Post on 23-Jul-2020
MICHEL LEFEBVRELE DOUBLE
ET SON NOTAIRELES HERBES ROUGES / ROMAN
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Voici un autre épisode de Bertin Lespérance au pays de l’iden-tité. Dans une version en noir et blanc de la réalité, il est notaire, spécialiste en successions, assez calculateur pour extorquer des fonds. Dans une version en couleur, il n’en a que pour l’époque du romantisme, vénère Tintin, subit des hallucina-tions. Une des apparitions lui ressemble en tous points. Ce double enquête sur certains agissements suspects du notaire. Ce qu’il découvre, pour son plus grand malheur et celui de Bertin, est nul autre que le « dossier des ombres » de l’homme de loi et de raison, c’est-à-dire la super cherie de son identité. « Comme si la raison n’avait toujours été qu’en sursis, ne tenant que par un fil au-dessus de la grande gueule de la Duperie. »Avec Le double et son notaire, Michel Lefebvre saisit le tribunal de notre imaginaire de l’affaire Lespérance. Comme disait son père, « Ne possède une identité que celui qui en possède les papiers ». Accusé Bertin Lespérance, qui êtes-vous : homme de lettres ou de papiers ? Au lecteur instruit de son roman de décider si « pour un tribunal et sa cité, il n’y a pas d’alternative à la flagrante réalité ».
Michel Lefebvre est né à Montréal. Il est bibliothécaire. Il a publié deux romans, deux recueils de nouvelles et un autre de souvenirs communs.
LE DOUBLE ET SON NOTAIRE
DU MÊME AUTEUR
chez le même éditeur
La douceur du foyer, roman, 1996.
Les avatars de Bertin Lespérance, nouvelles, 1999.
Le changement comme passe-temps, roman, 2002.
On va gagner !, nouvelles, 2007.
autre éditeur
Je suis né en 53… je me souviens, coll. AmÉrica, HMH, 2005.
MICHEL LEFEBVRE
Le double et son notaireroman
LES HERBES ROUGES
© 2010 Éditions Les Herbes rougesDépôt légal : Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Bibliothèque et Archives Canada, 2010ISBN : 978-2-89419-456-0
Les Herbes rouges remercient le Conseil des arts du Canada, ainsi que la Société de développement des entreprises culturelles du Québec, pour leur soutien financier.
Les Herbes rouges bénéficient également du Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres du gouvernement du Québec.
L’auteur remercie le Conseil des arts et des lettres du Québec pour son soutien à l’écriture de ce livre.
Données de catalogage disponibles sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
à H********
Si donc aujourd’hui quelqu’un lui demande à quoi bon ces Orientales ? Qui a pu lui inspirer de s’aller promener en Orient pendant tout un volume ? Que signifie ce livre inutile de pure poésie, jeté au milieu des préoccupations graves du public et au seuil d’une session ? Où est l’opportunité ? À quoi rime l’Orient ?… Il ré-pondra qu’il n’en sait rien, que c’est une idée qui lui a pris ; et qui lui a pris d’une façon assez ridicule, l’été passé, en allant voir le coucher de soleil.
Victor Hugo
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I
Pourtant, tout ce que j’ai toujours voulu, c’est la paix. Cet entre-deux. Mais au quotidien de ma profes-sion, c’était loin d’être évident. Encore s’il n’y avait eu comme obstacles que lois, directives, dispositions, régimes, montages financiers. Il y avait aussi des gens.
Pire : des familles, ces hasards imposés.J’étais notaire, spécialisé en successions, c’est-à-
dire en tractations épineuses impliquant des survi-vants judicieusement affligés, cap sur leurs intérêts. Car de grosses sommes étaient plus que souvent en jeu, sous de multiples et ténébreuses formes, pas tou-jours léguées au mérite, et tout l’art consistait à valo-riser le plus floué des héritiers. Je devais donc subir moult rencontres, passer de pénibles moments au té-léphone, piloter d’interminables réunions, et, en défi-nitive, rien dans une journée normale ne ressemblait moins à la paix.
§
On me dira qu’il est paradoxal de choisir une telle occupation lorsque, soi-disant, tout ce que l’on souhaite
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est la paix. Commodément, je répondrai que je n’y pouvais presque rien tant la voie semblait tracée – je pourrais aussi dire que chienne et chien n’engendrent pas de chat, mais je ne cracherai pas en l’air. Il y a quarante ans, une étude de notaire était toujours un bureau feutré où dominaient le bois sombre des bibliothèques, le cuir des livres, des chaises, du sous-main, dans une maison bourgeoise d’une avenue mont-réalaise aux trottoirs bordés d’arbres majestueux. Le notaire était toujours assis bien droit, cheveux lustrés, lunettes sévères, complet-veston sombre, plume en or au bout des doigts, penché, toujours penché, sur un document de la plus haute importance. Des pastilles de menthe dans un vase gris en verre soufflé à portée de main.
Mon père.Lui-même notaire de père en fils. Ornières
familiales.Je le répète : est-ce qu’on y est pour quelque chose ?
Il n’est surtout pas ici question de me plaindre : je n’ai pas été contraint, j’ai eu toute liberté – mais aurais- je pu être chauffeur d’autobus ?… pas sûr. Mon père disait, La meilleure chose que Dieu ait faite, c’est qu’un jour suive l’autre mais découle du précédent. J’ajoute, Va savoir ce qui vient de quoi.
De qui.C’est l’été, j’ai huit ou neuf ans, tante Lou est en
vacances ou c’est samedi ; j’enfonce dans le fauteuil club en cuir brun piqué de clous, sous la lampe Art déco à feuillage de bronze, allumée malgré le soleil ; mon père travaille, appliqué, toujours appliqué ; la plume griffe le papier, les feuilles aux branches des
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ormes bruissent ; je lis Le Secret de la Licorne, mon Tintin douillon-cocon, le romantique des romantiques, aux tons de brun, d’ocre, de jaune, ces masses telle-ment vives que j’ai peur de les perdre en tournant trop fort les pages lourdes d’encre qui sent.
Je peux affirmer que cet instant, c’est la paix.Qui n’est pas habité par l’enfance, cette chimère
délétère ?
§
On aura peut-être noté que ce n’est pas la dispari-tion des personnages que je craignais en tournant les pages de mes Tintin, mais celle des couleurs. Car mon ennui a toujours été d’inclure les gens – ces person-nages – dans un tableau où régnait la paix des cou-leurs et des odeurs.
Les gens.Dans ma pratique professionnelle, je m’en accom-
modais, bien sûr, mais je préférais leurs problèmes. On aura beau m’objecter qu’on ne peut faire abstrac-tion des gens lorsqu’on traite leurs affaires, il me semble que si. Il le faut d’ailleurs si l’on veut clore un dossier. Tirer un instantané d’une situation, déchiffrer la conjoncture, élaborer un scénario en fonction – et seulement en fonction – de ce qui est éloquent, est la recette pour venir à bout d’un imbroglio ou d’un conflit. C’est en procédant ainsi que j’avais acquis ma réputation. Rationalité et synchronie probante, voilà ce que je professais à nos stagiaires. Mais que font les gens en général ? Ils s’empêtrent dans des considé-rations sentimentales et des gestes intuitifs. A-t-on
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jamais vu Tintin céder à l’émotion ?… Pourtant si : face au désarroi de Mme Wang, dans Le Lotus bleu, Pauvre, pauvre maman, alors que son fils sombre dans une nouvelle crise de folie, sous l’emprise du poison qui fait perdre la raison.
On ne peut rester insensible devant les pleurs d’une mère, même Tintin ne le peut.
Et de temps à autre aussi, me faut le constater, au gré des aventures, mon héros a des larmes fugitives, vites séchées, lorsque le devoir l’appelle et qu’il doit quitter de nouveaux amis ; et bien plus tard, revenu des redressements de torts, à sa retraite dans le douillon-cocon, au sein de la famille, il pleure sans retenue le sort appréhendé de Tchang, porté disparu à la suite de l’écrasement de l’avion des retrouvailles au-dessus des neiges du Tibet. Mais ce sont là épanchements d’usage et prescrits, liés, on le sait maintenant, aux problèmes personnels du géniteur-créateur, une per-sonne en chair et en os, néanmoins divinité. Car… ah ! cette clarté, ces visages lisses, ces aventures menées invariablement sur soixante-deux pages, implacable-ment dénouées, alors que les méchants – Prussiens et consorts à rictus, cheveux gominés, mines patibulaires, cigarette au bec, accrochés à des verres de poison am-bré – sont écroués, les justes réunis, les rigolos pardon-nés ; ces cases aux dessins sans bavures, aux couleurs si franches, aux aplats si denses, aux attitudes si tran-chées ; ces ravissements d’enfance dans un bureau de notaire. Oui, c’est là, tout au long de ces pages univo-ques, où aucun nuage ne s’effiloche, où aucune mer n’est trouble – agitée, oui, mais aux remous définis,
comme dans Coke en stock et Tintin au pays de l’or noir –, où aucun sentiment ne vient édulcorer le cours de l’histoire, que j’ai tout jeune défini la paix.
La paix.
Éditions Les Herbes rougesC.P. 48880, succ. OutremontMontréal (Québec) H2V 4V3
Téléphone : 514 279-4546
Documents de couverture :Bohumil Kubišta, Le double, 1911
photo de l’auteur : Hildegard Grüter
Distribution : Diffusion Dimedia inc.539, boulevard Lebeau
Montréal (Québec) H4N 1S2Téléphone : 514 336-3941
Diffusion en Europe : Librairie du Québec30, rue Gay-Lussac
75005 Paris (France)Téléphone : (01) 43-54-49-02
Télécopieur : (01) 43-54-39-15
Cet ouvrage a été achevé d’imprimersur les presses de Marquis imprimeurà Cap-Saint-Ignace en novembre 2010
pour le compte desÉditions Les Herbes rouges
Imprimé au Québec (Canada)
MICHEL LEFEBVRELE DOUBLE
ET SON NOTAIRELES HERBES ROUGES / ROMAN
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Voici un autre épisode de Bertin Lespérance au pays de l’iden-tité. Dans une version en noir et blanc de la réalité, il est notaire, spécialiste en successions, assez calculateur pour extorquer des fonds. Dans une version en couleur, il n’en a que pour l’époque du romantisme, vénère Tintin, subit des hallucina-tions. Une des apparitions lui ressemble en tous points. Ce double enquête sur certains agissements suspects du notaire. Ce qu’il découvre, pour son plus grand malheur et celui de Bertin, est nul autre que le « dossier des ombres » de l’homme de loi et de raison, c’est-à-dire la super cherie de son identité. « Comme si la raison n’avait toujours été qu’en sursis, ne tenant que par un fil au-dessus de la grande gueule de la Duperie. »Avec Le double et son notaire, Michel Lefebvre saisit le tribunal de notre imaginaire de l’affaire Lespérance. Comme disait son père, « Ne possède une identité que celui qui en possède les papiers ». Accusé Bertin Lespérance, qui êtes-vous : homme de lettres ou de papiers ? Au lecteur instruit de son roman de décider si « pour un tribunal et sa cité, il n’y a pas d’alternative à la flagrante réalité ».
Michel Lefebvre est né à Montréal. Il est bibliothécaire. Il a publié deux romans, deux recueils de nouvelles et un autre de souvenirs communs.