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SAMEDI 5 DÉCEMBRE 2020 - 76E ANNÉE - NO 23610 - 4,70 € - FRANCE MÉTROPOLITAINE - WWW.LEMONDE.FR - FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 4,90 €, Canada 5,80 $ Can, Chypre 3,20 €, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,30 €, Guyane 3,50 €, Hongrie 1 440 HUF, Italie 3,50 €, Luxembourg 4,90 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,30 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
WEEK-END
MEXIQUE : AU CŒUR DU CARTEL DE SINALOA▶ Bertrand Monnet, professeur et spécialiste de l’économie des organisations criminelles, a pu rencontrer des cadres du plus puissant cartel mexicain et étudier leurs activités▶ Dans le deuxième volet de sa série, il décrit les rouages de cette structure et son emprise sur la ville de Culiacan
PAGES 22-23
MAGAZINEMARLÈNE SCHIAPPA,DROITE AU BUT idées LA LAÏCITÉ, UNE PASSION
TRÈS FRANÇAISE
UNIQUEMENT EN FRANCE MÉTROPOLITAINE, EN BELGIQUE ET AU LUXEMBOURG
Covid : la vaccination gratuite, mais non obligatoire▶ Le premier ministre, Jean Castex, a présenté, jeudi 3 décembre, les modalités de vaccination contre le Covid19, en France, à partir de janvier
▶ Les résidents des Ehpad seront les premiers vaccinés, puis les personnes fragiles, avant le reste de la population, au printemps
▶ « Il faut que nous soyons le plus nombreux possible à se faire vacciner », explique M. Castex, en rappelant que la vaccination sera gratuite
▶ « Dans toutes les régions, il y a un risque de troisième vague », prévient l’épidémiologiste Simon CauchemezPAGES 8-9
Danse Germaine Acogny,la scène comme un brasier
la danseuse et chorégraphe francosénégalaise, âgée de 76 ans, est à l’affiche du Théâtre de la Ville, à Paris, avec A un endroit du début, solo autobiogra
phique, qui sera retransmis en ligne. Comme une tornade sur la scène, elle raconte ses identités multiples et complexes.
PAGE 26
Lors du Festival d’Avignon, en 2019. PASCAL VICTOR/OPALE
Dans un rapport remis, vendredi 4 décembre, au gouvernement, la députée LRM Alexandra Louis préconise de sanctionner toute relation sexuelle entre un adulte et un mineur de moins de 13 ou 15 ans. Un écart d’âge de cinq ans pourrait être retenu afin de préserver les relations entre mineurs et jeunes majeursPAGE 15
JusticeViolences sexuelles : des pistes pour renforcer la loi
Le recours aux exosquelettes ou à l’injection de substances va être étudié par l’armée française pour améliorer la performance des combattantsPAGE 2
DéfenseDes « soldats augmentés » pour faire la guerre ?
En dix ans, la vente en ligne a permis la création de 32 000 emplois dans le commerce de gros, mais a détruit 114 000 emplois dans le petit commercePAGE 16
EmploiL’ecommerce au banc des accusés
VenezuelaLe succès annoncé de Nicolas Maduro aux élections législativesPAGE 4
EducationEnquête sur la galaxie BlanquerPAGES 12-13
PolitiqueSécurité : la gauche tente de durcir son discoursPAGE 11
Covid19Les hôpitaux roumains au bord de l’effondrementPAGE 3
TITWANE
1 ÉDITORIALLES PREMIÈRES LEÇONS D’UNE CRISEPAGE 34
Édité par Benoît Denis,spécialiste de Georges Simenon.
En librairie
« Un monumentpour les fansde l’écrivain commedu cinéaste ».Livres Hebdo
2 | INTERNATIONAL SAMEDI 5 DÉCEMBRE 20200123
C’ est un avis sur un sujet très sensible quidoit être rendu public, vendredi 4 dé
cembre, par la ministre des armées, Florence Parly. Un avis émanant du tout nouveau comitéd’éthique de la défense, créé en janvier, et qui concerne ce que les spécialistes résument par le concept de « soldat augmenté ». Soit tout ce qui concerne l’amélioration des performances au combat, et recouvre des aspects aussi variés et débattus que le recours àdes exosquelettes, à un certain nombre d’objets connectés ou à des robots tueurs.
L’avis du comité d’éthique, quidoit être dévoilé à l’occasion d’un forum annuel de l’innovation,n’est que consultatif, mais il devrait faire parler de lui bien audelà des cercles de la défense. Ilconcerne en effet le segment le plus périlleux du « soldat augmenté » : le recours aux techni
ques dites « invasives » pour améliorer les performances physiquesou cognitives du corps humain.En clair, l’injection ou l’absorption de substances, les opérationschirurgicales ou encore l’intégration de puces sous la peau pouvant envoyer ou recevoir des informations à distance sur unthéâtre de guerre.
Or, pour son premier avis public– un document d’une trentainede pages que Le Monde a pu consulter –, le comité d’éthique de ladéfense, composé de dixhuit membres civils et militaires, a décidé de donner son feu vert à la recherche sur ces méthodes. Et ce, alors que, jusqu’à présent, aucuntravail scientifique n’a été officiellement mené en la matière.
Fixer une limiteLes seules méthodes « invasives » employées aujourd’hui au sein des armées françaises sont le recours à un certain nombre de pro
duits facilitant la récupérationaprès l’effort, diminuant le stress, ou des médicaments comme lesantipaludéens, ainsi que la vaccination, souligneton au cabinet de la ministre. Mais, à l’horizon 2030, selon le comité d’éthique, le« champ des possibles », pourraitlargement s’ouvrir.
Ces évolutions pourraient notamment passer par des substances conçues pour améliorer « larésistance face au phénomèned’isolement ou à la suite de la capture par l’ennemi ». Elles pourraient aussi se traduire par desopérations des oreilles pour entendre des fréquences très élevées ou très basses, ou encore pardes implants « permettant deprendre le contrôle d’un système d’armes ».
« De longue date, l’être humaincherche régulièrement à accroître ses capacités physiques ou cognitives pour combattre ou faire la guerre (…). Les évolutions prévisi
bles ou envisageables à plus ou moins long terme permettent d’entrevoir des ruptures au moyen desquelles les augmentations de capacités se trouveraient incorporées au soldat », prévient ainsi enpréambule le comité. « La question des limites et, par suite, celle des seuils, sont donc essentielles », ajoutetil, avant d’assumer sa principale position : « Afin d’évitertout risque de décrochage capacitaire de nos armées (…), la recherche dans le domaine des augmen
tations doit être ouverte. »Conscient des débats que pour
rait susciter cet avis, le comité d’éthique prend soin d’énoncer, dans un deuxième temps, près d’une vingtaine de recommandations. Pour chaque « augmentation », une analyse « bénéfices/risques » devra ainsi être menée, enincluant les « risques cyber » : soit les éventuels effets secondaires que pourraient avoir sur le corps un certain nombre d’ondes ou de composants électroniques. La « réversibilité » de ces augmentations devra être étudiée. Surtout, le service de santé des armées devra être systématiquement associé.
Le comité d’éthique fixe aussiun certain nombre de lignes rouges. Parmi elles : « Toute augmentation dont on estime qu’elle seraitde nature à (…) provoquer une perte d’humanité ou serait contraire au principe de respect de la dignité de la personne humaine. » Il fixe aussi comme interdit toute « augmentation cognitive » qui« porterait atteinte au libre arbitre dont le militaire doit disposer dansl’action au feu ». De même devraient être proscrites « les pratiques eugéniques ou génétiques », ainsi que les « augmentations quimettraient en péril l’intégration[du soldat] dans la société ou sonretour à la vie civile ».
Le droit pourrait aussi représenter une limite à ces innovations, en particulier le droit international humanitaire. Il pourrait être ainsi considéré que le « processus d’augmentation » est un « moyen » ou une « méthode de guerre », s’il est conçupour « donner la mort, des blessures, ou des dommages à des personnes ou des biens », prévient lecomité d’éthique.
Même chose pour le droit médical. Si l’on avance dans cette direction, « il va falloir mettre ensemblemédecins et juristes », note Gérard de Boisboissel, directeur de l’observatoire des enjeux des nouvelles technologies pour les forces au
Image fournie parle ministère des armées qui montre ce que pourrait être le combattant du futur en 20402050. STRATE/LÉA HAMZI/MAXIME BLANDIN/ÉMILIEN JACQUINET
Des implants permettraient par exemple « de prendre
le contrôle d’un système
d’armes »
sein du Centre de recherche des écoles de SaintCyr Coëtquidan,qui forme tous les officiers de l’armée de terre en France. La loi Jardé (2012), notamment, encadre très strictement les recherchesimpliquant le corps humain. « Il y a donc encore beaucoup d’obstacles », estime M. de Boisboissel, qui a fait partie des personnalités consultées par le comité d’éthique et est par ailleurs le coauteur d’une étude montrant les avis trèspartagés des élèves de SaintCyrsur le sujet.
Très grands écarts de doctrineAu cabinet de Florence Parly, ontient à rappeler que rien n’est tranché sur ce sujet. « Il y a des choses sur lesquelles on ne transigera pas », insisteton. En particulier la nécessité d’un « consentement éclairé » des militaires qui pourraient être amenés à expérimenter ces innovations. « On privilégiera toujours le non invasifsur l’invasif », souligneton également. « Mais on souhaite se poser les bonnes questions maintenant, pour que, quand elles deviendront peutêtre plus pressantes, nous ayons un cadre intellectuel prêt », ajouteton.
Quoi qu’il advienne, selon M.de Boisboissel, qui travaille depuis des années sur toutes les facettes du « soldat augmenté », le fait que la France se penche surles méthodes d’augmentationfranchissant la « barrière corporelle », est une bonne chose. « La réponse que fera l’armée françaiseà ces opportunités fera un peu exemple et pourra constituer uneréférence pour d’autres pays », estime ce spécialiste, qui rappelleles très grands écarts de doctrines existant notamment avec lesEtatsUnis, la Russie ou la Chinesur le sujet.
OutreAtlantique, la doctrine du« zéro mort » prévaut ainsi surbeaucoup de considérations. Et ce, dans le but de « déporter aumaximum le danger du soldat », selon M. de Boisboissel. En Russie,dans un discours d’octobre 2017, le président Valdimir Poutine a,ostensiblement annoncé l’avènement prochain d’un soldat « génétiquement modifié ». Tandis qu’en Chine, même si l’état des recherches reste opaque, « l’éthique du groupe et de l’efficacité prime toujours sur celle de l’homme », résume le chercheur.
élise vincent
depuis plusieurs années, le centre de recherche des écoles de SaintCyr Coëtquidan (CREC), qui forme tous les officiers de l’armée de terre en France, est à la pointe en matière de recherche sur le « soldat augmenté ». Un programme spécifique amême été lancé sur le sujet depuis 2015, alors que le comité d’éthique du ministère de la défense vient juste de rendre un avis sur la question.
Dans une étude récente parue en septembre dans une revue de sciences humaines – Tétralogiques –, le CREC a ainsi détaillé le résultat d’un sondage mené auprès de quelque 228 élèves officiers et44 cadres – dont 29 femmes – au cours de l’année 2019. Une enquête conduite pour avoir leur avis sur le recours à d’éventuelles « augmentations » artificielles de leurs capacités physiques ou cognitives.
Et c’est peu de dire que leurs réticencessont apparues fortes sur ces perspectives.A la question, par exemple : « En tant quechef de section, seriezvous prêts à impo
ser une gélule coupefaim à vos hommes pour le bon déroulement de la mission ? », seuls 10 % à 24 % des sondés ont répondu positivement. Et ce, alors que ces gélulessont aujourd’hui en vente libre dans lecommerce.
Des résultats nuancésDes résultats plus positifs ont été obtenus avec la proposition d’un recours à une substance aux vertus analgésiques se déclenchant automatiquement dans l’organisme en cas de douleur. Mais l’approbation de cette « augmentation » par voie médicamenteuse, qui peut avoir pour effet secondaire une irritabilité à long terme, n’apas dépassé le seuil des 50 % d’avis positifs.
Les seuls à s’être prononcés majoritairement favorables à l’usage éventuel de cedeuxième produit sont les élèves officiers les plus jeunes (68 %). Une constante dans plusieurs scénarios étudiés. « Les jeunessont encore peu aguerris et peu formés aux exigences militaires. Ils idéalisent la capa
cité que peuvent apporter des substances », pointent les chercheurs.
Sur les implants dits « invasifs », les résultats se sont aussi avérés très nuancés selonles élèves. Que ce soit pour être « géolocalisé » en cas de capture, ou pour recevoir des « stimuli » afin de lutter contre l’endormissement lors d’une mission de surveillance. Le premier cas est celui qui a reçu le plus d’approbation (31 % chez lesélèves de troisième année, et jusqu’à 62 % chez les plus jeunes). Dans le second cas, seuls 4 % à 28 % des sondés ont répondu positivement.
Les femmes, comme dans la plupart descas de figure, sont celles qui sont apparuesles plus réticentes aux « augmentations »invasives, avec des écarts de 15 points enmoyenne avec les hommes. La seule technique qui a obtenu une approbation majoritaire de tous les élèves de SaintCyr est le recours à une opération pour améliorerl’acuité visuelle : 80 % en moyenne.
e. v.
A Saint-Cyr, les élèves réticents aux mutations artificielles
Avis éthique positif aux recherches sur le « soldat augmenté »Le recours aux exosquelettes, à des objets connectés, à l’injection de substances va être étudié pour améliorer la performance des combattants du futur
0123SAMEDI 5 DÉCEMBRE 2020 international | 3
Les hôpitaux roumains « au bord de l’effondrement »Alors que l’épidémie s’aggrave, la situation du système de santé est au cœur des législatives du 6 décembre
REPORTAGEbucarest envoyé spécial
P atients abandonnés nusà même le sol d’un hôpital délabré, d’autres attendant des heures dans
des couloirs qu’un lit se libère, incendie dans un service causant la mort de 10 patients… « En Roumanie, il suffit de regarder la télévision pendant deux heures pour prendre peur », résume Cristian Mirea, 38 ans, qui attend, mercredi 2 décembre, dans le froid pour voir un médecin à l’hôpitalMariusNasta de Bucarest. Après avoir dû payer de sa poche un test– positif –, il s’inquiète de ses symptômes qui s’aggravent.
Comme beaucoup de Roumains,il a renoncé à voir son médecin généraliste, faute de pouvoir le joindre, et s’est rendu directement à l’hôpital, seul espoir malgré l’angoisse de ce chef d’entreprise. Ici,la directrice, Béatrice Mahler, assure « devoir ajouter chaque jour des lits » en transformant, par exemple, le vestiaire du personnelen dortoir accueillant désormais six patients collés les uns aux autres, mais elle peut encore au moins héberger tout le monde.
Ce n’est pas le cas à Matei Bals,principal hôpital spécialisé en maladies infectieuses de la capitale, où la situation est critique, commel’ont révélé des vidéos postées sur Facebook montrant des malades sous oxygène allongés sur des sièges dans les couloirs. « Nous avons entre 20 et 30 patients qui doivent attendre jusqu’à vingtquatre heures, dans la salle d’urgence, qu’un litse libère », reconnaît le docteur Adrian Marinescu depuis la cour de l’hôpital. « Mais ils reçoivent tous les soins qu’ils méritent », prometil. « Le système est au bord de l’effondrement, tous les hôpitaux qui sont capables de traiter le Covidsont pleins », dénonce pourtant Viorel Husanu, président du syndicat de personnel hospitalier Sanitas pour Bucarest.
Corruption et fuite des cerveauxEn pleine campagne pour lesélections législatives du 6 décembre, la Roumanie redécouvrel’état effarant de certains de seshôpitaux alors que le pays est durement touché par la deuxièmevague de Covid19, avec un recordde 211 décès en vingtquatre heures enregistrés jeudi 3 décembre.Dans un pays rongé par la corruption et la fuite des cerveaux, le système hospitalier concentreles deux maux à la fois.
Ses hôpitaux vieillissants setrouvent souvent dans un état déplorable, quasiment aucun n’a étéérigé depuis 1990, malgré les milliards d’euros mis à dispositionpar l’Union européenne depuis l’élargissement de 2007. De son côté, le personnel médical a émigré massivement en Europe del’Ouest, tandis qu’à tous les étagesles patients doivent encore souvent sortir du cash pour se fairesoigner correctement.
Victime d’un incendie qui a fait10 morts samedi 14 novembre,l’hôpital de Piatra Neamt, dans lenordest du pays, est à lui seul devenu le symbole du problèmeavec huit directeurs qui se sont
succédé en un an, tous nomméspour leur affiliation politique sans qu’aucun ne veille au respectdes normes de sécurité. Sur place, seul le comportement héroïque d’un médecin qui s’est jeté dans les flammes a pu éviter que le bilan s’aggrave…
Au siège du gouvernement, lepremier ministre, Ludovic Orban, président du Parti national libéral(PNL, centre droit), rejette la faute « sur le président du comté », qui a officiellement la tutelle de l’hôpital, et qui est un élu du Parti socialdémocrate (PSD, gauche), son principal adversaire pour les législatives. Son gouvernement apourtant lui aussi participé à la valse des directeurs en faisant brièvement nommer au printemps, pendant l’état d’urgence,un membre du PNL qui était seulement connu pour être le directeur d’une entreprise de pompesfunèbres locale. « C’était une erreur qu’on a réparée en troisjours », se défendil aujourd’hui.
Pas question pour le chef de gouvernement de 57 ans, favori pourle scrutin de dimanche à en croire les sondages, de reconnaître une part de responsabilité dans l’état déplorable des hôpitaux. « Nous les avons trouvés dans une situation terrible », assure celui qui a remplacé le PSD au pouvoir en 2019 après trois ans marqués par des manifestations anticorruption historiques et l’emprisonnement du leader du Parti socialiste pour détournement de fonds.
A la tête d’un gouvernementminoritaire depuis cette date, M. Orban promet « 6 milliards d’euros » d’investissement dans les hôpitaux si les Roumains lui donnent une majorité claire dimanche. De son côté, le PSD assure avoir changé en écartant les personnages les plus proches de son ancien leader emprisonné, et met en avant le triplement des salaires des professionnels médicaux décidé sous son règne. « Maintenant ils sont plus proches de la moyenne européenne », vante ainsi le professeur en microbiologie Alexandru Rafila,candidat sur les listes du parti. Le salaire de base des médecins spécialistes les plus rémunérés est,par exemple, passé de 800 à près de 1 900 euros entre 2017 et 2018.
Entre ces deux partis qui dominent la vie politique roumaine depuis la chute du communisme, l’Union sauvez la Roumanie (USR), un jeune parti libéral né desmouvements anticorruption, espère tirer son épingle du jeu en promettant « d’introduire la responsabilité à tous les niveaux du
système de soins et en nommantdes gens qui sont prêts au changement », comme l’explique Vlad Voiculescu, ministre de la santé ausein du gouvernement technique qui a dirigé la Roumanie pendant quelques mois en 2016 et désormais élu à la mairie de Bucarest.
Hôpital financé grâce à des donsCrédité d’une troisième place,l’USR ne peut toutefois espérer aumieux qu’obtenir le poste de la santé dans une coalition avec le PNL, toute collaboration avec le PSD étant exclue. « Mais ce ne serapas facile, le PNL est aussi un parti avec des vieilles structures de pouvoir qui veut servir ces structures plutôt qu’un but lointain comme la réforme du système de santé », dénonce déjà M. Voiculescu.
Dans ce paysage politique quichange trop lentement, le plusbeau témoin de l’échec de l’Etatroumain est en cours d’érection dans le sud de Bucarest. Prévue pour ouvrir au deuxième semes
tre 2021, la nouvelle aile del’hôpital oncologique pour enfants MarieCurie a été entièrement construite par une ONG, Donner vie, grâce à des dons. Lamême ONG a aussi mis en place un hôpital en conteneurs pour lutter contre le Covid.
A sa tête, deux femmes fortesvenues du secteur privé, Oana Gheorghiu et Carmen Uscatu, 51 et46 ans. « Tout a commencé quand j’ai reçu une chaîne de mails en 2009 d’une mère qui cherchait à
récolter de l’argent pour faire une transplantation de cellules souches à son fils à l’étranger », raconte Mme Gheorghiu depuis le chantier où l’aménagement des premières chambres a commencé. Révoltées, les deux voisines décident d’organiser une manifestation pour la soutenir et « reçoivent des centaines de soutien ».
Onze ans plus tard, elles ont récolté plus de 45 millions d’eurosvenant d’entreprises et de particuliers, et ce sans 1 euro d’argent européen, la Roumanie empêchant les ONG d’accéder à ces fonds. Ambitieuses, elles veulent que leur nouvel hôpital soit à lapointe de la technologie mais aussi du système de santé pour enfaire « un modèle qui pourrait être répliqué », comme l’explique Mme Uscatu. « On peut davantagechanger le système de l’extérieur qu’au ministère », tranche sa collègue, sans beaucoup d’espoir dans l’issue du scrutin de dimanche.
jeanbaptiste chastand
« Nous avons 20 à 30 patients quidoivent attendre
jusqu’à vingt-quatre heures,
dans la salle d’urgence, qu’un
lit se libère »ADRIAN MARINESCU
médecin
A l’hôpital de Piatra Neamt,
huit directeurs se sont succédé
en un an, tous nommés pour leur affiliation
politique
ÉGYPTELibération de trois militants des droits humainsLes trois dirigeants de l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR) ont été libérés, jeudi 3 décembre. Les membres de cette ONG sur les droits humains étaient accusés notamment d’« appartenance à un groupe terroriste » et de « diffusion de fausses informations ». Mohamed Bachir,
responsable administratif, avait été arrêté le 15 novembre, suivi de Karim Ennarah, responsable de la justice criminelle, le 18 novembre. Le directeur, Gasser AbdelRazek, avait été interpellé le 19 novembre. Plusieurs pays européens, les EtatsUnis et les Nations unies avaient condamné ces arrestations, intervenues après une visite de diplomates étrangers dans les locaux de l’EIPR. – (AP/AFP.)
LE PROFIL
Ludovic OrbanA 57 ans, le premier ministre rou-main est favori pour les législati-ves organisées dimanche 6 dé-cembre en Roumanie. Nommé, en novembre 2019, à la tête d’un gouvernement minoritaire, le lea-der du Parti national libéral (cen-tre-droit) devra probablement former une coalition. Ce pro-européen convaincu, qui aime se différencier de son homonyme hongrois, le nationaliste Viktor Orban, devra prouver que sa for-mation peut lutter contre la cor-ruption qui ronge la Roumanie.
4 | international SAMEDI 5 DÉCEMBRE 20200123
Venezuela : le succès annoncé de Nicolas MaduroL’opposition a décidé de boycotter les élections législatives, où l’abstention s’annonce importante
bogota correspondante
L e président Nicolas Maduro a été emphatique.« Je remets mon destindans les mains du peuple
vénézuélien, atil déclaré, mardi2 décembre, à Caracas. Si l’opposition remporte à nouveau l’Assemblée nationale, je quitte la présidence, je m’en vais. » Mais le successeur d’Hugo Chavez n’a guèred’inquiétudes à se faire. Les principaux partis d’opposition ayantdécidé de boycotter les électionslégislatives de ce dimanche 6 décembre, le Parti socialiste unifié(PSUV) devrait récupérer le contrôle de l’Assemblée qui, depuis2015, était aux mains de l’opposition. C’était la dernière institution rebelle au pouvoir chaviste.Dans un pays ruiné par vingt ansde gestion économique erratique et asphyxié par les sanctionsaméricaines, Nicolas Maduro semble assuré de terminer sonmandat. Son fils, Nicolas MaduroGuerra, dit « Nicolasito » (Petit Nicolas), 30 ans, est l’un des14 000 candidats qui se disputeront dimanche les 277 sièges dela Chambre unicamérale.
Quelque 20 millions d’électeurs sont appelés aux urnes. Autotal, 103 formations politiques –dont 36 d’envergure nationale –présentent des candidats. Plusieurs personnalités et petits partis d’opposition se sont démarqués du boycott décidé parles grands partis, sans réussir àprésenter des candidatures communes. A gauche, le Parti communiste, devenu très critique dugouvernement de Nicolas Maduro, a constitué une allianceavec deux petits partis, Tupamaros et Patria para todos. Tout enrappelant « qu’une surprise estpar nature imprévisible », Luis Vicente Leon, directeur de l’institutde sondage Datanalisis, considère « qu’aucune de ces initiativesne semble de nature à menacer lasuprématie électorale du PSUV ».
Le pouvoir peine cependant àmobiliser son électorat. SelonDatanalisis, le taux de participation ne devrait pas dépasser 34 %.« On est trop occupé à survivrepour avoir envie d’aller voter, sou
pire Lisbeth Ochoa, professeur delycée dans la ville de Valencia.Mais le gouvernement met lapression et les gens, s’ils ne vontpas voter, ont peur de perdre leur travail ou de ne plus recevoir la caisse d’aliments hebdomadaire qui leur permet de ne pas crever defaim. » Lundi, à l’occasion d’unmeeting de campagne, le viceprésident du PSUV, Diosdado Cabello, s’est fait clair : « Celui qui nevote pas ne mange pas », atil lancé à trois reprises, goguenard.
La récession économique avaittourné au désastre bien avant lapandémie. Selon le FMI, le PIB dupays pourrait encore chuter de25 % cette année. Plus de 90 %des Vénézuéliens vivent aujourd’hui en deçà du seuil de pauvreté. « Le chavisme évidemmentne séduit plus, mais l’opposition, plus divisée que jamais, ne convainc pas. L’élection est perçuecomme une joute pour le pouvoirentre deux camps qui ne se soucient pas de résoudre les problèmes du peuple », résume IgnacioAvalos, de l’organisation Ojoelectoral (Œil électoral).
Rangs décimésEn septembre, un sondage révélait que 62,2 % des Vénézuéliensne soutenaient ni le gouvernement de Nicolas Maduro ni l’opposition officielle menée parJuan Guaido. « Vous n’allez pasme croire, mais je connais des gens qui vont voter pour le PSUV par conviction, parce qu’ils croient que ce sera pire si la droiterevient. Comme si cela pouvaitêtre pire ! », soupire Margaret Perez, qui a fait le choix de l’exil,comme plus de 5 millions de ses compatriotes. Employée de service à Bogota, Margaret ne
pourra pas voter aux législatives.L’émigration a décimé les rangsde l’opposition.
Margaret n’a jamais entenduparler de la « consultation citoyenne » organisée par les partisd’opposition qui se tiendra du 7 au 12 décembre. « C’est une initiative qui va permettre aux citoyens vénézuéliens d’exiger le départ de Nicolas Maduro et de demander l’aide de la communauté internationale, explique Enrique Colmenares, du comité organisateur. Tous les Vénézuéliens pourrontvoter par Internet ou dans les 7 079 bureaux de vote qui seront installés le 12 décembre dans le pays et dans quelque 80 pays. »
Faute d’accès aux médias nationaux, c’est sur les réseaux sociaux que l’opposition fait campagne pour l’abstention et appelle à participer à la consultation. « Le 6 décembre, il n’y aurapas élection, il y aura fraude. Voter,c’est collaborer avec la dictature », affirme Juan Guaido dans une vidéo. « Ne vous laissez pas piéger.
Les partis d’opposition qui apparaissent sur les bulletins de voteont été séquestrés », poursuit le jeune député. Le Conseil national électoral (CNE) a en effet usé de ses pouvoirs pour renouveler la direction de plusieurs grands partis et y placer des militants mieuxdisposés à l’égard du pouvoir.
Perte de vitesseCes manœuvres du CNE sont unedes raisons invoquées par lesEtatsUnis et leurs alliés latinoaméricains réunis au sein dugroupe de Lima pour contester lalégitimité de l’élection législative. L’Union européenne a sans succès tenté de jouer les médiateurs pour obtenir un report desélections et des garanties minimales de transparence. « Rien nepermet d’affirmer qu’il y aurafraude, dit M. Leon, de Datanalisis. Mais, faute de témoins dans les bureaux de vote et d’audit dudépouillement, le résultat sera invérifiable et donc illégitime. D’unpoint de vue technique, ce sera
aussi le cas pour la consultation de l’opposition. »
Juan Guaido joue son avenir politique. C’est parce qu’il était président de l’Assemblée nationale qu’il s’était autoproclamé, en janvier 2019, président de la République par intérim, en invoquant l’illégitimité de la réélection de Nicolas Maduro. Et c’est à ce titre qu’il a été reconnu par une cinquantaine de gouvernements, dont la France. D’aucuns s’interrogent sur le sort politique de M. Guaido, une fois qu’il aura perdu son siège de député. « Il ne va pas le perdre, puisque l’élection du 6 décembre n’en est pas une », répond Enrique Colmenares.
En perte de vitesse depuis desmois, Juan Guaido recueille aujourd’hui moins de 30 % d’opinions favorables. La décision d’appeler au boycott des électionsn’a fait qu’approfondir plus avant les divisions de l’opposition. Enaoût, l’ancien candidat Henrique Capriles faisait un retour remarqué sur la scène politique en criti
quant l’option du boycott. Si elles ont conduit fin août à la libération d’une centaine de prisonniers politiques, les négociations engagées par M. Capriles avec legouvernement ont, elles aussi, achoppé sur les garanties électorales. M. Capriles a donc opté pourne pas présenter de candidats.
« En 2015, sans plus de garantiequ’aujourd’hui et avec un CNEtout aussi aligné sur le pouvoir,l’opposition unie a emporté lesélections », rappelle le sociologueIgnacio Avalos. Il est vrai que l’Assemblée nationale a rapidementperdu le bras de fer engagé avecle pouvoir. Dans les mois suivantson investiture, toutes ses décisions furent annulées par la Coursuprême, avant que la mise enplace d’une Assemblée constituante, en 2017, ne la prive detout pouvoir législatif. L’électionlégislative du 6 décembre n’estpas faite pour résoudre la criseinstitutionnelle, ni réconcilier les Vénézueliens.
marie delcas
Nicolas Maduro en meeting, le 3 décembre, à Caracas. Photo fournie par la présidence JHONN ZERPA/AFP
D’aucuns s’interrogent surle sort politique
de M. Guaido, une fois qu’il aura
perdu son siègede député
La lente agonie d’AQMI dans le Nord algérienUn raid de l’armée algérienne a anéanti l’étatmajor itinérant d’AlQaida au Maghreb islamique
S ept téléphones, une dizaine de sacs à dos, une batterie solaire, trois kalach
nikovs et un trou du diamètre d’un homme creusé dans unsousbois. C’est ce qu’il reste d’un étatmajor itinérant d’AlQaidaau Maghreb islamique (AQMI) anéanti par un raid de l’armée algérienne, mardi 1er décembre, dans la région montagneuse de Jijel, à 350 km à l’est d’Alger. Un revers sérieux pour AQMI, qui révèle une nouvelle fois la lenteagonie du groupe dans le nord del’Algérie, une région où l’organisation est née.
Parmi les trois djihadistes abattus mardi figurent deux de ses commandants et vétérans du djihad algériens. Montés au maquis en 1994 et 1995 : Leslous Madani, dit « Abou Hayane », responsable de la région Est, membre du « comité des notables » et responsable du « comité de la charia » du groupe, et Herida Abdelmadjid, dit « Abou Moussa AlHassan », chargé de la propagande et de l’aide « médias ».
« Ils n’ont plus de zone de repli.Si les monts qui entourent Jijel, difficiles d’accès, ont longtemps servi de refuge aux groupes armés, ce n’est plus le cas depuis un certain
temps. L’armée s’y est installée etles oblige à se déplacer en permanence et en petits groupes. Ce sont eux qui tombent dans des embuscades », décrit une source qui a accès aux informations sécuritaires. Parfois, c’est la chute des températures et les neiges hivernales qui compliqueraient leur tâche.
« C’est une région où s’abritentencore quelques groupes, et il arrive qu’ils croisent des unités de l’armée. Je pense qu’ils ont dû se déplacer à cause du mauvaistemps », estime Akram Kharief, journaliste spécialiste des questions de sécurité et créateur dusite Menadefense. net.
Ces nouvelles pertes marquentune année difficile pour l’ancienne garde algérienne d’AlQaida, toujours aux commandes du groupe à plusieurs milliers dekilomètres au sud. Le 3 juin, le dernier émir d’AQMI, Abdelmalek Droukdel, 50 ans, a été tué parles forces spéciales françaisesdans le nord du Mali. Agé lui ausside 50 ans, Abou Obeida AlAnnabi, qui lui succède, est lui aussiun Algérien de cette génération. Membre du Groupe islamique armé (GIA) en 1993, il rejoint leGroupe salafiste pour la prédication et le Jihad (GSPC) : une scis
sion du GIA qui donnera naissance à AQMI. C’est d’ailleurs lui qui annonça le ralliement du GSPC à AlQaida. Il a dirigé dix ans durant son « comité des sages ». Instance collégiale, ce comité est un legs du GSPC, censénotamment prémunir le groupedes « dérives » individuelles attribuées aux émirs d’un GIA alorsengagé dans une spirale de massacres de populations civiles etde règlements de comptes.
Stratégie d’alliances localesParfois décrit comme une figureau profil plus religieux que militaire – il aurait été gravement blessé en 2009 en Kabylie –, il était donc hiérarchiquement etnaturellement amené à succéder à Abdelmalek Droukdel. Sa désignation à la tête du groupe répond « avant tout à une logiquede continuité et de cohésion interne alors qu’AQMI affronte durement l’organisation djihadisterivale de l’Etat islamique [EI], dontelle craint l’influence », ajoute un observateur.
Ce conflit ouvert a d’ailleursconduit par ricochet à la mort de dizaines de djihadistes, le 2 novembre, tués par l’armée française alors qu’ils se regroupaient
dans une zone disputée entre les deux groupes.
Tout en continuant à cibler lesforces et intérêts français, son ennemi numéro un dans la région, AlAnnabi devrait maintenir sa stratégie d’alliances locales qui a abouti à la création, en mars 2017, d’un regroupement d’unités djihadistes du Sahel baptisée « Jamaat Nosrat alIslam walMouslimin » (GSIM, Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans).
Dans le cadre d’un échange deprisonniers négocié avec Bamako, dont ont bénéficié plusieurs figures djihadistes parmi 200 combattants, le GSIM a libéré, début octobre, plusieursotages, dont l’opposant malien Soumaïla Cissé et l’humanitairefrançaise Sophie Pétronin, suscitant l’ire des militaires algériens.
Fin octobre, le ministère algérien de la défense avait qualifié d’« inadmissibles » les tractationsqui, si l’on en croit Alger, ont donné lieu à des arrangements financiers « contraires aux résolutions de l’ONU incriminant le versement de rançons […] qui entravent les efforts de lutte contrele terrorisme et de tarissement de ses sources de financement ».
madjid zerrouky
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ESSENTIELS
6 | international SAMEDI 5 DÉCEMBRE 20200123
Argentine : une forte mortalité malgré un long confinementLe pays est le septième du monde comptant le plus de morts par million d’habitants
buenos aires correspondante
D ans les rues de la capitale, officiellementdéconfinée depuis début novembre, il n’est
désormais plus rare de croiser desbadauds sans masque ou de voir des amis s’étreindre au momentde se retrouver en terrasse decafé. « Ya fue » (tant pis, c’est bon) résonne régulièrement dans les dîners qui n’ont pas toujours lieu dans un endroit bien ventilé.
« Ne vous relâchez pas » : tel est,pourtant, le message des autorités, qui a du mal à être écouté tantla patience des Argentins a été mise à rude épreuve durant ces longs mois de confinement, en particulier à Buenos Aires et dans sa grande banlieue (la région qui aenregistré le plus de cas et de décès depuis le début de l’épidémie). Mises en place le 20 mars dans tout le pays, les restrictions ont étéprogressivement levées à partir du mois de mai dans les provincesles moins touchées par la pandémie, et à partir de septembre dansle Grand Buenos Aires.
Neuf mois après la découvertedu premier cas de Covid19 sur le sol argentin, le pays semble avoir enfin, depuis la fin octobre, passé le pic de la première vague. « Maisle nombre de cas quotidiens reste tout de même élevé [plus de 7 000 en moyenne sur la semaine écou
lée]», avertit Silvia Gonzalez Ayala, professeure d’infectiologieà l’Université nationale de La Plata. L’Argentine a dépassé, mercredi 2 décembre, le cap des 39 000 décès dus au Covid19. Un triste bilan, qui en fait le septièmepays au monde à recenser le plusde morts par million d’habitants.
Le vaccin russe est attenduLes spécialistes identifient différents facteurs pour expliquer la mortalité élevée due au virus en Argentine : la crise économique qui frappe le pays depuis 2018 et qui fait que, malgré les aides de l’Etat, les travailleurs informels (40 % des emplois) ont dû sortir dechez eux pour obtenir un revenu ; la forte densité urbaine, notamment dans le Grand Buenos Aires, qui compte 15 millions d’habitants, soit un tiers de la populationargentine ; l’insalubrité des bidonvilles et quartiers populaires. L’infectiologue Silvia Gonzalez Ayala pointe également l’âge des habitants du Grand Buenos Aires, zonedans laquelle la moyenne d’âge estplus élevée que dans le reste du pays (15 % de la population de la capitale a plus de 65 ans).
« Le prolongement du confinement au comptegouttes, toutesles deux à trois semaines, sans perspective de sortie, a été contreproductif », déplore Mme Gonzalez Ayala, qui juge qu’un certain ras
lebol a pris de l’ampleur au sein de la population à partir du mois de juin, participant au relâchement du comportement. L’infectiologue estime enfin que le nombre de tests a été insuffisant. « La traçabilité des cas contacts n’acommencé à être vraiment mise en place que deux mois après le début de l’épidémie, signaletelle. A quoi cela servaitil de bloquer tout un pays si tôt ? »
« Peutêtre aurionsnous dû opter pour un confinement intermittent au bout du premier mois et demi d’isolement obligatoire », aadmis le ministre de la santé, Gines Gonzalez Garcia, dans une interview au journal La Nacion, jeudi 3 décembre. Le confinement s’est accompagné d’un renforcement des capacités hospitalières (le nombre de lits de soins intensifs a été multiplié par deux dans la province de Buenos
Aires), qui a permis au pays d’éviter la saturation de ses hôpitaux.
Le personnel médical, lui, est àbout. Les soignants ont payé un lourd tribut à la pandémie : plus de60 000 d’entre eux ont contracté le Covid19, et au moins 450 sont décédés depuis le début de l’épidémie, selon un bilan établi fin novembre par la Fédération syndicale des professionnels de la santé.Jeudi, médecins et infirmiers ont défilé dans la capitale pour réclamer des augmentations de salaire et des congés. Leurs confrères et consœurs de la province de Buenos Aires avaient lancé un mouvement de grève de vingtquatre heures, une semaine plus tôt.
L’attention est concentrée désormais sur le développement et la distribution des vaccins contre le Covid19. Le gouvernement s’estengagé à acheter 25 millions de doses du vaccin russe SpoutnikV.
Quelque 300 000 Argentins pourraient être vaccinés d’ici à la fin de l’année, a indiqué le chef de l’Etat Alberto Fernandez. « Je ne veux pasêtre rabatjoie, mais le vaccin ne résout pas le problème immédiat, a relativisé le ministre de la santé Gines Gonzalez Garcia. Le vaccin est fondamental à long terme, mais en attendant, il faut poursuivre les mesures de prévention. »
Des mesures qui gagneraient àêtre mieux communiquées, selonl’infectiologue Silvia GonzalezAyala : « Les autorités doivent mettre en place des campagnes de communication massives et transparentes pour expliquer les mesures à adopter pour vivre avec le virus. » D’autant plus à l’approchedes vacances d’été : début novembre, les frontières du pays ont été rouvertes aux touristes des pays limitrophes, et la plupart des provinces argentines autoriseront lesdéplacements de touristes nationaux à partir de la midécembre.
Dans l’immédiat, le personnelsoignant redoute une nouvelle hausse des cas dans les jours à venir, possible conséquence desgrands rassemblements qui se sont produits à Buenos Aires enhommage à Diego Maradona, mort le 25 novembre.
aude villiersmoriamé
Dans une unité de soins intensifs de l’hôpital central de Mendoza,en Argentine, le 6 novembre. ANDRES LARROVERE/AFP
Des facteurs ontété identifiés : nombre élevé de travailleurs
informels, fortedensité urbaine
et insalubrité des bidonvilles
En Espagne, Amnesty dénonce l’abandon des résidents en EhpadL’ONG demande une enquête sur le fonctionnement des maisons de retraite, où 23 000 personnes sont mortes pendant la pandémie
madrid correspondante
P endant quatre jours, ElenaValero n’a cessé d’insisterpour faire hospitaliser son
père. En vain. Atteint du Covid19 dans la résidence pour personnes âgées où il se trouvait confiné, à Madrid, il n’a pas eu d’autre choix que d’attendre la mort. « Le médecin m’a dit qu’il avait l’interdiction de transférer les malades de résidences dans les hôpitaux et qu’il ne pouvait que lui donner de l’oxygèneet (…) de la morphine, jusqu’à ce queson corps lâche », raconte cette femme, avec émotion, dans une vidéo d’Amnesty International, diffusée le 3 décembre. Interdit de visite, son père est ainsi décédé seul, à 300 mètres de chez elle, durant la première vague de la pandémie, sans qu’elle ne puisse « lui tenir la main » une dernière fois.
Son histoire, terriblement banale en Espagne où plus de 23 000résidents d’Ehpad sont décédés du Covid19, fait partie des dizaines de témoignages, rassembléspar l’ONG dans son enquête, réalisée à partir d’une centaine d’interviews auprès de familles, de personnels et de médecins de Madridet de Catalogne. Le titre est révélateur : « Abandonnés à leur sort : le manque de protection et la discrimination des personnes âgées dans les résidences durant la pandémie de Covid19 en Espagne ».
La conclusion est sans appel :« La décision de ne pas transférerles résidents dans les hôpitaux a été appliquée de manière générale,automatique et en bloc, sans mener d’évaluations individualisées »,souligne Esteban Beltran, directeur d’Amnesty International Espagne, qui dénombre cinq droits
bafoués : le droit à la santé, à la vie,à la nondiscrimination des personnes âgées, à la vie privée en famille et à une mort digne.
« Nous ne sommes pas naïfs,nous savons ce qu’est une pandémie, mais la solution ne peut pas être de violer des droits et de discriminer des personnes en fonction de leur âge et du lieu où elles vivent, souligne Ignacio Jovtis, l’enquêteur de l’ONG chargé du rapport. Des personnes de 100 ans quivivaient dans leur maison ont été hospitalisées, mais d’autres de 80 ans n’y ont pas eu droit parcequ’ils étaient en résidence. »
L’ONG a pu constater que dansles Ehpad, durant la première vague, il manquait parfois plus de la moitié du personnel. « Les mesuresd’austérité et les coupes budgétaires imposées dans la santé à la suitede la crise économique ne sont pas
étrangères au manque de personnel et de moyens », ajoute M. Jovtis.Dépourvus de tenues de protection, les employés utilisaient des sacspoubelle pour s’occuper des résidents et beaucoup tombaient malades. Il n’y avait pas de test, pasde médecin ni d’infirmière disponible, malgré les annonces selon lesquelles les résidences allaient être « médicalisées ».
Selon le bon vouloir des centresCertaines personnes âgées ont étéretrouvées en situation de déshydratation, d’autres n’ont pas bougé de leur lit pendant des semaines, sans faire les exercices indispensables au maintien musculaire. Dans un cas, un homme est resté pendant deux jours auprèsde son compagnon de chambre, mort, avant que les services funéraires ne viennent le chercher.
Doter la santé publique de davantage de moyens humains est une des principales recommandations d’Amnesty International,pour éviter qu’un tel drame ne se reproduise, alors que la secondevague frappe à nouveau les Ehpad.Près de 20 % des contaminations ont lieu dans les résidences. La dernière semaine de novembre,94 foyers d’épidémie y ont été détectés et plus de 2 000 cas de Covid19 diagnostiqués.
L’ONG insiste aussi sur l’importance de revoir les protocoles de nontransferts vers les hôpitaux et de garantir le droit aux visites. Entre le début de leurs symptômes et leur mort, certains n’ont pu parler que deux fois avec leurs proches. L’une des personnes interrogées a raconté comment, après deux semaines sans nouvelles de son père, elle a reçu chez elle
l’urne funéraire avec ses cendres. Et de nombreux résidents ayant survécu ont souffert de traumatismes psychologiques. « Certains ne comprenaient pas ce qui se passait et pensaient qu’ils avaient fait quelque chose de mal qui justifiait cette absence de visite », souligne M. Jovtis. Malgré les protocoles pour encadrer et sécuriser les visites, interdites de mars à mai, avantde reprendre progressivement et de manière très limitée, cellesci dépendent encore très largement du bon vouloir des centres.
Pour toutes ces raisons, Amnesty demande une enquête indépendante sur le fonctionnement des résidences. D’autantplus nécessaire que la plupart des enquêtes ouvertes par la justice à la suite de plaintes des familles sont en train d’être classées.
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DIMANCHE 6 DÉCEMBRE À 12HVOTRE RENDEZ-VOUS POLITIQUE DU DIMANCHE
0123SAMEDI 5 DÉCEMBRE 2020 international | 7
Le Brésil affronte une deuxième vague de Covid19Le nombre de contaminations et de morts augmente fortement dans le pays, où peu de mesures sont prises
rio de janeiro correspondant
C’ était début novembre. Roberto (le noma été modifié) pensait naïvement en
avoir fini avec le coronavirus. « Tout allait de mieux en mieux, l’état d’urgence était terminé, onrecevait de moins en moins de malades et on fermait même des lits », se souvient avec nostalgie cemédecin trentenaire, travaillant dans une unité Covid19 d’un grand hôpital privé du nordde Rio de Janeiro.
Mais à la fin du mois, brutalement, la tendance s’inverse. « Decinq patients par jour, on est passéà 25. Des enfants, des adultes, des personnes âgées… Certains dans un état grave », décrit le médecin. En moins de deux semaines, les16 lits de l’unité se remplissent. « Aujourd’hui, on est plein. On recommence à avoir des décès. Et on est déjà tous complètement épuisés… », souffle Roberto.
La deuxième vague de Covid19paraît bel et bien arrivée au Brésil,deuxième Etat le plus endeuilléde la planète par la pandémie,avec près de 175 000 victimes officielles. Au « pic » de juinjuillet (300 000 malades et plus de 7 000morts recensés par semaine)avait succédé une lente et laborieuse amélioration des indicateurs sanitaires (autour de 150 000 cas positifs et 3 000 à 4 000 décès hebdomadaires en octobre). Mais l’accalmie fut de courte durée. Au mois de novembre, les contaminations sont reparties à la hausse : en un mois
seulement, le nombre de cas positifs hebdomadaires a été multiplié par deux et celui des décès par un et demi.
La deuxième vague touche denombreux Etats à travers legéant latinoaméricain, mais SaoPaulo et Rio de Janeiro, déjà épicentres de la crise au printemps,font à nouveau face à la situationla plus tendue. Dans la « villemerveilleuse », le taux d’occupation des lits en soins intensifs consacrés aux patients atteintsdu Covid19 est désormais de94 % dans le public.
Candidats maladesMais s’agitil vraiment d’unedeuxième vague ? « Ici, à la différence de l’Europe, la première ne s’est jamais tarie », rappelle PauloMenezes, épidémiologiste à l’Université de Sao Paulo (USP). Parmi les causes de la remontée, ce dernier identifie le « relâchement des gestes barrières, les nombreuses rencontres familiales et les fêtes… », mais d’abord, et surtout, « les élections municipales ».
Ces dernières, organisées les 15et 29 novembre, « ont créé beaucoup de rassemblements et de contacts », insiste M. Menezes. Durant la campagne, plusieurs candidats ont d’ailleurs contracté la maladie. Ainsi, Guilherme Boulos, candidat (malheureux) de gauche à la mairie de Sao Paulo,forcé de rester chez lui dans la dernière ligne droite. Ou encore le centriste Maguito Vilela, prétendant au poste de maire de Goiânia(centreouest), et qui a appris sa victoire depuis son lit d’hôpital.
Surtout : histoire de ne paseffaroucher les électeurs, aucunemesure de restriction n’a étéprise durant la campagne, et cealors que les indicateurs se dégradaient à vue d’œil… Ainsi legouverneur de Sao Paulo, JoaoDoria (droite), atil attendu le 30 novembre, lendemain dusecond tour, pour revoir à lahausse le niveau d’alerte de sarégion. « Nous n’allons pas fermerles commerces ou durcir les mesures de lutte contre la pandémieaprès les élections. C’est uneabsurdité de plus qu’ils ont inventée [contre moi] », déclaraitilpourtant, le 13 novembre.
Les scientifiques appellent désormais à des mesures drastiques : fermetures des bars, desrestaurants, des plages… Mais,avec la crise économique, rares sont les maires ou gouverneursenvisageant désormais de tenter un confinement, même partiel.Entre mars et juillet, les timides mesures de restriction prises par
les autorités locales n’avaient, detoute façon, été que très marginalement respectées, faute de contrôle et de volonté politique.Pour tous, le salut ne peut désormais venir que du vaccin. Maisl’organisation d’une campagne devaccination est entravée par leprésident Jair Bolsonaro.
« Très dangereux »Ce dernier a déjà indiqué qu’il ne se vaccinerait sous aucun prétexte. « C’est mon droit ! », a insistéle chef de l’Etat, qui a déjà contracté le virus au mois de juillet etsouhaite désormais tourner « la page Covid ». « En ce moment, touttourne autour de la pandémie. Il faut arrêter avec ça, putain ! », atil lancé en novembre, appelantles Brésiliens à « arrêter d’être un pays de pédés ».
Envers et contre le président, lespouvoirs publics tentent donc des’organiser. Le gouvernementfédéral mise sur le vaccin AstraZeneca, développé par l’univer
sité d’Oxford. Un crédit extraordinaire de 300 millions d’euros a été débloqué pour l’achat de 100 millions de doses. Une campagne de vaccination devrait être mise en place à partir de mars2021, visant en priorité les plus de 75 ans, le personnel de santé et lespopulations indigènes.
Mais l’échéance paraît trop lointaine et plusieurs Etats négocient aujourd’hui leur propre accord
Pour tous, le salutne peut désormais
venir que du vaccin. Mais
l’organisation d’une campagne
de vaccination est entravée
par Jair Bolsonaro
avec les laboratoires. Ainsi Bahia,avec le vaccin russe SpoutnikV, etSao Paulo sur le chinois CoronaVac, afin de commencer à vacciner dès janvier 2021. Mais le feuvert final dépendra de l’agence nationale de surveillance sanitaire (Anvisa), dont les dirigeants ont été nommés par Jair Bolsonaro, qui ne souhaite certainement pas donner une victoire médiatique à ses adversaires, de droite ou de gauche.
Au milieu de ce jeu politique,l’inquiétude monte et les courbes de contaminations avec. Les vacances d’été approchent au Brésil,ainsi que les fêtes de Noël et de find’année. « Les familles vont se réunir, les plus âgés vont rencontrerles plus jeunes. C’est très dangereux ! », s’alarme Paola Minoprio,directrice de recherche à l’InstitutPasteur de Sao Paulo, qui craint que « cette deuxième vague soitplus meurtrière encore que la première ».
bruno meyerfeld
En Norvège, prison fermepour violation de quarantaine
C’ est un avertissement sérieux, avant les fêtes de find’année, à tous ceux qui envisageraient de transgresser les règles de la quarantaine. Mercredi 2 décembre,
le tribunal d’Oslo a condamné à vingtquatre jours de prison ferme une jeune secrétaire médicale d’une vingtaine d’années,jugée pour avoir enfreint la loi à 21 reprises, en choisissant de retourner au travail, au lieu de se mettre à l’isolement après plusieurs séjours à l’étranger.
Le petit pays nordique de 5,4 millions d’habitants compteparmi ceux, en Europe, qui s’en sont le mieux tirés face à l’épidémie causée par le SARSCoV2, avec seulement 35 000 contaminations et 334 morts, soit 61 décès pour un million d’habitants. Dès le printemps, une mise à l’isolement de dix jours aété imposée aux personnes arrivant d’un pays classé « rouge »en raison du niveau élevé d’infections.
C’était le cas du RoyaumeUni, où la jeune femme s’est rendueà trois reprises, pour voir son petit ami. Chaque fois, elle aurait dû rester chez elle une semaine et demie avant de retourner travailler. Or, non seulement elle n’a pas respecté la loi, mais, facteur aggravant dans son cas, elle était employée dans un
cabinet médical et a été en contactproche avec 153 patients au moins,lors de prises de sang ou d’électrocardiogrammes, pendant la période oùelle aurait dû être à l’isolement.
Licenciée depuis, elle a reconnu lesfaits devant le tribunal mais a arguéne pas avoir été au courant des règles.Une affirmation contestée par laprocureure, qui a rappelé que « dès lemois de mars, elle disait aux patientsde ne pas venir au cabinet du médecins’ils étaient allés à l’étranger ».
Le 28 avril, déjà, un homme de22 ans avait été condamné à dixhuit
jours de prison – avec sursis, cette fois – pour être sorti de chezlui à quatre reprises, pendant sa quarantaine, après un séjour enSuède. Minovembre, un pasteur a également reçu une amendede 20 000 couronnes (1 900 euros) pour avoir rencontré plusieurs membres de sa congrégation, dès le lendemain de son retour de vacances à l’étranger.
Pour entrer en Norvège, les touristes étrangers doivent présenter un test négatif datant de moins de soixantedouze heures. Toutefois, cela ne suffit pas : ils sont ensuite placés dans un« hôtel de quarantaine », même s’ils viennent rendre visite à unami ou à de la famille résidant dans le pays. Ils n’ont d’autre choix que d’y passer dix jours – à 500 couronnes la nuitée pourun particulier, et 1 500 couronnes pour une entreprise. Le3 juillet, un touriste ayant contrevenu aux règles a été expulsé du pays. Avant, il avait d’abord dû payer une amende de20 000 couronnes et s’était vu notifier une interdiction de territoire norvégien pendant deux ans.
annefrançoise hivert (malmö, suède, correspondante régionale)
UNE SECRÉTAIRE MÉDICALE A ENFREINT LA LOI À 21 REPRISES, CHOISISSANT DE RETOURNER AU TRAVAIL AU LIEU DE S’ISOLER
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8 | PLANÈTE SAMEDI 5 DÉCEMBRE 20200123
La vaccination démarrera en janvierLes Ehpad seront d’abord concernés, puis les personnes fragiles, avant le reste de la population, au printemps
E ntre la volonté de rassurer et celle d’être transparent, c’est un exerciced’équilibriste auquel s’est
prêté le gouvernement pour exposer sa stratégie vaccinale, nouvelle étapeclé dans la lutte contrel’épidémie de Covid19. « Le début de la vaccination est désormaisune question de semaines », a annoncé le premier ministre, JeanCastex, jeudi 3 décembre, lors d’une conférence de presse durant laquelle il a présenté les premiers axes de la campagne vaccinale à venir.
Après les couacs sur les masques et les tests, l’enjeu est crucial pour l’exécutif, alors qu’unetroisième vague est fortementredoutée. « Acheminer des millions de vaccins » est « une opération d’une très grande complexité », a reconnu le premierministre, évoquant la caractéristique du candidatvaccin Pfizer, qui nécessite une conservation à– 80 degrés. « Nous y travaillons depuis plusieurs mois, nous avonsacheté le matériel et les équipements nécessaires, atil assuré,nous serons prêts pour les premières vaccinations. »
« Mettre en œuvre cette vaccination représente un défi inédit, avec des impacts majeurs à la fois sanitaires, sociaux et économiques, relève l’infectiologue Odile Launay, membre du comité vaccin Covid19. Mais en ayant des résultats sur les vaccins dès la fin 2020 et undébut de vaccination possible début 2021, on se retrouve dans le meilleur scénario possible. »
Le premier ministre a d’abordprécisé le calendrier et les populations concernées, s’inscrivant dans la droite ligne des préconisations émises par la Haute Autoritéde santé, en début de semaine.Avec un objectif : « Vacciner enpriorité les personnes pour lesquelles le virus est le plus dangereux. »
La campagne commencera parles personnes hébergées enEhpad et les personnels à risquede développer des formes gravesde ces établissements, soit prèsd’un million de personnes, « aumieux fin décembre ou dans lespremiers jours de janvier » 2021,date à laquelle les deux premierscandidats vaccins les plus avancés – Pfizer/BioNTech et Moderna – pourraient avoir été validés par les autorités sanitaireseuropéenne et française.
Grâce aux commandes effectuées au niveau européen, « laFrance disposera d’un potentiel de 200 millions de doses, ce qui
permettrait de vacciner 100 millions de personnes », a assuré lepremier ministre, le vaccin nécessitant en effet, à ce jour, deuxinjections à quelques semainesd’intervalle.
A compter de février, la campagne de vaccination se poursuivraen direction des personnes fragiles du fait de leur âge ou de pathologies chroniques, et pourcertains personnels de santé(14 millions). Viendra ensuite, auprintemps, l’ouverture d’unetroisième phase pour l’ensemblede la population. La vaccination sera gratuite pour tous, avec 1,5 milliard d’euros inscrits à ceteffet dans le budget de la Sécuritésociale pour 2021.
Réticence des FrançaisL’un des principaux enjeux de cette campagne sera de parvenirà convaincre la population, alors que, selon un sondage Ipsos publié le 5 novembre, 54 % des Français seulement veulent se faire vacciner, si un vaccin était disponible, le taux le plus bas des 15 pays testés par l’institut.
Le premier ministre en estconscient : « J’entends les réticences, voire parfois les craintes exprimées par certains d’entrevous », atil concédé, tout en insistant sur la « procédure rigoureuse d’essais et d’évaluationconduits par des autorités sanitaires indépendantes » avant d’autoriser un vaccin. Pour les dissiper,il a érigé la « transparence »comme l’un des « impératifs » decette nouvelle phase.
Le premier ministre l’a répété, lavaccination « ne sera pas obligatoire », mais « il faut que noussoyons le plus nombreux possible à se faire vacciner, c’est aussi unacte altruiste pour protéger les autres ». « Avant même de nousimmuniser contre le coronavirus, nous devons nous immuniser contre la peur », a renchéri le ministrede la santé, Olivier Véran.
Pour coordonner cette stratégievaccinale, le gouvernement anommé le professeur d’immunologie pédiatrique Alain Fischer. Celuici présidera « un conseil d’orientation de la stratégie vaccinale » placé auprès duministre de la santé, composéd’experts scientifiques, de professionnels de santé, de citoyens ou encore de représentants descollectivités territoriales.
« Pour que cette vaccination soitefficace, il faut établir de laconfiance, et cette confiance nepeut pas être une injonction verticale émanant des autorités de l’Etat », a averti le nouveau « Monsieur Vaccin » du gouvernement,
qui succède en première ligne au haut fonctionnaire LouisCharles Viossat, d’abord pressenti dans ce rôle, mais dont les deux passages par des laboratoires pharmaceutiques avaient suscité des critiques.
Par ailleurs, le premier ministre asaisi le Conseil économique, socialet environnemental (CESE), afin d’associer la société civile. Toujours dans cette optique de transparence, la stratégie vaccinale dugouvernement sera présentée au Parlement au cours de décembre, dans le cadre d’un débat prévu par l’article 501 de la Constitution, a précisé le premier ministre.
Comment ces millions de vaccins vontils être acheminés ? « Nous sommes entrés dans laphase de l’organisation et de laplanification de la première étapevaccinale, a expliqué OlivierVéran. Cela constitue un défilogistique immense, audelà de ceque notre pays a pu connaître parle passé. » Ce sont plus de 10 000établissements collectifs d’hébergement de personnes âgéesqui devront être livrés, avec descontraintes particulières : levaccin Pfizer doit non seulementêtre stocké à – 80 degrés, maisaussi, une fois décongelé, êtreadministré aux patients en moins de cinq jours.
Les généralistes associésPour « plus de sécurité », outre lecircuit principal de distribution, reposant sur les acteurs ayantl’habitude d’acheminer les médicaments et les vaccins en direction des Ehpad, un second circuit d’approvisionnement s’appuierasur une centaine d’établissements hospitaliers répartis sur tout le territoire. Ce fonctionnement sera « testé à blanc » dans la seconde quinzaine du mois de décembre, a précisé Olivier Véran.
« La première phase représenteun million de vaccins, soit despetits volumes, ce sont des chemins de logistiques assez classiques, ça ne paraît pas insurmontable, réagit Frédéric Valletoux,président de la Fédération hospitalière de France (FHF). La question, c’est l’après : comment anticipeton les chaînes logistiques quand elles vont concerner les Français de manière plus large ?Quelle sera alors la place des établissements hospitaliers ? »
M. Valletoux doit, avec d’autresprofessionnels de santé, assister à une réunion pour préciser les contours de cette nouvelle organisation avec le ministre de la santé, vendredi 4 décembre.
« Dès la première étape et plusencore lors de la vaccinationgrand public, nous mettrons l’accent sur les professionnels de
« IL FAUT QUE NOUS SOYONS LE PLUS
NOMBREUX POSSIBLE À SE FAIRE VACCINER, C’EST AUSSI UN ACTE
ALTRUISTE POUR PROTÉGER LES AUTRES »
JEAN CASTEXpremier ministre
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médecin et chercheur, Alain Fischer aété nommé par Jean Castex pour présiderle conseil d’orientation de la stratégie vaccinale française. Il faisait déjà partie du comité scientifique sur les vaccins antiCovidmis en place au printemps par l’exécutif. Agé de 71 ans, l’immunologiste (hôpital Necker, Institut Imagine des maladies génétiques), extitulaire de la chaire de médecine expérimentale au Collège de France,est très familier des technologies employées dans certains des vaccins développés en urgence pour faire face au Covid19.
Il connaît d’expérience les risques liés auxinnovations en santé : il a été un pionnier des thérapies géniques destinées aux « bébésbulles » souffrant de déficits immunitaires sévères. Ces thérapies avaient dû être interrompues en urgence durant les années2000 après l’apparition de leucémies chez cinq des vingt patients traités. L’un d’eux enétait décédé, mais dixhuit ont pu grandir « en menant une vie normale », précisaitil dans un entretien au Monde en 2014.
Alain Fischer s’était aussi plus récemment investi dans les questions vaccina
les. En 2016, il avait été chargé par la ministre de la santé d’alors, Marisol Touraine, de conduire une concertation citoyenne sur la vaccination, dont les recommandations ont été reprises par sasuccesseure Agnès Buzyn, faisant passer de trois à onze le nombre de vaccins obligatoires chez l’enfant. Des différences entre les recommandations finales et certaines de celles formulées par un jury citoyen avaient fait débat, tout commel’existence de liens d’intérêt entre desmembres du comité d’orientation et l’industrie pharmaceutique.
« Ingrédients décisifs »Concernant le Covid, Alain Fischer, qui estun fervent défenseur de la vaccination comme outil de santé publique, esquissaitil y a quelques jours des recommandations concernant la stratégie vaccinaledans une tribune cosignée dans LeMonde. Le texte définissait « quatre ingrédients décisifs » : transparence complètedans la diffusion de l’information ; crédibilité de celleci ; présence de relais de
proximité ; capacité à inscrire cette information « dans un récit collectif associantesprit de solidarité et citoyenneté ». « Surces différentes dimensions, tout reste à organiser », diagnostiquaitil.
L’annonce de la nomination de ce scientifique, déjà présenté comme le nouveau « M. Vaccin » du gouvernement, a été l’occasion de préciser le rôle d’un autre homme pressenti pour prendre cetteplace. En l’occurrence, LouisCharles Viossat, dont le CV a pu provoquer des interrogations, en raison de son passage dans deux laboratoires pharmaceutiques.
L’inspecteur général des affaires sociales, nommé à la mioctobre par l’Elysée etMatignon sur la stratégie de vaccination,est chargé d’animer une équipe interministérielle sur laquelle s’appuie le ministre de la santé, Olivier Véran. Celleci « n’a pas de rôle décisionnel, ni dans les commandes, encore moins dans les achats de vaccins », ni de rôle « scientifique », a tenuà souligner Olivier Véran, mais seulementun rôle « logistique ».
hervé morin et c. st.
Alain Fischer, nouveau « M. Vaccin » du gouvernement
Estimation du nombre de personnes ayant été infectéespar le SARS-CoV-2, au 30 novembre 2020, en %*
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Petite couronne
Source : Institut Pasteur
Une décrue progressive de la pression sur les hôpitaux
*Si un département comme Paris reçoit des patients de départements voisins, cela peut conduire à surestimer le taux de personnes infectées à Paris et sous-estimer ceux des départements voisins Infographie : Le Monde
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France métropolitaine Auvergne-Rhône-Alpes Hauts-de-FranceIle-de-France Provence-Alpes-Côte d’Azur
**Estimation selon un taux de reproduction ayant augmenté de 0,3 % avec les assouplissements du con�nement et une durée de séjour en réanimation de quatorze jours.
Capacité de lits en réanimation adultes en temps normal, avant réorganisation
Estimation** du nombre de personnes en réanimation, en nombre de lits occupés
Auvergne-Rhône-Alpes14,3
Bourgogne-Franche-Comté12,1
Grand-Est15,2
Hauts-de-France12,9
Normandie6,7
Bretagne 3,6
Pays de la Loire6,2
Nouvelle-Aquitaine4,4
Occitanie6,4
Centre-Valde Loire
7,5
Provence-Alpes-Côte d’Azur 12,2
Corse5,6
21,3
Seine-Saint-Denis 21,8
Val-de-Marne25,8
Hauts-de-Seine23,6
Paris26,7
L’HYPOTHÈSE DES « VACCINODROMES »,
COMME LORS DE LA CAMPAGNE CONTRE
LA GRIPPE H1N1, EN 2009, A ÉTÉ ÉCARTÉE PAR LE GOUVERNEMENT
« Six adultes à table » pour les fêtes« La circulation du virus conti-nue de reculer, de semaine en semaine », s’est réjoui le pre-mier ministre, Jean Castex, jeudi 3 décembre, lors de la conférence de presse détaillant la future stratégie vaccinale. Le premier minis-tre a évoqué la pression sur les hôpitaux, qui « s’allège », avec 3 488 personnes en réanimation la veille et la perspective de passer dans les jours à venir sous la barre des 10 000 cas quotidiens de contamination.Mais le niveau de circulation du SARS-CoV-2 reste supé-rieur à ce qu’il était en mai, au moment du premier dé-confinement : « Nous ne som-mes pas encore venus à bout de ce virus », a-t-il prévenu. A l’occasion des fêtes de fin d’année, « il faut à tout prix éviter de revivre le scénario d’un rebond épidémique pour écarter le risque d’un reconfi-nement quelques semaines plus tard », a insisté le chef de gouvernement, qui recom-mande une jauge de « six adultes à table », sans comp-ter les enfants. Le gouverne-ment a saisi le Haut Conseil de la santé publique pour préciser des « préconisations complémentaires de pru-dence ». Celui-ci doit rendre son avis en début de semaine prochaine.
santé », a assuré Olivier Véran. Au premier rang desquels les médecins généralistes, qui seront au cœur du dispositif. « C’est la clé de la confiance, a insisté le ministre de la santé. Là où les médecins sont exclus d’une campagne vaccinale, la confiance est exclue. » L’hypothèse des « vaccinodromes » (des grands centres devaccinations), qui avaient été un échec lors de la campagne contrela grippe H1N1, en 2009, a été écartée par le gouvernement.
« S’appuyer sur les soignants deterrain, de proximité, est une nécessité », salue Jacques Battistoni, de MG France, premier syndicat chez les médecins généralistes.« On entend déjà les craintes chez nos patients, il faut que nous disposions de toutes les informations disponibles pour pouvoir mener le travail de dialogue que nous faisons habituellement sur les médicaments ou les vaccins. »
elisabeth pineau et camille stromboni
0123SAMEDI 5 DÉCEMBRE 2020 planète | 9
Un risque de troisième vague sur tout le territoireSelon les calculs de l’Institut Pasteur, un Français sur dix a déjà eu le Covid19
D ans quelle configuration se trouveront leshôpitaux, au 15 décem
bre, date annoncée du déconfinement ? De nouvelles modélisations de l’Institut Pasteur, publiées sous la forme d’une note mardi 1er décembre, estiment qu’entre 1 600 et 2 600 lits de soins critiques (réanimation, soins intensifs, unité de surveillance continue) pourraientêtre occupés à cette date par desmalades du Covid19. Ils accueillent actuellement un peumoins de 3 500 patients. Entemps normal, la France compteenviron 5 000 lits de réanimation. La pression devrait doncrester importante sur les établissements de santé.
Ces estimations sont réalisées àpartir de différents paramètres, susceptibles de varier à la haussecomme à la baisse. Les modélisateurs s’attendent ainsi à uneaugmentation du taux de transmission du virus – le « R0 » dans le jargon – avec la réouverture des commerces depuis le 28 novembre. Il pourrait s’élever à 1,1 d’ici à la midécembre contre 0,8fin novembre.
« A chaque fois qu’on entre dansune nouvelle phase, il y a uneincertitude sur l’évolution de ce taux de transmission », souligneSimon Cauchemez, auteur de lanote et membre du conseil scientifique, en rappelant que l’impactprécis des différentes mesures– port du masque, couvrefeu, fermeture des restaurants etcommerces – est « difficile à évaluer ». « Ce qui compte le plus, c’estla façon dont les gens les appliquent, et changent leur comportement, ce qui est compliqué à voirdans les données », ajoutetil.
IncertitudeL’autre incertitude porte sur la durée moyenne de séjour en réanimation. Estimée à quatorzejours, dans le scénario « médian »,elle pourrait s’avérer supérieure. « A la fin d’une vague épidémique, il ne reste plus dans les hôpitaux que les patients dont les durées de séjour sont très longues », souligne Simon Cauchemez. Le scénario « pessimiste » table sur unedurée moyenne d’hospitalisation de dixsept jours, et des lits qui se « libèrent » moins vite.
Emmanuel Macron a annoncémardi 24 novembre que le confinement serait remplacé au 15 décembre par un couvrefeu, à condition que la situation épidémique soit sous contrôle. Les objectifs à atteindre sont, a dit le président de la République, unnombre de nouvelles contaminations descendu à environ 5 000
par jour et un nombre de patientsen réanimation compris entre 2 500 à 3 000. Les restrictions dedéplacement seraient alors levéeset les musées, cinémas et théâtresrouverts notamment.
Concernant le critère du nombre de contaminations, « jusqu’à présent, nos modèles suggéraient qu’on passerait la barre des 5 000 cas positifs un peu avant le15 décembre, mais, ces derniers jours, on a l’impression que la décroissance des contaminations est en train de ralentir », observe Simon Cauchemez. « Dans ce cas,la date sera repoussée. Par ailleurs,il est possible que tous les cas détectés avec des tests antigéniques ne soient pas encore remontés dans les bases, ce qui peut nous donner une image un peu trop optimistede la situation épidémiologique », ajoute le scientifique. Selon les chiffres publiés mercredi soir, un peu plus de 14 000 nouveaux cas de contamination avaient été enregistrés au cours des dernières vingtquatre heures.
« Rester vigilants »A partir des données d’hospitalisations, l’équipe de l’Institut Pasteur a aussi calculé région par région la proportion de la population qui a déjà été infectée depuis le début de l’épidémie. En France, plus de 11 personnes sur 100auraient déjà eu le Covid, sous une forme symptomatique ouasymptomatique. La situation apparaît très variable d’une région à l’autre : en IledeFrance,près de 22 % de la population serait immunisée, autour de 15 % en AuvergneRhôneAlpes etGrandEst. En France métropolitaine, les populations de Bretagneet de NouvelleAquitaine ont étéles moins exposées, avec 3 % à 4 %de personnes infectées.
Le niveau d’immunité a un impact sur la circulation du virus, puisque les personnes qui ont déjà rencontré le virus ne contribuent plus à la transmission.Dans le cas d’une population « naïve » (n’ayant pas été en contact avec le virus), un R0 de 2 signifie que 10 personnes infectées en contaminent 20. Mais, si 1 personne sur 4 est déjà immunisée, le nombre de nouvelles contaminations n’est plus « que » de 15. Onparle alors d’un « R effectif », de 1,5. Cependant, cette immunité, si elle peut ralentir la circulation du virus, n’est pas suffisante pour empêcher une reprise épidémique. « Dans toutes les régions il y aun risque de troisième vague très importante. Nous devons rester très vigilants partout », met en garde Simon Cauchemez.
chloé hecketsweiler
Climat : les nouvelles ambitions britanniquesLe gouvernement veut diminuer de 68 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030
londres correspondante
L ancement d’une campagnevaccinale historique, négociations de la dernière heure
pour décrocher un accord commercial postBrexit avec l’Union européenne (UE)… Le gouvernement britannique est sur tous les fronts, y compris climatique. Jeudi 3 décembre, il a annoncé avoir revu à la hausse son ambition, et s’être fixé l’objectif d’une réduction des émissions de gaz à effet deserre d’« au moins 68 % » d’ici à la fin de 2030 par rapport au niveau des émissions nationales en 1990 (contre 61 % jusqu’à présent).
Avec ce nouvel objectif, le RoyaumeUni prend la tête des pays avancés aux contributions nationales (Nationally Determined Contributions) les plus exigeantes dans le cadre de l’accord de Paris de 2015. Ce nouvel engagement survient une semaine avant une conférence sur le climat coorganisée le 12 décembre par Londres, Paris et les Nations unies (ONU) pour
marquer les cinq ans de la COP21.Il succède aussi, logiquement, à la présentation par Downing Street, fin novembre, d’un plan « vert » en 10 points, censé créer 250 000 emplois en dix ans grâce à la transition énergétique, avec comme mesurephare l’interdiction de la vente de véhicules neufs à essenceou diesel dès 2030.
« Aujourd’hui, nous prenons latête [des pays occidentaux] avecun nouvel objectif pour 2030, et notre plan [vert] en 10 points va nous y aider, s’est félicité le premier ministre, Boris Johnson. Nous avons prouvé que nous pouvons réduire nos émissions tout en créant des centaines de milliers d’emplois en faisant travailler de concert les entreprises, les universitaires, les ONGet les communautés locales dans un but commun : lutter davantage contre le réchauffement climatique. » A la mi2019, le RoyaumeUni avait été la première économie du G7 à inscrire dans sa loi l’objectif d’une neutralité carbone d’ici à 2050. C’est l’ancienne pre
mière ministre conservatrice Theresa May qui avait fait adoptercette décision à la Chambre des communes. Son successeur, Boris Johnson, semble aussi parier surl’environnement pour maintenir le rang du RoyaumeUni après le Brexit. 2021 sera une année importante à cet égard : le pays organise la COP26, qui aura lieu à Glasgow, en Ecosse, en novembre.
Economiquement soutenableL’annonce de jeudi va en tout casrenforcer la pression sur l’UE, alors que les chefs d’Etat et de gouvernement des VingtSept se réunissent les 10 et 11 décembre enConseil européen, avec au menu, entre autres, l’adoption d’une réduction commune de 55 % des émissions de gaz à effet de serre sur le continent d’ici à 2030.
Cet automne, des ONG britanniques ont fait campagne surune réduction des émissions de75 % en 2030 pour le pays. Une étude menée par l’Imperial College de Londres a montré qu’un
objectif de 72 % était économiquement soutenable. Le gouvernement Johnson n’est pas alléaussi loin, mais son engagementa quand même été salué jeudi. Cedernier « va aider le premier ministre à convaincre ses homologues d’avancer dans la même direction, dans la perspective du sommet de Glasgow », a soulignéLaurence Tubiana, directrice de la Fondation européenne pour leclimat, exambassadrice chargéedes négociations sur le changement climatique lors de la COP21.
« Cet engagement envoie uneimpulsion forte aux autres grandes économies. Mais maintenant,la tâche commence : le RoyaumeUni doit concrétiser ses promessesclimatiques, avec des politiques etdes moyens. Le leadership exigede la cohérence », a prévenu deson côté Sonam P. Wangdi, président du groupe des pays les moins développés au sein de laconventioncadre de l’ONU surles changements climatiques.
cécile ducourtieux
Estimation du nombre de personnes ayant été infectéespar le SARS-CoV-2, au 30 novembre 2020, en %*
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Petite couronne
Source : Institut Pasteur
Une décrue progressive de la pression sur les hôpitaux
*Si un département comme Paris reçoit des patients de départements voisins, cela peut conduire à surestimer le taux de personnes infectées à Paris et sous-estimer ceux des départements voisins Infographie : Le Monde
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France métropolitaine Auvergne-Rhône-Alpes Hauts-de-FranceIle-de-France Provence-Alpes-Côte d’Azur
**Estimation selon un taux de reproduction ayant augmenté de 0,3 % avec les assouplissements du con�nement et une durée de séjour en réanimation de quatorze jours.
Capacité de lits en réanimation adultes en temps normal, avant réorganisation
Estimation** du nombre de personnes en réanimation, en nombre de lits occupés
Auvergne-Rhône-Alpes14,3
Bourgogne-Franche-Comté12,1
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Hauts-de-France12,9
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Pays de la Loire6,2
Nouvelle-Aquitaine4,4
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Centre-Valde Loire
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Corse5,6
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10 | FRANCE SAMEDI 5 DÉCEMBRE 20200123
E n 2005, Jacques Chiracétait apparu désemparéface au « pessimisme » dejeunes Français réunis,
le temps d’un débat, dans le cadrede la campagne pour le référendum sur la Constitution européenne. « Je ne le comprends pas »,soufflaitil à la génération desenfants de la télé. Comment Emmanuel Macron vatil réagir à celle des smartphones ?
Après avoir dû décaler cerendezvous de vingtquatre heures à cause de la mort de ValéryGiscard d’Estaing, le président dela République devait répondre,vendredi 4 décembre, aux questions du média en ligne Brut, très prisé des 1830 ans. Une « conversation » avec les jeunes, commedisent les promoteurs de cet entretien, appelée à se poursuivre dans la foulée sur l’applicationSnapchat. Le tout sous la houlette,notamment, du journaliste Rémy Buisine, récemment frappé par les forces de l’ordre lors de l’évacuation violente d’un camp de migrants, à Paris.
Lancée début septembre, la demande d’interview a été sérieusement considérée par l’Elysée à partir du discours prononcé par lechef de l’Etat aux Mureaux (Yvelines), le 2 octobre, sur le « séparatisme islamiste ». « Dans les questions qui émergeaient sur les réseaux sociaux, le vivreensemble et la laïcité étaient des conversations assez fortes », relève un proche de M. Macron. Pour ne pas dire des incompréhensions. La question brûlante des violences policières est venue s’y greffer : la vidéo du tabassage d’un producteur de musique, Michel Zecler, a eu un effet retentissant. Selon un sondage Elabe pour BFMTV, paru mercredi,seulement 47 % des 1824 ans déclarent avoir confiance dans la police. Une baisse de 18 points par rapport à juin.
Conscient des accusations dedérive liberticide qui l’enserrent, en particulier à la suite des débatssur l’article 24 de la proposition de loi « sécurité globale », le locataire de l’Elysée veut réenclencherun discours positif. « Notre jeunesse a une difficulté de projectiondans le futur, elle a le sentiment de ne pas être entendue, convientle délégué général de La République en marche, Stanislas Guerini. La lutte contre les discriminations est un sujet important pour elle ;elle souhaite un projet d’égalité deschances convaincant. » La question apparaît cruciale, alors quele projet de loi contre les séparatismes, attendu au conseil des ministres le 9 décembre, affichepour l’heure une dimensionavant tout répressive.
Gommer le ton moralisateurCes préoccupations s’inscrivent dans le cadre plus large d’une année 2020 marquée par la crise due au coronavirus, durant laquelle les jeunes ont parfois été pointés du doigt pour leur manque de respect supposé des gestes barrières. Après avoir tenu un discours culpabilisant à la rentrée, Emmanuel Macron a corrigé le tir en demandant à ses troupes de gommer ce ton moralisateur. « C’est dur d’avoir 20 ans en 2020 », atil luimême souligné lors d’un entretien télévisé, le 14 octobre, en listant la somme de ces difficultés :« Examens annulés, angoisse pour les formations, angoisse pour trouver un premier job. » « Je ne donnerai jamais de leçon à nos jeunes parce que ce sont eux qui, honnêtement, vivent un sacrifice terrible », aassuré ce soirlà le chef de l’Etat.
Cela n’empêche pas les rechutesau sein de l’exécutif : dans un entretien au Parisien, le 28 novembre, le ministre de la santé, Olivier Véran, a ainsi en partie attribué la deuxième vague aux« jeunes qui ont baissé leur niveau de vigilance ».
Pour convaincre que « le sort dela jeunesse est un sujet cher au président, qui l’obsède », un soutien duchef de l’Etat convoque le souvenird’un rapport sur « l’équité générationnelle » supervisé en 2008 par un certain… Emmanuel Macron, alors inspecteur des finances. Rédigé à la demande du Conseil des prélèvements obligatoires, une institution d’experts rattachée à laCour des comptes, ce rapport regrettait que la répartition des prélèvements obligatoires s’exerced’abord « en faveur des classes d’âge de plus de 60 ans ». D’où la décision, une décennie plus tard, d’augmenter la contribution sociale généralisée (CSG). Et la gêne actuelle du président de la République. « On demande les plus grands sacrifices à notre jeunesse pour protéger les plus âgés », atil constaté devant des étudiants, le 29 septembre, lors d’un déplacement à Vilnius, en Lituanie.
Un sentiment massivementpartagé dans l’opinion : 65 % des Français pensent que la jeunesse est « actuellement la plus pénaliséepar la crise sanitaire et ses conséquences », et 85 % qu’elle le « sera plus encore à l’avenir », selon un sondage Odoxa pour Le Figaro et Franceinfo, publié le 19 novembre.« Ce n’est pas juin 1940. Mais les jeunes sont la catégorie la plus impactée depuis la guerre d’Algérie », estime un conseiller de l’Elysée, en soulignant la multiplicité des crises, du terrorisme au climat, en passant par la santé. « Le cœur de l’opposition et des réserves surla gestion de crise sanitaire d’Emmanuel Macron se trouve chez les
2534 ans, dans cette partie de la population qui entre dans la vie active et ne veut pas de contraintes », relève Bernard Sananès, présidentde l’institut Elabe.
Pousser les feux sur l’écologieUn véritable carburant à mouvement social. « Partout en Europe,une partie de la jeunesse contesteles mesures sanitaires et pense êtrele dindon de la farce, met en gardeun proche du président de la République. C’est à surveiller deprès, car les mobilisations de jeunesse peuvent partir très rapidement, comme on l’a vu récemment en Italie ou en Allemagne. » Depuis le début de la crise sanitaire, le gouvernement a multiplié les dispositifs de soutien, essentiellement axés sur l’emploi des jeunes. « Jamais nous n’avons mis autant d’énergie et d’argent pour les accompagner sur le
marché du travail et la lutte contrela pauvreté », défend la secrétaired’Etat à la jeunesse, Sarah El Haïry.
Fin juillet, le premier ministre,Jean Castex, a présenté un plan à 6,5 milliards d’euros, avec une mesurephare : une prime de 4 000 euros par an pour toute embauche d’un jeune de moinsde 25 ans. Le 14 juillet, M. Macron a par ailleurs annoncé la création de 300 000 contrats d’insertion pour « aller chercher les jeunes qui sont parfois les plus loin de l’emploi ». « Outre l’apprentissage, les aides à l’embauche marchent bien,car on compte près d’un million d’embauches en CDD de plus de trois mois ou en CDI, entre août et octobre », se félicite la ministredu travail, Elisabeth Borne.
Si une aide de 150 euros estégalement prévue pour les jeunes touchant les aides au logement (APL) et les étudiants boursiers,
pas question, en revanche, d’élargir le bénéfice du revenu de solidarité active (RSA) aux moins de 25 ans. Au grand dam des associations caritatives et d’une partie de la majorité. « Le RSA, ça reste une trappe à pauvreté et à inactivité », tranche un membre du gouvernement. « L’espérance, ce n’est pas l’accès aux aides mais l’accès à l’emploi », ajoute le ministre de l’agriculture, Julien Denormandie.
Reste, enfin, l’écologie, qui amobilisé la jeunesse ces dernièresannées dans les marches pour le climat. L’exécutif entend ànouveau pousser les feux sur le sujet dans les semaines à venir, avec la reprise, dans le cadre d’un projet de loi, des propositions dela convention citoyenne pour leclimat. Un enjeu crucial aux yeux d’Emmanuel Macron en vue de l’élection présidentielle de 2022,notamment pour tenter de con
Emmanuel Macron, lors d’une visite à l’université d’Amiens, en novembre 2019. CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP
Après avoir tenuun discours
culpabilisant vis-à-vis des jeunes à la rentrée, au
sujet du Covid-19,le président dela République a corrigé le tir
vaincre une partie de la jeunesse. Lors du dernier scrutin, en 2017,JeanLuc Mélenchon et Marine Le Pen l’avaient devancé dans lacatégorie des 1824 ans.
« Le sujet générationnel va êtreclé, anticipe un proche du chef de l’Etat. Le vote jeune sera un des grossujets, avec des marqueurs comme l’écologie, l’Europe, le rapport au travail. » « En termes de rapport de force, l’électorat jeune est important pour tout candidat, rappelle lasociologue Anne Muxel, directricede recherches au Cevipof. Mais, pour Emmanuel Macron, il y a un enjeu symbolique : il est difficile d’être un président de la République qui entend porter un projet d’avenir sans engager avec lui lescitoyens qui formeront ce monde futur. » Raison de plus pour engager le dialogue.
olivier fayeet alexandre lemarié
avril 1985. le présentateur de tf1,Yves Mourousi, teste la culture « jeunes » de François Mitterrand, dans un momentde télévision resté culte : « Vous savez ce que c’est, “chébran” [branché, en verlan] ? » Trentecinq ans plus tard, l’Elysée réfutel’idée qu’Emmanuel Macron s’apprête à vivre son « moment Mourousi » en accordant une interview à Brut, vendredi 4 décembre. « Il ne va pas mettre un jean et des Veja [marque de baskets] pour faire croire qu’il est jeune », souffle son entourage.
Le chef de l’Etat espère néanmoins toucher la jeunesse à travers ce média vidéo, créé en 2016, qui revendique 13 millions devues par jour. « 100 % des moins de 25 anssont exposés à des vidéos de Brut, assurele producteur de télévision Renaud Le Van Kim, fondateur de la plateforme. Nousvoyons monter les thématiques, les différentes valeurs des millennials – l’environnement, le genre, les minorités –, avec un accent mis de leur part sur les solutions. »L’entretien se poursuivra ensuite sur Snapchat, l’application favorite des 1625 ans.
Parler aux jeunes : l’enjeu de communication est lancinant pour l’exécutif depuis le début du quinquennat, une partie de cette population s’étant détournée des médias traditionnels. La crise due au Covid19 a souligné ce handicap ; le gouvernement
n’a pas toujours réussi à convaincre la nouvelle génération de respecter les gestes barrières à l’issue du premier confinement.
D’autres messages, sur les violences policières, la laïcité, ou encore les réponses apportées à la crise économique, ont du mal à passer. « C’est le défi le plus compliqué, en particulier lorsqu’il s’agit d’informer les jeunes sur un dispositif de soutien mis en place par l’Etat auquel ils peuvent prétendre », estime la secrétaire d’Etat chargée de la jeunesse et de l’engagement, Sarah El Haïry.
Emmanuel Macron sur TikTokLes macronistes cherchent donc d’autres biais que les classiques matinales radio ou télé. « Si tu veux atteindre les jeunes, c’est Snapchat, Brut, Konbini. “Quotidien” [sur TMC], c’est pour les plus de 45 ans », souligne un communicant de la Macronie. « Les canaux habituels ne permettent pas detoucher tous les jeunes. Si on veut échanger avec eux, il faut se rendre sur les médias où ils sont, notamment les réseaux sociaux »,relève le porteparole du gouvernement, Gabriel Attal. L’ancien secrétaire d’Etat à la jeunesse, luimême âgé de 31 ans, multiplieles incursions sur des stations de radio peuhabituées à recevoir des politiques, commeFun Radio ou Mouv’. Chaque dimanche soir, il discute en direct sur Instagram avec
des « influenceurs » aux millions de « followers ». Le 1er novembre, le macroniste échangeait ainsi avec la youtubeuse beautéEnjoyPhoenix, qui compte plus de 3,6 millions d’abonnés, et répondait à des questions d’internautes sur la crise sanitaire.
Un proche du chef de l’Etat se félicite dusuccès des vidéos d’Emmanuel Macron surl’application TikTok, tout en en relativisantla portée : « Ça cartonne, mais tu touches seulement les jeunes d’une manière institutionnelle. » Pour ratisser plus large, le président de la République a luimême lancé unappel aux influenceurs de la Toile pour « aider » le gouvernement à sensibiliser lanouvelle génération aux gestes barrières.Notamment au port du masque. « Quevous ayez 50, 100 ou 1 million d’abonnés (…),votre voix, votre relais peut sauver des vies, atil écrit sur Twitter, le 23 octobre. Aideznous à appeler chacun à la responsabilité. »
Gare à ne pas se prendre les pieds dansle tapis. L’irruption récente sur TikTok de la ministre chargée de la citoyenneté,Marlène Schiappa, a ainsi été raillée par les internautes. « Salut jeune entrepreneur. Je m’appelle Marlène Schiappa, et j’arrive sur TikTok », lancetelle dans une parodieratée d’une vidéo récente d’un influenceursuisse, qui avait fait se marrer la Toile.
o. f. et al. le.
Trouver le bon canal pour parler aux millennials
L’Elysée cherche à renouer avec la jeunesseMacron multiplie les signaux vers les 1830 ans, « les plus pénalisés » par les conséquences de la crise sanitaire
0123SAMEDI 5 DÉCEMBRE 2020 france | 11
Emmanuel Macron, un président aux accents giscardiensLes deux hommes ont eu pour volonté de casser les clivages politiques traditionnels
E mmanuel Macron avaitfait décrocher des murs dupalais de l’Elysée les por
traits des « présidents morts », selon sa propre expression, maisils ne cessent de se rappeler à lui.Après Jacques Chirac, en 2019, Valéry Giscard d’Estaing s’est éteintà son tour, mercredi 2 décembre.Ressurgit à cette occasion unparallèle déjà dessiné lors de lacampagne présidentielle de 2017 :l’actuel chef de l’Etat, élu à 39 ans,ressemble furieusement à sonprédécesseur auvergnat, qui entra à l’Elysée, en 1974, à l’âge de48 ans. Un record de jeunesse pour l’époque.
Loués pour leur vive intelligence, mais parfois dépeints comme arrogants, ces deux inspecteurs des finances – le corps d’élite des énarques – ont conquis le pouvoir sans véritable parti à leur service. Si Emmanuel Macronreconnaît une victoire par « effraction », « VGE » avait suivi pour sa part le cursus honorum d’aspirant président – maire, député, ministre –, renonçant même à se présenter à la magistrature suprême dès 1969 par peur de grillerles étapes. « Il a regardé notre paysen face, avec les yeux d’une génération nouvelle », a vanté M. Macron,jeudi soir, lors d’une allocution télévisée. Un jour de deuil national a été décrété le 9 décembre.
Mais, audelà de l’âge et du dynamisme, le parallèle intéresse surtout pour des raisons de fond. Giscard était un « homme politique deprogrès et de liberté », a soulignél’Elysée dans son communiqué decondoléances. Deux attributs que l’actuel chef de l’Etat s’accorde volontiers. Un « grand Européen », aussi, thème cher à son successeur. Le Parlement européen rendra d’ailleurs hommage à « VGE » le 2 février, jour de sa naissance.
Plus saillant encore, les deuxhommes ont eu pour volonté commune de casser les clivagespolitiques traditionnels : l’aînéentendait réunir « deux Françaissur trois » dans son sillage, quandle cadet prône le « dépassement ».L’un promettait le « changementsans le risque », l’autre une « transformation » bienveillantede la société.
« Il y a une parenté dans la démarche : gouverner au centre. Celas’est heurté dans les deux cas à desobstacles institutionnels, le système actuel tendant à l’affrontement de deux blocs », relève EricRoussel, auteur de la biographie Valéry Giscard d’Estaing (L’Observatoire, 2018), qui note au passageune différence de caractère fondamentale entre ces deux prési
dents : « Emmanuel Macron a uncôté Bonaparte au pont d’Arcole, là où Giscard avait plus le styleorléaniste ; il a des audaces dont “VGE” se méfiait. »
Cela n’empêche pas l’ancienministre du général de Gaulle d’avoir laissé l’image d’un réformateur. Légalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) et du divorce par consentement mutuel, abaissement de la majorité à 18 ans… « J’appartiens à une génération qui est née sous sa présidence et qui, sans doute,n’a pas toujours mesuré à quelpoint Valéry Giscard d’Estaingavait, pour elle, changé la France »,a regretté Emmanuel Macron,jeudi soir, soulignant le « rythme sans précédent » de son « projet de modernisation ». Les hommages doivent souvent se lire du point de vue de leur auteur.
Percutés par les crisesModerne, « VGE » l’était en créant au début de son septennat un secrétariat d’Etat à la condition féminine et un autre à la condition pénitentiaire. Un jourd’août 1974, il est allé jusqu’à serrer la main d’un détenu lors d’unevisite dans une prison lyonnaise ; un fait inédit pour un président en exercice. Vainqueur d’un cheveu de François Mitterrand, il dirigeait alors un pays secoué parMai 68 et dominé culturellement par la gauche.
Quarantetrois ans plus tard,Emmanuel Macron n’est pas soumis aux mêmes attentes : il a battuau second tour de l’élection présidentielle la candidate d’extrême droite Marine Le Pen. La France d’Eric Zemmour n’est plus celle de JeanPaul Sartre. Le libéralisme macronien s’est cantonné aux réformes économiques et sociales, si l’on excepte l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes.
Les chemins pris par les mandats respectifs des deux chefsd’Etat se rapprochent néanmoins. Perturbé par les crises pétrolières, Valéry Giscard d’Estaing a vu son septennat s’engluerdans le chômage. Percuté par les crises sanitaires et économiques,Emmanuel Macron souffre d’un quinquennat mis à l’arrêt.
Le premier nomma un expertà Matignon, Raymond Barre, le« meilleur économiste de France »,pour redresser la France. Le second en a fait de même avec l’ancien « M. Déconfinement », JeanCastex, pour affronter l’épidémiede Covid19. Tous deux ont aussi choisi, au bout de quelques années, d’engager un tournant régalien et sécuritaire.
Malgré ses efforts, Valéry Giscard d’Estaing n’empêcha pas l’arrivée programmée au pouvoir de la gauche en 1981. Le giscardisme, a posteriori, est parfois perçu comme une parenthèse entre gaullisme et socialisme. Un destin auquel Emmanuel Macronespère échapper.
olivier faye
Accusée de laxisme, la gauche a durci son discours sur la sécuritéFace à la montée du sentiment d’insécurité, le PS et LFI ont adopté une rhétorique de l’ordre qui était jusquelà celle de leurs adversaires
ANALYSE
C’ est une vieille histoire qui rebondit.La gauche est régulièrement accusée de
laxisme sur les questions de sécurité. Le reproche est particulièrement vivace en période électorale, de la part de la droite ou de l’extrême droite qui mettent en cause l’« angélisme » supposé des forces de gauche face à la montée de la délinquance et au sentiment d’insécurité qui seraient le quotidiende nos concitoyens. Côté Parti socialiste (PS), cela fait pourtant des années que la formation a emprunté à ses adversaires une certaine rhétorique de l’ordre.
Longtemps, être de gauche,c’était ne pas évoquer ces thèmes chéris dans les rangs conservateurs. « La première sécurité, c’est laliberté », proclamait Pierre Bérégovoy, alors directeur de campagne de François Mitterrand, en 1981, enréponse à la droite qui voulait, elle,faire de la sécurité la première liberté. Il n’est question alors ni au PS ni dans la gauche communiste, de faire croire que la délinquance est un sujet politique. C’était un fait social auquel il fallait répondre par la prévention et non la répression. Le thème est d’ailleurs absent des 110 propositions du candidat Mitterrand. Les réseaux de la Ligue des droits de l’homme et la puissante Fédération autonome des syndicats de police (FASP) influent alors sur la vision socialiste du maintien de l’ordre.
Les années 1980 vont voir cettegauche défendre une autre approche des rapports des forces de l’ordre avec la population. L’arrivée deLionel Jospin à la tête du PS va contribuer à faire changer ce discours,comme le décrit Rafaël Cos, chercheur associé en science politique à l’université de Lille, dans un article de Politix en 2019. L’alerte va
venir de deux fronts. D’abord la montée électorale du Front national, qui surfe sur les faits divers et les peurs. Ensuite, les maires font remonter leurs inquiétudes au début des années 1990, ce qui pousseà un traitement plus répressif dela délinquance, abandonnant l’insistance mise jusqu’alors sur la prévention et la protection des mineurs. Dans la sphère socialiste,plusieurs élus vont en faire leur cheval de bataille : Lionel Jospin et Daniel Vaillant d’abord, puis Bruno Le Roux, Julien Dray, et Manuel Valls, tour à tour, deviendront le relais de cette attentionaux questions d’insécurité.
La première étape se dérouleraau congrès de Liévin (PasdeCalais) de 1994, puis lors de la primaire interne qui verra Lionel Jospin imposer sa ligne de « prévention, dissuasion, répression ». La sécurité devient une « valeur républicaine » qui doit être défendue par la gauche. JeanPierre Chevènement puis Daniel Vaillant vont en être les maîtres d’œuvre : contrats locaux de sécurité, recrutement de nouveaux fonctionnaires, police de proximité…
Une série de faits divers et la progression des chiffres de la délinquance vont donner à la droite l’occasion de dénoncer à nouveau le laxisme du gouvernement Jos
pin. Ce sera un des axes de critiquemajeurs de Jacques Chirac lors de la présidentielle de 2002. Malgré ladéfaite, les socialistes vont continuer à durcir leurs propositions. Régulièrement mise en avant par Manuel Valls et François Rebsamen, la sécurité, « droit fondamental », restera un leitmotiv des candidats successifs à la présidence dela République : Ségolène Royal avec son « ordre juste » et François Hollande prônant les zones de sécurité prioritaires et la création annuelle de 1 000 postes de policiers et gendarmes.
Contrairement aux idées reçues,les socialistes ne sont donc pas des« naïfs » : « La gauche de gouvernement a adopté contre ellemême, à son propre préjudice, la doxa de la droite. Elle a fini par se convaincre qu’elle était angélique et qu’elle n’avait rien fait », remarque Fabien Jobard, directeur de recherche au CNRS et coauteur de Sociologie de la police (Armand Colin, 2015). « Le PS s’emploie en fait depuis vingtcinq ans à faire la démonstration qu’il prend la question au sérieux etqu’il faut punir les délinquants. Mais le problème est qu’ils n’ont jamais été en mesure d’avoir un corpus construit », ajoute Rafaël Cos.
« Principe de réalité »Les élus et les cadres du parti l’assument aujourd’hui. « Le PS n’a jamais été à la remorque sur cettequestion car il y a un principe de réalité quand on est confronté à la hausse de la délinquance et des incivilités sur le terrain », déclare David Habib, secrétaire national.Certes, la direction du parti commence aujourd’hui à critiquer les pratiques violentes de maintien de l’ordre durant les mobilisations sociales – « La police est un service public qui doit être contrôléet interrogé sur ses missions », assure M. Habib. Mais c’est encore bien timide.
A gauche du PS, l’une des formations ayant le plus travaillé son rapport à la sécurité est La France insoumise (LFI). JeanLuc Mélenchon et de nombreux autres fondateurs ont toujours eu un rapport particulier à la police. Ils n’ontjamais été de ceux vilipendant les forces de l’ordre et ont souvent eu la dent dure contre les militantsde la gauche extraparlementaire, adeptes des affrontements lors des manifestations. Déjà pour laprésidentielle de 2017, LFI avait consacré un livret programmatique à la question. Lutte contre la petite délinquance, lutte contre « l’affolement sécuritaire, inefficace et liberticide », triptyque « prévention, dissuasion, sanction », un contrôle citoyen de la police qui remplacerait l’inspection généralede la police nationale (IGPN)… les « insoumis » se targuent d’avoir le programme le plus « construit et ambitieux » sur ce thème. Le député (LFI) du Nord Ugo Bernalicis explique : « On ne peut pas s’apprêter à diriger la France et avoir des lacunes sur cette question. Nous sommes pour l’autorité. Il n’y a aucune contradiction avec les idéaux degauche. » Selon lui, LFI se place dans la lignée de la politique de Pierre Joxe, ancien ministre de l’intérieur de François Mitterrand.
Les « insoumis » veulent mettreen avant une désescalade, notamment en ce qui concerne le maintien de l’ordre. De même, grands défenseurs de l’Etat central, ils ont les polices municipales dans le collimateur et souhaitent que leurs effectifs soient intégrés dans une « police républicaine de proximité ». Lors d’un colloque organiséen septembre, M. Mélenchon résumait : « L’ordre républicain est un tout. Oui, il y a besoin de policiers, de répression. Il ne faut pas accepter la banalisation du crime. »
abel mestreet sylvia zappi
Au début des années 1990,
les maires fontremonter leurs
inquiétudes, ce qui pousse
à un traitementplus répressif
de la délinquance
Tous deux ont choisi, au bout dequelques années,
d’engager un tournant régalien
et sécuritaire
ÉLECTIONSUn projet de loi pour reporter des partiellesLes députés examinent, vendredi 4 décembre, le report de plusieurs élections législatives, sénatoriales et municipales partielles en raison de la crise sanitaire. Les scrutins concernent notamment des sénateurs élus de l’étranger, mais aussi le siège de la députée PS de Paris George PauLangevin, nommée adjointe de la Défenseure des droits. Ces élections
seront organisées « au plus tard le 13 juin 2021 ».
ENVIRONNEMENTSéisme près d’un site de géothermie à StrasbourgUn nouveau séisme, de magnitude 3,5 selon le réseau national de surveillance sismique, a été ressenti vendredi 4 décembre à 6 h 59 au nord de Strasbourg, à proximité d’un site accueillant un projet de centrale géothermique conduit par l’entreprise Fonroche. – (AFP.)
Un magnifique tour du mondeà la rencontre d’hommeset de femmes en quêtedu sacré.
«Un album de photos très inspirant. »Claire Chazal, «Passage des arts»
« LE billet d’avion pour voyagersur les cinq continents. »
Yann Barthès, «Quotidien»
et de femmes en quête
12 | france SAMEDI 5 DÉCEMBRE 20200123
JeanMichel Blanquer et ses « fidèles »Le ministre de l’éducation a placé autour de lui des proches rencontrés dans sa jeunesse et ses différents postes
ENQUÊTE
C ela fait près d’un mois qu’il lui estreproché d’avoir créé « son » syndicat lycéen. JeanMichel Blanquer a« sa » réforme du bac – toujours en
cours. « Son » protocole sanitaire – àl’épreuve du Covid. « Sa » conception du métier d’enseignant, mise en débat jusqu’en février dans le cadre du Grenelle de l’éduca « LE NOMBRE DES
CONSEILLERS S’EST ENVOLÉ, MAIS LORS DES RÉUNIONS DE
CABINET, IL Y A PEU DE CONTRADICTOIRES.
PEU DE DÉBATS FRONTAUX »,
CONFIE UN PROCHE DU MINISTRE
Source : Le MondeInfographie Le Monde
Raphaël Muller
Recteur d'Amiens Ancien directeur de la communication
de l'Essec
François Baroin
Ancien ministre
Perrine Dufoix
Directrice de la communication
au cabinet de J.-M. Blanquer
Richard Senghor
Conseiller spécial de Jean-Michel
Blanquer
Jean-Marc Huart
Recteur de Nancy-MetzAncien directeur
général de l'enseigne-ment scolaire (2017-2019)
Christophe Kerrero
Recteur de ParisAncien directeur de
cabinet de Jean-Michel Blanquer
(2017-2020)
Stanislas Dehaene
Neuroscienti�que, président du conseil
scienti�que de l'éducation nationale
Souâd Ayada Présidente du conseil
supérieur des programmes
Dominique Schnapper
Présidente du conseildes sages de laïcité
Boris CyrulnikPédopsychiatre
Auteur d'un rapport sur les 1 000 premiers
jours de l'enfant
Thierry Ledroit
Directeur de cabinet de Jean-Michel
Blanquer
Laurent Petrynka
Conseiller sports au cabinet de Jean-Michel
Blanquer
Bénédicte Robert
Rectrice de Poitiers Ancienne conseillère de
Jean-Michel Blanquer à Créteil
Béatrice Gille Directrice du
conseil de l'évaluation de l'école
Ancienne rectrice de Créteil
(2014-2018)
Fanny Anor Ancienne chargée d’étude
de l’institut MontaigneAncienne conseillère de
Jean-Michel Blanquer Directrice de cabinet
de Gabriel Attal
Le n
um
éro deux du ministère
Edouard Ge�ray
Directeur généralde l’enseignement scolaire (Dgesco)
Institut Montaigne
L’h
om
me
du « bac Blanquer »
Edgar MorinPhilosophe
Cosignataire avec J.-M. Blanquer du livre Quelle école voulons-nous ? La passion du
savoir (O. Jacob, 120 p., 9,90 €)
La galaxieJean-Michel
BlanquerMinistre de l’éducation
nationale, de la jeunesse et des sports
Les parlementaires
Les experts
Aurore Bergéet d’autres parlemen-
taires animent une boucle Telegram de soutien au
ministre, notamment sur les questions de laïcité
J.-M. Blanquerles a rencontrés
lorsqu’il était recteur des académiesde Guyane puis de Créteil
J.-M. Blanquer les a côtoyés du temps où Gilles de Robien,
Xavier Darcos et Luc Chatel étaientministres de l’éducation
Quelques intellectuelset scienti�ques dont
s’entoure J.-M. Blanquer
Pierre MathiotDirecteur de l'IEP de LilleCopilote de la réforme du
lycée et du bac depuis 2018Coauteur d'un rapport sur la
réforme de l'éducation prioritaire (2019)
Les amis de jeunesse
Les anciens des cabinets ministériels
Les anciens des rectorats
ÉDUCAT I ON
tion. Il expérimente depuis peu, dans une dizaine de départements, « son » manuel delecture. Et défendra bientôt, dans un ouvrage à paraître chez Gallimard, « sa » conception – clivante jusque dans son propre camp – de la laïcité.
L’article possessif lui convient bien, disentles observateurs de la scène scolaire. Voilà un ministre de l’éducation qui, audelà du pragmatisme affiché, assume un « cap », une
« vision de l’éducation » exposée dans des livres programmatiques (L’Ecole de la vie, L’Ecole de demain, Construisons ensemble l’école de la confiance, Odile Jacob, 2014, 2016et 2018) dont deux sur trois ont été publiés avant même son installation dans « son » ministère. Une « maison » (« sans doute laplus belle maison de la République », atil coutume de dire) dont il arpentait déjà les couloirs à l’aube des années 2010, sous la droite, comme directeur général de l’enseignement scolaire.
Fautil dès lors s’étonner qu’il ait, pour asseoir un mode de gouvernance décritcomme « verrouillé », déployé autour de lui« ses » cercles de fidèles ? Certains le suivent depuis ses années de jeunesse ; d’autres l’ontrencontré lorsqu’il était professeur de droitpublic à Lille, directeur de l’Institut des hautes études de l’Amérique latine ou de l’Essec, recteur de Guyane (la plus petite académie de France) puis de Créteil (l’une des plus grandes), membre du cabinet du ministre del’éducation nationale Gilles de Robien ou « viceministre » de Luc Chatel… « On voit depuis des années les mêmes figures graviter autour de JeanMichel Blanquer, relève un visiteur du soir de ce ministère. Des femmes etdes hommes qui lui doivent leur carrière,mais auxquels lui aussi doit beaucoup… Blanquer est un fidèle. Avec lui, c’est du donnantdonnant. »
Profils conservateurs au sein du cabinet« Garder ce qui marche et changer ce qui ne fonctionne pas » : sa méthode pour administrer l’école vaut, aussi, pour son entourage. L’intéressé, lui, a souvent défendu devant nous un « fonctionnement en équipe ».« Des gens qui se connaissent bien et décident de tout », commente un fin connaisseur du ministère.
Tôt dans le quinquennat, des « profils » décrits comme conservateurs ont fait leur entrée au sein de son cabinet : Christophe Kerrero, ancien membre du conseil scientifiquede la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (Ifrap), un think tank libéral qui prônait la rémunération au mérite des enseignants ; Christophe Pacohil, qui fut le chef de cabinetde François Baroin, ami intime de M. Blanquer, du temps où il était ministre de l’économie ; ou encore Raphaël Muller, l’exdirecteur de la communication de l’Essec. Y ont aussi pris pied des « références », des « amisconseillers » plus que des « conseillers amis » :Perrine Dufoix, fille de l’ancienne ministredes affaires sociales Georgina Dufoix, qui le conseille sur sa communication depuis 2017.Ou Richard Senghor, petitneveu du poète etancien président sénégalais Leopold Sédar Senghor, nommé conseiller spécial en 2019. Fanny Anor, ancienne chargée de mission del’Institut Montaigne, ancienne conseillère spéciale du ministre et aujourd’hui directrice de cabinet de Gabriel Attal, le porteparole du gouvernement, s’y est aussi fait sa place, symbole d’un « lien qui perdure », relèvent les acteurs syndicaux, entre le bonélève de la Macronie et ce think tank libéral qui a inspiré une partie du programme présidentiel.
Périmètre ministériel sans précédentLe premier cabinet Blanquer, du temps où Christophe Kerrero en a été le directeur, a fonctionné en effectifs réduits, et pour cause : aux premières heures de la Macronie,les cabinets ministériels sont plafonnés à dix membres. La jauge a été relevée avec leremaniement de l’été 2020 : l’actuel cabinet Blanquer, sous la houlette de Thierry Ledroit, ancien directeur des établissements à
ESTHER DUFLOprix Nobel d’économie 2019
répond aux questionsde Françoise Joly (TV5MONDE)et Julien Bouissou (Le Monde).
Diffusion sur TV5MONDEet sur Internationales.fr
Le grand entretiensur l’actualité du monde
Ce samedi à 12h00
en partenariat avecen partenariat avec
ESTHER DUFLOprix Nobel d’économie 2019prix Nobel d’économie 2019
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0123SAMEDI 5 DÉCEMBRE 2020 france | 13
Après la mort de Samuel Paty,l’« enchaînement des faits »Un rapport souligne la réactivité de l’institution, mais pointe du doigt son impuissance face aux messages postés sur les réseaux sociaux
P ersonne n’aurait pu imaginer qu’un rapport de l’inspection générale, rédigé
dans la langue institutionnelle de l’éducation nationale, puisse transmettre autant d’émotion. C’est pourtant bien cela qui se dégage à la lecture de l’enquête divulguée le 3 décembre, signée de deux inspecteurs – Roger Vrand et Elisabeth Carrara –, sur les jours qui ont précédé l’assassinat de Samuel Paty, ce professeur d’histoiregéographie décapité par un terroriste islamiste, le 16 octobre, prèsdu collège de ConflansSainteHonorine (Yvelines) où il exerçait.
Un mois et demi après le drame,les conclusions de l’inspection générale clarifient deux points sur lesquels toute la communauté éducative s’interroge : oui, l’institution, en particulier la chef d’établissement, a été suffisammentréactive dans la prise en charge et le soutien plein et entier apporté au professeur pris pour cible sur les réseaux sociaux. Et oui, il y a bien eu, pour l’inspection générale mais aussi pour l’équipe du collège, des débats sur la manière dont Samuel Paty a conduit son cours sur la liberté d’expression. Pas sur le contenu – et le choix de montrer une caricature en classe –, mais sur le déroulement de la séquence.
Samuel Paty l’a proposée à deuxreprises, le lundi 5 et le mardi 6 octobre, à deux classes de 4e. Il s’agit d’un cours d’enseignement moral et civique intitulé « Situation dilemme : être ou ne pas être “Charlie” », et qui s’inscrit bien dans une séquence dédiée à la liberté d’expression. Durant un « temps très bref », écrivent les rapporteurs, M. Paty a montré unedes caricatures publiées par Charlie Hebdo, « l’une de celles qui avaient suscité des réactions violentes et fait du journal la cible des djihadistes en 2015 », précisentils.
Des récits divergentsLors de la première séquence, le 5 octobre, Samuel Paty suggère à ses élèves qui pourraient être choqués de quitter la salle. Les conditions dans lesquelles certains le font ont fait l’objet de récits divergents, notent les rapporteurs : il y a celui de l’AESH (une assistante qui suit deux élèves en situation de handicap), qui a accompagné cinq élèves hors de la classe et n’a fait état d’« aucun signe de tensionsà quelque moment que ce soit ». Et puis il y a le récit de Samuel Paty, qui, en début d’aprèsmidi ce même lundi, s’est confié auprès d’un collègue. « Il lui a indiqué que certains élèves n’avaient pas bien réagi à son cours car ils avaient malvécu d’être mis en situation de sortir de la classe. » Auditionné par lesinspecteurs, cet enseignant d’histoiregéographie a précisé que « connaissant Samuel Paty, il considère que le fait de proposer aux élèves de sortir n’était pas improvisé, mais un acte pensé dans le souci de[les] protéger ».
Le rapport d’inspection revientsur des éléments déjà appris del’enquête en cours : le rôle central des parents d’une élève de 4e4, dupère mais aussi de la mère, qui ontcouvert la « version mensongère » de leur fille – par ailleurs absente de la séquence du 6 octobre durant laquelle Samuel Paty n’a pas,
cette fois, invité d’élève à sortir. Il rappelle aussi le rôle primordial d’un militant islamiste, qu’il ne nomme pas mais dont on devine qu’il s’agit d’Abdelhakim Sefrioui, venu au collège avec le père en se faisant passer pour un représentant des imams de France. Il retrace également les dépôts de plainte, ceux des parents mais aussi de Samuel Paty et de sa chef d’établissement. Et insiste sur l’emballement de l’affaire, à lasuite des vidéos ciblant Samuel Paty et le collège du Bois d’Aulne postées sur les réseaux sociaux et repérées par les parents et les élèves avant de l’être, sembletil, par l’institution. Voilà reconstitué sur 22 pages, jour après jour, presque heure par heure, l’enchaînement des faits ayant conduit à l’attentat pour lequel six collégiens ont déjàété mis en examen.
Ce que l’on ignorait et que reconstituent dans le détail les inspecteurs, c’est la pression que subit le collège dans les jours qui ontsuivi la séquence problématique ;l’émotion et les débats qui traversent l’équipe enseignante. Le Bois d’Aulne a reçu plusieurs messages anonymes, dont des menaces, ainsi que des appels de parents inquiets. « Des professeurs expriment leur malaise, leur inquiétude,voire pleurent », liton dans le rapport. Ils évoquent la possibilité d’exercer leur droit de retrait, ce qu’ils ne feront pas. Un référent laïcité est dépêché. Le rectorat de Versailles et le renseignement ter
ritorial sont en lien régulier. Une présence policière est installée, dans et aux abords de l’établissement. Dès le 7 octobre, « tous les dispositifs d’alerte au sein de l’établissement visàvis de la chaîne hiérarchique, de la police et de la mairie se mettent en place », font valoir les rapporteurs.
Un « défaut de surveillance »Mais, en parallèle, l’affaire a gagnéles réseaux sociaux, via des messages vidéo très partagés. Et c’est bien sur ce point que, à lire les inspecteurs, il y a eu un « défaut de surveillance » de la part de l’institution. Le rapport estime qu’il « apparaît nécessaire de mettre en place ou de faire monter en puissance des cellules de veille des réseaux sociaux ». Il recommandeégalement d’« accroître la fluidité et la réciprocité des échanges d’information entre les différents échelons des services du ministère de l’éducation nationale et ceux du ministère de l’intérieur de façon, notamment, à permettre une évaluation du degré de gravité d’un événement ».
Interrogé dans Le Figaro du 4 décembre, JeanMichel Blanquer a défendu une « bonne réactivité » etdes « réflexes professionnels » du côté de l’éducation nationale. Ils’est aussi engagé à ce que la « protection des enseignants » soit « accentuée ». « Il est indispensable de signaler tout fait et de se faire aiderdès qu’on se sent en difficulté », défend le ministre de l’éducation. Dans les jours qui ont suivi l’hommage rendu à Samuel Paty, le 2 novembre, ses services avaient fait état de quelque 400 signalements d’incidents et d’atteintes à la laïcité, lors de la minute de silence faite dans tous les établissements scolaires. Ce recensement vient d’être revu à la hausse : près de 800 incidents leur sont remontés dans les jours qui ont suivi, aton appris le 3 décembre.
m. ba. et v. m.
Créteil, ressemble de plus en plus à une « holding », souffleton dans les couloirs del’hôtel de Rochechouart.
C’est que, depuis juillet, le ministère del’éducation fait aussi autorité sur les sports, la jeunesse et l’éducation prioritaire par lebiais de la ministre déléguée Roxana Maracineanu, et de deux secrétaires d’Etat, Sarah ElHaïry et Nathalie Elimas, toutes deux transfuges du MoDem. En tout, une quarantaine de personnes. JeanMichel Blanquer a pris soin de placer un de ses « fidèles » auprès de Mme Elimas : Mathieu Blugeon, professeur d’EPS et ancien directeur de cabinet au rectorat de Poitiers, a été nommé directeur de cabinet. Laurent Petrynka, qui suit le ministre depuis l’époque du rectorat de Guyane, a un temps fait partie du cabinet de RoxanaMaracineanu. Il vient de rejoindre l’hôtel de Rochechouart en tant que conseiller sports.
Le périmètre ministériel de JeanMichelBlanquer est sans précédent (ou presque) sous la Ve République, si ce n’est à la fin des années 1980. « Le nombre des conseillers s’estenvolé, mais lors des réunions de cabinet, il y a peu de contradictoires, confie un proche duministre. Peu de débats frontaux. »
Recteurs « technos »Côté recteurs, mêmes échos. Crise sanitaireoblige, les réunions mensuelles avec la trentaine de recteurs – un par académie – d’ordinaire convoquées à Paris se sont, ces derniers mois, transformées en « visio ». Elles ont l’avantage d’être plus fréquentes. « Chacun pèse ses mots, souffle un participant. Lesdésaccords ont toujours été feutrés, mais on atteint, aujourd’hui, un niveau de retenue sans précédent. » « J’ai gardé les bons [recteurs], j’assume », a déjà reconnu JeanMichel Blanquer. De mémoire d’historien, chaque alternance politique a vu ces hauts fonctionnaires « valser » ; des mouvements parfois plus amples que ceux opérés sous ce ministèreci. « Blanquer s’est appuyé sur le réseau existant, défend un ancien recteur. Il garde en place des gens qui connaissent bien le métier et qui font bien le job. » Le ministre aaussi applaudi la nomination dans leurs rangs de profils qui ne font pourtant pasl’unanimité : un décret de 2018 a donné au gouvernement le droit de rehausser la jauge des recteurs « non universitaires » – autrement dit, qui ne disposent pas d’une habilitation de recherches – de 20 % à 40 %.
En ont bénéficié Charline Avenel, camarade de promotion d’Emmanuel Macron à l’ENA, nommée rectrice de Versailles il y a deux ans, mais aussi en cette rentrée Raphaël Muller, propulsé à Amiens, ou Christophe Kerrero, distingué à la tête du « saint des saints » : le rectorat de Paris. Un « recteurtechno » pour l’académiecapitale, symbolisant la richesse universitaire : le microcosme enseignant n’avait jamais vu ça. Laprotestation est restée feutrée.
Même effet de surprise avec l’arrivée duconseiller d’Etat Edouard Geffray, passé de laDRH de ce ministère à la direction générale de l’enseignement scolaire. C’est la premièrefois, depuis 1985, que ce poste de « viceministre », le numéro deux du ministère, revient à un fonctionnaire jamais passé par l’enseignement. Ces « nominations à sa main » posent question : « A placer des gens qui ne suscitent pas une large adhésion, la Macronie prend un risque, souffle un fin connaisseur du système. Que resteratil d’eux aumoment de l’alternance politique ? » « Blanquer a inventé les recteurs Covid, ironise un autre. Des recteurs sans saveur ni odeur. Aurisque de ne pas être à la hauteur… »
« Vertical », Blanquer ? Ce qualificatif revient quand on parle avec les cadres de l’éducation nationale de sa manière de diriger l’éducation nationale. Celleci « ne mérite plus le qualificatif de pachyderme préhistorique mais devient une institution agile et souple », nous expliquait le ministre il y a quelques jours. Parmi ses proches, on conteste ce portrait d’un homme autoritaire.« C’est au contraire quelqu’un qui n’aime pasêtre enfermé dans un cercle de pensée, défend l’une de ses proches. Quand il consulte,il interroge le pour et le contre, et ne rend sonavis qu’après. » « Blanquer est un ministrevertical sans être une exception, tempèreaussi l’historien Claude Lelièvre. Chevènement, Allègre, Darcos étaient eux aussi trèsinjonctifs… » Dans les rangs syndicaux, on ledépeint comme un « homme de clivages » qui ne recherche ni le dialogue social ni laconcertation.
Un « autoritarisme » dénoncé jusque dansles rangs des inspecteurs généraux. « JeanMichel Blanquer a technocratisé l’inspectiongénérale, explique l’un d’entre eux. Elle estpassée d’un corps à un service – cela signifiequ’il peut y avoir des sanctions, des blâmes… une mise au pas. »
« En principe, les inspecteurs généraux ontune certaine indépendance, leur missionétant d’interpeller les ministres, par exemple
sur la mise en place des réformes », témoigne un autre, qui rappelle le rôle de « lessiveusede cabinets » que joue parfois l’inspection,où l’on recase des conseillers ministériels enfin de mandat. « En 2017, des sortants dumandat précédent entraient à l’inspection aumoment où Blanquer est arrivé, se souvientil. La première fois qu’il nous a réunis, ilnous a fait toute une tirade sur la loyauté. Ona compris le message. »
Depuis 2017, l’intéressé s’offusque d’être« enfermé » dans une grille d’analyse politique qu’il dénonce comme dépassée. Sa méthode tient en quelques motsclés, marteléssur le perron de son ministère le 17 mai 2017, jour de la passation de pouvoir avec Najat VallaudBelkacem : comparaisoninternationale, science, expérimentation, évaluation. L’aréopage d’experts dont il a sus’entourer en sont la meilleure des cautions. Parmi eux, on trouve le neuroscientifique Stanislas Dehaene, le directeur de l’IEP de Lille, Pierre Mathiot, le neuropsychiatre Boris Cyrulnik et la sociologue Dominique Schnapper.
Sorties sur la laïcitéReste à savoir si cette expertise aboutit à deschangements concrets du système éducatif. Certains y voient plutôt le fairevaloir d’une ligne pédagogique claire, mûrie depuis denombreuses années. « JeanMichel Blanquer fait du “namedropping” : “Regardez tousmes experts”, analyse un universitaire de gauche. Mais il reste un ministre très dogmatique intellectuellement, qui camoufle ce travers derrière un discours de façade scientiste. » Ces derniers jours, les protestations sesont multipliées au sujet du Grenelle del’éducation, cette grande messe médiatiquesur l’avenir du métier d’enseignant. Un colloque scientifique était organisé le 1er décembre dans ce cadre, mais certains regrettent de n’y avoir vu « aucun professeur de terrain, pour discuter d’une question qui les concerne de près », fait valoir un syndicaliste.La FSU, après la CGT, a claqué la porte du Grenelle le 3 décembre, regrettant par voie de communiqué que « la parole des personnels au travers de celle de leurs représentants syndicaux [soit] peu écoutée, submergée par celles “d’experts” soigneusement choisis par le ministère ».
Les sorties du ministre sur la laïcité ont faitémerger un nouveau cercle dans la galaxiequi gravite autour de JeanMichel Blanquer : « des gens qui ne sont pas ses proches mais sont d’accord avec lui », souffle une source. Parmi eux, des parlementaires, dont la députée (La République en marche, LRM) des Yvelines Aurore Bergé, créatrice d’une boucle Télégram « Fanclub JMB » et signataire, le 23 novembre sur le site Atlantico, d’unetribune de défense de la « ligne Blanquer ». Une ligne droitière, proche du Printemps républicain, qu’un autre ministre a qualifié d’« athéisme militant », dans Le Monde du27 novembre. L’initiative des parlementairesest indépendante du cabinet, y défendon. Même si les proches du ministre disent aussi travailler régulièrement à faire « vivre le débat sur les questions républicaines », en interrogeant des enseignants, des intellectuels et des élus. Autant de visiteurs du soir.
C’est là le dernierné des « cercles Blanquer ». Il repositionne le ministre de l’éducation au centre du débat politique sur les questions de laïcité, alors que cellesci ne cessent de rebondir à quelques jours del’examen en conseil des ministres du projet de loi « confortant les principes républicains », le 9 décembre. « Avant de devenir ministre, JeanMichel Blanquer n’avait pas ungros réseau parmi les parlementaires, analyse Clément Reyne, consultant et ami du ministre. Mais aujourd’hui, sur les thématiques liées aux valeurs républicaines et à la laïcité, il est proche d’hommes comme HervéMarseille, Gérard Longuet ou Claude Malhuret. Son réseau couvre tout le champ républicain, de Valls à Juppé. »
Cette gestion verticale a enfin des conséquences sur la communication ministérielle, parfois décrite comme relevant d’une volonté de contrôle. Au risque de l’excès : pendant la crise sanitaire, JeanMichel Blanquer persiste et signe, en s’exprimant, y compris dans des médias peu traditionnelscomme Kombini ou Brut. « Aujourd’hui, JeanMichel Blanquer est intouchable, note une source à l’inspection générale. La manière dont il s’est sorti de la polémique Avenir lycéen est extraordinaire. Il a balayé les accusations d’un revers de main, en traitant toutle monde d’islamogauchiste et sans répondre à la moindre question sur le fond. » Jusqu’au sommet de l’Etat, on lui a donné raison : devant l’Assemblée nationale, le 24 novembre, le chef du gouvernement, Jean Castex, a balayé des « affirmations dénuées de tout fondement ».
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Le collège a reçudes messages
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Le rapport estime« nécessaire (…)de faire monter
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14 | france SAMEDI 5 DÉCEMBRE 20200123
Thierry Herzog plaide le secret professionnelL’avocat historique de Nicolas Sarkozy comparaît pour corruption, trafic d’influence et violation du secret professionnel
D evant, derrière, àdroite, à gauche… Partout, des robes noires.Elles sont « Thierry »
et sont venues le dire, jeudi 3 décembre, où l’avocat Thierry Herzog doit répondre à l’interrogatoire du tribunal correctionnel deParis sur les faits de corruption etde trafic d’influence qui lui sontreprochés. Moins nombreux, en civil, des magistrats du Parquetnational financier se glissent à leur tour sur les bancs du publicen soutien à leurs deux collèguesprocureurs.
Face à une accusation qui, aupremier jour du procès, avait souligné que « les secrets institutionnalisés, dont celui de l’avocat, ont une face sombre à l’abri de laquelle peuvent prospérer des dérives », le témoignage d’amitié du barreau de Paris à un confrère apprécié est d’abord une démonstration de force.
La défense de Thierry Herzog ena besoin pour préparer le terrainavant son interrogatoire. Il luifaut transformer le procès des écoutes en procès du secret professionnel. Substituer à l’examen de l’embarrassant contenu desconversations interceptées entre Thierry Herzog et Nicolas Sarkozy un débat sur les grandsprincipes. Le tout pour tenter d’offrir au tribunal une opportune porte de sortie en livrant à son jugement non pas trois prévenus, mais une seule coupable :la procédure qui leur vaut de comparaître.
Entre le commandeur. Henri Leclerc, 86 ans, dont plus de soixante de barre, est le premier témoin cité par les avocats de
Thierry Herzog. « Si vous voulezune défense, il faut qu’il y ait un secret. Il est à la base. Parce qu’ontrouve dans le secret partagé deséléments pour défendre. Pour nous, avocats, le secret professionnel est absolu », ditil. OlivierCousi, le bâtonnier de Paris, lui succède : « En touchant au secret professionnel de l’avocat, vous touchez à un droit fondamental ducitoyen. »
« Qu’estce qui détermine le moment où se noue le secret professionnel ?, lui demande la présidente, Christine Mée.
– Le besoin de confidence commence à la première minute. »
« Gilbert est un ami »C’est sur ce terrain adroitement déminé que le prévenu ThierryHerzog s’est avancé face au tribunal. « Je n’ai commis aucune infraction. Jamais je n’ai été un corrupteur, jamais je n’ai corrompu. Ce serait bien mal me connaître et malconnaître celui que je défends de penser qu’un pacte, une contrepartie, un remerciement auraient pu être un instant envisagés. Je répondrai donc à toutes les questions, à l’exception de celles qui concernentles écoutes téléphoniques. »
Oui, ditil, il a « pris conseil »auprès de Gilbert Azibert. « Pour moi, Gilbert est un ami avant d’êtreun magistrat. » Leur complicité est née au fil de quarante ans de vie professionnelle – « J’ai souvent plaidé devant lui » – et d’une passion partagée pour le droit pénal et la procédure pénale dont l’ancien avocat général à la Cour de cassation est un spécialiste reconnu. Les deux hommes se voyaient régulièrement pour dé
jeuner ou dîner. Mais jamais, assure Thierry Herzog, il ne lui a demandé des documents couverts par le secret du délibéré.
L’avocat est encore plus à l’aisepour évoquer l’amitié qui le lie à Nicolas Sarkozy depuis leur prestation de serment, en 1979. « Nous sommes comme des frères. » Il est devenu son conseilen 2006 quand celui qui étaitalors ministre de l’intérieur a décidé de se constituer partie civile dans l’affaire Clearstream et il ledéfend depuis dans toutes ses procédures.
Avec la même tranquillité,Thierry Herzog raconte comment, après le départ de NicolasSarkozy de l’Elysée, ils ont décidéde communiquer sur des lignesoccultes. Et ce, assuretil, preuveà l’appui, bien avant le déclenchement de l’enquête sur un possible financement libyen de sacampagne présidentielle victorieuse de 2007.
L’interrogatoire se rapprochedu moment plus périlleux oùThierry Herzog doit s’expliquersur la promesse qu’il aurait faite à
Gilbert Azibert de l’aider à obtenir le poste honorifique qu’il visait pour sa retraite à Monaco.« Ce n’est en rien une contrepartie, un remerciement, c’est un service que je rends à Gilbert qui ne me le demande pas. J’en parle à Nicolas Sarkozy car s’il va à Monaco, j’espère qu’il pourra faire quelquechose. Malheureusement, cela nes’y est pas prêté. Si Nicolas Sarkozym’avait dit qu’il partait en weekend à Evian, je ne lui aurais pasparlé de Gilbert. »
« Ce jour-là, j’ai menti »Pourtant, dans les conversationséchangées entre l’ancien président et son avocat en févier 2014,le nom de « Gilbert » revient souvent. Thierry Herzog lui rappelleque son ami magistrat a fait « un travail formidable. » NicolasSarkozy lui répond : « Moi, je lefais monter… – Il m’a parlé d’un truc sur Monaco… – Ben t’inquiète pas, dislui. Je m’en occuperaiparce que je vais à Monaco et je verrai le prince. »
Mais un peu plus tard, lors d’uneautre conversation téléphonique,
sur la ligne officielle cette fois, Nicolas Sarkozy annonce à son avocat qu’il a finalement décidé de nerien faire pour aider Gilbert Azibert à décrocher un poste à Monaco. Selon l’accusation, ce moment correspond à celui où Thierry Herzog et Nicolas Sarkozyont appris par une fuite que la ligne « Bismuth » (du nom choisi par l’ancien président pour utiliser un téléphone occulte) était elleaussi placée sur écoute. Il fallait donc corriger le tir.
S’il refuse de s’expliquer sur cesécoutes, puisque cellesci relèvent, selon lui, du secret professionnel, Thierry Herzog ne peut en revanche échapper à la ques
tion de la présidente sur un autreéchange, un peu plus tard, avec Gilbert Azibert cette fois. ThierryHerzog demande à le rencontrerpour « parler de la dernière péripétie ». « Rien de grave mais on aété obligé de dire certaines chosesau téléphone… On a appris certaines choses. »
« Je vais citer les bons auteurs,élude le prévenu. C’est difficile pour moi, vous savez, de citerEdwy Plenel. Mais dans son livreLes Mots volés (Stock, 1997), il écrit : “Un dialogue au téléphone,c’est comme une conversation avec soimême. Si l’interlocuteur est un intime, on s’y livre, on s’ymet à nu, on pense tout haut, onparle trop vite, on ment, on exprime ce qu’on ne pense pas vraiment, on dit n’importe quoi.” »
Thierry Herzog écarte le papierqu’il avait sous les yeux. « Cejourlà, j’ai menti à Gilbert Azibert, Madame la Présidente. » Les débats se poursuivront lundi 7 décembre, avec les questions de l’accusation à Thierry Herzog et l’interrogatoire de Nicolas Sarkozy.
pascale robertdiard
Financement libyen : Claude Guéant mis en examen pour « association de malfaiteurs »L’ancien ministre de l’intérieur de Nicolas Sarkozy dénonce une « manipulation des faits »
L es affaires et les mises enexamen s’enchaînent pourNicolas Sarkozy et son en
tourage. Alors que l’ancien président comparaît actuellement pour « corruption » et « trafic d’influence » au tribunal de Paris dansl’affaire Bismuth, son plus fidèlecollaborateur, Claude Guéant, a été mis en examen supplétivement le 2 décembre pour « association de malfaiteurs » dans l’enquête sur l’argent libyen.
Pour la dixième fois, l’ancien ministre de l’intérieur est mis en cause par les juges qui enquêtent sur un possible financement libyen de la campagne victorieuse de Nicolas Sarkozy en 2007. Undossier tentaculaire, fruit de huitannées d’enquête, dans lequel l’ancien chef de l’Etat a été mis en examen à quatre reprises, dont la dernière en octobre pour, lui aussi,« association de malfaiteurs »,neuf mois après son ancien collaborateur, Thierry Gaubert.
Pour les juges d’instruction,Claude Guéant a joué un rôle central dans la mise en place d’un« pacte corruptif » avec le régime libyen de Mouammar Kadhafi. Il est établi aujourd’hui par l’enquête qu’il s’est rendu, fin 2005, en toute discrétion, à Tripoli, alors
qu’il dirigeait le cabinet de NicolasSarkozy au ministère de l’intérieur. Une visite à l’occasion de laquelle il s’est entretenu avec Abdallah Senoussi, chef des services de renseignement militaire, en compagnie de l’intermédiaire francolibanais Ziad Takieddine.
M. Guéant pouvait alors difficilement ignorer que son interlocuteur était visé par un mandat d’arrêt international après avoir été condamné par contumace enFrance à la réclusion criminelle à perpétuité pour son rôle dans l’attentat du 19 septembre 1989 contre l’avion DC10 de UTA.
Surprenant train de vieL’enquête judiciaire a par ailleurs établi qu’un versement de 3 millions d’euros avait été fait le 31 janvier 2006 par le Trésor public libyen sur le compte d’une société offshore de M. Takieddine. Une semaine plus tard, l’intermédiaire effectuait un virement de 439 950 euros sur un compte aux Bahamas, appartenant à Thierry Gaubert. M. Takieddine, qui recevra ensuite deux autres virements d’un total de 3 millions d’euros, a expliqué à plusieurs reprises aux juges avoir remis pour le compte du régime de Kadhafi
d’importantes sommes en espèces à Claude Guéant et à Nicolas Sarkozy. Avant de se rétracter dansdes conditions troubles.
Les enquêteurs se sont aussipenchés sur le surprenant train devie de Claude Guéant. Entre mai 2003 et mai 2013, il n’a retiréque 2 450 euros de ses comptes bancaires, soit 20 euros par mois. A l’inverse, il a disposé de plus de 325 000 euros en espèces. Une partie provenait, assuretil, desfonds d’enquête et de surveillancedu ministère de l’intérieur, normalement réservés aux fonctionnaires de police. Une pratique qui lui a valu d’être condamné en 2017pour complicité de détournement de fonds publics.
Le grand commis d’Etat d’autrefois, qui s’est vu retirer sa Légion d’honneur et sa décoration de l’ordre national du Mérite en 2019 à lasuite de cette condamnation définitive, doit aussi répondre des accusations de « faux et usage de faux » et « blanchiment de fraude fiscale en bande organisée » en raison des circonstances de l’acquisition de son appartement parisien. S’il a toujours soutenu contre l’évidence avoir financé ce bien par la vente de deux tableaux, il paraît clair désormais
aux yeux des enquêteurs que l’argent provenait d’Alexandre Djouhri, un autre intermédiaire affairiste dont il était proche et qui entretenait des liens aussi étroits que financiers avec le régime de Kadhafi, chez qui le RIB de Claude Guéant avait été retrouvé.
C’est en outre en lien direct avecle ministère de l’intérieur, alors occupé par Claude Guéant, et le directeur central du renseignement intérieur, Bernard Squarcini, quece même Alexandre Djouhri a organisé, en mai 2012, l’exfiltration de son ami Bechir Saleh, ancienargentier de Kadhafi, depuis la France vers le Niger, alors que celuici était visé par une notice rouge d’Interpol.
« Je persiste à dire qu’il n’y a jamais eu de financement libyen.Hormis les versements effectués sur ordre de M. Senoussi à Takieddine, que ce dernier a utilisé à des fins personnelles, il n’y a rien dans le dossier, et je demande aux juges un nonlieu », dit Claude Guéant au Monde. Une fois encore, il fulmine contre les juges qui, veutil convaincre, « se sont fait un récitqui, pour eux, est une réalité, et manipulent les faits en écartant tous les éléments à décharge ».
simon piel et joan tilouine
BENJAMIN FLAO POUR « LE MONDE »
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je n’ai corrompu »THIERRY HERZOG
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0123SAMEDI 5 DÉCEMBRE 2020 france | 15
Violences sexuelles : des pistes pour renforcer la loiUne députée LRM propose de sanctionner toute relation sexuelle entre un adulte et un mineur de moins de 15 ans
L e 27 janvier, en pleindébat autour du livreLe Consentement, de Vanessa Springora, dans le
quel cette dernière relatait sa relation sous emprise, à 14 ans, avec l’écrivain Gabriel Matzneff, de trentesix ans son aîné, Alexandra Louis s’était vu confier la mission d’évaluer la loi renforçant la lutte contre les violences sexistes et sexuelles du 3 août 2018. Neuf mois plus tard, la députée (LRM) des BouchesduRhône remet ses propositions, vendredi4 décembre, au gouvernement.
Pendant six mois, celle qui futrapporteuse de la loi, avant d’être chargée de mesurer son effectivité, est allée à la rencontre de la plupart des acteurs concernés : magistrats, policiers, victimes, associations, médecins, universitaires… Quelque 170 auditions et 15 déplacements plus tard, elle en tire 77 propositions qui sont formulées dans son rapport de210 pages, que Le Monde a pu consulter avant sa remise officielle. Alexandra Louis les assortitd’un préalable : sa « conviction viscérale qu’on peut améliorer la loi mais que le vrai réveil pour lutter contre les violences sexuelles etsexistes doit se faire dans la société ». Une prise de consciencequ’elle juge encore timide, évoquant en particulier « le tabou sur l’inceste ». Plusieurs recommandations portent d’ailleurs sur le renforcement des actions de prévention et de formation.
En 2018, le gouvernement avaitsouhaité faire de la « loi Schiappa »
une réponse forte à la vague de dénonciations d’agressions sexuelles et de harcèlement exprimées par les femmes sur les réseaux sociaux, accompagnées des motsclés #metoo et #balancetonporc. Deux points avaient cristallisé les débats avant le vote du texte : l’allongement des délais de prescription pour les crimes sur mineurset l’interdiction des relations sexuelles entre un adulte et un mineur de moins de 15 ans.
Un recul dénoncé en 2018Sur le premier volet, de nombreuses associations réclamaient – et réclament encore – l’imprescriptibilité (réservée aux crimes contre l’humanité) pour les crimes sexuels sur mineurs, compte tenu de la difficulté pour les victimes de dénoncer de tels faits. Les députés avaient finalement opté pour un allongement des délais de prescription, passés de vingt à trente ans après la majorité de la victime. Une « solution d’équilibre » défendue dans le rapport d’Alexandra Louis, qui ne souhaite pas rouvrir le débat et précise d’ailleurs que depuis deux ans, « les services d’enquêteurs spécialisés n’ont pas été submergés par les procédures bénéficiant de l’augmentation de la prescription à trente ans ».
La députée ne se montre pasnon plus favorable à la demande d’un certain nombre d’associations de victimes et de personnalités de retenir l’amnésie traumatique comme motif de suspension de la prescription dans les af
faires de violences sexuelles sur mineurs. Elle propose simplement d’inscrire dans la loi le recours à une « prescription glissante », un mécanisme de connexité que la jurisprudence applique mais qui n’est pas généralisé. Il consiste à interrompre la prescription d’un premier crime sexuel non encore prescrit sur mineur à la découverte d’une deuxième affaire du même ordre commise par le même individu.
C’est sur la question de la sanction des relations sexuelles entreun adulte et un mineur de moins de 15 ans que les propositions d’Alexandra Louis sont les plus attendues. Avant le vote de la loi,l’instauration d’une « présomption irréfragable de nonconsentement », permettant de considérer comme un viol toute pénétration commise par un adulte sur un mineur de moins de 15 ans, avait un temps été évoquée. Mais le gouvernement y avait finalement renoncé, après un avis du Conseil d’Etat qui pointait le risque d’inconstitutionnalité d’une telle mesure, jugée contraire aux principes de présomption d’innocence et de droits de la défense.
L’énoncé de la loi indiquait doncque lorsque les faits sont commis sur un mineur, jusqu’à 15 ans, « la contrainte morale ou la surprise[qui font partie, avec la menace et la violence, des faits constitutifsd’une agression sexuelle ou d’un viol] sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victimene disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes ». Un re
cul dénoncé par les associationsféministes et de protection del’enfance, qui militent toujourspour l’instauration d’un âge légal de nonconsentement aux relations sexuelles pour les mineurs de moins de 15 ans.
Le 20 novembre, à l’occasion dela Journée internationale desdroits de l’enfant, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, organe de consultation placé auprès du premier ministre,s’est prononcé pour l’inscriptiondans la loi d’une présomption decontrainte lorsqu’une personnemajeure commet un acte sexuelsur un mineur de 13 ans.
« Changement de paradigme »Désireuse d’aller plus loin dans la protection des mineurs mais aussi d’évacuer la question duconsentement, Alexandra Louispropose une autre piste. Elle souhaite ajouter un nouveau chapitre au code pénal, consacré auxviolences sexuelles et qui comporterait deux nouvelles infrac
tions : un délit autonome de relation sexuelle sur mineur de moins de 15 ans sans pénétration,et son pendant criminel, un crimeautonome de relation sexuelle sur mineur de moins de 15 ans avec pénétration. Pour les mineurs de plus de 15 ans, c’est ledroit actuel qui continuerait de s’appliquer.
« Aujourd’hui, quand un juge estsaisi pour agression sexuelle ou viol à l’encontre d’un mineur, il va examiner si la victime a été contrainte, et donc, en creux, si ellen’a pas consenti », explique CaroleHardouinLe Goff, maître de conférences en droit privé et sciencescriminelles à l’université ParisII,à l’origine de cette proposition. L’idée est de sanctionner les relations sexuelles entre un adulte et un mineur d’un âge qu’il faudradéterminer, inférieur à 13 ou 15 ans, au nom de la sauvegarde de l’intégrité psychologique etphysique des enfants. »
Dans cette optique, devient répréhensible pénalement le fait pour un majeur de commettre volontairement un acte sexuel sur lapersonne d’un mineur de 13 ou 15 ans, à la condition qu’il avait connaissance de cet âge ou ne pouvait l’ignorer. « On sort ainsi dela logique qui fait se poser la question du consentement quand il s’agit d’enfants », résume Alexandra Louis. Un écart d’âge de cinqans pourrait figurer afin de préserver les relations entre mineurs et jeunes majeurs. La députée plaide pour faire prochainement passer ce « changement de para
« On sort ainsi de la logique
qui fait se poserla question
du consentementquand il s’agit
d’enfants »ALEXANDRA LOUIS
députée (LRM)
digme » dans une proposition deloi ou un projet de loi.
Concernant l’outrage sexiste,créé par la loi de 2018 pour lutter contre le harcèlement de rue,Alexandra Louis propose quelques aménagements. Alors que1 746 contraventions ont été dressées pour ce motif depuis l’entréeen vigueur de la loi, selon les derniers chiffres du ministère del’intérieur, elle souhaiterait sanctionner davantage les auteursrécidivistes.
« Sérieuse lacune »Par ailleurs, au cours de ses travaux, elle s’est rendu compte que l’infraction était parfois utiliséepar défaut pour sanctionner des comportements qu’il ne visepourtant pas, comme la masturbation sans exhibition dans les transports en commun. Ce quiconduit la députée à pointer « unesérieuse lacune dans l’édifice pénalconcernant le délit d’exhibitionsexuelle », dont elle propose uneréécriture « pour viser non pas la nudité mais bien plus l’obscénitéet la commission d’actes ou gestes sexuels en public ».
Reste à savoir si le gouvernement s’emparera de ces propositions d’ici à la fin du quinquennat. En janvier, l’ancienne secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes,Marlène Schiappa, s’était « engagée personnellement » à rouvrir les travaux sur la loi de 2018 si la mission d’Alexandra Louis lerecommandait.
solène cordier
Pédocriminalité : Joël Le Scouarnec condamné à quinze ans de prisonL’ancien chirurgien comparaissait devant la cour d’assises de Saintes pour viols et agressions sexuelles sur quatre mineures
saintes (charentemaritime) envoyée spéciale
I l se tient debout, la tête légèrement penchée, on dirait l’attention polie d’un chirurgien
à un congrès de médecine viscérale. Dans le box de la cour d’assises de Saintes (CharenteMaritime), Joël Le Scouarnec écoute la présidente Isabelle Fachaux lire le verdict qui le condamne à quinze ans de réclusion criminelle. Un cri retentit, lui n’a pas tourné la tête, même pas cillé, toujours cette parfaite maîtrise de soi.
C’est du banc des victimes quel’exclamation est partie, un groupe de jeunes femmes entre 30et 40 ans, serrées toutes ensemble,la tête des unes sur les épaules des autres, leurs bras entrelacés et qui viennent de frémir d’un même mouvement en entendant la sentence. Après quatre jours d’audience, du 30 novembre au 3 décembre, le docteur Le Scouarnec a été reconnu coupable du viold’une nièce et d’une petite voisine,ainsi que d’attouchements sur une patiente et une autre nièce. Si certaines sont aujourd’hui mères de famille, toutes étaient mineures au moment des faits.
Quand sa jeune voisine le dénonce, en 2017, à Jonzac, Le Scouarnec lance pendant sa garde à vue : « Je suis un pédophile. » Mais le dossier prend une autre dimension avec la découverte, pendant les perquisitions, d’un journal intime, dans lequel le chirurgien a consigné pendant trente ans des abus sur des centaines d’enfants, à la fois dans sonentourage et dans les établissements où il exerçait. « Tout en fumant ma cigarette dans les toilettes de l’hôpital de Lorient [Morbihan], je réfléchissais au fait que je
suis un grand pervers, je suis à la fois exhibitionniste, voyeur, sadique, masochiste, scatologique, fétichiste, pédophile. Et j’en suis très heureux », écritil par exemple le 14 avril 2004 à 8 h 15.
Si une partie de l’enquête esttoujours en cours, c’est son volet le plus familial qui était jugé cette semaine. Les déclarations sans équivoque de Le Scouarnec, oscillant entre le constat clinique etla provocation froide, semblaient augurer d’un procès qui permettrait d’entrer dans la tête d’un prédateur. Mais rien ne s’est passé comme prévu, à aucun niveau.
Partie de cache-cache judiciaireTout d’abord, le huis clos total des débats, demandé par trois victimes, a donné lieu à une partie de cachecache judiciaire dans le hall glacial du tribunal. A chaque suspension, certains avocats se précipitent hors de la salle pour distiller devant les journalistes – contraints de rester à l’extérieur – des propos tenus à l’audience,dont ils ont pourtant euxmêmes réclamé le blackout. L’un des défenseurs affirme que l’accusé est passé aux aveux, l’autre estime que ce n’est pas vraiment le cas, un troisième l’a vu pleurer, mais tous n’en sont pas sûrs.
A ces ambiguïtés s’ajoutent celles d’une instruction visiblement dépassée par l’ampleur du dos
sier. L’accusé a abusé d’une de ses nièces pendant son sommeil, il le reconnaît et la scène est là, projetée aux jurés sur grand écran :des photos du médecin qui retire le pouce de la bouche de l’enfantpour y mettre son sexe, relate Delphine Driguez, avocate de lavictime. Pourtant, c’est comme si ces faits horriblement présents n’avaient jamais existé : l’ordonnance de mise en accusation a tout simplement « oublié » de lesconsigner. Comprenant qu’ils neseraient sans doute jamais poursuivis, l’enfant – devenue une jeune femme – a fui l’audience en larmes.
C’est là où Le Scouarnec joueaussi sa propre partition. A l’audience, il a reconnu certains viols : « Il s’est ouvert. Ce n’est pas un monstre qu’on juge », dit son défenseur, Thibaut Kurzawa. Mais chacune de ses avancées s’inscrit en réalité dans une logique savamment orchestrée, où il acquiesce d’un simple « oui » et surtout pourdes faits prescrits, estiment de leurcôté Céline Astolfe, de la Fondation pour l’enfance, et Francesca Satta, avocate de la petite voisine.
Mathieu Auriol, l’avocat général,avait requis quinze ans de détention. « Je ne demande ni pardon ni compassion. Je ne demande pas l’indulgence de la cour. Laissezmoisimplement redevenir un homme meilleur », ont été les derniers mots de l’accusé. Puis, sitôt le procès fini, il a courtoisement fait lever le policier dans le box, presséde sortir, sans un regard autour de lui. Lors de son arrestation, les gendarmes lui avaient demandéle nom d’une personne à qui il accorde sa confiance. Alors lui, sans une hésitation : « Je n’ai pas de réponse à vous soumettre. »
florence aubenas
Au prononcé du verdict,
un cri retentit,lui n’a pas tourné
la tête, même pas cillé
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16 | ÉCONOMIE & ENTREPRISE SAMEDI 5 DÉCEMBRE 20200123
Emploi : l’ecommerce au banc des accusésSelon une nouvelle étude, 82 000 postes ont été détruits en France en dix ans à cause des ventes sur Internet
C ombien l’ecommercecréetil d’emplois ? N’endétruitil pas aussi enparallèle ? La somme
estelle positive ? Ces questionssont sensibles et encore ravivées par le reconfinement, qui a fermé des commerces physiques mais laissé ouverts les sites de vente enligne comme Amazon. Ce vendredi 4 décembre, à l’occasion du« Black Friday », une étude conclut à un effet plutôt négatif en France : entre 2009 et 2018, l’ecommerce aurait détruit82 000 emplois, avec 114 000 suppressions nettes dans le commerce de détail non alimentaireet 32 000 créations dans le commerce de gros. D’ici à 2028, 46 000 à 87 000 autres emploispourraient être détruits, en fonction de la progression de la vente en ligne. Cette analyse a été menée par Ano Kuhanathan, économiste chez l’assureur Euler Hermes, passé par le cabinet de consultants EY, et Florence Mouradian, consultante et exéconomiste de l’OCDE. Menée sursept pays, l’étude a été financée par la députée européenne de La France insoumise Leïla Chaibi, sur une idée des Amis de la Terre, une ONG écologiste engagée,comme l’élue, dans une campagne contre l’expansion d’Amazon.
Habillement et chaussures« En théorie, la vente en ligne détruirait des emplois dans les magasins physiques mais en créeraiten amont et en aval de l’acte d’achat, par exemple dans le commerce de gros ou la livraison, expliquent les auteurs, citant le concept de “destruction créatrice” théorisée par l’économiste JosephSchumpeter. Mais au total, il semblerait que le secteur arrive à opérer avec globalement moins de ressources. » L’habillement et les chaussures seraient les plus touchés. Ainsi que les petits commer
ces : les sociétés de plus de 250 salariés auraient quant à elles connu 14 000 créations nettes.
Evaluer de façon définitive leseffets de la vente en ligne sur l’emploi est très difficile. M. Kuhanathan et Mme Mouradian ont uti
lisé un modèle économétriquepour calculer si le taux de pénétration de l’ecommerce avait unecorrélation statistique avec le niveau d’emploi dans le commerceen général. Certains résultats peuvent surprendre : l’Allemagne n’aurait connu que 3 000 destructions dans le commerce de détail. Les auteurs l’expliquent par laplus forte proportion d’entreprises de taille moyenne outreRhin.Autre limite importante : alorsque l’ecommerce crée en principe des emplois de livreurs, les calculs n’ont pas permis d’isolerun « impact significatif » sur le secteur du transport de marchandises. Cela peutêtre dû, selon lesauteurs, à un effet trop faible ou
au fait que certains chauffeurs, autoentrepreneurs ou travailleurs détachés étrangers,échapperaient aux statistiques.
Cette étude n’est toutefois pasla première à souligner le versant destructeur de l’ecommerce : auxEtatsUnis, l’assureur Euler Hermes pointait en juillet 670 000 destructions d’emploisdans le commerce physique depuis 2008 et en prévoyait 500 000de plus d’ici à 2025. En avril 2019, une étude la banque UBS anticipait, elle, 75 000 fermetures de commerces américains d’ici à2026, si la part de l’ecommerce passait de 16 à 25 % (elle est de 10 %en France). En Europe, une étude italienne avait décelé un effet plu
tôt négatif sur l’emploi, alorsqu’une autre concluait à une influence positive, mais entre 2002et 2010. Enfin, l’exsecrétaire d’Etat au numérique Mounir Mahjoubi a tenté fin 2019 un calcul sur Amazon France, affirmant qu’un emploi en détruisait jusqu’à 2,2. Un chiffre vivement contesté par l’entreprise.
Le spectre de la robotisationAmazon revendique, quant à lui, 9 300 emplois directs créés en France. Et 13 000 emplois indirects chez les 10 000 entreprises tierces françaises qui vendraient des produits sur sa plateforme. Amazon parle également de « 110 000 emplois indirects » dans
« Nous sommes les oubliés de toutes ces critiques »Dans le Nord, à LauwinPlanque, les salariés d’Amazon regrettent les controverses concernant l‘entreprise et mettent en avant leurs emplois
REPORTAGElauwinplanque (nord)
envoyé spécial
U ne pétition pour « unNoël sans Amazon » ; unappel d’élus et d’ONG
pour « stopper Amazon » ; des manifestations contre l’implantation de nouveaux entrepôts… Ces dernières semaines, le géant américain de l’ecommerce concentre toutes les critiques. Si les griefs sont connus – mauvaises conditions de travail, optimisation fiscale, concurrence déloyale face aux petits commerces… –, ils ont été accentués cette année par la crise sanitaire : en permettant de consommer sans sortir de chez soi, l’entreprise fondée par Jeff Bezos apparaît comme l’un des grands gagnants de cette pandémie. A LauwinPlanque (Nord), en cette journée ensoleillée de fin novembre, ces controverses semblent bien loin et cela se voit aux abords des deux imposants centres de distribution et de tri, cernéspar des champs agricoles. A l’ap
proche du « Black Friday » et des fêtes de fin d’année, le nombre de travailleurs passe de 2 500 à prèsde 5 000 et les ballets des camions de livraison sont incessants.
Travailler pour le géant américain ne faisait pas vraiment partiedes plans de carrière d’Axelle. Mais après avoir raté le concours pour devenir prof de maths, elle se résout à postuler à l’été 2016 « pour pouvoir vivre ». Si elle y va au début « avec de l’appréhension », elle se surprend finalementà s’y plaire et décroche un CDI : « On peut évoluer rapidement, travailler sur plein de postes différents, l’ambiance est bonne, donc j’ai décidé d’y rester. » Alors quand elle voit « tous ces reproches contre Amazon, j’ai l’impression de ne pas voir ce que je vis moi ».
« Ce n’est pas dégradant »Pour Séverine, intérimaire depuis deux ans, « on est les oubliés de toutes les critiques » contre le géant américain. « Pure Douaisienne » de 44 ans, elle non plus n’en avait pas une bonne image
lorsque l’entreprise s’est implantée en 2013 dans la zone d’activité de LauwinPlanque, à une poignée de kilomètres de Douai. Aujourd’hui, elle aimerait y être embauchée. « Ce n’est pas dégradant de bosser pour Amazon, selon elle. Et puis, qu’estce qui est mieux ? Travailler à la chaîne chez Renault ? J’étais diplômée en coiffure, j’ai travaillé chez SFR en tantque chargée de clientèle, dans la logistique chez Kiabi, j’ai fait des ménages… Et c’est ici que je me sensbien. » Pour la douzaine de salariés interrogés, c’est surtout l’assurance de trouver un travail rapidement dans un département où
le taux de chômage avoisine les9 % (contre 7 % en moyenne enmétropole). C’est également cette promesse de l’emploi qui a poussé le président de l’agglomération du Douaisis, et maire de LauwinPlanque, Christian Poiret (divers droite), « à tout faire » pourque l’entreprise s’implante sur son territoire.
Pour l’élu, le profil des chercheurs d’emploi dans la région correspondait à ce que recherche la plateforme : « Une maind’œuvre qui n’est pas obligatoirement qualifiée et donc qui peut faire du picking (préparation de commandes), de la réception de commandes, de l’emballage, être cariste… Je préfère les avoir là qu’au RSA. » L’entreprise de M. Bezos poursuit d’ailleurs son implantation dans les HautsdeFrance, avec l’ouverture il y a trois semaines d’un nouveau centre de livraison à Avion (PasdeCalais) et 280 emplois à la clé. Mais face à une telle présence dans la région, y travailler relèvetil désormais du choix ou de la contrainte ?
A 29 ans, Mickaël s’est retrouvéau chômage après que le restaurant où il travaillait en tant que serveur a dû fermer définitivement, miné par le confinement puis par le couvrefeu. Ce père dedeux enfants tente sa chance chezLidl, Auchan et Chronodrive, sans succès, « par manque d’expérience ». Il se décide alors à postuler et est pris en intérim début novembre. Et il espère que cette expérience lui ouvrira des portes à la fin de son contrat en janvier, s’iln’est pas renouvelé : « Travaillerchez Amazon pendant cette période de pic, ça sera un réel atout sur mon CV. »
Jeunes sans expérienceCette dépendance dans la région inquiète particulièrement Christophe Bocquet, délégué Force ouvrière à LauwinPlanque : « Il ya encore quelques années les gens venaient par choix. On pouvait évoluer au sein de l’entreprisemême si le travail était dur. Maismaintenant c’est plus par contrainte qu’on vient, pour ne man
quer de rien. Amazon ne s’est pas implanté pour rien sur ce territoire. » Il déplore également « un recours accru à l’intérim et à des cadres de plus en plus jeunes qui manquent d’expérience. »
Si l’entreprise est souvent dénoncée pour ses mauvaises conditions de travail, la présence importante de jeunes sans expérience aux postes de management entraîne « des complicationsdans la gestion humaine sur le terrain », regrettetil. Pour le président d’Amazon France Logistique, Ronan Bolé, « donner leur chance aux jeunes, c’est notre signature. C’est sûr qu’on ne s’invente pas manager à 23 ans, il faut une périoded’apprentissage et on est là pourles accompagner ». Malgré toutes ces critiques, force est de constater que le site d’ecommerce reste incontournable pour bien des consommateurs. Plus de 22 millions de Français ont ainsi passé commande en 2019 sur le site du géant américain, selon la société d’études Kantar.
jérémie lamothe
Amazon est installé dans la zone d’activité de LauwinPlanque (Nord) depuis 2013. LUCIE PASTUREAU POUR « LE MONDE »
sa chaîne de production mais y agrège aussi bien la livraison et le fret que la construction, la restauration, le nettoyage… Dans sesagences de livraison du dernierkilomètre, l’entreprise emploierait de 2 500 à 5 000 chauffeurs, chez des prestataires. Mais ce réseau ne gérerait que 30 % des colisd’Amazon, le reste étant confié à La Poste et à d’autres logisticiens. Au niveau mondial, Amazon affiche des recrutements record en 2020 : + 400 000 employés, portant le total à 1,1 million.
« Il est tout à fait possible que lesentreprises subissant la concurrence directe des platesformes d’ecommerce, plus productives etplus automatisées, subissent des pertes d’emploi à court terme », décrypte Stéphane Carcillo, directeur de la division emploi et revenus de l’OCDE. A long terme, toutefois, des concurrents pourraient « se mettre à niveau » touten gardant leurs magasins physiques, croit l’économiste. Patrick L’Horty, professeur à l’universitéParisEst, souligne, lui, que la baisse des prix liée à l’ecommerce pourrait faire monter la consommation et donc l’emploi.
Alma Dufour, des Amis de laTerre, pense que la crise due au Covid19, qui a précipité des fermetures chez Naf Naf ou d’André, peut « aggraver » la situation. D’autres pointent le spectre de la robotisation. Il semblerait toutefois difficile de supprimer lavente en ligne au nom de l’emploi… Pour Mme Dufour, il faudrait favoriser un ecommerce « rationalisé et compatible avec la transition écologique », par des petits commerces et PME français, avecdes systèmes de livraison mutualisés. Il faut privilégier les « circuits courts », avait conseillé M.Mahjoubi il y a un an… en prévision de Noël.
alexandre piquard
« Amazon ne s’est pas
implanté pour rien sur ce territoire »CHRISTOPHE BOCQUETdélégué Force ouvrière
Les soldes repoussés au 20 janvierLa période des soldes d’hiver en France a été repoussée au 20 janvier 2021 au lieu du 6, a annoncé vendredi 4 décembre le ministre délégué chargé des PME, Alain Griset. Pour ce qui est de l’ouverture dominicale, Elisabeth Borne, la ministre du travail et de l’emploi, a estimé sur CNews que sa prolongation en janvier serait « une bonne chose » si cela se fait dans la concertation, notamment avec les représentants syndicaux. L’objectif est de permettre aux commerces de rattraper une partie de leur chiffre d’affaires.
Il faut favoriserun e-commerce
« rationalisé et compatible
avec la transitionécologique »,
estime l’ONG LesAmis de la Terre
18 | économie & entreprise SAMEDI 5 DÉCEMBRE 20200123
A la SNCF,le spectre d’un plan social rampant en 2021Des projets de réductions discrètes de centaines voire de milliers d’emplois dans des filiales inquiètent les syndicats
J eanPierre Farandou, le PDGde la SNCF, a confirmé mercredi 2 décembre devant lessénateurs ce que redoutaitdéjà depuis plusieurs mois le
monde du ferroviaire : le groupe public devrait afficher pour l’année 2020 une perte historique liée à la crise due au Covid19 avoisinant les 5 milliards d’euros. Situation explosive, donc… Le spectre d’un ajustement par une forte réduction des effectifs en 2021 hante les esprits des cheminots.
La crainte a été avivée par unfaisceau d’indices et de projetslaissant supposer qu’un plan social qui ne dit pas son nom est concocté au sein du groupe public ferroviaire. C’est d’abord undocument confidentiel, datantdu mois d’octobre, à destination du comité de direction de SNCFRéseau (la filiale qui gère lesvoies et les gares), qui a sonné l’alarme. Les auteurs de ce texte,
auquel Le Monde a pu avoir accès,préconisent une réduction de30 % des effectifs des fonctionsgénérales administratives (finances, juridique, ressourceshumaines, achats, communication…) entre 2021 et 2023.
Le projet estime l’effet sur l’emploi de – 1 100 à – 1 200 postes(soit environ 400 par an) alorsque les départs à la retraite programmés sur les trois ans se limitent à 225 départs. « Il se posedonc à l’évidence le problème dureclassement, voire des départsvolontaires des agents impactés », soulignent les rédacteurs.
Dans le collimateurLa direction de la SNCF, même si elle reconnaît l’existence de ce document, dément avoir une telle intention en termes de volume et de vitesse des réductions de postes. Elle voit dans ce projet une initiative isolée ne correspondant
pas à la stratégie des ressources humaines du groupe. N’empêche,audelà de SNCF Réseau, c’est l’ensemble des « fonctions support »de l’entreprise qui se retrouvent dans le collimateur. « La SNCF a une grosse tête comparée à lataille de son corps », diagnostique un haut cadre.
Autre point sensible : le fret ferroviaire, dont l’activité aura baissé de 20 % en 2020. Un comitésocial et économique (CSE) de la filiale a terni l’ambiance, mer
credi 2 décembre, avec l’annonce d’un plan de transformation impliquant sur la période 20212023des réductions d’effectifs. Dès 2021, entre 400 et 600 postes (sur 5 800 emplois) seront rayés dubudget, selon diverses sources syndicales. A la SNCF, on évoquedes rumeurs et on se contente de confirmer la suppression de 110 postes de conducteur et de 140 emplois administratifs.
Côté filiale SNCF Voyageurs, làaussi des mesures discrètes de di
minution des effectifs sont dénoncées par les syndicats. Danscette activité touchée violemment par la crise (le TGV en particulier), un projet de « congé volontaire de fin de carrière » est en train d’être mis en place. Il permettrait à tout cheminot à deux ans de sa retraite à taux plein de sortir des effectifs de la SNCF, et detoucher une indemnité jusquelà. « La direction vise le départ d’au moins 1 000 agents, surtout descontrôleurs », affirme Erik Meyer, secrétaire fédéral de SUDRail.
Chômage partiel« Chez Réseau, chez Fret, chez Voyageurs, la même logique est à l’œuvre, poursuit M. Meyer. Désormais c’est le financier qui tientla boussole dans une logique àla France Télécom consistant àpousser les gens dehors. » « Al’heure où le ferroviaire apparaît comme un outil public d’avenir, il serait dangereux de ne pasmaintenir l’emploi à la SNCF,ajoute Thomas Cavel, secrétairegénéral de la CFDTCheminots. L’entreprise, son actionnaire l’Etat,doivent arrêter de s’entêter dans des trajectoires financières misesen place avant la crise. »
« Il n’y a pas un complot contrel’emploi à la SNCF », répond en substance la direction du groupe, où d’ailleurs les licenciements sont de fait quasi inexistants puisque la grande majorité des personnels du groupe bénéficie encore d’un statut proche de celui de la fonction publique. « En 2020, dans un contexte de crise extraordinaire,la SNCF aura embauché 3 700 personnes contre 4 100 prévues au
budget », indique un bon connaisseur du dossier. Plutôt que les suppressions de postes, la direction du groupe dit préférer le chômage partiel, qui aura totalisé, en 2020,12 millions d’heures (l’équivalent de 10 000 emplois à temps plein sur 138 900 au total) réparties surpresque 100 000 personnes. En particulier pour absorber le choc de la baisse d’activité TGV et face à l’incertitude concernant son avenir, la direction devrait ouvrir le 18 décembre des négociations pour la mise en place d’une activité partielle de longue durée.
Audelà des inquiétudes du moment, les syndicats dénoncent depuis plusieurs années une baisse massive à bas bruit de l’emploi à la SNCF. Selon les chiffresdisponibles sur le site open datade la SNCF, les effectifs cheminotssont passés de 147 600 à 138 900 entre 2015 et 2019, soit 1 700 postes supprimés chaque année, avec une accélération nette depuis l’année 2017.
En 2020, les effectifs devraient,selon la direction, diminuer de1,2 % à nouveau (pas moins de1 700 emplois supprimés), soitpile dans la moyenne de la fin de la précédente décennie.
éric béziat
L’audiovisuel dénonce une dérive pour la liberté d’informerLa profession s’alarme de conventions de tournage de plus en plus intrusives de la part des institutions, notamment des forces de l’ordre
C’ est la goutte d’eau qui afait déborder un vasequi se remplissait silen
cieusement. « D’habitude, on travaille chacun de notre côté, raconte Elise Lucet, la présentatrice et rédactrice en chef des magazines de France 2 « Envoyé spécial » et « Cash investigation ». Maisquand on a reçu cette convention de tournage, on a commencé à s’appeler les uns et les autres. C’est rarissime. En quelques heures, toutle monde a répondu présent. »
Samedi 28 novembre, les directeurs de l’information des chaînes de télévision, les présentateurs, producteurs, rédacteurs en chef de magazines d’information,les sociétés de journalistes et desinstances représentatives ont dit « stop ». Dans une tribune publiée
sur le site de Franceinfo, ils s’alarment : « Les tentatives de contrôle de nos tournages par les pouvoirspublics (police, justice, administration pénitentiaire, gendarmerienotamment) n’ont jamais étéaussi pressantes (…). En exigeant une validation de nos reportages,les pouvoirs publics veulent s’octroyer un droit à la censure. »
A l’origine, les conventions detournage sont destinées à protéger « la sécurité des personnes ou d’institutions dans des cas trèsspécifiques », rappelle le texte. Etablies entre les équipes de tournage et les institutions qui les accueillent, elles visent, par exemple, à préciser qui ou quoi flouter. « Respecter l’anonymat d’agents du ministère de la défense, dissimuler les caméras de surveillance
dans les établissements pénitentiaires, tout cela est déontologiquement acceptable, reconnaît EliseLucet. Mais il y a clairement unedérive. Ces dernières années, on a vu apparaître de nouveaux alinéas, des demandes de plus enplus intrusives, qui constituent des entraves à notre métier. »
Une velléité de contrôle éditorialLes récentes conditions réclaméespar le service de la communication de la police nationale, à l’occasion d’un reportage à venir pour « Envoyé spécial », ont constitué une sorte de Rubicon. Cette fois, il était exigé de « visionner l’émission dans sa version définitive avant première diffusion, dans undélai permettant une éventuelle modification » – en général, il suf
fit aux auteurs d’un reportage demontrer les images éventuellement problématiques de manière isolée, sans le son, pour que les chargés de communication constatent le respect des consignes.
Dans ce document, les communicants se revendiquaient aussi « seuls habilités à valider définitivement le contenu produit sur lesplans juridique, éthique et déontologique », prétendaient interdire « des scènes pouvant être considérées comme choquantes » et soumettaient la diffusion du moindre extrait du reportage à leur « accord express ». Soit une velléitéde contrôle éditorial quasi total.
Dans le contexte de tension entre la presse et les institutions, provoqué par la proposition de loi« sécurité globale » et le nouveau
schéma national du maintien de l’ordre, qui a vu la profession semobiliser massivement, ces prétentions ont choqué au pointd’unir contre elles TF1 aussi bien que France Télévisions ou BFMTV, Emmanuel Chain toutautant que Bernard de La Villardière, Marie Drucker, Harry Roselmack, Renaud Le Van Kim, etc.
« Des procédures pénales ontelles déjà été annulées parce qu’une personne n’avait pas été floutée dans un reportage ? Y atil déjà eu une évasion parce qu’un reportagemontrait l’emplacement des caméras de surveillance ?, interroge Philippe Levasseur, le directeur général de la société de production Capa Presse. S’il y a des problèmes, discutonsen, et voyons comment y remédier. Mais nous ne pouvons
accepter ce type de contrôle à lafois démesuré et dangereux. »
Le ministère de l’intérieur a été lepremier à réagir. Il a proposé une rencontre la semaine du 7 décembre. « Nous aimerions que le sujet soit débattu de manière large, afin que soient sensibilisées d’autres institutions, précise Philippe Levasseur. Parce que, demain, nous pourrions voir apparaître des demandes similaires du ministère de la santé, de l’éducation nationale… » La tribune rappelle que « lapresse est déjà soumise au contrôledu législateur », notamment au travers de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, à laquelle s’ajoutent les « chartes déontologiques sans cesse améliorées depuis le texte initial de 1918 ».
aude dassonville
Le PDG de la SNCF, JeanPierre Farandou, à Orléans, le 25 août. JEAN-FRANCOIS MONIER/AFP
« Il n’y a pas un complot
contre l’emploi »,répond
la direction du groupe
lors du dernier appel d’offres, désormais européen, sur la fourniture de traverses de chemin de fer, la SNCF a écarté en novembre les propositions de l’entreprise de produits en béton Stradal, au profit de concurrents dont le belge De Bonte et l’italien Margaritelli. Dans la petite unité de Bergerac, en Dordogne, qui a été spécialisée dans cette fabrication et fournissait la SNCF depuis soixantesept ans, les 46 employés s’inquiètent. Ce premier lot perdu qui portait sur 700 000 unités a un impact sur la production du premier trimestre 2021 de 50 %, et les projections ne garantissent qu’une semaine de travail au deuxième trimestre. Unsecond lot est en attente d’hypothétiques commandes sur six ans, mais dans le meilleur des cas il faudrait tenir jusquelà.
L’atout de l’usine de Bergerac est d’être laseule unité spécialisée dans les traverses de tout le grand SudOuest. Elle a ainsi équipé la LGV et la ligne BergeracLibournerécemment rénovée. Ce qui n’a pas empêché l’italien Margaritelli de livrer en 2015 quelque 400 000 traverses pour la LGV BordeauxParis… De quoi douter de l’argument de proximité. Avec trente et un ans
passés dans cette seule entreprise, PascalHivert accuse le coup : « A cinq ans de laretraite et avec mon épaule qui fatigue, sion fermait, je n’aurais aucune chance de retrouver du boulot. Mais ce serait plus grave encore pour les plus jeunes. » Les employés se retournent alors parfois avec nostalgie vers l’histoire de leur usine, caractéristiquedes restructurations mondialisées.
DésarroiAncienne entreprise Chagnaud, héritière des anciens maçons de la Creuse « montés » à Paris, elle réalisait toutes sortes des produits en béton, employait 120 personnes en 1989, avant d’être rachetée et de passer dans les mains d’Urba, de SaintGobain,de perdre du personnel, de se spécialiser, pour devenir un atome dans le groupe irlandais CRH, un des principaux producteurs de matériaux de construction, avec 60 000 salariés dans le monde. Au service commercial, Noam Kaddour, 45 ans, vingt ans dans l’entreprise, après son père qui ya passé trentecinq ans, confirme : « Nous sommes évidemment inquiets, c’est plus quenotre travail, c’est notre vie. Et elle se décide
ailleurs. » Il espérerait notamment, à propos du marché ouvert aux Italiens, « qui ont parfois des coûts de transport ou des charges moindres, et nous empêchent à l’inverse d’entrer chez eux, que nos politiques se préoccupent, au niveau européen, de la nécessité des mêmes règles pour tous ».
Face au désarroi, la direction générale afait un geste en repassant le temps de travailà 39 heures par semaine jusqu’à la fin de l’année, contre 35 précédemment. Frédéric Geslin, conducteur de centrale à béton, délégué du personnel Force ouvrière, salue, mais rappelle que « si la commande baisse, un regroupement au minimum est à craindre, et ici, personne n’acceptera un déménagement à l’autre bout de la France. » Le mairede Bergerac, Jonathan Prioleaud, soulève une deuxième crainte : « Après avoir perdu d’autres entreprises nationales, si nous perdons cette industrie, c’est tout le tissu industriel et économique qui peut être touché car on perdrait aussi le fret ferroviaire, dont elle est un gros client à Bergerac. » La SNCF se serait alors tiré une balle dans le pied en prenant… ce chemin de traverses.
michel labussière (à périgueux)
A Bergerac, l’inquiétude des fabricants de traverses
0123SAMEDI 5 DÉCEMBRE 2020 économie & entreprise | 19
Pétrole : OPEP et Russie signent un accord fragile, après de longues discussionsLe cartel des pays exportateurs et son allié se sont mis d’accord, jeudi, dans un climat tendu, pour augmenter légèrement la production en janvier 2021, mais moins que prévu
A près quatre jours de tergiversations et des dizainesde coups de téléphone
entre ministres, le cartel des pays pétroliers a finalement trouvé,jeudi 3 décembre au soir, un accord pour tenter d’éviter une dégringolade des cours du baril. Mais ce « deal » alambiqué est loinde garantir que l’Organisation despays exportateurs de pétrole (OPEP) pourra maîtriser la volatilité des prix sur le moyen terme. Dans l’immédiat, il semble avoir rassuré le marché, le niveau du baril de brent, qui fait référence au niveau mondial, s’appréciait vendredi de 1,49 % à 48,97 dollars.
Les pays du cartel, la Russie etune dizaine d’autres pays pétroliers sont réunis dans le cadre del’alliance dite « OPEP + », qui a misen place, depuis 2016, une politique de quotas par pays. L’accordprolonge cette orientation, en permettant une légère augmentation de la production à partir du1er janvier 2021. Le consensus –trouvé difficilement – prévoit également des réunions mensuelles des pays pour contrôlerl’application de l’accord et sonéventuelle reconduction. Un débouché auquel ne s’attendaient pas les observateurs, et qui illustre au grand jour les fragilités del’alliance OPEP +.
Depuis le mois de mars, le marché mondial du pétrole fait face àun choc majeur. D’abord, les premières mesures de confinement en début d’année, en Chine, puis en Europe et aux EtatsUnis, ontconduit à une baisse jamais vue de la consommation. En avril, elle a ainsi chuté de 30 %, soit 30 millions de barils par jour consommés en moins. Surtout, cette crise
sanitaire s’est accompagnée d’unefulgurante guerre des prix entre les deux principaux moteurs del’alliance OPEP +, l’Arabie saoudite et la Russie. Incapables de se mettre d’accord sur la réponse à apporter à la crise, début mars, les deux pays ont augmenté leur production et baissé leurs prix. Cette guerre commerciale éclair a fait chuter brutalement les prix : le baril de brent, qui fait référence au niveau mondial, s’est retrouvé à 16 dollars en avril, et le prix sur le marché américain a même connuun épisode de prix négatifs : le 21 avril, le pétrole s’est brièvementéchangé à − 37 dollars le baril.
Effort collectifDepuis, sous la pression directe de Washington, un accord, là aussi sans précédent, a été trouvé fin avril. Les pays de l’OPEP + se sont engagés à réduire très fortement leur production. Ils ont retiré, en mai et en juin, plus de 9,7 millions de barils par jour du marché. Une très grosse partie de cet effort a étéassumée par l’Arabie saoudite et la Russie, qui ont chacune effectué une réduction de 2,5 millions de barils. L’accord initial prévoyait une trajectoire progressive de « retour à la normale » : en septembre, les réductions ont été ramenées à 7,7 millions de barils par jour. Et, au1er janvier 2021, ces quotas devaient être encore réduits à 5,8 millions. Mais ce plan ne prévoyait pas de deuxième vague de la pandémie, et donc pas la nouvelle baisse de la consommation.
Cet effort collectif a porté sesfruits : le cours du baril est remonté légèrement cet automne, pour se stabiliser autour de 45 dollars. L’Arabie saoudite esti
mait en début de semaine qu’il était raisonnable de prolonger de trois à six mois ces restrictions drastiques. Mais cette ligne a suscité la division au sein du cartel, oùplusieurs pays estiment que cette politique leur a coûté trop cher.
Certains Etats, comme l’Irak,n’ont pas vraiment respecté les restrictions. Par ailleurs, la Libye, où sévit une guerre civile imprévisible, a rouvert les vannes massivement. Résultat : certains des efforts ont été effacés par cette production supplémentaire. D’où la colère de pays comme les Emirats arabes unis, considérés comme lesbons élèves du cartel. Abou Dhabi a bloqué les discussions, lundi 30 novembre, en exigeant un allégement des quotas. D’autant que la remontée des cours, ces derniers jours, portés par l’espoir qu’un vaccin voie le jour, a attisé lagourmandise de certains pays trèsdépendants des hydrocarbures.
C’est finalement cette ligne quil’a emporté, au détriment de l’Arabie saoudite, alors que le royaume semblait jusqu’ici mener d’une main de maître le cartel. Résultat : le nouvel accord prévoit que, au mois de janvier 2021, les pays pourront ajouter 500 000 barils par jour, et cette logique pourrait être reconduite en février et en mars, en fonction du marché. Ceux qui
n’ont pas respecté leurs quotas ces derniers mois seront soumis à un traitement particulier et devront compenser en produisant moins.
Un dispositif compliqué à mettre en place, mais qui permet surtout de préserver une unité de façade indispensable pour l’OPEP +visàvis des grands pays consommateurs, comme la Chine. « En ne trouvant un accord que sur le moisde janvier, l’alliance se laisse letemps de voir si les campagnes devaccination vont permettre defaire repartir la demande. Mais la réunion d’aujourd’hui est un rappel sérieux qu’un accord n’est jamais certain avant la fin des discussions », analyse Paola RodriguezMasiu, de Rystad Energy.
Sur le long terme, ce énième épisode de crispation au sein de l’alliance OPEP + annonce des jours compliqués. En 2016, lorsque la Russie et l’Arabie saoudite s’étaientrapprochées pour décider ensemble de baisses de la production, peu d’observateurs croyaient à leur capacité d’imposer à leurs partenaires des quotas massifs. Moscou et Riyad ont pourtant réussi à tenir pendant près de quatre ans ce partenariat improbable.
La crise sanitaire vatelle sonner le glas de cette alliance contrenature entre deux des plus grandsrivaux du pétrole mondial ? La réunion de jeudi a illustré une nouvelle fois le poids prédominant pris par la Russie, qui n’est pas membre de l’OPEP, dans le pilotage du marché : le vicepremierministre russe, Alexander Novak,a présidé la réunion et n’a pas partagé ce rôle avec le ministre saoudien, comme lors des précédentesrencontres.
nabil wakim
Les réformes fiscales ont amélioré le niveau de vie des FrançaisSelon l’Insee, les classes intermédiaires ont le plus bénéficié des réformes, leur gain de pouvoir d’achat allant jusqu’à 340 euros par an
L es diverses réformes fiscales ou sociales mises enœuvre en 2019, dont desmesures « de pouvoir
d’achat » prises pour répondre à lacolère des « gilets jaunes » ontelles atteint leur cible ? A cette question, l’Insee, qui a publié jeudi 3 décembre dans son « Portrait social 2020 » une étude fouillée sur le sujet, répond par l’affirmative : non seulement les réformes ont bien conduit à une améliorationdu niveau de vie moyen des Français, mais elles ont permis de réduire les inégalités et de faire baisser le taux de pauvreté de 0,2 %.
Le niveau de vie des personnesrésidant en France métropolitaine s’est élevé de 0,8 % en moyenne en 2019, selon les statisticiens nationaux, grâce à la conjonction des réformes fiscales et sociales. Si l’on prend en compte
l’impact sur une année pleine− certaines réformes n’étant intervenues qu’en cours d’année −,celuici s’élève à 1 % en moyenne,soit 250 euros par personne.
Mais il diffère significativementselon les niveaux de revenus. Les classes intermédiaires sont celles qui ont le plus bénéficié de ces réformes. Le gain de pouvoir d’achatgrimpe jusqu’à 340 euros par an pour certaines catégories de la population. Les 10 % les plus riches, eux, n’ont quasiment rien gagné (30 euros par personne), alors que les 30 % les moins favorisés sont,en termes relatifs, mieux lotis avec une hausse du niveau de vie de 1,8 % en moyenne.
Baisse des prélèvements directsQuant aux 10 % les plus pauvres, ils ont vu leur niveau de vie gagner 160 euros par personne. Les ménages actifs (dont la personne de référence est en emploi) ont étédavantage gagnants que ceux dont la personne de référence est sans emploi. Cet effet est dû à la nature même des mesures : l’exonération des heures supplémentaires et la revalorisation de la prime d’activité, qui contribuent àrelever leur niveau de vie de280 euros par an. Autres gagnants des réformes, les retraités des classes moyennes : la baisse de la CSG contribue à augmenter le niveau de vie de 220 euros par an.
D’un point de vue macroéconomique, la hausse du revenu disponible due aux réformes mises enœuvre en 2019, calcule l’Insee, est de 11,5 milliards d’euros, principalement en raison de la baisse des prélèvements directs qui représentent 8 milliards d’euros. Les prestations sociales génèrent, elles, 3,5 milliards d’’euros de revenus supplémentaires.
Pour parvenir à ces résultats,les statisticiens ont travaillé sur l’impact consolidé des nombreuses réformes à l’œuvre en 2019.D’une part, la poursuite de réformes engagées en 2017, lors del’arrivée d’Emmanuel Macron àl’Elysée, telles que la suppressionprogressive de la taxe d’habitation sur les résidences principales, la revalorisation de l’allocation aux adultes handicapés etdu minimum vieillesse.
A cela s’ajoute la mise en œuvredes mesures d’urgence économi
que et sociale : augmentationsubstantielle de la prime d’activité pour les travailleurs modestes, exonération de cotisationssociales et d’impôt sur le revenupour les heures supplémentaires, réintroduction d’un taux réduit de contribution sociale généralisée (CSG) pour les retraités.
Certaines aides spécifiques,comme le chèque énergie, sontégalement prises en compte,tout comme l’impact de lahausse des taxes sur le tabac. Anoter que certaines prestations, telles que les prestations familiales ou les allocations logement,sont restées en 2019 sousindexées par rapport à l’inflation. Elles ont donc joué négativement sur les niveaux de vie.
D’autres mesures mises enœuvre en 2019, en revanche, n’ontpas été prises en compte. Il s’agit de l’instauration du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, de l’exonération sociale et fiscale de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat ou encore de lamise en place de la complémentaire santé solidaire. Quant à la hausse de la fiscalité sur le tabac,elle a pénalisé l’ensemble de la population de 50 euros en moyenne,riches ou pauvres. Les plus modestes ont donc été, en termes relatifs, plus impactés par cettehausse des taxes.
béatrice madeline
Le niveau de vie des personnes
résidanten France
métropolitaines’est élevé
de 0,8 % en 2019
Comme une machine à voyager dans le temps, la crise sanitaire, venue du fond des âges, nous a, à bien des égards, projetés dans le futur. Les projections des experts sur le développement du télétravail, de la médecine à distance ou du commerce en ligne, qui prenaient l’année 2025 comme horizon, se sont concrétisées en moins d’un an.
L’accélération du temps pour larecherche vaccinale a été tout aussi spectaculaire. Il aurait donc été étonnant qu’il n’en soit pas de même du côté obscur de la révolution numérique. Jeudi 3 décembre, des chercheurs en sécurité informatique d’IBM ont affirmé avoir détecté une attaque massive visant ce qui promet d’être l’un des plus grands défis logistiques de l’histoire : le déploiement de vaccins antiCovid sur l’ensemble de la planète.
Les pirates s’en prennent à sonpoint faible, la chaîne du froid et ses milliers d’acteurs. Les premiers produits en cours d’autorisation, ceux de Pfizer/BioNTech et de Moderna, nécessitent une conservation à très basse température, – 70 °C pour le premier, – 20 °C pour le second, parfois dans des pays démunis d’infrastructures adéquates.
CyberguerreSelon les analystes d’IBM, les pirates ont usurpé le mail de dirigeants de la société chinoise Haier Biomedical, l’une des rares sociétés au monde à maîtriser de
bout en bout cette chaîne du froid (on l’apprend au passage), pour obtenir des informations sur les programmes de vaccination et introduire des logiciels malveillants dans les ordinateurs de nombreux acteurs de cette chaîne logistique : la direction des douanes de la Commission européenne, l’alliance mondiale GAVI pour les vaccins destinés aux pays pauvres, et tous les acteurs industriels du programme CCEOP, mis en place internationalement pour distribuer, à basse température, les vaccins.
Pour les experts de la société informatique américaine, la sophistication de l’attaque et son absence d’intérêt économique immédiat les conduisent à pencher pour la thèse de pirates « étatiques ». Ce n’est pas la première fois que de telles tentatives sont dévoilées. La société américaine spécialiste du froid Americold Realty Trust a affirmé fin novembre avoir fait l’objet d’une offensive similaire. Depuis un mois, les attaques pleuvent sur les producteurs de vaccins euxmêmes. Microsoft en a repéré en provenance des deux pays spécialistes du genre, la Russie et la Corée du Nord.
La cyberguerre est donc déclarée, avec ses dissimulations, ses mensonges et ses mystères. Et elle s’attaque à l’un des fondements de notre société moderne, son organisation économique en réseaux mondialisés et interconnectés. Mais sans cette organisation, il n’y aurait jamais eu de vaccins non plus.
philippe escande
PERTES & PROFITS | VACCINSpar philippe escande
Coup de chaud sur la chaîne du froid
AÉRONAUTIQUERyanair : commande de 75 Boeing 737 MAXLa compagnie irlandaise à bas coûts Ryanair a annoncé, jeudi 3 décembre, une commande géante de 75 Boeing 737 MAX. Un contrat estimé à plus de 7 milliards de dollars (environ 5,7 milliards d’euros).
Cloué au sol depuis la mimars 2019, après deux catastrophes, qui ont fait 346 victimes, le Boeing a reçu le feu vert des autorités américaines de l’aviation pour reprendre les airs. Les premiers vols devraient intervenir fin décembre 2020 aux EtatsUnis.
La Libye, où sévitune guerre civile
imprévisible, a rouvert
les vannes massivement
LE CHIFFRE
11,5 MILLIARDSC’est, en euros, la hausse du revenu disponible due aux réfor-mes mises en œuvre en 2019, selon l’Insee, principalement en raison de la baisse des prélève-ments directs, qui représentent à eux seuls 8 milliards d’euros.
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20 | économie & entreprise SAMEDI 5 DÉCEMBRE 20200123
Près de Berlin, le grand chambardement automobile d’Elon MuskA Grünheide, à trente kilomètre de la capitale allemande, la Gigafactory, future usine européenne du constructeur américain Tesla, sort de terre à une vitesse stupéfiante. Un projet qui ne bouscule pas seulement les riverains
REPORTAGEberlin correspondance
L a berliner Schnauze, la« grande gueule berlinoise », est une sortede dialecte de la région de BerlinBrandebourg, reconnais
sable à son ich (« je »), durci en ick, et à son humour jovial, affranchi de toute forme de politesse. On ydécèle aussi, souvent, une certaine mauvaise humeur, les blessures de la réunification et l’idée sousjacente que les choses ne sont jamais aussi belles que « ceuxd’en haut » veulent bien nous le faire croire. C’est avec sa Schnauzedes grands jours que Thomas Gergs, chauffeur de taxi à Erkner(Brandebourg) depuis 1975, nous fait faire le tour du grand projet dont il est riverain, à son corps défendant : la Gigafactory de Tesla, la future usine automobile et de batteries d’Elon Musk, à Grünheide, au sudest de Berlin, dans leBrandebourg.
« Il a vraiment fallu qu’il viennes’installer chez nous, celuilà !, s’emporte notre chauffeur, sans masque. Tu ne trouves pas qu’il aurait pu se mettre 100 km plus à l’est ? Làbas, dans la Lusace, ils vont fermer les mines de lignite ! C’est déjà pollué, il n’y avait qu’à se mettre dessusnon ?, déclaretil, agacé. Moi, l’industrie je suis pour, en général, mais il faut que ça reste de taille raisonnable. Et puis l’eau ? Déjà qu’on en manque ici en été ! Ce type va nous assécher avec son usine ! »
Rien, dans le mégaprojet du patron du constructeur automobile américain ne trouve grâce à ses yeux : ni les 12 000 emplois industriels directs créés (qui pourraientmonter à 40 000 au total, selon l’entrepreneur), ni les retombées pour les soustraitants locaux, ni les engagements environnementaux de Tesla. « Je sais bien que je suis un peu pessimiste, concèdetil, mais j’en ai vu d’autres, depuis 1990. Je ne pense pas que les gensd’ici profiteront des emplois créés. » Il n’est pas le seul à nourrirle scepticisme. Depuis plusieurs mois, d’autres riverains en colère, opportunément alliés à des militants écologistes, s’opposent au projet, sous l’œil des caméras.
BÉNÉDICTIONSLe bouillonnant entrepreneur californien perturbe la tranquillité des habitants du coin. Le cheflieu Erkner et ses environs, cesont quelques centaines de maisons individuelles avec jardin, aumilieu d’une région idyllique faite de lacs aux eaux limpides et de plantations de pins à perte de vue. A part le SBahn (équivalent du RER) vers Berlin, rien ne vient rappeler la présence de la tapageuse métropole, distante de seulement 35 km.
A Potsdam, capitale régionale,on s’efforce d’apaiser les inquiétudes locales. Une « task force » a étémise sur pied par le gouvernement et répond patiemment aux questions, par téléphone et grâce à un site très fourni. On y apprend, par exemple, que le site de l’usine, idéalement sis sur un nœud autoroutier et ferroviaire, avait déjà été préempté par la région pour un projet industriel il y a vingt ans. Les précautions envi
ronnementales incluent des replantations d’arbres très supérieures à la surface défrichée ; le transfert, en toute sécurité, des onze fourmilières, des pipistrelleset des espèces indigènes de lézards dérangés ; et un approvisionnement en eau, assuré par plusieurs réserves, pour préserver la nappe phréatique locale. Même les Verts locaux ne trouvent rien à redire au projet, qui estapprouvé par 82 % de la population du Land, selon un sondagedu mois de février.
Pour le reste, répète le ministreprésident socialdémocrate duBrandebourg, Dietmar Woidke, la Gigafactory représente « le plus gros investissement privé jamaisréalisé dans la région depuis la réunification ». Comme si ce titren’était pas suffisant, Elon Musk ena ajouté un autre, le 25 novembre, lors d’une conférence européenne sur les batteries, organisée en ligne par le ministère del’économie. Le même site deGrünheide deviendra, à terme, « la plus grosse usine de cellules de batteries du monde, » atil assuré par visioconférence, depuis la Californie. Difficile, pour les politiques soucieux de réindustrialisation, d’emplois et de transitionautomobile vers l’électrique, de ne pas voir tous ces projetscomme des bénédictions…, quitteà devoir régulièrement ravalerleur fierté.
Car la Gigafactory d’Elon Muskne bouscule pas seulement les riverains de Grünheide. Si l’entrepreneur aime dire qu’il trouve le pays et son ingénierie « fantastiques », son usine est aussi un gigantesque pied de nez à une certaine culture allemande. Celledont on vante moins les atouts àl’international : ses lenteurs, sa bureaucratie, ses arrogances et son aversion au risque.
UN CONCURRENT SOUS-ESTIMÉElon Musk, de passage à Berlin pour évaluer l’avancée des travaux, a encore ébranlé quelques certitudes, mardi 1er décembre. Interrogé par le président du groupemédia Axel Springer, Mathias Döpfner, qui lui remettait le prixde la personnalité la plus innovante de l’année, sur l’endroit où il comptait passer la nuit, M. Musk a répondu qu’il s’était fait installer un lit… dans l’usineen travaux. « C’est pour avoir une meilleure impression de l’endroit »,atil expliqué devant un parterre de grands patrons médusés.
« I believe in speed » (« Je crois enla vitesse »), déclaraitil aux dizaines de journalistes venus rapporter une de ses visites sur le chantier, fin septembre. Personne n’a eu le cœur de lui demander ce qu’il pensait de l’invraisemblablechantier voisin de l’aéroport de BerlinBrandenbourg, qui a ouvert le 4 novembre… quatorze
ans après le premier coup de pioche. M. Musk, lui, prévoit de lancer la production de son usine dèsjuillet 2021, soit dixhuit moisaprès avoir annoncé son choix de s’installer en Brandebourg.
A Grünheide, entre les pins etles lacs, l’usine Tesla pousse littéralement à vue d’œil. Le gros œuvre est déjà achevé. Pour contourner les lenteurs administratives, Tesla a pris le risque de travailler avec des autorisations provisoires, quitte à devoir changer ses plans… ou bien tout démolir.Au minimum, 4 milliards d’euros seront investis pour que 500 000 voitures électriques par an puissent sortir des chaînes de montage d’ici à 2022, ainsi que, plus tard, des milliers de batteries. Tout cela, très loin des grands bastions traditionnels de l’automobile (BadeWurtemberg, Bavière et BasseSaxe) : à l’est, près de Berlin, la capitale pauvre longtemps moquée par l’ouest du pays. Aupays de « das Auto », on peine à se remettre de tant d’audace.
OutreRhin, il a fallu le scandaledu « dieselgate », en 2015, pour convaincre le premier constructeur (et numéro un mondial), Volkswagen, de se mettre sérieusement à l’électrique. Les patrons allemands n’ont longtemps cru niau marché ni au modèle économique des voitures sur batteries.« J’ai du respect pour Tesla, mais j’en ai aussi pour ses pertes finan
cières », déclarait, en 2017, dubitatif, Matthias Müller, le PDG d’alors. Son successeur à la tête dugroupe, Herbert Diess, lui, ne rate pas une occasion de poster desphotos de lui avec Elon Musk sur les réseaux sociaux. Il tente depuis deux ans de transformer lenavire Volkswagen en un grand constructeur électrique du niveau de Tesla… et ne cache pas la difficulté de la tâche.
« Tesla est pour nous un benchmark [une valeur de référence]. Ilbouscule toute la branche automobile allemande », soulignaitil avec admiration, début novembre. BMW s’était bien lancé aussi dans l’électrique dès 2013, avec une usine à Leipzig (Saxe), mais leconstructeur a payé très cher son rôle de pionnier. La petite BMWélectrique i3 n’a jamais eu le succès escompté, et le groupe a dû rétropédaler quelques années aprèsface aux coûts de l’opération.
Quant à l’idée d’une fabricationde cellules de batteries en Allemagne, elle a été, au départ, purement et simplement écartée par les grands soustraitants commeBosch ou Continental, qui jugeaient plus efficace d’importerd’Asie les précieuses piles, pourtant au cœur de la valeur ajoutée de la voiture. Il a fallu toute la conviction du ministre de l’économie, Peter Altmaier, soutenu par son homologue français Bruno LeMaire, pour lancer une politiqueindustrielle pour des batteries « made in Europe ».
L’initiative, moquée par certains milieux économiques comme « d’inspiration chinoise »,commence pourtant à porter ses fruits : l’Allemagne a reçu sept projets d’implantation d’usinesde batteries, ce qui devrait faire d’elle le leader industriel européen. Mais beaucoup reste à faire.« Les constructeurs traditionnels et leurs soustraitants ont sousestimé que Tesla avait développé un nouvel “écosystème” de voiture électrique, incluant un modèle économique numérique, un logiciel très innovant et la maîtrise complète du système de batterie », souligne Markus Schmidt, consultant expert en transformation numérique et mobilité, enseignant à l’université de Reutlingen(BadeWurtemberg).
Le dernier affront d’Elon Musk àl’Allemagne sera peutêtre l’un des plus délicats. Il a décidé de se passer d’IG Metall, le puissant syndicat de l’industrie métallurgique et automobile. Et pour cause : le patron exige de ses salariés un investissement personnel et une flexibilité en décalage total avec la convention collective de l’automobile allemande. En échange, le salaire d’entrée chez Tesla Grünheide commencera à 2 700 euros brut, quel que soit le niveau de qualification, contre 2 400 euros versés en moyenne dans la région. IG Metall,conscient des enjeux considérables de la transformation actuellede l’industrie sur l’emploi, s’est efforcé jusqu’ici de ne pas lever trop haut le drapeau rouge. Mais la trêve pourrait être de courte durée. L’émerveillement passé, le choc culturel entre l’entrepreneur pressé et le management à l’allemande pourrait être rude.
cécile boutelet
PLEIN CADRE
Elon Musk, le patronde Tesla, sur le chantier de l’usine de Grünheide, à l’Est de Berlin,le 3 septembre.ODD ANDERSEN/AFP
200 km
Tesla
Mer du Nord
BRANDEBOURG
ALLEMAGNE
Berlin
Francfort
DüsseldorfPotsdam
ErknerGrünheide
Au minimum, 4 milliards
d’euros seront investispour produire
500 000 voituresélectriques paran d’ici à 2022
0123SAMEDI 5 DÉCEMBRE 2020 argent | 21
de temps. Au menu, notamment, deux paires issues d’une « collab » avec Nike, estimées entre 9 000 et 12 000 dollars. La maison Sotheby’s propose, quant à elle, en lignedu 7 au 16 décembre, une « collab »surprenante entre Adidas et la manufacture de porcelaine de Meissen, associant cuir et rehaut de céramique.
Les premières ventes de basketsd’occasion ont débuté à la fin des années 1970, lorsque les marquesde sport ont commencé à s’associer à l’aura de personnalités à succès. En 1978, Adidas lance lemodèle Stan Smith, du nom du célèbre tennisman américain. Il faut toutefois attendre le lancement, en 1985, par Nike de la Air Jordan 1, conçue pour la légende du basketball Michael Jordan,pour faire basculer les sneakers dans une autre sphère. « C’étaitune révolution, se souvient BrahmWachter, directeur du développe
ment numérique chez Sotheby’s.Les gens voulaient les acheter pourjouer au basket, mais juste aussi pour se chausser. Porter des sneakers est alors devenu cool. »
EmballementLa danse s’en empare : le chorégraphe Maurice Béjart en chausseses interprètes. Mais c’est surtout le milieu du hiphop qui popularisera les baskets, avec notamment le tube My Adidas, du groupe de rap américain RunDMC. Depuis, le marché s’est emballé. Une paire de Nike Dunk Pigeon qui valait 200 euros en 2005s’échange autour de 1 500 euros sur le site spécialisé Stokx.com. Bien que les baskets séduisent toutes les générations, le marchéreste dopé par les jeunes. Les acheteurs des principaux lots de la vente « Cult Canvas », en septembre chez Sotheby’s, étaientainsi âgés de 20 à 30 ans.
Pour qu’une paireprenne de la valeur,
elle doit n’avoir jamais été utili
sée et venir danssa boîte d’origine. Exceptionnotable : lesbaskets portéespar Michael Jordan lors de ses
matchs décisifs.En mai, une paire
portée et signée par lebasketteur a ainsi été adjugée
à 560 000 dollars chez Sotheby’s. Trois mois plus tard, Christie’s établissait le record de 615 000 dollarsavec une autre paire estampillée Michael Jordan. « Tout au long de sa carrière, Jordan changeait souvent de baskets pour chaque jeu et, par conséquent, il existe une grande variété de modèles dans diverses conditions sur le marché », observe Brahm Wachter, confiant dans l’augmentation des prix « au fur et à mesure que se construira l’héritage Jordan ».
Le boom est tel que Christie’ss’est associé au leader du marché, Stadium Goods, pour développer ce segment aux enchères. En août,le duo proposait en ligne onze paires portées par Michael Jordan. Trois nouvelles ventes de sneakerssont prévues en 2021, soit « l’offre la plus importante jamais mise aux enchères », affirme Caitlin Donovan. C’est dire si, malgré la pandémie, ce marché est bien dans ses baskets !
roxana azimi
Changer de mutuelle santé est plus facileIl est désormais possible de résilier librement son contrat après un an d’engagement
D epuis le 1er décembre,résilier sa mutuelledevient plus simple.Jusqu’à présent, chan
ger de contrat s’apparentait plutôt à un parcours du combattant. La complémentaire santé était reconduite chaque année tacitement. Pour en changer, à de rares exceptions près, il fallait envoyer à son assureur une lettre recommandée au moins deux mois avant l’échéance de son contrat (date de souscription ou au 1er janvier selon les cas) et, à force d’attendre le bon moment, de nombreux assurés rataient finalement l’occasion de le faire.
La loi permet désormais de résilier son contrat à tout moment, dès sa première date d’anniversaire, comme cela est le cas depuis plusieurs années déjà pour les assurances automobile, moto et habitation. Cette mesure a été adoptée en juillet 2019, mais undécret publié le 25 novembre enprécise les modalités pratiques. Elle concerne aussi bien les contrats souscrits auprès d’une mutuelle, d’un assureur, qued’une institution de prévoyance, puisque ces trois organismespeuvent les commercialiser. Elle s’applique également aux complémentaires santé souscrites à titre individuel (étudiants, fonctionnaires, indépendants, retraités) ou collectif dans le cadrede l’entreprise (salariés). Dans ce
dernier cas, seul l’employeur a lapossibilité de résilier le contrat si celuici est obligatoire. Ce nouveau mode de résiliation s’applique, enfin, à tous les contrats couvrant les risques liés à la santé(maladie, maternité, accident) et aux autres garanties mentionnées dans le contrat (décès, invalidité, protection juridique…).
Il existe deux possibilités pourchanger d’assureur. Soit – et c’est le plus pratique – le nouvel organisme choisi effectue les formalités à la place de son client. Pour cefaire, il doit connaître le nom duprécédent assureur, le numéro del’ancien contrat ainsi que le nom, la date de naissance et l’adresse de l’assuré. « Il doit garantir l’absence d’interruption de la couverture santé durant la procédure »,précise Thibault Galas, avocat aucabinet Fromont Briens.
La fidélité rarement avantageuseSoit la résiliation est faite par l’assuré luimême. « Il suffit d’en fairela demande par un email, un courrier simple ou une lettre recommandée », ajoute ThibaultGalas. Elle prend effet un mois après que l’organisme en a reçu lanotification. « L’ancien assureur doit aussi rembourser les cotisations versées en trop dans un délaide trente jours suivant la résiliation », ajoute Thibault Galas. C’est à l’assuré de veiller à ce que le paiement soit bien effectué.
Changer d’assurancesanté àtout moment est une mesure défendue de longue date par les associations de consommateurspuisqu’elle permet de faire jouer plus facilement la concurrence. Les établissements, mutuelles en tête, s’y sont longtemps opposés, car elle favorise la mobilité des assurés et engendre des coûts supplémentaires à assumer. « Lapossibilité de résilier à tout moment ne devrait pas révolutionner le marché, mais elle pourrait faire bouger les lignes avec letemps et favoriser les organismes les plus compétitifs », souligne Nicolas Arzur, directeur juridiquedu courtier Santiane.
Car rester fidèle à son assureurest rarement avantageux. Les tarifs des complémentaires santéne cessent d’augmenter et l’année 2021 ne devrait pas faire exception puisque les organismesse sont vu imposer une taxe additionnelle liée à la crise due au Covid19. Or, ce coût supplémentaire sera certainement répercuté sur les cotisations. Selon le comparateur Lelynx.fr, les Français déboursent, en moyenne, 892 euros par an, un tarif qui varie du simple au double selon le profil del’assuré (situation familiale, âge, lieu de résidence). « On peut payer moins cher ou s’assurer une meilleure couverture pour un prix comparable. Changer de contrattous les trois ans permet de fairedes économies sur sa cotisation, de 20 % en moyenne », estime
Julien Fillaud, directeur généraldu comparateur Hyperassur.
Les contrats proposent généralement une couverture debase (hospitalisation) à laquelles’ajoutent des garanties complémentaires (optique, dentaire…). Or, il est possible de rogner sur ces dernières puisque la réformedu « 100 % santé », mise en placeentre janvier 2019 et janvier 2021,donne accès à des lunettes, à desprothèses dentaires, et, bientôt, àdes appareils auditifs, dont la qualité est satisfaisante, sans débourser un euro.
Reste que choisir une complémentaire santé n’a rien d’évident. Il est difficile de s’y retrouver face au nombre élevé decontrats (plus d’une centaine demutuelles et d’assureurs en proposent). Surtout, les niveaux degaranties et de remboursementssont souvent opaques. Les organismes se sont toutefois engagés en 2020 à les rendre plus lisibles en harmonisant les libellés des principaux postes de garanties (hospitalisation, dentaire…)et en ajoutant des exemples desoins qui détaillent les montantsdes remboursements en euroset le reste à charge pour l’assuré.Toutefois, si les établissementssont incités à le faire, ils n’en ontpas l’obligation.
De plus, les assureurs doiventdésormais indiquer, lors de la souscription du contrat, le pourcentage moyen de « redistribution » à leurs clients. Ce taux représente un bon indicateur desfrais de gestion prélevés par l’établissement et des marges qu’il peut réaliser. En pratique, plusil est élevé, plus il est favorable aux adhérents. L’association de consommateurs UFCQue choisir vient de mettre en demeure cinq organismes de se conformer à cette obligation d’information,en indiquant leurs ratios de redistribution sur les devis remis auxpotentiels futurs assurés.
pauline janicot
QUESTION À UN EXPERT
Intérêt successoral du plan épargne-retraite par rapport à l’assurance-vie ?william pulka, conseiller en gestion de patrimoine chez Altaprofits
L’assurance-vie finance vos projets (rachats partiels et avances assu-rent votre besoin de liquidités) ; en plus de ses avantages fiscaux, c’est un outil de transmission de patrimoine. Votre plan épargne-retraite (PER), sauf cas de déblocages anticipés (achat de résidence principale, décès), a vocation à préparer un revenu complémentaire pour le mo-ment de votre retraite ; vos versements annuels sont défiscalisés. Deux régimes d’imposition cohabitent dans le code général des impôts. Avant 70 ans, l’article 990.I exonère les capitaux transmis jusqu’à 152 500 euros par bénéficiaire, puis taxe à 20 % jusqu’à 700 000 euros et à 31,25 % au-delà. Après 70 ans, 30 500 euros d’abattement sont ré-partis entre les bénéficiaires, puis les sommes sont taxées aux droits de succession habituels. Si le bénéficiaire du contrat est le conjoint ou le partenaire pacsé, les capitaux transmis sont totalement exonérés, avant et après 70 ans. Cette limite d’âge s’applique à l’âge du souscrip-teur au moment des versements pour l’assurance-vie, à l’âge de l’ad-hérent au moment de son décès pour le PER. Le PER peut être un outil de transmission dès lors qu’il a été souscrit auprès d’un assureur : il bénéficie de l’avantage fiscal successoral au même titre qu’une assu-rance-vie avant 70 ans. Au-delà de cet âge, il est souhaitable de privilé-gier l’assurance-vie pour un régime fiscalement plus avantageux.
ACTIONNARIAT SAL ARIÉUne valorisation moyenne en hausseL’indice Equalis, qui mesure la valorisation de sociétés non cotées ayant ouvert leur capital à leurs salariés (des entreprises non introduites en Bourse, mais dont les salariés peuvent détenir des actions), a grimpé de 13 % de juin 2019 à juin 2020, et de 169 % sur cinq ans, selon la société de gestion à l’origine du baromètre, qui entend donner une vision « du retour sur investissement pour les salariés actionnaires ». Bercy souhaitant que 10 % du capital des entreprises soit détenu par les salariés, plusieurs mesures récentes ont visé à doper l’actionnariat salarié et d’autres sont en discussion.
CETTE MESURE DÉFENDUE DE LONGUE DATE PAR
LES ASSOCIATIONS DE CONSOMMATEURS
PERMET DE FAIRE JOUER PLUS FACILEMENT LA CONCURRENCE
96 %C’est la part des Français couverts par une complémentaire santé, selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). Dans 53 % des cas, il s’agit d’un contrat indivi-duel souscrit par un particulier pour sa couverture personnelle et, éventuellement, celle de ses ayants droit. Dans 47 % des cas, il s’agit d’un contrat collectif souscrit par une entreprise au profit de ses salariés. Lorsqu’il est obligatoire, l’employeur prend alors en charge une partie des cotisations.
SOS CONSO CHRONIQUE PAR RAFAËLE RIVAIS
Il prête sa maison en échange de travaux...
M ettre sa maison de campagne à dispositiond’un tiers en échange de travaux est risqué,comme le montre l’histoire suivante.
Le 28 juillet 2009, Herbert X, citoyen allemand, écrit à son amie suisse Angelica Y. Pour la remercier de lui avoir prêté de l’argent, il lui donne un « droit d’habitation à vie » dans la résidence secondaire qu’il possède, en HauteSaône. « Il s’agissait d’un droit de jouissance ponctuel, pour les vacances », affirmetil en 2020, devant la Cour decassation. Mais il ne l’a pas précisé alors. Au contraire : une convention conclue le 24 novembre 2009 stipule que « Mme Y décide de la durée et de l’usage de sa présence ».
Angelica passe chaque année trois mois dans la maison,jusqu’en 2014. Elle annonce alors qu’elle va s’y installer à plein temps, pour sa retraite. Herbert n’est pas d’accord : il se débarrasse de toutes ses affaires et reprend possession des lieux. Angelica saisit la justice et demande qu’il lui verseune rente à vie pour l’indemniser de la rupture de son « bailviager », dont le terme devait être son décès (à elle).
Le tribunal d’instance de Vesoul (HauteSaône) considère que le contrat qu’ils ontconclu en 2009 n’était pas un « bail » caril ne prévoyait pas de loyer. Or, aux termes de l’article 1709 du code civil, « lelouage des choses » ne peut se faire que« moyennant un certain prix ». Devant lacour d’appel de Besançon, Angelica faitvaloir que la jouissance des lieux n’était« pas gratuite » : elle avait pour « contrepartie » une contribution aux chargesd’énergie ainsi que la réalisation d’im
portants travaux de rénovation, auxquels elle a consacré « des milliers d’heures de travail ».
La cour d’appel admet que « cette contrepartie constitue unprix, et caractérise un contrat de bail », conclu, en l’occurrence, « pour la durée de la vie ». Elle juge que M. X ne pouvait mettre fin à ce contrat tant que la locataire remplissait ses engagements. Elle le condamne donc à indemniser son préjudice. Celuici étant « égal au prix que (…) coûterait [àMme Y] la location d’un bien identique pour la même durée »,soit 600 euros par mois, sur douze mois, pendant vingttrois ans (compte tenu de son espérance de vie), il doit lui verser une rente de 167 248 euros. A laquelle s’ajoute le remboursement du préjudice moral et celui des affaires jetées.
Herbert se pourvoit en cassation. Il soutient que la juridiction ne pouvait indemniser Mme Y sur la base d’un bien« loué à l’année », alors que sa maison était « destinée àl’usage de résidence de vacances ». La Cour constate, le 22 octobre 2020, que la jouissance de cette maison a été accordéeà Mme Y « quel que soit son usage » – ponctuel ou permanent.Elle rejette sa demande.
LA LOCATAIRE AFFIRME QU’ELLE
DISPOSED’UN BAIL VIAGER
DONT LE TERME EST SON DÉCÈS
CLIGNOTANT
Deux paires de Supreme Nike (Est. : 9 00012 000 dollars). CHRISTIE’S
COLLECTION
Les sneakers, un marché bien dans ses baskets…
D epuis longtemps déjà, lesbaskets ont quitté les terrains de sport pour les
podiums du luxe et les socles des musées. En témoigne l’exposition « Playground » au Musée des arts décoratifs de Bordeaux. Emblème des minorités urbaines et de la contreculture, les sneakers sont devenus populaires et branchés, accessibles et onéreux. « Aucun autre objet de design ne fait à ce point l’unanimité dans tous les milieux sociaux », constate Constance Rubini, directrice du musée.
Un engouement entretenu parle lancement quasi hebdomadaire d’un nouveau modèle, queles fans achètent à prix d’or. Ainsi de la série limitée Dior × Air Jordan, écoulée en juin en quelquesheures au prix pourtant prohibitif d’environ 2 000 euros. C’estque le potentiel de revente de cette « collab » entre la maison de couture et la marque américaineest énorme.
Selon un rapport de Cowen & Copublié en avril 2019, le second marché des baskets était estimé à 2 milliards de dollars (environ 1,65 milliard d’euros), dominé à 90 % par la marque Nike. « Il devrait atteindre plus de 6 milliards de dollars d’ici à 2025 », complète Caitlin Donovan, responsable des ventes de sacs à main et accessoires chez Christie’s. Celleci organise d’ailleurs, du 1er au 15 décembre, une vente autour de Supreme,la marque référente autour dustreetwear, dont toute nouvelle collection est épuisée en un rien
22 |horizons SAMEDI 5 DÉCEMBRE 20200123
A Culiacan, les traficset la mort
A tous, je pars de l’hôtel Tres Riospour le quartier de l’église de laLomita ; la route est claire ? Avous. » Comme avant chaquedéplacement, l’homme ducartel de Sinaloa qui me
transporte dans son pickup blanc sort son smartphone et diffuse ce message sur le réseau spécial auquel sont connectés tous les« narcos » en circulation dans Culiacan, ainsi que les dizaines de guetteurs postés jour et nuit aux grands carrefours de la ville. Le Wazede l’organisation, en quelque sorte. Une minute plus tard, la réponse tombe dans un grésillement : « Ne bouge pas, barrage de l’arméeen cours sur l’avenue Rosales. »
Après une demiheure d’attente, la voie estlibre. « Les flics, c’est tranquille, ils bossent touspour nous, lâche le conducteur, en saluantd’un coup de klaxon deux agents qui contrôlent une file de voitures mais nous laissent passer. Le seul problème, c’est les militaires. Ilsne prennent pas le fric. Si on est arrêtés par unepatrouille, tu mets tout de suite les mains sur le tableau de bord et tu pries pour que ça se passe bien. Eux, ils tirent avant de parler. »
A l’arrière du pickup se tient un hommed’une trentaine d’années, Miguel – les prénoms ont été modifiés. Casquette NYC (pourNew York City), polo de marque, jean etmocassins, il n’a pas l’allure habituelle desnarcos du cartel. Je l’ai rencontré quelques semaines plus tôt avec d’autres « cadres ». Samission : m’accompagner – et donc me surveiller – dans certains de mes déplacements, sans jamais me prévenir de sa présence. Il n’est pas armé. « Mais derrière, ilsont ce qu’il faut en cas de problème ! », meglisse le conducteur, en désignant une voiture suiveuse. Miguel est peu amène ; il atoujours évité de répondre à mes questions sur son rôle dans le cartel, sauf lorsque je luiai demandé s’il avait débuté comme sicario(« tueur à gages »). Il avait alors répondu,dans un sourire miindulgent, midédaigneux : « Oui, mais maintenant je fais enterrer des gens dans des fosses à la pelleteuse. »Autrement dit, il a franchi un échelon ; ildirige désormais les équipes de sicarios.
J’apprendrai par la suite que Miguel est unproche de l’un des principaux chefs de l’organisation. Conscient que ce qui m’intéresse n’est pas d’assister à leurs crimes maisde comprendre les rouages de leur modèleéconomique, son « boss » a fini par m’autoriser, après une longue approche, à venir surleur territoire, ici, à Culiacan (900 000 habitants). Charge à Miguel de m’ouvrir les portes de certains groupes.
NOCES DE CRYSTALLe trafic d’héroïne et de marijuana, les produits traditionnels du cartel, suppose des coûts importants, puisqu’il faut assurer les différentes phases de la production, de laculture agricole à sa transformation en produits stupéfiants. Alors, pour optimiser cebusiness et ses investissements, l’organisation s’est employée, dès les années 1980, àgagner des milliards de dollars de plus encommercialisant des produits qu’elle nefabrique pas ellemême, mais qu’elle secontente de transformer à peu de frais : lacocaïne et les drogues de synthèse.
Après une heure de route entre des collinesboisées, j’aperçois l’un des hommes de confiance de Miguel à l’extrémité d’un champ poussiéreux. Il me fait signe de venir à lui. Pistolet automatique à la ceinture, ce type àla carrure imposante m’annonce que nous devons faire vite car deux convois militairespatrouillent à proximité. Plus loin, dans unvallon encaissé, deux autres hommes, arméscette fois de fusils, sont postés sur un sentier.Nous marchons dans leur direction, pour atteindre finalement une sorte de cabanedont le toit est constitué de bâches vertes.
Sous cette installation rudimentaire s’alignent quatre petites cuves surmontées de « cheminées » en aluminium hautes d’unmètre cinquante. « Le mois dernier encore, onproduisait dans des labos comme celuici, mais l’armée repère les fumées, alors on continue la fabrication comme ça. C’est un peuplus long mais plus discret », indique Miguelen désignant, à 200 mètres de là, deux hommes en combinaison blanche. Ils se tiennenten plein air, au bord d’un haut fût de plastique jaune, gants en caoutchouc sur lesmains, capuche fermée et masque de chantier sur le visage. L’un d’eux brasse, à l’aide d’un long bâton, un mélange rougeâtre donts’échappent des fumerolles blanches. Aintervalles réguliers, son « collègue » y verse un liquide incolore : de l’acide sulfurique. Lesvapeurs deviennent vite irritantes, difficiles
MEXIQUE, L’EMPIRE DES CARTELS 2|3 Dans une enquête en trois volets, signée par Bertrand Monnet, professeur à l’Edhec et spécialiste de l’économie du crime, « Le Monde » plonge dans les rouages du cartel de Sinaloa. Deuxième épisode : la ville mexicaine sur laquelle les « narcos » règnent en maîtres
teries et de liquide de freins comme des nitrates ou du toluène. Cette fabrication lowcost permet de dégager des revenus énormes. Chaque année, des tonnes de crystal sont vendues aux EtatsUnis. Compter 55 dollars pour un gramme pur à 90 %.
Audelà de cette rentabilité maximale, laperformance économique du cartel vient del’efficacité de ses procédures et de la « qualité » de son management. Nous voici maintenant dans une petite rue de Culiacan. Unlong 4 x 4 Dodge gris aux vitres teintées est garé, moteur tournant. « Ok, tu peux y aller », annonce Miguel en désignant le véhicule.L’homme qui m’attend à l’intérieur figuredans le top 20 du cartel dans cette ville. Appelonsle Juan. Il a une fine cagoule noire, unfusil d’assaut M4 sur les genoux. Il lâche uninstant son arme pour me serrer la main,puis repose la sienne sur le chargeur du M4, décoré d’une tête de mort. Quatre de seshommes sont présents dans l’habitacle, tous encagoulés et équipés d’armes de guerre.
UNE COOPÉRATIVE DE 10 000 MEMBRESSur un signe de tête de Juan, le chauffeurdéboîte lentement et rejoint une artère fréquentée avant d’entamer un parcours dans les rues désertes, en ralentissant après chaque changement de direction, les yeux rivés àses rétroviseurs. Après vingt minutes d’un trajet silencieux, la voiture stoppe devant une modeste maison, semblable à toutes celles du quartier : l’une des nombreusesplanques du groupe de Juan à Culiacan.
Assis sur un fauteuil en plastique aumilieu du salon vide, celuici s’est séparé deson M4, mais garde son pistolet à la ceinture. A travers les grilles de la portefenêtre,l’un de ses affidés scrute les ouvertures et les toits des maisons alentour. Trois autresgardes l’encadrent, armes sorties. Ils craignent l’attaque d’un groupe rival.
Le cartel de Sinaloa a beau être une multinationale de la drogue, active dans plus de cinquante pays, et réaliser un chiffre d’affaires estimé à 3,5 milliards de dollars, ce n’est pas une entreprise pyramidale, mais plutôtune coopérative. Ses effectifs ? Environ10 000 membres, répartis en une cinquantaine de clans majeurs, euxmêmes subdivisés en divers groupes plus ou moins importants. Chaque clan contrôle un territoire dans l’Etat du Sinaloa, mais développe également son business vers les EtatsUnis et lereste du monde de façon autonome, en traitant avec ses clients et ses fournisseurs.
Pour autant, tous les clans obéissent à unétatmajor composé d’une dizaine de chefs, chargé des orientations stratégiques du cartel. C’est à ce niveau que sont prises les décisions de collaborer ou non avec des organisations étrangères, et à quelles conditions.C’est également l’étatmajor qui mène lacorruption des autorités politiques et administratives de haut niveau. Enfin, c’est luiqui arbitre les différends internes. Car dans
à supporter. « C’est dangereux. Si tu touches une goutte du mélange, tu es brûlé. Et il ne faut surtout pas respirer non plus, sinon, tu t’évanouis et tu brûles tes poumons. »
Resté dix mètres en arrière, le boss de lazone explique que ces hommes fabriquentdu « crystal », la méthamphétamine star aux EtatsUnis, un puissant stimulant psychiquequi, une fois synthétisé, se présente sous forme de cristaux translucides, d’où sonnom. Fumé, ingéré en gélules ou dilué dansde l’eau et injecté, le crystal, produit au Mexique, est consommé par plus de 2 millions de personnes aux EtatsUnis. Cette drogue très addictive a des effets secondaires terribles :altération de la bouche, dents rongées, démangeaisons chroniques, amaigrissementet, surtout, troubles mentaux sévères.
« C’est très facile à faire, précise l’adjoint deMiguel, il suffit de mélanger les ingrédients avec le bon dosage et au bon rythme. Après, onlaisse refroidir et ça donne la drogue solide en moins de quarantehuit heures. Tout ce qu’il y a à faire, c’est mélanger les bons produits. » D’après lui, ces « bons produits » sont d’un accès très simple : éphédrine (un composant demédicaments en vente libre pour le décongestionnement nasal), ammoniaque, alcool, acide sulfurique, antigel, gasoil, et une série de composants chimiques bon marché couramment utilisés dans l’industrie pour la production d’engrais, de climatiseurs, de bat
0123SAMEDI 5 DÉCEMBRE 2020 horizons | 23
une coopérative criminelle de cette taille,les conflits sont fréquents, et font chaque année des dizaines de morts.
A 30 ans, Juan commande une centained’hommes, implantés dans toute la ville. Comme lui, ils viennent des faubourgs lesplus démunis ou des villages alentour. Le groupe ainsi constitué est une sorte de « division » du clan auquel il est lié. Malgré les risques, beaucoup de jeunes sont prêts à tout pour intégrer ces structures. D’abord pour l’argent, bien sûr : environ 9 000 pesos (370 euros) par mois pour les hommes debase, soit le triple du salaire moyen dans le Sinaloa. Comme souvent dans ce cartel, les membres du groupe de Juan perçoivent aussiun petit complément de salaire en drogue, qu’ils peuvent au choix consommer ou revendre pour leur compte.
Audelà des pesos, c’est une forme de reconnaissance sociale que ces jeunes gens recherchent en s’engageant de la sorte dans la carrière criminelle. Dans cet Etat peu peuplé (3 millions d’habitants) du nordouest du Mexique, nombre de déshérités occultent lescrimes de cette mafia, pour ne voir en elle qu’une entreprise prospère, capable de vendre du poison aux gringos et de rapporter de l’argent aux pauvres.
Le cartel cultive volontiers cette image debienfaiteur. « Regarde, me lance l’un des gars de Juan en me tendant son iPhone. C’est ce que le groupe a fait tout à l’heure à ce salaud devoleur quand la dame nous a appelés. » Ouvrant un message sur WhatsApp, il lance une brève vidéo filmée depuis une fenêtre. On y voit un homme en blouson blanc s’approcher d’une voiture japonaise rouge garée dans une rue calme, puis en forcer la portière et quitter les lieux au volant, au grand dam dela propriétaire.
Sur une deuxième vidéo, le même voleurmarche sur le trottoir d’une avenue, puis s’enfuit en sens inverse à la vue d’une berline dont deux inconnus descendent pour lepoursuivre. Avec un sourire mystérieux, moninterlocuteur finit par ouvrir une photo montrant une tête coupée posée sur un corps vêtud’un blouson blanc… « N’ayez crainte, bonnes gens, ici, le crime organisé fait régner l’ordre » : tel est en substance le message que le cartel fait circuler en diffusant ce type d’images sur les réseaux sociaux pour s’assurer le soutien du petit peuple de Culiacan et, pluslargement, du Sinaloa.
La crise du Covid19 a dopé cette influencesociale. Face à l’ampleur de l’épidémie, les autorités fédérales et locales ont rapidement tenté d’imposer un confinement strict dans la région et ont déployé l’armée et la policeafin de le faire respecter. Des dizaines de milliers de personnes se sont alors retrouvéessans ressources, surtout dans les campagnes,où beaucoup de foyers précaires survivent grâce au travail journalier ou hebdomadairedu chef de famille. Dans le même temps, la pénurie de masques en ville a vite touché les
quartiers les plus pauvres, à l’habitat très dense, où plusieurs générations cohabitent souvent dans des maisonnettes exiguës.
Après quelques semaines de crise, le cartels’est posé en sauveur. Il a d’abord lancé la fabrication de masques de tissus dans de multiples ateliers de fortune, puis il a orchestré leurdistribution dans ces secteurs prioritaires. Quoi de plus simple pour une structure rompue à la production de cocaïne en pleine ville ?Le cartel a aussi mis en place une aide alimentaire à destination des villages situés sur son territoire, spécialement dans la Sierra Madre occidentale, son fief historique. Sur leurs fonds propres ou en levant des dons parmi leurs affidés, les clans ont financé l’achat de milliers de paniers de denrées qu’ils ont fait transporter dans les campagnes par des convois de 4 × 4, à grand renfort de vidéos postées sur les réseaux sociaux. Chaque panier portait le nom du cartel ou de ses donateurs.
MARCHÉ ULTRACONCURRENTIEL« Qu’estce que tu veux savoir ? On n’a pasbeaucoup de temps. » Les hommes de Juansont nerveux. Deux d’entre eux prennentun long trait de cocaïne dans un petit sac depoudre, en gardant la crosse de leur arme àla main. Veste de treillis, gilet de combat… On jurerait des guérilleros. Pourtant, il n’en est rien : Juan n’est pas un chef rebelle, maisle manageur d’une « business unit » du cartel. Et, comme toutes les structuresopérationnelles de l’entreprise, celleci estcomposée de trois « départements ».
Le premier, une unité d’une quinzaine desicarios, est chargé de la sécurité. « Les gars quetu vois ici ont déjà tué plusieurs fois », prévient Juan. Tous les membres du clan débutent ainsiet subissent une sélection impitoyable : soit le jeune est tué par l’armée ou par un clan rival, soit il survit parce que c’est lui qui a tué.
Deuxième « département » : la logistique.Les hommes concernés dans le groupe de Juan doivent faire transporter des marchandises prohibées en passant plusieurs frontières, une mission stratégique divisée en deux. Les approvisionnements en drogues et en produits chimiques sont internalisés et assurés par des membres du groupe. Les livraisons vers les EtatsUnis sont, au contraire, externalisées, en affrétant des avionettas, de petits Cessna dont les pilotes louent leurs services aux narcos, et en coopérant avec d’autres branches du cartel, à Mexicali et Tijuana, deuxvilles voisines de la frontière américaine.
Mais la dimension la plus importante de cesactivités, le « département » que Juan pilote luimême au sein de son groupe, c’est bien sûrle « business ». Comme tous les clans majeurs du cartel, celui de Juan commercialise tous lesproduits de l’entreprise. En moyenne, son groupe écoule 100 kg de marijuana par
ALORS QUE LA CROISSANCE
ÉCONOMIQUE DU MEXIQUE EST AU POINT MORT, CELLE DE L’ÉTAT
DE SINALOA AFFICHE, GRÂCE AUX « NARCOS »,
UNE HAUSSE DE PLUS DE 6 %
BERTRAND MONNET est professeur à l’Edhec (école de commerce), titulaire de la chaire « Management des risques criminels ». C’est à ce titre qu’il s’est intéressé au cartel de Sinaloa. Il lui a fallu trois ans, de 2017 à 2020, pour identifier des intermédiaires capables de garantir à la fois la fiabilité de ses interlocuteurs et sa sécurité. Trois longs séjours au Mexique lui ont permis, cette année, de rencontrer des « narcos ». « Ils ont accepté de témoigner par volonté d’afficher leur puissance sur la scène internationale », estime-t-il. Son travail fera l’objet d’un documentaire, en 2021, sur RMC Story.Après la publication de son enquête en trois volets, « Le Monde » consacrera, à compter du lundi 7 décembre, d’autres articles aux car-tels mexicains, cette fois dans le cadre d’une opération menée avec le collectif Forbidden Stories et divers médias internationaux. Cette deuxième phase aura pour base l’enquête sur l’assassinat, en 2012, de la journaliste Regina Martinez dans l’Etat de Veracruz.
ILLUSTRATIONS : TITWANE
nent le chercher. Une fois le cadavre découvert, elles plantent une croix sur place avant d’aller l’enterrer ailleurs. De l’autre côté d’unlarge fossé, de petits calvaires en métal portant des noms peints à la main succèdent à des oratoires en ciment abritant la photo plastifiée de jeunes hommes, des images pieuses et des bougies éteintes. Derrière un ruban de police noir et jaune déchiré, des vers grouillent sur les restes de vêtements sales : il y a quelques jours encore, un corps gisait ici. Au bord de la piste, derrière une voiture au coffre ouvert, trois femmes et un grandpère aux cheveux blancs viennent assister à l’installation d’une croix en ciment. La victime – un frère ? un fils ? un mari ? – avait 20 ans.
A quelques kilomètres de là, les boss, eux,sont enterrés dans un lieu surréaliste : lepanthéon des narcos. Sur 2 hectares secôtoient des dizaines de mausolées tous plusluxueux les uns que les autres, des chapellesprivées élevées à la gloire de Dieu autant qu’àcelle des défunts. Les dômes colorés et les croix dorées coiffent des constructions de deux étages, alternant façades de marbre,terrasses arborées, colonnes et frontonsdécorés de scènes bibliques. Le rezdechaussée des plus grands mausolées est fait d’unecrypte ouverte, où sont exposés des portraits du narco en question, entourés d’images pieuses et de bouquets de fleurs.
Le retour en ville se fait sur une route bordéede motels haut de gamme, dont le Paris, au fronton orné d’une tour Eiffel de 30 m, haut lieu des fêtes narcos. Les cadres du cartel viennent y consommer sans limite drogues, alcoolet prostituées dans des suites dotées d’un bar, de plusieurs chambres et d’une piscine intérieure. Plus loin, des dizaines de banques, concessionnaires automobiles et fastfoods américains bordent des centres commerciaux auxparkings bondés. Dans le centreville, des ruescommerçantes animées aux magasins bien tenus alternent avec des avenues bordées d’immeubles modernes et d’espaces verts. Surles hauteurs, un quartier de villas abrite les notables : avocats, médecins, hommes d’affaires et… chefs narcos. Aucun doute : Culiacan est prospère. Alors que la croissance économique du pays est au point mort, celle de l’Etat du Sinaloa affiche, elle, une hausse de plus de 6 %, due aux milliards de dollars du trafic.
Le cartel règne en maître à Culiacan. Il l’a encore prouvé le 17 octobre 2019, lors de l’arrestation par l’armée d’Ovidio Guzman, l’un des filsd’« El Chapo », le leader historique de l’organisation, luimême arrêté en 2016, puisextradé aux EtatsUnis l’année suivante.Immédiatement prévenus de l’interpellation d’Ovidio, des centaines de narcos convergent de partout vers le centre de Culiacan. Ils bloquent les principaux axes en positionnant descamions bennes équipés de mitrailleuses sur les carrefours, et engagent le combat avec les militaires et la police. Les affrontements font 13 morts en quelques heures. Et alors qu’Ovidio Guzman est poursuivi pour son appartenance à l’étatmajor du cartel, les policiers qui le détiennent sont sommés par leur hiérarchie de le libérer. Le lendemain, le chef de l’Etat mexicain, Andres Manuel Lopez Obrador, se justifie lors d’une conférence de presse : « Cette décision a été prise pour protéger les citoyens. Car nous ne pouvons pas éteindre le feu avec le feu. » Le président du Mexique, quinzième puissance mondiale, vient de capituler face au cartel de Sinaloa.
bertrand monnet
Prochain article Dealers sans frontières
semaine, 5 kg d’héroïne et 6 à 9 kg de crystal. Mais, selon lui : « Le meilleur business, c’est la cocaïne ! En Colombie, je l’achète 1 000 dollars le kilo. Ici, un kilo vaut 10 000 dollars. Après, ça dépend des pays, mais une fois sur le marché, un kilo vaut 100 000 dollars. »
Comme tout trafic, celuici impose d’abordde maîtriser ses coûts. Sans donner de détails, Juan indique que pour un chargement moyende 4 kg de « coke », d’un montant d’un millionde pesos (40 000 euros), il a deux coûts principaux : le transport et la corruption de la police.A l’entendre, l’essentiel des gains lui revient àlui, ainsi qu’à l’échelon supérieur du cartel, laissant clairement entendre que les coûts mentionnés plus haut n’excèdent pas 50 % duchiffre d’affaires. A condition de surmonterun autre obstacle : la concurrence. « Il y a beaucoup d’autres cartels. Alors, on se bat pour être les seuls fournisseurs. » Et c’est là que s’arrête leparallèle avec les entreprises normales… Car ce n’est pas avec les tarifs que les narcos se battent, mais avec des armes.
AU PANTHÉON DES TRAFIQUANTSDepuis 2006, les conflits entre cartels, les exécutions de civils et les affrontements avec l’armée ont fait plus de 200 000 morts. « Nous pensons parfois que c’est mal ce que nous faisons, conclut Juan. Mais on a tous faim… Il y aun dicton, dans le Sinaloa, qui dit : “La faim est une salope.” » Trois semaines après cet entretien, luimême et dix de ses hommes ont ététués dans un affrontement avec un autre clan du cartel, en plein cœur de Culiacan.
C’est ainsi, dans cette ville : la mort estomniprésente. En périphérie, des dizaines depetites croix, simples et discrètes, bordent lesroutes. « Certaines, c’est parce qu’il y a eu un accident à cet endroit, me préciseton. Maisen général, c’est pour montrer l’emplacementoù la famille a retrouvé le corps d’un proche. »
Sur la place voisine de la cathédrale, au cœurde la cité, des personnes d’un certain âge dansent gaiement au son d’un modeste orchestre, à proximité de lampadaires sur lesquels sont collées des affichettes. Sur chacune d’elles, l’inscription « Se busca » (« recherché ») est surmontée de la photo d’un jeune homme, d’un texte décrivant l’endroit où il a été vu pour la dernière fois et d’un numéro de téléphone. Des avis de recherche désespérés.
Quand elles ne retrouvent pas leur prochevivant, c’est sur une longue piste de terre, à l’extérieur de la ville, que les familles vien
24 | CULTURE SAMEDI 5 DÉCEMBRE 20200123
Yarol Poupaud fait vibrer la corde JohnnyLe guitariste et directeur musical des dernières tournées du « Taulier » raconte ses souvenirs dans « Electrique »
PORTRAIT
I l a le cœur d’un rockeur, maisil n’en aurait pas le cuir. C’estJohnny qui le lui a dit. DansElectrique, son autobiogra
phie (coécrite avec Frédéric Beghin, Plon, 336 pages, 20 euros),Yarol Poupaud restitue ce dialogue surréaliste avec son ancien employeur, étonné qu’il ne porte pas de tatouage, car « un rockeur, c’est tatoué ». L’insolent s’interroge : « Ah bon ? Il en a beaucoup, des tatouages, Mick Jagger ? » L’ancien réplique : « Keith Richards, il doit en avoir, et lui, c’est un rockeur. » Dernier mot au guitariste :« Il n’en a pas non plus. Et Elvis, il était tatoué ? »
Voilà un livre dont la date de parution ne doit sans doute rien auhasard, trois semaines avant le troisième anniversaire de la mort d’Hallyday, le 5 décembre. Parmi les autres témoignages du moment, il a toutefois un mérite rare : on y parle de rock et nond’alcôves. Yarol Poupaud raconteses souvenirs de directeur musical de l’idole – ils occupent untiers du récit – sans être dupe de laproposition éditoriale : « J’ai toutde suite dit : “Les gars, je vous vois venir, vous voulez un bouquin surJohnny…” »
Pas sûr que le gros du lectoratpotentiel se passionnera pour le reste, comme les aventures de FFF(Fédération française de fonck), le groupe de fusion funkrock néen 1987. Mais, comme l’auteur l’écrit au sujet de son destin de musicien : c’était ça et rien d’autre.
Retour aux sourcesLes fans lui sont reconnaissants :ce « guitariste de rock sorti de nullepart » leur a « rendu » leur Johnny à partir de la tournée 2012, par un retour aux sources. Le premier contact avec son aîné de vingtcinq ans avait été établi sept ansplus tôt, alors que le musicien et producteur s’occupait plutôt de bébés rockeurs que de vétérans. Poupaud organisait au Gibus, sanctuaire punk parisien, les Rock’n’Roll Friday avec de jeunes émules français des Strokes. Sonami le réalisateur Laurent Tuel luipropose de jouer le guitariste pour la fantasmagorie JeanPhilippe. Sur le tournage, la discussion avec le héros porte illicosur les rockeurs originels, dégénère en bœuf, et les classiques défilent : Johnny B. Goode, Summertime Blues, Tutti Frutti…
« On avait en commun cette culture des pionniers du rock’n’roll,
les années 19541958, liée à un truc d’enfance, lui, le square de la Trinité, moi, les Arènes de Lutèce », constate Poupaud, qui écrit être « né à 8 ans et demi, le jour de lamort d’Elvis, le 16 août 1977 »,quand « un flash [le] transperce enregardant Jailhouse Rock ». Auparavant, comme Johnny avant lui, il s’était gavé de westerns et voulait être cowboy. Le voilà « rocky », assistant à son premier concert : Carl Perkins (Blue SuedeShoes) au Bataclan, un choixsurprenant en 1980 pour ungarçon de 11 ans. Plus tard, il succombera au funk et aurhythm’n’blues, puis au hard rockde Thin Lizzy et d’AC/DC. Dénominateur commun ? Le blues.
Toute la musique qu’il aime vient de là. « Le son brut, un peu râpeux, énergique. C’est vrai que je penche plus vers les musiques noires américaines que vers la pop anglaise. »
Ce n’est pas sa mère, Chantal,qui découragera sa vocation. Attachée de presse des films de Marguerite Duras, elle fréquente des gens du cinéma et du rock, dont Eric Lévi, guitariste de Shakin’Street, qui montre des« plans » au gamin et lui vend sapremière sixcordes électrique,une Rickenbacker rouge. Dans son appartement de Pigalle, auplus près des luthiers, le Parisien sort le spécimen de son coffre. Ilpossède aujourd’hui une trentaine de guitares et n’a jamais pu
se séparer d’une. Pas faute d’avoiressayé : « Quand je la vois dans lemagasin, je la reprends aussitôt… »
Il doit ce prénom original à Yarolle Vénusien, un fêtard fan de musique, déniché dans une nouvelle de sciencefiction. Avec son jeune frère et futur acteur, Melvil, la
complicité est aussi musicale, se concrétisera par les groupes Mud et Black Minou, et perdure : « On vient de passer une semaine en studio dans les DeuxSèvres pourfaire un album. On a composé ça en faisant des jams au mois d’août. » Luimême a prévu de livrer son deuxième album soloen 2021, après Yarol, en 2019, « un premier disque très éclaté : desfans de Johnny un peu hardcore ont été décontenancés ». Créer desriffs est un jeu d’enfant. « Pour les textes, j’ai besoin d’être entouré [par Lescop sur son prochain disque]. Peutêtre que ça traduit un complexe : ça ne sera jamais aussi bien que Dylan ou Gainsbourg. »En mai 2018, pour ses débuts sous
La pandémie freine à peine la « johnnymania »Coffrets CD, livres, produits dérivés… Le chanteur fait toujours vendre, même si ses fans n’aiment pas acheter en ligne
T rois ans après la mort, le5 décembre 2017, du chanteur, la pandémie atelle
amoindri les flots d’or de la Johnnymania ? Oui, reconnaît Christophe Palatre, directeur général du label Parlophone, division de Warner Music France, qui exploite les œuvres de Johnny Hallyday depuis 2006 : « Une semaine après la sortie de Son rêve américain, le23 octobre, les magasins ont tous fermé. » Ce coffret, qui comprend un double album live au Beacon Theatre de New York en 2014, la bande originale du dernier road trip aux EtatsUnis et un inédit, Deux sortes d’hommes, a connu undémarrage fulgurant la première semaine avec 50 000 exemplaires.« Les ventes ont été divisées par quinze la troisième semaine. Le public de Johnny, populaire, n’achète pas forcément sur Internet. »
Christophe Palatre se veut optimiste. « Depuis le déconfinement,
les ventes sont reparties. On peut rattraper ce retard sur le mois de décembre. La Johnnymania continue », veutil croire, en rappelantque, avant Noël 2018, Hallyday était numéro un des ventes avec Mon pays c’est l’amour.
Georges de Sousa, directeur dulabel Panthéon (chez Universal, chargé du catalogue du chanteur de 1961 à 2005), partage cette analyse, même s’il a dû reporter la sortie de l’album symphonique Acte II au printemps 2021. En revanche, le live Bercy 2003, sera commercialisé comme prévu, le 11 décembre, en édition limitée à 40 000 CD. Pour Georges de Sousa aussi, Johnny reste une valeur très sûre : en 2019, l’album Johnny, des succès arrangés par le pianiste Yvan Cassar, a constitué la meilleure vente physique de l’année, avec 424 357 exemplaires écoulés.
Président de Johnny HallydayLe Web, le site officiel qui fédère le
plus grand nombre de fans (plusde 10 000), Philippe De Deckere a enregistré des adhésions lors desconfinements, « aussi bien deshommes que des femmes ». Le Covid n’a pas changé les comportements : « Les plus âgés achètent en double tout ce qui sort, une fois pour l’écouter, une fois pour leconserver sous cellophane. »
En cinquantesept ans de carrière, Hallyday a enregistré 1 011 chansons, un patrimoinequi n’a cessé d’être commercialisé. « Tout doit être proposé enmagasin et ressorti en différentsformats », explique Thierry Jacquet, directeur général du catalogue chez Warner Music France.Les vinyles, très demandés, fontl’objet de réassorts tous les troisquatre mois.
Les documentaires, produitsdérivés et ouvrages sur Johnny semblent, eux, inépuisables. Depuis le 21 octobre, quatre livres lui
ont été consacrés, dont Johnny Hallyday et ses anges gardiens,coécrit par Sacha Rhoul, son secrétaire particulier, Jean Basselin, son intendant dans les années 1980, et le journaliste Laurent Lavige (Casa Editions, 208 pages, 29,95 euros), ou Je me souviens de nous, signé par sa deuxièmeépouse, Elisabeth Etienne, dite Babeth (Harper Collins, 192 page,18 euros).
« Aucun droit versé depuis 2017 »A l’Adami, la société de gestion de droits des artistesinterprètes, on précise qu’« aucun droit n’a été versé depuis la mort de Johnny ». La succession s’est révélée unesource d’embrouilles violentes, puisque le chanteur, qui aurait accumulé une dette fiscale de 34 millions d’euros, selon ParisMatch, avait déshérité ses quatreenfants au profit de sa dernière épouse, Laeticia. Un accord a fina
lement été trouvé avec les deuxpremiers enfants. L’actrice LauraSmet a accepté un arrangement financier en juillet et David Hallyday, qui vient de sortir un nouvel album, Imagine un monde, a renoncé à la succession dans lafoulée. La répartition des droits depuis le décès de Johnny Hallyday s’effectuera en 2021. « Le notaire nous notifiera à qui les verser », diton à l’Adami, en sachant que la vente d’un CD rapporte enmoyenne un euro à l’interprète.
A ces ventes s’ajoutent les droitsissus du streaming. Spotify a noté, en cette année de confinement, une écoute bien plus importante qu’habituellement « des artistes confirmés et des monuments de la musique française ». Comme en témoigne le succès de Je te promets, chanson écrite par JeanJacques Goldman, sur la plateforme. « On touche une génération plus jeune avec le streaming et
grâce aux clips sur YouTube », se réjouit Georges de Sousa.
La tradition sera encore respectée cette année avec une messe préparée avec les fans, le 9 décembre, jour anniversaire des obsèques de Johnny, en l’église de la Madeleine. Le curé Bruno Horaist est bien conscient que « compte tenu du contexte, les fans ne seront sans doute pas aussi nombreux qued’habitude ». Et il leur faudra respecter les règles de distanciation. Le titulaire de l’orgue de chœur transcrira le psaume du jour sur l’air du Pénitencier. « Certains fans ont gardé l’habitude de venir à la messe le 9 de chaque mois, bien queces messes ne revêtent aucun caractère “johnnyesque” particulier, ajoute le père Horaist. Un biker, à qui je faisais remarquer que nousn’étions pas le 9, m’a lancé : “Ah, parce que vous croyez que l’on ne pense à Johnny que le 9 ?” »
nicole vulser
Yarol Poupaud et Johnny Hallyday au Big Festival de Biarritz (PyrénéesAtlantiques), en 2015. CHRIST & NELSON/DALLE APRF
« On avait en commun cette culture des pionniers du rock’n’roll,
liée à l’enfance »YAROL POUPAUD
son nom, il a joué devant 25 personnes dans un bar d’Angoulême.Un écart vertigineux avec sa précédente apparition en public, 18 millions de téléspectateurs, pour les obsèques d’Hallyday à laMadeleine. Auparavant, il pouvaitenchaîner un Stade de France avec « le Taulier » et une cave de Pigalle avec Black Minou. « J’aitoujours eu une carrière parallèle un peu underground, pour rester en contact avec les sensations que j’éprouvais gamin : monter dans lacabine du camion de tournée, manger au catering, dormir à l’Hôtel Ibis. » Sous Johnny, il a découvert les déplacements en jet privé et retour à la maison dans la nuit « avec champagne, sushis et vodkadans l’avion ».
Joies et frayeursIl doit le job de sa vie à un autre guitar hero de l’Hexagone, Matthieu Chedid. Le réalisateur pour Hallyday de l’album Jamais seul (2011) avait placé son nom. D’abord remplaçant pour des promotions, il a fini bras droit, un fait du prince accueilli avec scepticisme par l’entourage. « Mais je les comprends, c’était le retour de Johnny, et il ne fallait pas se planter. Ils ne connaissaient pas FFF et ont un peu flippé. »Il y eut des joies et des frayeurs, notamment quand Poupaud s’est fait arrêter à New York en possession de cocaïne et a manqué de rater un concert à Epernay (Marne). Une scène digne du film parodique Spinal Tap (Rob Reiner, 1984) lorsque la tête de mort géante a refusé de s’ouvrir pour l’entrée de l’artiste au Zénith de Nice – colère noire de Johnny. Et, quand même, la frustration d’avoir signé la musique de Rester vivant (2014), qui donnera son nom à l’avantdernier album studio d’Hallyday, sansavoir été convié à participer à l’enregistrement.
Curieusement, cette prestigieuse ligne de CV auprès de l’homme aux 3 256 concerts n’a été suivie d’aucune offre intéressante. « De même après ma nomination aux Césars pour la musiquede Bus Palladium, en 2011. Je seraisravi qu’on me propose des musiques de films… Ça me pèse d’êtrecatalogué guitariste de Johnny. Je ne suis pas dans la nostalgie, lui nel’était pas non plus : il aimait bien les Black Keys et Jack White, parexemple. On m’a proposé de fairedes tributes à Johnny, mais j’ai pas envie de gâcher ce souvenir avecun truc moins bien sans lui. Le mecest irremplaçable. »
bruno lesprit
“La mise en scène de David Fincher est magistrale”L’OBSL’OBS
“Fincher déploie tout son génie”PREMIERE
“Un chef-d’œuvre”LA SEPTIÈME OBSESSION
26 | culture SAMEDI 5 DÉCEMBRE 20200123
Germaine Acogny, la scène comme un brasierLa danseuse et chorégraphe francosénégalaise est à l’affiche du Théâtre de la Ville, à Paris, avec « A un endroit du début », qui sera retransmis en ligne
DANSE
L a danseuse et chorégraphe Germaine Acogny,76 ans, aime se présentercomme « une femme
noire, née au Bénin, ethnie yoruba,grandie au Sénégal, divorcée avec deux enfants, remariée à un Allemand ». Depuis la création en 2015 de son solo autobiographique A un endroit du début, onsait qu’elle s’appelle « Germaine Marie Pentecôte Salimata Acogny ». Tout ça ? Oui. Mais encore.Celle qui est née le jour de la Pentecôte en 1944, et a été baptisée deux fois – dans la religion catholique et musulmane – endosse aussi le prénom de Seymabou, etcelui de sa grandmère paternelle,Aloopho, prêtresse yoruba, dont elle est la « réincarnation ». Parfoisaussi, Germaine s’appelle Iya Tunde (« la mère est revenue »).
Germaine Acogny, figure deproue du spectacle vivant, repère de générations d’interprètes qui suivent son enseignement à l’Ecole des Sables, à Dakar, est l’ambassadrice de la saison solidaire du Théâtre de la Ville, à Paris.Elle est à l’affiche, du 4 au 6 décembre, avec A un endroit du début, retransmis en direct et gratuitement sur le site du théâtre. Elle
est en vedette dans le film Iya Tunde, de Laure Malécot, proposé le 6 décembre, qui sera suivi d’unemaster class accessible par le logiciel Zoom, et d’une conversationavec la chorégraphe. Celle que Maurice Béjart (19272007) évoquait comme sa « fille noire » et àqui il confia les clés de l’école Mudra Afrique, à Dakar, entre 1977 et 1982, a condensé des apprentissages aux antipodes, depuis les danses traditionnelles jusqu’aux techniques classiques et modernes apprises à New York, Paris et Bruxelles. Nourris par l’observation de la nature – chez elle, la poitrine est lesoleil, les fesses correspondent à lalune –, ses mouvements font organiquement référence au nénuphar et à la grenouille.
Cette femme solide comme unkapokier (l’arbre à kapok est son
fétiche) lance une question, une seule, dès le début de son solomonologue. « Qui suisje ? » Assise à même le plateau, elle s’attaque à ses origines, ses conflits intimes. Les frottements contenus dans sesprénoms allument un brasier dans lequel Germaine Acogny plonge pour en faire surgir une identité mosaïque complexe. Elle est la fille d’une institutrice et du premier administrateur des colonies venu s’installer au Sénégal alors qu’elle avait 4 ans. La photo de son père, converti au catholicisme, est projetée sur un rideau,tandis que son histoire, recueillie dans un manuscrit, est le socle de ce périple tumultueux.
Quelle tornade que GermaineAcogny ! Elle peut ne faire que quelques gestes des bras, tourner le long d’un cercle marqué à la farine, trembler des épaules, elle saisit et emporte. Elle a 70 ans lorsqu’elle s’attaque à cette pièce, rituel proche d’un exorcisme, en complicité avec le metteur en scène Mikaël Serre. Impérieuse et virulente, calme et furieuse, elle règle ses comptes et n’y va pas avec le dos de la cuillère, sort les couteaux légués par sa grandmère. Elle tranche les nœuds du patriarcat, de son rapport aux hommes – elle a 23 ans et deux en
fants lorsqu’elle divorce de son premier mari, qui veut prendre une seconde épouse. Elle se risquesur tous les terrains : la religion, le colonialisme, la négritude… Elle revendique le catholicisme et l’animisme, plaide pour les identités multiples.
Un Bessie Award en 2018Chaque spectacle, chaque rencontre avec Germaine Acogny ajoutent des informations sur son parcours, sa vie, son œuvre. Prof de gym, puis danseuse et pédagogue,créatrice d’un groupe de majorettes dans les années 1970 à Dakar,celle qui petite virevoltait pendant la récré en proposant aux autres de danser « comme un arbre » a fondé de multiples écoles dans les villes où elle a vécu, dont Toulouse dans les années 1980. « Fière d’être noire, d’être nègre »,elle rappelait, lors d’une performance somptueuse, en mai 2019, autour de l’exposition Le Modèle noir, de Géricault à Matisse, au Musée d’Orsay, qu’au départ ses modèles étaient blancs comme Isadora Duncan ou Mary Wigmanavant de découvrir enfin, à New
York, des artistes afroaméricains, dont le chorégraphe Alvin Ailey (19311989).
Installée pendant quelques joursdans un hôtel parisien, Germaine Acogny donne de ses nouvelles dans un immense élan joyeux. Elle arrive de Pampelune (Espagne) où elle a dansé A un endroit du début. « On a tellement de chance de pouvoir continuer àtourner et travailler », s’exclame celle qui a été récompensée d’un Bessie Award en 2018, pour sa performance dans Mon élue noire, d’Olivier Dubois. Près de son lit, unpetit « autel » composé d’uneimage de sainte Rita qui « protège les prostituées et donc aussi les danseuses qui travaillent avec leurcorps », une pierreShango (pierretonnerre, Shango étant le dieu de la foudre dans la religion vaudoue), un bouddha. Elle relate letournage du film La Traversée, de la chorégraphe burkinabée IrèneTassembédo, dans lequel elle joue La Diva, protectrice d’une bande de jeunes gens qu’elle encourage àrester au pays. Elle raconte le n’deup, cérémonie de transe à laquelle elle a été initiée en 2003 par
Germaine Acogny se risque
sur tous les terrains : la religion,
le colonialisme, la négritude
les femmes du village de Toubab Dialaw, où elle a implanté l’Ecole des Sables.
Ce sont d’ailleurs les élèves « sablistes », originaires de tout le continent africain, qui interpréterontlors d’un programme spécial auThéâtre du Châtelet, en mars, LeSacre du printemps, chefd’œuvre chorégraphié en 1975 par PinaBausch (19402009), qui leur a été transmis, avec l’accord de Salomon Bausch, fils de l’artiste. En introduction, Germaine Acogny dansera Common Ground(s), duo créé avec Malou Airaudo, personnalité historique de la compagniede Pina Bausch. « Lorsque j’ai vu LeSacre de Maurice Béjart, puis celui de Pina Bausch, les tremblements du buste m’ont frappée, s’emballetelle. Ces tremblements, c’est l’Afrique, c’est Maurice, c’est Pina, c’est universel. »
rosita boisseau
A un endroit du début, de Germaine Acogny. En direct de l’Espace Cardin, le 4 décembre à 21 heures, le 5 décembre à 15 heures sur Theatredelaville.com et Facebook.
Une crèche municipale démontable pour une ville plus durableDans le jardin du Luxembourg, à Paris, un bâtiment itinérant, conçu par Mirco Tardio et Caroline Djuric, accueille pour deux ans des toutpetits
ARCHITECTURE
C’ est avec une politesseextrême que le bâtiment édifié dans le jar
din du Luxembourg à Paris pour accueillir les enfants d’une crèche en travaux est venu s’insérer entre deux rangées d’arbres. Sa façade recouverte d’inox se fond harmonieusement dans le paysage. Ses clôtures en fines lattesde bois, ses belles menuiseries en bois elles aussi, donnent l’impression qu’il a toujours été là,au même titre que le manège ou le kiosque à musique.
L’édifice devrait pourtant disparaître d’ici deux ans, sans laisser de traces. Ce sera le début d’une itinérance possiblement longue,qui va le conduire dans un premier temps à être remonté dansle 13e arrondissement de Paris pour les besoins d’une autre crèche. Inspirée des principes constructifs de Jean Prouvé, sa structure métallique est en effet entièrement démontable.
Les modules en bois et lesgrands panneaux vitrés qui la remplissent en alternance sont faciles à transporter et à manipuler. Ses fondations sur micropieux portent peu atteinte au sol. Quant à la vêture en inox, si elle venait à jurer avec son nouvelenvironnement, on la remplacerait aisément par un autre ma
tériau : son coût ne représente que 1 % du budget total.
Simple et efficace, réversibledans son principe, le bâtimentdéploie sur deux niveaux de grands plateaux lumineux où lamatérialité du bois diffuse un climat apaisant. Edifié en quelquessemaines à peine (quarantecinq jours, étalés sur quatre mois), il est le résultat d’un travail derecherche sur la densité urbaineet l’architecture écodurable que Mirco Tardio et Caroline Djuricmènent conjointement au seinde leur agence. Comment construire la ville sur la ville en construisant mieux, c’est la questionqui les guide depuis qu’ils se sont associés, en 2004.
Qualité architecturaleLa réponse qu’apporte ce prototype passe par la préfabricationde modules en bois dans un atelier des Landes et des techniques d’assemblage inspirées de l’architecture traditionnelle japonaise. Conscient des effets désastreuxqu’a pu avoir la préfabrication surl’architecture à partir des années 1970 (perte de caractère, uniformisation…), Mirco Tardio les impute d’une part aux matériaux utilisés (plastique, béton…), del’autre à leur volumétrie en 3D.Avec des modules en 2D, en bois, ilentend au contraire faire rimer économie, respect de l’environ
nement et qualité architecturale. L’engouement, très fort actuellement, pour la construction enbois est freiné, expliquetil par des coûts élevés de fabrication. Ilsreflètent les tensions d’une filière pas encore arrivée à maturité : dans les métropoles où se concentrent les chantiers, les entreprises spécialisées sont encore trop peu nombreuses.
Les prix, en conséquence, explosent. Pour les faire baisser, Mirco Tardio suggère de faire travailler,comme il l’a fait pour la crèche dujardin du Luxembourg, « les scieries et les ateliers qui sont implantés ailleurs – souvent à proximité des forêts. Ce serait intéressant quela grande machine métropolitainebénéficie à ces savoirfaire sousemployés, à ces territoires économiquement déprimés… ».
Les modules de la crèche sontreconfigurables au gré des besoins. On peut ainsi construire avec eux une structure d’hébergement d’urgence, des bureaux ou même un musée, soutient l’architecte, qui développe aujourd’huid’autres projets modulables. Rodépar cette première expérimentation, il pousse le curseur de l’architecture durable un cran plus loin : ses futurs bâtiments ne seront pas seulement réversibles, ils seront construits avec du matériau de réemploi.
isabelle regnier
Germaine Acogny, lors d’un spectacle au Grand Théâtre de Luxembourg, en 2015. THOMAS DORN
10 CDsPRÈS DE200TITRES
Coffret NovaTunes3.1_4.0
5 ANS DE GRAND MIX SUR
ÉGALEMENTDISPONIBLE ENSTREAMING& TÉLÉCHARGEMENT
AVEC: JAMES BLAKE / LOMEPAL / METRONOMY / BICEP / PONGO / CARIBOULEWIS OFMAN / MURA MASA / BABA SISSOKO / ALABAMA SHAKES / MYDPOLO & PAN / ARTHUR H / PARCELS / FLAVIEN BERGER / STAND HIGH PATROLTHE SPECIALS / MJ COLE / KAYTRANADA / EL MICHELS AFFAIR / VOYOU / JUNIORELIANNE LA HAVAS / BIGA*RANX / ACTION BRONSON / KRISY / INNA DI YARDCHARLOTTE ADIGERY…
nova.fr
0123SAMEDI 5 DÉCEMBRE 2020 télévision | 27
HORIZONTALEMENT
I. Bon remède pour prendre du poids. II. Evite les fuites en chambre. Raidit. III. De la glace à Londres. Passe les plats. Chassé dès la rentrée. IV. Sont souvent de la revue. Pour aller loin et ménager les montures. V. Label de qualité. Enfant de Jocaste. Enca-drent le franc. VI. Ebranle dans la ber-gerie. Création spontanée. VII. Prati-quâtes une ouverture. Liaisons en Ile-de-France. VIII. D’un auxiliaire. Plutôt méprisant pour les autres. Tenue légère. IX. Bloque la situation. Ne supporte pas d’être à l’étroit. X. Détaillerions les comptes.
VERTICALEMENT
1. Autre bon remède pour prendre du poids. 2. Démoniaque. 3. Franchir le pas. Point. Pourra être approuvé. 4. Ouverture de gamme. Bleu chez Tintin. 5. Dame du métier. 6. Ouvre les comptes à la City. Evite d’être trop direct. 7. Se permet tous les mauvais coups. Cours d’Espagne. 8. Même les plus beaux sont piétinés. Tenir à la fin. 9. Assure la liaison. Sur une carte asiatique. Le faux laisse des traces. 10. Tissu.Son travail est dur, ses revenus modestes. 11. Déesse Marine. Venu d’Asie, c’est un danger. 12. Affaiblissons nos propos.
SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 283
HORIZONTALEMENT I. Désillusions. II. Egérie. Iodât. III. Triangles. Ne. IV. Riz. Oies. Far. V. Aléa. Ostie. VI. Cl. Nin. EO. El. VII. Taper. Ms. Obi. VIII. Erotisé. Prêt. IX. UDR. Eolienne. X. Réconciliées.
VERTICALEMENT 1. Détracteur. 2. Egrillarde. 3. Seize. Porc. 4. Ira. Anet. 5. Lino. Irien. 6. Légion. Soc. 7. Les. Méli. 8. Siestes. Il. 9. Ios. Io. Pei. 10. Od. Fe. Orne. 11. Nana. Ebène. 12. Stérilités.
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
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GRILLE N° 20 - 284PAR PHILIPPE DUPUIS
20 - 284 daté Samedi 5 décembre.indd 1 26/11/20 11:32
SUDOKUN°20284
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Tres difficileCompletez toute la
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Chaque chiffre ne doit
etre utilise qu’une
seule fois par ligne,
par colonne et par
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Cahier numéro un de l’édition n°2927 du 3 au 9 décembre 2020
LA TENTATIONHIDALGO
LA TENTATION PRÉSIDENTIELLE
LES COULISSESD’UNE CRISE
DELPHINE HORVILLEURÉCRIT AU PAPE
EDALCOCK
VIOLENCES POLICIÈRES EXCLUSIF
SAMEDI 5 DÉCEMBRE
GulliErnest et Célestine21.05 Avec Daniel Pennacau scénario et Lambert Wilsonpour la voix d’Ernest, Vincent Pataret Stéphane Aubier imaginentun préquel au classique de la littérature enfantine. Une adaptation tendre et pleine de malice.
NetflixUne ode américaineA la demande Le réalisateur américain Ron Howard met en scène avec efficacité la success storyd’un jeune garçon né dans une famille pauvre du Kentucky.Avec Glenn Close et Amy Adams.
ArteComment le chat a conquis le monde22.25 Animal de compagnie préféré des humains, le chat a vu sa popularité se renforcer avecles périodes de confinement.Portrait d’un animal paradoxal, qui, plusieurs millénaires aprèssa domestication, n’a rien perdude son instinct de chasseur.
Ciné+ ClubLes Affranchis22.30 New York, les années 1960et 1970, Ray Liotta, Joe Pesci, Robert De Niro… Trente ans avantThe Irishman, Martin Scorsese signe sa première grande saga sur la mafia. Pour ceux qui ont toujours rêvé d’être gangster.
Dans les coulisses du luxe à la françaiseEntre innovation technique et espionnage industriel, la France s’est approprié plusieurs procédés de fabrication
ARTESAMEDI 5 - 20 H 50
DOCUMENTAIRE
L e goût et l’invention duluxe ne sont pas une singularité française. Mais,ainsi que le montre ce do
cumentaire historique avenant et renseigné, la France fera tout pourimiter et coloniser les sources et la fabrication de produits d’exception qui se trouvaient sous la houlette jalousement surveillée de pays voisins ou lointains.
Stéphane Bégoin et Flore Kosinetz, les auteurs de L’Invention du luxe à la française, s’arrêtent surtrois savoirfaire emblématiques :l’art du miroir, en Italie – à Venise en particulier ; l’art des étoffes, en Hollande – à Leyde, notamment ; l’art ancestral de la porcelaine et la maîtrise de fours gigantesques, en Chine.
Les miroirs et la porcelaine sonten France l’objet d’une convoitise d’autant plus aiguë que leursrecettes de fabrication sont inconnues des manufactures du pays. Colbert, ministre des finances de Louis XIV, envoie desémissaires – des ecclésiastiques en particulier – afin d’espionner et de débaucher autant qu’il estpossible des ouvriers en leur promettant en retour une situationprivilégiée. Dans le domaine dumiroir et des glaces, les ouvriers
immigrés travailleront à Paris à lamanière de Venise, mais ne lâcheront pas leurs secrets de fabrique (certains seront assassinés par des mercenaires italiens).
Ce sera longtemps après que laFrance trouvera à son tour une technique révolutionnaire qui permettra la fabrication de très grands miroirs d’un seul tenant (lagalerie des glaces de Versailles, dont le luxe devait faire s’ébaubir
l’Europe entière, était constituée de grands miroirs composés de pièces assemblées). Dès lors, la Manufacture des glaces et miroirs régnera en maître en Europe.
Instructif et documentéLongtemps inégalée et, comme les miroirs, abordable seulement par les très grandes fortunes, la porcelaine chinoise trouvera un débouché en Saxe, puis en France,
par la Manufacture de porcelaine de Sèvres, après la découverte, près de Limoges, d’une des rochesqui en permettait la fabrication selon les critères asiatiques de transparence et de solidité.
Le sujet, le format long et leschoix de réalisation de L’Invention du luxe à la française semblent adaptés aux attentes présumées du grand public espéré pour ce prime time à l’approche des fêtes
de fin d’année. Très instructif, documenté et traversé par des prises de parole scientifiques et historiques (notamment celle de Laurence Picot, à l’origine de cette réalisation), ce documentaire remplitparfaitement son rôle.
Mais il ne perdrait pas grandchose à être délesté de la plupart des scènes qui reconstituent les réunions avec (puis sans) Colbert, les sévères contrôles de qualitédans les fabriques provinciales avec nobles, bourgeois et manants incarnés par une palanquéed’acteurs assez médiocres, sur un mode qui se situe entre les dramatiques du bon vieux service public à la française (autre marque de fabrique…) et Versailles, larutilante série de Canal+.
Par ailleurs, le dégagementconclusif du film intrigue. Ilévoque la naissance de la haute couture – autre domaine essentiel et toujours régnant du luxe à la française – à travers la figure de Rose Bertin, qui ouvre un magasin de mode en 1770 et habillebientôt MarieAntoinette. Mais ilfrustre d’autant plus le spectateurqu’il semble mériter et annoncer une suite qui n’aura pas lieu.
renaud machart
L’Invention du luxeà la française, de Stéphane Bégoin et Flore Kosinetz(Fr., 2020, 90 min).
La haute couture est née en France avec Rose Bertin, modiste de MarieAntoinette. ARTE
La course parfaite du pilote de formule 1 Pierre Gasly, en immersion et en clairLe magazine de Canal+, « Sport Reporter », consacre un numéro au premier Français ayant remporté un Grand Prix depuis vingtquatre ans
CANAL+SAMEDI 5 - 14 H 25
DOCUMENTAIRE
A 10 ans, pilote de minikartà AnnevilleAmbourville(SeineMaritime),à proxi
mité de Rouen, Pierre Gasly entendait déjà : « Cela fait dix ans qu’un Français n’a pas remporté unGrand Prix de formule 1 », en référence à la victoire d’Olivier Panis, le 19 mai 1996, à Monaco. A 15 ans, l’adolescent, vicechampion européen de karting, entendait encore : « Cela fait quinze ans qu’un
Français n’a pas remporté un Grand Prix de F1. » A 21 ans, la pression était montée d’un cran pour le nouveau pilote de l’écurie Toro Rosso. A 24 ans, enfin, cocorico ! Pierre Gasly mettait fin à plusde vingtquatre ans d’attente et entrait dans l’histoire du sport automobile en remportant, le 6 septembre, le Grand Prix d’Italie,au volant d’une Alpha Tauri.
Un pur exploit. « On ne m’attendait pas là », admet aujourd’hui le Français, en teeshirt « End Racism » et masque noir « Give Me a Smile », dans le magnifique
documentaire que lui consacre – en clair – « Sport Reporter ». Le magazine hebdomadaire propose ainsi de revivre en immersion l’incroyable enchaînement d’imprévus – sortie de la « safety car », la voiture de sécurité ; fermeture de la « pit lane », la voie d’accès aux stands ; interruption de la course ; erreur de Lewis Hamilton… – qui ont jalonné ce Grand Prix. Pour la première fois, de larges extraits dudialogue avec « son » ingénieur Pierre Hamelin sont diffusés, ainsi que les réactions très « à chaud » du « M. F1 » de Canal+, Ju
lien Fébreau, et les commentaires du cercle restreint des grands pilotes hexagonaux. Alain Prost, quatre fois champion du monde, conserve sa retenue, quand Jean Alesi (treize saisons, une victoire en Grand Prix) s’avoue incapable de tenir en place ce jourlà.
Caméras embarquéesLes noninitiés apprécieront la montée d’adrénaline provoquée par les caméras embarquées, l’excitation permanente typique du petit monde de la F1, mais aussi ses peurs. Pascale Gasly, la mère de
Pierre, évoque ainsi du bout des lèvres « la mort d’Anthoine », l’ami d’enfance, Anthoine Hubert, mortle 31 août 2019 lors d’une course deformule 2 sur le circuit belge de SpaFrancorchamps, à 22 ans.
Si, sur la piste, la lutte est sansmerci, une fois la ligne franchie,techniciens, patrons et pilotes exultent. Sauts, tapes dans le dos, accolades… « C’est fantastique ! », lance Romain Grosjean : « [Pierre] a été écarté d’une équipe de pointe [Red Bull, en 2019], et maintenant,il bat une équipe de pointe. » Resté seul sur le podium, Pierre Gasly
semble suspendu, dans le temps et l’espace. Court répit. Il devrait s’aligner sur la grille, dimanche 6 décembre, de l’avantdernier Grand Prix de la saison, celui de Sakhir. Sans Lewis Hamilton, testépositif au Covid19, ni Romain Grosjean, au repos après s’êtreextrait par miracle de sa Haas en flammes, le 29 novembre, lors du Grand Prix de Bahreïn.
catherine pacary
Gasly : le jour parfait, d’Etienne Pidoux et Laurent Dupin(Fr., 2020, 30 min).
N O T R ES É L E C T I O N
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28 | IDÉES SAMEDI 5 DÉCEMBRE 20200123
La laïcité,Des batailles philosophiques des Lumières aux déchirures de la IIIe République, l’histoire tourmentée de ce principe constitutionnel, pilier de la République depuis la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, éclaire les vifs débats d’aujourd’hui
C’est une nouvelle séquence quidoit s’ouvrir le 9 décembre pourla laïcité française, avec la présentation en conseil des ministres du projet de loi « confortantles principes républicains », jus
quelà appelée « loi contre le séparatisme ».Cent quinze ans jour pour jour après la promulgation de la loi qui consacra la séparation des Eglises et de l’Etat, Emmanuel Macron veut imprimer sa marque sur ce pilierde la République, érigé depuis 1946 en principe constitutionnel et auquel les Français demeurent profondément attachés – pour 78 % des personnes interrogées en janvier 2020, la laïcité « fait partie de l’identitéde la France », selon le baromètre annuel del’Observatoire de la laïcité – mais qui suscite, dans une large partie du monde, denombreuses incompréhensions.
C’est aussi l’un des principes dont l’application reste depuis plus d’un siècle un sujetéruptif, une passion française qui donnelieu à des poussées de fièvre régulières, l’unde ces débats empoisonnés qui divisent lesfamilles politiques et où l’habituel tonpolicé des intellectuels peut faire place àl’anathème, voire au ressentiment. Si le socle du monument législatif de 1905 – lesdeux premiers articles de principe sur laliberté de conscience et la neutralité del’Etat – n’a pas changé depuis un siècle, il adonné lieu à des interprétations divergentes, dont témoigne l’effervescence lexicaleautour du sujet.
Selon les points de vue, la laïcité françaiseest tour à tour « ouverte » ou « radicale »,« positive », « stricte », « fantasmée », « répressive », « de collaboration » ou « d’abstention », « de reconnaissance » ou « decontrôle », comme si ce « concept valise »,selon la formule du président de l’Observa
« IL EXISTE PLUSIEURS LAÏCITÉS,
DONT CERTAINES PEUVENT CACHER
DES RÉALITÉS PEU HONORABLES »
JEAN BAUBÉROThistorien
toire de la laïcité, JeanLouis Bianco, ne sesuffisait pas à lui seul et nécessitait toujours d’être précisé.
De fait, l’attachement au principe masquedes confusions mais aussi des désaccordsprofonds. « Il y a une sorte d’évidence de lalaïcité qui se traduit par un phénomène d’incantation et une méconnaissance à l’originede malentendus, parfois entretenus pardes “malentendants” hostiles à la laïcité »,affirme la philosophe Catherine Kintzler,autrice de Penser la laïcité (Minerve, 2014),qui défend « l’application d’une laïcitéstricte, héritée des Lumières ».
« FOIRE D’EMPOIGNE »« Il existe plusieurs laïcités, dont certaines peuvent cacher des réalités moins honorables », constate de son côté l’historien Jean Baubérot, fondateur au CNRS du Groupe sociétés religions laïcités (GSRL), qui a consacré une vie de recherches au sujet et défend l’application d’une laïcité libérale. « Lesdébats autour de la laïcité n’ont jamais étépacifiques, elle a toujours fait l’objet d’unefoire d’empoigne », renchérit l’historienneValentine Zuber, directrice d’études à l’Ecolepratique des hautes études (université PSL).
Les désaccords commencent dès la définition du mot. « La laïcité, c’est avant tout laséparation du politique et du religieux,comme l’indique le titre même de la loi de1905 », affirme Gwénaële Calvès, professeure de droit public à l’université de CergyPontoise et autrice de Territoires disputés de la laïcité : 44 questions (plus ou moins)épineuses (PUF, 2018). Le mot désigne « un régime de préservation des libertés de croireet de ne pas croire sous l’égide d’un Etat neutre », assure le sociologue et historien Philippe Portier, viceprésident de l’EPHE et auteur de L’Etat et les religions en France :
une sociologie historique de la laïcité (Presses universitaires de Rennes, 2016).
D’où viennent ces divergences etcomment ontelles pesé sur l’écriture de laloi fondatrice de 1905 puis sur son application ? Quelle est la spécificité du modèlefrançais ? Comment s’inscrit le projet de loid’Emmanuel Macron dans l’histoire tourmentée de la laïcité ? Un retour en arrière n’est pas inutile pour décrypter les polémiques qui traversent notre époque, où « se rejouent les grandes oppositions qui ont déchiré au XIXe siècle le camp des laïcisateurs républicains », estime Valentine Zuber.
Si le mot n’apparaît que tardivement auXIXe siècle – sa première occurrence date de1871 –, la notion émerge dans le monde desidées dès le XVIIe avec les théoriciens de latolérance, dont « l’un des plus grands penseurs, John Locke (16321704), jette les bases d’une coexistence pacifiée des croyances »,explique la philosophe Catherine Kintzler.Publiée en Angleterre en 1689, sa Lettre surla tolérance distingue « ce qui regarde legouvernement civil de ce qui appartient à lareligion », et marque « les justes bornes quiséparent les droits de l’un et ceux de l’autre ».Quelques années plus tôt, Roger Williams,pasteur baptiste américain, a fondé dans lacolonie britannique du Rhode Island (EtatsUnis) « le premier Etat que l’on peut considérer comme laïque », estime de son côté l’historien Jean Baubérot. « Il y a mis en placeune séparation radicale des Eglises et del’Etat, la coexistence pacifique des communautés et la liberté des cultes. »
La réflexion politique va s’affiner tout aulong du siècle des Lumières jusqu’à la révolution de 1789 qui marquera une rupture, en France, avec la naissance de l’Etat libéral.La Déclaration des droits de l’homme et ducitoyen du 26 août 1789 reconnaît pour la
première fois la liberté de croire et de nepas croire, et le rôle de l’Etat pour la fairerespecter. « A partir de cette date, on changed’époque », affirme Philippe Portier.
Pourtant, si une grande partie de l’Europeva basculer vers la modernité politique, deux modèles se dessinent déjà. Dans lespays à majorité protestante, les Eglises acceptent de faire route commune avec « ce nouvel imaginaire politique construitautour de la liberté de conscience, note le sociologue Philippe Portier. Les philosophesdu XVIIIe siècle – Thomas Reid (17101796) enEcosse ou Emmanuel Kant (17241804) en Allemagne – entretiennent une relation apaisée avec le religieux, dont ils estiment nécessaire qu’il se fasse entendre dans la société ».Au RoyaumeUni et dans la plupart despays du nord de l’Europe se met ainsi enplace un régime de coopération étroite entre l’Etat et une Eglise particulière, quin’empêche pas la pluralité des cultes et,malgré le désaveu social qui l’entoure, la liberté de ne pas croire.
Ce n’est pas le cas en France, où lesRépublicains doivent faire face « à une religion hégémonique, le catholicisme, quicontrôle l’ordre politique et l’ensemble desactes civils », rappelle Catherine Kintzler. Defait, pour un certain nombre de philosophes français des Lumières, la religion s’oppose au discours de la raison. Elle représente l’archaïsme, quand ce n’est pas le fanatisme ou la superstition. De cette opposition date la méfiance de la République à l’égard des religions et l’émergence dela notion d’émancipation.
« Avec l’école républicaine, il s’agit de former de nouveaux citoyens pleinement républicains, en les détachant de leur ancrage religieux ou identitaire, souligne l’historienneValentine Zuber. C’est peutêtre là la
valentine zuber est historienne des idées,directrice d’études à l’Ecole pratique des hautes études (université PSL), où elle est titulaire de la chaire « Religions et relations internationales ». Elle a publié La Laïcité en débat. Audelà des idéesreçues (Le Cavalier bleu, 2017, réédité en 2020).
Quels sont les différents modes de relation entre l’Etat et les religions dans les autres pays démocratiques ?
Les modalités d’organisation sont très différentes d’un pays à l’autre et s’expriment selon des formes juridiques particulières. En France, nous avons opté pour un modèle de laïcité séparatiste, comme aux EtatsUnis, au Mexique, en République tchèque et dans d’autres pays où s’opère unedistinction juridique nette entre les institutions civiles et les groupes religieux.
Ailleurs, c’est plutôt une laïcité de reconnaissance qui est pratiquée. Une religion traditionnelle, souvent reconnue comme telle par la Constitution, coexiste avec des propositions religieuses qui sont traitées de manière plus ou moins égale par rapport à cette religion majoritaire. Ainsi au RoyaumeUni, l’anglicanisme, religion
d’Etat, disposetelle d’un statut particulier, maisles autres cultes ont les mêmes facultés de libreexpression et d’évolution dans l’espace public.C’est aussi le cas au Danemark avec le luthéranisme. Ces religions ont pour chef le souverain dupays et jouent plutôt le rôle de religion civile unifiante. Dans d’autres pays encore, l’Etat, qui se proclame neutre, peut reconnaître et subventionner plusieurs religions ou convictions philosophiques en fonction de leur antériorité traditionnelle ou de leur importance numérique dans le pays. C’est le cas en Belgique ou encore en Italie.
On évoque souvent une « spécificité » de la laïcité française. Quelle estelle, selon vous ?
S’il existe une spécificité française, c’est moinsdans la laïcité proprement dite que dans l’importance qu’elle prend dans le débat public. La réalité juridique que le mot recouvre en France estpartagée par de nombreux pays dans le monde,essentiellement des Etats de droit, démocratiques, qui garantissent les libertés publiques telles qu’elles sont listées dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et les Conventions des droits de l’homme qui l’ont suivie. Pour
qu’un Etat soit considéré comme laïque, il faut en effet qu’il respecte la liberté de religion et deconviction, individuelle mais aussi collective, n’établisse aucune discrimination entre les individus en fonction de leur identité religieuse etn’impose pas une religion d’Etat qui serait totalement exclusive des autres.
Il existe des systèmes laïques plus anciens que lerégime français. La laïcité de l’Etat américain date de la fin du XVIIIe siècle, celle de l’Etat fédéralmexicain remonte au milieu du XIXe siècle. En revanche, dans la plupart de ces pays, notammentles cultures anglosaxonnes, on utilise le mot « sécularisme » pour décrire cette réalité, et non lemot « laïcité », néologisme français qui date du milieu du XIXe siècle et n’est traduit que dans les autres langues latines et en turc.
Comment expliquer les réactions d’incompréhension que l’on constate dans d’autres pays, y compris séparatistes comme les EtatsUnis, à l’égard de la laïcité française ?
S’ils prennent tous deux la forme séparatiste, lesmodèles français et américain n’ont pas été instaurés dans le même but. Aux EtatsUnis, les révo
lutionnaires ont choisi la séparation pour protéger leur pluralisme religieux de l’ingérence de l’Etat. Il s’agissait de garantir la paix civile et la liberté religieuse dans un pays où le pluralismeconfessionnel était important.
En France, c’est l’inverse : l’Etat a voulu se protéger des religions et de leur emprise supposée, dufait de la tentation récurrente de l’Eglise catholique d’imposer son projet politique dans le passé.Ainsi les Américains considèrentils volontiers que subsistent en France des traits du gallicanisme et de l’autoritarisme napoléonien, avec un Etat qui cherche toujours à contrôler la société civile et, dans celleci, les religions et leurs expressions particulières.
En France, la mission dévolue dès le départ àl’école républicaine est de former de nouveaux citoyens pleinement républicains, en les détachantde leur ancrage religieux ou identitaire, souvent considéré comme un obstacle à l’unification nationale. C’est peutêtre là la spécificité française ; les autres pays occidentaux ont une perception bien moins négative du rôle du religieux dans la constitution de la personnalité des futurs citoyens.
propos recueillis par c. le.
« Il existe des systèmes laïques plus anciens que le régime français »
une passion
très française
0123SAMEDI 5 DÉCEMBRE 2020 idées | 29
« DEPUIS LES ANNÉES 2000,
LA LAÏCITÉ LIBÉRALE DU XXE SIÈCLE
A LAISSÉ PLACE À UNE LAÏCITÉ DE CONTRÔLE »PHILIPPE PORTIER
sociologue et historien
BORIS SÉMÉNIAKO
spécificité française ; les autres pays occidentaux ont une perception bien moins négative du rôle que peut jouer le religieux dans la constitution de la personnalité desfuturs citoyens. »
OPPOSITION ORIGINELLE AU CATHOLICISMEDe cette époque naît aussi, selon Catherine Kintzler, la « différence fondamentale du point de vue philosophique » entre la laïcité française et les régimes de tolérance despays protestants. Alors que ces derniers« restent attachés à la forme religieuse du lien politique – on s’y réfère à des groupesethniques, religieux ou sociaux préexistantsdont on organise la coexistence », la laïcité « va mener la séparation entre foi et loi jusqu’à sa racine. Elle installe un lien politique qui ne doit rien à l’existence d’un modèle religieux, qui ne suppose aucune foi », affirme laphilosophe. D’où la nécessité, selon elle,d’une neutralité totale de la part de l’autorité publique, qui doit s’abstenir « de toute manifestation, caution ou reconnaissanceen matière de cultes, de croyances et d’incroyances ». A l’inverse, « partout ailleurs, ycompris en public, dans l’infinité de la sociétécivile, la liberté d’expression s’exerce dans lecadre du droit commun ».
Les débats en France sur la place des religions dans la République portent encore aujourd’hui la marque de cette opposition originelle à la religion catholique. A chaque étape de son histoire, la laïcité va voir s’affronter deux modèles, avec, « d’un côté, ceuxqui veulent associer la nation à son récit religieux et, de l’autre ceux qui veulent les séparer strictement », souligne Philippe Portier.
Au XIXe siècle, lors des débats qui aboutis
sent à la loi de 1905, les deux camps vont s’opposer âprement. Les partisans d’une laïcité « intégrale », menés par le président duConseil Emile Combes, aspirent à cantonner l’exercice du culte dans l’espace privé,pour supprimer aux catholiques toutmoyen d’organisation autonome, sous le contrôle d’un Etat régulateur. Le courant libéral, incarné par Aristide Briand et JeanJaurès, défend, lui, une séparation qui « délivre l’Etat de l’emprise politique de la religion,mais sans s’ingérer exagérément dans lamanière dont le culte doit s’organiser », explique Valentine Zuber.
Dans cette guerre fratricide, « la chancequ’avait la loi de 1905 d’être une loi de libertéétait semblable à celle qu’a un joueur de gagner au loto », estime l’historien Jean Baubérot. L’interdiction de l’enseignement parles congrégations religieuses vient en effetd’être votée, obligeant une partie de leursmembres à se réfugier à l’étranger. « Il règne alors un climat anticlérical, voire antireligieux, contre le catholicisme politique etson enseignement antirépublicain », rappelle Valentine Zuber.
Dans la bataille entre « combistes » et« briandistes », c’est pourtant le courant libéral qui l’emporte. Après des débats parlementaires féroces, la loi qui organise les relations entre l’Etat et les trois cultes concordataires – catholicisme, protestantisme et judaïsme – s’ouvre par l’affirmation du principe de liberté de conscience et de culte.L’exercice de cette liberté est garanti par laneutralité de l’Etat, objet de l’article 2, quiaffirme que « la République ne reconnaît, nesalarie ni ne subventionne aucun culte ». Auregard de ce que proposaient les républi
sions se focalisent sur la frontière entre« espace public » et « espace privé », suscitant nombre de contresens et de malentendus, pas toujours sans arrièrepensées. En 2018, Marine Le Pen réclame« l’interdiction du voile dans l’intégralité del’espace public ».
Au sein même du gouvernement, le ministre de l’éducation nationale, JeanMichel Blanquer, affirme en 2019 que « le voile en soin’est pas souhaitable dans notre société, tout simplement ». Une entorse au principe de séparation, qui brouille un peu plus les repères. « On assiste depuis la fin du XXe siècle au retour d’un discours particulièrement offensifdes héritiers d’Emile Combes, le chef de file du camp anticlérical en 1903. Cette néolaïcité voudrait circonscrire la pratique religieuse à la seule sphère privée, alors que l’exercice public du culte est, avec le respect de la liberté deconscience, garanti par la loi de 1905 », constate l’historienne Valentine Zuber.
Deux camps se reconstituent. Pour certains, un retour à un cadre plus strict s’impose. « En analogie avec l’Eglise catholique au XIXe siècle, il y a dans l’islam une prétention à l’hégémonie et à l’uniformisation des mœurs, estime ainsi la philosopheCatherine Kintzler, qui appelle à revenir àl’application stricte de « la dualité des deuxprincipes – abstention dans le domaine de l’autorité publique et liberté dans la société –qui a fait la preuve de sa puissance libératrice ». Dans ce contexte, l’école, lieu del’émancipation dans la tradition des Lumières, « doit respecter une neutralité totale, y compris pour les accompagnateurs scolaires », affirmetelle.
Pour l’historien Jean Baubérot, ce retour àune laïcité radicale témoigne de « lanostalgie d’une pureté laïque qui n’a jamais été mise en pratique. Ces stéréotypes onttraversé les époques sans faire la preuve deleur efficacité. On réinvente un passé sans voir l’écart entre les principes énoncés et la réalité, alors que Briand, Jaurès ou Buisson appelaient au pragmatisme et au respect des libertés, pas à une lecture religieuse des principes ». L’historien juge cette évolution « politiquement dangereuse car, en instrumentalisant la laïcité contre une religion qu’elle devrait au contraire protéger, on risqued’accroître chez les musulmans un sentiment d’exclusion ».
En vingt ans, l’édifice législatif qui encadre l’organisation des religions dans la société s’est renforcé, opérant un glissement vers une neutralité qui déborde la sphère purement publique. Ainsi l’interdiction du port de signes religieux atelle été étendue aux employés d’une crèche associative et aux salariés du secteur privé, souscertaines conditions. Cette évolution se heurte régulièrement au cadre législatif international – Pacte international relatif auxdroits civils et politiques des Nations unies,Convention européenne des droits de l’homme – qui protège la liberté religieuseet que l’Etat français a ratifié. Le Comité desdroits de l’homme des Nations unies ad’ailleurs interpellé plusieurs fois la Francesur ce qu’il considère être des « violations »de la liberté de religion des femmes musulmanes, précisant que, « pour respecter uneculture publique de laïcité, il ne devrait pas être besoin d’interdire le port de ces signesreligieux courants ».
Le sociologue Philippe Portier voit danscette évolution « la fin de la lecture libéralede la loi de 1905, qui durait depuis quatrevingtdix ans sous le contrôle du Conseild’Etat. Depuis les années 2000, la laïcité libérale du XXe siècle a laissé place à une laïcitéde contrôle. Comme le catholicisme auXIXe siècle pour les partisans d’une laïcité stricte, l’islam est devenu un objet de méfiance qu’il faut circonvenir ».
Dans ce contexte de raidissement, aggravé par la peur d’un terrorisme se réclamant d’un islamisme radical, le texte – encore à l’état d’avantprojet de loi –, qui doitêtre présenté en conseil des ministres le9 décembre, franchit un nouveau palier, estime le chercheur. « Dans la loi du28 mars 1882 sur l’instruction publique, la famille reste souveraine et demeure libre d’éduquer ses enfants à la maison. Le projetde loi entend remettre en cause cette latitude. » La juriste Gwénaële Calvès note aussi« des éléments dans l’avantprojet de loi qui s’écartent de la conception libérale de la loide 1905, notamment par les contraintes inédites qu’il envisage d’imposer aux associations ». Nul doute que cette nouvelle étape ne ravive, dans le débat public, le souvenir de déchirures jamais vraiment cicatrisées.
claire legros
cains « combistes » – et même si l’Eglise catholique ne l’a bien évidemment pas vécucomme telle –, la loi de 1905 apparaît donccomme un texte de compromis.
Encore fautil préciser les contours duprincipe de neutralité. Jusqu’où peuton exercer sa liberté religieuse ? Où commencela reconnaissance ? Dès 1905, les législateurs introduisent des exceptions à la règle du nonsubventionnement, au nom de l’obligation faite à l’Etat de garantir la liberté de culte. Peuvent ainsi être « inscrites aux budgets » de l’Etat « les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées àassurer le libre exercice des cultes dans lesétablissements publics, tels que les lycées,collèges, écoles, hospices, asiles et prisons ».
« Tout au long du XXe siècle, les acteurs juridiques et politiques vont converger pourconforter la lecture libérale de Briand et de Jaurès », note Philippe Portier. De l’autorisation des processions religieuses à celle dela sonnerie des cloches des églises, les arrêtés du Conseil d’Etat vont ainsi régulièrement privilégier la liberté sur la restriction.
C’est aussi cette lecture libérale quiconduira, à partir de la Ve République, à établir un nouveau compromis avec l’Eglise catholique. Adoptée le 29 décembre 1959dans une ambiance de champ de bataille, laloi Debré instaure un système de contratsqui « enfreint le tabou de l’article 2 de la loide 1905 interdisant toute subvention directede l’Etat à un culte, quel qu’il soit », raconteValentine Zuber. En échange d’aides publiques, les écoles catholiques s’engagent àsuivre le programme de l’enseignementpublic. Une partie de la gauche ne pardonnera jamais cet accroc au contrat initial. En 1984, le ministre socialiste Alain Savarytentera d’intégrer les écoles privées dansun grand service public mais il sera contraint de reculer face aux manifestationsen faveur de l’« école libre ».
Le sociologue Philippe Portier y voit la find’une époque. « A partir des années 1960, lalaïcité séparatiste n’existe plus, affirmetil.On entre dans un nouveau modèle, une laïcité de la reconnaissance, où l’Etat soutientpositivement les religions. Le financementdes écoles privées, plus important que dans la majorité des autres pays, en est l’un des points significatifs. » Cette laïcité de collaboration perdure encore, selon lui, à travers les rencontres régulières des pouvoirs publics avec les représentants des confessions, sans guère susciter de débat.
La juriste Gwénaële Calvès tempère : « Lesactivités religieuses organisées dans les écoles privées ne bénéficient évidemment d’aucun financement public. Ce qui est financé, c’est l’application du programme del’éducation nationale, dont le contenu estdéterminé par l’Etat de manière unilatérale.Même chose pour la loi. Les organisationsreligieuses, comme d’autres composantes dela société civile, sont parfois consultées enamont, mais leur poids politique est nul. Onreste bien dans un régime de séparation. »
AU PRISME DE L’ISLAMIl faut attendre la fin des années 1980 pour que s’ouvre un nouveau chapitre de l’histoire de la laïcité française. Avec l’installationde l’islam dans le paysage religieux français émerge un nouvel acteur qui cherche sa place dans une laïcité pensée et modelée sans lui. Dans une société sécularisée où lapratique religieuse est l’une des plus basses d’Europe, la République est confrontée à « une partie de la population musulmane qui revendique une visibilité publique », souligne Philippe Portier. Une situation nouvelle à laquelle s’ajoute le fait que « l’histoire deFrance est marquée par des relations difficilesavec l’islam. Il existe dans la société française une hantise de son expansion, amplifiée par l’histoire coloniale. Alors que la République a accordé en 1870 la citoyenneté aux juifs d’Algérie avec le décret Crémieux, elle ne l’a pas fait pour les musulmans, qui sont restés en dehors, avec le statut d’“indigènes”. »
L’affaire des foulards au collège de Creilen 1989, à l’origine de l’adoption de la loi de 2004 sur les signes religieux dans les écoles publiques, celle du voile intégral qui aboutit à l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public en 2010 en vertu de l’ordre public, puis les multiples épisodes de la bataille judiciaire de la crèche BabyLoup, quiconduit en 2016 à autoriser les entreprises à inscrire le principe de neutralité dans leur règlement intérieur, questionnent à nouveau l’équilibre entre libertés et neutralité.
Les débats convoquent, cette fois, lesnotions d’égalité femmehomme ou dedignité humaine, tandis que les discus
30 | idées SAMEDI 5 DÉCEMBRE 20200123
Libéral assumé, l’écrivain et critique littéraire américain analyse les dégâts du trumpisme, les défis de Joe Biden et les aveuglements de la presse d’outreAtlantiquesur la laïcité française
ENTRETIEN
L’écrivain et critique Leon Wieseltier est une figure centrale de lavie intellectuelle américaine destrente dernières années. De 1983à 2014, il a dirigé les pages littéraires de The New Republic et a
contribué à en faire l’un des magazines les plus influents de son pays. Très attaché au libéralisme politique, Leon Wieseltier a eu pour mentor le philosophe britannique Isaiah Berlin (19091997), qu’il a rencontré alors qu’il étudiait à Oxford dans les années 1970. En 2017, la presse a révélé qu’il s’était livré à des actes de harcèlement sexuel contre certaines de ses collègues. Aucune procédure judiciaire n’a été engagée contre lui. Il a présentédes excuses, sans reconnaître l’ensemble des accusations à son encontre. Il s’est également retiré un temps de la vie intellectuelle. Il revient maintenant en présentant une nouvelle revue littéraire, Liberties, qu’il codirige avec Celeste Marcus.
Que vous inspire l’élection de Joe Biden à la présidence des EtatsUnis ?
C’est une formidable victoire qui permet au pays de respirer. Mais il n’est pasencore sûr que les démocrates puissentaccomplir la tâche qui les attend, réformer le pays et restaurer ce qui a été endommagé par le président Trump. Toutdépendra de l’élection partielle qui se déroulera en janvier en Géorgie pour désigner les deux sénateurs de cet Etat. Si les républicains gagnent, ils garderont leurmajorité au Sénat et empêcheront le président Biden de gouverner.
Il faut bien avouer que le résultat de laprésidentielle n’a rien de rassurant. La répudiation tant attendue de DonaldTrump ne s’est pas produite. L’écart est mince entre les deux candidats à la Maison Blanche. Ni les scandales à répétition ni le racisme ne semblent avoir découragé de voter républicain, ce qui est profondément décourageant.
En 2016, l’élection de Trump a été interprétée comme la fin de l’ère libérale, une ère de prospérité et de paix engagée après la seconde guerre mondiale et dont les principes étaient inspirés par le libéralisme politique. Ce courant de pensée peutil être sauvé ?
Considérer le libéralisme avec méprisest la chose la plus idiote qui soit. C’est la seule voie que l’on puisse emprunter pour sortir de la crise actuelle. Il est vrai
que le libéralisme a inspiré, ou servi à justifier, des décisions politiques calamiteuses et erronées. Je pense ici à la guerre au Vietnam. Mais je ne crois pas pour autantque ce conflit ou l’invasion de l’Irak, en 2003, signifient que l’Amérique doit se retirer de la scène internationale. La nonintervention en Syrie est une honte.
Certains progressistes tiennent aujourd’hui le libéralisme responsable de l’ensemble des problèmes actuels. La gauche radicale estime, par exemple, que les inégalités, qui atteignent un niveau grotesque aux EtatsUnis, sont le produit de politiques inspirées par le libéralisme. Mais, en vérité, les torts sont partagés et le cultedu laisserfaire des conservateurs est bien davantage responsable.
Tant aux EtatsUnis qu’en France, ondoit reconnaître que le libéralisme est à l’origine de grandes réalisations – lesdroits civiques, les droits des femmes et des gays, un système de santé plus juste,et la protection sociale. A l’échelle de l’histoire humaine, rares sont les doctrines politiques qui peuvent se vanter d’avoir un bilan en demiteinte, la violence et lamisère dominent généralement.
Pouvezvous définir le libéralisme ?Sur le plan politique, le libéralisme est ce
courant de pensée qui vise avant tout à préserver et à renforcer la dignité de l’individu. Aucune conception de l’individu, séculière ou religieuse, qui viendrait bafouersa dignité ne doit être tolérée. Et c’est parceque les totalitarismes de gauche ou de droite ont subordonné l’individu à une communauté ou à un collectif que les libéraux s’y sont vivement opposés.
Le libéralisme repose sur un secondprincipe. Nous menons tous notre vie en investissant différents domaines, la politique, l’économie, la culture… Chacun de cesdomaines doit être respecté et aucun de ces domaines ne doit être assujetti à un autre. Considérer la vie humaine uniquement d’un point de vue économique ne peut pas proprement en rendre compte et conduira à l’essor d’une forme de pouvoir politique absolutiste. Le libéralisme repose donc sur un pluralisme radical.
L’indépendance des sphères est aujourd’hui attaquée. C’est particulièrement préoccupant pour les arts. Les progressistes et les conservateurs considèrent qu’il ya une parfaite synchronisation entre lacréation et la politique. Tout roman, toute exposition sont analysés en fonction de leur dimension politique, même lorsqu’ils en sont dépourvus. Affirmer l’autonomie des arts est l’un des combats auxquels je suis le plus attaché et ce sera une priorité pour la revue que nous venons de lancer avec Celeste Marcus.
Le philosophe Isaiah Berlin a été pour vous un mentor. Dans quelles circonstances avezvous fait sa connaissance ? En quoi restetil aujourd’hui une figure incontournable ?
Isaiah était un homme merveilleux.Grâce à lui, votre esprit devenait plusagile. Il incarnait tout le raffinement du libéralisme européen. J’ai passé de nombreuses heures à discuter avec lui, à Jérusalem, Oxford, Washington et à Paraggi, un hameau en Italie, où il avait une maison de campagne.
J’ai appris que les idées ont valeur de vieou de mort. J’ai appris que quiconque croit en la force de la raison doit étudier la
déraison. J’ai appris que le nationalismeet le libéralisme peuvent aller de pair.
Ces principes ne sont pas dépassés. Aucontraire, il faut s’y attacher pour préserver ce qui doit l’être et changer ce qui ne convient plus. Ces principes nous éclairent au moment de réformer la société,afin que nous agissions de façon responsable et décente, et non avec un empressement furieux.
Après l’assassinat de Samuel Paty, Emmanuel Macron a jugé nécessaire d’intervenir dans la presse anglosaxonne pour expliquer la laïcité française et ses récentes prises de position contre l’islamisme. Qu’avezvous pensé, par exemple, du récent entretien qu’il a accordé au « New York Times » ?
Emmanuel Macron a raison de défendre l’universalisme. Mais ce n’est là que ledébut. L’universalisme doit apprendre à respecter le particulier, et ne pas se sentirmenacé par les différences humaines. Ildoit donc veiller à ne pas être coercitif. L’expression publique d’un sentiment religieux est parfaitement compatible avecla vie au sein d’une société sécularisée. Laliberté religieuse est l’une des grandes réalisations de la laïcité. Ne feignons pas de croire que certains se comportent de façon parfaitement universaliste et d’autres de manière absolument distinctive. Nous sommes tous un mélange des deux et les sociétés que nous formons reposent sur la façon dont nous combinons ces éléments.
Le président français a également raison de souhaiter l’avènement d’un « islam des Lumières ». Mais, là encore, dire cela paraît insuffisant. Une religion ne peut être réformée que par ceux qui la pratiquent. Néanmoins, tout citoyend’un pays donné doit en respecter lesprincipes moraux et les lois.
Et qu’avezvous pensé de la couverture par la presse américaine de l’attaque contre Samuel Paty ?
Nous avons fait preuve, aux EtatsUnis,d’une indifférence indécente face à cet assassinat. Cette attaque a été oubliée àcause de la campagne électorale. Dans les rares articles qui y étaient consacrés, la laïcité était en effet présentée comme la cause de ce meurtre. Il y a certes bien des choses à dire sur la façon dont elle est appliquée en France. Mais, pour autant, ce n’est pas la laïcité qui a tué Samuel Paty.
Dans sa couverture de l’assassinat decet enseignant, la presse américaines’est contentée de répéter certains présupposés qui régissent aujourd’hui lediscours politique aux EtatsUnis. Des journalistes ont estimé que l’assassinat de Samuel Paty démontrait que la France devait se confronter au racisme systémique qu’elle abrite. Je ne doute pas
un instant que la France doive agir contre le racisme, mais évitons d’interpréterles événements survenant en France à lalumière de concepts américains.
L’islamisme à l’origine de ce crime abien été passé sous silence par crainted’offenser les musulmans ou de pratiquer une forme de discrimination. C’est proprement scandaleux. Décrire cette attaque comme étant le fait d’un islamiste ne revient pas à le mettre sur le compted’un musulman. Bien au contraire. Une idéologie est en cause, il faut la nommer. Un acte de malfaisance journalistique adonc été commis en ne décrivant pas correctement les événements, et cela démontre à quel point la liberté d’expression est dans un triste état aux EtatsUnis
Que voulezvous dire ?Nous nous sommes habitués à considé
rer l’offense faite à un autre comme étantle pire crime qui soit. Le débat public doit désormais absolument éviter de heurterqui que ce soit, ce qui est contraire à l’idéemême d’une société ouverte. Chacun doitavoir le cuir un peu plus épais, et ne plus sans cesse crier à l’insulte, ou exiger une forme de reconnaissance. Les principes fondant notre société sont aujourd’hui remis en jeu, du fait des tensions actuelles, les esprits vont donc s’échauffer. Aussi il faut accepter l’injure, comme un prix valant la peine d’être payé.
Vous avez été accusé d’agressions sexuelles par de nombreuses femmes. Vous venez de lancer une nouvelle revue littéraire. Pourquoi estimezvous qu’il est maintenant possible de faire votre retour ?
Je suis heureux que vous me posiezcette question. Il y a vingt ans, j’ai tenté d’embrasser une collègue, ce que jen’aurais pas dû faire. C’est l’infraction la plus grave que j’ai commise. Je conteste cependant ce qu’a pu écrire le New York Times à mon sujet, affirmant que j’aurais embrassé plusieurs de mes collègues. Cela est faux. Les autres allégations me visant le sont aussi, ou sont triviales.
Néanmoins, lorsque ces faits ont étérendus publics, j’ai bien compris ma fauteet je me suis immédiatement excusé. Sans chercher à m’apitoyer sur moimême, je dois bien dire que cette expérience a été particulièrement difficile, parce qu’il n’y a pas eu d’enquête judiciaire. Chaque accusation faite à mon encontre était considérée véridique, sansque je puisse me défendre. J’ai donc choisi de me retirer un temps du débatpublic pour réfléchir sur ma conduite. Jecomprends que de nombreuses femmes subissent aux mains d’hommes de graves souffrances. Le mouvement #metooa permis l’adoption de certaines réformes qui étaient nécessaires, mais a aussi entraîné l’essor d’un puritanisme qui correspond bien au climat de notre époque.
Cette expérience m’a aussi fait prendreconscience de la beauté et de l’importance du pardon, une chose que l’on ne comprend que lorsque l’on a été fautif. Le pardon est une chose si rare.
propos recueillis parmarcolivier bherer
J’AI APPRIS QUE QUICONQUE CROIT EN LA FORCE DE LA RAISON DOIT ÉTUDIER LA DÉRAISON. J’AI APPRIS QUE LE NATIONALISMEET LE LIBÉRALISME PEUVENT ALLER DE PAIR
YANN LEGENDRE
Leon Wieseltier « Aux Etats-Unis, la liberté d’expression est dans un triste état »
0123SAMEDI 5 DÉCEMBRE 2020 idées | 31
Olivier de Frouville La France, peu cohérente patrie des droits de l’hommeLes réactions négatives ou d’incompréhension dans le monde, y compris dans des pays amis, à l’égard de la réponse de l’exécutif à l’islamisme radical montrent la nécessité de relancer l’engagement de Paris sur les libertés, souligne le juriste
La liberté, nous la chérissons ;l’égalité, nous la garantissons ; la fraternité, nous la vivons avec intensité. Rien ne
nous fera reculer, jamais. » Tel est le premier message d’une suite de quatre Tweet postés par le président français Emmanuel Macron, en réponse aux agressions verbales du « sultan pyromane » (Le Monde du 26 octobre) Recep Tayyip Erdogan. Le message est beau et on a envie d’y croire, surtout après l’assassinat sauvage, le 16 octobre, de Samuel Paty qui a empli tous les amis des Lumières et de la liberté d’un sentiment de désespoir et de tristesse immense.
Pourtant, force est de constaterque les réactions négatives, ou simplement sceptiques ou d’incompréhension, à l’égard de la réponse de l’exécutif face à l’islamisme ne se limitent pas aux dictateurs populistes – sans quoi nous pourrions probablement nous en accommoder. Ces réactions proviennent aussi d’Etats « amis »et de personnes qui avancent des raisons de douter que la France puisse s’ériger en modèle
« chérissant » les libertés, « garantissant » l’égalité et vivant « avec intensité » la fraternité, alors même que se profile un projet de loi rassemblant une série de mesures disparates réunies sous le mot d’ordre quelque peu guerrier de la lutte contre le « séparatisme ».
Longue liste de critiquesA vrai dire, l’embarras de nos amisserait sans doute moins grand, voire quasiment nul, si la France par ailleurs était porteuse d’un discours cohérent sur les droits del’homme, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Certes, la France n’a jamais su, dans son histoire, établir une parfaite cohérence entre ses actes et son aspiration à se présenter comme la« patrie des droits de l’homme ».
Admettons que des contraintesgéostratégiques pèsent sur un État qui, après tout, doit savoir composer avec son statut d’ancienne puissance coloniale, de membre permanent du Conseil de sécurité et de partie du club très fermé des puissances nucléaires« officielles ». Il n’empêche : la
France se doit d’être à la hauteur de son ambition dans ce domainesi elle veut convaincre et être suivie. Récemment, elle a été élue au Conseil des droits de l’homme desNations unies [pour le mandat 20212023]. Alors même que le résultat était pratiquement acquis d’avance (deux candidats pour deux sièges), la diplomatie française a pris le soin de définir son programme et ses engagements autour d’un certain nombre de priorités. Mais cette série d’objectifs alignés les uns à côté des autres ne fait pas une politique. Malgré les efforts des diplomates « de terrain », à Genève, New York et dans les « postes », une telle politique peine à prendre forme au plus haut niveau.
A cette difficulté de la France àêtre simplement audible en matière de droits humains s’ajoute une liste de critiques qui s’allonge. Et cellesci ne sont pas formulées, comme il est dit souvent,par des dictateurs comme Erdogan, mais par des experts indépendants qui, malgré leur sympathie pour la « patrie des Lumiè
res », ont l’obligation, par leurmandat, d’établir les faits.
Or ceuxci sont peu reluisants,depuis l’usage disproportionné de la force contre les manifestantsjusqu’au système opaque de ventes d’armes susceptibles d’êtreutilisées par la suite dans des conflits où sont commis des crimes de guerre et des crimes contrel’humanité, comme au Yémen, en passant par la gestion misérablede la « crise » des réfugiés – qui estsurtout une crise de responsabilité (ou d’irresponsabilité) des dirigeants européens pris collectivement et individuellement.
Structurer la position françaiseEmmanuel Macron peut encore, avant la fin de son mandat, montrer que l’attachement de la France aux libertés a une portée universelle. Avec le premier ministre, il pourrait créer un poste de secrétariat d’Etat aux droits de l’homme au sein du ministère de l’Europe des affaires étrangères,avec pour mission, d’ici à 2022, non seulement de structurer et de faire entendre la position de la
France sur les droits humains, mais aussi de veiller à ce que toutes les actions du gouvernementsoient évaluées à cette aune. En sesouvenant de René Cassin (18871976), l’un des « pères » de la Déclaration universelle des droits del’homme de 1948, il pourrait décider que, désormais, les droits humains universels seront la boussole de la politique étrangère de laFrance – au même titre que la lutte contre le réchauffement climatique et en lien étroit avec celleci. Car, s’il n’y a pas de contradiction entre la lutte pour la fin du mois et la lutte contre la crise climatique, il y a une pleine convergence entre une défense activedes droits humains et l’ambitieuxobjectif de « Make our Planet great again ! ».
Olivier de Frouville est juriste, professeur de droit public à l’université Paris-II-Panthéon-Assas
James McAuley Nous avons peur pour l’avenir de l’idéal universel françaisLe correspondant du « Washington Post » à Parisréagit aux récentes critiques visant le traitement par la presse américaine de la politique d’Emmanuel Macron visàvis des Français musulmans
Depuis la décapitation de SamuelPaty, des Français se sont indignésde l’incapacité supposée de lapresse américaine à reconnaître le
caractère spécifique du terrorisme islamiste qui cible la France et à comprendre les valeurs fondamentales de la République. Une indignation en partie justifiée. Je confesse l’avoir moimême ressentie lorsqu’une de mes collègues des pages débats a tweeté – depuis Washington – quela nouvelle loi française sur le « séparatisme » prévoyait d’attribuer un numéro d’identification aux enfants musulmans nés sur le territoire français. J’ai lu d’autres contrevérités flagrantes, comme l’absurde comparaison, par un journaliste du New Yorker, de la laïcité française avec les crimes du stalinisme et du maoïsme. Ces commentaires tombent exactement dans la caricature que lesFrançais dénoncent.
J’ai en mémoire des excès similaires àchaque fois que resurgit ce débat sans fin entre la France et les EtatsUnis sur ces questions délicates de religion, d’identité et d’universalisme. Mais les tensions sontcette fois montées d’un cran : le présidentde la République, particulièrement sensible à son image à l’étranger, s’est personnellement lancé dans la bataille, accusant les journalistes comme moi de projeter leurs biais culturels sur la France et de ne pas saisir sa véritable identité.
« Il y a une forme d’incompréhension dece qu’est le modèle européen, en particulier le modèle français », explique Emmanuel Macron au New York Times. En toutehumilité, je suis obligé de dire que je ne
suis pas d’accord avec le président. Je dirais précisément le contraire : nouscomprenons le modèle français et nous avons peur pour l’avenir de son idéal universel – un idéal que, personnellement, j’estime profondément.
Confusion entre musulman et islamisteDepuis mon arrivée en France en 2015, etplus encore après la dernière série d’attentats, j’observe un durcissement dudiscours sur l’universalisme. Personnene nie la nécessité de combattre le terrorisme islamiste, qui a fait plus de 260 morts en France depuis 2012. Mais,surtout depuis la terrifiante décapitationde Samuel Paty, certaines déclarations publiques m’inquiètent – en premierlieu, celles des ministres de M. Macron –, qui confondent religion musulmane etislamisme, isolant et stigmatisant toute une minorité religieuse de la communauté française, au moment où le pays a le plus besoin d’unité nationale.
Je suis extrêmement frappé par la rhétorique des serviteurs de la République.L’actuel ministre de l’intérieur, GéraldDarmanin, en plein procès des complices présumés de l’attentat de l’Hyper Cacher, s’en est pris aux rayons de viande halal et casher dans les supermarchés : selon lui, la commercialisation de ces produits relève du communautarismeet alimente le « séparatisme » contre lequel lutte le gouvernement. Et il ne s’agitpas d’une malheureuse remarque de plus : le ministre est à l’origine de mesures répressives visant des organisationsmusulmanes qu’il accuse d’être compli
ces de la violence terroriste. Cela nourrit la confusion dans les esprits entre musulman et islamiste.
JeanMichel Blanquer, le ministre del’éducation, s’en prend régulièrement à l’« islamogauchisme », un terme flou aux connotations historiques sinistresutilisé pour saper activement la libertéd’enseignement à l’université. Et quand, en l’honneur de Samuel Paty, les autorités régionales ont projeté sur des bâtiments publics de Toulouse et de Montpellier les caricatures de Mahomet publiées dans Charlie Hebdo, elles ont portéatteinte à la neutralité de l’Etat tellequ’elle découle de la loi de 1905. « Je suis Charlie », oui, mais il y a une énorme différence entre un Etat qui défend la liberté d’expression et un Etat, censé êtreneutre, qui endosse des images bafouantles convictions d’un grand nombre de fidèles citoyens de la République.
Je suis venu en France pour y poursuivre des études sur sa longue et magnifique histoire. Mon point de vue est celuid’un Américain de culture juive, pas
sionné par l’histoire de l’émancipation universelle des juifs au moment de la Révolution et de la profonde relation – parfois tragique – entre les juifs de France et le reste de la communauté nationale qui s’est ensuivie tout au long du XIXe siècle, hélas mécomprise dans mon pays.
Mon premier livre raconte l’histoired’un réseau de grandes familles « israélites », fières d’être juives, mais aussi ferventes avocates de la République et de l’universalisme. Faisant écho à d’autres historiens avant moi, notamment à Maurice Samuels, mes recherches montrent que l’universalisme français n’a pas toujours autant demandé aux citoyens de la République qu’il ne le fait aujourd’hui.
Croyants et universalistesD’un point de vue historique, l’universeln’exige pas l’effacement du particulier, et si la laïcité telle qu’elle est définie dansla loi de 1905 garantit la liberté de conscience, cette liberté est autant celle decroire que de ne pas croire. Aujourd’hui,ce qui me dérange chez une bonne partie de l’élite française, outre la confusionentre islam et « islamisme », c’est que cette liberté soit souvent omise dans ledébat actuel sur le séparatisme. On oublie en effet que l’on peut, par exemple, porter un voile, manger de la viandehalal et être un parfait républicain, respectueux de la loi et du projet universaliste. On n’est pas soit l’un, soit l’autre.
Rappelons que, pendant une bonnepartie du XIXe siècle, l’universel et le particulier n’étaient en rien exclusifs l’un del’autre. Les Reinach, par exemple, unedes familles les plus républicaines del’histoire de France, éminemmentdreyfusarde, ouvertement et fièrement juive. Marchant dans les pas d’intellectuels comme Léon Halévy (18021883),Théodore Reinach (18601928), hommede lettres et député, fut l’un des fondateurs du judaïsme libéral en France. Dans un essai remarquable – et discuta
ble –, il fait de l’universalisme françaisl’héritier naturel de l’éthique des prophètes hébreux.
Dans son Histoire des Israélites depuis laruine de leur indépendance nationale jusqu’à nos jours (1884), il note que la particularité – dans le cas présent, la judaïté – pouvait passer avant l’universel tout en servant à défendre et à diffuser les idéauxuniversalistes : « Les hommes qui travaillent à éclairer, à secourir, à relever une population si nombreuse, si malheureuse et si bien douée ne travaillent pas uniquement pour le bien d’Israël, mais pour le bien de la civilisation en général. » J’ai interviewé en France quantité de chefs religieux musulmans qui se sentent investis de la même mission.
A un certain niveau, le durcissement dudiscours sur l’universalisme est compréhensible : il vient d’un traumatisme, ce dont nous, Américains, ferions bien de nous souvenir. Mais le problème, me sembletil, est que ce durcissement arrive à un moment où la société française est plus diverse que jamais.
Je ne pense pas que la France et lesEtatsUnis soient fondamentalement sidifférents : nous sommes des républiques sœurs, héritières des Lumières et – que l’élite française reconnaisse ou non cette réalité – des sociétés multiculturelles. L’universalisme n’a jamais été exclusif ; il n’exige ni déni de la différence ni hostilité envers la particularitéreligieuse, comme le montre clairement l’histoire française. Si on l’oublie, l’héritage de l’universalisme français risque de devenir une sorte de particularisme. Et d’être ruiné par la confusion. Traduit de l’anglais par Valentine Morizot
James McAuley est correspondant du « Washington Post » à Paris
L’UNIVERSALISME N’A JAMAIS ÉTÉ EXCLUSIF ; IL N’EXIGE NI DÉNI DE LA DIFFÉRENCE NI HOSTILITÉ ENVERS LA PARTICULARITÉ RELIGIEUSE, COMME LE MONTRE CLAIREMENT L’HISTOIRE FRANÇAISE
LE PRÉSIDENT POURRAIT DÉCIDER QUE LES DROITS HUMAINS UNIVERSELS SERONT DÉSORMAIS LA BOUSSOLE DE NOTRE POLITIQUE ÉTRANGÈRE
32 | idées SAMEDI 5 DÉCEMBRE 20200123
L’INFLUENCE DU RACISME EN PSYCHIATRIELIVRE
C’ est une enquête minutieuseque retrace Jonathan Metzldans Etouffer la révolte. Lapsychiatrie contre les CivilRights, une histoire du contrôle
social (Autrement). Pendant quatre ans, le psychiatre américain a plongé au cœur de quelque624 boîtes d’archives de l’hôpital d’Etat d’Ionia (Michigan) pour criminels pénalement irresponsables, mais aussi de millions de morceauxde musique populaire, de romans, d’articles de presse, de publicités, de films… Le résultat en est surprenant. Il retrace l’évolution du diagnostic de la schizophrénie au sein du corps médical au XXe siècle. Il montre comment l’histoire raciale des EtatsUnis a fortement influencé l’institution médicale au point qu’elle afait de la schizophrénie une maladie touchant tout particulièrement les hommes noirs au moment de la lutte pour les droits civiques.
« Psychose de la révolte »Epluchant les dossiers des criminels envoyésdans cet asile, les rapports médicaux et leséchanges patientsmédecins des dossiers estampillés « Blancs » et « Nègres », l’auteur constate que, dans les années 19201930, la majorité des schizophrènes sont des femmesblanches issues de la classe moyenne rurale,arrêtées pour trouble à l’ordre public,tentative de suicide ou vol à l’étalage. Ellessont jugées inoffensives, mais défaillantes ence qu’elles ne sont pas des épouses modèles. Le cas d’Alice Wilson est saisissant. Sa fiched’admission révèle qu’elle est incarcéréepour « s’[être] mise à divaguer et à embarrasser son mari ». Elle montrait des signes deconfusion et parlait trop fort.
Tout bascule dans les années 1960 alors queDetroit, à 130 km d’Ionia, est l’un des épicentres de la lutte pour les droits civiques. A cette époque, de prestigieuses revues médicales et
de nombreux psychiatres, à l’instar de WalterBromberg et Franck Simon, « décrivent la schizophrénie comme une “psychose de révolte” envertu de laquelle les hommes noirs développent“des sentiments hostiles et agressifs” et “desdélires antiBlancs” après avoir entendu les discours de Malcolm X, rejoint les Frères musulmans ou rallié les groupes prêchant la résistance militante face à la société blanche ».
A la fin des années 1960, plus de 60 % despatients de l’hôpital d’Ionia sont des « hommes noirs, schizophrènes, “dangereux et paranoïaques”, originaires pour la plupart des quartiers populaires de Detroit » contre à peine 12 % en moyenne entre 1920 et 1950. En fait, « certains patients, constate Jonathan Metzl, devenaient schizophrènes, non plus à cause de leurs symptômes cliniques, mais parce que les critèresde diagnostic avaient changé. »
Pour le chercheur de l’université Vanderbilt(Tennessee), cette compréhension de la schizophrénie puise ses racines dans l’histoire de lamédecine. A la fin du XIXe et au début du XXe siècle, l’accent était mis sur la biologie du cerveau pour avancer que « les Nègres » étaient « inaptes à la liberté » et que « la tendance des esclaves à fuir leur captivité constituait un trouble médical guérissable », à coups de « fouet,[de] travaux forcés, et, dans les cas extrêmes, [de] l’amputation des orteils ». La recherche médicale avançait alors que « la folie
augmentait de façon spectaculaire chez les AfroAméricains après leur émancipation ». Ces derniers ne sont pas restés sans réagir. Des analyses de W.E.B. Du Bois dans Les Ames du peuplenoir (1903, publié pour la première fois en France en 1959) à Martin Luther King, Stokely Carmichael, Malcolm X, il est question de la difficulté d’être à la fois noir et américain dans une société esclavagiste ou ségréguée, entraînant une schizophrénie ou une double conscience, réponse à la violence faite aux AfroAméricains. « Cette notion d’une dualité psychologique structurelle, née d’une adaptation à lasociété blanche, traverse la pensée politique noire tout au long du XXe siècle », écrit M. Metzl.
Taux plus élevé en prisonDans ce contexte, les militants noirs américains des années 1960 inversent l’analyse des psychiatres blancs, et la schizophrénie est alors « une réponse éthique au racisme, la violence le seul traitement raisonnable pour mettre fin à un déséquilibre aussi important. (…) Le vocabulaire de la paranoïa, de la psychose et de la schizophrénie devient unmoyen de pathologiser la société blanche touten justifiant une autodéfense agressive ».
Selon Jonathan Metzl, « les hypothèses etpréjugés racistes sont historiquement inscrits dans la structure même du système de santé » et « continue[nt] d’avoir des conséquencesnéfastes sur la vie des hommes noirsaméricains [qui] se voient prescrire des doses plus élevées d’antipsychotiques que les patientsmasculins blancs, et qui ont plus de chancesd’être décrits comme hostiles ou violents par lesprofessionnels de la santé ». Ils sont d’ailleurs envoyés davantage en prison – où le taux deschizophrénie est jusqu’à 5 fois plus élevé que dans la population générale – que dans un établissement de santé. L’évolution de l’hôpital psychiatrique d’Ionia est, à ce titre, symbolique. En 1977, c’est devenu une prison.
séverine kodjograndvaux
ÉTOUFFER LA RÉVOLTE. LA PSYCHIATRIE CONTRE LES CIVIL RIGHTS, UNE HISTOIRE DU CONTRÔLE SOCIALde Jonathan Metzl Autrement, 400 pages, 23,90 euros.
2040, confinement climatique | par serguei
LA PÉDOPHILIE, UNE PLAIE DE L’ÉGLISELA REVUE DES REVUES
E n septembre 2010, le prêtre jésuitePierre de Charentenay publiait, dansla revue Etudes, un article sur les ré
vélations en série d’affaires de pédophiliedans l’Eglise catholique. L’auteur y reconnaissait que « pendant des décennies », la transparence n’avait « pas été le critère d’action de l’Eglise, qui voulait au contraire cacher ces actes ». Il incriminait des défaillances dans la gouvernance de l’institution.
Aujourd’hui responsable du centre d’études et de recherches de l’Institut catholiquede la Méditerranée, le prêtre reprend le dossier des violences sexuelles dans la livraison de novembre d’Etudes. Son article témoigne du chemin parcouru dans la prise de conscience par l’Eglise de la nature de la crise, de ses causes et de ses implications.
Des scandales les plus retentissants deces dernières années, au Chili et en Pologne, l’auteur retient le rôle capital de la parole des victimes. « Sans les victimes, sans
leur insistance (…), rien n’aurait eu lieu, carl’Eglise locale ne réagit que sous la pression », écritil. En France, il a fallu attendre novembre 2018 pour que les évêques accueillent des victimes de violences sexuelles lors de leur assemblée plénière.
La pression des victimes et des pouvoirspublics a conduit à créer des commissions d’enquête. Avec la Commission indépendante sur les abus dans l’Eglise, « la France met en route un processus déjà achevé dans de nombreux pays, parfois depuis dix ou quinze ans », relève l’auteur. Quant au sommet de l’Eglise, sa lente prise de consciencea débouché sur le « sommet » des présidents de conférence épiscopale organisé à Rome par le pape François en février 2019.
« Problème systémique »L’apport le plus significatif de l’analyse de Pierre de Charentenay est sa réflexion sur les facteurs qui ont permis ces violences sexuelles. Conséquences d’un « problème systémique : ces abus ne sont pas l’invention
de quelques esprits isolés dans leur perversion, mais bien le fruit de conditions spécifiques qui peuvent changer ».
Plusieurs « logiques », dans le contextecatholique, auraient fait le lit des abus. D’abord le cléricalisme, si souvent dénoncépar le pape François, « phénomène parlequel des hommes dans une situation de pouvoir imposent leurs points de vue aux communautés qu’ils créent ou dirigent ». Puis le développement, à partir des années1970, d’un courant gnostique qui a facilité l’apparition de « gourous ». Ces tendances ont favorisé des phénomènes d’emprise, par lesquels l’abuseur « réclame une soumission absolue, aveugle, demandant la remise de la liberté de conscience, comme offrande suprême, exigeant le renoncement etl’humilité totale ». Des logiques qu’il s’agitde tirer au clair pour pouvoir les contrer.
cécile chambraud
« Etudes, revue de culture contemporaine »,novembre 2020, 13 euros.
ANALYSE
A l’heure où s’écrit le bilan des années Trump,rares sont les structures gouvernementales
américaines à se trouver en meilleur état qu’il y a quatre ans.Dans un paysage de quasidésolation, la NASA fait figure d’exception, probablement parce que Donald Trump a peu concentré son attention sur elle. Probablement aussi parce qu’elle n’était pas au mieux lors de l’accession au pouvoir du bouillonnant républicain.
En 2016, la première agence spatiale du monde doute, notamment face à la remise en question des vols habités et de l’explorationhumaine de l’espace. Depuis 2011et l’arrêt des navettes, les EtatsUnis, pour envoyer leurs astronautes dans la Station spatiale internationale (ISS), se trouvent dans l’humiliante position d’avoirà acheter aux Russes des places dans leurs capsules Soyouz.
De plus, la NASA manque cruellement d’un cap, d’une feuille de route, car Barack Obama, plus enclin à investir dans le social que dans le spatial, a annulé « Constellation », le programme de retour sur la Lune voulu par son prédécesseur George W. Bush. Ne reste plus dans les cartons que l’hypothétique voyage vers Mars, pas daté, trop lointain pour susciterl’enthousiasme, tant en interne qu’auprès du public.
Dans un secteur qui se banaliseau risque de s’affadir, « la NASAa du mal à dramatiser son rôle, résume Xavier Pasco, directeur dela Fondation pour la recherchestratégique et spécialiste du spatial américain. On a l’impressionqu’elle devient une pure agence de recherche et développement, tandis que l’esprit d’exploration et l’effort de narration sont du côté des nouveaux industriels de l’espace comme Elon Musk, dont la communication impressionne ». 2016, c’est précisément l’année où SpaceX, la société d’Elon Musk, multiplie les réatterrissages de ses fusées et bouscule l’ordre établi en validant le concept – auquel peuaccordaient foi à l’origine – du lanceur réutilisable. Même si Donald Trump n’est pas un fan duspatial ou de la science, même s’ilentretient des relations compliquées avec les entrepreneurs du New Space – en plus d’Elon Musk, on trouve Jeff Bezos, le patron d’Amazon, qui est aussi fondateurde la société spatiale privéeBlue Origin –, son slogan « Make America great again » trouve dans une NASA déstabilisée, voiremorose, un merveilleux terreau où germer et pousser.
Ce regain passe tout d’abord parun regard nostalgique vers l’âge d’or de l’agence spatiale, celui des années 1960 et du programme« Apollo ». Fouetté par la menace intolérable que les Chinois soient les premiers à remettre un pied sur notre satellite et sans doute désireux de laisser une trace à la Kennedy, tout au moins dans l’histoire de la conquête spatiale,Donald Trump lance une nouvelle course à la Lune avec le programme Artemis. Ce que « JFK »avait promis de réaliser en moins de dix ans, le président républicain veut le faire en moins de
temps encore. Objectif : voir deux Américains – dont une femme – fouler le sol lunaire en 2024, censée être l’année finale de son second mandat. Pour ce faire, Donald Trump compte sur deux hommes. Le premier n’est rien moins que son viceprésident, Mike Pence, placé à la tête du National Space Council, une structure disparue en 1993 et ressuscitée en 2017, avec pour objectif defixer un cap aux activités spatiales. Mike Pence a réellement investi son rôle, reprenant l’idéeque l’espace est affaire de pionniers et l’intégrant dans sa vision presque messianique du destin américain. Le second homme est l’administrateur de la NASA que Donald Trump choisit fin 2017, Jim Bridenstine. Obscur élu républicain de l’Oklahoma à la Chambre des représentants, ce derniervoit sa nomination contestée car il n’est pas d’usage de prendre un politique pour diriger la NASA, mais elle passe finalement au Sénat par le plus faible des écarts(50 voix pour, 49 contre).
Un grand effort nationalMalgré cette médiocre entrée en matière, malgré sa réputation de climatosceptique – ce qui n’est pasle meilleur des atouts pour dirigerune agence à vocation scientifique –, Jim Bridenstine va déjouer tous les pronostics et se révéler efficace. Son secret : avoir clairement replacé la NASA en tant quechef de file d’un grand effort national au sein duquel les entreprises du New Space sont considérées comme de véritables partenaires et non plus comme des soustraitants.
Dans les faits, cela s’est traduit,en 2020, par le premier acheminement d’astronautes de la NASA vers l’ISS à bord d’une capsule privée, le Crew Dragon de SpaceX. Autre concrétisation : le futur module lunaire sera, lui aussi, conçu par une entreprise privée. Cette collaboration entre l’agence gouvernementale et les acteurs du New Space n’est pas nouvelle : ellea été amorcée par George W. Bush et développée par son successeurdémocrate. Le bon bilan de l’administration Trump en matière spatiale tient beaucoup au fait que, dans ce secteur, le président républicain n’a pas voulu faire table rase de l’héritage Obama.
Il est néanmoins un domainequi a souffert ces quatre dernièresannées, celui de la science menée à la NASA, et notamment la science ayant trait à l’observation de la Terre, dont on a souvent tenté de raboter les budgets. « Il est à peu près certain que Joe Biden,dont l’un des premiers actes sera de réintégrer les EtatsUnis dans l’accord de Paris sur le climat, remettra de l’argent dans ce domaine », assure Xavier Pasco.
Un rééquilibrage budgétaire qui,selon toute vraisemblance, se fera aux dépens d’Artemis. L’objectif de voir des Américains reposer le pied sur la Lune en 2024 n’était de toute façon pas tenable pour la NASA, ni sur le plan de l’avancée des technologies ni sur celui des finances. Le nouveau président valui donner un motif honorable pour le repousser dans le temps.
pierre barthélémy(service sciences)
EN 2016, LE SLOGAN « MAKE AMERICA
GREAT AGAIN » TROUVE DANS UNE
NASA DÉSTABILISÉE UN MERVEILLEUX
TERREAU OÙ GERMER
Le partenariat NASA-privé, un acquis des années Trump
NOMMÉ EN 2017, LE NOUVEAU PATRON DE L’AGENCE INTÈGRE
LES ENTREPRISES DU NEW SPACE
EN TANT QUE VÉRITABLES
PARTENAIRES
0123SAMEDI 5 DÉCEMBRE 2020 carnet | 33
JeanMarie BoëglinHomme de théâtre
I l a eu une vie romanesque etengagée. Une vie sous le signe du théâtre et de l’anticolonialisme, qui l’a mené en
Algérie, où il a cofondé le Théâtre national algérien, en 1963, aprèsavoir accompagné les débuts de Roger Planchon à Lyon. Cet homme, JeanMarie Boëglin, est mort, lundi 23 novembre, à Grenoble. Il avait 92 ans, et c’était lepère du metteur en scène de talent Bruno Boëglin.
Né à ChâlonssurMarne (aujourd’hui ChâlonsenChampagne), il a grandi entre une mère femme de ménage et un père cheminot, résistant, dont il rejoint le combat : à 15 ans, il est agent de liaison FTP (Francstireurs et partisans). A la Libération, il s’inscritau Parti communiste français, quil’exclut deux ans plus tard, au motif qu’il est « anarchiste ». Il rejointalors la Fédération anarchiste, quil’exclut en 1951, au motif qu’il est « marxiste ». JeanMarie Boëglin se dit alors : « Je suis tranquille, j’ai fait le tour », comme il le rapportera plus tard, avec son humour.
Passionné par le surréalisme etle théâtre, ami d’Arthur Adamovet d’Eugène Ionesco, il exerce divers métiers, dont instructeurd’art dramatique et journaliste à L’Union de Reims. En 1951, lors despremières rencontres francoallemandes pour la jeunesse, il fait la connaissance de Roger Planchon et de Mohamed Boudia, un comédien d’Alger. Puis il part découvrir le Berliner Ensemble, deBertolt Brecht, à Berlin. En 1957, ilrejoint Roger Planchon, à qui lemaire de Villeurbanne a confié leThéâtre de la Cité, qui deviendrale Théâtre national populaire(TNP). C’est alors que l’Algérie entre dans sa vie. JeanMarie Boëglin devient « porteur de valises » pour les militants du Front de libération nationale.
Condamné par contumaceIl mène deux vies parallèles : une,professionnelle, au Théâtre de la Cité, où il est secrétaire général,l’autre clandestine. En 1959, JeanMarie Boëglin est chargé de créerun réseau. Il dirige une cinquantaine de personnes, sous le nomde guerre d’Artaud. Mais, en novembre 1960, son réseau est démantelé. Ses amis sont arrêtés et emprisonnés. Lui parvient à se cacher. Condamné par contumace à dix ans de prison et à la privation de ses droits civiques, ilrejoint le Maroc en 1961. Il obtientle statut de réfugié politique etcrée une société de cinéma appelée Nedjma, en hommage à sonami Kateb Yacine.
Quand l’Algérie déclare son indépendance, en 1962, JeanMarie
Boëglin décide de s’y installer. Avec son ami Mohamed Boudia, ilcrée le Théâtre national algérien,qui ouvre le 1er janvier 1963. Il ymettra en scène L’Exception et la Règle, de Brecht, et Le Foehn, deMouloud Mammeri. Il dirigera aussi la section théâtre de l’équivalent algérien du Conservatoire, où il fait faire ses premiers pas à Fellag. En 1966, il aurait pu rentreren France, en vertu de la loi d’amnistie. Il refuse, parce que cette loiconcerne aussi les anciens de l’OAS, et qu’il ne veut pas « être surle même plan » qu’eux, comme il l’explique à notre consœur Catherine Simon, qui l’a interviewé, pour Le Monde et pour son livre Algérie, les années piedsrouges(La Découverte, 2011).
Deux ans plus tard, en 1968,JeanMarie Boëglin est licenciépar le gouvernement de Houari Boumediene. Mais il reste en Algérie, où il occupe divers emplois,et ne rentre en France qu’en 1981, pour rejoindre Georges Lavaudant, qui prend la direction de la Maison de la culture de Grenoble. JeanMarie Boëglin était lucide sur ses années « piedsrouges. » Il reconnaissait que, comme beaucoup, il n’avait pas voulu voir ce qui était en germe dans le FLN : unrégime qui faisait de la religion « le fer de lance de la résistance au colonialisme. », selon ses mots. Il se savait aussi victime des piègesdu nationalisme, « que j’habillais,moi le petit Blanc culpabilisant, de toutes les vertus ». « Visàvis del’Algérie, j’ai été un “idiot utile” », concluaitil, en reprenant la formule de Lénine à propos de certains soutiens étrangers de la révolution soviétique.
A partir des années 1980, JeanMarie Boëglin se consacre au théâtre. Jusqu’en 1988, il est secrétaire général de la Maison de la culture de Grenoble, puis conseiller artistique de Lavaudant. Puis il joue, et met en scène. En 1990, il dirige Vincent Cassel dans Bistro, dans le« off » d’Avignon. En 2006, il est dirigé par MarieSophie Ferdane dans On est mieux ici qu’en bas, au Théâtre des Célestins, à Lyon, oùavait commencé sa grande histoire de théâtre.
brigitte salino
14 AOÛT 1928 Naissance à Châlons-en-Champagne1957 Rejoint Roger Planchon au Théâtre de la Cité, à Villeurbanne1963 Cofonde le Théâtre national algérien1981 Rejoint la Maison de la culture de Grenoble23 NOVEMBRE 2020 Mort à Grenoble
En 2011. SOUDAN E./ALPACA/ANDIA. FR
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Le Carnet
AU CARNET DU «MONDE»
Décès
Sarah Chaillet-Bismuth,Nadine Saada,Martine et philippe Saada,Pascal Quignard,
ont la douleur de faire part du décèsde
M. Fabien BISMUTH.
Les obsèques ont eu lieu le vendredi4décembre2020, à 13h30, aucimetièreduPère-Lachaise, Paris 20e.
Augusta Cadars,née Quilichini,son épouse,
Laure et ChristophedeMaillard Taillefer,
Céline et Benoît Beaufour,Marie et Philippe Roux,
ses filles et ses gendres,Florent et Olivia, Cyrille, Diane,
Joséphine, Pierre et Marine, Auguste,Théophile, Albane,ses petits-enfants,
Louis,son arrière-petit-fils,
font part, avec une profonde tristesse,du décès de
Emilien CADARS,ancien directeurde l’IRA de Lyon,
chevalier de la Légion d’honneur,officier
de l’ordre national duMérite,
survenu le 1er décembre 2020,à l’âge de quatre-vingt-dix ans.
Une messe sera célébrée le mardi8 décembre, à 10 h 30, en l’égliseNotre-Dame de Vincennes.
Une cérémonie religieuse aura lieule samedi 12 décembre, à 14 heures,en l’église Saint-Sauveur, à Comps(Aveyron).
51, avenue du Château,94300 Vincennes.
Christine Clerici,présidente d’Université de Paris,
Alain Zider,doyen de la faculté des sciences,
Valérie Serre,directrice de l’UFR sciences du vivant,
Michel Werner,directeur de l’Institut Jacques-Monod(Université de Paris/ CNRS),
ont eu la grande tristesse d’apprendrele décès du
professeurFrançois CHAPEVILLE,
qui dirigea l’Institut Jacques-Monodde 1978 à 1992.
Ils et elles s’associent à la peinede sa famille et de ses proches.
Mme Claire Hébrard,sa sœur,
M. Edouard Friedler,son beau-frèreet leurs enfants,
sont au regret d’annoncer le décès de
M. Jean-Paul CHAPON,
survenu le 28 novembre 2020,à Nîmes,à l’âge de soixante-seize ans.
Ancien élève de l’X promotion 63,il a notamment travaillé pour legroupe Spie Batignolles et la Banquemondiale.
Les obsèques auront lieu cesamedi 5 décembre, à 12 heures, aucrématorium du Gard, à Nîmes.
Christiane Cosnier,née Houde,son épouse
Ainsi que sa famille,
ont la tristesse d’annoncer le décèsde
Jean COSNIER,maître de conférenceenmathématique
à l’université Grenoble-Alpes,chef de département informatique
à l’ I.U.T.2,
survenu à l’âge de quatre-vingt-deux ans.
Famille Cosnier,913, route du Pellet,38134 La Sure-en-Chartreuse.
Sylvie Rousset-Creuzet,sa femme,
Marine, Guillaume et Victor,ses enfants,
Gérard Creuzet,Annie De Tollenaere,
son frère et sa sœur,leurs conjoints,leurs enfants et petits-enfants,
ont la douleur de faire part du décèsde
François CREUZET,directeur scientifiqueet directeur délégué
de Saint-Gobain Research Paris,
survenu le 28 novembre 2020,à l’âge de soixante-trois ans.
Ses obsèques seront célébréesdans l’intimité, le mardi 8 décembre,au crématorium du cimetière duPère-Lachaise, Paris 20e.
Le laboratoire PHAREde l’universitéParis 1 Panthéon Sorbonne
a la grande tristesse d’annoncerle décès de son ancien directeur,
Jérôme de BOYER DES ROCHES,économiste,
historien de la pensée économique,maître de conférences
à Paris Dauphine.
Ils s’associent à la douleur de safamille.
phare@univ-paris1.fr
Ses deux enfants survivantset leurs conjoints,
Ses cinq petits-enfantset leurs conjoints,
Ses trois arrière-petits-enfants,Ses deux filleuls,Ses parents, ses proches,Ses amis,Sonentourage soignantdesderniers
temps,
font part de la mort du Covid 19, de
Madeleine TARAVANT,née DEBET,
dite « Nounette »,
survenue la nuit du 2 décembre 2020,dans sa quatre-vingt-quatorzièmeannée, aux Cèdres deManosque.
Elle sera enterrée le mardi8 décembre, au cimetière de Campan(Hautes-Pyrénées), après une messequi aura lieu, à 10 heures, en l’églisedu village.
Belfort. Grenoble.
MmeMarie-AiméeDreyfus, née Boé,son épouse, (†) le 25 avril 2020,
Fabrice et Florence,ses enfants,leurs conjoints et leurs enfants,
font part avec tristesse du décès de
Marc DREYFUS,procureur général honoraire
près la cour d’appel de Besançon,ancien président
du syndicat de la magistrature,ancien administrateur
de l’Association pour le droitde mourir dans la dignité,ancien président d’IDEE
université populaire à Belfort.chevalier de la Légion d’honneur,
officierde l’ordre national duMérite,
survenu le 26 novembre 2020,à Belfort,à l’âge de quatre-vingt-neuf ans.
L’incinération sans cérémonie, selonsa volonté, a eu lieu le 1er décembre.
60, faubourg de France,90000 Belfort.
Laurent Fabius,président
Et les membresdu Conseil constitutionnel,
ont la tristesse de faire part du décèsde
Valéry GISCARD d’ESTAING,membre de droit
du Conseil constitutionnel,
survenu le 2 décembre 2020.(Le Monde du 4 décembre.)
Colin et Ikonia, Samuel,ses enfants,
Ava, Teo,ses petits-enfants,
Dominique,sa sœur,
Ses beaux-frères et belles-sœurs,Ses neveux et nièces
et leurs enfants,Les familles Touche, Gompel,
Escobar, Bojovic,
ont la grande tristesse d’annoncerle décès de
Marie-HélèneGOMPEL TOUCHE,
architecte DPLG,
survenu le 30 novembre 2020,à l’âge de soixante-quinze ans.
Les obsèques auront lieu aucrématorium du cimetière duPère-Lachaise, Paris 20e, le jeudi10 décembre, à 16 heures, dansl’intimité, eu égard à la crisesanitaire.
colintouche@gmail.com
Evelyne Keller,son épouse,
Florence Coriat,sa fille,
Jean-Paul et Corinne Keller,son fils et sa belle-fille,
Romain Keller,son petit-fils,
Laurent et Laurence Fries,Olivier et Anne-Sandrine Fries,
ses beaux-fils, ses belles-filleset leurs enfants, Charlotte, Capucine,Hugo, Quentin et Chloé
Et toute la famille,
ont la profonde tristesse de faire partdu décès de
André KELLER,
survenu le 29 novembre 2020,à l’âge de quatre-vingt-onze ans.
La cérémonie religieuse seracélébrée le mercredi 9 décembre, enl’église Notre-Dame-de-l’Assomptionde Meudon, dans la plus stricteintimité familiale.
Ses enfants,ses petits-enfants,Sa compagne,
ont la tristesse de faire part du décèsbrutal, survenu le 29 novembre 2020,de
Jean KOEHLER.
Ses funérailles seront célébréesdans l’intimité.
Cet avis tient lieu de faire-part.
heloisekoehler@hotmail.com
M. André Laurent,et ses enfants et petits-enfants,
ont le regret de faire part du décès de
Eliane LAURENT,née DIEUZEIDE,
professeur à l’université Lyon 1,
survenu le 28 novembre 2020,à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.
Les familles Pinçon et Barouillet
ont la tristesse de faire part du décèsde
M. Pierre PINÇON,citoyen dumonde
ESCP 66,fervent supporterdu SCO d’Angers,
survenu le 30 novembre 2020,dans sa soixante-dix-neuvième année.
Saint-Etienne.
Jean-François Potton,Béatrice (†) et Dominique Deau,
leurs filles Gabrielle, Camille, Delphineet leurs compagnons,
Marie-Agnès Potton,son fils, Grégoire et sa compagne,
Denis Potton, Biblis Potton etAlain Boutaricet leurs enfants, Yann, Baptiste etClaire,
Sa familleEt ses amis,
ont la tristesse de faire part du décèsde
Mme Marguerite-MariePOTTON,
née LAFUMA,dite « Perlette »,
docteur enmédecine,
survenu le 12 novembre 2020, danssa quatre-vingt-dix-septième année.
Les funérailles ont eu lieu à Lyon,dans l’intimité familiale.
Elle a rejoint son époux, le
professeur François POTTON,médecin des hôpitaux
au CHU de Saint-Etienne,
décédé le 7 février 1979
et sa fille,
Béatrice,
décédée le 11 avril 2011.
Adresse de condoléances :Famille Potton,1, place Anatole-France,42000 Saint-Etienne.
Les familles Rivelin Constantin
ont la tristesse de faire part du décèsdu producteur-scénariste,
Michel RIVELIN,
survenu à Saint-Malo,le 1er décembre 2020,à l’âge de quatre-vingt-deux ans.
Eve Constantin :erivelin@sfr.frDavid Rivelin:dv.rivelin@gmail.comCatherine Rivelin :pdcc@wanadoo.fr
L’association des Amis deGhislaine Dupont et Claude Verlon
a l’immense douleur d’annoncerle décès de son secrétaire généralet porte parole,
Pierre-Yves SCHNEIDER,
d’une crise cardiaque, le samedi28 novembre 2020, à l’âge desoixante-quatre ans.
Les obsèques ont été célébrées entoute intimité, le jeudi 3 décembre,dans la Drôme.
Nous venons de perdre un amitrès cher et un fondateur de notreassociation, qui se bat toujours pourla vérité et la justice dans le cadrede l’assassinat de la journalisteG. Dupont et le technicien C. Verlon,auMali, le 2 novembre 2013.
amisgc2013@gmail.com
C’est avec tristesse que la facultéde sciences humaines et sociales deUniversité de Paris
a appris le décès de notre collègue, laprofesseure de sciences du langage,
Marie-Thérèse VASSEUR.
Elle était une collègue appréciée,chaque personne avec qui elle atravaillé en gardera un beausouvenir.
Eric Viet, Arielle Benavides,Matthias et Louis,
Christian et Claire Viet, Aurélie,Marine et Coline,
Armelle et Marc Debas, Alexandreet Elise,
Anne et Jean-Marc Barbance, Flora,Faustine et Cyril,ses enfants, leurs conjointset ses petits-enfants,
ont la douleur de faire part du décèsdu
professeur Loïk VIET,chevalier
de l’ordre national duMérite,chevalier
de l’ordre des Palmes académiques,chevalier de la Légion d’honneur,
survenu le 28 novembre 2020,à l’âge de quatre-vingt-neuf ans.
Ses obsèques auront lieu le mardi8 décembre, en l’église de La Celle-Saint-Cloud, dans l’intimité familiale.
tribu.debas@gmail.com
Anniversaire de décès
5 décembre 2018.
En souvenir de
JeanMEILHAUD,journaliste, écrivain,
qui ne connaissait pas sa valeur.
34 |0123 SAMEDI 5 DÉCEMBRE 20200123
V aléry Giscard d’Estaingest mort et il faut voirou revoir le film génialque Raymond Depar
don a tourné sur sa victoire à l’élection présidentielle. Calibré pour le cinéma, 1974, une partie decampagne a révolutionné l’image de la politique par sa façon de faire cohabiter temps faibles et temps forts, image et son, durée et instantané. Tant qu’à faire, on se replongera dans un autre film de Depardon, Reporters (1981), dont un des acteurs est Jacques Chirac, alors maire de Paris.La caméra montre deux approches distinctes des Français, que l’un voulait séduire à distance et l’autre « prendre » comme dans un moment de sexe.
Giscard annonce sa candidaturele 8 avril 1974 en son bastion auvergnat de Chanonat. Raymond Depardon, qui se retrouve seul avec lui dans un avion Falcon,entre ClermontFerrand et Paris, lui propose de filmer sa campagne électorale. Etre isolé avec lui, ce qui est extravagant, annonce un protocole de tournage. Depardon a alors une solide réputation de photographe, il a réalisé trois courtsmétrages mais jamais de longmétrage. Pour convaincre Giscard, il lui parle du documentaire Primary, que Robert Drew et Richard Leacock, des pionniersdu cinéma direct – caméra légère, plans longs et son synchrone, pas de commentaire – ont consacré à la victoire électorale de John Kennedy en 1960.
Giscard, flatté par la référence àKennedy, accepte, décidant mêmede coproduire le documentaire à hauteur de 100 000 francs. Le tandem ne le sait pas encore, mais le quiproquo est total, tant chacun a son film en tête, gommé sansdoute par l’orgueil et le narcissisme du candidat. Giscard veut un film pour l’histoire, rythmé par les discours, bains de foule, ovations, rencontres avec des éluslocaux, joutes avec son opposant, François Mitterrand. Depardon entend privilégier les interstices entre les moments flamboyants, non pas l’espace intime que traque le paparazzi, mais le horschamp de l’événement, quandle candidat attend, paresse, commente, digresse.
Giscard imagine des images nerveuses et une musique de GustavMahler. Depardon veut des longs plansséquences, souvent coupés au montage, et la parole mutine du candidat. Giscard veut se montrer, Depardon veut le révéler. Giscard veut un film à sa gloire, Depardon veut un film d’auteur, sur le pouvoir et ses simulacres.
Alors que l’image d’un politiqueest souvent réduite à un « corpstronc », Depardon filme la chorégraphie du corps, des gestes, des attitudes. Il montre comment Giscard bouge, monte dans unevoiture, descend d’un avion, dortdans un train, tient le volant de savoiture, embrasse une supportrice, arpente un marché, porte la casquette de chasseur pour ne pasêtre reconnu, s’avachit sur sachaise pour livrer les conseils à sa garde rapprochée. L’étirement des plans accentue le ballet d’unartiste qui sort du cadre à Grenoble pour revenir à Bordeaux dans une continuité narrative.
L’image perdrait de sa force s’iln’y avait le son direct pour la pimenter. Etonnant oxymore, déjà,que forment le ton vieille France de la voix de Giscard et un corps qui entend traduire la décontraction. Les traditionnels mots policés sont évacués. Le candidat n’estpas à la télévision, il parle comme dans la vie, distille les fautes de français dans un langage châtié, envoie des piques contre l’UDR de Jacques Chirac, trahit sa condescendance pour ses proches – hormis pour Michel Poniatowski, qui deviendra son ministre de l’intérieur. Ce merveilleux cocktail d’images et de sons n’était pas gagné. Après le premier tour, et alors que deux semaines interminables s’ouvrentavant le second, Depardon s’inquiète auprès du candidat de ne pas avoir pu filmer grandchose de marquant. Grisé par la promesse de victoire, en confiance aussi, Giscard ouvre alors la porte.
Incroyable solitude d’un hommeQuatre plans sont des morceauxde bravoure. Dans une voiture, sur la route de Perpignan, Giscard se repeigne tout en devisant sur laqualité des fruits et légumes. Plus loin, il demande : « MontceaulesMines, les gens qui lisent le journal voient bien que c’est un truc où il y a des travailleurs, n’estce pas ? » Il donne ensuite une longue leçon aux conseillers dociles sur la façon de l’emporter au second tour :« C’est une élection pratiquement gagnée si on ne fait rien. » Enfin, juste après la victoire, dans son bureau, il s’agace de voir un proche, Michel d’Ornano, « pérorer » àla télévision ; alors il zappe sur un feuilleton américain.
Il ressort de ce film en couleurd’une heure et demie le portraitd’un fugueur arrogant qui mène une bataille comme on va aubistrot, et qui tranche avec la rigidité solennelle de François Mitterrand, absent du film. On constate aussi l’incroyable solitude d’un homme. Pas seulementparce qu’il n’a pas de parti politique derrière lui ou presque. Mais parce qu’il décide d’être seul, qu’il entend gagner seul, qu’il se situe audessus de la mêlée, alors que, àl’écran, il apparaît comique dans sa banalité, n’est ni mieux ni pireque tout le monde.
Quand il découvre le film, Giscard le juge d’une grande violence, audelà du fiel qui sort de sabouche. Lui qui sait apprivoiser les images fortes à son profitprend conscience du pouvoir explosif d’une image neutre. Il interdit la diffusion de 1974, une partie de campagne, le laisse croupir au purgatoire pendant vingthuit ans, en fait un film culte. Jusqu’en 2002, quand il autorise sasortie sur les écrans.
Ce film dit aussi une parenthèseinsouciante entre le carcan visuel gaulliste et nos temps actuels, oùun candidat en mesure de gagnerest protégé par un protocole sans fin, une technologie sophistiquée,une armée de communicants et de protecteurs. Giscard, dont lacampagne n’a duré qu’un mois, etqui trouve que c’est bien long, est seul dans sa voiture, dans la rue, au milieu de la foule, dans son bureau lors du grand soir. Seul avec Depardon. C’était il y a mille ans.
P armi les missions essentielles dévolues au Parlement figure celle decontrôler le gouvernement. Ce pou
voir a été heureusement renforcé lors de la révision constitutionnelle de 2008, si bien que les deux Chambres peuventaujourd’hui utilement éclairer les Français sur la gestion de l’épidémie de Covid19, quia fait plus de 50 000 morts en France. Devançant de quelques jours son homologue du Sénat, la commission d’enquête del’Assemblée nationale a adopté, mercredi 2 décembre, un rapport sans concession,qui souligne la « sousestimation du risque », et un « pilotage défaillant de la crise », après avoir auditionné pendant six moisles principaux acteurs.
Si une part de jeu politique existe dans cetravail mené sous l’égide d’un président
issu des rangs de la majorité et d’un rapporteur membre du parti Les Républicains, l’essentiel n’est pas là : les auditions ont été de bonne tenue, et le recoupement de lacinquantaine de témoignages recueillis a permis de décortiquer l’accumulation dedéfaillances politiques et techniques qui se sont produites à partir de la décennie 2010,laissant la France largement démunie lorsque l’épidémie a surgi.
A la sousestimation du risque épidémique, à la baisse des stocks stratégiques, au manque de diversification des fournisseurss’est ajouté un problème de gouvernance, notamment lié à la surpuissance du ministère de la santé, au manque de coopération entre les ministères et à la concurrence des différentes cellules de crise. Il a fallu rectifier le tir au fur et à mesure de la crise.
D’autres critiques sont de nature plus politique. Il est reproché au gouvernementd’avoir décrété trop tardivement le premierconfinement et de n’avoir pas su empêcherle deuxième, faute d’avoir retenu à tempsdes mesures protectrices. Mais, à l’époque, l’opposition était farouchement opposée à toute mesure limitant l’activité des cafésrestaurants. De même, le rapport classetil la France au « 4e rang des pays les plus touchés en Europe », sans préciser qu’il faudraattendre la fin de l’épidémie pour en tirerle véritable bilan.
Beaucoup argueront que ce qui est ditdans le rapport était déjà connu de l’opi
nion. C’est vrai, mais l’existence même de ce travail oblige le gouvernement à redoubler de vigilance au moment où s’engage l’étape décisive de la vaccination. En plaçant sa stratégie sous le triple signe « de lasécurité, de la transparence et de la proximité », le premier ministre, Jean Castex, a implicitement répondu, jeudi, aux critiques qui visaient les étapes antérieures.
Une commission d’enquête parlementaire a aussi le pouvoir de proposer, pour réorienter l’action du gouvernement. A cet égard, trois messages importants se dégagent du rapport. Le premier est que la prévention des risques relève de la responsabilité politique. Les moyens de la mettre en œuvre ne peuvent être laissés au bon vouloir des administrations, comme cela a été trop souvent le cas ces dernières années.Deuxième message : la gestion de la crisesanitaire est une prérogative éminemmentrégalienne. Son déploiement sur le terrain doit se faire dans le cadre du département et sous l’autorité hiérarchique des préfets, ce qui remet en question le fonctionnement actuel des agences régionales desanté. Enfin, le rapport insiste sur la nécessité de revoir en profondeur le modèle des Ehpad qui, faute d’être suffisamment médicalisés, accueillent dans des conditions de moins en moins satisfaisantes des résidents de plus en plus dépendants. Le problème n’est pas uniquement sanitaire. Il touche à la dignité humaine.
AVEC LE FILM « 1974, UNE PARTIE
DE CAMPAGNE », VGE PREND CONSCIENCE
DU POUVOIR EXPLOSIF D’UNE IMAGE NEUTRE
COVID19 : LES PREMIÈRES LEÇONS D’UNE CRISE
Depardon, seul avec Giscard
EN DÉCOUVRANTLE FILM, GISCARD LE JUGE D’UNE GRANDE VIOLENCE, AUDELÀ DU FIEL QUI SORT
DE SA BOUCHETirage du Monde daté vendredi 4 décembre : 159 296 exemplaires
CULTURE | CHRONIQUEpar michel guerrin
Cahier du « Monde » No 23610 daté Samedi 5 décembre 2020 Ne peut être vendu séparément
Allez les filles !La crise liée à la pandémie de Covid19 a eu des conséquences importantessur la scolarisation des filles du continent.Il y a urgence à les remettre sur le chemin de l’école
M ais où sont passées lesfilles ? Où sont les 11 millions d’écolières quimanquent à l’appel depuis cette rentrée ? Particulièrement en Afrique
subsaharienne, où elles sont les premièresvictimes collatérales du Covid19, selon l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco).
Si la crise sanitaire a été moins violentedans la majeure partie des 54 pays d’Afrique que sur les autres continents, elle y a en revanche déclenché une crise économiquesans précédent. Neuf mois après le début de ce bouleversement mondial qui, au printemps, a éloigné jusqu’à 1,5 milliard d’élèves de leur classe, il devient manifeste qu’unepartie des jeunes Subsahariennes ne renoueront jamais avec leur vie d’avant.
La nécessité d’une maind’œuvre d’appoint pour garnir la table familiale a transformé des millions d’entre elles en aides ménagères, en paysannes ou en petites vendeuses sur les marchés. Ce début d’un basculement ne semble pas une simple parenthèse. C’est un drame qui transforme le temporaireen définitif, l’Unesco constatant désormaisque « les grossesses chez les adolescentespourraient empêcher 1 million de filles de retourner à l’école en zone subsaharienne ».
Responsable du plaidoyer pour l’Afrique del’Ouest de l’ONG Equilibres et populations,Brigitte Syan pressentait cette conséquence, elle qui rappelait récemment au Monde que « dans les guerres comme pendant les épidémies, les femmes sont davantage exposéesaux violences sexuelles ». L’épidémie due au coronavirus n’a donc pas dérogé à cette règlemacabre, puisque le réseau qui œuvre pour les droits des femmes et l’accès à la planification familiale a fait remonter une augmentation de toutes les violences physiques et psychologiques durant le confinement.
Rétrécissement de leurs rêvesA ces ruptures définitives de scolarité
s’ajoutent tous les autres renoncements. Des filles parties vers une formation d’excellence doivent ainsi rebrousser chemin et se replier sur des études courtes, rapidementmonnayables. Ce rétrécissement de leurs rêves, elles le paieront toute leur vie, comme leur communauté, d’ailleurs. Preuve en a étéfaite dès la fin des années 1970, avec les travaux de l’économiste américain TheodoreSchultz, Prix Nobel d’économie 1979, qui avait démontré que l’éducation est l’un desvecteurs les plus puissants de lutte contre la pauvreté. Ses conclusions, affinées depuis,permettent même de mesurer qu’une annéed’études en moins, c’est en général 20 % de revenus perdus sur une vie active.
Evidemment, le domaine des sciences, oùs’invente l’Afrique du XXIIe siècle, court le plus grand risque de désertion parce que, en pleine crise, les filles osent moins qu’en période faste bousculer les traditions et sortir du rôle qu’elles leur ont assigné. Pourtant l’urgence est là, à l’heure où il faudrait avancer vers la création des 450 millions d’emplois nécessaires en 2050 pour utiliser la maind’œuvre qui sera disponible sur la zone,estime l’expatron de l’Association française de développement (AFD), JeanMichel Severino. Or, en dépit d’un rôle minimisé dans l’espace public, les femmes produisent 62 %des biens économiques du continent alors que seules 8,5 % sont officiellement salariéesdans l’économie, mesurait l’analyste AnneBioulac pour Women in Africa en 2019. Les autres restant cantonnées à l’informel.
Quel recul ! Alors que l’Institut des statistiques de l’Unesco soulignait avant la pandémie que 9 millions de filles de 6 ans à 11 ans n’étaient pas scolarisées en zone subsaharienne et pas destinées à l’être, il est temps deconvoquer une fois encore ce proverbe angolais : « Eduquer une femme, c’est éduquer un village ». Et même la planète.
maryline baumard
Ce dossier a été réalisé dans le cadre d’un partenariat avec Cartier Philantropy, la Fondation L’Oréal et l’association Res Publica.
D O S S I E R S P É C I A L É D U C A T I O N
ILLUSTRATIONS : LUCILLE CLERC
2 | SAMEDI 5 DÉCEMBRE 20200123
Au Burkina Faso, des internats de filles pour aller plus loinUn plan décennal a permis à la quasitotalité des fillettes d’être scolarisées. Mais seulement 40 % poursuivent dans le secondaire et 4 % dans le supérieur
ouagadougou correspondance
R asmata Kaboré n’estpas revenue au collège.Elle a tourné la page deces annéeslà pour entrer au lycée. Alors quela pandémie due aucoronavirus s’installaitau Burkina Faso et que
les écoles fermaient les unes après les autres, cette fille de paysan n’a pas eu àquitter l’internat où elle suivait ses études depuis quatre ans. Elle qui avait lachance d’être dans une classe à examen,a pu rester y préparer son BEPC, alorsque toutes les classes intermédiaires se vidaient. Son examen de fin de collège en poche, Rasmata a intégré le lycée voisin de Koudougou, une ville du centreouest du pays.
Comme elle, seize autres adolescentesont laissé une place vacante à l’internatde Nanoro, ville plus proche de leurvillage. « A cause du virus, nos animateurs n’ont pas pu sensibiliser les famillespour offrir à de nouvelles collégiennesune place dans les internats », regretteSalam Ouedraogo, le directeur scolairede l’association Res Publica. Seulement148 lits sont occupés sur les 165 disponibles. Mais tous les espoirs de remplissage restent permis dans cette régionqui se convertit doucement à l’éducation des filles.
Aventure scolaireIl y a quelques années encore, l’aven
ture scolaire des enfants de paysans seterminait en fin de primaire avec une affectation précoce au travail des champs,et bien souvent un mariage arrangé. Sile Burkina affiche toujours le cinquièmetaux le plus élevé au monde pour les mariages d’enfants, avec une fille sur deux mariée avant ses 18 ans et une surdix avant ses 15 ans, les mentalités évoluent malgré les résistances. « Ici, lesparents préfèrent investir dans l’éducation des garçons, car la fille est considérée comme une “étrangère” qui devrapartir vivre dans une autre famille », rappelle Naaba Karfo, roi et chef coutumierde Nanoro. Alors, « chaque année, lesécoles perdent encore des écolières, mariées de force puis rapidement enceintes », regrette l’inspecteur de l’enseignement de la commune, Seydou Yameogo,qui a bien du mal ensuite à les réintégrer dans le système scolaire. Pauvreté,isolement géographique, pesanteurs sociales, mariages et grossesses précoces : au Burkina, où plus de 60 % de la population est analphabète et où 40 % vit sous le seuil de pauvreté, le chemin versl’école reste pavé d’obstacles pour biendes jeunes filles.
Si Rasmata Kaboré a réussi, elle, à lesfranchir, c’est parce que son ambitionest arrivée aux oreilles de Res Publica,une association française qui a mis enplace un plan de scolarisation des filles.
Yaya Ouedraogo, l’un de ses animateurs, a contrôlé les notes, parlé à l’enfant et proposé à la famille une place à l’internat monté par l’ONG. En une vingtaine d’années, leur initiative a réussi à multiplier par cinq l’effectif des fillesdans sa centaine d’établissements scolaires, construits au cœur de trois provinces du pays.
Convaincre les parentsLes bâtisseurs de ces écoles, le couple
de Lyonnais Françoise et JeanClaudePerrin, ont débarqué en 2001 au milieudes champs de sorgho et de mil de la région de Nanoro, dans le sillage d’un médecin français dont ils finançaient lesmissions. Le duo, qui observe alors lesavancées sanitaires sur la zone, découvre la réticence des parents à envoyer leurs filles en classe. « Les familles modestes préféraient garder leurs enfantspour être aidées dans les tâches ménagères et les travaux champêtres », se rappelle André Kaboré, coordinateur localde Nanoro. Pour les inciter à changerd’avis, les deux Français décident d’octroyer des bourses aux filles avec leurargent personnel.
La localité, qui regroupe quatorze villages, ne compte alors qu’une dizaine d’écoles primaires et un seul collège public, ce qui oblige les élèves à parcourir plusieurs kilomètres à pied, et expose les fillettes aux agressions ou aux viols. Au Burkina Faso, si l’école est gratuite et obligatoire jusqu’à 16 ans, les familles doivent contribuer aux frais de fonctionnement des établissements, prendre encharge les déplacements et acheter des fournitures scolaires.
Res Publica décide alors de construireseize nouveaux établissements – de lamaternelle au lycée – avec trois internats féminins, et met ces infrastructures à la disposition du ministère del’éducation burkinabé, qui y nommedes enseignants. L’association, elle, prend en charge les frais de scolarité des enfants des familles les plus démunies et met en place des cantines avecdes repas préparés par les femmes duvillage, gratuits pour les enfants. Ce repas quotidien, parfois le seul, est un argument de plus pour que les enfantsétudient et les femmes, elles, trouventainsi un travail.
Vingt ans plus tard, deux choses ontchangé. « La parité est désormais assurée dans les écoles primaires entre filleset garçons », rappelle JeanClaude Perrin. Ensuite, selon les données de l’association, les résultats scolaires de lazone ont progressé de 30 % depuis sonintervention. « L’idée était de montrerque nous pouvions réussir à développerune région en injectant des deniers privés dans le “pot commun” », résumeFabien Pagès, directeur de Res Publica.Et ce ne sont pas les résultats de l’année 2020 qui démentiront ces acquis,puisque 100 % des candidats au BEPC
ont été reçus. Un taux très supérieur à lamoyenne nationale.
A Nanoro C, l’un des établissementsprimaires, construit en 2004 par l’association, les enseignants continuent le combat pour changer les mentalités « dèsl’école ! », insiste Habibata Zela Sanogo.Au sein de sa classe, l’institutrice veille à l’équilibre des travaux de groupes et combat pied à pied les préjugés. Elle invite régulièrement d’anciennes élèves devenues pompière ou médecin pourmontrer aux filles que « c’est possible ».L’équipe enseignante, elle, se déplace aussi dans les villages pour convaincre les derniers parents « récalcitrants ».
L’enjeu de la scolarisation des fillesreste énorme en Afrique subsaharienne, où vivent plus de la moitié des 61 millions d’enfants non scolarisés de la planète. Ces dernières années, le Burkina aréalisé des progrès significatifs grâce à un plan décennal, et le nombre de filles scolarisées dans le primaire est passé de 72 % en 2008 à 95 % en 2018. Mais la difficulté vient après. Seulement 40 % d’en
tre elles poursuivent dans le secondaire et 4 % dans le supérieur. « Les famillespensent encore qu’il suffit que leur fille apprenne à lire et à écrire. Ensuite, elledoit travailler pour ne pas devenir une charge », observe Rasmata Ouedraogo,directrice de la promotion de l’éducationinclusive des filles au ministère de l’éducation nationale.
Croissance économiqueOr, « si tous les adultes achevaient le
secondaire, le taux de pauvreté dans lemonde diminuerait de moitié », estimel’Unesco. Accès à l’emploi, meilleursrevenus, autonomisation des femmes :l’éducation contribue au développement de la croissance économique et àla baisse des inégalités, soulignel’agence onusienne.
Peu à peu, en terre burkinabée, cetteprise de conscience fait son chemin. Ason rythme. « Ma mère et ma grandmèredépendaient de leur mari. Moimême, j’ai dû arrêter l’école en CM2 et me marier à18 ans. Alors je ne veux pas le même destinpour mes filles ! », insiste MarieJeanneKafando, une cultivatrice qui complète ses revenus en donnant des cours d’alphabétisation à un groupement de femmes de Nanoro. « Ici, beaucoup de mèressont encore analphabètes. Ces cours les aident à développer leur activité et às’impliquer dans les devoirs de leurs enfants », raconte Mme Kafando, qui a pu ellemême payer les études de ses deuxfilles, car maintenant, elle gagne plus queson mari. « C’est moi qui l’aide ! », glissetelle fièrement.
sophie douce
« Moi, j’ai dû arrêter l’école en CM2 et me marier à 18 ans. Alors je ne veux pas le même
destin pour mes filles ! »mariejeanne kafando
cultivatrice et enseignante
0123SAMEDI 5 DÉCEMBRE 2020 | 3
L’école avant l’école, levier du changement au MarocDes associations ont développé une offre d’éducation pour les toutpetits afin de lutter contre les retards d’apprentissage
Un petit miracle en effet que la prouessede Zainab Afkhkhar. Car, au Maroc, les filles des régions reculées peinent encoreà boucler le cycle primaire. La pauvreté et l’enclavement rendent difficile la fréquentation régulière des établissements. En hiver, la neige coupe les villages du reste du monde et même les professeurs qui bravent le froid à dos de mulet pour enseigner aux toutpetits restent chez eux des jours durant.
Cercle vertueuxSituation qu’a connue Zainab qui,
« pour ne pas prendre de retard sur le programme », étudiait seule, se « trouvanttoujours un coin pour avancer sur les maths ». Sur l’arabe aussi car, dans les villages, « on ne parle que le berbère. Alorsbeaucoup abandonnent au collège parce qu’ils n’ont pas le niveau », ajoute l’étudiante, qui note que les filles sont les premières à quitter les classes. Une observation confirmée par les chiffres des Nations unies qui précisent que seulement 57,8 % des Marocaines rurales vont au collège et 18,8 % au lycée.
Pour faire mentir ces statistiques,l’éducation préscolaire se révèle un bon levier. « Il y a dix ans, ce n’était pas une priorité. Moimême, je me disais que c’était un luxe, défend Wafa Skalli, prési
dente de l’association Relais instructionéducation Maroc (RIM). Or beaucoup d’études montrent que ces classes jouent un rôle majeur dans la réussite des enfants. Alors nous essayons d’impulser unedynamique d’excellence à travers unechaîne complète qui va du préscolaire à l’enseignement supérieur. »
Dans la vallée d’Imlil, l’association, enpartenariat avec l’ONG Aide et Action, a déjà construit 24 classes de maternelle où sont scolarisés plus de 3 000 enfants, dontune moitié de filles. « Nous sommes là pour renforcer leurs compétences, les former, et montrer que c’est possible. Ensuite, les associations locales gèrent ellesmêmes. Elles sont tellement émerveillées du
résultat qu’elles montent ensuite leurs propres projets, c’est extraordinaire », poursuit Mme Skalli, ravie de ce cercle vertueux.
Dès les premières années, les fillettes sefamiliarisent avec les règles d’hygiène, les jeux d’éveil, les premiers éléments de langage. Latifa Oufkir est entrée à l’école à l’âge de 3 ans. Six ans plus tard, elle mesure ses progrès : « On pensait que la pâte àmodeler était juste un jeu mais en fait, on fabriquait des lettres ! » « Il y a un réel changement, se félicite Mustapha Lghlafi, l’un des enseignants. Maintenant, un enfant de 6 ans sait lire et écrire. Avant, il devait attendre cet âge pour apprendre ne seraitce qu’à tenir un stylo. »
Si l’amont du primaire va mieux avec lacréation de maternelles, reste l’aval, à améliorer, car, dans les petits douars au pied des sommets, les collèges et les lycées sont rares. Il faut des heures pourrallier les grandes villes et la plupart desfamilles refusent de laisser leurs enfants prendre le risque de parcourir seuls des dizaines de kilomètres à pied chaque jour pour apprendre.
« Des histoires de réussite »Fortes de ce constat, les associations ont
construit des foyers pour accueillir gratuitement les jeunes filles. Depuis 2007, RIM en a ouvert deux à Asni, une ville au pied
du HautAtlas où se trouvent un collège etun lycée, permettant à des dizaines de filles d’aller jusqu’au bac. « Nous avons bataillé pour convaincre les parents quiétaient effrayés à l’idée de voir leurs filles, adolescentes, vivre sans eux. Des histoires de réussite ont fini par les convaincre et, aujourd’hui, tous les parents veulent y envoyer leurs filles ! », se réjouit Mme Skalli, qui pense maintenant à développer une maison de la science dans la vallée.
Sur les vingt premières élèves placéesdans un foyer de RIM, quatorze ont décroché le bac, dont trois avec une mention très bien. Des statistiques exceptionnellespour la région. Zainab Afkhkhar en fait partie. Avec plus de 18 de moyenne, elle a terminé première de sa promotion. Mais il a fallu batailler pour convaincre son père tout au long de sa scolarité. « C’est uneautre mentalité, se contente de dire l’étudiante. Je n’ai jamais baissé les bras. Je pouvais me priver de manger, dormir par terre s’il le fallait, mais je n’ai jamais cessé d’étudier. » Future « data scientist », précise fièrement Zainab, la jeune femme se dirige vers un parcours de recherche en sciencesdes données. « Les autres rejoindront des entreprises. Moi, j’ai choisi le chemin le plusdifficile. » Elle éclate de rire avant d’ajouter : « Comme toujours. »
ghalia kadiri
casablanca correspondance
Z ainab Afkhkhar se souvient de labeauté du ciel de l’aube, lorsqu’elle débutait, seule, son longtrajet vers l’école. La peur, aussi,
lorsqu’elle croisait une horde de chiensaffamés. Il fallait marcher vite, sans s’arrêter, pendant plus de deux heures dans les montagnes de l’Atlas pour arriver, enfin, au lycée. Dans sa vallée d’Imlil, le paysage est idyllique, mais l’avenir des femmes l’est beaucoup moins. « Mon instinct m’a très tôt dit que ma survie dépendait dusavoir et de l’éducation. Je l’ai suivi », souritla jeune femme de 20 ans.
Depuis deux ans, elle a quitté sa montagne pour rejoindre le campus ultramoderne de l’université MohammedVI Polytechnique (UM6P) de Benguérir, aux côtés des étudiants les plus prometteurs du royaume. Grâce à une bourse d’excellence obtenue après son bac, elle suit un programme de sciences des données et d’intelligence artificielle à l’UM6P. Dotéede laboratoires de recherche et de centres d’innovation de pointe, l’université a signé des partenariats avec les plus prestigieuses universités, d’Harvard à Columbia en passant par HEC et le MIT. « Parfois,je n’arrive pas à y croire. Une fille de la montagne arrivée jusquelà, c’est un miracle ! »
« Une fille de la montagne
arrivée jusquelà, c’est un miracle ! »
zainab afkhkharétudiante à l’université MohammedVI
Polytechnique de Benguérir
Aux oubliés de l’école, l’Ethiopie offre une seconde chance
Depuis 2011, près de 250 000 enfants ont suivi un programme qui permet de rattraper trois années de scolarité en dix mois. Avec un taux de réussite très élevé
dans la mise en scène. Ce qui importe, c’est de permettre au groupe de s’entraîner au calcul et à l’expression en public.
Si le défi est de taille, la pédagogie àl’œuvre permet de gagner beaucoup de temps sur un cycle scolaire classique.Abel Kassahun, le directeur adjoint du cabinet de conseil Geneva Global for Philanthropy (GGP), a pu en tester l’efficacité, à Duber et ailleurs. La fondation Luminos, qui a lancé l’initiative, est déjà présente au Liberia. Elle a été créée pour promouvoir la seconde chance en Afrique en s’appuyant sur des acteurs locaux, comme GGP en Ethiopie.
Location d’enfantsDans ce pays, 14 % des jeunes en âge
d’aller à l’école primaire ne sont passcolarisés. Ce nombre a fortement décru ces dernières années, alors qu’ilsétaient près de 60 % en 2000, mais ils sont encore trop nombreux à garder lebétail dans les champs, malgré la loi quiinterdit le travail avant 14 ans. « Lesplus pauvres louent même parfois leurs enfants à une autre famille », explique Tesfaye Seyoum, chargé de formationdans l’établissement.
Convaincre de l’utilité des apprentissages est donc la première mission de Geneva Global, qui a commencé par mettre en place des groupes de sensibilisationdes mères. Cette année, plus de 1 600 d’entre elles apprennent à mieux gérer leur budget ou à améliorer leurs compétences en anglais. Une façon détournée de leur faire comprendre le bienfondé des apprentissages de leurs enfants, en leur montrant que si l’éducation les aide àaugmenter leurs économies mensuelles, elle sera aussi bénéfique aux petits écoliers. Pour eux, une scolarité accélérée, étalée sur sept heures de cours par jour,six jours sur sept, a été conçue, avec une pédagogie active imaginée pour qu’ils ne s’ennuient pas et progressent vite.
A la veille du confinement, lors de lavisite du Monde Afrique, les élèves de la
classe de Duber, répartis en cinq groupes, apprennent à compter jusqu’à 20 enafaan oromo, la langue régionale, pendant qu’une poignée entonne une chanson sur cette thématique et qu’une autreégrène les nombres à voix haute. A la finde la séance, leur maître, Tolcha Hailu,vérifie que la leçon a bien été comprise et leur demande même une appréciation. « S’ils ne sont pas satisfaits, nous devrons reprendre le cours pendant letemps libre », explique l’instituteur, qui gère depuis trois ans cette classe de la seconde chance.
Les enseignants sont sélectionnés surleur motivation. « Ensuite, ils passent unexamen et on les forme », ajoute Abel Kassahun. Les enfants, choisis parmi les pluspauvres du secteur, affichent un taux
très élevé de réussite et de réintégration dans le système scolaire classique.
D’après une évaluation menée en 2017par l’université du Sussex (RoyaumeUni), 75 % d’entre eux étaient toujours scolarisés cinq ans après la sortie dudispositif, contre 66 % dans le parcours traditionnel. En Ethiopie, Luminos Fund a déjà permis à 113 000 enfants d’apprendre à lire, à écrire et à compter grâceà son programme. D’autres partenaires œuvrent dans le même sens, avec des pédagogies différentes, l’objectif global étant de toucher plus de 100 000 en
fants. Audelà de ce but, ce sont les belles histoires dont Abel Kassahun aime à se souvenir, comme celle de cette jeune filleissue de la première promotion qui vientde franchir les portes de l’université.
Plus soupleReste que malgré la volonté de parité
de la fondation, les filles ne représententencore que 44 % des effectifs, car les familles sont toujours réticentes. « Nos facilitateurs sur place passent plus de tempsà les aider, car elles ont souvent un retard de connaissances par rapport aux garçons, étant bien plus mobilisées pour lestâches ménagères qui leur prennent du temps d’apprentissage. Cela s’est vérifiépendant le Covid19. Nos temps de correction étaient en priorité dirigés vers lesfilles », observe Alemayehu Hailu Gebre.
Geneva Global for Philanthropy acommencé par mettre en œuvre ce projet dans cinq circonscriptions de la Région des nations, nationalités et peuples du Sud, avant de l’étendre demain à trois autres Etats éthiopiens : Oromia, Amhara et Tigré. Dans ce dernier, le modèle a déjà été répliqué dans 110 classesgérées par l’administration en 2018.Mais, pour l’heure, avec le conflit arméen cours sur la zone, les établissementsrisquent de rester fermés quelque temps. « Dans les prochaines années,nous prévoyons de former plus de700 enseignants employés par le gouvernement et près de 300 responsables dusecteur de l’éducation, ce qui nous permettra d’atteindre des milliers d’enfantssupplémentaires », se félicite CaitlinBaron, la directrice de Luminos Fund.Un premier pas pour généraliser cetteécole de la seconde chance. Et unmoyen aussi de faire évoluer l’enseignement classique, puisque le ministère del’éducation éthiopien s’est inspiré de lapédagogie afin de rendre l’enseignement public un peu plus souple.
noé hochetbodin et nathalie tissot
addisabeba correspondanceduber (éthiopie) envoyée spéciale
T adji Habtam n’a toujours pasfait sa « vraie » rentrée. Depuisla deuxième semaine du moisde mars, son école de Duber,
dans la région Oromia, à 70 km au nordd’AddisAbeba, n’a pas rouvert ses portes. Alors que cette longue fermetureaurait pu être catastrophique, la fillette apourtant continué à travailler. C’estgrâce à des exercices reçus sur le téléphone de ses parents, par texto, et des« microclasses en extérieur, sous les arbres » organisées par groupes de cinqélèves, deux heures par jour, à tour de rôle avec d’autres, qu’elle a évité de décrocher. « Lors de cette rupture, l’école estdevenue bien plus inclusive », résumeAlemayehu Hailu Gebre, le directeur dela Luminos Fund en Ethiopie, qui gèrechaque année 10 000 élèves en rattrapage scolaire accéléré dans le pays et se réjouit que seuls 2 % d’entre eux aient décroché depuis le début de la pandémie due au coronavirus.
« En fait, la période de confinement a ététrès riche d’apprentissages, poursuit Alemayehu Hailu Gebre. Et nous savons désormais que nous sommes capables d’apporter aux élèves des soutiens qui pallient l’absence de cours en présentiel. » De quoi même permettre, demain, à des jeunes filles qui ne se sentent pas en sécurité en venant à l’école « de suivre le programme chez elles », observe Alemayehu Hailu Gebre. L’association qu’il dirige a mis en place des classes de la seconde chancepour les enfants retenus par les travauxdes champs ou de la maison et ne pouvant suivre un cursus normal. Là, les élèves – le plus souvent des filles, comme Tadji Habtam – rattrapent en dix mois trois années de programme.
A Duber, ils ont entre 9 ans et 14 ans etapprennent à compter en jouant à la marchande ou au banquier, avec des maquettes très sommaires. L’essentiel n’est pas
« Lors du confinement, grâce aux microclasses
sous les arbres, l’école est devenue
bien plus inclusive »alemayehu hailu gebre
directeur de la Luminos Fund en Ethiopie
4 | SAMEDI 5 DÉCEMBRE 20200123
Maha Dahawi, une généticienne soudanaise en première ligne contre l’épilepsie
p o r t r a i t | Si le Covid19 a ralenti le bouclage de sa thèse à Paris, la scientifique de 35 ans ambitionne de faire profiter ses compatriotes du fruit de ses recherches dès 2021
L a science n’aime pas les ruptures. Maha Dahawi non plus. Lapremière femme soudanaise àfaire ses recherches à la PitiéSalpêtrière a pourtant dû se plieraux confinements de mars et de
novembre. Et, avec les restrictions d’accès aux laboratoires de l’hôpital parisien pendant les pics d’épidémie du nouveau coronavirus, son hidjab rose a moins souvent hanté les couloirs entre la zone de recherche en génétique et celle où l’on travaille sur le comportement. Elle a donc dû renoncer à boucler sa thèse en trois ans, véritablecrèvecœur, reculer d’un an son retour auSoudan et la mise à disposition làbas de sespremiers résultats scientifiques.
Maha Dahawi aurait pu capituler depuislongtemps. Et si elle est encore étudiante à 35 ans, c’est parce qu’elle a refusé de se plier aux diktats du destin. Après six années à lafaculté de médecine de Khartoum, une maladie autoimmune la contraint à quitter temporairement l’université. Six années d’invalidité, durant lesquelles elle se refuse à lâcher la science. Au contraire. Pour « lutter contre la douleur, je voulais comprendre comment les pensées peuvent modifier la chimie du cerveau. C’est ce qui m’a conduite vers les
neurosciences », précise la chercheuse, qui puise dans cette expérience intime une part de sa vocation à travailler sur l’épilepsie, unproblème de santé publique dans son pays. Son but n’a jamais changé. Après la fin de sa thèse, qu’elle bouclera en novembre 2021, Maha Dahawi poursuivra ses travaux à Khartoum et fera tout pour donner envie à d’autres jeunes femmes d’oser.
« Sortir de sa zone de confort »Car, au Soudan, conjuguer la science au fé
minin est un vrai défi. La situation est d’autant plus difficile que son pays sort d’une crise politique profonde doublée d’unmarasme économique. Que la capacité despopulations à maintenir les enfants à l’écoley a été fortement affectée ces derniers temps alors que, en 2018 déjà, seulement 60 % des fillettes terminaient leur enseignement primaire, selon les données del’Unesco. Celles qui sont restées sur les rails doivent donc « y aller », estime la chercheuse. « Les jeunes femmes doivent oser. Sortir de leur zone de confort. Même si c’est terrifiant au début, cela vaut le coup. Et, pourcelles qui partiront à l’étranger, il faut s’ouvriraux nouvelles cultures, développer un réseau.
En trois ans, ma vision du monde a changé. Jene regrette pas un instant », expliquetelle,alors que son départ n’est pas allé de soi.« Dans les milieux conservateurs, les genspensent traditionnellement qu’un homme réussira mieux qu’une femme à l’étranger. »
Une petite musique qui perdure, même siles choses bougent. Maha Dahawi raconte par exemple avoir reçu un soutien de l’université de Khartoum, grâce à laquelle elle a pu venir étudier en France. La chercheuseaime comparer son parcours à une voiture
lancée dans la nuit noire. « Les phares éclairent la route quelques mètres devant, mais plus loin, c’est l’obscurité totale. Et le seul moyen de savoir ce qu’il y a, c’est d’avancer. Alors il faut oser ! »
« Personne n’est indépassable »A l’université de Khartoum, lorsqu’elle
donne des cours de physiologie, des jeunes filles lui confient déjà vouloir lui ressembler. Maha Dahawi est devenue un modèle et en a conscience, sans que cela entrave sa
modestie. « J’ai juste fait du mieux que j’ai pu,avec mes propres moyens et mes aspirations. Quand leur tour viendra, d’autres filles feront mieux que moi, j’en suis sûre. Personne n’est indépassable. » Un propos que relativise unede ses collègues de la Pitié, qui tient à rappeler « le nombre incroyable de difficultés auxquelles Maha a dû faire face, en gardant toujours la tête haute ».
Depuis toujours, la scientifique veut aiderson pays. C’est aussi la raison pour laquelle elle a choisi de se pencher sur la génétique etla psychopathologie de l’épilepsie, car cette affection neurologique fait des ravages au Soudan. C’est même l’un des pays les plus touchés d’Afrique, avec 6,5 cas pour 1 000 habitants. Celle qui a deux membres de sa famille atteints par cette maladie rappelle que le combat doit être mené tous azimuts. « Desétudes récentes ont montré qu’elle est aggravée par une forte consanguinité, expliquetelle. Or, au Soudan, plus de 40 % des mariagesse font au sein d’une même famille. » Tout celala pousse, lors de ses séjours subsahariens, à se rendre avec ses collègues de l’universitédans les zones rurales, où elle entend « faire comprendre qu’un mariage consanguin affecte non seulement la santé des enfants, maisaussi celle de toutes les générations à venir ».
« Travailleuse et curieuse »Un message difficile à faire passer dans les
communautés conservatrices où l’épilepsie est encore considérée comme une tare, en particulier lorsqu’elle touche les jeunesfilles. « Certaines familles tentent même decacher la maladie, regrette la généticienne.J’essaie alors de leur expliquer qu’elle est génétique, qu’elles ne devraient pas en avoirhonte. » Un long processus que cette sensibilisation, même si Maha Dahawi estime qu’être femme lui facilite le contact avec les mères et les jeunes filles.
Demain, elle espère bien contribuer àchanger les mœurs au Soudan. Mais surtout,elle compte faire avancer la recherche sur lestraitements. Dans son laboratoire parisien, elle travaille sur le ver C. elegans (pour Caenorhabditis elegans), un petit organisme de 1 millimètre très prometteur en génétique. Son objectif est de développer un modèle desconséquences cellulaires de l’épilepsie et de l’exporter au Soudan. Un projet de thèse « très ambitieux », reconnaît Eric Le Guern, chef de l’équipe génétique et physiologie des épilepsies de la PitiéSalpêtrière. Mais, aux yeux du professeur, Maha a toutes les qualités que nécessite la recherche, « travailleuse et curieuse, avec un esprit ouvert ». D’ailleurs, elle vient d’être choisie pour faire partie desJeunes Talents récompensées par le prix Afrique subsaharienne 2020 L’OréalUnesco pour les femmes et la science.
Une curiosité que la jeune femme exerceaussi dans ses rares moments libres. Quand elle évoque ses amis parisiens, ses yeux soulignés de khôl scintillent à l’idée des soirées en cité universitaire « avec des gens de tous les pays. Le soir, après le travail, on cuisine nosplats traditionnels et on partage ». Une autre facette de cette ouverture au monde pour laquelle elle se bat et à laquelle elle espère bien convertir d’autres Soudanaises.
marine jeannin
« Mon parcours est comme une voiture lancée dans la
nuit. Les phares n’éclairent pas loin. Le seul moyen
de savoir ce qu’il y a devant, c’est d’avancer »
maha dahawi
Pour 100 garçons inscrits dans une université en Afrique subsaharienne, il y a
72 �lles
Aucun pays africain ne parvient à a�ecter 1 % de son PIB à la recherche.
En 2017, l’Afrique du Sud et le Kenya plafonnaient à 0,8 %, le Burkina à 0,67 %, le Ghanaà 0,38 %, Madagascar à 0,01 %.
France 2,19 % Etats-Unis 2,71 %
+ 117 %
35 chercheurs
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C’est l’augmentation nécessaire des ressources éducatives d’ici à 2030pour scolariser en présentiel
d’enfants à naître en zone subsaharienne
En Afrique de l’Ouest, moins de 45 % des enfants possèdent des connaissances su�isantes en lecture et en mathématiques. Plus de la moitié de ceux testés à l’entrée en 6e ne savent pas diviser ... Afrique
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Source : Banque mondiale
Accès global à l’école en Afrique Enseignement supérieur, encore un e�ort pour l’égalité
La recherche, clé du changement
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