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Adrien Barrot
L'enseignement mis à mort
Texte intégral
Je dédie ce livre à ceux qui l'ont porté debout en bout. Pour Diane, Jean-Pierre etBéatrice.
Tous les hommes ont, par nature , le désir
de connaîtreAristote, Métaphysique, A. 980a
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En écrivant ces quelques lignes dans’urgence et tenaillé par une profondenquiétude, je me rends compte que je
nourris pour elles une ambition un peufolle. Je souhaite que ce texte très courtpuisse atteindre les lecteurs, tous lesecteurs, en quelque sorte à bout portant,
et qu'il soit en même temps assezsubstantiel pour donner matière à unevéritable réflexion, dont il ne peut êtredavantage qu’une esquisse. Je voudraiscommuniquer à ces lignes assez de forcepour provoquer un réveil de notreconscience politique, et alimenter une
nterrogation dont je ne vois pas qu'ellepuisse ni qu'elle doive s'achever. J'écrisparce qu'il m'est impossible de ne pas lefaire.
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Si je ne m’adresse pas exclusivement àmes collègues, c’est comme un des leursque j'élève aujourd’hui la voix. Ce qu'il
en adviendra, je l'ignore bien sûr. Rien,peut-être. Mais il y a une chose dont j'ai lcertitude. Je le dis sans détour, même sicela doit sembler extravagant : un parmi
ant d’autres professeurs, je sais qu’unemmense majorité d'entre eux se
reconnaîtra fondamentalement dans ce que'écris, et c'est la raison pour laquelle je
ne peux pas imaginer que cela resteraettre morte.
Je préfère avouer tout de suite que je suisnon seulement professeur de philosophieen classe de terminale dans’enseignement secondaire, mais aussi
ancien élève de l'Ecole normale
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supérieure et agrégé de philosophie. Sansdoute se trouvera-t-il des hommes éclairépour y voir matière à destitution. Je suis
rès loin de considérer ces titres commeune garantie d’infaillibilité. Le fait estsimplement que j'enseigne et que j'ai eu lachance de pouvoir mener à bien des
études fort difficiles pour cela. Cela nefait pas de moi un oracle, mais je ne voispas pourquoi il faudrait estimer que cetteexpérience disqualifie a priori ce qu'il m'été donné de penser de l'enseignement.
Au reste, on ne trouvera pas trace icid'une volonté de retour en arrière, à'école républicaine de Jules Ferry par
exemple. Mon propos est en un sensbeaucoup plus simple : je dis qu'il faut
qu'une école existe, qu'il s'agit d'une
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nécessité humaine, que l'imposture a prisdes proportions désormais intolérables età bien réfléchir, terrifiantes. Si rien ne
devait se produire, s'il ne devait seproduire et s'instituer que l'enseignementdu néant, j’aurais alors au moins lasatisfaction d'avoir tenté d’articuler les
derniers mots du condamné avant le coupde grâce.
On n’a pas idée de ce que peut êtreaujourd'hui la sidérante solitude desprofesseurs. Cette solitude n'a rien à voir avec celle qu’il appartient à l’institutionde leur ménager et de leur garantir dans lapratique même de leur enseignement, afind'en soutenir l'indépendance. Non, il s'agi
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à d'une chose d’un tout autre ordre, d’unabandon dont les professeurs eux-mêmesn’osent pas sonder les abîmes. Qu’il y ait
quelque chose de tragique, ou pire encoredans cet isolement, les conditions mêmesdans lesquelles la mise à l’écart deClaude Allègre a eu lieu peuvent nous en
donner un aperçu. En remplaçant ClaudeAllègre par Jack Lang, je crains que notrePremier ministre n'ait que trèspartiellement livré le sens de cettesubstitution. Car nous avons assisté, defait, à une troublante répartition desâches. À l’hôtel Matignon, l’ouverture,
’écoute et la compréhension : « C’était uregrettable malentendu, une simplequerelle de méthode, de style, depersonne. Voyez comme nous vous avons
entendus. "
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Dans les journaux, sur les radios, à laélévision, c’était un autre son de cloche :
chacun de déplorer et de dénoncer, avec
des accents vengeurs, l’inacceptablemmobilisme corporatiste des professeursaccusés de creuser la tombe de'Éducation nationale. Dans ce concert,
c'est tout juste si l’on trouvait encore unmot, une fugace et réticente inflexion, pouregretter les « maladresses » que l’ancienministre avait pu commettre, au serviceoutefois d’une juste cause dont il était
présenté comme le dernier martyr : cellede la réforme. Nous devons par
conséquent nous attendre à ce qu’unfossoyeur infatigable et zélé de’enseignement soit demain canonisé pour
avoir tenté de le sauver contre les
professeurs.
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Au « je vous ai compris » dugouvernement répondait ainsi, encomplément, le « on vous aura prévenus »
des médias de toutes formes et de toutesobédiences. Voici donc, dans sonntégralité, le message que notre pays, para voix de ses autorités les plus
puissantes, adresse en définitive auxprofesseurs : vous avez obtenu le départde Claude Allègre, qui a pu commettrequelques erreurs de communication, celadoit vous suffire. Désormais, vous êtesout seuls. Absolument seuls. Plus
personne ne comprendra que vous vous
acharniez à ne pas mourir. Vous mourrezdonc tranquillement, avec résignation,avec le sourire et les soins palliatifs quevos syndicats nous réclament et que nous
vous dispenserons, vous mourrez en
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musique, mais vous mourrez. En fait, vousêtes déjà morts : place aux jeunes.
On le voit bien à présent : rien n’aura étéplus fatal aux professeurs que la
personnalisation du conflit dans laquellels se sont laissé enfermer. Pouvaient-ilséchapper à ce piège ? Je ne le sais pas,mais il est clair aujourd’hui que les
aspects les plus ubuesques ducomportement de Claude Allègre ont été,et demeurent, après son départ, l’atout leplus paradoxal de la politique qu’il avaitreçu pour mission de promouvoir, et donte flambeau est passé aux mains de son
successeur. Comment en sommes-nousarrivés là ? Rappelons pour commencer
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que lorsque Claude Allègre a prispossession de la rue de Grenelle, lesprofesseurs étaient déjà profondément
abattus par la crise de l’enseignement donls subissent les effets depuis des années.ls ont d'abord été brusquement paralysés
non seulement par la violence et par la
déloyauté des attaques répétées dont ilsétaient l’objet, émanant de leur ministre,mais aussi par l'indignation et par la ragequi les a submergés. Ce fut précisément, se puis dire, la goutte d’eau qui
empêcha dans un premier temps le vase ddéborder. Habileté politique, ou effetsecondaire et imprévu d'un tempéramentmpulsif, peu importe : le résultat, c’est
que la réaction des professeurs s’est
focalisée sur la personne du ministre et
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non sur les idées qu'il incarnait. C'étaitune situation absolument suffocante. Voilàpourquoi, en partie du moins, ils ont eu
ant de peine à manifester autre chosequ'un rejet viscéral, symptôme du «malaise enseignant », de la « grogne »dont parlaient élégamment les journaux, e
général d’ailleurs pour leur faire diren’importe quoi.
Mais ce n’est malheureusement pas la
seule explication de cette périoded’inertie convulsive. Au moment même oùls étaient ainsi tétanisés, les professeurs
faisaient l’amère expérience de ladéfaillance complète de leurs syndicats.Eux seuls avaient les moyens matériels demobilisation nécessaires. Eux seuls
étaient susceptibles d’organiser,
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d’encadrer et de conduire unemobilisation d'ampleur nationale. Or, endépit de la déferlante d'occasions qui
s’offraient à eux, ils ont incroyablementardé à le faire. Précisons qu’on ne peutexpliquer leur paralysie initiale par lesraisons que j’invoquais il y a un instant au
sujet des professeurs. Car les syndicatsdisposent en tant que tels du recul quiaurait dû leur permettre d’articuler politiquement et en raison la colère dontes professeurs étaient captifs. C'est dire
combien les imprécations de tout bordcontre la puissance corporatiste dusyndicalisme enseignant, en lacirconstance, portaient à faux puisque loinde réagir avec la détermination et la
ucidité requises, les syndicats ont plutôt
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fait preuve d’une singulière complaisance
Je parle des syndicats, mais c'est
évidemment au SNES que l’on doit en’occurrence imputer la responsabilité laplus lourde, parce qu’il demeure lesyndicat le plus puissant dans
'enseignement secondaire. Il seraitd’autre part, et à l’inverse, tout aussierroné d’accorder aux syndicats en
général et au SNES en particulier lescirconstances atténuantes, en arguant deeur affaiblissement. On verserait alors
des larmes sur le désengagement, ladésaffection syndicale des professeurs.Mais si le syndicalisme enseignant s'estbel et bien affaibli, si le SNES enparticulier a perdu du terrain, c’est
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d’abord parce que le syndicalismeenseignant s’est discrédité auprès desprofesseurs. Et cela pour une raison très
simple, que les récents atermoiementssyndicaux ont étalée au grand jour : dansses composantes majoritaires, lesyndicalisme enseignant s’est révélé
oujours plus incapable d’envisager 'enseignement, et la crise de'enseignement, autrement que sous les
espèces d’une simple question demoyens, et de soutenir les professeurspour défendre autre chose que leursntérêts catégoriels au sens le plus
restrictif du terme.
Cependant, pour évidente que soit
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’impéritie de nos syndicats, il ne faudraitpas en déduire que la question des moyenà mettre en oeuvre dans l’Education
nationale ne se pose pas, et je voudraismoins encore laisser entendre que lesprofesseurs n’ont aucun intérêt catégorielégitime à défendre. Ce sont même des
questions que l’on peut à bon droitconsidérer comme essentielles, mais ellesne le sont effectivement qu’à partir de’idée que l’on se fait d’abord de la
substance et des principes de’enseignement. Or, sur ce point crucial, l
vérité est que le syndicalisme enseignant,
SNES inclus, partage largement lesprésupposés pédagogiques décisifs de lapolitique à la survie de laquelle legouvernement a finalement sacrifié Claud
Allègre. La vérité, c’est donc que le
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syndicalisme enseignant s’est affaibliparce que, loin de montrer à la mesure dea crise de l’enseignement, il s’en est
rendu complice. Le sursaut , dont ont faitpreuve les syndicats sous la pressiond’une base à bout de patience et qui s'estsoldé par la mise à l’écart de Claude
Allègre était par conséquent contraint etambigu. Il ne se serait pas produit si lesprofesseurs n’avaient pas commencé àsecouer leur paralysie, à identifier, àarticuler les raisons de leur colère, às’affranchir de celle-ci, bref, à sortir deeur isolement. En écartant Claude Allègr
avant que les professeurs aient pus’affranchir totalement de lapersonnalisation du conflit, le chef dugouvernement a sans doute sauvé
'essentiel à ses yeux, à savoir sa réforme
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de l'enseignement, qui passera dans’école non plus comme on passe un mutin
par les armes, mais comme un goutte-à-
goutte, un assassinat sous narcose. Devancette habile dilution de la réforme, lesprofesseurs, vainqueurs apparents etllusoires du conflit, sont plus isolés que
amais.
ous avons donc eu le spectacle navrantd’une collusion objective entre legouvernement et les syndicats. Car ilfallait agir vite, éviter à tout prix que lesprofesseurs puissent comprendre et direclairement ce qu’ils vivent depuis deongues années. Il me semble en effet quee cœur du problème est là : les
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professeurs ne comprennent pas ce quieur arrive. Ils éprouvent des choses,
notamment un lourd ressentiment à l’égard
de leur ancien ministre, de la méfiance oude la rancœur à l’égard de leurs syndicatsun désarroi profond, qui peut aller jusqu'àa détresse, dans l’exercice même de leur
métier, mais ils ne comprennent pas ce queur arrive. Pour parler comme Spinoza,ls ont conscience de leurs affections,
mais ils sont ignorants des causes qui lesdéterminent.
À vrai dire, ce dont les professeurs ontfondamentalement conscience, uneconscience qui s'aiguise et les blessechaque jour un peu plus, c'est qu'il leur esdevenu, au fil des années, de plus en plus
difficile d'enseigner ; c'est même qu'il leu
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est devenu, au fil des années, de plus enplus souvent impossible d'enseigner :mpossible, tout simplement, de faire leur
métier. Cela, ils l'éprouvent, ils le viventour après jour, heure après heure, classeaprès classe, depuis des années, etoujours davantage. Le mal, la douleur et
a colère qui se sont exprimés avec tantd'acuité mais d'une manière et dans desermes encore confus et maladroits
viennent donc de plus loin, et n'ont pascommencé avec l'arrivée de ClaudeAllègre au ministère de l'Éducationnationale. Et pourtant, quelque chose avai
suffisamment changé avec Claude Allègrepour qu’on s’en saisisse comme d’unechance, une dernière chance d’inverser laendance avant que tout soit fini, parce
qu'avec ce changement, ce qui était
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usque-là seulement
éprouvé, et qui n’est pour l’instant
qu’éprouvé plus douloureusement encore,aurait pu enfin être compris. Il fallaitsimplement faire l'effort d'entendre ce quise trahissait, ou plutôt ce qui s’avouait
dans la franchise d'une brutalité inouïe denotre ancien ministre. Les déclarations deClaude Allègre donnaient la clef de cequi, depuis longtemps, et aujourd’hui
encore, est décrit comme le « malaiseenseignant », et par conséquent de ce qui,demain, peut devenir la révolteenseignante. La clef, oui, la véritable clefde l’énigme, l’aveu incroyable de ClaudeAllègre, c’est qu’il est désormaisformellement interdit d’enseigner, c’est
que l’enseignement est interdit, c’est qu’il
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est interdit aux élèves d’être des élèves,aux professeurs d’être des professeurs,aux établissements publics
d’enseignement d’être des établissementsd’enseignement.
Je sais à quel point cela peut paraître fou,
et j’en suis moi-même abasourdi, maisc’est le sens exact des propos et des actesde notre ministre. Dès son arrivée rue deGrenelle, Claude Allègre donnait le ton.
En stigmatisant l'absentéisme desprofesseurs, il désignait publiquement cesderniers à la vindicte, en laissant entendreque l’école avait plus que jamais besoinde leur présence. Mais maintenant, et à laumière des commentaires éplorés qui
circulent autour de son départ, nous
comprenons le sinistre renversement ourd
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dans cette attaque. Claude Allègre, souscouvert de dénoncer l’absentéisme desprofesseurs, n’était en fait que l’impudent
porte-parole d’une société qui aotalement abandonné l’école, et qui nesupporte en conséquence même plus qu’ils’y trouve encore des professeurs. Car ce
ne sont pas les professeurs qui s'absententmais l’école, où ils avaient leur place eteur rôle, pour ne pas dire leur mission,
qui s’est absentée d’eux, parce que notresociété n’en veut plus. Et c’est la raisonpour laquelle les professeurs n’ont plus,sur les lieux mêmes de leur travail, qu’un
existence spectrale, irréelle oudéréalisante. Dans un tel climat, ce qui esremarquable, ce n’est pas que quelquesprofesseurs soient absents parce qu’ils
ombent malades, c’est qu’ils ne soient
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pas encore tous tombés malades.
l faut le dire : ce qui a rendu en quelquesdizaines d’années notre travail sidifficile, ce qui a fini par le rendre si
souvent impossible, ce qui a fait de’école ce théâtre d’ombres, ce royaumedu mensonge, ce mirage que lesprofesseurs connaissent tous aujourd’hui
où qu’ils enseignent, ce n’est pas lamassification de l’enseignement,commeon le radote, c’est un long processus dedestitution de l’enseignement qui culmineà présent et se parachève dans unenterdiction formelle d’enseigner. Telle
est la vraie cause, la seule cause dumalaise enseignant ». La vérité, c’est que
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enseignement ne s’est pas démocratisé,mais que nous avons pris le chemin pluscourt et plus efficace de sa suppression
pure et simple.
Malaise dans l’enseignement ? C'estdécidément un euphémisme bien utile,
quand il s’agit d’escamoter cetteencombrante suppression.
Dans les annonces d’objectifs faramineux
dans les communiqués de victoireriomphants qui ont jalonné toutes ces
années, et que le défunt ministère n'a faitque multiplier dans des proportions certeahurissantes, comment ne pasrétrospectivement voir une stupéfianterésurrection de la propagande la pluséhontée dans un pays qui s’est réjoui de la
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chute du mur de Berlin ! Quand on pensequ’il s’est trouvé, qu’il se trouve plus queamais des gens pour créditer notre ancien
ministre d’une rupture salutaire avec laangue de bois, on est pris de vertigedevant ce phénomène, et l’on voudraitpouvoir s'exclamer, avec les accents de
Pascal : que l’homme se perde dans cettepensée ! Oui, il faut s’y perdre désormaiset nous ne devons pas avoir peur desombrer, même dans le ridicule, enançant un dernier appel au nom de tous
ceux qui pensent encore qu'il y avaitquelque chose d’irréductiblement juste
dans la « splendide promesse faite auiers-état », même si ce n’est plus qu’uneépitaphe, une cérémonie funèbre, quelquemots jetés à la hâte et clandestinement sur
une tombe. Arrêtons donc un instant de
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uger avec arrogance les mensonges dusocialisme réel, et penchons-nous sur nospropres mensonges et sur notre trahison.
l est encore temps d’écouter les parolesdu Grand Timonier martyr de l’Éducationnationale pour mesurer ce que sera, tel
qu’il nous
dépeint, le grand bond en avant dans'école du XXIe siècle. J’avoue que je ne
comprends pas comment on peut ne pasêtre écœuré par l’avalanche de slogansittéralement orwelliens déversés en si
peu de temps par la rue de Grenelle : larentrée à zéro défaut, le Lycée du XXIe
siècle, l'École du respect, l’enfant aucentre de l’espace éducatif, la
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professionnalisation du métier d’enseignant, etc. Non, je ne comprendspas que l'on ne soit pas épouvanté par
’ignominie, la sottise, l’escroqueriegrotesque et proprement hallucinante queous ces mots recouvrent et découvrent àa fois. Mais on me reprochera d’affirmer
d’asséner sans prouver, sans mêmeargumenter. Écoutons donc la voix quis'est fait entendre à travers celle de notreministre.
. . Parmi tant de choses lues et entenduese demeure hanté par un entretien accordé
au journal Le Monde en novembre dernierpar Çlaude Allègre. Dans un passage decet entretien, que je cite ici en vérifiant
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mes sources, notre ministre avait lafranchise effrayante de nous dire ceci, quidit tout : « Il y a dans enseignement une
endance archaïque que l'on peut résumer ainsi : "Ils ont qu’à m’écouter, c'est moiqui sais." » Et Claude Allègre d'ajouter :« Sauf que c’est fini. Les jeunes (et même
es très jeunes) n’en veulent plus. » etpour couronner l'avertissement : « Cequ'ils veulent, c'est inter-réagir. » La seulmanière de m’arracher à la sidération queprovoque en moi la lecture de ces proposc'est d’en proposer une explication, oui,une explication de texte. Car il faut
absolument comprendre ce que cela veutdire, ce que cela dit.
l y a d’abord l’inconcevable infantilisme
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comment l'appeler autrement ? - de laprésentation qui nous est donnée de’enseignement dit « archaïque » : « Ils on
qu’à m’écouter, c’est moi qui sais ». Lediscours professoral est réduit à’arbitraire à la fois risible, absurde etllégitime d’une instance de parole
otalement subjective. La figure duprofesseur qui exige le silence et l’écoutede ses élèves est assimilée, je ne diraispas à celle d’un sergent instructeur, mais celle d’un meneur de bande de gaminsdans une cour de récréation. Seul unhomme qui pense, au nom de toute une
société qui le laisse dire, qu’il n’y a rien apprendre, peut se faire une telle idée dudiscours professoral. Car s’il n’y a rien àapprendre, si les professeurs ne savent
rien, ne connaissent rien, s’il n’y a par
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conséquent rien à transmettre, c’est laparole professorale, l’autoritéprofessorale en elle-même, qui deviennen
non seulement superflues, maiscomplètement abusives, et les élèves n’oneffectivement aucune raison de l’écouter,moins encore de s’y plier, et surtout pas l
devoir de le faire. Mais il n’y a plus à cecompte ni professeurs, ni élèves, nienseignement. Ce qui est révoltant, c’estque l’homme qui dit cela est, dit-on, unsavant, un professeur, et qu’il était leministre, le premier serviteur de’Éducation nationale. L’enseignement se
rouve ainsi réduit à une relationotalement intersubjective. Lesprofesseurs et les élèves sont condamnés,par les soins d’une abstraction délirante,
eur pure subjectivité. Il n’y a plus à
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’école que des « moi » qui disent « je »,et l’on ne voit pas alors à quel titre un deces « moi » serait fondé à le dire plus
qu’un autre. J’ai beau chercher àcomprendre comment un hommesimplement en possession de son bon senspourrait penser une chose pareille et tenir
de tels propos, cela m’échappe.
Je sais bien que le simulacre d’école quenotre société est en train de mettre enplace sur les décombres de l'école de’autorité et l’émancipation est celle que
Claude Allègre son brain trust appellent «’école du respect ». Bien entendu, ce
slogan se présente comme une réponse à’irruption des actes de violence pure qui
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défraient périodiquement et de plus enplus fréquemment la chronique de école.Mais on aurait tort de penser qu’il ’agit
d’instaurer ou de restaurer les conditionsd'une protection de l’intégrité physiquedes élèves et des professeurs. On veut enfinir avec la violence, certes, mais
aquelle ? La réponse est contenue dans lemessage adressé aux « acteurs » de l'écolpar notre ministre : "Il faut que les élèvesrespectent les professeurs et que lesprofesseurs respectent les élèves. » Cemessage de réciprocité ne fait quereprendre, en l’investissant d’une autorité
publique, la vulgate sociologique etpsychologique dominante, en vertu deaquelle on
ne peut comprendre la violence dans
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’école qu'à la lumière de la violence de'école, en tant que telle.
Ainsi, la violence physique qui se fait joudans l’école aurait pour origine premièrea violence symbolique mais non moins
réelle et tout aussi intolérable de
’institution. En réalité, on ne peut tenir cet équilibre et cette réciprocité jusqu’aubout puisque la violence symbolique estpremière. Si l’on veut résorber celle qui
ui répond, et qui, pour fâcheuse qu’ellesoit dans ses conséquences, est néanmoinsbien compréhensible, il faut d’abord etsurtout résorber celle qui la déclenche.Comme les professeurs sont sesprincipaux agents, ils doivent êtreempêchés de nuire. En somme, il faut en
finir avec l’insupportable violence
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symbolique de l’enseignement. Leproblème n’est donc pas, comme onvoudrait nous le faire croire, qu’il existe
simplement une minorité de professeursqui abusent de leur autorité, et qu’ilfaudrait effectivement sanctionner sansfaiblesse, mais que l’autorité des
professeurs est en elle-même abusive etntolérable.
Refusons enfin ces misérables sophismes
et que les sociologues et les psychologueses refusent avec nous. Car nous devons àout prix le reconnaître : la capacité de
parler à la première personne, de dire « j», pour donnée qu’elle soit à chacund’entre nous, doit nécessairement êtrenstituée, faute de quoi elle est en effet
condamnée à se limiter à l'usage d’une
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pure fonction grammaticale vide de toutesubstance, ou plutôt pleine desconventions et des lieux communs les plu
éculés, fatalement reproduits sans la pluspetite once de distance. Il ne fait aucundoute que cela requiert un effort bien réelet difficile, mais assimiler sans autre
forme de procès cet effort à une violence,comme s’il n’était que douloureux, nepeut conduire qu’à désarmer l’esprit en livrant à la toute-puis ance de la pression
sociale.
l faut donc absolument qu’on lecomprenne : lorsque je suis professeur,orsque je m’adresse en tant que
professeur à des élèves en tant que tels, cn’est pas « moi » qui m'adresse
simplement à eux, et ce n’est pas
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simplement à leur « moi » que ce discours'adresse. Ce n’est pas moi qui parle,mais le professeur que je suis, au moment
précis et dans les circonstances précisesoù je parle, et le silence que cette paroleréclame des élèves est un silence quis’impose d’abord à moi qui leur parle. Le
silence que le professeur impose d’abordau bavardage de son propre moi est celamême qui l’institue professeur, qui libèreet légitime sa parole. Et c’est cetteexigence qui constitue le fondement du
droit
mprescriptible des professeurs au silenceet à l’écoute de leurs élèves. Autrementdit, et j’y reviendrai plus loin, il suffit derappeler qu’il n’y a d’enseignement que
s’il existe un contenu de l’enseignement.
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C’est bien cela que nous voulons réduire néant en laissant dire qu’il s’agitseulement d’une conception « archaïque »
de l’enseignement.
« Archaïque » : tout est dit. Dans labouche du ministre, il est clair en effet qu
cet adjectif équivalait à un certificat dedécès. Or, ce qui est consternant, c’est quce mot même, qu’il brandit contre lesprofesseurs comme un signe d’infamie,
devrait être au contraire pour leur enseignement le meilleur des sauf-conduits. Sommes-nous devenusncapables de le comprendre ? Sommes-
nous tous des disciples du pharmacienHomais, ayant dépassé leur maître de cencoudées, pour nous complaire dans un
provincialisme moderne aussi forcené ? I
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e semble bien, et notre amnésie est doncelle qu’il faut que nous rappelions à notre
ancien ministre, que nous nous rappelions
à nous-mêmes la valeur de l’archaïsmeenseignant. Si la conception de’enseignement que Claude Allègre
voulait voir morte sous ses yeux, au nom
d’une société qu’elle entrave dans samarche triomphale, est encore et toujourset malgré tout vivante, survivante, si l’onpeut espérer qu’elle nous survivra, tant dumoins que nous ne
serons pas parvenus à arracher à’humanité ses ressources les plus
profondes, c’est précisèment parcequ’elle est archaïque, c’est-à-dire au plushaut point essentielle à la chose même
qu’elle détermine si adéquatement.
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Arché, en grec, signifie à la fois principe,Origine, point de départ, commencement,autorité et commandement. Alors oui, la
conception de l’enseignement dont on serit avec un mépris irresponsable, quicondamne notre temps, est bien archaïquemais non parce qu’elle est mourante :
parce qu’elle commande et détermine depart en part l’intelligence de
ce qu’est essentiellement l’enseignement
dans
son principe. On comprend, par la mêmeoccasion, et pour ainsi dire sur le fait,pourquoi il Importe tant de fabriquer hypocritement les conditions dansesquelles non seulement l'apprentissage
du grec et du latin sera impossible,mais le
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souvenir même de leur existence seraeffacé de l’école à jamais.
Croyant appuyer son propos par unargument incontestable, le ministre de
’Éducation nationale ajoutait : « Leseunes (et même les très jeunes) n’enveulent plus. » Ce n’était pas facile, maisnous pouvions encore, il y a un instant,
essayer de rire nous-mêmes, etd’exorciser par ce rire une suffisance
grotesque. Mais ici, le rire s’étrangle.L’atmosphère devient irrespirable. Il nenous reste plus que la stupeur. Non, jen’exagère pas. Non, ma réaction n’est pasrrationnelle. Ce sont plutôt les dernièresarmes de la raison que je veux verser.
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Quitte à y perdre tout espoir, il nous fautméditer cette phrase, dont on ne parvientpas à croire qu’elle a vraiment pu être
dite, et assumée : « Les jeunes (et mêmees très jeunes) n’en veulent plus. » Cettephrase, que personne n’a relevéepubliquement, je ne connais pas un seul
professeur sachant encore ce qu’il fait, ouplutôt ce qu’il est empêché de faire, etqu’on veut définitivement lui interdire defaire, je ne connais pas même un seul
adulte sensé - mais où sont-ils ? - quipourrait la pardonner à notre ancienministre.
Ce constat, cette réalité ainsi opposée à lapersévérance de notre archaïsme, nousnous y heurtons tristement, chaque jour,
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dans nos classes : ils n’écoutent plus.Admettons-le : on est encore très loin dea réalité, on se voile la face, on maquille
a catastrophe en légère turbulence si,comme on le fait trop souvent, on relèveseulement chez nos élèves un problème deconcentration, une difficulté croissante à
maintenir en éveil leur attention sur uneongue durée, une présence de plus enplus sporadique et volatile. Non, il faut
avoir l'honnêteté et le courage de le direnettement
car que dire, lorsque l'écoute estdevenue l’exception, le bavardage la règl? - ils n'écoutent plus... du tout. Mais ons'égare tout autant si, comme on le faitégalement, on impute cette déroute à une
surcharge insupportable des programmes
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et des emplois du temps, si l'on s'émeut àa vue du surmenage que l'on inflige aux
élèves : comme si l'on envoyait
aujourd'hui les enfants à l’école comme oes envoyait à la mine il y a un siècle.
On s’égare, mais on se rapproche par là
même de la folie bien réelle de notreemps.
Car à bien y réfléchir, cette explication
ouchante laisse déjà entendre que’inattention de nos élèves ne peut plus
être considérée comme une faute oucomme une défaillance, mais qu’elle n’esaprès tout que justice. Un pas de plus, eta recherche des causes d’une infirmité
devient la célébration lyrique d’une vertuCe pas, Claude Allègre l'a franchi, il l’a
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pour ainsi dire brûlé, comme on laissederrière soi une terre dévastée. Nousavons vécu un moment historique : le
moment où ce qui n’était jusqu’alorsqu’un processus, une lame de fondsouterraine, a été, définitivement peut-être, promu au rang de politique nationale
une politique dont les orientations ont étépensées, conçues et théorisées par desdoctrinaires d’un pédantisme qui n’ad’égal que celui des médecins de MolièreEt c’est un condensé de ce momenthistorique que nous pouvons lire ici.
En effet, Claude Allègre ne s’est pascontenté de constater que nos élèvesn’écoutent plus. Il a bien dit qu’ils neveulent plus écouter. Malheureusement
c’est encore vrai.
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I est très clair que ceux qui ne nousécoutent plus éprouvent de moins enmoins cette inattention comme une
ncapacité. On voit au contraire de plus enplus clairement qu’ils la veulent, cettesurdité, et qu’elle ne représente nullementà leurs yeux une défaillance,
puisqu'ils la revendiquent avec’assurance sans faille de qui se saitnexpugnablement dans son bon droit, et
oppose à la persécution de l'enseignemenune résistance qui n'est même pluspassive.
On s'ingénie à brouiller les pistes en nousrépétant jusqu’à la nausée que les élèvesont changé, et qu’il importe d’inscrireenfin cette évidence dans la norme, dans
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e droit de l'école, dans le contenu et dana forme de ses enseignements. Mais c’es
une lamentable imposture. Car ce que veu
un élève en tant qu'élève, c’estprécisément écouter un professeur,entendre et recevoir un enseignementdigne de ce nom. Que chacun d’entre nous
replonge dans ses propres souvenirs de’enseignement, qu’il les interroge, qu’il
cherche, si c’est nécessaire, et il verraque les moments les plus lumineux de cesannées sont ceux où, ayant devant soi unprofesseur, il a su ce que c''était qued’être un élève, d’être libéré de son
bavardage, de ne pas vouloir autre chosequ ’écouter, entendre et recevoir unenseignement. Il est donc certain quequelque chose a changé, cela ne fait aucun
doute, cela crève les yeux. Mais ce ne
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sont pas les élèves qui ont changé. Ce quia changé, c'est qu'il n'y a
out simplement plus d’élèves. Voici doncune autre amère vérité qu’il nous fautaffronter : ceux que nous avons devantnous ne sont plus des élèves. De sorte que
’ai envie de dire : Comment cechangement s’est-il fait ? Il n’est pas toutà fait impossible de le comprendre.Qu’est-ce qui peut aujourd’hui le faire
passer pour légitime ? Je crois pouvoir répondre à cette question.
Partons de la situation présente : il n’y aplus d’élèves. Pour commencer, c’estseulement si l’on ose comprendre etreconnaître cela, que l’on comprend enmême temps pourquoi la question de leur
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niveau n’est pas la vraie question.Vraiment, je crois que nous devronsfinalement quelque gratitude à notre
ancien ministre. Ah ! La question duniveau des élèves, de ce niveau quibaisse, qui ne cesse de baisser, lacontroverse du niveau, l’éternelle querell
du niveau, nous allons pouvoir lui régler son compte, grâce à lui ! Et d’abord, bienentendu, il est vrai, il est évident que leniveau baisse. Il faut ne pas avoir mis lespieds depuis trente ans dans un collège oudans un lycée, et même dans un « bon »collège ou dans un « bon » lycée, il faut
être resté confiné aux seules statistiquesde son laboratoire de recherche, il fautavoir troqué cette amorce de raison qu’ese simple bon sens contre une intelligence
artificielle, pour
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affirmer et prétendre démontrer lecontraire. Bien sûr que le niveau baisse.Et pourtant, ce n'est pas le problème.
Je veux dire que le niveau des élèves, sibas soit-il, et il l’est au-delà de ce qu’onpeut imaginer, n’est pas un problème. Ce
n’est pas parce que le niveau de nosélèves est faible qu’il nous est devenu deplus en plus difficile d’enseigner, voirempossible de le faire. Car on peut
oujours apprendre quelque chose à unélève en tant que tel, quel que soit sonniveau, pourvu seulement qu’on lui aitdonné une chance et les moyens de ledevenir, pourvu qu'on ait pris la peine ete soin de faire de lui un élève. Or, si le
niveau de ceux à qui nous n'arrivons plus
à enseigner est devenu ce qu’il est, c’est-
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à-dire une absence de niveau, c’est parcequ’ils ont été empêchés de devenir desélèves et qu’on leur a par là même ôté
oute possibilité d’élever leur niveau;parce qu’on leur a interdit, toutsimplement, de s’élever.
Voilà pourquoi ils n'écoutent plus.Écouter un enseignement, voilà ce que neveulent plus, non pas les élèves, maisceux qui ont été empêchés de l’être. Leur
nattention, qu’on voudrait nous faireprendre pour l’effet réjouissant l d’uneibération volontaire, n’est donc que lerésultat désolant de la mutilation dont ils
ont été les victimes.
Écrasants, les programmes ? Tropchargés, les emplois du temps ? Ces
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questions se posent bien sûr, mais àcondition que l’on ait d’abord prisconscience d’une chose : la
déscolarisation de l’institution en estarrivée à un point tel que l’école estaujourd’hui un lieu où il est légitime deout faire, du sport, des échecs, de
’informatique, du théâtre, du chant, de ladanse, tout ce qu’on veut, sauf s'asseoir derrière une table, et écouter un cours.Une enquête historique précise lemontrerait aisément : la proliférationdémesurée des enseignements dits «optionnels » a joué un rôle préparatoire
dans la déscolarisation que je décris ici àson stade terminal. C’est cetteprolifération qui a peu à peu fait perdre lesens de la réalité scolaire, jusqu’à ce que
s’inscrive plus ou moins consciemment
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dans l’esprit et dans le comportement desélèves l’idée selon laquelle c’est en fait’enseignement lui-même qui est
optionnel, avec son cortège de contraintesdevenues facultatives : attention, écoute,politesse, assiduité et ponctualité - ycompris dans le travail.
On m'accusera certainement de délirepasséiste, on me reprochera de prendre unchangement de paradigme pédagogique
pour une liquidation de l’enseignement,d’être incapable de m'adapter à denouveaux élèves, et de refuser un progrèsdécisif de la démocratie. Avant dem’adresser cette accusation capitale, jevoudrais que l’on prenne le temps derelire la phrase de Claude Allègre dont le
souvenir m’obsède, tant il est vrai que
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notre ancien ministre a la confondantenconscience d’y célébrer littéralement la
disparition des élèves, d’y condamner à
’avance ceux qui voudraient encores’élever, et d’appeler à la mise à bas deceux qui voudraient les y aider. Qui sont-ls en effet, ceux qui ne veulent plus
écouter ? Des élèves différents de ceuxque nous étions, de ceux que nous avonsconnus ? Non, et nous le lisons en toutesettres : ce sont des jeunes. « Les jeuneset même les très jeunes) n’en veulent
plus. » Mais par quel miracle envoudraient-ils encore, puisqu’on a
commencé par les enfermer dans la prisondésormais consacrée de leur jeunesse etde leur moi, et qu’on leur interdit ainsi, enes identifiant totalement à cette jeunesse
qu’ils incarnent, ne serait-ce que de
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soupçonner qu’ils pourraient aspirer àmûrir ? Ils ne sont pas jeunes, ce sont deseunes. Voilà ce qu’on a fait d’eux, et tell
est bien d’ailleurs la seule circonstanceatténuante de leur surdité.
Quand l’école avait encore affaire à des
élèves, sa mission était de les conduire àpenser par eux-mêmes. C’était uneambition très haute, et une tâche infinimendifficile. On lui en fait aujourd’hui le
procès. Tout cela ne suscite plus que lerire ou l’indignation. Conduire les élèvesà penser par eux-mêmes ? Mais quelleprétention, et pour de si maigres résultats Et surtout quel abus : car les jeunes sonteux-mêmes. Vis-à-vis des jeunes, l’écolea désormais pour seule mission légitime
celle d’écarter tous les obstacles qui les
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empêchent d’être ce qu’ils sont d’ores etdéjà si parfaitement. En conséquence dequoi, tout ce qui, dans l’école, entrave sa
ransformation en vaste terrain de jeux etde divertissement doit être extirpé sans lamoindre hésitation, à commencer par cettehabitude sénile d’enseigner qui est celle
des professeurs. C’est ici que l’on mesurea largeur du gouffre qui nous sépare des
partisans de la sacro-sainte réforme.otre divergence ne part même pas d’un
constat commun, qui serait celui de lacrise de l’enseignement. Nouspartagerions alors une même inquiétude,
une même angoisse. Or nos ardentsréformateurs ne s’inquiètent nullement :ls jubilent, et voient dans ce qui nous
affole le ferment d’un progrès
gigantesque, l’aube d’un avenir
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pédagogique radieux. Et l’on consulte leseunes : « Qu’est-ce qui vous ennuie à’école ? Que peut-on faire pour que cela
cesse ? » Le plus inattendu, et le plusragique peut-être, c’est le chemin quinous a conduits à cette situation.
On parle évidemment beaucoup de lamassification de l’école, de l’arrivéemassive dans les établissements scolairesde ce qu’on appelle pudiquement un
nouveau public. Que pouvons-nousrétrospectivement distinguer dans ceprocessus ? Au départ, il s’agit de lanécessité qui s’est progressivementmposée, après la Seconde Guerre
mondiale, de retenir et de maintenir dans’école une proportion finalement très
mportante d'enfants que l'institution, de
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facto, avait jusqu'alors précocementécartée. Il n'est pas facile d’analyser laeneur, la nature exacte de la pression qu
s'est alors exercée sur l'Éducationnationale. Quelle part a prise alors, dansce qu’on pourrait appeler la force deschoses, la force du droit? Et de quelle
manière faut-il comprendre la légalité oua justice dont on a, en tout cas
rétrospectivement, revêtu ce processus ?On considère aujourd’hui qu’il s’agissaitde démocratiser l’enseignement, dedonner davantage de substance,d’effectivité, à une conquête essentielle
de la démocratie moderne : le droit à'instruction.
Car le droit à l’instruction, en lui-même,
n’a pas été instauré en France au
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endemain de la Seconde Guerremondiale. L’instruction, inutile de lerappeler, avait même été rendue
obligatoire par la IIIe République. On seserait donc seulement avisé, après laSeconde Guerre mondiale, du fait quebien des familles n’avaient jusqu’alors
pas eu les moyens de jouir réellement dece droit qui leur était formellementreconnu. Il ne suffit pas de dire quechacun dispose du droit de s’élever par ’instruction pour que ce droit soit effectifil faut avoir les moyens de jouir d’un tel
droit. On ne naît pas élève, on le devient.
Problème terrible pour l'institutionscolaire, pour ses normes méritocratiquesde sélection, et pour ses gardiens. Cela nesupposait-il pas que l’on mît en œuvre un
certaine forme de discrimination positive
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? Pouvait-on le faire sans pervertir laustice dans l’enseignement, et finalement’enseignement lui-même ?
Peut-être. Mais il aurait falluexplicitement comprendre, dire, et faireadmettre ce qu’on voulait. Une volonté
politique de justice et de progrès auraitalors dû explicitement se formuler ets'assumer, qui aurait dû accompagner,organiser, surveiller et conduire une
démocratisation réelle de l’enseignement.C’eût été extraordinairement difficile,parce qu’il aurait fallu vraimentreconnaître et définir les handicapssociaux que l’on voulait compenser, enfixer les critères, et déterminer les moyenà mettre en œuvre pour favoriser leur
compensation. Quadrature du cercle peut-
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être, car il aurait fallu en même tempspréserver à tout prix un droit fondamentalde l'institution elle-même, ce droit que
’appellerais le droit de l'école à l’échecscolaire, sans lequel elle ne peut plus êtrequ'un gigantesque village Potemkine.
Or, que s’est-il produit, sinon’édification même de ce village
Potemkine ? Ce que nous pouvons en effetconstater aujourd’hui, c’est qu'unvéritable torrent compassionnel a emportée droit. Toutes les digues ont été
rompues. L’école s’est trouvée confrontéede plus en plus radicalement à un chantagmoral inouï. Au lieu de reconnaître lacapacité des nouveaux venus à répondre
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aux exigences d’un enseignement digne dece nom, de les y aider, de leur donner, nonpas cette capacité, mais les moyens de
’affirmer, on s' est contenté dereconnaître leur humanité. Au lieu dereconnaître en eux les élèves qu’ilsavaient le droit de devenir, on a sommé
'école, et les professeurs, de reconnaîtreen eux la forme abstraite de l’humainecondition et de s’incliner devant elle.C’est ainsi que les élèves sont devenusdes jeunes, et que l’école été mise endemeure de cesser de les outrager.
Des élèves, les professeurs étaient endroit d’attendre qu'ils acceptent un codede comportement approprié à ceux quiapprennent : la discipline scolaire. Avec
« les jeunes », c’est exclu, et même
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nterdit, puisqu’il n'y a plus qu’à lesrespecter. Pour finir, on a fait comme siavoir le baccalauréat était un droit
mprescriptible de la personne humaine, epar conséquent comme si refuser lebaccalauréat, et même, à présent, refuser ne serait-ce qu’une bonne note, était une
atteinte criminelle à la dignité des jeunes.Au terme de ce processus d'humanisationet de puérilisation de l’enseignement, il ya ce que nous constatons à présent : leremplacement d’une démocratisation de'enseignement par l'instauration d'une
pseudo-démocratie dans ce qui n’est plus
qu'un semblant d’école. Doubledénaturation de l’école et de ladémocratie.
Les malheureux qui ont précipité un de
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eurs camarades dans la cage d’escalier de leur collège parce qu’il était un bonélève, c’est-à-dire parce qu’il était encor
un élève, parce qu’il n’avait pas encorecompris qu’il n’avait plus le droitdésormais d’en être un, sont le résultatogique, inévitable et atroce de cette folie
le fruit, le seul fruit de cette démence. Ladécision d’ouvrir les portes de l’écoleaux interventions de la police, au momentmême où l’on proclame à grand renfort dehaut-parleur la volonté (encore un slogan)de faire entrer l’école dans le droit ou ledroit dans l’école - comment ne pas s’y
perdre ? - cette décision n’est qu’un pasde plus accompli dans le sens de ladestitution de l’enseignement et de ladestruction accélérée de ses institutions.
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nous expliquer que l'on va rétablir etrationaliser la discipline dans les lycéeset collèges, et de nous exhiber de
nouvelles mesures, puisqu’on a commencpar prouver que l’on ignore le sens mêmedu mot discipline. Il ne peut pas y avoir de discipline à l’école si l’on commence
par y interdire l’enseignement desdisciplines. Je maintiens que nous ensommes là.
Hélas, je ne crois pas remonter de cesprofondeurs où l’esprit se perd à lasurface des choses en disant maintenant :voici ce qui s’est accompli en l'espace dequelques dizaines d’années dans’Éducation nationale. En faisant sauter un
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par un tous les moyens que l’institutiondonnait aux professeurs pour soutenir leurenseignement en le légitimant, nous avons
symboliquement mis à nu les professeurs,et condamné leur effort. Personne ne peutprendre la mesure de la culpabilité qui leronge et les empoisonne aujourd'hui. Ils
essayent d’enseigner ? Ils se sententcoupables d’essayer. Ils ont du mal àenseigner ? Ils se sentent coupablesd’avoir du mal. Ils n'arrivent pas àenseigner ? Ils se sentent coupables de nepas y arriver. Ils renoncent à enseigner ?ls se sentent coupables d'y renoncer. Et
es élèves, je l'ai dit, ont été condamnés,puisqu'on a renoncé à soutenir leur effortpour s’élever. A cet égard, ce n’est pasout à fait un hasard si Claude Allègre, au
moment
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de nous dire enfin ce que veulent, d'aprèsui, les « jeunes » qui ne veulent plus
écouter, nous révèle qu’ils veulent « inter
réagir ».
Je ne suis pas vraiment sûr d’être de ceuxqui se reconnaissent dans l’idée, qui a au
moins le mérite de nous faire penser, quea science ne pense pas. Je préfère penser
qu’une science qui ne pense pas est unescience profondément mutilée, une scienc
qui usurpe son nom, et je suis tout à faitdisposé à envisager l’hypothèse selonaquelle ce pourrait bien être le cas de la
nôtre, à plus forte raison lorsque je voismes collègues mathématiciens, par exemple, s’inquiéter de la disparition dea notion même de démonstration dans
’enseignement de leur discipline. Quoi
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qu’il en soit, il y a une chose dont je suisplus sobrement et absolument sûr, c’estqu’il y a un certain nombre de savants qui
ne pensent pas. Claude Allègre, etquelques-uns de ses plus prestigieuxcollègues, tout nobélisés qu’ils sont, nousen administrent assez souvent la triste
preuve. Je ne devrais peut-être pas perdremon temps à essayer de comprendre ceque notre ministre a voulu dire au sujet dece que veulent les « jeunes », car il estmpossible de comprendre ce qui n’a
aucun sens, et qui trahit en l’occurrenceson absence de signification par... un
barbarisme : « Ils veulent inter-réagir. »Sans doute induit en erreur par quelquepédagogue, Claude Allègre aura confondu
es élèves avec on ne sait quelles
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particules prises dans on ne sait quelchamp de force. C’est ici l’occasion deposer ne serait-ce qu’une question. Car on
pourra toujours nous rétorquer qu’il existbel et bien des expériences pédagogiquesdes collèges et des lycées pilotes, etqu’on peut y observer beaucoup de chose
out à fait surprenantes. C’est bienpossible, mais je me demande toujours si’on réfléchit vraiment à ce qu’on faitorsqu'on procède ainsi. Les écoles ne
poussent pas comme des champignons.Précisément parce que l’école est unenstitution, je me demande s’il est légitime
de chercher à déterminer ce qu’il luiappartient de produire ou d’autoriser àpartir du modèle de ce qu’on peut forcer a nature à produire sous les contraintes
expérimentales du laboratoire.
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Mais on m’accusera de mauvaise foi. Unspécialiste mondialement reconnu dessciences de la terre ne peut pas avoir eu à
’esprit une telle confusion des genres.C’est bien entendu à « l’interactivité », ausens informatique du terme, que pensaitnotre ministre. Est-ce mieux ? Je lis dans
e Petit Robert cette édifiante définition d’interactivité ainsi entendue : « Activité
de dialogue entre l’utilisateur d’unsystème informatique et la machine, par ’intermédiaire d’un écran. » Je souligne,
et je ne crois pas nécessaire d’en direplus : cela se passe de commentaire. Une
fois encore, la nature de l’institution, donta connaissance seule permet de définir adéquatement ce que c’est qu’un élève, essidéralement ignorée. En revanche, il faut
s'attarder un instant sur ce que fait Claude
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Allègre en disant ce qu’il dit, car sonbarbarisme serait simplement drôle s’il nraduisait la montée d’une barbarie qui,
sous ses dehors progressistes etcompatissants, est bien plusqu’inquiétante.
Pourquoi ne sommes-nous pas capablesde reconnaître cette barbarie, qui n'acertes pas été inoculée dans’enseignement par Claude Allègre, mais
qu’il a chevauchée, éperonnée avec unenthousiasme effarant ? Pourquoi sommesnous incapables de la reconnaître en nousalors même que nous prétendons neconnaître qu' elle, alors même que nousnous enivrons de vigilance et de lucidité ?Pourquoi, sinon parce que la certitude de
notre légitimité démocratique nous
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aveugle et nous donne l’illusion d’en êtreà jamais préservés. Aussi faut-il le diresans ambages : ce que disait notre
ministre n’est pas seulement d’uneprodigieuse inanité sonore, mais aussi etmalheureusement détestable. Car il estdétestable de pervertir le besoin de
direction et d’orientation propre à laeunesse en raison de la dépendance
réelle qui la constitue, au lieu d'enassumer aussi scrupuleusement quepossible la charge. C’est cette dépendancréelle de la jeunesse qu'un enseignementdigne de ce nom a pour vocation de
résorber, en commençant par lareconnaître, puis en s’appuyant sur lesdispositions naturellement présentes enchacun, dont le développement doit être
protégé, soutenu et favorisé par
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’institution.
Ce que les propos de Claude Allègre
renvoient ainsi au visage de chacund’entre nous, ce n’est même plus quelquechose de l'ordre d’une démission, le refusd’assumer le devoir des adultes que nous
sommes à l’égard de ceux qui ne le sontpas encore, de les aider à le devenir, c’es’interdiction formelle d'assumer ce
devoir érigée en politique. Et ce qui est
plus détestable encore, c’est d’imputer cette interdiction, en invoquant ce queveulent prétendument les jeunes, à ceux-làmêmes qui, en réalité, qu'ils en soientconscients ou non, réclament bel et bien àcor et à cri que nous assumions ce devoir envers eux; Dans l’agressivité sans fard
qui répond si souvent désormais à notre
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enseignement, comment ne percevrions-nous pas en effet le terrible ressentimentde ces « jeunes » confronté à l’amputation
de leurs aspirations les plus profondes ? Ifaut les voir se recroqueviller sur le totemnarcissique et pathétique de leurséléphones portables pour se faire une
dée de l’étendue du désastre.
Qu’est-ce que l'école publique, si l’onveut encore lui reconnaître une mission
publique, c’est-à-dire politique ? L’écolepublique est l’institution où doit êtreprogressivement assurée la rencontre desesprits les plus dépendants - les élèves -,avec les esprits les plus indépendants, qusont les plus grands esprits, c’est-à-direavec les œuvres des plus grands esprits.
Tel est par conséquent le rôle des
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professeurs, et tel est aussi le fondementultime de leur autorité. Les professeurs nesont à cet égard pas autre chose que des
élèves plus avancés que ceux qu'ils ontdevant eux, et l’enseignement peut alorsêtre défini comme leur acte commun.Voilà donc ce qui n’aura plus lieu d'être.
À ceux qui, comme moi, tiennent cediscours, on reproche parfois de sesatisfaire d’une critique facile, et stérile,
puisqu’elle ne débouche sur aucunesolution. Je répondrai deux choses. D’unepart, cette critique n’est pas facile du toutl est même très difficile de formuler
clairement un diagnostic lucide dans leclimat de chasse aux sorcières qui règneaujourd’hui. D’autre part, nous ne somme
pas des prestidigitateurs pour sortir de
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notre chapeau, dans l’isolement le pluscomplet, une ribambelle de solutionsprêtes à l’emploi. Un des aspects les plus
profonds de la crise de légitimité quifrappe l’enseignement est précisément sondéni, de la part de ceux qui nous accusentnous, d’immobilisme. Avant d’envisager
es solutions possibles, ou plutôt, pour que des possibilités de solutioncommencent à apparaître, il faudrait qu’unaccord suffisamment large puisse sedessiner quant au diagnostic. Alorsseulement notre regard serait porté par unout autre horizon, et de nouvelles
perspectives concrètes commenceraient àse profiler. Nous en sommes loin.
Pour l’heure, assez de faux-semblants !
Car tout le monde n’a pas la franchise de
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notre ancien ministre : on prétend ne viserque la forme obsolète du cours magistral,on se gausse des professeurs qui se
cramponnent à la vieillerie de ladissertation, comme si la dissertation étai’horizon indépassable de la pédagogie,
en ajoutant d’ailleurs, pour leur donner un
os à ronger, que la dissertation n’est pasmenacée. Mais les partisans de laréforme, en projetant ainsi sur nous leur obsession de la méthode, ont trop beau jedans cette polémique biaisée. Nous noussommes laissé prendre au piège d'unecontroverse fallacieuse, et je sais bien
pourquoi : quand tout se dérobe, quand lamer se retire entraînant tout vers le large,comment ne pas désespéréments’accrocher à ce qui surnage encore ? En
vain bien sûr, et l'on y laisse ses dernière
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forces avant d’être submergé. Est-ce sidrôle que cela ? Pourquoi les professeursont-ils été transformés en cette petite
secte, tantôt risible, tantôt exaspérante,d’adorateurs d’idoles, sinon parce qu’oneur a déjà tout pris ? Privés de l’autorité
qui leur permettait de nourrir leur
enseignement, les professeurs n’ont plusentre les mains que des formes vides, etqui tournent forcément à vide. Commentdiscuter sereinement des questions deméthode dans un tel contexte ? C’est laraison pour laquelle, au risque de passer pour fétichistes, nous voulons les
maintenir à tout prix, le plus longtempspossible, ces formes d’enseignement ; nonpar attachement à une méthode, mais par principe, parce que tant qu’elles existent,
elles constituent la trace, bientôt
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complètement fossile, du fait qu’il y eutadis une possibilité d’enseigner quelque
chose à des élèves dans ce pays. Elles
émoignent de ce qui n'est plus qu'unsouvenir dévoré par un présent aveugle.
Cette trahison de l'esprit, de la jeunesse ede la maturité, nous en avons pourtant desexemples historiques récents. Celui
auquel je pense, on l’aura compris, c’esta folie de la révolution culturelle
chinoise. Qu’on n’y voie pasd’exagération : c’est une révolutionanalogue qui est en train de se produire.Au moment où Claude Allègreencourageait les élèves à faire feu sur lesétats-majors professoraux du
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confucianisme disciplinaire, notreministère lançait dans les établissementses gardes rouges de la démocratie
scolaire. Ils portent un nom, les soldats decette vague du futur, ils s'appellent les «emplois jeune ». Qu’ils exercent desfonctions pédagogiques de soutien ou de
pur encadrement, ces malheureux, loin desoutenir les élèves en tant que tels, parcequ’ils sont en fait à peine plus formés queces derniers, parce qu’ils sont prochesd’eux, comme on dit si bien sans se rendrcompte de ce que l’on dit, ces malheureuxparticipent en réalité, à leur corps
défendant, à la destitution totale de’autorité des professeurs, ou de ce qu’ilen reste. Ils sont l’image même de ce queseront demain tous les professeurs
orsqu’ils auront tous été institués, si l’on
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peut dire, conformément aux normes derecrutement et de formation qui sont enrain d'être mises en vigueur. Puisqu'il est
entendu qu’être jeune est désormais unitre, pourquoi ne serait-ce pas aussi bienun emploi ? C’est ce qu’on ose appeler «a professionnalisation du métier
d’enseignant ».
Quels efforts de maîtrise de soi ne faut-ilpas s’infliger pour ne pas hurler de rage e
de désespoir sous ce déluge de gifles, decamouflets, d'insultes, que réserve auxprofesseurs chacun des fantastiquesslogans de notre ministère ! Mais quoi ?Être professeur n’était donc pas un métier? Pas une profession ? Ceux qui étaientusqu’ici professeurs n'avaient donc
aucune qualification ? Aucune compétenc
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professionnelle ? Un professionnel, jesuppose, est quelqu'un qui sait fairequelque chose, au sens où il est un
spécialiste de cette chose, et non unamateur occasionnel. S’il fautprofessionnaliser le métier d’enseignant,c’est donc que les professeurs, jusqu'ici,
ne savaient pas faire quelque chose qu'ilssont censés faire, savoir faire, c’est-à-dire, bien entendu, enseigner. Maisenseigner quoi ? Peu importe : mais ilsdoivent savoir l’enseigner. Une foisencore, tout est dit.
Qu’ont donc appris jusqu’ici lesprofesseurs, au lieu d’apprendre àenseigner, et qui les empêche, veut-onnous faire croire, d’enseigner ? Les
professeurs d’histoire ont appris et saven
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de l’histoire, les professeurs demathématiques ont appris et savent desmathématiques, les professeurs de
physique de la physique, et il en va ainsidans toutes les disciplines. Eh bien, cescandale doit cesser, et il cessera.Demain, aujourd’hui hélas pour ceux qui
sont déjà victimes de la rééducationnationale, les professionnels de’enseignement ne sauront rien, mais ils
sauront l’enseigner, et leurs élèvesn’apprendront rien, mais ils l’aurontappris. Et ce sera formidable, car tous lesclignotants seront au vert, et ce sera le
meilleur des mondes. Il fallait y penser :comment assurer la réussite infaillible etotale d’un enseignement enfinnterdiscipinaire, tout en résorbant la
distance insultante qui sépare les
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professeurs de leurs élèves ? Mais c’estenfantin : il suffit de vider l’enseignementde toute substance. Pourquoi enseigner
quelque chose plutôt que rien ? Telle est’insondable question métaphysique de lapédagogie moderne.
Je dis à ceux qui verront une outrancedans mon propos qu’ils se trompent, qu'ilveulent, de bonne foi sans doute,s'immuniser contre une réalité que je
décris au contraire telle qu’elle est.Prenons un exemple précis : lorsque l’onmet en place dans les classes de premièreet bientôt de terminale, une réforme donta raison avouée est d’introduire unenitiation à la recherche et à ses méthodes
dans l’enseignement secondaire, il faut se
demander ce que cela signifie. Or il ne
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suffit pas de remarquer qu’il estdéraisonnable de prétendre initier à larecherche des élèves qui, en nombre
croissant, semblent arriver en fin descolarité sans avoir appris à lire et àécrire, car c’est là une évidence. Il fautplutôt s’interroger sur l’opinion qui, dans
a réforme elle-même, autorise àvolatiliser complètement cette réalitépourtant criante, et à vider par contre-coup de son sens la notion même derecherche intellectuelle, sans quepersonne s’en émeuve le moins du mondeC’est bien, et ce ne peut être que
’opinion, apparemment si réconfortante,selon laquelle il n’y a pas à proprementparler de connaissance à transmettre, nipar conséquent à apprendre, mais
seulement des « savoirs » à construire
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conformément à la libre et égalediosyncrasie de chacun.
Cet avènement des travaux dits «personnels » marque donc la grandevictoire de la pédagogie sur l’école, etbien plus encore. Ce grand Midi de
’humanité scelle la fin de l’erreur, ouplutôt de l'imposture la plus longue denotre histoire. Les professeurs, disent eneffet les réformateurs, sont les prêtres
d’un culte auquel plus personne ne croit :celui de la vérité. Pourquoi les élèves seaisseraient-ils encore immoler sans
résistance à ce Moloch ? Ils bavardent ?Mais non : les esprits libres font unvacarme de tous les diables. Réjouissons-nous avec eux plutôt que de nous lamenter
délogeons enfin les professeurs de leur
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fallacieuse maîtrise, et chassons-les deeurs arrogantes estrades. Que leur rôle se
réduise désormais plus modestement à
autoriser l'émancipation de la subjectivitéet de l’arbitraire légitime des élèves.Hélas, le relativisme extrême ainsi promune transforme pas seulement l’école en
marché captif de la nouvelle économieplanétaire. Il ne peut préparer à plus oumoins long terme autre chose que leriomphe de la déraison, de la brutalité, da haine travestie en idéalisme, de la
superstition la plus obtuse et la plusstupide, sur des âmes que l’école aura
méthodiquement désarmées, et dégoûtéesdu néant auquel elle les aura condamnéesComment ne serait-on pas affreusementnquiet pour cette démocratie qu’on nous
accuse de détester, alors que nous voyons
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ses partisans les plus acharnés préparer dans l’allégresse sa reddition à l'ennemi,en faisant de l'école le creuset de tous les
fanatismes à venir ?
Je me rends compte à présent combien’avais tort, combien j’étais encore
optimiste, en appelant « barbarie » cettehaine de l’enseignement qui s’empare de’école. Car la barbarie n'est au fond quea simple ignorance des principes de la
civilisation, ignorance qui peut donc êtreéclairée et instruite. Tout autres sont lerejet, la destruction et l'anéantissement deces principes, surgissant du sein même dea civilisation. Cela porte un nom. Cela
s’appelle du nihilisme. On me dira peut-être que c’est un bien grand mot, le
nihilisme, une idée, une abstraction, un
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épouvantail à moineaux, bref, quelquechose qui n’existe pas : un leurre. Eh bienc’est un fait, et nous y sommes. Qu’on
m’autorise un dernier détour pour mieuxe montrer si c’est encore nécessaire.
Je fais partie de ces professeurs qu’il
faudrait fusiller si l'on ne trouvait pas pluraisonnable et plus sûr d’instaurer lesconditions qui assureront, sans heurt, on’espère, leur extinction. Leur mort
paraîtra ainsi naturelle. Les tempschangent, n'est-ce pas ? C’est la vie et ledestin normal de toutes les espècesvivantes, et c’est bien commode.Autrement dit, je suis de ceux quimesurent encore leur compétence à l’aunedes connaissances objectives qu’ils
dominent, en l’occurrence à l’aune de la
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culture philosophique que je domine. Jene sais pas si ceux qui ne sont pasprofesseurs réalisent à quel point cette
estimation de soi fragilise celui qui s’ysoumet. Elle n’incite pas à la vantardise,et moins encore au triomphalisme. D’unautre côté, elle est un remarquable
rempart contre la suffisance, et par làmême une incitation merveilleuse à’amélioration de soi. Il s’agit donc de la
seule chose que l’Éducation nationaledevrait protéger, entretenir, promouvoir,encourager, et récompenser, chez lesprofesseurs comme chez les élèves.
Mais je voudrais surtout attirer l’attentionsur ceci : devant sa classe, devant sesélèves, le professeur qui se comprend
ainsi incarne et manifeste à la fois
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’insuffisance qui est la sienne et lesressources ainsi que l’effort qui leconstituent pour la surmonter. Il lutte
devant ses élèves avec une connaissancequi se dérobe et qu’il ne domine jamais,même dans le meilleur des cas, quepartiellement. C’est une situation qui
’expose à une immense vulnérabilité. Ilest ainsi, il doit et il veut être ainsi celuiqui s’efforce de permettre à ses élèvesd’accomplir avec lui un effort analogue.Et c’est ainsi qu’il les instruit et leséduque, par l’effet en quelque sortesecondaire de cette instruction. Inutile de
dire qu’une telle entreprise n’est pas, n’aamais été, et ne sera jamais gagnéed’avance, car aucune méthode ne sauraiten garantir mécaniquement le succès.
Aussi n’y a-t-il pas d’âge d’or de
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’enseignement, à moins que nous n’ensoyons réduits à regarder comme un âged’or les époques où enseigner fut
considéré comme légitime.
Dans cet effort ou dans cette espéranceque représente l’enseignement, et qui se
brise aujourd’hui contre un mur d’indifférence, de mépris ou d’hostilité, jprétends qu’il est tout simplement faux dedire que le professeur nage seulement à
contre-courant, et qu’il exige de sesélèves le même effort, la même violenceen définitive contre-nature. Si tel était lecas, l’enseignement serait alors purementet simplement répressif, et le professeur serait seulement un homme autorisé à sevenger sur ses élèves de la violence qu’il
s’est d’abord infligée, ou qu’on lui a
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nfligée. Tout homme recèle à la racinemême de son humanité une disposition àapprendre, une puissance naturelle de
comprendre, un désir natureld’intelligence qui ne demande pas autrechose que de s’affirmer. Mais siessentielle à notre humanité que soit cette
disposition, cette puissance, ou ce désir, ifaut aussi en reconnaître la très grandefragilité. Cette disposition doit surmonter bien des obstacles, franchir bien desécueils, pour se développer, pour s’affirmer, pour parvenir à la floraisondont elle est capable et qu'elle désire. Éd
quer et instruire, ce n’est pas implanter cette disposition de force dans une naturequi lui serait intrinsèquement rétive, c'estsavoir reconnaître sa présence et lui
apporter le soin qu’elle réclame. C’est
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ustement pourquoi cette dispositionnaturelle doit être instituée et soutenue pa’institution, et non assassinée par elle.
C’est aussi pourquoi le rôle fondamentalde l’institution est de garantir l'autoritédes professeurs, d’une part en leur assurant les conditions d’une formation
disciplinaire d’un haut niveau, d’autrepart en assurant les conditions du respectde leur autorité par les élèves. Faute dequoi, on abandonne à la fois lesprofesseurs et les élèves.
Le professeur de philosophie qui s’estrécemment déshabillé devant sa classeétait sans doute un âne, mais l’institutionqui l’avait réduit à ce dénuement n’avaitsans doute guère le droit de s’en indigner
Demandez à des élèves ce que c’est à
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eurs yeux que l’autorité : ils vousrépondront tous, y compris les moinsdémunis, qu'il y a des gens qui en ont et
d’autres qui n’en ont pas, etparticulièrement les professeurs.Comment leur en vouloir si on les aréduits à reproduire de tels clichés ?
Pourtant, il n’y a pas, d’un côté, lesprofesseurs qui ont de l’autorité, et de’autre ceux qui n’en ont pas. Il faut en
finir avec cette escroquerie paresseuse etnepte qui confond l’enseignement avec un
exercice de dressage de fauves, par ailleurs si humains. Il n’y a plus
aujourd'hui que des professeurs destituésde toute autorité légitime par l’institutionelle-même et par celui qui fut son premierserviteur : des professeurs dont tous les
points d’appui se dérobent sous leurs
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pieds. On ne peut pas imaginer lafrustration et l’humiliation que celasuscite chez eux, ni la perversion que cela
encourage, la perversion que cela rend, enréalité, obligatoire : il faut désormaispasser son temps à exiger des élèves uneattention qu’ils n’ont plus aucune raison
d’accorder. Plus exactement, il fautmaintenant demander aux élèves lapermission de leur apprendre quelquechose, et bien entendu, puisque celasignifie qu'on leur a interdit d’être desélèves et qu’ils ne le sont par conséquentplus, ils la refusent. C’est le monde à
’envers, la folie qui prétend se fairepasser pour le bon sens. Mais n'est-ce pase propre de la folie ?
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compassionnelle, et à l’école de Jean-Jacques, nous avons purement etsimplement renoncé à voir dans l’enfant
’homme qu'il doit devenir. Nous avonsméconnu l'homme et l'enfant, et nousrisquons cette fois d'en payer un prixexorbitant.
l y a, dans le Livre de la connaissance deMaïmonide, cet énigmatique et immensedocteur de la loi juive, qui figure aussi
parmi le très petit nombre des philosophees plus grands, plusieurs chapitres
consacrés à l’enseignement et à ladéontologie de la vie scolaire, dont unpassage est aujourd’hui, plus que jamais,bouleversant. Nous y lisons qu’un hommedont le père et le maître ont été emmenés
en captivité doit racheter d’abord son
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maître, et ne payer qu’ensuite la rançon deson père. Dans la mesure où cette règleapparemment insensée peut enseigner
quelque chose à tout homme en tantqu’homme, qu’il soit juif ou non,aujourd’hui comme hier, il s’agit d’uneréflexion sur ce que c’est qu'être père. La
paternité, nous est-il ainsi suggéré, nes’avère pas dans le simpleaccomplissement d’une pure fonctionbiologique d'engendrement. Le père ausens véritable du terme est celui quienseigne. Autrement dit, celui quiengendre au sens authentiquement humain
du terme est celui qui enseigne. Le pèred’un enfant doit donc faire de lui un élèveSoit qu'il lui enseigne lui-même ce qu'ildoit apprendre, soit, s’il ne le peut pas - e
quel père le pourrait ? - qu'il lui permette
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d'apprendre auprès d'un maître.
Chacun sait que nous ne sommes plus au
Moyen Age et s’en félicite. Notreenseignement doit faire l’économie dusoutien que pouvait donner aux hommes laRévélation dans leur désir de s’élever, et
nous ne visons plus à introduire nosélèves dans la vie du monde futur. Laâche qui nous échoit n'est cependant pas
mince, puisqu’il nous reste à leur donner
es moyens d’ouvrir les yeux sur cemonde-ci. Je doute que nous puissions yparvenir en nous passant de toute autoritéen congédiant stupidement les auteurs etes œuvres qui permettent à chacun
d’entre nous d'échapper à la confusion,carcérale et délétère, du monde et du
présent. La modernité, si elle ne veut pas
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succomber au vertige nihiliste de sonauto-engendrement, doit apprendre à voir dans le passé pré-moderne autre chose
que de rares et maladroites anticipationsde sa propre sagesse, noyées dans unocéan d’erreurs et de crimes. Faute de cetarrachement à la puissance hypnotique du
présent, elle ne sera qu’un laboratoireplanétaire de l’inhumain.
Ainsi les élèves de l’école du XXIe
siècle, se trouvant d’aventure confrontés àa triste situation évoquée par Maïmonide
ne rachèteront sans doute ni leur
professeur, ni leur père. Et le pire, c’estqu'on ne pourra pas tout à fait leur donnerort.
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Adrien Barrot
é en 1967, il est actuellement professeurde philosophie en classe de terminale. Ilest ancien élève de l’École normalesupérieure de la rue d’Ulm et agrégé de
philosophie.
« On n 'a pas idée de ce que peut êtreaujourd'hui la sidérante solitude des
professeurs. Cette solitude n ’a rien à voiavec celle qu'il appartient à l'institution deur ménager et de leur garantir dans la
pratique même de leur enseignement, afind’en soutenir l’indépendance. Non, ils'agit Ici d'une chose d'un tout autre ordred'un abandon dont les professeurs eux-mêmes n'osent pas sonder les abîmes. »
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Pourquoi l'enseignement est-il aujourd'huiprivé de sa substance ? Pourquoi serait-ilnterdit de transmettre des connaissances
Pourquoi est-il tout simplement devenumpossible de conduire ceux qui sont sur es bancs de l'école à penser par eux-
mêmes ? Telles sont les questions que
pose, avec perplexité, avec lucidité, avecamertume, Adrien Barrot.
Ce plaidoyer, écrit dans l’urgence, dit le
quotidien d'un métier bafoué et, surtout,appelle à un sursaut immédiat : parce qu'ifaut que l’école existe, que les professeurpuissent redevenir des professeurs, et lesélèves des élèves.
JA 0122
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SSN
12554337
SBN
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