Post on 16-Mar-2016
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LE HUMAN BEATBOX
ET SES PRATIQUANTS
Robin MARTINO
Master 2 Recherche en Sociologie
Spécialité Art, culture et médiations techniques
2008-2009
Sous la direction de
Catherine DUTHEIL et de Philippe TEILLET
Table des matières
Introduction...............................................................................5
I.LE HIP-HOP ET SES DISCIPLINES.......................................9
1.Afrika Bambaataa et la Zulu Nation.................................................. 9
2.Les disciplines, leurs influences et leurs représentants...................10
Le rap....................................................................................................... 10
Le djing ....................................................................................................11
La danse................................................................................................... 11
Le graff.....................................................................................................12
3.Le human beatbox, définition et histoire..........................................13
II.MÉTHODOLOGIE................................................................. 17
1.L'observation participante ............................................................... 17
2.Internet : une source d’information et de matériel ........................18
3.La photographie comme outil d’analyse socio-anthropologique.....18
Démarche photographique ...................................................................... 19
Choix, présentation et organisation des photographies...........................20
Place de la photographie dans la recherche............................................21
4.S'entretenir avec les beatboxeurs.....................................................22
III.TERRAINS.......................................................................... 23
1.Les évènements liés à la pratique.....................................................23
Le Human Beatbox Festival 2007 et le championnat de France de
beatbox..................................................................................................... 23
La convention internationale de beatbox à Berlin .................................26
La Chaufferie, lieu de musiques actuelles...............................................30
Un atelier d'initiation au Conservatoire de Grenoble..............................32
Le troisième championnat de France de human beatbox à Montpellier.33
Les rencontres sur la pédagogie du beatbox à La Chaufferie.................36
La deuxième édition du Human Beatbox Festival de Dijon....................37
2.Des lieux virtuels pour de réels échanges ....................................... 38
Le forum « beatboxfrance », un lieu fédérateur et d’échanges..............38
2
Les sites de mise en ligne de vidéos........................................................ 41
3.Les beatboxeurs interviewés ...........................................................42
IV.UN ART LUDIQUE ET UNIVERSEL....................................46
1.Le beatbox est un jeu ....................................................................... 46
2.« C'est humain de s'exprimer »........................................................53
V.COMMENT DEVIENT-ON BEATBOXEUR ?..........................54
1.Des origines et des trajectoires plurielles........................................54
2.Découverte et apprentissage ............................................................55
3.Des valeurs défendues....................................................................... 61
VI.LE BEATBOX ET SES PROBLÈMATIQUES........................64
1.Technique vs artistique......................................................................64
Battle vs concert.......................................................................................64
Technicien vs musicien............................................................................. 67
Homme vs machine.................................................................................. 68
2.Une communauté de beatboxeurs ....................................................70
Genèse et définition ................................................................................ 70
Fonctionnement........................................................................................ 72
3.Transmission.......................................................................................76
Buts et motivations...................................................................................76
Pédagogie ................................................................................................81
Outils.........................................................................................................82
4.Institutions culturelles et médias......................................................84
Les politiques en faveur de musiques actuelles et du hip-hop.................84
Le beatbox dans l’institution : effets et enjeux .......................................85
Beatbox et médias....................................................................................87
Conclusion................................................................................89
Bibliographie............................................................................ 90
Sitographie...............................................................................92
Lexique.....................................................................................92
Annexes....................................................................................94
3
« Le corps est le premier et le plus naturel instrument de l’homme. »
Marcel Mauss, « Notion de technique du corps ».1
1 Mauss M., « Notion de technique du corps », in Sociologie et anthropologie, Paris, Presses Universitaires de France, 1950.
4
Introduction
La musique dans les sociétés contemporaines est marquée par des
révolutions technologiques et culturelles qui n’ont cessé de la rendre
omniprésente. Cette démocratisation de l'écoute s’appuie sur des avancées
techniques comme le Compact Disc, le format Mp3 mais aussi sur des genres
musicaux qui ont touché des populations de plus en plus larges. On parle
aujourd’hui de culture de masse se manifestant dans la musique « pop »2 relayée
par les médias à des fins commerciales. Cela laisse à penser quant à la qualité de
ces produits de consommation courante conçus par les producteurs des grandes
maisons de disques. Parallèlement, des mouvements culturels voient le jour et se
positionnent contre ce phénomène d’industrialisation de la musique en faisant
preuve de créativité, d’innovation et d’engagement. On retrouve parfaitement cela
dans une pratique musicale née au sein du mouvement hip-hop dans les années 80
et récemment apparue en France : le human beatbox3, ou l’art et la manière de
produire des sons rythmés avec la bouche. L’usage du corps à des fins techniques,
mais surtout artistiques, offre de vastes possibilités qui octroient une dimension
vivante à la pratique. Dès lors, jouer de la musique ne semble plus une affaire de
matériel onéreux ou de nombreuses années de cours : le beatbox permet de
s’exprimer librement dans un nouveau langage, celui des « beats »4 et des sons en
tout genre, avec ses propres « outils », la voix, la gorge, les lèvres…
Le choix du sujet de ce mémoire ne s’est pas fait par hasard. J’ai en effet
découvert le beatbox voilà plus de deux ans. Invité par un collègue musicien, je
me suis rendu en novembre 2005 à Dijon pour participer à un atelier animé par le
beatboxeur EZRA et qui s’adressait à une majorité de personnes déjà familières de
cette pratique d’un genre nouveau. Depuis cette rencontre avec manière
alternative de pratiquer et de faire vivre la musique, je n’ai cessé de m’y
intéresser. La distance géographique, qui m'a souvent séparé des principaux
2 « Popular music » : musique populaire, terme né dans les années 60 pour désigner le rock’n roll, synonyme de musique légère ou de variété. Différent des musiques traditionnelles ou folklore.
3 Littéralement « boîte à rythmes humaine », peut être nommé simplement « beatbox », d'où provient le verbe « beatboxer », le « beatboxing » et le nom commun « beatboxeur, euse ».
4 Provient du verbe « to beat », battre en français qui signifie dans ce cas précis le rythme.
5
acteurs de ce fait musical en pleine effervescence, a parfois été comblée avec
l'utilisation d'Internet. Cet outil a constitué un des principaux moyens de me tenir
informé et d’approfondir mes recherches dans le domaine. Dans un premier
temps, je me suis tout d'abord focalisé, à tort, sur la nature émergente du beatbox
ce qui m'a conduit à occulter bons nombres de problématiques. Ceci peut, en
partie, s'expliquer par le manque de repères dû à une très faible quantité d’écrits
relatifs à ce sujet.
Les travaux sociologiques antérieurs, qu'ils soient américains ou français,
envisagent la culture hip-hop et ses manifestations de diverses manières. D'abord
centrées sur les liens entre cette culture et les conditions sociales de ses
« membres »5, les études vont, à partir de la fin des années 90, se spécialiser sur
ses différentes disciplines en faisant appel à divers outils méthodologiques. La
lecture de ces travaux m'a permis de me situer par rapport à ceux-ci tout au long
de ma recherche. Je me suis donc inscrit dans une volonté de mieux connaître et
de mieux comprendre chaque expression artistique du hip-hop en abordant, pour
ma part, le human beatbox sous un angle socio-anthropologique. Cette posture
particulière offre au chercheur la possibilité d'élargir son champ d'investigation en
opérant un décloisonnement des sciences sociales, en pratiquant
l'interdisciplinarité et la transversalité. « L’anthropologie, c’est-à-dire le total des
sciences qui considèrent l’homme comme être vivant, conscient et sociable. » 6 Il
s'agit donc d'interroger l'Homme comme un être historique et culturel qui
s’actualise indéfiniment et diversement selon les temps, les lieux et les acteurs.
Pour ce faire, il m’est apparu naturel et essentiel d’être au contact des
pratiquants du beatbox, c’est la raison pour laquelle j’ai tenté de me déplacer là où
ils se rendaient « visibles ». L’immersion était donc l’objectif, que ce soit sur le
terrain au sein de la communauté beatbox ou dans les moindres recoins du Web.
Je ne souhaitais pas cependant me limiter à de simples descriptions des
beatboxeurs observés au fil du temps, les entretiens représentaient alors le seul
moyen d'être au plus près de la pratique et de ses enjeux. De nombreuses données
audiovisuelles et photographiques, des notes et divers documents, récoltés par mes
soins, sont venus compléter mon corpus.
5 BAZIN, Hugues, La culture hip-hop, Éd. Desclée de Brouwer, 1995.6 MAUSS, Marcel, « Rapports réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie », in
Sociologie et anthropologie, p.258, PUF, 1924.
6
En anglais, « underground » signifie d’abord souterrain ou métro, mais
peut surtout s’employer au sens figuré pour parler d’une forme de résistance
politique, d’un passage dans la clandestinité ou d’un phénomène avant-gardiste.
J’ai en effet progressé sur un terrain qui se situe volontairement en marge des us et
coutumes des musiques « savantes »7, qui se défend de toute « récupération »
médiatique et qui adopte une attitude réfractaire à tout phénomène de
« starification ». Le principe même de communauté, défendu par les beatboxeurs,
représentait à mes yeux une preuve tangible d’une manière alternative de
concevoir une pratique artistique. Ce constat m’a amené à faire état des valeurs
défendues par les beatboxeurs et des rapports qu’ils entretiennent notamment avec
la culture hip-hop dont est principalement issue leur pratique. Je souhaitais, non
pas réaliser une enquête sur les pratiques culturelles des beatboxeurs, mais plutôt
retracer leurs trajectoires sociales et musicales, découvrir leurs motivations et
obtenir leurs représentations vis-à-vis du monde du beatbox. Des questions
relatives à l'esthétique du beatbox, aux outils (techniques, administratifs,
communicationnels...) employés par les beatboxeurs et au modes de transmission
de la pratique prirent place au fur et à mesure que je progressais sur le terrain. En
considérant le beatbox comme un « monde de l'art » où des individus cooptèrent
dans le même but, celui de la création. Qui sont les beatboxeurs et comment
s'organisent-ils ?
Pour répondre à cette interrogation, j'ai fait appel à une démarche que l'on
pourrait qualifier d'expérimentale. Elle se caractérise par un aller-retour
permanent entre les « lieux du beatbox » et l'élaboration d'analyses étayées par des
apports théoriques.
Voici les trois principales intuitions qui ont guidé mon enquête :
– En utilisant le corps pour jouer de la musique et en imitant différents
instruments, les beatboxeurs cherchent à se libérer des contraintes matérielles.
– La communauté française s'est créée et s'est développée grâce à Internet et
aux différents évènements, et ce, de manière marginale.
– Le beatbox possède des méthodes d'apprentissages qui privilégie
l'empirisme, le mimétisme et l'échange de savoir-faire.
7 Que l'on opposent aux musique populaires et traditionnelles.
7
Avant d'entrer dans l'analyse, j'ai souhaité apporter des éclairages sur la
culture hip-hop et ses disciplines, y compris le human beatbox, j'ai voulu présenter
la méthodologie qui fut la mienne pour aborder ce sujet et enfin je me suis permis
de m'attarder sur la description des lieux, des évènements et des acteurs qui ont
constitué la matière première de ma recherche. Le but de cette étude est donc
triple : connaître l'histoire, les formes ainsi que les enjeux de la discipline,
comprendre ce qui a amené les individus à devenir des pratiquants et enfin savoir
comment ils se positionnent face aux domaines artistiques, institutionnels et
médiatiques.
8
I . LE HIP-HOP ET SES DISCIPLINES
Si le hip-hop8 prend ses racines dans les ghettos des Noirs américains, il
constitue véritablement un mouvement culturel qui a su s’étendre à d’autres
populations et s’affirmer en tant que tel. En France, le hip-hop américain se
diffuse à partir des années 80, relayé principalement par la jeunesse issue des
immigrations vivant dans les banlieues populaires. Les deux contextes sociaux
présentent des similitudes mais très vite les populations des cités françaises
s'approprient le hip-hop pour en faire un moyen d'expression propre. Il reste ancré
dans l’environnement urbain et s’exprime à travers des formes artistiques qui se
sont définies comme des alternatives au modèle sociétal. « Il est l'expression
d'une culture populaire, juvénile et urbaine »9. Les acteurs du hip-hop possèdent
ainsi des valeurs communes issues des sources du mouvement et de leurs
fondateurs qui ont milité pour un nouvel état d’esprit. Le human beatbox s'inspire
de cet état d'esprit et des différentes composantes de ce mouvement culturel qui
renferment de nombreux codes et termes. Il s'agit ici d'en donner quelques clefs
pour faciliter la compréhension par la suite.
1. Afrika Bambaataa et la Zulu Nation
On situe les prémices du mouvement hip-hop aux alentours de l’année
1975 avec l’arrivée sur le devant de la scène de l’artiste issu d’un gang : Afrika
Bambaataa. Il commence à faire parler de lui en tant que « Disc Jockey »10 et
appelle à la non-violence dans la création. C’est l’idée principale du mouvement
qu’il nomme « Zulu Nation », il veut canaliser la rage des jeunes des ghettos pour
la convertir en énergie positive et créatrice. Afrika Bambaataa tire son nom et sa
Nation de l’histoire d’une ethnie, les Zoulous d’Afrique du Sud qui se sont
défendus contre un des pires exemples du colonialisme européen. Il offre la
possibilité à bon nombre de jeunes de s’identifier et de véhiculer des valeurs
positives selon les principes qu’il instaure. « La Nation Zulu est une organisation 8 Dérivé de l’argot « hep », être affranchi, et de l’anglais « to hop », danser.9 BEHLHADJ-ZIANE, Kheira, in « Dynamique historique d'une contre-culture : la culture hip-
hop », Actualité Graffiti, p. 24, Presse Universitaire de Perpignan, 2007.10 Abrégé DJ, c’est la personne qui sélectionne et diffuse la musique lors de soirées ou à la radio.
9
d’individus à la recherche de succès, de paix, de savoir, de sagesse, de
compréhension et de bonne conduite dans la vie. »11 Les mots d’ordre sont :
« Peace, unity and having fun ! » (« Paix, unité et fais-toi plaisir ») et « Hip-hop,
don’t stop, till you reach the top ! » (« N’arrête pas le hip-hop avant d’avoir atteint
le sommet ! »). Une « tension créative »12 permet l’évolution permanente des
disciplines et des personnes au sein du mouvement hip-hop.
2. Les disciplines, leurs influences et leurs représentants
Le rap
Quelles que soient les branches musicales qui soutiennent le rap, les
racines sont celles du paroleur, du tchatcheur, du prédicateur. Des griots d’Afrique
en passant par les hommes d’églises, les rappeurs sont à la recherche d’une forme
idéale pour « faire passer un message ». Les mots sont inversés comme le pratique
le « verlan »13, les phrases sont choisies pour bousculer les consciences,
organisées en couplet et refrain, enrichies de l’art revisité de la rime. Le travail de
l’écriture au service de la dénonciation sociale ou de la persuasion fait des
rappeurs des maîtres des mots éveillés qui interpellent leurs auditeurs. En France,
les groupes I AM, Fabulous Trobadors, NTM et Ministère AMER. ont porté haut
les couleurs du hip-hop en s’imposant comme les plus fidèles représentants du
mouvement. Quant à MC Solaar et son crew14, le 500 one, il a répandu un « rap
lyrique » ou « rap cool »15 destiné à un public plus large, tout en restant fidèle à
une recherche poussée dans l’écriture de ses textes jugés plus poétiques, moins
engagés politiquement et de ce fait destinés à un plus large public. Le
« freestyle »16 se fonde sur l’improvisation de paroles visant, lors de battles17, à
déstabiliser et à défier l’adversaire par des mots et expressions subtilement
11 Lois de l’Universal Nation Zulu.12 BAZIN H., op. cit.13 Provient de « à l’envers », argot français qui inverse les syllabes d’un mot et le modifie.14 Littéralement « équipe », utilisé dans le mouvement hip-hop pour décrire un groupe ayant un
nom donné par ses membres. Le « crew » a une grande importance et permet l’identification.15 Qui s’oppose au « rap hardcore » ou « rap dur » donc plus agressif et revendicatif.16 Littéralement « style libre ».17 Littéralement « bataille » qui s’apparente à l’idée de joute, d’affrontement, de duel.
10
choisis. On parle de « flow »18 pour décrire la rapidité et le rythme avec lesquels
les textes sont déclamés ou chantés sur une base musicale gérée par les DJ’s ou les
beatboxeurs dans le but de renforcer l’impact des messages.
Le djing
Véritable socle musical du rap, la pratique des DJ est non seulement liée
aux évolutions techniques du matériel de diffusion et d’enregistrement mais
surtout à l’usage qu’ils en ont fait. Les Jamaïcains des Etats-Unis comme Clive
Campbell ou Kool DJ Herc sont reconnus comme les précurseurs de nouvelles
manières de diffuser de la musique à travers le « mix »19 et le « scratching »20. Le
DJ est un musicien qui utilise des disques vinyles mêlant différents genres
musicaux pour la plupart noirs américains. La funk, le jazz, la soul ou le gospel
ont été autant de sources pour créer à l’aide de deux platines des morceaux
rythmés animant les « sound-systems », « street-parties », « free-jams » ou « Zulu
parties »21. Le premier morceau rap reconnu et daté de 1979 a été « Rapper’s
Delight »22. L’arrivée des « samplers »23, des boîtes à rythmes et des synthétiseurs
a amplifié le champ d’action de ces artistes qui apportent beaucoup d’attention
aux « beats »24. Les « breaks »25 de batterie extraits de divers enregistrements sont
la matière première de cette musique témoin du rythme effréné des métropoles.
La danse
Forme d’expression massivement suivie en France, la danse hip-hop met
18 Littéralement « flux ».19 Littéralement « mélanger », correspond aux transitions effectuées par le DJ entre les morceaux
pour ne pas interrompre la musique.20 Littéralement « rayer », le « scratching » consiste à faire avancer ou reculer rapidement le
disque vinyle sous le diamant de la platine ce qui modifie de manière caractéristique les sons. Des rayures apparaissent sur les disques utilisés à cette fin.
21 Noms donnés aux fêtes et rassemblement hip-hop qui avaient lieu dans la rue, dans des espaces inoccupés ou des salles de concerts.
22 Signifie « plaisir du rappeur ».23 Échantillonneur en français, instrument qui permet la création et la répétition d’échantillons
sonores, appelés « samples ».24 Cf. lexique.25 Littéralement « cassure » qui correspond aux interventions solistes marquées des batteurs sur
une ou plusieurs mesures pour relancer un thème musical.
11
en scène le corps et sa maîtrise. Les performances des danseurs sont parfois
proches de celles de gymnastes ou d’acrobates tout en gardant une esthétique
particulière nourrie de diverses influences. Ils enchaînent des figures exécutées
debout et au sol dans des styles précis comme le « smurf », la « hype » ou le
« break ». Le « pointing », le « voging » et le « patin » (ou « moon-walking »)
s’inspirent autant de mouvements observés sur les personnes dans la rue, que
d’affiches de publicités ou encore des premiers pas de l’homme sur la lune. On
note aussi la pénétration d’autres styles de danse comme la Capoeira 26 brésilienne,
les danses traditionnelles africaines, les claquettes, etc. La danse hip-hop dans son
ensemble s’inspire de tout ce qui l’entoure et de toutes les références qui lui
semblent adaptables. Ce pouvoir d’appropriation et de création a permis, à travers
un cadre relativement strict, à de nombreux danseurs de se défier car la
performance reste primordiale. Le « battle »27 de danse hip-hop semble la forme la
plus visuellement intense de cette recherche du défi, du combat déguisé pour
dominer l’adversaire et le vaincre.
Le graff
Dans le milieu du « street-art »28, des Français s’illustrent avant l’arrivée
des premiers graffitis new-yorkais qui posent les bases du graff moderne. Ce
dernier se définit selon trois caractéristiques : la rue, la bombe aérosol et
l’illégalisme ; le style importe peu pour se définir « graffeur » une fois ces
conditions remplies. Au milieu des années 80, de nombreux « crews »29 voient le
jour ou plutôt descendent dans les couloirs du métro parisien et ses rames qui
constituent leurs lieux d’expressions. Comme dans la danse, des styles de
« graffs » sont définis et des techniques précises apparaissent. Ainsi, un lettrage
« flop » (ou « bubble »)30 se distingue-t-il des lettres carrées du « bloc style ». Le
but : faire passer son message le plus visiblement et esthétiquement possible pour
26 Art martial brésilien qui puise ses racines dans les méthodes de combat et les danses des peuples africains du temps de l’esclavage au Brésil.
27 Cf. lexique28 Littéralement « art de la rue » qui rassemble toutes les formes d’expression picturale ayant
pour support les murs des villes ou le mobilier urbain.29 Cf. lexique.30 Littéralement « plat » et « bulle ».
12
être reconnu par ses pairs. Quant au « tag »31, signature calligraphiée, il s’insère
parfaitement dans un « graff » ou existe seul sur différents supports. Sa réalisation
rapide est le fruit d’un travail sur les lettres et les formes comme le logo. « La
signature du tag livre en lui-même son message »32 .
3. Le human beatbox, définition et histoire
« Utiliser le nez, la bouche, les cordes vocales, les dents, la langue, la
gorge et le souffle, le tout allié à une grande créativité : c'est ainsi qu'on peut
définir le human beatbox, comme l’art d’utiliser le corps comme unique
instrument de musique. Seuls, avec ou sans micro, les beatboxeurs assurent à la
fois des basses, des rythmes, des scratchs, de la batterie, de la trompette et toutes
sortes de sons et de bruits. Ils superposent non pas deux ni trois mais quatre, voire
cinq instruments à partir de leur bouche. L’enchaînement est si rapide que
l’illusion auditive est parfaite. Alors tendez l'oreille ! »33
Les beatboxeurs brillent donc par leur aptitude à reproduire des rythmes de
batteries réelles ou issues de machines et d’instruments pour produire une
multitude de sons différents. Clément Lebrun34 définit trois caractéristiques
fondamentales du human beatbox : la simultanéité des sons émis par une seule
voix, des chants à phonèmes ou chant de gorge et des imitations vocales
d’instruments à percussions ou autres. Le beatbox est alors l’art d’utiliser des sons
« qui n’ont pas de sens » pour créer une cellule rythmique. L’idée étant
principalement celle de l’imitation, le beatbox est limité par les possibilités
vocales humaines. L’ethnomusicologue parle alors de « stylisation » dans le sens
où des syllabes, des onomatopées et des phonèmes sont utilisés pour imiter un
instrument. C’est l’enchaînement des différents éléments (caisse claire, grosse-
caisse, « charleston »…) qui nous fait percevoir la batterie dans son ensemble.
« L’oreille modifie les sons qu’elle reçoit pour en faire des sons d’instruments ».
De la même manière, les Bols qui ne sont autres que des onomatopées qui
correspondent aux différentes techniques de frappe des tablas indiens. L’imitation 31 Littéralement « étiquette ».32 BAZIN, op. cit.33 Annonce du Human Beatbox Festival organisé du 1 au 4 novembre 2007 à Dijon34 Diplômé en musicologie à la Sorbonne et au Conservatoire National Supérieur de Musique de
Paris, chercheur au CNRS sur les voix du monde et spécialiste en musique ancienne, il effectue des recherches sur des techniques vocales dans les musiques où les textes sont dénués de sens. Il est intervenu dans une conférence et sur Arte Radio en 2006 à Angers lors du championnat de France de human beatbox (cf. bibliographie). Il est également beatboxeur.
13
de l’instrument n’est pas le principal effet recherché : « ce mode d’enseignement
du solfège est une stylisation sonore pour évoquer les rythmes que l’on va jouer. »
L'écoute d'un enregistrement rend l'illusion parfaite tandis que l'écoute
« live »35 d’un beatboxeur nous permet de comprendre qu’il s’agit d’une imitation.
Ce jeu sur l’audition renvoie à la dimension cognitive de la musique, autrement
dit la manière dont elle est reçue par l’auditeur. Le musicologue établit également
des parallèles avec des pratiques musicales du monde entier comme les chants
diphoniques mongoles, le Kattajaq inuit mêlant deux personnes qui utilisent la
bouche de l’autre comme caisse de résonance en produisant des sons répétitifs, ou
encore le Çak de l’île de Bali en Indonésie qui réside dans l’exercice rituel de
percussions vocales. Selon lui, ces techniques se retrouvent dans le beatbox de
manière indirecte car il est « humainement naturel et international ». Le beatbox
fait référence, comme l’ensemble de la culture hip-hop qui « affiche une grande
variété dans l’appropriation des contenus »36, à différentes pratiques
préexistantes. Les premières apparitions de cette technique dans l’histoire de la
musique moderne se font avec le blues, le swing et la jazz. La pratique la plus
proche semble celle du « scat » des jazzmen des années 50 ; il s’agit d’une forme
d’improvisation vocale issue du jazz où des onomatopées sont utilisées pour
reproduire la plupart du temps le phrasé musical de la trompette et du saxophone.
Les musiciens Louis Armstrong, Cab Calloway et la chanteuse Ella Fitzgerald en
sont les plus célèbres représentants.
Le human beatbox, cinquième discipline souvent oubliée du hip-hop,
apparaît peu après la formation du mouvement au début des années 80 avec des
pionniers américains comme Doug E. Fresh ou les Fat Boys. Au sein de ce groupe
de trois « bons vivants » de Brooklyn, on trouve Darren Robinson alias « The
Human Beat Box ». Il est le premier à laisser entendre, sur un de leurs albums
daté de 1984, des rythmes vocaux basés sur une respiration haletante. Il s’agit
pour l’essentiel d’une « blague » ou d’un moyen de se divertir, mais c’est sur ce
modèle que d’autres personnes vont commencer à pratiquer. Le beatbox s’inspire
directement de la musique hip-hop : les caractéristiques des musiques utilisées par
les DJ's dans le rap sont ainsi reproduites. On allie aussi l’émergence de cette
pratique au manque de moyens des MC's qui ne pouvaient se payer du matériel
35 Littéralement « vivant », est employé en musique pour parler d'un concert.36 BAZIN H., op. cit.
14
coûteux et étaient donc contraints de faire appel à des beatboxeurs pour « taper un
beat ». C’est en effet à cette époque qu’apparaissent les premières boîtes à
rythmes37 électroniques capables de tenir des rythmes standard de batteries. La
pratique du beatbox, contrairement à la machine dont provient le nom, permet de
beatboxer et de « jammer »38 aux côtés des rappeurs à n’importe quelle heure,
dans n’importe quel endroit, dans n’importe quelles circonstances…
Durant les années 90, la musique hip-hop n’est plus au centre de
l’attention et le beatbox sert uniquement à accompagner certains artistes dans une
logique basée avant tout sur la performance. Il faut attendre l’année 1999 pour
trouver pour la première fois un album rythmé presque intégralement par un
beatboxeur. L’artiste Razhel alias « The Godfather of Noise » (« Le parrain du
bruit »), beatboxeur dans le groupe de rap alternatif américain The Roots,
remporte un succès important avec son album « Make the music 2000 » et le
fameux morceau « If you mother only knew » (« Si seulement ta mère savait ») où
il chante et produit un rythme en même temps. Ses prouesses font le tour du
monde et inspirent toute une génération de beatboxeurs qui, en France, se
reconnaissent également dans la démarche musicale du Saïan Supa Crew et de
leur principal beatboxeur, Sly The Mic Buddah, de Sheek (membre des Nec +
Ultra) et de Ange B. des Fabulous Trobadors. Car le beatbox se pratique aussi en
formation comme en témoigne le groupe autrichien Bauchklang composé de six
personnes qui assument vocalement, à tour de rôle, les éléments musicaux
correspondant à un véritable ensemble percussif et harmonique.
À l’heure actuelle, des évènements autour du beatbox sont organisés
chaque année par différents beatboxeurs afin de permettre la rencontre et la
confrontation des personnes lors de championnats du monde (le premier a eu lieu
en Allemagne en 2005), de conventions (comme le Boxcon de Londres), de
« battles »39 régionaux ou nationaux, de « contests »40, de festival (comme le
Human Beatbox Festival de Dijon) ou simplement lors de concerts. Le
37 La première « beat box », « drum machine » ou encore « rythm machine » fut construite en 1960 par Wurlitzer Sideman. Il faut attendre le début des années 70 pour voir une certaine démocratisation des machines de la firme Roland
38 Issu de l’argot américain, l’expression « jam-session » correspond en français au « bœuf », dans la culture jazz c’est un moment d’improvisation libre pour plusieurs instrumentistes. On obtient le verbe « jammer » et le mot « jam » tout court.
39 Cf. lexique40 Littéralement « concours ».
15
championnat de France fonctionne d'une manière itinérante et son organisation est
accompagnée par l'association BeatBox France qui travaille en partenariat avec les
beatboxeurs de la ville retenue. La troisième édition a eu lieu en Novembre 2008
à Montpellier (cf. Terrains) et a permis de rassembler un bon nombre de membres
de la communauté beatbox française. Cette dernière doit sa formation au forum
« beatboxfrance »41 et aux premières rencontres d'Angers en 2006 qui ont fédéré et
fait se rencontrer les beatboxeurs. Ils ont pu et peuvent encore échanger des liens
vers du matériel audio et vidéo, des tutoriaux pour s’initier et progresser
techniquement, des dates de concert ou tout simplement pour se divertir, débattre,
se poser des questions sur la pratique et ses formes. Au fur et à mesure les
membres du forum ont appris à se connaître en se donnant par exemple rendez-
vous dans des évènements cités plus haut ou dans des villes importantes telles que
Paris ou Lyon. Ils partagent ainsi leurs techniques de cette pratique liée au
« plaisir, au loisir, à la passion ». Le beatbox évolue dans un environnement
« underground »42 animé par la volonté des membres de ce réseau informel qui
souhaite rallier le plus d’individus à sa cause. Une poignée de beatboxeurs
étendent cette pratique amateur dans le champ professionnel en proposant des
ateliers de découverte ou des « masterclass »43 visant à se perfectionner. D’autres
artistes reconnus pratiquent le beatbox ou font appel à des beatboxeurs pour des
résultats musicaux divers et variés. On retiendra Bobby McFerrin, Björk qui a fait
appel à SHLOMO, Camille avec SLY et EZRA, Anaïs, Nosfell, Médéric
Collignon, Le Peuple de l’Herbe et JC001 et Ricoloop.
41 Cf. sitographie.42 Cf. lexique43 Ateliers qui fait généralement intervenir un « maître » , un professionnel du domaine concerné.
16
I I . MÉTHODOLOGIE
1. L'observation participante
Comme je l'ai évoqué précédemment, ma découverte et le début de ma
pratique du human beatbox ont eu lieu durant la même occasion, celle d'un atelier
d'initiation. Je n'avais pas encore l'intention d'en faire l'objet d'une étude mais déjà
je vivais la pratique de l'intérieur, en écoutant EZRA retracer l'histoire de la
discipline, en échangeant avec d'autres pratiquants plus avancés et en passant moi-
même sur scène lors d'une soirée. Il me fut donc difficile de choisir une autre
manière d'aborder le human beatbox que celle de mener de nombreuses
observations participantes in situ et in vivo. Laplantine nous dit d'ailleurs à ce
sujet que « l'ethnographe est celui qui doit être capable de vivre en lui la
tendance de la culture qu'il étudie » ou encore que « la construction de ce que
Marcel Mauss a appelé le "phénomène social total" suppose l'intégration de
l'observateur dans le champ même de l'observation »44. C'est la raison pour
laquelle je n'ai jamais caché aux personnes curieuses les raisons de ma présence et
la nature du travail que je menais avec elles. La crainte de modifier les situations
observées par ma présence m'a toutefois interrogé quant à leur « authenticité »
mais une fois de plus j'ai trouvé réponse dans ce que je pratiquais : l'ethnologie.
« La perturbation que l'ethnologue impose par sa présence à ce qu'il observe et
qui le perturbe lui-même est une source infiniment féconde de connaissance »45.
Malgré mon rôle d'observateur, je n'ai pas souhaité mettre une trop grande
distance entre les personnes observées et moi, ce qui a conduit à instaurer un
certain climat de confiance propice à de nombreuses interactions. Rapidement
identifié comme « celui qui fait son mémoire sur le beatbox », occuper une place
au sein de la communauté des beatboxeurs français a été, une fois décidé, un
processus aisé. Aux travers des descriptions ethnographiques réalisées à partir de
mes nombreuses observations participantes, j'ai donc tenté de ne pas simplement
esquisser des réunions de beatboxeurs mais plutôt de collecter, sélectionner et
ordonner des faits susceptibles de rendre compte au plus près d'une réalité sociale,
celle du human beatbox et de ses pratiquants.
44 LAPLANTINE, François, La description ethnographique, p. 22-23, Éd. Nathan, 1996. 45 LAPLANTINE, op. cit.
17
2. Internet : une source d’information et de matériel
Des pérégrinations prolongées sur la toile m’ont permis de constater que
l'internet a permis la structuration du mouvement beatbox en communauté. Cet
outil a été le catalyseur principal du regroupement des beatboxeurs, il est en
grande partie responsable de son développement. Ce phénomène marque l’usage
social des nouvelles technologies dont les beatboxeurs ont tiré profit pour
répandre leur pratique. Le beatbox s’est vu couronné d’un succès croissant ces
dernières années, principalement grâce au développement de nouvelles interfaces
comme les forums mettant en relation de plus de en plus de personnes ayant des
possibilités d’échanger sans cesse accrues. Les contenus des diverses pages et
forums dédiés au beatbox sont venus s’ajouter à un corpus qui se voit ainsi doté
d’une dimension évolutive. Les forums permettent aux personnes d’échanger en
permanence ce qui modifie constamment les données observables. Rien n’est figé
et quelle que soit la forme du débat ou de la simple information, il me semble bon
de l’intégrer à l’analyse. Des extraits de conversations seront donc insérées dans
le texte de la même manière que les paroles de beatboxeurs recueillies en
entretiens. Quant aux innombrables enregistrements vidéo et audio visionnés par
le biais d'internet, ils ont constitué un moyen de cerner au plus près les différentes
facettes de la pratique.
3. La photographie comme outil d’analyse socio-anthropologique
Dans le domaine de l’astrophysique ou de la médecine, l’image est un
moyen largement employé pour divulguer des résultats obtenus ou des
découvertes. À l’inverse, les sciences sociales se montrent assez réticentes à
l’utilisation de travaux photographiques pour témoigner de leurs objets d’études.
Par son manque de fondements méthodologiques, la photographie est vue comme
subjective, incapable de rendre compte d’une situation sans induire un jugement.
Les clichés insérés au sein de mon mémoire et accompagnés d'un texte visent à
offrir d’autres manières d’envisager un sujet de recherche en le traitant à l’aide de
la photographie.
18
Démarche photographique
L’utilisation d’appareils photos et de caméras m’a sans cesse attiré, les
buts visés étaient multiples : artistiques, ludiques, testimoniaux… Mais je n’avais
jamais inclus mes travaux photographiques dans une démarche scientifique telle
que celle-ci, le recours à ces outils m’est pourtant apparu tout à fait naturel. Je me
devais de rendre compte le plus fidèlement de la pratique et des personnes qui la
font vivre. C’est la raison pour laquelle j’ai réalisé, dès que l’occasion se
présentait, des photographies et des enregistrements vidéos des beatboxeurs dans
des moments clefs de leur activité. Les réunions de ces personnes sous-
entendaient pour moi une volonté de leur part de se rendre visibles mais
également des moments riches en interactions. C’est ainsi que me suis rendu à ces
différentes manifestations, armé d’un appareil photo et d’une caméra, en
demandant aux organisateurs un laissez-passer délivré généralement à la presse.
Ce procédé m’octroyait un certain confort pour la réalisation de prises de vues, je
pouvais en effet aller et venir dans les accès fermés au public comme l’arrière-
scène, les loges ou encore les hôtels. Les beatboxeurs comme le public
s’accommodent relativement bien de la présence des journalistes et des
photographes. La médiatisation de la pratique semble en effet bienvenue après
vérification du but recherché ; des beatboxeurs m’ont demandé à plusieurs
reprises les raisons de ma présence prolongée et des actions photographiques
entreprises. Ils se sont montrés enthousiastes vis-à-vis des recherches les
concernant, c’est donc dans un cadre privilégié que s’est déroulée la récolte de
précieuses images. De plus, de nombreuses personnes cherchaient elles aussi à
garder une trace de ces moments en filmant les « jams », les concerts ou les
participants. Les avancées technologiques ont provoqué la massification des
appareils numériques, ce qui a rendu leur usage banal et très économique. Aucun
beatboxeur ne s’étonnait d’être filmé, bien au contraire. J’ai pu assister à des auto-
mises en scène provoquées par la présence d’un objectif qui ont montré combien
le rapport à l'image des personnes est important. Ce phénomène de « profilmie »46
a été un souci majeur, il ne fallait en aucun cas « fausser » les comportements tout
en se trouvant très près du sujet photographié. Pour éviter cet écueil qui induit une
certaine artificialité, l’entente devait être la meilleure possible pour que la
46 Défini par Souriau E., dans L’univers filmique, Paris,Flammarion, 1982.
19
personne ait une attitude naturelle. Ma connaissance progressive du milieu a
débouché sur une acceptation totale de mes incursions au sein de la communauté
de beatboxeurs. Mon travail consiste à présenter le beatbox en tant que pratique
musicale et ses pratiquants en tant que groupe social : la photographie doit assurer
les mêmes fonctions.
Choix, présentation et organisation des photographies
Après avoir déterminé le rôle des photographies en rapport avec la
problématique, il a été nécessaire de « faire le tri » parmi les centaines de photos
emmagasinées. Pour ce faire, l’élimination de tous les « ratés » était
indispensable, autrement dit les photos jugées trop sombres, trop floues, mal
cadrées… Seules les clichés « techniquement » acceptables ont été conservés pour
subir par la suite un nouveau tri qui visait à garder les plus communicatifs. Mais
selon quels critères une photo est-elle choisie ? Il semble que ce soient les raisons
mêmes de la prise de vue, c’est-à-dire les motifs qui nous ont incité à prendre la
photo, qui transparaissent sur le papier et nous rappellent l’intention donnée à la
photo. Le choix du noir et blanc est fait de manière consciente, il rend plus
efficace l’image en simplifiant le contenu chromatique. Cette esthétique
n’amoindrit pas la force rhétorique des éléments qui la composent. En revanche,
la couleur est utilisée de manière complémentaire, elle fait apparaître ce que le
noir et blanc ne pouvait pas relever. Il faut savoir qu’à l’heure actuelle, le choix du
noir et blanc peut s’opérer une fois la photo prise, ce qui permet de comparer
ensuite son efficacité avec la couleur. Pour ma part, j’ai choisi de placer les
clichés sur des pages entières pour laisser une véritable place à la photographie
qui peut alors s’observer dans le détail. De plus, l’écrit constituerait un cadre à
l’image qui en comporte déjà un : celui retenu lors de la prise de vue. La trop
grande proximité des deux sources d’informations peut, selon moi, créer des
perturbations dans la lecture et les rendre inefficaces. Même si les photos sont
placées en rapport avec le sujet dont elles traitent, elles sont recontextualisées à
l’aide de légendes qui comportent essentiellement le lieu et le moment de la prise,
précisées par de brefs commentaires. Becker nous dit à ce propos : « une
photographie peut provoquer des interprétations extrêmement variées et ainsi, à
moins qu’un éditeur n’accroche l’image dans une légende sans ambiguïté, sa
20
signification est trop ouverte pour assurer un point de vue fiable. »47
Il s'agit ensuite de présenter les photographies retenues. « Mais comment
mettre en ordre toute cette matière, l’organiser de telle manière qu’elle transmette
quelque chose que je veux transmettre, aux gens à qui je veux le transmettre (et,
bien sûr, transmettre ce qu’ils veulent que je leur transmette, suffisamment pour
qu’ils prêtent attention à mon travail) ? »48 Voilà la question à laquelle Becker
tente d’apporter des réponses pour une organisation rationnelle des photographies.
Jean-Paul Terrenoire parle de « fil conducteur » que doit se donner le collecteur
d’images49. En ce qui me concerne, j'ai cherché à rendre compte des gestes et des
attitudes des beatboxeurs pour mettre en évidence les caractéristiques de la
pratique. Les séries de photographies visent, par exemple, à produire un effet de
mouvement afin de mieux comprendre ces gestes.
Place de la photographie dans la recherche
Il ne s’agissait pas d’effectuer un travail journalistique qui vise
principalement à témoigner d’un événement ou d’un fait particulier. L’idée était de
provoquer un va-et-vient entre les images récoltées et mes axes de recherches
encore en construction. Elles devaient me permettre, après analyse, de constater
des phénomènes qui méritaient d’être approfondis. De même, je cherchais à
vérifier à travers la prise de photos des faits observés auparavant, la photo
devenant ainsi la preuve de ce que je soupçonnais. Il semble que la photographie
soit encore en conflit avec les sciences sociales qui privilégient les sources écrites
et voient les images uniquement comme des données. Faut-il être aussi
affirmatif ? Malgré ce désaccord, l’image s’impose à la fois comme objet d’étude
et comme instrument de recherche, autrement dit l’image, comme objet social, se
voit à présent construite et analysée scientifiquement. Terrenoire justifie cet
emploi : « Travaillant sur des pratiques sociales sans tradition scripturale, les
anthropologues devaient, semble-t-il, être tout naturellement amenés à utiliser la
photographie et le cinéma et à leur donner une place de choix au stade de
47 Becker H.S., Catégories et comparaisons : comment trouvons nous du sens aux photographies ? , i n Paroles et musique, Paris, L’Harmattan, Collections Logiques sociales, 2003.
48 Ibidem.49 Terrenoire J.P., Images et sciences sociales, l’objet et l’outil, Revue Française de Sociologie
XXVI, 1985, p. 509-527.
21
l’analyse comme à celui de l’exposé des résultats. »50 La photo devient alors un
langage visuel par le biais duquel le socio-anthropologue propose des constats et
des interprétations. Une image est implicitement marquée par le regard de celui
dont elle émane. Le photographe montre ce qu’il a envie de montrer, aux
personnes auxquelles il veut les montrer. C’est pourquoi il est essentiel de définir
la problématique qui guide une recherche ; sans la formulation des
questionnements moteurs de celle-ci, il est impossible de produire des images
scientifiques. Les images ont donc des capacités inexploitées dans l’analyse des
faits sociaux qui, pour se développer, nécessiteraient la mise en évidence de leur
pouvoir rhétorique et la définition de leurs conditions d’utilisation.
4. S'entretenir avec les beatboxeurs
Dialoguer avec les beatboxeurs a été la dernière étape de mon travail de
terrain. Les dires des personnes interrogées sont venus confirmer ou infirmer les
intuitions qui me guidaient. Il s'agissait pour moi d'être sûr de tout ce que
j'avançais sur la manière dont ils vivaient leur pratique. Basés sur une grille
établie au préalable, les six entretiens ont été réalisés durant les journées dédiées à
la transmission du beatbox, à la Chaufferie. Les pratiquants se sont exprimés
librement et en confiance sur leurs parcours personnels et sur les différents sujets
abordés. La retranscription des entretiens a donné lieu à une analyse thématique
qui a permis de dégager des phrases et des paragraphes pertinents pour l'analyse.
Ces extraits apparaitront dans le texte afin d'illustrer ou de conforter les propos
avancés. Ils viennent en complément de l'emploi de la description ethnographique
et des photographies pour permettre au lecteur une certaine immersion dans l'objet
d'étude.
50 TERRENOIRE, op. cit.
22
I I I . TERRAINS
1. Les évènements liés à la pratique
Il s’agit ici de prendre le temps de décrire les différents terrains explorés
pendant l’année dans le dessein de parvenir à une meilleure compréhension de la
pratique et de ses enjeux.
Le Human Beatbox Festival 2007 et le championnat de France de beatbox
Du 1er au 4 novembre 2007, la ville de Dijon a accueilli un festival dédié
uniquement au beatbox. L’évènement était organisé par les associations Octarine
et OSF Prod en partenariat avec Zutique Productions (toutes les trois sont
installées dans la ville) et YouMan Beatbox Community de Paris. Tiko,
beatboxeur et organisateur de cette seconde édition du championnat de France, a
mené avec d’autres bénévoles un travail51 visant à permettre aux non-initiés de se
familiariser avec le beatbox par le biais de concerts, ateliers, démonstrations, etc.
Les beatboxeurs ont pu, eux aussi, découvrir des créations musicales préparées
pour l’événement et participer notamment à des discussions ou démonstrations
techniques liées au matériel. Enfin les qualifications et les phases finales du
championnat ont offert une soirée importante pour les participants, suivie
chaleureusement par le public nombreux de La Vapeur52, comble à cette occasion.
Ce festival a constitué pour moi un véritable terrain d’enquête d’une durée
de quatre jours (et quatre nuits ! ) durant lesquels il m’a été permis de mener des
observations, des entretiens brefs et de recueillir du matériel audiovisuel. Tout ce
matériel m’a permis de vérifier des idées que j’avais à ce propos et de mettre en
place une série de thèmes à traiter à l’aide notamment d’entretiens approfondis
avec des beatboxeurs de cette communauté. Commençons donc par le premier soir
où les beatboxeurs, entre deux concerts proposés dans des bars bondés du centre
ville, ont passé la soirée à « jammer » et à échanger en se retrouvant sur la place
où se situaient les trois bars. Ce qui est frappant lors de « jams » de beatbox, c’est
ce conglomérat de personnes qui se forment en cercle et émet de loin des sons en 51 Cf. annexes52 Salle de musiques actuelles de Dijon.
23
bougeant. Les personnes curieuses de voir et d’entendre ces personnes serrées les
unes aux autres, pour mieux s’entendre et jouer ensemble, doivent s’approcher
pour enfin voir le visage de ces improvisateurs vocaux. Le repli en cercle permet
également une certaine forme de protection vis-à-vis du « dehors » ; il y a ceux
qui « jamment », ceux qui écoutent et ceux qui cherchent à pénétrer dans le cercle
pour participer. Jusqu’à présent, je n’ai vu personne essuyer un refus d’entrer dans
un cercle, il suffit d’être deux pour « jammer » et cela peut aller jusqu’à une
dizaine de beatboxeurs à la fois. Se pose alors le problème de la synchronisation
et de la répartition des rôles : tout le monde ne veut pas faire la même chose et
chacun se doit d’ajouter une touche originale à ajouter à l’ensemble vocal créé.
Cela a été le cas ce soir là où 10 à 15 beatboxeurs se sont insérés sous un porche
pour bénéficier ainsi d’une meilleure acoustique, et se sont mis à improviser. J’ai
pu aisément remarquer que l’un d’entre eux prenait plus ou moins les choses en
main en chantant à un rythme assez rapide qui incitait alors les beatboxeurs à
mettre en place une superposition de sons cohérents et à un tempo correspondant.
S’en est suivi le passage d’agents de police qui ont cordialement demandé aux
personnes en question de bien vouloir « arrêter la musique » et non d’arrêter de
« faire du bruit ». Les beatboxeurs ont cessé et se sont déplacés, se félicitant des
mots employés par les représentants de l’ordre. D’autres « jams » ont eu lieu tout
au long du festival de manière informelle dès que l’occasion se présentait dans des
lieux divers et variés comme au moment des repas pris au restaurant universitaire,
à l’hôtel, dans les transports en communs…
L’après-midi du second jour a été le théâtre des qualifications au
championnat, d’une quarantaine de différents niveaux, de différentes origines
(principalement de Marseille et de la région parisienne), de différents âges (la
moyenne avoisine les 25 ans) et avec des expériences scéniques variées ou nulles.
En effet, chaque beatboxeur devait passer un « oral » en public d’une durée de
deux minutes pour convaincre un jury composé de personnalités de la musique et
du beatbox. L’annonce de l’ordre de passage a suscité des réactions par rapport au
niveau de certains beatboxeurs déjà reconnus dans le milieu, ce qui pouvait
renforcer le « trac ». L’auditoire de l’Atheneum53 était très à l’écoute des
participants tout en manifestant ses appréciations si besoin était et fortement aidé
par un MC – « chauffeur de salle », membre du Saïan Supa Crew, invité à ce titre.
53 Centre culturel de l’Université de Bourgogne, situé sur le campus de Dijon.
24
Le championnat comprenait également une catégorie « groupe » qui alliait des
beatboxeurs présentant un travail construit. La fin des qualifications a laissé la
place aux pronostics sur les résultats et des commentaires sur les participants :
« y’a du niveau cette année ! », « alors, ça a donné quoi ce qu’on a fait ? »,
« franchement, je suis passé à côté », « il a vraiment des basses massives, un son
puissant »... L’enjeu du championnat s’est fait sentir et a permis aux participants
d’évaluer leurs niveaux et les progrès qu’ils avaient à faire. Car même si on ne
retrouve pas réellement de maître pour les beatboxeurs, il existe tout de même des
référents qui tendent l’oreille pour donner leur accord sur un son proposé. La
soirée de concerts du vendredi mettait en scène des beatboxeurs au sein de
formations musicales dites classiques ou utilisant des « loopstations »54. Le public
a redoublé d’attention et d’enthousiasme avant de participer ou d’assister à un
« open mic »55 où les beatboxeurs se sont passé les micros à tour de rôle pour des
« jam-sessions »56, cette fois-ci amplifiées.
Le samedi après-midi a permis à une vingtaine de personnes de s’initier au
beatbox par l’intermédiaire d’exercices proposés par l’ancien champion de France
et pédagogue, Laurent alias LOS. Il a également abordé les actions qu’il mène
pendant l’année autour de la pratique du beatbox avec son association Aladesh
située à Angers. La deuxième partie de l’après-midi était consacrée à la
démonstration de machines comme les « loopstations » et de différents micros,
s’en est suivie une explication des techniques d’amplifications et de diffusion du
beatbox lors de concerts. Une autre « jam-session » amplifiée cette fois-ci un peu
chaotique a eu lieu avant que n’interviennent les phases finales du championnat.
La Vapeur, a accueilli une soirée spéciale mêlant concerts, compétitions et
divertissements. Le jury a rappelé en cours de soirée, face à des participants se
connaissant tous, qu’il s’agissait bel et bien d’un battle et qu’ils attendaient par
conséquent que les beatboxeurs entrent en duel, sans faire de la « démo » pour le
public. Animé une fois de plus par Feniksi du Saïan Supa Crew qui « a fait monter
la pression », les participants se sont affrontés en deux fois deux minutes pour
faire balancer le choix du jury. Dans les coulisses, chacun ajoutait son
commentaire, se soutenait, s’encourageait mutuellement pour cette forme de 54 Cf. lexique.55 Littéralement « micro-ouvert ». Moment durant lequel des personnes peuvent librement
s’emparer du micro et s’exprimer.56 Cf. lexique.
25
performance qui semblait étrangère à beaucoup d’entre eux. Le lauréat de cette
édition, MICSPAWN, a remporté une « loopstation » qui ne représentait pas en soi
une valeur marchande très importante mais un objet convoité, symbole de la
progression effectuée. En ce qui concerne les équipes, c’est le PHM crew (« Pure
Human Music ») qui l’a emporté après le passage de FATY, vice championne de
France, qui a marqué les esprits par sa chanson « We are a beatbox family »
(« Nous sommes une famille beatbox ») et une présence féminine au sein de la
discipline.
Enfin, le dimanche après-midi était situé dans un endroit un peu particulier
puisque le rendez-vous était fixé au musée des beaux-arts de Dijon qui a vu une
de salle investie par un public hétérogène et deux « performers »57 : Médéric
Collignon et DAVID-X. J’insisterai ultérieurement sur le sens qu’on peut donner à
ce lieu « classique », institutionnel, accueillant une manifestation a priori
« marginale » Ceux-ci ont su convaincre l’audience par un concert nouant
beatbox, jazz, instruments construits de toutes pièces et objets sonores. Ils ont
remporté un vif succès auprès des beatboxeurs surpris par l’aspect expérimental et
hors du commun provoqué par la rencontre des deux musiciens venant de
différents horizons. A la suite du concert, sont venus les remerciements et les
salutations, on a évoqué la prochaine édition qui, pour permettre la participation
des organisateurs au championnat, sera organisée par des beatboxeurs d'une autre
ville de France.
La convention internationale de beatbox à Berlin
Du 31 janvier au 2 février 2008, la première convention internationale a
regroupé des beatboxeurs de plusieurs nations58 de l’hémisphère nord dans la
capitale allemande. Encadré par l’équipe de Beatbox Battle ®59 et son responsable
BEELOW, ce rassemblement a été rythmé par différentes animations. Un premier
temps a été consacré à l’accueil des beatboxeurs ambassadeurs de leurs pays dans
57 Littéralement « artiste »58 Allemagne, Estonie, République Tchèque, Belgique, Pologne, Pays-Bas, Espagne, Bulgarie,
Italie, Etats-Unis, Suisse, Autriche, Luxembourg, Singapour, France, Hongrie, Finlande et Islande.
59 Ce symbole indique qu’il s’agit d’une marque déposée, il semble que les mots « Beatbox Battle » soit enregistrés (« registered ») mais dans l’union européenne, ce sigle n’a aucune valeur légale. Cette structure, qui organise par ailleurs les championnats suisse, allemand et belge de beatbox, dépend d’une maison de production berlinoise appelée B3 Music.
26
une auberge de jeunesse privée qui constituait le lieu d’hébergement mais surtout
de débats, de « jams » et de concerts. Dès l’arrivée des participants, un « pass »
leur a été transmis avec l’obligation de signer un formulaire accordant leurs droits
à l’image. L’intégralité des trois jours serait suivie par des caméras et les soirées
musicales seraient retransmises en direct sur Internet. Cette importante présence
de moyens techniques semblait étrangère à certains beatboxeurs, mais elle pouvait
s’expliquer par l’implication financière de partenaires privés comme des marques
de boissons énergétiques, d’instruments de musiques ou encore de marqueurs
indélébiles. Ce « maître de cérémonie » de la conférence, enthousiaste à l’idée de
réunir des beatboxeurs des quatre coins du monde, s’est imposé en tant que porte-
parole du mouvement beatbox international. Les beatboxeurs se sont donc
installés dans la petite salle Internet de l’hôtel et ont commençant à faire
connaissance par l’intermédiaire de « jams ». Le coût (180 000 €) d’une telle
organisation a été inscrit noir sur blanc et justifié par l’envie de développer à
grande échelle la pratique et sa diffusion. BEELOW a précisé que ses opérations
étaient à but non-lucratives et que seule la réunion de beatboxeurs, de plus en plus
nombreux, le motivait à s’impliquer aussi activement. Il déclara que les médias se
trouvaient « aux portes du beatbox » et que des artistes comme Madonna
éprouvaient un grand intérêt pour la pratique. Il a évoqué ensuite les multiples
projets de sa « company » comme la mise en place d’une « Beatbox Academy »
pour soutenir les plus jeunes qui s’affronteraient lors de « battles junior ».
Une fois de plus, Internet a été cité comme un moyen indispensable à la
communication et à l’enseignement du beatbox. Les beatboxeurs se sont présentés
(en anglais) à tour de rôle sous les applaudissements et les acclamations de leurs
confrères heureux de se rencontrer en personne. Un beatboxeur de chaque pays
était invité à témoigner de l’état de la communauté nationale qu’il représentait.
Des questions, sur la nature même de la pratique (« representing or artform ? »),
de ses pratiquants (« a male domain ») et de leurs avenirs, ont été soulevées. Les
expressions employées par les individus étaient très codifiées : « maximum
respect ! » est souvent revenu pour congratuler quelqu'un.
La soirée a laissé place à des démonstrations d’une poignée de beatboxeurs
dans le bar de l’hôtel. Devant les caméras, l’animateur BEELOW n’a cessé de
rappeler qu’il s’agissait d’un moment historique (« we make history ! ») dans
l’évolution du mouvement beatbox mondial qui, selon lui, était à la recherche de
27
28
BEELOW s’adresse aux beatboxeurs internationaux réunis lors de l’ouverture de la convention. Sur
son pull et à l’arrière-plan, le logo de sa structure organisatrice d’évènements.
Berlin, le 31 janvier 2008Photographie : R. Martino
partenaires conséquents pour le faire progresser. La disposition spatiale du lieu n’a
pas permis de bonnes conditions scéniques : la priorité était donnée à la
retransmission des images sur Internet. En parallèle, de nombreux « jams » ont eu
lieu dans la cafétéria ou dans le coin fumeur situé sur le pas de l’hôtel. La
performance a été au centre de l’attention de tous les participants soutenus par un
public composé essentiellement de jeunes européens résidant à l’hôtel.
Le lendemain devait se tenir un atelier, appelé « workshop », qui s’est
rapidement transformé en un enchaînement de performances des beatboxeurs
présents dans une galerie d’art du quartier de Kreuzberg. Un animateur s’est
chargé de distribuer le temps de « paroles » durant la fin d’après-midi où des
« jams » informels avaient également lieu sur le seuil. Une banderole indiquait la
nature de l’événement aux passants qui n’ont pas manqué de s’arrêter, intrigués
par les sons provenant de la salle. Au fond de celle-ci, se trouvait une pièce exiguë
dont l’accès semblait restreint aux beatboxeurs appelés à enregistrer un extrait
musical afin d’établir une « mixtape »60 internationale. Le rendez-vous pour la
soirée consacrée aux « showcases »61 était fixé au studio Osthafen, dans les murs
du siège allemand d’une multinationale de l’industrie culturelle. Il s’agissait d’un
bar au design soigné qui a accueilli un nombre important de personnes venues
voir et écouter les beatboxeurs pour la somme de douze euros. L’affiche était
composée des vainqueurs des championnats de quelques pays européens,
d’équipes internationales, de beatboxeuses et d’artistes reconnus dans le milieu.
Une régie s’affairait à diffuser la soirée sur le site de l’organisation tandis qu’une
fois de plus, l’énergique BeeLow tentait de faire réagir le public attentif aux
démonstrations. La fête ne devait pas s’arrêter là, elle s’est poursuivie dans un
club qui a consacré la fin de soirée à un nouvel « open mic » intitulé « beatbox for
beer » à la manière des soirées slam qui pratiquent ce genre de procédé… L’atelier
du dernier jour a été annulé pour des raisons que j’ignore. À l’issue de ces jours
passés au contact d’un panel de beatboxeurs, il m’est apparu qu’ils formaient
réellement une communauté mais cette fois-ci à l’échelle internationale. On peut
parler de révélation pour la plupart des participants qui pouvaient désormais
communiquer ou partager leurs avis mais surtout « jammer » au sein de cette «
grande famille ». J’ai, en outre, pu constater une certaine uniformité dans les
60 Compilation de pistes audio enregistrées originellement sur cassette audio. 61 Littéralement « vitrine », il s’agit de concerts qui visent à présenter un ou plusieurs artistes.
29
références vestimentaires, linguistiques et musicales qui m’a surpris par rapport à
la relative hétérogénéité de la communauté française (dont j’aurai l’occasion de
reparler).
La Chaufferie, lieu de musiques actuelles
La ville de Grenoble s’est lancée en 2002 dans la mise en place
d’équipements dédiés aux musiques actuelles : La Régie2C, qui comprend La
Chaufferie et la salle de concert Le Ciel. Dans une logique de développement
culturel, la ville a cherché à mettre l’accent sur la formation, l’accompagnement
des pratiques et la médiation. Situé au cœur de trois quartiers dits « sensibles »,
l’équipement se veut en lien avec la population locale ce qui explique la présence
d’une salle festive essentiellement destinée à la location. L’accueil des personnes
s’effectue dans un espace café avant l’accès aux quatre studios de répétition ou à
la salle de concert d’une capacité de 250 personnes. Pour ma part, j’ai effectué
mon stage principalement dans les bureaux isolés du reste des équipements, ce qui
m’a plongé dans la réalité du travail administratif. J’étais ainsi au contact de
l’administrateur, de la comptable, de la chargée de communication, de la chargée
d’action culturelle, de la responsable de La Chaufferie et de la directrice de La
Régie2C. Celle-ci a été par ailleurs la responsable de stage qui m’a accueilli
durant deux mois, de février à avril 2008, à la suite d’une entrevue concluante.
Mes missions étaient multiples, je devais réaliser une enquête sur les musiciens
amateurs en formation dans le dispositif qui allie le Conservatoire à Rayonnement
Régional de Grenoble et la Régie2C. L’autre motif était la participation à
l’organisation de quatre journées de formation et d’une soirée de concerts liés au
beatbox à l’initiative de Sophie Boucher, chargée d’action culturelle. Rapidement,
une planification et une liste de tâches à effectuer pour le bon déroulement de
l’opération a été établie. Celle-ci prévoyait un travail de communication sur les
évènements, des questions d’ordre logistique, technique et administratif. Le
dossier m’a été en partie remis et une phase importante de préparation a donc
débuté. Au fil des réunions d’équipes, des informations recueillies, des problèmes
réglés par des courriers électroniques et des appels téléphoniques, les journées du
9 au 12 avril se sont précisées. Ont donc eu lieu : deux stages organisés en
partenariat avec le Centre de Formation des Musiciens Intervenants de Lyon, deux
concerts pédagogiques proposés à des publics scolaires, un atelier d’initiation au
30
sein d’une classe du collège Olympique et un concert tout public. Il semble utile
de préciser que le beatboxeur pédagogue EZRA avait signé un contrat pour
intervenir sur la totalité des actions. Mais il se trouve qu’il était demandé
expressément par la maison de production de la chanteuse Camille pour faire la
promotion de l’album sur lequel il a travaillé. Il a donc partiellement délégué ses
fonctions à un autre beatboxeur capable d’assumer le rôle de formateur.
L’implication d’EZRA dans le domaine musical professionnel est un fait marquant
de cette année en matière d’évolution de la pratique. En ce qui concerne les quatre
jours de stage, ils ont été des moments riches en observations participantes, que ce
soit dans les dialogues avec le formateur remplaçant, Gaspard Herblot, ou dans
ma propre participation à la formation. EZRA avait ajouté qu’il s’agissait d’une
sensibilisation à la pratique, d’un apport d’outils pour se « débrouiller tout seul ».
Les groupes de « stagiaires » étaient composés d’une majorité de musiciens dont
des musiciens intervenants. Ils ont pu assister à un bref historique de la pratique et
de ses références avant de s’impliquer dans des exercices d’échauffement corporel
et vocal. Des travaux collectifs sur le rythme ont été suivis d’une présentation des
différents sons et rythmes propres au beatbox. L’écriture du beatbox a été abordée
par Gaspard qui a proposé ses « partitions » personnelles et expliqué la façon de
les lire. Les personnes étaient disposées en cercle ce qui rappelait la forme des
« jams » des beatboxeurs. J’ai pu constater une fois de plus que l’exécution d’un
son maîtrisé incitait à la reproduction ; on assistait à un mimétisme permanent qui
poussait les individus à « essayer » le son entendu. EZRA cherchait à décomposer
les sons présentés en placements différents de la langue, des lèvres ou de la
respiration pour mieux les expliquer. La mise en pratique finale de tous ces sons
découverts a donné lieu à la formation de petits groupes où les pupitres étaient
répartis pour former une orchestration. Des échanges entre EZRA, Gaspard et le
personnel de la Régie2C ont donné lieu à des projets de rassemblements des
pédagogues de la discipline dans une volonté d’harmoniser sa transmission. Les
concerts de la soirée, qui clôturaient les quatre jours et mon stage, ont permis de
réunir sur scène les trois artistes invités pour présenter la discipline. De précieuses
informations sur le monde des institutions culturelles, la pédagogie propre au
beatbox et les liens existants entre les deux ont donc été recueillis durant cette
période.
31
Un atelier d'initiation au Conservatoire de Grenoble
Durant le mois de novembre 2008, la Maison de la Culture de Grenoble,
le Festival des 38e Rugissants, le Conservatoire de Grenoble et la Régie 2C se
sont associés pour proposer des stages et rencontres avec les artistes programmés
à la MC2. Parmi ces artistes, la chanteuse Camille qui, pour sa tournée, a fait
appel aux services de trois percussionnistes corporels et de deux beatboxeurs. L'un
d'entre eux, EZRA, avait déjà eu l'occasion d'animer des stages à la Chaufferie et
cette fois-ci c'est le Conservatoire qui a accueilli un atelier d'initiation d'une durée
d'une heure. Composée essentiellement de musiciens habitués aux institutions ci-
dessus, la séance commença par un historique de la pratique. Le discours d'EZRA,
souvent répété, est une succession d'exemples de pratiques vocales préexistantes
comme le Scat qui ont inspiré les beatboxeurs. À travers la présentation d'artistes
ou d'outils comme le forum « beatboxfrance », EZRA a cherché à, je cite,
« donner des pistes ». Les personnes étaient assises sur des chaises et formaient un
cercle qui rappelle ceux des « jams-sessions ». EZRA aborda différents sons de
human beatbox en tentant de les décomposer pour les rendre plus intelligibles. La
méthode se voulait empirique et mimétique, le « pédagogue » indiquait les
placements des différents éléments de la bouche pour produire un son donné et les
« élèves » tentaient de le reproduire. Certaines personnes concentrées sur un
« exercice » détournaient le regard en essayant d'écouter au maximum les sons
proposés. Cette façon de faire marque un habitus avec un enseignement musical
plus académique qui, à défaut de partitions écrites, fait appel « à l'oreille » comme
dans les cours de solfège. Il était intéressant de voir se confronter lors de cet
atelier deux approches, l'une que l'on qualifiera d'« intellectuelle » et l'autre de
« corporelle ». « Si vous ne l'avez pas en cinq minutes, c'est normal... » confia
EZRA au sujet de la maîtrise d'un son techniquement difficile. Ses démonstrations
provoquaient d'ailleurs des rires ou de l'étonnement manifestant le caractère
déroutant et impressionnant de la pratique. Suite aux différents exercices où
chacun était amené à reproduire un son précis, EZRA proposa une improvisation
collective afin de mettre en pratique les découvertes effectuées. Certains d'entre
eux balançaient leurs corps en marquant le tempo quand d'autres tentaient
timidement de s'essayer à émettre leurs premiers sons de human beatbox. Une fin
en decrescendo aboutit sur des applaudissements qui vinrent clore la séance.
32
Le troisième championnat de France de human beatbox à Montpellier
Organisé, les 14 et 15 Novembre 2008, par l'association 1Beat2Bouch' et
la Méridionale des Spectacles62, le championnat a été l'évènement majeur de cette
année pour la communauté des beatboxeurs. C'est donc avec un grand intérêt que
je me suis rendu sur place pour mener de nouvelles observations. Comme j'ai pu
le constater auparavant, ces rassemblements sont le théâtre de nombreuses
interactions qui témoignent de « l'état d'esprit » des pratiquants. Résolument hip-
hop, la compétition avait pour but de faire s'affronter 40 beatboxeurs, 10
beatboxeuses et 10 équipes. Les phases finales ont eu lieu l'après-midi du 15
novembre dans un bar disposant d'une grande scène, l'Antirouille, situé au coeur
de la ville. « Est-ce que beatboxfrance est dans la place ? » prononcé par Moino,
un beatboxeur-organisateur, donna le ton. Animé par un Maître de Cérémonie, la
compétition fut une succession de « battles » à l'issu desquels le vote du jury,
composé de beatboxeurs étrangers et d'autres musiciens, décida du vainqueur sous
les applaudissements du public. Dans les prémices de la compétition, les
beatboxeurs discutaient entre eux, émettant des pronostics, des commentaires sur
l'amplification ou encore sur la difficulté du défi à relever. Nous incluons, pour
étayer la description de ce championnat, des commentaires laissés sur le forum :
« Je dirais que j'ai été grandement surpris par l'ambiance, le niveau et l'humanité qui en a découlé, c'était vraiment énorme la déambulation dans les rues de Montpellier, gros souvenir pour moi. Une autre claque c'est le niveau de chacun qui pour la plupart a vraiment augmenté, le système son à l'Antirouille y a joué pour beaucoup parce que les basses bavaient beaucoup, du coup la puissance des sons était là et s'en était impressionnant parfois... »63
Même si le titre de champion de France a son importance, les accolades
systématiques à chaque fin de duel, les encouragements ou les « jams-sessions »
témoignent du respect et de la solidarité qui régnaient lors de cette édition.
L'émulation collective semble une des composantes essentielles de ce type de
rencontre.
« Je tiens à tous vous remercier, quand je suis arrivé à Montpellier j'ai eu l'impression de revoir ma famille, je sais que pour la plupart on se connait pas beaucoup mais cette solidarité du mouvement beatbox est très forte et ça me donne
62 Association à l'origine du festival « Monpellier à 100 % » 63 Posté par LOS, le 16 novembre 2008.
33
l'impression d'une fraternité, ça fait juste du bien... Merci à vous. »64
Outre des phénomènes redondants, déjà observés lors des précédents
championnats, l'édition 2008 comportait tout de même des « nouveautés ». Les
beatboxeurs ont manifesté une plus grande familiarité avec les outils de
sonorisation, l'ingénieur du son devenant un partenaire à qui on peut demander
d'affiner un réglage. Le port de T-shirts où figurent le « blaze » du beatboxeur
et/ou le « crew » auquel il appartient devient courant. L'esthétique est hip-hop
avec l'emploi de lettrages de couleurs vives empruntés au graff. La dimension
agonistique étaient prégnante, les beatboxeurs ont fait preuve de stratagèmes de
plus en plus élaborés pour provoquer l'adversaire. La caricature, l'indifférence ou
l'ennui sont autant d'attitudes susceptibles de distraire ou d'agacer. A l'issu des
multiples « battles », c'est le beatboxeur DAWAN PLAYER qui l'a emporter. Sa
victoire n'est pas anodine, surnommé « Tonton » par ses pairs aux vues de son
âge et de son ancienneté dans le milieu, il est également celui qui a éliminé
POOLPO, un beatboxeur rendu célèbre par une émission de télé-réalité musicale.
Son succès médiatique fut mal perçu par une majorité de beatboxeurs, jugeant ses
prestations pauvres en créativité. Sa participation au championnat était donc très
attendue comme en témoignent des messages laissés sur le forum plusieurs mois
auparavant.
« Oh zut POOLPO n'est pas inscrit , pfff je suis trop triste ! ! ! »65
« Il peut toujours le faire si c'est encore ouvert, poussez-le à s'inscrire il habite dans la ville même !! Faut pas se foutre de la gueule du monde non plus. »66
« POOLPO ne veut pas venir quand je lui ai demandé de ta part si tu venais car il m'a dit que "soi-disant", le jury ne va pas le prendre car ce sont tes amis ou un truc quasi-similaire. En gros, il a peur et il ne veut pas le dire. Moi personnellement, je me suis inscrit et pourtant ça fait seulement près d'un an que je pratique le human beatbox... »67
Après la compétition, la question de la rencontre avec POOLPO a été
soulevée à plusieurs reprises même si sa présence n'a pas provoqué d'incident
particulier. Suite à son élimination, il a directement quitté les lieux.
64 Posté par LOS, le 16 novembre 2008.65 Posté par SUPERDAWAN, le 27 août 200866 Posté par HOX, le 28 août 200867 Posté par BMG, le 28 août 2008
34
« Juste un mot par rapport à POOLPO. Certaines choses pendant l'évènement me laissait penser qu'il allait peut-être finir par s'intégrer et oublier son mauvais esprit, très déçu qu'il n'ait pas essayé d'échanger et de se repentir et qu'il aie préféré s'enfuir dès sa défaite contre DAWAN. »68
Milieu masculin, le human beatbox cherche cependant à inciter les filles à
participer en ouvrant les portes du championnat. NASTY, le Maître de Cérémonie
a déclaré à ce propos lors d'une interview télévisuelle :
« C'est plus subtil, elles se prennent moins au sérieux dans l'attitude mais j'ai bien aimé parce que il y avait de l'agressivité dans les passages, beaucoup de dynamique. »
La championne 2008, PETIT PONEY, habituée aux matchs
d'improvisation théâtrale, était déjà présente en tant que spectatrice les années
précédentes. La volonté de rivaliser avec les hommes paraît de plus en plus
importante et ceux-ci ne semblent pas s'y opposer.
« Pour les filles : allez, on se dit qu'un jour on sera 40, nous aussi ! »69
« En espérant que le nombre de participante ne cesse d'augmenter au fil des championnats et qu'un jour les battles soient mixtes : tremblez messieurs ! »70
A la manière des « battles » de « breakdance » par équipe, les « crews » de
beatboxeurs se sont affrontés en proposant cette année des performances
scéniquement et techniquement travaillées en amont. Les vainqueurs de cette
édition, UNDER KONTROL, ont poussé le mimétisme à son paroxysme. Ils ont
procédé à une répartition de lignes rythmiques et mélodiques en s'inspirant de
« crews » de DJ's. Cette « division du travail » permettait à l'un d'entre eux de
prendre le rôle de MC71, ce qui avait pour effet d'accentuer la dimension théâtrale
et musicale. Leur prestation a d'ailleurs eu un retentissement important, ensuite
confirmé par la décision du jury.
« UNDER KONTROL, j'ai halluciné la puissance, les compos, les jeux de scènes, la musicalité super propre quoi. Respect les gars franchement et comme je disais a SPAWN, c'est pas un groupe de beatboxeurs. A ce niveau la ça devient un quatuor... »72
68 Posté par BLACK ADOPO, le 22 novembre 200869 Posté par PETIT PONEY, le 17 novembre 200870 Posté par Camillle, le 6 décembre 200871 Ici au sens de « Mic Controller », autrement dit celui qui contrôle le microphone en rappant et
interpellant le public.72 Posté par NT4, le 16 novembre 2008
35
Autoproclamés « human sound system »73, ces derniers ne manquaient pas
non plus de rappeller leurs différents « blazes » par l'intermédiaire de « scratchs »
vocaux. Le but n'était pas essentiellement d'entrer en lutte directe avec l'équipe
adverse mais d'impressionner grâce à la précision de l'imitation.
Beaucoup d'aspects de la rencontre ont marqué la prégnance de la culture
hip-hop dans la discipline. Il semble que les « battles » soient les lieux privilégiés
de l'expression de l'appartenance à cette culture. Les attitudes des beatboxeurs lors
du championnat sont communes à celles des pratiquants d'autres disciplines. Les
propos tenus par le Maître de Cérémonie viennent confirmer les manifestations
identitaires qui font du human beatbox une forme artistique qui possède des
origines, des règles et des valeurs communes : celles de la culture hip-hop. A
travers le récit quasi mythologique de la naissance du mouvement, il a souhaité
contextualiser le human beatbox et de fait, participer à sa reconnaissance.
Élément moteur des évènements dédiés à la pratique, le beatboxeur EZRA
ne participait pas à la compétition mais a proposé une improvisation en duo avec
la chanteuse Camille pour clore l'après-midi. Il n'a pas manqué de rappeler que le
human beatbox est une pratique qui peut s'adapter à tout les styles musicaux. Cette
volonté d'ouverture montre une fois de plus la forte présence d'éléments
esthétiques ou comportementaux issus de la culture hip-hop dans cette troisième
édition du championnat de France de human beatbox.
Les rencontres sur la pédagogie du beatbox à La Chaufferie
Organisées, les 5, 6 et 7 mars 2009, de la même manière que les
évènements de mon stage décrit précédemment, ces journées étaient axées sur une
thématique jusqu'ici inexplorée : la transmission du beatbox. Il s'agissait
principalement, pour les organisateurs, de permettre aux beatboxeurs de
confronter leurs méthodes pédagogiques pour transmettre le beatbox à des publics
différents. En pratique, des différents ateliers en milieux scolaires, un stage
destiné à des adultes (dont des musiciens-intervenants issus du CFMI) et de
nombreux temps d'échanges ont eu lieu dans les locaux de La Chaufferie. Une
partie des beatboxeurs présents étaient chargés d'animer les ateliers et le stage
73 Littéralement « système son humain », cette expression fait directement référence aux « sound-systems » animés par des DJ's.
36
tandis que d'autres beatboxeurs novices dans ce domaine se positionnaient en tant
qu'observateurs.
Cet événement inédit débuta par une présentation de chacun des
participants, qu'ils soient beatboxeurs, beatboxeurs-observateurs, musicien-
intervenants ou responsables des structures organisatrices. Ce premier temps
permis aux personnes de s'exprimer vis-à-vis des enjeux de la transmission de la
pratique. D'une manière générale, la confrontation des beatboxeurs aux autres
personnes issues d'institutions musicales a été le thème qui a le plus retenu mon
attention. Je n'ai pas manqué de me concentrer sur les différences de vocabulaire,
de manière de pratiquer mais surtout d'enseigner la musique et les relations avec
les publics visés qui marquent une césure entre deux « mondes de la musique ».
Pour autant, ces divergences ont été sources de curiosité donc d'échanges et en
aucun cas d'opposition. Par exemple, aux techniques pédagogiques enseignées au
CFMI, le beatboxeur LOS répondait « moi j'y vais et je fais à ma sauce ! » avant
de dire que toutes ces questions posées autour de la pédagogie du beatbox étaient
synonymes d'enrichissement. Il fut d'ailleurs particulièrement ému à l'issue d'une
scène ouverte organisée le dernier soir durant laquelle diverses personnes
(débutants, beatboxeurs expérimentés, enfants, musiciens, musiciens-
intervenants...) ont pris le micro pour proposer quelques rythmes.
Je ne m'étendrai pas ici dans la description de ces trois jours qui m'ont
principalement permis de réaliser les entretiens, nécessaires à mon étude, avec des
beatboxeurs de toute la France, réunis pour la première fois à Grenoble. Les
thèmes abordés durant les moments de débats réapparaissent d'ailleurs au sein de
ces entretiens. Il me semble tout de même intéressant de relever le fait que je n'ai
pas pris parti aux discussions de groupes même si des beatboxeurs faisaient
parfois appel à moi, à la manière d'une encyclopédie, me signifiant ainsi la place
qu'il me confère au sein de leur communauté.
La deuxième édition du Human Beatbox Festival de Dijon
Cet événement est à retenir comme le premier festival d'une importante
ampleur qui a su rassembler sur quatre jours une vingtaine d'artistes74 ayant un
point commun : le human beatbox. De la simple démonstration « solo » en passant
74 Cf. annexes
37
par des créations mêlant différents musiciens jusqu'au « shows » de groupes de
beatboxeurs, le public venu nombreux a pu assister à l'expression des multiples
facettes de la discipline. En revanche, la faible présence de beatboxeurs souvent
présents dans d'autres manifestations est à noter. Cela s'est traduit par une faible
quantité de moments de « jams » aux abords des salles de concert, chose qui se
produit d'ordinaire. Ici, les prestations des différents beatboxeurs invités ont
retenu toute leur attention de par les répétitions, les balances, les déplacements...
La présence de pionniers de la discipline comme l'américain KID LUCKY
ont donné lieu à de nombreux échanges. Celui-ci a notamment fait un été des
lieux de la discipline dans son pays en déclarant par exemple que les « battles »
avaient fortement nuit à une bonne entente entre les beatboxeurs qui, aujourd'hui,
ne coopèrent plus mais s'insultent. C'est avec étonnement qu'il découvrit
l'important soutien de la part de partenaires publics qu'a reçu le festival pour
exister.
L'utilisation quasi-systématique de pédale de « samples » ou de divers
effets est un phénomène récent mais pour beaucoup, il convient de préciser au
public que les sons ne proviennent pas des machines mais sont enregistrés ou
modifiés par celles-ci.
BEELOW, responsable de Beatbox Battle TV, était sur place pour réaliser
des interviews. Accompagné d'une équipe technique, il parcourt les évènements
pour recenser les différents beatboxeurs et leur permettre de se présenter dans des
vidéos déposées ensuite sur internet. Les beatboxeurs interrogés durant ce festival
m'ont fait part de leur difficultés à se mettre en scène lors de ces interviews.
2. Des lieux virtuels pour de réels échanges
Le forum « beatboxfrance », un lieu fédérateur et d’échanges
Pour les beatboxeurs, internet est l’outil qui les a rassemblés et leur a
permis de construire ensemble un réseau. La communauté beatbox s’est organisée
de manière informelle autour de l’internet qui a permis la convergence virtuelle de
38
ses membres au sein d’un forum75. Créé en 2005 à l’initiative d’un beatboxeur
ayant pour pseudo ATOX, aujourd’hui le forum français consacré au beatbox est
modéré par LOS et compte environ 4 000 inscrits. Il est divisé en six grandes
catégories : général, évènements, multimédia, tutoriaux, battles et divers. Elles se
déclinent en sous catégories comportant des « topics »76 et « posts »77. Dans la
catégorie battles par exemple, on trouve la section audio qui comporte des
enregistrements de battles proposés par les utilisateurs. Le nombre de « topics »
est affiché selon chaque sous-catégorie et porte un titre qui en précise le sujet. Un
compteur indique le nombre de visites ou de réponses et la date de mise en ligne
de chaque « topic » est affichée. Tous les utilisateurs peuvent à tout moment créer
un « topic » ou prendre part à un échange en répondant par un « post ». La
création d’un nom d’utilisateur et d’un mot de passe est cependant nécessaire pour
accéder à toutes les pages ; l’accès reste libre, la structure du forum est rédigée en
anglais.
Un rapide coup d’œil sur la liste des inscrits permet de juger de la faible
proportion de personnes participant activement à la vie du forum. Sur cette liste
figure non seulement le « blaze »78 et la date d’inscription de la personne mais
également le nombre de « posts » qu’elle a déposés qui est ensuite traduit en
pourcentage par rapport au nombre total. Plus ce dernier est important, plus le
niveau de la personne augmente. Des insignes représentant des micros
accompagnés de commentaires s’ajoutent donc au fil des messages laissés.
Lorsque l’utilisateur n’en possède pas, c’est un « newbie79 du forum », un micro
signifie qu’il « commence à causer… », deux micros qu’il « s’exprime », trois que
c’est un « blablateur confirmé », quatre qu’il « parle beaucoup », à cinq micros il
atteint le maximum. Chaque « post » déposé est automatiquement signé en faisant
apparaître le nom de son émetteur, son niveau de participation, sa date d’entrée et
éventuellement une photo en macaron. Il est également possible de se créer une
signature personnelle qui apparaîtra à toutes les fins des messages. Certains
75 Les différents sens du terme correspondent particulièrement bien à ce cas précis. Le mot forum désigne à la fois une place publique d’échange, un espace de débat et de négociations autour d’un thème et un espace virtuel qui permet de discuter librement de divers sujets selon une charte établie par l'administrateur et appliqué par un modérateur.
76 Littéralement « thème ».77 Utilisé ici dans le sens de « message ».78 Littéralement « balise ». C’est le nom donné aux pseudonymes hip-hop.79 En informatique, c’est une personne qui débute dans un domaine particulier d’Internet.
39
proposent des liens vers des sites personnels quand d’autres placent un message
tel que « peace, unity, love and having fun » cité plus haut ou encore « Respect
pour la Nature, pas pour les murs ! Wild Familya Crew !!! ».
Un système de « chat »80 est présent sur la page d’accueil pour permettre
aux personnes connectées au forum de discuter en direct de manière publique.
D’autres biais de communication sur Internet sont employés par les beatboxeurs,
d’autres outils de messagerie instantanée et bien évidemment les boîtes mail
viennent compléter l’usage du forum. La principale caractéristique du forum est
de relier entre elle les personnes animées par la même passion. C’est ainsi que le
thème « discussion générale » placé en tête de la page d’accueil possède un
nombre important de « topics » qui se trouvent parmi les plus visités. Les sujets
sont variés, il peut s’agir d’interrogations, d’appels à projet, d’idées,
d’informations : « ici c’est discussion autour du beatbox ». Un espace est dédié à
l’échange de contacts qui n’apparaissent pas dans le profil des utilisateurs, j’ai
moi-même tenté, sans succès, de connaître l’existence de beatboxeurs dans les
environs de Grenoble. Les concerts et autres évènements « beatbox » sont
annoncés par leurs organisateurs, des tutoriaux de différentes natures sont
consultables et un espace de discussion sur des sujets libres est prévu.
Nous nous limiterons ici aux échanges et matériels présents sur le forum et
aux témoignages recueillis à son sujet pour justifier l’emploi de ce terrain d’un
genre nouveau. C'est ainsi que des messages jugés pertinents déposés par les
différents utilisateurs apparaitront au fil de l'analyse. Au delà de la simple citation,
il s'agit également de chercher à les interpréter. En dehors des discussions
« quotidiennes », les discours (datés et signés) des beatboxeurs sont souvent
éloquents et témoignent la plupart du temps de leur ressenti vis-à-vis d'un artiste,
d'un événement, d'une vidéo... La confrontation de ces avis permet d'accéder aux
débats actuels qui animent la communauté. Les réactions laissées au fil du temps
constituent des indicateurs des différentes personnalités qui composent la
communauté et de son évolution. Véritable cordon ombilical qui les relie les uns
aux autres en dehors des rencontres nationales, le forum est également un lieu de
rencontre et de découverte. Par exemple, on peut suivre en ligne l'intégration d'un
jeune beatboxeur qui demande conseil aux plus expérimentés et qui reçoit en
80 Messagerie instantanée permettant l’échange de messages en temps réel entre plusieurs personnes.
40
retour des encouragements. Il semble qu'une quantité importante d'évènements
interpersonnels se produisent sur le forum et méritent ainsi tout notre attention. De
la simple information qu'ils délivrent jusqu'aux interprétations envisageables, les
mots des beatboxeurs resteront des données nécessaires à la compréhension de la
pratique.
Enfin, le lieu incontournable de cet environnement virtuel est sans aucun
doute la section intitulée multimédia qui a pour mission de recueillir des liens vers
de nombreuses vidéos et enregistrements liés au beatbox. Un « topic » de ce genre
est généralement créé par une personne désireuse de partager une vidéo
personnelle ou celle d’un autre beatboxeur accompagnée la plupart du temps d’un
commentaire. S’en suivent des réponses d’autres personnes qui se prononcent sur
le visionnage ou l’écoute de l’enregistrement en question en proposant parfois
d’autres liens. Ces liens amènent l’internaute à se rendre sur des sites spécialisés
dans la mise en ligne et le visionnage de vidéos en tout genre. Il semble donc utile
de décrire ici comment ces sites particuliers se présentent.
Les sites de mise en ligne de vidéos
Ces nouveaux outils, qui ont pour but d’héberger des vidéos de toutes
sortes et de les diffuser en « streaming »81, jouent un rôle prépondérant dans
l’usage que font les beatboxeurs d’internet. Là encore, une inscription est
nécessaire pour pouvoir mettre en ligne du matériel audiovisuel ou déposer des
commentaires. En revanche le « visionnage » des vidéos reste accessible à toute
personne qui se rend sur ces pages. Un lien précis peut y amener mais si l’on
entreprend soi-même de trouver des vidéos, un moteur de recherche permet de
cibler les vidéos ayant trait au beatbox. Ces dernières peuvent être de nature très
différentes, on rencontre des extraits de concerts capturés à l’aide de téléphone
portable, des passages télévisuels, des comptes-rendus de championnats, des
courts-métrages, et surtout des enregistrements personnels de différents
beatboxeurs. Ces documents sont souvent tournés au domicile même du
beatboxeur qui utilise, la plupart du temps, une webcam et un micro. Le but est
simple : exécuter une démonstration technique pour ensuite la diffuser. Dans
81 Littéralement « écoulement ». Il s’agit d’un procédé de diffusion en direct, sans temps de téléchargement, de séquences audiovisuelles.
41
certains cas, il s’agit d’un tutoriel permettant à d’autres de s’initier ou
d’apprendre, mais la majorité des vidéos est soumise aux appréciations du
« visionneur » qui se transfome en jury. La lecture des commentaires permet de
savoir si elle a reçu les honneurs des internautes qui n’hésitent pas à émettre de
vives critiques dans le cas contraire. Aux abords d’une vidéo sur ce type de page,
on trouve différentes informations comme le nombre de « visionnages », de
commentaires laissés et le nombre de votes échelonnés sur cinq étoiles. Il est
possible, comme sur le forum, d’afficher le profil de l’utilisateur qui n’est pas
obligatoirement la personne filmée sur la vidéo proposée. Ces sites comportent
une dimension hypertextuelle qui met en lien des objets ayant des points
communs ou qui font partie d’un même domaine. Il est donc possible de naviguer
d’une source à une autre tout en restant focalisé, dans notre cas, sur la pratique du
beatbox. Toutes ces caractéristiques font des sites de mise en ligne de vidéos des
lieux propices à la mise en évidence de la pratique mais surtout de ses pratiquants.
Ces derniers procèdent, par ce biais, à des échanges de compétences et laissent les
visiteurs juger celles-ci. Internet devient un espace scénique alternatif qui diffuse
les « prouesses » musicales des beatboxeurs. Celles-ci sont rendues accessibles en
permanence à toute personne désireuse de les voir. Le public n’est plus confiné
dans une salle à un horaire précis, plus personne ne peut manquer la séance, un
« clic » et le numéro est rejoué devant une audience internationale.
3. Les beatboxeurs interviewés
Cet échantillon de beatboxeurs ne se veut en aucun cas représentatif mais
il m'a tout de même permis d'observer des parcours différents et de mettre en
évidence différents point de vue sur la pratique. Ils sont présentés ici dans l'ordre
chronologique de réalisation des entretiens.
- Matthieu alias JOOS, 30 ans, 5 ans de pratique. Né à Aurillac, il a étudié
les arts plastiques à Nîmes et vit à Marseille. Il a pratiqué la batterie dans un
groupe rock pour découvrir ensuite le hip-hop en pratiquant notamment le graffiti.
Il a prit connaissance du beatbox en rencontrant à Marseille les membres du PHM
crew. Il monte sur scène et anime des ateliers, par l'intermédiaire de l'association
42
Petit K qu'il a formée, depuis un an et demi. Il vit des différents ateliers qu'il
propose (film d'animation, beatbox, musique assistée par ordinateur...) Il est à
l'initiative de soirées marseillaises intitulées « Apéro Beatbox » qui ont lieu dans
des bars et permettent la rencontre.
- David alias GARCIA, 28 ans, 5 ans de pratique. Né en Normandie, il vit
à Angers. Avant d'être coordinateur et intervenant au sein de l'association Aladesh,
il a enchaîné des petits boulots suite à l'bandon de ses études secondaires. Il a
passé plusieurs diplômes dans l'animation et est actuellement formateur BP
JEPS82. Pluri-instrumentiste, il fait partie de plusieurs groupes de musique et
propose des ateliers « musique et chant » dans lesquels il inclut la pratique du
beatbox. Il ne se considère pas beatboxeur car il ne participe pas aux « battles » et
ne donne pas de concerts de beatbox, en revanche il possède un regard éclairé sur
ses collègues (Laurent et Vincent), la pratique et ses rapports avec les institutions.
- Renaud alias MICLEE, 27 Ans, 4 ans de pratique. Il a vécu à Grenoble, à
Châteauroux, en Martinique et à Lyon avant de s'installer à Montpellier. Il a passé
des diplômes en topographie mais est actuellement technicien du spectacle dans
des théâtres. Il a commencé par écrire des textes et jouer de la guitare avant de se
mettre à beatboxer. Il a déjà participé à différents battles et a organisé le
championnat de France dans sa ville. Il joue au sein d'un duo de beatboxeurs
« 1Beat2Bouch' ». Il souhaite mettre en place des ateliers mais n'envisage pas une
vie professionnelle liée uniquement au beatbox.
- Yvan alias OSLIM, 28 ans, 5 ans de pratique. Né à Précigné, il vit à
Sablé-sur-Sarthe. Il a pratiqué parallèlement le rap et le human beatbox. Il a suivi,
contre son gré, un bac technique en communication/administration. Il a ensuite
travaillé trois ans comme intérimaire dans diverses usines de sa région. Il a changé
de cap en passant des diplômes dans l'animation et a pu ainsi mener des ateliers de
beatbox. Il a participé à plusieurs compétitions et fait partie du duo « Hooked
Clowns » avec LOS. Il est actuellement en train d'élaborer un spectacle et
d'enregistrer des chansons.
82 Créé en 2001, le Brevet Professionnel de la Jeunesse, de l’Education Populaire et du Sport atteste de la possession des compétences professionnelles indispensables à l’exercice du métier d’animateur dans le champ de la spécialité obtenue.
43
- Nicolas alias TIKO, 27 ans, 9 ans de pratique. Né à Nevers, il a étudié les
Lettres modernes à Dijon et vit actuellement à Lyon. Ses premiers pas dans la
musique se sont faits avec l'apprentissage éclair de la guitare, puis de la basse
avant de s'adonner principalement à la pratique du beatbox. Il a fait partie de
diverses associations culturelles et a enchaîné des petits boulots pendant deux ans.
Depuis un an, il mène des ateliers gérés par association dijonnaise qui lui a permis
d'organiser le second championnat de France. Il fait d'ailleurs partie d'une équipe
de quatre beatboxeurs, Under Kontrol, qui a remporté le dernier championnat de
France, à Montpellier. C'est un des des membres très actifs de la communauté
française.
-Vincent alias EZRA, 24 ans, 8 ans de pratique. Né à Saint-Nazaire, il est
basé au Mans. Il a fait des études d'arts du spectacle à Paris. Il est à l'origine du
premier championnat de France à Angers et est souvent cité comme l'élément
fédérateur de la communauté. Véritable carnet d'adresses des pratiquants français,
il cherche en permanence à mettre en lien les personnes afin de favoriser les
échanges, la constitution d'un réseau, donc le développement de la pratique. Il a
participé à des compétitions mais préfère être de l'autre côté, celui de
l'organisation. Repéré par la chanteuse Camille, il a effectué à ses côtés une
tournée internationale ce qui lui a permis de devenir intermittent du spectacle. Il
continue cependant, dès qu'il en a l'opportunité, à animer des ateliers. Il travaille
actuellement sur un nouveau spectacle qui mêle le beatbox et nouvelles
technologies.
Tableau récapitulatif
Noms AgeNb d'années de
pratique du beatbox
Autres instruments
pratiqués
JOOS 30 5 Batterie et MAO
GARCIA 28 5 Guitare, chant...
MICLEE 27 4 Guitare et rap
OSLIM 28 5 Rap
TIKO 27 9 Guitare et basse
EZRA 24 8 -
44
Les beatboxeurs interviewés affichent une moyenne de 27 ans et ont
presque tous eu une pratique instrumentale avant celle du beatbox. Ces
beatboxeurs appartiennent à une première génération de pratiquants qui se ont
débuté assez tardivement. La pratique d'un autre instrument témoigne d'une
certaine sensibilité musicale qui a vraisemblablement aidé les individus à
progresser dans le monde du beatbox. Les outils techniques ou artistiques acquis
par le passé ont été réintégrés dans leur pratique du beatbox.
Au sein de cette partie essentiellement descriptive, nous avons pu nous
rendre compte des différents évènements et lieux de la pratique. Les récits des
moments passés sur le terrain ont fait entrevoir certaines thématiques qu'il s'agit à
présent d'approfondir. C'est le terrain qui est venu nourrir ma façon d'interroger
cette discipline artistique. C'est pour cette raison qu'il m'a semblé important de
rentrer dans le détail. Ces évènements sont les premiers du genre et sont les
fondations du beatbox sur lesquelles les pratiquants peuvent construire ensemble
une nouvelle façon d'envisager la musique. On cherchera donc à présenter le
beatbox sous différents angles avant de voir les facteurs qui ont fait se réunir les
individus autours de cette discipline artistique. Enfin nous observerons les modes
d'organisations et les divers positionnements des beatboxeurs vis-à-vis de leur
pratique.
45
IV. UN ART LUDIQUE ET UNIVERSEL
1. Le beatbox est un jeu
La frénésie avec laquelle les beatboxeurs se livrent à des « jams » lors de
diverses rencontres est un trait particulier de cette pratique et témoigne de l’envie
de partager, de jouer à plusieurs, de sortir d’une recherche isolée. À entendre les
beatboxeurs parler d’un événement comme le festival présenté plus haut, il semble
qu’il s’agisse pour eux d’une « cour de récréation » dans laquelle se déroulent des
« parties de jeu » chaque fois différentes. Les beatboxeurs possèdent une vision
de leur pratique souvent liée à l’idée de loisir. « A la base beatboxer c'est... se
procurer du plaisir, en tuant l'ennui… »83 De plus, ils font souvent appel à leurs
souvenirs d’enfance pour parler de leurs débuts dans la pratique des bruitages. En
imitant des bruits de voiture ou d’explosions lors de leurs parties de jeu, les
enfants cherchent à les rendre plus « réels » en ajoutant eux-mêmes les sons
correspondants à l’objet imité. Le principe même d’enchaîner, de cumuler, de
mélanger des sons définis est une forme ludique. Lorsque que l’historien Huizinga
parle du jeu, il l’entend comme une action libre, sans fonction utilitaire et fondée
sur le sentiment de plaisir. Caillois propose par ailleurs une classification des jeux
selon leurs caractéristiques : l’idée de lutte « agôn » , l’imitation « mimicry » , le
vertige « ilinx » et le hasard « alea »84. Le beatbox comporte à la fois une
dimension agonistique, visible durant les battles (dont nous reparlerons plus tard) ;
mimique, qui définit la pratique ; et extatique, particulièrement lors des « jams ».
Dans ces petits groupes, les « joueurs » entrent de manière informelle dans la
partie qui vise seulement l’exaltation collective par le biais de la musique.
« C'est vrai que je vois a capella à dix, ça parait con mais c'est un kiffe énorme pour les beatboxeurs, moi souvent je le dis au gens, entre nous on préfère jouer a capella parce que c'est vrai que quand on a une scène avec un micro bon c'est super, on se fait kiffer les uns les autres mais après jouer tous ensemble a capella c'est vraiment très fort et y'a un truc primitif là dedans... comme les Massaï justement qui se mettent en cercle et qui rentrent en transe à faire des (…), je pense qu'on est pas loin de la transe des fois, quand on se met à jouer, là hier soir, on a joué de 9 heures à 2 heures du matin tous les 4, on a pas arrêté quoi, on a pas arrêté... ouais c'est ce partage là, ce partage là il est assez fort... »85
83 OSLIM84 CAILLOIS Roger, Les jeux et les hommes, Gallimard, 1958.85 JOOS
46
Comme le jeu, les « jams » ne se situent pas dans la vie courante, ils
constituent une parenthèse qui permet d’en sortir, même si leur pratique se déroule
dans un espace délimité temporellement. Le cercle des « jams » ou la scène sont
donc des terrains de jeu où les individus appliquent un ensemble de règles
spécifiques au beatbox. Le jeu crée un nouvel ordre doté de ses propres règles : les
beatboxeurs savent par expérience lors de « jams » à plusieurs, qu’il est nécessaire
de se répartir les instruments, de ne pas jouer en solo au détriment du groupe, de
garder le tempo, etc. Le jeu permet l'émulation collective tout en laissant un
espace d'expression à chaque individu. On peut ainsi expliquer l’enthousiasme
dont font preuve les beatboxeurs lors de rassemblements, les « jams » leur
permettent effectivement de s’isoler dans des formations en cercle. Ce caractère
exclusif provoque sans cesse « la mise en jeu » des beatboxeurs qui, ainsi, ne se
sentent plus concernés directement par ce qui les entoure. La tension créée par le
jeu engage intégralement les joueurs. Les beatboxeurs avouent qu’ils peuvent
s’adonner seuls à leur pratique tout au long de la journée mais que, la plupart du
temps, le jeu a plus d’intérêt en groupe et en présence d’un public les soirs de
concerts.
Pour Huizinga, on assisterait à une dégénérescence du facteur ludique. Les
individus se seraient trop attachés aux conditions matérielles et spirituelles de
leurs existences. Le beatbox, de par son immatérialité et son accessibilité, possède
une véritable « teneur ludique » ; de sa naissance jusqu'au « jams-sessions » en
passant par son apprentissage, il est marqué par le jeu. Phénomène présent dans la
culture hip-hop, le refus d'une certaine réalité transforme le beatbox en un
exutoire, un moyen d'échapper à la gravité de la vie quotidienne (en jouant).
En pratiquant le beatbox, on joue « à faire croire que » l’instrument imité
ou le rythme reproduit est présent sur scène. C’est un simulacre qui (nous) donne
l’illusion de la réalité. Caillois ajoute que ce caractère fictif participe à la
définition du jeu. La représentation d’un instrument par le mime et la voix
construit une image sonore qui interpelle notre imaginaire visuel et musical.
Intéressons-nous donc aux moyens visibles employés par les beatboxeurs pour
accentuer l’illusion. Nous verrons que les mains sont le prolongement des sons
émis, elles sont capables de (nous) confirmer la nature de l’instrument dont il
s’agit et la manière dont on en joue.
47
48
Le beatboxeur EZRA reproduit sur scène le son du didjeridoo, il s'assoit et feint de le tenir entre ses
mains tout en le dirigeant de temps à autre vers le public.
Grenoble, le 12 avril 2008Photographie : R. Martino
49
50
51
Ce beatboxeur se saisit d'un bouton pour augmenter ou baisser le volume sonore des sons qu'il émet.
Berlin, 1er février 2008Photographie : R. Martino
52
2. « C'est humain de s'exprimer »
Les interviewés s'accordent tous pour faire du beatbox une discipline
universelle, accessible et ouverte. Les arguments formulés pour justifier ces
caractéristiques sont multiples et conduisent à démystifier la pratique. Mettre en
avant le fait que chaque individu est un beatboxeur potentiel permet de lever le
voile sur la pratique de la musique qui serait réservée à une élite artistique ou
sociale.
« La simplicité, l'universalité… tout le monde se retrouve à égalité devant cette pratique… tout le monde fait (...), après y'en a qui vont s'entraîner comme des oufs et qui vont devenir LOS et après y'en a d'autres comme moi par exemple qui sont fainéants, qui ne veulent pas chercher plus loin et qui vont s'arrêter à quelques sons mais en tout cas à la base on est sur le même pied d'égalité.. quelque soit ta condition sociale, quels que soient tes goûts, tes couleurs, tout ça machin… le violon c'est pas pareil, le violon, faut acheter le violon, faut payer les cours, le piano c'est pareil… tout le monde n'a pas accès à ce genre de trucs quand on est petit… le beatbox, tout le monde peut faire du beatbox… donc à un moment donné, on casse les codes et on met tout le monde au même pied d'égalité et on fait : “vas-y maintenant on fait ça”… »86
En s'appuyant sur ces caractéristiques, certains vont même jusqu'à qualifier
le beatbox de « pouvoir magique ». L'emploi de cette expression montre une
volonté de faire l'éloge de leur discipline qui agirait activement sur les pratiquants.
« C'est une discipline qui demande absolument rien, qui est très complète, et qui est humaine et qui est… qui permet… qui permet de jamais s'ennuyer, de… de se développer physiquement, psychologiquement… de rencontrer beaucoup de gens d'une, de pouvoir jouer avec des gens et de deux, à chaque fois qu'on fait du beatbox devant des gens, y'a des discussions qui en naissent…c'est un pouvoir magique pour tout ça... pour moi c'est aussi le moyen de rentrer dans... tous les tissus... de la société en fait, tous les tissus sociaux de la société... chez les riches, chez les pauvres, chez... chez de personnes qui sont mal ou qui sont bien... ouais voilà... »87
C'est en comparant le beatbox aux autres disciplines hip-hop que les
pratiquants remarquent son caractère ouvert. Certains d'entre eux cherchent
d'ailleurs à contredire les idées reçues à propos de la culture hip-hop. Sachant que
les beatboxeurs forment une entité hétérogène, la présence de différents goûts
musicaux permet de ne pas enfermer le beatbox dans une esthétique spécifique.
En cherchant à décrire, à justifier et à transmettre leur pratique, les
individus participent à sa reconnaissance dont nous reparlerons. Faire appel à des
pratiques préexistantes pour établir une filiation avec le beatbox rentre également
dans ce processus qui rend la pratique identifiable.
86 GARCIA87 EZRA
53
V. COMMENT DEVIENT-ON BEATBOXEUR ?
1. Des origines et des trajectoires plurielles
Contrairement aux idées reçues sur le mouvement hip-hop, les beatboxeurs
de la communauté française ne sont pas tous issus de banlieues de grandes villes.
Ils sont littéralement éparpillés sur le territoire, même si l'Ile de France est
évidement le lieu d'habitation le plus cité, on trouve des beatboxeurs dans de
nombreuses régions. À Angers par exemple la présence des beatboxeurs a
contribué localement et nationalement au développement de la pratique.
Les appartenances sociales et culturelles des beatboxeurs sont des plus
variées. Il nous est impossible de définir un profil-type mais l'on peut tout de
même noter quelques tendances. Beaucoup sont issus de milieux populaires mais
pas tous. Bazin nous dit à ce propos que « les orientations du mouvement hip-hop
offrent la possibilité de développer un sentiment d'appartenance. Ouvertes à un
large éventail de comportements, elles permettent à chaque groupe
d'appartenance culturelle d'y déployer sa propre originalité. »88 On note
cependant que la majorité des références musicales transmises par les parents sont
elles aussi dites « populaires » à l'image d'OSLIM qui justifie lui-même cette
transmission culturelle :
« Ma mère écoutait de la funk aussi, elle écoutait du Kool and the Gang, elle y connaissait rien du tout, elle savait pas les noms de ce qu'elle écoutait, mais elle kiffait, elle écoutait ça, elle kiffait... ma mère a toujours voulu chanter quand elle était jeune, elle chantait des chansons en arabe aussi, ma mère est tunisienne à la base et je l'entendais beaucoup chanter en arabe, en faisant le ménage... grande enfant aussi ma mère... et du coup ça c'est mon enfance, donc environnement musical et artistique par ce que ma mère a ce truc là, ce truc de parler devant les gens, d'ouvrir sa gueule dans les repas, de parler fort, de faire rire les gens, de chanter toute seule... »
Certains beatboxeurs évoquent des membres de la famille qui jouaient d'un
instrument et qui les ont ainsi influencés ou même initiés à la musique. D'autres
ont appris, de manière autodidacte, à jouer d'instruments comme la batterie ou la
guitare avant de débuter le beatbox. En tout cas, la pratique beatbox, de par son
caractère récent et alternatif, n'a pas été encouragée comme peut l'être
l'apprentissage d'un autre instrument.
88 BAZIN H., op. cit.
54
« Mes parents ont essayé de me faire faire de la musique, mais c'est venu tout seul, ils voulaient par exemple que je fasse du conservatoire mais je voulais pas, j'aime pas trop l'école, je voulais pas m'enfermer... des fois je regrette un peu mais je me dis que non, je suis moins formaté. »89
Les beatboxeurs semblent nombreux à être entrés en conflit avec le
système scolaire et/ou s'être perdus dans les méandres de l'orientation
professionnelle. Pour d'autres, des années passées à l'université ont été synonymes
d'enrichissement et d'ouverture sur le monde. Mais même s'ils ont suivi des
études, ils sont très rares à avoir un parcours linéaire. Ils ont souvent été amenés à
changer de travail par manque d'intérêt et de perspectives. Le secteur de
l'animation a été, pour certains, un moyen de se rapprocher de leur statut actuel de
« beatboxeur-intervenant ».
2. Découverte et apprentissage
Avant de prendre conscience de l'existence du beatbox, les individus ont
été en contact, par des différents biais, avec la culture hip-hop. Pour certains, le
fait de vivre, à un moment de leur vie, dans de plus grandes villes a provoqué
cette rencontre. Pour d'autres, c'est par l'intermédiaire des médias qu'ils ont pu
découvrir cette culture. L'adhésion au hip-hop s'est manifestée, pour la plus part à
l'adolescence, par l'écoute de morceaux de musique ou, pour certains d'entre eux,
par la pratique d'une autre discipline comme le graff.
Lorsque les beatboxeurs parlent du début de leur pratique, ils remontent
pour la plupart jusqu'à l'enfance et ses bruitages vocaux. Ils font également
référence à des artistes référents que nous avons cités plus haut. En revanche pour
beaucoup d'entre eux, la réelle découverte de la pratique ne s'est effectuée qu'au
contact d'une tierce personne.
« L'histoire avec le beatbox, du coup elle est longue un peu comme tous les beatboxeurs, on a tous une trajectoire spécifique mais à peu près similaire... j'ai toujours fait des sons depuis tout-petit, la trompette, la bulle ou des choses comme ça... quand j'étais petit, du coup étant souvent seul à la maison, du coup je regardais souvent la télé et je regardais souvent Police Academy, j'étais fan de Mickaël Winslow qui m'a mit des grosses claques, le gars en 87 ou quelque chose comme ça, il faisait (…), enfin tu vois c'est... ça me faisait grave kiffer et du coup je pense que ça a grave imprimé mon cerveau mais j'ai pas tilté sur le coup, je m'amusais à l'imiter... et du coup c'est resté en suspens, au collège j'ai découvert un peu la musique, le rock et les
89 MICLEE
55
trucs comme ça... je marchait beaucoup pour aller à l'école donc tu vois je reprenais James Brown, je faisais (…), sans absolument dire que je faisais de la musique, c'était juste... je kiffe une musique, ça me fait vibrer et j'aime bien faire de la recherche, écouter des sons, découvrir, partager la musique avec les autres, juste à travers l'écoute et du coup c'était naturel de chanter comme ça... au lycée, j'ai un pote qui m'a initié au graffiti, grosse période vandale... au graffiti et au hip-hop et là du coup à la fin du lycée, j'ai découvert Saïan Supa Crew et Rahzel alors là directement je me suis mis à reprendre le (…) de Ring my bell. Rahzel on m'en parlait à l'époque mais je connaissais pas encore, du coup j'ai vraiment découvert Rahzel à ma première année de fac en 2000, quand je suis arrivé à Dijon... c'est en rencontrant FatKab […] un jour je l'ai entendu faire des scratchs vocaux, je l'ai regardé genre amusé (…) et on s'est regardé “ouah chanmé ! Toi tu fais ça aussi ?”... tu vois genre “tu beatboxes ?”, “ouais, non je sais pas faire, je fais juste de scratchs vocaux” et moi je lui fais : “moi les scratchs vocaux je sais pas faire par contre tiens...” on s'est engrené, premier festival At Caméra en 2001 à l'Athéneum, et en fait avec Brice, un autre copain, on a formé Monkey Beat, on était 4, une soirée alcolisée, parce que lui il rappait, il reprenait des textes de Missy Elliot des trucs comme ça en anglais, Ben faisait juste le (…), et tous les 4 on a formé ça et les gens, dans l'ambiance du festival sur la fac, étaient vraiment réceptifs... »90
Même si les beatboxeurs possèdent tous des histoires singulières vis-à-vis
de la découverte de leur pratique, ce récit, placé ici volontairement en entier, est
assez représentatif. La prise de conscience de l'existence de la pratique ne
s'effectue qu'au contact d'un autre pratiquant qui constitue ainsi une preuve
tangible et bien souvent un initiateur.
Si je comprends bien c'est au contact des autres qui tu as appris en fait ?
« Ah ouais, ouais à fond ! Rien que le fait de suivre le PHM, d'aller souvent les voir en concert, de parler un petit peu avec eux, faire un petit boeuf, ça te fais progresser énorme, moi je pense que c'est ça, je pense que si j'ai ce niveau là aujourd'hui, c'est d'avoir été avec les champions de France, même si ils ne m'ont jamais vraiment appris, ils ne m'ont jamais dit : “ bon on va t'apprendre un truc ”, ça a jamais été ça, c'était juste à l'écoute, ils t'entendent faire un truc, ils te font : “ ah, fais-le plutôt comme ça ”... apprendre les techniques quoi... le beatbox c'est beaucoup des clefs à donner aux gens, les sons on peut tous les faire, donc si t'as la clef de comment on peut les faire, t'y arrives et après c'est bosser tout seul, ou c'est à la maison pour arriver à enchainer les sons... »91
À la suite de cette découverte, les beatboxeurs entament une phase
d'apprentissage en alternant « entraînement » individuel et prise de conseils auprès
de beatboxeurs plus expérimentés. L'autodidaxie et le mimétisme sont les piliers
de l'apprentissage de la discipline. Pour ce faire, les beatboxeurs débutants vont
pouvoir se tourner vers les « maîtres » de la discipline pour s’inspirer et travailler
leurs « gammes ». On parle alors de « routine » lorsqu’un rythme est acquis et ne
requiert plus d’efforts. En ce qui concerne les maîtres, ils sont pour la plupart 90 TIKO91 JOOS
56
étrangers mais devenus célèbres par leurs performances dans le passé. Plus
proches, on observe des personnes référentes qui n'hésitent pas à décomposer un
rythme ou donner leurs avis sur un son lorsqu'on leur demande. Ces beatboxeurs
sont reconnus en tant que tels non seulement en raison de leur niveau mais
également de par leur aptitude à partager leurs connaissances. Que ce soit sur
Internet ou lors de rencontres, les beatboxeurs n’hésitent pas à s’échanger des
techniques : l’apprentissage est empirique. Ces échanges et les vidéos sont la
matière première de la formation. L’écoute, l’observation et la pratique sont
privilégiées contrairement à l'enseignement des musiques « savantes ».
Même si les beatboxeurs ne suivent pas de cours, les notions de travail et
de progression sont présentes dans les discours, l'objectif étant d'améliorer son
niveau. On ne parle pas ici de professeur ou d'horaires, mais d'un entraînement
quotidien réparti à différents moments de la journée. Il arrive cependant que les
beatboxeurs s'adonnent à des répétitions pour préparer une compétition ou un
concert.
Combien de temps tu alloues à ta pratique par semaine ?
« Pff... par semaine... tous les jours je beatboxe, y'a des fois où je m'entraine plus, j'essaye de bloquer sur plus de sons, me forcer à travailler avec ça... »
Y'a un lieu particulier ?
« Non... dans les endroits où ça résonne bien, dans les toilettes, la salle de bains... sinon dans la rue, ça m'inspire des petits bruits de tous les jours, c'est au moment où j'ai envie d'en faire que j'en fais, c'est ça qu'est bien... par semaine... je sais pas... bout à bout, c'est des petits moments, c'est des petits 10 minutes, ou des petits un quart d'heure donc bout à bout ça fait quand même... tu t'entraines tout le temps... »
Est-ce que t'as des moments avant des concerts où tu te dis : “là tiens je vais répéter, je me prend une heure et je bosse au micro” ?...
« Ouais ça m'arrive... un jour ou deux avant un concert... avant de monter sur scène on s'échauffe toujours un peu quand même mais... ouais je me prends des phases, pas tout le temps mais quand je ressens le besoin d'évoluer, de travailler, de pousser mes limites, vraiment de... jusqu'à la fatigue, jusqu'à la rapidité, aller le plus vite possible, ça veut pas dire forcément que je vais l'utiliser dans le concert, c'est juste pour me pousser... c'est des mini rigueurs pour travailler ton instrument... »
Qu'est-ce qui te pousses à le travailler ?
« Ben évoluer, je vois que je rentre toujours les mêmes sons, toujours les mêmes trucs... aller envie de faire des nouveaux phrasés... après je me rend compte qu'on a des beats qui sortent un peu tout seul, même on a beau travailler peut-être une heure avant on va arriver sur scène et on va faire ce beat là, c'est notre beat mais bon ça permet d'évoluer, d'avancer, toujours, pour pas stagner... »92
92 MICLEE
57
Il semblerai que cette volonté de progresser est alimentée par, une fois de
plus, le contact avec d'autres pratiquants. Le fait d'entendre une personne dont le
niveau technique est jugé meilleur incite les beatboxeurs à travailler pour
améliorer leurs performances. La compétition devient le moteur de la progression,
le but étant de dépasser l'Autre. Huizinga nous dit à ce propos : « Dans le jeu
individuel, le fait d’atteindre le but du jeu ne signifie pas encore gagner. Cette
notion n’intervient que lorsqu’on joue contre autrui. »93 Les « battles » sont les
lieux privilégiés de cet affrontement et dans le même temps, de la formation d'un
beatboxeur. En partant du postulat selon lequel le beatbox est une activité ludique,
la confrontation revêt alors une fonction pédagogique. Il s'agit donc de faire
preuve de toujours plus de maîtrise de son appareil phonatoire en cherchant à
produire des rythmes toujours plus rapides, des sons toujours plus graves, des sons
de « scratch » toujours plus fidèles, etc. La composition même du nom donnée à
la pratique nous renseigne sur l’intention de l’homme (« human ») de vouloir se
battre (« to beat ») contre les autres mais bien souvent contre lui-même.
Confronter ses techniques à celles d'autres pratiquants permet l'évaluation
de son propre niveau. En fonction des personnes rencontrées, les beatboxeurs se
positionnent et constatent ainsi les progrès qu'ils doivent encore effectuer. Les
novices se nourrissent des performances des beatboxeurs « référents » et
cherchent, d'abord à les reproduire pour ensuite se forger un style propre.
Les « bœufs» sont aussi des moments importants dans la formation d'un
beatboxeur. Essentiellement liés au plaisir, des cercles se forment en fonction des
personnes présentes et intègrent tous ceux qui veulent y participer. Comme nous
l'avons vu précédemment, même si ces cercles sont ouverts ils sont régis par un
certain nombre de règles plus ou moins tacites.
« Les boeufs... c'est toute une écoute, c'est un peu ce qui se passe dans la vie au quotidien j'ai l'impression, c'est que chacun à sa place, faut pas bouffer l'autre, on est tous ensemble, on fait la même chose ensemble et faut écouter le tout... savoir écouter chaque personne, après écouter le tout, savoir ce que tu fais... faut vraiment que ce soit ton corps qui parle sans prendre le dessus, c'est un respect, c'est comme un dialogue avec quelqu'un, tu parles, l'autre répond... quand on chante tous ensemble ben faut... ouais c'est une écoute, un partage aussi... quand on fait tourner les solos, ça se fait beaucoup dans le jazz, chacun a son moment après bim on revient ensemble, c'est énorme... je trouve ça énorme, c'est ce que j'adore... »94
93 HUIZINGA J., Homo ludens, essai sur la fonction sociale du jeu, NRF Gallimard, Paris, 195194 MICLEE
58
59
Certains beatboxeurs se chargent de faire respecter ces règles pour obtenir
un ensemble harmonieux. C'est ainsi que les plus débutants apprennent à jouer à
plusieurs, à écouter, à garder le tempo, à ne pas empiéter sur leur voisin...
Y'a quelques conditions minimum quand même pour que ça fonctionne ?
« L'écoute... essayer d'être complémentaire, ça c'est un truc... beaucoup de beatboxeurs et j'ai été comme ça et je le suis beaucoup moins maintenant, mais ça peut m'arriver encore de ne pas être assez à l'écoute et de refaire une rythmique alors que l'autre est en train d'en faire une autre à côté, que c'est pas complémentaire, on se marche dessus alors que... alors qu'en s'écoutant et en essayant d'être complémentaire, on fait quelque chose de plus joli... et c'est un super bon moment d'échange d'énergie... je sais pas si j'ai bien répondu à ta question... je redis ça de manière bateau mais c'est ça c'est de faire de l'échange...»95
Même si les beatboxeurs utilisent très peu de matériel, un temps de
familiarisation est nécessaire. Le micro est le premier outil technique employé et
dont l'usage requiert un certain savoir-faire. Les doigts de la main placés sur la
tête du micro servent à concentrer les sons émis pour les accentuer. Cette
technique se transmet de pratiquants à pratiquants et vient ainsi compléter la
formation d'un beatboxeurs.
« Je pense qu'il vaut mieux avoir travaillé longtemps a capella avant de commencer à travailler au micro, moi ça a été mon cas et je pense que ça te permet de dès que t'as un micro de commencer... tu sais déjà faire des rythmes et tout ça, c'est un peu plus facile... par contre c'est vrai qu'il faut s'adapter au micro et c'est un travail, c'est pas facile... »96
La « loopstation » nécessite elle aussi un apprentissage mais qui s'opère
cette fois-ci individuellement. En effet, il s'agit non seulement de connaître ses
différentes fonctions mais c'est également un outil qui demande une grande
rigueur rythmique. Il faut savoir appuyer sur les différentes pédales qu'elle
comprend au bon moment pour obtenir une boucle sonore correcte. Cette
machine, utilisée essentiellement par des beatboxeurs confirmés, permet de
parfaire les compétences musicales apprises au fil du temps que nous venons de
décrire.
« Les boucles c'est un instrument aussi, c'est tout un truc...comme je les fais en direct, il faut se poser, les faire bien régulières, sans variations, la basse aussi, si t'enregistres une variation, elle y est tout le temps donc c'est hyper chiant, c'est une discipline la boucle... il faut la faire bien du premier coup... »97
95 EZRA96 JOOS97 ANGE B.
60
3. Des valeurs défendues
Même si certains beatboxeurs cherchent à s'émanciper de la culture hip-
hop, la discipline conserve et véhicule un ensemble de valeurs caractéristiques de
cette culture. Le respect, la non-violence et le défi sont autant de valeurs prônées
par les pionniers du hip-hop qui se manifestent encore aujourd'hui, mais de
manière nuancée, dans le beatbox.
« Dans le hip-hop, y'a toujours cette valeur de respect mais toujours cette histoire du clash, y'a toujours l'histoire de se confronter à l'autre dans... le battle... c'est pour ça que c'est un peu bizarre... en beatbox on est moins... ça reste un instrument, donc on fait pas que du hip-hop donc c'est ça aussi fait garder ce respect, ce partage, si t'es pas hip-hop, c'est pas grave... dans d'autres disciplines c'est pas pareil, c'est vrai... dans la danse j'ai souvent beaucoup vu des rivalités entre d'autres personnes parce que lui il dansait comme ça... des trucs bizarres, des clans qui se font... » 98
Même si d'autres valeurs sont évoquées, la notion de partage occupe une
place centrale dans les discours des beatboxeurs. Lors d'un débat en marge du
premier championnat de France à Angers, les participants se sont d'ailleurs
accordés oralement pour faire du partage le pilier de leur discipline. Nous avons
vu que l'apprentissage du beatbox s'effectue au contact d'autres personnes qui
n'hésitent pas à accompagner les moins expérimentés. Cet apprentissage repose
donc sur l'échange et la mutualisation de leurs connaissances.
« Ce que je trouve génial c'est que entre eux, ils ne cherchent pas à dire : “putain j'ai un son, je le garde pour moi, je vais le sortir en battles et comme ça je vais tous les niquer !”, ils ont un son, ils se le montrent, ils se copient les uns les autres, tu vois... »99
En plus de savoir-faire techniques, les beatboxeurs « apprentis » acquièrent
au fil des rencontres un état d'esprit propre à la discipline, « basé sur des
principes fondamentaux dans une interaction continuelle entre expression
artistique et mode de vie. »100 Il s'agit pour les beatboxeurs « référents » de
transmettre en plus d'une pratique, sa philosophie. Cet état d'esprit est
essentiellement lié à la notion de plaisir, et bien souvent, d'un plaisir partagé.
Comme le jeu, le beatbox est présenté comme une fin en soi. C'est la raison pour
laquelle on retrouve tant d'énergie lors des « bœufs ». Jouer de la musique à
98 MICLEE99 GARCIA100 BAZIN H., op. cit.
61
plusieurs est le moyen de divertissement par excellence.
« Le beatbox c'est vraiment un moyen de passer du bon temps à plusieurs, chose que j'ai pas trouvée dans le rap, passer du bon temps à plusieurs, spontanément, n'importe quand, sans se poser de questions, on va à un endroit et on sait qu'à un moment donné ça va se dérouler et c'est ça qui est kiffant, tu sais qu'à un moment donné va y'avoir des gens autour, va y'avoir un cercle... »101
Du fait de leur nombre réduit, les pratiquants ont éprouvé le besoin de se
rassembler pour lutter contre un certain isolement. L'organisations d'évènements
locaux ou nationaux provient d'une volonté de se rencontrer entre semblables.
Pouvoir échanger ou se confronter avec une personne qui partage la même passion
leur permet de sortir de l'isolement.
« Quand on se retrouve, on retrouve des choses qu'on a vécues seul, on se les retrouve ensemble... »102
En se rassemblant entre pairs, ils célèbrent collectivement le fait de
partager une même forme d'expression artistique. Encore méconnus, les
beatboxeurs défendent au quotidien leur pratique et se chargent ainsi de la faire
(re)connaître. Il s'agit donc de partager la discipline avec des non-initiés par le
biais d'ateliers, de concerts, de tutoriaux sur le forum…
Bien que les beatboxeurs n'hésitent pas à s'échanger leurs techniques, ils
doivent, pour atteindre un certain degré de reconnaissance, être capables de se
forger une identité individuelle. Ainsi, la créativité est un élément moteur de la
pratique qui cherche à se nourrir d'un large panel de genres musicaux,
d'influences, d'approches techniques… Se démarquer des autres beatboxeurs en
proposant des sons ou des rythmes originaux permet une identification au sein du
groupe.
« On essaye de trouver, je dis “on” parce que je suis avec Moino, on beatboxe tous les deux... on essaye d'avoir notre style, on entend des sons incontournables, y'a des sons incontournables... mais je tiens vraiment à notre style, pas trop de recopier les autres, en fait on va prendre un son mais on va l'utiliser d'une autre manière... on essaye de faire plus dans le groove, on sait qu'on a pas une technique de malade, on sait qu'on est pas les meilleurs... là on va essayer de plus chercher notre style, s'amuser, faire des ternaires, même si les gens ils ne comprennent rien mais de faire des ambiances, voir tout ce qu'on peut faire avec le beatbox... ça va plus être ça... des sons avec des contretemps un peu chelou même si... tout en faisant une démonstration en fait... »103
101 OSLIM102 JOOS
62
Dans le hip-hop, comme dans le beatbox, la reconnaissance individuelle
s'opère principalement par l'intermédiaire des autres pratiquants qui jugent des
qualités ou de la virtuosité du beatboxeur concerné. Une fois érigés au rang de
« référents », les beatboxeurs se doivent de conserver une attitude cohérente et
notamment savoir conserver une certaine humilité.
« La plupart des beatboxeurs, même les plus doués ne se prennent pas du tout la tête sur le star-system et y'en a beaucoup qui auraient pu faire la Star Academy et se la jouer un petit peu mais c'est pas du tout le cas... ça reste très... ça fait dix ans que tu fais ça pour le plaisir, on te permet de le faire sur scène devant des gens, c'est trop l'éclate quoi... de là à se prendre pour une star c'en est loin et ça c'est bien cool et vraiment les mecs d'en haut, enfin je veux pas dire ça, mais je trouve qu'ils ont vraiment un super esprit positif... ça fait un moment qu'ils se connaissent tous aussi et je trouve qu'ils amènent vraiment cet esprit là pour tous les autres qui arrivent, pour garder cet esprit... »104
Devenir une célébrité n'est donc pas le but recherché par les beatboxeurs
qui voient dans le phénomène de « starification », la perte de toutes ces valeurs.
Les beatboxeurs les plus expérimentés cherchent à montrer l'exemple en restant en
accord avec l'éthique de la discipline. Par leurs actions et leurs discours ils
véhiculent des valeurs et en assurent la pérennité. Le rôle qu'ils doivent endosser
peut tout de même les interroger.
« Est-ce qu'on a la légitimité de dire : “nos valeurs, il-faut qu'on les transmette et qu'on les garde et qu'elle reste dans l'avenir” ? C'est aussi égocentrique peut-être un peu quelque part... après justement, on a tenu cette position là durant le séminaire à la Chaufferie, on est plusieurs à la partager et on se rend compte que ça convient à pas mal de beatboxeurs mais aussi aux gens en général dans la vie quoi... et... toujours dans un désir de positivité... ouais y'a aussi cette question pour nous-mêmes à se poser, de la légitimité à s'imposer comme gardien d'une discipline... on a quand même une part de légitimité dans le devenir du mouvement parce qu'on est quelques-uns à le créer, enfin je veux dire à l'accélérer en tout cas... à l'accélérer volontairement... »105
Au terme de cette partie, on voit se dessiner les traits caractéristiques des
beatboxeurs qui, malgré le partage d'une même passion et de ses valeurs,
proviennent d'horizons différents. Opérant par mimétisme, les apprentis
beatboxeurs se fient aux pratiquants « référents » et moteurs de la discipline.
Regroupés dans une communauté, les pratiquants s'insèrent dans un mouvement
plus global et n'hésitent pas à ce positionner vis-à-vis de celui-ci. Il s'agit donc à
présent d'observer les débats qui animent les beatboxeurs français.
103 MICLEE104 JOOS105 EZRA
63
VI. LE BEATBOX ET SES PROBLÈMATIQUES
1. Technique vs artistique
L'hétérogénéité des membres de la communauté française de beatbox
conduit à la confrontation de visions différentes de la pratique. Loin d'être en
conflit, les beatboxeurs expriment simplement leurs préférences pour certaines
facettes de la discipline. On peut aisément distinguer deux principales tendances
qui opposent le monde de la performance au monde de la recherche musicale.
Selon leurs positionnements, les beatboxeurs possèdent des représentations
différentes de la pratique quant à sa mise en œuvre et à son but. Le statut qu'ils
s'octroient et les outils qu'ils mobilisent dépendent également de cette dichotomie.
À travers l'analyse d'un débat recueilli sur le forum et des paroles des beatboxeurs
interviewés, nous essayerons de préciser la nature de ces deux mondes qui
coexistent au sein de la pratique.
Battle vs concert
Les multiples compétitions organisées par les beatboxeurs témoignent de
la vivacité d'une volonté de se mesurer les uns aux autres propre à la culture hip-
hop. Même si, pour la plupart, ils entretiennent des rapports amicaux, les
« battles » retiennent leur attention sans pour autant les engager dans des attitudes
propres aux « clashs », réputés violents, de MC's. L’ambiance des championnats
de France se veut conviviale même si, pour certains, il semble nécessaire d’y
ajouter « un esprit de compétition mais dans le respect. »106 C’est pour cette raison
que l’on voit apparaître, lors de « battles », des attitudes visant à provoquer
l’adversaire : on fait par exemple mine de ne pas l’écouter ou on tourne sa
prestation en dérision. Pour l’heure, on ne remarque pas d'agressivité entre les
concurrents, ce qui peut s’expliquer par les liens serrés qu’ils entretiennent. Il
serait intéressant d’observer si au niveau international, les beatboxeurs qui ne se
connaissent pas peuvent entrer en compétition de manière plus marquée. Le
caractère récent du beatbox encore méconnu inciterait plus ses pratiquants à
« faire de la démo » lors de « battles » au lieu de s’inscrire dans une tradition
106 Issu d’un échange avec un participant au championnat de France 2007.
64
agonistique prononcée comme dans d’autres disciplines du hip-hop. Le terme
« agonistique » définissait dans la Grèce antique une partie de la gymnastique qui
avait rapport aux combats et à la lutte armée. En littérature, il peut qualifier une
scène d’affrontement entre les personnages. Christian Béthune l’emploie dans ses
livres pour nous dire qu’il est un composant majeur de l’esthétique du rap. Il nous
dit que « l’artiste se manifeste d’abord par son aptitude à triompher des autres, à
affirmer sa suprématie sur ses rivaux par le jeu d’une surenchère. »107 Selon ce
philosophe, le hip-hop puiserait sa source dans la condition d’esclave qui a fait
naître le jazz. Ainsi, la concurrence était déjà présente dans les chants de travail
dans les plantations qui s’organisaient selon un appel et une réponse. Avec
l’apparition du jazz, de véritables joutes musicales avaient lieu entre différentes
fanfares ou musiciens. C’est par la victoire que ces derniers se faisaient une
notoriété. Le hip-hop a remis le défi et la confrontation au goût du jour. La forme
du « battle » se retrouve d’ailleurs dans toutes les disciplines où chaque année
leurs champions respectifs sont désignés. Pour reprendre le discours de Huizinga :
« dans le jeu individuel, le fait d’atteindre le but du jeu ne signifie pas encore
gagner. Cette notion n’intervient que lorsqu’on joue contre autrui. »108 Les
beatboxeurs s’efforcent ainsi de produire des rythmes toujours plus rapides, des
sons toujours plus graves, des sons de « scratch » toujours plus fidèles, etc. Le
défi est permanent, il semble le motif invariable qui les incite à s’entraîner
quotidiennement et à diffuser leurs performances. Contrairement au sport, les
prouesses techniques des beatboxeurs ne sont pas quantifiables, mais il existe tout
de même des moyens d’évaluation. Lors du championnat de France, le public,
composé essentiellement de connaisseurs, soulignait la maîtrise technique des
différents beatboxeurs en les acclamant. Les beatboxeurs acquièrent une certaine
reconnaissance parmi leurs pairs lors des démonstrations que constituent les
championnats.
Les championnats pour toi ça représente quoi ?
« Un défi à chaque fois »
Toi tu le prends à coeur ?
107 HUIZINGA, op. cit.108 Littéralement « conflit ». Un clash désigne un affrontement verbal ou physique entre deux ou
plusieurs personnes.
65
« Ouais je le prends vraiment à coeur parce que... moi j'ai toujours attendu que les choses arrivent, je me suis toujours dit : « on va te repérer un jour, on va te repérer un jour, on va te repérer un jour... » mais non, le monde il est fait comme ça, si tu veux qu'on te repère, y'a un moment donné où va falloir arrêter d'être tout en bas et va falloir faire un truc tout en haut et c'est pas de monter sur les autres, le message c'est : le travail ça paye, n'importe qui peut y arriver, il faut juste travailler et s'investir, le travail ça paye, je suis bien placé pour le savoir, j'avais vraiment un level très moyen, j'ai travaillé, je suis arrivé vice-champion de France... et cette année ça va être pareil, j'ai envie de continuer sur cette démarche là et même d'aller au championnat du monde, c'est vraiment mon ambition... »
La victoire elle représente quoi ?
« La victoire elle représente une crédibilité, ça veut dire que tu es crédible... « voilà moi c'est OSLIM, je suis beatboxeur » ça me permet de continuer à côté à dire de la merde, à être comme je suis mais tout en étant crédible parce que je sais les défauts que j'ai. »109
Sans public, la performance perd de sa valeur et ne peut plus attester des
compétences de la personne. Quant au jury, il évalue les prestations des
participants selon des critères comme la présence scénique, l’originalité, sans
oublier la technicité. Si l’on regarde du côté des autres disciplines de la culture
hip-hop les exemples de mise en relief de la performance ne manquent pas. Les
danseurs enchaînent les rotations, les DJ se mettent à « scratcher » les yeux
bandés, les graffeurs vont peindre des fresques dans des endroits risqués, etc.
En revanche, un excès de technicité peut, pour certains beatboxeurs, nuire
à la discipline. Dans le cas du beatbox, de nombreuses questions se posent quant à
la dimension artistique de la pratique. Pour un certain nombre de beatboxeurs,
savoir exécuter des rythmes compliqués ou reproduire à la perfection le son d’un
instrument de musique n’est pas une fin en soi. Le beatbox doit être un moyen
d’expression au même titre que d’autres formes musicales. Ce point de vue est
généralement défendu par des beatboxeurs qui se mêlent volontiers à d’autres
musiciens quand d’autres pratiquants revendiquent leur volonté d’avoir un son
« puissant » au détriment de l’harmonie. Cet échange en ligne témoigne de ces
deux positions.
« Bonjour à tous ! Cette année le contest a été marqué je pense par l'apogée de la technique. On a pu entendre des roulements d'une vitesse impressionnante, des sons variés, parfois bien puissants, des jolies superpositions rythme/chant... C'est bien d'être arrivé à ce niveau, mais si maintenant on se calmait un peu et on passait à autre chose ? En effet je suis ressorti un peu déçu du manque de musicalité dans les beatbox entendus ainsi que dans le comportement de la plupart. Bien sûr l'ambiance était excellente mais je ne parle pas de ça. J'ai remarqué un manque d'écoute et une
109 OSLIM
66
difficulté a mettre sa technique de côté, à faire des trucs simples pour construire quelque chose de musical. »110
« Je suis bien d'accord avec toi... et je m'estime être un sacré bourrin... mais après chacun son trip, chacun sa perception du truc... Honnêtement ce qui m'a fait aimer le beatbox moi c'est la performance plus que la musicalité ! Après c'est bien possible d'allier les deux je dis pas le contraire mais j'en suis pas là... Pour ma part (et je pense pas être le seul), je connais pas grand chose dans les bases de la musique et j'ai pas forcément le temps ni l'envie de m'y intéresser pour le moment... Après voilà pour moi le beatbox est un Art mais j'aime que ça reste dans le spectaculaire... c'est ce qui m'a fait aimer ça et c'est ce que j'ai envie de montrer... et je continuerai à être un bourrin même si je dois être recalé à cause de ça... Je préfère faire crier une salle avec mes basses de barbares que de plaire aux musicos minoritaires (mais je crache pas dessus loin de là, mais je suis pas tellement dans ce trip de la recherche absolue de l'harmonie...). »111
Cette discussion alimentée par d'autres beatboxeurs permet d'aboutir sur un
constat qui fait des « battles » un endroit peu propice pour une véritable
proposition artistique. Les courtes durées de passages et la confrontation avec
l'adversaire éloigneraient les amateurs de créations musicales plus élaborées vers
d'autres modes de pratique.
Technicien vs musicien
« Moi je me sens plus dans l'artistique, peut-être plus dans la recherche... c'est plus quelque chose de mélodieux, que ça fasse groover, que ça fasse bouger le tête et que ça fasse plaisir... »112
Les concerts sont le lieu de l'expression de cette envie de proposer des
compositions plus arrangées et qui place la dimension technique plutôt au second
plan. Ces beatboxeurs ne cherchent plus à être reconnus grâce au niveau de leurs
performances qui leur ont permis de remporter des compétitions. Il s'agit ici de se
plonger dans la recherche musicale afin de se créer une réelle identité artistique.
Plus qu'une simple orientation, le choix de ce versant de la discipline permet aux
beatboxeurs de se définir également comme musicien. Bien souvent, le fait de
pouvoir sortir du cadre simplement démonstratif en jouant avec d'autres musiciens
les conduit à se considérer comme tel. La déclaration de ce statut peut également
venir de l'extérieur ce qui peut nous interroger sur la définition même du
musicien.
110 Posté par DADY le 15 novembre 2007111 Posté par 2SPEE le 15 novembre 2007112 MICLEE
67
Est-ce que tu te considères musicien ?« Musicien ouais depuis peu de temps parce qu'on me considère comme un
musicien, c'est par la reconnaissance extérieure, par la reconnaissance... »
Tu la cherchais cette reconnaissance de passer de beatboxeur à musicien ?
« Pas vraiment non... je me voyais pas musicien vu que je suis plus scénique à faire des mîmes, du théâtre, comédie... quand on me dit : “t'es musicien” mais c'est le pompon pour moi, je ne sais pas jouer d'aucun instrument, à part un peu de percu et de didgeridoo vite fait... ”
Mais tu te considérais déjà comme artiste avant ?
« Comme un artiste ouais. et quand on me dit musicien je trouve ça donne une classe... t'as passé un cap, quand tu viens là et que tu fais des initiations à des gens qui ont été au conservatoire alors que toi à la base t'es un galérien, tu fais des initiations avec des gens du conservatoire qui ont eu des formations... c'est valorisant qu'on me dise que je suis musicien... »113
Dans le cas du beatbox, il semble que l'opposition beatboxeur/musicien
aille de pair avec l'opposition amateur/professionnel. Le mot amateur est ici
entendu simplement au sens du pratiquant qui ne fait pas du beatbox son activité
principale. Les personnes qui se positionnent dans le camp des musiciens étant
souvent celles qui cherchent à vivre de leur pratique. Ils font alors face à la même
réalité que tout autre artiste, c'est à dire la création et la diffusion d'œuvres
originales comme la finalité.
Homme vs machine
Les innovations technologiques des années 80 vont donner au hip-hop
toute son identité musicale. Le « sampler », ou échantillonneur, est sans doute
l’outil le plus utilisé dans la production des morceaux. Il permet de sélectionner
une mélodie, un riff, un rythme, etc., et de le rejouer à l’infini pour composer une
nouvelle bande sonore. L’appropriation des contenus est caractéristique de sa
forme et de son esthétique. Shusterman nous dit à ce propos : « le sampling du
rapper offre des plaisirs de l’art déconstructeur – la beauté saisissante qu’il y a à
démembrer et à dérober des œuvres anciennes pour en créer de nouvelles, à
démanteler le familier et l’ennuyeux pour en faire quelque chose de différent et de
stimulant. »114 L’autre petite révolution est la boîte à rythme, qui contient une série
113 OSLIM114 SHUSTERMAN Richard, L’art comme infraction : Goodman, le rap et le pragmatisme, Les
cahiers du Musée national d’art moderne, automne 1992.
68
de rythmes de synthèses relativement simples. Elle présente l’avantage d’être plus
économique et plus pratique à déplacer qu’une véritable batterie mais répond
surtout à une volonté d’obtenir des sons plus typés et de pouvoir les modifier. Les
machines deviennent les nouveaux instruments des DJ's, ils peuvent composer en
toute liberté et s’abstenir de la participation de plusieurs musiciens. Le savoir faire
d’un batteur est directement inclus dans une machine mais cela n’a pas suffi à
remplacer totalement l’homme dans le domaine de la musique. Le beatbox est un
acte de détournement et de résistance face à la machine. En cherchant à reproduire
les rythmes électroniques, le beatboxeur répond par un nouveau savoir-faire.
Christian Béthune est l’un des rares à avoir traité ce sujet, il remonte jusqu’à la
condition des esclaves afro-américains pour comprendre les raisons de la pratique.
Les percussions corporelles étaient ainsi, « une façon inventive de détourner
l’interdiction qui était faite aux esclaves de posséder des tambours et autres
instruments à percussion, de peur que leur utilisation comme moyen de
communication ne permette aux Noirs captifs de fomenter la rébellion. »115 Le
beatbox est alors décrit comme issu d’une tradition de mimétique sonore et de
bruitage que la culture afro-américaine n’a cessé d’entretenir. Comme son nom
l’indique, c’est l’humain qui prime, la machine ne doit pas asservir mais doit être
utilisée à des fins créatives. C'est la raison pour laquelle certains beatboxeurs
affichent clairement, lors de concerts, l'absence d'effets pour éviter de mettre le
doute sur leurs capacités à reproduire, seulement avec leur voix, de multiples
sons. Mais il ne s’agit pas seulement de reproduire le plus fidèlement possible ses
sonorités, il faut dépasser la machine. À l’instar d’un joueur d’échec qui affronte
un ordinateur, le beatboxeur tient à se confronter à l’appareillage électronique et à
le surpasser. Mais les rapports entre l’homme et la machine sont paradoxaux, « la
rivalité avec la machine ne se limite pas à une simple relation de modèle à copie,
mais suggère plutôt une imbrication en abyme du machinal et de l’humain. » 116
Des artistes tels que Bobby McFerrin ou Razhel ont dû faire appel aux
compétences d’un ingénieur du son qui, par le biais de l’informatique et de divers
outils technologiques, est capable d’enregistrer, de superposer, de modifier la
matière sonore. Mais les possibilités qu’offrent ces procédés sont perçues comme
des moyens de parvenir à la mise en œuvre de la création artistique. Dans certains
115 BÉTHUNE Christian, « Le rap : une esthétique hors la loi », Paris, Éditions Autrement, 2003.116 Idem.
69
cas, la machine fait alors l’objet d’une appropriation, elle est utilisée pour étendre
les possibilités du beatboxeur sans jamais le remplacer. La « loopstation » est à
l’heure actuelle une des seules machines dont l’usage semble légitime.
« La loopstation ça me permet de rendre plus vivant le truc, d'aller chercher la musique... c'est de facto... moi je suis pas un gros showman, je peux donner l'énergie aux gens mais je suis pas Ricoloop, je suis pas David X, ça c'est des choses évidentes, et du coup j'ai besoin de quelque chose et du coup sur scène sans rien, pour moi c'est un exercice difficile... je peux taper la démo d'un quart d 'heure, y'a pas de soucis mais même au bout d'un quart d'heure moi-même je me serais fait chier... »117
Le beatboxeur devient ainsi compositeur grâce à l’enregistrement
multipiste. Cette technique facilite la création et l’orchestration d’un morceau ; le
beatboxeur peut se concentrer sur chaque élément rythmique, mélodique ou
harmonique. Le but n’est plus de produire simultanément différents sons mais de
composer à la manière d’un groupe de musique entier. « Ici, comme dans toute
forme de réalisation artistique, invention et exécution cohabitent et
s’accomplissent simultanément dans l’élan du geste créateur. »118 Armé de son
micro et de sa « loopstation » le beatboxeur est non seulement pluri-instrumentiste
vocal, mais il devient son propre chef d’orchestre. Cette technique du
« layering »119 est à l’origine même de la musique hip-hop, elle lui confère une
esthétique singulière que les beatboxeurs reproduisent à leur tour. Par ce biais, le
beatboxeur n’est plus considéré simplement comme un technicien, il se charge
d’ouvrir de nouveaux horizons, d’étendre la portée de ses performances en les
transformant en œuvre unique.
2. Une communauté de beatboxeurs
Genèse et définition
Les récentes possibilités offertes par internet ont permis la formation de
réseaux sociaux où les individus se réunissent autour d'une même pratique. Le
forum « beatboxfrance » fait partie de ces nouveaux usages de la technologie. Plus
qu'un simple lieu d'échange, il a posé les fondations de ce que les beatboxeurs ont
117 TIKO118 SHUSTERMAN, op. cit.119 Superposition d’échantillons.
70
appelé par la suite une communauté. Souvent isolés dans différents endroits de
l'hexagone, le forum leur a permis de communiquer entre eux en dehors de rares
évènements qui commençaient à s'organiser. L'objectif était de pouvoir rassembler
virtuellement, dans un premier temps, tous les beatboxeurs de France. Il faut
attendre le premier championnat à Angers pour que la quarantaine de beatboxeurs
présents déclare qu'ils forment une communauté. À l'heure actuelle, les
beatboxeurs déclarent qu'ils s'insèrent dans un mouvement global dans lequel des
communautés souvent nationales se sont constituées.
« C'est un mouvement... mais y'a la communauté aussi, c'est à dire que nous tous, on se voit pas mal de fois quand même, on est presque une famille, on se connait, on est sur les mêmes délires, on a l'impression qu'on est de la même famille parce qu'on a les mêmes gènes, on part de la même base et du coup cette communauté là, moi franchement gros big up parce qu'elle été bénéfique pour moi et je pense pour plein d'autres gens qui retrouvaient des repères là-dedans... »120
Pour Tönnies, la famille serait la forme la plus parfaite de communauté. Il
a défini la communauté comme « une masse indistincte et compacte qui n'est
capable que de mouvements d'ensemble, que ceux-ci soient dirigés par la masse
elle-même ou par un de ces éléments chargé de la représenter. »121 Selon le
sociologue et philosophe allemand, les membres d'une communauté sont unis
malgré toutes leurs différences et éprouvent en commun toutes leurs impressions.
Dans le cas de la communauté française de beatboxeurs, on peut parler d'une
« communauté d'occupation » où les individus sont réunis principalement par le
partage d'une même pratique.
« La différence avec le mot “communauté” c'est que là c'est une communauté choisie elle est pas une communauté ancienne avec des traditions, c'est une tradition qu'on invente et qui est artistiquement liée à une histoire avec des choses »122
Cette histoire, les beatboxeurs l'ont reconstituée en identifiant les différents
pionniers ou en consultant notamment un ethnomusicologue. La recherche des
racines de la discipline témoigne d'une construction identitaire. S'assurer des
origines de leur discipline leur permet de se revendiquer en tant que descendants
de diverses pratiques musicales souvent ancestrales.
120 OSLIM121 DURKHEIM Émile, « Commuanuté et société selon Tönnies », in Revue philosophique, 1889.122 Témoignage recueilli lors du premier championnat de France de beatbox à Angers en 2006.
71
Le partage d'une même pratique et de son histoire serait donc le liant entre
les membres de cette communauté. Mais si l'on part du postulat que le beatbox est
un jeu, on peut l'envisager d'une autre manière. Huizinga parle d’une
« communauté joueuse » qui reste liée même une fois le jeu terminé, ses membres
étant séduits par « le sentiment de vivre ensemble dans l’exception, de partager
ensemble une chose importante, de se séparer ensemble des autres et de se
soustraire aux normes générales. »123.Ce sont donc les nombreuses heures de
« jams », d'échanges de techniques, de débats collectifs qui soudent les individus,
les incitant à rester en contact même en dehors des rassemblements. La
soustraction aux normes générales dont l'historien parle s'observe aisément lors
des réunions. Du fait d'une importante interconnaissance, les beatboxeurs ont des
comportements qui pourraient surprendre en temps normal. Utiliser sa bouche
dans un autre but que parler ou chanter, qui sont des activités jugées normales,
expose les beatboxeurs au regard de l'autre. Prenons un exemple, en entendant un
groupe de beatboxeurs « jammer » dans un train, les réactions des voyageurs
peuvent aller de l'étonnement à la stupéfaction, de l'incompréhension au mépris ou
encore de l'indifférence à l'agacement. Souvent confrontés à des remarques par
rapport à leur pratique musicale qui peut parfois être perçue comme dérangeante,
on comprend la raison pour laquelle les beatboxeurs souhaitent se réunir entre
eux. Lors de leurs évènements, ils se libèrent des normes générales et peuvent
s'adonner sans entraves à leur mode d'expression favori.
« Le beatbox c'est un plaisir... tu te fais plaisir à toi, tu sens que ça fait plaisir aux gens comme quand je sens que je casse les couilles aux gens, j'arrête... je suis pas con, je ferme ma gueule... tu vois, souvent quand on beatboxe à plusieurs et que je vois que ça casse vraiment les couilles aux gens... sauf sur un événement beatbox, je m'en branle, les gens si ils en ont marre, ils n'ont qu'à pas être là. »124
Fonctionnement
Aujourd'hui, la musique a tendance à se loger de plus en plus dans la
sphère privée. L'usage massif de baladeurs Mp3 démontre cette privatisation de
l'écoute musicale qui conduit également à se soustraire d'un environnement.
Contrairement à ce phénomène, le beatbox engage les individus autant dans sa
123 Huizinga J., Homo ludens, essai sur la fonction sociale du jeu, NRF Gallimard, Paris, 1951.124 TIKO
72
pratique que dans son écoute. Le caractère spontané du beatbox entre en
opposition avec une rigidité des pratiques musicales occidentales. Cette forme de
résistance face à aux normes en matière de musique inciterait une fois de plus les
beatboxeurs à s'unir. On trouve effectivement une grande solidarité entre les
membres de la communauté qui n'hésitent pas à demander de l'aide sur le forum, à
faire du covoiturage pour se rendre sur les évènements, à se rendre des services...
« C'est sûr que tu peux pas connaître tout le monde, mais si tu sens que t'es uni, que c'est comme à la limite des cousins, c'est que bon... voilà en ce moment j'ai pas trop d'appart', mais aussitôt que j'ai un appart', le beatboxeur il vient, y'a pas de problèmes c'est un peu comme une petite famille... je me suis déjà retrouvé en galère à Marseille, c'est BARBOUZ qui m'a hébergé, ouais c'est un peu un truc qui nous lie... »125
Constituée à l'origine d'une quarantaine de beatboxeurs, la communauté
s'est depuis élargie et a intégré de nouvelles personnes. Il ne semble n'y avoir
aucune condition à remplir pour faire partie de ce groupe, mis à part la volonté de
partager.
« Chacun a sa place... on est tous différents mais chacun a sa place, y'a pas de
jugement social, d'où tu viens, qui t'es, peut-être un petit peu mais vite fait, c'est pas très important, ce qui compte c'est l'esprit, c'est ce que tu dégages, dans le beatbox, moi je vois ça comme ça, souvent ce que je ressens c'est quelqu'un qui a un bon esprit, qui aime partager, qui a pas de pudeur envers ses trucs, qui donnent, donc il reçoit forcément... »126
L'ouverture d'esprit dont font preuve les beatboxeurs permet à toutes les
personnes désireuses de prendre part aux évènements, de « jammer » ou encore de
débattre sans entraves. Une fois le pas franchi, les nouveaux arrivants sont
identifiés et dans le même temps intégrés au groupe. Le simple fait de se rendre
visible conduit à cette intégration.
« C'est une communauté qui s'agrandit à chaque événement, à chaque rencontre... c'est un truc personnel mais j'ai l'impression du coup... tu vois par rapport à ce qui s'est passé à la Chaufferie ces derniers jours... dans ma vision à moi, pour moi, que des mecs comme ZEPH ou JOOS, prennent part à la communauté comme ça, même si ils étaient déjà présents sur d'autres évènements, y'avait pas forcément une visibilité forte par rapport aux autres, alors après c'est super personnel, c'est parce que moi je les ai vus plus à ce moment là, mais je pense que la communauté elle grandit comme ça par la vision de chacun... de la vision de chacun, de connaître plus de gens... »127
125 MICLEE126 OSLIM127 EZRA
73
Même si les beatboxeurs éprouvent le désir de voir s'agrandir leur
communauté ils formulent tout de même des craintes quant aux conséquences que
cela pourrait avoir.
« De toute façon là la communauté elle s'agrandit à fond, y'a plein de gens, des petits jeunes qui arrivent de partout, qui font du beatbox, forcément je pense qu'on va pas toujours avoir ce même esprit-là… »128
Le nombre réduit de membres favorisent des échanges et des liens plus
étroits, lorsqu'il augmente il devient plus difficile d'être en relation avec
l'ensemble des personnes. Tönnies nous dit à ce propos « que la pénétration des
consciences que suppose la communauté n'est possible que dans des groupes peu
étendus, car c'est à cette condition qu'on peut se connaître assez intimement. »129
Les actuels membres craignent de voir les valeurs, qu'ils défendent, s'évaporer ou
détournées avec l'arrivée de personnes qui n'y accorderaient pas d'importance. La
cupidité ou l'égocentrisme sont deux comportements qu'ils redoutent de voir un
jour apparaître chez les pratiquants. C'est la raison pour laquelle certains
beatboxeurs accordent beaucoup d'importance à la transmission de leurs valeurs et
d'un état d'esprit « positif ».
« On a une forte responsabilité aujourd'hui en essayant de diffuser cette culture, cette discipline... parce qu'on risque de se faire manger par nos propres idéaux... ou par toutes ces initiatives, le fait de... on passe le mot à dix personnes, dix personnes le passent à dix et on est déjà dépassé, on est déjà dépassé sans avoir... je veux dire dans le sens où on a pas forcément bien transmis... aussi les valeurs qu'on veut véhiculer... »130
Organisateur du premier championnat de France, EZRA fait partie de ces
beatboxeurs « référents » qui, par leurs expériences et leurs initiatives, servent de
repères. Ils ont fait le choix de s'engager dans la structuration ou le développement
de la pratique au niveau national et c'est ainsi qu'ils se distinguent des autres
pratiquants. Il ne s'agit pas de dirigeants ou de meneurs mais de pratiquants qui
souhaitent s'investir complètement dans la vie de la discipline. En mettant en
contact les pratiquants, en organisant des rassemblements, en diffusant des
informations, ces personnes font preuve d'altruisme mais en cherchant tout de
même à laisser une trace de leurs travaux.
128 JOOS129 DURKHEIM É., op. cit.130 EZRA
74
Quand tu dis marquer l'histoire, tu penses à quoi ?
« Marquer l'histoire c'est qu'on sache que y'a Tiko, un beatboxeur qui a fait des trucs... vu que c'est quelque chose qui me passionne... quelqu'un qui a fait avancer la pédagogie, qui a aidé à la structuration, « c'est un des gars qui a permis au mouvement de se développer » si il arrive vraiment à se développer un jour... et après j'ai le double espoir d'arriver à le marquer artistiquement... j'ai pas la prétention de le faire mais j'aimerais le faire... »131
Suite à diverses réunions, ils ont décidé de former l'association BeatBox
France qui a pour but d'« animer le réseau français de beatbox, d'accompagner
l’organisation du championnat en garantissant sa légitimité, son intégrité et son
bon déroulement à travers l'écriture d'une charte, de garantir l'itinérance annuelle
de cet événement en coopération avec des structures relais au niveau local,
d'assurer le rayonnement local, régional, national, international du beatbox et
enfin,d'être une ressource à destination de tous les beatboxeurs et de toutes les
personnes intéressées par la discipline. »132 Ces résolutions prises pour poser un
cadre à la discipline ne sont pas de l'avis de tous les beatboxeurs.
« J'ai peur que y'est une fédération de beatbox, j'ai pas trop envie que ça aille jusque là parce que y'a forcément un gars qui va vouloir gérer le truc, y'a forcément... et c'est là que ça va commencer à créer des problèmes, des histoires entre les gens... alors que si on est tous ensemble, à la rigueur... ça sera mieux, dans un autre esprit déjà... »133
Ce témoignage s'accorde cependant avec les discours des beatboxeurs
« référents » qui souhaitent que les décisions soient prises en consultant au
préalable les membres de la communauté. Le refus d'un schéma hiérarchique
empêche les personnes de s'octroyer une certaine forme de pouvoir qui n'a pas lieu
d'être dans une communauté car selon Tönnies, « la vie du groupe n'est pas
l'œuvre des volontés individuelles, mais elle est tout entière dirigée par les
usages, les coutumes, les traditions. »134 Reste à savoir si ce processus
d'institutionalisation sera suivi par l'ensemble des pratiquants qui ont parfois des
difficultés à projeter leur pratique dans l'avenir.
131 TIKO132 Extrait des statuts de l'association133 MICLEE134 DURKHEIM É., op. cit.
75
3. Transmission
Buts et motivations
L'organisation du premier séminaire autours de la transmission du beatbox
est issue d'une volonté de la part des beatboxeurs d'échanger, de se former donc de
se professionnaliser dans ce domaine. La rencontre entre des « pédagogues » du
beatbox avec des musiciens intervenants a révélé de nombreuses similitudes dans
les objectifs qu'ils poursuivent. Les moyens d'y parvenir ont fait l'objet de
démonstrations et de discussions afin de permettre une découverte mutuelle. Cet
événement était, une fois de plus, un moyen pour les beatboxeurs de se nourrir d'
expériences et de savoir-faire variés. Toujours est-il que ces pratiquants ont une
manière singulière d'envisager leur discipline, synonyme selon eux de
développement personnel. Que ce soit dans leurs discours ou au sein de
documents qu'ils rédigent, les beatboxeurs-intervenants n'hésitent pas à mettre en
avant le potentiel du beatbox.
« Avant de commencer tous ces ateliers j'ai voulu poser des valeurs essentielles caractérisant le beatbox pour transmettre une pratique suivant une certaine éthique artistique. Le beatbox est une approche originale pour découvrir son appareil vocal constitué de la bouche, du nez, de la gorge, de la langue et bien sûr des cordes vocales. Il permet de se dépasser soi-même, de comprendre que nous sommes capables de beaucoup de choses qu'on ne soupçonne pas, de développer sa créativité, sa réflexion et sa concentration. Le beatbox parle d'humanité, il fait naître un esprit de partage, sa pratique en groupe permet de casser certaines barrières concernant le jugement d'autrui et de soi-même. »135
Les ateliers menés par les beatboxeurs leur permettent de commencer à
vivre de leur pratique même si ils n'ont aucun statut, si ce n'est celui d'animateur
socio-culturel. Nous avons vu que les personnes cherchaient à légitimer le beatbox
en le définissant, ce qui le rend plus accessible. Les ateliers menés dans diverses
structures vont dans ce sens. En proposant de le découvrir et de s’y initier, les
beatboxeurs visent sa diffusion et sa reconnaissance. Ils sont à la fois la « vitrine »
de la pratique mais aussi le vecteur de l’idée selon laquelle tous les individus sont
susceptibles de beatboxer. Cette conception universaliste laisse entendre une
opposition à un système qui laisserait de côté certaines personnes. Dans ce cas
précis, c’est sans conteste l’enseignement musical traditionnel qui est pointé du
135 Extrait du dossier de présentation des ateliers du beatboxeur-intervenant LOS
76
doigt. En enseignant le beatbox, les individus apportent donc une visibilité à un
mouvement artistique qui transmet des valeurs comme le partage.
Au sujet des motivations qui les incitent à entreprendre des ateliers, des
stages ou encore des concerts pédagogiques, elles sont également diverses.
« Y'a pas mal de différentes choses... une des premières choses... je trouve pas le mot mais bref... c'est d'aller rencontrer des gens que j'ai pas l'occasion de voir tous les jours, de voir des enfants ou un tas de publics, les prisons, les hôpitaux... j'adore faire des ateliers, je pense en grosse partie par le fait d'aller à la rencontre de gens que j'ai pas l'occasion de rencontrer dans ma vie de tous les jours ou avec lesquels je prends pas le temps de discuter en tout cas, ça c'est un truc fort... le deuxième qui pour moi est à égalité, c'est le fait de transmettre cette discipline qui pour moi est un pouvoir magique, social et de développement personnel et musical et tout ça quoi... transmettre ce que c'est une... le troisième point qui est important aussi, il est économique... ça reste le troisième quand même parce que je fais pas mal d'ateliers sans qu'il y ait de sous aussi mais ça a été aussi à un moment donné un moyen de compléter la scène et de pouvoir vivre du truc complètement... »136
Avec l'expérience, les beatboxeurs ont pris conscience de ce que la
pratique, dont ils sont les ambassadeurs, peut produire. À travers les valeurs qu'ils
véhiculent et ses valeurs intrinsèques, le beatbox est alors perçu comme un moyen
de parvenir à une ouverture sur soi et sur les autres. La préparation à des
compétitions n'est pas ici la priorité des beatboxeurs-intervenants.
Tu verrais des cours particuliers ou collectifs à l'année, du genre deux heures par semaine ?
« Oui, oui mais par contre dans l'idée où on ne se contente pas du beatbox et genre dire : “voilà ce cours il va être pour que tous les gens, tous les minots, ils aillent faire un battle”, dans cet esprit là non... mais par contre justement s'ouvrir à plein de choses dont la musique, le côté théâtre, le côté articulation, travail du corps, connaissance du corps, connaissance vocale... imitation... donc musique, savoir jouer en groupe,savoir écouter... et connaissance musicale, en profiter pour écouter des choses aussi, écouter de la musique... tout ce que j'ai pu avoir dans mon parcours qui me font arriver là, je pense qu'y'a vraiment plein de choses à apprendre et de multiples cours à faire en partant d'une base beatbox mais seulement... »137
Enfin, transmettre une pratique et la voir vivre à travers des « élèves » qui
attrapent le « virus beatbox » est également une source de fierté pour les
« maîtres ». LOS n'hésite pas dans son dossier de présentation à faire part de
l'histoire d'un groupe de quatre adolescents qu'il a suivi durant un an. Les « Pillar
Box Sounds » se sont ainsi présentés au deuxième championnat de France de
beatbox pour le plus grand plaisir de leur « formateur ».
136 EZRA137 JOOS
77
78
79
Lors de stages, l'écriture de rythmes devient un moyen de transmettre le beatbox.
Grenoble, 10 avril 2008Photographie : R. Martino
80
Pédagogie
La poignée de beatboxeurs-intervenants fait appel, pour transmettre le
beatbox, à des méthodes variées qui instaurent un rapport enseignant/enseigné
alternatif. Ces « pédagogues » du beatbox reproduisent la manière avec laquelle
ils ont eux-mêmes appris : par mimétisme. Pour ce faire, ils dressent généralement
en début de séance la liste des sons les plus utilisés en laissant les personnes
s’exercer. Ces différents sons sont ensuite placés dans des rythmes simples.
« L’objectif c’est de s’amuser, on a pas dix ans de musique derrière
nous... »138 Cette phrase montre non seulement le décalage avec l'enseignement
traditionnel de la musique mais aussi, une fois de plus, que le jeu tient un rôle
important. On observe ainsi des exercices sous formes d'activités ludiques que
l’on peut retrouver dans des pédagogies propres à d’autres disciplines. Certains
beatboxeurs-intervenants ont développé leurs propres exercices, en essayant par
exemple d'imager un rythme en le proposant sous la forme d'une comptine. En
pratique, l’initiation au beatbox semble à mi-chemin entre l’enseignement du
théâtre qui met en scène le corps et celui du chant qui fait appel à des techniques
de respiration, de placements de la voix ou de rythmes. Des méthodes sont ainsi
adaptées à la transmission du beatbox pour transmettre des contenus pédagogiques
originaux.
« Je suis très axé sur le jeu quoi... je suis un fervent adepte de François Delalande et tous ces mecs là qui ont écrit des choses sur l'enfant et le jeu... et je suis un grand adepte de la... ce qu'on appelle la pédagogie active, qui va mettre en action les gens et qui va sortir les trucs des gens et c'est pas “je te montre et tu fais pareil”, c'est “y'a des trucs de possibles, faites voir vous comment ça peut sortir...” et clac-clac, y'a des trucs qui sortent d'eux, je fonctionne vachement comme ça parce que c'est comme ça que j'ai appris la musique, je sais pas la lire la musique et je sais que dès qu'on commence à chercher les notes, ça me saoule, j'arrive pas et c'est pour ça que je suis plus à l'aise à faire des ateliers avec des enfants... c'est vachement sur la transmission, sur l'écoute, sur le jeu, “vas-y faut jouer, on s'amuse”, c'est comme ça que ça fonctionne, mais si j'ai deux mecs qui arrivent et qui m'ouvrent leurs livres de partoches et qui me disent : “bon ben je veux apprendre la guitare” et ben je leur dirai “je peux pas, c'est pas mon truc, il faut aller voir quelqu'un d'autre”… »
Même s'ils s'inspirent de diverses méthodes, les beatboxeurs-intervenants
possèdent une approche très intuitive et très sensitive lors d'ateliers. Ils ont
d'immenses capacités à s'adapter en fonction des publics auxquels ils ont à faire et
cherchent souvent à rompre avec l'idée d'un professeur qui dicte la voie à suivre.
138 Entendu lors d’un atelier de beatbox.
81
Outils
« Bonjour, je commence dans le beatbox et je voudrais savoir ce qu’il faut faire au début et savoir quels sont les sons de base merci et si vous pouvez envoyez-moi des vidéos qui pourraient m’aider. »
« Bonjour, as-tu déjà visité les tutoriaux du forum, l'ami ? »139
Les tutoriaux sont des outils pédagogiques qui permettent aux personnes
d’apprendre en autonomie. Ils se sont diffusés avec l’avènement d’internet qui
grâce à cela possède aujourd’hui un rôle didactique. Au sein du forum, la rubrique
des tutoriaux comporte essentiellement des documents rédigés par un dénommé
Foudou qui a pris en charge leur rédaction. Il a ainsi établi progressivement une
base de données concernant le beatbox et ses techniques. En voici un exemple
intitulé « Binaire et ternaire pour les nuls »140 :
Le beatbox étant un instrument rythmique (beat = rythme), la compréhension du rythme est vitale pour pouvoir avancer, elle peut se faire par la simple écoute/reproduction, mais on est en général assez vite bloqué soit par le côté répétitif des rythmiques qu’on entend, soit par un manque technique lié à une absence de compréhension. Même si c’est bref l’objectif est ici de donner des bases pour comprendre ce que vous ferez par la suite.
Il existe des rythme à deux temps (les 3⁄4 de la musique actuelle) ou à trois temps (comme le jazz, la musique africaine, le blues, etc...), ainsi un rythme binaire se base sur un compte 1234, un rythme ternaire 123. La sensation entre les deux est différente à l’écoute, et il faut savoir les distinguer. En général on peut se débrouiller assez facilement car la sensation trompe rarement, mais il est nécessaire de bien être capable de faire l’un et l’autre car nombre de musique du hiphop à la funk nécessite de savoir jouer des deux, un truc entre les deux, une sorte de subtilité qui permet au rythme de groover. Pour exemple la fonction « swing » de nombreuses boites à rythmes (MPC et autres) ne fait que ça : mettre un peu de ternaire dans du binaire. Ne serait-ce que pour placer les fameux roulements en ternaire que tous le monde apprécie.
Un rythme ternaire
1 2 3 /1 2 3 /1 2 3 /1 2 3B t t /Pf t t /B t t /Pf t t
Un rythme binaire
1 2 3 4 / 1 2 3 4/ 1 2 3 4/ 1 2 3 4B t t t / Pf t t t / t t B t /Pf t B t
L’écriture des rythmes est comparable à celle des tablatures utilisées par
les guitaristes. Ce système d’écriture de la musique est une alternative aux
139 Échange entre deux utilisateurs du forum « beatboxfrance »140 Issu du forum « beatboxfrance »
82
partitions traditionnelles, il n’est pas nécessaire de connaître le solfège. Il existe
depuis les débuts de la transcription musicale et s’est, une fois de plus, répandu
grâce à Internet qui compte de nombreuses pages contenant des tablatures. Si les
partitions ont pris le dessus, c’est parce qu’elle sont universelles, elles sont
adaptées à tous les instruments. En revanche, la tablature possède des spécificités
en fonction de l’instrument auquel elle est dédiée ce qui explique la méthode
employée par les beatboxeurs pour écrire les rythmes. Ils ont créé un moyen
d’écrire les rythmes en traduisant les différents sons en onomatopées qui
s’enchaînent. Il n’existe pas encore un « langage » unique, chaque beatboxeur a le
sien, mais il est tout de même capable de comprendre celui d’un autre. Certains
beatboxeurs sont prêts à travailler sur l’élaboration d’un système basé sur des
symboles phonétiques dans un souci de précision et pour permettre d’orchestrer
un ensemble de beatboxeurs. Ce désir s’inscrit également dans un processus de
rationalisation de la pratique.
Les tutoriaux délivrent de nombreuses informations, ils se veulent
descriptifs et didactiques. Ils sont souvent organisés en fonction de leur difficulté
ce qui fait apparaître la notion de niveau. Ils permettent l’autoévaluation des
personnes qui peuvent ainsi constater leur progression dans l’apprentissage. En
dévoilant les différentes techniques, l’auteur du tutoriel est amené à rendre
intelligibles ces explications. Il doit formaliser un savoir-faire et des
connaissances qui jusque-là se transmettaient oralement. Il est en de même pour
les textes qui visent à présenter et à définir la pratique. On peut citer un travail
réalisé par un beatboxeur qui vise à justifier le genre du mot « beatbox » en tant
que pratique (Cf. annexes). En la décrivant, les beatboxeurs contribuent à
l’élaboration d’une mémoire collective. Ces écrits montrent la volonté de posséder
un patrimoine fait de références communes. Même si les tutoriaux sont
principalement destinés aux personnes qui souhaitent apprendre, ils restent
cependant les témoins du développement de la pratique. Il s'agit ici aussi d'une
forme de mutualisation des savoirs où chacun peut apporter sa pierre à l'édifice.
Dans l'optique de partager simplement, on trouve sur internet des beatboxeurs qui
décortiquent des rythmes ou dévoilent des techniques particulières. En rendant
plus compréhensible les rythmes, en cherchant à révéler les moindres secrets les
beatboxeurs rentre définitivement dans une logique d'ouverture et de partage.
83
4. Institutions culturelles et médias
Un bref exposé des politiques publiques menées pour soutenir les
musiques actuelles nous permettra ensuite de comprendre les rapports que le
beatbox entretient avec les institutions culturelles qui en dépendent. Dans un
second temps nous verrons comment se positionnent les beatboxeurs vis-à-vis des
médias qui ont participé à faire découvrir leur pratique.
Les politiques en faveur de musiques actuelles et du hip-hop
L’esthétique du beatbox s’inscrit dans le champ des musiques actuelles de
par son aspect « non académique », dominé socialement, urbain, ou encore du fait
de ses origines populaires. L’expression « musiques actuelles » a fait son
apparition dans les années 90 pour regrouper sous une même appellation les
différents courants et styles musicaux de notre époque. C’est aussi un secteur
économique qui se caractérise par des logiques différentes dans la production de
la musique qui vont du label indépendant à la « major company »141. Sachant que
seulement quatre multinationales dominent 70 % du marché de la musique, l’aide
des pouvoirs publics devient nécessaire pour protéger la création des contraintes
économiques. Les professionnels des musiques actuelles se sont donc mobilisés
pour obtenir une véritable reconnaissance et une prise en compte de ces pratiques
dans les politiques publiques. En septembre 1998, le rapport de la commission
nationale des musiques actuelles créée par Catherine Trautman, Ministre de la
Culture, marque un temps fort dans la reconnaissance institutionnelle du secteur,
notamment à travers le programme de soutien aux scènes de musiques actuelles
(SMAC) initié par l’État. Au nom de la « diversité culturelle », les politiques
nationales et territoriales en faveur des musiques actuelles visent à développer et
soutenir la création, la formation et la diffusion des musiques actuelles. Il s’agit
également de favoriser les pratiques artistiques amateurs et de veiller à
l’indépendance de la production musicale. La création d’un Conseil Supérieur des
Musiques Actuelles et des Concertations Territoriales a pour but de fournir aux
décideurs politiques des outils de compréhension du secteur des musiques
actuelles. Les politiques culturelles deviennent des missions de service public
141 Grandes sociétés d’édition de disques.
84
coordonnées entre l’État, les professionnels, et les collectivités territoriales. Un
phénomène de déconcentration des moyens de l’État donne un rôle prépondérant à
ces collectivités qui sont alors chargées de la majorité des affaires culturelles.
Quant au hip-hop, il a fait l'objet de politiques culturelles spécifiques. Il a souvent
été intégré dans les politiques de la ville car il était considéré comme un moyen
d'action sur la jeunesse des banlieues.
Le beatbox dans l’institution : effets et enjeux
Dans la lignée des politiques que nous venons de décrire, le beatbox s’est
vu intégré dans des projets d’actions culturelles et dans une logique de soutien aux
pratiques émergentes. Dès lors, on peut constater le rôle des dispositifs comme La
Chaufferie ou La Vapeur dans la prise en compte des formes d’expressions
artistiques mineures. Que ce soit pour animer des ateliers ou pour donner des
concerts, certains beatboxeurs commencent à percevoir des rémunérations. Leur
professionnalisation est à l’origine, comme nous l’avons vu précédemment, de la
mise en place d’une pédagogie particulière mais surtout d’une création artistique
approfondie. Pour se produire sur scène, les rares beatboxeurs qui se positionnent
en tant qu’artistes doivent être en mesure de répondre aux exigences de leurs
« employeurs ».
« Si on veut vraiment tourner, il va falloir faire autre chose que de la démo. La connaissance et la reconnaissance passe par le fait d’aller vers l’artistique, si t’es capable de faire danser les gens ou de leur faire écarquiller les yeux, là tu peux trouver des dates que tu fasses du beatbox ou n’importe quoi. »142
Un savoir faire supplémentaire est donc requis pour entrer dans une
logique professionnelle. Par exemple, pour construire un répertoire et améliorer
les qualités scéniques de son spectacle musical, le beatboxeur EZRA a fait appel à
différents professionnels comme un metteur en scène, un ingénieur lumière ou
encore un tourneur. En appliquant ces modèles d’organisation, le beatbox devient
« un monde de l’art »143 où l’artiste est entouré des personnes qui participent à la
création et la diffusion de ses œuvres. En prenant exemple sur le passé, les adeptes
du beatbox émettent tout de même des réserves quant aux relations établies entre
142 Témoignage recueilli lors du premier championnat de France de beatbox à Angers en 2006.143 Définit par Becker H.S. dans Les mondes de l’art, Paris, Flammarion, 2006.
85
le beatbox et les institutions culturelles. Le cas de la danse hip-hop dans les
années 80 fait figure de référence, sa reconnaissance par le champ chorégraphique
et les projets d’action culturelle menés auprès de publics censés « réceptifs » n’ont
pas fait l’unanimité.
Par rapport aux institutions tu penses qu'il y a danger ou pas ? Par exemple comme pour la danse...
« Ouais !... (silence) Ouais notamment, depuis quelques mois, ils ont commencé à essayer de créer un DE, un diplôme d'état pour les professeurs de danse hip-hop, or les professeurs de danse hip-hop depuis un paquet de temps, c'est des gens qui à la base sont des pratiquants qui se sont développés par eux-mêmes comme ce qu'on est en train de faire en beatbox aujourd'hui... et qui sont extra-compétents mais à un moment donné, l'état a commencé à dire : “bon il va falloir donné un cadre à ça” et c'est eux-mêmes, sans consulter les acteurs qui ont commencé à fixer les règles de ça et à partir de là, ne peuvent être enseignants de danse, que ceux qui ont le diplôme d'état... or, c'est pas la réalité des acteurs et de certains des meilleurs enseignants de danse hip-hop qui pourtant n'ont parfois pas le bac... mais qui sont très très fort, et socialement, et pédagogiquement, et dans plein de trucs... du coup ça peut nous arriver avec le beatbox aujourd'hui aussi, on a la grosse chance aujourd'hui, en tout cas en France, de déjà se poser ces questions là alors que s'est en train d'exploser... »144
De peur que le beatbox soit détourné ou instrumentalisé, la pratique ne
souhaite pas uniquement se développer au sein des institutions. Les beatboxeurs
sont conscients des pièges à éviter pour conserver une certaine indépendance et
cherchent à conserver leurs réseaux informels. La situation du beatbox est donc
paradoxale, il se dirige vers une reconnaissance du beatbox dans le cadre des
politiques publiques en faveur des musiques actuelles, mais il ne souhaite pas
perdre ce qui fait son identité, celle d’une pratique musicale « underground » issue
d’une culture jugée marginale. Les beatboxeurs élaborent des stratégies qui leur
permettent de profiter des services d'institutions culturelles sans pour autant se
plier à toutes leurs exigences.
« Faut s'infiltrer, faut pas vendre ses fesses, faut toujours rester intègre... Je pense que c'est une bonne chose, par ce que l'art de rue a sa place dans la rue, il faut que l'art de rue reste dans la rue mais je pense que quelque part l'art de rue mérite de sortir de la rue, mérite d'être reconnu comme le graff, comme la danse... pour moi la danse elle est dans la rue mais elle sortie de la rue... c'est le coeur même de la discipline, de toute discipline du hip-hop, après c'est beau de voir que certaines figures du hip-hop arrivent à sortir de ce truc là, ils restent hip-hop mais voilà, ils donnent des cours au conservatoire... t'imagines le truc, c'est génial, le mec il vient de la rue, il donne des cours au conservatoire, c'est magnifique, c'est une espèce de victoire sur la ségrégation, on t'écoute, on t'observe, alors que y'a dix ans on prenait pour un fou, je faisais des « pouet-pouet »... une bonne revanche sur la loi du sort... »145
144 EZRA
86
Le beatbox a fait le choix de se structurer lui-même en prenant appui sur
une communauté de pratiquants qui procèdent ainsi à une gestion interne de ces
questions. Beatbox France est la première instance officielle qui a cette vocation.
Beatbox et médias
La question du rôle des médias a été à plusieurs reprises soulevée à la suite
d'un événement particulier : l'apparition d'un beatboxeur sur le plateau d'une
émission musicale d'une grande chaîne de télévision. En 2007, Joseph alias
POOLPO, originaire de Sète est auditionné par le jury de l'émission de télé-réalité
la Nouvelle Star, diffusée sur M6. Il disparaît assez rapidement des écrans de
télévision mais sa vidéo est déposée sur internet et obtient un véritable succès. Sa
prestation fait l'objet de vives réactions de la part des membres de la communauté
française de beatbox qui accusent ce pratiquant méconnu de plagiat et dénigre
ainsi sa démonstration. Les beatboxeurs souhaitent se mesurer à lui durant le
championnat de France de Dijon mais il refuse et fait preuve lui aussi de mépris.
Un an plus tard, il se présente au championnat de Montpellier et, comme nous
l'avons vu, suscite de nouveau des commentaires. Ces évènements ont révélé des
avis tranchés sur les rapports que doit entretenir la pratique avec les médias.
« Médias et beatbox... ça peut pas forcément faire un mauvais ménage... sachant que d'une manière plus générale, je suis pas dans la dualité commercial/pas commercial, tu vois par exemple pour moi un groupe comme le Saïan Supa Crew qui est un groupe commercial et ben c'était très bien qu'ils fassent leur musique et j'ai kiffé... contrairement à d'autres qui sont des produits marketés qui me cassent les couilles... c'est la même logique beatbox et médias, après si un beatboxeur va faire ce que POOLPO a fait et que derrière il se laisse pas embarquer par tout le truc, j'y vois aucune objection, j'aurai de toute manière rien à dire quoi qu'il arrive... mais c'est des coups de projecteurs qui sont donnés sur une pratique donc ça me fait kiffé... après c'est vrai qu'il faut faire attention, j'estime que si l'artiste est pleinement conscient de ce qu'il fait et qu'il assume et qu'il gère bien son truc, tu vois qu'il garde une éthique forte, et ben il peut faire ce qu'il veut, moi je m'en bas les reins... c'est pas un souci du moment qu'il est capable d'expliquer... »146
Les médias ne sont pas, pour la plupart, diabolisés et parfois bien au
contraire, ils peuvent permettre de faire découvrir la pratique au plus grand
nombre. Une seul condition semble nécessaire, les médias ne doivent pas altérer
l'éthique de la pratique. Les beatboxeurs ne cherchent pas non plus à s'insérer
145 OSLIM146 TIKO
87
totalement dans une économie marchande régie uniquement par l'argent.
« Il suffit à un moment donné qu'il y ait une mise sous les projecteurs de la discipline qui soit très médiatisée et avec... et avec une mauvaise énergie et... et puis les histoires de business... au niveau des pratiquants, le fait de se rendre compte... qu'on peut vivre de ça, qu'on peut faire que du beatbox... et puis simplement d'en vivre sans trop réfléchir à ce que ça implique pour soi, pour les autres, pour les valeurs de ce truc là... ouais, y'a des dangers qui sont liés forcément un peu aux thunes mais comme dans tout en fait... »
Si un jour on voit un beatboxeur millionnaire qui sert de référence, c'est là où ça peut être dangereux...
« Qu'il soit millionnaire c'est pas grave.. (rires) mais qu'il ne véhicule pas des valeurs positives ça peut être grave... »147
Une fois de plus, les beatboxeurs prêtent une attention particulière aux
valeurs qu'ils défendent. Ajouter un intermédiaire entre eux et le public peut
conduire à la déformation ou la disparition de ces valeurs. Ils préfèrent maîtriser
leur image en gérant eux-mêmes les moyens de communication susceptibles de
faire connaître et de diffuser la pratique. Internet en est le plus bel exemple, les
beatboxeurs déposent des vidéos qui leur correspondent et les présentent sous leur
meilleur jour. Ils sont donc leurs propres médias et ne cherchent pas à devenir des
stars.
147 EZRA
88
Conclusion
Au terme de cette étude qui témoigne de deux années d'enquête et de
recherches sur le human beatbox, se situe dans une époque où d’autres pratiques
telle que le slam148qui, de la même manière, s’inspire de formes préexistantes pour
en constituer une inédite. C'est la raison pour laquelle il était important de
préciser, dans un premier temps, qu’il s’agit d’une discipline née dans les années
80 aux États-Unis, dans un contexte social et économique particulier et au sein du
mouvement culturel qui lui a conféré une esthétique singulière. Dans une seconde
partie, la description des différents terrains explorés a permis de peindre le portrait
de la discipline. Nous avons pu observer la prépondérance de l’Internet dans la
fédération d’une communauté faite de beatboxeurs de plus en plus nombreux. Par
l’usage de la photographie, il a été possible de rendre compte de certaines
caractéristiques « visibles » qui font du beatbox une forme d’expression musicale
et corporelle singulière. En leur laissant la parole, le but était d'observer les
parcours des beatboxeurs qui sont amené à se familiariser avec la discipline en
échangent avec les autres pratiquants avant de se forger une identité. Marqué par
le jeu et fondé sur la notion de partage, le beatbox réunit les individus qui
s'entendent sur des idées similaires. Selon eux, le beatbox peut être un formidable
catalyseur d'une véritable démocratisation de la pratique musicale, à condition que
les individus soient au centre de la pratique qui, par essence est humaine et se
transmet de bouche à oreille...
148 Littéralement « claque », le slam est défini comme un art d’expression populaire oral et déclamatoire. Cette pratique est également née dans les années 80 à New-York. Les individus peuvent ainsi s’exprimer librement sur des scènes ouvertes en proposant à un public et parfois un jury des textes de leurs compositions. Nous développerons au fil de cette étude les points communs que possèdent le slam et le beatbox.
89
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Sitographie
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www.beatbox.tv
www.beatboxcontest.fr
www.humanbeatbox.fr
www.beatboxfrance.tk
www.arteradio.com
www.beatboxconvention.com
www.humanbeatbox.com/history
http//:classicalbeatboxproject.blogspot.com
www.beatboxbattle.net
www.beatbox.be
www.beat-box.fr
www.youtube.fr et www.dailymotion.fr
Lexique
– B.Boy : ou Breaker Boy, qui pratique la breakdance mais il désigne aussi un membre de la culture hip-hop.
– Blaze : pseudonyme choisi par un membre de la culture hip-hop.
– Beat : littéralement « battre », d'où l'expression battre la mesure, s'emploie généralement au sens de rythme.
– Battle : littéralement « bataille », s'apparente à l'idée de joute, d'affrontement ou de duel, chaque discipline du hip-hop a ses « battles » où le défi et la confrontation sont essentiels
– Cover : reprise d'un morceau de musique.
– Crew : littéralement « équipe », regroupement par affinité de plusieurs personnes.
– DJ : ou Disc Jockey, personne qui sélectionne et diffuse de la musique lors de soirées ou à la radio, il brille par ses aptitudes à mixer ou scratcher.
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– Jam-session : moment d'improvisation libre pour plusieurs musiciens.
– Loopstation : appareil électronique, sous forme de pédalier, qui permet d'enregistrer et de superposer des boucles musicales en direct.
– MC : Maître de cérémonie, « Mic controller », l'abréviation est employée à la fois pour celui qui anime un événement hip-hop et pour désigner un rappeur.
– Post : message déposé sur le forum.
– Sampler : échantillonneur, instrument de musique électronique capable d'enregistrer, d'échantillonner des sons (échantillons ou samples) et de les rejouer en boucle.
– Scratch : littéralement « rayer », le « scratching » est une technique employée par les DJ's qui consiste à faire des va-et-vients sur un disque vynile en lecture. Le son caractéristique de cet effet est reproduit vocalement par les beatboxeurs.
– Sound-system : nom donné à une fête ou un rassemblement musical hip-hop.
– Topic : thème de discussions qui regroupe les messages.
– Underground : Littéralement « souterrain ». Terme utilisé à partir des années 60 pour définir un mouvement culturel alternatif, en marge de la société.
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Annexes
• Liste de sons établie par LOS, beatboxeur-intervenant
KICK / GROSSE CAISSE
P : pression des lèvres et ouverture de la gorge
B : lèvres à l’intérieur expulsées
Ob : pied techno gorge
On : pied nez sortant de la gorge
D : langue sous lèvre supérieure expulsée
HIHAT / CHARLEY CYMBALE
TS : prononcer ts avec un sourire pour un son aigue
NS : décoller la langue du palet (sans respirer)
NHS : décoller la langue du palet en inspirant un S
BOUS : bout de langue sur dent du bas, dent du haut sur langue,s ouffler,et B en
même temps
AHH : bouche grande ouverte, presser les cordes vocales et expulser un ahhhh
GONG : fermer la bouche et souffler dans le nez en compressant les cordes
vocales.
SNARE / CAISSE CLAIRE
ICH : prononcer ICH en poussant sur la gorge
KL : prononcer KLA enserrant un peu les dents.
PF : faire une grosse caisse en même temps que ffffff
K : prononcer K un coup sec
KI : comme pour appeler un animal, décoller la langue des dents sur le coté
KH : positionner la langue sur les dents du haut sur un coté, aspirer en décollant
la langue
TCH : pression de la langue sur le palet en TISH
UF : ouverture sèche des cordes vocales, en inspirant la bouche en U
TUS : langue sous lèvre supérieure expulsée avec un S
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• Article rédigé par Jefferson, beatboxeur et membre du forum
Human beatbox… Quel genre devons-nous donner à ce mot en français ? Féminin, masculin ? Devons-nous dire : « le (human) beatbox » ou « la (human) beatbox » ? Le terme beatbox (ou human beatbox) vient de l´anglais, et dans cette langue les noms communs n´ont ni de marque de féminin, ni de masculin, ni de neutre dans leurs déterminants contrairement au français où c´est le cas. Alors, comment connaître son genre ? Un petit rappel sur la grammaire anglaise s´impose… Les mots ont quand même un genre en anglais malgré qu´il ne soit pas présent dans les déterminants ! En effet, il existe sous d´autres formes… Tout d´abord, les anglais précisent parfois le sexe de la manière suivante : un étudiant se dit « a male student », une étudiante « a female student ». Il existe aussi woman doctor voire même lady doctor pour l´équivalent de notre « doctoresse ». Ensuite, la marque du genre se trouve quelques fois dans les noms eux-mêmes quand il existe des termes spécifiques pour chaque sexe (parfois c´est un autre mot, parfois c´est juste le suffixe qui change). Par exemple un chien se traduit en anglais par a dog et une chienne par a bitch (non ce n´est pas qu´une insulte…). Mais il est possible d´employer aussi a male dog pour le masculin et a female dog pour le féminin comme nous l´avons vu précédemment. […] Que faut-il en déduire ? Sur ces 5 mots il n´y en a donc aucun dans le dictionnaire qui soit présent à la fois sous sa forme longue et sous sa forme abrégée. De la même façon que pour breakdancing, skating, et skateboarding il conviendrait donc de ne plus utiliser « beatboxing » car il est moins utilisé que sa forme abrégé « beatbox ». Néanmoins, nous l´avons vu, son usage est toléré car il permet de faire une distinction entre l´art et le morceau de musique. De plus, comme je l'ai déjà dit le beatbox c´est quelque chose d´exceptionnel, il fera donc partie des exceptions une fois de plus ! Utilisez human beatboxing, human beatbox, beatboxing, beatbox, qu´importe !
[…] Conclusion Human beatbox ou tout simplement beatbox, beatboxing, beatboxer (le verbe), beatboxeur, beatboxeuse, tutorial, tutoriaux, mail… Ces termes rentreront-ils un jour dans les dictionnaires étant donné qu´ils sont de plus en plus utilisés dans le langage courant ? Après tout c´est arrivé à « kiffer, keum, meuf, SMS, et même rappeur et rappeuse » présents dans la plupart des dictionnaires dans leur édition 2007 (Larousse, Robert, etc.) alors à quand leur tour ? Nul ne le sait… La seule chose qui est sûre c´est qu´en attendant le débat sur leur utilisation reste ouvert…
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• Programmes des évènements beatbox
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