Post on 12-Sep-2018
UFR Droit, Sciences politiques et sociales
Tuteur : Serge LEPAGE
Le traitement social de l’administration fiscale à l’égard
des professionnels Master 1 Science politique – Politique et Action Publique
Ahmed-‐Danyal ARIF -‐ Année universitaire – 2012/2013
2
Remerciements
Ce travail, fruit d’une recherche individuelle, n’est en réalité que l’achèvement d’un travail
collectif.
Je souhaite adresser mes plus sincères remerciements aux personnes qui m’ont apporté leur aide et
qui ont contribué à l’élaboration de ce mémoire ainsi qu’à la réussite de cette formidable année
universitaire.
Je tiens à remercier sincèrement Monsieur Dauchy, qui, en tant que professeur référent, s’est
toujours montré à l’écoute et très disponible tout au long de la réalisation de ce mémoire, tant pour
l’inspiration, l’aide et le temps qu’il a bien voulu me consacrer et sans qui ce mémoire n’aurait
jamais vu le jour.
Mes remerciements s’adressent également à Monsieur Lepage pour sa générosité et la grande
patience dont il a su faire preuve malgré ses charges professionnelles. J’exprime ma gratitude à tous
les agents rencontrés lors du stage effectué et qui ont accepté de répondre à mes questions avec
gentillesse.
Je n’oublie pas mes parents pour leur contribution, leur soutien et leur patience. Et je tiens aussi à
exprimer ma reconnaissance envers la famille Gayet qui a eu la gentillesse de lire et corriger ce
travail.
Enfin, j’adresse mes plus sincères remerciements à tous mes proches et amis, qui m’ont toujours
soutenu et encouragé au cours de la réalisation de ce mémoire.
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Table d’abréviations CC. Conseil constitutionnel
CGI. Code général des impôts
DDFiP. Direction départementale des finances publiques
DDHC. Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
DGE. Direction des grandes entreprises
DGFiP. Direction générale des finances publiques
DGI. Direction générale des impôts
DRFiP. Direction régionale des finances publiques
IR. Impôt sur le revenu
IS. Impôt sur les sociétés
ISF. Impôt solidarité fortune
LOLF. Loi organique relative aux lois de finances
LPF. Livre des procédures fiscales
NTIC. Nouvelles techniques d’information et de communication
OCDE. Organisation de coopération et du développement économique
PIB. Produit intérieur brut
PME. Petites et moyennes entreprises
PVFI. Pour vous faciliter l'impôt
RGPP. Révision générale des politiques publiques
SIE. Service des impôts des entreprises
SIP. Service des impôts des particuliers
SPL. Service public local
TS. Taxe sur les salaires
TVA. Taxe sur la valeur ajoutée
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Sommaire
Présentation du service I. La direction générale des finances publiques (DGFiP) ....................................................................5 II. .Le centre des finances publiques du 8ème arrondissement – Champs Elysées................................6
A. Généralités...................................................................................................................................6 B. Le SIE du 8ème .............................................................................................................................7
INTRODUCTION ...............................................................................................................................9
Chapitre 1 : Le point de vue du contribuable
Section 1 - Les doléances des contribuables I. Hostilité vis-à-vis de l'impôt ...........................................................................................................12 II. Hostilité vis-à-vis de l'administration fiscale ................................................................................14
A. Le contrôle fiscal .......................................................................................................................14 B. Une complexité de la règle fiscale.............................................................................................14 C. Un combat perdu d'avance ?......................................................................................................16
Section 2 - Parole aux contribuables I. Une administration pédagogue........................................................................................................17 II. Une variable importante : le degré de socialisation du contribuable.............................................18 III. Le contrôle fiscal..........................................................................................................................19
Chapitre 2 : La réponse de l'administration fiscale Section 1 - La réforme organisationnelle de l'administration fiscale I. Des missions étendues ....................................................................................................................21 II. Transformations des techniques à l’égard des contribuables ........................................................22
A. Une mobilisation de moyens spécifiques... ...............................................................................23 B. ...encouragée par l'OCDE ..........................................................................................................24 C. L’amoindrissement du rôle de l’Etat .........................................................................................24 D. Les agents des finances publiques, des humains malgré tout ?.................................................25
Section 2 - Les garanties des contribuables face au contrôle fiscal I. Une extension réelle des garanties du contribuable ........................................................................27
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A. Le pouvoir du contribuable accru..............................................................................................27 B. Rassurer le contribuable ............................................................................................................28
II. Une extension des prérogatives reconnues aux agents de l'administration fiscale........................29 A. Coopération entre les administrations .......................................................................................30 B. Élargissement des moyens d'investigations de l'administration fiscale.....................................30
Section 3 - La « nouvelle » administration fiscale : vers une amélioration du service rendu à l'usager I. Les instruments de la nouvelle administration fiscale ....................................................................32 II. Une amélioration du service mais un civisme fiscal nécessaire de la part du contribuable ..........33
Chapitre 3 : La rencontre entre l'administration fiscale et le contribuable I. L'art de la négociation.....................................................................................................................34 II. Le pouvoir discrétionnaire des agents ...........................................................................................36
A. Qu’est-ce que le pouvoir discrétionnaire ?................................................................................36 B. Quid du pouvoir discrétionnaire des agents fiscaux ? ...............................................................36
CONCLUSION..................................................................................................................................40 Bibliographie......................................................................................................................................42
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Présentation du service Afin de présenter le service, il est préalablement nécessaire de revenir sur la fusion Impôt-Trésor
qui a foncièrement changé l'organisation de l'administration fiscale, réduisant cette dernière à un
organe d'exécution technique (I), pour ensuite repérer l'exactitude du service ou le stage a été fait (II).
I. La direction générale des finances publiques (DGFiP)
Naguère divisée en quatre directions (contributions directes, contributions indirectes, droits
d’enregistrements et droits de douanes), l’administration fiscale était alors organisée autour de
l’ancienne Direction Générale des Impôts (DGI).
Depuis le décret du 3 avril 2008, la DGI a fusionné avec la Direction Générale de la Comptabilité
Publique (DGCP), créant ainsi à l’intérieur du ministère du Budget, la Direction Générale des
Finances Publiques (DGFIP). Par ailleurs, l’on trouve la Direction Générale des Douanes et Droits
Indirects, qui a compétence pour tout ce qui concerne l’assiette, le contrôle et le recouvrement de
droits de douanes ainsi que de certains impôts indirects.
Depuis cette réorganisation, la DGFIP se voit confier toutes les missions antérieurement exercées
par la DGI et la DGCP. Pour ce faire, elle s’organise autour de trois pôles :
Le pôle gestion fiscale : concernant les métiers de l’ancienne DGI ainsi que le recouvrement des
impôts ;
Le pôle gestion financière publique : ayant les mêmes missions que l’ex-Trésor Public, c'est-à-
dire le calcul de l’impôt (sauf le recouvrement des impôts) ; et
Le pôle gestion interne : s’intéressant à la gestion du personnel, du budget et de l’informatique.
On trouve également des services ayant compétence nationale comme la direction des grandes
entreprises (DGE), ou encore la direction nationale des vérifications des situations fiscales
personnelles.
Par ailleurs, le décret du 16 juin 2009 eût pour conséquence, sur le plan local, la fusion des
directions des services fiscaux et des trésoreries générales en des structures unifiées :
7
• Les directions départementales des finances publiques (DDFiP) dont la présence est
assurée dans chaque département, sauf les départements chef-lieu de région (Exemple :
Paris) ;
• Les directions régionales des finances publiques (DRFiP) présentes dans chaque
région, assurant les fonctions de direction départementale et régionale ;
• Enfin, pour les collectivités d’outres-mers, ce sont des directions locales des finances
publiques qui gèrent des missions équivalentes à celles des DDFiP et des DRFiP.
Chaque direction locale est sous l’autorité d’un directeur départemental ou régional des finances
publiques. Ce directeur provient du corps d’administrateur des finances publiques ; nouveau corps
qui remplace les anciens corps et statuts de trésorier-payeur général (TPG) et de directeur des
services fiscaux (ce dernier corps devant disparaître courant 2013).
Les directions locales s’organisent, comme la DGFiP, en trois pôles : le pôle gestion fiscale
(assiette, recouvrement et contrôle), le pôle gestion financière publique (tenue des comptes de l’Etat
et des collectivités locales) et le pôle gestion interne (personnel, budget, informatique et logistique).
Le but de cette réforme était de disposer de guichets fiscaux sur l’ensemble du territoire : les centres
des finances publiques. Ainsi, des services des impôts des particuliers (SIP) furent crées et gèrent
désormais l’ensemble du dossier fiscal de chaque contribuable ; ces SIP remplacent l’ex-DGI et
l’ex-Trésor.
Par ailleurs, dans chaque centre des finances publiques, un service des impôts des entreprises (SIE)
fut créé, à l’image de la DGE au niveau central, afin de s’occuper de l’établissement et du
recouvrement des impôts professionnels.
II. Le centre des finances publiques du 8ème arrondissement – Champs-Elysées
A. Généralités Le centre des finances publiques du 8ème arrondissement de Paris se décompose en deux sections :
le SIP et le SIE sous la houlette de deux chefs-comptables distincts.
Depuis la réforme de la DGFiP, les villes où siégeaient un centre des impôts et une trésorerie
8
générale, sont dorénavant constituées des SIP. Le plus souvent, cela va se caractériser par un
transfert des équipes de recouvrement du trésor public vers les secteurs d’assiette à l’intérieur des
centres des impôts. Les SIP ont pleine compétence pour l’assiette et le recouvrement des impôts des
particuliers tel que l’IR.
En outre, la date du 1er janvier 2006 marqua l’achèvement de la mise en place d’un nouveau service
qui remplace la recette des impôts : le service des impôts des entreprises (SIE).
Le SIE est désormais l’interlocuteur unique des PME, des professions libérales, des artisans, des
commerçants et des agriculteurs pour l’ensemble de leurs démarches fiscales. Sa compétence
s’étend aux déclarations et aux paiements des impôts professionnels, tel que l’IS.
Avant cette réorganisation, une entreprise devait s’adresser, suivant les cas, au centre des impôts, à
la recette ou à la trésorerie pour la gestion courante de ses impôts. Le SIE permet d’offrir un
meilleur service aux petites et moyennes entreprises, en facilitant les démarches via un interlocuteur
unique.
Selon le site internet Wikipédia, l’année 2004 a vu le basculement du recouvrement de la taxe sur
les salaires et de l'impôt sur les sociétés, jusqu'alors pris en charge par les trésoreries de l'ancienne
DGCP, vers les Recettes. Dans le même temps, la gestion des demandes de remboursement des
crédits de TVA, effectuées par les entreprises, fut transférée depuis les directions des services
fiscaux vers les Recettes.1
Enfin, la contribution économique territoriale (CET) fut créée en 2010 afin de remplacer la taxe
professionnelle (qui fut supprimée par la loi de finances de 2010). Cette contribution est désormais,
elle aussi, prise en charge par les SIE pour son recouvrement.
B. Le service des impôts des entreprises (SIE) du 8ème arrondissement Le SIE du 8ème a une compétence géographique bien précise présentée en annexe 1. Il va assurer
l’assiette, le recouvrement et le contrôle des impôts couramment dû par les entreprises (IS, TVA,
TS,…), mais le SIE du 8ème se charge aussi de l’ISF (pour répondre au souci de particularité que
représente cet impôt) au sein du territoire illustré en annexe 1.
1 Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Service_des_imp%C3%B4ts_des_entreprises
9
Le SIE est organisé autour d’un chef de service et d’une vingtaine d’agents ; ceux-ci vont se
partager les tâches d’assiette, de recouvrement, et de contrôle des différents impôts dûs par les
entreprises. Par ailleurs, l’organisation du SIE se caractérise par un « accueil généraliste » dans
lequel les agents répondent indifféremment aux questions courantes des différents professionnels en
matière d’assiette et de recouvrement.
10
Introduction Il existe des objets de recherche, des thématiques vers lesquels on ne se porte pas spontanément ; a
priori, la fiscalité peut entrer dans cette catégorie. Pour autant, ces objets méritent d’être étudiés.
Le fait fiscal n’est pas un objet d’étude propre à la sociologie. Il s’agit d’un thème assez nouveau et
peu étudié. Ce pourquoi j’ai choisi de m’y intéresser.
Aussi, on ne peut pas parler du fait fiscal sans parler de l’administration fiscale, organe essentiel et
nécessaire dans toute démocratie contemporaine. En effet, celle-ci va jouer un rôle déterminant, car
elle va prélever les différents impôts et plus généralement les prélèvements obligatoires dus par les
citoyens-contribuables et les contribuables-entrepreneurs.
Cependant, l’administration fiscale apparaît, sur un autre plan, comme un « gendarme » omnipotent
par opposition au contribuable « démuni et soumis » face à cette « énorme machine administrative
»2. Cette caractéristique place directement le contribuable dans une situation subordonnée. En effet,
l’administration fiscale est souvent considérée comme étant une entrave à la liberté du contribuable
car « elle va vérifier, contrôler et sanctionner le cas échéant »3.
Le thème de la fiscalité couvre énormément de pages dans l’actualité du monde, et plus
précisément, du monde politico-administratif français. En effet, une grande partie de la population
est concernée par ce sujet qui fait grand bruit. Politique de rigueur en Europe, hausse des impôts,
tranche à 75% sur l’IR, sont autant de sujets qui façonnent l’actualité.
L’arrivée au pouvoir du candidat socialiste François Hollande en mai dernier, est, de ce point de
vue, révélateur. Ce dernier avait comme idée, au nom de la justice et de l’équité, d’ajouter une
tranche d’imposition sur le revenu. Cependant, l’opposition s’est empressée de déposer le texte sur
le bureau du Conseil constitutionnel. A juste titre car, le Conseil constitutionnel va, en décembre
dernier, censurer le texte prévoyant cette nouvelle tranche. Le Conseil d’Etat s’emparant de
l’affaire, va fixer à 66,66% comme limite de la fiscalité confiscatoire. La tranche d’imposition à
2 Thierry Lambert, « Le contribuable face à l’administration fiscale », Psychologie et science administrative, PUF, collection CURAPP, 2, 1985, p. 102 3 Thierry Lambert, « Le contribuable face à l’administration fiscale », Psychologie et science administrative, PUF, collection CURAPP, 2, 1985, p. 106
11
75% serait alors, purement et simplement, confiscatoire ! Le mot est fort, et le chef d’Etat se doit de
changer de stratégie.
Mais, les entreprises vont apprendre, le 28 mars dernier, de la bouche du chef de l’Etat, qu’elles
allaient devoir payer un nouvel impôt… Pas n’importe lequel, celui de 75% ! Cet impôt serait limité
pour une durée de deux ans… Voilà de quoi rassurer le jeune petit contribuable-entrepreneur
désireux de réussir sa vie…
Un autre fait est au cœur l’actualité : celui de la fraude fiscale. La fraude fiscale a toujours été
considérée, par les gouvernants d’un pays, comme un fléau à part entière. Mais le scandale Cahuzac
révèle les difficultés à lutter contre la fraude et l’évasion fiscale. Et pour preuve, on compte entre 60
et 80 milliards d’euros qui échappent au fisc chaque année !4
Enfin, se pose la problématique de la dette publique et des politiques d’austérités. En effet, la dette
publique en France s’élève à plus de 1800 milliards d’euros et de nombreuses gabegies sont, chaque
année, faites par les gouvernants. Il faut savoir que le premier poste de dépenses de l’Etat est, après
l’éducation nationale, les intérêts de la dette publique. Pourtant, le traité de Maastricht de 1992,
signé par l’ensemble des Etats membre de l’Union Européenne, prévoyait à son article 104, que la
dette publique ne pouvait pas dépasser 60% du PIB. Mais, force est de constater, que ce seuil est
aujourd’hui largement dépassé car la dette publique française avoisine les 90% du PIB.5
Toutes ces actualités n’arrangent en rien l’affaire de la relation entre le contribuable et les pouvoirs
publics. On peut définir les relations entre l’administration fiscale et les contribuables comme
l’ensemble des contacts de toute nature qu’entretiennent entre eux ces deux « ensembles ».
Ces contacts sont nécessairement empreints d’une tension dont il convient de chercher
l’origine.
Se pose donc la question de savoir, quel type de relation va entretenir l’administration fiscale envers
les contribuables personnes morales. Plus précisément, comment les agents des finances
publiques, pourtant soucieux de l’intérêt général, vont-ils être amenés parfois à produire
autant de différences dans le traitement social des contribuables ?
4 Dernière Nouvelle d’Alsace, 06/04/2013 5 L’express, L’Expansion, 28/09/2012
12
Dans un premier chapitre, il convient d’aborder le point de vue des contribuables-entrepreneurs
dans la mesure où il s’agit d’un acteur central (chapitre 1), la réponse de l'administration fiscale face
aux récriminations du contribuable-entrepreneur (chapitre 2). Enfin, il convient d’analyser la
rencontre, et donc les relations asymétriques entre l’administration fiscale et le contribuable-
entrepreneur (chapitre 3).
13
Chapitre 1 : Le point de vue du contribuable-entrepreneur Section 1 – Les doléances des contribuables-entrepreneurs
Le constat est clair : l'impôt et, plus largement, l'administration fiscale n'a pas très bonne presse. Le
corps social a tendance à se méfier, voire à vilipender une institution comme l'administration
fiscale. En effet, celle-ci apparaît, pour les contribuables, comme une institution n’hésitant pas à
prélever une partie du patrimoine qu’ils ont pourtant difficilement acquis, et surtout sans
contrepartie directe. Aujourd'hui, dans nos sociétés fiscalisées, 47% des richesses sont reprises sous
forme de prélèvements obligatoires... Et comment ne pas être inquiet lorsque la presse titre : « Le
maire de Londres tacle la pire "tyrannie" fiscale de la France de 1789 »6 ou "Le mal Français : la
saignée fiscale qui répand la terreur et "le déni" »7 ?
I. Hostilité vis-à-vis de l'impôt Selon Thierry Lambert, le prélèvement est semblable à une amputation du patrimoine acquis par le
travail8. Pour contribuer à la notion de « solidarité nationale » et surtout à l'intérêt général, le
professionnel va devoir donner une grande part de ses richesses à l'administration fiscale. Certains
contribuables-entrepreneurs, visiblement en faveur d’une part limitée de l'intervention Étatique,
vont alors remettre en cause ces prélèvements. D'autres, vont mettre en avant l'absence d'égalité
devant l'impôt.
En France, le système fiscal repose sur un système déclaratif, c'est-à-dire que l'État va faire
confiance au contribuable lequel va déclarer lui-même son assiette (sa base imposable). Ce système
déclaratif est vu, selon le professeur émérite Pierre Beltrame, comme une confession fiscale9. En
outre, l'auteur ajoute que « le rejet total de l'obligation fiscale n'apparaît que lorsqu'une forte
imposition se combine avec une inadaptation du système fiscal au milieu socio-économique dans
6 Le Figaro – Rubrique Economie, 9/10/2012 7 Le Cercle, Les Echos, 12/10/2012 8 Thierry Lambert, « Le contribuable face à l’administration fiscale », Psychologie et science administrative, PUF, collection CURAPP, 2, 1985, p. 104 9 Pierre Beltrame, La fiscalité en France, Hachette Supérieur, Paris, 2011
14
lequel il s'applique »10. Cela se constate par exemple, par le fait que beaucoup de contribuables
aient dénoncé la tranche de l'impôt sur le revenu à 75%.
Mais force est de constater, que l'entreprise (comme le contribuable-citoyen) est un être fortement
rationnel. L’entrepreneur va réfléchir en terme de calculs coûts/bénéfices, notamment en faisant ce
qu'on appelle de l'optimisation fiscale, pour payer le moins d'impôts possible. A l'évidence, l'impôt
constitue donc une contrainte qui se présente aux yeux des professionnels comme une Épée de
Damoclès suspendue au-dessus de leurs têtes.
Pour les gouvernants, ce qui importe est la lutte contre l'évasion et la fraude fiscale qu’entraine un
impôt. En effet, certains impôts vont faire fuir certains professionnels, dans certains pays à fiscalité
privilégiée (Ex. Suisse, Irlande, Panama, entres autres…). Et pour cause, selon un sondage mis en
ligne sur le site journaldunet.com en date du 12 février 2013, à la question "La fiscalité des
entreprises est-elle trop élevée en France ?", 79,8% des participants répondent oui.11
En dépit de cette situation, les gouvernants vont tout faire pour apaiser toute forme d'éréthisme
pouvant se dessiner dans la société civile. Pour répondre à cela, les gouvernants vont dans la plupart
des cas, soumettre l'impôt en question au C.C, qui statuera en dernier ressort. L'exemple de la
tranche à 75%, voulue par le nouveau président de la République, François Hollande, est assez
révélateur. Comme l'observe Thierry Lambert, « les résistances à l'impôt et son rejet sont si forts
que, dès que les Pouvoirs Publics touchent à ce domaine, la violence des sentiments exprimés est
tout à fait révélatrice. »12
Cela nous amène à nous poser la question de la légitimité mais aussi, plus généralement, du
consentement à l'impôt. En vertu du principe de légalité de l'impôt, celui-ci est forcément voté par
les parlementaires, c'est-à-dire les représentants de l'ensemble de la population. Bien qu'avec ce
système, le but était d'améliorer le consentement à l'impôt, il est aujourd'hui complètement désuet et
vidé de son sens originel. Cependant, il est d'une importance cruciale que le citoyen (entrepreneur
ou personne physique) adhère à l'impôt qu'on lui prélève. Aussi est-il important que le contribuable
comprenne la nécessité de cet impôt. Malheureusement, le contribuable-entrepreneur ne ressent pas
la situation de la même manière, car plus que cela, le prélèvement patrimonial est considéré comme
10 Pierre Beltrame, « Les résistances à l’impôt et le droit fiscal », Revue Française de Finances Publiques, n°5, 1984, pp.24-34 11 Journal du net, La fiscalité des entreprises élevée de France ?, 03/01/2013 12 Thierry Lambert, « Les contribuables face à l’administration fiscale », Psychologie et science administrative, PUF, collection CURAPP, 2, 1985, p. 105
15
totalement injuste.
Ce problème de taille a conduit le législateur à assouplir ce principe en introduisant des éléments de
« négociation de l'impôt », en cas d’erreurs de la part du contribuable-entrepreneur par exemple.
Mais ce système provoque aussi le mécontentement des contribuables-entrepreneurs car le
traitement accordé par l'administration fiscale sera parfois inégal en fonction des situations.
II. Hostilité vis-à-vis de l'administration fiscale
A. Le contrôle fiscal Les critiques envers l'administration fiscale, comme celles sur l'administration en général, sont
nombreuses au sein de la population. On évoque le plus souvent sa lenteur, mais aussi son
formalisme exorbitant. Mais ce qui dérange le plus le citoyen, comme les entreprises, est une
mission bien spécifique dévolue aux vérificateurs de l'administration fiscale : le contrôle fiscal.
Le contrôle fiscal est toujours une épreuve lourde pour celui qui la subit, surtout lorsque
l'administration fiscale va maîtriser de bout en bout cette procédure. Comme le dit Thierry Lambert,
même si l'administration fiscale peut aménager la règle et la sanction fiscale, « l'administration est
considérée comme étant une entrave à la liberté du contribuable ou du citoyen-entrepreneur : elle
oblige, vérifie et sanctionne le cas échéant. »13 En général, le contribuable-entrepreneur n'a que très
peu de marge de manœuvre et n’y voit qu'une seule solution : accepter. D'autres vont essayer de
négocier, s'efforcer de tirer profit de la situation à raison de leurs connaissances, dotés d'une grande
« culture fiscale ». Cette situation va renforcer le sentiment d'inégalité de certains contribuables, y
voyant une injustice et une partialité totale.
Pour autant, il faut préciser que les contribuables ne sont pas tous démunis. En effet,
l’administration fiscale exerce généralement sa mission de contrôle envers les contribuables dont
l’attitude est suspecte ou les agissements frauduleux… Par ailleurs, nous verrons par la suite qu’afin
de limiter ces inégalités, l’administration fiscale va aussi poser un certain nombre de garanties (Cf.
Section 2, Chapitre 2).
B. Une complexité de la règle fiscale 13 Thierry Lambert, « Le contribuable face à l’administration fiscale », Psychologie et science administrative, PUF, collection CURAPP, 2, 1985, p. 106
16
Il est vrai que, comme le dit l’adage, « nul n’est censé ignorer la loi ». Néanmoins, le droit fiscal
apparaît pour la majorité des contribuables-entrepreneurs comme une matière abstruse réservée aux
« fins connaisseurs ». Ainsi, la plupart des contribuables ne connaissent que de manière très réduite
les rouages de l'administration fiscale et ne voient en elle qu'une énorme machine à prélever l'impôt.
Cet extrait d'entretien réalisé avec un micro-entrepreneur le démontre assez bien :
« Je ne connais rien à la fiscalité des entreprises, mais ce que je sais c'est qu'elle me prend beaucoup d'argent. »
Entretien réalisé avec Arif Mahmood, micro-entrepreneur
En 2002 déjà, le Conseil des prélèvements obligatoires pointait du doigt le manque de clarté dans la
loi fiscale. « Source d'incompréhension » pour nombre de contribuables, cette problématique est
d'une tragique réalité. « L’instabilité du droit fiscal est aussi en elle-même une source de
complexité, notamment lorsque les décisions ont un effet rétroactif, ou bien lorsque les délais entre
la décision et la mise en application ne laissent pas à l’administration le temps de préparer et
diffuser les supports explicatifs nécessaires. »14 Même si il y a des améliorations, les textes
demeurent pour la plupart illisibles et augmentent le sentiment d'injustice chez certaines catégories
de contribuables-entrepreneurs. Pourtant la connaissance de la norme fiscale est un facteur
déterminant pour que règne entre l'administration fiscale et le contribuable une confiance
réciproque.
Bien que la population soit généralement hostile à l'administration fiscale, cette dernière la dote de
moyens pour limiter son « despotisme ». La Charte du contribuable de 2005, par exemple, est l'outil
typique qui est vu comme un « dispositif de socialisation (...), comme moyen de discussion
égalitaire entre les parties en présence. »15. Mise en place en 2005, « La Charte du contribuable »
présentant les « droits et les devoirs du contribuable vis-à-vis de l'administration fiscale », va
considérablement rééquilibrer les pouvoirs du contribuable au détriment de l'administration.
Désormais, lors de toute procédure de vérifications fiscales (c'est-à-dire de contrôle fiscal), « La
Charte du contribuable » doit être présentée au contribuable par l'administration fiscale, à peine de
nullité de la procédure.
Quand le rejet de l'administration fiscale – par les contribuables-entrepreneurs – se traduit par de la 14 Thierry Lambert, « Le contribuable face à l’administration fiscale », Psychologie et science administrative, PUF, collection CURAPP, 2, 1985, p. 106 15 Thierry Lambert, « Le contribuable face à l’administration fiscale », Psychologie et science administrative, PUF, collection CURAPP, 2, 1985, p. 113
17
violence, physique ou morale, c'est une façon pour ces derniers de la remettre sérieusement en
cause. En effet, il s’agit selon les contribuables, d’un moyen comme un autre de se faire entendre.
Ce rejet ne date pas d'hier et permet de délégitimer l'administration fiscale, et l'impôt. Le
contribuable, de par ce comportement utilitariste, essaye en réalité d’échapper à l’impôt à sa façon.
C. Un « combat » perdu d'avance ? C’est un combat difficile, tant pour l’administration qui tente de faire appliquer la loi, que pour le
contribuable, qui va chercher à « défier » cette dernière, bien qu’elle soit dotée d'un monopole de
puissance publique.
Échapper à l'impôt est avant tout un moyen de remettre en cause la « toute puissance » de
l'administration fiscale, corroborée par son pouvoir de coercition, et surtout de contester la
légitimité de l'impôt : c'est-à-dire de contester le gouvernement et ses représentants, puisque ce sont
eux qui sont à l’origine de l’impôt (pouvoir de voter les lois). On ne peut qu'adhérer à cette
affirmation de Jean-Claude Martinez : « le consentement indirect, exprimé par le Parlement, ne
traduit plus la volonté des assujettis. L'impôt n'est plus ressenti comme consenti. Il est devenu
étranger à la volonté de chacun »16. N'adhérant dès lors plus à ces valeurs, le contribuable va créer
les siennes et privilégier ses intérêts particuliers comme le montre cet extrait d'entretien :
« Vous savez, l'intérêt général est une notion qui n'existe plus. On fait beaucoup plus confiance à son propre
jugement, et le sens du collectif perd progressivement du terrain. » Entretien réalisé avec Martine Gayet, entrepreneuse
S'en suit une bataille entre l'intérêt général porté par l'administration fiscale et l'intérêt particulier
arboré par le contribuable. Il est nécessaire pour l'administration fiscale d'être alors un minimum
fédératrice, pour que la cohésion sociale ne vire pas à la « zizanie sociale ».
Cette bataille va créer un choc d'intérêts, entre celui de l'administration fiscale d'un côté et celui des
contribuables de l'autre (Cf. Chapitre 3). Pour cela, il est indispensable que le contribuable
connaisse les règles du jeu fiscal. Le système déclaratif instauré en France est un préalable et une
nécessité de premier ordre pour le contribuable.
D'après Thierry Lambert, « ne pas respecter les règles est, dans certaines limites, facteur de
16 Jean-Claude Martinez, « La légitimité de la fraude fiscale », Mélanges Paul Marie Gaudemet, Economica, 1984, pp. 921-942
18
progrès. »17 Certains contribuables vont, comme une forme de jouissance narcissique, tout faire
pour « nuire » l'administration fiscale. Ainsi, selon Jean Gaeremynck, les plus hautes juridictions,
veillant au respect de la légalité, ne vont pas hésiter à sanctionner l'administration fiscale, pour faute
lourde quand celle-ci ne respecte pas l'ensemble des procédures18. Certains contribuables vont, pour
cela, avoir recours à des experts en matière de fiscalité, et vont attendre que l'administration fiscale
finisse par faire une erreur, pour pouvoir mener à leur riposte. Cependant, comme dans tous
combats, cela se vérifie auprès de le partie adverse, du coté de l’administration qui va veiller à la
régularité des agissements du contribuable, et s’empresser de le sanctionner au moindre faux-pas.
Section 2 – Parole aux contribuables
Que faire pour que le contribuable ne rejette point l'administration fiscale ? La DGFiP doit garder
en tête sa mission de servir le public en vue de préserver l'intérêt général, mais doit aussi s'efforcer
de justifier avant tout sa démarche afin de redorer son image.
I. Une administration pédagogue Un contribuable qui comprend ce qu'on lui impose, va suivre les directives de l’administration
fiscale et sera satisfait. L'administration fiscale doit faire comprendre, par son activité quotidienne,
que l'impôt est nécessaire au bon fonctionnement de l’Etat régalien. Généralement, le contribuable
n'a pas confiance en l'administration fiscale et préfère se confesser auprès d'un expert fiscal, quitte à
payer... Cette méfiance est intrinsèque au contribuable et selon ce jeune entrepreneur ce n'est pas le
contribuable mais l'administration fiscale qui doit faire le premier pas en avant :
« Il appartient à personne d’autre qu’à l’administration fiscale de pouvoir se remettre en question... C’est quand
même dingue qu’un pays comme le nôtre est ce problème ! »
Entretien avec Adrien Y., entrepreneur
Il ne faudrait donc pas seulement expliquer les règles fiscales ; mais il faut aussi expliquer le
fonctionnement même de l'administration, car : « mettre l'administration en situation de
transparence, c'est diminuer les tensions, (des contribuables) […] c'est la mettre plus à portée de ces
derniers, en définitif, c'est l'humaniser »19. Autrement dit, l’on comprend aisément que simplifier
17 Thierry Lambert, « Le contribuable face à l’administration fiscale », Psychologie et science administrative, PUF, collection CURAPP, 2, 1985, p. 107 18 Jean Gaeremynck, « Responsabilité de la puissance publique en matière fiscale », Revue de Jurisprudence Fiscale, n°12, 1984 pp. 707-709 19 Paul Sabourin, « Réflexions sur les rapports des citoyens et de l’administration », Dalloz, 1978, pp. 61-67
19
l’administration fiscale et la rendre plus compréhensible, permettrait de meilleures relations avec les
contribuables. La priorité est de nouer une relation basée sur la compréhension et la confiance avec
le contribuable, pour lui faire mieux accepter la nécessité de l’impôt et contrebalancer la complexité
de règle fiscale.
On observe cependant, depuis la réforme instituant la DGFiP, une amélioration de l’accueil et du
conseil apporté au contribuable. Certains contribuables-entrepreneurs reconnaissent cet effort et
vont parfois atténuer leur point de vue vis-à-vis de l'administration fiscale, en la considérant de
façon moins sévère.
Cette démarche de l'administration fiscale est parfois lourde de retombées négatives pour elle, car le
contribuable sera plus en phase pour défendre ses intérêts et, par la même occasion, remettre en
cause l'impôt ou l'administration fiscale. Toutefois, au niveau politique, il s'agit d'un système
gagnant car il va inclure le citoyen à la participation des institutions.
Finalement, le but du contribuable n'est pas tant d'aimer l'administration fiscale mais de comprendre
ses rouages. Encore faut-il que le contribuable comprenne le message de l'administration fiscale et
sache l'intégrer. Selon Thierry Lambert, cela va dépendre de son « degré de socialisation »20.
II. Une variable importante : le degré de socialisation du contribuable
Le droit fiscal français repose essentiellement sur un système déclaratif. Ce système impose de
grandes responsabilités au contribuable, ce qui traduit une certaine confiance de l’administration
fiscale envers ce dernier. Ainsi, le contribuable-entrepreneur doit déclarer par exemple lui-même
ses revenus (si son activité est soumise au régime de l’IR) ou son bénéfice imposable (si son activité
relève du régime de l'IS), etc.
L'ensemble de ces déclarations, sous une apparence d'égalité de traitement des administrés, se prête
à une forme de « sujétion paradoxale » : En effet, l’administration fiscale développe sa pédagogie
afin de faire comprendre et accepter l’impôt, en respectant la liberté du contribuable. Cependant, en
obligeant le contribuable à remplir seul ses obligations fiscales, cela revient à le contraindre à
20 Thierry Lambert, « Le contribuable face à l’administration fiscale », Psychologie et science administrative, PUF, collection CURAPP, 2, 1985, p. 114
20
approuver ce système en lui faisant « jouer le jeu » de la déclaration.
En réalité, en faisant participer le contribuable à ce système via le formulaire, l’administration va
laisser une « fausse » marge de manœuvre au contribuable-entrepreneur, puisqu’il est obligé de se
soumettre aux déclarations. Qui plus est, le non-respect de ces règles le place sous le joug de
l’inspecteur des finances publiques ; ce dernier pouvant, en effet, soumettre n’importe quel
entrepreneur à une vérification de comptabilité et le rappeler à l'ordre, voire le sanctionner très
lourdement, en cas d’erreurs, infractions ou fraudes, volontaires ou non.
Il en découlera une sorte de « participation contrainte » ce qui, plutôt que de développer
l’accompagnement des contribuables-entrepreneurs, concoure à leur « isolement » et à leur
sentiment de dépassement face aux procédures d’imposition.
On en conclut alors que malgré le dialogue possible entre l’agent et le contribuable-entrepreneur, et
les efforts faits par l’administration fiscale, les contribuables-entrepreneurs continuent de
méconnaître la loi fiscale, ce qui rend nécessaire le « corollaire du principe déclaratif, c'est-à-dire
l'exercice du contrôle administratif. »21
III. Le contrôle fiscal Le contrôle fiscal, ou vérification de comptabilité, se traduit par une immixtion de l’Administration
fiscale dans les comptes de l’entrepreneur afin de vérifier la régularité de ceux-ci, et la sincérité des
déclarations qui en découlent. Apparenté au contrôle que le commissaire aux comptes pourrait faire
lors de sa mission, il est ici effectué par l’inspecteur des finances publiques et est soumis à de très
lourdes règles de procédures.
Ce contrôle est, de loin, la prérogative de l'administration fiscale la plus crainte par le contribuable-
entrepreneur. Puisqu’en effet, l’Administration fiscale jouit d'un véritable arsenal juridique, afin
d’accomplir sa tâche. Et le contribuable-entrepreneur qui manqua de diligence, ou qui tenta de
contourner la loi, pourra ainsi être redressé très lourdement, ce qui peut le conduire à la cessation de
son activité, voire même à des condamnations pénales.
21 Thierry Lambert, « Le contribuable face à l’administration fiscale », Psychologie et science administrative, PUF, collection CURAPP, 2, 1985, p. 118
21
Ces cas sont assez fréquent puisque, l'imagination humaine étant sans limite, certains contribuables-
entrepreneurs, pour éviter l’impôt qu’ils considèrent injuste ou trop lourd, vont souvent prendre des
risques démesurés afin d’y échapper. Le vérificateur apparaît, alors, pour eux comme un « ennemi
personnel » voulant contrecarrer leurs manipulations.
Ces contribuables-entrepreneurs, pour la majeure partie d’entre eux, vont alors contester la
surabondance des pouvoirs de l'administration fiscale. Ces revendications apparaissent, somme
toutes, assez triviales car l'administration fiscale a le monopole pour fixer les règles du jeu. En effet,
les vérificateurs vont détenir un réel pouvoir d'appréciation de la situation et vont pouvoir organiser
le déroulement du contrôle comme bon leur semble.
Étant une épreuve périlleuse pour le contribuable-entrepreneur, il est indispensable que celui-ci
coopère pour protéger au mieux ses intérêts et son entreprise. Ainsi, même si le contribuable est
dans une position subordonnée à l'administration fiscale ; il est nécessaire que des garanties et
moyens de réponse lui soient conférés. En effet, selon Jean-Claude Martinez, le développement de
la démocratie doit passer par l'institution d'un véritable statut pour le contribuable.22
22 Jean-Claude Martinez, Le statut du contribuable, tome 1 : L’élaboration du statut, LGDJ, Bibliothèque de Science Financière, 1980.
22
Chapitre 2 : La réponse de l'administration fiscale
L’administration fiscale n’est pas une administration immuable. Divers facteurs sociologiques et
politiques vont contribuer à son évolution et le mode de relation avec les usagers va devoir
s’adapter si besoin est. Il est donc intéressant de voir les mutations qu’a subies l’administration
fiscale en matière d'organisation avec la fusion de 2008 (Section 1), mais aussi en matière culturelle
avec le contrôle fiscal (Section 2). Pour autant, cette nouvelle administration fiscale a-t-elle
améliorée le service rendu à l'usager (Section 3) ?
Section 1 – La réforme organisationnelle de l’administration fiscale
Au sens étymologique, le terme « réforme » ne peut être assimilé à une transformation, car une
réforme suppose un changement organisationnel réfléchi à l’avance. Après l’échec de la création de
l’administration fiscale unique en 2000, le sujet à été remis au devant de la scène en 2007 lors de la
campagne de l’ex-Président de la République, Nicolas Sarkozy. En fusionnant les deux grandes
directions de Bercy (DGI et DGCP), les objectifs étaient nombreux : l’amélioration du service fait
au contribuable, notamment aux contribuables-entrepreneurs, avec la création d’un guichet unique ;
l’efficacité des services, etc. En quoi cette réforme va-t-elle impacter l’administration fiscale ?
I. Des missions étendues De prime abord, la fusion du secteur de l’assiette et du recouvrement va permettre d’instaurer un
guichet fiscal unique. Cela permet à l’administration fiscale d’être avant tout une administration de
service à l’usager. Ce qui nous intéresse plus particulièrement ici est le cas des services dévolus aux
professionnels, c'est-à-dire aux contribuables-entrepreneurs.
Tout d’abord un pôle « gestion publique » fut créé et correspond aux anciennes trésoreries
générales. Aussi, un pôle « gestion fiscale » fusionna les missions d’assiette et de recouvrement et
créa une division intitulée « fiscalité des professionnels ». A côté de cela, on observa l’unification
du recouvrement forcé, et la création d’un pôle de recouvrement spécialisé pour les créances à fort
enjeu (de montant important).
Le SIE fut créé en 2006 et est spécialement compétent pour l’assiette et le recouvrement des impôts
23
des professionnels (tels que l’IS, TVA,...). Enfin, un accueil fiscal de proximité a été créé pour
répondre aux questions posées par les contribuables. L’enseigne commune est dorénavant « Centre
des finances publiques ». On peut voir que cette nouvelle organisation vise améliorer la relation et
la communication entre l’administration fiscale et les contribuables.
Cette réforme avait eu pour conséquence une certaine professionnalisation de l’accueil tendant à
promouvoir le respect du métier des agents, quelles que soient les filières dont ils faisaient partie.
Le respect du métier de chacun tend également à reconnaitre la professionnalisation des agents afin
de garantir l’exécution de leurs missions.
En ce qui concerne le contact avec l’usager, l’organisation concerne les questions les plus
courantes, les formalités routinières. Cela suppose que le service de l’accueil soit en mesure d’y
répondre, ou en mesure de rediriger vers les services compétents si des précisions supplémentaires
sont nécessaires ; c’est donc un « service de boîte aux lettres pour le service technique
compétent ».23
Il y a une spécialisation par type de contribuables. La DGE est ciblée sur les grandes entreprises
(notamment celles du CAC 40), et le SIE pour les PME. Ceci afin de répondre à l’incompréhension
générale de la part de la population, et plus particulièrement des entrepreneurs.
Finalement, cette réforme apparaît comme étant une véritable « Révolution » car au-delà de la
juxtaposition des deux anciennes directions (DGI et DGCP), elle a réussi à se mettre en œuvre après
la multiplication des échecs essuyés par les gouvernements précédents. On pourrait dire qu’on passe
donc d’une administration « régalienne » vers une administration de services.
La réforme n’est sans doute pas achevée et mériterait d’autres améliorations, mais elle apparaît
cependant comme une étape essentielle vers la modernisation voulue par l’administration fiscale.
Cette affirmation d’une agente du SIE du 8ème arrondissement de Paris, démontre assez bien sa
satisfaction vis-à-vis de la réforme et des relations avec les contribuables-entrepreneurs :
« Je ne vois pas ce que l’on pourrait faire de plus pour nous rapprocher des usagers… »
Entretien avec Michele Larose, agente principale des finances publiques
23 Selon Michel Le Clainche, Les transformations de l’administration fiscale, L’Harmattan, Paris, 2011, p. 17
24
II. Transformations des techniques à l’égard des contribuables Pour continuer de s’améliorer, l’administration fiscale importa des techniques de la sphère privée
afin de les appliquer au secteur public. On va retrouver ainsi des termes issus du milieu managérial
tels que « client » et même « service-client »…
Cette réforme s'est appuyée sur le « New Public Management » qui a poussé l'administration fiscale
à mobiliser des moyens pour satisfaire les « clients » (A). Cette réforme fut encouragée par l'OCDE
(B). Cependant le rôle de l'État tendit à diminuer ces dernières années (C), tandis que celui des
agents prit de l’ampleur depuis la fusion (D).
A. Une mobilisation de moyens spécifiques... La mobilisation des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) s’opéra
en direction de l'usager de l'administration fiscale. La satisfaction des usagers passe par
l'amélioration et surtout la simplification des textes fiscaux ainsi que des relations entretenues avec
l’administration fiscale.
Les textes fiscaux sont depuis très longtemps critiqués par les contribuables. Ils furent donc, pour la
plupart, réécrits même si des inconvénients et des difficultés persistent. Avec l'introduction des
NTIC, cela va tout de même faciliter le système des déclarations : principalement avec le système
de télédéclaration qui s’inscrit dans la modernité et permet d’accélérer ces formalités.
Enfin, pour mesurer la satisfaction de la « clientèle », il est nécessaire de prendre en considération
le réel contentement du contribuable (A titre de comparaison, c’est ce qui est pratiqué notamment
par l'Irlande ou le Canada…). Ces enquêtes ne sont pas sans susciter de vives critiques, parfois non
motivées, de la part des contribuables-entrepreneurs. En effet, les entrepreneurs étant dans une
logique de profit et de rentabilisation maximale, ont du mal à s’accorder avec la philosophie de
perception-redistribution opérée via les impôts.
Pour autant, il ne faut pas se tromper de satisfaction. La satisfaction des contribuables-entrepreneurs
n'est pas uniquement celle de leur plaisir, c’est surtout leur consentement fiscal, c'est-à-dire
l'acception par le citoyen de remplir son « devoir fiscal ».
En tous les cas, les plus récentes études sociologiques, notamment celles de Marc Leroy, soulignent
25
l'importance de ces NTIC pour l’amélioration du consentement fiscal.
B. ...encouragée par l'OCDE24 Un certain nombre d'études de l'OCDE souligne l'importance d'une réorganisation axée en fonction
des contribuables. Ce qui déboucha sur la DGE ou le SIE, énoncés ci-dessus. Il y a ici une volonté
de séparer les tâches simples d’un coté et les tâches plus complexes de l’autre. L'OCDE insiste
notamment sur le cas des particuliers les plus fortunés car leurs affaires semblent être singulières et
constituent un enjeu important pour les recettes de l'État. Par ailleurs, bénéficiant des moyens pour
recourir aux experts les plus compétents, les contribuables fortunés peuvent pratiquer l'optimisation
fiscale, ce qui peut avoir des effets très néfastes sur l'ensemble du système fiscal. C’est pourquoi les
SIE s’occupent aussi des particuliers soumis à l’ISF, en plus de la gestion des impôts des PME.
Tout cela a pour but de se rapprocher des administrés, mais peut être lourde d’effets néfastes dont,
notamment, une diminution du rôle de l'État.
C. L’amoindrissement du rôle de l’Etat Depuis quelques années, on assiste à une diminution progressive du rôle de l'État. Cette dilution est
la conséquence de diverses politiques fiscales menées par l'État lui-même. Jadis, il était plus de la
tradition de l'administration fiscale de renforcer les mesures relatives aux sanctions, avant la loi du
23 août 1871. Or, on assiste ces dernières années à une nouvelle logique d'assouplissement en
France, comme c'est le cas en 1986 avec la suppression de l'impôt sur les grandes fortunes (ISF).
C’est ce qui amoindri le poids de l’Etat.
Néanmoins, avec les crises financières et l’effondrement des situations financières des États, la
tendance semble s’inverser. En effet, les Etats semblent vouloir endurcir de nouveau leurs systèmes
via des politiques de rigueur (Grèce, Italie, Chypre…). En France, cela se traduit par la volonté de
créer de nouvelles impositions (Ex. TVA à 20%, tranche à 75%...). On constate alors un certain
emballement, une sorte de surenchère fiscale, qui vient renfrogner à nouveau l’appréciation du
contribuable et confirmer son mécontentement.
La relativité de ces politiques amène ainsi à réfléchir sur la portée réelle de ces réformes. Ainsi qu’à
insister sur les moyens permettant de concilier au mieux les besoins économiques de l’Etat (passant
24 OCDE, L’administration fiscale dans les pays de l’OCDE et dans certains pays hors OCDE: série « Informations comparatives », 2006.
26
par l'administration fiscale) et le confort des citoyens (les contribuables).
D. Les agents des finances publiques, des humains malgré tout ? A côté de la critique des contribuables, une autre apparaît pour le moins surprenante : celle des
agents internes à l'administration fiscale. En effet, depuis la fusion Impôts-Trésor, « les réductions
d'effectifs et le pilotage par indicateurs ont augmenté le stress des agents et les tensions avec les
usagers. Une étude menée en 2011 par une équipe du CNAM à la demande de la DGFiP, a constaté
une intensification du travail, due aux réorganisations multiples, aux changements législatifs, etc.
La RGPP qui s'est traduite par le non remplacement d'un fonctionnaire partant en retraite sur deux,
est également pointée du doigt par les syndicats. »25
Ajouté à cela, on constate une dégradation « interne » à l'administration fiscale. En effet, les
agressions entre agents apparaissent dans les services, encore une fois, due au stress lié « aux
permanences constamment surchargées et trop exiguës. »26 « Ces tensions se nourrissent aussi de
frustrations sur d'autres sujets, comme le gel du point d'indice depuis 2010, les difficultés
rencontrées pour obtenir une mutation, un changement de catégorie ou de grade. Bref, un réel
sentiment d'absence de reconnaissance. »27 Qui plus est, les syndicats dénoncent des risques
« psychosociaux » et évoquent différents suicides qui se seraient déroulé ces dernières années. Cette
souffrance s'explique par la « mise en œuvre de méthodes de gestion empruntées au privé et les
objectifs quantitatifs imposés »28 qui feraient perdre des repères dans le travail.
Le 18 janvier 2013, le directeur général des finances publiques, Bruno Bézard, a souhaité mettre
l’amélioration des conditions de vie au travail au cœur des priorités de la DGFiP. A l’occasion de
ses déplacements sur le terrain, il a constaté combien les indicateurs pouvaient être ressentis comme
un élément pesant de façon trop forte sur l’activité au quotidien dans les services, voire même sur le
moral des agents. Attentif à ces messages, le Directeur général a décidé avec l'équipe de direction
de mettre immédiatement en œuvre un plan d'ensemble destiné à traiter en profondeur ce problème
de pression statistique et remettre plus d'humain, de qualitatif mais aussi de soutien technique dans
l’accompagnement des agents. Le Directeur général a souhaité présenter directement cette nouvelle
orientation à l'ensemble des agents, en faisant le choix de s’adresser à eux via une vidéo.
25 Martine Rossard, « Stress majoré pour les agents des Finances publiques », Santé & Travail, n°081, Janvier 2013 26 Martine Rossard, « Stress majoré pour les agents des Finances publiques », Santé & Travail, n°081, Janvier 2013 27 Martine Rossard, « Stress majoré pour les agents des Finances publiques », Santé & Travail, n°081, Janvier 2013 28 Martine Rossard, « Stress majoré pour les agents des Finances publiques », Santé & Travail, n°081, Janvier 2013
27
Pour ce faire, une équipe départementale, en charge du suivi de la démarche, a été constituée. Elle
est placée sous la direction de Jean Nizoux, responsable du pôle pilotage et ressources. Elle est
composée de Pascale Barbet (adjointe au pôle fiscal Nord-Est), Lydia Daigremont, (responsable de
division au pôle SPL), Régine Lalle (adjointe au pôle pilotage et ressources) et Alain Caumeil
(adjoint au pôle gestion publique État).
Afin de permettre à chaque agent de s’exprimer directement, une fiche d'expression (annexe 2) est
mise à la disposition de tous les agents des finances publiques.
Section 2 – Les garanties des contribuables face au contrôle fiscal
Il est évident que le changement de l'administration fiscale n'est pas essentiellement d'ordre
organisationnel mais aussi culturel avec la volonté d'améliorer l'approche faite avec le contribuable.
Bien qu'apparue tardivement, cette question est au cœur de l'actualité. La transformation des
mentalités a été constatée à l'aune des années 2000. Cette période est marquée par une
recrudescence des rapports préconisant une sécurité pour le contribuable et une relation de
confiance avec l'administration fiscale. On peut citer le rapport Charzat de 2001 sur l'attractivité du
territoire français29, le rapport du Conseil des impôts en 2002 consacré à l'amélioration des rapports
avec le contribuable30, le rapport Gilbert en 2004 qui avait pour objet d' « améliorer la sécurité du
droit fiscal pour renforcer l'attractivité du territoire »31, ou bien le rapport Fouquet de 2008 qui
s'intitule « Améliorer la sécurité juridique des relations entre l'administration fiscale et les
contribuables : une nouvelle approche »32.
2005 marque l'année de la mise en œuvre du programme « Pour vous faciliter l'impôt » avec le
contrat de performance 2003-2005 de la DGI et de la DGCP. La même année, va être publiée la
Charte du contribuable instruit par Jean-François Copé. Il y a donc bel et bien une volonté de
développer une relation de confiance avec le contribuable. Mais, s'il est très difficile de gagner la
confiance du contribuable, sa protection a été renforcée (I), et après la crise économique de 2008,
les pouvoirs de l'administration fiscale ont été revus à la hausse (II).
29 Michel Charzat, Pierre Hanotaux, Claude Wendling, Rapport au Premier Ministre sur l’attractivité du territoire français, La Documentation Française, 2001 30 Conseil des impôts, Les relations entre les contribuables et l’administration fiscale, XXème rapport, La Documention Française, Décembre 2002 31 Bruno Gibert, Corso Bavagnoli, Jean-Baptiste Nicolas, Améliorer la sécurité du droit fiscal pour renforcer l’attractivité du territoire, La Documentation Française, 2004 32 Olivier Fouquet, Julie Burguburu, David Lubek, Sylvie Gillemain, Améliorer la sécurité juridique des relations entre l’administration fiscale et les contribuables : une nouvelle approche, La Documentation Française, 2008
28
I. Une extension réelle des garanties du contribuable Les rapports entre le contribuable et l'administration s'étant dégradés, il y avait une volonté de la
sécuriser en tenant compte de certaines préconisations des rapports Gibert et Fouquet. Ces garanties
sont certes nouvelles mais n'ont rien à voir avec les transformations de l'administration. Le seul lien
qui peut être établi, c'est que les textes tendent à promouvoir un climat de confiance entre
l'administration fiscale et le contribuable. L'évolution des textes est, de ce point de vue assez
remarquable. Il faut remercier le Parlement d'être intervenu à plusieurs reprises ces dernières années
pour rassurer le contribuable sur les positions prises par l'administration (A) ainsi que sa prise de
contact avec celle-ci (B).
A. Le pouvoir du contribuable accru Il est important que le contribuable ait confiance en la parole de son administration. Mais sans
dispositions juridiques, il est impossible tant pour l'administration fiscale, que pour le contribuable
de s'en prévaloir sauf si un agent spécifique a reçu compétence normative dans un champ
spécifique. Le contribuable se doit donc de connaître et de faire la différence entre un texte fiscal
législatif d'un simple commentaire doctrinal. Nul n'est censé ignorer la loi, sauf que la loi organique
du 29 décembre 1959 complétée en 1970, reconnaît à un agent des impôts de méconnaitre la loi
suivant l'interprétation qu’il donnera aux textes. L'article 80 A du LPF est intéressant à cet égard.
Il faut attendre la loi Aicardi pour « constater l'opposabilité d'une interprétation administrative en
matière procédurale. » Cela nous amène évidemment à l'article L. 10 alinéa 4 du LPF qui dispose
que : « l'administration des impôts remet au contribuable la charte des droits et obligations du
contribuable vérifié ; les dispositions contenues dans la Charte sont opposables à
l'administration. »
La Charte du contribuable va être mise en place en 2005 par le ministre du budget de l'époque, Jean
François Copé. « La Charte du contribuable, récapitule de façon claire et synthétique, autour de ces
idées simples mais fondatrices, les droits et devoirs des contribuables vis-à-vis de l’administration
fiscale. »33 Pour reprendre son discours du 17 mai 2005, « l'année 2005 est une année absolument
fondatrice pour tout ce qui concerne la relation entre l'administration fiscale et le contribuable. »
Le rapport Fouquet va proposer d'étendre le champ de l'article L. 80 A du LPF avec une volonté de
faire une publicité plus grande sur la doctrine administrative, et l'article L. 80 B du LPF avec la
33 DGFiP, http://www2.impots.gouv.fr/documentation/charte_contrib/index.htm
29
mise en place de recours administratifs et juridictionnels.
Tenant compte de ces propositions, le législateur va mettre en place la loi du 30 décembre 2008 qui
va compléter le champ des articles L. 80 A et L. 80 B du LPF.
Il y a donc une véritable volonté de la part des pouvoirs publics de créer une relation de confiance
entre le contribuable et les agents de l'administration fiscale. Cette évolution a pour finalité
d'encourager le contribuable à faire le premier pas pour prendre contact avec l'administration
fiscale.
« Il faut reconnaître que l’administration fiscale a fait de réels efforts pour que le contribuable se sente moins lésé.
Cette Charte en est, pour moi, une preuve patente. »
Entretien avec Nicolas D., agent des finances publiques
B. Rassurer le contribuable Le contact avec l'administration fiscale n'est jamais aisé pour le contribuable. Il craint toujours
l'omnipotence de l'administration fiscale et de faire une erreur dans l'accomplissement de ses
obligations. On comprend donc pourquoi le législateur doit intervenir pour accorder une faveur aux
contribuables pour qu'ils puissent juger sa propre situation.
Si on se place du point de vue de l'administration fiscale, comme le dit Ludovic Ayrault, la phase de
contrôle et de rectification peut être illustrée par le proverbe « faute avouée, faute à moitié
pardonnée ». L'aveu du contribuable appelle à l'indulgence de l'administration fiscale. Et l'aspiration
à l'indulgence attire l'aveu.
Inciter le contribuable à anticiper la réaction de l'administration fiscale à l'article 1755 du CGI. Cet
article dispose que « Sauf en cas de manœuvres frauduleuses, les majorations fiscales, de quelque
nature qu'elles soient, ne sont pas applicables aux contribuables qui auront fait connaître
spontanément, par lettre recommandée expédiée dans les trois mois suivant leur adhésion à un
centre de gestion ou une association agréés, les insuffisances, inexactitudes ou omissions que
comportent les déclarations. »
La même logique est retrouvée en matière d'intérêt de retard à l'article 1727-II du CGI. On peut
30
aussi trouver le même cas de figure avec la loi de finance rectificative de 200434 avec la procédure
de règlement particulière qui est devenue la procédure de régularisation spontanée (Art. L. 62 du
LPF). Le champ de cet article concerne dorénavant toutes les entreprises faisant objet d'une
vérification de comptabilité. Par ailleurs, le LPF a créé une nouvelle catégorie de contrôle : le
contrôle fiscal sur demande (Art. L. 13 C). Cette vérification va permettre à une entreprise de
prendre contact avec l'administration fiscale en vue de vérifier certains points de sa situation, sans
que celle-ci soit juridiquement une vérification de comptabilité.
L'objectif de ce dispositif est bien évidemment de pousser le contribuable à solliciter les services
fiscaux. Cependant, ce dispositif pose un problème. En effet, toute demande du contribuable est
soumise à l'accord préalable de l'administration fiscale. Celle-ci peut donc être informée du
comportement et des hésitations du contribuable-entrepreneur et peut donc avoir un effet intimidant
à son égard.
On constate une nette progression dans la volonté de rééquilibrer la balance entre le contribuable-
entrepreneur et l'administration fiscale. Cependant en cette période de crise économique et
financière, la balance a tendance à être favorable aux agents de l'administration fiscale. Mais le but
de l’administration fiscale reste le même : lutter contre l’évasion et la fraude fiscale.
II. Une extension des prérogatives reconnues aux agents de l'administration fiscale
Voir les prérogatives du contribuable-entrepreneur augmenter, ce n'est voir qu'un aspect de
l'amélioration des rapports entre l'administration fiscale et le contribuable-entrepreneur. Il faut
également noter aussi, une extension des pouvoirs des agents fiscaux en matière de contrôle. Pour
s'en convaincre, il suffit de lire la lettre de mission rédigée par le ministre des finances d’antan, Eric
Woerth, à Olivier Fouquet ! Il y précise, dès le commencement de la lettre, la volonté « d'accroître
la sécurité juridique en matière fiscale ». Aussi, précise-t-il, « le président de la République et le
Premier Ministre m'ont confié une mission relative à la lutte systématique contre les fraudes et les
pratiques abusives portant atteinte aux finances publiques ». Eric Woerth ne s'inscrit donc pas dans
continuité de son prédécesseur, c'est-à-dire dans le renforcement de la protection du contribuable.
L'objectif étant, au motif de la situation économique catastrophique, de relever les moyens de
34 L. n°2004-1485 du 30 décembre 2004 de finances rectificatives pour 2004, JO 31 décembre 2004
31
coopération entre les administrations (A) et surtout un renforcement du pouvoir d'investigation de
l'administration fiscale (B).
A. Coopération entre les administrations Si une confiance nette tend à se dessiner entre le contribuable et l'administration fiscale, la
transmission d'informations entre les administrations ne cesse de se multiplier. Le droit de
communication en principe dévolu à l'administration fiscale relève aussi de la compétence des
autres administrations.
La loi de finances rectificative de 200935 a modifié l'article L. 135 L du LPF. En principe possible
entre les différentes administrations financières (DGFIP, douanes et droits indirectes, concurrence
et répression des fraudes) et inscrit à l'article L. 83 A et B, la transmission est désormais possible
avec les officiers et agents de police judiciaire. Certains agents de l'administration fiscale, du moins
certains agents, disposeraient donc de prérogatives de police judiciaire ! Relevant du ministère de
l'intérieur, ces agents agiront sous la férule du procureur de la République ou d'un juge d'instruction.
On peut tout de même penser, que ces agents conserveront un contact avec leur administration
d'origine.
Cette constante diffusion du droit de communication a évidemment pour finalité de renforcer le
pouvoir des agents de l'administration fiscale en les dotant de moyens propres. Même si ces
prérogatives peuvent inquiéter, ce n'est voir que la partie immergée de l'iceberg. Car, on le sait, les
agents ont vu aussi leurs pouvoirs augmenter dans le domaine du contrôle...
B. Élargissement des moyens d'investigations de l'administration fiscale Les pouvoirs de l'administration fiscale n'ont cessé de croître ces dernières années, notamment
depuis l'année 2005. Cette année peut paraître étonnante car il s'agit de la même année que le
contribuable s'est vu doté de la Charte du contribuable. Encore fallait-il préciser que l'administration
fiscale pouvait dès lors, contrôler certains contribuables.
Pour lutter contre la fraude à la TVA par exemple, l'article L. 16 D du LPF confère aux agents de
l'administration fiscale la possibilité de contrôler les contribuables soumis au régime simplifié de
liquidation des taxes sur le chiffre d'affaires payables « à compter du début du deuxième mois
suivant leur réalisation ou leur facturation, dans les conditions prévues aux articles L. 47 à L. 52 A, 35 L. n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificatives pour 2009, JO 31 décembre 2009
32
à l'exception des articles L. 47 C et L. 50. »
De même, l'article 15 de la loi de finances rectificatives de 200736 crée la procédure de flagrance
fiscale. Codifiée à l'article 16-0 BA du LPF, elle confère aux agents fiscaux le pouvoir d'établir un
procès-verbal lorsque le recouvrement d'une créance au profit de l'administration fiscale est menacé.
En outre, la loi de finances rectificative de 200937 va accroitre le pouvoir des agents des
administrations financières pour lutter contre l'évasion fiscale. En cas de transfert des bénéfices par
un groupe de société par exemple, le pouvoir de contrôle de l'administration se retrouve accru par
l'article L. 13 B du LPF.
Pour conclure, il est clair qu'il y a eu une véritable volonté de la part des pouvoirs publics de
renforcer les garanties du contribuable-entrepreneur. Mais force est de constater qu'il y a eu,
concomitamment, un accroissement des prérogatives dévolues aux agents de l'administration
fiscale. La crise économique généralisée n'arrange en rien à l'affaire. Au contraire, les lois de
finances des années précédentes montrent une tendance à faire croître les instruments juridiques en
faveur de l'administration fiscale, renforçant par la même occasion, son arsenal juridique.
Section 3 – La « nouvelle » administration fiscale : vers une amélioration
du service rendu à l'usager ?38
Nonobstant les principes fondamentaux du droit fiscal français comme le principe de légitimité ou
d'égalité devant l'impôt inscrient au sein de la DDHC de 1789, ce n'est pas toujours la confiance qui
a animé la relation administration fiscale-contribuable. La complexité de l'organisation de
l'administration fiscale (jadis confiée à la DGI et à la DGCP) et la complexité de la législation
fiscale n'ont pas toujours facilité ces relations. La communication défaillante entre les services et
l’architecture administrative peu lisible sont autant d'éléments qui ont poussé les pouvoirs publics à
envisager une importante réforme de l'administration fiscale. La création de cette nouvelle
administration va s'inscrire, avant tout, dans l'objectif de maîtriser les dépenses publiques et une
gestion publique plus performante.
36 L. n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificatives pour 2007, JO 31 décembre 2007 37 L. n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificatives pour 2009, JO 31 décembre 2009 38 Selon le titre de Sophie Baziadoly, Les transformations de l’administration fiscale, L’Harmattan, Paris, 2011, p. 159
33
Pendant longtemps on parlait d'assujettis ou d'administrés pour représenter les personnes soumises à
une autorité administrative (c'est-à-dire, les contribuables). Dorénavant, le terme d' « usager » est
utilisé, pour montrer que le contribuable est le bénéficiaire d'un service fourni par l'administration
de manière individuelle. L'usager est donc titulaire d'un droit qui lui permet d'avoir droit à un
service de qualité.
Différents instruments vont être mis en place pour tendre vers une administration de services (I), ce
qui aura pour conséquence une nette amélioration dans les services rendu à l’usager, même si un
civisme fiscal de la part du contribuable est indispensable (II).
I. Les instruments de la nouvelle administration fiscale Pendant longtemps, la relation entre les pouvoirs publics et l'usager était fondée sur un principe
d'autorité reconnue à l'État. Mais on ne peut nier qu'aujourd'hui, un grand nombre d'instruments a
été mis en place par l'administration fiscale, notamment le paiement en ligne, la déclaration de
revenus pré-remplie, etc. Faciliter la tâche au contribuable, c'est lui montrer de l'intérêt et permet
d'améliorer le consentement à l'impôt. Les différents rapports entrepris dans les années 2000
montraient une véhémente critique à l'égard de l'administration fiscale telle que la difficulté de
joindre les agents, la lenteur ou la lourdeur dans la gestion des dossiers.
Le guichet fiscal unique, expliqué plus haut, a permis d'améliorer les relations entre l'administration
fiscale et les contribuables. Citons aussi le programme COPERNIC lancé en avril 2000, qui a mis
en place un portail fiscal pour permettre à l'usager d'effectuer ses obligations fiscales sur internet.
Aussi, le programme PVFI de 2004 a permis de mesurer la qualité du service rendu à l'usager avec
l'aide notamment d'un cabinet d'audit.
Enfin, des comités d'usagers au niveau du département et de la nation réunissant des associations de
consommateurs ont été créés dans le but d'informer sur le niveau de satisfaction des usagers.
Mais le fond du problème reste toujours le même, c'est-à-dire l'amélioration du consentement de
l'impôt. Pour cela, un civisme fiscal est nécessaire de la part du contribuable.
34
II. Une amélioration du service mais un civisme fiscal nécessaire de la part du contribuable
Les résultats montrent une nette amélioration au niveau de la qualité du service rendu à l'usager. On
note par exemple, en 2008, que l’administration fiscale a enregistré une hausse significative du
nombre d’usager avec environ 4,1 millions de contribuables reçus au lieu de 3,7 millions en 2006.
Par ailleurs l’année 2009, pas moins de 10 millions de télé-déclarations au lieu de 7,4 en 200839. En
matière de recouvrement, les parts d’impôts professionnels payés directement s’élèvent à 98%.
Cependant, chacun doit y donner du sien et un civisme fiscal accru de la part du citoyen comme de
l’entrepreneur est nécessaire. Le consentement de l'impôt est, par la plupart des systèmes fiscaux
étrangers, réunis autour du terme de civisme fiscal (volontary compliance). « Plus l'impôt est
accepté par le contribuable, plus il est payé volontairement et donc moins nécessaire.»40 Mais les
motifs de l'incivisme fiscal sont divers. Quand on recherche les réelles causes du manquement à
leurs obligations, on peut voir que les explications et les doléances des entreprises sont souvent les
mêmes. On peut citer l'injustice, l'inégalité de traitement, ou encore le manque de lisibilité du
système fiscal.
Au niveau européen, on met en place des instruments de lutte contre la fraude fiscale. Il apparaît
donc assez normal que l'administration fiscale lutte contre la fraude pour que l’ensemble des
contribuables ne se sentent pas lésés.
39 Direction générale des finances publiques, Rapport annuel 2008, p.6 40 Sophie Baziadoly, Les transformations de l’administration fiscale, L’Harmattan, Paris, 2011, p. 164-165
35
Chapitre 3 : La rencontre de l'administration fiscale et le contribuable : le choc des intérêts Les évolutions de l’administration fiscale décrites dans le chapitre précédent est essentiellement le
produit de la volonté du législateur et d’un passage d’une bureaucratie obsolète à une bureaucratie
moderne. Mais les agents de l’administration fiscale chargés de mettre en œuvre la volonté du
législateur vont avoir une marge de manœuvre non-négligeable quant à son application (II).
Comme l’affirme Alexis Spire, « la particularité des fonctionnaires des impôts est d’être, du fait de
leur formation, beaucoup plus attentifs au respect des règles du droit que ceux dans d’autres univers
bureaucratiques ou l’on apprend le métier sur le tas. »41 Mais la complexité des règles fiscales
restant très prégnante chez beaucoup de contribuables va obliger les agents fiscaux à accompagner
ceux-ci, voir à négocier (I).
I. L'art de la négociation Le contribuable a souvent l’image d’une personne têtue et jamais prête à négocier. La réalité est
tout autre, dans la mesure où certains contribuables-entrepreneurs, généralement ceux dotés d’une
importante culture fiscale, disposent d’une véritable personnalité leur permettant de réussir à
convaincre l’administration de leur bonne foi.
En principe, tous les contribuables-entrepreneurs se trouvent sur un pied d’égalité concernant la
négociation. Mais beaucoup d’indices montrent le contraire :
Emile L., avocat indépendant, se présente au SIE pour s’entretenir avec un vérificateur du service.
« Le vérificateur : Je ne comprends absolument rien à votre comptabilité Monsieur L. J’y ai passé plusieurs
heures avec mes collègues à tout recompter !
Le contribuable : Oui, je suis venu discuter avec vous sur certains points.
(Après une litanie de données et de termes complexes…)
Le vérificateur : Il y a quand même une différence de 20 000 euros.
Le contribuable : Oui, je possède un cabinet qui s’occupe de la défense du droit des étrangers. Je suis amené à
avoir des clients avec des revenus assez modestes. Donc ce que je fais, c’est que j’aide ce client, et j’attends
plusieurs jours avant de l’encaisser du fait de leurs faibles moyens…
41 Alexis Spire, Faibles et puissants face à l’impôt, Paris, Raisons d’agir, novembre 2012, p. 101
36
Le vérificateur : C’est ce qui explique que vous renonciez à toute cette part de votre bénéfice ? Cela fait tout de
même beaucoup ! Le contribuable : Oui, j’aime aider les gens.
Le vérificateur : Il y a aussi un problème sur les charges. Vous avez plusieurs téléphones déclarés tout de même ! Le contribuable : Oui, j’exerce seule et donc cela me vaut beaucoup de factures de téléphone.
Le vérificateur : Ecoutez, je pense qu’effectivement, vous exercez un métier difficile et qui vous prend beaucoup
de temps, mais la comptabilité c’est un autre métier. »
On voit bien que pour cet avocat, il y a nécessité de jouer avec la règle fiscale. Ce dernier fait tout
pour s’éloigner, voire même se débarrasser, de la contrainte que représente la norme fiscale. Il
corrobore son argumentaire par la difficulté de son métier afin que le vérificateur accepte de bien
prendre en compte cette variable. La négociation apparaît comme un moyen de domestiquer
l’impôt, c'est-à-dire que la règle de droit doit toujours être interprétée, pour être appliquée à un cas
particulier.42
Suivant l’idée selon laquelle le contribuable-entrepreneur à moins de pouvoir, celui-ci se veut
pragmatique et fortement rationnel. En effet, afin de rééquilibrer les rapports avec l’administration
fiscale, le contribuable-entrepreneur va s’entourer de professionnels de la fiscalité. En France,
souvent, les avocats-fiscalistes, les conseillers fiscalistes ou autres sont souvent issus de la sphère
publique. Ayant misés sur une reconversion, ces derniers vont plus se retrouvés dans la sphère
privée.
Le recours à ces professionnels va être d’une importance cardinale et parfois s’avérer déterminante
dans le cadre d’une négociation :
Artiste de renom, Monsieur X se présente, accompagné de son avocat, un ancien inspecteur reconverti comme
fiscaliste.
« Le fiscaliste : Mon client a eu d’énormes difficultés, il a été plusieurs spolié, l’obligeant à recourir à des
emprunts colossaux.
L’inspecteur principal : Effectivement votre client évoque beaucoup de prêts en raison d’une situation difficile.
Cependant, il y a des points d’ombres, pourquoi les prêteurs n’exigent aucune garantie… ?
Le fiscaliste (l’interrompt) : Mais ça ne constitue en rien une preuve ! Il faut arrêter de dénoncer tout et n’importe
quoi !
L’inspecteur principale : Et concernant le fonds de commerce que avez vendu. Cela semble bizarre non ? 42 Alexis Spire, Faibles et puissants face à l’impôt, Paris, Raisons d’agir, novembre 2012, p. 92
37
Le fiscaliste (sur un ton menaçant) : Je vous interdis de mentionner des faits qui n’ont rien à avoir avec le dossier.
L’inspecteur principal : Je…
Le contribuable : Du calme messieurs ! Je voudrais d’abord vous remercier de nous accueillir et de nous écouter.
Nous avons chacun un métier particulièrement difficile. Mais pour revenir aux prêts, cet argent m’était nécessaire
pour me nourrir moi et mes enfants ! Et en période de crise c’est normal que l’on fasse appel à des amis aussi. »
Dans cette affaire, ce n’est nullement l’issue qui nous importe, mais le procédé utilisé par la « partie
civile » Ici encore, il y a une situation hybride voire un flou entre la vie privée et la vie
professionnelle du contribuable. Le fiscaliste va opter pour une posture « agressive » en s’opposant
en permanence à la moindre question de l’inspecteur principal, lui renvoyant la charge de la preuve
à un moment donné.
II. Le pouvoir discrétionnaire des agents
A. Qu’est-ce que le pouvoir discrétionnaire ?43
L’administration n’est pas toujours libre d’agir à sa guise. Il convient en réalité de distinguer deux situations.
Dans un premier cas, l’administration ne dispose absolument d’aucun pouvoir d’appréciation. On dit qu’elle se trouve dans une situation de compétence liée. Le contenu de la décision administra-tive est alors totalement prédéterminé par la loi qui définit certains éléments de fait nécessaires à la prise de décision (ex : si une personne a un revenu inférieur à telle somme, telle prestation doit obligatoirement lui être accordée).
Dans d’autres situations, l’administration dispose d’un pouvoir d’appréciation, qui peut lui-même se subdiviser en deux. Dans certains cas, la décision de l’administration est subordonnée à des élé-ments de fait, qu’elle doit elle-même apprécier (Ex. En droit des étrangers, des éléments tels que la bonne intégration à la société française ou le sérieux des études suivies). En revanche, dans d’autres cas, la décision administrative peut être totalement indépendante des éléments de fait.
L’administration dispose alors de ce que l’on nomme un pouvoir discrétionnaire. Cela signifie que la loi, qui a donné une compétence particulière à une autorité administrative, la laisse libre de choi-sir entre plusieurs décisions, qui seront toutes légales.
43 Vie publique, L’administration est-elle libre d’agir ?, http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/institutions/administration/action/action-encadree/administration-est-elle-libre-agir.html
38
B. Quid du pouvoir discrétionnaire des agents fiscaux ?
Bien que les agents n’admettent que très peu qu’ils disposent d’un pouvoir discrétionnaire, ils en
possèdent néanmoins bel et bien un. Ils se rattachent le plus souvent au fait qu’ils se cantonnent à
appliquer la loi. Ils peuvent par exemple accorder des diminutions de certaines pénalités de retard,
c’est-à-dire revenir sur le montant imposable en ne tenant en compte que de la déclaration. Selon
Spire, « le nombre de demandes gracieuses a augmenté dans des proportions très importantes » : on
serait passé de 694 830 demandes en 2003 à 878 973 en 2007, et à 1 096 866 en 201044. Comme ce
nombre augmente, il apparait donc assez triviale que la décision de l’administration soit le plus
souvent négative avec un passage de 71,5% en 2003 à 61,5% en 2009. Une chose apparaît
évidente : les agents des impôts ne disposent d’aucune instruction valable ou visible. Les pratiques
sont diverses. Il peut s’agir de dégrèvement si l’agent fait preuve d’indigence ou d’un arrangement
de la situation du contribuable s’il se montre compréhensif. Quoi qu’il en soit, l’agent n’a en aucun
cas l’obligation de préciser au contribuable la raison d’un dégrèvement. Le plus souvent les agents
fiscaux vont refuser par crainte que les contribuables en prennent l’habitude.
La décision peut aussi être prise en tenant en compte d’un certain nombre d’indices tel que le
vocabulaire employé et virer en « dérive moraliste ». Ce dialogue l’atteste bien :
Un jeune entrepreneur, affichant la trentaine, porte une sorte de pyjama et a les cheveux mal coiffés, se présente
au guichet.
« Le contribuable : On me demande de payer une pénalité pour le paiement de la taxe sur les salaires. Je vous
préviens de suite, j’ai la preuve que je l’ai payé en temps et en heure. Tenez !
La contrôleuse : Bonjour ! Il va falloir que je vérifie, Monsieur.
Le contribuable (sur un ton agressif) : A la télé, on les voit les voyous ! Et c’est moi, le con de service, qui doit
payer. Vous me dégoûtez ! La contrôleuse : Pour moi, c’est bien un rejet pour retard de paiement. Mais si vous ne pouvez pas payer, on
pourrait faire un geste.
Le contribuable : Je n’y crois pas à ce que vous dîtes ! Je ne suis pas un voyou ! J’ai trois gosses à nourrir, alors
comment je vais faire avec mes gosses, ça vous vous en foutez pas mal, hein ? »
Après son départ, la contrôleuse m’explique qu’elle avait eu ce Monsieur ce matin au téléphone, et tout c’était
bien passé. Elle était prête à le lui enlever sa pénalité, « mais que là, je n’ai plus rien envie de lui donner. »
44 Alexis Spire, Faibles et puissants face à l’impôt, Paris, Raisons d’agir, novembre 2012, p. 112
39
Pour la contrôleuse, il s’agit de faire un geste d’indigence pour atténuer la dureté de la loi fiscale.
Mais ce jeune entrepreneur refuse, il réclame son dû pour lui et ses enfants et non l’aumône ! En
revanche, cette contrôleuse accorde avec joie une remise des pénalités à la personne suivante, un
entrepreneur plus âgé et surtout plus aimable. Comme le dit très justement Alexis Spire, on peut
donc constater aussi une « personnalisation du rapport au contribuable, renforcée par une
présomption de confiance réciproque. »45
Les décisions peuvent donc varier d’un agent à un autre ou plutôt du degré d’empathie que l’agent
éprouve face au contribuable-entrepreneur. Le gracieux est donc subjectif, l’agent fixe ses propres
critères. Les agents peuvent aussi sélectionner tel ou tel critère ou élément du dossier et établissent
conséquemment un raisonnement en vue de donner une légitimité à la décision.
Par ailleurs, le vocable d’ « éducation » est souvent utilisé par les agents des impôts. Il y a une
véritable volonté de leur part de remettre les contribuables sur « le droit chemin » :
Au SIE se présente une femme, qui a oublié de mettre le chèque de paiement avec sa déclaration de sa TVA.
« La contrôleuse : Vous avez oubliez de mettre le chèque, madame !
La contribuable : J’ai du oublier Madame, ça arrive…
La contrôleuse : Pour quelque chose d’aussi important ? J’en doute fort madame. Vous avez bien fait de vous
déplacer, vous aurez la pénalité de 10% au lieu de 40%. C’est quand même dommage…
La contribuable : Soyez gentille, faites un geste…
La contrôleuse : Nous, nous sommes de simples exécutants, Madame. Il y a des textes et on doit s’y conformer. »
Après son départ, la contrôleuse prend le soin de me dire que le plus important, c’est que cette « brave dame »
comprenne à ne pas être tête en l’air et que, la prochaine fois, elle fera attention.
On voit bien dans cette interaction, que la contrôleuse affiche clairement la possibilité d’effectuer
un « geste » et surtout de faire de son pouvoir d’appréciation un véritable outil destiné à « éduquer »
le contribuable.
Il existe donc des disparités dans le traitement de l’administration fiscale à l’égard des
contribuables, du moins du point de vue des remises de pénalités. Pourtant les agents fiscaux restent
très attachés à l’égalité de traitement. Cette contradiction révèle et explique les doléances des
45 Alexis Spire, Faibles et puissants face à l’impôt, Paris, Raisons d’agir, novembre 2012, p. 105
40
contribuables qui ne cessent d’augmenter.
Toutefois, le traitement des agents à l’égard des contribuables-entrepreneurs peut être différent d’un
centre à un autre. Car, en effet, tout dépend de la politique menée par le chef de service. Si cet
acteur moteur refuse d’accorder des remises de pénalité c’est parce que cela représente un manque à
gagner pour l’administration fiscale.
En outre, ayant à sa charge à sa charge une responsabilité personnelle et pécuniaire des deniers
publics qu’il est amené à encaisser – via ses agents –, il pourra, si le moindre souci fait surface,
payer sur ses propres deniers le manque à gagner pour l’administration fiscale. Ou bien, les agents
de l’administration fiscale peuvent « se convaincre que, dans la limite de leurs prérogatives, ils
appliquent la loi dans le sens de l’intérêt général. »46
46 Alexis Spire, Faibles et puissants face à l’impôt, Paris, Raisons d’agir, novembre 2012, p. 123
41
Conclusion Le fait fiscal est donc, on le voit bien, un thème parmi d’autre représentant une lutte entre des
intérêts très divergents. Il y a donc toujours une inégalité que le législateur s’est efforcé de
diminuer, mettant en place des abattements par exemple.
Au niveau du droit, il existe, du fait du pouvoir discrétionnaire donné aux agents, un traitement
singulier à chaque contribuable. Cette personnalisation, générant des inégalités manifestes, va
rendre le contribuable hostile à l’impôt et à l’administration fiscale en général. De plus,
l’administration fiscale voit, au fil des années, le pouvoir de ses agents augmenter… Les
contribuables, au plus bas, vont se doter d’outils et se font accompagner de certains experts
susceptibles de résoudre leurs situations incompréhensibles, voire totalement injuste.
Cependant, et il faut le rappeler, le contrôle de l’administration fiscale relève de son travail ; il est
indispensable pour lutter contre l’inégalité et l’évasion fiscale.
Avec la création de la DGFiP en 2008, l’administration fiscale avait visiblement entendu les
plaintes répétées des contribuables car sa volonté de changement était centrée autour d’un principe
fédérateur consistant à placer le contribuable au cœur même de son action ! Mais les suppressions
d’effectifs dans l’administration fiscale de ces dernières années ont tendance à accentuer les
inégalités de traitement et des tensions internes à l’administration fiscale commencent à voir le jour.
Du côté des entreprises, on peut voir qu’il y a deux mondes qui coexistent. D’un côté, on trouve les
entreprises qui auront les moyens de se payer l’aide d’un expert, et de l’autre, celles n’ayant pas les
moyens d’avoir recours à ces avantages. De ce fait, un fossé se creuse entre les entreprises elles-
mêmes. Dans quelle mesure peut-on réduire le fossé qui se creuse entres les entreprises ?
A lire l’analyse d’Alexis Spire : « L’attention portée ici aux pratiques induites par la mise en œuvre
du droit fiscal, montre à quel point la course à la productivité engagée dans les services publics
constitue un facteur aggravant pour le creusement des inégalités. L’injonction de réduire toujours
plus le nombre de fonctionnaire au nom du sacro-saint objectif de « bonne gestion des finances
publiques » incite à s’interroger au sens même du rôle de l’Etat : intervenir pour réduire les
inégalités ou adapter son action aux règles dictées par les économies à réaliser ? La question reste
un enjeu de lutte pour les agents des finances publiques, et plus généralement pour l’ensemble de la
42
société. »47
Un renforcement du principe d’égalité des armes (principe de droit européen) pourrait contribuer à
diminuer la distance qui existe entre le contribuables-entrepreneurs et l’administration fiscale. Cela
implique que les contribuables puissent agir autant contre l’administration fiscale, que cette dernière
le peut elle-même contre les contribuables. Par exemple, le recours à un expert, financé par l’Etat,
pourrait permettre au contribuable de mieux se défendre face l’administration fiscale. En effet,
l’intervention d’un expert va permettre au contribuable de s’informer de ses droits, de comprendre
la portée de la Charte du contribuable afin de mieux analyser sa propre situation face à loi et qu’il
puisse, en réalité, mieux organiser sa défense.
En mettant en place une plus grande compréhension de la législation fiscale du point de vue des
contribuables, l’administration fiscale va elle-même se perfectionner. Si, de part et d’autre, les
différents acteurs de la fiscalité sont amenés à se perfectionner, on remarquera une amélioration
globale de la relation entre contribuable et administration fiscale. Puis, étant donné que les deux
parties auraient, peu ou prou, les mêmes droits, on pourrait estimer que les conditions de la justice
fiscale sont réunies.
Il relèverait du mensonge de soutenir que tous les torts sont imputables à l’administration fiscale.
En effet, cette dernière a déjà fait moult concessions pour améliorer la justice fiscale. Mais, pour
que cette union libre du contribuable avec l’administration fiscale se mue en véritable mariage, de
nombreuses concessions, de part et d’autre, doivent être faites. Peut être, seront-elles la clef, d’un
meilleur consentement à l’impôt…
47 Alexis Spire, Faibles et puissants face à l’impôt, Paris, Raisons d’agir, novembre 2012, p. 128
43
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