Les apparitions de la Vierge et la critique historique

download Les apparitions de la Vierge et la critique historique

of 324

description

Examinées à la loupe et à la lumière de la critique historique, les apparitions mariales ne sont pas du tout crédibles.

Transcript of Les apparitions de la Vierge et la critique historique

LES APPARITIONS DE LA VIERGEET LA

CRITIQUE HISTORIQUE

MARC HALLET

EDITION ENTIEREMENT REFONDUE

LIGE - 2011

LES APPARITIONS DE LA VIERGEET LA

CRITIQUE HISTORIQUE

MARC HALLET

Rdition entirement refondue Lige - Aot 2011

Avant daffirmer quil y a eu vraiment une intervention divine, il faut sassurer que les faits dont on parle ne tolrent pas une explication naturelle ; cest l une rgle dont ne scarte jamais lEglise quand il sagit de juger de faits extraordinaires ; le miracle est lexception, la charge de la preuve incombe ses partisans. Jean Herv NICOLAS O.P.

cit par : Pierre GOEMARE in : Thrse Neumann - stigmatise? Paris, Maloine, 1957, p. 47

AVERTISSEMENTS Pour dsigner de ce quils estiment tre des personnes favorises de vritables apparitions clestes, certains auteurs emploient le terme voyant, rservant celui de visionnaire ce quils considrent comme de fausses apparitions. Par rapport au problme pos par les prtendues apparitions clestes, l'auteur estime que chacun de ces deux termes est ambigu. Il les utilisera donc indistinctement. Compte tenu quil existe ce sujet une controverse qui nest pas strictement grammaticale, il est prcis que lemploi systmatique de la majuscule auquel lauteur a recouru pour crire les mots Commission, Pape, Cardinal, Evque, etc. nest nullement une erreur ou un abus, mais un choix dcoulant de certains usages. La minuscule sera employe pour dsigner des soeurs (une bonne-soeur) mais lorsqu'il s'agira d'en citer une par son nom ou de citer une institution, c'est alors la majuscule qui sera employe. Enfin, dame souvent crit avec une majuscule pour dsigner la Vierge sera, ici, toujours crit avec une minuscule sauf dans l'expression Notre-Dame.

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

INTRODUCTIONOn constituerait sans peine une vaste bibliothque rien quen y regroupant les milliers douvrages qui ont t crits au sujet des apparitions de la Vierge. Or, sur les centaines de mtres de ses rayonnages, on ne pourrait trouver un seul livre qui soit semblable celui-ci... Lcrasante majorit des ouvrages concernant les apparitions mariales ont en effet t crits par des personnes qui y croyaient par principe et qui ont parfois mis au service de leur croyance et de leur volont de convaincre les plus sceptiques, un talent pdagogique et une nergie formidables. A loppos de ces ouvrages, on en trouve un trs petit nombre qui appartiennent au genre polmique ou pamphltaire et dont les auteurs auraient voulu faire triompher une thse radicalement oppose dans un but politique ou idologique peine voil. Tous ces ouvrages se caractrisent donc globalement par une certaine forme daveuglement ou de partialit. Ds lors, ils ne sapparentent pas du tout un travail de critique historico-scientifique qui, seul, permet de remettre de lordre dans un ensemble de faits disparates et de mettre en vidence les choses fausses ou absurdes... Paradoxalement, les apparitions mariales ont peu intress de vritables historiens ou sociologues laques alors quelles reprsentent une masse dvnements et de faits qui peuvent tre contrls, vrifis et analyss sans grande difficult tant donn labondance extraordinaire des sources et des documents. Or tout cela ninspira longtemps aucun travail critique densemble destin en valuer la valeur intrinsque. En 1995, cependant, Yves Chiron qui tait professeur dhistoire, proposa une assez volumineuse enqute critique sur les apparitions mariales. Il en examina un bon nombre, mais commit lerreur de les classer en vraies et fausses au dpart des jugements mis par les Evques concerns. La-priori de cet historien profondment catholique lloignait videmment de la dmarche quimpose une critique historique srieuse. (1) -1-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

Durant lt 2000 parut un norme ouvrage intitul Faussaires de Dieu et dont lauteur, Joachim Bouflet, est un historien consultant auprs de postulateurs de la Congrgation pour la cause des saints. On aurait pu esprer quun tel auteur ralise un travail critique de grande valeur historique et scientifique. Hlas! M. Bouflet partit galement du principe quil fallait suivre en tout l'opinion des Evques, seuls habilits juger en ces matires. Il rangea donc aussi les apparitions en deux catgories simplistes : les authentiques et les fausses. Puis, en analysant les apparitions fausses, il leur dcouvrit des caractristiques particulires dont il tira une sorte de classification taxonomique. Cette classification constitua la charpente dun manuscrit o chaque apparition fausse fut dcoupe en tranches minuscules, chacune de ces tranches tant considre comme typique des caractristique propres, selon lauteur, aux apparitions fausses. La dmarche de Joachim Bouflet navait, on le voit, rien de scientifique ni mme de rationnel. Cest la dmarche dun croyant sincre qui pense faire un travail de critique rationnelle au dpart dides prconues pour le moins discutables. (2) En 2005, aux ditions du Jubil, parut un ouvrage de Ren Humetz intitul Les apparitions - Mise en examen. Ancien officier de gendarmerie puis, en fin de carrire, doyen des juges d'instruction de Paris, l'auteur proposait d'examiner les apparitions mariales comme il aurait tudi une srie d'affaires criminelles. Ayant pris un grand nombre de rcits et les ayant mis dans une sorte de pot commun sans mme dterminer la valeur de chacun d'entre eux, il chercha donc dans ceux-ci des lments de concordance comme par exemple une boule lumineuse, un ge ou une taille donns la Vierge, une impossibilit pour le voyant de se mouvoir, la dcouverte d'une source etc. Puis, ayant trouv de tels lments de concordance dans certains rcits -mais pas dans tous-, l'ex-magistrat conclut que tous ces tmoins qui ne pouvaient se connatre n'avaient pu tous mentir et inventer de faon concordante, ce qui validait videmment, selon lui, leurs tmoignages. Cette mthode qui fonctionne sans doute quand il s'agit de trouver des concordances entre diverses affaires criminelles, devient totalement aberrante ds lors qu'on cherche l'utiliser pour dmontrer la ralit surnaturelle ou du moins fantastique d'une srie d'vnements disparates. Elle est la mme que celle de ces amateurs d'ovnis qui, en fonction d'une cohrence interne des tmoignages qui n'existe que dans leur esprit, prtendent que la preuve est ainsi faite que tous les tmoignages recueillis -n'importe comment et par n'importe qui- sont non seulement vridiques, mais dmontrent de manire certaine l'existence d'un phnomne mystrieux gnralement attribu une origine extraterrestre. Totalement dpourvus de cette logique prcise que doivent avoir des gens qui tudient des tmoignages crits sous l'angle de la critique historique, de tels auteurs mlangent toutes sortes de rcits auxquels ils attribuent une valeur intrinsque maximale, puis les passent dans une sorte de tamis pour n'en retirer que les lments qu'ils ont artificiellement mont en pingle en les considrant comme seuls utiles la comprhension de l'ensemble, lequel est, selon eux et par principe, homogne puisqu'il n'aurait qu'une origine unique. Ces gens-l peuvent s'abuser et tromper des nafs par leurs dmonstrations aberrantes, mais ils ne peuvent que faire rire ceux qui sont accoutums la critique srieuse des vnements historiques fonds sur des tmoignages humains. (3) Enfin, ces dernires annes, ont fleuri ici et l des tudes (!) tendant dmontrer que les lieux des apparitions mariales ne furent pas choisis au hasard. Bases sur une utilisation abusive de cartes gographiques, ces dmonstrationsparaissent prouver que les lieux des -2-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

apparitions, une fois relis entre eux, forment sur la carte de France des structures gomtriques dont une lettre M (comme Marie). C'est plus prcisment un certain Raymond Terrasse qui s'est illustr dans de telles extravagances gomtriques souvent utilises par ailleurs dans le domaine des fausses sciences ou l'sotrisme. (4) En ce qui me concerne, jeus ds 1985 la possibilit de publier une premire critique rationnelle sur ce sujet. En y examinant, selon un ordre arbitraire, quelques cas choisis parmi les plus clbres apparitions reconnues par lEglise, je pus dmontrer quils ne rsistaient pas une analyse historico-scientifique mene au dpart des principaux ouvrages qui avaient t crits leur propos. Mais, outre que cet ouvrage modeste ne mavait permis dexaminer quune petite dizaine de cas dapparitions, il connut une diffusion mdiocre du fait de la faillite de son diteur. (4) Le prsent ouvrage nest en rien une dition rvise et augmente du premier. C'est la rdition entirement refondue d'un second ouvrage que j'ai publi compte d'auteur en 2001 et dont la conception tait assez diffrente. Dans les pages qui suivent, on trouvera une prsentation dtaille des plus clbres apparitions mariales, classes par ordre chronologique, quelles soient reconnues ou non par les autorits religieuses comptentes. Lorsque lexpos seul des faits suffira pour que le lecteur puisse se faire une opinion, il ny sera ajout aucune analyse particulire. En revanche, une analyse dtaille des vnements ou mme de la littrature qui sy rapporte sera propose dans dautres cas. La longueur et la densit des chapitres variera videmment en fonction de limportance historique de chaque cas ou de leur complexit. Je sais quel point le public daujourdhui rclame des ouvrages drudition qui se lisent comme des romans et dont les chapitres ne soient pas alourdis par une multitude de notes en bas de page ou de trop nombreuses rfrences bibliographiques qui nintressent vritablement que les gens peu nombreux voulant effectuer un travail de recherche. Je sais aussi quel point il est fastidieux daller consulter des rfrences rassembles en fin dun ouvrage. Jai donc fait suivre immdiatement chaque chapitre des rfrences bibliographiques le concernant. Dans la plupart des cas, et en particulier pour les plus courts chapitres, jai rduit au strict minimum ces rfrences en ne signalant, en bloc, que les principaux ouvrages consults. Pour des cas plus complexes ou de plus grande importance historique, jai employ, dans le texte, une numrotation continue qui renvoie directement aux rfrences prcises figurant en fin du chapitre. Jai cependant essay de ne jamais faire double emploi entre les rfrences du prsent ouvrage et celles du premier dont jai parl plus haut. Je sais que les chercheur pourront se procurer le premier en bibliothque et quen labsence de nouveaux dveloppements de ma part, il ne sert donc rien dindiquer dans celui-ci les rfrences quils pourront trouver dans lautre. Si donc les rfrences sur Lourdes sont ici bien moins nombreuses que celles sur La Salette, par exemple, cest tout simplement parce que depuis 1985 jai pu dcouvrir sur La Salette bien plus de nouveaux lments dmonstratifs que sur Lourdes.

-3-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

REFERENCES :1) CHIRON (Y), Enqute sur les apparitions de la Vierge, Paris, Jai lu, 1997 (rd.) 2) BOUFLET (J), Faussaires de Dieu, Paris, Presses de la Renaissance, 2000 3) HUMETZ (R), Les apparitions - Mise en examen, s.l., Ed. Du Jubil, 2005 4) TERRASSE (R), Sainte Vierge, orthogomtrie et apparitions mariales, tlchargeable sur internet 5) HALLET (M), Que penser des apparitions de la Vierge ?, Lausanne, P.M.Favre, 1985

-4-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

MISE EN GARDELa tendance actuelle de beaucoup dauteurs partisans de la ralit de certaines apparitions mariales trs controverses est de contester le pouvoir quont les Evques dtre seuls juges en la matire. De plus en plus frquemment, on voit ces auteurs prtendre que des Evques ont mal fait leur travail et ont conclu htivement que certaines apparitions navaient rien de surnaturel. On leur dnie galement le pouvoir de prendre position seuls ou mme contre lavis de certains membres dune Commission denqute quils ont forme. Le gros ouvrage de Joachim Bouflet dont il a t parl dans lintroduction la prsente tude a le mrite dexpliquer trs clairement, textes canoniques et autres lappui, ce quil en est exactement des pouvoirs et responsabilits des Evques en la matire. Nous n'hsitons pas y renvoyer nos lecteurs soucieux de dtails tant lexpos de la question y est lumineux et complet. Nous nous contenterons donc de rsumer... Quoi que peuvent oser prtendre ou suggrer certains auteurs modernes, cest aux Evques des diocses o se produisent des apparitions et eux seuls quil appartient de trancher en faveur de leur origine surnaturelle ou non. Plusieurs choix sont possibles. Ils peuvent, dune part, dlivrer un constat de non surnaturalit. Dans ce cas, il ny a pas de discussion possible : lEvque estime que les pices du dossier dmontrent que les faits ont une origine autre que surnaturelle. On est ds lors en prsence derreurs ou de mensonges, voire les deux. A ce stade, il ny a rien de trop grave. Mais si les visionnaires ou les croyants persvrent dans leurs actes, il y a alors rbellions contre lautorit de lEvque et donc, contre lEglise que lEvque est seul habilit reprsenter en la circonstance. On peut alors parler de faute grave de la part de faux visionnaires et de croyants nafs, les uns et les autres pouvant aller, au pire, jusquau schisme.

5

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

LEvque peut galement constater quil ny a pas dvidence ou de preuve de surnaturalit. Il dpose alors un non constat de surnaturalit. Cette dcision est videmment moins claire que la prcdente puisque lEvque ne tranche pas clairement et dfinitivement. Si les rassemblements de fidles et leurs prires sont alors tolrs sur les lieux o se produisent les vnements, comme cela serait possible en tout lieu ordinaire, les rassemblements des fidles ne peuvent cependant tre considrs comme des plerinages et aucun culte particulier nest reconnu en ce lieu. Enfin, lEvque peut dposer un constat de surnaturalit. Il le fait alors de manire particulirement ostentatoire et publie gnralement un Mandement dans lequel les plerinages et le culte particulier sont reconnus. Quand lEvque a tranch en se prononant de manire officielle, nul nest habilit le contredire, tant dans son diocse quen dehors de celui-ci. Donc, ni un Cardinal, ni mme les plus hautes instances de lEglise, en ce compris le Pape, ne peuvent contester le jugement de lEvque du diocse dans lequel se sont produits les vnements propos desquels il a jug. Ainsi donc, ceux qui en appellent au Saint-Pre ou dautres instances pour contester le jugement dun Evque ou mme faire casser sa dcision se trompent ou ont t gars par de mauvais conseils. Mais comment lEvque assied-il sa conviction ? Si les faits sont ce point vidents quils ne ncessitent pas la consultation dune Commission dexperts, lEvque peut juger seul. Sinon, il forme une Commission denqute dont le choix des membres dpend de lui seul. Sa responsabilit tant crasante, il cherche alors videmment sentourer des meilleurs experts. Leur rle sera celui de conseillers et non de juges. Une Commission denqute piscopale nest donc pas un jury la dcision duquel le juge (lEvque) doit se plier. Sur quoi se basent les Evques ou les experts quils nomment pour estimer la valeur intrinsque des vnements sur lesquels ils ont se prononcer ? Sur ce que lon appelle le discernement. Cela na rien dune mthode scientifique. En fait, on examine la vie et les comportements habituels du ou des voyant(s) afin de vrifier sil ny a rien dans tout cela qui soit contraire la morale chrtienne et aux Dogmes. On estime, par exemple, quune personne amorale nest pas susceptible dtre favorise par une apparition de la Vierge. De mme, on examine lapparence, les attitudes et les paroles de lapparition afin de voir sil ne se trouve l rien qui soit contraire la morale ou la thologie chrtienne. Une Vierge qui serait court vtue ou parlerait vulgairement serait videmment rejete comme une invention ou une manifestation dmoniaque. On comprend, sans quil soit besoin dinsister, les limites extraordinaires dune telle mthodologie dans un domaine o les erreurs et les mensonges peuvent aisment trouver un terrain idal pour natre, spanouir et se propager...

REFERENCE : BOUFLET (J), Faussaires de Dieu, Paris, Presses de la Renaissance, 2000, p. 25-101

6

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

GUADALUPELEspagne de 1323 ntait pas un grand pays catholique, mais bien une terre doccupation islamique. Les chrtiens y taient considrs comme des infidles et ils taient souvent battus, torturs, ou emmens comme esclaves en Afrique du Nord. Or, s'il faut en croire certains rcits, dans les premiers jours de septembre de cette anne-l, dans la rgion de lEstramadure, non loin de la rivire Guadalupe, un vaquero la recherche dune de ses dix vaches dcouvrit une source deau limpide ct de laquelle il se reposa un moment de ses fatigues. Des hauteurs o il se trouvait, il pouvait voir, en bas, la rivire Guadalupe et la Morena de Villuercas qui tait une haute montagne aux sommets enneigs. Lhomme allait reprendre son chemin lorsquil aperut, non loin de lui, dans des buissons, le cadavre de la vache. Comme il tait impossible de rcuprer le corps en le descendant par les sentiers montagneux, il rsolut d'en rcuprer au moins la peau. Il traa donc une grande incision sur la poitrine de la bte qui, aussitt, se redressa en poussant un long meuglement. Effray, lhomme recula et cest alors quil vit une grande clart, comme celle du soleil, et quune belle dame lui apparut. Avec douceur, elle lui expliqua quelle tait la Vierge Marie et que l o il avait trouv la vache tait enterre une prcieuse statue faite son image. Elle souhaitait quelle soit dterre par le clerg et emmene en un autre endroit o elle serait ensuite abrite dans une demeure somptueuse o les peuples du monde entier pourraient venir et o saccompliraient de grands miracles. Aprs stre exprime ainsi, la Vierge disparut aussi soudainement qu'elle tait venue. Le vaquero, transport denthousiasme, alla raconter ce qui lui tait arriv et montra, pour preuve de sa bonne foi, lentaille sur la vache qui tmoignait, selon lui, de la rsurrection de lanimal. Ensuite, il se rendit Caceres, comme le lui avait dit la Vierge et tenta dy convaincre les membres du clerg. Il ne fut cependant pas cru. Aussi regagna-t-il sa demeure en songeant quil avait t un mauvais messager du ciel. Arriv chez lui, il -7-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

dcouvrit que son jeune fils tait mort et quon lavait dj mis dans son linceul. Il se jeta genoux et implora la Vierge, lui disant que si elle le voulait, elle pouvait ramener la vie cet enfant et quun tel miracle prouverait quil avait dit vrai en parlant de sa vision. Aussitt, lenfant revint la vie et le bruit du miracle se rpandit comme une trane de poudre. Le vaquero demanda donc des tmoins de ce nouveau prodige de se rendre Caceres pour convaincre les membres du clerg. Mais ces derniers ne changrent pas si facilement davis. Ils posrent de multiples questions puis, finalement, formrent une sorte de Commission qui se rendit Guadalupe. Les membres de cette Commission examinrent les lieux de lapparition et vrifirent que le terrain navait pas t rcemment remu. Ensuite seulement, ils firent creuser. On dcouvrit alors, sous une couche dhumus, une cavit forme de pierres brutes juxtaposes au milieu de laquelle reposait une sorte de chsse en marbre dans laquelle se trouvait une statue de la Vierge en bois sculpt dun mtre de haut. La Vierge tait reprsente avec le teint brun, les lvres roses et de longs sourcils. Elle portait un collier dor incrust dune meraude et un manteau rouge. Elle soutenait lenfant Jsus qui portait une couronne en or. Dans la chsse, on trouva aussi quelques bijoux qui figurent aujourdhui encore dans le Trsor de Notre-Dame de Guadalupe. Aprs avoir t conserve dans un abri provisoire htivement construit, cette Vierge rpute miraculeuse fut place six ans plus tard dans une basilique construite spcialement pour elle et dans laquelle repose galement le corps du vaquero...

Cest en 1524 que les Pres Franciscains dbarqurent au Mexique et quils commencrent y prcher les Evangiles. Si l'on en croit l encore certains rcits, le 9 dcembre 1531 un indien pauvre et frustre rcemment converti la foi catholique se dirigeait vers un temple qui tait administr par des Franciscains. Arriv laube prs de la colline de Tepeyac, non loin du lac de Texcoco, il entendit un chant mlodieux semblant venir du ciel. En levant les yeux, il vit un nuage blanc trs lumineux entour dune sorte darc-en-ciel. Le spectacle tait si magnifique quil demeura clou sur place. Alors, il sentendit appeler nommment par une voix de femme provenant du centre du nuage. Humblement, lindien se hta de monter au sommet de la colline, o se trouvait le nuage, et l il vit une belle dame dont le manteau tait si lumineux que les simples rochers alentours semblaient tinceler comme des joyaux. Lapparition se prsenta : Sache, mon fils bien-aim, que je suis la Vierge Marie, Mre du Dieu vritable, Auteur de la Vie, Crateur de lUnivers et Seigneur du Ciel et de la Terre, omniprsent... Elle expliqua ensuite quelle souhaitait quil fasse difier en ce lieu un grand temple o elle couterait les suppliques de tous ceux qui lui demanderaient sa protection. Elle ajouta enfin quil devait se rendre au palais piscopal de Mexico pour y convaincre lEvque. Lindien fit ce qu'avait demand lapparition, mais lEvque ne fut pas convaincu. Aussi lindien retourna-t-il sur la colline o la Vierge lui rapparut pour lui dire de -8-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

retourner le lendemain chez lEvque. Cette fois, lEvque couta attentivement lindien et chargea deux de ses conseillers de le suivre afin de lobserver. Lindien retourna vers la colline et, chemin faisant, il disparut soudainement aux regards des deux conseillers qui rentrrent furieux lEvch et dirent que cet homme devait tre un sorcier. Pendant ce temps, lindien avait revu la Vierge qui lui commanda de revenir encore le lendemain afin de trouver l un signe qui convaincrait dfinitivement lEvque. Le lendemain, donc, la Vierge montra lindien une norme quantit de roses frachement panouies, bien que ce ne fut point la saison. Elle lui recommanda de les mettre dans son poncho et daller les porter lEvque en signe de sa prsence relle en ce lieu. Lindien retourna voir lEvque et lui raconta une fois de plus ses apparitions. Puis, quand il ouvrit son poncho, on vit que, par miracle, limage de la Vierge stait imprime sur le tissu grossier. Lauthenticit des apparitions fut ainsi reconnue. Lindien ayant cru entendre que la dame se nommait Notre-Dame de Guadalupe, lEvque retint cette terminologie bien quil songea que lhomme avait peut-tre utilis ce terme parce quil lavait entendu prononcer par des espagnols auxquels il tait familier. Cest dailleurs devant Notre-Dame de Guadalupe, en Espagne, que Christophe Colomb tait all prier avant de partir pour son grand voyage ; et cest en sa mmoire quil nomma ainsi une des les quil dcouvrit. Le manteau de lindien peut encore tre admir aujourdhui Mexico, dans la basilique de Notre-Dame de Guadalupe qui est devenue le centre du plerinage le plus frquent dAmrique. Le Pape Jean-Paul II sy est rendu au mois de mai 1990 afin de batifier cinq mexicains dont lindien qui avait vu, dit-on, Marie...

Les deux apparitions dont il vient dtre question, et quil ne faut surtout pas confondre entre elles en dpit dun vocable identique, eurent ceci de remarquable quelles furent accrdites la suite de miracles rputs incontestables. Or, si lon y regarde de plus prs, ces miracles paraissent pourtant bien peu crdibles... Aprs la Rvolution franaise, beaucoup de statues de la Vierge furent dcouvertes prtendument miraculeusement dans des coffres enterrs ou mme, parfois, dans des arbres. En fait, de braves gens avaient bien souvent cach des statues et des objets du culte pour les mettre labri de la vindicte rvolutionnaire. Dans certains cas, ces gens avaient pri avant davoir pu rvler lexistence des caches et celles-ci furent retrouves par hasard bien plus tard. Dans dautres cas les caches taient connues et lon fit comme si la dcouverte avait t fortuite afin de faire croire au miracle. Ainsi apparut-il de multiples rcits de dcouvertes miraculeuses de statues mariales auxquels on ajouta, bien souvent, des lments extraordinaires destins frapper davantage encore les imaginations. On fit par exemple mention dapparitions, de coups de foudre, de lumires blouissantes ou mme de -9-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

statues capables par elles seules de se dplacer ou dimposer leur volont en indiquant par divers moyens le lieu quelles avaient choisi pour tre lobjet dun culte. Dans le cas de lapparition de Guadalupe en Espagne, il nest pas douteux quon se trouve en prsence dun rcit du genre. En le replaant dans son contexte historique, il sclaire aisment : il sagissait, pour le clerg local, de frapper un grand coup pour sopposer la foi musulmane. Le rcit comporte donc pas moins de deux rsurrections alors quon verra par la suite la Vierge se montrer particulirement avare en simples gurisons lors de ses apparitions. Cela indique dj quon se trouve en prsence dun de ces rcits en grande partie lgendaire dont on trouve de surabondants exemples dans lnorme ouvrage que Mgr Gurin consacra jadis aux vies des saints. Il fut une poque, en effet, o les plus formidables invraisemblances pouvaient tre crites et diffuses sans quaucun critique srieux ragisse pour les dnoncer. Lhistoire de lEglise fut ainsi longtemps jalonne de miracles fantastiques qui feraient aujourdhui rougir de honte le moindre cur qui devrait en citer un seul en exemple. Un dtail permet dclairer le mystre apparent de la dcouverte de la statue de la Vierge de Guadalupe. Il fut dit en effet que la Commission vrifia que le sol, en cet endroit, navait pas t remu rcemment. Mais il fut prcis galement que les pierres abritant la chsse de marbre se situaient sous une certaine couche dhumus. Or, chacun conviendra quil ne faut pas longtemps pour quune couche dhumus prsente laspect dun sol qui na pas subi de fouille rcente. On a donc sans doute dabord enterr la statue qui semble avoir t vnre Sville jusqu linvasion arabe, puis on aura attendu quelques mois, et on aura ensuite mont de toutes pices lpisode de la dcouverte miraculeuse... Le rcit mexicain sinsre galement dans un contexte historique particulier : le dbut de lvanglisation dun peuple quil fallait convaincre de renoncer une multitude de dieux et de desses. Or, limage que la Vierge fut sense offrir delle, si elle ne parle pas beaucoup aux europens, en disait long aux mexicains... En effet, ces derniers la dchiffrrent un peu comme une sorte dimage symbolique. Cette jeune femme, pareille une de leurs desses, tait debout face au soleil. Cela signifiait, pour eux, quelle tait suprieure leur dieu solaire Huitzilopochtli. En outre, le fait quelle se tenait debout sur le croissant lunaire leur indiquait quelle foulait aux pieds leur dieu lunaire Tezcatlipoca. Elle tait donc une desse plus grande que toutes celles quils avaient adores jusque-l. Elle tait de surcrot apparue l o s'rigeait auparavant une pyramide consacre la desse-mre Tonanzin. Le discours quavait tenu lapparition semblait galement leur avoir t spcialement destin tant il tait rempli de sous-10-

L'image de la Vierge au Mexique

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

entendus queux seuls, apparemment, pouvaient comprendre. Ainsi, par exemple, une expression telle que sous mon ombre semblait se rfrer la protection que les indiens cherchent pour sabriter du soleil brlant etc... Selon le rcit officiel de lapparition mexicaine, limage de la Vierge de Guadalupe serait miraculeusement apparue sur le poncho de lindien. Or, il est admis quil sagit dune peinture ralise de la manire suivante : la tte et les mains ont t peintes lhuile ; la tunique, lange et les nuages qui lentourent ont t excuts la dtrempe ; le manteau est une aquarelle et le fond est une fresque. Un tel mlange de mthodes et de styles ne peut avoir eu d'autre justification que celle d'garer ceux qui auraient voulu y regarder de trop prs en songeant d'emble une supercherie. Cette peinture comporte, de l'avis d'artistes et de techniciens qui se sont penchs dessus, de nombreuses imperfections qui trahissent son origine parfaitement humaine; Par exemple, les doigts furent refaits car ils taient trop longs au dpart. Certaines parties semblent avoir t dessines avant d'avoir t peintes. Les bras sont trop longs s'ils pendaient les mains arriveraient aux genoux. Et d'autres curiosits du genre encore que nous ne dtaillerons pas ici... On insiste beaucoup sur le fait que malgr les ans et la fragilit du support, cette image se soit maintenue visible jusqu nos jours. Or il est reconnu quelle fut lobjet de beaucoup dattention et que malgr cela on dut la restaurer maintes reprises. Ces restaurations furent mme si importantes et nombreuses quil existe plusieurs versions de limage, les unes portant ou non certains accessoires comme par exemple la couronne. Limage, dans son ensemble, a beaucoup vieilli, au point que la lune est devenue noire. Elle na plus rien de la lumineuse clart quelle semblait dgager au dpart ; et cest pour cela sans doute que les reproductions quon en donne aujourdhui sont souvent partielles et peu claires. De laveu mme dun spcialiste de la question, limage nest pas claire du tout quand elle est vue de prs, mais elle apparat nette et claire vue de loin. Ce phnomne quil semble croire extraordinaire, sexplique pourtant aisment si lon fait la comparaison avec une image imprime dans un quotidien. Plus grossire est la trame de cette image, et moins cette dernire est nette de prs. En revanche, si on lloigne, la grossiret de la trame disparat et lensemble parait devenir net. En ce qui concerne limage de la Vierge de la Guadalupe, le nombre dendroits o la peinture sest dtache et caille est tel que limage nest plus du tout nette de prs tandis que de loin toutes ces imperfections semblent disparatre... Compte tenu de ce qui vient d'tre dit sur ce sujet, il semble vraiment inutile de discuter davantage de cette image, peinte trs probablement par un faussaire dont on a dit quil stait inspir dune oeuvre plus ancienne tout en multipliant ce que des spcialistes ont appel des anachronismes symboliques et historiques. D'habiles discoureurs n'en finissent pourtant pas de multiplier les remarques les plus fantastiques et les plus fantaisistes propos de cette image. A les en croire, un reflet dans loeil de la Vierge serait limage mme du visionnaire. Mieux ; poussant plus loin encore l'audace, ils affirment que des tudes rcentes ralises avec des moyens sophistiqus, ont permis de dcouvrir ici et l dans l'image d'autres visages et diverses scnes en rapport -11-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

direct avec les rcits touchant les apparitions. La vrit est bien plus simple et se rsume en un mot : c'est la pareidolie, c'est--dire la facult de finir par distinguer, grce l'imagination, des formes prcises dans un ensemble de traits et de taches ne relevant que du hasard. La simple vidence est ceci : si une quelconque crature surnaturelle avait voulu offrir son image miraculeuse, elle l'aurait fait avec une technique et sur un support totalement trangers au lieu et l'poque o elle aurait accompli ce prodige, laissant aux humains quelques sicles pour mieux mesurer l'importance du prodige. Imaginez par exemple que la Vierge de Guadalupe aurait imprim son image avec une technique laser sur un support en matire plastique. Cela aurait coup court toute discussion et le monde entier serait aujourd'hui devenu chrtien. A un tel argument, les habiles discoureurs rpliquent videmment qu'il s'oppose au libre-arbitre des humains, lesquels ne sont pas obligs de croire. Quel bel argument ! Le rcit mexicain, comme l'espagnol, parle dune rsurrection humaine. L encore, on peut regretter que de tels prodiges ne se soient produits qu'en des temps o l'on tait beaucoup moins bien arm qu'aujourd'hui pour en vrifier la ralit ! Et l'on doit souligner que par un seul miracle du genre ainsi attest aujourdhui, la Vierge pourrait provoquer la conversion immdiate de lhumanit entire. Mais, l encore, les habiles discoureurs soutiennent qu'un miracle si clatant obligerait quiconque croire et s'opposerait donc au libre-arbitre de chacun. Mais qu'ils nous expliquent alors pourquoi de tels prodiges ne s'opposrent pas au libre-arbitre des gens qui vcurent quelques sicles avant le ntre... Si le rcit mexicain ne semble en rien inspir par le rcit espagnol, il n'en demeure pas moins que l'identit du vocable est troublante. L'explication qu'on en donne est que l'indien ou d'autres personnes ont pu suggrer ce nom aprs l'avoir entendu prononcer propos d'un sanctuaire alors clbre chez les espagnols. Mais il est bon d'ajouter cela que l'apparition fut peut-tre appele, au dpart, celle qui crase le serpent. Or, dans la langue aztque, cette expression qu'on crirait coatlaxopeuh se prononce qualasupe, soit quelque chose de trs proche de Guadalupe. Force est de constater que lapparition de la Vierge Guadalupe au Mexique nest pas davantage tablie que celle de Guadalupe en Espagne. En effet, les rcits qu'on en a sont nettement postrieurs aux faits prtendus et, surtout, aucun tmoignage crit de l'Evque lui-mme n'a jamais sembl exister. C'est pour le moins troublant et cela conduit conclure que les choses ne seraient pas autrement si ce rcit n'tait rien de plus qu'une invention accrdite par une image commande un artiste. Or, ds 1556, un frre d'origine mexicaine, Francisco de Bustamante, disait dj que -12-

Frontispice de l'ouvrage de L. Lasso de la Vega

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

cette affaire n'tait pas crdible et il l'affirmait parce qu'il connaissait un certain Marcos Cipac qui aurait t, selon lui, l'artiste l'origine de l'image. Hlas, bien que ce peintre fut clbre l'poque, il ne reste rien de ses originaux et toute comparaison des techniques employes est donc exclue. Un vnement d'importance et d'ordre historique ne peut se comprendre vraiment que lorsqu'il est replac trs prcisment dans son contexte historique. Le premier rcit complet des apparitions mexicaines fut crit par un prtre, Miguel Sanchez, en 1648 seulement -soit plus d'un sicle aprs les faits prtendus- et repris, en Nahuatl, en 1649, par Luis Lasso de la Vega -alors vicaire du sanctuaire de la Vierge- dans un petit livre au titre fort long qu'on appelle par convention le Nican Mopohua. Le Nican Mopohua, qui ne constitue en ralit qu'une partie mme de l'ouvrage de Sanchez, est gnralement attribu Antonio Valeriano qui fut lu gouverneur de Mexico en 1566. D'autres documents du genre existent, y compris des dessins semblant se rapporter l'apparition ; mais rien de tout cela ne parat pouvoir tre antrieur plus d'une vingtaine d'annes aprs les apparitions prtendues. Celles-ci, rappelons-le, se seraient produites en 1531. Or, ce n'est qu'en 1666 qu'une Commission ecclsiastique interrogea pour la premire fois des tmoins la demande de Rome o les autorits religieuses mexicaines avaient demand de pouvoir instaurer un jour de fte le 12 dcembre afin de commmorer les apparitions. Si les premiers rcits relatifs aux apparitions apparurent vers 1550, il faut tout de mme souligner qu'ils naquirent en quelque sorte spontanment au moment mme de la controverse de Valladolid, c'est--dire au moment o eut lieu en cette ville un dbat thologique sur la manire dont devait se poursuivre la colonisation. L'intervention de la Vierge dans ce dbat, par rcits d'apparitions interposs, pourrait n'avoir pas t un hasard complet...

REFERENCES :BRUNE (F), La Vierge du Mexique ou le miracle le plus spectaculaire de Marie, Paris, Jardin des Livres, 2002 COLIN-SIMARD (A), Les apparitions de la Vierge, Paris, Fayard, 1981, p. 47-53 TURI (A-M), Pourquoi la Vierge apparat aujourdhui, Paris, Ed. du Flin, 1988, p. 57-60 RAHM (H), Le miracle de Notre-Dame de Guadalupe, Hauteville, Ed. du Parvis, s.d. LEMAIRE (M-G), Les apparitions mariales, Namur, Fidlit, 2007, pp. 42-44 ANONYME, Notre-Dame de partout - Essai encyclopdique populaire, Tours, Cattier, s.d., planche XIV SEVAL (C), La Vierge et les extraterrestres, Agnires, JMG, 2007, pp. 135-168 GUERIN (Mgr), Les Petits Bollandistes - Vies des saints, Paris, Bloud, 1880 (7me dition en 14 volumes)

-13-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

-14-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

GARAISON ET LE LAUSVers lan 1510-1515, Garaison, dans le diocse de Tarbes et Lourdes, une jeune bergre nomme Anglse de Sagazan gardait le petit troupeau de moutons de sa famille 300 mtres environ de sa maison. Elle se trouvait mi-pente dun coteau, prs dune source quombrageait une aubpine en fleur, lorsquune belle dame lui apparut et lui dit ceci : Ne craignez rien, je suis la Vierge Marie, Mre de Dieu. Mais allez dire votre pre davertir le recteur de Montlon quil doit btir ici une chapelle, car jai choisi ce lieu et jy rpandrai mes dons. Aprs quelle eut disparu, lenfant alla trouver son pre et lui raconta son apparition. Lhomme la crut et sen alla aussitt trouver le recteur de Montlon. Mais, venu sans aucune preuve, il dut sen retourner sans la moindre promesse. Le lendemain, la Vierge apparut nouveau la bergre qui lui expliqua le rsultat de la dmarche de son pre. La Vierge insista en refaisant sa demande. Le pre refit le mme chemin et revint une fois encore bredouille, le prtre exigeant des preuves. Le lendemain tant un samedi et, comme la nouvelle avait fait son chemin, plusieurs personnes, dont les parents de lenfant, taient l quand la Vierge apparut nouveau, visible uniquement pour la bergre. Nanmoins, on dit que chacun entendit la voix de Marie qui disait : Cherchez dans votre panetire, et chez vous dans le coffre du pain. Le petit sac, qui ne contenait jusque-l quun morceau de pain noir, fut alors dcouvert rempli de pain blanc, de mme que le coffre dans la maison. Ce fait en apparence miraculeux suffit au recteur de Montlon qui organisa une procession et fit riger aussitt une croix sur le lieu de lapparition. Ensuite, il y fit btir une chapelle. Anglse mourut en 1582 et cest seulement 22 ans aprs sa mort, en 1604, que les -15-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

premiers chapelains stablirent Garaison et tentrent dy reconstituer la vritable histoire des apparitions. Ils retrouvrent certes des documents qui tablissaient lexistence dAnglse et lannonce des apparitions, mais ils ne purent mme pas retrouver le nom du recteur de Montlon. En un sicle, les faits et gestes des protagonistes des vnements avaient pour une bonne part t oublis. On ne sut mme pas enquter sur lenfance de la voyante, ni sur son physique ou sa moralit. Tout au plus la supposa-t-on douce et gentille... La renomme de Notre-Dame de Garaison devint rapidement trs grande, puis connut quelques clipses, dont la plus terrible se produisit videmment au moment de la Rvolution franaise. En 1805 naquit Pierre Laurence qui devint prtre en 1834. De Btharram (un autre lieu de plerinage marial clbre qui se caractrise par une source miraculeuse) o il avait dabord t affect, il fut envoy comme missionnaire Garaison en 1836. En 1845, il fut nomm Evque du diocse de Tarbes et Lourdes. Fervent dvot de la Vierge, il voulut rtablir partout chez Elle la Mre de Dieu. Aussi commena-t-il par transformer ses sanctuaires des Pyrnes en proprits ecclsiastiques pour y restaurer le culte et en faire ensuite, selon ses propres mots, des annexes de Garaison. Ainsi se constitua, aprs de nombreuses annes de tractations et de pourparlers divers, ce que lon appela la famille des Notre-Dame des Pyrnes au sein de laquelle Notre-Dame de Garaison apparut longtemps comme la grande soeur toute dsigne. Cest de la source de Garaison, rpute miraculeuse, que selon les propres termes de Mgr Laurence, devaient sortir toutes les grces de son diocse. On a dit avec raison que ce ntait pas un hasard si la Vierge tait apparue Lourdes pour couronner, en quelque sorte, loeuvre de Mgr Laurence et faire de cette ville le nouveau centre de dvotion mariale des Pyrnes. Cest en 1854 que fut dfini le dogme de lImmacule Conception et cest en 1862 que Mgr Laurence reconnut officiellement que la Vierge tait apparue Lourdes. Entretemps, il avait acquis les terrains ncessaires ldification dun gigantesque sanctuaire en cet endroit et il avait fait venir de Garaison plusieurs chapelains destins prendre en mains la destine du plerinage qui allait devenir le plus clbre du monde...

Benote Rancurel naquit tout la fin de la premire moiti du XVIIe sicle. Toute jeune dj, a-t-on dit bien plus tard, et de la mme manire que certaines mes saintes, elle fut victime des tourments du Malin. Ainsi, par exemple, celui-ci l'aurait-il dj harcele ds le berceau en la soulevant hors de ce dernier pour la cacher ensuite sous un lit... En plein mois de mai 1664, au lieu dit Vallon des Fours, sur les hauteurs du village de Saint Etienne dans la rgion de Gap, en France, alors ge de seize ans, Benote gardait des moutons en grenant son chapelet. Prs delle coulait un torrent. Soudain, sortant dune faille en forme de grotte situe dans les rochers, apparut une belle dame tenant par la main un petit enfant. Une longue conversation anodine sengagea durant une bonne partie de la -16-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

journe, puis, finalement, la dame disparut dans louverture de la roche. Durant deux mois, chaque jour, l'apparition revint. Lentement, en conversant avec la bergre, elle parut faire lducation religieuse de celle-ci qui, sur ce point, tait bien dmunie faute davoir pu aller lcole tant sa mre tait pauvre. D'aucuns ont trouv admirables les quelques conversations qui furent rapportes par la voyante. On pourrait tout aussi justement les qualifier de simplistes voire de btifiantes... Le bruit de ces apparitions commena se rpandre et, un jour, Benote fut entendue par un juge qui, en consquence, chargea le Prieur-Cur de surveiller de prs cette affaire. Le 28 aot, Benote reut de sa dame lordre daller dire au Prieur quil devait organiser une procession jusquau lieu des apparitions. Le Prieur accepta et le juge, inform au dernier moment de la chose, se prcipita sur les lieux. L, Benote voulut lui faire voir la dame, mais il ne vit rien. Alors il pria Benote de demander l'apparition quel tait son nom et cette dernire rpondit Marie. La dame dit ensuite Benote quil se passerait un certain temps avant quelle lui apparaisse nouveau. De fait, elle ne revint quun mois plus tard, en un autre endroit cette fois, et dsigna alors comme lieu de ses apparitions futures une petite chapelle situe au lieu dit Le Laus. Cest ainsi que Le Laus devint le lieu de rassemblement de foules trs importantes o Benote continua voir la Vierge et mme Saint Joseph. De nouveaux visionnaires se firent alors connatre, l et dans les villages alentours. Certains engendrrent le scandale. Les apparitions prirent galement une tournure quasi politique. La Vierge tint en effet des propos condamnant le protestantisme ; et le clerg jansniste, s'estimant menac, les combattit. On a galement signal une opposition venue de certains milieux jsuites, opposition qui aurait eu pour origine le manque gagner qui rsultait de la dsaffection de certaines paroisses -tenues par des jsuites- au profit du Laus. Pour viter que les controverses nes de ces choses ne tournent dfinitivement en dfaveur de l'Eglise, une Commission denqute fut constitue en 1665 et les tmoins des faits furent entendus. Les rsultats furent mitigs, mais on considra quune gurison au moins tait dorigine miraculeuse et, ds lors, les plerinages furent encourags. On soccupa alors immdiatement de construire une basilique qui fut acheve ds 1669. Les gurisons miraculeuses continurent, pour la plupart attribues lhuile brlant dans la lampe du sanctuaire. Et puis il y avait aussi de mystrieux parfums que les visiteurs sentaient en cet endroit... Ds 1666, Benote devint tertiaire de Saint Dominique. Elle continua recevoir les plerins avec une extrme simplicit, mais multiplia les dvotions, les sacrifices, les confessions et les communions. Beaucoup la considrrent de son vivant comme une sainte et on a souvent dit delle quelle savait lire dans les consciences et faire des prdictions. On dira la mme chose, plus tard, de Bernadette Soubirous. Elle eut, dit-on, les seuls dfauts grce auxquels certaines saintes finirent par atteindre un total renoncement la vie: parfois, elle avait des envies dtre coquette, riche et importante ; mais toujours un ange ou Marie la remirent dans le droit chemin du renoncement. -17-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

A mesure que Benote avana en ge, les apparitions dont la Vierge lhonora se firent de plus en plus rares ; mais, en contrepartie, elle eut des extases plus nombreuses au cours desquelles elle vit Jsus sanglant sur la Croix. Comme le cur dArs, elle affronta frquemment le dmon et se sentit parfois transporte par lui, trane sur le sol, roue de coups. On la vit de temps autre couverte dhmatomes et de cicatrices, les yeux rougis. Elle voyait le dmon un peu partout, sous les apparences les plus singulires : un ne, un chat, une poule, un crapaud... En 1669, elle reut les stigmates et, ds lors, pendant quinze ans, chaque semaine, du jeudi au samedi, elle revcut la Passion, couche sur son lit, les bras en croix. Chose curieuse, lpreuve de la stigmatisation cessa durant une anne pour permettre Benote de surveiller les travaux de construction dun logement destin des prtres. En 1684, Portrait de Benote Rancurel tout aussi curieusement, elle promit lArchevque Genlis extrait d'un tableau figurant dans que le prodige cesserait... et il en fut ainsi. Au pralable, le sanctuaire du Laus l'Archevque avait estim que ces stigmates relevaient dune maladie et il avait voulu faire soigner la voyante qui avait commenc par refuser. Puis, pour ne plus contrarier personne, elle avait promis que le phnomne cesserait... Le 15 aot 1698, 8h du soir, alors que Benote tait dans sa cellule, la Vierge lui apparut encore, accompagne de deux anges et lui annona qu'elle allait lui faire voir des choses qui la rempliraient de joie. Aussitt, au son des cantiques et des litanies de la Passion, les deux anges la soulevrent et, en un espace de temps qu'elle ne put valuer, la transportrent jusqu'au Paradis cleste. L, aux sons d'harmonieux concerts traversant les phalanges des Bienheureux, elle vit les hommages dont la Mre de Dieu tait l'objet, les Saints s'inclinant sur son passage. Benote reconnut l les deux saints directeurs qui venaient de temps autre la visiter sur terre. Puis, aprs avoir vu des Martyrs vtus de rouge et des Vierges vtues de blanc, au centre du Paradis, elle vit un trne qui s'levait au-dessus Illustration nave extraite de l'ouvrage de tout le reste et dont l'clatante blancheur de l'abb Juge tait telle qu'elle ne put distinguer Celui qui y tait assis. Marie se prosterna devant ce trne puis continua pendant plusieurs heures faire visiter Benote toutes les parties du Paradis avant que les anges la ramnent son humble cellule. Le ravissement de la visionnaire fut tel, cette fois-l, qu'elle ne put rien manger pendant les quinze jours qui suivirent... Benote Rancurel dcda le 28 dcembre 1718. On l'a parfois compar Marguerite-18-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

Marie Alacoque. Mais on a plus souvent fait le rapprochement entre elle et Bernadette Soubirous, de Lourdes. Flix Vernet, qui fut Chanoine Gap, na pas hsit crire : La vnrable Benote et la bienheureuse Bernadette se ressemblent comme deux soeurs. On a t jusqu' raconter propos de chacune d'elles la mme lgende selon laquelle, petites, elles marchrent sur l'eau. Benote, en tout cas, semble avoir un peu jou dans l'Histoire le mme rle que Jean-Baptiste aurait jou par rapport Jsus : celui de quelqu'un qui annonce la venue d'une autre personne et qui lui prpare le terrain... En 2002-2003, le pre Di Falco qui tait jusque-l le porte-parole officiel de l'Eglise catholique en France fut accus injustement de pdophilie. Soucieuse comme son habitude d'viter une mauvaise publicit, l'Eglise catholique ragit en le nommant Evque de Gap. Ainsi loign des micros et des plateaux de tlvision, priv d'audimat dans un Evch o l'crasante majorit des prtres avaient largement dpass les 70 ans, Mgr Di Falco voulut frapper un grand coup pour une fois de plus briller dans les mdias. Aussi, en mai 2008, aprs une audacieuse campagne publicitaire dans laquelle il mlangea une marque de bire bien connue aux vnements du Laus, proclama-t-il grand tapage la reconnaissance officielle des apparitions Benote Rancurel. Un an plus tard, il s'illustra nouveau en laissant exposer dans sa cathdrale une pieta de l'artiste Paul Fryer reprsentant Jsus, presque nu, sur... une chaise lectrique !

REFERENCES :LARROUY (P.A.), Petite histoire de Notre-Dame de Garaison, N-D de Garaison, 1933 VERNET (F), La vnrable Benote Rancurel, Paris, Lecoffre, 1931 DE LABRIOLLE (R), Notre-Dame du Laus, Gap, Impr. Louis-Jean, 1964 ESTIENNE (Y), Soeur Benote et N-D du Laus, Sancuaire de ND du Laus, 1954 RENARD (H), Des prodiges et des hommes, Paris, France-Loisirs, 1989, p. 151 DE LAWLOR, Les sanctuaires des Pyrnes, Tours, Mame, 1875 JUGE (H-C-A), La vnrable soeur Benote, Lyon, Vitte, 1899 PAIN (L), La bergre du Laus, Montsurs, Rsiac, 1988

-19-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

-20-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

RUE DU BAC A PARISEn 1830, dans la maison-mre des filles de la charit, rue du Bac Paris, Catherine Labour, qui y tait novice, fut favorise de trois apparitions de la Vierge dont la premire commena par l'arrive d'un ange enfantin. La Vierge lui confia une mission importante : faire frapper et diffuser une mdaille dont les deux faces lui furent montres avec prcision. Catherine Labour raconta ses visions son confesseur et les premires mdailles furent frappes en 1832 avec l'accord de Mgr Qulen, archevque de Paris. Telle est l'origine de ce qu'on appela dsormais "la mdaille miraculeuse" car elle opra, dit-on, de nombreux prodiges et miracles et on lui doit mme la conversion d'Alphonse Ratisbonne dont le rcit a t souvent repris dans diffrents ouvrages religieux. Dans le cadre de la clbration du Centenaire de Catherine Labour, on demanda l'abb Laurentin de raliser un ouvrage historique majeur au sujet des apparitions de la rue du Bac. Il fut publi en 1976 chez l'diteur catholique Lethielleux sous le titre Catherine Labour et la mdaille miraculeuse Documents authentiques.

-21-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

La lecture de ce livre, tout entier crit en faveur de l'authenticit reconnue des apparitions, devrait logiquement inspirer les plus svres doutes aux esprits les moins sceptiques. On y apprend en effet que le confesseur de Catherine, l'abb Aladel, qui fut le premier auteur rdiger un gros livre sur ce sujet, crivit davantage un roman qu'un rcit historique. Et pourtant, c'est cet ouvrage, plusieurs fois rdit et richement illustr, qui popularisa le mieux l'histoire des apparitions de la rue du Bac ! Afin de rtablir la simple chronologie historique, l'abb Laurentin dut faire d'importantes mises au point. Ainsi expliqua-t-il que mme les circonstances des trois apparitions sont loin d'tre claires et prcises, au point qu'on a cru longtemps qu'il y avait eu en ralit cinq apparitions. Mme le rcit de la premire apparition qui a fini par s'imposer de faon populaire, ne fut crit que 26 ans aprs les faits allgus ! En lisant attentivement ce que rapporte l'abb Laurentin, force est de constater que tous les tmoignages et tous les rcits concernant ces apparitions sont divergents et discordants. C'est un point tel que mme l'iconographie des faits prtendus s'en trouva fortement diversifie dans les diffrents ouvrages qui furent consacrs ces vnements. Trs tt, l'abb Pierre Coste, fru de critique historique, dnona les faits rapports comme autant de rcritures de l'Histoire. Dans plusieurs mmoires, il rapporta les nombreuses contradictions des rcits et leurs embellissements vidents. Il souligna que la voyante avait frquemment vari dans ses dclarations et qu'elle s'tait toujours trompe dans ses prdictions sauf quand les vnements qu'elle avait sembl prdire s'taient dj produits. Pour donner l'illusion qu'il avait fait un travail d'historien srieux, l'abb Laurentin fut bien oblig de parler des critiques assassines de l'abb Coste, mais il les contourna en insistant sur leur ambigut apparente. Or, il n'y avait de l'ambigut ici et l que parce que ce prtre tait l'poque dans une position extrmement difficile, seul contre tous, ou presque. L'ouvrage de l'abb Laurentin aborde un point trop peu connu de cette affaire : savoir l'trange amnsie que la voyante manifesta lorsqu'elle se prsenta pour la premire fois devant une Commission d'enqute ecclsiastique. A l'en croire, elle ne se souvenait plus de rien avec prcision... ce qui ne l'empcha pas, plus tard, de complter ses rcits ! L'abb Laurentin tourna cette difficult en mettant cette amnsie en parallle avec les crises de scrupules et de doutes que manifestrent en leur temps Bernadette Soubirous ou Ste Thrse de Lisieux. Mais, en vrit, la calme amnsie de Catherine Labour parat bien peu en rapport avec les tortures morales que connurent les deux saintes que Laurentin appelle en quelque sorte la barre de la dfense. Dans l'impossibilit qu'il tait d'ignorer purement et simplement les graves faits rapports en son temps par l'abb Coste, Laurentin raconte encore que la voyante demanda un jour une soeur de creuser dans un endroit prcis afin d'y trouver un trsor qui aurait pu permettre de btir une glise. La malheureuse nonne creusa en vain. En page 111 de son livre, l'abb Laurentin reproduit un document extrmement intressant : il s'agit d'un tableau de la Vierge Marie tel qu'il figurait dans une chapelle que Catherine frquenta lorsqu'elle tait jeune. Or, la position de la Vierge sur ce tableau est absolument identique celle que l'apparition de la rue du Bac aurait eue, selon les dires de -22-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

la voyante. Troublant... Mais il y a bien plus embarrassant encore, et de cela, Laurentin ne souffla mot. Il faut savoir en effet que Catherine Labour n'eut pas que trois apparitions de la Vierge. Elle fut, en vrit, une voyante fort rgulire. En1830 encore, alors qu'elle assistait une crmonie de translation des reliques de St Vincent de Paul, elle vit le coeur du saint apparatre au-dessus du reliquaire. Monsieur Aladel la persuada de n'en pas parler. Mais d'autres apparitions suivirent encore et non des moindres. C'est en effet Jsus qui apparut sa servante de faon plus ou moins rgulire pendant qu'elle assistait la messe. Et c'est ainsi aussi qu'elle se mit prdire des vnements futurs... L'histoire des apparitions de la rue du Bac ne s'arrte pas l car il en existe un prolongement peu connu que voici et qui claire tout ce qui prcde... Le 27 novembre 1839, Justine Bisqueyburu fut introduite au sminaire des Filles de la Charit, rue du Bac, par M. l'abb Aladel. Deux mois plus tard, le 28 janvier, elle eut une premire vision au cours de laquelle elle crut voir la Vierge vtue d'une longue robe blanche et d'un manteau bleu. Elle avait les cheveux pars sur les paules et dans sa main tenait son coeur d'o sortaient, par le haut, d'abondantes flammes. Cette apparition fut suivie d'autres au terme desquelles Soeur Bisqueyburu convainquit les plus hautes autorits du clerg, y compris le Pape Pie IX, d'accepter que fut diffus un scapulaire vert portant l'image de la Vierge et de son coeur. Ce scapulaire aurait opr, dit-on, bien des conversions et quelques miracles. Ensuite, Soeur Bisqueyburu mena une vie exemplaire, sans plus jamais rien rvler de ses visions qui, peut-tre, continurent. C'est une fois encore l'abb Aladel qui fut le confident particulier de cette soeur et, comme il l'avait fait avec Catherine Labour, il la convainquit de se murer dans une sorte de silence prudent par rapport ses visions. Cette manire de faire lui permit de conserver une mainmise complte sur chacune des deux visionnaires. S'il n'y avait eu qu'un seul cas de visionnaire rue du Bac, savoir celui de Catherine Labour, on n'aurait sans doute pas song une quelconque manipulation mentale. Mais en prsence de deux cas si semblables, intervenus au mme endroit et ayant tous deux le mme abb Aladel pour protagoniste, force est de penser que ce dernier fut le gnial manipulateur de ces filles simples...

Les deux images qui furent graves en 1842 sur le scapulaire vert

-23-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

REFERENCES :ALADEL (M), La mdaille miraculeuse, origine, histoire, diffusion, rsultats, Paris, Pillet, 1881 St JOHN (B), L'pope mariale en France au XIXme sicle, Paris, Beauchesne, 1905, p. 1-35 LAURENTIN (R) & ROCHE (P), Catherine Labour et la mdaille miraculeuse, Paris, Lethielleux, 1976 LAURENTIN (R), Vie de Catherine Labour, Paris, Descle, 1980 WALSH (W) : The apparitions and shrines of Heaven's Bright Queen, New York, TJ Carey Cy, 1904, Vol III pp. 278-279 POOLE (S) : Pierre Coste and Catherine Labour, Vincentian Heritage Journal, 1999, Vol 20, Issue 2, Art. 3 MOTT (M-E), Le scapulaire vert et ses prodiges, Paris, Filles de la Charit, 1937 MISERMONT (L), L'me de la bienheureuse C. Labour..., Paris, Lecoffre, 1933, p. 212-218

-24-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

LA SALETTEL'apparition de La Salette se serait produite le 19 septembre 1846 et n'aurait eu que deux tmoins : Mlanie Mathieu Calvat (15 ans) et Maximin Giraud (12 ans). Voici ce que racontrent ces enfants ( leur ge, on tait encore enfant en ce temps-l)... Le jour prcdent l'apparition, ils gardaient tous deux les vaches de leurs matres respectifs quand ils se rencontrrent pour la premire fois. Maximin s'approcha de Mlanie et lui proposa de lui tenir compagnie durant la journe. Mlanie, d'un naturel mfiant, lui tourna d'abord le dos puis, Maximin ne cessant pas d'insister, elle finit par accepter. Les heures s'coulrent ensuite paisiblement jusqu'au moment o Mlanie dcida de manger. Elle sortit un petit pain, fit une croix dessus et, au milieu, un petit trou, disant : "si le diable y est, qu'il en sorte, si le Bon Dieu y est, qu'il y reste". Et vite, elle recouvrit le trou. Maximin se moqua de sa compagne superstitieuse et donna un coup de pied dans le petit pain qu'il envoya loin de l. Tel tait Maximin : vif, colreux, irrespectueux des choses religieuses, mal lev au possible, incapable de fixer son attention longtemps sur une ide... Mlanie ne l'apprcia vraiment jamais ; on peut mme dire qu' sa faon, elle le mprisa, ce dont il sembla longtemps souffrir au point mme de suggrer qu'elle tait mchante. (1) Le lendemain de ce qui prcde, ils se retrouvrent nanmoins pour monter ensemble sur la montagne avec leurs petits troupeaux. Vers 15 heures, aprs avoir mang et dormi, ils se rveillrent et se sparrent pour, d'un coup d'oeil, reprer leurs btes. C'est alors que Mlanie vit une intense clart. Elle appela Maximin qui, voyant son tour la chose, empoigna son bton. Au sein de la clart, les enfants aperurent bientt une dame. Elle tait assise sur une pierre, penche en avant et paraissait pleurer. Elle se leva pourtant, croisa les bras et appela : "Avancez mes enfants, n'ayez pas peur, je suis ici pour vous annoncer une grande nouvelle". La dame tait grande et bien proportionne. Elle portait une robe blanche constelle -25-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

de perles qui brillaient. Sur la tte, elle avait une sorte de bonnet dont on a dit plus tard qu'il s'agissait d'un diadme. Aux pieds, elle portait des chaussures boucles. Au-dessus de sa robe, elle avait galement un tablier jaune ainsi qu'un marteau et des tenailles propos desquels on a expliqu qu'ils taient les instruments de la Passion. Aux pieds de la dame, il y avait des roses ou des images de roses constitues par des rayons lumineux. Dans les descriptions ultrieures, il fut dit que la dame tait toute lumineuse, qu'elle jetait des rayons dans tous les sens et paraissait mme quasi translucide... Au dbut, les enfants dirent que le visage de l'apparition ne pouvait tre contempl car il tait plus lumineux encore que le soleil. Nanmoins, Mlanie expliqua qu'elle vit des larmes couler sur ce visage, chose que Maximin ne put voir tant il tait aveugl. Enfin, en certaines occasions, Maximin et Mlanie dirent que lorsque l'apparition leur donna chacun un secret personnel, celui qui ne s'adressait pas le secret voyait distinctement les lvres de la dame qui bougeaient mais n'entendait rien. Il y a, rien que dans ceci dj, de graves contradictions et l'vidence d'une volution dans les tmoignages des deux bergers. Toujours selon ce que racontrent ces deux derniers, la dame se lana ensuite dans un trs long discours. Elle commena en franais, mais quand elle parla de la rcolte des pommes de terre, voyant que les enfants ne la comprenaient pas, elle s'arrta et aprs s'tre excuse, elle continua dans le patois du pays. Ce discours tait la fois effrayant et dcousu. Quand elle l'eut termin, elle confia sparment, chacun des enfants, un secret personnel puis elle commena s'loigner comme si elle planait, en effleurant peine la pointe des herbes et sans projeter aucune ombre ni clart autour d'elle. Les enfants la suivirent quelque peu, mais elle prit de plus en plus de distance par rapport eux. A un moment donn elle se retourna et ajouta : "Eh bien mes enfants, vous le ferez passer tout mon peuple". Enfin, elle s'leva d'un peu plus d'un mtre et disparut progressivement, un peu comme une image qui se serait efface en commenant par la tte pour finir par les pieds. Quand il ne resta plus que les pieds, Maximin s'lana pour, expliqua-t-il, essayer d'attraper une des roses qui tait fixe aux souliers. Mais il ne rencontra rien car ces roses n'taient, expliqua-t-il, que des rayons de lumire qui avaient pris l'apparence de roses. Enfin, quand la dame eut compltement disparu, il ne resta plus qu'une sorte de petit nuage qui se dissipa son tour. Aprs que tout ceci ce soit pass, Mlanie et Maximin allrent rejoindre d'autres enfants qui gardaient aussi des btes. Mais ils ne leur dirent rien de ce qui venait de se passer. Mlanie fut interroge ce sujet par l'abb Gobert : "Y avait-il l d'autres bergers qui pouvaient distance voir les vnements ?" Elle rpondit : "Oui, je ne sais pas comment il se fait qu'ils ne l'aient pas vu." Si elle tait autre chose qu'une hallucination visuelle ou une invention de toutes pices, la clart intense et mouvante de l'apparition aurait sans doute t vue par d'autres enfants. Un autre tmoin capital, si l'on ose dire, aurait t le chien de Maximin. Or, en croire les enfants, il ne cessa pas de dormir, malgr les cris de Mlanie vers Maximin, malgr le discours de la dame, et alors mme que les enfants s'loignaient en suivant l'apparition. Maximin expliqua la chose en disant simplement : "C'est que les chiens ne doivent pas voir la sainte Vierge". On peut supposer aussi que le silence du chien tait ncessaire pour expliquer que les autres enfants non loin de l ne se rendirent compte rien. Cela laisse penser que soit le chien fut frapp de stupeur par l'apparition, soit que les deux voyants combinrent bien leur histoire... (2) -26-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

Sans que l'on sache pourquoi il agit ainsi, alors qu'ils n'avaient rien dit aux autres enfants, Maximin raconta pourtant tout le jour-mme aux adultes quand il fut rentr au village. On vint interroger Mlanie, qui tait ce moment dans une table, et elle confirma tout. On jugea qu'ils devaient tout dire au cur. Le lendemain, donc, ils se rendirent ensemble la cure et racontrent leur histoire devant la bonne de celui-ci qui avait refus de les introduire immdiatement auprs du prtre. Ce dernier ayant entendu en grande partie le rcit entra finalement dans la pice et leur dit : "Mes enfants ! Je crois... Je pense que vous avez vu la Sainte Vierge !" Et il courut aussitt annoncer la nouvelle en chaire de vrit ! (3) Du coup, la nouvelle se rpandit comme une trane de poudre et quelques personnes vinrent interroger les enfants titre personnel. Il fallut cependant attendre jusqu'en fvrier 1847, soit cinq mois plus tard, pour qu'ils fussent enfin questionns par un interlocuteur instruit et connaissant leur patois. Cet enquteur fut l'abb Lagier. Il rdigea ce qu'on nomme habituellement le "rapport Lagier", le meilleur parmi les plus anciens crits du genre. (4) Fort heureusement, le message de l'apparition fut transcrit beaucoup plus tt par M. Baptiste Pra qui habitait le village de Corps. Le voici dans son apparence originale. "Avancez mes enfants, n'ayez pas peur, je suis ici pour vous conter une grande nouvelle ; si mon peuple ne veut pas se soumettre, je suis force laisser aller la main de mon fils ; elle est si forte et si pesante que je ne puis plus la maintenir, depuis le temps que je souffre pour vous autres, si je veux que mon fils ne vous abandonne pas je suis charge de le prier sans cesse moi-mme, pour vous autres n'en faites pas de cas, vous aurez beau faire, jamais vous ne pourrez rcompenser la peine que j'ai pris pour vous autres. Je vous ai donn six jours pour travailler, je me suis rserv le septime et on ne veut pas me l'accorder, c'est qui appesantit tant la main de mon fils ; et aussi ceux qui mnent les charettes ne savent pas jurer sans mettre le nom de mon fils au milieu, c'est les deux choses qui appesantissent tant la main de mon fils. Si la rcolte se gte, ce n'est rien que pour vous autres, je vous l'avais fait savoir l'anne passe par les pommes, mais vous n'aviez pas fait cas que c'tait au contraire quand vous trouviez des pommes de terre gtes vous juriez que cette anne pour la Nol il y en aura plus (vous ne comprenez pas mes enfants, je m'en vais vous le dire autrement...) si vous avez du bl, il ne faut pas le semer tout ce que vous smerez les btes le mangeront et ce qu'il restera encore que les btes n'oront pas mang, l'anne qui vient en le battant tombera en poussire. Il viendra une grande famine avant que la famine arrive les enfants au dessous de sept ans prendront un tremble qui mourront entre les mains des personnes qui les tiendront. Les autres feront leur pnitence en famine, les noix viendront boffes, et les raisins pourriront et s'ils se convertissent les pierres et les rochers deviendront des amas de bl ; et les pommes de terre seront ensemences (pour l'anne qui vient) l't ne va que quelque femme un peu vieille la messe le dimanche et les autres travaillent, et l'hiver les garons lorsqu'ils ne savent pas que faire vont la messe pour se moquer de la religion, le monde ne font point de carme ils vont la boucherie comme les chiens ; faites-vous bien votre prire mes enfants, pas beaucoup madame : Il faut bien la faire soir et matin et dire au moins un pater et un ave quand vous ne pourriez pas mieux faire. N'avez-vous point vu du bl gt mes enfants, non madame, mais mon enfant vous n'en devez bien avoir vu une fois que vous tiez all avec votre pre -27-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

au Couin qu'il y avait un homme qui dit votre pre de venir voir son bl qui tait gt ; puis votre pre y est all et il prit quelques pis dans sa main il les frotta et tombrent en poussire, puis en s'en retournant comme ils taient encore une demi heure loin de Corps votre pre vous donna un morceau de pain et vous dit tiens mon enfant mange encore du pain cette anne que nous ne savons pas qui en va manger l'anne qui vient si continue comme . Allons mes enfants, faites le bien passer tout mon peuple." Les premires versions ultrieures de ce discours seront mieux crites mais elles resteront assez fidles, au niveau de l'enchanement chaotique des ides, ce qui prcde ; puis des phrases seront ajoutes et, enfin, des chapitres entiers. Le texte original ci-dessus contient dj au moins une grosse erreur thologique : la dame s'y attribue en effet la dcision du repos dominical. Tout au long des apparitions mariales, et dj ici La Salette, on peut constater une autre drive thologique : de simple mdiatrice auprs de Dieu ou de son fils, la Vierge devient dtentrice de pouvoirs miraculeux... Des informations contradictoires sur lapparition de La Salette parvinrent peu peu en grand nombre l'vch. Mgr de Bruillard, dj octognaire, fut de plus en plus sollicit pour que soit cre une Commission d'enqute. C'est cependant seulement le 19 juillet 1847 qu'il dsigna le chanoine Rousselot et l'abb Orcel en qualit d'enquteurs officiels. En fait, tous deux avaient dj sign un rapport sur le sujet en date du 15 dcembre 1846. On y trouvait mentionnes diverses objections nes de l'examen des tmoignages parvenus jusque-l l'vch. (5) Au lieu de se rendre directement La Salette pour interroger les enfants sans plus attendre, les deux prtres parcoururent d'abord les diocses de Valence, Viviers, Avignon, Nmes, Montpellier, Marseille, Frjus, Digne et Gap. Ils confrrent avec six Evques et partout reurent d'amples moissons de "relations authentiques" qui furent pourtant juges trs incompltes plus tard. Ils arrivrent enfin dans le village de Corps le 25 aot 1847, soit prs d'un an aprs l'apparition suppose. Et l, ils purent enfin recueillir les dpositions des tmoins directs et se rendre aussitt avec eux sur les lieux de l'vnement. Entre-temps, videmment, les rumeurs les plus folles avaient t bon train. En plusieurs endroits des environs, on avait dj signal de nouvelles apparitions. La Commission d'enqute les carta sans examen srieux, estimant qu'il s'agissait de manoeuvres du dmon pour masquer ou dnaturer la vrit des apparitions authentiques de La Salette. La pierre sur laquelle la Vierge s'tait assise avait t, disait-on, frappe par un soldat : elle s'tait fendue transversalement pour laisser apparatre... la face du Christ, barbu et couronn. Ce miracle-l ne fut pas davantage retenu par la Commission d'enqute. Enfin, la source prs de laquelle la Vierge s'tait tenue et qui tait jusque-l intermittente, avait, depuis le jour de l'apparition, coul sans arrt. C'est du moins ce qu'on a crit un peu partout sans insister sur le fait que le bassin de cette source fut amnag peu aprs l'apparition dans le but de faciliter la captation de l'eau. Bien que les enfants n'aient fait aucune allusion cette source, on y puisa rapidement de l'eau et l'on constata qu'elle oprait des cures miraculeuses. (6) C'est dans un tel climat de rumeurs et de mysticisme que MM. Rousselot et Orcel interrogrent Mlanie et Maximin. Les deux jeunes voyants ne supportaient gure les longs -28-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

interrogatoires. Ils devenaient rapidement peu complaisants puis franchement grossiers. Mlanie, selon son propre matre, tait paresseuse, boudeuse et dsobissante au point de ne pas vouloir, quelquefois, rpondre qui lui adressait la parole. On savait qu'avant l'apparition Maximin jurait et mentait. Il l'avoua l'abb Rousselot, avec la plus grande complaisance : On ne vous a point tromp, on vous a dit vrai : je mentais et je jurais en jetant des pierres aprs mes vaches, lorsqu'elles s'cartaient. En outre, ni Maximin ni Mlanie ne faisaient leurs prires et, le lendemain mme de l'apparition, Maximin ne se rendit mme pas la messe. Maximin reconnaissait galement que tant qu'avait dur l'apparition, il n'avait cess de jouer avec des cailloux. Comment croire, comment admettre, ds lors, que ces enfants aient t choisis par la Vierge pour stigmatiser les gens qui juraient et ne disaient pas leurs prires ? (7) Et pourtant, MM. Rousselot et Orcel conclurent l'authenticit de l'apparition. Sur le caractre des enfants, on possde encore d'autres tmoignages, commencer par celui de Soeur Valrie, l'institutrice de Maximin Corps : Maximin avait beaucoup d'imagination ; nous l'avons toujours remarqu. Tout enfant, il me disait ce qu'il ferait quand il serait pape... Ou bien, il se voyait roi, sur un trne (...) combien de fois il nous faisait ses contes, assis par terre, entre notre Mre et moi pendant les rcrations. A ce tmoignage, il faut encore ajouter celui de l'abb Dupanloup qui devint, plus tard, un Evque fort renomm. L'abb Dupanloup resta La Salette du 7 au 10 juin 1848. Il rencontra les enfants, les tudia et les interrogea longuement. Voici la description peu flatteuse qu'il en fit... "J'ai vu ces deux enfants : le premier examen que j'en ai fait m'a t trs dsagrable. Le petit garon surtout m'a trangement dplu. J'ai vu beaucoup d'enfants dans ma vie ; j'en ai vu peu ou point qui m'aient donn une aussi triste impression. Ses manires, ses gestes, son regard, tout son extrieur est repoussant, mes yeux du moins. Ce qui a peut-tre ajout la mauvaise impression que j'en recevais, c'est qu'il ressemble singulirement un des enfants les plus dsagrables, les plus mchants que j'aie jamais lev. En disant ainsi l'impression fcheuse que j'ai reue de ce petit garon, je ne prtends dtruire en rien les impressions plus heureuses que sa vue a fait prouver d'autres. Je me borne simplement dire ce que je suis sr d'avoir prouv moi-mme. Il faut avouer que si mon tmoignage finit par tre favorable ces enfants, ce ne sera pas du moins un tmoignage suspect ; je n'aurai certainement pas t sduit par eux. La grossiret de Maximin est peu commune, son agitation surtout est vraiment extraordinaire : c'est une nature singulire, bizarre, mobile, lgre : mais d'une lgret si grossire, d'une mobilit quelquefois si violente, d'une bizarrerie si insupportable, que le premier jour o je le vis, j'en fus non seulement attrist, mais dcourag. A quoi bon, me disais-je, faire le voyage pour voir un pareil enfant ? Quelle sottise j'ai faite ! J'avais toutes les peines du monde empcher les soupons les plus graves de s'emparer de mon esprit. Quant la petite fille, elle me sembla aussi fort dsagrable sa faon qui, je dois le dire, est cependant meilleure que celle du petit garon. Les dix-huit mois qu'elle a passs chez les religieuses de Corps l'ont, ce qu'on dit, un peu faonne. Malgr cela, elle m'a paru encore un tre boudeur, maussade, stupidement silencieux, ne disant gure que des oui ou des non, quand elle rpond. Si elle dit quelque chose de plus, il y a toujours une certaine roideur dans ses rponses et une timidit de mauvaise humeur qui est loin de mettre l'aise avec elle. Du -29-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

reste, aprs avoir vu ces deux enfants, chacun d'eux plusieurs fois, je ne leur ai jamais trouv aucun des charmes de leur ge : ils n'ont, ou du moins ils ne paraissent avoir rien de cette pit, de cette candeur de l'enfant qui touche, qui attire, qui inspire la confiance." L'abb Dupanloup se laissa nanmoins convaincre que ces enfants disaient vrai, tant parce qu'ils semblait s'oprer en eux un changement profond lorsqu'ils parlaient de l'apparition que parce qu'ils refusrent obstinment, mme contre argent, de lui rvler leurs secrets. Devenu Evque, Mgr Dupanloup vint mme dire la messe La Salette et il a t suggr qu' partir d'une certaine poque, il regretta amrement d'avoir crit la lettre qui vient d'tre cite. On sait encore par Soeur Dosithe que lorsque Mlanie fut mise au couvent, elle tait grogneuse, terrible et menaante. Mais il y a plus grave : Mlanie semblait parfois faire des choses sans s'en rendre compte, comme si "elle n'tait pas elle". Quand elle quitta le couvent, par exemple, elle s'adressa grossirement la Mre Gnrale puis, peu aprs, croyant ne pas l'avoir vue et ne rien lui avoir dit, elle revint sur ses pas et prit cong d'elle fort poliment. On sait aussi, grce la mme soeur qui put bien l'observer peu aprs le moment de l'apparition, que Mlanie se retrouva plusieurs fois muette, y compris en pleine conversation. Une fois qu'elle tait devenue ainsi muette, elle reparla soudainement aprs qu'on lui eut fait un signe de croix sur le front. Une autre fois encore, elle devint aveugle pendant un certain temps et retrouva la vue aprs une prire. Selon le Pre Thurston, il s'agissait l n'en pas douter de signes distinctifs d'hystrie. (8) Le 27 octobre 1847, dans l'Univers, Louis Veuillot crivait un long article tout en faveur de l'apparition et des miracles de La Salette. Entre autres choses, il affirmait : "Depuis l'vnement du 19 septembre, il n'y a pas un seul dlit grave constater dans tout le canton. En mme temps les preuves de la puissance et de la bont de la Vierge y abondent. Les aveugles voient, les sourds entendent, les paralytiques se lvent et marchent." Le mme auteur, avec les mmes argument grossirement faonns autour de fausses rumeurs, dfendit plus tard les apparitions de Lourdes. (9) Faisant suite au rapport favorable de MM. Rousselot et Orcel, Mgr De Bruillard runit une Commission charge d'examiner les vnements prtendus. Il en choisit les membres selon un savant mlange, en prenant un certain nombre de partisans et d'opposants dj dclars. Cette Commission sigea du 8 novembre au 13 dcembre 1847. Durant les trois premires sances, on couta les rapporteurs et on examina divers points obscurs. Lors de la quatrime sance, un prtre dclara que Maximin avait prtendu qu'une religieuse qui tait venue le voir sur les lieux de l'apparition avait, comme la dame, "disparu" aprs s'tre "leve dans les airs". Ce fut le point de dpart d'une srieuse polmique ! On voulut nanmoins classer cet incident sans suite sous prtexte qu'il y aurait eu confusion : l'enfant, prtendirent certains, n'aurait pas dit qu'elle s'tait "leve dans les airs" et elle n'avait "disparu" qu'au dtour d'un ravin. Cet incident tait peine clos qu'un autre surgit : Mlanie, affirma un prtre, a parl certains d'une clart mystrieuse qui aurait t aperue longtemps avant l'apparition. A d'autres personnes, elle parla d'une clart observe aprs l'apparition. On fit venir l'enfant qui nia, d'un air but, avoir jamais parl d'une grande clart avant ou aprs l'apparition. Mais un membre de la Commission rtorqua -30-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

qu'il savait de tmoins dignes de foi que le contraire tait vrai. Une fois de plus, la majorit des membres de la Commission mit cela sur le compte de l'incomprhension que les enfants pouvaient manifester vis--vis de certaines questions qui leur taient poses et le dbat ce sujet ne fut pas poursuivi. A l'ouverture de la cinquime sance de la Commission, un prtre (sans doute celui qui disposait de tmoignages certains) demanda que soit rexamine la question de la clart mystrieuse postrieure l'apparition. Un trs court dbat sur cette question pineuse conclut qu'il n'en sortirait rien contre "le fait de l'apparition". Ainsi donc, ds cet instant, il existait dj, dans la Commission, une majorit de membres ayant conclu au "fait de l'apparition" ! Les abbs Orcel et Rousselot intervinrent alors, considrant qu'ils avaient t injustement mis en cause lors de la prcdente sance. Puis ce fut Mgr de Bruillard qui prit la parole. Il lut une courte allocution prpare pour la circonstance. Elle prouve clairement que son but tait, dornavant, d'acclrer les choses autant que possible, au besoin en vitant de s'appesantir sur les contradictions et obscurits releves par certains. "Il me semble, dit l'Evque, qu'il y a eu bien du temps perdu ; vitons ce malheur l'avenir ; le temps est si prcieux, et d'ailleurs votre intention ne doit pas tre de prolonger outre mesure nos dbats et nos runions. Il y a eu du temps perdu, lorsqu'on s'est permis une foule de questions trangres au fait de l'apparition, et qui ne pouvait contribuer le constater ou le rejeter..." (10) L'Evque, qui parlait son tour du "fait" de La Salette, ne manquait certes pas d'aplomb pour stigmatiser la lenteur des dbats. Il suffit en effet de se souvenir de la lenteur avec laquelle il lana la premire enqute officielle et institua la Commission... Aprs avoir ainsi parl, Mgr de Bruillard posa sept questions auxquelles il exigea immdiatement une rponse par "oui" ou par "non". Ainsi qu'on va pouvoir en juger, ce fut l une manoeuvre inoue pour forcer la main certains membres de la Commission... La premire question porta sur la topographie des lieux. Le rapport Rousselot concluait qu'il aurait t impossible une personne ordinaire de disparatre en usant simplement des particularits du relief. Cette conclusion fut admise par 15 voix contre 1. Or, lors de la quatrime sance de la Commission, on avait pourtant expliqu la "disparition" d'une religieuse en arguant qu'elle aurait pu tre dissimule aux regards de Maximin au dtour d'un ravin ! La seconde question porta sur le portrait des enfants tel qu'il apparaissait dans le rapport Rousselot. Ici, les participants marqurent leur accord avec ce rapport " l'unanimit moins quatre voix" (soit 25% d'opposants). La comparaison entre divers tmoignages et le rapport Rousselot montre clairement que ce dernier proposa un rapport plutt flatteur et sens unique des enfants. La troisime question porta sur la conformit des tmoignages des enfants. Unanimit moins une voix en faveur de la conformit... alors que plusieurs contradictions avaient t releves.

-31-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

La quatrime question porta sur la fidlit des enfants garder leurs secrets respectifs. Le vote fut cette fois unanime, ce qui n'a rien de surprenant. Mais cette question et sa rponse ne prouvaient pourtant rien. La cinquime question porta sur la ralit des faits. Les enfants avaient-ils t tromps ou trompaient-ils ? Unanimit moins quatre voix, soit encore 25 % d'opposants. Trois opposants estimrent qu'il n'y avait point de preuve et le quatrime pensa mme qu'il y avait des raisons srieuses de rejeter purement et simplement les tmoignages des enfants. La sixime question porta sur la croyance gnrale propos du fait. Il y eut unanimit des voix pour conclure que celle-ci pouvait tre considre comme une prsomption favorable quant la ralit des faits allgus. On croit rver ! Ces ecclsiastiques estimaient donc qu'il suffit qu'une rumeur soit gnralement accepte pour qu'on puisse admettre qu'elle soit fonde ! La septime question amplifiait, en quelque sorte, la cinquime. Elle porta sur la dmonstration du fait par le caractre des enfants, la topographie, les enqutes etc. C'tait une question qui ressemblait fort une conclusion gnrale. Elle recueillit, comme deux autres prcdemment, une "unanimit moins quatre voix". Ce qui prcde montre que du dbut la fin des travaux de la Commission, chacun resta sur ses positions. Les conclusions auxquelles on aboutit rsultrent donc exclusivement du choix des participants et de la manire assez cavalire dont l'Evque prcipita les choses. Les opposants dclars aux faits allgus avaient t appels au sein de la Commission en nombre nettement minoritaire et l'on a vu comment leurs interventions furent censures ou dtournes. Les questions poses par Mgr de Bruillard vitrent qu'on se prononce sur le degr de vracit probable du tmoignage des enfants, seul point essentiel, pourtant, en cette affaire. Or, durant les dbats, il avait t dmontr qu'au moins une fois Maximin avait amplifi le message de la Vierge au dpart d'une suggestion d'un adulte. Il y avait en effet ajout une phrase disant que les garons jetaient des pierres aux filles qui allaient l'glise. Cette phrase, Maximin comme Mlanie d'ailleurs, la rptrent plusieurs fois alors qu'elle ne figurait pas dans la relation de Baptiste Pra cite plus haut. Dans ce cas prcis, il fut donc tabli que Mlanie se fit au moins une fois la complice de Maximin dans le mensonge puisqu'elle lui embota allgrement le pas en faisant sienne la nouvelle version. (11) Aprs avoir obtenu d'aussi claires rponse ses sept questions, Mgr de Bruillard embraya aussitt sur la question des miracles obtenus grce l'eau de la source qui s'tait mise jaillir en permanence La Salette. Sur les lieux de l'apparition et aux alentours, on compta toujours trois sources ou "fontaines". L'une tait rserve aux hommes, la seconde aux animaux et la troisime, celle qu'aurait choisie la dame, n'avait pas d'utilit prcise car son dbit tait jug capricieux. Il s'est trouv des gens pour dire qu'elle tait souvent tarie. Benjamin Pra, qui connaissait bien les lieux, dclara pourtant "je ne l'ai jamais vue sche, moi". Or, c'est l un tmoignage capital qu'on feint d'ignorer dans cette affaire. On dit que Benjamin Pra se rendit sur les lieux le 21 et qu'il constata que la source coulait. Certes, mais c'tait l, selon lui, une chose -32-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

habituelle. Trs tt, des personnes pieuses vinrent la source dsigne par les enfants, source dont la dame ne semblait pourtant pas avoir parl dans son long discours. En venant puiser de l'eau, insensiblement, on creusa bien entendu le sol. En outre, on amnagea les lieux pour rendre la captation de l'eau plus aise. Toutes ces modifications du bassin de la source contriburent forcment une amlioration du dbit de l'eau. Il n'y a l rien d'extraordinaire et il est certain que le "miracle" du jaillissement soudain et permanent de la source fut forg de toutes pices au mpris de la ralit. (12) Mgr de Bruillard avait promis qu'il rendrait son jugement avec solennit ds l'issue des sances de la Commission si celle-ci se dclarait en faveur de la ralit de l'apparition. Il n'osa pourtant pas agir de la sorte car le Cardinal de Bonald, opposant de la premire heure, le fora, par toutes sortes de moyens, redoubler de prudence. Il adressa mme l'Evque une sorte de mise en demeure de rpondre plusieurs objections. Parmi celles-ci, il y avait l'trange costume de l'apparition. Mgr de Bruillard fit ce propos cette tonnante profession de foi : "Plus il est trange, moins il est de l'invention des enfants". Comme si le degr d'tranget d'un tmoignage pouvait valider celui-ci. Cela aboutirait dmontrer l'existence vidente des lphants roses ! En juin 1948, Mgr de Bruillard signa, sous forme d'approbation, une sorte de prface un livre qui fut publi Grenoble en 1849 et qui n'tait autre que le fameux rapport Rousselot, intitul La Vrit sur l'Evnement de La Salette. Ce rapport devenait ainsi, en quelque sorte, la vrit officielle sur laquelle la Commission s'tait prononce. Le 30 juin 1850, sous la prsidence du Cardinal de Bonald, un Concile provincial s'ouvrit Lyon. Nombreux taient les prtres et les prlats qui espraient qu'on y aborderait et qu'on y jugerait le cas de La Salette. L'abb Cartellier, un opposant de la premire heure, tait l avec son propre Mmoire qui avait dj fait grand bruit. Il comptait dj les voix "pour" et les voix "contre". Tout naturellement, Mgr Parisis proposa donc d'aborder la question de la vracit des faits supposs de La Salette. Le Cardinal de Bonald refusa net. "Que penserait le public, dclara-t-il, s'il pouvait s'imaginer que des Evques et des hommes considrables dans le clerg se sont assembls pour s'occuper de La Salette, de Louis XVII et de choses de cette force. On se moquerait de nous !" Ainsi, fort de son intime conviction qui lui faisait ranger l'apparition de La Salette parmi les sottises, le Cardinal de Bonald empcha que l'on coupt une bonne fois pour toutes les ailes un "canard" qui n'allait pas cesser, ds lors, de faire parler de lui... L'abb Cartellier fut videmment profondment du. Selon ses estimations, il lui aurait suffi de trouver une voix et une seule pour que, selon ses propres termes, "l'affaire fut rgle" de faon dfinitive. En effet, jamais Mgr de Bruillard n'aurait os aller l'encontre de la dcision qui aurait t prise lors du Concile provincial. (13) Durant ce mme t de l'anne 1850, Antoine Gay, un possd clbre, vint en -33-

LES APPARITIONS DE LA VIERGE...

plerinage La Salette o il put rencontrer Mlanie et Maximin. Aprs s'tre trs bien conduit avec eux pendant un moment, il finit par cracher au visage de Mlanie qui lui avait demand de prononcer avec amour le nom de la Vierge. (14) Antoine Gay tait un partisan du baron de Richemont qui prtendait tre Louis XVII. Or, peu de temps aprs cet incident, au mois de septembre, un autre partisan de M. de Richemont prit contact avec Maximin. Il se disait convaincu que le secret de l'enfant devait avoir un rapport avec M. de Richemont. Mais peut-tre esprait-il plus prosaquement influencer Maximin afin que ce dernier prenne fait et cause pour M. de Richemont, ce qui aurait eu une importance considrable en faveur du faux Louis XVII. C'est la suite de ce contact que Maximin fut emmen Ars, afin qu'il puisse voir le clbre cur dont on disait qu'il faisait des miracles et qu'il tait capable de sonder les coeurs et les consciences... Avant de voir Jean-Baptiste Vianney, cur d'Ars, Maximin fut prsent son vicaire, l'abb Raymond. Ce dernier s'tait rendu prcdemment La Salette et en tait revenu convaincu que toute cette affaire n'tait qu'un norme mensonge. Mis en prsence de Maximin, il se fcha, esprant sans doute impressionner le jeune garon dont il avait sans doute mal apprci la capacit d'enttement et de morgue. Il se lana dans une violente diatribe contre le cur de Corps, les faux miracles, les faux tmoins. L'abb Raymond ne laissa presque jamais placer une parole Maximin qui cherchait en vain l'interrompre. Arriv un certain point de son long monologue, l'abb traita de menteur le galopin et le mit sur le mme pied que d'autres prtendus voyants qui, dj, s'taient rtracts aprs s'tre inspirs, semblait-il, de l'apparition de La Salette. Maximin prit trs mal la chose. Lass de ne pouvoir placer une parole et sur le ton de la bravade, il s'cria : "Ah ! vous ne voulez pas me laisser dire, eh bien je vous l'accorde : je n'ai rien vu, n'y croyez pas. Admettons que j'aie menti, qu'est-ce que cela peut bien me faire ?" A ces mots, convaincu qu'il tenait une rtractation, l'abb Raymond courut chez son cur pour lui annoncer la nouvelle puis alerta ses paroissiens et, d'une faon gnrale, tout qui voulut l'couter. Ce fut un beau scandale. Le lendemain, Maximin fut prsent au cur d'Ars. On a dit qu'il s'en montra fort mcontent. Le cur d'Ars, de son ct, en fut boulevers et refusa dsormais de bnir les mdailles qui avaient