20 MAI 2020 Penser collectif aujourd’hui LES INTERVENANTS pour préparer demain · 2020-05-20 ·...

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#1 QUAND LE COLLECTIF CHANGE LE MONDE Penser collectif aujourd’hui pour préparer demain 20 MAI 2020 Le premier épisode d’ « Appel d’Air », le podcast hebdomadaire de la Coalition Solidaire, tente de répondre à la question que beaucoup se posent : « Comment préparer le monde d’après ? ». La pandémie de Covid-19 a bousculé notre quotidien et nous oblige à réinventer notre modèle social et économique, démocratique et écologique. Le statu quo n’est plus possible. Mais ce nouveau monde tant attendu est‑il seulement possible ? Le podcast « Appel d’Air » interroge trois personnalités engagées qui tirent les premières leçons d’une période inédite de nos vies. Ensemble, elles esquissent les ingrédients nécessaires pour construire une société plus juste et appellent à « jouer collectif » pour changer le monde. Entretiens éclairants. Thierry Calvat Sociologue, co-fondateur du cercle Vulnérabilités & Société, groupe de réflexion rassemblant des acteurs publics et privés et des experts du secteur de la santé, du handicap, de l’âge, de l’assurance et de la lutte contre la précarité. Jacky Richard Coordinateur national du Pacte civique. Le collectif rassemble des citoyens et des organisations qui s’engagent dans un Pacte visant à construire ensemble un avenir désirable pour tous. Thierry Sibieude Professeur enseignant ESSEC Business School, titulaire de la Chaire Entrepreneuriat social. Président de l’association Bleu Blanc Zèbre. LES INTERVENANTS La pandémie du COVID-19 révèle les fragilités de notre société moderne. De nombreuses voix s’élèvent pour changer le monde. Le « jour d’après » existe-t-il vraiment ou allons-nous reprendre nos (mauvaises) habitudes ? Thierry Calvat Le monde d’avant a montré ses limites tandis que celui d’après relève d’un objectif, d’une ambition. Je préfère m’intéresser au « pendant », au moment présent. Que faisons-nous aujourd’hui pour transformer profondément les choses ? Nous sommes entrés dans une ère durable d’incertitude sanitaire, économique et environnementale. Les citoyens ont besoin d’être rassurés. Thierry Sibieude Le monde de demain ressemblera à celui d’aujourd’hui, en un peu mieux je l’espère. Le confinement a créé de formidables élans de solidarité, de générosité, de mobilisation, de liens entre les Français . es. Mais il a aussi révélé l’individualisme, le repli sur soi, la crainte de l’autre pour sa propre santé. Nous espérons tous que le monde de demain sera meilleur. Est-ce pour autant le « Grand Soir », l’espoir d’un bouleversement soudain et radical ? Personnellement, je ne le crois pas.

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# 1Q UA N D

L E C O L L E C T I FC H A N G E

L E M O N D E

Penser collectif aujourd’huipour préparer demain

20 MAI 2020

Le premier épisode d’ « Appel d’Air », le podcast hebdomadaire de la Coalition Solidaire, tente de répondre à la question que beaucoup se posent : « Comment préparer le monde d’après ? ». La pandémie de Covid-19 a bousculé notre quotidien et nous oblige à réinventer notre modèle social et économique, démocratique et écologique. Le statu quo n’est plus possible. Mais ce nouveau monde tant attendu est‑il seulement possible ? Le podcast « Appel d’Air » interroge trois personnalités engagées qui tirent les premières leçons d’une période inédite de nos vies. Ensemble, elles esquissent les ingrédients nécessaires pour construire une société plus juste et appellent à « jouer collectif » pour changer le monde. Entretiens éclairants.

Thierry CalvatSociologue, co-fondateur du cercle Vulnérabilités & Société, groupe de réflexion rassemblant des acteurs publics et privés et des experts du secteur de la santé, du handicap, de l’âge, de l’assurance et de la lutte contre la précarité.

Jacky RichardCoordinateur national du Pacte civique. Le collectif rassemble des citoyens et des organisations qui s’engagent dans un Pacte visant à construire ensemble un avenir désirable pour tous.

Thierry SibieudeProfesseur enseignant ESSEC Business School, titulaire de la Chaire Entrepreneuriat social. Président de l’association Bleu Blanc Zèbre.

LES INTERVENANTS

La pandémie du COVID-19 révèle les fragilités de notre société moderne. De nombreuses voix s’élèvent pour changer le monde. Le « jour d’après » existe-t-il vraiment ou allons-nous reprendre nos (mauvaises) habitudes ?

Thierry Calvat Le monde d’avant a montré ses limites tandis que celui d’après relève d’un objectif, d’une ambition. Je préfère m’intéresser au « pendant », au moment présent. Que faisons-nous aujourd’hui pour transformer profondément les choses ? Nous sommes entrés dans une ère durable d’incertitude

sanitaire, économique et environnementale. Les citoyens ont besoin d’être rassurés.

Thierry Sibieude Le monde de demain ressemblera à celui d’aujourd’hui, en un peu mieux je l’espère. Le confinement a créé de formidables élans de solidarité, de générosité, de mobilisation, de liens entre les Français. es. Mais il a aussi révélé l’individualisme, le repli sur soi, la crainte de l’autre pour sa propre santé. Nous espérons tous que le monde de demain sera meilleur. Est-ce pour autant le « Grand Soir », l’espoir d’un bouleversement soudain et radical ? Personnellement, je ne le crois pas.

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Jacky Richard La crise liée à l’épidémie de COVID-19 a mis en lumière, de manière exacerbée, tout ce qui ne fonctionne pas dans notre société. Cela doit nous guider pour préparer la suite. Meilleur ou pas, le monde de demain doit lutter contre les inégalités sociales, les effets délétères de la mondialisation, de la déforestation, du dérèglement climatique. Par exemple, il est indispensable de réviser les salaires pour qu’ils correspondent mieux à l’utilité sociale des métiers vitaux révélés par la crise : les soignant. es, les éboueurs, les salarié. es de la grande distribution, etc.

Quelles sont les conditions pour que l’action collective joue un rôle significatif dans ce processus de reconstruction ?

Thierry Calvat La crise que nous traversons ensemble accélère les expérimentations et les bonnes pratiques collectives. Beaucoup d’initiatives lancées durant le confinement ont parfaitement fonctionné. Ce qui crée le collectif, c’est avant tout le besoin de l’autre et la complémentarité des compétences. Pour travailler en équipe, nous devons avoir la certitude que celui qui est à nos côtés va nous aider, amplifier notre action. Cela limite aussi les effets de la concurrence entre individus, les problèmes d’égo.

Jacky Richard Trois grandes notions doivent guider le collectif. 1) La responsabilisation de chacun de ses membres. 2) La finalité de l’action collective doit primer sur les moyens mis en œuvre. Et enfin 3) La fraternité. Ce concept né de la révolution française est aujourd’hui trop méconnu, presque galvaudé.

Nous devons réfléchir ensemble à cette notion. La crise du COVID-19 doit être le terreau propice d’une nouvelle fraternité entre les individus.

Thierry Sibieude Nous devons passer d’une société qui se caractérise par le principe de précaution à un principe de confiance. Confiance dans l’avenir. Nous devons aussi prendre conscience que nous avons besoin les uns des autres. L’autre est une richesse, permet d’avancer, de progresser. Cette interdépendance est féconde pour construire l’avenir.

En un mot, quelle est la clé pour préparer au mieux ce monde d’après tant désiré ?

Jacky Richard Pour bien repartir, il faut avant tout bien répartir. La question des inégalités sociales est un frein à lever. C’est la base de la confiance collective. On ne construit rien sur une société fragmentée, divisée.

Thierry Sibieude L’avenir se construira avec de l’audace, de l’expérimentation et surtout la responsabilisation accrue des Français. es pour améliorer les choses.

Thierry Calvat La confiance. Nous devons faire confiance à nos dirigeants, à nos voisins, à nos amis, à nos collègues. La crise doit être l’occasion de regarder l’autre différemment.

« La crise du COVID-19 doit être le terreau propice d’une nouvelle fraternité entre les individus. »

L’intégralité du podcast est à écouter ici.

À venir Épisode 2 du podcast « Appel d’Air » : «  Communiquer

de façon positive »

Q UA N DL E C O L L E C T I F

C H A N G EL E M O N D E

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COVID-19. Et si la France pouvait (aussi) montrer l’exemple aux nations du monde ?

Le point de vue de Philippe Kourilsky, biologiste, professeur émérite au Collège de France, fondateur et président de l’association Résolis.

2 questions à Philippe Kourilsky

Quels sont les aspects de la gestion française du COVID-19 qui se sont démarqués et dont pourraient s’inspirer d’autres nations confrontées à l’épidémie ?

Philippe Kourilsky : Dans un monde où les inégalités augmentent, souvent de manière scandaleuse, la crise du COVID-19 agit, en France comme ailleurs, comme un révélateur. Elle met en lumière au moins deux dimensions majeures de la République sociale. La première, c’est un État providence parmi les plus généreux avec ses citoyens, et qui, dans la crise, a protégé un grand nombre de ses citoyens de désastres sanitaires et sociaux. Avec, en contrepoint, l’observation que ce dernier arrive à bout de souffle et ne peut être un « supermarché » des droits sociaux.

La seconde, souvent moins perçue, est le rôle essentiel du tissu associatif et des dispositifs qui associent la société civile à la gestion des problèmes sociaux. La France a la chance d’être dotée d’un tissu social unique par son dispositif associatif : 1,3 million d’associations 1901 en activité, soit, bien qu’elles soient de dimensions très variables, une pour cinquante habitants.

A contrario, quelles leçons la France peut-elle tirer de ses erreurs ?

Philippe Kourilsky : Nous ne pouvons que gagner à analyser nos défaillances et nos erreurs lorsque nous en avons commises. Alors, avons-nous des leçons à recevoir d’autres pays ? Indubitablement.

Par exemple, l’une des tristes leçons de la crise du COVID-19 est le taux de mortalité très élevé dans les Ehpad : plus d’un tiers du total, bien plus que chez plusieurs de nos voisins. Il faudra en tirer les leçons. L’une sera, sans nul doute, que, si certains de nos établissements méritent d’être réformés, l’optimisation nécessite l’intervention de partenaires extérieurs, notamment les familles et les associations. Cela vaut dans la plupart des domaines.

Je crois par ailleurs que nous devons cesser de nous dénigrer, de dénigrer responsables et dirigeants, pour reconnaître que notre État social est largement exemplaire, mais qu’à trop en abuser, nous risquons de le tuer. Au lieu de nous complaire dans l’insatisfaction, relevons nos manches et construisons.

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Le point de vue de François‑Marie Geslin

Plus que jamais, nous avons besoin de solidaritéLe constat est sans appel. La crise liée à l’épidémie de COVID laissera des traces chez beaucoup d’entre nous.

Chez les Français. es confiné. es, et plus particulièrement celles et ceux qui ont vécu le confinement dans des conditions difficiles, mais aussi celles et ceux qui ont de plus en plus de mal à supporter cet état d’urgence sanitaire contraignant, qui garderont des séquelles durables et profondes.

Chez les soignant. es et les aidants, en première ligne, qui ont vécu une période professionnelle et personnelle difficile et ont tous besoin de souffler.

Chez les salarié. es qui ont expérimenté par contrainte le travail à distance ou le télétravail à temps complet et qui se retrouvent confronté. es à des situations personnelles et familiales inédites.

Chez de nombreuses structures, qu’elles appartiennent à l’économie « traditionnelle » ou au monde de l’Economie Sociale et Solidaire, qui ne se relèveront pas du choc subi.

Le moment est venu d’agréger les initiatives solidaires. Place aux solidarités de proximité augmentées.La situation a permis ici et là de voir émerger des solidarités de proximité qui ne s’étaient pas manifestées jusqu’alors. Ces solidarités ont permis de tester de nouvelles formes « d’attention à l’autre » qui pourraient peut-être se développer ou s’organiser dans la durée car elles répondent à un vrai besoin.

Ce sont ces expérimentations qui pourront peut-être permettre d’envisager la mise en place de « solidarités de proximité augmentées ». Ce concept, encore en émergence, ne pourra s’installer sur les territoires que si l’ensemble des acteurs, réseaux nationaux et/ou structures locales (aujourd’hui encore trop éparpillés) acceptent de se rencontrer, de « faire alliance », de se « coaliser » pour avancer ensemble plus vite et plus loin.

Ces coalitions solidaires sont une réponse à la crise que nous traversons collectivement. C’est un vaste chantier qui s’ouvre et auquel la période de « déconfinement », sans doute très progressif, peut servir de « banc d’essai ».

« Le temps d’après »

Le point de vue de François-Marie Geslin, directeur des activités sociales et de l’engagement sociétal du groupe AG2R LA MONDIALE.

en collaboration avec https://coalition-solidaire.fr/Podcast : interview réalisée par Patrick Lonchampt, journaliste.Interviews complémentaires et maquette : agence Pastelle.