il existe également un
certain nombre de différences marquantes entre les pays examinés.»3 Si
cela peut signifier que les différences à l’intérieur de chacun des pays
entre les hommes et les femmes sont faibles par rapport aux différences
globales entre les pays, alors, c’est effectivement important en terme
d’action européenne et peut conduire à préconiser que les politiques de
promotion de l’égalité entre les genres soient menées sur une base
européenne et pas nationale, et vice-versa. Mais cette orientation vers
l’action justifierait en outre de mettre l’accent sur des caractéristiques
explicatives des différences observées dont la prise en compte permettrait
en outre de mieux contrôler les effets des différences de champ des
enquêtes nationales et de structure des populations.
4.6 – Pour détailler un peu ce point, on peut suggérer comme nous
l’indique Laurent Duclos4 de procéder à un rapprochement entre le savoir
“extensif” de la statistique des arrangements types auxquels parviennent
les familles (durées, etc.) et une connaissance “intensive” (densité,
intensité, etc.) utiles à décrire finement les circonstances de la vie
familiale et le partage “en acte” au sein de celle-ci. Il pourrait être, en
conséquence, recommandé de porter une attention particulière à toute
1 Cf. Salais (R.), « La politique des indicateurs. Du taux de chômage au tauxd’emploi dans la Stratégie européenne pour l’emploi », in Bénédicte Zimmermann(s. dir.), Action publique et sciences sociales, Paris, ed. de la Maison des Sciencesde l’Homme, à paraître 2004.2 Ce retard pourrait être résorbé dans l’avenir. Cf. infra la conclusion de ceparagraphe.3 Cf. Aliaga (C.), Winqvist (K.), op. cit. 4 Cf. infra, Première partie, Chap. 1 et 2.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
investigation permettant de repérer les relations entre les choix, parfois
implicites que les familles font, les principes de justice qui sanctionnent
l'équilibre obtenu et les ressources disparates que les familles mobilisent
pour concilier leurs différentes obligations1.
L’objectif principal devrait être justement d’éclairer l’étude des
comportements familiaux des hommes et des femmes et d’approcher la
question du partage par les contextes, les activités professionnelles, les
trajectoires personnelles familiales, professionnelles et résidentielles,
notamment en matière d’offre de service. Les choix éducatifs, par
exemple, ne sont pas minimes.
4.7 – En effet, on sait que l’activité domestique ou le “care” sont
traditionnellement et habituellement réservés aux femmes mais que des
agencements institutionnels peuvent permettre d’aider à une répartition
de la charge de conciliation en sortant, comme le souligne Laurent Duclos
et Brigitte Croff2 la question du couple lui-même ou de la famille pour
permettre aux femmes de réduire leur engagement dans la sphère
domestique, réduire les gains de spécialisation et créé l’opportunité d’une
répartition plus égalitaire des tâches. Les régularités observées sur le
“marché du travail” et dans la sphère domestique sont alors typiquement
le produit de la rencontre entre les protagonistes dont, bien entendu, les
entreprises et les organismes de protection sociale.
Il apparaît utile, en ce sens, qu’on envisage d’examiner les
comportements des employeurs et des entreprises en matière de
conciliation, en dépassant les seuls mentions des tableaux chronométrés
et des catalogues des droits nationaux pour approfondir, concrètement, la
logique des dispositifs et des arrangements dans les relations de travail.3
4.8 – Au domicile, ce sont des habiletés qui s’exercent, des rythmes dans
les tâches, des aptitudes à occuper le milieu (la cuisine) et les auteurs
soulignent que la question de l’égalité homme/femme ressortit
fréquemment moins à un “meilleur” partage des temps qu’à celle de
l’habilitation à devenir compétent et à accomplir certaines tâches ouvrant
la possibilité de s’établir dans le milieu et de développer le savoir-faire ad
hoc. Mais ces activités ménagères sont encore très peu visibles et
faiblement objectivées, voire réputées ne nécessiter aucune espèce de
compétence particulière. Parallèlement, la question de l’habilitation pose
directement la question de la délégation à autrui, qui conjoint ou
1 Une réflexion a été documentée sur ces questions par un groupe de travail duCommissariat Général du Plan (France) concernant "Conciliation entre vieprofessionnelle, vie familiale et vie personnelle". Elle est disponible sur http…vitamin.gouv.fr, codes : conciliation, CVPF, conciliation vie professionnelle - viefamiliale. 2 Cf. infra, Première partie, Chap. 4.3 Deux études ont été lancées concernant "Conciliation entre vie professionnelle,vie familiale et vie personnelle" perçue à partir de l’entreprise, par l’INED (France)et le Commissariat Général du Plan (voir note précédente).
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
intervenant extérieur, se pose à la femme en priorité1. L’ensemble des
mesures prises dans les pays européens à des degrés divers, concernant
les politiques familiales et de l’emploi visant à réduire les inégalités entre
les hommes et les femmes face à la vie professionnelle, même si elles
sont indispensables, ne suffiront pas, si elles ne sont pas accompagnées
par l’élaboration d’un savoir utile à asseoir, symétriquement mais
différemment, le renoncement des hommes aux outrances du partage et
celui des femmes à l’exclusivité de la place, et, deuxièmement, si ces
mesures ne sont pas accompagnées de la construction d’une offre de
services qui n’aille pas dans le sens d’un renforcement des inégalités :
entre hommes et femmes, entre femmes qualifiées et femmes non
qualifiées, entre femmes de nationalité française et femmes immigrées2.
4.9 – Le débat au sein des sciences humaines et sociales souligne
fréquemment « la nécessité d'accommodements entre formes instituées,
statistique et sociologie. »3 Il y a, d’une part, l’idée selon laquelle la
sociologie ne peut se passer de la méthode statistique pour appréhender
les faits sociaux de façon objective, qu’il ne s’agit d’ailleurs pas tant d’une
seule liaison pratique que d’un lien théorique illustré notamment par les
règles de méthode énoncées par Durkheim. Symétriquement, on voit
soulignée l’idée selon laquelle la raison statistique ne peut se passer de
sociologie pour appréhender les faits sociaux en vue du codage. Qu’il ne
s’agit d’ailleurs pas tant d’une question de principe que d’un rôle pratique
qui se trouve illustré justement dans l’exemple de la confection des
nomenclatures et de la réalisation des enquêtes européennes4. On saisit le
bénéfice à attendre d’un renforcement des aspects sociologiques de toutes
1 Cf. infra, Première partie, Chap. 4.2 Parallèlement, une orientation trop exclusivement appuyée sur l’individualisationdes financements au nom du libre choix des familles de choisir l’offre la mieuxadaptée à leur situation particulière s’accompagne d’un manque de socialisation deces activités et, en conséquence, de leur enfermement dans la sphère privée, cequi est une cause réelle de leur non développement. Brigitte Croff appelle à unecontrepartie en termes de régulation. Cf. infra, Première partie, Chap. 4.3 Cf. Héran (F.), « L’assise statistique de la sociologie », Economie et Statistique,n°168, Juillet-Août 1984, pp. 23 sq. La question a été et continue d’être débattueen France. Dés 1982, la Société française de sociologie et l'INSEE ont organisé unejournée d'études sur le thème «Statistiques et sociologie» dont une synthèse des37 communications a été présentée dans de Singly (F.), « Les bons usages de lastatistique dans la recherche sociologique », Economie et Statistique, n°168,Juillet-Août 1984, pp. 13 sq. Elles illustraient la nécessité et la complémentaritédes approches des faits sociaux quantitatives et fondées sur les entretiens, lesrécits de vie, l'observation directe. Elles soulignaient les prudences que les usagesdes méthodes respectives requièrent. Voir aussi dans le même numéro : Héran(F.), op. cit. Plus généralement, la référence en langue française sur la questionest : Desrosières (A.), La politique des grands nombres - Histoire de la raisonstatistique, Paris, La Découverte, 2nd éd. 2000 ; voir aussi la note critique qui lui aété consacrée par Nicolas Dodier: « Les sciences sociales face à la raisonstatistique », Annales HSS, mars- avril 1996, n°2, pp. 409-428.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
les phases du travail statistique de définition, d’abstraction et de sélection
aux moments d’élaboration de la problématique, de conception de
l'enquête, du questionnaire de recueil des enquêtes nationales, de
traitement des rapprochements, de production rédigée des résultats, la
visée étant de limiter les effets inhérents au primat du travail technique
de production. En résumé, l’approche qui vise à examiner l’usage des
temps sociaux à travers la couche profonde des arrangements entre les
sexes est celle qui plonge au plus profond de leurs spécificités
institutionnelles et pratiques dans le cadre des ménages, des entreprises
et du marché du travail plutôt que l’approche qui considère “en surplomb”
ces arrangements en les nivelant pour construire un score à valeur
générale recouvrant les différentes réalisations nationales au dépens de ce
qui leur est particulier. Partant, la production statistique européenne dans
ce domaine pourrait bénéficier d’inflexions de méthode utiles à faire
ressortir la prise en considération d’informations en ce sens utiles à
traduire une prise en compte renouvelée de la dimension familiale, de la
vision subjective des individus et de leur qualité de vie.
L’ensemble des travaux du groupe, des séminaires et des consultations
d’experts a conduit aux préconisations rassemblées page suivante.
4 Pour plus de détails sur ce qui est présenté succinctement dans ce paragraphe, àpartir de l’exemple des nomenclatures socio-professionnelles, on pourra sereporter à : Kieffer (A.), « Catégorisation statistique et harmonisationeuropéenne : l’exemple des catégories socioprofessionnelles », n° 64-65, janvier-avril 2001 ; Salais (R.), « La politique des indicateurs. Du taux de chômage au tauxd’emploi dans la Stratégie européenne pour l’emploi », in Bénédicte Zimmermann(s. dir.), Action publique et sciences sociales, Paris, ed. de la Maison des Sciencesde l’Homme, à paraître 2004. Pour une approche des statistiques européennes surles revenus et les conditions de vie, European Statistics on Income and LivingConditions (EU-SILC), on pourra se reporter à Nivière (D.), Chiffres européens enconstruction - La naissance de statistiques européennes sur les revenus et lesconditions de vie, Ecole Normale Supérieure et Ecole des Hautes Etudes enSciences Sociales, octobre 2003.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
PRÉCONISATIONS
A - un effort devrait porter sur des études européennes sur le partagedes temps qui permettent d’approcher l'activité concrète de conciliationentre vie familiale, vie professionnelle et vie personnelle au sein desfamilles ;
B - mais l’intérêt porté à la conciliation entre vie familiale et vieprofessionnelle ne pourra atteindre cet objectif sans examiner lescomportements des employeurs et des entreprises dans ce domaine ;
C – avant de procéder aux rapprochements des enquêtes nationales,poser de manière plus approfondie les visées et les problématiques desrassemblements ;
D – un effort d’ouverture à des considérations sociologiques dans lesdispositif d’aller-retour entre les niveaux nationaux et européenspermettrait de prendre en compte les spécificités nationales :institutionnelles (politiques sociales, offres de services) et pratiques(dans le cadre des entreprises et du marché du travail) ;
E – l’exploitation des bases de données dans la production pourraitbénéficier de l’utilisation de niveaux plus fins que celui des mesuresagrégées de moyennes pour illustrer les situations qui ont cours dansles familles en Europe.
REMARQUES ADDITIONNELLES
Arrivé à ce stade, il convient de bien noter qu’Eurostat a d’ores et déjà
prévu dans la suite de ses travaux un certain nombre de réalisations qui
convergent de manière sensible avec les préconisations issues de cette
mission :
- Une publication plus détaillée concernant les façons dont les femmes et
les hommes utilisent leur temps (Pocket book) sera réalisée en 2004. Une
équipe d’experts devrait réfléchir et examiner les méthodes d’analyse et
de présentation des données concernant les usages des temps, utile à
développer la connaissance dans ce domaine, et rendre un rapport final en
2004.
- Le règlement n° 29/2004 de la commission du 8 janvier 2004 a porté
adoption des éléments du module ad hoc relatif à la conciliation de la vie
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
professionnelle et de la vie familiale, au sein du programme de modules
de l'enquête par sondage sur les forces de travail, couvrant les années
2004 à 20061.
- La garde d'enfants fait l’objet d’investigations dans l'enquête SILC(Statistics on income and living conditions) précitée.
1 Le lien entre les objectifs de la politique européenne en matière d'égalité
hommes-femmes, les préoccupations en matière d’emploi est rappelé à cetteoccasion : « Les objectifs de la politique européenne en matière d'égalité hommes-femmes au regard de l'emploi figurant dans les lignes directrices pour l'emploi2003, adoptées par le Conseil le 22 juillet 2003, avec la ligne directrice spécifiqueportant sur l'égalité entre les femmes et les hommes, nécessitent la définition d'unensemble de données exhaustives et comparables dans le domaine de laconciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale. » J.O. de l’U.E., du 9janvier 2004, L5/57.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
5 — L’approche des migrations
Le croisement des question du temps et des migrations est longuement
présentée (cf. infra : deuxième et troisième partie).
5.1 – Le point de départ est celui du rapprochement entre les pays quant
aux enjeux liés à l’immigration. Qu’on pense au vieillissement des
populations actuellement actives et aux pénuries de main d’oeuvre qui
sont d’ores et déjà prévues dans certains domaines du marché du travail.
Assurer la composition et l’élasticité du marché du travail demeure des
raisons durables de l’appel à l’immigration.
Toutefois, cet appel ne se traduit pas, loin de là, dans des modalités
d’insertion aisées : Un taux de chômage supérieur ; la part des migrants
qui travaillent sur des contrats temporaires est de 1,5 à 5 fois plus
importante que la part des salariés qui travaillent sous ce type de
contrat ; les modalités d’accueil, de regroupement familial, manifestent
encore nombre de différences des approches très nationales de
l'immigration. Certes, depuis le traité d'Amsterdam, de nombreux textes
ont été adoptés qui rapprochent les politiques nationales. Mais, comme
l’indique nombre d’experts, « l'Union européenne peine encore à penser
collectivement la place de l'immigration dans son développement et à
développer une conception communautaire de l'accueil et de l'intégration,
au-delà des enjeux directement liés aux marchés du travail. »(IRES)
Parallèlement, la discrimination, le racisme et la xénophobie sont depuis
longtemps étroitement liés avec le débat sur l'immigration des non-
communautaires en Europe, mais la question ne paraît pas être parvenue
à un niveau de réflexivité tel, selon une perspective sociologique, qu’on
parvienne peut-être à expliquer comment il se fait que, dans une Europe
de plus en plus démocratique et ouverte à la diversité, il y ait encore des
formes aussi diffuses d'intolérance et de discrimination vis-à-vis des
immigrés, des minorités ethniques et culturelles.
Sur le plan des travaux européens, il conviendrait que soient davantage
pris en compte une distinction sensible entre la question des origines et
celle de “l’ethnicisation”. Il est possible d’objectiver l’origine nationale et
géographique dans des recherches quantitatives, les trajectoires
migratoires, les parcours de vie des personnes qui ont connu la migration.
Par contre, “l’ethnicisation” fondée par le regard n’a pas de fondement
objectif. C’est le fait d’être perçu et considéré comme “tel” ou “tel” qui est
important et non le fait d’être de telle ou telle origine géographique. Il est
alors nécessaire dans ce cas d’envisager qu’on utilise à grande échelle des
approches qualitatives (sociologie, ethnologie), pour approfondir cette
question.
Peut-on progresser sur ces points ? Que cette question ait dû attendre une
période récente pour recevoir un début de réponse institutionnelle est un
indice de son caractère problématique dans la culture politique et conduit
- 36 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
à recommander qu’on prolonge les efforts institutionnels d’égalisation
formelle tout en tenant compte des situations particulières.
Dans la troisième partie du rapport, le rapport finlandais souligne l’intérêt
de mettre en œuvre des mesures diversifiées en matière d’intégration des
personnes migrantes c’est-à-dire des mesures mixtes et des mesures
destinées spécifiquement aux femmes ou aux hommes. Le rapport grec
met lui l’accent sur la nécessité de mettre en place des “services de
consultation sociale” composés d’assistants sociaux et de psychologues
qui pourraient aider les migrants à trouver des solutions à leurs difficultés
personnelles et familiales.
5.2 – Sur le plan statistique, aujourd’hui, en France, à partir des variables
qui sont quasiment dans toutes les grandes enquêtes et le recensement,
de nombreux éléments sont présents pour traiter les questions
d’immigrations et celles concernant les familles.
Toutefois, on note fréquemment la présence de tables croisées mais pas
celles qui conduiraient à croiser les variables “famille” avec tout ce qui est
lié à l’emploi, secteurs d’activités, catégories socioprofessionnelles, etc. Il
n’y a pas aujourd’hui d’exploitation systématique avec des croisements
comprenant les variables : étrangers, immigrés, et dimension familiale.
Par exemple, les publications de l’enquête emploi mentionnent les
étrangers ou immigrés avec en sortie uniquement un taux de chômage
par secteur d’activité, mais rien par rapport à la famille, et a contrario
partant de la famille, on observe des sorties en matière d’emploi mais peu
ou aucun croisement avec les variables étranger, immigré.
L’appareil statistique belge en matière de migrations est relativement
pauvre et les données sont dispersées. Si des chiffres ont pu être collectés
de sources diverses sur les migrations de travail, les demandeurs d'asile,
les étudiants étrangers, aucun chiffre n’a pu être trouvé sur les migrations
annuelles par la biais du regroupement familial. Au niveau de l’Institut
National de Statistiques (INS), les croisements des données
démographiques se font par rapport à une seule variable, le plus souvent
le genre ou l’âge. Il y a donc peu de données construites en fonction du
pays d’origine des migrants. Les statistiques socio-économiques, en
particulier, ne font pas la distinction entre les ressortissants nationaux et
étrangers : emploi et chômage, revenus et rémunérations, patrimoine et
équipement des ménages, consommation de biens et services,
enseignement – culture – formation, emplois du temps et loisirs ;
comportements de santé et prévention, mobilité,…
A l’opposé, la Finlande dispose de statistiques très fiables et élaborées sur
les étrangers et les migrations. Par exemple, le rapport annuel publié par
“ Statistic Finland ” et intitulé “ Les étrangers et la migration
internationale ” présente les principales données démographiques et
statistiques concernant l’emploi. Par ailleurs, “ Statistic Finland ” publie
- 37 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
également chaque année des statistiques concernant les nationalités, les
pays d’origine et les langues d’origine des personnes vivant sur le
territoire. Il existe également des chiffres sur les mariages entre étrangers
et Finlandais.
Nous constatons donc au niveau des quatre pays étudiés certains
manques importants au niveau des appareils nationaux concernant les
données relatives aux croisement famille et migrations et, d’autre part,
une disparité importante au niveau des données recueillies qui fait
obstacle aux comparaisons internationales entre les différents Etats
membres.
5.3 – Par ailleurs, aucun des pays étudiés ne dispose de données
élaborées concernant l’importance et la nature du phénomène des
mineurs isolés (parcours migratoire, âge, conditions socio-économiques
de ces mineurs), ni sur l’immigration clandestine. La conséquence du
manque ou de l’absence de données est une sous-évaluation de ces
problématiques sur le plan politique et une difficulté très grande à adopter
des mesures relatives à des groupes de population qui n’existent pas dans
les chiffres.
Pourtant, cette question des mineurs isolés est aujourd’hui une question
cruciale parmi celles relevant de la protection de l’enfance et, partant, de
la politique familiale des Etats.
Sur la population entrant sur le territoire et faisant une demande d’asile,
une partie est déboutée et devient clandestine. Ce problème n’est pas
seulement lié aux individus, un par un, mais aussi à leur famille. Ce
faisant, l’impact de la décision touche plusieurs personnes. Il n’existe pas
aujourd’hui de données ou trop peu pour permettre d’objectiver les
situations qui paraissent recouvrir des parcours familiaux, éventuellement
des familles à un seul parent. Il n’existe que de rares études issues de
témoignages provenant d’associations (par exemple : l’Ordre de Malte)
ou, encore, de travailleurs sociaux, qui tendent à indiquer cette
dimension familiale. En réalité, il n’y a pas pour ces personnes de
catégories administratives et, partant, pas de structures dédiées aux
déboutés, pas de données et peu de recherches, une difficulté à construire
une doctrine en matière de prise en charge et de protection sociale.
L’absence de chiffrage ne facilitant pas sa mise sur agenda.
5.4 – Un autre aspect, par contre, a bénéficié d’une évolution récente
positive : après être demeurée longtemps absente, dans les recherches
sur les migrations, la vie des femmes fait l’objet d’investigations qui
permettent une meilleure connaissance de la place des femmes dans les
migrations, dans les évolutions des sociétés d’origine et d’immigration.
Ainsi, commence-t-on à prendre en considération les conditions de vie des
migrantes dans les débats sur la discrimination, sur la gestion du
- 38 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
chômage et à étudier les activités des femmes en dehors du foyer familial.
Comme le souligne une démographe française, des analyses des rapports
sociaux de sexe ou des rapports homme-femme dans les diverses sphères
de la vie devraient permettre d’illustrer que ces rapports ne sont pas
immuables mais au contraire dynamiques et que, dans la migration, de
nouveaux espaces de négociation se créent au sein des couples et des
familles. Il est souhaitable d’explorer les variations des situations des
femmes en fonction du milieu social d’origine, du niveau de scolarisation,
de la génération : les transformations du statut de la femme qui s’opèrent
dans la migration peuvent aller dans le sens d’une amélioration ou d’une
dégradation. Des analyses françaises ont révélé que certains groupes de
femmes étaient plus souvent victimes de violences que l’ensemble des
femmes vivant en France : propos sexistes ou racistes, atteintes
sexuelles, discrimination dans la vie professionnelle, harcèlement
psychologique, violences sexuelles ou physiques dans le couple.
Parallèlement, il faut reconnaître l’intérêt de l’analyse biographique et de
l’analyse “multi-niveau” pour approcher les interférences de la migration
avec les autres événements de la vie personnelle et familiale. Il s’agit
d’enquêtes qui aboutissent à des fichiers de données individuelles où est
enregistré le déroulement des vies d’un individu : familiale,
professionnelle, résidentielle et où est analysé statistiquement le jeu des
simultanéités et des successions qui lient ces calendriers, en les reliant
aux calendriers vécus par les proches de la personne interrogée ainsi qu’à
une série d’informations contextuelles sur l’environnement des
trajectoires, territoriales, juridiques, sociales, institutionnelles. Plusieurs
enquêtes se sont engagées sur cette voie dans divers pays (France,
Pologne, Italie, Roumanie).
L’ensemble des travaux du groupe, des séminaires et des consultations
d’experts a conduit aux préconisations rassemblées page suivante.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
PRÉCONISATIONS
I - Concernant les enquêtes:
A - pour approcher le partage des temps et les arrangements entrehommes et femmes au sein des familles dont un des membres est issude l’immigration, avec des effectifs suffisants, pourrait être testée lapossibilité de raccordements d’enquêtes nationales ;
B – le rôle et l’impact des délais et des comportements des instancesadministratives sur l’accès au droit et particulièrement sur l’accès auxbénéfices des politiques familiales pourraient être examinés et fairel’objet de comparaisons européennes ;
C – l’impact du regroupement familial sur la qualité de vie des migrantset les conséquences des freins qui lui sont apportés pourraient êtreexaminés ;
D – un effort de comparaisons des formes d’ouverture versus desdiscriminations des différents pays européens vis-à-vis des migrantsdont ils constituent le pays d’accueil, pourrait être utilement mené àpartir de comparaisons sociologiques chiffrées sur le maintien ou larecrudescence des écarts et des inégalités et leurs traductions au coursdu cycle de vie, au niveau des apprentissages précoces, scolaires, dumarché du travail, des revenus ;
E – des études européennes pourraient être menées utilement sur lesquestions des mineurs isolés, des déboutés.
II - Concernant les services :
F – un inventaire et une comparaison européenne des bonnes pratiquesen matière de services de facilitation au sens matériel et psychologique,auprès des populations issues de l’immigration et de leurs famillespourraient être menées utilement1 ;
G – un inventaire et une comparaison européenne des bonnes pratiquesen matière d’attribution aux immigrants de rôles économiques, civiqueset sociaux et de pouvoirs de décisions.
1 Il s’agit, notamment, de l’organisation et de la pérennisation financière de
dispositifs aux horaires adaptées, proches, comprenant des agents susceptibles de
conseiller et de mettre en relation avec les services administratifs ad hoc et
destinés à la formulation et au suivi de plans d’intégrations non réduits à des
questions d’emploi mais, plus généralement, concernant les solutions aux
difficultés personnelles et familiales, et le soutien à l’intégration en prenant en
considération la langue (maternelle) et les coutumes propres.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
PREMIÈRE PARTIE : LES USAGES DES TEMPS
PRÉSENTATION
LUC-HENRY CHOQUET
Pour introduire cette première partie, nous voudrions seulement souligner
un point général : Avant le XXe siècle, les relations étaient très
dissymétriques, qui considéraient les femmes et les enfants comme
inférieurs aux hommes et, fréquemment, les étrangers aux nationaux.
Après sont intervenues de grandes transformations dans les relations
entre les hommes et les femmes, dans la façon de considérer les
migrations ; la subordination ou l’exclusion, les inégalités entre hommes
et femmes, ne sont plus autant admises comme relevant de la nature des
choses ; ce que progressivement des limites introduites dans le droit,
notamment européen, ont confirmé1. Mais ces limites imposées à la
propension au pouvoir des hommes vis-à-vis des femmes ou vis-à-vis des
migrants exigent une vigilance que peuvent servir utilement des savoirs
appropriés. Des savoirs qui concernent les formes de vie et tout
particulièrement dans la dimension familiale.
Pour incarner l’idée du “vivre ensemble”, on tend maintenant à
approfondir l’approche des temps, du partage des temps entre hommes et
femmes, et notamment en considérant l’accueil des enfants ou le soutien
à apporter aux parents âgés2 ; on tend aussi à prendre en considération le
migrant avec ses impasses, en tant que “sujet” et en tant que “sujet de
droit”, en tant qu’il travaille mais aussi à travers son projet familial ou
encore parce qu’il est un enfant, voire même dans certain cas un mineur
isolé.
Dans certaines situations, les conditions ou la qualité de la vie familiale
des personnes est réellement loin de nos attentes. Mais comment le
montrer ? C’est justement l’objet des chapitres de cette première partie
que de nous inviter à partir d’approches spécifiques à une connaissance
renouvelée de ces questions pour leur donner une assise utile à
l’élaboration des politique sociales soucieuses de la dimension familiale et
du point de vue des individus. Comme on l’a vu précédemment, une des
deux tâches fixées consistait à examiner des perspectives
méthodologiques actuelles dans le domaine de l’usage des temps et, à
partir de là, à formuler des recommandations concernant des indicateurs
1 Cf. Choquet (L.), Zucker (E .), Reconsidérer la famille, Gallimard, 2002.2 Cf. Choquet (L.), Croff, (B.), «Comment vivre ensemble », in Iacub (M.),Maniglier (P.), Familles en scènes, Autrement, 2003
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
utiles à mettre l’accent sur la dimension qualitative de la vie familiale et
d’une façon proche de la vision subjective des individus.
Au cours des deux premiers chapitres, Laurent Duclos illustre de façon
contrastée, à partir d’une approche sociologique et juridique, l’idée selon
laquelle les statistiques des “emplois du temps”, maintenant d’usage
fréquent, restitue pourtant mal les contours institutionnels et les
différences d’intensités des temps. Partant, il invite ainsi à développer un
souci de catégorisation qui réinstallerait au cœur des analyses les
différences que la statistique européenne estompe jusqu’à tendre à les
faire disparaître aussi bien du côté des populations et des individus que du
côté des institutions (il fait dans ce dernier cas appel à la notion de
réflexivité institutionnelle tirée de l’œuvre d’Erving Goffmann1).
Delphine Nivière revient sur les problèmes posés par la construction
d’objet en statistique qui parvienne à prendre en compte les
ressemblances et les différences à partir d’investigations communes à
l’ensemble des pays de l’Union européenne. La diversité des contextes, en
Europe, implique d’inévitables conflits dans la façon de concevoir et de
mesurer des objets qui paraissent simples à première vue. A la diversité
des systèmes sociaux, s’ajoute la variété des organisations et des
méthodes des systèmes statistiques nationaux. C’est en suivant la
construction d’opérations statistiques européennes, la naissance
d’instruments, et en s’efforçant de mettre à jour la diversité des points de
vue sur ces objets et la complexité du processus de construction des
chiffres que l’auteur parvient à faire surgir les points de tension.
Puis, Brigitte Croff, à partir d’une approche de micro-économie du travail,
prend en considération dans le détail les activités dans la sphère
domestique qui comptent pour beaucoup dans l’approche de la conciliation
entre vie professionnelle, vie personnelle et vie familiale et, ce faisant,
dans les usages sociaux des temps. Sa contribution illustre à quel point , il
est souhaitable de sortir des approches seulement focalisées sur l’emploi.
Pour parvenir à envisager des politiques des temps aptes à transformer
les modalités de partage entre les sexes, il faut rajouter aux
considérations sur l’emploi une approche des freins qui s’exercent contre
la délégation des tâches. C’est à partir de là que peuvent s’éclairer les
partages des temps et les arrangements entre les sexes comme entre
bénévoles et professionnel(e)s dont les migrant(e)s fréquemment
employé(e)s dans les services aux particuliers.
Enfin, Laura Alipranti rend compte des études qui traitent des rôles des
sexes dans les familles qui migrent ou qui rentrent au pays d'origine. Elle
met l’accent sur les aspects stéréotypés des méthodes qui confinent les
1 Cf. Goffman (E.), L'Arrangement des sexes, La Dispute, 2002
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
rôles dans la société à ceux qui sont exercés dans la société occidentale
contemporaine, européenne ou américaine en s’éloignant, en
conséquence, des rôles relatifs à la société agricole dont les migrants sont
pourtant fréquemment issus. Elle conclut son chapitre en soulignant que
la plupart des études dans le domaine tendent à confirmer le diagnostic
négatif selon lequel les rôles sexuels et les divergences tendent à se
conserver intacts, l’émigration renforçant même parfois les inégalités
existantes. Toutefois, a contrario, l’éducation et l’origine urbaine
constituent des facteurs propices à l’adaptation au pays d’accueil.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
CHAP. 1 - LA STATISTIQUE DES EMPLOIS DU TEMPS ET LA QUESTION DU RYTHME1
LAURENT DUCLOS
L’insaisissable substance du temps ne nous porte-t-elle pas à l’égarement
métaphysique ? Ne sommes-nous pas tentés, comme disait Wittgenstein,
de chercher à toute force une substance derrière le substantif (2), quand il
s’agit de considérer une pure instance de forme et son intérêt pour
l’action ? La perception du temps comme dépense somptueuse, chez
Théophraste, fut ainsi transformée par Benjamin Franklin en un adage
devenu célèbre : “time is money”. L’utilitarisme puritain a prêté une
nouvelle valeur objective au temps. Avec l’invention de la ponctualité et
de l’horloge, admirablement décrite par l’historien Jacques Le Goff, le
temps a désormais pour chacun la forme de “l’heure égale”, il a acquis le
caractère de l’argent comme équivalent général. Les besoins de l’industrie
et l’inscription du temps dans le droit ont puissamment accentué le
caractère performatif de la morale puritaine. Dans la théorie économique
standard, temps et argent se substituent alors, à “bon droit”, l’un à l’autre
le long de courbes dites d’indifférence. La statistique “temporelle” d’Etat
n’a fait, depuis, qu’enregistrer les progrès de cette instrumentalisation du
temps, dont la portée sociologique fut soulignée par Norbert Elias.
Il convient de marquer une première différence entre ce “temps abstrait”
et la figure immanente d’un temps déterminé, jadis, par le sens même de
certains actes de la vie sociale. Les usages industriels du temps (Taylor)
renverseront, en effet, un lien de causalité traditionnel entre le temps et
l’œuvre. Dans cette transformation, le temps finit par prévaloir sur la
tâche (I).
Le temps des horloges s’imposant, la statistique s’est employée à
transcoder le travail subordonné, et bientôt d’autres activités, en
équivalent-temps. L’objectivation des emplois du temps a ainsi donné des
arguments aux “forces de progrès” soucieuses de déplacer les “barrières”
du temps. Elle a permis de nourrir autant de projets de libération : du
salarié, de la femme... Cette mobilisation de la statistique met
couramment en jeu des raisonnements en termes de “vases
communicants”. Mais la porosité des “temps sociaux” ne rend-elle pas
fragiles les certitudes issues de cette lecture statistique ? (II).
La statistique “temporelle” pouvait donner une idée juste des efforts de
“synchronisation” propres aux sociétés disciplinaires. Or il n’est pas
1 Cette contribution a fait l’objet d’une parution dans la revue Projet. Cf. Duclos(L.), « La statistique des emplois du temps et la question du rythme », Projet, n°273, mars 2003, pp.73-81.2 Cf . Ludwig Wittgenstein, Le cahier bleu et le cahier brun, Gallimard, 1988, p.51.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
certain que l’impératif contemporain de concordance des temps suffise à
garantir une réappropriation, individuelle et collective, du temps. La
statistique ne nous apprend rien, en effet, sur les “apprentissages
rythmiques” qui nous aident à composer, en permanence, avec le cadrage
envahissant des moments de l’existence par un “temps abstrait”,
homogène et successif. Il nous faut alors éclairer le régime des habitudes
par lequel chacun traduit en intensité des durées mesurées par la
statistique (III).
Du chronomètre à l’agenda
Les formes primitives d’automatisation de la production ont certainement
constitué un support favorable au contrôle de l’activité de travail par le
temps, et à l’émergence d’une statistique temporelle opérationnelle.
Soucieux de combiner les efforts séparés des ouvriers, et de répondre,
dans le même temps, à l’extension des marchés, l’entrepreneur ne
pouvait plus se contenter d’être un distributeur de tâches. Pour réaliser
des économies de temps, il lui fallait synchroniser davantage le travail aux
flux de matières et d'argent, et revenir sur l’autonomie conférée à
l’ouvrier, qui pouvait produire à (sa) façon. L’invention de la fabrique
répond alors à la visée d’une meilleure organisation de la division du
travail. “Le secret du succès de la fabrique, la raison de son adoption,
c'est qu'elle enlevait aux ouvriers et transférait aux capitalistes le contrôle
du processus de production. Discipline et surveillance pouvaient réduire
les coûts en l'absence d'une technologie supérieure” (1). Or cette
contrainte par corps et la prolétarisation qui l’accompagne vont menacer
directement la fiction juridique libérale d’une contractualisation de la
relation de travail. Ainsi, un mobile décisif, en général oublié, des
premières lois sur la durée de la “ journée du travail ” sera de crédibiliser
ce support contractuel : il s’agit pour l’essentiel de rendre compatible le
lien de subordination avec la préservation de la dignité du travailleur.
L’entrepreneur devient un fabricant. La “boîte à outils” que Taylor mettra
à sa disposition, à l’orée du vingtième siècle, lui permettra l’étalonnage en
temps de tâches décomposées en gestes élémentaires et prêtes à
l’enchaînement, car réduites à des quantités. La mise en forme du facteur
travail par son équivalent-temps (2) permet désormais de faire prévaloir le
temps de la mesure sur le rythme né dans l’intimité de la tâche, lequel
reste pourtant nécessaire à son accomplissement.
Le temps devient abstrait en ce qu’il renvoie simplement à un calcul, à
une organisation arithmétique autonome : sa valeur cesse d’être freinée
1 Cf. Stephen Marglin, “Origines et fonctions de la parcellisation des tâches” inAndré Gorz, éd., Critique de la division du travail, Seuil, 1974, p.63.2 Cf. Laurent Thévenot, “Les investissements de forme”, Conventions économiques,Cee-Puf, 1985, pp.21-71.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
par un contexte, de dépendre de configurations symboliques qui n’ont pas
le caractère du nombre mais celui de la tradition ou de la religion. Cette
autonomisation permet d’insérer toutes sortes d’événements dans une
même trame, un même “cours du temps”. Elle ménage la possibilité de
synchroniser à distance les agencements productifs et de gouverner ainsi,
depuis l’extérieur, le mouvement des sociétés industrielles, au contraire
du “ temps dérivé ”, subordonné au mouvement, à l’exercice d’une
habileté régulière ou séculière, dans les sociétés plus anciennes. On est
passé d’un “temps déterminé” à un “temps déterminant”, plus
disciplinaire, susceptible spécialement de “nombrer” l’activité de travail.
Ainsi que l’exprimait Norbert Elias, si le concept de temps “existait en
allemand sous une forme verbale, du genre zeiten (“temporer”) sur le
modèle de l’anglais timing, on n’aurait pas de peine à comprendre que le
geste de “consulter sa montre” a pour but de mettre en correspondance
(de “synchroniser”) des positions au sein de deux ou plusieurs séquences
d’événements. Le caractère instrumental du temps (ou de l’action de
“temporer”) s’imposerait alors avec évidence” (1).
Un clivage s’est ainsi formé historiquement entre le temps de travail, celui
de la fabrique, et les autres temps. Car le temps ne figure plus
simplement un outil dans la panoplie de l’industriel, il devient, en retour,
un levier pour l’émancipation des travailleurs. Non plus simplement un
instrument de rationalisation, utile à l’organisation de la division du
travail, mais un moyen, dans l’ordre juridique, de borner l’emprise
patronale sur la vie du salarié. Tant pour discipliner les comptabilités
privées que pour maintenir les pratiques de subordination dans l’ordre
public, le droit participe alors activement à la séparation entre sphère
domestique et sphère productive (2). Assimilée par le droit,
l’instrumentalisation du temps finit par excéder la simple organisation de
l’atelier. La référence au temps abstrait détermine notamment les
caractéristiques formelles de l’emploi et sa gestion. Cette détermination
permet que les formes modernes de division et de mobilisation du travail
s’affranchissent, quant à elles, d’une référence directe au modèle
taylorien. Ainsi, l’explosion de l’horaire collectif contribue à une dissipation
des frontières de l’entreprise. Le temps abstrait sert davantage une
“accélération maîtrisée” des flux, nécessaire à l’établissement d’un rapport
profitable entre production et consommation de masse.
L’inscription du temps dans les normes d’emploi permet toujours de
gouverner le travail, mais “d’un peu plus loin” pourrait-on dire.
L’assujettissement à un temps opératoire, hétéronome, le cède alors à
une répartition en apparence plus autonome des épisodes qui
représentent désormais la division du travail dans l’agenda personnel du
salarié. Cette évolution, de la cadence à la séquence, ne consacre-t-elle
1 CF. Norbert Elias, Du temps, Fayard, 1984, p. 54.2 Cf. Max Weber, Economie et société, Plon, 1971.
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pas le retour de la “tâche” à l’avant-plan ? Non, si l’on considère les
dispositifs de l’agenda, de l’organisation par projets ou de la direction par
objectifs, et avec eux la question nouvelle du délai.
Le codage statistique des temps
Depuis 1983, la norme de durée hebdomadaire de travail, “l’horaire
affiché” par l’entreprise, était restée exceptionnellement stable à 39
heures (1). Cette stabilité, sur une période aussi longue, aurait dû alerter
les observateurs sur la valeur conférée aujourd’hui à la durée du travail
dans l’établissement du rapport salarial et sur la capacité de la norme
temporelle à circonscrire, à elle seule, la subordination. La légalisation par
la loi dite Aubry II de la catégorie “cadre” sonnait comme un aveu.
L’entreprise Thomson (Thales Detexis), ne fut-elle pas accusée de travail
dissimulé, pour avoir été incapable de présenter à l’inspection les
décomptes horaires de ses cadres, et avoir cherché à assimiler, dans
l’accord sur les 35 heures, un nombre invraisemblable de salariés à des
“cadres dirigeants” ? L’application des lois de réduction du temps de
travail s’est accompagnée d’une prolifération des “temps gris” qui ne
traduisait pas simplement une mauvaise volonté des entreprises mais une
difficulté réelle à qualifier en temps les formes nouvelles d’engagement de
la main-d’œuvre. L’établissement par la statistique d’un lien entre “temps
effectif de travail” et normes affichées de durée collective s’avère plus
problématique. Le fait que la courbe statistique de la durée collective du
travail ait fléchi, à l’issue du processus Aubry, témoigne tout autant d’un
déplacement du rapport de forces, reportant sur le salarié tout ou partie
de la charge du risque d’emploi (coût, durée), que d’un succès imputable
au législateur et limité au strict registre temporel. “RTT contre flexibilité” :
c’est faire du temps une simple monnaie d’échange (contre de la
rémunération : heures supplémentaires, compte épargne-temps, ou de la
qualification : co-investissement formation, etc.).
L’idée devrait s’imposer aujourd’hui qu’une statistique nouvelle portant
sur la répartition des risques entre le Capital et le Travail vienne
remplacer celle du temps de travail qui exprimait naguère la
subordination. On oublie souvent, en effet, que la statistique n’est pas une
réalité intrinsèque à ce qu’elle exprime. Elle peut très bien ne plus
enregistrer que le déclin de grandes régularités, sans pouvoir qualifier ce
qui s’invente sous nos yeux. A cet égard, la promesse d’émancipation que
portaient les politiques du temps de travail est ambiguë. Nos bracelet-
montres comme parfois nos agendas témoignent à leur façon de ce que le
temps finit lui aussi par prévaloir, hors la sphère du travail subordonné
stricto sensu, sur les différents actes de la vie sociale, jusqu’à peser
parfois sur l’acquisition d’une compétence à les accomplir.
1 Cf. L’enquête trimestrielle relative à “l’Activité et aux Conditions d’Emploi de laMain-d’œuvre” (ACEMO) du ministère du Travail.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
La statistique Insee des emplois du temps égalise un ensemble disparate
de pratiques, transcodées en équivalent-temps. Elle se soucie peu de
savoir si l’individu emploie un temps dont il dispose librement ou s’il est
lui-même employé et son temps mis à la disposition d’autrui. De ce fait, le
caractère contraignant d’un temps sur un autre doit être reconstitué a
posteriori, qu’il s’agisse des temps annexés au temps de travail
(transport), interstitiels (pause), des “temps gris” (astreinte) ou des
temps domestiques. La statistique temporelle néglige, surtout, la façon
dont le libre usage des “temps non subordonnés” peut imiter l’usage
prescrit du temps de travail, dans une conception purement utilitariste des
temps privés. Le fait que les individus soient commis à développer des
capacités d’investissement ou d’épargne de leur temps réputé libre ne
constitue-t-il pas l’un des traits déterminants de notre modernité ? “ Dans
les sociétés industrialisées, s’il ne veut pas s’exposer à des préjudices
continuels, l’individu doit apprendre à se considérer lui-même comme
centre décisionnel, un bureau d’organisation de sa propre existence, de
ses propres capacités, orientations, relations amoureuses, etc. Dans la
mesure où il faut construire soi-même son existence, la ‘société’ doit être
gérée individuellement comme une ‘variable’ ” (1). Chacun est appelé, dans
le meilleur des cas, à synchroniser, pour la valoriser, son expérience
propre avec un flot d’obligations sociales exprimées en temps. Or la mise
en évidence d’une capacité inégale à réaliser des choix d’investissement
inter-temporels pourrait révéler, par exemple, le caractère très sélectif de
l’injonction nouvelle à “ se former tout au long de la vie ”. Elle souligne en
particulier le risque de sanctions auquel les femmes, spécialement,
s’exposent lorsqu’elles font le “choix” du temps partiel, au regard des
garanties collectives attachées à l’emploi de “plein droit”.
L’agenda, comme instrument de dissipation des frontières du travail et du
hors travail, pour le cadre ou le couple de cadres urbains bi-actifs,
constitue certainement un vecteur de colonisation de la vie privée par un
“temps abstrait déterminant”. Ce “temps nombrant”, typique des procédés
d’intensification du travail, peut parfaitement devenir, à l’occasion, un
facteur d’intensification du loisir (2). Mais il se peut que le temps vacant de
l’employé ou de l’ouvrier ne bénéficie pas de l’horizon de planification que
permet de dégager l’agenda du cadre, dont les 35 heures sont
majoritairement converties en un forfait de jours libérés. Le temps de
l’employé ne peut plus s’épargner qu’à travers la consommation de biens
(la machine à laver, le plat préparé…). Autrement, il redevient
pratiquement horaire et ne peut faire l’objet que d’une dépense qualifiée
de passive par le statisticien face au poste de télévision. Cet employé
moyen ne figure-t-il pas, en synchronie, l’ancêtre de nos deux “cadres
1 Cf. Ulrich Beck, La société du risque, Aubier, 2001, p.291.2 Cf. Alain Degenne, Marie-Odile Lebeaux, Catherine Marry, 2002, “Les usages dutemps : cumuls d’activité et rythmes de vie”, Economie et Statistique, n°352-353,pp.81-99.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
autonomes”, précurseurs qui, comme il le disent eux-mêmes, se mettent
à “tout gérer” ?
Un peu honteuse d’avoir à avouer que la progression globale du temps
libre est due pour l’essentiel à l’accroissement du nombre de chômeurs, la
statistique temporelle révèle des usages du temps qui n’en sont pas
véritablement (1). Lorsqu’on n’est pas “ pris par le temps ”, il se peut que
l’on soit tout bonnement lâché, et comme exclu, par lui. Un spécialiste de
l’insertion, rêvant à haute voix, nous dévoilait naguère qu’il pensait “pour
les jeunes qui ont du mal à se réveiller le matin, constituer sur leur zone
une entreprise virtuelle, avec une activité elle aussi “un peu virtuelle”
mais qui ferait rentrer les jeunes dans un moule, leur ferait prendre de
bonnes habitudes, qui sont celles du monde du travail, et qui les
socialiserait un peu (sic)”.
La question du rythme
La statistique des emplois du temps subit un reproche désormais
classique : elle ne mesurerait pas l’effet du contexte sur le temps vécu;
indifférente au caractère “intensif” de certaines séquences de temps, elle
ferait l’impasse sur le caractère subjectif du temps pour chacun. En vérité,
cette critique déborde celle de la “statistique temporelle”, elle s’adresse
au procédé statistique lui-même, en tant précisément qu’il efface
l’intensité au profit du nombre. A l’inverse, restituer l’effet d’un contexte
ou d’une culture sur le vécu ou sur les représentations du temps, à travers
une individualisation suggérée par la méthode ethnographique, c’est
souvent prendre le risque de la banalisation. Il nous faudrait plutôt
éclairer comment se crée une différence d’intensité.
L’examen des savoir-faire ouvriers, un classique de la sociologie du
travail, devrait nous aider à mieux spécifier le régime sous lequel nous
contractons des habitudes de travail et de vie. En dépit d’une prévalence
du temps sur la tâche, nous savons qu’un “savoir y faire” se logeait dans
les plis qui se prennent à la longue. A force de répétition, une habileté se
crée, une faculté à contracter le temps, à lui donner un contenu, une
intensité en rapport avec le milieu considéré. L’aptitude à habiter un
milieu se signalera, par exemple, par une vitesse d’exécution des tâches
finalement conforme aux attentes de la division du travail, y compris dans
l’espace domestique. A cet égard, l’égalité homme/femme ressortit moins
à une “meilleure répartition” des temps qu’à une habilitation à accomplir
certaines tâches (la lessive pour les hommes ou la soudure pour les
femmes), ouvrant la possibilité de “faire son trou” dans un milieu, un peu
comme on fait carrière, condition sine qua non pour développer un savoir-
faire (les soins à l’enfant sur la table à langer versus la direction d’un
1 Cf. Muriel Letrait,“L’utilisation par les chômeurs du temps libéré par l’absenced’emploi”, Economie et Statistique, op. cit.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
groupe ouvrier dans l’atelier). De nombreux actes de la vie sociale, et
notre compétence à les accomplir, portent ainsi la marque de l’habitude.
Pour chacun, “l’habitude est la fondation du temps (…), la synthèse
originaire du temps, qui constitue la vie du présent qui passe” 1. Ainsi, les
habitudes que nous contractons par un rapprochement répété entre des
éléments disparates empruntés aux milieux que nous traversons servent
de cadre à nos actes, à nos existences. Le temps de l’habitude n’est donc
pas, comme le “temps abstrait”, homogène et successif. L’habitude est
liée à l’invention d’un rythme reproductible; elle se prend en épousant une
forme qui s’offre à sa propre reconnaissance. Même subordonnée à une
mesure, comme en musique, l’idée de rythme renvoie à un mouvement
qu’on ne perçoit dans sa totalité qu’à l’exécution, laquelle précisément
crée, par contraction du temps, une différence d’intensité. La restitution
d’un rythme ressortit donc au développement d’une “technique du corps”,
au sens de Mauss. Ainsi, si l’habitude est notre synthèse du temps, elle
est essentiellement un attribut du corps et non pas simplement le foyer
d’une appréhension subjective du temps de la mesure…
La magie des catégories nous apprend, par exemple, que pour l’enquête
“Emploi du temps” de l’Insee, un resto entre amis est du “temps
physiologique”, n’appartenant pas au registre de la sociabilité, ou que le
bricolage ou le jardinage sont affectés au “travail domestique” plutôt
qu’au temps libre… 139 types d’occupations se trouvent ainsi regroupés,
dans une nomenclature en 43 catégories d’activités, elles-mêmes objets
de quatre regroupements temporels (temps physiologique, professionnel,
domestique, libre). On pourra toujours concéder que ces regroupements
conventionnels prêtent à discussion, l’essentiel n’est pas là. On peut se
demander, en effet, si le choix de la variable temps comme “terme
transitif”, support aux calculs servant à modéliser son allocation, peut
supporter aujourd’hui toute la charge de sens qu’on lui attribue. Oui, si
nos projets d’épargne et d’investissement se conforment au précepte
puritain, de sorte que “le temps soit de l’argent”. Mais, à rechercher dans
les supermarchés des plats qui nous épargnent le temps de leur
préparation, ne perdons-nous pas une compétence, individuelle et
collective, à faire la cuisine mais aussi à en goûter ensemble les produits ?
On devine, à travers ce trait de civilisation, comment le temps libéré nous
plonge tendanciellement dans un temps linéaire “prêt à consommer” dont
l’usage interdit finalement l’appropriation. Lorsque nous disons être pris
par le temps, c’est souvent le signe que nous peinons à combiner les
usages du “temps abstrait” avec le développement d’habitudes
“positives”, à trouver notre rythme. N’est-il pas vain de demander à la
statistique temporelle, comme le font parfois les thuriféraires d’une
1 Cf. Gilles Deleuze, Différence et répétition, Puf, 1968, pp. 108-109.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
“réarticulation des temps sociaux”, les clés de cette réappropriation
individuelle et collective du temps ?
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Raphaël Carette ©
PHOTOGRAPHE MEMBRE DU COLLECTIF BLOWUP
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
CHAP. 2 - STATISTIQUE DES EMPLOIS DU TEMPS ET VIE QUOTIDIENNE
LAURENT DUCLOS
En juin 2003, Eurostat a mis en ligne un numéro de “Statistiques en bref”
sur les emplois du temps comparés des femmes et des hommes en
Europe 1. Des chiffres sans surprise sur la division
sexuelle du travail domestique : les femmes réservent
au moins une heure de plus que les hommes à ces
travaux dans la plupart des pays d’Europe. En
moyenne, cette fois, on calcule qu’elles consacrent
3 h 55 aux tâches ménagères et familiales contre
2 h 19 pour les hommes. La distance moyenne à cette
moyenne peut elle-même être mesurée par une
formule d’écart-type. On manifeste alors que la
dispersion autour de ladite moyenne est de près de 30
minutes pour les femmes dans les dix pays considérés
; elle n’est que de 10 minutes pour les hommes 2. Cette inégale dispersion
n’est pas mentionnée dans le “leaflet” publié par Eurostat où seuls sont
pointés des écarts absolus. Ces écarts permettent, en effet, de manifester
que le sexe des individus reste le principal élément de différenciation des
emplois du temps. Au vu de la présence confirmée des femmes sur le
marché du travail, conjointement, de l’évolution des modèles familiaux,
comme du mouvement général en Europe d’individualisation des rapports
sociaux, ce résultat statistique légitime, à bien des égards, la soumission
des politiques visant les divers aspects de la vie quotidienne
(travail/famille) à un nouveau principe d’égalité. Ces politiques suffiront-
elles à “redresser” lesdits emplois du temps, à amener les hommes à
assumer davantage de responsabilités dans la sphère domestique, à
soutenir les femmes dans la poursuite des projets de carrière qu’elles
forment ? En l’état, rien n’est moins sûr.
On examinera tout particulièrement la ligne 5, intitulée Household work
and family care, d’un tableau portant sur les usages des temps.3
1 http://europa.eu.int/comm/Eurostat/Public/datashop/printcatalogue/FR?catalogue=Eurostat&collection=02-Statistics%20in%20Focus&product=KS-NK-03-012-__-N-FR2 Entre hommes et femmes, nous avons donc une augmentation de la variation(écart type/moyenne) de 50%.3 tiré de Aliaga (C.), Winqvist (K.), 2003, “Comment les femmes et les hommes utilisentleur temps”, Eurostat-Statistiques en bref, décembre.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Après avoir rappelé rapidement en quoi l’exigence de “conciliation entre
vie familiale et vie professionnelle” —depuis son incorporation à la Charte
des droits fondamentaux de l'Union 1, a fortiori depuis son entrée dans les
lignes des Plans Nationaux pour l’Emploi— avait notamment scellé les
noces de la politique et de la statistique temporelle [I], nous proposerons
une interprétation de cette dispersion dans les emplois du temps [II].
Nous tenterons alors d’identifier ce qui “résiste” aux échanges de rôle et à
la redistribution des temps suggérés par le commentaire accompagnant
ordinairement cette statistique temporelle et de comprendre, notamment,
pourquoi les hommes n’ont pas franchi dans le champ parental et dans la
sphère domestique un pas qui soit toujours à la mesure du chemin
parcouru par les femmes dans le monde du travail salarié [III].
Statistique temporelle et formalisation de l’objectif politique
La statistique temporelle, l’uniformité même de ses résultats, attestent
souvent du caractère têtu de ce que le sociologue appelle le “fait normal”,
de la persistance en l’occurrence, et dans les faits, du modèle de
complémentarité inégalitaire entre les sexes. Or ce modèle est, comme on
le sait, soupçonné d’engendrer des sujétions incompatibles avec les
critères sociaux de citoyenneté énoncés aujourd’hui au plan européen et
dont découle notamment l’adoption par la Commission d’un principe
général de “mainstreaming” 2.
En vertu de ce principe, les Etats membres étaient invités à offrir aux
hommes et aux femmes des conditions égales d’accès au marché du
travail ou encore de soutien à la conciliation entre vie professionnelle et
vie familiale ; ils étaient corrélativement appelés à abandonner toute
référence sexuée dans la définition et la mise en œuvre des politiques de
la vie quotidienne, qu’elles concernent le champ de l’emploi ou celui de la
famille 3.
1 Sommet informel des Quinze le 14 octobre 2000 à Biarritz et proclamationofficielle au sommet de Nice. Citons, pour mémoire, l’article 33 de la Charte. Cedernier dispose que “1. La protection de la famille est assurée sur le plan juridique,économique et social. 2. Afin de pouvoir concilier vie familiale et vie professionelle,toute personne a le droit d'être protégée contre tout licenciement pour un motif liéà la maternité, ainsi que le droit à un congé de maternité payé et à un congéparental à la suite de la naissance ou de l'adoption d'un enfant”.2 Principe visant à annuler l’impact différentiel des politiques des Etats membresde l’Union sur les femmes et les hommes.3 Selon ces dispositions, le droit français a d’ailleurs peu à peu consacré l’abandondes références à la division traditionnelle des rôles dans le ménage et à uneterminologie sexuée : ainsi de la formulation du droit au congé parentald’éducation, au titre de l’art. L. 122-28-1 du Code du travail, en tant que droit non
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Le but de ces politiques de conciliation pourrait être énoncé comme suit :
il s’agit que les “temps sociaux” aient le moins possible le caractère de
“temps contraints” mais deviennent idéalement, tant en ce qui concerne
la sphère domestique que la sphère productive, et pour chacun, des
“temps choisis”. La statistique temporelle pourrait parfaitement
enregistrer les progrès réalisés en ces domaines. En tant qu’instrument de
“prise de conscience” ne peut-elle plus directement les provoquer,
encourager au déplacement de la barrière temporelle et renverser, de ce
fait, celle du sexe ? C’est manifestement le vœu que formulent les
partisans d’une réarticulation globale des temps sociaux. La question de la
conciliation vie familiale / vie professionnelle a ainsi consacré les noces de
la statistique temporelle avec la politique. Les “temporalistes”, naguère
hérauts de la réduction du temps de travail, en France, portent volontiers
leurs efforts aujourd’hui sur le “temps des villes”; ils préconisent ainsi
l'établissement de “bureaux des temps” et le développement de toute une
ingénierie dédiée à l’articulation des temps, à base d’analyses
“chronotopiques” réputés produire notamment une connaissance
panoptique des rythmes urbains…
Les projets de libération par le temps alimentent, à l’occasion, le
sentiment qu’on pourrait établir, à l’échelle de la société, des “vases
communiquants” entre les différents “temps sociaux”. Et c’est vrai que
l’objectivation des emplois du temps a rendu sensible le résistible
avènement de la “société des loisirs” ou la persistance “regrettable” du
modèle de complémentarité inégalitaire entre les sexes. On ne se plaindra
pas qu’il y ait, dans ces constats, matière à alimenter la réflexion et,
parfois, le combat politique. Plus d’une fois, d’ailleurs, les “forces de
progrès” ont cherché à instrumenter le droit pour déplacer les barrières
du temps. Chacun se souvient que l’édiction de normes visant directement
la durée du travail avait ainsi permis de fixer des bornes à la
subordination et d’œuvrer à l’émancipation des travailleurs.
transférable, c’est-à-dire non basé sur le renoncement de la mère à l’exercercomme c’était le cas dans la loi du 12 juillet 1977 ; ou des droits à congé pourenfant malade et autre droit de présence parentale. Le droit consacre, par ailleurs,la reconnaissance d’un droit égal à une vie familiale, c’est-à-dire qu’il abandonnetoute identification de la femme et de la famille. Notons qu’il peut s’agir, en fait,d’une extension de certaines règles protectrices à l’homme. Le dangerévidemment, c’est qu’un droit de cette nature, dépouillé de la référence sexuée, aunom d’un seul principe “d’égalité formelle”, aboutisse, dans les faits, à nier la viefamiliale des deux sexes… On ne peut pas, en la matière, ne pas penser au cas del’interdiction de faire travailler les femmes la nuit (et aux suites de l’arrêt Stoeckeldu 25 juillet 1991) : le rappel au principe d’égalité formelle entre hommes etfemmes, qui ouvrait un droit à faire travailler les femmes la nuit, pour la France,aurait pu ou dû être davantage assorti d’un rappel simultané à un autre principegénéral protecteur indiquant que pour chacun la nuit, pouvait être faite pourdormir, même quand on est un homme !
- 55 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Mais c’est bien parce que la variable temps était une variable importante
dans les agencements productifs et pour l’organisation du travail (depuis
l’atelier taylorisé jusqu’aux caractéristiques formelles de l’emploi
aujourd’hui) qu’on pouvait borner l’emprise patronale sur la vie du salarié
en jouant directement sur cette variable. On tournait alors un dispositif
d’assujettissement pour en faire un instrument de libération. Or il n’est
pas sûr que toutes les activités sociales nouent avec le “temps des
horloges”, un temps homogène et successif, qu’il soit compté en heures
ou en jours, les même rapports étroits. L’effet du procédé statistique en
général, et de la statistique temporelle en particulier, peut donner
pourtant cette illusion : cette statistique permet, en effet, de coder en
équivalent-temps un ensemble d’activités et de moments disparates dont
elle annule, par définition, les qualités propres au seul profit de la durée
et donc du nombre. Et il est vrai que rapportés au “temps de l’horloge”,
les actes de la vie sociale prennent une valeur égale. Ce transcodage
statistique est certainement utile à simuler la façon dont se répartissent
les temps. De là à en inférer que les individus disposent réellement d’un
“budget temps” qu’ils peuvent “dépenser” et allouer, par jeu de
préférences et selon une logique de “vases communiquants”, à telle ou
telle activité, il y a un pas… que certains n’hésitent pas à franchir. A
contrario, on peut se demander si la variable temps, choisie comme terme
transitif, peut supporter toute la charge de sens qu’on lui attribue à
l’occasion…
Charge de conciliation et agencement institutionnel
Un récent colloque organisé, en France, par la DREES (Ministère des
Affaires sociales, du travail et de la solidarité) sur le “modèle nordique”
et, notamment, la comparaison France-Suède, dont les actes ont été
publiés par la Revue française des affaires sociales, a offert l’occasion de
commenter, pour l’interpréter, la dispersion que nous évoquions au début
s’agissant des temps que les femmes consacrent, en Europe, aux tâches
ménagères et familiales : on sait que l’activité domestique, a fortiori la
question du “travail centré sur autrui”, le “care”, est habituellement une
affaire de femmes ; c’est alors un agencement institutionnel donné qui
permet d’expliquer cette dispersion. Soit, cet agencement permet, dans
sa globalité, de répartir la charge de conciliation, en sortant notamment la
question de la conciliation des contours de la famille, auquel cas il permet
aux femmes de réduire leur engagement dans la sphère domestique, soit
il ne le permet pas. Lorsque cet agencement permet de répartir la charge
de la conciliation, on peut penser qu’il limite, en retour, les gains de
spécialisation entre hommes et femmes et créé, de ce fait, un “cadre
- 56 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
favorable” à l’émergence d’une répartition plus égalitaire des tâches. Tel
n’est pas toujours le cas 1.
L’agencement institutionnel en question pourrait correspondre, peu ou
prou, à l’idée qu’on se fait ordinairement des grands “modèles nationaux”
et de leur déclinaison dans tel ou tel champ (marché du travail, protection
sociale, etc.). Dans la littérature comparative, les données qui permettent
d’exprimer ces “modèles” et leur part variable empruntent généralement
à deux sources : la source statistique, qui permet à la fois d’objectiver des
comportements typiques dans la population et de rendre, sur des
variables choisies, le pays comparable ; l’inventaire des droits 2.
En réalité, l’agencement institutionnel, tel que nous le concevons diffère
un peu. Il n’est pas réductible, en particulier, au détail des droits sociaux.
Si le droit aménage, en effet, des possibilités de choix et d’action pour les
uns, s’il pose une limite à l’action des autres, s’il permet d’offrir à tous le
bénéfice des effets qui se produisent en lui, on peut penser qu’il ne
comprend bien souvent que des dispositions “passives”, y compris lorsque
ces dernières sont dites “incitatives” 3. Marie-Thérèse Letablier affirme
ainsi qu’en dépit de la générosité des règles relatives à sa durée et au
revenu de remplacement ou de l’abandon de la référence sexuée dans le
droit, en 2000, “un peu moins de 14% des pères avaient pris un congé ou
une partie du congé en Suède contre seulement 4,1% en Finlande et
5,5% au Danemark. La durée du congé pris par les pères est bien
1 Les ressources que les femmes apportent au ménage et le “pouvoir denégociation” qu’elles y gagnent ne sur-déterminent en rien la répartition destâches et la nature du compromis noué dans l’espace domestique.2 Ces derniers sont réputés donner, même si elle apparaît figée, une image, ducompromis social propre à chaque pays. Le reste tient fréquemment aucommentaire dans lequel les données historiques et le répertoire des acteursvoisinent avec l’évocation de quelques fondateurs dont l’œuvre et le nom, luimême, peut finir par connoter le “modèle” (Beveridge, Bismark, Alva et GunnarMyrdal, Laroque, etc.). 3 Un droit “évasif” peut, en outre, parfaitement servir de support à des stratégies“d’évasion”, ainsi des 35 heures en France. Les entreprises ne désirant pas remplirles conditions de l’échange “Réduction du Temps de Travail contre emploi”, quiconstituait le premier mobile de la loi dite Aubry I du 13 juin 1998, ont souventchoisi d’anticiper la norme légale à 35 heures, posée ultérieurement par la loi diteAubry II du 19 janvier 2000, sans recourir à l’aide incitative. Ces accords Aubry Isans aide incitative concernaient plutôt de grandes entreprises ; ils avaient conduità des baisses limitées du temps de travail (- 6,4 %, soit 2 h 30 de RTT contre 10%pour le bénéfice des aides), principalement par requalification de pauses, sortiesdu temps de travail effectif, et imputation de la RTT sur des congés s’ajoutantd’ores et déjà aux congés légaux. On ne sera pas étonné de noter que, dans cesentreprises, près d’un salarié sur deux considérait, en 2001, que la RTT – moitiémoindre en moyenne de ce qu’elle était ailleurs – n’avait occasionné aucunchangement dans sa vie quotidienne. Les exemples ne manquent pas sur lesdifférentes scènes de la “conciliation”, ainsi du congé parental dans quelques paysnordiques.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
inférieure à celle du congé pris par les mères : en 1999, les pères
(auraient) pris en moyenne 2,2 semaines, c’est-à-dire un peu moins de
4% par rapport à leur droit, alors que les mères (auraient) pris en
moyenne 44,8 semaines (congé de maternité inclus)” (Letablier : 2003 ;
p.498).
On doit considérer, enfin, que la plupart des droits concernés s’énoncent
sous la forme de “droit à…” : c’est la façon dont s’énoncent ordinairement
les droits économiques et sociaux. Or on sait qu’un “droit à…” n’a d’autre
portée juridique que les dispositions de droit positif qui les prolongent
dans le détail des conditions et des exceptions, et ce afin d’en assurer la
réalisation. C’est le tissu des institutions qui assure alors la mobilisation
du droit, le plus souvent dans un “mutuel arrêt de forces et de pouvoirs
concurrents” (les institutions de Sécurité sociale peuvent se porter
garantes de l’usage et de la mobilisation de certains droits sociaux contre
les pratiques développées par les employeurs en matière, par exemple,
d’accès aux droits à congé) 1.
Quand on évoque l’agencement institutionnel qui serait à la base de
chaque modèle national, on pense alors clairement à cet équilibre de
pouvoirs entre institutions concurrentes (institutions publiques, locales ou
nationales, organismes privés producteurs de services aux personnes,
entreprises, etc.). Au contraire d’une tendance dans la littérature
comparative à identifier l’institutionnel à quelques grandes “régularités
anomynes”, nous pensons qu’il convient plutôt de décrire finement le
programme et l’action d’institutions dotées de structures d’organisation
identifiables, pour comprendre les effets qui se produisent à leurs
frontières, dans le “milieu social” où le pouvoir propre à chacune se fait
sentir. C’est, en effet, dans l’entrelacs des prescriptions directes ou
indirectes propres à chaque institution —lesquelles viennent en
contrepoint du besoin sectoriel auquel l’institution considérée répond
— que naissent les régularités que s’efforcent d’objectiver nos grands
appareils statistiques. Les régularités observées sur le “marché du travail”
sont typiquement le produit d’une telle rencontre entre le comportement
des entreprises, des organismes de protection sociale, au sens large du
terme incluant le service public de l’emploi, des ménages, etc.
Or, il se joue dans cette rencontre entre des institutions qui peuvent
parfaitement s’ignorer les unes les autres des effets de “réverbération” ou
de “réflexivité institutionnelle” dont le sociologue Erwin Goffman avait pu
montrer qu’ils sont au cœur même des grandes régularités observées par
le statisticien, et pour ce qui nous concerne ici, au fondement de la
division sexuelle du travail et du maintien, parfois, d’une complémentarité
inégalitaire entre les sexes. La logique de genre qui marque, en France,
1 La capacité du droit à obliger peut dépendre encore de la source qui lui donnecorps et le véhicule effectivement, ainsi des Caisses d’allocations familiales enFrance pour tout ce qui concerne les aides à la garde d’enfant.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
les formes particulières d’emploi, spécialement l’emploi à temps partiel tel
qu’il est exploité par les entreprises, s’incorpore ainsi progressivement,
par réverbération ou effet miroir, aux morales domestiques. Dans les
enquêtes statistiques, c’est la volonté exprimée par les salariés à temps
partiel enquêtés de vouloir ou non travailler sur une durée plus longue qui
permet ainsi d’établir la séparation entre “temps partiel choisi” et “temps
partiel contraint”. Or, plus l’inscription dans l’emploi à temps partiel est
ancienne plus ce dernier est dit “choisi” par la personne. On peut
facilement s’assurer que les principes de la vie domestique s’ajustent à
cette situation de fait comme à cette rationalisation a posteriori.
La méconnaissance des effets produits par ce tissu institutionnel peut
parfaitement amener les “politiques temporelles”, sectorielles par
définition, à reconduire voire à renforcer les effets négatifs de cette
“réverbération institutionnelle”. Ne sachant comment les contrecarrer, il
arrive alors qu’on impute aux mentalités —qu’il faudrait changer
évidemment— le produit d’un agencement institutionnel sur lequel on a
d’autant moins prise qu’on a guère su le caractériser…
Les partage des tâches : une logique d’habilitation conditionnant les
délégations au conjoint comme au tiers
Le codage des moments de l’existence en équivalent-temps peut être utile
à produire des effets de connaissance, à marquer des régularités d’usage
et de comportement qu’il peut “conjoindre” avec les caractères socio-
démographiques des populations étudiées… On a vu qu’il ne fournissait ni
de bons repères à l’action publique, ni, en soi, les clés d’une meilleure
répartition des tâches entre hommes et femmes. D’ailleurs, ni le temps
libéré pour les hommes, ni le pouvoir que les femmes gagnent
théoriquement dans les négociations du fait de leur participation au
marché du travail et de leur contribution aux revenus du ménage, ne
suffisent à rendre sensible, dans l’enregistrement statistique, une
répartition plus égalitaire des tâches, ainsi d’ailleurs qu’en témoignent les
résultats de l’enquête “mode de vie” diligentée par le ministère français
du travail à l’occasion du processus de réduction du temps de travail.
Il faut alors se rendre à l’évidence. Ainsi qu’on l’a déjà suggéré, le temps
n’est pas précisément un caractère intrinsèque aux activités que la
statistique temporelle met toutes sur un même plan. D’ailleurs, le seul
exemple historique d’assujettissement complet des tâches à un temps
opératoire déterminant leurs modalités d’accomplissement reste, à notre
connaissance, le taylorisme.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Or même si nous devons composer, en permanence, avec le cadrage
envahissant des moments de l’existence par le temps abstrait des
horloges, le temps que nous consacrons à diverses activités restent le
produit du sens que nous leur donnons et de l’habileté que nous mettons
à les accomplir. Davantage que la durée absolue qu’on est susceptible de
lui consacrer, c’est le rythme qui naît dans l’intimité d’une tâche qui sera
nécessaire à son accomplissement. La capacité à acquérir un rythme, la
possibilité de trouver son rythme — qui témoignent du savoir-faire
accumulé dans l’effectuation d’une tâche — ressortissent donc au
développement d’une technique et à l’incorporation progressive d’une
compétence. Autrement dit, il ne faut pas simplement du temps pour faire
une chose, il faut également en développer l’habitude. L’habitude est, en
quelque sorte, notre synthèse du temps. Or l’apprentissage rythmique de
l’habitude a un coût.
Une habileté se crée à force de répétition. Elle se présente alors comme
une faculté à contracter le temps, à lui donner un contenu, une intensité.
Même subordonnée à une mesure, comme en musique, l’idée de rythme
renvoie ainsi à un mouvement qu’on ne perçoit dans sa totalité qu’à
l’exécution, laquelle précisément crée, par contraction du temps, une
différence d’intensité. L’aptitude à habiter un milieu (le bureau, la cuisine)
se signalera, par exemple, par une vitesse d’exécution des tâches
finalement conforme aux attentes de la division du travail, y compris dans
l’espace domestique. A cet égard, l’égalité homme/femme ressortit moins,
dans l’absolu, à une “meilleure répartition” des temps qu’à une
habilitation à devenir compétent, à accomplir certaines tâches (la lessive
pour les hommes ou la soudure pour les femmes), ouvrant la possibilité
de “faire son trou” dans un milieu, un peu comme on fait carrière,
condition sine qua non pour développer un savoir-faire (les soins à
- 60 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
l’enfant sur la table à langer versus la direction d’un groupe ouvrier dans
l’atelier).
Plus les compétences de base des uns et des autres seront réputées
faibles, plus la négociation globale, préalable à l’exécution d’une tâche,
portera sur l’habilitation à donner au détenteur de ces “compétences”
pour les développer et les actualiser. S’il en était autrement, il faudrait en
conclure que les activités ménagères ou les soins à l’enfant ne nécessitent
aucune espèce de compétence particulière. Il est piquant que les
“féministes temporalistes”, qui parient volontiers sur l’allongement du
temps de présence de l’homme ou du père dans la sphère domestique
pour que s’opère un meilleur partage des activités domestiques et
parentales, tombent, à l’occasion, sur ce paradoxe. Cette remarque est
moins anodine qu’il n’y paraît. La question de l’habilitation pose
directement la question de la délégation à autrui. Or, dans tous les cas,
qu’il s’agisse de déléguer au conjoint ou à un intervenant extérieur, c’est
souvent à la femme qu’elle se posera en priorité. On peut noter que
l’hypothèse de “réflexivité institutionnelle” qui était la nôtre au
paragraphe précédent —comme explication “extérieure” à la persistance
du modèle de complémentarité inégalitaire entre les sexes— interdit bien
souvent que la question de la délégation vienne à se poser. Dans ce cas
de figure, la “logique d’habilitation” qui constitue, pour le coup, une
explication “intérieure” à la persistance du même modèle interdira, à son
tour, qu’elle se pose au sein du couple et pour le couple.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
CHAP. 3 - COMMENT SE CONSTRUIT UNE STATISTIQUE EUROPÉENNE ?
DELPHINE NIVIÈRE
La construction de statistiques sociales communes à l’ensemble des pays
de l’Union européenne est confrontée à de réelles difficultés. La diversité
des systèmes de protection sociale, des systèmes éducatifs et des
systèmes fiscaux, en Europe, implique d’inévitables conflits dans la façon
de concevoir et de mesurer des objets tels que la pauvreté, les revenus,
les conditions de vie… A la diversité des systèmes sociaux, s’ajoute la
variété des organisations et des méthodes des systèmes statistiques
nationaux. Tous les pays ne mesurent pas les revenus en utilisant les
même méthodes statistiques : les uns, en particulier les pays nordiques,
ont développé une banque d’informations issues des registres
administratifs. Les autres, c’est le cas par exemple de la France, de
l’Espagne ou de l’Italie, utilisent prioritairement les données d’enquêtes
par questionnaire auprès des ménages.
En s’intéressant au projet européen de statistiques sur les revenus et les
conditions de vie (European Statistics on Income and Living Conditions –
EU-SILC1), ce chapitre a pour objet d’illustrer la construction d’une
nouvelle opération statistique européenne. Le projet EU-SILC a donné lieu
à une première collecte de données dans certains pays européens en
2003, une collecte complète dans l’ensemble des pays de l’Union
Européenne doit être finalisée en 2005. Suivre la naissance d’un tel
instrument, c’est essayer de mettre à jour les discussions et la diversité
des points de vue sur un objet statistique qui constitue encore un enjeu,
avant que la « boîte noire » ne se referme et que les points de tension ne
disparaissent. Le projet qui est au centre de notre examen est bien
représentatif de la gageure que constitue la construction d’une statistique
sociale européenne : les mesures des revenus et des conditions de vie
sont façonnées par les systèmes sociaux et par les sources statistiques. De
plus, le projet EU-SILC est la première opération dans le domaine des
statistiques sociales à faire l’objet d’un règlement européen. Ce cadre
législatif oblige tous les pays membres de l’Union Européenne à prendre
part à l’opération, selon des modalités fixées par la loi.
La demande politique initiale
Pourquoi une enquête sur les revenus et les conditions de vie au niveau
européen ? En mars 2000, le Conseil européen de Lisbonne a estimé
« inacceptable que, dans l'Union, tant de personnes vivent en dessous du
1 Cette opération statistique sera dénommée par la suite : EU-SILC.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
seuil de pauvreté et soient touchées par l'exclusion sociale »1. Le
développement, encore embryonnaire, du volet social de la construction
européenne, la multiplication des déclarations politiques pour lutter contre
l’exclusion sociale ont un impact sur le développement des statistiques
communautaire. Pour évaluer les progrès des programmes de lutte contre
l’exclusion sociale et l’effet des fonds européens accordés, les institutions
européennes ont besoin d’indicateurs statistiques permettant de mesurer
les évolutions dans le temps et d’évaluer les écarts entre les pays.
Au sommet de Nice, en décembre 2000, cette position a été approfondie
et le Conseil européen a invité tous les pays membres à « définir des
indicateurs et des modalités de suivi permettant d’apprécier les progrès
accomplis »2 dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Des
indicateurs qui doivent permettre de suivre les effets des politiques
nationales de lutte contre l’exclusion sociale sont définis.
Un premier jeu de vingt-sept indicateurs, appelés indicateurs structurels, a
été établi par la Commission européenne. Quatre d’entre eux concernent
les revenus : ratio des quintiles, taux de pauvreté avant et après
transferts sociaux, persistance de la pauvreté3. Les mesures de ces
indicateurs doivent être fournies tous les ans par Eurostat à la DG Emploi
pour la rédaction du rapport annuel de synthèse destiné au sommet
européen de printemps.
Entre le sommet de Lisbonne, mars 2000, et le sommet de Laeken en
décembre 2001, dix-huit indicateurs communs ont été définis par un
groupe de travail du Conseil, le sous-groupe indicateurs du Comité de la
protection sociale composé notamment des représentants des ministères
des affaires sociales4. Ces indicateurs, appelés indicateurs de Laeken,
abordent les domaines de la cohésion sociale et de l’emploi et sont
partagés en dix indicateurs primaires, jugés essentiels, et huit indicateurs
secondaires. Parmi les indicateurs primaires, le calcul de quatre
indicateurs va utiliser les données de revenus fournies par l’enquête EU-
SILC : le taux de bas revenus après transfert avec un seuil de bas revenu
1 « Conclusions de la présidence », Conseil Européen de Lisbonne, 23 et 24 mars2000, point 23. 2 « Conclusions de la présidence », Conseil Européen de Nice, 7, 8 et 9 décembre2000, point 20.3 Personnes vivant dans un ménage dont le revenu total était inférieur à 60% durevenu médian à l’année N et durant deux années au moins au cours des années N-1, N-2 et N-3. 4 Caillot (L.), Lelievre (M.), Petour (P.), « Les indicateurs de suivi et d’évaluation duPlan National d’Action contre la pauvreté et l’exclusion sociale », Dossiers solidaritéet santé, n° 2, avril-juin 2002, pp. 33-52 ; Elbaum (M.), « Les enjeux de laconstruction européenne pour les statistiques sociales », Intervention à la tableronde du CNIS, 24 avril 2003, et également Rapport sur les indicateurs dans ledomaine de la pauvreté et de l’exclusion, Comité de la protection sociale, octobre2001.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
fixé à 60% du revenu médian (cela correspond à ce qui est appelé
communément « le taux de pauvreté »), ratio des quintiles de revenu, la
persistance de bas revenus, intensité de la pauvreté à 60%1. Parmi les
indicateurs secondaires, d’autres indicateurs comme, notamment, la
dispersion de part et d’autre du seuil de bas revenu, taux de bas revenu
avant transferts, coefficient de Gini pour les revenus, vont utiliser les
données de l’opération EU-SILC.
La DG Emploi a ainsi besoin des données de l’enquête EU-SILC pour
réaliser les rapports sur l’exclusion sociale en Europe qu’elle publie chaque
année, avant le sommet du Conseil Européen de mars. Quand des objectifs
sociaux sont fixés par les Conseils européens ou par le Conseil et le
Parlement, la DG Emploi doit fournir des études qui permettent de suivre
les convergences nationales vers ces objectifs. Pour cela, elle se tourne
vers Eurostat qui est officiellement chargé de « rendre les statistiques
communautaires accessibles (…) en vue de la formulation, de la mise en
œuvre, du suivi et de l’évaluation des politiques communautaires »2.
Les employés d’Eurostat doivent fournir à la DG Emploi des données qui
permettent de suivre les politiques sociales européennes : des indicateurs
statistiques. Le terme « indicateurs sociaux » renvoie à un certain usage
des statistiques pour faire voir la société sous l’angle du progrès social et
de l’application de politiques. Ainsi, dans un rapport sur les indicateurs
sociaux commandé par la présidence belge du Conseil de l’Union
Européenne en 2001, les indicateurs sociaux sont définis comme « an
important tool for evaluating a country’s level of social development and
for assessing the impact of a policy »3. Plus loin, les auteurs précisent
l’objectif politique des indicateurs : « potentially, they have great value in
pointing to significant social problems ». Les indicateurs utilisés et
commandés par la DG Emploi constituent ainsi une certaine « mise en
forme » ou « mise en scène » des statistiques sociales dans des
« dispositifs spécifiques orientés vers le compte-rendu, la comparaison et
l’évaluation des états de la société »4.
La DG Emploi est financeur de l’opération EU-SILC. A ce titre, elle a droit
de regard sur le contenu de l’opération. Un représentant de la DG Emploi
est présent lors des réunions du groupe de travail organisées à Eurostat et
1 Différence entre la médiane des revenus des personnes en dessous du seuil depauvreté et le niveau du seuil de pauvreté avec un seuil de pauvreté fixé à 60% dela médiane des revenus. 2 « Décision de la Commission du 12 avril 1997 concernant le rôle d’Eurostat enmatière de lproduction de statistiques communautaires » (97/281/CE), article 4« Tâches d’Eurostat ».3 Atkinson (T.), Cantillon (B.), Marlier (E.) et Nolan (B.), Social Indicators, The EUand Social Inclusion, 2002, Oxford Press University.4 Perret (B.), Indicateurs sociaux, Etats des lieux et perspectives, 2002, Les Papiersdu CERC, n° 2002 01, Conseil de l’Emploi, des Revenus et de la Cohésion Sociale.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
consacrées au projet. Il siège aux côtés des employés d’Eurostat, à la
même table que la présidente de la réunion. Cette place est significative
de l’importance des représentants de la DG Emploi pour les personnes
d’Eurostat : ils sont installés en quelque sorte à une position d’égalité et
non à l’arrière des représentants des pays, comme le sont les experts et
les observateurs extérieurs au groupe de travail. Plusieurs termes
reviennent dans les propos des personnes d’Eurostat qui s’occupent du
projet pour qualifier l’importance de la DG Emploi : c’est « le client
principal », « c’est eux qui sponsorisent », « c’est eux qui payent le
projet », « la DG Emploi finance et veut les résultats tout de suite ».
Le travail à Eurostat
S’intéresser au « moment » Eurostat dans le processus de construction
d’une statistique européenne, c’est s’intéresser à ce qui se passe entre le
moment où la Commission européenne décide qu’elle a besoin de données
chiffrées pour étudier, par exemple la lutte contre la pauvreté et
l’exclusion sociale en Europe, et le moment où les instituts nationaux de
statistique vont mettre en œuvre une enquête coordonnée par Eurostat.
Comment se construit un projet statistique à l’échelle européenne ?
Comment s’harmonisent les pratiques et les systèmes institutionnels des
différents pays membres ? Quel est l’objet produit à Eurostat ?
La tâche des employés d’Eurostat est de fabriquer du compromis ou
encore d’arriver à faire fonctionner ensemble des systèmes sociaux et
statistiques différents. Tout l’enjeu de leur travail est de parvenir à mettre
en harmonie les exigences politiques de la DG Emploi qui veut des chiffres
pour orienter sa politique sociale, les possibilités pratiques de collecte de
ces données dans tous les Etats membres, dans leur diversité, et les
exigences techniques des employés des instituts nationaux de statistique.
Celui qui travaille pour Eurostat doit tenir compte, en même temps, des
différents aspects de la statistique : science du bien mesurer, travail de
collection des informations, outil de décision pour le politique. Dans les
instituts nationaux de statistique, la division du travail permet de
circonscrire chacun dans un seul des enjeux. Eurostat est dans une
position originale de négociateur qui joue l’intermédiaire entre la DG
Emploi et les instituts nationaux. Ses employés doivent trouver des
réponses aux sollicitations politiques en demandant aux instituts de
statistiques de leur fournir des données et en faisant en sorte que ces
données, une fois assemblées au niveau de l’Union Européenne, aient un
sens et une valeur statistique. Les personnes qui travaillent à Eurostat
peuvent ainsi percevoir toute la tension interne aux statistiques, entre
l’usage politique et les exigences théoriques et pragmatiques des
statisticiens.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Le langage propre d’Eurostat est un langage statistique fondé sur « une
base scientifique », mais les personnes d’Eurostat doivent être capables
d’entendre les arguments et volontés strictement politiques. Pour montrer
les difficultés des exigences politiques, seul le langage statistique a une
valeur dans la bouche des employés d’Eurostat qui ne contrôlent pas les
objectifs politiques.
« La DG Emploi, c’est eux qui payent le projet. Et c’est vrai que nous
devons faire attention à ce que dit la DG Emploi. Si tu n’es pas d’accord, il
faut trouver… Par exemple, imaginons que la DG Emploi va proposer des
choses pour lesquelles nous pensons que la taille de l’échantillon n’est pas
suffisante ou que ce sont des questions très intimes qui peuvent mettre en
péril l’enquête. Il faut leur expliquer ce qui ne va pas. Nous essayons de
trouver une base scientifique pour leur expliquer. Sinon nous faisons une
étude avec le ECHP pour démontrer que ça ne marche pas. Qu’ils veulent
faire une chose et que… » 1
Du point de vue de la base de données et du travail statistique, Eurostat
est chargé d’opérer la transformation entre, d’une part, les indicateurs
statistiques définis par les instances européennes (Conseil, Parlement ou
Conseil Européen) et, d’autre part, les variables cibles : à partir des
indicateurs demandés, il doit déterminer des variables à mesurer et, à
partir des variables collectées, il doit s’assurer de la production de ces
indicateurs. Ainsi, pour établir les taux de pauvreté nationaux, Eurostat
collecte les revenus disponibles puis transforme les observations
rassemblées dans la base de données en un seul chiffre par pays, construit
comme la part d’individus ayant un revenu inférieur à 60% du revenu
médian national. Toutefois, les informations à collecter pour établir un
indicateur ne sont pas toujours évidentes : comment mesurer, par
exemple, la participation sociale ou le confort d’un logement ?
Pour réaliser au mieux cette opération de traduction entre indicateurs et
variables cibles, les employés d’Eurostat doivent essayer de bien
comprendre les demandes politiques, faire un « ajustement » :
« On a beaucoup de réunions, de négociations. Une fois par semaine, je
suis à Bruxelles [emplacement des bureaux de la DG Emploi et du Conseil]
ou à Strasbourg [localisation du Parlement européen] parce qu’il faut
qu’on rencontre les gens, les décideurs politiques pour qu’on s’ajuste sur
les demandes. »2
1 entretien 2 entretien
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
« Des fois, je vais voir à la DG Emploi. Je demande ce qui est important,
des détails sur ce qu’ils veulent. Mais les réponses que j’obtiens ne sont
pas toujours très claires. »3
On voit là la position équivoque d’Eurostat dans sa fonction de traduction
en statistiques des objectifs politiques de la DG Emploi. Cette traduction
est plus qu’une simple transposition : ce qui est au départ un objectif
politique comme « améliorer la cohésion sociale » ou permettre à au
moins « 33% des enfants de moins de 3 ans » d’avoir accès à des
« structures d’accueil » est transformé et même recréé du fait de son
passage de la DG Emploi à Eurostat. Les employés d’Eurostat font bien
plus que donner à mesurer aux instituts nationaux de statistique ce que
veut la DG Emploi : ils disent dans le langage des statisticiens ce que la
DG Emploi veut et réinventent ainsi les exigences politiques dans le
langage statistique. La cohérence propre à la statistique et non plus la
seule cohérence de la DG Emploi les guide dans cette nouvelle
formulation. Le fait de chercher à mesurer ces indicateurs pose des
questions au statisticien. Pour M. S., ces questions qui peuvent, en effet,
sembler absconses au premier abord, ne sont pas traduisibles pour les
responsables politiques. Le choix se fait, finalement, entre statisticiens,
sur des critères de qualité de mesure :
« – Quelle est la partie de taxes qu’on prend en compte ? Celle de l’année
d’enquête ou celle de l’année de référence du revenu ? Ça dépend [de] ce
qu’on veut mesurer. Quand tu dis le revenu disponible, ça veut dire quoi ?
Ça veut dire le revenu disponible à une année N, ça veut dire le revenu
disponible d’une année N même si la personne ne l’a pas, théoriquement
disponible ? C’est complètement différent.2
– Là vous faites comment pour trancher ?
– Là on a regardé les différentes façons de mesurer et les avantages et les
inconvénients, qu’est-ce que ça permettait de mieux mesurer : la
disponibilité réelle ou la disponibilité plutôt par rapport au niveau de
revenu distribué.
– Mais vous en discutez avec les politiques, non ? Parce que c’est un peu
un choix politique, quand même, non ?
– C’est un choix politique, mais, euh… non… Tu ne vas pas remonter là-
haut parce que là tu vas commencer à dire des trucs… : “on veut le revenu
3 notes dans le journal de terrain.2 L’interlocuteur hésite en fait entre deux façons différentes de prendre en compteles impôts sur le revenu dans l’enquête, une année donnée. Dans un premier cas,on peut prendre en compte les impôts calculés sur les revenus de l’annéeprécédente mais payés durant l’année de l’enquête. Dans un deuxième cas, on peutprendre en compte les impôts calculés d’après les revenus de l’année de l’enquêtemais payés l’année suivante.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
disponible, ça veut dire quoi ? Ben, l’argent qu’ils ont, mais l’argent qu’ils
ont...” Non, tu t’arrêtes là… »1
Pour chaque projet statistique européen est mis en place un groupe de
travail rassemblant les représentants des instituts statistiques nationaux.
Les réunions du groupe de travail sont l’occasion pour les employés
d’Eurostat de se confronter à un autre type d’acteurs participant à la
naissance de l’enquête européenne : les instituts nationaux de statistique.
Eurostat ne collecte par lui-même aucune donnée aussi la traduction des
demandes politiques d’indicateurs en variables cibles ne permet pas de
répondre directement à la demande de la DG Emploi. Eurostat doit mettre
à contribution les statisticiens des instituts nationaux qui font le travail de
collecte des données et fournissent les bases de données à Eurostat.
« Il y a une pression politique qui est très forte et qu’on doit répercuter.
C’est source d’incompréhension de la part des pays. Nous, on est pris
entre deux, pris entre la DG Emploi et les INS [Instituts Nationaux de
Statistique]. Nous, on doit faire le lien entre les deux et ce n’est pas
évident. »2
Les relations entre les personnes d’Eurostat et les représentants des pays-
membres sont souvent décrites par les employés d’Eurostat sur le mode
d’un retour au « terrain » et aux contraintes concrètes de la collecte. Par
exemple, M. S. décrit les échanges successifs entre la DG Emploi, Eurostat
et les représentants des instituts nationaux comme un passage de
« l’idéal » au « possible » :
« En fait, quand tu construis un truc, chacun à son niveau cherche la
perfection. Les politiques voudraient l’indicateur idéal, qu’on puisse le
collecter ou pas. Ensuite, nous, on leur dit “attendez, vous êtes bien
gentils mais ça ne va pas”. Donc nous, déjà, on trouve des variables
idéales. Ensuite, les pays nous disent “vous êtes bien gentils mais moi,
chez moi, je ne peux pas le faire”. »3
Les représentants des pays jouent ainsi un rôle de « force de rappel »
dans la construction de l’opération statistique. Leurs réactions ont une
importance fondamentale pour le projet puisque si un représentant des
pays dit « je ne peux pas faire », Eurostat n’a pas les moyens de collecter
les données autrement. Les employés d’Eurostat doivent donc s’adapter
aux commentaires des représentants des pays :
1 entretien2 entretien3 entretien
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
« Tu as des contraintes entre le conceptuel où tu fais des scénarios en
montrant les avantages et puis après c’est technique : si tu ne peux pas
prendre les données, tu ne peux pas. Il n’y pas le choix. »1
Les membres d’Eurostat ont bien conscience que pour les instituts
nationaux de statistique participer à une opération européenne représente
un investissement important en temps, en moyens humains et financiers.
Or, les instituts les plus importants ont déjà depuis longtemps un système
d’informations statistiques dans le domaine social qui fonctionne bien.
Imposer une enquête européenne implique que les instituts nationaux
développent de nouvelles opérations, de nouvelles méthodes sans que cela
représente un avantage quelconque puisque l’information que le pays juge
importante est souvent disponible d’une autre façon. D’où, un soupçon
récurrent de « mauvaise foi » ou de mauvaise volonté des instituts
nationaux.
De plus, une fois les données envoyées à Eurostat par les instituts
nationaux de statistique, la Commission européenne publie des rapports
de synthèse sur la situation sociale des pays membres de l’Union
Européenne. Dans ces rapports, figure une succession de tableaux
permettant de comparer les performances respectives des pays dans le
domaine social. Cela introduit un classement implicite entre les pays
membres. Une enquête telle que EU-SILC en construisant une base de
données sur les thèmes des revenus des ménages et de leurs conditions
de vie pour tous les pays de l’Union Européenne peut ainsi avoir des
conséquences importantes en terme d’image. Par exemple, la part de la
population vivant dans des logements trop humides ou la part de
personnes ne pouvant pas aller voir un médecin faute d’argent au
Royaume-Uni, en France et en Grèce vont pouvoir être publiées dans les
même tableaux. Toutefois, des arguments statistiques peuvent aussi être
mobilisés pour s’exprimer sur des questions de pertes de prestige :
« Parfois, l’harmonisation ça fait peur parce que ça veut dire qu’on est plus
comparé. Si on est comparable, on va être forcément comparé. Certains
pays n’aiment pas trop ça, surtout les grands pays. Si jamais ils perdent
une place, c’est un peu une perte de prestige, ça compte aussi ça. C’est
aussi des idées qui paraissent un peu superflues mais… C’est toujours du
non-dit ça, jamais personne ne te dira… Mais tu t’aperçois que quand tu
calcules un taux de pauvreté et qu’un pays perd une place dans son
classement, je peux te dire qu’il fait du remue-ménage, tes données tu les
vérifies dix fois. Il ne va jamais te dire que c’est à cause de ça, mais il va
te dire “Vous êtes sûr ? Vous avez bien calculé ?…” »2
1 entretien2 entretien
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Ainsi, l’investissement imposé par l’enquête aux pays et la visée
comparative des données de l’enquête EU-SILC constituent la toile de fond
des relations entre Eurostat et les délégués nationaux. Il y a toujours un
« non-dit » suspicieux qui va être en fait comblé par des raisonnements
statistiques. Les délégués nationaux peuvent annoncer « mon institut ne
sait pas ou ne peut pas techniquement collecter ou calculer ce que
demande Eurostat » au lieu de dire qu’ils « ne veulent pas faire ça ».
Après s’être rendu à Luxembourg pour participer au groupe de travail et
élaborer la structure du projet EU-SILC, le délégué national retourne dans
son institut national de statistique pour préparer la mise en œuvre du
projet : le tirage de l’échantillon, le recueil des données, la programmation
des modèles d’imputations… Tout reste à faire. A la fin du « moment »
Eurostat, le projet statistique européen n’est qu’une coquille solide mais
vide.
Le travail dans un institut national de statistique
Le travail des membres d’Eurostat et les réunions du groupe de travail à
Eurostat permettent d’établir des accords sur les variables cibles que
l’opération EU-SILC devra mesurer. Une fois ce cadre établi, la production
des données reste à la charge des instituts nationaux de statistique.
Contrairement au Panel Communautaire des Ménages, pour l’opération
EU-SILC, Eurostat ne propose pas de questionnaire déjà établi. Le
règlement qui a été établi pour l’opération EU-SILC mentionne uniquement
des variables cibles. Les instituts nationaux de statistique doivent
obligatoirement fournir des données pour ces variables en utilisant les
modalités de réponse précisées dans le règlement. Les instituts nationaux
de statistique doivent ainsi se baser sur les variables cibles exigées par
Eurostat pour constituer des questions si ces variables doivent être
collectées dans une enquête par questionnaire ou pour repérer les
catégories administratives correspondantes, si les données sont recueillies
dans des registres administratifs. Etablir des données pour une opération
statistique européenne nécessite donc de traduire les variables cibles en
questions ou en catégories nationales pour rendre possible la collecte de
l’information à l’échelle nationale.
Parvenir à collecter les données qui correspondent aux variables cibles
exigées par Eurostat demande aux responsables des enquêtes nationales
de transposer ces variables dans un contexte national. A partir des
définitions des variables cibles, le travail des statisticiens nationaux est de
produire un questionnement qui convienne aux caractéristiques culturelles,
sociales ou fiscales du pays. De plus, pour la partie du questionnaire qui
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
fait l’objet d’une enquête par questionnaire1, les variables cibles doivent
être « mises en scène » pour adapter le questionnement à une relation
d’enquête entre deux personnes. Il faut que l’enquêté accepte de répondre
et comprenne de quoi on lui parle.
Certaines variables cibles ne peuvent pas être complétées, directement,
sous leur forme générale. Un statisticien français prend l’exemple des frais
du logement : il est peut-être plus simple de demander séparément le
montant du loyer, des factures d’électricité, des factures d’eau, plutôt que
de demander aux enquêtés de faire eux-même la somme de leurs frais.
L’auteur du questionnaire définit ainsi lui-même ce qu’il faut entendre par
frais de logement, laissant de côté certaines dépenses atypiques comme
les frais de jardinage qu’un enquêté pourrait être tenté d’inclure. Il faut
bien noter que cette définition est seulement sous-entendue par l’intitulé
de la variable cible. Le questionnement détaillé est propre au
questionnaire français et n’est pas exigé par le règlement européen. Rien
n’assure que tous les pays européens vont construire de la même façon
cette variable. Il s’agit là d’un mode de définition national.
La variable cible correspondant au « mode d’occupation du logement »
demande de comparer les loyers à un prix du marché, pour distinguer les
logements dont les loyers sont inférieurs au prix du marché des autres
locations. Reste, bien sûr, à définir ce qu’est le prix du marché locatif. Les
auteurs des questionnaires nationaux doivent essayer de construire cette
variable pour lui donner sens dans le contexte national. En France, les
responsables de l’opération ont fait le choix de définir les logements aux
loyers inférieurs au prix du marché, en considérant que cela correspondait
principalement aux logements HLM, aux logements dont les loyers sont
déterminés d’après la loi de 1948 et, enfin, aux logements dont le bail est
très ancien. Le questionnaire essaie de distinguer ces types de
logements : une question porte sur la date de signature du dernier bail,
une question porte sur les logements HLM et une autre sur les logements
dont les loyers sont déterminés d’après la loi de 1948. C’est là un choix
national :
« Tu fais une liste, qui n'est d’ailleurs pas forcément une liste exhaustive.
On pourrait trouver plein d’autres cas où il y a ça. »2
Il est clair que la construction de la variable nationale repose sur une
certaine analyse du marché locatif en France, considérant par exemple que
1 C’est le cas de l’ensemble du questionnaire pour les pays qui recourent auxenquêtes pour collecter toutes les variables cibles. Les pays qui utilisent lesregistres administratifs pour recueillir les informations sur les revenus doiventégalement faire une enquête par questionnaire pour les variables qui concernent lesconditions de vie. 2 entretien.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
le concept de prix du marché n’a pas forcément beaucoup de sens. Il est
clair également que cette définition est uniquement adaptée au contexte
national : il n’est pas envisageable de poser une question sur les loyers
déterminés par la loi de 1948 en Allemagne ou en Grande-Bretagne. En
Grande-Bretagne, cette notion doit être définie autrement. En effet, le
parc locatif est peu important et n’est pratiquement constitué que de
logements sociaux. Comment sera déterminé le prix du marché dans ce
cas ? Les questionnements utilisés sont ainsi assez spécifiques à la
situation nationale. Ils tentent d’appréhender du mieux possible la
complexité des situations concrètes en établissant des grandes catégories
qui peuvent correspondre aux concepts définis au niveau européen.
Le travail de construction d’un questionnaire national à partir des variables
cibles est ainsi une tâche de particularisation : il faut spécifier, préciser,
« contextualiser » les grandes variables européennes pour gagner en
précision et en signification. Mais jusqu’à quel niveau de particularité doit
aller le questionnaire ? La construction du questionnaire constitue l’étape
intermédiaire entre les exigences générales de l’Europe et l’infini
complexité des situations concrètes à laquelle les enquêteurs sont
confrontés « sur le terrain ». Le concepteur du questionnaire est, une fois
encore, dans une situation d’intermédiaire et dans une position
intermédiaire. Auteur d’un questionnement que vont mettre en œuvre les
enquêteurs et producteur de données pour l’office européen, le statisticien
au sein de l’institut national doit déterminer le degré de détail qu’il va
introduire dans son questionnaire. Les variables cibles demandées par
Eurostat ne prennent pas en compte les spécificités nationales et peuvent
être trop simplistes et, au contraire, les enquêteurs sont confrontés à la
multiplicité des cas possibles. L’auteur du questionnaire doit ainsi trouver
ou, plutôt, choisir une position d’équilibre entre ces deux exigences.
Mathieu exprime très clairement la difficulté de ce choix :
« Les enquêteurs, ils deviennent paradoxaux. D’un côté, ils vont te dire
que les enquêtes de l’INSEE, en général, deviennent de plus en plus
longues, de plus en plus complexes, de plus en plus compliquées etc.
Donc, tu dis OK. Mais, à partir du moment où tu construis un
questionnaire, il faut avoir conscience que c’est forcément une
simplification. Ça, je crois que c’est clair. Pour qui fait un peu de théorie ou
de modélisation, le modèle, c’est toujours une approximation du réel. (…)
En même temps, dès qu’on commence à faire dans la simplicité, on a des
enquêteurs qui, assez paradoxalement, viennent nous dire “Ah, mais moi,
je connais le cas qui, moi, je connais le cas qui…” Oui, moi aussi, j’en
connais plein des cas qui ne rentrent pas dans la case. Mais, le problème,
c’est que, soit on fait le choix de faire quelque chose qui vient border 80
ou 90% de la population et puis, les 10% qui coincent, on essaie de les
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
rentrer, d’une manière ou d’une autre, par une approximation ; soit,
effectivement, on cherche à faire de la monographie statistique, auquel
cas, ça donnerait des questionnaires qui seraient encore plus monstrueux.
J’ai eu droit à des enquêteurs qui m’ont dit “oui, sur les emprunts pour la
maison, vous comprenez, il y a des montages financiers très complexes
avec des taux différenciés… » J’ai dit “oui, OK, c’est clair, vous avez raison,
bien sûr que vous avez raison”. Mais en même temps, il faut être
cohérent. Je crois qu’il y a un arbitrage à faire entre, d’un côté, le côté
taillage à la serpe qui n’est pas la meilleure solution et, d’un autre côté,
une extrême précision qui, de toutes façons, à mon avis, ne donnera pas
forcément des résultats meilleurs… (…) Je pense que c’est compliqué pour
eux [les enquêteurs] mais, en même temps, pour nous aussi, c’est
compliqué. C’est à dire qu’à un moment donné, il faut être capable de dire
“Non, là, on va trop loin.” ou, au contraire, “là, on ne va pas assez
loin.”. »1
L’étape de la collecte
Chaque pays-membre de l'Union Européenne est chargé de produire ses
données nationales pour l'enquête EU-SILC. En France, les données seront
établies à partir des réponses à une enquête par questionnaire auprès d'un
échantillon de ménages. La passation des questionnaires est alors un
moment crucial dans le processus de production des statistiques
européennes. Observer cette étape, c'est assister à la fois à un
aboutissement et à une naissance : d'une part, l'aboutissement d'un
travail de construction d'un questionnaire et, d'autre part, la naissance
d'une observation statistique qui va trouver place dans une base de
données.
La passation du questionnaire résulte de tout un travail de construction.
Une partie de ce travail a été effectuée au niveau européen : lors des
réunions des représentants des pays-membres qui travaillent sur le projet,
les employés d'Eurostat et les statisticiens des différents pays ont cherché
à donner forme au projet. Il en a résulté un choix d'éléments à introduire
dans le questionnement. Par exemple, après plusieurs réunions, les
membres du groupe de travail européen ont pris la décision d'exclure du
questionnement les éléments qui peuvent se rapporter à la sociabilité ou
aux loisirs. Une autre part de ce travail d'élaboration d'un questionnaire
est prise en charge par les concepteurs de l'enquête française. Par
exemple, ceux-ci ont travaillé sur la formulation des questions en français,
ont réfléchi à la mise en ordre des questions dans le questionnaire, ont
spécifié les filtres du questionnaire dans le logiciel qui sert à l'enquêteur
pour la passation de l'enquête. Le concepteur a ainsi essayé d'imaginer les
1 entretien.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
différentes situations qui peuvent être rencontrées dans le monde social.
Le moment de passation est ainsi la visée de tout ce travail. La question
"est-ce qu'un enquêté va pouvoir ou savoir répondre ?" est récurrente et
fait l'objet de débats internes à l’institut.
La réponse fournie par un enquêté à une question du questionnaire posée
par un enquêteur n’est pas telle quelle une observation statistique : elle
est unique et prend tout son sens uniquement dans un contexte précis
d’interaction entre deux personnes. Toutefois, la codification qu’impose le
questionnaire rend possible une généralisation des données collectées sur
le terrain. La mise en catégories de cas infiniment divers constitue un
travail de représentation de la vie de l’enquêté. Ce travail de
représentation permet « d’obtenir plus de lisibilité, de compatibilité,
d’universalité, de superposition, de texte, de calcul »1.
Le moment de la passation du questionnaire est ainsi une étape de
transformation indispensable pour donner naissance à la base de données.
Il correspond au moment où on pose un filtre sur la complexité des
situations pour essayer de les voir toujours sous le même angle,
indépendamment de la manière de dire des enquêtés, reflet de leur
situation sociale, de leur trajectoire. « La traduction statistique opère
toujours par réduction, c’est-à-dire sacrifice de quelque chose, mais pour
gagner autre chose d’un autre ordre. Sacrifice en vue d’un gain supposé et
d’un usage ultérieur »2.
Pour l’enquêteur, cette position d’intermédiaire entre la logique du
concepteur d’enquête statistique et la situation concrète des enquêtés a un
impact lors de la passation du questionnaire. Les concepteurs et en amont
les membres des groupes de travail internationaux ont imaginé des
situations types et des catégories de réponses ; les enquêtés répondent
avec leurs propres catégories de pensée ; c’est à l’enquêteur de faire
correspondre ces deux façons de dire le monde.
En fait, l’enquêteur doit satisfaire deux exigences contraires : d’une part,
comme le remarque Florence Weber, son rôle est de « rendre ses
enquêtés interchangeables, de les transformer, de personnes singulières,
prises dans des nœuds de relations dont elles sont le produit, en individus
anonymes »3 et d’autre part, il est personnellement investi dans une
relation interindividuelle, présent en face de l’enquêté et dans son domicile
privé.
1 Latour (B.), « Le “pédofil” de Boa Vista – montage photo-philosophique », in Laclef de Berlin et autres leçons d’un amateur de sciences, La Découverte, Paris,1993, pp. 171-225. 2 Desrosieres (A.), « A quoi sert une enquête : biais, sens et traduction », Genèses,n°29, décembre 1997, pp. 120-122.3 Weber (F.), « Relation anonyme, formulaire d’enquête », Genèses, n° 29,décembre 1997, pp.118-120.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Le jeu difficile de l’enquêteur est de faire coexister dans la rencontre avec
les enquêtés l’investissement personnel dans la relation à l’autre et la
standardisation statistique. Ce jeu se fait au cours de la passation du
questionnaire à travers l’utilisation de différents registres de paroles :
lecture de la question, traductions des questions, traduction des réponses,
apartés, commentaires…
Conclusion
Au terme de ce parcours, nous avons visité certains moments du
processus de construction d’un chiffre européen : détermination de
variables-cible, négociations dans un groupe de travail, construction d’un
questionnaire, mise en place d’un modèle d’imputation, passation de
l’enquête auprès des ménages. Chacune de ces étapes fait intervenir des
acteurs différents et opère une traduction : la variable-cible traduit
l’indicateur politique, le questionnaire traduit la variable-cible, la parole de
l’enquêteur traduit le questionnaire, l’écriture de l’enquêteur sur
l’ordinateur traduit la parole de l’enquêté, l’imputation traduit le
questionnaire complété en variable-cible, le calcul de moyennes, de
quantiles ou de fréquences transforme les variables-cible en indicateurs…
Dans cette chaîne de traduction, chaque maillon et chaque acteur de ce
maillon sont dans une position intermédiaire et d’intermédiaire, conciliant
les exigences dans une opération de transformation de l’objet statistique.
L’employé d’Eurostat combine les demandes politiques et la rigueur
statistique, le concepteur du questionnaire national arbitre entre la
généralité des variables-cible européennes et la diversité des situations
concrètes de son pays, l’enquêteur fait correspondre les réponses de
l’enquêté, variées et diverses, aux cas prédéfinis, le statisticien muni de
son modèle s’efforce de composer avec les réponses, entrées ligne à ligne,
pour établir les colonnes demandées par le règlement. A chaque étape, le
statisticien fait un travail de généralisation ou, au contraire, de
particularisation. Chaque fois, on retrouve la même tension : jusqu’où
aller, dans le singulier ou dans le général, pour ne pas trop perdre, en
information, en sens, en précision, en respect ?
Une fois la chaîne parcourue, le chiffre européen qui en ressort offre un
certain regard sur la société européenne, né de la succession de ces
étapes. Au terme de la construction du projet EU-SILC, il est fort probable
que le principal chiffre qui sera produit sera un taux de pauvreté. Cette
façon de mesurer le phénomène de la pauvreté a, en effet, focalisé les
attentes des politiques, les efforts des statisticiens, les difficultés des
enquêteurs. Le règlement-cadre du projet EU-SILC définit les pauvres et
les exclus comme un groupe social, mais la principale mesure du
phénomène de pauvreté offerte par l’opération porte toute entière la
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
marque d’un travail statistique. Les décideurs européens ne se sont pas
engagés dans une définition politique de la pauvreté, de l’exclusion. Les
personnes exclues ou pauvres ne peuvent être identifiées explicitement.
On laisse à la chaîne statistique le soin de faire correspondre des individus
à un concept.
En effet, dans l’enquête, les pauvres ne sont jamais définis en tant que
personnes ayant des caractéristiques les faisant appartenir à un groupe
social ayant une consistance ou un pouvoir. Ce n’est qu’au terme du travail
statistique qu’un individu peut être affecté à la catégorie statistique de la
pauvreté. Le taux de pauvreté détermine la pauvreté comme le groupe
d’individus ayant un revenu inférieur à 60% du revenu médian national.
L’enquêteur ne peut pas affecter de lui-même un enquêté à cette
catégorie. Il est nécessaire de détenir l’ensemble de la colonne des
revenus, puis de déterminer le montant des 60% du revenu médian, avant
de pouvoir dire si un individu est pauvre. Au travers de la mesure du taux
de pauvreté, du fait de la conception relative de la pauvreté, le groupe des
pauvres naît de l’opération statistique. La chaîne des traductions donne
ainsi naissance à une façon de catégoriser la société.
- 78 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
CHAP. 4 - CONCILIATION DES TEMPS : ÉCLAIRER LES COMPÉTENCES
INVISIBLES À L’ŒUVRE DANS LA SPHÈRE DOMESTIQUE
BRIGITTE CROFF
Introduction
Les nouveaux modes de vie dans tous les pays européens impliquent la
création de nouveaux services pour les familles, notamment à cause de
l’entrée massive des femmes dans le monde du travail, du vieillissement
de la population, et d’horaires de travail qui ne correspondent plus ni aux
heures d’ouverture des structures d’accueil pour enfants, adolescents,
personnes âgées, ni à celles des services publics.
En France ces activités ont trouvé une extension fin des années 1980 dans
une logique de lutte contre le chômage et de blanchiment du travail au
noir, le public ciblé pour occuper ces fonctions étant d’abord des
chômeuses longue durée et les bénéficiaires du RMI, principalement
issues de populations immigrées en ce qui concerne les grandes zones
urbaines.
Plusieurs appellations sont couramment employées concernant ces
activités, emplois familiaux, services aux personnes, ou encore services
de proximité : appellations qui sont souvent employées sans distinction,
alors que dans la réalité elles ont une portée différente au regard de la
prospective et de l’implication des pouvoirs publics dans leur structuration
aussi bien en ce qui concerne leur professionnalisation, que la mise en
place de politiques familiales et de politiques de l’emploi qui n’aillent pas
à l’encontre de l’égalité professionnelle hommes/femmes et d’un partage
des tâches plus équitable dans la sphère privée.
- Le terme emplois familiaux renvoit à un enfermement dans la sphère
privée et à une représentation de ces emplois dans une relation duale
entre une employée (plutôt qu’un employé) et une famille, sur le mode de
la domesticité ou d’une certaine forme de paternalisme.
- Le terme “services aux personnes” introduit la notion de services donc
une dimension économique et un rattachement de ces activités au
secteur tertiaire des services. Sous-jacent à cela : la notion de “nouveau
gisement d’emplois” et l’émergence d’une première sortie de ces activités
de l’aide sociale ou de l’économie informelle.
- Le terme services de proximité, dont la définition retenue par la
commission européenne est très intéressante puisqu’elle élargit le champ
et ne cantonne pas ce secteur uniquement sur les activités de la vie
quotidienne, elle inclut les métiers de l’environnement, les transports, le
tourisme et les loisirs. Cette approche proposée dans une optique de
- 79 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
développement local a le mérite d’amener tous les acteurs à sortir du
cloisonnement : comment à partir des ressources de chaque territoire, de
sa population, de son patrimoine, des entreprises qui y sont implantées
va-t-on améliorer la qualité de vie pour tous les citoyens en mettant en
place de nouveaux services qui soient capables d’articuler des logiques
contradictoires et d’être à la hauteur d’un nouveau modèle de société.
La problématique
S’il est pertinent de parler de ces services dans le cadre de cette
communication c’est justement parce qu’ils s’adressent aux familles et
qu’ils sont un des principaux vecteurs de gestion du temps pour celles-ci,
et que suivant la façon dont ils seront conçus dans l’avenir ils auront des
conséquences totalement différentes au regard de l’emploi, au regard de
l’égalité professionnelle hommes/femmes. Confinés sous l’appellation
emplois familiaux il y a de fortes chances qu’ils viennent renforcer les
inégalités, voire même pour certains pays de participer à une régression
par un retour insidieux des femmes les moins qualifiées, à la maison.
Notre longue expérience en matière d’organisation de services montre
qu’une des questions cruciale sera d’être capables d’externaliser des
activités alors qu’elles continueront de s’effectuer au sein même de
l’espace privé et d’être assimilées, confondues avec les activités
quotidiennes effectuées par tout un chacun dans la sphère privée.
Qu’est-ce qui va se modifier dans les échanges familiaux par la mise en
place d’une prestation professionnelle, qui ne soit pas un substitut
familial ?
Pénétrer dans cet espace vient forcément modifier les pratiques des
familles, ainsi vont se télescoper :
- Des façons de faire familiales transmises de génération en génération à
travers des rôles bien identifiés selon qu’on est un homme ou une femme
et à des degrés différents selon son histoire et sa culture, avec des savoir-
faire professionnels qui peuvent remettre en question ces pratiques si tant
est qu’elles soient rendues visibles et formalisées.
- Un espace de travail et un espace privé/intime : ce discernement rend
possible une approche ergonomique ainsi qu’une mesure du temps imparti
pour faire telle ou telle tâche.
L’insatisfaction de l’offre existante comme principal frein à la délégation
L’étude que nous avons faite sur la conciliation vie professionnelle, vie
familiale et vie personnelle a porté sur toutes les générations, nous ne
nous en sommes pas tenus uniquement aux couples bi-actifs ayant des
enfants en bas âge à charge.
- 80 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Nous sommes également allés explorer la façon dont les familles
monoparentales et les familles recomposées s’organisent, ainsi que la
façon dont les jeunes retraités s’en sortent lorsqu’il faut à la fois s’occuper
des parents âgés, et des enfants qui sont adultes mais encore à la
maison, et parfois aussi les petits enfants.
C’est moins l’articulation vie familale et vie professionnelle que nous
sommes allés regarder, que la façon dont les choses s’organisent à
l’intérieur de la famille, et à quelles conditions les familles et d’abord les
femmes sont prêtes à déléguer des tâches qui de manière générale leur
sont imparties : les tâches ménagères ainsi que les soins aux enfants et
aux ascendants.
Plusieurs constats sortent de cette étude :
- Solvabiliser la demande n’a pas fait émerger ce fameux gisement
d’emplois dont tous les experts européens en matière d’emplois parlent
depuis la fin des années 1990. Ni le chèque emploi service ou le titre
emploi service n’ont suffit pour faire bouger les mentalités et les
représentations sur ces activités. Au contraire, le chèque utilisé
maintenant par 1 700 000 familles, en France, a participé largement à
laisser ces activités au rang de tâches serviles (le sale boulot, les petits
boulots) puisque les familles « livrées à elles-mêmes » ne délèguent que
ce qu’elles n’aiment pas faire, ou que ce qu’elles sont contraintes de
déléguer par obligation et non par choix. Le législateur en se préoccupant
uniquement de blanchir le travail au noir tout en ajoutant à ces mesures
un système de déduction fiscale pensait que cette solvabilité allait
entraîner la mise en place d’une offre de qualité : cela n’a pas eu lieu
parce que ce qui déclenche la délégation de ces tâches relève d’un
processus beaucoup plus complexe que l’unique financement de la
demande.
- L’offre payante existante est si peu attractive et si peu satisfaisante
pour les utilisateurs que beaucoup de familles préfèrent se débrouiller
seules plutôt que d’avoir à pâtir de services insatisfaisants qui peuvent
parfois compliquer, plutôt que faciliter leurs problèmes d’organisation.
Ainsi on est obligé de constater que c’est bien uniquement quand elles
sont totalement contraintes de le faire, que les familles font appel à
quelqu’un d’extérieur.
Les services existants pêchent par le fait qu’au nom du respect des
familles, dela liberté individuelle et de la non ingérence dans la sphère
privée ; ceux-ci sont restés dans des pratiques de placement où le
personnel de contact va réaliser les tâches sans avoir aucune autre
consigne de travail que l’adresse du client, et les horaires de
l’intervention.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Le donneur d’ordre étant la famille : il se trouve que celle-ci demande de
faire les choses de la façon dont elle est habituée à les faire et que
souvent la commande reste floue : selon l’autoritarisme des familles de
telles pratiques seront préjudiciables soit à la famille, soit à l’employé.
Les services autant que les pouvoirs publics sont également encore dans
le leurre que la clef de la professionnalisation se trouve uniquement dans
la formation du personnel de contact, et l’on voit depuis quelques années
se développer un nombre d’actions de formation aux emplois familiaux
relativement conséquent et qui portent en elles plusieurs risques :
- que les salariés cherchent du travail par eux-mêmes et d’autant plus
que les services actuels sont incapables de leur fournir suffisamment
d’heures de travail ;
- qu’à ne pas se socialiser ces activités ne puissent parvenir à s’extraire
d’une dimension plus ou moins affective et restent à l’état de sous-
emplois, donc n’atteignent jamais la dimension économique qu’on avait
souhaité.
Rendre l’offre efficace par la mise à visibilité de ces tâches, par une
analyse fine du travail et la définition de missions qui ne viennent pas
enfreindre à la vie privée des familles
Qu’est-ce qui doit rester dans la sphère privée et accompli par les
familles, qu’est-ce qui doit être professionnel et donc réalisé avec le
professionnalisme que requiert toute activité de service. Cela passe par
plusieurs étapes indispensables :
A - Le diagnostic et l’analyse de la demande.
B - La traduction de cette demande en mission de travail qui soit
compatible avec la problématique de chaque famille, qu’est-ce qui va être
redéployé autrement à l’intérieur de la famille par l’arrivée d’une
personne à domicile. Parler en termes de mission, d’objectifs, de projets
de vie et non uniquement en nombre d’heures quand on ne sait pas
mettre du contenu dans les heures.
C - La construction d’emplois du temps cohérents pour les personnes
amenées à réaliser ces tâches et par conséquent la capacité pour les
services de communiquer sur leur offre afin d’avoir suffisamment d’heures
de travail à proposer à leurs salariés. On peut déplorer que jusqu’à
maintenant les statistiques confirment la précarité de ces emplois : une
moyenne de 12 heures de travail hebdomadaire par salariée. C’est un des
premiers secteurs pourvoyeurs de travailleurs pauvres avec la grande
distribution et le nettoyage industriel.
D - Apprendre à recruter en sachant mettre à visibilité toutes ces
compétences invisibles et faciliter ainsi la polyvalence des salariés. Nous
devons agir sur le déficit de compétences en ingénierie devant lequel
nous sommes placés, déficit qui est le véritable frein à toute avancée.
C’est en transformant les pratiques de travail au domicile que les
- 82 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
pratiques de gestion du temps de travail dans l’ensemble des autres
professions bougeront aussi, puisqu’on aura créé des professions et des
professionnels qui permettent aux familles de discerner ce qu’ils
délégueront ou pas, et comment ils négocieront en fonction de leur
organisation privée des horaires de travail réellement individualisés.
E - Modifier les programmes et les contenus des formations et
transmettre les apprentissages avec des méthodes pédagogiques
adaptées.
Conclusion
Les enjeux du partage des tâches entre hommes et femmes, et de la non
création d’un secteur d’emplois réservé aux femmes immigrées et à la
fabrication d’une nouvelle servilité résident dans la façon dont on sera
capable de rendre visible cette sphère privée, de qualifier ce travail
autrement que par la prescription d’un nombre d’heures, et s’il faut parler
de temps, d’organiser un temps de travail satisfaisant et un contenu de
travail valorisant pour les personnes qui sur le marché du travail vont
réaliser ces activités.
L’ensemble des mesures prises dans les pays européens à des degrés
divers, concernant les politiques familiales et de l’emploi visant à réduire
les inégalités entre les hommes et les femmes face à la vie
professionnelle, ne suffiront pas même si elles sont indispensables, si
elles ne sont pas accompagnées en même temps par la construction d’une
offre de services qui n’aille pas dans le sens d’un renforcement des
inégalités : entre hommes et femmes, entre femmes qualifiées et femmes
non qualifiées, entre femmes de nationalité française et femmes
immigrées.
La question qui est posée là et qui porte en elle un enjeu de
connaissances fait l’objet du développement suivant.
L’orientation actuelle de tous les pays européens d’individualiser les
financements au nom du libre choix des familles de choisir l’offre la mieux
adaptée à leur situation particulière participe à la non socialisation de ces
activités et par conséquent à leur enfermement dans la sphère privée, ce
qui est une cause très forte de leur non développement. Pour ce qui est
de la France on peut s’étonner que l’offre existante soit si peu efficace
alors que jusqu’à présent elle était très largement subventionnée par des
fonds publics. La revendication actuelle de la branche professionnelle du
maintien du monopole des conventionnements au secteur de l’économie
sociale, au nom de la garantie d’une meilleure professionnalisation, ne
tient pas face aux résultats obtenus et aux déficits des services.
Il nous semble que l’individualisation des financements est un principe qui
ne doit pas être remis en cause si en contre-partie on sait mettre en place
- 83 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
les régulations qui iront dans le sens de plus d’égalité et de partage des
tâches.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
CHAP. 5 - LES ARRANGEMENTS ENTRE LES SEXES
AU SEIN DES POPULATIONS MIGRANTES
LAURA ALIPRANTI
Des études récentes montrent que la dimension familiale constitue une
composante importante dans le cadre du processus migratoire. Les
besoins de la famille incitent les femmes à participer au marché de
travail. Leur activité professionnelle est, d’ailleurs, importante pour la
subsistance de tous les membres de la famille et leur adaptation au
nouvel environnement (Tastsoglou, Maratou-Alipranti, 2003).
Les incidences de la situation migratoire sur les familles ont une portée
tant sur les relations conjugales et intergénérationnelles que sur les
formes de vie quotidienne (Pfleger et al., 2003).
Une approche globale concernant la migration doit, en conséquence,
inclure en plus des modes de vie des migrants dans leur environnement
d’accueil les dimensions relatives aux relations entre les deux sexes et
celles au sein du groupe familial.
Toutefois, le thème de la répartition des rôles sexuels au cours de la
migration a été très peu étudié. Les approches relatives au séjour dans le
pays d'accueil s'intéressent presque exclusivement à la femme. La lecture
de ces études montre que le phénomène de changement des rôles des
deux sexes dans la famille qui migre est relié presque exclusivement à
deux caractéristiques : la place de la femme sur le marché du travail et sa
démarche d'adaptation au nouvel environnement social.
En ce qui concerne la première des deux caractéristiques, les études
reliant le changement des rôles des deux sexes à la place de la femme sur
le marché du travail sont, pour la plupart d'entre elles, des études
sociologiques relevant du paradigme féministe.
Dans le cadre de cette problématique, on a tout d’abord estimé que
l'occupation professionnelle de la femme est un moyen de « libération
sociale », du fait que la femme immigrée, par le biais du travail dans le
pays d'accueil, acquiert une indépendance financière et un pouvoir dans la
prise de décision (Espin, 1982, 1987) : elle s’insère activement dans la
démarche de production, bénéficie de ressources, cesse d'être isolée
socialement (Buckland, 1970). La migration a pour conséquence auprès
des femmes de les faire, en quelque sorte, transiter depuis la famille
- 85 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
patriarcale opprimante vers une société moderne libérale.
Le fait de caractériser la migration comme une démarche d’émancipation
des femmes est fondé sur une position féministe selon laquelle
l’indépendance obtenue par la femme du fait de son autonomie financière
mais déjà par le biais du travail, la met en opposition avec son rôle
traditionnel dans la famille, avec pour résultat un “affrontement –rupture”
avec les modèles traditionnels à l’œuvre au cour de sa propre socialisation
(Hondagneu- Sotelo, 1992).
L’analyse des données empiriques a néanmoins montré que l'émancipation
de la femme immigrée est limitée : son rôle sur le marché du travail est
celui de fournir une main-d'oeuvre bon marché ; elle continue à subir une
double discrimination en tant que femme et en tant qu'émigrée. Elles
présentent en ce sens un triple désavantage : elles sont étrangères ; elles
s’occupent des emplois secondaires et “inférieurs” ; elles sont
dépendantes et/ou inférieures vis-à-vis des hommes migrants.
L’ensemble aboutit à des difficultés parfois accrues : l'expérience des
femmes comme ouvrières, d'après Pessar (1985), remet en question leur
rôle dans la famille en tant qu'épouse et en tant que mère. Leur
oppression en tant qu’immigrée ou étrangère, comme elle est souvent
qualifiée en Europe, semble renforcer les deux autres modes d'oppression
qui ont trait à la classe sociale et au sexe (Defiggou, M., et Koufakou , K.,
(1993).
A l’instar des précédentes, les études qui relient la construction et la
répartition des rôles des deux sexes à la démarche d’adaptation
psychologique des émigré(e)s, donne des résultats contradictoires en ce
qui concerne l'orientation des rôles des deux sexes dans la famille. Selon
un premier groupe d'études, la fréquentation du pays d'accueil conduit à
l'adoption de comportements correspondants avec l'idéologie dominante
et les pratiques existantes dans le pays d'accueil (Sakka, 2003).
Pourtant, plusieurs études ont montré différemment une relative
amélioration de la place des femmes migrantes dans la sphère publique et
privée. Elles ont pour commencer plus d’opportunités de mouvement dans
l’espace urbain, par rapport à leur situation antérieure rapportée à leur
pays d'origine.
Enfin, a contrario, une autre équipe a montré que les immigré(e)s
conservent leur mode de vie traditionnel et les valeurs selon lesquels ils
se sont socialisés, bien que les conditions socioculturelles entre les pays
d'accueil et d'origine soient très différentes. Cette persistance couvre une
large gamme d’activités familiales comme, par exemple, le contrôle du
- 86 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
comportement des enfants et particulièrement de celui des filles ou,
encore, la distribution de responsabilités dans la vie domestique.
La limite de ces études pourtant riches en contenus est qu’elles tendent à
considérer alternativement la répartition des rôles dans la famille qui a
vécu l'expérience de la migration comme la seule conséquence du travail
des femmes ou de la tendance à se conformer à la société dominante.
Plus particulièrement, les études sociologiques qui insistent sur l'influence
du travail salarié de la migrante, ignorent l'environnement culturel, social
et familial dans lequel se « réalise » son rôle. Dans ce cadre, on entend
dans le terme de « changement », l'indépendance financière obtenue par
la femme à travers son travail et sa participation à la prise de décisions
familiales.
D'autre part, les études socio-psychologiques qui s’attachent au rapport
entre l'adaptation et la construction des rôles des deux sexes, sous-
entendent que la construction des rôles est due à une imitation passive ou
à la tendance de l’immigré à s'adapter aux pratiques en vigueur et à
l'idéologie du pays d'accueil.
Dans les deux cas, en définitive, le terme de «changement » des rôles des
deux sexes correspond à l'adoption de modes de comportement modernes
supposés prégnants dans le pays d’accueil et contradictoires à ce qui a
lieu dans le pays d'origine.
Dans les études qui traitent des rôles des sexes dans les familles qui
migrent ou qui rentrent au pays d'origine, un regard porté sur les
méthodes montre que les groupes de migrants sont comparés à travers
des filtres stéréotypés qui stylisent les rôles dans la société occidentale
contemporaine, européenne ou américaine, et s’éloignent fortement de
ceux relatifs à la société agricole dont ils sont pourtant fréquemment issus
et, le terme de “changement” renvoie, dans ces limites, à une forme
d’assimilation à un “modèle fabriqué” (Pfleger et al., 2003).
En conclusion, femmes et hommes ne gagnent pas seulement ou pas
toujours mais perdent aussi au processus d’émigration. Il semble que les
rôles sexuels et les divergences se conservent intactes, l’émigration
renforce même parfois des inégalités existantes. Ceci étant, des études
ont bien illustré le fait selon lequel les migrantes les mieux éduquées, qui
travaillent et qui sont issues d’un milieu urbain, sont les mieux préparées
pour profiter des opportunités et pour s’adapter au pays d’accueil (Sakka,
2003).
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
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- 88 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
DEUXIEME PARTIE - LE TEMPS DES SANS PAPIERS
CHAP. 6 - REMARQUES SUR L’USAGE DES TEMPS ET LA QUESTION DES DÉLAIS
LUC-HENRY CHOQUET
A partir des réflexions des chapitres précédents et des échanges entre les
membres de l’équipe, ce chapitre présente maintenant quelques
remarques situées dans la perspective d’un croisement des deux thèmes,
temps et migrations, et dans une perspective préalable aux deux parties
suivantes consacrées à la question des migrations.
1.— Ce qui est difficilement saisi dans les mesures du temps, c’est la
mesure du rythme. L’idée sous-jacente est celle selon laquelle s’approprier
le temps, c’est-à-dire améliorer la qualité de sa propre vie, va consister
grosso modo à trouver son rythme. On peut “trouver le temps” à partir de
ressources qui sont dans la situation, dans l’environnement urbain,
juridique, etc., ou réussir à développer en la matière une certaine forme
d’autonomie. A contrario, on demeure dans l’hétéronomie.
2.— On a commencé par mesurer le temps de travail à des fins
productives puis cette mesure est devenue progressivement un instrument
du côté de la puissance publique pour limiter l’exercice de la
subordination. La statistique n’est pas intrinsèque à ce qu’elle mesure :
statistiquement, le temps de travail est une mesure de subordination
pesée à partir du temps de travail. Partant, politiquement, se développe
l’idée selon laquelle réduire le temps de travail revient, ipso facto, à
réduire la subordination.
3.— Force est de constater un changement substantiel lorsque cette
variable (temps, durée, etc.) n’est plus manipulée par celui qui
subordonnait et qu’elle n’est même plus pour lui un opérateur utile à
diriger le travail. Laurent Duclos notait (voir infra) que la norme de durée
du travail affichée et mesurée par les enquêtes de la statistique nationale
est restée stable en France pendant à peu près 15 ans (~39 h) et il invitait
à tirer la conclusion logique qu’elle n’a sans doute pas été en définitive
l’objet d’une bataille, qu’il n’y avait plus le même enjeu, autrement dit,
que les rapports entre les acteurs de la production et du débat social,
entrepreneurs, travailleurs, représentants s’étaient déplacés ailleurs. Cela
signifie, parallèlement, que la mesure du temps de travail, les durées
conventionnelles, ce qu’on appelle les durées effectives qui ne sont
- 89 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
d’ailleurs pas nécessairement les durées effectives au sens commun, ne
mesurent plus nécessairement la subordination : l’image de la
subordination n’est plus celle de l’industrie manufacturière des années 60.
4.— Cela signifie encore que la question de la subordination va devoir être
approchée, mesurée, autrement. Si, par exemple, on suit l’hypothèse
selon laquelle “la qualité de vie” s’améliore à mesure que les gens gagnent
du temps libre, on est porté à mesurer “le temps libre”, sinon il faut bien
procéder autrement.
5.— Ces remarques nous conduisent déjà à souligner qu’on ne mesure pas
bien la subordination avec le temps de travail, dans la mesure même où
cette subordination va se loger dans le temps inter système, tel le temps
de transport qui devient aujourd’hui un temps “quasiment subordonné”,
surtout au moment même où la mobilité des travailleurs s’accroît, mais
aussi avec la façon dont le temps déterminé a envahi la sphère du loisir,
avec la façon dont des formes de commandement ont envahi la sphère
temporelle1.
6.— Ces remarques peuvent être utiles pour peu qu’on s’attache à montrer
qu’il y a un temps qui va s’imposer aux travailleurs étrangers qui est un
temps qui leur est imposé pas seulement par la firme mais par
l’administration et que, plutôt que les durées perçues de tel ou tel
événement qui sont des dimensions qu’on mesure dans les enquêtes
emplois du temps, l’important pour eux, dans leurs “histoires de vie”, dans
leurs existences, peut se nicher dans d’autres séquences et notamment
dans les séquences à travers lesquels ils vont être en rapport avec les
administrations publiques. Parce que ce sont ces administrations qui vont,
justement, fixer un horizon temporel : pour une durée du séjour tel qu’il
est autorisé, une possibilité de travailler à durée déterminée, etc. Il y a la
durée déterminée du permis de travailler, il y a la question de l’attente et
du délai avec la remise des titres de séjour. C’est une expérience du
temps qui est tout à fait singulière.
7.— Partant, la question de la famille qui est au cœur de notre
préoccupation se pose, par exemple, à travers la question du
1 Selon le pays, le temps libre est compris entre 4,5 et plus de 6 heures, enmoyenne sur tous les jours de l'année. Il englobe le temps de loisir (sports, passe-temps, repos et loisirs non spécifiés), le temps de socialisation (activités àcaractère participatif, vie sociale, divertissement et culture) ainsi que le tempsdédié à la télévision/vidéo et aux autres médias. Tant pour les femmes que pourles hommes, regarder la télévision constitue une part importante du temps libre,environ 40 % dans la plupart des pays. La Hongrie dépasse le seuil de 50 %,tandis que la Norvège et la Suède se situent en dessous de 40 %. Cf. Statistiquesen bref, thème 3 – 12/2003, Eurostat, p.3.
- 90 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
“ressourcement”, de ce qui existe en espace et en temps qui puisse aider
chacun à retrouver un rythme propre. Dans son cours de l’année 1976 au
Collège de France, Roland Barthes présentait pour illustrer cette question
du sujet et de son rythme propre la notion d’idiorythmie, à partir du grec
idios (propre, particulier) et rhutmos (rythme). Il fournissait un exemple
anecdotique qui, bien qu’à première vue éloigné de nos préoccupations,
est expressif en reliant rythme et pouvoir : « De ma fenêtre (1er décembre
1976), je vois une mère tenant son gosse par la main et poussant la
poussette vide devant elle. Elle allait imperturbablement à son pas, le
gosse était tiré, cahoté, contraint à courir tout le temps, comme un animal
ou une victime sadienne qu'on fouette. Elle va à son rythme, sans savoir
que le rythme du gosse est autre. Et pourtant, c'est sa mère! Le pouvoir -
la subtilité du pouvoir - passe par la dysrythmie, l'hétérorythmie. »1
8.— L’immigré subit à la fois, le temps tel qu’imposé par l’employeur et
cette cadence qui est imposé par l’administration. Autrement dit, pour
qualifier “un style de vie”, il conviendrait certes d’observer des durées
d’activités qui ont peut-être encore un sens pour les nationaux mais aussi
des délais, des séquences de temps administrés, qui vont concerner ces
populations migrantes. Pour donner un exemple de seuil de durée pour
qualifier un style de vie, considérons les nationaux qui sont réputés
conjoints quand ils sont avec une autre personne et/ou habitent avec elle.
Cette même qualité est reconnue aux immigrés, mais à condition d’être
marié et au bout de 2 ans. Les situations qu’ils vivent ne sont-elles pas
des situations qui peine à être qualifiées de façon la plus ordinaire qui
soit ? Autant, dans les enquêtes budget temps, la question de la durée
absolue d’activité est approchée en rangeant les choses par classe
d’activité pour les nationaux, autant il semble nécessaire de travailler la
question du délai et du temps administré pour les populations étrangères
et immigrées.
9.— Les psychologues temporalistes américains2 soulignent que la
préoccupation première des gens n’est pas celle de l’allocation de son
temps ou de ses moments pour faire telle ou telle chose, ni sur la
séquence, ni sur la fréquence, mais qu’elle est celle de la durée perçue des
choses réalisées, tout le reste étant à peu près incorporé. Il semble qu’on
ne puisse pas raisonner de façon analogue pour des populations
immigrées puisque, pour le coup, il y a ces cliquets administratifs qui
interdisent d’incorporer tous ces éléments. On ne peut pas allouer son
temps comme on veut ; on ne peut pas choisir tous les moments ; on ne
1 Cf. Roland Barthes, Comment vivre ensemble, Cours et séminaires au Collège deFrance (1976-1977), Seuil, 2002.2 Sur ces problématiques, on peut se reporter en langue française à une lettre deliaison “Temporalistes”, fondée en 1984 à l'initiative d'un groupe de chercheursattachés à l'étude du temps en sciences humaines, qui est disponible à l’adressesuivante : http…sociologics.org/temp-oralistes/home/index.html.
- 91 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
peut pas organiser soi-même les séquences ni les fréquences, parce
qu’elles sont imposées pour une part par des conditions de vie qui sont
quand même assez particulières. Cela est notamment observable dans les
sociétés de nettoyages industriels où les problèmes de temps sont
inséparablement des problèmes de statuts et, mêmes lorsque ce sont des
problèmes de temps, ils ne se posent pas tout à fait de la même façon1.
10.— Ceci pose la question des moyens dont on dispose pour mesurer des
conditions de vie qui sont faites à ces populations et qui sont quand
même, et on le sait sensiblement, différentes des conditions de vie des
nationaux. Il n’est pas sûr qu’il suffise de désagréger des enquêtes emploi
du temps, en distribuant immigrés et non-immigrés, pour constater que le
partage quand l’homme immigré travaille, est beaucoup plus inégalitaire
que dans le cadre des nationaux, et illustrer un trait culturel. Ce qui n’est
peut-être même pas faux. Néanmoins, cela indique-t’il réellement quelque
chose de pertinent sur les problèmes de qualité de vie ?
11.— Plus largement, n’y a-t-il pas à interroger une stratégie plus ou
moins explicite des Etats développés à maintenir les populations
immigrées largement hors des flux temporels normaux et institutionnalisés
du travail, pour préférer les maintenir dans une trame temporelle
administrée qui s’adresse à leur personne directement, avec des
conséquences pour le travailleur. Pourrait-on croiser les différences
nationales sur les discours sur l’intégration avec des données sur les
périodes nécessaires à l’obtention les titres de séjour, de nationalité ou
même les convocations ? Ce sont des partitions du temps (quasiment au
sens musical plutôt qu’ensembliste), partition du travail et partition
administrative, qui sont extrêmement importantes. Une illustration très
parlante, même si c’est difficile d’en faire une catégorie statistique, a été
donnée lors d’un séminaire de la mission avec « le fait qu’on peut passer
son temps à échapper à la police. » Ce sont des temps sociaux, des temps
marginaux, qui n’ont pas droit de cité… Le risque est, on le voit, de tomber
sur des catégories de temps inqualifiables qui sont pourtant l’ordinaire de
ces populations, comme le temps qui peut être capté par les institutions.
1 Angeloff (T.) : « Employées de maison, aides à domicile : un secteur paradoxal. »in Florence Weber et al. Charges de famille. Dépendance et parenté dans la Francecontemporaine. Paris : La Découverte, 2003. Coll. Enquêtes de terrain. ; Le tempspartiel : un marché de dupes ? Préf. de Margaret Maruani. Paris : Syros, 2000, 226p. ; Conditions d’emploi, salaires et horaires des emplois à temps partiel court. Lecas des employés de maison et des agents d’entretien dans les secteurs public,privé et associatif, Rapport pour le Service des Droits des Femmes du Ministère del’Emploi et de la Solidarité, juin 1999, 136 p.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
12.— Un regard un peu aiguisé porté sur les situations administratives voit
varier “la charge de travail” des organisations et des personnes et dans la
confection de leur dossier. Un responsable de la recherche d’une Caisse de
Sécurité sociale (Pierre Strobel, Caisse nationale d’allocations familiales,
CNAF, Paris) proposait en 1998, lors d’un séminaire de la Caisse nationale
d’allocations familiales consacré au service public, l’idée d’une
redistribution de la charge de travail au guichet des prestations familiales
entre la caisse et ses allocataires, suggérant une ré-affectation des gains
de productivité en vue de transférer pour partie à l’organisation la charge
de travail de l’allocataire1.
13.— Ces brèves remarques débouchent sur l’idée de structurer
l’observation des activités qui sont imposées aux migrants du fait de leur
situation d’immigré ou de leur statut d’étranger et en quoi ces activités les
freinent ou leur interdisent de trouver un rythme qui leur soit propre et qui
se traduise par une réelle insertion/intégration.
14.— Ces brèves remarques débouchent aussi, ce faisant, sur le caractère
crucial des mesures de regroupements familiaux qui permettent d’avoir au
moins à disposition une sphère à partir de laquelle les personnes
immigrées peuvent se redéployer et fabriquer un temps, un rythme de vie,
qui leur appartienne véritablement à partir de l’intimité : une organisation,
en conséquence, qui gagne en autonomie, en idiorythmie.
1 Cité dans Laurent Duclos, “ La conciliation entre vie professionnelle, vie familialeet vie personnelle ”, in Les arrangements quotidiens dans la ville, CGP-DélégationInterministérielle à la Ville, Actes de la journée d’études du 27 juin 2002, quisoulignait que cela supposerait, évidemment, de « déterminer ce qui figure dans la“zone grise” entre l’organisation et l’usager ».
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
CHAP. 7 - LE TEMPS DES SANS PAPIERS
ANDREA REA
Le terme « temps » des sans papiers est à utiliser dans un double sens,
d’une part, celui de “l’époque des sans papiers”, et d’autre part, celui de la
dimension du temps vécu pour les individus qui sont sans papiers.
Dans le cadre de ce chapitre, je ne pourrai pas démontrer l’ensemble des
points que j’évoquerai. Néanmoins, ceux-ci ont pu faire l’objet de débats.
Je voudrais aborder trois aspects. Le premier concerne l’évolution des
politiques d’immigration de l’Union européenne et de ses Etats membres.
Le deuxième est relatif au temps des marchés économiques et de certains
marchés du travail, en particulier. Le troisième s’attache spécifiquement à
la question du temps vécu par les individus sans papiers.
Cette troisième partie se fonde sur les résultats d’une enquête sous forme
d’entretiens menée auprès de cent trente sans papiers en Flandre, à
Bruxelles et en Wallonie et qui sont repris dans un ouvrage intitulé
« Histoires sans papiers ». Je vais synthétiser ici certains aspects figurant
dans ce livre1.
Cependant, pour commencer, je voudrais expliquer les changements
profonds qui se sont produits dans les politiques d’immigration des pays
européens dans le cadre de la construction de l’Europe et l’influence de
ces évolutions sur la manière de penser la question de l’immigration et de
considérer les migrants. En particulier, est apparue et s’est développée la
catégorie des sans papiers (ou des « undocumented », en anglais) qui
rassemble les individus résidant de manière illégale sur le territoire d’un
Etat membre auxquels il faut ajouter les personnes qui y séjournent de
manière légale dans le cadre d’une procédure d’asile mais dont l’insécurité
juridique quant à l’issue de cette procédure se prolonge pendant une
durée telle qu’ils en deviennent incapables de se projeter dans l’avenir et
s’installent dans une situation de vie précaire et instable.
Durant les années soixante, les principaux pays européens importateurs
de main d’œuvre étrangère, c’est-à-dire essentiellement l’Europe
continentale et en particulier la France, l’Allemagne, les Pays-Bas et la
1 Adam Ilke, Ben Mohammed Nadia, Kagne Bonaventure, Martiniello Marco, ReaAndrea, Histoires Sans-Papiers, Bruxelles, Editions Vista, 2002.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Belgique, partageaient fondamentalement un modèle d’immigration dite
ordonnée. Il existait un pays de départ de la main d’œuvre et un pays
d’arrivée et, entre ces deux pays, étaient signées des conventions
bilatérales établissant les droits des individus et ce, compris, par exemple,
le droit au regroupement familial. C’était le cas, en particulier, des
conventions signées avec la Belgique pour laquelle la politique familiale
constituait une justification à l’importation de main d’œuvre. Les pays
d’origine exerçaient également, de cette manière, un certain contrôle sur
les droits de leurs ressortissants. Dans la logique de l’époque, les
immigrés étaient, en quelque sorte, intégrés mais infériorisés et venaient
gonfler la masse des classes ouvrières nationales. Ils n’avaient peut-être
pas exactement le même statut social que les ouvriers nationaux du fait
de pratiques racistes y compris au sein des organisations syndicales, mais
néanmoins, ils y étaient intégrés.
A l’heure actuelle, malgré le discours sur l’immigration zéro dont la
fonction symbolique a néanmoins été fondamentale, l’immigration n’a
jamais cessé sur le terrain. Les données relatives à l’OCDE montrent
notamment qu’au cours des dix dernières années, 3 millions de personnes
ont été régularisées dans les quinze Etats membres de l’Union
européenne. Il s’ensuit que les procédures de régularisation représentent
aujourd'hui une des modalités d’immigration qui n’est ni pensée ni
négociée de manière collective a priori. La sélection individuelle dans le
pays d’arrivée amène certains à être retenus et donc reconnus et les
autres à être relégués dans un statut de marginalité et donc d’infra-droits.
L’immigration actuelle se poursuit mais n’est plus gérée bi-latéralement
au niveau des gouvernements des Etats concernés, d’autant que les
personnes sont originaires de lieux très différents.
Parallèlement, se développe un discours sécuritaire dans lequel la
question de l’immigration est continuellement associée à la criminalité et à
l’intégrisme musulman, auquel vient s’ajouter une confusion importante
entre trafic des êtres humains et immigration qui subsiste dans les textes
européens notamment, et qui ne facilite pas la compréhension des
phénomènes migratoires. Le migrant est systématiquement stigmatisé et
qualifié de délinquant, c’est-à-dire celui qui jouit trop par rapport à sa
contribution à la société et constitue, donc, une menace.
L’hypothèse, que nous retenons et que nous nous attachons à démontrer,
est qu’aujourd’hui l’immigration illégale représente la forme même de
l’immigration vers les pays de l’Union européenne par le biais de ce que
nous appelons “la politique de la tolérance” comprise dans le double sens
du verbe “tolérer”, à savoir accepter même quand c’est interdit.
L’interdiction fait, et c’est cela l’essentiel du dispositif, que les individus
migrants sont toujours soumis au risque d’expulsion et sont de ce fait
- 95 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
maintenus dans une condition d’insécurité de séjour constante. Dans ce
contexte, une contradiction apparaît au niveau des Etats entre la position
relativement conservatrice selon laquelle ils disent ne pas avoir besoin des
immigrés et la situation réelle qui est qu’ils expulsent bien moins
d’immigrés illégaux que ce qu’ils pourraient prétendre en vertu du
discours d’invasion qui est tenu. Cette situation amène à se poser la
question du pourquoi ?, et permet d’aborder le deuxième point qui
concerne le temps des marchés du travail.
En effet, il apparaît que la forme actuelle de l’immigration revêt une utilité
pour certains segments du marché du travail. Je renvoie d’ailleurs, sur ce
sujet, au chapitre de François Brun (Cf. infra) sur l’utilisation de la main
d’œuvre immigrée. Le temps des marchés du travail dont il est question
est celui du travail flexible, c’est-à-dire de la dépossession du temps du
travailleur ou de la définition du temps uniquement par l’employeur. Le
marché du travail fonctionne ainsi selon un mode instantané en fonction
des besoins immédiats de main d’œuvre. A ce niveau, une évolution
importante apparaît également par rapport à la situation qui a prévalu
dans les années soixante et jusqu’à la moitié des années soixante-dix. Les
migrants se retrouvent de moins en moins dans les secteurs industriels ou
la demande de main d’œuvre est en régression généralisée mais dans les
segments combinant à la fois une grande flexibilité du travail et une
intensité de main d’œuvre élevée. Il faut des personnes pour répondre à
une demande de travail immédiate qu’il n’est pas possible de mobiliser
par le biais de procédures administratives, trop lourdes. Une autre
caractéristique des segments du marché du travail employant des
immigrés est la faiblesse de la rémunération et les mauvaises conditions
de travail. Les exemples suivants sont tirés d’études réalisées notamment
par le GERME (Groupe d’études sur l’Ethnicité, le Racisme, les Migrations
et l’Exclusion – Université Libre de Bruxelles)1.
Il est bien connu à Bruxelles, et de nombreux étrangers qui ne sont pas
immigrés comme les fonctionnaires des institutions européennes en
bénéficient, que le secteur de la construction emploie un nombre
important de travailleurs au noir. Il est, par ailleurs, de notoriété publique
également, qu’il s’agit d’un segment alimenté fortement par l’immigration
clandestine polonaise, notamment en ce qui concerne les travaux pour des
particuliers. Selon les statistiques officielles, il y aurait environ 3000
polonais qui, résideraient à Bruxelles. Or, en étudiant les statistiques de
manière plus approfondie et sur la base d’enquêtes qualitatives menées
notamment dans le cadre d’une thèse de doctorat en cours sous ma
direction, ce chiffre monte entre 25.000 et 30.000 Polonais vivant à
Bruxelles dans des contextes très différents puisque certains y sont
installés tandis que d’autres sont dans une logique pendulaire. Ils
1 Cf. http://… www.ulb.ac.be/socio/germe.
- 96 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
viennent trois mois en Belgique, retournent en Pologne, reviennent,
repartent en Allemagne, etc. Le secteur de la rénovation et de la
réhabilitation urbaine à Bruxelles fonctionne en partie grâce à la présence
de ces clandestins polonais qui travaillent en général pour un salaire de 8
Euros de l’heure, durant six jours par semaine et dix heures par jour. Le
paradoxe est que, pour attirer des personnes à hauts revenus, l’Etat
accorde des aides publiques à des propriétaires dont une partie est
recyclée pour payer des travailleurs en situation illégale. Le problème
n’est bien sûr pas de sanctionner les Polonais qui acceptent ces emplois
mais d’analyser la structure d’appel de ce type de main d’œuvre.
Le phénomène vaut la peine puisque même les télévisions étrangères
viennent le filmer. Pour ceux qui connaissent Bruxelles, se trouve non loin
du centre un canal industriel qui traverse la ville et à coté duquel se situe
un lieu nommé le Petit Château et qui est, en réalité, un centre ouvert
accueillant des demandeurs d’asile en cours de procédure.
Depuis maintenant trois ans, chaque matin, toute personne longeant le
Petit Château aura l’occasion de voir entre 200 à 250 personnes,
généralement des hommes, qui stationnent devant le bâtiment et qui sont
des candidats à l’emploi non déclaré notamment dans le secteur de la
construction. Ce sont en général des demandeurs d’asile déboutés qui se
retrouvent à cet endroit sachant que quelqu’un viendra les y chercher
avec une petite camionnette. Lors de l’enquête, il avait été demandé à la
police et aux fonctionnaires de l’inspection du travail pourquoi ils
n’intervenaient pas. Leur réponse a été bien sûr de dire que ce ne sont
pas les clandestins qui doivent être poursuivis mais ceux qui les
emploient. Néanmoins, il est frappant de constater, indépendamment de
la question de la procédure choisie par les autorités, qu’il existe une
visibilité certaine et donc a fortiori une tolérance à l’égard de ce type de
travail. Il existe, par ailleurs, des formes de hiérarchisation dans le travail
clandestin. Les Nigérians demandent 4 Euros de l’heure, alors que les
ressortissants des ex-pays de l’Est demandent en général entre 8 et 9
Euros.
Un autre secteur traditionnel pour le travail au noir, bien que plus
développé dans d’autres pays que la Belgique est celui de l’agriculture et
de l’horticulture. En ce qui concerne l’horticulture, le modèle californien
qui consiste à veiller à ce qu’il y ait toujours suffisamment de main
d’œuvre semble se généraliser à l’ensemble de l’Union européenne. Pour y
parvenir, la technique consiste à avoir toujours une marge de sécurité
avec des travailleurs en situation de clandestinité. D’autres spécialistes
peuvent en parler plus longuement. En Belgique, surtout en Flandre pour
les récoltes de fruits et légumes, des personnes en situation illégale sont
embauchées de cette manière.
- 97 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Troisième exemple plus urbain et également très connus, c’est celui des
hôtels et des restaurants. Il suffit de se rendre à Bruxelles dans un
restaurant et d’aller voir qui est dans la salle et qui est à l’arrière pour
comprendre la situation des individus et pour constater l’ethnicisation
dans la division du travail.
La domesticité est un segment également investi par les Polonais. La
division sexuée du travail est très forte puisqu’elle est essentiellement
l’affaire des femmes alors que les hommes travaillent dans la
construction. Elles vendent leurs place à d’autres congénères créant une
forme de circulation entre la Belgique et la Pologne.
Enfin, les transports internationaux sont un autre secteur très développé
en Belgique surtout dans la province du Limbourg. Un débat a d’ailleurs eu
lieu dans ce cadre à l’occasion de l’affaire Willy Betz, sur le fait qu’il est
possible de rencontrer une situation où l’on trouve en présence – c’était
l’exemple repris dans les documents parlementaires – un camion français
transportant un fret italien dans une remorque immatriculée en Espagne,
conduit par un chauffeur Bulgare en possession de documents rédigés en
alphabet cyrillique. Quand le conducteur de ce camion est contrôlé,
quelque part sur la côte française, il est quasi impossible de savoir qui il
est, d’où il vient et s’il se trouve ou pas en situation régulière. Ce cas de
figure atteste d’une tendance claire à la propagation de formes de
contrats de travail tout à fait illégaux. La fraude sociale qui en résulte est
aujourd’hui relativement répandue.
Pour terminer ce chapitre, j’aborderai la question des sans papiers dans
le contexte qui est le leur, qui les amènent à reprendre pour leur compte
le mot d’ordre des punks des années soixante-dix « No future », dans la
mesure où ils se trouvent dans l’incapacité de pouvoir se projeter dans le
temps. Leur priorité est avant tout de se débrouiller pour être encore là
demain avec des risques plus ou moins grands d’expulsion selon leur pays
d’origine, ainsi que le montrent les entretiens qualitatifs. Les sans papiers
ressortissants d’un pays européen extra–communautaire, et en
particulier, de l’un des dix Etats qui vont entrer dans l’Union européenne
sont davantage tolérés. Par contre, les personnes originaires d’Afrique
sont parmi les premières visées par les expulsions, ainsi qu’une partie des
Latino-américains. Les questions récurrentes qu’ils se posent est :
« serons-nous là demain ? Est-ce qu’il est possible de nous investir dans
ce pays ? ». En effet, l’espoir des migrants actuels n’est plus le mythe du
retour, celui des immigrés des années soixante, mais au contraire le
mythe de l’installation. Ils veulent avant tout rester ici et obtenir des
documents officiels.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
A ce niveau, une série de stratégies sont développées dans le quotidien
qui tournent autour de la manipulation de l’identité et qui s’apparentent,
en réalité, à des stratégies de survie comme, par exemple, acheter des
médicaments avec la carte de sécurité sociale d’une autre personne pour
bénéficier du remboursement par l’assurance soins de santé. Les sans
papiers dépensent aussi une énergie considérable pour éviter les contrôles
de police. Ils évitent les espaces publics, comme les galeries marchandes.
Ils essaient de rester dans l’invisibilité, ce qui les amène à rester confinés
le plus souvent dans des espaces relativement clos.
Dans ces circonstances, comme le chapitre de François Brun (Cf. infra) le
met en évidence également, les rapports sociaux de solidarité se
transforment en des formes de connivences ethniques où les personnes ne
connaissent plus que leurs semblables. Il arrive fréquemment que des
personnes vivant en Belgique depuis dix ans ne disposent que d’un réseau
social extrêmement restreint qu’ils sont en mesure de mobiliser et ne
connaissent pas de Belges. Cette situation accroît encore la précarité et
l’insécurité du séjour, par rapport à l’Etat de droit, dans la mesure où
l’absence de papiers s’apparente à une non-existence de la personne.
Par comparaison avec les clandestins des années soixante-dix, l’évolution
fondamentale, en tous cas dans des pays comme la France, la Belgique et
l’Allemagne, est que les immigrés tendent aujourd’hui à être à la marge
de l’Etat social. Ils ne bénéficient plus des acquis qui étaient ceux du
salariat, et en particulier, de l’un de ses éléments les plus important qui
est la sécurité sociale. Or, qu’est-ce que la sécurité sociale, si ce n’est un
salaire différé dans le temps ?1
La question du temps ressurgit donc. Les personnes migrantes sont ici
encore dépossédées de la capacité à investir dans la durée en raison de
leur non participation au salariat et donc au bénéfice du système de
sécurité sociale. Leur statut les limite en définitive à une gestion du temps
présent avec pour projet essentiel, mais paradoxal par rapport aux
immigrés des générations antérieures, non pas de retourner au pays mais
1 [Note de la rédaction : La description de la sécurité sociale comme l’applicationd’un “salaire différé” fait l’objet de discussion. Dans le système français en tout casoù les cotisations prélevées sur le travail et par l’impôt financent, à un momentdonné, les besoins. Partant, instantanéité oblige, il pourrait s’agir davantage d’untransfert, inter-générationnel par exemple en matière de retraite ou, pour lechômage, entre ceux qui sont “dans l’emploi” et ceux qui sont “hors emploi”, plutôtqu’inter-temporel et différé sur le modèle de l’assurance. Sur ces problématiques,voir Friot (B.), « La famille entre salaire et pauvreté », in Les implicites de lapolitique familiale, approches historiques, juridiques et politiques, sous la dir. de M.Chauvière, M. Sassier, B. Bouquet et alii, Paris, Dunod, 2000, p. 19-37 ; Friot (B.)Puissances du salariat : emploi et protection sociale à la française, Paris, LaDispute éditeurs, 1998 ; Barbier (J-C), Théret (B.), Le nouveau système françaisde protection sociale, Repères n°382, 2004]
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
de pouvoir rester. Cette constatation ressort de manière flagrante des
entretiens. Au mythe du retour, se substitue le désir de rester mais en
obtenant des documents officiels et donc le droit de circuler librement au
même titre que les ressortissants de l’Union européenne. La question des
documents pose un problème de droit civil au sens où elle restreint le
droit, non pas à migrer, mais à voyager et à se déplacer, et une fois
encore, limite de ce fait la capacité des demandeurs d’asile et des illégaux
à se projeter dans le temps.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
CHAP. 8 - LE PROJET DES MIGRANTS, UNE AFFAIRE DE TEMPS
FRANÇOIS BRUN
Emigrer : quitter sa terre.
Immigrer : faire le choix d’un autre pays, y débarquer.
S’installer : découvrir un autre environnement, des règles différentes.
S’implanter : inscrire ses projets dans la durée.
Reconstruire : une famille, une activité, une vie nouvelle…
Autant de moments, autant d’étapes, autant de chapitres dans l’aventure
menée à bien de la migration, de l’arrachement au réenracinement, du
déchirement au retissage de liens. Au-delà de la multiplicité et de la
diversité des itinéraires personnels , des rythmes et des cadences, le
temps du migrant a ceci d’immuable : daté d’un renoncement et d’un
abandon, il est tout en tension vers un avenir meilleur ; son
aboutissement optimal est la ré-appropriation de l’ailleurs.
Le temps des vivants est toujours semé d’embûches ; s’il est linéaire, sa
ligne est brisée. Mais celui des migrants a plus spécialement le sens que
lui confère le projet impérieux qui le sous-tend : la rupture qui en
marque l’origine est aiguillon. Le cap est mis. Les traquenards devront
être déjoués, les orages affrontés, les obstacles à tout prix surmontés. Et
le retour est souvent interdit, impossible ou tabou.
Le temps des migrants a donc sa propre déclinaison au regard de celui de
la « commune humanité ». Nous allons tenter d’en donner quelque idée.
La construction endogène du temps : les âges de la vie
Le temps de comprendre
Le départ d’un lieu est départ dans le temps. Loin de chez soi, les repères
anciens disparaissent ou tout au moins s’estompent. D’emblée, les
contraintes sont rudes, mais le jeu est ouvert. Et en même temps il faut
tout redécouvrir. Quelques soient le moyen et les conditions d’entrée
dans un autre pays, le degré de préparation, les soutiens disponibles
(familiaux, amicaux, communautaires…), le voyage est pour une part
initiatique, les premiers temps de la migration sont ceux de
l’apprentissage. Dans le meilleur des cas, la maîtrise de la langue du
pays « d’accueil », ( si « accueil » il y a), n’est pas pour autant celle de
ses codes, qui peuvent rester longtemps indéchiffrables.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Il faut d’abord se faire accepter, quasi nécessairement au terme d’un
cheminement difficile, fréquemment douloureux. Et pour cela, il faut
comprendre.
Cela veut d’abord dire prendre conscience de sa propre image : en
premier lieu de l’image que l’on a avant même d’être avoir été vu,
ensuite de celle qui colle à la peau quand un tri spontané tend à retenir
tout ce qui conforte les stéréotypes, au détriment de ce qui les infirme.
Mais symétriquement, il faut, pour le migrant aussi, rectifier, affiner,
voire se départir de sa représentation pré-établie du monde vers lequel
le porte et auquel le confronte bientôt son aventure. Nul ne peut
échapper à cette tautologie : chacun est l’Autre pour l’autre, l’Autre dans
sa surmontable étrangeté. Reste à la surmonter. Un processus laborieux
se met en route, il se passe des choses, mais… un geste, un regard, un
son, une méprise, et ce peut être la panne ou l’accident.
Peu à peu pourtant, l’immigré découvre en fait ce qu’on attend de lui, il
apprend les règles auxquelles il doit se conformer pour faire admettre sa
présence, la rendre non seulement tolérable, mais naturelle, en tout cas
non problématique.
Entendons-nous : il n’y a rien là à quoi échappent, dans leur généralité,
les relations humaines. Tout être, même né dans la maison d’en face,
n’en est pas moins singulier ; il est l’Autre et son altérité résiste. Le
connaître (voire le comprendre), et se faire connaître (voire se faire
comprendre) sont des choses qui s’apprennent. L’enfant, l’adolescent,
ont avec le migrant, cette expérience commune. Le chemin est balisé.
Mais les risques de la conduite ne sont pas les mêmes pour tous : la
route des immigrés est plus étroite, plus sinueuse et montueuse, le
précipice n’est jamais loin et il n’y a pas toujours de barrière de sécurité ;
parfois ce n’est plus guère qu’une piste. Bref, on y avance moins vite.
La chute, l’échec, c’est le retour, contraint, « aidé » ou résigné. L’étape
victorieuse, c’est le passage de l’aventure, temps de précarité, au projet,
temps de l’établissement.
Le temps de faire
Le touriste, le visiteur cherche à comprendre (au mieux) pour connaître,
si superficielle que soit cette connaissance : « vous connaissez le
Maroc ? Non, mais je connais la Tunisie ! ».
L’immigré n’a pas la « connaissance » pour premier souci. Il veut
comprendre pour survivre, tenir, trouver sa place, « faire son trou ».
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
L’immigration, quelque argutie qu’on puisse développer à cet égard, est
toujours immigration de travail ou tend par nécessité à le devenir, en ce
simple sens qu’on émigre pour vivre ailleurs et qu’« il faut travailler pour
vivre ». Les raisons d’émigrer peuvent être mêlées, mais l’immigration,
elle, ne s’accommode pas de l’inactivité.
Avoir trouvé ses repères, ajusté ses représentations, pris la mesure de la
place qui lui est plus ou moins implicitement assignée permet à l’immigré
de construire un projet. Il sait désormais que son passé, professionnel ou
autre, est, au regard du monde qui l’entoure, pour une large part aboli,
puisqu’il n’a pu l’emporter à la semelle de ses souliers. Concrètement,
cela veut dire que ses acquis et ses compétences sont rarement reconnus
ou tout au moins appréciés à leur juste valeur, encore moins
monnayables à leur juste prix. Mais il sait aussi qu’il lui incombe de
justifier sa présence. Il a quelque idée de la demande à son égard d’une
société qui entend bien l’utiliser à meilleur compte et sans lui faire de
cadeau. Il ne peut donc que se plier à cette demande, et s’efforce
seulement de négocier au mieux, à chaque étape de son parcours, les
conditions de cet échange d’une place contre un service.
On peut relever la similitude de cette phase du processus d’insertion des
immigrés avec l’étape de l’entrée dans la vie active des jeunes
générations. Comme l’apprentissage d’une vie nouvelle qu’il devait faire
dès son arrivée le renvoyait à sa prime jeunesse, il s’agit encore une fois
d’une expérience commune. Mais elle s’impose pour les immigrés dans
des conditions que connaissent plutôt ceux qui subissent que ceux qui
choisissent. La liberté dans le « choix » d’une activité s’apparenterait en
fait pour eux à celle qui préside par exemple à l’orientation en fin de
troisième des jeunes des « quartiers difficiles », comme on dit
aujourd’hui1. Les années peuvent changer la donne, mais les délais sont à
la hauteur des handicaps : le temps des migrants, celui qui est
nécessaire pour donner forme à un projet, pour le mener à bien et pour
le remodeler en fonction de ses possibilités, est distendu. Il se compte à
partir des gages qu’il leur convient de donner : ce qu’on appelle des
« preuves d’intégration ».
Le temps d’être
Au fil de ces preuves d’intégration qui lui sont demandées, l’immigré suit
un parcours défini par la dialectique des droits et des devoirs, dont le
trait dominant est que la reconnaissance de ses droits a toujours un
temps de retard sur le respect de ses devoirs auxquels on lui enjoint de
1 Les plus âgés se souviennent peut-être que l’on parlait jadis plutôt de « classespopulaires ».
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
satisfaire. Mais c’est le parcours obligé pour, au bout, être « comme les
autres », accéder à une vie « normale », un statut d’adulte en quelque
sorte.
La dernière étape de ce processus se déroule dans le cadre familial.
L’aboutissement des projets des enfants peut compenser les frustrations
des parents. Ce sont eux qui vont être en mesure de se situer vraiment
sur une trajectoire d’ascension sociale qui représente l’aboutissement de
leur projet migratoire.
Une fois encore, ce report des espoirs et des attentes d’une génération
sur la suivante n’appartient pas qu’aux immigrés. Mais il a son caractère
propre. En premier lieu, parce qu’il est soumis à des aléas
particuliers, qui tiennent d’abord des diverses formes de discrimination
qui s’attachent à l’origine ethnique. Au-delà de cette considération,
l’enjeu est d’une autre nature : la « réussite » des enfants, s’ils gagnent
bien leur vie, s’ils occupent une place à laquelle ils n’auraient sans doute
jamais pu se trouver dans le pays d’origine des parents, donne tout son
sens à leur décision d’émigrer. Elle est véritablement le prix de leurs
efforts.
Enfin, les enfants nés dans le pays d’accueil renvoient l’image d’un autre
destin : ils y ont effectué leur scolarité, ils en maîtrisent la langue, ils
n’ont pas d’accent, ils n’ont pas besoin d’adopter, de jouer, voire de sur-
jouer des modes de vie qui leur sont naturels. Le fils d’immigré n’est plus
un émigré. Il a droit de cité, au sens propre. Il peut même revendiquer
comme bon lui semble, son origine. Le droit de vivre là où il vit n’est plus
à conquérir. A travers eux, les parents qui ont conquis ce droit peuvent
se sentir enfin justifiés.
Mais c’est aussi dès lors le temps de la mémoire. Avoir un avenir autorise
à se réclamer d’un passé. Rien ne témoigne mieux du droit à l’existence
que la reconnaissance de son histoire à travers sa réinscription dans
l’Histoire. Cette réinscription est le dernier temps de la migration, celui
où le fil du temps est reconstitué.
La construction exogène du temps : les nécessités de la vie
La vie n’est pas un long fleuve tranquille : la construction du temps
n’échappe pas aux traverses qui en dévient le cours. Si tout parcours de
vie peut se lire comme un roman d’apprentissage dont le sens est donné
dès les premières pages, chacun de ces romans est aussi rempli de
tribulations liées à des événements extérieures. L’immigré en fait plus
que quiconque l’expérience.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Temps et identité
La première rupture que doit supporter le migrant est le changement
d’identité : émigrer, cela veut dire renoncer aux droits, si limités soient-
ils, que conférait une identité reconnue dans le pays d’origine ; avoir
besoin de « papiers » pour se faire reconnaître ailleurs une identité et les
nouveaux droits qui s’y attacheraient.
Or, par une étrange aberration de l’Histoire de notre temps, la circulation
des hommes n’est, de nos jours, pas libre. Pour les Etats, les hommes
sont des « flux » et il coule de source que le contrôle de ces flux ne doit
pas leur échapper. L’accès à des titres de séjour durables est donc
problématique. Qu’ils entrent régulièrement dans le pays qu’ils ont choisi
et ne se voient pas renouveler leur titre de séjour temporaire, ou qu’ils
s’y introduisent clandestinement, nombre d’hommes et de femmes, ayant
rompu leurs amarres, en viennent ainsi à s’installer dans des pays de
« non-accueil » qui leur refusent papiers et droits.
Les conséquences de la privation de « papiers » rythment dès lors leur
vie. Elles la rythment très clairement au quotidien : à chaque instant, au
hasard d’un contrôle, tout peut basculer, l’aventure peut trouver son
terme. Tout projet est donc impossible à long ou à moyen terme. La vie
sans papiers est une vie en suspens. Le temps des sans-papiers est un
temps menaçant, mais immobile, pour une durée incertaine. Temps
immobile parce qu’on n’y progresse pas, mais qui n’en est pas moins
temps qui passe : temps qui use, d’angoisse et d’épuisement à la tâche ;
temps qui se creuse, d’années de séparation de parents qui sont toujours
au pays, ou d’une femme et d’enfants qui pour le moment ont dû rester
« là-bas » et qu’on n’ose pas faire venir. Les parents vieillissent et
peut-être mourront sans qu’on ait pu les revoir. Les enfants grandissent
au loin.
C’est le temps de la quête. On se présente aux autorités habilitées à
délivrer un titre. On attend la réponse. On attend beaucoup. On obtient
parfois une autorisation provisoire de séjour dans l’attente de cette
réponse ou on se retrouve dans les limbes d’une présence tolérée tant
qu’un refus explicite n’a pas été exprimé. On s’enfonce dans la précarité
et la succession de vagues lendemains. Au gré des régularisations, des
recours, des révisions de dossiers, ainsi que des refus, des avis négatifs,
des suppléments d’information, des jugements de telle ou telle instance,
des menaces d’expulsion et des replongées dans la nuit, l’espoir parfois
renaît, mais le cède souvent au découragement.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Les procédures, les modes de gestion et d’organisation de la précarité
varient d’un Etat à l’autre, d’un gouvernement à l’autre, d’une loi à
l’autre. Mais le fond reste le même. Des années durant, la vie des sans-
papiers ne se conjugue qu’au présent, ce temps qui, non relié au passé
ou au futur, est le temps du non-être. Comme le temps des
« bénéficiaires » d’une carte de séjour temporaire, sous leur épée de
Damoclès, est le temps du peut-être.
Le temps des textes
Pourtant, si le fond ne change pas, la mesure du temps qu’introduit pour
les étrangers la production de textes juridiques qui les concernent n’est
pas indifférente. Elle l’est d’autant moins qu’au fil de textes dont la
conception varie peu, en ceci qu’elle se ramène toujours à l’expression
d’une volonté de contrôle étroit, les prescriptions en matière de temps ne
cessent de changer, multipliant d’autant les cahots dans le parcours de
l’immigré, qui attend que les lois, décrets et circulaires qui lui sont
applicables fixent son destin.
Ces textes ne cessent d’évoquer des durées, de fixer des délais, de
prévoir des périodes. La loi dit la durée des titres de séjour qui peuvent
être successivement octroyés ; elle dit au bout de combien d’années ces
titres de séjour peuvent être délivrés, quand ils doivent être renouvelés.
Les textes fixent les délais d’application des décisions de l’Administration,
ainsi que les délais de recours devant les diverses juridictions ou encore
ceux à l’issue desquels une absence de réponse à une demande équivaut
à un refus. Elle indique les âges auxquels une demande de
reconnaissance de la nationalité peut être effectuée ou les âges limites
des enfants pour faire valoir une demande de regroupement familial. Les
durées de présence régulière sur un territoire, les durées de scolarité,
l’ancienneté d’un mariage sont autant de paramètres dont découlent
autorisations ou interdictions de toute nature : on déplace le curseur d’un
cran - assouplissement ou durcissement - et des existences s’en trouvent
bouleversées, des perspectives transformées.
Nul autant que l’immigré ne voit à ce point sa vie régie, dans son
déroulement et dans ses étapes, par le législateur et par les services qui
appliquent les textes. Bien entendu, il est dans la nature de tous les
textes juridiques, et pas seulement de ceux qui concernent les étrangers,
d’encadrer les dispositions en vigueur par des indications de temps. Mais
dans la mesure où la vie de l’étranger est, en gros et souvent en détail,
serrée au plus près par une infinité de textes, l’immigré, tant qu’il n’a
pas, au terme d’un long parcours, obtenu l’égalité des droits conférée par
la reconnaissance de sa citoyenneté, ne peut que « passer son temps »,
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
l’œil sur le calendrier, dans la peur ou l’attente de la date fatidique qui lui
dit : « trop tard ! » ou « enfin ! ».
Temps des personnes, temps des institutions
La nécessité d’être en règle, la volonté de faire valoir ses droits n’ont pas
de répercussions que sur le temps long, celui du projet de vie. L’individu
aux prises avec les institutions souveraines est singulièrement démuni.
Les effets s’en font communément sentir dans le temps de la vie
quotidienne. L’immigré ne manque pas, pour sa part, d’en faire
particulièrement l’expérience.
Il y a le temps des convocations : telle jour, telle heure et pas une autre.
On peut en principe demander un changement de rendez-vous. Mais
lorsqu’on a peur ou, simplement, si l’enjeu est important, même si cela
ne tombe pas à un très bon moment, on ne discute pas : on se débrouille
pour faire garder ses enfants ou pour les emmener avec soi et on sacrifie
sa journée de travail. Et on est là longtemps à l’avance. Quand on arrive,
il y a souvent la queue : les immigrés sont des gens qu’on n’hésite moins
que d’autres encore à convoquer par paquets : l’heure précise devient
tranche horaire, demi journée, chacun attendra son tour.
Il y a le temps des demandes : pour savoir à quoi on a droit, où
s’adresser, ce que signifie telle lettre reçue la veille. Là encore, il faut
attendre : il y a beaucoup de monde dans la salle, beaucoup d’immigrés.
Forcément : les autres ont moins souvent besoin de se renseigner, ils
connaissent en principe un peu mieux les rouages. Et s’ils ont quand
même besoin d’une précision ou s’ils ont une réclamation à formuler, ils
téléphonent ou ils écrivent. C’est plus commode et plus rapide.
L’immigré, lui, se dérange, il attend le bus et, sur place, il attend encore,
le temps qu’il faut. Il attend aussi des réponses : quand il s’agit d’une
demande d’asile, de régularisation, de regroupement familial ou de
naturalisation, la perception de la longueur de l’attente est à la hauteur
de l’enjeu ; on attend des semaines, des mois un courrier qui décidera de
toute une vie.
Il y a le temps du guichet. L’immigré ne comprend pas toujours tout de
suite ce que l’on lui dit, ce qu’on lui veut, quel document il doit encore
produire, où il doit se rendre pour l’obtenir ; il a du mal à s’exprimer, il
est stressé, il apparaît confus ou agressif. C’est interminable, derrière lui,
on s’impatiente. Le fonctionnaire, l’assistante sociale finissent par
l’expédier. Il devra revenir avec la pièce requise ou une demande plus
claire. Il proteste ou se résigne. Il renoncera ou tentera à nouveau sa
chance une autre fois.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Une journée de perdue ; d’autres journées à venir.
Des journées ordinaires.
Temps et travail
Rester des années sans papiers, lot commun d’un contingent important
d’immigrés, toujours alimenté par de nouveaux arrivants, cela veut dire
endurer des années de travail irrégulier. Ne disposer encore, plusieurs
années durant, que de cartes de séjour temporaires renouvelables
annuellement comme en France, ou de droit au séjour lié à l’emploi,
comme aujourd’hui en Italie, c’est subir d’autres années de travail
nécessairement précaire.
Partout, les conditions d’emploi sont étroitement liées à la situation au
regard du droit au séjour. Cela se pose bien sûr d’abord en termes
purement juridiques : autorisation de travailler, accès à tous les emplois.
Mais aussi en termes pratiques : comment créer une entreprise, obtenir
un emploi qui ouvre sur de vraies perspectives de promotion lorsqu’on ne
sait pas si on n’aura encore le droit d’être là dans un an ? Pourquoi, (et
comment ?) dans de telles conditions suivre une formation ou des cours
de langue pour être moins exposé au chômage et pouvoir abandonner,
en changeant de métier, une activité où la concentration d’étrangers
souvent en situation irrégulière ou précarisés (bâtiment, restauration,
confection, services aux particuliers ou aux entreprises, agriculture…)
induit de mauvaises rémunérations, la soumission à une extrême
flexibilité, des entorses répétées au droit du travail ?
Pourtant, le temps de la vie quotidienne n’en est pas moins, une fois de
plus, sérieusement affecté par ces conditions d’emploi, essentiellement
caractérisées par la soumission à des pratiques de flexibilité maximale.
Cela conduit à supporter, en dehors de périodes non travaillées parfois
longues, une charge de travail très irrégulière et des horaires de travail
atteignant des durées quotidiennes considérables. Qui refusera de
travailler 12 ou 15 heures d’affilée s’il est en situation irrégulière, sous la
menace constante d’une dénonciation et dépourvu de toute possibilité de
recours… ou en situation précaire, confronté à la concurrence des
travailleurs irréguliers ? Qui se plaindra d’ailleurs de ces « coups de
bourre » s’ils permettent de compenser le manque à gagner des périodes
creuses ?
Les contraintes ou les usages propres aux activités où sont concentrés
les immigrés marquent également de leur empreinte le rapport au
- 108 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
temps : c’est par exemple le cas des horaires de la restauration, du
travail à la pièce dans la confection, du travail saisonnier ou même de
certaines astreintes des emplois domestiques.
L’incapacité de mobiliser le droit du travail hors de toute reconnaissance
de ses droits civiques et sociaux se répercute ainsi pleinement sur le
temps au travail. C’est plutôt gênant quand, sorti du travail, on n’a non
plus pas beaucoup de temps « à soi » !
Le temps libre
Avoir des itinéraires compliqués pour éviter les contrôles ; être aux
aguets comme un bandit en cavale ; éviter les sorties si on n’a pas une
bonne raison ; rester en fin de compte le plus possible chez soi, sauf pour
travailler et même parfois y rester pour y travailler ; ne pas même, bien
entendu, pouvoir imaginer des « vacances » pour soi ou pour ses
enfants, tel est le sort du sans-papier. Comment s’étonner dès lors
qu’une régularisation puisse souvent être assimilée par celui qui en
bénéficie à une sortie du prison, une libération ? Le temps passé en
situation irrégulière est tout sauf un temps de liberté.
Le « chez-soi » lui-même est d’ailleurs relatif. Comment être chez soi
lorsqu’on ne peut ni louer, ni acheter, ni trouver officiellement une place
dans un foyer ? Ne pas avoir de papiers, cela veut dire le plus souvent
être hébergé par de la famille ou chez des amis, ou encore être
surnuméraire dans une chambre de foyer. Dans tous les cas, cela veut
dire être largement tributaire du temps des autres, soumis à leur
organisation. Le temps du sans-papier est un temps dont il est largement
dépossédé jusque dans le lieu où il vit. Il dépend des horaires de ceux
qui lui offrent un toit.
C’est pourquoi la quête des papiers est d’abord la quête d’un minimum
de temps libre. Pour celui qui est en possession du précieux viatique,
tous les problèmes ne se résolvent pas miraculeusement. La ré-
appropriation du temps, en parallèle à la ré-appropriation de l’ailleurs, ne
sera que progressive et, comme pour tout un chacun, partielle. Le temps
de la précarité demeure pour une bonne part un temps de « galère »
passé à essayer de se sortir des multiples problèmes qui lui sont liés. De
ce point de vue, les immigrés ne sont pas seuls à connaître des temps
difficiles ; mais dès qu’ils sont en situation régulière, ils les partagent : ils
commencent, comme ils disent, à avoir des « soucis normaux ».
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Le temps des familles
La constitution d’une famille, en tant qu’aboutissement du processus
conduisant l’immigré à être « comme les autres » est, elle aussi, en
grande partie dépendante de la régularité du séjour. Le temps du sans
papiers n’est pas encore non plus le temps de la vie en famille.
Le mariage lui même pose problème. Se présenter dans une mairie n’est
en soi pas sans risque. Une dénonciation n’est jamais à exclure. Mais la
lutte menée dans tous les pays contre les mariages blancs que des
autorités soupçonneuses ne cessent de chercher à débusquer et à
traquer est aussi déstabilisante. Les conjoints potentiels peuvent aussi
être rongés par un doute malsain. Difficile dans ces conditions de
s’engager dans une relation durable, sans arrière-pensée, non altérée.
Impossible de même d’avoir des enfants dans des conditions absolument
normales. Certes, les enfants peuvent aller à l’école et se faire soigner.
Mais ils n’ont pas l’impression d’être comme leurs camarades. Ils se
sentent obligés de se cacher vis-à-vis d’eux. Ils sont fréquemment privés
d’activités communes, telles que des voyages à l’étranger. De retour à la
maison, ils doivent endurer la lourdeur de l’atmosphère. Ils savent leurs
parents perpétuellement menacés. Ils ne peuvent pas connaître leurs
grands-parents restés au pays, comme le sont parfois certains frères et
sœurs.
Au demeurant, le regroupement familial, même lorsqu’il devient possible
après la régularisation, reste subordonné au bon vouloir du législateur
qui en dicte les conditions et en apprécie l’opportunité : âge des enfants,
taille du logement, revenu des parents, tout est passé au crible. Un seul
paramètre apparaît secondaire : le désir des familles.
La reconquête du temps
Le format de cet exercice ne nous permet pas de prendre en compte
toutes les dimensions d’un rapport au temps qui n’est notamment pas
indépendant des cultures : les notions de rapidité, de lenteur ou de
ponctualité, n’ont pas partout le même sens ; les mesures du temps
varient, ainsi que la conception du « tôt » et du « tard », du « long » et
du « court », de « jeune » et de « vieux » ; on ne saurait non plus
exclure que des traces d’une conception cyclique du temps se
manifestent dans certaines cognitions ou comportements.
Les conceptions du temps des migrants peuvent donc entrer en conflit
avec les conceptions dominantes dans le pays où il souhaite s’établir. A
cet égard, il conviendrait de s’intéresser aussi de plus près aux rapports
- 110 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
au temps et aux rythmes des différents pays européens : ils ne sont
certes pas identiques en Espagne, en Italie ou en Grande-Bretagne. Mais
ces aspects sont d’autant plus difficiles à prendre en compte que les
rapports au temps induits par la place assignée dans le corps social aux
hommes et aux femmes, aux jeunes et aux vieux, varient eux aussi avec
les cultures : les choses ne se passent pas de la même manière par
exemple selon qu’il est ou non concevable qu’un homme participe aux
tâches ménagères, selon que l’âge est valorisé ou stigmatisé ou encore
selon qu’il est admis ou non qu’un jeune dispose d’une certaine
autonomie vis-à-vis des ses parents dans l’usage de son temps libre.
Le rôle déterminant de la législation imposerait aussi une analyse plus
fine des textes de chacun de ces pays, afin d’en apprécier plus
précisément l’impact sur « le temps des migrants ».
Mais nous ne pouvons ici que nous en tenir à quelques considérations
générales.
Les migrants, n’en déplaise à ceux qui n’en parlent qu’en termes de
« flux » ou de « stocks », sont d’abord des êtres humains. En ce sens, ils
ont un rapport au temps, qui anthropologiquement, ne présente aucune
différence fondamentale avec celui de tous les hommes pour lesquels le
temps est une dimension à travers laquelle on essaie de donner un sens
à sa vie en faisant quelque chose entre sa naissance et sa mort.
Les aspects particuliers du temps des migrants concernent trois points :
- Vivre, c’est aussi apprendre à vivre, c’est à dire apprendre à se
repérer, à circuler, à agir dans son environnement. Le migrant,
subissant, à un moment donné de son existence, une transformation
radicale de cet environnement, doit, quant à lui, réapprendre à
vivre. Il doit, à partir d’un point assimilable à une nouvelle
naissance, concilier l’être qu’il a été et celui qu’il doit être désormais.
Il est confronté en somme à un dédoublement du temps, reflet de
son propre dédoublement.
- Dans une société qui d’une part fait de la présence de l’immigré un
« problème » et d’autre part tend à ne le considérer que pour sa
force de travail, l’immigré fait doublement figure de dominé. Il
partage ainsi avec tous les dominés les contraintes fortes qui pèsent
directement sur la maîtrise de leur temps. Dans ce domaine comme
dans d’autres, l’immigré est un révélateur de nos rapports sociaux,
avec un effet grossissant.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
- Enfin, le temps des immigrés s’articule autour de l’événement décisif
que représente la reconnaissance en droit de leur présence. Privé de
titre de séjour régulier et durable, l’immigré est en suspens dans
une a-temporalité qui le dépossède de son avenir comme de son
passé. L’accès à une situation régulière est seule à même de le
réinsérer dans le cours commun du temps.
L’intégration est devenu un topique des discours sur l’immigration, avec
son caractère ambigu d’injonction, souvent contradictoire, et de
promesse. Elle pourrait être aussi sanction d’une reconquête : dans un
même mouvement, reconquête de son identité et reconquête de son
temps.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
CHAP. 9 - PRESTATIONS FAMILIALES ET REGROUPEMENT FAMILIAL —
L’ACCÈS AUX DROITS SOCIAUX DES FAMILLES ÉTRANGÈRES
CONTRARIÉ PAR LES POLITIQUES MIGRATOIRES
ANTOINE MATH
La protection sociale est un droit fondamental, protégé en particulier par les
textes internationaux, qui devrait valoir pour toutes les personnes quelle
que soit leur nationalité. Les discriminations vis-à-vis des étrangers en
matière d’accès aux prestations sociales n’ont pas disparu dans l’Union
européenne (UE) mais empruntent désormais de nouvelles formes sous
l’impulsion des évolutions des politiques dites de maîtrise des flux
migratoires. Les quelques 15 millions de ressortissants d’Etats tiers résidant
dans l’UE se trouvent dans une position défavorable. La construction
européenne, au fur et à mesure qu’elle a consolidé et enrichi les droits de
ceux qui sont aujourd’hui les « citoyens européens »1, a eu pour effet
paradoxal d’accroître le fossé et donc les discriminations à l’égard de ceux
qui ne le sont pas, en matière de liberté de circulation, d’accès au marché
du travail et aussi de droits sociaux2.
Dans cet article, nous voudrions examiner les droits aux prestations
familiales des familles étrangères et la remise en cause de ces droits sous
l’effet des politiques d’immigration. Notre raisonnement s’opère en trois
temps.
Nous revenons d’abord sur le principe selon lequel, entre familles
étrangères et familles nationales, devrait prévaloir l’égalité de droit en
matière sociale dans les pays de l’Union européenne. Les distinctions
fondées sur la nationalité en matière d’attribution de prestations sociales
sont désormais reconnues comme incompatibles avec les normes
juridiques en vigueur des sociétés démocratiques. La suppression de toute
« préférence nationale » ou « préférence européenne » n’est cependant
pas encore une réalité dans tous les pays de l’UE, en témoigne l’abondant
contentieux existant. La tentation de distinguer communautaires et non
communautaires persiste tant au niveau des pratiques administratives que
des idées des décideurs, sous la pression de partis populistes ou
1 Entendus depuis le Traité de Maastricht comme les individus qui ont la nationalitéd’un des Etats membres de l’Union européenne, à l’exclusion donc des autresrésidents.2 Math A. et Rodier C. (2003), « Communautarisation des politiques migratoires :entre fermeture des frontières et besoins de main d’œuvre », ChroniqueInternationale de l’IRES n°84, septembre 2003 (www.ires-fr.org)
- 113 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
xénophobes. Cette tentation se heurte aux avancées jurisprudentielles et à
la protection des textes internationaux qui ont permis de prohiber les
discriminations directes, c’est-à-dire celles qui consistent à traiter
différemment les personnes du seul fait de leur nationalité (1).
Mais, en même temps que les discriminations directes tendent à s’effacer,
émergent sous la pression d’idées défavorables aux migrants mais aussi
de la volonté de subordonner la protection sociale à la politique de
contrôle de l’immigration, d’autres formes de discriminations moins
ostensibles, mais tout aussi négatives dans leurs effets. Il s’agit des
discriminations indirectes, formes déguisées consistant non pas à
conditionner ouvertement l’accès aux prestations à la nationalité mais à
poser d’autres règles d’éligibilité qui, bien que pouvant apparaître neutres
au regard du critère de nationalité, aboutissent aussi à priver les étrangers
de prestations, ou même proportionnellement davantage les étrangers
(2).
A cet égard, il apparaît de plus en plus que les droits sociaux, et les
prestations familiales en particulier, sont mises au service de la police des
étrangers, au détriment de nombreuses familles. Ainsi, le fait de
conditionner de plus en plus les droits sociaux à l’impératif de contrôle des
flux migratoires, et en particulier les prestations familiales aux règles du
regroupement familial, couplé avec des restrictions apportées à ce droit au
regroupement familial, conduit à priver de nombreuses familles des droits
aux prestations familiales. Ces évolutions nationales se reflètent peu à peu
dans la politique d’immigration de l’UE en cours d’élaboration (3).
Le principe d’interdiction des discriminations directes en matière de
protection sociale
La discrimination directe, dite aussi ostensible, est "une différence de
traitement fondée sur une caractéristique précise", par exemple, un
avantage social accordé différemment selon le sexe, la religion ou la
nationalité du demandeur. Les progrès en matière de suppression des
discriminations directes ont d’abord concerné les travailleurs
communautaires pouvant se prévaloir de la liberté de circulation avant de
s’étendre à tous les ressortissants communautaires, puis aux
ressortissants non communautaires, non pas grâce au droit
communautaire pour ces derniers, mais sous la pression d’autres normes
juridiques.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
L’égalité pour les travailleurs communautaires puis les citoyens européens
Pour garantir la libre circulation des travailleurs prévue à l’article 51 du
Traité de Rome, il importait de faire en sorte que les différences dans les
régimes de sécurité sociale ne puissent pas constituer une entrave pour
les travailleurs migrants ressortissants communautaires voulant user de
leur droit d’exercer une activité professionnelle sur le territoire d’un autre
Etat. Deux règlements relatifs à la « coordination des régimes de sécurité
sociale » pour les travailleurs migrants ont été adoptés au début des
années 1970, puis modifiés de très nombreuses fois1. Parmi les principes
de ces règlements qui visent à ne pas pénaliser le travailleur exerçant son
droit à la libre circulation figure l’égalité de traitement avec les
ressortissants de l’Etat dans lequel le travailleur migrant exerce son
activité. Ces dispositions, réservées au début au travailleur salarié, vont
être peu à peu étendues à d’autres catégories : les membres de famille
des travailleurs migrants et leurs survivants, les anciens travailleurs
migrants, les travailleurs indépendants (règlement 1390/81) et, beaucoup
plus récemment, les fonctionnaires (règlement 1606/98) et les étudiants
(règlement 307/99).
Il n’a cependant pas suffi l’adoption de ces règles au début des années
1970 pour obtenir aussitôt l’effectivité de l’égalité des droits, ce que
confirme l’important contentieux relatif à l’application de ces règlements.
Les Etats ont opposé des réticences à adapter leurs législations et leurs
pratiques. Par exemple, la France a refusé pendant longtemps de verser
les prestations familiales aux travailleurs communautaires pour leur famille
restée au pays, alors même que ces travailleurs versaient des cotisations
aux régimes français de prestations familiales. Il faudra deux arrêts de la
Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), en 1986 et en
1989, pour que la France cède enfin2. Et à la suite de ces arrêts, elle s’est
résolue en 1990 à exporter ses principales prestations familiales tout en
négociant pour en rendre certaines non exportables3. Les réticences d’alors
reflétaient davantage des idées étroites et des fantasmes d’invasion
totalement infondés puisque un nombre stable d’environ 3000
ressortissants communautaires travaillant en France bénéficient des
1 Règlements 1408/71 et 574/72. Cf. Favarel-Dapas B. et Quintin O. (1999),L’Europe sociale – enjeux et réalités, Collection Réflexe Europe, La Documentationfrançaise ; Kessler F., L’Hernould J-P. (2002), Code annoté européen de laprotection sociale, Groupe Revue Financière.2 CJCE, 15 janvier 1986, Pinna I. CJCE, 2 mars 1989, Pinna II.3 GISTI (1997), Le guide de la protection sociale des étrangers en France, guideGISTI, Syros ; Kessler F., L’Hernould J-P. (2002), op. cit.
- 115 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
prestations familiales pour leur famille résidant dans un autre pays
européen (pour plus de 6 millions d’allocataires des prestations familiales
françaises). En l’occurrence il s’agit surtout de portugais et de frontaliers
belges. Il faut ajouter qu’il y a davantage de familles résidant en France
qui en retour bénéficient de prestations familiales allemandes, belges ou
luxembourgeoises.
Plus récemment, l’égalité de droits entre ressortissants communautaires
va être renforcée à travers la notion de citoyenneté européenne. La CJCE a
ainsi reconnu l’égalité de traitement en matière de protection sociale à des
ressortissants ne tirant pourtant pas du Traité un droit à la libre
circulation1. Il s’agissait d’un français ayant séjourné en Belgique comme
étudiant et, y ayant terminé ses études, qui demandait à bénéficier du
minimex (le revenu minimum garanti en Belgique), une prestation à
laquelle un belge dans la même situation peut prétendre. Sa demande
avait été rejetée au motif que le bénéfice de cette prestation non
contributive pour les ressortissants communautaires est subordonné à la
condition qu'ils aient eu la qualité de travailleur. La CJCE a considéré que
les principes de citoyenneté européenne et de non-discrimination
s'opposaient à ce que la qualité de travailleur soit exigée des
ressortissants communautaires et pas des nationaux pour bénéficier d'une
prestation sociale, même non contributive.
La mise à l’écart progressive des discriminations directes à l’encontre des
ressortissants non communautaires
Afin de se conformer aux normes communautaires interdisant les
discriminations entre ressortissants communautaires, les législations
nationales ont d’abord remplacé la condition de nationalité du pays par
une condition de nationalité d’un pays de l’espace économique européen,
maintenant donc une condition de nationalité pour l’octroi de certaines
prestations. Si les ressortissants d’Etats tiers résidant en Europe se voient
reconnaître peu à peu le droit aux prestations sociales sans qu’on puisse
leur opposer une condition de nationalité européenne, ce n’est pas au droit
communautaire qu’ils le doivent : il ne leur offre quasiment pas de
protection. Les progrès ont été réalisés grâce à l’invocation d’autres
normes à l’occasion de recours juridiques menés par les intéressés.
- Dans un certain nombre de pays dont la France, la jurisprudence va peu
à peu considérer contraire au principe d’égalité reconnu en droit interne
1 CJCE, 20 septembre 2001, Rudy Grzelczyk.
- 116 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
toute condition de nationalité pour l’octroi d’une prestation. Par exemple,
le Conseil constitutionnel français, dans une décision de 1990, a considéré
que la condition de nationalité pour l’attribution d’une prestation aux
handicapés enfreignait le principe républicain d’égalité, à valeur
constitutionnelle. Le Conseil d’Etat et la Cour de cassation ont également
adopté cette position dans des arrêts de principe pris à la fin des années
1980 ou au début des années 19901.
- La jurisprudence, tant de la CJCE, que des juridictions internes, va
donner raison au début des années 1990 à des ressortissants non
communautaires se prévalant de conventions internationales qui, il faut le
rappeler, ont une autorité supérieure à la loi nationale. Il s’agit notamment
des conventions prises dans le cadre de l’Organisation Internationale du
Travail (OIT)2 et surtout les accords conclus entre la CEE et des Etats tiers,
et qui prévoient l’égalité de traitement en matière de sécurité sociale.
Quatre pays sont particulièrement concernés : l’Algérie, le Maroc, la
Tunisie et la Turquie.
En France, l'invocation des dispositions de ces accords ont permis de faire
prévaloir sur la législation nationale le droit aux prestations non
contributives (allocation aux adultes handicapés, « minimum vieillesse »
ou pension minimum d’invalidité) à des ressortissants de ces pays. La Cour
de justice des Communautés européennes (CJCE) et la Cour de cassation
leur ont donné raison dès 1991. Mais l’administration a refusé pendant
près d’une décennie de se soumettre au droit3. Ce sont les centaines de
contentieux engagés pendant plusieurs années sur la base de ces accords
– ainsi que la menace d’un recours en manquement devant la CJCE - qui
ont contraint le gouvernement français à modifier sa législation et ses
pratiques sur les prestations non contributives4. La suppression de la
condition de nationalité française a été définitivement acquise, pour tous
les étrangers, par la loi du 11 mai 1998.
1 Etude "Discriminations", Dictionnaire Permanent - Droit des étrangers, Editionslégislatives, janvier 2003. Michelet K. (2002a), Les droits sociaux des étrangers,préface de Michel Borgetto, Coll. Logiques juridiques, L’Harmattan.2 En particulier, la convention 118 de l’OIT sur l’égalité de traitement en matièrede sécurité sociale du 28 juin 1962 et la convention n°97 sur les travailleursmigrants du 1er juillet 1949.3 Gacon-Estrada H. (1996), « Etrangers : la Sécurité sociale se moque de lajustice », Droit social ; CATRED, FNATH, GISTI, GRAVE, ODTI (1994, 1ère édition,1997, 2ème édition) Vers une égalité de traitement ? Les engagementsinternationaux de la France pour les handicapés et les retraités étrangers.4 Lochak D. (1999), « Quand l’administration fait de la résistance. Les prestationsnon contributives et les étrangers », in Mélanges E. Alfandari., Dalloz.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
- L’avancée majeure en matière d’égalité des droits va venir d’une norme
adoptée dans le cadre du Conseil de l’Europe : la Convention Européenne
de Sauvegarde des Droits de L’Homme (CESDH). Avec l’arrêt Gayguzuz1,
la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a condamné l’Autriche
qui refusait une prestation de chômage de fin de droits à un ressortissant
turc du seul fait de sa nationalité. Dans son raisonnement, la Cour de
Strasbourg considère que les prestations sociales constituent un bien et
relèvent en tant que tel du droit de propriété. Elle en a déduit qu’elles
entraient dans le champ protégé par la convention et que l’égalité de
traitement devait leur être appliquée. Elle a considéré qu’une condition de
nationalité pour une prestation sociale est discriminatoire car il s’agit une
"mesure qui manque de justification objective et raisonnable", qui ne
poursuit pas de "but légitime" ou encore qui ne comprend pas de "rapport
raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé".
D’autres décisions de la CEDH sont venues prohiber toute condition de
nationalité en réitérant ce raisonnement2, dont un arrêt condamnant la
France en ce qui concerne l’allocation aux adultes handicapés3.
Cette jurisprudence a été rapidement suivie en France par la Cour de
Cassation4 et par le Conseil d'Etat5. La CESDH pourrait même conduire à
considérer l’exigence d’un titre de séjour comme discriminatoire, sauf à
démontrer une justification objective et raisonnable pour une telle
limitation6.
Les discriminations directes fondées sur la nationalité devraient donc
toutes disparaître en matière de protection sociale dans l’Union
européenne. C’est malheureusement encore loin d’être le cas dans la
réalité. Par exemple, l’Autriche, malgré les condamnations, persiste à
refuser les allocations non contributives aux chômeurs étrangers7. Ce fut
aussi le cas de la France qui a refusé pendant une décennie d’appliquer le
droit en ce qui concerne les prestations non contributives et n’a cédé qu’en
1998. Et elle continue toujours pour les pensions civiles, les pensions
1 CEDH, 16 septembre 1996, Gaygusuz c/ Autriche.2 CEDH, 30 juillet 1998, Sheffield et Horsham c/ Royaume-Uni.3 CEDH, 30 septembre 2003, Koua Poirrez c/ France, requête n° 40892/98.4 Soc. 14 janvier 1999, Bozkurt c/ CPAM de Saint Etienne, pourvoi n°B 97–12.487 ; Soc. 21 octobre 1999, Kunt, droit social 1999, p.1122.5 Par exemple, CE, Rouquette et Lipietz, 5 mars 1999, RFDA 1999 p.357 concl.Maugüe et CE, Ministre de la défense c/ M. Diop / Ministre de l'économie, desfinances et de l'industrie c/ M. Diop, 16 novembre 2001, n°212179/212211.6 Pour une doctrine en ce sens, voir Michelet K. (2002b), « La conceptioneuropéenne du droit à des prestations sociales et la jurisprudence administrative »,Droit social n°7/8, juillet-août 2002.7 Voir Dufour C. (2003), « Autriche. Travailleurs étrangers, des hôtes parnécessité », Chronique Internationale de l’IRES n°84, septembre 2003.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
militaires et la retraite du combattant. Les anciens fonctionnaires ou
combattants des anciennes colonies françaises subissent toujours en effet
des discriminations, à travers un mécanisme dit de « cristallisation » des
pensions1. En dépit de condamnations par la plus haute juridiction
administrative française, l’administration continue de bafouer ouvertement
le droit en s’obstinant à refuser d’attribuer des droits égaux2. Il en va de
même pour les nombreux harkis et leurs familles qui, pour bénéficier des
divers dispositifs destinés aux anciens supplétifs et à leurs survivants, se
voient aussi toujours discriminés s’ils n’ont pas opté pour la nationalité
française avant 1967.
Les avancées jurisprudentielles, en particulier celles de la Cour de
Strasbourg, rendent peu probable tout retour en arrière. La suppression
des discriminations directes fondées sur la nationalité dans l’Union
européenne sont en principe irréversibles, en dépit des pressions
politiques poussant en sens contraire. Toutefois, le durcissement constaté
dans le domaine de l’immigration a eu des effets venant contrecarrer les
progrès réalisés. Comme par un jeu de vases communicants, les
discriminations directes se voient ainsi remplacées par le maintien ou
l’accroissement d’autres restrictions qui aboutissent finalement aussi à
exclure les étrangers des prestations sociales.
Les discriminations indirectes à l’encontre des résidents étrangers
A l’occasion de contentieux relatifs à l’égalité entre ressortissants
communautaires ou entre hommes et femmes, la CJCE a introduit et peu à
peu précisé la notion de discrimination indirecte ou "dissimulée", en
particulier dans le champ de la protection sociale3. Le juge communautaire
a d’abord estimé que "les règles d'égalité de traitement, [résultant] du
traité prohibent non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur
la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination
qui, par application d'autres critères de distinction, aboutissent en fait au
même résultat"4. La définition va ensuite s’élargir pour englober d’autres
1 Segues S. et Livio T. (2003), « Quarante ans de discriminations », Plein Droit n°56, mars 2003 ; CATRED, GISTI (2002), Egalité des droits pour les anciensfonctionnaires et anciens combattants, 64 pages. (http…gisti.org/doc/publications/2002/retraites/index.html)2 Slama S. (2003a), « La République ‘Banania’. L’arrêt Diop, un long combatjudiciaire », Plein Droit n°56, mars 2003.3 Guelette A. (2003), « De la discrimination indirecte telle qu’appréhendée par laCJCE au regard du règlement 1408/71 CEE et de la directive 79/7/CEE », Revuebelge de sécurité sociale, 2/2003.4 CJCE, 12 février 1974, Sotgiu, aff. 152/73.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
situations. Il en va ainsi dès lors qu’une « disposition, un critère ou une
pratique apparemment neutre affecte (a pour simple effet sans pour
autant avoir pour intention d’affecter) une proportion plus élevée de »
personnes d’une catégorie que de l’autre, et même si elle n’aboutit pas
exactement au même résultat qu’une discrimination directe1. Enfin, pour
établir la discrimination indirecte, la CJCE va ensuite considérer qu’il n’est
pas nécessaire de disposer de mesures statistiques montrant qu’une
catégorie est proportionnellement plus affectée qu’une autre par une
disposition. Même en l’absence de toute mesure, une disposition révèle
également une discrimination indirecte « dès lors qu’elle est susceptible,
par sa nature même d’affecter davantage les travailleurs migrants que les
travailleurs nationaux et qu’elle risque, par conséquent, de défavoriser
plus particulièrement les premiers »2.
Une discrimination indirecte est donc constituée lorsqu'une disposition est
susceptible d’affecter davantage une catégorie, sauf à pouvoir apporter
une justification appropriée, légitime et nécessaire pour atteindre l'objectif
poursuivi.
Cette notion de discrimination indirecte a ensuite été reprise dans les
nouvelles directives adoptées en vertu du nouvel article 13 du traité
d’Amsterdam au regard des discriminations. Elle a été intégrée très
récemment en droit interne français, par exemple dans le code du travail,
mais aussi par les juridictions comme la Cour de cassation ou le Conseil
d'Etat3. Mais, dans la pratique, les administrations et la plupart des juges
continuent d’ignorer cette notion ou, au moins, n’entreprennent pas
spontanément le raisonnement préalable et nécessaire à la détermination
des discriminations indirectes.
La prohibition des discriminations indirectes contre les ressortissants
communautaires
La jurisprudence de la CJCE a été très abondante pour condamner les
discriminations indirectes à l’encontre des ressortissants communautaires
en matière de protection sociale. Elle a ainsi admis comme critères
constituant une discrimination indirecte et violant le principe d’égalité des
1 Par exemple, CJCE, 21 septembre 2000, Borawitz, aff. C-124/99, rec. p. I-7293,point 25.2 CJCE, 23 mai 1996, O’Flynn c./Adjudication Officer, C-237/94.3 Etude "Discriminations" (2003), op. Cit. ; Slama S. (2003b), « La discriminationindirecte : du droit communautaire au droit administratif », Actualité JuridiqueFonction publique, n° 2003-4.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
critères tels que le lieu d’origine ou le domicile d’un travailleur1, la
nationalité des enfants pour exclure les parents du bénéfice d’une
allocation2, l’exigence de la possession d’un titre de séjour d’une certaine
durée3 ou encore le fait de soumettre le versement d’allocation de
naissance et de maternité à des conditions de résidence préalable sur son
territoire4. Ne pas accorder une prestation à taux majoré pour couple, à un
bénéficiaire lorsque son conjoint n’est pas résident dans le pays a aussi
été considéré par la CJCE comme une discrimination indirecte « puisque ce
sont essentiellement [les étrangers] qui seront affectés par une condition
de résidence des membres de leur famille sur le territoire national »5.
De nombreuses législations ont dû ainsi être adaptées dans l’UE. En
France, la durée de résidence préalable exigée pour certaines prestations
(15 ans pour les prestations d’aide sociale pour les personnes âgées ou
dépendantes, 5 ans pour le revenu minimum d’insertion6) ne sont plus
exigibles des ressortissants communautaires en raison de leurs effets
discriminatoires. Elles le demeurent pour les autres étrangers. Même la
seule exigence de production d’un titre de séjour pour l’obtention d’un
avantage social est désormais prohibée. La France, à travers diverses
circulaires depuis la fin des années 1990, a supprimé une telle exigence
pour toutes les prestations sociales, retraites, prestations familiales, RMI,
etc. Le ressortissant communautaire peut prouver par tout moyen qu’il
dispose d’un droit au séjour et il n’a plus besoin de justifier d’un titre de
séjour pour bénéficier des prestations. Cette exigence constituait de facto
un moyen de ne pas verser les prestations aux ressortissants
communautaires. Ainsi, de nombreux étudiants communautaires
demandant une prestation familiale ou une aide au logement en France se
voyaient opposer l’absence de titre de séjour adéquat, les préfectures
ayant pris l’habitude de délivrer une carte de séjour « étudiant » après de
longs mois.
L’étendue des discriminations indirectes à l’encontre des résidents non
communautaires
1 CJCE, 12 février 1974, Sotgiu, aff. 152/73.2 CJCE 12 juillet 1979 Toia, aff. C-237/78, Rec. 1979, p.2645, §143 CJCE, 4 mai 1999, Sürül c/Bundesanstalt für Arbeit, aff. C-262/964 CJCE, 10 mars 1993, Commission/Luxembourg, aff. C-111/91, Rec. p. I-817, §9.5 CJCE, 16 octobre 2001, Stallone et Onem, aff. C-212/00.6 Ce délai de résidence préalable pour demander le RMI a été allongé de 3 à 5 anspar la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise del'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Pour les ressortissants d’Etat tiers, les progrès constatés dans l’attribution
des prestations sociales avec la suppression progressive de la condition de
nationalité se sont malheureusement accompagnés de régressions avec le
renforcement ou l’introduction d’exigences conduisant à restreindre l’accès
à la protection sociale.
Il peut s’agir de l’exigence d’une durée de séjour préalable, de titres de
séjour spécifiques, d’une résidence en France des ayants-droit, etc. Ces
mêmes exigences sont ou seraient considérées en droit communautaire
comme des discriminations, directes ou indirectes selon les cas. Mais le
droit communautaire protège seulement les ressortissants
communautaires, et non les ressortissants d’Etat tiers résidant dans
l’Union européenne. Sauf pour les rares nationalités protégées par un
accord international avec l’Union européenne prévoyant l’égalité de
traitement en matière de protection sociale.
En matière de prestations familiales, ce fut le cas d’un ressortissant turc
s’étant prévalu de l’accord entre l’Union européenne et son pays. Il s’était
vu refuser une prestation familiale parce que, bien que résidant en
situation régulière en Allemagne, il n’était pas titulaire d’un titre de séjour
particulier d’une certaine durée exigée des autorités allemandes. La CJCE
a estimé qu’il s’agissait d’une discrimination indirecte violant le principe
d’égalité de traitement prévu par l’accord avec le Turquie1. Cette situation
n’a pourtant pas été suivi de mesures d’adaptation des diverses
législations nationales. Or tous les dispositifs de protection sociale soumis
à condition de régularité de séjour se trouvent dans cette situation en
France (à l’exception notable de la CMU) : la condition est vérifiée à partir
d’une liste limitative de titres de séjour fixée par un texte réglementaire.
Ces listes varient d’ailleurs d’une prestation à l’autre2. Avec pour
conséquence que même les étrangers en situation régulière mais ne
disposant pas du « bon » titre en sont exclus. A cet égard, ce sont les
prestations d’aide sociale créées à la libre initiative des collectivités locales
qui contiennent souvent les restrictions les plus exorbitantes. A Paris par
exemple, seuls les étrangers titulaires d’une carte de résident (10 ans)
sont éligibles à la carte Paris famille, ce qui écarte de nombreuses familles
parisiennes de cet avantage social. Et d’autant plus que les évolutions de
la législation et des pratiques préfectorales ont fortement accru la part des
étrangers vivant en France, pour des périodes de plus en plus longues,
sous couvert de titres plus courts que la carte de résident.
1 CJCE, 4 mai 1999, Sürül c/Bundesanstalt für Arbeit, aff. C-262/96. 2 Pour les prestations familiales, la liste est celle de l’article D. 511-1 du code de lasécurité sociale.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
La suppression en 1998 de la condition de nationalité pour les prestations
non contributives a montré l’ingéniosité de l’administration à
« compenser » une telle ouverture. Le bénéfice de ces prestations aux
retraités et invalides pauvres suppose une « résidence » (régulière au
surplus). A défaut d’être définie par la loi, cette notion de résidence peut
donner lieu à des lectures plus ou moins restrictives de la part des
organismes de sécurité sociale. Certains en viennent à interdire toute
absence du territoire français, même pour de courtes périodes de
vacances, sous peine de perdre les droits aux prestations non
contributives. Un problème d’autant plus inquiétant que semblent s’être
mises en place des politiques de contrôle ciblées, en fait discriminatoires,
sur les retraités ou invalides étrangers considérés comme plus
susceptibles de s’absenter du territoire...
Une autre discrimination indirecte s’exprime à travers l’exigence, pour
pouvoir bénéficier d’une majoration pour les couples, que le conjoint du
bénéficiaire de la pension minimum d’invalidité réside en France. Outre
qu’une telle exigence n’est pas prévue par la loi et semble contraire aux
règles du code civil sur le choix des couples mariés de mener leur vie de
couple marié comme ils l’entendent, cette exigence été jugée
discriminatoire par le juge communautaire lorsqu’il s’agit de ressortissants
communautaires1 (ou de ceux pouvant se prévaloir d’un accord avec
l’Union européenne).
Pour bénéficier du RMI, la durée de séjour préalable avec droit au travail
peut également être considérée comme une infraction au regard du
principe d’égalité de traitement. Elle l’est au regard du droit
communautaire pour les ressortissants de l’Union européenne. Et pour
tous les étrangers, elle est considérée comme discriminatoire et contraire
à la Charte sociale européenne du Conseil de l’Europe par le comité
d’experts chargé du suivi du respect de cette Charte.
Emprise de la législation sur le séjour des étrangers et discrimination
indirecte en matière de prestations sociales.
La plupart des dispositions visant à limiter l’accès aux prestations des
étrangers s’inscrive dans le cadre d’un durcissement des politiques
d’immigration, en particulier à travers l’extension de l’exigence de la
régularité du séjour. Ce durcissement s’est traduit par une ingérence de
1 Par exemple, une telle exigence a été jugée contraire au principe d’égalité dans lecas d’une prestation belge. CJCE, 16 octobre 2001, Stallone et Onem, aff. C-212/00.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
plus en plus forte des règles de police et de séjour des étrangers sur les
règles en matière sociale.
La condition de régularité de séjour a été introduite progressivement avant
d’être généralisée. Au début des années 1970 en France, le fait pour
l’étranger d’avoir pénétré et/ou séjourné de manière irrégulière en France
était alors uniquement sanctionné sur le plan pénal et sa situation au
regard du séjour n’avait aucune répercussion sur l’accès aux droits
sociaux1. Seule la « résidence en France » était requise par le code de
sécurité sociale2.
La régularité de séjour a fait son apparition avec la loi de 1975 relative à
l’IVG qui subordonnait non seulement la prise en charge mais aussi le droit
de se faire pratiquer une IVG à la détention d’un titre de séjour d’une
durée de validité de plus de trois mois (cette disposition a été supprimée
en 2001). En 1978, la même exigence est introduite lors de la mise en
place de l’assurance personnelle (un dispositif disparu depuis et remplacé
par la couverture maladie universelle - CMU). La loi du 29 décembre 1986,
dite "loi Barzach" relative aux prestations familiales poursuit et complète
cette logique en introduisant une double exigence de régularité : d’une
part, la régularité de séjour de l'allocataire et, d’autre part, la régularité
d'entrée de l'enfant au titre duquel les prestations familiales sont
demandées.
La loi du 1er décembre 1988, complétée par celle du 29 juillet 1992,
relative au RMI subordonne le bénéfice du RMI à deux conditions : d’une
part, la régularité du séjour au moment de la demande, limitée à la
production soit d’une carte de résident, soit d’une carte de séjour
temporaire ouvrant droit au travail mais à la condition supplémentaire de
justifier avoir résidé régulièrement de façon ininterrompue depuis trois ans
sous couverts de titres de séjour ouvrant droit au travail3.
L’étape ultime est apportée par la loi du 24 août 1993 dite "loi Pasqua" qui
généralise l'exigence de la régularité de séjour pour l'accès à la quasi
totalité des dispositifs de protection sociale. De rares exceptions
subsistent pour quelques prestations d’aide sociale : l’aide médicale, l’aide
sociale à l’enfance, l’aide sociale pour l’accueil dans les centres de sans
abris. La loi a aussi eu des effets particulièrement négatifs sur les
représentations et les comportements. Alors que les caisses d’assurance
1 Ancien art. L.311-2 du code de sécurité sociale.2 Ancien art. L.311-7 du code de sécurité sociale.3 Période allongée récemment à cinq années par la loi n° 2003-1119 du 26novembre 2003.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
maladie et leurs agents ne connaissaient pas la nationalité des assurés
depuis 19451, l’introduction de la condition de régularité de séjour va les
obliger à s’enquérir de la nationalité des assurés pour dans un premier
temps distinguer les Français des étrangers et ensuite, parmi ces derniers,
vérifier la validité des titres de séjour. La réforme a donc légitimé et
banalisé dans les têtes des agents de sécurité sociale le fait qu’il est
normal de distinguer Français et étrangers. Elle ne pouvait pas être sans
effet sur les comportements et le développement de pratiques
discriminatoires.
Enfin, la réforme de la couverture maladie universelle (CMU), en 2000, si
elle a eu des effets très positifs en terme d’effectivité d’accès aux soins
pour les plus démunis, a également poussé à son paroxysme la mise en
quarantaine des personnes sans autorisation au séjour : elles sont
cantonnées à l'aide médicale de l’Etat, un dispositif qui leur est désormais
réservé, alors que jusque là ils cohabitaient encore avec les autres
populations pauvres.
La subordination des prestations familiales aux politiques migratoires
On l’a vu, alors que la législation française ne connaissait pas la régularité
de séjour des allocataires, celle-ci a été peu à peu généralisée lors des
deux dernières décennies à la quasi totalité des droits sociaux. Pour les
prestations familiales, ce fut le cas en 1986 par la loi du 29 décembre
1986, à un moment où la majorité de droite de l’époque se trouvait,
depuis mars 1986, sous la pression d’une soixantaine de députés du Front
national. De telles restrictions ont également été introduites dans d’autres
pays de l’UE. La progressive communautarisation des politiques
d’immigration depuis l’entrée en vigueur du Traité d’Amsterdam s’inscrit
dans la poursuite de ces évolutions.
Des évolutions nationales de plus en plus restrictives
La législation et les pratiques vont durcir l’accès aux prestations familiales
en deux temps. D’une part en conditionnant le bénéfice de ces prestations
à l’exigence d’une entrée dans le cadre du regroupement familial. D’autre
part en rendant l’accès au regroupement familial lui-même plus difficile.
1 Le numéro d’immatriculation à la sécurité sociale informe du lieu de naissancemais pas de la nationalité de l’assuré social.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
a- Les prestations familiales subordonnées à la politique migratoire : Nous
illustrerons cette évolution à travers de l’exemple français. Pour pouvoir
bénéficier des prestations familiales, la loi de 1986 a introduit une double
condition pour les étrangers.
D’abord la personne recevant les prestations (l’allocataire) doit justifier
d’un séjour régulier. Comme on l’a vu, cette restriction va aussi conduire à
refuser les prestations familiales à des familles n’ayant pas le « bon » titre
de séjour. Une restriction discriminatoire qu’ont dû, ou doivent, lever les
Etats membres pour les ressortissants de l’UE. Une telle discrimination a
également été condamnée par la CJCE sur la base de l’accord entre l’UE et
la Turquie1. Suite à cet arrêt, les autorités françaises n’ont pas modifié
pour autant leurs textes et leurs pratiques. Les conséquences de cette
restriction sont d’autant plus importantes qu’un nombre de plus en plus
important de familles en situation régulière se voient exclues du « bon »
titre de séjour par les évolutions de la législation sur les étrangers ainsi
que par les pratiques des administrations appliquant cette législation.
Ensuite, les prestations familiales sont également conditionnées à l’entrée
par la procédure du regroupement familial pour les enfants non nés en
France. Cette condition est vérifiée par la production d’un certificat médical
délivré par l’office des migrations internationales (OMI) à l’occasion du
regroupement familial. Cette condition aboutit concrètement à priver de
prestations familiales des dizaines de milliers d’enfants vivant en France.
Elle enfreint le principe d’égalité de traitement garanti par de nombreuses
conventions internationales.
Elle contrevient par exemple à l’accord d’Ankara de 1963 avec la Turquie
et notamment la décision n°3/80 du 19 septembre 1980 qui énonce le
principe de l’égalité de traitement en matière de sécurité sociale,
comparable à celui existant pour les accords avec le Maghreb. Ce texte qui
s’applique aux travailleurs turcs qui se déplacent à l’intérieur de l’Union
européenne, et les membres de leur famille, a également donné lieu à une
jurisprudence abondante tant au niveau de la CJCE que des juridictions
internes. L’exigence qu’un enfant né à l’étranger soit passé par la
procédure du regroupement familial pour pouvoir être considéré à charge
et pour ouvrir droit aux prestations familiales prévu par l’accord entre la
Turquie et l’UE2.
1 CJCE, 4 mai 1999, Sürül c/Bundesanstalt für Arbeit, aff. C-262/96.2 TASS de la Haute-Loire, 1er mars 2001, Yuksel c./CAF de la Haute-Loire, n°84 /2000. Cf. GISTI (2002), Le guide de la protection sociale des étrangers en France,guide GISTI, La découverte.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Cette disposition contrevient surtout à la Convention internationale
relative aux droits de l’enfant (CIDE). L’article 2 de cette convention
interdit toute discrimination qui serait notamment motivée par la situation
juridique des parents et son article 3.1 stipule que “ dans l’exercice de son
pouvoir d’appréciation, l’autorité administrative doit accorder une
attention primordiale à l’intérêt de l’enfant dans toutes les décisions le
concernant1 ”. Le juge administratif français a reconnu l’applicabilité
directe de cet article dans le cas d’un refus de regroupement familial sur
place2. Une décision de refus par la préfecture de régularisation sur place
d’enfants venus en dehors de la procédure a aussi été considérée comme
contrevenant à l’article 3.1 de la CIDE pour le seul motif qu’elle pouvait
aboutir à priver les enfants du bénéfice des prestations familiales3. Or tel
est bien la raison d’être de la disposition législative introduite en 1986 et
visant à conditionner les prestations familiales à la procédure du
regroupement familial. Dans le rapport adressé en 2004 au comité de suivi
de la CIDE, la Défenseure des enfants rappelle plusieurs fois que la mesure
est « discriminatoire » et contrevient à plusieurs articles de la CIDE.
L’exigence du certificat médical OMI est souvent défendu comme un
moyen de lutter contre l’immigration illégale, contre les personnes venant
en dehors du regroupement familial. C’est faire semblant d’ignorer les
restrictions croissantes au regroupement familial, c’est faire peu de cas du
droit fondamental à vivre en famille et de l’irrépressible aspiration légitime
des familles à être ensemble.
b- Le droit à la vie familiale malmené par des politiques migratoires
restrictives : La loi de 1986 exigeant des enfants d’être venus par la
procédure du regroupement familial a eu pour effet d’écarter d’autant plus
d’enfants et leur parents du bénéfice des prestations familiales que la
procédure de regroupement familial s’est durcie à partir des années 1970.
Avant la fermeture à l’immigration de travailleurs au milieu des années
1970, il y avait peu de restriction à l’immigration familiale. Au contraire,
un décret de 1945 prévoyait de « faciliter l’établissement familial » et une
circulaire de 1947 soulignait déjà l’importance de l’immigration familiale,
d’une part dans une logique économique afin de fixer une main d’œuvre
immigrée convoitée et d’autre part dans une logique nataliste pour
1 Défenseur des enfants (2004), Rapport du Défenseur des enfants au comité desuivi de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, mars 2004, 23pages.2 CE, Cinar, 2 octobre 1997, n°1613643 TA, Fannan c/Préfet du Rhône, 12 novembre 1997
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
favoriser la venue de femmes en âge de procréer1. Dans la pratique, il
s’agissait plutôt d’une politique « à la bonne franquette au gré des
besoins de l’économie française »2. Si l’on met à part des restrictions
visant explicitement les Algériens à partir de 1965, le changement de cap,
très brutal, viendra avec une circulaire du 9 juillet 1974 préconisant l’arrêt
de l’introduction des familles étrangères. Cette circulaire sera supprimée
puis suivie d’autres textes réglementaires dont un décret en 1976 servant
de référence à toutes les évolutions postérieures et introduisant de
multiples obstacles au regroupement familial : résidence régulière depuis
au moins un an, logement adapté, ressources suffisantes, etc.3. C’est aussi
à cette époque que les premières réactions juridiques amèneront le
Conseil d’Etat à reconnaître que le droit de vivre en famille, pour les
étrangers comme pour les nationaux, est un principe général du droit4.
A partir de cette époque, et si l’on excepte une brève période d’ouverture
entre 1981 et 1984, l’accès au regroupement familial va fortement se
durcir en imposant des conditions sans cesse plus difficiles à obtenir5.
c- Les autres pays européens ont également connu une évolution similaire,
souvent plus récemment6. Les mesures de restrictions sont de divers
ordres et se cumulent pour venir limiter le droit à vivre en famille :
1) Les conditions de logement et de ressources (nature, niveau et
régularité des revenus) ont été très fortement durcies. Ces conditions
constituent les principaux obstacles au regroupement familial. Trouver un
logement d’une taille suffisante est particulièrement difficile, à fortiori pour
des populations faisant l’objet de fortes discriminations sur un marché
locatif lui-même très tendu. Disposer de revenus suffisants et réguliers sur
une période assez longue est également un obstacle souvent rédhibitoire,
surtout avec le développement du chômage et de formes précaires et
atypiques d’emploi (contrat à durée déterminée, intérim, temps partiel
1 Toutes les informations relatives à l’évolution de la législation sur leregroupement familial sont tirées de Rodier C. (1995), « Des familles selon lesbesoins », Plein Droit 29-30, novembre 1995, ainsi que de l’étude « Regroupementfamilial », Dictionnaire permanent des étrangers, Editions législatives.2 Rodier (1995), op. cit.3 Sur cette période, voir “Les errements d’une réglementation”, Plein Droit n°24,avril-juin 1994.4 Arrêt GISTI du Conseil d’Etat du 8 décembre 1978.5 Cette évolution n’a pas été linéaire. La loi « Chevènement » du 11 mai 1998 aainsi assoupli quelques dispositions – les conditions de ressources par exemple -mais sans revenir sur des restrictions introduites par les gouvernementsprécédents et surtout sans remettre en cause la philosophie générale.6 Voir notamment Le regroupement familial, Les documents de travail du Sénat,série législation comparée, n°LC 112, septembre 2002.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
subi, etc.). En France, la nouvelle loi du 26 novembre 2003 vient ainsi de
durcir la condition de revenus.
2) les catégories de bénéficiaires potentiels tendent à être limités au seul
conjoint et aux enfants mineurs. Les autres membres de famille sont
écartés. A cet égard, la notion même de famille a connu une évolution
inverse à celle des mœurs puisque qu’avant 1974, les demandes de
regroupement familiales pour des concubines, des fiancées, des parents
étaient recevables en France. Aujourd’hui, seuls le conjoint marié et les
enfants mineurs sont prévus. Mais, même des mineurs peuvent être
désormais exclus du droit au regroupement familial dans certains pays
comme en Allemagne où la nouvelle loi permet de rejeter des enfants de
plus de 12 ans. Un âge minimal a aussi été introduit par la loi du 6 juin
2002 au Danemark pour les regroupements de conjoints adultes. Ces
derniers doivent tous avoir plus de 24 ans.
3) Les exigences relatives au séjour de l’étranger résident (type de titre de
séjour, durée préalable de résidence) tendent également à être durcies
dans tous les pays. Par exemple, depuis 2002, l’étranger au Danemark
doit disposer depuis au moins 3 ans d’un titre de séjour d’une durée
illimitée, un titre qui ne peut lui-même être obtenu qu’après sept années
de séjour régulier…
4) Les procédures sont également rendues plus difficiles, plus fastidieuses
et plus longues. Des enquêtes peuvent être prévues et ces dernières
peuvent impliquer l’intervention de plusieurs acteurs et augmenter la
probabilité de décisions arbitraires de refus du regroupement familial (en
France, la loi du 26 novembre 2003 réintroduit à cet égard l’intervention
du maire de la commune).
5) Le regroupement familial peut davantage être remis en cause en cas de
rupture de la vie commune. Ainsi, en France, dans un tel cas, la carte
délivrée au conjoint rejoignant peut être retirée ou non renouvelée
pendant les deux années suivant sa délivrance (contre un an avant la
nouvelle loi du 26 novembre 2003). Il n’est pas reconnu d’avoir de bons
motifs à rompre une vie commune lorsqu’on est étranger.
6) Le droit au séjour des proches rejoignant tend à être fragilisé. Par
exemple en France, alors que le conjoint et les enfants d’un étranger
disposant d’une carte de résident de 10 ans recevaient jusque là le même
titre de séjour, ils ne reçoivent plus désormais qu’un titre court et précaire
depuis la nouvelle loi du 26 novembre 2003.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Enfin, le regroupement familial « de fait », c’est-à-dire le fait pour une
famille de se réunir en dehors de la procédure, seul moyen le plus souvent
pour rendre effectif le droit à vivre en famille, est de plus en plus
sanctionné. En France, une telle sanction prévue par la loi Pasqua de 1993
vient d’être réintroduite avec la nouvelle loi du 26 novembre 2003 sous la
forme d’un retrait du titre de séjour de l’étranger, ainsi reconnu coupable
d’avoir été rejoint par son conjoint et/ou ses enfants.
Des évolutions inquiétantes au niveau de l’Union européenne :
regroupement familial et égalité en matière de droits sociaux
Au sommet européen de Tampere en 1999, les Etats ont affirmé leur
volonté de « mettre en place une approche commune pour assurer
l’intégration dans nos sociétés de ressortissants de pays tiers résidant
légalement dans l’Union » par l’octroi de « droits aussi proches que
possibles que ceux dont jouissent les ressortissants de l’Union ». Ce volet
« intégration » des politiques d’immigration devait équilibrer d’autres
orientations plus répressives en matière de mesures de dissuasion, de
contrôle des frontières et de lutte contre l’immigration clandestine.
Ce volet « intégration » s’est d’ailleurs développé plus lentement que les
volets répressifs, surtout après le 11 septembre 2001. L’objectif va
cependant se traduire quatre ans plus tard par l’adoption de deux
directives, l’une sur le regroupement familial1, l’autre sur le statut de
résident de longue durée2.
La Commission avait présenté le regroupement familial comme un outil
« essentiel pour l’intégration des immigrés » lors de la présentation de son
premier projet de directive immédiatement après le sommet de Tampere3.
Ce projet avait reçu le soutien de nombreuses organisations non
gouvernementales agissant en faveur des droits des migrants et particulier
du droit à une vie privée et familiale, et notamment de la Coordination
européenne pour le droit des étrangers à vivre en famille4. Les Etats vont
1 Directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit auregroupement familial (Journal officiel L351-12 du 3 octobre 2003).2 Directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut desressortissants de pays tiers résidents de longue durée (Journal Officiel L16/44 du23 janvier 2004).3 Proposition de directive du Conseil relative au regroupement familial, COM(1999)638 final (Journal officiel C 116 du 26.04.2000).4 Sur les développements relatifs à cette directive, voir Rodier C. (2003), « Ladirective relative au regroupement familial, une occasion manquée de faireprogresser l’intégration des immigrés », Nouvelle Tribune, décembre 2003. Voirégalement GISTI (2004), « Directive européenne relative au regroupement
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
toutefois s’opposer à cette orientation et contraindre la Commission à le
vider de ses aspects protecteurs à travers de nouvelles propositions de
directives1. D’un projet initial instaurant un « droit au regroupement
familial », le proposition de 2002 ne parle plus que de « fixer les
conditions dans lesquelles est exercé le droit au regroupement familial ».
Cette dernière version intègre toutes les restrictions demandées par les
uns et les autres : désormais seuls le conjoint marié et les enfants mineurs
sont admissibles ; par dérogation, un Etat peut subordonner l’admission
d’un mineur de plus de 12 ans à une condition d’intégration ; le délai
d’attente pour pouvoir demander le droit à se faire rejoindre passe de un à
deux ans, voire trois ans dans certains cas ; de nombreuses conditions
(logement et revenus notamment) peuvent être opposées au demandeur,
etc. Ce projet a d’ailleurs servi de légitimation à des reculs en matière de
droit au regroupement familial dans divers pays, dont la France avec la
nouvelle loi du 23 novembre 2003 sur l’immigration. Le texte finalement
adopté par le Conseil en février 2003 a été vivement critiqué, entre autres
parce qu’il enfreint la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme2. A tel point que sous la pression de nombreuses associations, le
Parlement européen est allé, fait rarissime, jusqu’à saisir la Cour de
Justice en décembre 2003 pour en demander l’abrogation.
Le deuxième texte d’importance des politiques d’immigration qui devait
donner du contenu à l’objectif d’« intégration » est la directive relative aux
résidents d’Etat tiers résidant depuis longtemps dans l’UE, finalement
adoptée fin 2003 3. Son objectif est de rapprocher les législations
nationales concernant la délivrance d’un statut de résident de longue
durée et les droits afférents à ce statut, ainsi que de fixer les conditions
dans lesquelles ces ressortissants pourront se rendre et séjourner dans un
autre Etat membre. Sans rentrer dans le détail, notons qu’a été
abandonnée le principal intérêt initial du projet qui était d’étendre à ces
étrangers résidant légalement déjà depuis longtemps dans un Etat
membre un droit à la libre circulation au sein de l’UE à égalité avec les
familial – chronologie », 22 janvier 2004 http…gisti.org/doc/actions/2004/regroupement/index.html.1 Propositions modifiées de la Commission, COM(2000) 624 final (Journal officiel C62E du 27.02.2001) et COM(2002) 225 final (Journal officiel C 203 E du27.08.2002).2 Voir notamment les réactions des six principaux réseaux chrétiens d’associationsoeuvrant dans ces domaines au niveau de l’UE. « The EU Directive on family reuni-fication : right for families to live together or right for member States to derogatefrom human rights ? », Communiqué de presse de Caritas, Comece, CCME, ICMS,JRS, Quaker Council, 4 mars 2003.3 Directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut desressortissants de pays tiers résidents de longue durée (Journal Officiel du 23janvier 2004).
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
autres résidents. Notons aussi que l’accès à ce statut de résident de
longue durée sera soumis à des conditions assez restrictives. Nous nous
limitons cependant ici à la question des droits sociaux qui seront garantis à
ceux qui seront parvenus à obtenir ce statut.
Pour ces privilégiés, l’article 11 de la directive prévoit de leur accorder le
« bénéfice de l'égalité de traitement avec les nationaux en ce qui
concerne la sécurité sociale, l’aide sociale et la protection sociale telles
qu’elles sont définies par la législation nationale ». A ce niveau peu de
commentaires sont nécessaires. Cet article ne fait finalement qu’entériner
l’égalité de traitement déjà garantie par de nombreuses normes
existantes, si l’on entend par égalité de traitement l’absence de toute
condition de nationalité ou discrimination directe (cf. 1). Par ailleurs, il
s’agit d’étrangers résidant depuis longtemps de façon régulière dans un
Etat membre donc a priori épargnés de la plupart des formes déguisées de
discriminations ou discriminations indirectes consécutives à des critères
tels que la régularité, la résidence ou la durée préalable de résidence (cf.
2).
Cet article de la directive serait positif si un autre paragraphe ne prévoyait
pas des dérogations à cette égalité de droit : « en matière d'aide sociale
et de protection sociale, les Etats membres peuvent limiter l'égalité de
traitement aux prestations essentielles ».
Cette restriction à l’égalité de traitement est particulièrement surprenante.
D’abord, du point de vue politique, elle reflète un climat manifestement
délétère dans l’UE vis-à-vis des ressortissants d’Etats tiers puisqu’elle
avalise la « préférence européenne » préconisée par les partis européens
de l’extrême droite xénophobe. Une telle disposition dans une directive
adoptée par les Etats membres montre l’influence de ces partis. L’histoire
des deux dernières décennies a montré que ces partis n’ont pas besoin
d’être au pouvoir pour qu’une partie de leurs idées finisse par être reprise
et appliquée dans les dispositions nationales. La contagion s’étend
désormais à la législation de l’Union européenne. Cette disposition
autorisant une « préférence européenne » contredit, en acte concret et
hautement symbolique, tous les beaux discours à propos du racisme, de la
xénophobie et de l’intégration.
Ensuite, du point de vue juridique, la dérogation à l’égalité de droit est
incontestablement contraire a à la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH) et à d’autres
normes nationales et internationales1. Nous avons déjà mentionné que la
Cour européenne des droits de l’Homme a dégagé une jurisprudence
1 Sur ces normes internationales voir GISTI, La protection sociale des étrangers parles textes internationaux, Cahier juridique, février 2004. http…gisti.org/doc/publications/2004/convprotsoc
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
constante sur ce point : conditionner l’attribution d’une prestation, quelle
qu’elle soit, à la nationalité est une violation de la CESDH, et en particulier
du principe de non discrimination par l’application combinée de l’article 14
et de l’article 1er du protocole n°11. Cette directive enfreint également les
accords UE-pays tiers qui prévoient l’égalité de traitement en matière de
protection sociale (Algérie, Maroc, Tunisie, Turquie) et à ce titre, devrait
être sanctionné par la CJCE. Elle est susceptible de violer d’autres textes
internationaux, la Convention internationale relative aux droits de l’enfant
en particulier si de telles restrictions étaient introduites pour des
prestations familiales.
Cette disposition contraire à l’égalité de traitement s’inscrit dans le
prolongement d’une directive sur les normes minimales d’accueil pour les
demandeurs d’asile adoptée au début 2003 qui, elle aussi, entérinait
explicitement un traitement discriminatoire entre les demandeurs d’asile
et le traitement réservé aux autres résidents2.
Conclusion : quelle place pour les familles étrangères dans l’Union
européenne ?
En matière de droit aux prestations sociales pour les étrangers, on peut
noter depuis une vingtaine d’années deux orientations contrastées. D’un
côté, la prohibition progressive des discriminations directes fondées sur la
nationalité grâce aux actions juridiques et aux normes internationales. De
l’autre, la subordination de plus en plus forte de ces prestations sociales
aux objectifs assignés par les pouvoirs publics en matière de police des
étrangers, ce qui s’est traduit notamment par l’instauration de nouvelles
restrictions à l’accès aux prestations pour les ressortissants étrangers. De
ce point de vue, l’accès aux prestations familiales a été fortement
restreints pour des milliers de familles en raison de la conjonction de deux
évolutions. D’abord, la décision d’exclure des prestations familiales toutes
les familles dont les enfants sont venus en dehors de la procédure du
regroupement familial et ensuite la remise en cause progressive du droit
au regroupement familial, accroissant par là même le nombre de familles
contraintes de contourner une procédure draconienne mais se voyant aussi
perdre tout droit aux prestations familiales. Ces évolutions ont pour effet
de priver aujourd’hui des familles étrangères de prestations familiales.
L’ampleur et les effets de ces exclusions sont insuffisamment connus. Des
1 CEDH, 16 septembre 1996, Gayguzuz c/ Autriche ; CEDH, 30 juillet 1998,Sheffield et Horsham c/ Royaume-Uni ; CEDH, 30 septembre 2003, Koua Poirrez c/France, requête n° 40892/982 Directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normesminimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les États membres (Journalofficiel L 031 du 06 février 2003)
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
études effectuées auprès de familles étrangères seraient utiles pour
comprendre comment ces discriminations inscrites dans les textes jouent
contre leur bonne insertion dans la société dite d’« accueil »1.
Ces restrictions aux droits sociaux sont contraires à de nombreux textes
internationaux garantissant l’égalité des droits et protégeant les familles et
les enfants. Elles ont été introduites dans les législations nationales mais
commencent à s’étendre aux nouvelles normes qui se mettent en place au
niveau de l’UE. Cette orientation est contradictoire avec la volonté affichée
de favoriser une bonne insertion des familles étrangères résidant en
Europe. Elle est par contre cohérente avec le projet de « traité
constitutionnel »2. Ce dernier s’apprête à cantonner quelques 15 millions
de résidents non européens à un rôle de résidents de seconde zone en
refusant de leur reconnaître l’égalité des droits et la place qui leur revient
dans une Europe qu’ils ont aussi contribuée à construire.
1 Pour une telle démarche voir Rohi D. (2001), L’accès au droit des migrants ensituation de précarité et de leurs enfants : une approche pragmatique etdynamique des discriminations légales fondées sur la nationalité, Rapport derecherche réalisé avec le soutien du GIP Mission de recherche droit et justice,Ministère de la justice, novembre 2001, 177 pages.2 Blanchard E. et Rodier C. (2004), « Le projet de traité constitutionnel européen :un déni de droits pour les étrangers ? », Hommes et Libertés (à paraître).
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
TROISIEME PARTIE : MIGRATIONS ET TEMPS
PRÉSENTATION
ANNE-MARIE DIEU et LYDIE GAUDIER
Dans le cadre du projet européen «usages sociaux du temps et
migrations : les familles à la croisée de l’espace et du temps », les quatre
partenaires se sont posés constamment la question de la séparation ou du
traitement simultané des deux problématiques que sont les migrations et
le temps.
D’un côté, la question des migrations est si vaste et a fait l’objet d’un
nombre tellement important d’études et de recherches dans les différents
pays concernés qu’il s’agissait de trouver le moyen de les appréhender
sous un angle novateur et original sous peine de n’apporter aucune plus-
value à la littérature existante. De l’autre, la problématique conjuguée du
temps des migrants a été, par contre, très peu approfondie, sauf sous
l’angle des différences culturelles et religieuses. Les bases scientifiques
disponibles sont donc très minces pour fonder une recherche dont les
résultats doivent être publiés à court terme.
Face à cette interrogation sur la perspective à privilégier, les partenaires
se sont positionnés de manière contrastée en tentant de tirer le meilleur
parti des différents angles d’approche possibles.
Les partenaires finlandais ont privilégié le pragmatisme. Après une
analyse approfondie du cadre réglementaire finlandais et des statistiques
migratoires, les chercheurs de la Family Federation of Finland –
Vaestoliitto se sont attachés au temps des personnes migrantes qui se
trouvent en dehors du circuit du travail et pour lesquelles, de ce fait, très
peu de données sont disponibles quant à la manière dont elles vivent et
utilisent leur temps : chômeurs, invalides, femmes au foyer, etc.
Au total, 15 entretiens ont été réalisés, non pas auprès d’un échantillon du
public cible, mais auprès de professionnels travaillant directement avec
celui-ci.
Les résultats mettent en évidence la multiplicité des infrastructures
développées en Finlande pour aider les migrants à s’intégrer (même si ce
terme d’intégration est souvent décrié), les causes du taux d’échec
relativement élevé des mesures mises en œuvre, et les problèmes
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
humains et existentiels rencontrés par les personnes migrantes
notamment dans des situations de crises familiales (redéfinition des rôles
respectifs de l’homme et de la femme, absence de repères temporels pour
les hommes sans emplois, difficulté à entreprendre des démarches auprès
de structures publiques ou administratives «froides » - c’est-à-dire
essentiellement anonymes, lointaines -, etc.).
Les partenaires grecs se sont heurtés à un déficit de données statistiques
nationales concernant aussi bien le temps que les migrations. La
contribution du F.C.C.C. a donc tenté, à partir des quelques études
disponibles, de dresser une photographie de l’état de la situation
migratoire dans ce pays et de présenter les principales difficultés
rencontrées par les personnes migrantes.
Outre l’importance de l’immigration en provenance d’Albanie et de l’ex-
Union soviétique qui constitue une donnée tout à fait particulière de la
problématique de l’immigration en Grèce et qui n’est pas facile à gérer -
Les comportements xénophobes d’une partie de la population grecque vis-
à-vis des immigrés albanais ont fait plus d’une fois couler de l’encre dans
la presse -, la situation grecque présente la particularité d’une répartition
très inégale des migrants sur son territoire.
Si la plupart des immigrés se concentrent autour des centres urbains et en
particulier, autour d’Athènes, la distribution par nationalité d’origine et par
sexe entre les régions et préfectures du pays est très inégale. Un certain
nombre de facteurs explicatifs sont avancés. Il apparaît, par exemple, que
les hommes sont plus nombreux dans les campagnes où ils trouvent à
s’employer dans les travaux des champs.
Par ailleurs, nos partenaires grecs ont mis à profit leur expérience
professionnelle de terrain en matière d’aide et de soutien aux familles en
difficultés. Ils se sont engagés dans l’approfondissement de la question
des usages du temps par les personnes migrantes, et en particulier de
leur temps libre, en fonction de leur nationalité, de leur statut migratoire
et de l’ancienneté de leur séjour en Grèce.
Là aussi, comme il apparaît de manière transversale dans l’ensemble des
contributions nationales, il ressort de l’enquête sommaire réalisée que le
temps de loisir ne peut s’imaginer que par rapport à l’existence d’un
temps de travail concomitant pour les personnes concernées et, qui plus
est, dans le cadre d’un emploi relativement stable qui se confirme être un
facteur important d’insertion sociale.
- 136 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Si tel n’est pas le cas, le temps libre reste un “temps mort” rempli
d’activités non choisies ou essentiellement passives, comme regarder la
télévision, et renvoient les individus à la solitude de leur domicile, ces
activités renforçant l’exclusion sociale dont ils font l’objet.
La Ligue des Familles (Belgique) s’est orientée dès le départ de la
recherche sur la question du temps tel qu’il est vécu par les personnes
migrantes. Il est rapidement apparu que la littérature existante sur ce
sujet est non seulement très pauvre mais orientée selon une approche
essentiellement culturaliste.
L’objectif du travail a été la déconstruction de ce point de vue fondé sur
les déterminants culturels et religieux dans l’explication des manières dont
les personnes de différentes origines appréhendent leur temps. En effet,
cette approche présente de multiples effets pervers dont les moindres ne
sont pas de stigmatiser les comportements individuels en fonction des
origines ethniques, de renforcer par-là même les oppositions entre les
cultures et de contrecarrer la volonté et la liberté des personnes de
s’adapter à leur milieu de vie en développant des identités
multiculturelles.
Le statut migratoire (demandeur d’asile, réfugiés, sans papiers, détenteur
d’un permis de séjour et de travail en règle, naturalisé,…), l’époque de la
migration et notamment le cadre juridique en vigueur, les conditions
socio-économiques et les projets personnels ont été mis en évidence
comme aussi et même plus importants que la culture d’origine ou la
religion de référence pour comprendre le rapport au temps des migrants.
A ce stade, un projet d’enquête qualitative portant sur la réalisation
d’entretiens sous forme de récits de vie avec un échantillon de migrants
correspondant à des profils types prédéfinis est envisagé. Cette enquête
devrait permettre, dans un deuxième temps, de confirmer les hypothèses
de départ en ce qui concerne les facteurs explicatifs des usages du temps
par les migrants et de mettre en évidence des informations originales sur
le déroulement du cycle de vie des migrants actuellement, sur leurs
projets, les difficultés qu’ils rencontrent et les stratégies qu’ils mettent en
œuvre pour y faire face. Des indicateurs pourraient ensuite être
développés qui rendraient compte de la mesure selon laquelle les
conditions favorables à l’insertion des personnes migrantes et à leur
participation à la société d’accueil sont rencontrées.
A ce propos, Luz Garcia, qui est directrice de la revue sud-américaine
Panoramica, publiée en Belgique, a parfaitement mis en évidence les
- 137 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
interrelations qui existent entre les évolutions macroéconomiques globales
et les mouvements de populations. En particulier, elle estime que les
migrations actuelles de ressortissants latino-américains sont une
conséquence directe de l’appauvrissement du continent à la suite de la
libéralisation sauvage des marchés. Après une période caractérisée par
des migrations internes à l’Amérique Latine, les individus ont été poussés
par la pauvreté à migrer vers les autres continents et, en particulier, vers
l’Europe.
Les partenaires français, enfin, de par leur histoire et leur tradition
administrative, disposent depuis longtemps d’un appareil législatif et
statistique très sophistiqué, à la fois en ce qui concerne les migrations, les
situations socio-économiques des familles et les usages du temps. Un
certain nombre d’experts éminents ont été conviés à présenter les
résultats de leurs travaux (voir les deux premières parties de ce rapport)
en essayant au maximum d’établir des liens entre ces différents thèmes.
Néanmoins, Luc-Henry Choquet, après une synthèse critique des données
existantes met en évidence dans le cadre de cette troisième partie une
série d’interrogations et de lacunes concernant les chiffres disponibles sur
les migrations en France en fonction des catégories juridiques visées et
souligne la difficulté qu’il y a eu jusqu’à présent à croiser, en particulier,
les variables relatives aux migrations et aux conditions socio-économiques
de vie des familles.
Au-delà de la diversité des angles d’analyses adoptés par les quatre
partenaires du projet, qui résulte des différences nationales tant au niveau
des situations respectives en matière de migrations que des situations
géopolitiques diverses, de l’histoire des législations nationales et du degré
inégal de sophistication des appareils statistiques, il ressort cependant au
moins trois conclusions transversales.
Tout d’abord, il semble fondamental de souligner que dans les quatre
réalités nationales étudiées, l’invisibilité du rôle social joué par les
individus qui ne sont pas à un moment ou à une autre inséré sur le
marché du travail est flagrante. Non seulement, la manière dont ces
personnes vivent et utilisent leur temps est inconnue des chiffres
statistiques, mais elle l’est même de la société à partir du moment où ces
personnes ont tendance à se replier uniquement sur leur vie familiale, à
éviter les endroits publics pour les illégaux ou, en tous cas, à restreindre
leur cercle social à un nombre limité d’autres migrants de la même
origine.
- 138 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
D’une manière constante, les personnes en chômage de longue durée, à la
retraite ou encore certaines femmes au foyer tendent à “décrocher” des
temps sociaux, à perdre leurs repères et à s’isoler socialement, exclus à la
fois de l’emploi et de la consommation. Luz Garcia le décrit bien quand
elle souligne que l’isolement social et la perte d’identité sont les
principales difficultés rencontrées par les femmes latino-américaines
immigrées en Belgique, non pas uniquement en raison de leur précarité
financière mais parce que, dans leur pays d’origine, même les plus
pauvres ont une place et une reconnaissance dans la communauté à
laquelle ils appartiennent.
Il s’agit donc de s’interroger sur la pertinence politique de vouloir à tous
prix s’accrocher à la société salariale telle qu’elle s’est construite depuis le
XIXème siècle. Le maintien du travail comme unique pourvoyeur de
l’identité des personnes, et en particulier, des hommes est-il crédible dans
un contexte de non-emploi d’une partie importante de la société et d’un
détricotage dans tous les pays de la norme du contrat d’emploi à temps
plein et à durée indéterminée sur laquelle se fonde la sécurité sociale. Il
paraît urgent que les politiques, et pas seulement les sociologues, se
penchent en profondeur sur les évolutions sociales de la société actuelle
dont les personnes migrantes sont les premières à pâtir et sur la
redéfinition d’un projet de société inclusive qui ne serait plus basé de
manière aveugle sur l’emploi et sur la croissance de la production.
Une première piste qui n’est pas neuve car revendiquée depuis longtemps
par les associations de défense des droits des étrangers est la citoyenneté
comme mode de participation à la société d’accueil et base sur laquelle les
migrants peuvent prendre appui pour revendiquer leurs droits et leur
place en tant que personnes.
Ensuite, se pose la question de la correspondance entre le temps «vécu »
par les individus et le temps objectif mesuré par la société. Il apparaît des
enquêtes réalisées auprès des migrants, selon des modalités diverses
selon les partenaires, que les enquêtes budget – temps, si elles sont
capables de mesurer à peu prêt convenablement le temps objectif que les
individus consacrent aux activités qui composent leur journée ou leur
semaine, mettent par contre très peu en évidence les ressorts sociaux,
économiques, culturels et psychologiques des comportements observés.
Enfin, la principale difficulté rencontrée dans l’étude du temps des
personnes migrantes se situe au niveau de la définition de l’objet même
- 139 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
de la recherche. En effet, les migrants sont un groupe social aussi
hétérogène que le reste de la population. Leur situation dans la société
d’accueil dépend de l’époque de leur migration, de leur statut migratoire,
de leur âge, de leur situation de famille, de leur situation
socioprofessionnelle, de leur niveau d’éducation, etc. Une partie des
migrants sont cadres, professeurs d’université, médecins... Si un
pourcentage des femmes migrantes se situent dans un schéma familial
patriarcal, d’autres sont célibataires ou divorcées. La question reste donc
ouverte de savoir comment aborder pertinemment la problématique des
comportements des personnes migrantes vis-à-vis du temps sans tomber
dans le travers des clichés ou de la stigmatisation d’une partie importante
des personnes concernées qui ne se sentent pas fondamentalement
différentes de leurs concitoyens français, belges, grecs ou finlandais.
- 140 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
BELGIQUE - CHAP. 10 - UN PROJET D’ENQUÊTE SUR LE TEMPS DES MIGRANTS
LYDIE GAUDIER
La Ligue des familles, dans le cadre du projet européen « Migrations et
temps : Perspectives de développement durable dans le domaine
familial », a décidé de centrer son analyse sur l’usage du temps chez les
migrants primo-arrivants. L’objectif étant, après un inventaire de
l’existant, de développer une approche méthodologique qualitative
adaptée à cet objet de recherche.
La première étape de ce projet a consisté en une recherche
bibliographique et une étude de la littérature existante sur le thème du
temps des migrants. Dans un deuxième temps, nous avons mis en lumière
les lacunes de cette littérature. Enfin, un projet d’enquête qualitative,
susceptible d’affiner les analyses existantes et de fournir une base pour la
définition d’indicateurs a été défini. Ce projet, articulé autour de la récolte
de récits de vie de primo-arrivants arrivés en Belgique après 1990,
permettrait de mettre en lumière les problèmes spécifiques rencontrés par
ces migrants dans leur relation au temps, de formuler des critères de
qualité de vie en matière d’usages des temps ainsi que des indicateurs
permettant de mesurer la manière dont ces critères sont satisfaits.
Le premier chapitre du texte qui suit est intitulé « Cadre politique et
historique des migrations en Belgique » et fait le point sur les différents
modes de migrations vers la Belgique depuis les Trente Glorieuses et
d’évolution des politiques migratoires. La population brassée est beaucoup
plus large que celle qui serait l’objet de notre enquête. Néanmoins, il a
semblé utile de replacer les phénomènes de migrations actuels dans une
perspective historique.
En effet, le contexte juridique de la migration et le statut migratoire sont
des facteurs externes qui influencent de manière importante les parcours
de vie des personnes migrantes et leur gestion du temps en raison des
procédures administratives à entreprendre, des conditions d’accès à
l’emploi, etc.
Le deuxième chapitre intitulé « Données statistiques socio-économiques
disponibles concernant les migrations : bilan de l’existant » présente une
photographie de la situation actuelle de la Belgique au vu des différents
types de migrations que sont principalement le regroupement familial, les
- 141 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
migrations de travail, l’asile et l’immigration clandestine. Il permet
également de percevoir la construction administrative de l’image des
migrations qui rend invisible et donc, soit occultés, soit diabolisés sur le
plan politique, des phénomènes tels que l’immigration clandestine ou la
situation des mineurs non-accompagnés.
Par ailleurs, il apparaît que la diversité des situations socio-économiques
dans lesquelles se trouvent les personnes migrantes rend d’autant plus
difficile l’élaboration de réponses en terme de services sociaux (gardes
d’enfants, activités extrascolaires, aide ménagère, aide à l’emploi, etc.)
qu’elles sont très peu abordées par l’analyse statistique.
Le troisième chapitre vise à analyser comment les personnes se
débrouillent sur le plan des usages et de la gestion du temps pour
concilier à la fois les contraintes externes citées dans le premier chapitre
(politiques et statuts migratoires) et leurs aspirations personnelles en
termes de projets de vie. A ce stade du travail, l’analyse et la critique de
la littérature existante sur les usages du temps par les migrants sont
intervenues.
Le fait que les migrants d’origines marocaine et turque soient davantage
décrits ne constitue pas une restriction volontaire quant à l’objet de la
recherche. La raison en est que la littérature recueillie sur le thème a
quasi exclusivement trait aux personnes qui sont originaires de ces pays.
Cette constatation témoigne en soi d’une discrimination tendant à
stigmatiser les personnes de cette origine comme principale cause des
problèmes liés aux migrations.
Par ailleurs, la part des personnes d’origine marocaine et turque dans
l’immigration de ces dernières années semble se réduire. Les chiffre
globaux ne sont pas encore disponibles. Néanmoins, en ce qui concerne
les demandeurs d’asile, pour lesquels les chiffres sont disponibles via
l’Office des étrangers, il apparaît, en tous cas, que depuis juillet 1999, les
pays d’origine les plus représentés sont, dans des ordres différents selon
les années, la République démocratique du Congo, certains Etats de l’ex-
Union soviétique, certains pays d’Europe de l’Est, l’Iran, le RFY Kosovo, les
Balkans,… Parmi les pays du Maghreb, seule l’Algérie figure dans les dix
premiers pays en 2001.
Enfin, les conclusions reprennent les critiques formulées, présentent les
hypothèses à tester en termes de facteurs explicatifs des usages du temps
- 142 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
par les migrants et exposent la proposition d’enquête qualitative qui
devrait constituer la seconde étape du projet.
Cadre politique et historique des migrations en Belgique1
Comme le souligne Anne Morelli2, les flux migratoires vers l’Europe
constituent une donnée permanente au fil de l’Histoire. Le moteur
fondamental de toute migration est la recherche d’un mieux-être qui peut
être de différentes natures : l’amélioration de ses conditions de vie
économique ou de celles de sa famille, la fuite par rapport à un régime
politique répressif ou à une situation de guerre, le regroupement de la
famille dans un pays étranger, la poursuite d’ études,…
Le plus souvent, plusieurs de ces raisons s’entrecroisent et les causes de
départ ne sont pas toujours faciles à distinguer. Le cheminement des
migrants dans le pays d’accueil est également extrêmement variable en
fonction du contexte politique, social, économique et institutionnel du
moment, du profil des migrants, de la politique migratoire.
Les migrations liées au travail, suivies par le regroupement familial, puis
par l’arrivée de demandeurs d’asile et de réfugiés, ainsi que
l’accroissement des clandestins et travailleurs illégaux caractérisent
l’histoire récente de l’immigration en Belgique, ponctuée par ailleurs par
deux vagues de régularisation en 1974 et en 1999.
Les migrations de travail3
A partir du XIXème siècle, l’essor de l’industrialisation s’accompagne d’un
important appel de main d’œuvre. Au départ, le recrutement s’effectue
auprès des agriculteurs touchés par la crise agricole et donne lieu à un
exode rural vers les abords des usines et des charbonnages. Néanmoins,
les besoins en main d’œuvre nécessitent rapidement de faire venir des
ouvriers de régions de plus en plus lointaines.
1 Ce paragraphe est en grande partie inspiré de l’ouvrage intitulé EmmanuelleBribosia et Andrea Rea (dir.), Les Nouvelles Migrations – Un enjeu européen, ,Editions Complexe, Bruxelles, 2002.2 « Les flux migratoires en Europe : une très vieille histoire », Anne Morelli,Historienne, professeur à l’Université libre de Bruxelles, in Osmoses, n°28, juillet-août-septembre 2003.3 Et si on racontait…Une histoire de l’immigration en Belgique, Marco Martiniello etAndrea Rea, Communauté française de Belgique.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
L’industrie du Nord de la France, par exemple, a commencé par
embaucher des agriculteurs en difficulté de la région avant de recruter,
d’abord des Belges, ensuite des Polonais, des Italiens et enfin des
ressortissants d’Afrique du Nord.
De la même façon que ses voisins européens, la France, l’Allemagne et les
Pays-Bas, la Belgique a eu recours à l’immigration principalement pour
répondre aux pénuries de main d’œuvre. Les deux grandes périodes
d’immigration de travail ont été, après la première guerre mondiale
jusqu’en 1930, et ensuite, de 1947 à 1974, année à partir de laquelle la
« crise » économique et la croissance du chômage ont commencé à se
faire sentir.
Cette politique est foncièrement différente de celle des Etats-Unis et du
Canada qui pratiquent une immigration de peuplement. En effet, en
Europe, les autorités publiques et les immigrés eux-mêmes ont toujours
pensé l’immigration comme un phénomène provisoire et ces derniers ont
gardé l’espoir très présent du retour au pays.
C’est ainsi que la Belgique n’a pas prévu initialement de politique d’accueil
dans les domaines du logement, de l’éducation, de la culture.
Dans l’entre deux guerres, les migrants provenaient d’abord de la Flandre,
pour ce qui est de la Wallonie qui constituait alors une des régions les plus
industrialisée d’Europe, et des pays limitrophes et ensuite, d’Italie et de
Pologne. Entre 1920 et 1930, 170.000 étrangers sont arrivés en Belgique.
Avec la crise économique des années trente, la Belgique tente une
première fois de limiter l’afflux de main d’œuvre étrangère et adopte une
législation en matière de réglementation des migrations. Elle prévoit la
double obligation pour les étrangers de présenter, d’une part, un contrat
de travail pour obtenir un permis de travail et ensuite, l’autorisation du
ministre de la Justice pour se voir accorder un permis de séjour.
A partir de 1947, la Belgique fait à nouveau appel à la main d’œuvre
étrangère, principalement italienne pour travailler dans les bassins
charbonniers du Centre, du Borinage, de Charleroi, de Liège et de
Campine. A partir de la catastrophe de Marcinelle en 1956, l’immigration
en provenance d’Italie est suspendue et la Belgique conclut des
conventions bilatérales avec d’autres bassins d’emplois, en particulier,
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
l’Espagne (1956), la Grèce (1957), le Maroc et la Turquie (1964), la
Tunisie (1969), l’Algérie et la Yougoslavie (1970).
Les secteurs dans lesquels travaillent les immigrés se diversifient
également à la métallurgie, aux transports, à la chimie et à la
construction.
De 1963 à 1967, l’appel de main d’œuvre est tel que la législation en
vigueur en matière de permis de travail et séjour n’est plus respectée et
que l’immigration clandestine est tacitement acceptée à la fois par les
employeurs et par la Police des étrangers. De nombreux étrangers
arrivent en Belgique avec un visa touristique et régularisent leur situation
par la suite après avoir trouvé un emploi.
En 1967, le ralentissement économique commence déjà à se faire sentir
et une nouvelle législation est adoptée visant à contrôler les flux d’entrée
d’immigrés en fonction des besoins de main d’œuvre et prenant en
compte le contexte de la construction européenne.
Après 1968, les immigrés originaires des Etats membres des
Communautés européennes, d’abord essentiellement les Italiens et
ensuite les Grecs, les Espagnols et les Portugais, ont pu travailler et
séjourner en Belgique sans avoir besoin de visa, conformément au
principe de libre circulation des travailleurs prévu par le Traité de Rome.
En 1974, avec la montée du chômage, en Belgique comme dans les autres
pays européens d’immigration dont la France et l’Allemagne, le
gouvernement met un frein brutal à l’immigration de travail et ferme
officiellement les frontières par décision du Conseil des ministres.
L’immigration n’est plus autorisée que pour les travailleurs hautement
qualifiés et certains recrutements par contingent.
Actuellement, les migrations officielles de travail concernent en grande
partie les ressortissants des autres pays de l’Union européenne. Les
Français notamment arrivent en troisième position pour le nombre de
ressortissants étrangers séjournant en Belgique avec 107.000 personnes
en 2000, suivis par les Néerlandais avec plus de 85.000 personnes.
- 145 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Le regroupement familial
Au début des années soixante, la politique de regroupement familial est
corollaire à l’immigration de travail et vise deux objectifs :
- Le redressement démographique, essentiellement de la Wallonie, et le
maintien du niveau de vie ;
- Le renforcement de l’attractivité de la Belgique comme pays
d’immigration par rapport à ses concurrents directs que sont la Lorraine
ou la Ruhr et la réduction de la mobilité des immigrés vis-à-vis des
employeurs.
La question démographique est mise en évidence par un rapport confié au
sociologue français Alfred Sauvy à la demande du Conseil économique
wallon. Il préconise le développement d’une politique d’intégration des
immigrés et de leur famille. Ses conclusions s’inscrivent dans le contexte
de la naissance du fédéralisme après les grandes grèves de 1960-61 et du
déficit de natalité entre le nord et le sud du pays.
Quant à l’aspect de l’attractivité de la Belgique comme pays d’accueil, il
était présent dès les premiers accords bilatéraux signés avec l’Italie qui
mettaient en évidence les conditions favorables accordées aux
travailleurs.
Après l’arrêt de la politique d’immigration en 1974, le regroupement
familial devient une des formes principales de l’immigration vers la
Belgique et ce jusqu’en 1981. En effet, les étrangers en séjour légal sont
autorisés à faire venir leur conjoint et leurs enfants mineurs et, dans
certains cas, d’autres membres de leur famille (en fonction d’accords
bilatéraux notamment).
Emmanuelle Bribosia et Andrea Rea évaluent entre 2000 et 3000
personnes par an le nombre d’étrangers extra communautaires qui se sont
installés en Belgique ces dernières années par le biais du regroupement
familial.
Il est à noter que la fermeture des frontières en 1974 s’est accompagnée
de la mise en place d’une politique d’intégration pour les migrants qui
vivaient légalement dans la société belge. Quelle que soit l’efficacité de
ces politiques, il s’ensuit que, pour la première fois, ils ont été
symboliquement reconnus en tant que personnes et plus uniquement en
tant que force de travail.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Les réfugiés et demandeurs d’asile
La fin de la guerre froide se traduit par le développement de crises et de
conflits un peu partout dans le monde et donne lieu à une mondialisation
de la question de l’asile politique. La guerre en ex-Yougoslavie, en
particulier, a été à l’origine d’une partie significative des demandes d’asile
en Belgique dans les années quatre-vingt-dix.
D’une manière générale, le nombre de demandeurs d’asile a augmenté
considérablement entre 1981 et 1999, même si la Belgique n’accueille
qu’une toute petite partie des candidats à l’asile, la majorité d’entre eux
étant accueillie par les pays dits en développement : 1.897 personnes en
1990, 26.408 en 1993, entre 11.000 et 14.500 personnes par an entre
1994 et 1997 et 22.064 en 1998. Cette augmentation a été utilisée
comme argument par le gouvernement « Arc-en-ciel » pour justifier la
suppression de l’aide sociale aux candidats réfugiés à partir de 2001,
espérant ainsi réduire l’attrait de cette forme d’immigration. Pourtant,
seuls 5 à 10% des demandeurs d’asile obtiennent chaque année le statut
de réfugié. Les autres sont censés retourner dans leur pays d’origine. En
réalité, la plupart reste sur le territoire et sombre dans la clandestinité.
Les étudiants
L’arrivée d’étudiants étrangers est la troisième forme d’immigration vers
la Belgique. L’Etat octroie chaque année la possibilité à de jeunes
étrangers de venir se former dans les universités et les écoles supérieures
belges. Les candidats reçoivent l’autorisation de séjourner dans le pays
pendant la durée de leurs études. En principe, ils sont supposés quitter le
pays au terme de celles-ci. Certains étudiants originaires de pays moins
développés, notamment africains, reçoivent une bourse qui représente
une manière pour l’Etat de favoriser le développement. Des étudiants
étrangers originaires de pays plus riches viennent également à leurs
propres frais pour effectuer des études difficilement accessibles chez eux
en raison d’une politique de limitation discriminatoire dans certaines
filières.
A la fin de leurs études, beaucoup d’étudiants étrangers tentent de rester
en Belgique où ils ont créé des liens et entrevoient des occasions
professionnelles meilleures que dans leur pays d’origine. Un pourcentage
de ces étudiants devient des clandestins.
- 147 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Les clandestins et travailleurs illégaux
Outre les demandeurs d’asile, les bouleversements politiques et
économiques dans le monde, alliés à la fermeture des frontières de l’union
européenne, sont à l’origine d’un flux important d’immigration illégale. Ce
phénomène dont tirent parti des réseaux organisés qui monnayent le
voyage des candidats migrants notamment vers la Grande-Bretagne a été
médiatisé à l’occasion de l’affaire du centre de la Croix Rouge de
Sangatte. Ce centre a, en effet, été confronté à un afflux croissant de
personnes tentant d’emprunter illégalement le tunnel sous la manche au
risque de leur vie. La loi du Royaume-Uni interdit de rejeter les candidats
réfugiés et contient des dispositions en matière d’aide sociale pour ces
personnes.
Peter Staker (2000) évalue entre 5 et 7 milliards de dollars par an le
chiffre d’affaires lié au trafic de migrants sans papiers.
Il faut y ajouter à ce mode d’entrée sur le territoire les demandeurs d’asile
déboutés qui restent en Belgique plutôt que de respecter l’ordre qui leur a
été donné de quitter le territoire et les personnes qui sont entrées
légalement en Belgique (touristes, étudiants) et qui y sont restées après
l’expiration de leur visa.
Il arrive également que des personnes aient un titre de séjour valable
mais pas d’autorisation de travailler en Belgique. Elles peuvent alors
devenir des travailleurs illégaux mais ne sont pas des clandestins. Il s’agit
donc d’être prudent lorsqu’on utilise les catégories de « sans papiers », de
clandestins et d’illégaux qui peuvent recouvrir des situations très
différentes.
Les procédures de régularisation
En 1974, à la suite de la décision du Conseil des ministres d’arrêter toute
nouvelle immigration de travail, a eu lieu une première opération de
régularisation. Elle a abouti, à la fin de 1975, à la régularisation de 9000
personnes.
Pendant les années quatre-vingt-dix, les autorités ont régularisé au
compte-gouttes, et sur base de cas particuliers individuels, une centaine
de « sans papiers ».
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
A la fin de la décennie, l’opinion publique belge a pris conscience de la
situation et des traitements dont sont l’objet les clandestins, à la suite de
la médiatisation de plusieurs cas dramatiques, et notamment, de la mort
de la jeune demandeuse d’asile nigérienne déboutée Sémira Adamu. Un
mouvement en faveur de la cause des « sans papiers » s’est organisé à
grande échelle et le 22 décembre 1999, le nouveau gouvernement a
décidé d’organiser une campagne de régularisation. Cette opération a
débuté le 10 janvier 2000 et a duré trois semaines, durant lesquelles les
candidats à la régularisation ont pu déposer leur dossier auprès des
autorités communales. Beaucoup, parfois en raison d’une mauvaise
information sur les conditions de régularisation, n’ont pas osé rentrer de
dossier de peur que cette opération soit un piège du gouvernement belge
pour les identifier.
Finalement, 36.000 dossiers ont été introduits concernant 50.000
personnes dont 23.000 mineurs d’âge. 140 nationalités étaient
représentées dont 17,6% de Congolais et 12,4% de Marocains. Le nombre
de personnes qui ont bénéficié d’une régularisation à l’occasion de cette
campagne n’est pas encore connu car le traitement des dossiers est
toujours en cours.
Enfin, quelles perspectives se profilent aujourd’hui ? A l’occasion, en
particulier, de la parution en 2000 de plusieurs publications d’organismes
internationaux (UE, OCDE) et, en particulier, d’une communication de la
Commission européenne soulignant les risques socio-économiques du
vieillissement de la population, le débat politique sur l’ouverture des
frontières a resurgi.
La spécificité du débat actuel par rapport à ceux qui ont eu lieu à des
époques antérieures est liée à la réalité nouvelle d’une Union européenne
à vingt-cinq, à l’intérieur de laquelle, à terme, les citoyens pourront
circuler librement.
Parallèlement, les acteurs scientifiques et politiques, et notamment l’Union
européenne, en viennent à s’interroger publiquement sur la fonction du
travail clandestin sur le plan macro-économique et tentent d’analyser ses
mécanismes de régularisation.
Le discours semble donc en train d’évoluer en s’ouvrant sur un certain
nombre de facteurs nouveaux qui sont notamment l’élargissement de
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
l’Union européenne, le vieillissement de la population en Europe, les
déficits de mains d’œuvre qualifiée, la redéfinition des rapports de force
géopolitique depuis la fin de la guerre froide, la mondialisation
économique, l’essor du nombre de clandestins et le travail au noir.
Données statistiques socio-économiques disponibles concernant les
migrations : bilan de l’existant
A l’heure actuelle, il apparaît qu’en Belgique 8,4% des habitants sont
titulaires d’une nationalité étrangère. Les hommes semblent un peu plus
enclins à migrer que les femmes quoique l’immigration se féminise ces
dernières années. En 2001, 39.147 hommes et 38.437 femmes ont
immigré en Belgique. La plus forte proportion d’étrangers se situe dans les
catégories d’âge de 25 à 29 ans (12,1%), de 30 à 34 ans (12,4%), de 35
à 39 ans (11,2%), la proportion la plus faible chez les jeunes de 0 à 17
ans (6,0%) et chez les personnes de 65 ans et plus (5,4%).
Si le groupe intermédiaire des 18 à 64 ans est le groupe le plus fortement
représenté dans toutes les régions, la Wallonie héberge davantage
d’étrangers plus âgés (8,7% d’étrangers de 65 ans et plus, contre 4,9%
de moins de 18 ans), tandis que la Flandre (2,5% d’âge avancé contre
4,0% de plus jeunes) de même que Bruxelles (12,2% contre 21,7%)
hébergent une population étrangère plus juvénile.
En 2000, 47.457 hommes et 40.000 femmes sont arrivés en Belgique
(non compris bien entendus les étrangers en situation illégale).
Par ailleurs, au 1er janvier 2002, la population de la Belgique s’élevait
officiellement à 10.309.725 habitants. Le nombre de résidents titulaires
d’une nationalité autre que belge a baissé de 897.000 à 861.700 entre le
1er janvier 2000 et le premier janvier 2001 et de 861.700 à 847.000 entre
le 1er janvier 2001 et le 1er janvier 2002. Cependant, le solde migratoire
ayant doublé au cours de même période (passant de 12.137 à 24.887),
cela tend à indiquer qu’il n’y a pas sur notre territoire moins de personnes
d’origine étrangère mais que celles-ci ont été plus nombreuses
qu’auparavant à opter pour la nationalité belge. Au cours de l’année 2001,
62.982 étrangers sont devenus belges contre 61.980 en 2000 et 24.196
en 1999. Cette évolution s’explique notamment par le fait que la loi de
naturalisation rapide, entrée en vigueur à partir de mai 20001, rend plus
1 Loi du 1er mars 2000 modifiant certaines dispositions relatives à la nationalitébelge, Moniteur belge du 6 avril 2000.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
aisée l’acquisition de la nationalité belge pour certaines catégories
d’étrangers.
Mouvements de la population (1997-2007)
1997 1998 1999 2000 2001
Total 10.192.264 10.213.752 10.239.085 10.263.414 10.309.725
Etrangers 903.120 891.980 897.110 861.685 846.734
Accroissement des
étrangers-8.801 -11.140 + 5.130 - 35.425 - 14.951
Source : INS, statistiques démographiques
Solde migratoire (1995-2001)
1995 1996 1997 1998 1999 2001
Total +12.714 +6.041 +6.740 +12.252 +12.137 +24.887
Hommes +4.950 +1.519 +1.991 +4.482 +4.506 +11.685
Femmes +7.764 +4.522 +4.749 +7.770 +7.631 +13.202
Source : INS, statistiques démographiques
Droit d’asile (1997-2002)
1997 1998 1999
Demandes d’asile11.824 21.965 35.778
Demandes d’asile
reconnues1.863 1.692 1.487
2000(*) 2001(*) 2002(*)
Demandes d’asile42.691 24.549 18.805
Demandes d’asile
reconnues1.382 1.154 1.322
(*) Depuis l’année 2000, les autorités appliquent le principe « Last
in, first out » : c’est l’examen de la recevabilité des demandes
d’asile qui devient prioritaire. Ce n’est que dans un stade ultérieur
que l’on statue sur la reconnaissance de ces demandes. Le nombre
de demandes d’asile reconnues peut ainsi être sensiblement
influencé par cette nouvelle définition des priorités.
Source : Ministère de l’Intérieur- Office des étrangers, Commissariat
général aux Réfugiés et aux Apatrides, Commission permanente de
recours des réfugiés
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Ressortissants de pays tiers vivant en Belgique par nationalité, 2000
Europe CE
plus ex-
URSS
Turquie,
Malte,
Chypre
Autre pays
d’Europe
Afrique Autres
Hommes 7,7 17,5 0,8 57,1 16,9
Femmes 11,8 19,8 0,5 48,7 19,2
Source : Eurostat, Statistiques en Bref, Populations et conditions sociales,
thème 3 – 2/2003) : % de ressortissants non-européens.
En moyenne, les ressortissants non communautaires vivant dans l’Union
ont des niveaux d’études inférieurs à ceux des citoyens de leur pays
d’accueil et des ressortissants de l’UE vivant dans ce pays. Ce constat
s’applique en particulier aux hommes et aux femmes âgés de 25 à 39 ans.
En 2000, 46% des hommes de nationalité non communautaire
appartenant à cette classe d’âge n’étaient pas allés au-delà de la scolarité
obligatoire, contre seulement 29% pour les ressortissants du pays
d’accueil. Seuls 17% des ressortissants non communautaires avaient fait
des études supérieures ou universitaires, contre 24,5% dans le cas des
ressortissants du pays d’accueil. Ces écarts sont encore plus marqués
pour les femmes.
De la même façon, le taux d’emploi relatif des ressortissants non
communautaires vivant dans l’Union reflète l’écart observé en ce qui
concerne le niveau d’études. En l’an 2000, un peu plus de 73% des
hommes de nationalité non communautaire âgés de 25 à 39 ans et vivant
dans l’Union exerçaient une activité, contre 88% des ressortissants
nationaux. En outre, leur taux de chômage s’établissait à un peu plus de
15% contre 6,5% pour les ressortissants nationaux de cette classe d’âge.
Dans le cas des femmes, les écarts sont encore plus marqués.
Selon l’OCDE, l’écart entre les niveaux d’éducation des ressortissants
nationaux et des étrangers va se réduire si l’accent sur l’immigration de
travailleurs qualifiés se poursuit.
Evaluation des outils statistiques existants pour appréhender les
phénomènes socio-économiques liés aux migrations en Belgique
L’appareil statistique belge en matière de migrations est donc
relativement pauvre et les données sont dispersées. Au niveau de l’INS,
les croisements des données démographiques se font par rapport à une
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
seule variable, le plus souvent le genre ou l’âge. Il y a donc peu de
données construites en fonction du pays d’origine des migrants.
Par ailleurs, les statistiques socio-économiques ne font pas la distinction
entre les ressortissants belges et étrangers : emploi et chômage, revenus
et rémunérations, patrimoine et équipement des ménages, consommation
de biens et services, enseignement – culture – formation, emplois du
temps et loisirs, comportements de santé et prévention, mobilité, etc.
Dans l’état actuel du travail, si des chiffres ont pu être trouvés sur les
migrations de travail, les demandeurs d’asile, les étudiants étrangers,
aucun chiffre n’a pu être trouvé sur les migrations annuelles par le biais
du regroupement familial.
Néanmoins, la question se pose de l’utilisation qui pourrait être faite de
statistiques établies de manière systématique en fonction du critère de
nationalité. Ne risqueraient-elles pas de conduire à accroître les
discriminations à l’égard de ces populations ?
Par ailleurs, ces chiffres ne seraient pas nécessairement significatifs en
raison du nombre important de naturalisations en Belgique. En effet, le
fait d’acquérir la nationalité belge ne modifie peut-être pas
significativement les conditions sociales, culturelles et économiques dans
lesquelles vivent ces personnes, si ce n’est au niveau de l’accès à l’emploi
public et aux procédures démocratiques (droit de vote et d’éligibilité).
Néanmoins, il est étrange de constater que si la ventilation des données
statistiques selon le genre ou même selon la composition de famille est
considérée comme permettant de mettre en avant certaines injustices et
discriminations, la question des nationalités est beaucoup plus sensible.
En ce qui concerne la petite enfance, il serait pourtant intéressant de
comparer les modes d’accueil utilisés par les étrangers vivant en Belgique
et les raisons de leurs comportements en la matière de manière à pouvoir
prendre en compte également les besoins de ces populations et de
favoriser l’accès des femmes à l’emploi. Aucune donnée reflétant le profil
des enfants accueillis en milieux d’accueil n’est disponible sur le site de
l’ONE ni du Ministre de la petite enfance de la Communauté française. Au
niveau universitaire, une étude sur la garde des enfants malades a été
réalisée en 2002 par l’ULB1 qui donne quelques indications.
1 Maladies infantiles et garde des enfants, une source d’inégalités hommesfemmes, recherche subsidiée par la Communauté française, Pr. Michèle Dramais,Ecole de santé publique, Dr Walter Hecq, Institut de Sociologie, Jacques Moriau,
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Usages du temps par les migrants : construire une vie entre contraintes
de la société d’accueil, bagage culturel et aspirations personnelles
Comment les personnes migrantes construisent-elles leurs usages du
temps au quotidien, compte tenu de la spécificité de leur situation, tant
sur les plans juridique et administratif que culturel et socio-économique ?
Quelles réponses apporte actuellement la littérature sociologique à cette
question ? C’est le sujet que la Ligue des Familles a souhaité aborder dans
ce troisième chapitre.
Il s’agit, d’une part, de critiquer, souligner les manquements et les effets
pervers de la majorité des analyses actuelles sur la question du temps des
personnes migrantes et, d’autre part, de proposer une méthodologie qui
permette de progresser dans la réflexion.
Le temps des migrants est, en effet, essentiellement abordé dans la
littérature sous l’angle culturel et religieux. Et même de ce point de vue
relativement limité qui peut être sujet à critique, les ressources sont
relativement rares et dispersées, tant sur le plan de la part faite à ce
thème que de l’exhaustivité des analyses où seules la culture et les
traditions liées à l’Islam sont étudiées de manière quelque peu
approfondie et conséquente.
Pourtant, la question de la gestion du temps par les migrants se heurte à
des contraintes spécifiques qui sont liées à leur statut de migrants, aux
conditions socio-économiques dans lesquelles ils vivent, à leurs stratégies
individuelles d’adaptation à la société d’accueil, à l’image que leur renvoie
cette société (discriminations à l’emploi, parcours d’insertion,…), etc., qui
vont bien au-delà de la question religieuse.
Au lieu de perpétuer les représentations religieuses et culturelles
traditionnelles qui n’ont plus cours même dans le pays d’origine comme le
laisse entendre le discours dominant, la plupart des migrants sont en
réalité amenés à faire preuve de créativité et à inventer des pratiques qui
leur permettent de s’adapter aux contraintes qu’ils rencontrent, par
exemple, en matière de garde d’enfants.
Faculté des Sciences politiques, économiques et sociales, Rapport final, novembre2002.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Dans le même ordre d’idée, les migrants pendulaires, à cheval entre deux
pays, ont à concilier deux gestions du temps différentes et développent
des stratégies spécifiques pour ce faire quelque soit leur origine culturelle.
Généralités sur les représentations culturelles et socio-économiques du
temps
Le temps a de multiples dimensions. Cécile Segretain distingue trois
catégories de temps :
- Le temps chronologique, mesuré par la montre ou le calendrier et qui,
pour les migrants, passe notamment par la durée du processus
administratif pour l’obtention de la carte de séjour ;
- Le temps socioculturel qui représente la manière dont les rythmes de la
journée, de l’année et les événements importants de la vie (naissance,
mariage, retraite,...) sont codifiés dans la société ;
- Le temps vécu qui, pour les migrants, se rapporte à la gestion affective
de la séparation d’avec la famille et le pays d’origine et au développement
de projets dans le pays d’accueil.
De ces trois catégories de temps, le temps socioculturel est celui qui,
d’après notre bibliographie, a été le plus étudié jusqu’à présent sous
l’angle des migrations.
D’une manière générale, les anthropologues s’accordent à dire que ce
qu’une culture pense du temps et la façon dont elle le gère seraient
significatifs de ses échelles de valeurs et de sa manière de considérer les
relations entre l’Homme et son environnement naturel et social.1
Déjà, à la fin du 18ème siècle, le sociologue français Emile Durkheim
considérait le temps comme une construction sociale qui permet aux
membres d’un même espace social et culturel de coordonner leurs
activités.2
La notion du temps en vigueur dans les pays occidentaux, linéaire,
quantifiable, prenant l’aspect d’une ligne du temps orientée du passé vers
le futur et sur laquelle viennent se situer les événements de la vie, les
activités les rendez-vous,…, ne serait donc pas universellement partagée.
1 Comment gérer notre temps ?, L’entreprise interculturelle, E. Trompenaars,Collection Institut du Management d’EDF et de GDF, Maxima, Laurent du Mesniléditeur.2 De la division du travail social, E. Durkheim, Collection Quadridge, PUF, 1991.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Ce temps essentiellement économique et monétaire peut cohabiter avec
d’autres rythmes relevant de la sphère privée (familiaux, religieux,
individuels,…). Néanmoins, force est de constater que ces vécus du temps
différents concernent l’ensemble des citoyens qu’ils soient ou non
d’origine étrangère, même si la dimension culturelle peut en expliquer
certains éléments.
Pour souligner l’importance des trajectoires individuelles et la non-
réductibilité des comportements et des styles de vie des migrants à leur
appartenance culturelle d’origine, nous citons Nouzah Ben Salah qui
estime, au sujet de la famille que : Elle se construit comme un lieu de vie
commune à des individus, hommes et femmes, enfants et adultes qui ne
partagent pas nécessairement une même vision du monde. Selon que la
famille est en accord ou en désaccord avec les milieux dans lesquels elle
évolue, celle-ci se reformule constamment dans un rapport dialectique
entre vérités fondatrices qui lui donnent sens et les réalités sociales
qu’elles éprouvent.1 Cette réponse est sans doute partielle elle aussi et
nécessite d’être approfondie en fonction de facteurs socio-économiques,
éducatifs, liés aux circonstances de vie rencontrées dans le pays
d’accueil,...
Confrontation entre le temps des migrants et le temps de la société
d’accueil : un problème spécifique ?
En Belgique, comme dans les autres pays européens, malgré la relative
cohabitation des cultures et des nationalités dans des grandes villes
comme Bruxelles, la prédominance de la sphère économique,
technologique et des médias sur les autres lieux d’investissement social
(sphère privée, spirituelle,... ) implique la hiérarchisation des
représentations du temps et la soumission des comportements individuels
au temps monétaire quantitatif, sous peine de chômage, de
marginalisation, d’exclusion sociale.
La culture de l’agenda, comme l’appelle le professeur Ambros
Couloubaritsis2 et la programmation du temps sont omniprésentes. Les
1 Familles turques et maghrébines aujourd’hui. Evolution dans les espaces d’origineet d’immigration, Nouzha Ben Salah (sld), Editions Academia, Louvain-la-Neuve,1994, p.7.2 « Une mécanique invisible, Entretien avec Embros Couloubaritsis, professeur dephilosophie à l’Université Libre de Bruxelles », in Agenda Interculturel, n°159,
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
outils de re synchronisation du temps que sont les téléphones mobiles, les
répondeurs, les ordinateurs portables, et encore et toujours la voiture,
deviennent tous les jours un peu plus indispensables pour correspondre à
la norme en vigueur sur le plan des exigences professionnelles.
L’overbooking et le stress, tant sur le plan des activités professionnelles
que sociales et culturelles restent des signes extérieurs de réussite
sociale.
Face à cette réalité, peuvent surgir deux types de disfonctionnement :
« conflits de temps » ou « décalages de temps ».
Les « conflits de temps » résultent d’une confrontation, le plus souvent
involontaire, entre deux hiérarchies temporelles. Si ces différences sont
d’ordres culturel ou religieux et impliquent des relations entre Belges et
étrangers, il peut en résulter des incompréhensions mutuelles.
Néanmoins, ces conflits peuvent aussi se poser dans d’autres situations
qui n’ont rien à voir avec l’appartenance culturelle. Bertrand Montulet,
chercheur aux Facultés Universitaires Saint-Louis1 estime que les
personnes qui ont à gérer des temps longs, comme notamment les mères
de jeunes enfants, ont un handicap pour s’adapter aux exigences de
flexibilité et de saisie des opportunités qui caractérisent le milieu
socioprofessionnel.
Les « décalages de temps » entre les individus et la société, quant à eux,
apparaissent davantage comme étant d’ordre socio-économique et
concernent les temps sociaux. S’ils touchent davantage les populations
migrantes, c’est certainement parce qu’une plus grande proportion de
celles-ci se retrouvent dans les milieux défavorisés par rapport aux
autochtones. Gilles Verbunt2 explique que : Dans toutes les cultures, chez
des personnes qui pendant longtemps n’ont plus du tout géré leur temps,
(par exemple certains chômeurs de longue durée), il peut y avoir une
perte ou absence de gestion du temps. De la même façon, T. Mukuna3
reconnaît que la société demeure pourvoyeuse de temps morts qui
apparaissent comme des sous-produits du temps productivité. Les jeunes
décembre 1997.1 Les enjeux spatio-temporels du social-Mobilités, Bertrand Montulet, L’Harmattan,Paris-Montréal, 1998.2 « La vie quotidienne, temps d’ancrage culturel, Choc des cultures oucomplémentarité des cultures ? », Gilles Verbunt, in Migrations-Santé, n°102/103,2000.3 « Les représentations du temps : organisation, désorganisation et influencessocio-culturelles », T. Mukuna, in Les temps de la vie (sous la direction d’ArmandTouati), n° hors série, le Journal des psychologues (5ème forum des psychologues-Marseille, 25 au 27 juin 1987).
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
chômeurs, certaines femmes au foyer et certains pré-pensionnés se
confrontent à l’angoisse de planifier, de remplir et de reconvertir certaines
séquences temporelles qu’on consacrerait au travail en temps de vivre. Il
estime que le désir de temps personnel de beaucoup de personnes en
activité professionnelle correspond à une recherche de développement de
son identité personnelle plus que de temps libre.
La multiculturalité, obstacle pour certain mais richesse pour beaucoup : l’exemple
de l’école
Driss Abenchikar1 rapporte que : Nombreuses sont les situations rencontrées par
les enseignants où les parents immigrés sont rudement malmenés, voire jugés
en raison du manque de sérieux avec lequel ils géreraient la dimension temps de
la scolarité de leurs enfants, à tel point qu’ils semblent parfois avaliser leur
absentéisme jugé chronique.
Le discours ambiant des enseignants – qui date, par ailleurs – fait part du
manque de réaction des parents face à des situations qui mettent « en péril »
l’avenir scolaire de leurs enfants. De même, le jeune du Ramadan est considéré
comme un frein à l’apprentissage et à la productivité en classe des élèves qui le
pratiquent.
Ils constatent que les parents immigrés de la première génération vivent dans un
monde totalement étranger à celui de l’école et réciproquement. A la maison, la
vie est rythmée par les préceptes culturels et religieux traditionnels. Les valeurs
de l’autorité, de la mémoire, du respect des vieux, de la solidarité familiale, de la
continuité des générations s’opposeraient à celles de l’autonomie et de l’égalité
défendues par l’école.
Ils se plaignent de l’absence de communication entre les univers scolaire et
familial et du fait que les jeunes se trouvent dans une situation particulièrement
inconfortable, à cheval entre l’un et l’autre. Les parents et les professeurs ne se
rencontrent pas et les enfants tentent d’amortir les « chocs de culture », se
revendiquant de l’Islam à l’école et prenant la défense du mode de vie occidental
à la maison.
Néanmoins, tous les auteurs ne sont pas du même avis et certains rapportent
une autre vision du fossé culturel qui sépare les parents primo-migrants de leurs
enfants. Ainsi, Joëlle Lacroix et Nouzha Bensalah soulignent que : l’Histoire
proche des migrations vers la Belgique et les propos relatés par des mères
1 « Le temps des uns et celui des autres », Driss Abenchikar, in Agendainterculturel, n°159, décembre 1997.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
étrangères concernant l’éducation des jeunes enfants nous apprennent que les
parents arrivés dans les années ’60-’74, leurs enfants (aujourd’hui parents) et
les parents arrivés dans les années ’80-’90 ne tiennent pas les mêmes discours
quant à l’éducation qu’ils entendent donner à leurs enfants et quant à celle qu’ils
attendent des institutions préscolaires et scolaires.
Elle signale également que pour certains auteurs : l’enfant n’est pas tant
dépourvu face à ces deux milieux de vie (la famille et l’école)... Au contraire, ces
deux mondes de vie sont sources d’expériences enrichissantes pour la
construction de son identité. Plutôt que d’être dans un « entre-deux monde », il
se trouve « dans deux mondes ». Dans cette optique, ces sphères d’éducation
se complètent... Il faut noter que la découverte d’un double milieu est
généralisable à tout jeune enfant, quelle que soit son origine ethnique. Chacun
de ces milieux est porteur d’une « culture » : culture familiale et culture
préscolaire, institutionnelle.1
Quelle que soit la manière de voir, les auteurs s’accordent pour dire que la place
et le rôle joué par les enseignants et les parents dans l’éducation doivent être
questionnés.
En particulier, il serait sans doute nécessaire, compte tenu de la proportion
importante des élèves d’origine marocaine et turque dans beaucoup
d’établissements scolaires urbains, d’aider les enseignants à prendre
suffisamment de recul pour relativiser leur propre perception du temps et
reconnaître celle de l’élève, de manière à être en mesure de négocier des
compromis.
Les rituels qui structuraient traditionnellement le temps de vie des
Marocains et des Turcs et dont les équivalents existaient plus ou moins
dans la religion catholique, tombent en désuétude, tant dans les pays
d’origine qu’en Occident. En effet, l’évolution de la société s’oriente vers
une privatisation des choix de vie liés à la famille et à l’âge (unions,
naissances des enfants, partage des tâches domestiques entre les
hommes et les femmes, rôle des grands-parents,...).
Les comportements individuels sont également de moins en moins
conditionnés par l’appartenance à l’un ou l’autre sexe et par les catégories
d’âges. De plus en plus de personnes reprennent des études à l’âge de la
retraite, se marient plusieurs fois ou à un âge avancé, certains hommes
1 Nouzha Bensalah, Joëlle Lacroix, Formation à destination du travailleur médico-social de l’ONE : Eduquer en milieu immigré. Quelles implications pour lestravailleurs de l’ONE ?, Automne 98, commanditée par le Fonds Houtman et l’ONE,réalisée par le GREM (Nouzah Ben Salah) et Synergie .
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
(encore minoritaires cependant) décident de rester à la maison pour
s’occuper des enfants, certains parents ont des enfants du même âge que
ceux de leurs enfants plus âgés,... Au contraire de ce qui se passe dans la
tradition musulmane, la vieillesse est dévalorisée, fait peur et les individus
tentent de rester jeunes notamment en cultivant les comportements liés à
la jeunesse. Même les contraintes biologiques telles que celles liées à
l’âge de la procréation pour les femmes ne sont plus aussi incontournables
que par le passé.
La répartition des temps de travail, de loisirs, de formation, de vie
familiale et sociale sur la journée, la semaine et le cycle de vie, qui étaient
institutionnalisée jusqu’aux années soixante-dix dans le cadre du
compromis social d’après-guerre et du fordisme se brouillent
progressivement et les trajectoires s’individualisent.
Il apparaît clairement que des facteurs comme le statut social et
professionnel supplantent l’âge pour expliquer la position des individus
dans la société. Comme l’écrit Xavier Gaullier : « ... cadres supérieurs et
ouvriers n’ont pas la même longévité, et les événements de la vie
interviennent à des âges un peu différents : entrée et sortie de la vie
active, promotion hiérarchique, date de mariage et calendrier des
naissances... La segmentation des cycles de vie pourrait bien se
développer à l’avenir de la façon suivante :
- Aux couches sociales aisées, une formation initiale longue, un plein
emploi prenant, un couple à double carrière, une retraite de niveau élevé
et remplie d’activités gratifiantes, pendant que les tâches domestiques
sont assurées par des emplois de maison ; une espérance de vie sans
incapacité plus longue que celle des autres.
- Aux couches défavorisées, une formation initiale brève, un emploi en
dents de scie, des tâches ménagères prenantes, une retraite de faible
niveau et faite d’inactivité subie ; une longévité plus courte et en moins
bonne santé.»1
Les familles migrantes d’origine marocaine et turque sont donc pénalisées,
en matière de gestion de leur temps de vie, par leur position sociale
statistiquement moins favorisée qui les confronte à des contraintes de
temps supplémentaires telles que des horaires de travail irréguliers, des
contrats à durée déterminée alternant avec des périodes de chômage, une
espérance de vie plus faible,...
1 « La protection sociale et les nouveaux parcours de vie », Xavier Gaullier, inEsprit – Entre la loi et le contrat, février 2001.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Si la question de l’acculturation, notamment sur le plan du rapport à
l’école des enfants des migrants, a été abordée par la littérature, par
contre, à ce stade, très peu d’analyses ont été trouvées sur la question de
l’adaptation des migrants aux rythmes imposés par les situations socio-
économiques dans lesquelles ils vivent, en particulier, par comparaison
avec les nationaux confrontés à des difficultés du même ordre. Quel est
l’emploi du temps respectif des hommes et des femmes ? Comment sont
gardés les enfants ? Quels modes de transport sont utilisés ? Quels sont
les rapports à l’emploi des hommes et des femmes? Quels sont les loisirs
des migrants?,...
Dans les sources bibliographiques sur lesquelles cette étude se base, le
cas du mariage traditionnel et de son adaptation aux contingences de
l’immigration est cependant étudié de manière approfondie par Nouzha
Bensalah.
Evolution des mariages turcs et marocains en immigration :1 2
Le mariage représente dans la culture musulmane un rituel familial fondamental
qui marque profondément le cycle de vie des individus et détermine leur statut
social d’adulte. Il est, avec le système de parenté, l’une des deux clefs de voûte
de la structure familiale patriarcale. Dans les communautés immigrées turques et
marocaines, il reste un événement familial à dimension communautaire.
Néanmoins, au fil du passage des générations de migrants et des modalités de
migrations imposées par la Belgique, sa signification de soutien de la famille
patriarcale s'est quelque peu diluée au profit de sa dimension socio-économique.
La flexibilité des trajectoires individuelles et la privatisation des temporalités
familiales caractéristiques de l’évolution de la société occidentale influencent
progressivement les rituels traditionnels. La dimension temporelle marque donc
le mariage à deux niveaux, d’une part, en modifiant progressivement ses règles
et sa signification sur le long terme, d’autre part, car le mariage perd de sa
dimension totalement structurante du cycle de vie des personnes en raison
notamment de la scolarisation et du travail des femmes.
Les évolutions du mariage depuis les années soixante dans la communauté
immigrée peuvent être résumées de la manière suivante :
1 Familles turques et maghrébines aujourd’hui. Evolution dans les espaces d’origineet d’immigration, sous la direction de Nouzha Bensalah, Editions Academia,Louvain-la-Neuve, Editions Maisonneuve et Larose, Paris, 1994.2 « Le voyage de noces... », interview de Nouzha Bensalah, in Agenda interculturel,n°153, avril 1997.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
1ère étape : les années 60 et 70 :
Durant cette première époque, l’immigration était essentiellement masculine.
S’agissant de se marier, deux situations se présentaient. Dans le premier cas de
figure, les hommes retournaient au pays après avoir régularisé leur situation en
Belgique et trouvé du travail. Là, leur famille leur trouvait une épouse avec
laquelle ils revenaient. Dans le second cas de figure, ils avaient lié des liens en
Belgique avec d’autres personnes de leur communauté et ils décidaient de sceller
les relations entre les deux familles, en s’échangeant leurs sœurs restées au
pays, par exemple.
C’est donc l’homme ou sa famille qui reste à l’initiative du mariage, garantissant
ainsi son autorité dans le couple et les cérémonies ont lieu dans le pays d’origine.
Le mariage avec une femme belge signifiait la rupture avec sa famille et ses
origines.
2ème étape : la fin des années 70 et les années 80 :
Cette période est marquée par deux phénomènes. D’un côté, l’immigration des
femmes augmente : les épouses des migrants les rejoignent, ainsi que des
célibataires ou des femmes divorcées qui ont des liens de parenté avec les
familles établies en Belgique. De l’autre, la fermeture des frontières à
l’immigration de travail en 1974 donne au mariage la fonction de porte d’entrée
quasi unique vers la Belgique.
L’initiative du mariage se déplace vers le pays d’accueil. La famille immigrée aide
les femmes qui arrivent à trouver un mari en règle dans la communauté en
Belgique ou encore les femmes régularisées permettent à des familles de
régulariser des clandestins. Un véritable marché matrimonial se développe avec
pour conséquence une plus grande instabilité des mariages « pour les papiers ».
Ce n’est plus nécessairement l’homme mais l’individu par lequel la migration est
rendue possible qui détient la prééminence dans le couple. Le mariage conclu
pour des raisons opportunistes perd de sa signification et les cérémonies sont de
plus en plus organisées en Belgique.
Les personnes séparées ou divorcées, et plus spécialement les femmes, font
l’expérience inédite de devoir se débrouiller de manière autonome et de travailler
à l’extérieur.
3ème étape : l’arrivée à l’âge du mariage des enfants des primo-migrants depuis
les années 80:
Le mariage comme moyen de régularisation pour les nouveaux arrivants existe
toujours mais est complètement géré par les familles installées en Belgique. Par
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
ailleurs, des compromis sont trouvés avec les individus de la deuxième
génération qui ont intégré une partie des valeurs et du mode de vie de la société
belge. La famille entend souvent continuer à jouer un rôle prépondérant dans le
choix de l’époux mais, en contrepartie, accepte que les nouveaux mariés aient
une vision différente des rapports de couple et trouve de nouveaux critères de
sélection qui correspondent mieux à l’évolution des mentalités. Nouzha Bensalah
reprend les expressions d’épouses « modernes » et de maris qui ne soient pas
« arriérés ». Il appartient à l’épouse ou au mari « importé » de s’adapter au
mode de vie des familles en Belgique et les unions entre jeunes tous deux issus
de la communauté immigrée sont jugés plus favorables.
Les mariages mixtes sont tolérés à conditions que le conjoint soit musulman ou
converti à l’Islam.
Nouzha Bensalah souligne que : « ... le mariage est un instrument aux mains des
familles et des individus pour agir, voire modifier les structures de pouvoirs qui
charpentent la famille patriarcale. Des mécanismes régulateurs traditionnels tels
que les structures de parenté, les appartenances au genre masculin ou féminin,
les classes d’âge, n’exercent plus de la même manière leur contrôle sur l’accès à
ces pouvoirs parce que leurs fondements sont eux aussi en mutation. »
CONCLUSIONS ET ÉNONCÉ DU PROJET D’ENQUÊTE QUALITATIVE
La question de l’usage du temps par les migrants est presque toujours
abordée sous l’angle des différences culturelles. La perspective
culturaliste tend à envisager les ressortissants étrangers uniquement en
fonction de leur culture d’origine dans ce qu’elle a de plus traditionnel. Il
s’agit d’une approche simpliste qui va dans le sens du renforcement des
stéréotypes. D’ailleurs, beaucoup de documents figurant dans la
bibliographie qui a servi de base de travail à la présente étude ne
proviennent pas de sources scientifiques mais sont de type essayistes et
rédigés par des acteurs de terrain (animateurs, psychologues,…).
L’approche culturaliste présente certains avantages pour leurs auteurs et
pour le grand public. Elle est élaborée à partir de données bien connues et
structurées concernant les rituels religieux et les traditions culturelles et
va dans le sens du renforcement des expériences vécues dans la vie
courante. Elle peut être facilement relayée par le discours dominant
(médias, conversation du « café du commerce »,…) qui a tendance à
interpréter le comportement des gens en fonction de quelques
- 163 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
caractéristiques externes facilement repérables. Par exemple, on va dire
que les Africains sont toujours en retard aux rendez-vous, que les
Méditerranéens ne sont pas organisés, que les Indiens sont fatalistes, etc.
Ce sont là des schémas interprétatifs qui permettent de se rassurer en se
faisant une image claire de l’autre mais une image raccourcie.
Néanmoins, elle présente de graves inconvénients tant pour les personnes
qui en sont la cible que pour la cohésion sociale :
- L’analyse des comportements des individus uniquement en termes
d’appartenance religieuse ou culturelle concourt à leur enfermement
identitaire. Elle fait l’impasse sur la volonté éventuelle de changement
d’identité qu’expriment les personnes en fonction des évolutions dans leur
situation économique, sociale et relationnelle et va à l’encontre des
libertés individuelles. Or, un nombre important de migrants revendiquent
une identité culturelle multiple et la considère comme un enrichissement.
Même si tous les milieux sociaux ne sont pas concernés par cette prise de
conscience, les frontières ne sont pas hermétiques entre les groupes
culturels.
- L’identité d’une personne se construit à partir de nombreux éléments :
éducation, histoire familiale, expérience personnelle, événements vécus,
rencontres,… Toute société, par ailleurs, évolue et réinvente ses règles et
références au fil du temps. C’est pourquoi une vision statique des identités
des individus en fonction de leur appartenance culturelle d’origine n’est
pas une approche pertinente. Une personne ne peut être réduite à sa
seule dimension d’appartenance à une nationalité ou d’adhésion à une
religion. Les individus, et notamment les migrants, construisent des
stratégies pour s’adapter aux situations nouvelles qu’ils rencontrent. Dans
ces stratégies, les références culturelles, «nationales »,
«communautaires » ou «religieuses » vont être mobilisées parmi d’autres
ressources.
A titre d’exemple, Catherine Rollot, dans un article du Monde publié le 4
novembre 2003, dénonce l’idée d’un déterminisme ethnique en matière de
métiers : « la croyance selon laquelle certains groupes socioculturels
seraient, en raison de leurs caractéristiques «innées », voués à exercer
tels métiers ou telles activités professionnelles est fausse (…) Les juifs ne
sont pas usuriers par nature (…) Le nombre élevé de petits magasins de
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
proximité tenus par des immigrés maghrébins ne s’explique pas par leur
prétendue «bosse » du commerce (…) ».1
- L’approche culturaliste tend à opposer les différentes cultures les unes
aux autres et à promouvoir une image stéréotypée et homogène de toutes
les personnes de même origine. Comme l’écrit Marco Martiniello2 : « …la
tendance à encourager la séparation ethnique et culturelle et
l’enfermement communautaire des individus sous couvert de protection
des minorités et de respect des différences culturelles va de pair avec une
tendance à faire de cette différence culturelle le problème majeur auquel
se heurte la cohésion sociale. Tous les problèmes et toutes les difficultés
sont traduites en problèmes culturels et les solutions proposées seront
logiquement du même ordre. » Cette manière de voir est stérile,
encourage les extrémismes et conduit à l’affrontement des cultures sans
apporter de solution.
L’occultation volontaire ou involontaire des interactions entre les sphères
culturelle, économique et sociale a pour effet de renforcer la mise à l’écart
d’une partie importante de la population en reportant sur elle la
responsabilité de cette ségrégation alors qu’elle est en réalité le
symptôme d’une incapacité de l’Etat et des autres acteurs économiques et
sociaux de gérer de manière satisfaisante les conséquences négatives du
fonctionnement économique néo-libéral mondialisé.
Compte tenu de l’analyse ci-dessus, il semble important de développer
une approche constructiviste des rapports entre les migrants et le temps.
Pour comprendre cette réalité sociale, il convient de se distancer d’une
approche culturaliste qui fige les choses et de mettre l’accent sur les
critères socio-économiques et les stratégies individuelles et familiales des
personnes qui ont vécu l’expérience de la migration (c’est-à-dire qui ont
fait le voyage).
Dans la manière dont les migrants gèrent leurs temps de travail, de
loisirs, de consommation, de prise en charge des enfants, de
déplacement, de démarches administratives, etc., interviennent, outre les
aspects culturels (au sens macro social du terme):
- La situation dans laquelle ils se trouvent en termes de statut
migratoire : il est clair qu’un demandeur d’asile en attente de
1 La fausse idée des métiers « ethniques », Catherine Rollot, Le Monde, 4novembre 03.2 Multiculturalisme : ouverture et limites, Marco Martiniello, Chercheur qualifié duFNRS, Directeur du CEDEM – Ulg., p.9.
- 165 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
régularisation ou un clandestin aura un emploi du temps quotidien, un
mode de vie et des projets différents d’une personne de même origine
mais qui a obtenu une autorisation de séjour et peut envisager de
travailler de manière légale.
- La situation socio-économique des personnes concernées : les migrants
proviennent le plus souvent des catégories de population les plus
fragilisées dans leur pays d’origine. Un grand nombre d’entre eux, et
notamment les femmes, ont un niveau d’éducation plus faible que la
moyenne de la population belge.
Leur déficit de qualification allié aux discriminations conscientes ou
inconscientes à l’embauche fondées sur leur origine leur rend difficile
l’accès à l’emploi. Le ministre régional bruxellois Eric Tomas relève dans
son entretien paru dans le quotidien La Libre Belgique du 29 août 2003 :
« Trop de chômeurs d’origine étrangère subissent encore des
discriminations à l’embauche ».1
Par ailleurs, même les migrants qualifiés rencontrent des difficultés à
trouver un emploi, soit parce que leur formation n’est pas reconnue en
Belgique, soit parce que les employeurs pratiquent une discrimination à
l’embauche.
Cette situation se traduit dans la réalité par une re-stratification de la
société en classes sociales dont l’une d’elles, composée en grande partie
de migrants et de personnes peu qualifiées, hériterait des emplois
précaires, flexibles et mals rémunérés.
Or, les stratifications sociales et professionnelles jouent beaucoup dans le
rapport au temps et à l’espace. Certains métiers permettent une gestion
des différents temps de manière plus souple, procurent un revenu
permettant aux personnes de résider dans des quartiers plus diversifiés
sur le plan de la mixité sociale, etc.
Plusieurs des auteurs étudiés, même s’ils sont rares, confirment l’influence
des conditions socio-économiques sur la perception et les usages du
temps par les personnes, indépendamment de leur condition de migrants.
1 « La discrimination aggrave le chômage », Pascal Sac, in La Libre Belgique, 29août 2003, p.5.
- 166 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
- Les stratégies individuelles et les choix personnels des migrants en
termes de mariage, d’émancipation sociale, etc., qui donnent lieu à une
diversification des trajectoires de vie.
La société se transforme. L’un des traits caractéristiques de cette
transformation est la flexibilité au niveau des parcours de vie, tant au
niveau professionnel qu’au niveau familial.
Dans ces domaines, la logique du jeu de l’oie tend à remplacer la ligne
droite de l’ancien continuum :
Etudes / emploi sous CDI / mariage / enfants / épargne / retraite
____________________ (temps) _______________________>
Les personnes sont de plus en plus amenées à construire leurs propres
réseaux sociaux qu’elles utilisent pour tenter de s’orienter vers la
réalisation de leurs objectifs par la méthode des essais et erreurs ou pour
transformer leurs objectifs en fonction des opportunités. Ces évolutions
touchent aussi bien les migrants que les nationaux et expliquent en partie
pourquoi les parcours des migrants actuels sont différents de ceux des
personnes qui sont arrivées en Belgique il y a 30 ou 40 ans. Il est
prévisible que la flexibilité socio-économique conduise, d’une part, à
l’exclusion d’une partie de la population, d’autre part, à une diversification
croissante des trajectoires de vie en général et au sein de la population
migrante en particulier.
En résumé, comme l’écrit encore Marco Martiniello1 : « Il est crucial de
reconnaître que les processus de formation et d’affirmation de certaines
identités ethniques et culturelles, d’une part, et les processus d’exclusion
et de recomposition des inégalités sociales et économiques, d’autre part,
sont intimement liés. En effet, une fraction de ceux qui sont démunis ou
exclus au niveau social et économique sont aussi ceux dont la culture et
l’identité sont stigmatisées et considérées comme illégitimes voire
dangereuses pour la cohésion sociale. Des mécanismes d’ethnicisation,
voire de discrimination raciale expliquent ainsi en grande partie leur
position sociale désavantageuse et renforcent leur quête de sécurité et de
protection dans des identités aux contours de plus en plus fermés.
Par conséquent, il semble dangereux pour la démocratie de dissocier le
débat sur le multiculturalisme et le débat sur la lutte contre l’exclusion et
1 Multiculturalisme : ouverture et limites, Marco Martiniello, Chercheur qualifié duFNRS, Directeur du CEDEM – Ulg, p. 12-13.
- 167 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
les inégalités sociales. En effet, plus les inégalités et l’insécurité socio-
économique s’accroîtront, plus nombreux seront ceux qui chercheront
refuge dans des appartenances culturelles et ethniques exclusives, mais
protectrices, et plus ils auront tendance à rejeter celle ou celui perçu
comme différent. »
Il s’agit donc d’étudier plus en profondeur la manière dont les conditions
de l’immigration en Belgique et la situation socio-économique des
migrants influencent leur perception du temps, leur usage de temps et
même de quelle manière celles-ci modifient les temps traditionnels des
rituels culturels ou religieux et les valeurs attribuées au temps et à son
usage dans les pays d’origine.
Sur un plan plus méthodologique, il ressort des considérations
développées ci-dessus que les enquêtes budget-temps traditionnelles (cf.
enquête sur le « Temps des Belges, groupe TOR VUB, 2000), qui
mesurent le temps consacré par un individu aux diverses activités
composant sa journée ou sa semaine, sont insuffisantes pour expliquer la
variété des comportements vis-à-vis du temps de la population en général
et à plus forte raison inadaptées à plusieurs niveaux pour décrire et
analyser le temps des migrants :
- La méthodologie quantitative des enquêtes budgets-temps ne prend pas
en compte les combinaisons d’activités : repassage et télévision, lecture
et déplacement,…
- Les catégories d’activités utilisées (emploi, tâches ménagères, soins et
éducation des enfants, soins personnels, sommeil et repos, enseignement
et formation, activités sociales, loisirs, déplacements) sont subjectives.
Par exemple, manger et boire sont classés dans les soins personnels, alors
qu’ils pourraient très bien figurer également dans les activités sociales ou
les loisirs.
- Les répartitions par régions, classes d’âges, par sexe et selon le nombre
d’enfants pourraient être affinées par une répartition selon les pays
d’origine, la date d’arrivée en Belgique, le statut socioprofessionnel
(chômeur, cadre,…), le niveau de revenu, la composition familiale (famille
traditionnelle, monoparentale, recomposée,…), la présence ou non d’un
handicap,…
- Les variations entre les comportements individuels sont en grande partie
gommées et les résultats des enquêtes en viennent globalement à
- 168 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
conclure que la plupart des gens sont occupés à des activités identiques
aux même moments alors qu’il serait tout particulièrement instructif de
s’intéresser aux comportements divergents par rapport à la moyenne. Par
ailleurs, l’établissement de durées moyenne, de temps de travail
notamment, sur un la totalité de l’échantillon interrogé qui représente une
population âgée de 12 à 95 ans n’apporte que peu de résultats
significatifs.
- Les enquêtes budget-temps sont conçues en fonction du temps
quotidien. Elles ne prennent pas en compte le long terme ni le
cheminement des personnes à travers leur parcours de vie (progression à
travers les étapes de procédures, évolution du projet migratoire,
adaptation à la société d’accueil et aux évolutions des politiques
d’immigration, mariage, naissance des enfants, retraite,...).
- Enfin, les enquêtes budget-temps ne permettent pas une approche
systémique qui décrirait les modalités de répartition des usages du temps
à l’intérieur du groupe familial et leur évolution.
La Ligue des Familles propose, de manière à affiner et compléter la
méthode des enquêtes budget-temps, de façon également à mieux saisir
les différentes réalités du temps des migrants et ainsi alimenter les bases
scientifiques de la décision politique en matière de politiques
d’immigration, la réalisation d’entretiens qualitatifs de personnes en
situation migratoire correspondant à des profils migratoires particuliers.
Ces profils sont à construire à partir des facteurs significatifs qui ont paru,
à travers la présente étude, pouvoir expliquer les usages du temps par les
migrants et qui sont :
- La nationalité d’origine
Si la première communauté étrangère d’origine extra européens présente
en Belgique est marocaine. Les Marocains ne représentent plus la majorité
des nouvelles entrées sur le territoire. Malheureusement, des statistiques
exhaustives concernant la nationalité des nouveaux arrivants ne sont pas
disponibles. Néanmoins, les chiffres relatifs aux demandeurs d’asile
montre un nombre important de personnes originaires des pays de l’Est,
de l’ex-URSS, des Balkans, de la RD du Congo et de pays comme
l’Afghanistan où l’oppression des populations est très importante.
- 169 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
- L’époque de la migration
De manière à ne pas brasser une population trop importante et à éviter de
nous disperser au détriment de la pertinence des résultats du travail
entrepris, il apparaît pertinent de se limiter à interroger des personnes
nées à l’étranger et qui sont arrivées en Belgique après 1990.
- La génération des migrants
Il s’agirait de se limiter également aux migrants de première génération,
de manière à ne pas trop diversifier la population étudiée.
- Le genre
- Le statut socio-économique
Il serait judicieux de distinguer les migrants selon qu’ils sont sans emploi
ni protection sociale, demandeurs d’emploi ou émargeant au CPAS,
ouvrier, employés, indépendant, fonctionnaire.
Il serait, par ailleurs, utile de trouver des personnes de niveaux
d’éducation, statuts migratoires et situations familiales variées de manière
à enrichir les informations susceptibles d’être recueillies. Au total, une
recherche pilote qui serait réalisée à la suite de la présente étude
porterait uniquement sur une vingtaine de personnes, provenant de 3 ou
4 pays différents.
L’objectif des interviews serait de cerner comment les personnes
interrogées construisent leur rapport au temps et leur cycle de vie en
fonction de la législation du pays d’accueil en matière d’immigration, de
leur statut migratoire, de leurs contraintes socio-économiques, de leurs
projets individuels et des stratégies qu’ils développent pour les réaliser.
Les réponses des personnes soumises à un entretien seraient enregistrées
et retranscrites sous forme de récits de vie et interprétées. Les points
communs et les différences entre les récits des différentes personnes et la
diversité des trajectoires qui peuvent être rencontrées chez des personnes
au premier abord de la même origine religieuse et culturelle seraient mis
en exergue.
A partir de cette étude qualitative, il devrait être possible de formuler un
certain nombre de critères d’évaluation de la qualité de vie des personnes
- 170 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
migrantes pour ce qui concerne les usages du temps et de construire des
indicateurs permettant de mesurer dans quelle mesure ces critères sont
rencontrés.
- 171 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
FINLANDE - CHAP. 11 - UNE POLITIQUE D’INTÉGRATION
PLUS ACTIVE POUR UN PAYS D’IMMIGRATION DE FRAÎCHE DATE
ISMO SÖDERLING
A propos de la politique finlandaise de migration et d’intégration, nous
sommes conduits d’ores et déjà à souligner qu’il y aura une migration
d’Estonie qui sera très importante dans l’avenir. Avant cela, nous verrons
bien qu’elle sera la situation au 1er mai 2004, une fois que les Pays baltes
adhéreront à l’Union.
En réalité, les quatre pays scandinaves connaissent à peu près les
mêmes politiques d’immigrations. Les sociétés sont fort semblables,
qu’on considère le taux de fertilité, le nombre d’enfants, la participation
des femmes au marché du travail.
En fait, plus ce dernier chiffre est élevé, plus il y a un taux de fertilité
élevé. En Italie, par exemple, 51% des femmes travaillent et le taux total
de fertilité est très bas. Donc c’est un chiffre très linaire. Dans les pays
scandinaves près de 85% des femmes travaillent, en Finlande un peu
moins, et le taux de fertilité est élevé. C’est tout à fait caractéristique
des pays scandinaves. La France, autre exemple, se situe à un taux de
fertilité très élevé qui a augmenté pas seulement grâce à l’immigration.
En Finlande le taux de fertilité est élevé, nous disons par conséquent
« davantage d’enfants, davantage de bébés. » Le Premier ministre
finlandais a exprimé sa préoccupation à l’égard de l’avenir du pays et
souligné la nécessité de faire davantage d’enfants en Finlande, car la
génération du baby-boom des années 45-50, arrivent à l’âge de la
retraite. D’où le débat que nous menons en Finlande et qui est aussi
manifeste ailleurs.
- 172 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Tableau : L'indicateur conjoncturel de fécondité (nombre moyen
d’enfants par femme) en Europe, en 2000
Source : Eurostat
L'indicateur conjoncturel de fécondité de l'Union progresse légèrement
depuis 1998 et s'établit, en 2000, à 1,50 enfant par femme, soit 0,6
enfant de moins qu'aux États-Unis. Il s'élève dans presque tous les
pays d'Europe occidentale, s'échelonnant de 1,23 enfant par femme en
Italie à 2,08 en Islande. C'est en Europe centrale et orientale que se
rencontrent les fécondités les plus faibles : de 1,11 enfant par femme
en Arménie à 1,21 en Russie, en passant par la République tchèque
(1,14) et sans doute l'Ukraine.
La durée de vie moyenne continue à progresser en Europe occidentale,
avec des gains un peu plus élevés pour le sexe masculin. À l'Est, des
gains nets sont également enregistrés dans tous les pays, à l'exception
de la Moldavie et surtout de la Russie où l'espérance de vie masculine
perd encore 1 an au cours de l'année 2000. Cf. SARDON Jean-Paul,
« Évolution démographique récente des pays développés », INED,
Population n° 1, 2002 - page 123, France.
Traditionnellement nous sommes un pays d’émigration : 5,2 millions
d’habitants et, durant à peu près un siècle, un million de personnes est
parti à l’étranger. Maintenant nous sommes un pays d’immigration. On
quittait la Finlande. Maintenant on rentre en Finlande, on arrive en
- 173 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Finlande, on émigre vers la Finlande. Il y a de l’immigration partout, en
Finlande également. Il y a davantage d’immigrants que d’émigrants. Il y
a 15 ans en Finlande, il y avait à peu près 20.000 familles immigrantes.
Depuis 1990, le nombre d’immigrants se situe entre 115.000 et 150.000
semble-t-il.
[La synthèse (version abrégée) du Séminaire annuel des 8–10 juin 2002
portant sur “Immigration et famille”, Helsinki, Finlande, notait dans deux
études de cas (Le Royaume-Uni et la Finlande) que les principales raisons
qui ont conduit la Finlande a cessé d’être un pays d’émigration pour
devenir un pays d’immigration étaient l’effondrement des pays
socialistes, la guerre civile dans l’ancienne Yougoslavie et les événements
en Asie et en Afrique à l’origine des déplacements des réfugiés. Sirpa
Taskinen, du Centre National de Développement et de Recherche pour les
Questions Sociales et de Santé Finlande indiquit à l’Union européenne les
chiffres suivants concernant les migrants vivant en Finlande : des
personnes ayant des origines finlandaises venant de Suède et des Fino-
Ugriens (venant de Russie et d’Estonie), représentant 25.000 personnes ;
des migrants à la recherche de travail, des étudiants, les membres de
leur famille et d’autres, représentant au total de 20.000 à 25.000
personnes ; des épouses de citoyens finlandais pour 22.000 personnes
environ ; des réfugiés (15.000 personnes environ).]1
Il y a à peu près 30.000 de ces finlandais ou de russes d’origines
finlandaises. Cette situation trouve un parallèle en Allemagne. Lorsque
l’Estonie sera membre de l’Union européenne au 1er mai, le nombre
d’Estoniens augmentera. Il faut le répéter : la Finlande est devenue un
pays d’immigration. Il n’y a pas de politique d’immigration active. Mais
nous changeons notre politique en matière d’immigration. Elle évolue et
de nouvelles dispositions ont été adoptées au Parlement. Nous pouvons
penser que la nouvelle législation sera en place en fin d’année : ce qui
modifiera notre politique d’immigration. C’est une politique restrictive et
ça devrait être une politique beaucoup plus active en matière
d’immigration.
En matière de politique d’intégration, le moment actuel a débuté en
1997 : c’est un phénomène tout à fait nouveau en Finlande. Toutefois,
en matière d’intégration, on ne peut pas se féliciter des résultats, car, en
2001, seuls 10 000 plans d’intégrations avaient été rédigés.
Les immigrants cherchaient un travail et devaient rédiger ce plan
d’intégration. 3000 ont trouvé un travail sur les 10 000 plans
1 Cf. http://europa.eu.int/comm/employment_social/eoss/downloads/helsinki_synthesis 02_kurz_fr.pdf
- 174 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
d’intégrations donc 30 % ont pu participer au marché du travail et 70%
ont été évincés du marché et n’y ont pas participé. Certains ont pu suivre
des formations, plusieurs formations. En réalité, ces mesures
d’intégrations et la politique d’intégration n’ont pas été suffisamment
efficaces. En considérant les pourcentages, on voit que prend forme la
politique d’intégration, mais qu’elle n’est pas encore suffisante (cf. Anna
MIKKONEN infra).
Nous sommes un pays d’immigration nouveau, un pays neuf en ce sens.
Nous aurons davantage d’immigrants à l’avenir et, parallèlement, une
politique d’intégration plus active, dés les mois à venir. La politique
d’immigration changera et la Finlande fera la promotion de l’accueil de
travailleurs compétents et formés.
- 175 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
FINLANDE - CHAP. 12 - L’UTILISATION DU TEMPS PAR LES MIGRANTS
ET LES ACTIVITÉS ET SERVICES QUI LEUR SONT PROPOSÉS DANS CE CONTEXTE
ANNA MIKKONEN
Le chapitre précédent évoquait le contexte général en matière
d’immigration. Celui-ci porte sur les projets mis sur pied en Finlande en
partant du contexte général, des activités, des services proposés aux
immigrants vus à travers le projet de recherche et les groupes cibles.
En soulignant le cas des groupes les plus vulnérables, nous discuterons
de l’utilisation du temps par les immigrants, la répartition du temps.
Ce chapitre est fondé sur une étude réalisée pour cette mission (dont une
version anglaise est présentée dans le chapitre suivant).
Nous ne disposions pas jusqu’à présent d’information relative au temps
des immigrants, comment ils passaient le temps, comment ils
répartissaient la journée.
Ceux qui étudient ou qui travaillent, bien évidemment consacrent la
majeure partie de leur activité au travail ou à l’étude, mais ce n’est pas le
cas pour ceux qui ne travaillaient pas et/ou qui n’étaient pas formés.
Pour mener une approche qualitative, nous nous sommes tournés vers
des groupes cibles. Il s’agissait d’immigrants chômeurs ou d’immigrants
qui apparaissaient dans la catégorie “autres”, autrement dit qui ne font
pas partie des actifs mais qui ne sont pas chômeurs non plus : des
personnes qui bénéficiaient de pension maladie ou de femmes s’occupant
au domicile de l’activité du ménage.
Il y a toute une série de sous-groupes. Par conséquent, et certaines
catégories sont passées sous silence alors que la Finlande a prévu à leurs
effets des activités.
La recherche est basée sur 15 interviews, complétés par des statistiques.
Ces entretiens ont été réalisés avec des autorités, le personnel municipal,
des ONG et des fondations d’immigrants. Certains des intervieweurs
avaient eux-mêmes un passé d’immigrants, avaient été immigrants, et
tous étaient capables de parler de manière générale de l’immigration et
travaillait au sein du domaine depuis quelque temps déjà. Nous n’avons
- 176 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
pas pris en compte les demandeurs d’asiles dans notre étude, car leurs
situations est complètement différente des autres immigrants.
L’objectif de la recherche était de voir quelles étaient les activités
proposées aux immigrants, et qu’elles étaient les besoins en service de
ces groupes de populations. Nous souhaitions également des précisions
sur l’utilisation que les immigrants font de leur temps.
En matière de programmes d’intégrations en Finlande, le chapitre
précédent indiquait que la plupart des services visent à promouvoir
l’emploi des immigrants ; la totalité des personnes vivants en Finlande
ont une sécurité sociale, une couverture sociale ; de même, les
personnes d’origines finlandaises ont droit à une couverture sociale dans
les trois ans qui suivent leurs arrivés en Finlande. Lorsque on est au
chômage, en Finlande, on peut recevoir un plan d’intégration sur le
marché du travail ; il y a également d’autres activités proposées comme
des cours de langues ou des formations professionnelles et ce sont des
cours et formations rémunérés. En plus, des services municipaux, il y a
des ONG et des fondations pour les immigrants qui apportent un
complément à ces activités municipales. De plus les églises et
communautés sont également impliqués. Donc, il est clair que toutes ces
activités sont très utiles. Nous espérons d’ailleurs que les municipalités
vont acheter les services proposés par les ONG, car le soutien financier
est nécessaire.
Il est clair que les immigrants en Finlande ont des origines tout à fait
différentes. Ce qui rend difficile la tâche de proposer des services
municipaux à tous et, parfois, il n’est pas possible de proposer des
services ciblés pour chaque groupe.
Voyons maintenant brièvement les activités proposées actuellement aux
immigrants. On peut réellement considérer la plupart comme des bonnes
pratiques dès à présent, même si elles peuvent être améliorées :
Tout d’abord des centres d’informations pour les immigrants.
Il s’agit de centres qui peuvent accueillir les immigrants pratiquement
n’importe quand et ces derniers peuvent recevoir une assistance pour
tout type de problèmes. Ces centres sont en faites des ponts entre les
immigrants et les autorités. Les services proposés sont gratuits, et en
général les personnes qui travaillent dans les centres sont eux-mêmes
d’origines immigrantes, donc ils sont conscients des problèmes liés à la
situation. L’un des buts principaux est d’aider les immigrants et de leur
montrer à qui s’adresser pour leurs besoins spécifiques.
Ensuite, les points de rencontres où les immigrants peuvent se réunir.
- 177 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Ils sont organisés tant par les municipalités que par les ONG. Ces points
de rencontres sont des lieux d’échanges, de rencontres, cela peut-être
tout à fait multiculturel, ça peut-être un salon chez quelqu’un. Mais
l’important est d’avoir un endroit où se réunir. Les immigrants souhaitent
avoir plus de points de rencontres.
Les camps.
C’est quelque chose qui est également très populaire en Finlande.
Pourquoi les camps pour immigrants sont-ils si populaires parmi les
immigrants ? Et bien, tout d’abord, ceux-ci n’ont en général pas de lieux
de vacances, nulle part où aller en week-end, contrairement à la
population finlandaise, et cette question est bien entendu lié à celle de
l’usage des temps. Lorsqu’on n’a pas de parents présents en Finlande, il
est difficile de se rendre en vacances, et alors les immigrants peuvent,
grâce à ses camps qui leur fournissent un lieu de vacances, changer
d’environnement.
De plus, les ONG organisent des voyages et des visites pour les
immigrants afin de leur faire découvrir la ville, le pays, sans lesquels les
immigrants ne pourraient le faire ne pouvant se permettre de faire des
voyages.
Parallèlement, il y a des activités spécifiques pour les femmes
immigrantes, car on voit souvent, par exemple, des femmes immigrantes
souhaiter des activités sportives non mixtes.
Toutefois, on est conduit à penser que l’on s’est un peu trop concentré
sur les femmes et les enfants qui ont été d’emblée considérés comme la
catégorie la plus vulnérable, et qu’il faudrait également se concentrer sur
les hommes. Des ateliers ont été, en conséquence, ciblés pour les
hommes immigrants.
Il y a encore d’autres services à destination des familles, des conseils de
mariages pour les parents, par exemple, tout cela dans un cadre
multiculturel.
Il y a également le cas des immigrants âgés qui sont déjà à la retraite où
qui sont sur le point d’y être : ils ont des besoins spécifiques, leurs
situations sont tout à fait différentes des jeunes immigrants qui
souhaitent trouver un emploi. Il est donc judicieux d’avoir des activités
différentes pour les immigrants âgées.
Il y a, enfin, des groupes avec des besoins particuliers, dont nous devons
tenir compte lorsque l’on fournit nos services ; la plupart de ces groupes
ont souvent le risque d’être marginalisé.
- 178 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Tout d’abord les immigrants illettrés qui sont dépendants des autres
personnes, et n’ont que peu de chance de trouver un emploi. Ceux-ci ont
donc besoins de cours adaptés, de cours de langue, etc.
Un autre groupe est celui des immigrants avec des troubles mentaux ou
des traumatismes liés à leurs expériences précédentes et, apparemment,
les personnes qui travaillent en Finlande avec les immigrants ne sont
fréquemment pas ou peu conscientes de ces traumatismes. Ce qui n’est
pas sans provoquer certains malentendus entre les immigrants et les
personnes qui les prennent en charge.
Un 3ème groupe est composé de mères de familles qui ne peuvent pas
avoir accès aux services d’intégrations car elles doivent souvent rester à
la maison pendant plusieurs années où elles s’occupent de leurs enfants.
Or ce sont pendant les trois premières années qu’elles ont droit aux
services d’intégrations. Elles peuvent alors manquer l’occasion.
Néanmoins, cette situation commence à être prise en considération et
nous espérons que cela va pouvoir changer : une fois dégagées de ces
obligations, elles pourront avoir accès à ces services.
En plus, il y a des personnes âgées immigrantes, souvent pas bien
intégrées, sans beaucoup de relations sociales et qui ont bien souvent un
niveau linguistique assez faible. Mais il y a maintenant une modification
du système de retraite qui fait que les immigrants âgés restés au moins
5 ans en Finlande auront accès à la retraite et cela améliorera au moins
leur situation financière.
Autre difficulté notable, les immigrants divorcés qui peuvent être dans
une situation difficile demeurant soudain seuls et peinant à régler les
problèmes du quotidien.
Un autre groupe important comporte les femmes qui viennent en
Finlande pour se marier avec un Finlandais. En principe elles n’ont pas
accès aux services d’intégrations et elles peuvent être donc entièrement
dépendantes de leurs maris, n’avoir aucune information, aucun accès à la
société qui les entourent.
En vérité, il y a un problème de solitude pour les immigrants qui vivent
seuls, sans relations sociales, qui vont souvent rester chez eux, ne
participer à rien, à l’instar des immigrants qui peuvent être mariés,
divorcés ou en attente du regroupement familial, mais qui peuvent se
sentir bien seuls.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Pour les enfants de réfugiés, il y a ce statut de mineurs non accompagnés
qui viennent en Finlande sans leurs familles. Cela les place dans une
situation particulièrement difficile : il leur faut un lieu de résidence, un
tuteur légal. Cela a été déjà organisé en Finlande, mais il y a beaucoup
d’amélioration à apporter. Une catégorie qui est lié au groupe précédent
en partie correspond aux immigrants qui viennent pendant leurs
adolescence et qui rencontrent deux sources de problèmes : déjà leur
âge est difficile — ils peuvent être en conflits avec leurs parents au sein
de la famille et même après le regroupement familial, la situation peut
toujours être tendue — et ils héritent, d’autre part, des problèmes
inhérents à l’immigration.
Il y a également les enfants nés en Finlande : Pourquoi sont-ils
vulnérables ? Nous pensons qu’ils peuvent l’être, car être né en Finlande
empêchent d’avoir accès aux services spéciaux pour les immigrants, dont
ils pourraient pourtant avoir besoin, car leurs parents ne sont souvent
pas bien intégrés.
En dernier lieu, les femmes au foyer dont les enfants sont grands
constitue un groupe qui est souvent invisible car, bien qu’ayant passé de
longues années en Finlande, elles seront restées à la maison, n’auront
eux aucunes expériences sur le marché du travail et il leur est très
difficile de trouver un emploi une fois que les enfants ont grandi. Elles
peuvent se trouver plongées dans l’oisiveté, et on sait que ces femmes
ont pourtant souvent envie d’avoir des formations, des activités.
En matière d’utilisation du temps chez les immigrants, dont le chapitre
précédent a déjà signalé que leur taux de chômage était assez élevé
quoiqu’il y ait de fortes variations entre les groupes. La division du travail
demeure nette et de tradition dans de nombreux groupes d’immigrants,
même si la situation est souvent inversée, où l’homme reste à la maison
tandis que sa femme a des activités extérieures. Toutefois, il paraît assez
habituel de voir des immigrants étudier en Finlande. C’est en partie dû à
la situation de l’emploi et en partie à la structure démographique de la
population immigrante qui est telle que les immigrants sont assez
jeunes : En conséquence, il est clair qu’il faut se préoccuper de leur
fournir des lieux de vacances, puisque ces enfants ont tendance à
s’ennuyer en vacances, n’ayant rien à faire. De plus, il est clair que les
enfants ont besoins d’un soutien scolaire, après l’école notamment, car
on sait que les parents ne sont souvent pas en mesure d’apporter le
soutien nécessaire à leurs enfants.
Pour conclure, nous allons formuler des bonnes pratiques et des
recommandations pour ces services, en pensant que c’est utile pour la
Finlande, mais aussi pour beaucoup d’autres pays, même si les services
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
proposés aux immigrants sont dans d’autres pays peut-être plus
développées.
Tout d’abord, nous devons toujours prendre le soin de consulter des
groupes cibles avant de proposer les services et activités. Ce qui peut
paraître évident n’est bien souvent pas le cas.
De plus, lorsqu’on organise des activités pour les immigrantes,
particulièrement, il faut prévoir de fournir un service de garde des
enfants, sinon ces femmes ne pourront pas venir.
De plus, il semble que la communication de visu est beaucoup plus
efficace que toute une littérature de prospectus et de document.
Autre chose, il est important d’avoir des heures très flexibles pour
prendre rendez-vous avec les immigrants. Si l’on peut rencontrer un
travailleur social une fois par mois, alors il est évident qu’il y a de ce fait
un besoin supplémentaire de travail pour les ONG et pour les services
municipaux. Il semble que ce soit une bonne pratique de travailler en
duo, en tandem, un finlandais et un immigrant. Une autre bonne pratique
semble d’avoir des conseillers en intégrations et en emplois, il peut s’agir
de personnes qui ont des origines immigrantes, mais ce sont des
personnes qui peuvent accompagner les immigrants pour s’adresser aux
services sociaux ou chez le médecin. Ils feront office non seulement
d’interprètes — sans doute faut-il plus de cours de langues pour les
personnes illettrés, mais c’est vrai également pour les autres catégories
de personnes immigrantes — mais également de personnes de liaisons
entre les immigrants et les services municipaux, sociaux. Cela représente
évidemment une demande accrue en ressource de personnels, mais c’est
souvent beaucoup plus pratique.
Lorsque, en tant que bonne pratique, nous envisageons un accès aisé aux
services et aux activités, nous pensons au sens matériel comme
psychologique : ces services doivent être proposés à proximité, mais il
faut également que l’ambiance soit détendue, car pour de nombreux
immigrants il est difficile de quitter le foyer et d’aller dans un endroit où
ils ne connaissent personnes.
En matière de recommandations, nous avons déjà parlé des plans
d’intégrations qui sont principalement orientés vers les immigrants au
chômage parce que c’est le Ministère du Travail qui se charge des
questions liées à l’immigration. D’où l’accent particulier qui a été porté
sur l’emploi des immigrants. Pourtant, aujourd’hui, chacun se rend
compte qu’il est important de s’occuper de l’ensemble de la population
immigrante, de tous les groupes et de leur proposer à tous des plans
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
d’intégration. Le problème lié est l’absence de prévision du financement
et de planification à long terme quand le succès de ces activités réclame
la continuité.
Parce qu’on entend souvent dire qu’il manque des informations
centralisées portant sur les immigrants, la Finlande a tenté de remédier à
la situation en créant un grand portail Internet avec des liens vers les
différents services d’immigrations : toutes les questions connexes à ces
services sont proposés dans de nombreuses langues.
Dernier point, mais pas le moindre, il serai très souhaitable de donner
plus de pouvoir de décisions aux immigrants. On voit que des immigrants
sont employés dans les ONG, dans les projets, et même dans les
municipalités, qu’un projet peut devenir un emploi fixe, tant dans les
ONG que dans les municipalités, que la poursuite du projet se traduit
dans la création d’un emploi à durée indéterminé, si le projet fonctionne
bien et si cela offre une valeur ajoutée. Mais ces immigrants n’ont
pourtant souvent pas de réel pouvoir de décision.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
FINLANDE - CHAP. 13 - THE USE OF TIME –
SERVICES AND ACTIVITIES FOR UNEMPLOYED IMMIGRANTS IN FINLAND
ANNA MIKKONEN
Abstract
This report is based on a qualitative study about services and activities
provided for unemployed immigrants and immigrants who do not belong
to the labour force in Finland. Vulnerable immigrant groups with special
needs that should be taken into account in service provision are also in-
cluded in the report. The use of time of immigrants is also described
shortly. Recommendations and good practices are concluded to improve
services according to requests of immigrants and people who work with
immigrants.
BACKGROUND, METHODOLOGY AND RESEARCH TOPIC OF THE RESEARCH
The Migration and Time project was carried out in 2003 in partnership
with COFACE (Confederation of Family Organisations in the European Uni-
on) and its four member organisations in different countries. The Family
Federation of Finland is one of the four partners.
This report is a summary based on a larger project report made in spring
2003. The research is based on the previous Finnish research on the top-
ic, statistics and qualitative interviews conducted for this project in Janu-
ary – March 2003. Altogether 15 experienced authorities, personnel of
NGOs, municipalities and immigrants’ foundations were interviewed1.
The time use of Finns has been a research subject for a long period of
time but this is not the case with time use of immigrants. The phenomen-
on of immigration is relatively new in Finland, and this is one of the reas-
ons why there has been hardly any research on the specific topic of time
use of immigrants.
1 Some of the service and activity providers meet only immigrants who have prob-lems and therefore employees do not get to see immigrants who are doing well.On the other hand, some of the interviewees stated that their clients are the activeones who participate and seek help and information.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Research topic and target groups
The Finnish part of the Migration and Time project focused on immigrants
who are unemployed or who do not belong to the labour force in Finland.
There was also focus on vulnerable immigrant groups.
The target groups of the research were defined as:
1) Unemployed immigrants
2) Immigrants who in the statistics are defined as “other” which means
that they do not belong to the category of “work force” but instead are
e.g. housewives or on a sickness pension.
3) Vulnerable groups with special needs.
Immigrants who work or study were left out of the study because their
use of time and needs are usually very different from immigrants who do
not work. Asylum seekers are not included in the study either. Their situ-
ation differs considerably of refugees and other immigrants who have
been granted a residence permit in Finland because asylum seekers are
still waiting for the asylum decision and their ties to the society and pos-
sibilities of integrating and finding work and education are often weak.
These target groups were chosen because in contrary to employed immig-
rants and students who spend most of their time working or studying, not
much is known about the time use of unemployed immigrants and those
who do not belong to the labour force. In addition, these groups are often
in a vulnerable situation and need special services and attention.
Unemployment can be seen as one of the most important things affecting
the time use of immigrants, their integration and life in general. Unem-
ployment causes dependence on society, inactivity and feelings of being
an outsider and not useful in a society like Finland where work is con-
sidered very important. It seems that especially immigrant men suffer
from the vacuum and frustration resulting from unemployment. The em-
ployment situation of immigrants has improved lately in Finland but the
proportion of unemployment is still very high especially in some refugee
groups.
Objectives of the research
There were three research objectives:
1) To investigate the time use of unemployed immigrants and immigrants
who do not belong to the labour force.
2) To find out what kinds of integration, employment and other services
and activities there are for these groups and what kinds of needs for ser-
vices and activities they have.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
3) To identify vulnerable groups and their needs.
It was investigated what kinds of services and activities there are for un-
employed and other targeted immigrant groups. It was also studied what
kinds of needs and requests these immigrant groups have for integration,
employment and other services provided for them.
Information on use of time of immigrants was also gathered. Nationality,
gender, age, education and number of children are factors that are likely
to affect the use of time of immigrants in addition to being employed or
unemployed. However, it was not possible to collect statistical data in this
project.
Short overview of the previous research in Finland
There are major differences in proportion of unemployment between dif-
ferent immigrant groups. According to the estimations of the Ministry of
Labour, the unemployment rate among foreigners varied from 77 per cent
to 8 among different nationality groups. The unemployment rate of all
foreigners was 31. (Statistics 2002a.) Another important matter that af-
fects the time use of immigrant families in addition to employment is the
number of children that also varies remarkably between immigrant
groups. Speakers of a foreign language are more often married and they
have bigger families than citizens of Helsinki in average (City of Helsinki
Urban Facts 2000, 23).
The research on labour market status of immigrants in Finland shows that
refugees and immigrants coming from developing countries have the low-
est status whereas it proved strongest among immigrants from Asia and
especially from Western countries. The majority of the immigrants studied
were in an unstable or marginal position in the labour market and seven
percent were out of the labour force. Short-term jobs, phases of training
and unemployment are typical for many immigrants whose status at the
labour market is unstable. The weak employment situation causes de-
pendence on social income transfers. Most of the social income transfers
went to the citizenship groups that had the highest number of children
and the lowest rate of employment. Most of these groups were refugees.
(Forsander 2002.)
In general, immigrant women participate in the labour markets much less
than immigrant men although there are differences according to a nation-
ality. There are several reasons for this. In refugee families the number of
children is usually high and mothers stay at home because of children. In
addition, the age structure of immigrants is much younger than that of
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Finns. This explains partly the high numbers of immigrant mothers who
are giving birth and taking care of children. The age structure and diffi-
culties in finding employment also explain the fact that there are more
students among immigrants than among Finns. (Forsander 2003, 64–73.)
There are examples of so-called traditional gender roles. Research among
Somali women proves that mothers have a lot of housework to do and
they are often very busy. Cooking and taking care of the house and chil-
dren are usually responsibilities of women. Women lack the support and
help they used to get from relatives and friends in Somalia. It is difficult
for mothers to have activities out of home or to e.g. follow language
courses. Some of the children may have a place in a day care and school
age children are at school during the day. Mothers are in contact with the
surrounding world mainly by phone and by watching television. (Tiilikain-
en 1999, 71-74).
On the other hand, Tiilikainen notes that the roles in Somali families are
changing, and some men are starting to do housework and to take care of
the children. Many of the Somali men are unemployed, and have thus lost
their authority in making living. Quite a few men participate in activities
of the mosques because working in the mosques is considered as respect-
ful and meaningful. (Tiilikainen 1999, 74- 76). In Somali families girls are
thought to do cooking and housework whereas boys have more freedom
and free time to play. Many families value the education of the girls as
well. (Marjeta 2001).
Satu Kontiainen (2003) has done a qualitative study of life values of five
Somali mothers. According to her study, religion is a very important life
value for the women in the study. In addition to religion, women’s ambi-
tions in life concern their children and goals revolve around the home.
The women in the study are used to doing plenty of work and having too
little to do is a problem for them in Finland. The women clearly express
their desire to work but they face many obstacles concerning employ-
ment. Another problem for the women in the study is loneliness. They
come from a communal culture and would like to have some place where
they can get together. (Kontiainen 2003.)
Even though there has not been research on the topic of time use of im-
migrants, physical activities and leisure time spending of immigrants in
Finland has been studied. The results indicated that socialising with family
members and friends as well as reading, listening to the radio and watch-
ing television were more important ways of spending leisure time than
physical activities. The immigrants also felt that work and school were
more important than physical activities. However, nearly all of the immig-
rants had something to do with sports at least once a week. The results of
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
the study indicate that physical activities can work as means of immigrant
integration. Doing some sports makes it easier for immigrants to establish
social relations and learn Finnish. (Myrén 1999.)
Ekberg-Kontula (2000) interviewed 22 women of African origin. Mothers
spent most of their time taking care of children and their daily rhythm
was organised according to children’s school and other activities. Women
who did not have children had more hobbies than other women. Most of
the women spent evenings and weekends with friends, doing housework,
shopping, watching TV and going to a mosque. Some of the unemployed
women felt funny about questions concerning their free time because they
had nothing but free time. (Ekberg-Kontula 2000, 20–2.)
The provision of integration and employment services and activities for
immigrants
Services and projects described in this report aim at promoting integra-
tion, employment and empowerment of immigrants. They also fight
against marginalisation, increase tolerance and develop co-operation
between authorities, Finnish NGOs and immigrants’ foundations.
All people living in Finland, including immigrants, have a universal social
security. Refugees and Ingrian Finns are entitled to integration services
during the first three years after arriving in Finland. Refugees and immig-
rants who are in a need of social assistance and who register as unem-
ployed job seekers are entitled to an integration plan and an integration
allowance for three years after arriving in Finland. The integration plan is
an agreement between an immigrant, a local authority and an unemploy-
ment office on measures to support immigrants and their families in ac-
quiring the knowledge and skills needed in society and working life. The
plan may consist of employment and training issues and language
courses, depending on the municipality. Unemployed immigrants who
participate in language and integration courses for 25 hours a week are
entitled to integration allowance.1
In general, services, projects and activities for immigrants can be divided
into three main categories regarding their target groups. Firstly, some of
the services and projects are only for asylum seekers, refugees and Ingri-
an Finns who belong to an integration programme of municipalities from
one to three years depending on a municipality after they become mem-
bers of the municipality (regulated by the law on Integration of Immig-
rants and Reception of asylum seekers in 1999). Secondly, there are ser-
1 Act on the Integration of Immigrants and Reception of Asylum Seekers 1999.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
vices and projects that focus on the same group after they cannot turn
into municipal integration services anymore. However, services and pro-
jects that officially serve only asylum seekers and refugees are some-
times able to help other immigrants as well if they have time and re-
sources.
Thirdly, target groups of some services and projects are all immigrants
regardless their status as a foreigner or length of a stay in Finland. Some
projects are only for unemployed immigrants. Usually immigrants who
come to the services or participate in activities have to be residents of the
municipality. Somalis form the biggest refugee community and the Russi-
ans are the largest immigrant groups, and therefore some projects and
activities focus on them alone.
There are several providers of services, activities and projects related to
immigrants:
The biggest cities have municipal Units for Immigrant Services. Refugees
and Ingrian Finns1 are Unit clients for 1-3 years, depending on the muni-
cipality. The Units normally offer social services for refugees and Ingrian
Finns who move to a municipality after getting a residence permit. The
Units offer temporary housing, they help to find a permanent dwelling and
provide general information on life in Finland.
In addition to municipal services, there are NGOs and foundations of im-
migrants that usually fund their activities by project funding from the Min-
istries, the EU or the Finnish Slot Machine Association. The Finnish adult
education centres provide a great variety of courses that are open to
everybody but they do not have much activity specifically for immigrants.
However, several interviewees stated that it is neither possible nor mean-
ingful to build up a parallel system of activities for immigrants. Some par-
ishes and churches provide activities for immigrants. They often see reli-
gion as a bridge between the society and immigrants.
The idea of most NGOs and projects is to support the work officials and
authorities are doing and not to provide double services. Information and
support services for immigrants usually function as bridges between im-
migrants and authorities. Some NGOs are developing their existing ser-
vices and activities in order to offer them especially for immigrants and to
get immigrants involved. Personnel of NGOs and projects usually have a
1 Ingrian Finns are Ingrians of Finnish descent. Together with members of theirfamily from Russia, Estonia and other parts of the former Soviet Union they hold‘returnee’ status in Finland. These re-migrants are often included under Russiansand Estonians in the statistics. (The Ministry of Labour 1998b.)
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
different position from officials and authorities and they have more time
to form closer relations with their immigrant clients.
Some integration services have developed their work in three levels: so-
cial level, informational level and action level. Social level includes social
support, creating a social network and having peer groups. The second
level means information and improving language skills and other skills.
The third level includes clubs, trips and other activities.
DIFFICULTIES IN SATISFYING DIFFERENT NEEDS AND WISHES
Immigrants have different backgrounds and wishes and requests, which
makes it difficult to plan common activities for them. People who have
just arrived in the country have naturally very different needs than people
who have lived in Finland for several years. There is often a strong divi-
sion of clients according to the language and ethnic background. Some
immigrant groups tend to separate themselves from refugees and other
immigrant groups, which makes it more difficult to provide multicultural
courses and other activities. For example Russian and Somalian clients of-
ten tend to have very different wishes concerning activities.
Immigrants often find it hard to define what they would like to do or what
kind of services they would need. It is difficult especially for peoples who
do not speak much Finnish, and those who have recently arrived in Fin-
land and do not know much about different possibilities and ways of doing
things.
Some immigrant groups prefer to take care of different issues and prob-
lems inside the ethnic community without asking for outside help. For ex-
ample groups that have lived in Finland for a long time have in some
cases developed their own networks inside the community. For many
people it may feel like a loss of the face to seek help.
Currently existing integration and employment services and activities for
immigrants
Activities for immigrants in general
Information centres for immigrants
Information centres function as bridges between immigrants and authorit-
ies and they offer their services for free. A major task of information
centres is to inform immigrants about municipal services and to direct cli-
ents to right services and places. Employees of the centres are usually
immigrants or have an immigrant background. They are able to serve
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
their clients in several languages. The aim of the work is to help immig-
rants to be able to take care of their daily things by themselves in the fu-
ture and to empower them. Centres also encourage immigrants to use the
whole network of services and not just special services for immigrants.
Special information centres for immigrants are needed because many im-
migrants are unwilling or scared of talking about their problems to
strangers and to Finnish people in general. Naturally people prefer to talk
about difficult issues in their mother tongue. The Finnish municipalities
provide usually a lot of social, health and employment services of which
immigrants may not be aware of. It would improve the situation if muni-
cipalities employed more employees with an immigrant background in
services where they have clients with an immigrant background. This is
already happening in most cities and in many smaller municipalities.
The most common questions at information centres in the metropolitan
area concern employment, housing, social security, health issues, resid-
ent and working permits, family reunification, education, general legal ad-
vice, language courses, social and other public services and other ques-
tions related to a daily life in Finland.
International centres and meeting points
These centres are open for all people regardless their ethnic or religious
background. Centres are places for discussion, being together, meeting
people and enjoying coffee and tea. Sports, arts, music and food often
work as “common languages” between immigrant groups and Finns.
Camps
There are camps for families, children, women, men, elderly people and
combinations of all these. Some camps are multicultural, some are only
for certain immigrant groups and some are open to everybody. Camps
are usually organised by municipalities, NGOs and parishes. Camps are
extremely popular among different immigrant groups and the demand
seems to be bigger than the supply. There are several reasons why camps
are so popular among immigrants. Camps are needed for relaxation, re-
freshment and a change of environment. Immigrants often wish to have
places where they could go for holidays and camps offer one possibility. It
is a welcome change for immigrants who feel lonely at home and for
those who spend most of their time cooking and taking care of children.
Information and discussions
Information centres, projects and municipalities organise seminars and
discussions about different themes. Seminars about functions of the
Finnish society, employment and other important issues are popular
among immigrants. Chosen themes derive from needs and wishes of im-
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
migrants, immigrants are involved in planning and experts with an immig-
rant background are used more and more.
Organised trips and visits for immigrants
It is difficult for immigrant families to do visits and trips by themselves
because they often lack the knowledge of good places to go to and how to
get there. In addition, they do not have much money for leisure activities.
Activities for immigrant women
Separate workout classes and sport clubs for women
Many immigrant groups prefer to have separate courses and clubs for
men and women. Aerobics, swimming and other sports activities for wo-
men are popular and rather common in a metropolitan area. Reasons for
organising separate sports classes for women derive usually from needs
of Muslim women. Doing exercise often eases head and backaches women
have.
“ Women’s cafés”
At “Women’s cafés” women can have a chat and a coffee, some like to do
handicrafts or just to hang around. Cafés have a meeting time once a
week or more often. The interviewees see women’s networks as strength-
ening their self-confidence and empowerment. For many women it is the
only time in a week they get together and talk. Sewing clubs are also
popular.
Activities for immigrant men
It is generally seen as easier for immigrant men than to immigrant wo-
men to study or work, to go out and take care of different affairs. Men are
usually freer to arrange their daily life and to participate in different activ-
ities and events than women who are often responsible of children and
house keeping. Even so, several interviewees expressed their concerns of
immigrant men who they see as being forgotten in service provision. The
unemployment rate is very high among many immigrant and especially
refugee groups, and men may need services and activities just like wo-
men do. Many social and health services are provided for children, and
mothers are often included through their children but men can be left out.
Workshops
There are workshops and courses for immigrant men but the need is big-
ger than the supply. Workshops include e.g. woodwork, cooking, technical
handicrafts and other practical activities. It is important for many of im-
migrant men to be able to do something practical and to produce
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
something. By participating in workshops men get into a regular daily
rhythm, learn Finnish and get to know each other.
Groups for immigrant men
Groups for immigrant men coming from different countries are also im-
portant because many men lack social networks and the group build them
one. It usually works better to have a male worker for men’s groups and
activities and vice versa.
Activities for families
There are not many services especially for immigrant families but families
are naturally welcome to the centres of activity and to participate in activ-
ities organised by municipalities, NGOs and parishes.
Some centres of activity have provided support and counselling for par-
ents on family life in two cultures, a role of a parent, etc. There are also
guide leaflets for parents to inform them about different aspects of a
Finnish society. As a pilot project some NGOs have established multicul-
tural day care centres where parents can bring children during the day to
stay for some time. An international marriage counselling is organised by
social work of the churches of Helsinki in different languages. Some or-
ganisations have started multicultural family work including counselling
and spreading information for families.
Activities for elderly immigrants
Immigrants who are in a retirement age or who do not have realistic
chances of employment have a different situation and needs from immig-
rants whose integration process is aiming at employment. Similar services
as for immigrants in general are often provided separately for elderly im-
migrants with different emphases. In some municipalities the special
needs of elderly immigrants are already taken into account but more ser-
vices are still needed in many municipalities. There are for example lan-
guage courses, information about the Finnish society and discussion
groups for this target group.
Special groups with special needs
The interviewees expressed their concerns about several sub-groups of
immigrants that are in an especially vulnerable situation for different
reasons. These special immigrant groups should be better taken into ac-
count in a legal and practical level in social and other services.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Illiterate immigrants
Illiterate immigrants are dependent on others in many ways and they of-
ten have to use their children as interpreters. Especially illiterate immig-
rants who are over 40 years old are in a difficult situation in many cases
without realistic chances of employment. Some immigrants are afraid of
going out alone because they cannot read and write and they are afraid of
not being able to manage. For example looking for employment and filling
applications without help is practically impossible for illiterate immigrants.
Immigrants who have mental health problems and traumas
People working with refugees and immigrants should be more aware of
special problems that traumas may cause. Some immigrants, especially
those with a refugee background, have severe mental health problems
that may prevent them from working and participating in courses and
other activities. These people are often in a danger of marginalisation.
People who suffer from previous traumas and PTSD (post traumatic stress
disorder) may have a negative attitude towards services and courses or-
ganised for them even though these activities would be helpful for them.
It is also difficult for many traumatised people to receive information that
is given to them in a new society.
Mothers with children miss out integration services
Unemployed immigrants are entitled to integration services during the
first three years after arriving in Finland. Mothers are in a difficult position
since they often miss out integration services because of having children
and being at home with them. There should be more flexibility and life
situations should be better taken into account when deciding about hav-
ing a right to integration services.
Elderly immigrants
The situation of immigrants of a retirement age is often difficult in many
ways: many of them have come to Finland at old age and they have not
integrated very well, they may lack social networks and their economical
situation and language skills can be poor. Many of them have been unem-
ployed before retirement because it is extremely difficult for elderly im-
migrants to find employment. Often immigrants do not get a pension
from their home countries or a pension is very small in Finnish standards.
The Finnish foreign law has recently been changed to entitle senior im-
migrants citizens after five years stay a pension that is better than a liv-
ing allowance they would get otherwise.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Divorced immigrants
Divorces are more common among immigrants and in mixed marriages
than among Finns. Many immigrants who suddenly have to live on their
own do not know how to take care of daily matters, they are reluctant to
do it or they do not know whom to contact.
Women who come to Finland because of a marriage with a Finnish man
Many interviewees had noticed a growing number of female clients from
Eastern neighbour countries who come to Finland because of a marriage
with a Finnish man. Usually women who come to Finland because of a
marriage are not entitled to municipal integration services and an integra-
tion allowance. The condition for getting a residence permit is that their
husbands have to be able to financially take care of them and they are
not entitled to social benefits. Some of the women spend most of their
time at home and they can be completely dependent on their husbands
because often they have no money and no friends in Finland. Often these
women need basic information about everything in a new society. Many of
these couples do not have a common language, which complicates situ-
ation more. Among “real love marriages“ there are also some “marriages
of convenience”, which can make the situation more complicated.
Immigrants living alone without a social network
Many immigrants, especially immigrant men, who are unmarried, di-
vorced or are waiting for a family reunification live alone and feel lonely.
Long waiting times of getting a family reunification are tough for men and
women whose family far away. They are continuously worried and miss
their families. Many of them are marginalized, unemployed and they do
not have a social network in Finland.
Separated refugee children
Separated refugee children (also called unaccompanied minors) are an
especially vulnerable group among refugees and children because they
are in a new country without the support of their parents and other family
members. They miss their parents and worry about them. This anxiety
and coping in a new, foreign country cause various symptoms such as
sleeplessness, nightmares, eating disorders, depression and aggression.
The foreign language and unfamiliar contents of the curriculum, family
worries and traumatic memories make concentrating in school difficult.
(Helander & Mikkonen 2003).
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Immigrants who come to Finland as teenagers
Immigrant youth that comes to Finland as teenagers are often in a com-
plex position due to their difficult age and integration process that are
taking place at the same time. Alitolppa-Niitamo (2001) has done re-
search about young Somalis who arrived in Finland as teenagers. Accord-
ing to the research results, in attending school, adolescents generally re-
ceive more mainstream influences than the first generation. Due to the
youngsters’ better command of Finnish and their understanding of the
way Finnish society works, the roles of parents and adolescents are often
reversed. Parents may feel that they are no longer capable of controlling
their offspring. In addition, many young persons find themselves in
between multiple definitions, statuses, norms and expectations that make
their situation ambiguous and confusing. (Alitolppa-Niitamo 2001.)
Children who are born in Finland
Children of immigrant parents who are born in Finland are not entitled to
the integration services. They are not usually included in the integration
plans made for their parents either. Still many of them may need support
in many ways because their parents have recently immigrated and are
not able to fully help their children with school and other things in a new
society in a new language.
House wives whose children are grown ups
Many housewives whose children are grown-ups may have spent several
years in Finland and most of that time at home without learning much
Finnish. Many of these women have no educational background and some
of them are illiterate. Often their chances of finding employment are weak
but they no longer have children to take care of either.
Recommendations for improving services and activities for immigrants
More special integration and employment services for immigrants are
needed
Both the native Finnish interviewees and interviewees with an immigrant
background stated that there is no need of special health and social care
or other services for immigrants because of the high standard of the
Finnish municipal services and their availability to everybody, including
- 195 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
migrants. As a contrary, special integration and employment services for
immigrants were seen as necessary and the need was estimated to be
much bigger than the current supply. Information centres, projects and
other “extra” sources for immigrants are often needed because in many
cases social authorities do not have extra time and special knowledge
needed to take care of clients with an immigrant background. In general
it is easier for young immigrants to participate in common courses and
activities where as older immigrants find it more convenient to have sep-
arate groups for immigrants.
All immigrant groups need integration plans
Most immigrants in Finland are first-generation ones; consequently integ-
ration is more difficult and the integration processes are still going on. A
lot of the refugees have changed their attitudes towards integration after
they have realised that they cannot return to their home countries as
soon as they had anticipated.
There have been wide public discussions and criticism about the ineffi-
ciency of the integration procedure, the lack of resources for training and
language courses and the unwillingness of Finnish employers to employ
immigrants. Municipalities need more resources for more efficient integra-
tion measures. It also appears that more language courses are required,
and they need to be improved.
Integration plans have been typically made only for immigrants belonging
to the labour force1. Many other immigrant groups need integration plans,
such as housewives, teenagers and elderly immigrants. Another problem
is that integration plans are not always automatically implemented in
practice. It is important to have personal consultation and to do a person-
al employment and training plan for immigrants in the beginning. In gen-
eral, the possibility of having personal counselling and comprehensive
case management is important in services for immigrants.
Long-term funding and planning needed
Lack of continuation and long-term funding and planning is one of the
most common and severe problems in work related to work among im-
migrants. A large part of the personnel working for municipal integration
services and for NGOs have temporary and short-term contracts. It is dif-
ficult for municipalities and NGOs to make long-term action plans for
1 The Ministry of Labour is responsible of integration measures of immigrants inFinland. This explains at least partly the strong emphasis on employment and im-migrants of a working age.
- 196 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
coming years or even for a following year when there is no confirmation
about funding.
More and better targeted language courses needed
The interviewees expressed criticism about provision of language courses
in many ways. First of all, queues for the courses are often long. There is
a lack of co-ordination of different courses and it is often difficult to find a
suitable course for each person. Courses organised by the employment
agencies are often too difficult for illiterate people. More special language
courses for illiterate immigrants are therefore needed. Finnish as a
second language is a rather new subject in Finland and its teaching needs
to be improved.
More support with homework for children needed
Parents who have immigrated in Finland are often unaware of the Finnish
educative system and they may have unrealistic expectations towards
their offspring’s educational possibilities and future. If parents do not
speak Finnish they are unable to help their children with schoolwork and
give children support they may need. Therefore after school support for
home assignments should be a part of official teaching programmes for
immigrant children and youth at schools. Remedial instruction is already
existing and important but it is not enough in many cases.
Centralised information for immigrants in different languages
Several interviewees stated that the lack of centralised information about
services and activities for immigrants makes their job more difficult. This
shortcoming is taken into account, and the International Cultural Centre
Caisa in Helsinki produced web pages where important information and
links for immigrants are gathered together1.
Easy access to activities and services
It is esseential that services and activities for immigrants have an easy
access for immigrants and services are in a grass root level. Access
should be psychologically and physically easy for immigrants. Language
courses and other activities reach immigrants better if they take place in
the neighbourhoods where immigrants live. There are a lot of immigrants
with disabilities that make it difficult to go out on the town. Women fre-
quently have children with them, which limits their possibilities of moving
around.
1 For more information, see www.caisa.hel.fi
- 197 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Flexible appointment hours
It is a common problem for many immigrant groups that you have to
make an appointment to see a social worker and other officials. Another
problem is that you have to be in time, which is unfamiliar for many im-
migrants. Clients often come late or they forget to come. It is easier to
come to the centres for immigrants without an appointment and there is
usually somebody all the time. People who work with immigrants usually
try to be flexible with e.g. appointment hours but they also try to teach
their clients to be on time.
Good practices in short
· Ideas for activities, services, themes of seminars etc. should de-
rive from target groups.
· It is necessary to provide childcare during courses and activities
for immigrant women.
· Passing a word around face-to-face is often the best way of
spreading information among most immigrant groups.
· It is often hard for immigrants to understand the roles and func-
tions of different officials and authorities. Special attention to
clearing things and using interpreters should be paid at least dur-
ing the first meetings.
· Integration counsellors should be a part of established functioning
of municipalities. Counsellors may accompany clients to health
care, authorities, schools, courses, day care etc in order to help
both sides and explain things.
· Working in pairs of a Finn and a worker with an immigrant back-
ground has proven to be a good practice. Often the best way to
help immigrants is through other immigrants. It usually works
well that personnel with an immigrant background activate people
from their own ethnic groups. On the other hand it should not be
an end in itself to employ workers with an immigrant background.
· More power, more decision-making and planning positions should
be given to immigrants and people with an immigrant background
when planning and implementing services and projects for them.
· If projects manage to develop good practices they should become
a permanent part of municipal or NGO based work.
The use of time
- 198 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
There are a lot of immigrants who spend their time mostly at home taking
care of children, watching TV and not having activities out of home. The
common activity for immigrants just like for Finns at home is to watch TV.
It is also common among many immigrant groups to visit other families
at their homes
Among many immigrant communities the labour division of men and wo-
man is still traditional and very clear. However, more and more women
learn Finnish and study.
There are a lot of unemployed immigrant men who spend time at activit-
ies centres almost every day. A lot of the men suffer from not having
things to do but many of them find it difficult to help with housekeeping.
It can be seen as a part of integration that fathers also learn to take care
of children when mothers have courses or other things to do.
Many Muslims go to a mosque every day. In addition to obvious religious
matters, mosques are meeting places for seeing friends. Sometimes eth-
nic community can replace the support network of relatives and family
that is missing in Finland.
Because of the Finnish universal social security women are not economic-
ally dependent on their husbands and it gives them more power and free-
dom. The standard of living, education and working of women affect the
number of children. In many immigrant families the numbers of children
is decreasing and families of young immigrants are smaller than their par-
ents’. Many families have become stronger when fathers have started to
participate in taking care of children and shopping. Often women who
have children would like to get part-time jobs but they are often difficult
to find.
It is usually possible to get a place in a day care if parents can prove that
both of them are working or studying full time. It is difficult to get a place
in day care for children if one of the parents is unemployed. If for ex-
ample a husband is unemployed a family does not have a right to child-
care even if a father does not take care of children. This situation has
caused problems in many immigrant families where a mother would like
to study or work but she cannot because of children.
Conclusions
The major problem for many immigrants in Finland is that they are get-
ting tired and frustrated of having all sorts of employment and integration
courses and other activities but no full time paid work. The Finnish em-
- 199 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
ployers should better make use of these resources in a way that would
benefit both sides.
When planning work related to immigrants it is essential that ideas for
activities, services, themes of seminars etc. should always derive from
target groups.
It has to be kept in mind that projects and other temporary measure-
ments are not able to remedy needs for basic municipal services. It is
however important that projects can become permanent parts of work re-
lated to immigrants if they prove to have created good practices that
should be continued.
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--------------------------
This text has not yet been language checked. The full research report is available
in English. Contact information: Anna Mikkonen, MA researcher
mikkonenanna@hotmail.com , +358-50-373 9932, +32-496-43 53 35
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
FRANCE - CHAP. 14 -SITUATION DE L’IMMIGRATION ET DÉBATS MÉTHODOLOGIQUES
LUC-HENRY CHOQUET
“Troisième article définitif pour la paix perpétuelle : « Le
droit cosmopolitique doit se borner aux conditions d'une
hospitalité universelle. » Il s'agit dans cet article,
comme dans les précédents, du droit, non de la
philanthropie. Hospitalité signifie donc uniquement le
droit qu'a chaque étranger de ne pas être traité en
ennemi dans le pays où il arrive. On peut refuser de le
recevoir, si on le peut sans compromettre son existence;
mais on n'ose pas agir hostilement contre lui, tant qu'il
n'offense personne. Il n'est pas question du droit d'être
reçu et admis dans la maison d'un particulier; cet usage
bienfaisant demande des conventions particulières. On
parle du droit qu'ont tous les hommes de demander aux
étrangers d'entrer dans leur société, droit fondé sur celui
de la possession commune de la surface de la terre,
dont la forme sphérique les oblige à se supporter les uns
à côté des autres, parce qu'ils ne sauraient s'y disperser
à l'infini et qu'originairement l'un n'a pas plus de droit
que l'autre à une contrée.”
Emmanuel Kant,
Projet de paix perpétuelle, 1796,
cité dans Pénombre, octobre 19961
Le travail en commun des quatre partenaires sur le thème des migrations
a rendu nécessaire une comparaison selon plusieurs axes :
Un premier axe concernait la législation de la nationalité (titres de séjour,
conditions d'entrée et de séjour dont les personnes qui viennent pour
travailler, l'immigration pour motif familial, les demandeurs d'asile et les
réfugiés), le droit de la nationalité dont l’attribution de la nationalité et
l’acquisition de la nationalité. On a détaillé et chiffré dans le cadre français
la distinction importante parce qu’elle emporte des conséquences en
matière de droit, entre “étrangers” et “immigrés”.
Le deuxième axe concernait les débats politiques, idéologiques et
scientifiques sur ces questions. A cet égard, la contribution française s’est
nourrie des débats riches qui ont eu lieu à l’Institut national d’études
1 L'association Pénombre a été créée en juin 1993, pour développer un espacepublic de réflexion et d'échange sur l'usage du nombre dans les débats desociété. http://ds.unil.ch/penombre
- 202 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
démographiques (INED) et à l’Institut national de la statistique et des
études économiques (INSEE), notamment les colloques organisés par les
syndicats CGT et CFDT de l’INSEE sur la construction et les usages de la
statistique (ex : Le colloque intitulé "Statistique sans conscience n'est que
ruine..." du 4 novembre 1999) comme d’une bibliographie riche sur ces
questions1.
La contribution française au rapport intermédiaire de la mission reprenait
les tentatives d’établissement de quelques principes pour la statistique
publique, rappelait les enquêtes en cours qui servent les croisements
“étrangers”, “immigrés”, Famille, et constatait certains manques
aujourd’hui dans ces croisements statistiques.2
Après une brève présentation de la situation démographique en France3,
on reprend dans ce chapitre les principaux éléments relevés au cours de
la mission qui peuvent servir le débat sur les questions méthodologiques.
1 Desrosières (A.), La politique des grands nombres. Histoire de la raisonstatistique, Paris, La Découverte, 2ème éd. 2000 ; Héran (F.), L’assise statistiquede la sociologie, Economie et Statistique, n°168, juillet-août 1984, pp. 23-35 ;INSEE, Pour une histoire de la statistique. Tome 1 : contributions, INSEE-Economica, Paris, 1977 ; INSEE, Pour une histoire de la statistique. Tome 2 :matériaux (J. Affichard dir.), INSEE-Economica, Paris, 1987.2 Cf. Rapport intermédiaire, juillet 2003. La réalisation de la mission a bénéficié dela participation d’un groupe d’experts organisé à l’initiative de l’UNAF quirassemblait Catherine Borrel, de l’INSEE, Institut national de la statistique et desétudes économiques, de Marie Ruaut, DREES, Ministère des Affaires Sociales, duTravail et de la Solidarité, de Patrick du Cheyron, Mire, Ministère des AffairesSociales, du Travail et de la Solidarité et d’Antoine Math, IRES, Institut deRecherches Economiques et Sociales.3 Les informations et les développements de ce chapitre proviennent pour unebonne part du rapprochement et de la compilation de données issues des articleset ouvrages cités auxquels le lecteur, soucieux de précisions, est renvoyé,notamment : Héran (F.), Cinq idées reçues sur l'immigration, Populations etsociétés, n° 397, INED, janvier 2004 ; Héran (F.), Aoudai (M.), Richard (J.-L.),Immigration, marché du travail, intégration, Commissariat Général du Plan, Ladocumentation française, Paris, FRA, 2002/10 ; « Les immigrés » in France,portrait social, INSEE, octobre 2003 ; Borrel (C.) et Tavan (C.) , « La vie familialedes immigrés », idem ; Bréchon (P.), « L’opinion des Européens sur les immigrés –Une mesure de l’ouverture à autrui » et Roux (G.), « L’évolution des opinionsrelatives aux “étrangers” – Le cas de la France », Informations sociales, CNAF, n°113, janvier 2004 ; Lebon (A.), Migrations et Nationalité en France, Ladocumentation française, décembre 2002; Daguet (F.) et Thave (S.), « Lapopulation immigrée - Le résultat d'une longue histoire », Insee Première, n° 458.Des renseignements complémentaires peuvent être obtenus en consultantPopulation immigrée — Population étrangère, Tableaux thématiques — Exploitationcomplémentaire, Recensement de la population de mars 1999, Insee, décembre2001.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
La situation française
Source : Ecole des Sciences Politiques, Paris.
La France est un pays où l’immigration est ancienne, due essentiellement
à la baisse de sa fécondité dès le milieu du XVIIIème siècle et à la pénurie
relative de main-d'œuvre qui dans la seconde moitié du XIXème siècle
aboutit à une différence sensible d’avec les autres pays européens qui
connaissaient à l’opposé fécondité élevée et émigration. Les plus forts
courants migratoires (1920-1930 et 1956-1973) correspondent à des
périodes de croissance économique et de pénurie de main-d'œuvre. La
France a servi aussi de terre d'asile à de nombreux étrangers.
Après guerre, à partir de 1945, l'Etat a encouragé officiellement
l'immigration et a créée en 1946 un Office national d'immigration puis en
1951 l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) qui
reçoit les dossiers des étrangers entrés en France au titre de demandeurs
d'asile et attribue la qualité de réfugié. Le niveau atteint en 1931 a été
dépassé au recensement de 1962 (~ 3 millions).
En 1974, préoccupé par le ralentissement de la croissance, le
gouvernement français décidait l'arrêt officiel de l'immigration hors droit
d'asile, sauf dans le cadre du regroupement familial et de demandes
spécifiques mais l'entrée de migrants ne s'est jamais tarie. Toutefois, c'est
désormais l'immigration de regroupement familial qui prédomine dans les
statistiques.
La France est, on l’a vu, un pays où l’immigration est un aspect ancien
mais elle n'est pas un pays d'immigration massive et sa croissance
démographique dépend pour un quart à un cinquième seulement de
l'immigration. Le flux actuel des immigrants reste bien plus faibles que les
niveaux atteints dans les années soixante ou ceux atteints aujourd'hui en
- 204 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Allemagne et en Europe du Sud. Pourtant c’est un préjugé contraire qui
souvent l’emporte avec l’idée d'une France en déclin démographique dans
laquelle s’immisce une vague d'immigration. Ces idées reçues tiennent
notamment au fait que des concentrations locales peuvent aboutir à des
proportions de population immigrée élevées dans certaines communes (cf.
infra).
Flux d’entrée à caractère permanent d’étrangers non ressortissants de
l’Espace économique européen en 20011
Travailleurs salariés 8 811
Actifs non salariés 433
Réfugiés statutaires (i) 7 323
Asile territorial 322
Regroupement familial (j) 23 081
Membres de famille de français (k) 42 567
Conjoints de scientifiques 366
Membres de familles de réfugiés (l) 1 422
Etrangers nés en France 45
Mineurs résidant depuis l'âge de 10 ans 1 853
Liens personnels et familiaux 5 564
Résidence en France depuis + de 10 ou 15 ans 2 699
"Visiteurs" (m) 8 968
Titulaires d'une rente accident du travail >20% 32
Bénéficiaires du réexamen (n) 65
Total 103 551
(i) : Y compris les apatrides (62)
(j) : Non compris les membres des familles des ressortissants du Togo qui ne font
pas appel à l’OMI
(k) : Non compris les enfants de 0 à 16+ ans et une partie de ceux de 16 à 18 ans
(l) : Non compris les enfants de 0 à 16+ ans et une partie de ceux de 16 à 18 ans
(m) : uniquement âgés de 18 ans ou plus
(n) : Non compris 8 déjà comptées dans le regroupement familial
Source : OMI, OFPRA
En réalité, la France entière observait en 2001 un flux d’entrée à caractère
permanent d’étrangers non ressortissants de l’Espace économique
européen de 103 551, soit 17/°°°° (dix-sept pour dix mille). Rapportée à
la France métropolitaine, elle comptait en mars 1999, lors du
recensement national, 4,3 millions d’immigrés2, soit 7,4 % de l’ensemble
1 On retrouve ces différentes catégories dans le § suivant consacré à la législation.2 Immigrés - La catégorie statistique des immigrés regroupe les personnes néesétrangères a l’étranger, c’est-à-dire celles qui ont effectué une migration depuisleur pays de naissance. La catégorie comprend donc des personnes qui depuis leurarrivée ont acquis la nationalité française et exclut les Français de naissance nés àl’étranger. Un ménage ordinaire est constitué de l‘ensemble des personnes vivantdans une même résidence principale et l’expression “ménage immigré” désigne les
- 205 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
de la population dont 88,4 % vivaient en famille, et pour les seuls adultes
dans une proportion un peu plus importante que dans l’ensemble de la
population: 80 % contre 77 % et variant selon le pays d’origine pour
atteindre ainsi 90 % chez les natifs du Portugal ou de Turquie, plus
fréquemment aussi pour les personnes originaires du Maroc, d’Afrique
subsaharienne ou d’Asie du Sud-Est. Un peu plus souvent chefs d’une
famille monoparentale, 7,2 % pour 6,6 % dans la population totale. Mais,
depuis 1990, la part des familles monoparentales et celle des personnes
seules augmentent et aussi bien chez les immigrés que dans l’ensemble
de la population.
Les 2,9 millions d’immigrés qui vivent en couple ou sont a la tête d’une
famille monoparentale appartiennent à 2 millions de familles qui comptent
6,9 millions de personnes dont moins de la moitié sont immigrées. Plus du
tiers des immigrés vivant en couple sont en union avec une personne non
immigrée (on parle de “mariage mixte”). Cette proportion a légèrement
progressé depuis dix ans. Les hommes forment, un peu plus souvent que
les femmes, une union mixte sans doute parce qu’ils sont plus souvent
célibataires à leur arrivée en France. Simplement, ce sont plus de la
moitié des immigrés européens qui ont formé un couple mixte et, par
exemple, seulement 14 % hommes et 4 % des femmes nés en Turquie
qui vivent avec un conjoint non immigré. Ce qui traduit des différences
dans la propension à la mixité, mais aussi dans l’histoire migratoire:
statut conjugal et âge à l’arrivée, ancienneté de la présence, sont autant
de facteurs qui interviennent.
En revanche, quand les deux conjoints sont immigrés, ils ont alors, dans
neuf cas sur dix, la même origine. La quasi-totalité (98 %) des couples
d’immigrés où la femme est née en Turquie sont formés avec un homme
originaire du même pays, de même au Portugal ou dans certain pays du
Maghreb (respectivement 97 % et 92 %).
Ceci étant, la vie familiale des immigrés a connu grosso modo les mêmes
évolutions que celle de l‘ensemble de la population : personnes seules et
familles monoparentales plus nombreuses, ruptures et remises en couple
plus fréquentes, début de plus en plus fréquent de la vie de couple hors
mariage, quoique plus rarement pour les immigrés venus du Maghreb ou
de Turquie.
Une fois sur deux, écrit Laurent Toulemeon de l’Institut national d’études
démographiques, « les enfants d’immigrés sont issus d’un “couple mixte”,
au sens où il réunit un parent immigré et un parent non immigré. Sur le
tableau (page suivante), ont été distingués les parents nés en France
métropolitaine, les parents immigrés et les autres parents, nés outre-mer
ou nés Français à l’étranger. « Au total, plus d’une naissance sur six
(17,1 %), chiffres sur fond grisé dans le tableau est issue d’au moins un
parent immigré, les couples mixtes (un parent est immigré et l’autre non)
ménages dont la personne de référence est immigrée.
- 206 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
faisant jeu égal avec les couples où les deux sont immigrés :
respectivement 8,5 % et 8,6 % des naissances. Les naissances de couples
mixtes se répartissent elles-mêmes de façon équilibrée entre les couples
où c’est le père qui est immigré (4,2%) et ceux où c’est la mère (4,3
%). »1
Source : Tableau tiré de Laurent Toulemon, « La fécondité des immigrées:
nouvelles données, nouvelle approche », Population & Sociétés, n° 400, avril
2004.
Les immigrés ont en fin de vie féconde davantage d‘enfants. Ces écarts de
descendance finale tiennent a des différences de position sociale (ils
appartiennent à des groupes sociaux qui ont une fécondité plus élevée) et
à l’origine géographique.
Plus souvent concernées par des emplois d’ouvriers et d’ouvriers non
qualifiés, par les secteurs de la construction, des services aux particuliers
ainsi que dans l’industrie automobile et les services aux entreprises. Plus
souvent affectés par le chômage que les autres actifs : au 1er trimestre
2003, 18,2 % des hommes et 20,5 % des femmes immigré(e)s sont au
chômage (8,8 % et 11,2 %, en moyenne nationale), affectant davantage
les ressortissants des pays du Maghreb.
En 1999, l’Ile-de-France accueille 39,9% des étrangers recensés en
France, soit deux fois plus que son strict poids démographique dans le
1 Cf. Laurent Toulemon, « La fécondité des immigrées: nouvelles données, nouvelleapproche », Population & Sociétés, n° 400, avril 2004.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
pays (18,7%). 43% des étrangers arrivés depuis 1990 se sont installés en
Ile-de-France et 14,1% à Paris. La Seine-st-Denis est le département
français où le pourcentage de personnes vivant dans un ménage étranger
est la plus importante (26,2%) et cette proportion a fortement progressé
depuis 1982 (+7,2 points). Plus localement, la progression est plus forte
dans les communes dont le parc immobilier est peu valorisé et plus
abordable car la valeur marchande des logements privés joue beaucoup et
dépend de plus en plus de la qualité de l’environnement au sens large :
desserte par les transports en commun, absence de nuisances, réputation
des établissements scolaires, existence d’espaces verts, etc. Concentrés
dans les zones industrielles, vivant dans des familles plus nombreuses,
disposant de revenus plus faibles, les immigrés se tournent plus
fréquemment vers le parc locatif social et la proportion de ceux qui vivent
en HLM au 1er trimestre 2003, est (29 %) deux fois supérieure a celle de
l’ensemble de la population. Néanmoins, la part des propriétaires
progresse et à la même date prés de 38 % des ménages immigrés sont
propriétaires (accédants ou non).
Certaines analyses sociologiques et médiatiques tiennent pour acquise
l'augmentation de la xénophobie en France à partir des années quatre-
vingt et son illustration dans la croissance du vote pour un parti d’extrême
droite (Le Front national). Toutefois les enquêtes conduisent à tempérer
le diagnostic1 et celles menées par l'INED de 1947 à 1974 indiquent une
progression de la “tolérance de principe” à travers le vœu de l'égalité de
traitement entre immigrés et "nationaux" dans les domaines de l'emploi,
du logement ; les mariages mixtes sont de mieux en mieux acceptée.
Néanmoins, l’idée selon laquelle il y a "trop de travailleurs immigrés"
recueille entre 1966 et 2002 des taux d'adhésion comparables (57 et
60%,) mais avec des variations nettes et notamment entre 1988 et 1995
où cette idée progresse jusqu’à 65 – 73 % d'adhésions, pour ensuite
diminuer et notamment du fait des générations les plus jeunes, en
particulier des plus instruits.
Un indice synthétique d’attitudes favorables aux immigrés2 tirées de
l’enquête sur les valeurs des Européens, 19993, permet de construire le
tableau suivant qui assemble les quatre partenaires de la mission.
1 Source : CSA, Louis Harris pour la Commission nationale consultative des droitsde l'homme, SOFRES, Panel électoral français, IFOP, enquêtes CEVIPOF2 Regroupement des réponses favorables (3 derniers échelons d’une échelle de 5) àlaisser venir les étrangers qui le désirent ou tant qu’il y a du travail disponible,accepter qu’ils conservent leurs coutumes, se dire beaucoup ou assez concerné parleurs conditions de vie, être probablement prêt à les aider. Source : PierreBréchon, « L’opinion des Européens sur les immigrés – Une mesure de l’ouvertureà autrui » et Guillaume Roux, « L’évolution des opinions relatives aux “étrangers” –Le cas de la France », Informations sociales, CNAF, n°113, janvier 2004 3 Cf. European Values Study, WORC/EVS, Tilburg University, Faculty of Social andBehavioral Sciences, Warandelaan 2, 5037 AB Tilburg, www.europeanvalues.nl , PPO Box 90153, 5000 LE Tilburg
- 208 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
% d’attitude favorable aux immigrés
Belgique 32
Finlande 31
France 33
Grèce 42
Moyenne européenne (15) 39
En France, Guillaume Roux signale que « parmi les "étrangers" qui
participent de notre société, les "Arabes" sont les moins bien perçus. Ils
sont jugés trop nombreux par 65 % des enquêtés en 1992, et toujours
par 63 % pour l'année 2000 (contre 43 % pour les "Noirs", 21 % pour les
"Asiatiques" et 19 % pour les "Juifs", source Louis Harris pour la
Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme, CNCDH).1»
La législation en matière de nationalité
La loi définit les conditions d'entrée et de séjour des étrangers ainsi que
les règles d'attribution et d'acquisition de la nationalité française2.
Titres de séjour
Tout étranger âgé de plus de 18 ans et séjournant en France au-delà de
trois mois doit être titulaire d'un titre de séjour qui vaut en principe
autorisation de travail3. Il existe deux titres uniques de séjour et de
travail4 : la carte de séjour temporaire, dont la durée de validité est
variable sans pouvoir excéder un an, la carte de résident, valable dix ans.
Un ressortissant étranger qui demande pour la première fois un titre de
séjour se voit délivrer une carte de séjour temporaire, sauf s'il est
bénéficiaire de plein droit de la carte de résident. La carte de résident
peut lui être attribuée à l'issue d'un délai de trois ans s'il justifie d'une
résidence en France ininterrompue d'au moins trois années. La carte de
résident est renouvelable de plein droit.
1 op. cit.2 La législation applicable en la matière a fait l'objet d'un ensemble de réformes en1993 dont la loi du 22 juillet réformant le droit de la nationalité et la loi du 24août modifiant l'ordonnance de 1945 sur les conditions d'entrée et de séjour desétrangers déjà modifiée en 1984 en ce qui concerne les titres de séjour.3 Il existe des exceptions au principe de l'unicité du titre : en particulier, lestravailleurs saisonniers ou les personnes exerçant une activité professionnelle nonsalariée soumise à autorisation (artisans, commerçants, agriculteurs exploitants)doivent posséder un titre distinct de la carte de séjour.4 Depuis la loi du 1 7 juillet 1984.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Les bénéficiaires de plein droit de la carte de résident sont notamment et
sous certaines conditions : les conjoints de français ; les enfants étrangers
d'un ressortissant français âgés de moins de 21 ans ou vivant à sa
charge ; les ascendants d'un français et de son conjoint qui sont à
charge ; les parents étrangers d'enfants français ; les personnes venues
en France au titre du regroupement familial lorsque le travailleur est
titulaire de la carte de résident ; les familles de réfugiés.
Conditions d'entrée et de séjour
D'une manière générale, l'accès au territoire français peut être refusé à
tout étranger dont la présence constituerait une menace pour l'ordre
public. Le régime de droit commun ne s'applique pas aux ressortissants
des pays de l'Union européenne et des pays présents à l'accord sur
l'Espace économique européen, qui peuvent entrer et circuler librement
sur le territoire sans autorisation préalable. Les étrangers qui peuvent
être autorisés à entrer ou à séjourner en France relèvent des situations
suivantes :
Les personnes qui viennent pour travailler.
Ce sont les travailleurs permanents et les actifs non salariés, ainsi que les
travailleurs saisonniers et les bénéficiaires d'une autorisation provisoire de
travail. Les travailleurs permanents sont ceux qui disposent d'un contrat à
durée indéterminée ou d'une durée initiale supérieure à un an. L'emploi
des étrangers à titre permanent est soumis à autorisation. Depuis 1975,
il est très difficile à un primo-immigrant d'obtenir l'autorisation de
travailler à titre permanent en France. Celle-ci est accordée par le Préfet,
qui dispose de plusieurs éléments d'appréciation au premier rang desquels
la situation de l'emploi pour accorder ou refuser son autorisation. La
situation de l'emploi n'est pas opposable à certaines personnes (bénéfi-
ciaires de plein droit de la carte de résident, ressortissants de certains
pays, etc.). Hormis ces cas, les dérogations de fait ne sont accordées que
pour des étrangers hautement qualifiés. Le renouvellement de
l'autorisation de travail est normalement accepté si le requérant dispose
d'un emploi ou est involontairement privé d'emploi. Cependant, si le
demandeur est toujours involontairement privé d'emploi lors d'une
deuxième demande de renouvellement, celui-ci peut alors être refusé.
Les actifs non salariés : pour pouvoir s'établir en qualité d'artisan, de
commerçant ou d'industriel, les étrangers doivent solliciter une
autorisation spéciale.
Les travailleurs saisonniers sont autorisés à travailler en France pour des
durées limitées afin d'exécuter des travaux spécifiques, essentiellement
dans l'agriculture. Le recours à des travailleurs saisonniers étrangers
n'est possible que si la main d'œuvre nécessaire manque sur le marché de
l'emploi.
- 210 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Enfin, les autorisations provisoires de travail sont délivrées aux étrangers
qui sont appelés à exercer une activité présentant un caractère
temporaire (cadres détachés en France, chercheurs, artistes, etc.).
L'immigration pour motif familial recouvre différentes procédures
juridiques. Tout d’abord, le regroupement familial : tout ressortissant
étranger a le droit de faire venir son conjoint et ses enfants de moins de 1
8 ans, dès lors qu'il est régulièrement installé en France depuis au moins
deux ans (au lieu d'un an avant la loi du 24 août 1993) et que les
conditions d'accueil permettent d'envisager une bonne insertion de la
famille. L'exercice de ce droit est donc notamment soumis à des
conditions de ressources et de logement. Les bénéficiaires exclusifs du
regroupement familial sont le conjoint et les enfants mineurs (ou âgés de
moins de 21 ans dans certains cas).
Sont également admises à entrer et à séjourner en France les familles de
Français, de ressortissants des pays de l'Union européenne et des pays
parties à l'accord sur l'Espace économique européen, ainsi que les familles
de réfugiés et apatrides. Les conditions de ressources et de logement
nécessaires à l'exercice du droit au regroupement familial ne sont pas
requises dans ces cas.
Troisième situation, celle des demandeurs d'asile et des réfugiés : Les
demandeurs d'asile sont des personnes qui sollicitent le statut de réfugié
auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides
(OFPRA). Si le demandeur d'asile remplit les conditions requises pour
être admis au séjour en France (loi du 24 août 1 993), il reçoit un titre
provisoire de séjour qui pourra être renouvelé jusqu'à ce que I'OFPRA ait
statué. Lorsque la qualité de réfugié est reconnue au demandeur, il reçoit
de plein droit une carte de résident. Dans le cas contraire, il fait l'objet
d'une mesure d'éloignement.
Enfin, les autres étrangers qui peuvent être autorisés à séjourner en
France pour une durée supérieure à trois mois sont les apatrides, les
titulaires d'une rente d'accident du travail versée par un organisme
français à un taux d'incapacité permanente supérieur à 20 %, les
étudiants, les stagiaires, les visiteurs et les membres algériens
d'organismes officiels.
Droit de la nationalité
Le droit de la nationalité, réformé par la loi du 22 juillet 1993, fixe les
règles d'attribution et d'acquisition de la nationalité française.
Attribution de la nationalité française : est française à la naissance toute
personne née d'au moins un parent français (par filiation), ou née en
France d'au moins un parent lui-même né en France (double droit du sol).
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Les Français de naissance ne sont pas des immigrés, même s'ils sont nés
hors de France.
Acquisition de la nationalité française : la loi définit les conditions dans
lesquelles des personnes ayant à la naissance une nationalité étrangère
peuvent acquérir la nationalité française.
Tout étranger né en France de parents étrangers peut acquérir la
nationalité française à sa majorité s'il réside en France de façon habituelle
depuis cinq ans, en manifestant entre l6 et 2l ans sa volonté de devenir
français. Cette procédure ne concerne pas les immigrés puisqu'elle
s'adresse à des personnes nées en France.
Tout étranger majeur peut demander à être naturalisé ou réintégré dans
la nationalité française s'il réside en France depuis au moins cinq ans et
satisfait certaines conditions d'assimilation (en particulier la pratique de la
langue française) et de moralité. Le gouvernement possède un pouvoir
d'appréciation souverain et se prononce par décret.
Tout étranger qui se marie avec un ressortissant français peut acquérir la
nationalité française sur simple déclaration, après un délai de
communauté de vie de deux ans à compter du mariage.
Enfin, les enfants mineurs dont l'un des parents acquiert la nationalité
française peuvent devenir français s'ils sont mentionnés au décret ou à la
déclaration de leur parent et résident avec lui.
Les débats politiques, idéologiques et scientifiques sur les questions
d’immigration1
Parmi les débats récurrents en France dans le domaine, la querelle « des
catégories "ethniques" » dans la statistique publique est un exemple utile
à considérer car il mêle des aspects politiques, idéologiques et
scientifiques, concernant pour ce dernier cas, notamment, la théorie
statistique et de l’échantillonnage.
Le recensement de la population en France prend soin de distinguer
“français de naissance” et “français par naturalisation ou acquisition”
depuis 1871 et la nationalité antérieure des personnes naturalisées figure
depuis quarante ans dans tous les recensements (1962, 1968, 1975,
1982, 1990, 1999 et bientôt2) : c’est d’ailleurs le moyen de savoir
combien de personnes de telle ou telle origine nationale ont bénéficié des
lois françaises de naturalisation.
1 Voir sur ce point les actes du colloque “Statistique sans conscience n’est queruine…” organisé par les confédérations syndicales CGT et CFDT de l’Institutnational de la statistique et des études économiques (INSEE) le 4 novembre 1998.2 voir notamment F. Daguet et S. Thave, " La population immigrée : le résultatd'une longue histoire ", Insee-première n° 458, juin 1996
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
La controverse porte en réalité sur la référence au “pays de naissance”
des immigrés, associée au fait d'être étranger ou naturalisé, référence
présente dans toute la statistique publique sur les conditions de vie des
ménages puisque la plupart des grandes enquêtes distinguent les
immigrés selon le lieu de naissance, ainsi l'enquête Emploi ou Formation–
qualification professionnelle. Mais faut-il, pour autant, appeler " ethnique "
ce genre de recueil ? Les principaux arguments alimentant le débat sont
les suivants :
- Le vocabulaire anglo-saxon de l'ethnie : Il est contradictoire de recourir
au vocabulaire anglo-saxon de l'ethnie pour désigner le pays de naissance
des Français. «Si l'on défend une vision républicaine de la nation (comme
le font aussi bien l’ensemble des participants de la controverse) (…) dira-
t-on, comme le souligne le directeur de l'Institut National d’Etudes
démographiques, François Héran, important contributeur au débat, que
les immigrés venus du Portugal en France forment une " ethnie
portugaise ", les immigrés de Turquie une " ethnie ", voire une " race
turque " ? Et, réciproquement, par quel tour de passe-passe ceux d'entre
nous qui passent plus d'un an à l'étranger deviendraient-ils les membres
d'une " ethnie " ou d'une " race française " (…)1»
- La confusion entre catégorie “ethnique” et groupe linguistique :
Parallèlement, Il ne faut pas confondre catégorie “ethnique” et groupe
linguistique. « Parler d'une " ethnie mandé " est aussi vague et superficiel
que de parler d'" ethnie romane ". Or, si la langue permet d'approcher
une réalité historique extra-nationale, il s'en faut de beaucoup qu'elle
coïncide avec l'ethnie : on trouve souvent plusieurs ethnies pour une
même langue et plusieurs langues pour une même ethnie. La large
diffusion de certains parlers comme langues administratives ou
véhiculaires vient encore relâcher ce lien, spécialement en Afrique.2 »
- Erreurs de déclarations de nationalité et auto-perceptions : il y a des
erreurs de déclarations de nationalité (voir § suivant) mais aussi des
auto-perceptions qui conduisent beaucoup d’immigrés devenus Français à
se déclarer rétrospectivement “Français de naissance” tant ils se sentent
assimilés3. Seule une enquête biographique permet de reconstituer leur
1 François Héran, 12 novembre 1998, La fausse querelle des catégories" ethniques " dans la statistique publique, INED.
2 ibid3 Ainsi pouvait se penser rétrospectivement Française, sans conteste, FrançoiseGiroud (1916-2003), célèbre femme de lettres, journaliste, écrivain, titulaire duministère de la condition féminine à sa création, etc., de son vrai nom FranceGourdji, née à Genève le 21 septembre 1916 dans une famille aux origines russeet turque.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
trajectoire mais une telle enquête n’a pas vocation à constituer un
dispositif de collecte permanent.
- Les opérations de la statistique publique française bénéficient d’une
légitimité, sur le plan juridique : Les opérations de la statistique publique
ont toutes été, en France, présentées à la CNIL (Commission nationale de
l'informatique et des libertés) qui leur a accordé un avis favorable et
soumises au droit de regard préalable du CNIS (Conseil national de
l'information statistique), où sont représentées les organisations
syndicales, patronales, les associations familiales, le Conseil économique
et social, le Conseil d'État et la CNIL, qui vérifie les aspects concernant
l’anonymat, la spécialisation et la pertinence scientifique et sociale de
l’enquête. Le nouveau recensement de la population (en 2004) a ainsi été
présenté au préalable à la CNIL et au CNIS1.
Certains plaident, a contrario, pour un recours aux catégories "ethniques"
justifié par l’utilité sociale d'une meilleure connaissance des relations
entre les immigrés et la société d'installation, en abandonnant certes
toute conception raciale l'existence de la “race” en tant que
caractéristique générique mais en reconnaissant de façon simultanée la
présence de “comportements et d’attitudes racistes” qui produisent des
effets considérables.
Les dispositifs de lutte contre la discrimination mis en place reposent en
partie sur des informations statistiques. Mais, soulignent-ils, l'évaluation
des pratiques discriminatoires s'effectue le plus souvent de façon
indirecte. Par exemple, en comparant la distribution des qualifications
nécessaire à tel type d’activité sociale d'une population donnée et la
distribution de cette dernière dans ladite activité, par exemple, les
décalages étant alors attribués, entre autres, à l'existence de
discriminations. On retrouve là une problématique anglo-saxonne
(Royaume Uni) qui reconnaît explicitement l'existence de « groupes
ethniques minoritaires » au sein de sa population nationale, la question
ethnique posée pour la première fois lors du recensement de 1991 aurait
permis d'améliorer la connaissance de ces populations et de leurs
handicaps afin de faciliter la mise en place de politiques d’intégration.
Toutefois des insuffisances ont été mises en évidence par l'évaluation des
résultats du recensement (Census Validation Survey), par exemple, en
matière d’identification des personnes d'origine mixte, ou à leurs enfants.
Néanmoins, la classification ethnique de la population britannique s'est
généralisée à tous les domaines du champ social.2
1 Pour plus de détails sur ce recensement permanent, par tranche annuelle de 14%, cf. le dossier de presse - Le recensement de la population – Insee, 8 janvier2004, www.insee.fr.2 Les problèmes posés par la construction de catégories faisant référence à l'origineethnique des individus sont abordés largement et sous plusieurs points de vue dansINED, Population, n° 3, 1998 dont Lassalle (D.), « La généralisation progressive du
- 214 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Les tenants de la modération dans ce domaine répondent que si l’on veut
pousser plus loin le questionnement jusqu’au rôle des caractéristiques
physiques dans la discrimination, la loi le permet quand elle autorise
l’inclusion de questions sensibles à la condition qu’elles soient pertinentes
et que les intéressés donnent leur accord.
Aujourd’hui, la question rebondit avec l’introduction de réflexions sur la
pertinence du repérage de l'ethnie par auto-déclaration des intéressés,
pratique réputée respectueuse des libertés individuelles. On voit rappeler
parfois à cette occasion le rejet du recours à l’auto-déclaration pratiqué
depuis le XIXème lors du recensement de la population en Allemagne en
1939 où des questions sur la " nationalité " et la " race " furent
introduites à partir de la fixation juridique des appartenances « étant
donné que la recherche était incapable de produire une définition savante
de la " race juive " et d’une objectivation de la " nationalité ".»1
La comparaison des réponses entre enquêtes en Polynésie française a
montré combien la déclaration de l’ethnie est un choix subjectif qui revêt
des aspects affectifs, dépendant de considérations sociales plutôt que
traduisant une réalité biologique ou héréditaire, une déclaration perçue
comme péjorative pouvant d’ailleurs devenir avantageuse quand le
contexte politique et social a changé. De plus, comme le souligne J-L
Rallu, « la valeur descriptive de la variable ethnie est grande mais sa
valeur explicative est faible (…) La référence à l’ethnie n’éclaire pas, à elle
seule, les mécanismes de la discrimination ni les processus économiques
et sociaux de la marginalisation. Le besoin d’information statistique de
qualité, permettant le suivi des populations (…) conduit à retenir des
critères peu subjectifs et non susceptibles de changement, tels le lieu de
naissance de l’individu et de ses parents. »2
La question rebondit encore avec l’interrogation sur la pertinence, en
matière d'intégration, du seul critère juridique de la nationalité par
rapport à l'histoire des flux migratoires qui réclamerait d'appliquer des
modèles statistiques plus fins contenant des considérations effectives sur
l’âge d’entrée, la date d’entrée (création de cohortes) et la durée de
séjour.
recueil de statistiques ethniques au Royaume-Uni » et Simon (P. ), « Nationalité etorigine dans la statistique française : les catégories ambiguës », Population,3/1998. 1 Morgane Labbé « Race " et " Nationalité "dans les recensements du TroisièmeReich - De l’auto-déclaration au diagnostic racial. », Histoire & Mesure, 1998,Volume XIII - Numéro ½, Compter l'autre. 2 Cf. Rallu (J-L), « Décrire les minorités? », Populations et sociétés, INED, n°309,Janv. 1996
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
La distinction “étrangers” / “immigrés”
On distingue les individus de nationalité française et les individus
étrangers en regardant la nationalité déclarée sur le bulletin individuel du
recensement.
La population étrangère est composée des individus ayant déclaré une
nationalité autre que la nationalité française. Elle est mouvante dans le
temps, car selon les dispositions prévues par la législation, un étranger
peut obtenir la nationalité française et devient “français par acquisition” :
il sort alors de la population étrangère quoiqu’il demeure distingué
statistiquement des Français dits « de naissance », titulaires de la
nationalité française dès leur naissance.
Le Haut Conseil à l'intégration s’appuyant sur les travaux de Michèle
Tribalat, démographe à l'INED a proposé d’appeler « immigrés » les
personnes nées à l'étranger, entrées sur le territoire avec une nationalité
étrangère et résidant en France depuis un an au moins, en bref : les
résidents nés étrangers à l'étranger (rapport du HCI, 1991).
Après quelques années de résidence, certains immigrés ont pu devenir
français par acquisition, les autres restant étrangers, toutefois, né
étranger à l’étranger, il continue d’appartenir à la population immigrée
même si sa nationalité change. Cette stabilité de la qualification est
justement un trait important pour les statisticiens. Les acquisitions de
nationalité n’affectent pas le chiffre de la population immigrée.
Par définition, les enfants nés en France de parents immigrés ne font pas
partie de la population immigrée.
Au cours des années 1990, la variable “immigré” a supplanté la variable
“étranger”, et cela s’est traduit, par exemple à l’INSEE, par le changement
au milieu des années 90 de l’intitulé de publications caractéristiques
(Contours et caractères, Insee Première), qui s’illustre dans la liste
suivante :
§ « La population étrangère, Recensement de la population de 1990
», Insee Première, n° 150, juin 1991
§ « La population étrangère en 1990 par nationalité », Insee
Première, n° 217, juillet 1992
§ « Les étrangers en France », Contours et caractères, Insee, mai
1994
§ « La population immigrée, le résultat d’une longue histoire »,
Insee Première, n° 458, juin 1996
§ « Les immigrés en France », Contours et caractères, Insee, février
1997
- 216 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Les variables “étranger” et “immigré” ne sont pas bonnes ou mauvaises
en soi mais peuvent être plus ou moins pertinentes selon les questions
posées. cependant, la variable “étranger” est réellement pertinente,
particulièrement pour les questions du marché du travail par exemple, où
le critère de la nationalité structure les emplois et sépare ceux auxquels
on peut accéder de ceux auxquels on ne peut pas accéder. Un étranger
doit avoir une autorisation de travail pour travailler, ce qui n’est pas le cas
d’un non étranger.
Des exemples de bonnes pratiques
A — Des exemples de débats instruits sur internet
1. A l'initiative de deux chercheurs, Alain Blum (INED) et
Maurizio Gribaudi (EHESS), un débat public s'est engagé
entre chercheurs en sciences sociales, sur les modalités
d'utilisation des catégories ethniques en matière
d'immigration, d'intégration, et plus généralement
concernant la société française. Ce débat porte sur les
outils, théoriques et méthodologiques, aptes à saisir la
complexité présente dans les sociétés contemporaines. Une
liste très outillée de publications, de débats est
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
présente : http://www-user.ined.fr/~
blum/debat/DebatsurleWeb.html
2. L'association Pénombre a été créée en juin 1993, pour
développer un espace public de réflexion et d'échange sur
l'usage du nombre dans les débats de société.
http://ds.unil.ch/penombre
3. The IEHS (Immigration and Ethnic History Society Web
Page) website contains membership information, a list of
officers and committees, minutes of meetings, information
about the Journal of American Ethnic History and the Im-
migration and Ethnic History Newsletter, announcements of
prize and award competitions, information from the IEHS
program committee planning panels at future conferences,
and links to other organizations and research sites. http…
libertynet. org/balch/iehs
4. The H-ETHNIC Web page C, a member of the H-NET Hu-
manities & Social Sciences On-Line initiative. H-ETHNIC en-
courages scholarly discussion of ethnic history; immigration
and emigration studies and makes available diverse biblio-
graphical, research and teaching aids. H-ETHNIC's editorial
board serves a broad intellectual community. http…h-
net.msu.edu/~ethnic/
B —Le rapport français du Commissariat Général du Plan
Une source française qui pourrait fournir utilement, sans aucun doute, un
profil pour des approches et des démarches ultérieures est le rapport
récent du séminaire présidé par François Héran au Commissariat Général
du Plan (CGP) consacré à ce sujet1. Le premier intérêt que présente cette
1 Téléchargeable http…ladocumentationfrancaise.fr/BRP/024000590/0000.pdf et0001.pdf. Commissariat Général du Plan, Immigration, marché du travail,intégration, Rapport du séminaire présidé par François Héran, Documentationfrançaise, Octobre 2002. François Héran est actuellement Directeur de l’InstitutNational d’Etudes Démographiques (INED) ; Le Commissariat général du Plan(CGP) auprès du Premier Ministre, créé en 1946, a pour mission d’éclairer les choixpublics à travers quatre missions principales : La stratégie ; La prospective ;L’évaluation ; La concertation. Des commissions et groupes de travail rassemblentdes élus, partenaires économiques et sociaux, représentants des administrations,experts et personnalités qualifiées. On peut aussi se reporter au rapport précédentde la même institution publié quinze ans avant : Commissariat général du Plan,Immigration : le devoir d’insertion, Rapport issu du groupe de travail présidé parStéphane Hessel, 1987.
- 218 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
entrée est lié à son élaboration à partir de la présentation et de la
discussion de travaux français et étrangers, en associant aux chercheurs
des différentes disciplines concernées des représentants des partenaires
sociaux et des administrations. Le deuxième intérêt est qu’elle a permis
de recenser et de rassembler les principales sources statistiques
concernant le domaine, en réunissant à cette occasion les différents
institutions d’émission. Cette entrée a, d’ores et déjà, mené à une série
d’interrogations fructueuses dans la perspective du présent projet.
On trouve dans ce rapport les indications suivantes : En France, la
nationalité antérieure des personnes naturalisées est une question qui
figure à tous les recensements de la population organisés par l’INSEE
depuis 1962, à savoir 1968, 1975, 1982, 1990, 1999 et la distinction
entre Français de naissance, Français par naturalisation et étrangers
remonte au recensement de 1871.
En fait, la plupart des grandes enquêtes de l’INSEE permettent d’isoler la
catégorie des immigrés en les distinguant selon le pays de naissance.
Ainsi l’enquête Emploi (n= 80 000), l’enquête Formation–qualification
professionnelle (n=40 000 à 60 000), l’Échantillon démographique
permanent (extrait au 1/100 de la population recensée que l'INSEE
entretient depuis 1968) et c’est également vrai de la plupart des enquêtes
sur les conditions de vie des ménages.
Le rapport du Commissariat Général du Plan formule « quelques principes
pour la statistique publique » (Cf. François Héran, op. cit., « Les
immigrés et leurs descendants dans le système statistique français :
réflexions sur les pratiques et les principes », pp. 121-133, et
particulièrement 127-130).
Deux groupes de variables indicatrices doivent être distingués :
Les variables standard, régulièrement utilisées dans les grandes enquêtes
- L’ « indicateur de nationalité » : « Français de naissance / devenu
français / étranger »;
- Le pays de naissance qui couplé à l’indicateur de nationalité, permet
d’identifier les immigrés, au sens du Haut conseil à l’intégration (1991) –
c’est-à-dire “les personnes nées étrangères à l’étranger et installées en
France”, et de les ventiler le cas échéant selon l’origine nationale.
- L’année d’installation en France, qui permet de calculer la durée de
séjour, variable-clef de l’intégration et de substituer une « démographie
du temps » à une « démographie des groupes », c’est-à-dire d’éviter
qu’on impute à des différences culturelles ou nationales ce qui tient
d’abord au passage du temps (intégration progressive au pays d’accueil).
- 219 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Les variables spécifiques, construites pour les besoins d’enquêtes
spécialisées sur la mobilité ou l’intégration, poussent le questionnement
plus loin, en remontant d’une génération.
- Pays de naissance des parents ;
- Langue dite maternelle (langue dont usaient les parents en famille dans
la jeunesse de l’enquêté).
Sont proposées trois restrictions sur l’usage des variables spécifiques :
Elles sont construites uniquement pour les besoins d’une étude
particulière, n’ont pas vocation à être consolidées dans une nomenclature
standardisée d’usage universel (sur le modèle des diplômes, par
exemple), qui pourrait se diffuser ensuite dans les usages administratifs
et il est essentiel de ne pas isoler ces variables dans la phase
d’exploitation pour en faire par défaut des facteurs explicatifs de premier
rang. Cela incite à se donner les moyens de considérer les effets de
l’origine « toutes choses égales d’ailleurs », en intégrant dans le modèle
explicatif les autres éléments du statut (sexe, âge, origine et position
sociale, diplôme, revenu, habitat, conditions de vie en général, mais aussi
durée écoulée depuis l’entrée en France...) et à écarter ainsi la tentation
d’attribuer à l’origine nationale des parents des vertus qui sont en réalité
imputables à d’autres facteurs socio-démographiques. L’auteur insiste sur
ce dernier point en notant que les méthodes de régression multiple
constituent l’outil privilégié d’un tel contrôle, si l’on spécifie correctement
le modèle.
Les modèles d’analyse statistique opérant « toutes choses égales par
ailleurs », c’est-à-dire essayant d’identifier en quoi les immigrés se
différencient encore des nationaux quand on tient compte de leurs divers
handicaps sociaux (niveau d’instruction, habitat, charge familiale…),
permettent de vérifier que la différence immigrés/nationaux n’a rien
d’intrinsèque. Mais, poussés à l’extrême, ces modèles deviennent
tautologiques : s’il possédait les mêmes caractéristiques que le reste de la
population au lieu de cumuler les handicaps, l’immigré serait évidemment
intégré. Les difficultés d’intégration sont-elles toujours spécifiques à
l’intégration des immigrés ou ne tiennent-elles pas, pour certaines, aux
difficultés d’intégration des fractions inférieures des milieux populaires
dans l’ensemble du corps social ? Comment se répartit la charge du travail
d’intégration entre les diverses catégories sociales ou entre les diverses
catégories de communes classées selon leur profil social (notamment la
question du logement social) ? La coexistence des immigrés et des «
natifs » (souvent issus de vagues d’immigration plus anciennes) ne
concerne-t-elle pas d’abord les classes populaires ? Pour éviter d’imputer
hâtivement les écarts observés dans les chances d’accès aux biens de
toute sorte et dans les difficultés à des différences intrinsèques entre les
groupes alors qu’ils peuvent résulter pour une large part des conditions et
- 220 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
des circonstances de l’installation sur le territoire, la durée de séjour
(ancienneté), l’âge à l’entrée (moment de la socialisation), la date
d’entrée constituent des variables essentielles.
Ces approches amènent à envisager que les écarts résiduels observés
entre certaines nationalités d’origine seraient imputables à des effets de
discrimination. Il convient cependant de ne pas tenir cette conclusion pour
acquise tant qu’on n’a pas établi la réalité des comportements
discriminatoires par des observations et des interrogations directes. Les
propositions (n°40 sq, pp. 19-21) énoncées en entrée dans le rapport
portent sur cette question de la discrimination pour conclure que la lutte
contre les discriminations au travail ou ailleurs doit pouvoir s’appuyer sur
des études circonstanciées, qui abordent le problème dans sa double
dimension objective et subjective (n°50).
Le Haut Conseil à l'intégration s’appuyant sur les travaux de Michèle
Tribalat, démographe à l'INED avait proposé d’appeler « immigrés » les
personnes nées à l'étranger, entrées sur le territoire avec une nationalité
étrangère et résidant en France depuis un an au moins, en bref : les
résidents nés étrangers à l'étranger (rapport du HCI, 1991). François
Héran note qu’on peut étudier, partant de ce point de départ fixe, la
progression de l'assimilation avec le temps sans que le dénominateur des
taux ne varie en cours de route. Mais on reste « immigré » toute sa vie,
puisque les critères retenus sont liés au passé (lieu de naissance,
nationalité d'origine, franchissement d’une frontière même si la nationalité
a pu changer par la suite) : ce qui ne fait pas l'unanimité y compris à
l’INED, pour ceux qui ne se résignent pas à l’idée que l’on puisse assigner
pour la vie une personne à son lieu de naissance et à sa nationalité.
L’auteur rajoute que l’argument est toutefois affaibli par le fait que l’on
pourrait en dire autant d'une variable d'étude comme la catégorie sociale
des parents, pourtant indispensable aux études de mobilité sociale.
Un inconvénient : la définition officielle de l'immigré est difficile à mettre
en œuvre (des études comparées des recensements successifs révèlent
que beaucoup d'immigrés devenus Français, surtout s'ils sont entrés
jeunes en France, préfèrent se déclarer rétrospectivement « Français de
naissance », tant ils se sentent assimilés et soustraient de l'observation
instantanée une partie importante des immigrés.
Un point important : cette définition démographique de l'immigration
adoptée il y a dix ans en France n'est guère reconnue à l'étranger. Or les
pays d’Europe ne sont pas en phase du point de vue des cycles
migratoires et les projections démographiques qui figent durablement les
situations nationales sans prendre la mesure de ces déphasages
historiques n’ont guère d’intérêt. Il faut également en tenir compte si l’on
- 221 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
veut harmoniser convenablement les politiques migratoires d’un pays à
l’autre.
Des enquêtes récentes servent le thème …….
Mais il y a maintenant dans la statistique publique des enquêtes qui
poussent l’investigation plus loin en remontant d’une génération et
demandent le pays de naissance des parents (père ou mère), de façon à
cerner la situation des enfants d’immigrés et non plus seulement des
immigrés eux-mêmes ; toutes ces enquêtes ont obtenu le visa du Conseil
national de l’information statistique (CNIS) et ont été ensuite examinées
par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), qui a
accordé un avis favorable à leur traitement informatique : 1986,
Catherine Bonvalet, « Peuplement de Paris », INED ; 1992, Michèle
Tribalat, MGIS (« Mobilité géographique et insertion sociale»), INED –
INSEE ;
L’enquête « Étude de l’histoire familiale » (EHF) a été réalisée par l’INSEE
et l’INED en 1999. Elle est le prolongement de l’enquête «Famille»
réalisée en complément de chaque recensement de la population depuis
1954. En 1999, 380 000 personnes de 18 ans et plus vivant en logement
individuel ont répondu au questionnaire auto-administré en France
métropolitaine : 145 000 hommes et 235 000 femmes. Cette enquête a
été étendue également aux prisons et aux maisons de retraite. Le
questionnaire porte essentiellement sur les parcours familiaux (enfants et
unions), les trajectoires professionnelles, l’origine sociale, la transmission
familiale des langues. Par ailleurs, dans la plupart des cas, les
informations issues du bulletin de recensement de la personne, ainsi que
celles des autres membres de son ménage ont pu être retrouvées. Seules
les réponses des personnes ainsi appariées, soit 96,5 % des personnes
enquêtées, sont ici exploitées. En effet, la définition des familles
monoparentales repose sur une analyse des ménages et la présence
d’enfants au domicile ne pouvait être définie de façon certaine que
lorsqu’un bulletin de recensement avait été rempli. La pondération
élaborée par l’INSEE et l’INED, a donc été légèrement aménagée pour
tenir compte de cette différence de champ. Les chiffres qui ont été d’ores
et déjà présentés1 sont issus de l’exploitation du fichier définitif. Un travail
de redressement a été réalisé par l’INSEE et l’INED. Est contenue une
opération vaste sur la question des langues : le volet linguistique de
l’Étude sur l’histoire familiale porte sur un échantillon aléatoire où on
demande à chacun d’indiquer « en quelles langues, dialectes ou “patois” »
son père, puis sa mère, lui « parlait habituellement dans l’enfance, vers
1 http…sante.gouv.fr/drees/etude-resultat/er-pdf/er218.pdf
- 222 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
l’âge de cinq ans », et une génération plus tard, en quelles langues lui-
même a parlé habituellement à ses propres enfants quand ces derniers
avaient cinq ans. Il devient donc possible de retracer sur l’essentiel du
XXème siècle la dynamique de la diffusion des langues, en particulier la
rapidité du passage au français dans les vagues successives d’immigration
(groupe de travail réunissant des chercheurs de l’INED et de l’INSEE et
des sociolinguistes).
L’enquête : " histoire de vie " , à l'Institut national de la statistique et des
études économiques (INSEE), sur la construction des identités se déroule
actuellement auprès de 8000 personnes.
Elle a pour objectifs de décrire, de hiérarchiser et d'analyser les différents
types de liens sociaux qui permettent aux personnes de s'intégrer dans la
société française.
Le questionnement vise à mesurer comment chaque individu construit sa
relation aux autres et à la société en général, en fonction de sa trajectoire
personnelle (origines géographiques et sociales, mobilités, projets) et de
son appartenance à certains groupes sociaux (classe d'âge, situation
professionnelle, situation familiale, état de santé, engagement éthique,
pratiques culturelles). Les différentes catégories d'informations traitées
concernent respectivement :
- les repères biographiques : biographie familiale, résidentielle, vie
professionnelle, aisance financière, périodes de vie, événements
marquants ;
- les appartenances et les identifications : situation familiale, origines
géographiques (nationalité, langues, généalogie, parents, lieux
d'attachement), sphère des idées (politique, religion, convictions), sphère
professionnelle (situation par rapport à l'emploi), revenus et patrimoine,
loisirs et occupations, santé (handicaps, corps et apparence,
personnalité).
- les relations avec les autres et les discriminations (comportements
négatifs et positifs)1.
L’enquête : "seniors immigrés en france", lancée par de nombreuses
institutions (CNAV et l’INSEE, avec le concours de l'ARRCO, du FAS, de la
MSA, de la Caisse des Mines), vise à connaître la diversité des situations
des immigrés âgés. Familles séparées ou regroupées, hommes
célibataires ou mariés esseulés, chefs de ménage vivant en famille,
couples mixtes, femmes immigrées âgées vivant seules ou cohabitant
avec des enfants, diversité des origines..., les situations sont multiples.
Quels sont, selon ces situations, les profils de carrière, les histoires de vie,
les histoires familiales d’une génération à l’autre ? Quelles sont les
1 Cette enquête pourrait être un pilote intéressant pour l’Europe
- 223 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
perspectives de ces migrants, à l’heure de la construction de l’Europe et
de l’accélération des mouvements migratoires dans le monde ? La
nécessité de prendre en compte la réalité de la présence d'immigrés âgés
en France passe nécessairement par une meilleure connaissance de leurs
situations sociales, familiales et professionnelles, associée à l'étude de
leurs trajectoires et de leurs histoires de vie. Que signifie être âgé et
immigré, en termes de niveaux de vie, de modes de vie, de besoin de
logement, de santé, de services, d'aide sociale, de vie associative, de
souhaits ou de projets quant à l'avenir. Leur faible présence dans les
maisons de retraite, qui contraste avec le poids accru des vieux au sein
des foyers de travailleurs, montre la nécessité d’adapter les systèmes de
prise en charge existants aux problèmes spécifiques que peut poser le
vieillissement pour des personnes immigrées.
Les données de cette enquête peuvent avoir des retombées en terme de
politique sociale. Elle devrait aussi contribuer à faciliter les procédures de
gestion des retraites grâce à une meilleure évaluation des flux de
populations.
L'enquête en cours porte sur un échantillon aléatoire de personnes tirées
du recensement de 1999, parmi l'ensemble des personnes immigrées qui
vivaient en France à cette date. Les personnes sélectionnées présentent
les caractéristiques suivantes : elles sont âgées de 45 à 70 ans, nées non
françaises et hors de France. L'objectif est d'obtenir à partir d'un tirage de
12 000 fiches adresses, 6 à 7 000 questionnaires renseignés et complets.
Cette enquête bénéficie du concours du réseau d'enquêteurs
professionnels de l'INSEE, qui a une implantation nationale. Il a été tiré
6278 questionnaires. Un premier questionnaire "papier" a été testé auprès
de 50 personnes en juin 2001. Deux autres tests "CAPI" (le questionnaire
a été informatisé) ont suivi en janvier et juin 2002, dans cinq régions
différentes. 25 enquêteurs et 350 personnes au total y ont participé. Ces
tests ont confirmé la grande diversité des situations d'immigration selon
les régions et notamment l'importance de l'immigration de retraite dans le
Sud, ou les particularités des frontaliers dans le Nord.
Calendrier : La phase de collecte des données a débuté mi-novembre
2002 et devrait être achevée en février 2003. Les premiers résultats sont
prévus pour le dernier trimestre de l'année 2003.
Le programme de recherches sur le thème des “circulations migratoires”,
lancé par la Mission Recherche (Mire) avec l'appui de la Direction des
Populations et des Migrations (Ministère de l’intérieur) et du FASILD
(Fonds d'action et de soutien pour l'intégration)1
1 Cf. Cahiers de recherches de la MIRE, 2001-2003, n° 12 à 16 ; Migrations études,n° 98 , 2001 et 108, 2002, Migrations et Société n°90, 2002, Hommes etMigrations, n°1233, 2001 et 1240, 2002, Cahiers de l’INED, n° 149, 2002, Rev.Europ. des Mig. Intern., n°20, 2004. Voir aussi la synthèse du programme rédigée
- 224 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
………. Mais les résultats montrent fréquemment des lacunes en matière de
croisements statistiques “étrangers”, “immigrés”, Famille
Aujourd’hui, à partir des variables qui sont quasiment dans toutes les
grandes enquêtes et le recensement, on a tous les éléments pour traiter
les questions d’immigrations et celles concernant les familles.
C’est-à-dire que sont présentes du point de vue statistique, dans toutes
les enquêtes existantes, les variables étrangers et immigrés : nationalité
des personnes, nationalité de naissance ou par acquisition, lieu de
naissance, etc. Partant, on peut exploiter toutes ces enquêtes
(recensement, enquête-emploi, condition de vie, enquête dite famille,
etc.) aussi bien au regard de la variable étranger, qu’immigré. Avec, en
plus, une enquête ad hoc famille qui va approfondir toutes les questions
de ce que l’on appelle identité ou origine.
Dans ces mêmes enquêtes, sont toujours présentes les variables “famille”,
c’est-à-dire leur quotient familial (réduction fiscale associée à la présence
d’enfant dans le ménage), statut marital, conjugal, nombre et âge des
enfants, configuration familiale, divorce, etc.
D’une certaine manière, dans la production statistique routinière, on a les
deux types d’ensemble de variables qui existent et la variable
étranger/immigré est assez bien exploitée.
Il y a notamment une publication récente de l’INSEE au regard de tout un
ensemble de questions : le logement, l’emploi, la fécondité. La variable
famille est bien exploitée même si elle n’est pas exploitée suffisamment
sous tous les aspects, pas exploitée systématiquement.
Par exemple, beaucoup de gens travaillent sur les corrélations ou même
les relations de causalité entre l’emploi et la famille (par exemple :
Famille et chômage, Haut Conseil à la Population, juillet 1999) notamment
en considérant le nombre d’enfants. Or, dans la publication de l’enquête
emploi, il y a beaucoup de tables croisées mais pas ceux qui conduiraient
à croiser les variables “famille” avec tout ce qui est lié à l’emploi, secteurs
d’activités, catégories socioprofessionnelles, etc.
Il y a sans doute une sous-exploitation dans la production standard de
l’INSEE, mais la dimension famille est beaucoup plus utilisée dans des
enquêtes ad hoc ponctuelles, liées à un chercheur et il y a une commande
institutionnelle à un moment donné.
Les variables existent, il y a tout ce qu’il faut dans l’appareil statistique
français pour étudier les croisements.
Mais il y a aujourd’hui a fortiori encore moins d’exploitation systématique
avec des croisements immigrations, étrangers, immigrés, et dimension
familiale, et aucune d’ailleurs de façon routinière.
par Patrick du Cheyron, à paraître en 2004 dans la Revue française des affairessociales.
- 225 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Quand on regarde les publications de l’enquête emploi on va avoir à un
moment donné étrangers ou immigrés mais avec en sortie uniquement un
taux de chômage par secteur d’activité, mais rien par rapport à la famille,
et a contrario partant de la famille, on observe des sorties en matière
d’emploi mais rien de croisé avec étranger, immigré.
On peut prendre un exemple dans une publication récente de l’INSEE à
partir du recensement de 1999 (livre + Cd).
Reste à noter, enfin, qu’il est d’usage dans les institutions nationales
relevant de l’Etat ou de la Sécurité sociale, par exemple, de parer à
d’éventuelles utilisations “abusives” de certaines données sensibles, de
façon impropre, voire stigmatisante, dans la controverse politique, en ne
réalisant pas un certain nombre de croisements, tel que l’origine des
bénéficiaires de prestation sociales, ou de les agréger à d’autres comme
dans le cas de la population des prisons, pour empêcher la confection d’un
pourcentage d’immigrés dans les prisons françaises qui, pour le
statisticien, n’ a aucun sens en dehors des effets de structure.
R emarque complémentaire : les situations des déboutés et des mineurs
isolés mériteraient un examen plus approfondi
D’une part, la situation des mineurs étrangers isolés qui arrivent aux
frontières de la France sans représentant légal, généralement sans point
de chute ou relais familial renvoie immédiatement à de nombreux dangers
liés à l'errance, aux réseaux criminels, etc. Or, ces mineurs ne sont pas
traités comme des mineurs en danger mais simplement comme des
mineurs sans représentants légaux, en l'absence de représentant de
l'autorité parentale : Cette position illustre une lecture extrêmement
étroite du critère de danger posé par le code civil souligne Michèle Creoff,
Inspectrice principale des affaires sanitaires et sociales, spécialiste de la
protection de l'enfance dans une importante contribution accessible sur
internet1. Cette question des mineurs isolés est aujourd’hui une question
cruciale parmi celles relevant de la protection de l’enfance et, partant, de
la politique familiale des Etats.
D’autre part, sur la population entrant sur le territoire et faisant une
demande d’asile, une partie est déboutée et devient clandestine. Ce
problème n’est pas seulement lié aux individus, un par un, mais aussi à
leur famille. Ce faisant, l’impact de la décision touche plusieurs personnes.
Il n’existe pas aujourd’hui de donnée ou trop peu pour permettre
d’objectiver les situations qui paraissent recouvrir des parcours familiaux,
1 Cf. http…gisti.org/doc/plein-droit/52/danger.html : Michèle Creoff, « Mineursétrangers isolés en danger », Qu'est ce qu'un enfant en danger ? Plein Droit n° 52,mars 2002, Inspectrice principale des affaires sanitaires et sociales, spécialiste dela protection de l'enfance
- 226 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
éventuellement des familles à un seul parent. Il n’existe que de rares
études issues de témoignages provenant d’associations telles que l’Ordre
de Malte ou France terre d’asile ou, encore, des travailleurs sociaux, qui
tendent à indiquer cette dimension familiale. En réalité, il n’y a pas pour
ces personnes de catégories administratives et, partant, pas de structures
dédiées aux déboutés, de données, peu de recherches, une difficulté à
construire une doctrine en matière de prise en charge, de protection
sociale.
Dans ces deux cas, l’absence de chiffrage ne facilite pas la mise sur
agenda et confine le sort de ces personnes et des familles qui leur sont
liées au “non-problème” politique.
- 227 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
GRÈCE- CHAP. 15 - DÉVELOPPEMENT DURABLE : LES MIGRANTS
À LA CROISÉE DE L’ESPACE ET DU TEMPS
VIVIE PAPADIMITRIOU
Introduction
Migrations
La situation actuelle de la Grèce en matière de migrations
DéfinitionsImmigration régulièreImmigration clandestineRéfugiés et demandeurs d’asile
Situation des migrants par rapport à l’emploi
PROBLÈMES STATISTIQUES
Analyse des données disponibles relatives aux profil des migrantscandidats au permis de séjour temporaire (carte blanche)NationalitéSexeRépartition géographique des migrantsProfil migratoire des régions
PRINCIPAUX DÉBATS : LE REGROUPEMENT FAMILIAL ET LES MINEURS ISOLÉS
Enquête du F.C.C.C. sur les mineurs isolés
Le temps des personnes migrantes
Législation en matière de congésDéfinition de la notion de temps libreEnquête sur l’usage du temps par les migrants du Professeur KoulaKassimati de l’Université du PanthéonRésultats de la recherche réalisée par MRB HellasEnquête sur l’usage du temps par les migrants réalisée par le F.C.C.C.
Recommandations
Références bibliographiquesSites Internet de référenceAnnexe : questionnaire de l’enquête du F.C.C.C.
- 228 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Introduction
Dans le cadre de ce rapport, le F.C.C.C. (Family and Child Care Centre)1
s’est donné comme objectif l’analyse de la situation socio-démographique
des migrants actuellement résidant en Grèce et des usages du temps
pratiqués au sein de cette population, en se basant sur la méthodologie
des enquêtes budget-temps.
Préalablement à cette recherche, l’état des lieux des politiques de
migrations en Grèce et dans l’Union européenne a été réalisé.
La situation actuelle de la Grèce en matière de migrations
Le nombre d’Etats membres de l’Union européenne qui sont des pays de
destination pour l’immigration a augmenté considérablement. La Grèce,
en particulier, rencontre, depuis les années quatre-vingt, une situation
inédite dans ce domaine. Quant à l’Union européenne, elle travaille à
l’harmonisation des politiques d’asile non seulement au sein des Etats
membres actuels mais également avec les pays qui vont faire partie du
prochain élargissement.
Depuis la fin de la Guerre froide, la Grèce doit faire face à un nombre
considérable de réfugiés politiques et économiques en provenance des
Etats de l’ex-Union soviétique, ainsi que de personnes d’origine grecque
qui souhaitent rentrer au pays. On estime à 80.000, le nombre de
personnes grecques originaires de régions proches de la Mer Noire
(Pontos) qui sont rentrées en Grèce au cours de ces dix dernières années
et entre 350.000 à 500.000, les personnes d’origine grecque (Epire du
Nord) qui sont rentrées d’Albanie.
La Grèce est, par ailleurs, un pays de transit2 pour un certains nombre de
migrants, en raison de sa frontière commune avec plusieurs Etats et de sa
facilité d’accès par la mer.
Selon les prévisions de l’Organisation des Nations Unies , en 2015, la
Grèce devrait compter environ 3,5 millions d’immigrés sur une populations
totale de 14,2 millions de personnes. Actuellement, les immigrés
représentent 7% de la population hellénique, soit le pourcentage le plus
élevé de l’Union européenne, à l’exception du Luxembourg. Ce chiffre
1 Centre de Soutien pour la Famille et l’Enfant2 La période de transit est évaluée entre trois et cinq ans
- 229 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
pourrait progresser jusqu’à atteindre 25% de la population selon certaines
extrapolations.
Selon une étude récente réalisée par l’Université du Panthéon,
l’émigration vers la Grèce suit une progression ascendante et possède un
certain nombre de caractéristiques :
- Lors du recensement de 1981, 176.119 personnes immigrées ont été
enregistrées contre 797.093 lors du recensement réalisé en 2001.
Parmi les ressortissants des Etats de l’ex-Union soviétique, une majorité
importante des migrants sont des femmes.
- La majorité des migrants ont entre 30 et 34 ans, ce qui correspond à la
classe d’âge pour laquelle le taux d’emploi est le plus élevé.
- Deux migrants sur trois sont des hommes. Parmi ceux-ci, 65%
proviennent d’Albanie, 6,5% de Bulgarie, 4,5% de Roumanie, 4,2% du
Pakistan, 2,6% d’Ukraine, etc. En raison de l’importance de l’émigration
de l’Albanie vers la Grèce, le gouvernement grec envisage d’accorder à
300.000 migrants originaire de ce pays la possibilité d’acquérir la
nationalité grecque1. Cette annonce n’a néanmoins pas encore été
confirmée officiellement.
- 51,2% des étrangers qui ont introduit une demande de permis de séjour
sont mariés.
- Un peu moins de la moitié des hommes immigrés (42,8%) travaille dans
le secteur de la construction et un peu moins d’un quart (23,7%) dans
l’industrie manufacturière. En ce qui concerne les femmes immigrées, la
majorité (55%) travaille comme femmes de ménage et 14% dans le
secteur de l’hôtellerie et de la restauration. Selon une enquête réalisée
par les Autorités de l’Administration Indépendante du « Défenseur des
Citoyens », les migrants sont souvent surqualifiés par rapport aux emplois
qu’ils occupent. Leurs salaires sont modestes, ils ne bénéficient pas de la
sécurité sociale et ils n’ont pas la possibilité de se regrouper avec leurs
compatriotes pour défendre leurs conditions de travail ni d’adhérer à une
organisation syndicale.
- 37,05% des migrants ont terminé leurs études primaires, 49,16% leurs
études secondaires et 8,89% sont titulaires d’un diplôme universitaire.
- Selon les données officielles disponibles, la proportion de femmes
immigrées titulaire d’un diplôme de l’enseignement secondaire ou
universitaire est supérieur à celle des hommes.
La société grecque (MRB Hellas)2 a réalisé, pour sa part, une recherche,
qui a abouti à des conclusions similaires. 491 interviews de personnes
1 Journal Kathimerini, 13/06/2003.2 MRB Hellas, « Tendances des Groupes sociaux – Immigrés dans la préfecture dela capitale grecque », juin 2002.
- 230 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
immigrées ont été réalisées. Celles-ci étaient réparties en quatre
groupes :
- Les personnes originaires d’Albanie (51,9% de l’échantillon) ;
- Les personnes originaires des pays de l’Europe centrale et orientale, des
Balkans et des Etats de l’ex-Union soviétique (Bulgarie, Roumanie,
Pologne, Ukraine, Géorgie, Arménie, Yougoslavie, Moldavie) (22,2% de
l’échantillon) ;
- Les personnes originaires d’Asie (Pakistan, Bengladesh, Philippines,
Inde, Sri Lanka) (13,6% de l’échantillon) ;
- Les personnes originaires du Proche-Orient et d’Afrique (Egypte, Irak,
Syrie, Nigeria, Ethiopie) (12,2% de l’échantillon).
D’après les résultats de la recherche, 65% des migrants vivent en famille
et 44% avec leurs enfants. La moitié des migrants sont en Grèce depuis 6
à 10 ans, parmi lesquels sont sur-représentées les personnes originaires
d’Albanie. De la même façon, parmi les 44,2% de migrants âgés de 25 à
34 ans, la plupart sont originaires d’Albanie, alors que la majorité des
migrants de plus de 45 ans proviennent de l’Europe de l’Est et des
Balkans.
Le tableau (page suivante) tente de faire la synthèse des principales
difficultés rencontrées par les migrants en Grèce.2
78% des migrants interrogés se déclarent satisfaits de leurs conditions de
vie en Grèce avec néanmoins un taux de satisfaction moindre pour les
personnes en provenance d’Asie, d’Afrique et du Proche-Orient. Selon un
article publié précédemment par MRB Hellas, il apparaît que 53% des
migrants souhaitent rester en Grèce, tandis que 17% envisage de
s’installer aux Etats-Unis, 9,7% en Italie, 8,4% en Allemagne et 7,8% en
Grande-Bretagne.
2 MRB Hellas, op.c.
- 231 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Difficultés par
pays ou région
d’origine
(en%)
Albanie Europe
centrale,
orientale
et Balkans
Asie Afrique et
Proche-
Orient
Moyenne
Racisme 29,0 13,9 23,5 30,9 25,1
Difficultés
économiques
24,7 26,6 26,1 21,6 24,9
Chômage 18,1 17,2 25,1 28,2 20,1
Crainte de
l’expulsion
21,6 16,9 5,7 17,2 17,9
Difficulté
d’obtention du
permis de séjour
9,3 6,5 9,8 11,5 9,1
Bureaucratie 6,2 9,9 8,6 9,4 7,7
Mauvaises
conditions de
travail
7,4 5,6 8,6 10,0 7,5
Difficultés pour
entrer et sortir
du pays d’accueil
4,2 3,4 10,2 5,9 5,0
Insuffisance de
couverture et
d’assistance
sociale
4,0 7,6 5,1 3,8 4,9
Isolement social 4,5 4,0 9,5 2,5 4,8
D’après la recherche réalisée en juin 2002, il ressort, en outre, que 44,2%
des migrants sont insatisfaits de leurs revenus. Néanmoins, 53,4% ont
une évaluation positive du système de santé, 53,8% des prestations de
sécurité sociale et 62,4% des relations avec leurs employeurs.
Enfin, une majorité de migrants (51%) se déclare également satisfaits de
leur vie sociale et plus des trois quart (79%) se sentent libre de pratiquer
leur religion.
Des études publiées au cours de ces dernières années et des débats
politique actuels, il ressort, qu’en Grèce, les problèmes majeurs liés à
l’immigration aujourd’hui sont l’inadaptation des procédures légales
d’immigration, l’inadéquation de l’emploi disponible avec les qualifications
- 232 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
des migrants, leur difficulté à construire des réseaux de solidarité et
l’immigration clandestine.
L’absence de politique officielle d’immigration se fait sentir et la mise en
œuvre par l’administration de mesures en faveur d’une meilleure
intégration des migrants est urgente et nécessaire. Pour parvenir à des
résultats, la politique d’immigration doit prendre en compte les questions
sociales et s’appuyer notamment sur des collaborations avec les
associations de la société civile actives dans ce domaine.1
Définitions et statuts
Dans la perspective de pouvoir établir des comparaisons au niveau
européen dans le cadre de la présente recherche, nous présentons ci-
dessous plusieurs définitions des migrants en fonction de leur statut
migratoire.
D’une manière générale, les migrants sont des personnes qui quittent
volontairement ou involontairement leur pays pour des raisons politiques,
familiales ou économiques. Ils peuvent être reconnus comme réfugiés
politiques si la migration à pour origine des persécutions d’ordre raciste,
liées à la religion ou à leurs opinions politiques.
Les « réfugiés économiques », par contre, sont des personnes dont la
décision d’émigrer est motivée par des raisons liées au marché du travail.
Immigration régulière
Les immigrés réguliers sont :
- Les personnes qui sont entrées dans le pays d’accueil dans le cadre des
procédures d’immigration officielles, qui possèdent un permis de séjour et
un permis de travail. Les personnes d’origine grecque mais ressortissante
d’un pays étrangers sont reprises dans cette catégorie.
- Les ressortissants d’un Etats membre de l’Union européenne, en raison
de la libre circulation, ont le droit de s’installer en Grèce et obtiennent un
permis de séjour et un permis de travail sur simple demande.
1 Données tirées d’une étude réalisée par Iordannis Psimmenos, Professeur desociologie à l’Université d’Athènes (dans le cadre d’un ouvrage collectif consacré àl’immigration publié en 2000)
- 233 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Les personnes qui sont ressortissante d’un pays situé en dehors de l’Union
européenne doivent être en possession d’un permis pour séjourner en
Grèce (Loi 1975/91 sur les étrangers).
Pour obtenir un permis de séjour d’une durée d’un an (carte verte
renouvelable), le candidat doit fournir (Loi 2910/mai 2001) : Une
attestation de travail certifiée par l’employeur sur base d’un contrat ; une
adresse de résidence ; une assurance sociale.
Le permis de séjour donne aux migrants les mêmes droits qu’aux
ressortissants grecs en matière notamment de remboursement des soins
de santé et des médicaments, de congé de maternité, de congé parental,
de congé pour soins aux personnes dépendantes de la famille (parents
âgés dépendants, personnes handicapées).
Immigration clandestine
Cette catégorie recouvre la plupart du temps (60% de l’immigration
clandestine) des personnes qui sont entrées dans le pays avec un visa de
touriste, comme étudiant ou pour des raisons professionnelles et qui ont
prolongé leur séjour au-delà de la limite de validité de leur titre de séjour.
Réfugiés et demandeurs d’asile
Les réfugiés sont des personnes qui entrent dans le pays dans le cadre de
l’Article 1, paragraphe 2(A) de la Convention de Genève (de 1951) et qui
sont reconnus comme tels par les autorités grecques.
Ils bénéficient des soins médicaux et pharmaceutiques gratuits et les
enfants ont le droit de fréquenter l’école. D’une manière générale, leurs
droits sont identiques à ceux des ressortissants grecs. Les personnes
handicapées ont également accès aux mêmes aides que les nationaux
dans la même situation.
Onze centres de réception pour les candidats réfugiés sont répartis dans
les grandes villes du pays où ils sont accueillis dans des conditions
décentes et ont la possibilité de suivre des cours de langue.
A la suite d’une décision de la Hiérarchie du Synode de 1984, l’Eglise
orthodoxe, dans le cadre d’un plan pour la protection des réfugiés et des
- 234 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
immigrés, a mis en œuvre un programme de construction de maisons et
d’hôpitaux, ainsi que d’organisation de soins médicaux et de fourniture de
repas.
Situation des migrants par rapport à l’emploi
Selon la Loi 1975/1991 sur les étrangers, toutes les personnes étrangères
qui résident légalement sur le territoire grec ont le droit d’exercer leur
profession dans le cadre d’un emploi, dans la mesure où ils satisfont aux
critères de connaissances et de compétences requises.
Les personnes en situation régulière en possession d’un permis de travail
sont essentiellement employées dans le secteurs des services, ainsi que
l’hôtellerie et la restauration. Un petit nombre d’entre aux travaillent dans
le secteur des transports et des communications, et dans l’industrie.
L’analyse de l’emploi des migrants originaires de pays tiers de l’Union
européenne présente un intérêt particulier. L’emploi de ces personnes
influence le marché du travail grec et la situation en matière de chômage.
Selon la Confédération du Travail, les migrants non-européens en
situation illégale occupent principalement des emplois saisonniers dans les
secteurs de l’agriculture ou de la pêche (personnes originaires d’Egypte,
de Pologne et d’Asie), du tourisme, des hôpitaux ou des services
domestiques (femmes en provenance d’Albanie et des Philippines), de la
construction (personnes originaires de Pologne et d’Albanie) et de
l’artisanat.
L’emploi non déclaré est évalué à 9% de la population active et
représente 20% de l’emploi de type salarié en raison de la nature des
activités concernées. Un travailleur clandestin coûte à l’employeur entre la
moitié et deux tiers de moins qu’un travailleur déclaré en raison des
économies réalisées sur les cotisations de sécurité sociale et du fait que
les heures supplémentaires ne sont pas rémunérées. Ces personnes
composent ce qui est appelé le secteur de « l’économie informelle ».
D’après les données disponible, on constate une spécialisation ethnique
des migrants à la fois du point de vue des secteurs d’activité économique
que sur le plan géographique des régions où ils s’installent. Les
ressortissants albanais, par exemple, sont majoritairement occupés dans
le secteur agricole (culture et élevage), tandis que les Polonais travaillent
- 235 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
dans la construction et les Philippins dans les services domestiques. La
plus grande partie d’entre eux sont installés à Athènes et dans ses
environs.
- 236 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Les migrants en situation irrégulière possèdent des caractéristiques
communes. Ils ont tendance à déménager et à changer d’emploi
souvent. Leurs salaires et leurs horaires de travail sont très flexibles. Ils
sont confrontés davantage que les migrants en situation régulière aux
problèmes de langue et de différences de mentalités.
D’après la recherche réalisée par MRB Hellas déjà citée1, parmi les 85%
des migrants qui travaillent dans le secteur formel, 23,3% sont employés
dans la construction (principalement les Albanais), 13,4% sont
commerçants (surtout les personnes originaires d’Asie et d’Afrique) et
13% travaillent dans les services domestiques (en majorité les femmes en
provenance de l’Europe centrale et orientale et des Balkans).
48,4% des migrants travaillent 8 heures par jour et 29,5%
(essentiellement les personnes originaires du Proche-Orient et d’Afrique et
Ethiopie) entre 9 et 12 heures par jour. Il est très important de constater
que la majorité des migrants (67,2%) bénéficient d’une couverture
sociale, 10% sont couverts d’une autre manière et 21,8% n’ont aucune
assurance sociale (surtout les femmes originaires d’Asie, du Proche Orient
et d’Afrique et Ethiopie).
Problème statistiques
Théoriquement, le dénombrement des personnes d’origine étrangères
vivant en Grèce devrait être simple. En pratique, il se heurte à
d’importantes difficultés et un examen approfondi des données relevant
des différentes sources disponibles est rendu nécessaire.2
Ces difficultés sont dues aux raisons suivantes :
- A partir des années quatre-vingt-dix, se produit une arrivée massive de
migrants en provenance d’Albanie, parmi lesquels des personnes d’origine
grecque venant de l’Epire du Nord (sud de l’Albanie), ainsi que de
personnes d’origine grecque fuyant les Etats de l’ex-Union soviétique pour
des raisons politiques.
- Les critères imposés par les autorités pour le calcul du nombre
d’immigrés sont vagues.
1 MRB Hellas, op.c.2 Karydis X. Vassilis, 1996. « La criminalité des immigrés en Grèce. Questionsthéoriques et politique anti-criminelle », Athènes, Papazissis.
- 237 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
- Dans de nombreux cas, des immigrés clandestins en possession d’un
permis de travail saisonnier ou d’un permis de travail temporaire dont
l’échéance est dépassée sont considérés comme légaux par les
statistiques.
- S’ajoute à cette situation, l’incapacité à recueillir des informations sur les
personnes qui sont entrées légalement sur le territoire mais qui ont
prolongé leur séjour après l’expiration de leur permis de séjour ou de leur
visa.
Analyse des données disponibles relatives aux profils des migrants
candidats au permis de séjour temporaire (carte blanche)
Notre analyse se fonde sur les données recueillies par l’Institut National
du Travail (I.N.T.) qui a mené la première recherche systématique en ce
qui concerne le recensement des immigrés en Grèce. Grâce à cette
initiative, sont disponibles pour la première fois des données relatives à la
nationalité, au sexe, à l’âge, à la situation familiale, au niveau d’éducation
et à la localisation des migrants sur le territoire.
Dans une seconde étape, l’analyse des données fournies par l’I.N.T. a
permis d’appréhender l’adéquation entre les caractéristiques socio-
économiques des migrants en fonction de leur nationalité d’origine et les
politiques développées par le gouvernement. Des différences importantes
apparaissent, en effet, entre les différentes nationalités de migrants qui
sont susceptibles de justifier l’adoption de mesures politiques également
différenciées.
Selon l’I.N.T., les données relatives aux immigrés qui ont demandé la
carte blanche peuvent être considérées comme très fiables1. Par ailleurs,
des données quantitatives sur les personnes migrantes en situation
clandestines sont également disponibles, bien que quelques réserves sont
en droit d’être soulevées par rapport à l’interprétation douteuse de
certains éléments d’archives.
1 En 1997, une loi sur l’enregistrement des immigrés en provenance de pays tiersde l’Union européenne est entrée en vigueur selon laquelle les personnesdemandant l’obtention d’un permis de séjour et de travail à durée déterminéedoivent se faire enregistrer auprès de l’Organisation pour l’Emploi et la Force deTravail (OAED).
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Nationalité
Les migrants qui ont introduit une demande de carte blanche
représentent plus de 120 nationalités dans le monde entier. Presque
tous les continents sont représentés. Néanmoins, malgré cette énorme
diversité, la majorité écrasante des migrants proviennent d’un petit
nombre de pays. En particulier, 91% des migrants sont originaires des
dix pays que sont l’Albanie, la Bulgarie, la Roumanie, le Pakistan,
l’Ukraine, la Pologne, La Géorgie, l’Inde, l’Egypte et les Philippines.
L’Albanie est le premier pays d’émigration vers la Grèce et 65% des
personnes qui ont introduit une demande de carte blanche sont de
nationalité albanaise. Vient ensuite la Bulgarie dont sont originaires
seulement 6,8% des candidats à la carte blanche. La prédominance de
l’Albanie est énorme en nombre de personnes compte tenu de l’écart de
pourcentage avec le deuxième pays qu’est la Bulgarie.
La Roumanie est le troisième pays le plus important comme pays d’origine
des immigrés avec 4,6% des candidats porteur la nationalité roumaine. Le
Pakistan suit avec 2,9%, l’Ukraine avec 2,6%, la Pologne avec 2,3%, la
Géorgie avec 2,0%, l’Inde et l’Egypte avec 1,7% chacun, les Philippines
avec 1,4% et la Moldavie avec 1,2%. Les autres pays ensemble
représentent 1% des personnes qui ont introduit une demande de carte
blanche.
Le fait que les pays d’émigration les plus importants soient des pays
balkaniques voisins de la Grèce n’est pas sans répercussions sur la forme
de l’immigration et sur l’intégration des migrants en Grèce.
Sexe
D’après l’analyse des données disponibles, les femmes ne
représenteraient que 26% du total des migrants qui ont demandé la carte
blanche. Néanmoins, leur profil se différencie de manière sensible de celui
des hommes. L’apparition de la Bulgarie au deuxième rang des
nationalités d’origine des migrants notamment s’explique essentiellement
par la présence de 15% de femmes de cette nationalité, alors que les
hommes bulgare ne représentent que 3,9%.
- 239 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
La deuxième nationalité représentée parmi les migrants masculins, après
l’albanaise (72,6%) est la nationalité roumaine, alors que la troisième et
la quatrième sont respectivement les nationalités pakistanaise et bulgare.
En ce qui concerne les femmes, après l’Albanie et la Bulgarie, le troisième
pays d’origine par ordre d’importance est l’Ukraine avec 8,2% du total,
alors que ce pays n’arrive qu’au onzième rang pour les hommes, avec un
pourcentage de seulement 0,7%.
En conclusion, il s’agit de souligner que l’émigration en provenance de
certains pays est presque exclusivement masculine. C’est le cas du
Pakistan et de l’Inde où la part des hommes représente respectivement
99,5% et 98% des candidats à la carte blanche. Ce phénomène de
supériorité numérique d’un sexe sur l’autre se vérifie par contre au profit
des femmes en ce qui concerne les Philippines, l’Ukraine et la Moldavie.
Les femmes représentent respectivement 83%, 80% et 74% du total
des personnes de ces origines.
Profil migratoire des régions
Certaines préfectures concentrent la plupart des migrants. C’est le cas de
la région d’Attiki où sont installés 44,2% de ceux-ci. Vient ensuite la
Macédoine centrale où vit 15% de la population immigrée, le Péloponnèse
avec 6,8%, la Grèce continentale avec 6,5%, la région de Thessalie avec
6,1%, la Crète avec 5,7% et la région occidentale de la Grèce avec 5,3%
du total des immigrés.
La plupart de ces personnes sont des migrants économiques qui
travaillent où sont à la recherche d’un emploi. Elles représentent, de ce
fait, un pourcentage non négligeable de la population active.
Selon le Bureau national du Travail, la part des personnes immigrées dans
la population active est assez importante. Les données de la recherche
nationale de 1997 confirme cette appréciation puisque, pour cette année,
sur les 4.294.408 personnes comptabilisées dans la population active,
371.641 personnes étaient des migrants qui ont demandé une carte
blanche, soit 8,65%.
A l’opposé, parmi les régions qui se caractérisent par un faible taux
d’immigrés en comparaison à leur population active, figurent la Macédoine
de l’Est et la Thrace où les migrants représentent 5,9% de la population
- 240 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
active de la région et 2,1% du total des immigrés, ainsi que l’Epire où ils
constituent 2,6% de la population active et 1,5% du total des immigrés.
L’analyse de la nationalité des migrants revêt un grand intérêt. La région
d’Attiki, par exemple, présente un importante diversité en ce qui concerne
l’origine des populations immigrées avec néanmoins 52,7% d’Albanais, la
deuxième nationalité par ordre d’importance étant les Pakistanais avec
6,2% du total.
La Préfecture de Grèce continentale se caractérise par une importante
population indienne qui représente 7,9% des immigrés alors que ce
groupe ne constitue que 1,7% de l’ensemble des migrants au niveau
national. De la même façon, les Géorgiens représentent 5,8% de la
population étrangère de la Macédoine centrale, alors qu’ils ne constituent
que 2% de l’immigration en Grèce.
Les Albanais constituent, on l’a vu, un cas très particulier en raison de
l’importance de leur communauté qui constitue 65% de la population
immigrée en Grèce. Néanmoins, dans certaines régions, ils représentent la
quasi totalité de l’immigration. C’est le cas de la Macédoine occidentale où
les Albanais représentent 95,5% de la population étrangère, de l’Epire
avec 95,3%, de la région de Thessalie avec 89,2%, des Iles Ioniennes
avec 87% et de la Macédoine centrale avec 80,6%.
Par ailleurs, la répartition géographique par nationalité d’origine coexiste
avec une répartition géographique des migrants en fonction du sexe. C’est
ainsi que parmi les personnes en provenance d’Albanie, il apparaît que
54,3% des femmes se concentrent dans la région d’Attiki contre
seulement 31,6% des hommes.
Il résulte, par ailleurs, de l’analyse territoriale des données que des
différences importantes au niveau des préfectures ne se retrouvent pas
nécessairement au niveau des chiffres régionaux agrégés. La recherche
menée par le B.N.T. souligne néanmoins que la répartition des migrants
entre les préfectures semblent liée à des différences au niveau régional.
Si l’analyse des différences régionales en matière de concentration des
immigrés en fonction de leur sexe et de leur nationalité est intéressante,
l’étude de la situation au niveau des préfectures permet de s’intéresser
au caractère plus ou moins urbain de l’immigration.
- 241 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
C’est ainsi que la ville d’Athènes accueille 39,4% des migrants qui ont
demandé la carte blanche. Vient ensuite la préfecture de Thessalonique
avec 7,1%, la région d’Attiki avec 4,8% et la préfecture de Larissa avec
2,5%.
A l’inverse, certaines préfectures n’accueillent qu’un très petit nombre
d’immigrés. La préfecture d’Euritanie dénombre seulement 91 personnes
d’origine étrangère inscrites (0,0% de la population), la préfecture d’Evros
251 (0,1%), la préfecture de Rodopi 306 (0,1%), la préfecture de Lefkada
549 (0,1%), la préfecture de Xanthi 646 (0,2%) et la préfecture de Chios
730 (0,2%).
Au niveau des préfectures, la répartition des migrants par sexe est très
variée. Il apparaît néanmoins que la population féminine est beaucoup
plus urbanisée que la population masculine. 52,8% des femmes
immigrées sont installées à Athènes, alors que c’est le cas de 34,5% des
hommes seulement. Ceux-ci, contrairement au femmes, sont davantage
présents dans les régions agricoles. Par exemple, dans les environs
d’Attiki, les préfectures de Larissa, de Phthyotide, de Voiotia, de Pella et
de Hymathia, le pourcentage des hommes immigrés par rapport à la
population étrangère totale est beaucoup plus élevé que le même
pourcentage calculé pour les femmes.
Dans certaines préfectures, le rapport entre les migrants de nationalité
albanaise et la population étrangère totale est beaucoup plus elevé que la
moyenne nationale de 65%. Dans la préfecture de Fiorina, par exemple,
96,7% des immigrés qui ont demandé la carte blanche étaient de
nationalité albanaise. De manière comparable, ce chiffre s’élève 95,6%
dans la préfecture de Thesprotia (bien que les immigrés y soient très peu
nombreux au total), à 95,6% dans la préfecture d’Aitoakarnania, à 95,4%
dans la préfecture de Grevena, à 95,3% dans la préfecture de Préveza, à
95,2% dans les préfectures d’Arta et de Hymatheian de 95,1% dans la
préfecture de Kastoria, de 94,9% dans la préfecture de Ioannina et de
91,8% dans la préfecture de Pella. Il convient de noter que la proportion
des hommes parmi les migrants d’origine albanaise est très importante
dans l’ensemble des préfectures citées. Le cas de Florina est le plus
extrême puisque les hommes y représentent 99% des Albanais présents.
La préfecture de Thessalonique regroupe un nombre élevé de migrants en
provenance de Géorgie qui y constituent 8,9% de l’ensemble des
immigrés, chiffre qui s’élève à 18,2% si on ne tient compte de la
population féminine.
- 242 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Pour conclure, des différences très importantes existent au niveau de la
répartition géographique des immigrés en Grèce selon leur nationalité
d’origine mais aussi de leur sexe. Les femmes sont beaucoup plus
présentes que les hommes dans certaines régions. La plupart des
migrants sont néanmoins rassemblé à Athènes et dans les environs.
Voir page suivante le tableau du pourcentage des immigres qui ont
demandé le permis de séjour temporaire dans la population active par
régions (carte blanche) - année 1998.
- 243 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
REGIONPOPULATION
TOTALE (% population totale) HOMMES (% hommes) FEMMES (% femmes)
SEXE NON
PRECISE
REGION
ACTIVE
TOTALE ETRANGERS
ACTIVE
TOTALE
ETRAN-
GERS
ACTIVE
TOTALE
ETRAN-
GERS
ACTIVE
TOTALE
ETRAN-
GERS
ACTIVE
TOTALE ETRANGERS
ACTIVE
TOTALE
ETRAN-
GERS
PAYS 4,294,408 371,641 100.00% 100.0% 2,612,004 269.075 100.0% 100.00% 1,682,404 93,831 100.00% 100.00% 8,735
ATTIKI 1,600,791 164,128 37.30% 44.20% 961,377 106,804 36.80% 39.70% 639,414 52,575 38.00% 56.00% 4,749
MACEDOINE
CENTRALE 772,835 55,641 18.00% 15.00% 469,073 43,533 18.00% 16.20% 303,762 10,683 18.10% 11.40% 1,425
THESSALIE 299,309 22,623 7.00% 6.10% 184,927 19,211 7.10% 7.10% 114,382 3,114 6.80% 3.30% 298
MACEDOINE
EST ET THRACE 254,502 7,654 5.90% 2.10% 149,993 6,06 5.70% 2.30% 104,508 1,504 6.20% 1.60% 90
GRECE DE
L’OUEST 254,203 19,572 5.90% 5.30% 156,387 15,875 6.00% 5.90% 97,816 3,394 5.80% 3.60% 303
CRETE 229,611 20,999 5.30% 5.70% 133,848 14,499 5.10% 5.40% 95,763 6,043 5.70% 6.40% 457
PELOPONNESE 225,533 25,453 5.30% 6.80% 138,228 18,695 5.30% 6.90% 87,305 6,157 5.20% 6.60% 601
GRECE
CONTINENTALE 184,816 24,009 4.30% 6.50% 117,275 19,929 4.50% 7.40% 67,541 3,718 4.00% 4.00% 362
MACEDOINE DE
L’OUEST 120,754 9,099 2.80% 2.40% 77,067 8,008 3.00% 3.00% 43,687 989 2.60% 1.10% 102
EPIRE 110,119 5,41 2.60% 1.50% 68,781 4,538 2.60% 1.70% 41,338 752 2.50% 0.80% 120
MER EGEE DU
SUD 102,461 7,46 2.40% 2.00% 66,405 4,747 2.50% 1.80% 36,056 2,605 2.10% 2.80% 108
ILES D’IONE 80,514 6,113 1.90% 1.60% 48,011 4,671 1.80% 1.70% 32,503 1,38 1.90% 1.50% 62
MER EGEE DU
NORD 58,96 3,476 1.40% 0.90% 40,632 2,502 1.60% 0.90% 18,328 916 1.10% 1.00% 58
- 244 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Principaux débats : le regroupement familial et les mineurs isolés
Comme il a été souligné au début de ce rapport, au cours de ces dernières
années, un grand nombre de personnes se sont vues obligées de quitter
leur pays d’origine pour trouver refuge ailleurs, souvent loin de leur
famille. A l’instar de la plupart des Etats membres de l’Union européenne,
la Grèce a fait face à un afflux important de réfugiés, accompagnés ou non
de leurs enfants, à la recherche d’un pays où ils puissent vivre en sécurité.
La plupart des ces personnes proviennent d’Albanie mais une part
considérable d’entre eux sont également originaires d’Europe centrale et
orientale, d’Afrique et du Kurdistan.
Ces groupes de population bénéficient en général pendant un certain
temps de l’aide d’organisations humanitaires qui tentent d’apporter des
solutions d’urgence aux problèmes aigus qu’ils rencontrent.
Dans ce genre de situation, parents et enfants se retrouvent souvent
séparés. La mise en œuvre d’un plan d’assistance de longue durée pour
ces personnes, parents et enfants de moins de dix-huit ans, est très
urgente. Un certain nombre d’ONG européennes et internationales
essaient notamment de dégager des solutions durables pour les mineurs
isolés ou accompagnés de leurs parents et pour les adultes qui se
retrouvent loin de leur famille.
Dans ce contexte, les éléments suivants doivent être pris en
considération :
- Les mineurs isolés qui arrivent en Grèce sont la plupart du temps
absolument seuls, n’ont pas d’existence légale et vivent le plus souvent
dans l’illégalité.
- Ces enfants cherche l’asile par crainte de persécution, de conflit armé,
des réseaux de prostitution ou d’autres formes d’exploitation.
Il s’agit donc prioritairement de défendre l’application de la Convention
des Nations Unies sur les Droits de l’Enfant ainsi que l’accueil et le suivi
des mineurs dans les pays d’accueil.
Les règles et attitudes à adopter à l’égard de ces enfants sont la non-
discrimination, le droit de participation à la vie sociale, l’égalité des
chances sur la plan de l’éducation avec les ressortissants nationaux. Ils
doivent être respectés et bénéficier d’une sécurité d’existence suffisante.
- 245 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Le pays d’accueil doit leur fournir un lieu de vie correspondant à leurs
besoins spécifiques, un encadrement adapté, une assistance personnelle
et financière, l’accès à la scolarité et à la poursuite de projets
professionnels.
Les recherches pour retrouver les familles ne peuvent être entreprises que
lorsque tout danger pour l’enfant dans son pays d’origine peut être écarté.
Les mineurs isolés doivent être consultés et informés du déroulement de
la procédure et pouvoir communiquer avec sa famille, le cas échéant.
Le retour éventuel des enfants dans leurs pays d’origine n’est possible que
dans des conditions de sécurité absolue et, bien sûr, en accord total avec
la famille restée au pays. Il s’agit donc d’élaborer pour chaque mineur
isolé un plan de retour individuel en toute sécurité en collaboration avec
les institutions et ONG à la fois du pays d’accueil et du pays d’origine qui
sont chargées de prendre contact avec les familles.
La ratification par la Grèce et les autres Etats membres de l’Union
européenne des conventions internationales contenant des dispositions
relatives à la protection des mineurs, ainsi que leur mise en œuvre dans
le cadre de la législation nationale est vérifiée. A cet égard, la Grèce a mis
en œuvre la Convention des Nations Unies sur les Droits de l’Enfant par le
biais de la Loi 1426/184. La Grèce doit adopter cette législation au plus
tard pour le 8 février 2005. Les Etats membres de l’Union ont l’obligation
de protéger les mineurs et de leur assurer l’accès aux services d’aide
compétents.
La législation grecque sur les migrations (Loi 2910/2001) ne contient pas
de dispositions spécifiques concernant les mineurs. Une protection est
prévue en faveur des enfants accompagnés de leur famille mais rien n’est
prévu pour les mineurs isolés. La loi donne accès à l’éducation à tous les
enfants, y compris ceux qui ne disposent pas d’un titre de séjour légal ou
dont la procédure d’autorisation de séjour des membres de la famille n’est
pas encore aboutie. Les enfants nés en Grèce de parents réfugiés
disposent de droits spécifiques qui les protègent.
La directive européenne 2001-20/7 accorde aux réfugiés et aux mineurs
isolés ou accompagnés l’accès aux soins de santé. Conformément à
l’ordonnance présidentielle 141/199, la police grecque, en tant que
représentante du Ministre de l’Intérieur, est l’autorité compétente en
matière de protection des mineurs étrangers et surtout de ceux qui ne
- 246 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
fréquentent pas les établissements scolaires. La police surveille les
mineurs et les protège au maximum contre les réseaux de prostitution et
de pédophilie notamment.
En matière de regroupement familial, l’article 7 de l’ordonnance
présidentielle 61/1999 prévoit que les étrangers dont le statut de réfugiés
a été reconnu sur base de cette même ordonnance et de la loi
2452/1996, peuvent demander à être rejoints par les membres de leur
famille. Les membres de la famille pris en considération sont le mari ou
l’épouse, les enfants mineurs, les grands-parents s’ils vivaient déjà au
sein de la famille dans le pays d’origine (Cette dernière conditions doit
être attestée par un certificat).
Enquête du F.C.C.C. sur les mineurs isolés1
En Grèce, s’est développé à l’initiative de l’UNCR pour les réfugiés un
réseau international pour la protection des mineurs isolés, qui deviennent
très souvent des victimes pour des raisons diverses.
Plusieurs associations dont le F.C.C.C. participent à ce réseau et
s’occupent notamment de la prévention des risques de pauvreté et
d’exclusion sociale pour ces enfants. Dans ce cadre, la F.C.C.C. a réalisé
une enquête en collaboration avec une école multiculturelle. Les enfants
interrogés ont été sélectionnés parmi les élèves de l’école. L’échantillon se
composait de 25 enfants âgés de 12 à 17 ans (12 garçons et 13 filles).
Les questions posées relatives essentiellement aux problèmes familiaux
ont été difficiles à aborder.
La répartition des enfants interrogé par nationalité était la suivante :
Albanaise : 4 garçons (de 11, 13, 14 et 15 ans) et 1 fille de 13 ans ;
Bulgare : 2 garçons (de 11 et 14 ans) et 1 fille de 16 ans ;
Chinoise : 1 garçon de 12 ans et 2 filles de 14 ans ;
Moldave : 3 garçons (de 13, 14 et 15 ans) et 4 filles (de 11,12, 13 et
15 ans) :
Ukrainienne : 1 garçon de 14 ans et 2 filles (de 13 et 15 ans) ;
Sri Lankaise : 2 filles de 15 ans ;
Polonaise : 1 garçon de 13 ans et 1 fille de 14 ans ;
Russe : 1 garçon de 13 ans et 2 filles (de 15 et 16 ans).
1 Le questionnaire utilisé pour les entretiens se trouve en annexe de ce rapport .
- 247 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Les deux garçons de nationalité albanaise de 13 et 14 ans (scolarisés
respectivement en 2ème et 3ème secondaire) vivent en Grèce avec leurs
parents. Les trois autres enfants vivent avec leurs « parrains » (c’est le
terme qu’ils utilisent) et leurs parents sont restés en Albanie. Aucun des
enfants albanais n’est content de séjourner en Grèce. D’après eux, ils sont
rejetés par les Grecs en raison de la mauvaise conduite de leurs
compatriotes. Ils n’ont pas d’amis grecs mais néanmoins, ils ne veulent
pas retourner au pays.
A l’école, ils n’ont pas de problème particulier. Après l’école, les deux
enfants qui vivent avec leurs parents se consacrent aux loisirs. Ils
déclarent jouer au football et regarder la télévision, tandis que les autres
enfants doivent travailler. Les deux garçons vont à l’usine alors que la fille
travaille dans un bar.
Les enfants d’origine bulgare et moldave vivent avec leur famille en
Grèce. Après l’école, ils déclarent jouer au football et retrouver d’autres
amis de leur nationalité. Ils sont en classe de 2ème et 3ème secondaire.
Le garçon d’origine chinoise est en 3ème secondaire et a quitté son pays en
2001. Il vit dans un centre de réfugiés. Il est très triste de ne pas pouvoir
ni retourner en Chine ni contacter ses parents à cause des conflits armés.
Il n’a pas d’amis de son âge. Ses seules relations sont des adultes du
centre de réfugiés.
Une des filles sri lankaises, est en 3ème secondaire et est arrivée en Grèce
en 2000. Elle vit également dans un centre de réfugiés. Elle n’a pas d’amis
en dehors de ses camarades de classe. Elle a aussi quitté son pays à
cause des conflits armés.
Les enfants d’origine russe sont en 2ème et 3ème secondaire. Ils vivent tous
les trois dans un centre de réfugiés depuis 2001. Ils ne sont pas contents
de leur situation et voudraient rentrer au pays mais des raisons politiques
les en empêchent.
Le garçon ukrainien est en 3ème secondaire et vit en Grèce avec ses
parents. Il ne doit pas travailler après l’école. Pendant ses loisirs, il
déclare jouer au football et passer du temps en compagnie de ses amis
grecs. Il ne souhaite pas retourner en Ukraine. La fille la plus âgée est 3ème
secondaire. Elle vit à Athènes avec sa mère et le compagnon de celle-ci.
- 248 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Après l’école, elle travaille dans le bar du compagnon de sa mère. Elle n’a
pas d’amis de sa nationalité.
Les enfants polonais sont respectivement en 2ème et en 3ème secondaire et
sont venus en Grèce avec leurs parents. Après l’école, ils ne travaillent et
passent du temps en compagnie de leurs amis grecs. Ils ne souhaitent pas
retourner en Pologne.
En conclusion, la majorité des élèves interrogés sont bien intégrés à
l’école où ils peuvent suivre des cours de grec. Ceux qui ont le plus de
difficultés sont les albanais qui se sentent victimes de racisme à cause de
l’importance du taux de criminalité dans leur communauté. Néanmoins,
ces enfants se conduisent bien et n’ont pas de problème liés à leur
scolarité.
Les enfants qui vivent avec leurs « parrains » et la fille a qui vit avec sa
mère et le compagnon de celle-ci sont ceux qui nous ont le plus
sensibilisés. Même s’ils déclarent qu’ils travaillent après l’école, la réalité
est que la plupart du temps, ils traînent dans les rues d’Athènes et sont
contraints de mendier de l’argent pour leurs « parrains » pour les uns,
pour le compagnon de la mère pour l’autre.
Ce sont les enfants qui, à cause des conflits militaires dans leurs pays,
sont séparés de leurs parents qui vivent néanmoins leur situation de la
manière la plus dramatique. Ils sont inquiets pour leurs parents dont ils ne
reçoivent pas de nouvelles. Sur le plan psychologique, ils sont
mélancoliques, souffrent de sentiments d’oppression et ont tendance à
s’isoler. Ils souffrent également de symptômes physiques tels que maux
de tête et de ventre, et troubles du sommeil.
Les situations rencontrées confirment l’urgence de la mise en œuvre d’un
programme d’assistance de longue durée pour les mineurs et pour leurs
parents. Afin de protéger les droits et la sécurité des enfants et de leur
offrir des perspectives d’avenir, un programme de regroupement familial
doit être développé en collaboration avec la gouvernement, les ONG et les
familles des mineurs.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Le temps des personnes migrantes
Législation en matière de congés
Conformément aux dispositions de la loi 2910 sur les immigrés et de
l’article 12 du protocole de New York de 1967, les immigrés réguliers et
les réfugiés disposent de droits identiques à ceux des citoyens grecs.
La manière dont ils utilisent leur temps se concentre beaucoup vers la
famille. Les parents s’occupent des enfants, du ménage et des personnes
dépendantes de la famille.
La législation du travail, en Grèce, prévoit les types de congés suivants :
- Le congé de maternité est rémunéré et est d’une durée de 16 semaines.
Jusqu’à 6 semaines peuvent être prises avant la date présumée de
l’accouchement si la mère le souhaite.
- Le congé parental n’est pas rémunéré. Il est d’une durée maximum de
10 semaines et constitue un droit pour chacun des parents. Il est
également octroyé en cas d’adoption.
- Le congé pour soins et assistance à un membre dépendant de la famille
(gravement malade, handicapé, très âgé) existe mais n’est pas rémunéré.
- Quelques jours de congés pour raisons familiales (maladies d’enfants ou
autres raisons) sont accordés à chacun des parents sur une base annuelle
mais ne sont pas rémunérés.
Définition de la notion de temps libre
Quatre type de temps peuvent être distingués :
- Le temps « mort » : Ce sont les périodes durant lesquelles il n’est
possible de rien faire telles que les temps de transition entre deux
activités ou les temps de déplacement (y compris les temps d’attente),…
- Le temps physiologique : C’est le temps qui est utilisé à la satisfaction
des besoins vitaux tels que l’alimentation, le sommeil,…
- Le temps productif : C’est le temps consacré au travail rémunéré.
- Le temps libre : C’est le temps qui est utilisé sans contrainte ni
obligation.
A l’intérieur du temps libre, doivent être distingués le temps libre choisi et
le temps libre imposé. Les deux notions sont liées directement ou
indirectement à la situation d’exclusion sociale. Le temps libre choisi est
- 250 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
socialement acceptable. Le temps libre imposé est utilisé dans un cadre
qui n’est pas socialement reconnu (chômage, inertie forcée). Le chômage
de longue durée en particulier peut conduire à des comportements
marginaux et à l’exclusion sociale car il représente socialement le signe de
l’impuissance des personnes concernées à entrer sur le marché du travail.
Le « temps libre » est un temps qui n’est pas consacré à une activité
obligatoire. Il peut être consacré à la satisfaction de besoins tels que
l’éducation, les loisirs, la participation citoyenne, etc.1
Deux phénomènes attestent du caractère politique et de l’importance que
revêt aujourd’hui le temps libre :
- Les revendications en faveur de la réduction du temps de travail, et
donc, du droit à pouvoir disposer de davantage de temps libre pour soi-
même et pour la famille ;
- La reconnaissance de l’importance fondamentale du temps libre pour le
développement de l’enfant.
Enquête sur l’usage du temps libre par les migrants (Prof. Koula
Kassimati, Université du Panthéon)
Le Professeur Koula Kassimati de l’Université du Panthéon a réalisé, en
1992, une recherche sur les usages du temps par les migrants.2 L’étude a
porté plus particulièrement sur les personnes d’origine grecque qui sont
rentrées d’ex-Union soviétique après la fin de la Guerre froide pour des
raisons politiques. Ces personnes représentent une population importante
en Grèce et sont confrontées à différents problèmes d’adaptation même si
leur retour en Grèce correspond dans la plupart des cas à la concrétisation
d’un vieux rêve.
L’étude de l’usage du temps par les Grecs rapatriés reflète leur degré
d’adaptation à leur environnement social, degré d’adaptation qui est lui-
même dépendant d’un certain nombre de facteurs, parmi lesquels :
- Le niveau de développement social objectif de la Grèce ;
1 Kassimati, Koula (ed.), 1998. «Κοινωνικός αποκλεισμός: Η ελληνική εμπειρία».Athènes: Gutenberg.
2 Kassimati, Koula, « Les immigrés du Ponde en provenance de l’ex-Unionsoviétique : insertion sociale et économique », Ministère de la civilisation –Université du Panthéon, Athènes, 1992.
- 251 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
- Les situations antérieures dans lesquelles ils ont vécu ;
- Des éléments subjectifs tels que les valeurs sociales auxquelles ils
adhérent, les spécificités individuelles, etc.
Le temps libre pour les rapatriés de l’ex-Union soviétique est difficilement
identifiable. D’un coté, cette population se caractérise par un taux élevé
de chômage, c’est-à-dire par un temps important qui n’est pas consacré à
l’emploi et qui est donc théoriquement du « temps libre ».
Néanmoins, ce temps n’est pas comparable à celui des personnes qui sont
insérées socialement, qui ne sont pas confrontées aux même difficultés
d’adaptation, qui ont un emploi, un cadre de vie stable et dont le temps
libre est prévisible et structuré.
L’étude des données fournies par l’étude du Professeur Kassimati montre
que les personnes interrogées passent une partie très importante de leur
temps libre à la maison. 38% consacrent leur temps libre aux travaux
ménagers et, d’une manière générale, aux tâches domestiques.
Il apparaît que 10% de la population cible ne disposent pas du tout de
temps libre car leur temps de veille est presque entièrement occupé par le
travail. 10% des personnes répondent, par ailleurs, passer leur temps
libre à s’occuper de leurs enfants (devoirs, soins, …).
Sur l’ensemble des réponses, il ressort que seulement 40% des personnes
interrogées consacrent leur temps libre aux loisirs et aux relations
sociales, ce qui constitue un indicateur de leur insertion sociale
relativement faible.
- 252 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Usage du temps libre par la population cible
Réponses
En %
Activités domestiques 948 38.5
Pas de temps libre 254 10.3
Loisirs ext. (café, discothèques, vacances,…) 204 8.3
Relations avec membres de la famille et les amis 422 17.2
Télévision ou jeux de Loto 186 7.6
Soins et éducation des enfants 236 9.6
Apprentissage de la langue grecque 116 4.7
Pas de relations fam. ou soc. durant le tps libre 39 1.6
Autres 55 2.2
Total des réponses 2460 100.0
On observe que 8% de la population cible consacrent leur temps libre à
des activités extérieures (sorties, voyages en courts séjours,…). Une
partie importante des personnes interrogées passe leur temps libre avec
leurs amis, connaissances et membres de la famille, ce qui leur permet de
développer une certaine compréhension de la société grecque pendant la
première phase de leur adaptation à la société d’accueil. 8% des
personnes passent également leur temps de loisirs devant la télévision ou
à jouer au Loto. L’étude en général et l’apprentissage de la langue
grecque en particulier occupent le temps libre de 5% de la population
cible.
En résumé, il apparaît que les occupations principales des personnes
migrantes pendant leur temps libre sont recevoir la famille et les amis à la
maison et étudier pour améliorer leurs conditions de vie.
Il est intéressant, dans une seconde étape, d’analyser la manière dont les
migrants combinent leurs différentes activités de loisirs qui concernent
essentiellement la maison, les enfants, la famille et les amis. Il semble
ressortir que ces activités commencent et aboutissent à la maison,
laissant ainsi penser que l’insertion de la population cible est encore
incomplète.
Les tendances présentées dans le tableau ci-dessous sont fonction, en
grande partie, des caractéristiques individuelles des migrants. Les facteurs
qui déterminent la manière dont ils utilisent leur temps libre sont les
suivants :
- 253 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Combinaisons des usages du temps libre
par la population cible
Nombre des
réponses
Activités domestiques / Relations avec les
membres de la famille et les amis78
Activités domestiques/ Loisirs extérieurs (cafés,
discothèques, vacances,…)22
Activités domestiques/ Soins et éducation des
enfants99
Activités domestiques/ Télévision ou jeux de
Loto19
Loisirs extérieurs (cafés, discothèques,
vacances, …) / Relations avec les membres de la
famille et les amis
42
Relations avec les membres de la famille et les
amis / Télévision ou jeux de Loto50
- Le sexe : les hommes passent plus de temps que les femmes à
l’extérieur de la maison et sortent davantage au café ou en discothèque.
Quand ils sont à la maison, ils regardent la télévision ou jouent au Loto.
Les femmes, quant à elles, s’occupent des enfants, du ménage et étudient
le grec.
- L’âge : les moins de 40 ans consacrent plus de temps à des activités
extérieures pendant leur loisir. Les personnes plus âgées préfèrent rester
chez eux à regarder la télévision ou à jouer au Loto.
- La situation familiale : Les personnes mariées passent plus de temps à la
maison que les célibataires qui préfèrent sortir avec des amis.
- Niveau d’éducation : Les personnes diplômées de l’enseignement
universitaires sont celles qui ont le moins de temps libre, tandis que celles
qui n’ont que le certificat d’études primaires passent beaucoup de temps
chez eux avec leur famille ou leurs amis.
- L’emploi : Les personnes sans emploi consacrent davantage de temps à
leurs enfants et à l’étude du grec alors que celles qui travaillent ont
davantage d’activités extérieures, jouent davantage au Loto et reçoivent
plus souvent des amis à la maison.
Les données étudiées ne permettent pas d’établir une relation entre les
usages du temps libre et la durée du séjour des personnes en Grèce.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Résultats de la recherche réalisée par MRB Hellas1
La recherche réalisée par MRB Hellas (à laquelle il déjà été fait référence)
a porté sur des personnes migrantes de différentes origines. Il apparaît
que la principale activité à laquelle ils consacrent leur temps libre (surtout
les plus jeunes) est la télévision (74,5%). Les migrants d’origine arabe,
les Africains et les personnes originaires de l’Europe centrale et orientale
sont ceux qui passent le plus de temps à écouter de la musique et la
radio.
MRB Hellas s’est également intéressée au niveau d’équipement des
migrants. Il ressort que 90% des personnes interrogées ont un frigidaire,
76% disposent d’une cuisinière électrique, 68% d’un téléphone mobile et
20% d’une voiture.
Le tableau suivant répertorie les résultats de l’étude concernant les
usages du temps des migrants :
Activités T. souvent Souvent Rarement Jamais
Regarder la télévision 74.5% 22.2% 1.3% 1.2%
Ecouter de la musique 45.9% 36.8% 11.7% 4%
Ecouter la radio 43.9% 41.3% 10.9% 3.2%
Promenades avec des amis 30.9% 36.7% 18.7% 12.9%
Faire les magasins 20.9% 44.3% 31.3% 3%
Aller au café 9.4% 19.8% 24.5% 44.3%
Jouer au Loto 6.5% 14.8% 30.8% 46.8%
Aller au restaurant 4.6% 26.5% 49.1% 18.4%
Acheter des livres 3.3% 14.6% 33.9% 47.3%
Aller au cinéma 1.7% 11.5% 33.2% 51.9%
Faire du sport 1.6% 6.5% 7.9% 82.5%
Faire des excursions 1.4% 17.1% 39.8% 40.5%
Aller aux matchs (foot/
basket) 0.9% 5.1% 13.1% 79.8%
Voyager 0.5% 11.1% 28.4% 58.5%
Aller au théâtre 0.4% 4.4% 13.3% 80.4%
Enquête sur l’usage du temps par les migrants réalisée par le F.C.C.C.
1 MRB Hellas, op. c.
- 255 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Depuis quelques années, le F.C.C.C. développe un certain nombre
d’activités relatives à l’accueil et à l’intégration des migrants (réguliers et
clandestins, migrants d’origine grecque rentrés d’ex-Union soviétique et
réfugiés).
De 1980 à 1997, le F.C.C.C. a organisée en collaboration avec l’église
œcuménique (aide aux réfugiés pour lesquels la Grèce est une destination
de transit) des camps d’accueil et des centres d’accompagnement pour les
enfants de réfugiés dans plusieurs villes de Grèce.
Depuis 1998, il développe, en collaboration avec les Ministère du Travail
et de la Protection sociale, des projets de formation professionnelle pour
les immigrés, des services sociaux d’information et de soutien
psychologique.
Les personnes interrogées dans le cadre de l’enquête sont des migrants
réguliers et clandestins qui ont été sélectionnées parmi le public des
différents projets menés par le F.C.C.C.
Méthodologie utilisée pour l’enquête
Pour réaliser l’enquête, le F.C.C.C. a fait appel à des méthodologies
variées. Dans une premier étape, une recherche bibliographique a été
effectuée, y compris sur Internet. Des données statistiques ont été
notamment extraites de monographies et de rapports publiés par des
universités, des centres de recherche et l’administration.
Dans une seconde étape, ces données ont été enrichies par les récits des
expériences individuelles de personnes avec lesquelles le centre est en
relation. Les entretiens ont été réalisés sur base de deux types de
questionnaires qui sont annexés au présent rapport. Les questions posées
touchaient à la vie personnelle, familiale et aux difficultés rencontrées
dans le pays d’accueil par les personnes interrogées. Pourtant, ces
dernières se sont montrées très ouvertes et disponibles.
L’objectif de cette mini-recherche qualitative est l’analyse du temps libre
des personnes migrantes et la mise en évidence des besoins en la matière
à la fois des personnes, qu’elles aient ou non un emploi. Pour un total de
50 personnes, dont 31 femmes et 19 hommes, le profil des personnes
interrogées était le suivant :
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Leurs nationalités d’origine étaient : 8 Albanais (5 femmes et 3 hommes),
6 Bulgares (3 femmes et 3 hommes), 3 Polonais (1 femme et 2 hommes),
3 Roumains (2 femmes et 1 homme),10 Russes (femmes), 4 Georgiens
(femmes), 6 Ukrainiens (2 femmes et 4 hommes), 3 Irakiens (2 femmes
et 1 homme), 2 Iraniens (1 femme et 1 homme), 2 Kurdes (hommes),1
Sri Lankais (femme), 2 Rwandais (hommes).
Leur statut migratoire était :
3 Albanais et 4 Bulgares sont des immigrés clandestins. Les migrants de
nationalités irakienne, iranienne, kurde, sri lankaise et rwandaise sont des
réfugiés reconnus par les autorités grecques, conformément à la
Convention de Genève de 1951, modifiée par l’article 12 du Protocole de
New York de 1967.
On lira page suivante les données du tableau des caractéristiques des
enquêté(e)s : sexe, nationalité, âge, niveau d’études suivies, profession,
emploi, situation conjugale, nombre d’enfants, âges des enfants,
regroupement familial, date d’arrivée, statut.
Remarques tirées de l’enquête :
Les migrants réguliers possèdent un permis de séjour (carte verte qui
peut être renouvelée chaque année) mais aussi un permis de travail et
jouissent de droits identiques à ceux des citoyens grecs (notamment
remboursement des soins de santé et des médicaments par la sécurité
sociale, congé de maternité, congé parental, congé pour soins et
assistance à un membre dépendant de la famille). Les clandestins n’ont
pas de papiers et sont toujours susceptibles d’être arrêtés par la police.
Néanmoins, les principales difficultés auxquelles sont confrontés les
immigrés, quelque soit leur statut, quand ils arrivent en Grèce sont
trouver un emploi, un logement et accéder aux services compétents. Ils
sont souvent surqualifiés par rapport aux emplois qu’ils occupent y
compris ceux qui ont un permis de travail.
Pendant leur loisir, les hommes bulgares fréquentent les cafés et leur
association nationale alors que les femmes (régulières ou clandestines)
s’occupent du ménage et des enfants.
- 257 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
La migrante d’origine polonaise (migrante régulière) enquêtée disposait
de suffisamment de temps libre parce qu’elle n’avait pas la charge de
s’occuper de son ménage, ni de ses enfants. Elle va au cinéma, sort avec
des amis, etc. Les hommes, qui sont aussi des migrants réguliers,
travaillent dans le secteur privé et occupent des emplois correspondant
quasiment à leurs qualifications. La situation familiale de l’un d’entre eux
(G.K.) est particulière puisque son épouse ne possède pas de permis du
séjour. En conséquence, elle ne peut travailler et reste confinée à la
maison. Elle s’occupe du ménage et des enfants mais ne peut pas aller au
cinéma, au théâtre, etc., et n’a pas d’amie.
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Description de l'échantillon de la recherche du F.C.C.C. sur l'usage du temps par les migrants
Sexe Nation. Age Etudes Profession EmploiSituation, nombre d’enfants,âges des enfants
Regr.familial
Dâtearrivée
Statut
F. albanaise 39 ans secondaire Infirmière* sans mariée, 5 (5-12 ans) oui 1998 légaleF. albanaise 42 ans fondamental _ femme de ménage divorcée, 2 (12 et 14 ans) non 1999 clandestine
F. albanaise 41 ans fondamental _ femme de ménage mariée, 2 (12 et 14 ans) non 2001 clandestineF. albanaise 44 ans fondamental _ femme de ménage mariée, 3 (11,13 et 16 ans) non 2000 clandestine
F. albanaise 46 ans fondamental _ femme de ménage non mariée, 2 (11 et 16 ans) non 2001 clandestineH. albanaise 43 ans fondamental _** maçon marié, 2 (12 et 16 ans) oui 1999 légal
H. albanaise 45 ans fondamental _ ouvrier marié, 4 (10-16 ans) non 2001 clandestinH. albanaise 46 ans fondamental _ ouvrier non marié _ 2001 légal
F. bulgare 45 ans supérieure assistante sociale infirmière divorcée, 2 (11 et 15 ans) oui 1997 légaleF. bulgare 43 ans supérieure _ baby-sitter non mariée, 2 (8 et 12 ans) oui 1999 _
H. bulgare 45 ans supérieure assistant ingénieur ouvrier marié, 3 (12-16 ans) non 1999 clandestinH. bulgare 47 ans universitaire ingénieur ouvrier marié, 3 (8-17 ans) oui 2000 clandestin
H. bulgare 43 ans universitaire archéologue maçon marié, 2 (9 et 13 ans) oui 1997 clandestinH. bulgare 41 ans universitaire géologue ouvrier marié, 1 enfant oui 1999 clandestin
F. polonais 45 ans universitaire ingénieur assistante d'un ingénieur mariée, 2 (7 et 10 ans) non 1998 légaleH. polonais 48 ans universitaire théologien enseignement marié, 2 (13 et 16 ans) oui 1999 légal
H. polonais 43 ans supérieure infirmier infirmier marié, 1 (15 ans) non 2000 légalF. roumaine 38 ans universitaire philologue enseignement divorcée, 2 (7 et 10 ans) oui 1999 légale
F. roumaine 22 (?) universitaire assistante sociale secteur privé Divorcée, 2 (8 et 11 ans) non 2000 légaleH. roumaine 43 ans universitaire géologue secteur privé marié, 3 (6,7 et 12 ans) oui 2001 légal
F. ex-URSS 50 ans universitaire géologue secteur privé divorcée, 2 (12 et 18 ans) non 1997 légaleF. ex-URSS 43 ans supérieure interprète enseignement non mariée, 2 (16 et 18 ans) non 1997 légale
F. ex-URSS 41 ans supérieure infirmière clinique privée divorcée, 1 (16 ans) non 2000 légaleF. ex-URSS 42 ans universitaire institutrice enseignement mariée, 2 (16 et 18 ans) oui 1999 légale
F. ex-URSS 45 ans supérieure infirmière infirmière à domicile mariée, 1 (15 ans) oui 1999 légaleF. ex-URSS 49 ans supérieure infirmière clinique privée divorcée, 3 (10,12 et 15 ans) non 1999 légale
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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
F. ex-URSS 42 ans universitaire psychologue _ mariée, 2 (12 et 15 ans) oui 1999 légaleF. ex-URSS 43 ans supérieure interprète secteur privé divorcée, 2 (12 et 15 ans) non 1987 légale
F. ex-URSS 42 ans supérieure musicienne enseignement mariée, 2 (11 et 15 ans) oui 1985 légaleF. ex-URSS 32 ans universitaire ingénieur secteur privé divorcée, 2 (10 et 13 ans) non 1995 légale
F. ex-URSS 43 ans supérieure infirmière _ mariée, 3 (11, 13 et 15 ans) oui 1998 légaleF. ex-URSS 45 ans universitaire ingénieur secteur privé divorcée, 2 (2 et 14 ans) non 1998 légale
F. ex-URSS 44 ans universitaire géologue secteur privé mariée, 2 (15 et 18 ans) oui 1997 légaleF. ex-URSS 43 ans supérieure _ clinique privée mariée, 3 (11,14 et 16 ans) non 1998 légale
F. Ukrainienne 44 ans supérieure infirmière clinique privée mariée, 3 (10,13 et 15 ans) oui 1997 légaleF. Ukrainienne _ universitaire ingénieur secteur privé divorcée, 2 (8 et 13 ans) non 1997 légale
H. Ukrainienne _ universitaire ingénieur secteur privé divorcé, 3 (10, 13 et 15 ans) non 1999 légalH. Ukrainienne _ universitaire ingénieur secteur privé divorcé, 3 (10, 13 et 15 ans) non 1999 légal
H. Ukrainienne 38 ans supérieure infirmier clinique privée marié, 2 (13 et 15 ans) oui 1998 légalH. Ukrainienne 40 ans universitaire dentiste clinique privée marié, 3 (9,13 et 16 ans) oui 1999 légal
H. Irakienne 44 ans universitaire médecin traducteur marié, 2 (8 et 12 ans) non 2001 _F. Irakienne 40 ans _ _ baby-sitter mariée, 2 (7 et 9 ans) non 2000 _
F. Irakienne 43 ans supérieure infirmière clinique privée mariée, 3 (12,15 et 17 ans) non 2001 _F. Iranienne 42 ans _ _ pub mariée, 4 (10-16 ans) non 2000 _
H. Iranienne 43 ans universitaire jounaliste interprète marié _ 2000 _H. kurde 42 ans universitaire géologue ouvrier célibataire _ 2000 _
H. kurde 41 ans universitaire théologien infirmier célibataire _ 2000 _F. Sri Lankaise 41 ans universitaire ingenieur interprète mariée, 4 (9-15 ans) partiel 2000 _
H. Rwandaise 44 ans universitaire théologien secrétaire marié, 2 (10 et 12 ans) non 2001 _H. Rwandaise 42 ans universitaire ingenieur secteur privé marié, 3 (8-12 ans) non 2000 _
* conjoint : ouvrier et clandestin
**conjointe : ouvrière
- 260 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Remarques tirées de l’enquête (suite) :
Quant aux migrants réguliers d’origine roumaine, ils rencontrent des
problèmes un peu moins aigus que les autres migrants. Par ailleurs, les
migrants dont les enfants sont restés au pays ressentent durement leur
absence. Les migrants réguliers ont le droit de retourner dans leur pays
d’origine une fois par an mais pour les clandestins ne peuvent pas se
permettre de voyager sous peine ne plus pouvoir rentrer en Grèce.
Pour les immigrés de l’ex-Union Soviétique, obtenir le permis de séjour et
du travail est plus facile puisque la plupart d’eux ont une provenance
Grecque. Mais, même pour ces derniers, les difficultés de l’accès à
l’information et aux services demeurent sensiblement les mêmes. En ce
qui concerne le travail, même si la plupart des immigrés ont un niveau
universitaire, ils travaillent dans d’autres domaines que celui de leur
qualification d’origine. Les femmes, quant à elles, n’ont pas de temps
disponible dans la mesure où elles ont le soin du ménage et des enfants.
Enfin, lorsqu’on envisage la situation des réfugiés qui viennent d’Irak,
d’Iran, de Sri Lanka, de Rwanda et de Kurdistan, on relève que ceux-ci,
des réfugiés, ont quitté leur pays en raison des conflits militaires qui s’y
déroulaient et qu’ils reçoivent une allocation du gouvernement grec. Ils
ont presque tous un niveau d’études universitaires mais ne sont pas en
mesure de faire valoir leurs qualifications. Leur principal problème est la
séparation d’avec leur famille, d’autant que les communications sont
difficiles et qu’ils ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine même
pour un court séjour. Par ailleurs, pour les réfugiés comme pour les autres
migrants, se pose le problème de l’accès aux services compétent de
l’administration et à l’information, à l’exception des services chargés
spécifiquement de l’aide aux réfugiés.
Ces considérations conduisent à tirer les conclusions et les préconisations
suivantes :
Conclusions
Les personnes interrogées peuvent être classées selon trois catégories :
- les migrants (réguliers et clandestins) ;
- les migrants d’origine grecque qui reviennent de l’ex-Union soviétique ;
- les réfugiés.
- 261 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Parmi ceux-ci, 60% des migrants de la première catégorie et la totalité de
ceux de la deuxième catégorie ont un permis de séjour. Les réfugiés ont
un statut particulier.
Les principales difficultés qui sont citées par l’ensemble des personnes
interrogées sont :
- le manque d’informations et la difficulté d’accès aux services
compétents ;
- la connaissance insuffisante de la langue grecque qui les empêche de
s’intégrer et de trouver du travail.
En Grèce, le Ministère du Travail organise des formations en langue
grecque pour les immigrés adultes. Les enfants de 8 à 16 ans peuvent
également suivre des cours de grec quand ils fréquentent l’école primaire
ou secondaire. Des écoles interculturelles existent aussi à Athènes et dans
plusieurs grandes villes. Tous les enfants, même si les parents n’ont pas
de papiers, doivent être admis à l’école et les crèches sont ouvertes aux
migrants réguliers comme aux citoyens grecs.
Plusieurs ONG sont actives dans le domaine de l’aide aux réfugiés et aux
migrants réguliers et clandestins.
Recommandations
- Il s’agirait de développer un centre d’information administratif disposant
des ressources humaines nécessaires pour renseigner les personnes dans
leur langue maternelle (Les employés pourraient être des migrants eux-
mêmes.).
- Il s’agirait de mettre en place un service de consultation sociale composé
d’assistants sociaux et de psychologues qui pourraient aider les migrants
à trouver des solutions à leurs difficultés personnelles et familiales.
- Les migrants doivent apprendre la langue grecque mais également
conserver la connaissance de leur langue maternelle (surtout les enfants).
Les migrants doivent avoir la possibilité de continuer à vivre selon leurs
propres coutumes (respect de la liberté de culte et des valeurs familiales
notamment).
- Un des problèmes les plus importants auquel les migrants sont
confrontés est celui de l’accès au marché du travail, en raison de leur
méconnaissance de la langue du pays d’accueil et de la non
reconnaissance de leurs qualifications professionnelles. C’est pourquoi, les
Etats doivent s’attacher à concevoir un questionnaire qui permet d’évaluer
- 262 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
de manière correcte les qualifications des migrants et les encadrer dans la
recherche d’emplois.
- L’accès des migrants à la sécurité social nécessite l’allègement des
formalités nécessaires pour l’obtention d’un permis de travail.
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- 264 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
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http://lcweb.loc.gov
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http…eie.org.gr
http…epa.gr
http…oaed.gr
http…unhcr.gr
- 265 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
CLÔTURES
Clôture 1
ANNE-MARIE SIGMUND
A partir de ces travaux, j’en suis venue à quelques conclusions. Je vous
prie de m’excuser si mes conclusions reflètent mes travaux mais elles
m’ont été aussi inspirées par mes travaux à la Convention Européenne.
D’abord, j’ai pu constater qu’en l’état actuel des choses, il ne peut pas y
avoir de politiques familiales européennes au sens propre du terme,
puisqu’il n’y a pas de compétence européenne dans ce sens. Il me semble
utile que la notion de famille et le débat sur sa place soient extraits du
débat juridique, et soient intégrés dans le débat sur les valeurs. C’était un
point fort de cette Convention Européenne, puisqu’on a commencé à parler
de valeurs européennes1.
De mon point de vue, cet échec n’a peut-être pas d’influence sur la
politique familiale à proprement parler. Mais peut-être aurait-il fallu avoir
la volonté politique de s’acheminer d’une communauté européenne vers
une communauté européenne de valeur.
Vous vous souvenez que l’on a remis en question la valeur juridique de la
charte et de la définition des valeurs et des buts de l’Union Européenne.
Toutefois un des principes fondamentaux de l’Union Européenne est la
reconnaissance du “principe de durabilité”. Ce principe est étroitement lié
à la question de la famille, comme ces travaux l’ont illustré en rappelant
que la famille est le lieu où apparaissent les générations de demain. Cela
souligne très clairement le lien entre la notion de développement durable,
de durabilité, et la question de la famille.
On réduit en effet fréquemment la durabilité à la question de
l’environnement. Mais cette définition restreinte ne sera pas utile si on
néglige pour autant l’aspect démographique. Je pense, en conséquence,
que la durabilité est une question très importante sur le plan social et
1 [Note de la rédaction : le Rapport final du groupe de travail XI "Europe sociale" dela Convention Européenne, 4 février 2003, contenait 25 occurrences de “valeurs” etaucune présence du radical “famil.”.]Cf. http://register.consilium.eu.int/pdf/fr/03/cv00/cv00516-re01fr03.pdf
- 266 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
sociologique et que les organisations familiales ont ici un rôle
prépondérant à jouer.
Lorsque le Directeur de la COFACE [William Lay] m’a fait parvenir le
programme de ces travaux, j’ai eu du mal dans un premier temps à
reconnaître le lien entre l’emploi du temps et les migrations. Ces deux
points sont des défis considérables, et comme ces travaux l’ont manifesté,
il ne s’agit pas seulement du partage du temps, quantitativement et
qualitativement, entre vie professionnelle et familiale, mais il s’agit aussi
du temps qui est employé pour les relations sociales, pour les affaires
sociales. Et je ne parle pas ici uniquement de l’intégration mais également
de la formation des personnes.
Ces travaux ont été marqués fortement par l’aspect culturel, et la culture
telle que nous la définissons au Comite Economique et Social Européen,
est une collectivité de valeur et également une collectivité de mode de
pensée et de mode de comportement : au Comité Economique et Social
Européen a été lancé, en ce sens, un avis d’initiative sur la dimension
sociale de la culture. Un membre du groupe III, Daniel Le Scornet1 est
rapporteur afin d’élaborer une telle définition.
Le sujet des statistiques a été abordé. En effet, le souhait d’intégrer des
éléments qualitatifs dans des statistiques quantitatives est une aspiration
très justifiée, et nous sommes conscients des problèmes que cela pose.
Cela touche aussi, d’ailleurs, à une question qui me tiens très à cœur : la
question de la représentativité et, partant, de la représentativité des
organisations qui sont présentes dans la société civile.
On reproche souvent aux associations familiales de ne pas être
représentatives, parce qu’on ne parle que de représentativité quantitative.
On demande aux associations familiales combien de personnes elles
représentent, combien de membres elles contiennent. De mon point de
vue, cette forme de représentativité est secondaire et nous devons être
attentif, en premier lieu, à la représentativité qualitative et, notamment, à
l’expertise des personnes qui sont impliquées dans les organisations. Il y a
plusieurs exemples : wwf n’a que peu de membres, pour ne citer qu’elle,
mais elle est une organisation reconnue mondialement pour la protection
1 [Note de la rédaction : Daniel Le Scornet, Administrateur de la Fédération des
mutuelles de France (FMF) - Président de la mutuelle Arts, sciences, social, culture,membre du Groupe III - Groupe Activités Diverses - Comité Economique et SocialEuropéen, Cf. Communiqué de presse n° 49/2004 du 2 avril 2004]
- 267 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
du milieu naturel. Il y a ainsi des organisations qui peuvent être faible
quantitativement mais forte qualitativement.
Le Comité Economique et Social Européen va prendre un avis d’initiative,
afin de pouvoir établir un dialogue civil entre les différentes organisations
nationales1 : il faut se poser la question de savoir comment nous allons
intégrer les différentes organisations. Je vous prie de m’excuser si je vais
un peu au-delà du sujet, stricto sensu, mais nous pensons que la COFACE
et les membres nationaux ont un rôle prépondérant à jouer pour faire
avancer ce processus d’une idée commune européenne, d’une identité
européenne. A défaut de cette identité il ne sera pas possible de mener à
bien des projets individuels qu’il s’agisse du marché intérieur ou de la
question de la Politique de sécurité commune de l’Union européenne. Il ne
s’agit pas seulement de mots clés mais, vraiment, d’une réalité que nous
devons développer.
Pour revenir à la durabilité, nous croyons que l’Europe se distingue, dans
le contexte de la mondialisation, par son approche ainsi que par
l’importance qu’elle accorde à la famille, au principe de solidarité, au
principe de subsidiarité. Nous nous distinguons en cela du reste du monde
et nous devrions tenter d’accentuer encore cette particularité.
Alors nous nous réjouirions si ces thématiques pouvaient être abordées,
que la COFACE et le Comité Economique et Social Européen se penchent
sur ces thèmes comme sur le contenu des travaux présentés à la
conférence et recensés dans ce rapport et, cela, dans le cadre d’un
nouveau séminaire, afin de réunir un public encore plus large.
En mon nom personnel et, également, au nom du groupe III du Comité
Economique et Social Européen, nous vous demandons d’organiser une
telle réunion qui pourrait très bien se dérouler à l’occasion du 10ème
anniversaire de l’année internationale des familles (AIF+10). Cela pourrait
permettre un accès très large à ces questions.
1 [Note de la rédaction : Voir communiqué de presse n° 18/2004, dialogue civil : « À l'initiative de son Président, Roger BRIESCH, le Bureau du CESE a adopté hierdes propositions importantes (rapporteur: M. Jean-Michel BLOCH-LAINÉ) pour unecoopération renforcée et plus structurée avec les organisations et réseauxeuropéens de la société civile » et n° 23/2/2004 et n° 22/2004 : pour une nouvelleEurope plus participative et plus démocratique: la société civile organisée endébat.]
- 268 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Clôture 2
GRAHAM TAYLOR
Nous voudrions remercier tous les orateurs de la conférence et tous les
participants à ce projet que nous avons trouvé particulièrement
intéressants. Tout ce que nous avons appris à cette occasion est allé au-
delà de nos attentes.
Je voudrais revenir sur le propos de Constantinos Fotakis (cf. supra) qui
expliquait pourquoi la DG Emploi et Affaires sociales était intéressée par
un sujet tel que la famille.
Dans notre rapport annuel sur la situation sociale dans l’Union
Européenne, nous avons constaté deux tendances très marquées qui
pourrait créer des problèmes à l’avenir.
Tout d’abord, il semble que la société présente de plus en plus d’attentes
vis-à-vis des familles : nous savons qu’il y aura un vieillissement de la
population. De 2010 à 2030, le nombre de personnes de plus de 80 ans
devrait augmenter de 44% et, en général, ce sont les familles elles-
mêmes qui gèrent et qui s’occupent de ces personnes. Cela dépend aussi
des pays concernés.
On l’a déjà dit : la génération du baby-boom part à la retraite, et il va
falloir s’occuper de ces personnes comme nous le devons et il semble que
la charge va porter sur les familles, comme souvent, puisque c’est un rôle
qui leur est dévolu.
Une autre tendance est la durée de la période d’éducation,
d’enseignement, qui semble être de plus en plus longue et c’est souvent la
famille qui assure le soutien de ces étudiants : les enfants étudient
pendant plus longtemps et restent pendant plus longtemps chez leurs
parents.
C’est donc une première tendance : il y a de plus en plus d’attentes qui
pèsent sur la famille.
La 2ème tendance est celle constituée par l’apparition d’une nouvelle
typologie de la composition des familles : il y a de plus en plus de
divorces ; les jeunes mettent de plus en plus de temps à entrer dans des
relations de longues durées, des relations qui sont d’ailleurs de plus en
- 269 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
plus fragiles ; les jeunes, en général, ont des enfants de plus en plus tard.
Ce qui signifie que cela va diminuer le nombre total d’enfants qu’un couple
ou une personne aura dans son existence.
En d’autre terme, la famille est une institution de plus en plus fragile, alors
que dans le même temps les attentes à son égard sont de plus en plus
marquées. Ce sont donc deux tendances que l’on retrouve très
fréquemment.
Un autre élément dont il a été beaucoup question ici relève des
migrations. Au cours des 4 dernières années le solde migratoire dans
l’Union Européenne a été d’environ d’un million de personnes chaque
année. On comprend que le phénomène est de plus en plus important,
puisque l’immigration devient un facteur essentiel dans notre tissu social.
Il y a plusieurs explications à l’immigration : dans le pays d’origine, il peut
s’agir de raisons politiques, économiques, mais il y a aussi des facteurs
dans les pays d’accueils. Les immigrés sont utiles au pays d’accueil et
c’est, en conséquence, au pays d’accueil de faire également des efforts
pour intégrer ces populations. D’où le besoin croissant de soutien à l’égard
de ces populations.
Donc, on a parlé de l’émigration dans l’Union Européenne où sont les
rapports, les statistiques, sur cette question.
Dans le Conseil européen de Tampere du 15 et 16 Octobre 19991, il y avait
des conclusions qui donnaient des lignes directrices politiques pour une
politique européenne de l’immigration qui visait une politique commune
européenne de demandeurs d’asiles sur l’immigration des relations vis-à-
vis des pays d’origines.
L’année dernière il y a une communication sur l’immigration, l’intégration
et l’emploi qui a été présenté au Conseil Européen de Thessalonique.
Dans les conclusions de Thessalonique on a mentionné la production d’un
rapport annuel sur l’immigration et l’intégration en Europe.
La portée de ce rapport est assez limitée puisque cela ne recouvre que les
immigrés en situation régulière et donc pas les clandestins.
1 [Note de la rédaction : Voir …europa.eu.int/council/off/conclu/oct99/oct99_fr.htm]
- 270 -
Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.
Mais dans le cadre de ce rapport nous devons faire figurer une analyse
objective et précise divisé en différent groupe cible, particulièrement les
groupes vulnérables ou les groupes avec des intérêts spéciaux.
De plus, il était demandé de formuler des solutions pour une meilleure
gestion de flux migratoires.
Comme on a dit un des problèmes actuellement est un problème de
statistique, non seulement à haut niveau mais également à la base. Ce qui
nous ramène à l’intérêt de conférence comme celle d’aujourd’hui.
En l’état actuel des choses, les statistiques ne nous fournissent qu’une
assistance limitée. Nous avons donc besoin de plus d’études pour produire
ces rapports annuels sur l’immigration et l’intégration.
Alors, comme je vous l’ai dit ce sujet nous intéresse particulièrement et les
documents que vous nous avez présentés vont même au-delà de nos
attentes, et comme vous l’avez dit il est assez difficile de combiner ces
différentes expériences dans différents pays et dans tirer des leçons au
niveau européen, car dans tous les pays les situations sont différentes au
niveau de l’immigration, il y a des histoires différentes dans chaque pays.
Alors, afin de lancer un débat politique européen sur l’immigration, et bien
il faut rassembler le plus souvent possible vos organisations pour en tirer
des conclusions et recommandations, comme vous avez commencé à le
faire dans votre document.
Et enfin, j’aimerais donner une liste d’autres sources d’informations :
L’Observatoire européen sur la situation sociale, la démographie et la
famille1. Il y a différentes sources intéressantes dont une communication
de 2003 ; il y a le rapport de conclusion qui a été mise à jour, à partir du
plan d’action nationale de l’année dernière qui sera produit au Conseil de
printemps. Il y a des travaux intéressants fournis par la Fondation
Européenne sur l’amélioration des niveaux de vie2.
Dans ce contexte, je vous remercie encore une fois, et je vous souhaite
une bonne continuation.
1 europa.eu.int/comm/employment_social/ eoss/index_fr.html2 fr.eurofound.eu.int
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