Le beatbox et ses pratiquants

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LE HUMAN BEATBOX ET SES PRATIQUANTS Robin MARTINO Master 2 Recherche en Sociologie Spécialité Art, culture et médiations techniques 2008-2009 Sous la direction de Catherine DUTHEIL et de Philippe TEILLET

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LE HUMAN BEATBOX

ET SES PRATIQUANTS

Robin MARTINO

Master 2 Recherche en Sociologie

Spécialité Art, culture et médiations techniques

2008-2009

Sous la direction de

Catherine DUTHEIL et de Philippe TEILLET

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Table des matières

Introduction...............................................................................5

I.LE HIP-HOP ET SES DISCIPLINES.......................................9

1.Afrika Bambaataa et la Zulu Nation.................................................. 9

2.Les disciplines, leurs influences et leurs représentants...................10

Le rap....................................................................................................... 10

Le djing ....................................................................................................11

La danse................................................................................................... 11

Le graff.....................................................................................................12

3.Le human beatbox, définition et histoire..........................................13

II.MÉTHODOLOGIE................................................................. 17

1.L'observation participante ............................................................... 17

2.Internet : une source d’information et de matériel ........................18

3.La photographie comme outil d’analyse socio-anthropologique.....18

Démarche photographique ...................................................................... 19

Choix, présentation et organisation des photographies...........................20

Place de la photographie dans la recherche............................................21

4.S'entretenir avec les beatboxeurs.....................................................22

III.TERRAINS.......................................................................... 23

1.Les évènements liés à la pratique.....................................................23

Le Human Beatbox Festival 2007 et le championnat de France de

beatbox..................................................................................................... 23

La convention internationale de beatbox à Berlin .................................26

La Chaufferie, lieu de musiques actuelles...............................................30

Un atelier d'initiation au Conservatoire de Grenoble..............................32

Le troisième championnat de France de human beatbox à Montpellier.33

Les rencontres sur la pédagogie du beatbox à La Chaufferie.................36

La deuxième édition du Human Beatbox Festival de Dijon....................37

2.Des lieux virtuels pour de réels échanges ....................................... 38

Le forum « beatboxfrance », un lieu fédérateur et d’échanges..............38

2

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Les sites de mise en ligne de vidéos........................................................ 41

3.Les beatboxeurs interviewés ...........................................................42

IV.UN ART LUDIQUE ET UNIVERSEL....................................46

1.Le beatbox est un jeu ....................................................................... 46

2.« C'est humain de s'exprimer »........................................................53

V.COMMENT DEVIENT-ON BEATBOXEUR ?..........................54

1.Des origines et des trajectoires plurielles........................................54

2.Découverte et apprentissage ............................................................55

3.Des valeurs défendues....................................................................... 61

VI.LE BEATBOX ET SES PROBLÈMATIQUES........................64

1.Technique vs artistique......................................................................64

Battle vs concert.......................................................................................64

Technicien vs musicien............................................................................. 67

Homme vs machine.................................................................................. 68

2.Une communauté de beatboxeurs ....................................................70

Genèse et définition ................................................................................ 70

Fonctionnement........................................................................................ 72

3.Transmission.......................................................................................76

Buts et motivations...................................................................................76

Pédagogie ................................................................................................81

Outils.........................................................................................................82

4.Institutions culturelles et médias......................................................84

Les politiques en faveur de musiques actuelles et du hip-hop.................84

Le beatbox dans l’institution : effets et enjeux .......................................85

Beatbox et médias....................................................................................87

Conclusion................................................................................89

Bibliographie............................................................................ 90

Sitographie...............................................................................92

Lexique.....................................................................................92

Annexes....................................................................................94

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« Le corps est le premier et le plus naturel instrument de l’homme. »

Marcel Mauss, « Notion de technique du corps ».1

1 Mauss M., « Notion de technique du corps », in Sociologie et anthropologie, Paris, Presses Universitaires de France, 1950.

4

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Introduction

La musique dans les sociétés contemporaines est marquée par des

révolutions technologiques et culturelles qui n’ont cessé de la rendre

omniprésente. Cette démocratisation de l'écoute s’appuie sur des avancées

techniques comme le Compact Disc, le format Mp3 mais aussi sur des genres

musicaux qui ont touché des populations de plus en plus larges. On parle

aujourd’hui de culture de masse se manifestant dans la musique « pop »2 relayée

par les médias à des fins commerciales. Cela laisse à penser quant à la qualité de

ces produits de consommation courante conçus par les producteurs des grandes

maisons de disques. Parallèlement, des mouvements culturels voient le jour et se

positionnent contre ce phénomène d’industrialisation de la musique en faisant

preuve de créativité, d’innovation et d’engagement. On retrouve parfaitement cela

dans une pratique musicale née au sein du mouvement hip-hop dans les années 80

et récemment apparue en France : le human beatbox3, ou l’art et la manière de

produire des sons rythmés avec la bouche. L’usage du corps à des fins techniques,

mais surtout artistiques, offre de vastes possibilités qui octroient une dimension

vivante à la pratique. Dès lors, jouer de la musique ne semble plus une affaire de

matériel onéreux ou de nombreuses années de cours : le beatbox permet de

s’exprimer librement dans un nouveau langage, celui des « beats »4 et des sons en

tout genre, avec ses propres « outils », la voix, la gorge, les lèvres…

Le choix du sujet de ce mémoire ne s’est pas fait par hasard. J’ai en effet

découvert le beatbox voilà plus de deux ans. Invité par un collègue musicien, je

me suis rendu en novembre 2005 à Dijon pour participer à un atelier animé par le

beatboxeur EZRA et qui s’adressait à une majorité de personnes déjà familières de

cette pratique d’un genre nouveau. Depuis cette rencontre avec manière

alternative de pratiquer et de faire vivre la musique, je n’ai cessé de m’y

intéresser. La distance géographique, qui m'a souvent séparé des principaux

2 « Popular music » : musique populaire, terme né dans les années 60 pour désigner le rock’n roll, synonyme de musique légère ou de variété. Différent des musiques traditionnelles ou folklore.

3 Littéralement « boîte à rythmes humaine », peut être nommé simplement « beatbox », d'où provient le verbe « beatboxer », le « beatboxing » et le nom commun « beatboxeur, euse ».

4 Provient du verbe « to beat », battre en français qui signifie dans ce cas précis le rythme.

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acteurs de ce fait musical en pleine effervescence, a parfois été comblée avec

l'utilisation d'Internet. Cet outil a constitué un des principaux moyens de me tenir

informé et d’approfondir mes recherches dans le domaine. Dans un premier

temps, je me suis tout d'abord focalisé, à tort, sur la nature émergente du beatbox

ce qui m'a conduit à occulter bons nombres de problématiques. Ceci peut, en

partie, s'expliquer par le manque de repères dû à une très faible quantité d’écrits

relatifs à ce sujet.

Les travaux sociologiques antérieurs, qu'ils soient américains ou français,

envisagent la culture hip-hop et ses manifestations de diverses manières. D'abord

centrées sur les liens entre cette culture et les conditions sociales de ses

« membres »5, les études vont, à partir de la fin des années 90, se spécialiser sur

ses différentes disciplines en faisant appel à divers outils méthodologiques. La

lecture de ces travaux m'a permis de me situer par rapport à ceux-ci tout au long

de ma recherche. Je me suis donc inscrit dans une volonté de mieux connaître et

de mieux comprendre chaque expression artistique du hip-hop en abordant, pour

ma part, le human beatbox sous un angle socio-anthropologique. Cette posture

particulière offre au chercheur la possibilité d'élargir son champ d'investigation en

opérant un décloisonnement des sciences sociales, en pratiquant

l'interdisciplinarité et la transversalité. « L’anthropologie, c’est-à-dire le total des

sciences qui considèrent l’homme comme être vivant, conscient et sociable. » 6 Il

s'agit donc d'interroger l'Homme comme un être historique et culturel qui

s’actualise indéfiniment et diversement selon les temps, les lieux et les acteurs.

Pour ce faire, il m’est apparu naturel et essentiel d’être au contact des

pratiquants du beatbox, c’est la raison pour laquelle j’ai tenté de me déplacer là où

ils se rendaient « visibles ». L’immersion était donc l’objectif, que ce soit sur le

terrain au sein de la communauté beatbox ou dans les moindres recoins du Web.

Je ne souhaitais pas cependant me limiter à de simples descriptions des

beatboxeurs observés au fil du temps, les entretiens représentaient alors le seul

moyen d'être au plus près de la pratique et de ses enjeux. De nombreuses données

audiovisuelles et photographiques, des notes et divers documents, récoltés par mes

soins, sont venus compléter mon corpus.

5 BAZIN, Hugues, La culture hip-hop, Éd. Desclée de Brouwer, 1995.6 MAUSS, Marcel, « Rapports réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie », in

Sociologie et anthropologie, p.258, PUF, 1924.

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En anglais, « underground » signifie d’abord souterrain ou métro, mais

peut surtout s’employer au sens figuré pour parler d’une forme de résistance

politique, d’un passage dans la clandestinité ou d’un phénomène avant-gardiste.

J’ai en effet progressé sur un terrain qui se situe volontairement en marge des us et

coutumes des musiques « savantes »7, qui se défend de toute « récupération »

médiatique et qui adopte une attitude réfractaire à tout phénomène de

« starification ». Le principe même de communauté, défendu par les beatboxeurs,

représentait à mes yeux une preuve tangible d’une manière alternative de

concevoir une pratique artistique. Ce constat m’a amené à faire état des valeurs

défendues par les beatboxeurs et des rapports qu’ils entretiennent notamment avec

la culture hip-hop dont est principalement issue leur pratique. Je souhaitais, non

pas réaliser une enquête sur les pratiques culturelles des beatboxeurs, mais plutôt

retracer leurs trajectoires sociales et musicales, découvrir leurs motivations et

obtenir leurs représentations vis-à-vis du monde du beatbox. Des questions

relatives à l'esthétique du beatbox, aux outils (techniques, administratifs,

communicationnels...) employés par les beatboxeurs et au modes de transmission

de la pratique prirent place au fur et à mesure que je progressais sur le terrain. En

considérant le beatbox comme un « monde de l'art » où des individus cooptèrent

dans le même but, celui de la création. Qui sont les beatboxeurs et comment

s'organisent-ils ?

Pour répondre à cette interrogation, j'ai fait appel à une démarche que l'on

pourrait qualifier d'expérimentale. Elle se caractérise par un aller-retour

permanent entre les « lieux du beatbox » et l'élaboration d'analyses étayées par des

apports théoriques.

Voici les trois principales intuitions qui ont guidé mon enquête :

– En utilisant le corps pour jouer de la musique et en imitant différents

instruments, les beatboxeurs cherchent à se libérer des contraintes matérielles.

– La communauté française s'est créée et s'est développée grâce à Internet et

aux différents évènements, et ce, de manière marginale.

– Le beatbox possède des méthodes d'apprentissages qui privilégie

l'empirisme, le mimétisme et l'échange de savoir-faire.

7 Que l'on opposent aux musique populaires et traditionnelles.

7

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Avant d'entrer dans l'analyse, j'ai souhaité apporter des éclairages sur la

culture hip-hop et ses disciplines, y compris le human beatbox, j'ai voulu présenter

la méthodologie qui fut la mienne pour aborder ce sujet et enfin je me suis permis

de m'attarder sur la description des lieux, des évènements et des acteurs qui ont

constitué la matière première de ma recherche. Le but de cette étude est donc

triple : connaître l'histoire, les formes ainsi que les enjeux de la discipline,

comprendre ce qui a amené les individus à devenir des pratiquants et enfin savoir

comment ils se positionnent face aux domaines artistiques, institutionnels et

médiatiques.

8

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I . LE HIP-HOP ET SES DISCIPLINES

Si le hip-hop8 prend ses racines dans les ghettos des Noirs américains, il

constitue véritablement un mouvement culturel qui a su s’étendre à d’autres

populations et s’affirmer en tant que tel. En France, le hip-hop américain se

diffuse à partir des années 80, relayé principalement par la jeunesse issue des

immigrations vivant dans les banlieues populaires. Les deux contextes sociaux

présentent des similitudes mais très vite les populations des cités françaises

s'approprient le hip-hop pour en faire un moyen d'expression propre. Il reste ancré

dans l’environnement urbain et s’exprime à travers des formes artistiques qui se

sont définies comme des alternatives au modèle sociétal. « Il est l'expression

d'une culture populaire, juvénile et urbaine »9. Les acteurs du hip-hop possèdent

ainsi des valeurs communes issues des sources du mouvement et de leurs

fondateurs qui ont milité pour un nouvel état d’esprit. Le human beatbox s'inspire

de cet état d'esprit et des différentes composantes de ce mouvement culturel qui

renferment de nombreux codes et termes. Il s'agit ici d'en donner quelques clefs

pour faciliter la compréhension par la suite.

1. Afrika Bambaataa et la Zulu Nation

On situe les prémices du mouvement hip-hop aux alentours de l’année

1975 avec l’arrivée sur le devant de la scène de l’artiste issu d’un gang : Afrika

Bambaataa. Il commence à faire parler de lui en tant que « Disc Jockey »10 et

appelle à la non-violence dans la création. C’est l’idée principale du mouvement

qu’il nomme « Zulu Nation », il veut canaliser la rage des jeunes des ghettos pour

la convertir en énergie positive et créatrice. Afrika Bambaataa tire son nom et sa

Nation de l’histoire d’une ethnie, les Zoulous d’Afrique du Sud qui se sont

défendus contre un des pires exemples du colonialisme européen. Il offre la

possibilité à bon nombre de jeunes de s’identifier et de véhiculer des valeurs

positives selon les principes qu’il instaure. « La Nation Zulu est une organisation 8 Dérivé de l’argot « hep », être affranchi, et de l’anglais « to hop », danser.9 BEHLHADJ-ZIANE, Kheira, in « Dynamique historique d'une contre-culture : la culture hip-

hop », Actualité Graffiti, p. 24, Presse Universitaire de Perpignan, 2007.10 Abrégé DJ, c’est la personne qui sélectionne et diffuse la musique lors de soirées ou à la radio.

9

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d’individus à la recherche de succès, de paix, de savoir, de sagesse, de

compréhension et de bonne conduite dans la vie. »11 Les mots d’ordre sont :

« Peace, unity and having fun ! » (« Paix, unité et fais-toi plaisir ») et « Hip-hop,

don’t stop, till you reach the top ! » (« N’arrête pas le hip-hop avant d’avoir atteint

le sommet ! »). Une « tension créative »12 permet l’évolution permanente des

disciplines et des personnes au sein du mouvement hip-hop.

2. Les disciplines, leurs influences et leurs représentants

Le rap

Quelles que soient les branches musicales qui soutiennent le rap, les

racines sont celles du paroleur, du tchatcheur, du prédicateur. Des griots d’Afrique

en passant par les hommes d’églises, les rappeurs sont à la recherche d’une forme

idéale pour « faire passer un message ». Les mots sont inversés comme le pratique

le « verlan »13, les phrases sont choisies pour bousculer les consciences,

organisées en couplet et refrain, enrichies de l’art revisité de la rime. Le travail de

l’écriture au service de la dénonciation sociale ou de la persuasion fait des

rappeurs des maîtres des mots éveillés qui interpellent leurs auditeurs. En France,

les groupes I AM, Fabulous Trobadors, NTM et Ministère AMER. ont porté haut

les couleurs du hip-hop en s’imposant comme les plus fidèles représentants du

mouvement. Quant à MC Solaar et son crew14, le 500 one, il a répandu un « rap

lyrique » ou « rap cool »15 destiné à un public plus large, tout en restant fidèle à

une recherche poussée dans l’écriture de ses textes jugés plus poétiques, moins

engagés politiquement et de ce fait destinés à un plus large public. Le

« freestyle »16 se fonde sur l’improvisation de paroles visant, lors de battles17, à

déstabiliser et à défier l’adversaire par des mots et expressions subtilement

11 Lois de l’Universal Nation Zulu.12 BAZIN H., op. cit.13 Provient de « à l’envers », argot français qui inverse les syllabes d’un mot et le modifie.14 Littéralement « équipe », utilisé dans le mouvement hip-hop pour décrire un groupe ayant un

nom donné par ses membres. Le « crew » a une grande importance et permet l’identification.15 Qui s’oppose au « rap hardcore » ou « rap dur » donc plus agressif et revendicatif.16 Littéralement « style libre ».17 Littéralement « bataille » qui s’apparente à l’idée de joute, d’affrontement, de duel.

10

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choisis. On parle de « flow »18 pour décrire la rapidité et le rythme avec lesquels

les textes sont déclamés ou chantés sur une base musicale gérée par les DJ’s ou les

beatboxeurs dans le but de renforcer l’impact des messages.

Le djing

Véritable socle musical du rap, la pratique des DJ est non seulement liée

aux évolutions techniques du matériel de diffusion et d’enregistrement mais

surtout à l’usage qu’ils en ont fait. Les Jamaïcains des Etats-Unis comme Clive

Campbell ou Kool DJ Herc sont reconnus comme les précurseurs de nouvelles

manières de diffuser de la musique à travers le « mix »19 et le « scratching »20. Le

DJ est un musicien qui utilise des disques vinyles mêlant différents genres

musicaux pour la plupart noirs américains. La funk, le jazz, la soul ou le gospel

ont été autant de sources pour créer à l’aide de deux platines des morceaux

rythmés animant les « sound-systems », « street-parties », « free-jams » ou « Zulu

parties »21. Le premier morceau rap reconnu et daté de 1979 a été « Rapper’s

Delight »22. L’arrivée des « samplers »23, des boîtes à rythmes et des synthétiseurs

a amplifié le champ d’action de ces artistes qui apportent beaucoup d’attention

aux « beats »24. Les « breaks »25 de batterie extraits de divers enregistrements sont

la matière première de cette musique témoin du rythme effréné des métropoles.

La danse

Forme d’expression massivement suivie en France, la danse hip-hop met

18 Littéralement « flux ».19 Littéralement « mélanger », correspond aux transitions effectuées par le DJ entre les morceaux

pour ne pas interrompre la musique.20 Littéralement « rayer », le « scratching » consiste à faire avancer ou reculer rapidement le

disque vinyle sous le diamant de la platine ce qui modifie de manière caractéristique les sons. Des rayures apparaissent sur les disques utilisés à cette fin.

21 Noms donnés aux fêtes et rassemblement hip-hop qui avaient lieu dans la rue, dans des espaces inoccupés ou des salles de concerts.

22 Signifie « plaisir du rappeur ».23 Échantillonneur en français, instrument qui permet la création et la répétition d’échantillons

sonores, appelés « samples ».24 Cf. lexique.25 Littéralement « cassure » qui correspond aux interventions solistes marquées des batteurs sur

une ou plusieurs mesures pour relancer un thème musical.

11

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en scène le corps et sa maîtrise. Les performances des danseurs sont parfois

proches de celles de gymnastes ou d’acrobates tout en gardant une esthétique

particulière nourrie de diverses influences. Ils enchaînent des figures exécutées

debout et au sol dans des styles précis comme le « smurf », la « hype » ou le

« break ». Le « pointing », le « voging » et le « patin » (ou « moon-walking »)

s’inspirent autant de mouvements observés sur les personnes dans la rue, que

d’affiches de publicités ou encore des premiers pas de l’homme sur la lune. On

note aussi la pénétration d’autres styles de danse comme la Capoeira 26 brésilienne,

les danses traditionnelles africaines, les claquettes, etc. La danse hip-hop dans son

ensemble s’inspire de tout ce qui l’entoure et de toutes les références qui lui

semblent adaptables. Ce pouvoir d’appropriation et de création a permis, à travers

un cadre relativement strict, à de nombreux danseurs de se défier car la

performance reste primordiale. Le « battle »27 de danse hip-hop semble la forme la

plus visuellement intense de cette recherche du défi, du combat déguisé pour

dominer l’adversaire et le vaincre.

Le graff

Dans le milieu du « street-art »28, des Français s’illustrent avant l’arrivée

des premiers graffitis new-yorkais qui posent les bases du graff moderne. Ce

dernier se définit selon trois caractéristiques : la rue, la bombe aérosol et

l’illégalisme ; le style importe peu pour se définir « graffeur » une fois ces

conditions remplies. Au milieu des années 80, de nombreux « crews »29 voient le

jour ou plutôt descendent dans les couloirs du métro parisien et ses rames qui

constituent leurs lieux d’expressions. Comme dans la danse, des styles de

« graffs » sont définis et des techniques précises apparaissent. Ainsi, un lettrage

« flop » (ou « bubble »)30 se distingue-t-il des lettres carrées du « bloc style ». Le

but : faire passer son message le plus visiblement et esthétiquement possible pour

26 Art martial brésilien qui puise ses racines dans les méthodes de combat et les danses des peuples africains du temps de l’esclavage au Brésil.

27 Cf. lexique28 Littéralement « art de la rue » qui rassemble toutes les formes d’expression picturale ayant

pour support les murs des villes ou le mobilier urbain.29 Cf. lexique.30 Littéralement « plat » et « bulle ».

12

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être reconnu par ses pairs. Quant au « tag »31, signature calligraphiée, il s’insère

parfaitement dans un « graff » ou existe seul sur différents supports. Sa réalisation

rapide est le fruit d’un travail sur les lettres et les formes comme le logo. « La

signature du tag livre en lui-même son message »32 .

3. Le human beatbox, définition et histoire

« Utiliser le nez, la bouche, les cordes vocales, les dents, la langue, la

gorge et le souffle, le tout allié à une grande créativité : c'est ainsi qu'on peut

définir le human beatbox, comme l’art d’utiliser le corps comme unique

instrument de musique. Seuls, avec ou sans micro, les beatboxeurs assurent à la

fois des basses, des rythmes, des scratchs, de la batterie, de la trompette et toutes

sortes de sons et de bruits. Ils superposent non pas deux ni trois mais quatre, voire

cinq instruments à partir de leur bouche. L’enchaînement est si rapide que

l’illusion auditive est parfaite. Alors tendez l'oreille ! »33

Les beatboxeurs brillent donc par leur aptitude à reproduire des rythmes de

batteries réelles ou issues de machines et d’instruments pour produire une

multitude de sons différents. Clément Lebrun34 définit trois caractéristiques

fondamentales du human beatbox : la simultanéité des sons émis par une seule

voix, des chants à phonèmes ou chant de gorge et des imitations vocales

d’instruments à percussions ou autres. Le beatbox est alors l’art d’utiliser des sons

« qui n’ont pas de sens » pour créer une cellule rythmique. L’idée étant

principalement celle de l’imitation, le beatbox est limité par les possibilités

vocales humaines. L’ethnomusicologue parle alors de « stylisation » dans le sens

où des syllabes, des onomatopées et des phonèmes sont utilisés pour imiter un

instrument. C’est l’enchaînement des différents éléments (caisse claire, grosse-

caisse, « charleston »…) qui nous fait percevoir la batterie dans son ensemble.

« L’oreille modifie les sons qu’elle reçoit pour en faire des sons d’instruments ».

De la même manière, les Bols qui ne sont autres que des onomatopées qui

correspondent aux différentes techniques de frappe des tablas indiens. L’imitation 31 Littéralement « étiquette ».32 BAZIN, op. cit.33 Annonce du Human Beatbox Festival organisé du 1 au 4 novembre 2007 à Dijon34 Diplômé en musicologie à la Sorbonne et au Conservatoire National Supérieur de Musique de

Paris, chercheur au CNRS sur les voix du monde et spécialiste en musique ancienne, il effectue des recherches sur des techniques vocales dans les musiques où les textes sont dénués de sens. Il est intervenu dans une conférence et sur Arte Radio en 2006 à Angers lors du championnat de France de human beatbox (cf. bibliographie). Il est également beatboxeur.

13

Page 14: Le beatbox et ses pratiquants

de l’instrument n’est pas le principal effet recherché : « ce mode d’enseignement

du solfège est une stylisation sonore pour évoquer les rythmes que l’on va jouer. »

L'écoute d'un enregistrement rend l'illusion parfaite tandis que l'écoute

« live »35 d’un beatboxeur nous permet de comprendre qu’il s’agit d’une imitation.

Ce jeu sur l’audition renvoie à la dimension cognitive de la musique, autrement

dit la manière dont elle est reçue par l’auditeur. Le musicologue établit également

des parallèles avec des pratiques musicales du monde entier comme les chants

diphoniques mongoles, le Kattajaq inuit mêlant deux personnes qui utilisent la

bouche de l’autre comme caisse de résonance en produisant des sons répétitifs, ou

encore le Çak de l’île de Bali en Indonésie qui réside dans l’exercice rituel de

percussions vocales. Selon lui, ces techniques se retrouvent dans le beatbox de

manière indirecte car il est « humainement naturel et international ». Le beatbox

fait référence, comme l’ensemble de la culture hip-hop qui « affiche une grande

variété dans l’appropriation des contenus »36, à différentes pratiques

préexistantes. Les premières apparitions de cette technique dans l’histoire de la

musique moderne se font avec le blues, le swing et la jazz. La pratique la plus

proche semble celle du « scat » des jazzmen des années 50 ; il s’agit d’une forme

d’improvisation vocale issue du jazz où des onomatopées sont utilisées pour

reproduire la plupart du temps le phrasé musical de la trompette et du saxophone.

Les musiciens Louis Armstrong, Cab Calloway et la chanteuse Ella Fitzgerald en

sont les plus célèbres représentants.

Le human beatbox, cinquième discipline souvent oubliée du hip-hop,

apparaît peu après la formation du mouvement au début des années 80 avec des

pionniers américains comme Doug E. Fresh ou les Fat Boys. Au sein de ce groupe

de trois « bons vivants » de Brooklyn, on trouve Darren Robinson alias « The

Human Beat Box ». Il est le premier à laisser entendre, sur un de leurs albums

daté de 1984, des rythmes vocaux basés sur une respiration haletante. Il s’agit

pour l’essentiel d’une « blague » ou d’un moyen de se divertir, mais c’est sur ce

modèle que d’autres personnes vont commencer à pratiquer. Le beatbox s’inspire

directement de la musique hip-hop : les caractéristiques des musiques utilisées par

les DJ's dans le rap sont ainsi reproduites. On allie aussi l’émergence de cette

pratique au manque de moyens des MC's qui ne pouvaient se payer du matériel

35 Littéralement « vivant », est employé en musique pour parler d'un concert.36 BAZIN H., op. cit.

14

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coûteux et étaient donc contraints de faire appel à des beatboxeurs pour « taper un

beat ». C’est en effet à cette époque qu’apparaissent les premières boîtes à

rythmes37 électroniques capables de tenir des rythmes standard de batteries. La

pratique du beatbox, contrairement à la machine dont provient le nom, permet de

beatboxer et de « jammer »38 aux côtés des rappeurs à n’importe quelle heure,

dans n’importe quel endroit, dans n’importe quelles circonstances…

Durant les années 90, la musique hip-hop n’est plus au centre de

l’attention et le beatbox sert uniquement à accompagner certains artistes dans une

logique basée avant tout sur la performance. Il faut attendre l’année 1999 pour

trouver pour la première fois un album rythmé presque intégralement par un

beatboxeur. L’artiste Razhel alias « The Godfather of Noise » (« Le parrain du

bruit »), beatboxeur dans le groupe de rap alternatif américain The Roots,

remporte un succès important avec son album « Make the music 2000 » et le

fameux morceau « If you mother only knew » (« Si seulement ta mère savait ») où

il chante et produit un rythme en même temps. Ses prouesses font le tour du

monde et inspirent toute une génération de beatboxeurs qui, en France, se

reconnaissent également dans la démarche musicale du Saïan Supa Crew et de

leur principal beatboxeur, Sly The Mic Buddah, de Sheek (membre des Nec +

Ultra) et de Ange B. des Fabulous Trobadors. Car le beatbox se pratique aussi en

formation comme en témoigne le groupe autrichien Bauchklang composé de six

personnes qui assument vocalement, à tour de rôle, les éléments musicaux

correspondant à un véritable ensemble percussif et harmonique.

À l’heure actuelle, des évènements autour du beatbox sont organisés

chaque année par différents beatboxeurs afin de permettre la rencontre et la

confrontation des personnes lors de championnats du monde (le premier a eu lieu

en Allemagne en 2005), de conventions (comme le Boxcon de Londres), de

« battles »39 régionaux ou nationaux, de « contests »40, de festival (comme le

Human Beatbox Festival de Dijon) ou simplement lors de concerts. Le

37 La première « beat box », « drum machine » ou encore « rythm machine » fut construite en 1960 par Wurlitzer Sideman. Il faut attendre le début des années 70 pour voir une certaine démocratisation des machines de la firme Roland

38 Issu de l’argot américain, l’expression « jam-session » correspond en français au « bœuf », dans la culture jazz c’est un moment d’improvisation libre pour plusieurs instrumentistes. On obtient le verbe « jammer » et le mot « jam » tout court.

39 Cf. lexique40 Littéralement « concours ».

15

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championnat de France fonctionne d'une manière itinérante et son organisation est

accompagnée par l'association BeatBox France qui travaille en partenariat avec les

beatboxeurs de la ville retenue. La troisième édition a eu lieu en Novembre 2008

à Montpellier (cf. Terrains) et a permis de rassembler un bon nombre de membres

de la communauté beatbox française. Cette dernière doit sa formation au forum

« beatboxfrance »41 et aux premières rencontres d'Angers en 2006 qui ont fédéré et

fait se rencontrer les beatboxeurs. Ils ont pu et peuvent encore échanger des liens

vers du matériel audio et vidéo, des tutoriaux pour s’initier et progresser

techniquement, des dates de concert ou tout simplement pour se divertir, débattre,

se poser des questions sur la pratique et ses formes. Au fur et à mesure les

membres du forum ont appris à se connaître en se donnant par exemple rendez-

vous dans des évènements cités plus haut ou dans des villes importantes telles que

Paris ou Lyon. Ils partagent ainsi leurs techniques de cette pratique liée au

« plaisir, au loisir, à la passion ». Le beatbox évolue dans un environnement

« underground »42 animé par la volonté des membres de ce réseau informel qui

souhaite rallier le plus d’individus à sa cause. Une poignée de beatboxeurs

étendent cette pratique amateur dans le champ professionnel en proposant des

ateliers de découverte ou des « masterclass »43 visant à se perfectionner. D’autres

artistes reconnus pratiquent le beatbox ou font appel à des beatboxeurs pour des

résultats musicaux divers et variés. On retiendra Bobby McFerrin, Björk qui a fait

appel à SHLOMO, Camille avec SLY et EZRA, Anaïs, Nosfell, Médéric

Collignon, Le Peuple de l’Herbe et JC001 et Ricoloop.

41 Cf. sitographie.42 Cf. lexique43 Ateliers qui fait généralement intervenir un « maître » , un professionnel du domaine concerné.

16

Page 17: Le beatbox et ses pratiquants

I I . MÉTHODOLOGIE

1. L'observation participante

Comme je l'ai évoqué précédemment, ma découverte et le début de ma

pratique du human beatbox ont eu lieu durant la même occasion, celle d'un atelier

d'initiation. Je n'avais pas encore l'intention d'en faire l'objet d'une étude mais déjà

je vivais la pratique de l'intérieur, en écoutant EZRA retracer l'histoire de la

discipline, en échangeant avec d'autres pratiquants plus avancés et en passant moi-

même sur scène lors d'une soirée. Il me fut donc difficile de choisir une autre

manière d'aborder le human beatbox que celle de mener de nombreuses

observations participantes in situ et in vivo. Laplantine nous dit d'ailleurs à ce

sujet que « l'ethnographe est celui qui doit être capable de vivre en lui la

tendance de la culture qu'il étudie » ou encore que « la construction de ce que

Marcel Mauss a appelé le "phénomène social total" suppose l'intégration de

l'observateur dans le champ même de l'observation »44. C'est la raison pour

laquelle je n'ai jamais caché aux personnes curieuses les raisons de ma présence et

la nature du travail que je menais avec elles. La crainte de modifier les situations

observées par ma présence m'a toutefois interrogé quant à leur « authenticité »

mais une fois de plus j'ai trouvé réponse dans ce que je pratiquais : l'ethnologie.

« La perturbation que l'ethnologue impose par sa présence à ce qu'il observe et

qui le perturbe lui-même est une source infiniment féconde de connaissance »45.

Malgré mon rôle d'observateur, je n'ai pas souhaité mettre une trop grande

distance entre les personnes observées et moi, ce qui a conduit à instaurer un

certain climat de confiance propice à de nombreuses interactions. Rapidement

identifié comme « celui qui fait son mémoire sur le beatbox », occuper une place

au sein de la communauté des beatboxeurs français a été, une fois décidé, un

processus aisé. Aux travers des descriptions ethnographiques réalisées à partir de

mes nombreuses observations participantes, j'ai donc tenté de ne pas simplement

esquisser des réunions de beatboxeurs mais plutôt de collecter, sélectionner et

ordonner des faits susceptibles de rendre compte au plus près d'une réalité sociale,

celle du human beatbox et de ses pratiquants.

44 LAPLANTINE, François, La description ethnographique, p. 22-23, Éd. Nathan, 1996. 45 LAPLANTINE, op. cit.

17

Page 18: Le beatbox et ses pratiquants

2. Internet : une source d’information et de matériel

Des pérégrinations prolongées sur la toile m’ont permis de constater que

l'internet a permis la structuration du mouvement beatbox en communauté. Cet

outil a été le catalyseur principal du regroupement des beatboxeurs, il est en

grande partie responsable de son développement. Ce phénomène marque l’usage

social des nouvelles technologies dont les beatboxeurs ont tiré profit pour

répandre leur pratique. Le beatbox s’est vu couronné d’un succès croissant ces

dernières années, principalement grâce au développement de nouvelles interfaces

comme les forums mettant en relation de plus de en plus de personnes ayant des

possibilités d’échanger sans cesse accrues. Les contenus des diverses pages et

forums dédiés au beatbox sont venus s’ajouter à un corpus qui se voit ainsi doté

d’une dimension évolutive. Les forums permettent aux personnes d’échanger en

permanence ce qui modifie constamment les données observables. Rien n’est figé

et quelle que soit la forme du débat ou de la simple information, il me semble bon

de l’intégrer à l’analyse. Des extraits de conversations seront donc insérées dans

le texte de la même manière que les paroles de beatboxeurs recueillies en

entretiens. Quant aux innombrables enregistrements vidéo et audio visionnés par

le biais d'internet, ils ont constitué un moyen de cerner au plus près les différentes

facettes de la pratique.

3. La photographie comme outil d’analyse socio-anthropologique

Dans le domaine de l’astrophysique ou de la médecine, l’image est un

moyen largement employé pour divulguer des résultats obtenus ou des

découvertes. À l’inverse, les sciences sociales se montrent assez réticentes à

l’utilisation de travaux photographiques pour témoigner de leurs objets d’études.

Par son manque de fondements méthodologiques, la photographie est vue comme

subjective, incapable de rendre compte d’une situation sans induire un jugement.

Les clichés insérés au sein de mon mémoire et accompagnés d'un texte visent à

offrir d’autres manières d’envisager un sujet de recherche en le traitant à l’aide de

la photographie.

18

Page 19: Le beatbox et ses pratiquants

Démarche photographique

L’utilisation d’appareils photos et de caméras m’a sans cesse attiré, les

buts visés étaient multiples : artistiques, ludiques, testimoniaux… Mais je n’avais

jamais inclus mes travaux photographiques dans une démarche scientifique telle

que celle-ci, le recours à ces outils m’est pourtant apparu tout à fait naturel. Je me

devais de rendre compte le plus fidèlement de la pratique et des personnes qui la

font vivre. C’est la raison pour laquelle j’ai réalisé, dès que l’occasion se

présentait, des photographies et des enregistrements vidéos des beatboxeurs dans

des moments clefs de leur activité. Les réunions de ces personnes sous-

entendaient pour moi une volonté de leur part de se rendre visibles mais

également des moments riches en interactions. C’est ainsi que me suis rendu à ces

différentes manifestations, armé d’un appareil photo et d’une caméra, en

demandant aux organisateurs un laissez-passer délivré généralement à la presse.

Ce procédé m’octroyait un certain confort pour la réalisation de prises de vues, je

pouvais en effet aller et venir dans les accès fermés au public comme l’arrière-

scène, les loges ou encore les hôtels. Les beatboxeurs comme le public

s’accommodent relativement bien de la présence des journalistes et des

photographes. La médiatisation de la pratique semble en effet bienvenue après

vérification du but recherché ; des beatboxeurs m’ont demandé à plusieurs

reprises les raisons de ma présence prolongée et des actions photographiques

entreprises. Ils se sont montrés enthousiastes vis-à-vis des recherches les

concernant, c’est donc dans un cadre privilégié que s’est déroulée la récolte de

précieuses images. De plus, de nombreuses personnes cherchaient elles aussi à

garder une trace de ces moments en filmant les « jams », les concerts ou les

participants. Les avancées technologiques ont provoqué la massification des

appareils numériques, ce qui a rendu leur usage banal et très économique. Aucun

beatboxeur ne s’étonnait d’être filmé, bien au contraire. J’ai pu assister à des auto-

mises en scène provoquées par la présence d’un objectif qui ont montré combien

le rapport à l'image des personnes est important. Ce phénomène de « profilmie »46

a été un souci majeur, il ne fallait en aucun cas « fausser » les comportements tout

en se trouvant très près du sujet photographié. Pour éviter cet écueil qui induit une

certaine artificialité, l’entente devait être la meilleure possible pour que la

46 Défini par Souriau E., dans L’univers filmique, Paris,Flammarion, 1982.

19

Page 20: Le beatbox et ses pratiquants

personne ait une attitude naturelle. Ma connaissance progressive du milieu a

débouché sur une acceptation totale de mes incursions au sein de la communauté

de beatboxeurs. Mon travail consiste à présenter le beatbox en tant que pratique

musicale et ses pratiquants en tant que groupe social : la photographie doit assurer

les mêmes fonctions.

Choix, présentation et organisation des photographies

Après avoir déterminé le rôle des photographies en rapport avec la

problématique, il a été nécessaire de « faire le tri » parmi les centaines de photos

emmagasinées. Pour ce faire, l’élimination de tous les « ratés » était

indispensable, autrement dit les photos jugées trop sombres, trop floues, mal

cadrées… Seules les clichés « techniquement » acceptables ont été conservés pour

subir par la suite un nouveau tri qui visait à garder les plus communicatifs. Mais

selon quels critères une photo est-elle choisie ? Il semble que ce soient les raisons

mêmes de la prise de vue, c’est-à-dire les motifs qui nous ont incité à prendre la

photo, qui transparaissent sur le papier et nous rappellent l’intention donnée à la

photo. Le choix du noir et blanc est fait de manière consciente, il rend plus

efficace l’image en simplifiant le contenu chromatique. Cette esthétique

n’amoindrit pas la force rhétorique des éléments qui la composent. En revanche,

la couleur est utilisée de manière complémentaire, elle fait apparaître ce que le

noir et blanc ne pouvait pas relever. Il faut savoir qu’à l’heure actuelle, le choix du

noir et blanc peut s’opérer une fois la photo prise, ce qui permet de comparer

ensuite son efficacité avec la couleur. Pour ma part, j’ai choisi de placer les

clichés sur des pages entières pour laisser une véritable place à la photographie

qui peut alors s’observer dans le détail. De plus, l’écrit constituerait un cadre à

l’image qui en comporte déjà un : celui retenu lors de la prise de vue. La trop

grande proximité des deux sources d’informations peut, selon moi, créer des

perturbations dans la lecture et les rendre inefficaces. Même si les photos sont

placées en rapport avec le sujet dont elles traitent, elles sont recontextualisées à

l’aide de légendes qui comportent essentiellement le lieu et le moment de la prise,

précisées par de brefs commentaires. Becker nous dit à ce propos : « une

photographie peut provoquer des interprétations extrêmement variées et ainsi, à

moins qu’un éditeur n’accroche l’image dans une légende sans ambiguïté, sa

20

Page 21: Le beatbox et ses pratiquants

signification est trop ouverte pour assurer un point de vue fiable. »47

Il s'agit ensuite de présenter les photographies retenues. « Mais comment

mettre en ordre toute cette matière, l’organiser de telle manière qu’elle transmette

quelque chose que je veux transmettre, aux gens à qui je veux le transmettre (et,

bien sûr, transmettre ce qu’ils veulent que je leur transmette, suffisamment pour

qu’ils prêtent attention à mon travail) ? »48 Voilà la question à laquelle Becker

tente d’apporter des réponses pour une organisation rationnelle des photographies.

Jean-Paul Terrenoire parle de « fil conducteur » que doit se donner le collecteur

d’images49. En ce qui me concerne, j'ai cherché à rendre compte des gestes et des

attitudes des beatboxeurs pour mettre en évidence les caractéristiques de la

pratique. Les séries de photographies visent, par exemple, à produire un effet de

mouvement afin de mieux comprendre ces gestes.

Place de la photographie dans la recherche

Il ne s’agissait pas d’effectuer un travail journalistique qui vise

principalement à témoigner d’un événement ou d’un fait particulier. L’idée était de

provoquer un va-et-vient entre les images récoltées et mes axes de recherches

encore en construction. Elles devaient me permettre, après analyse, de constater

des phénomènes qui méritaient d’être approfondis. De même, je cherchais à

vérifier à travers la prise de photos des faits observés auparavant, la photo

devenant ainsi la preuve de ce que je soupçonnais. Il semble que la photographie

soit encore en conflit avec les sciences sociales qui privilégient les sources écrites

et voient les images uniquement comme des données. Faut-il être aussi

affirmatif ? Malgré ce désaccord, l’image s’impose à la fois comme objet d’étude

et comme instrument de recherche, autrement dit l’image, comme objet social, se

voit à présent construite et analysée scientifiquement. Terrenoire justifie cet

emploi : « Travaillant sur des pratiques sociales sans tradition scripturale, les

anthropologues devaient, semble-t-il, être tout naturellement amenés à utiliser la

photographie et le cinéma et à leur donner une place de choix au stade de

47 Becker H.S., Catégories et comparaisons : comment trouvons nous du sens aux photographies ? , i n Paroles et musique, Paris, L’Harmattan, Collections Logiques sociales, 2003.

48 Ibidem.49 Terrenoire J.P., Images et sciences sociales, l’objet et l’outil, Revue Française de Sociologie

XXVI, 1985, p. 509-527.

21

Page 22: Le beatbox et ses pratiquants

l’analyse comme à celui de l’exposé des résultats. »50 La photo devient alors un

langage visuel par le biais duquel le socio-anthropologue propose des constats et

des interprétations. Une image est implicitement marquée par le regard de celui

dont elle émane. Le photographe montre ce qu’il a envie de montrer, aux

personnes auxquelles il veut les montrer. C’est pourquoi il est essentiel de définir

la problématique qui guide une recherche ; sans la formulation des

questionnements moteurs de celle-ci, il est impossible de produire des images

scientifiques. Les images ont donc des capacités inexploitées dans l’analyse des

faits sociaux qui, pour se développer, nécessiteraient la mise en évidence de leur

pouvoir rhétorique et la définition de leurs conditions d’utilisation.

4. S'entretenir avec les beatboxeurs

Dialoguer avec les beatboxeurs a été la dernière étape de mon travail de

terrain. Les dires des personnes interrogées sont venus confirmer ou infirmer les

intuitions qui me guidaient. Il s'agissait pour moi d'être sûr de tout ce que

j'avançais sur la manière dont ils vivaient leur pratique. Basés sur une grille

établie au préalable, les six entretiens ont été réalisés durant les journées dédiées à

la transmission du beatbox, à la Chaufferie. Les pratiquants se sont exprimés

librement et en confiance sur leurs parcours personnels et sur les différents sujets

abordés. La retranscription des entretiens a donné lieu à une analyse thématique

qui a permis de dégager des phrases et des paragraphes pertinents pour l'analyse.

Ces extraits apparaitront dans le texte afin d'illustrer ou de conforter les propos

avancés. Ils viennent en complément de l'emploi de la description ethnographique

et des photographies pour permettre au lecteur une certaine immersion dans l'objet

d'étude.

50 TERRENOIRE, op. cit.

22

Page 23: Le beatbox et ses pratiquants

I I I . TERRAINS

1. Les évènements liés à la pratique

Il s’agit ici de prendre le temps de décrire les différents terrains explorés

pendant l’année dans le dessein de parvenir à une meilleure compréhension de la

pratique et de ses enjeux.

Le Human Beatbox Festival 2007 et le championnat de France de beatbox

Du 1er au 4 novembre 2007, la ville de Dijon a accueilli un festival dédié

uniquement au beatbox. L’évènement était organisé par les associations Octarine

et OSF Prod en partenariat avec Zutique Productions (toutes les trois sont

installées dans la ville) et YouMan Beatbox Community de Paris. Tiko,

beatboxeur et organisateur de cette seconde édition du championnat de France, a

mené avec d’autres bénévoles un travail51 visant à permettre aux non-initiés de se

familiariser avec le beatbox par le biais de concerts, ateliers, démonstrations, etc.

Les beatboxeurs ont pu, eux aussi, découvrir des créations musicales préparées

pour l’événement et participer notamment à des discussions ou démonstrations

techniques liées au matériel. Enfin les qualifications et les phases finales du

championnat ont offert une soirée importante pour les participants, suivie

chaleureusement par le public nombreux de La Vapeur52, comble à cette occasion.

Ce festival a constitué pour moi un véritable terrain d’enquête d’une durée

de quatre jours (et quatre nuits ! ) durant lesquels il m’a été permis de mener des

observations, des entretiens brefs et de recueillir du matériel audiovisuel. Tout ce

matériel m’a permis de vérifier des idées que j’avais à ce propos et de mettre en

place une série de thèmes à traiter à l’aide notamment d’entretiens approfondis

avec des beatboxeurs de cette communauté. Commençons donc par le premier soir

où les beatboxeurs, entre deux concerts proposés dans des bars bondés du centre

ville, ont passé la soirée à « jammer » et à échanger en se retrouvant sur la place

où se situaient les trois bars. Ce qui est frappant lors de « jams » de beatbox, c’est

ce conglomérat de personnes qui se forment en cercle et émet de loin des sons en 51 Cf. annexes52 Salle de musiques actuelles de Dijon.

23

Page 24: Le beatbox et ses pratiquants

bougeant. Les personnes curieuses de voir et d’entendre ces personnes serrées les

unes aux autres, pour mieux s’entendre et jouer ensemble, doivent s’approcher

pour enfin voir le visage de ces improvisateurs vocaux. Le repli en cercle permet

également une certaine forme de protection vis-à-vis du « dehors » ; il y a ceux

qui « jamment », ceux qui écoutent et ceux qui cherchent à pénétrer dans le cercle

pour participer. Jusqu’à présent, je n’ai vu personne essuyer un refus d’entrer dans

un cercle, il suffit d’être deux pour « jammer » et cela peut aller jusqu’à une

dizaine de beatboxeurs à la fois. Se pose alors le problème de la synchronisation

et de la répartition des rôles : tout le monde ne veut pas faire la même chose et

chacun se doit d’ajouter une touche originale à ajouter à l’ensemble vocal créé.

Cela a été le cas ce soir là où 10 à 15 beatboxeurs se sont insérés sous un porche

pour bénéficier ainsi d’une meilleure acoustique, et se sont mis à improviser. J’ai

pu aisément remarquer que l’un d’entre eux prenait plus ou moins les choses en

main en chantant à un rythme assez rapide qui incitait alors les beatboxeurs à

mettre en place une superposition de sons cohérents et à un tempo correspondant.

S’en est suivi le passage d’agents de police qui ont cordialement demandé aux

personnes en question de bien vouloir « arrêter la musique » et non d’arrêter de

« faire du bruit ». Les beatboxeurs ont cessé et se sont déplacés, se félicitant des

mots employés par les représentants de l’ordre. D’autres « jams » ont eu lieu tout

au long du festival de manière informelle dès que l’occasion se présentait dans des

lieux divers et variés comme au moment des repas pris au restaurant universitaire,

à l’hôtel, dans les transports en communs…

L’après-midi du second jour a été le théâtre des qualifications au

championnat, d’une quarantaine de différents niveaux, de différentes origines

(principalement de Marseille et de la région parisienne), de différents âges (la

moyenne avoisine les 25 ans) et avec des expériences scéniques variées ou nulles.

En effet, chaque beatboxeur devait passer un « oral » en public d’une durée de

deux minutes pour convaincre un jury composé de personnalités de la musique et

du beatbox. L’annonce de l’ordre de passage a suscité des réactions par rapport au

niveau de certains beatboxeurs déjà reconnus dans le milieu, ce qui pouvait

renforcer le « trac ». L’auditoire de l’Atheneum53 était très à l’écoute des

participants tout en manifestant ses appréciations si besoin était et fortement aidé

par un MC – « chauffeur de salle », membre du Saïan Supa Crew, invité à ce titre.

53 Centre culturel de l’Université de Bourgogne, situé sur le campus de Dijon.

24

Page 25: Le beatbox et ses pratiquants

Le championnat comprenait également une catégorie « groupe » qui alliait des

beatboxeurs présentant un travail construit. La fin des qualifications a laissé la

place aux pronostics sur les résultats et des commentaires sur les participants :

« y’a du niveau cette année ! », « alors, ça a donné quoi ce qu’on a fait ? »,

« franchement, je suis passé à côté », « il a vraiment des basses massives, un son

puissant »... L’enjeu du championnat s’est fait sentir et a permis aux participants

d’évaluer leurs niveaux et les progrès qu’ils avaient à faire. Car même si on ne

retrouve pas réellement de maître pour les beatboxeurs, il existe tout de même des

référents qui tendent l’oreille pour donner leur accord sur un son proposé. La

soirée de concerts du vendredi mettait en scène des beatboxeurs au sein de

formations musicales dites classiques ou utilisant des « loopstations »54. Le public

a redoublé d’attention et d’enthousiasme avant de participer ou d’assister à un

« open mic »55 où les beatboxeurs se sont passé les micros à tour de rôle pour des

« jam-sessions »56, cette fois-ci amplifiées.

Le samedi après-midi a permis à une vingtaine de personnes de s’initier au

beatbox par l’intermédiaire d’exercices proposés par l’ancien champion de France

et pédagogue, Laurent alias LOS. Il a également abordé les actions qu’il mène

pendant l’année autour de la pratique du beatbox avec son association Aladesh

située à Angers. La deuxième partie de l’après-midi était consacrée à la

démonstration de machines comme les « loopstations » et de différents micros,

s’en est suivie une explication des techniques d’amplifications et de diffusion du

beatbox lors de concerts. Une autre « jam-session » amplifiée cette fois-ci un peu

chaotique a eu lieu avant que n’interviennent les phases finales du championnat.

La Vapeur, a accueilli une soirée spéciale mêlant concerts, compétitions et

divertissements. Le jury a rappelé en cours de soirée, face à des participants se

connaissant tous, qu’il s’agissait bel et bien d’un battle et qu’ils attendaient par

conséquent que les beatboxeurs entrent en duel, sans faire de la « démo » pour le

public. Animé une fois de plus par Feniksi du Saïan Supa Crew qui « a fait monter

la pression », les participants se sont affrontés en deux fois deux minutes pour

faire balancer le choix du jury. Dans les coulisses, chacun ajoutait son

commentaire, se soutenait, s’encourageait mutuellement pour cette forme de 54 Cf. lexique.55 Littéralement « micro-ouvert ». Moment durant lequel des personnes peuvent librement

s’emparer du micro et s’exprimer.56 Cf. lexique.

25

Page 26: Le beatbox et ses pratiquants

performance qui semblait étrangère à beaucoup d’entre eux. Le lauréat de cette

édition, MICSPAWN, a remporté une « loopstation » qui ne représentait pas en soi

une valeur marchande très importante mais un objet convoité, symbole de la

progression effectuée. En ce qui concerne les équipes, c’est le PHM crew (« Pure

Human Music ») qui l’a emporté après le passage de FATY, vice championne de

France, qui a marqué les esprits par sa chanson « We are a beatbox family »

(« Nous sommes une famille beatbox ») et une présence féminine au sein de la

discipline.

Enfin, le dimanche après-midi était situé dans un endroit un peu particulier

puisque le rendez-vous était fixé au musée des beaux-arts de Dijon qui a vu une

de salle investie par un public hétérogène et deux « performers »57 : Médéric

Collignon et DAVID-X. J’insisterai ultérieurement sur le sens qu’on peut donner à

ce lieu « classique », institutionnel, accueillant une manifestation a priori

« marginale » Ceux-ci ont su convaincre l’audience par un concert nouant

beatbox, jazz, instruments construits de toutes pièces et objets sonores. Ils ont

remporté un vif succès auprès des beatboxeurs surpris par l’aspect expérimental et

hors du commun provoqué par la rencontre des deux musiciens venant de

différents horizons. A la suite du concert, sont venus les remerciements et les

salutations, on a évoqué la prochaine édition qui, pour permettre la participation

des organisateurs au championnat, sera organisée par des beatboxeurs d'une autre

ville de France.

La convention internationale de beatbox à Berlin

Du 31 janvier au 2 février 2008, la première convention internationale a

regroupé des beatboxeurs de plusieurs nations58 de l’hémisphère nord dans la

capitale allemande. Encadré par l’équipe de Beatbox Battle ®59 et son responsable

BEELOW, ce rassemblement a été rythmé par différentes animations. Un premier

temps a été consacré à l’accueil des beatboxeurs ambassadeurs de leurs pays dans

57 Littéralement « artiste »58 Allemagne, Estonie, République Tchèque, Belgique, Pologne, Pays-Bas, Espagne, Bulgarie,

Italie, Etats-Unis, Suisse, Autriche, Luxembourg, Singapour, France, Hongrie, Finlande et Islande.

59 Ce symbole indique qu’il s’agit d’une marque déposée, il semble que les mots « Beatbox Battle » soit enregistrés (« registered ») mais dans l’union européenne, ce sigle n’a aucune valeur légale. Cette structure, qui organise par ailleurs les championnats suisse, allemand et belge de beatbox, dépend d’une maison de production berlinoise appelée B3 Music.

26

Page 27: Le beatbox et ses pratiquants

une auberge de jeunesse privée qui constituait le lieu d’hébergement mais surtout

de débats, de « jams » et de concerts. Dès l’arrivée des participants, un « pass »

leur a été transmis avec l’obligation de signer un formulaire accordant leurs droits

à l’image. L’intégralité des trois jours serait suivie par des caméras et les soirées

musicales seraient retransmises en direct sur Internet. Cette importante présence

de moyens techniques semblait étrangère à certains beatboxeurs, mais elle pouvait

s’expliquer par l’implication financière de partenaires privés comme des marques

de boissons énergétiques, d’instruments de musiques ou encore de marqueurs

indélébiles. Ce « maître de cérémonie » de la conférence, enthousiaste à l’idée de

réunir des beatboxeurs des quatre coins du monde, s’est imposé en tant que porte-

parole du mouvement beatbox international. Les beatboxeurs se sont donc

installés dans la petite salle Internet de l’hôtel et ont commençant à faire

connaissance par l’intermédiaire de « jams ». Le coût (180 000 €) d’une telle

organisation a été inscrit noir sur blanc et justifié par l’envie de développer à

grande échelle la pratique et sa diffusion. BEELOW a précisé que ses opérations

étaient à but non-lucratives et que seule la réunion de beatboxeurs, de plus en plus

nombreux, le motivait à s’impliquer aussi activement. Il déclara que les médias se

trouvaient « aux portes du beatbox » et que des artistes comme Madonna

éprouvaient un grand intérêt pour la pratique. Il a évoqué ensuite les multiples

projets de sa « company » comme la mise en place d’une « Beatbox Academy »

pour soutenir les plus jeunes qui s’affronteraient lors de « battles junior ».

Une fois de plus, Internet a été cité comme un moyen indispensable à la

communication et à l’enseignement du beatbox. Les beatboxeurs se sont présentés

(en anglais) à tour de rôle sous les applaudissements et les acclamations de leurs

confrères heureux de se rencontrer en personne. Un beatboxeur de chaque pays

était invité à témoigner de l’état de la communauté nationale qu’il représentait.

Des questions, sur la nature même de la pratique (« representing or artform ? »),

de ses pratiquants (« a male domain ») et de leurs avenirs, ont été soulevées. Les

expressions employées par les individus étaient très codifiées : « maximum

respect ! » est souvent revenu pour congratuler quelqu'un.

La soirée a laissé place à des démonstrations d’une poignée de beatboxeurs

dans le bar de l’hôtel. Devant les caméras, l’animateur BEELOW n’a cessé de

rappeler qu’il s’agissait d’un moment historique (« we make history ! ») dans

l’évolution du mouvement beatbox mondial qui, selon lui, était à la recherche de

27

Page 28: Le beatbox et ses pratiquants

28

BEELOW s’adresse aux beatboxeurs internationaux réunis lors de l’ouverture de la convention. Sur

son pull et à l’arrière-plan, le logo de sa structure organisatrice d’évènements.

Berlin, le 31 janvier 2008Photographie : R. Martino

Page 29: Le beatbox et ses pratiquants

partenaires conséquents pour le faire progresser. La disposition spatiale du lieu n’a

pas permis de bonnes conditions scéniques : la priorité était donnée à la

retransmission des images sur Internet. En parallèle, de nombreux « jams » ont eu

lieu dans la cafétéria ou dans le coin fumeur situé sur le pas de l’hôtel. La

performance a été au centre de l’attention de tous les participants soutenus par un

public composé essentiellement de jeunes européens résidant à l’hôtel.

Le lendemain devait se tenir un atelier, appelé « workshop », qui s’est

rapidement transformé en un enchaînement de performances des beatboxeurs

présents dans une galerie d’art du quartier de Kreuzberg. Un animateur s’est

chargé de distribuer le temps de « paroles » durant la fin d’après-midi où des

« jams » informels avaient également lieu sur le seuil. Une banderole indiquait la

nature de l’événement aux passants qui n’ont pas manqué de s’arrêter, intrigués

par les sons provenant de la salle. Au fond de celle-ci, se trouvait une pièce exiguë

dont l’accès semblait restreint aux beatboxeurs appelés à enregistrer un extrait

musical afin d’établir une « mixtape »60 internationale. Le rendez-vous pour la

soirée consacrée aux « showcases »61 était fixé au studio Osthafen, dans les murs

du siège allemand d’une multinationale de l’industrie culturelle. Il s’agissait d’un

bar au design soigné qui a accueilli un nombre important de personnes venues

voir et écouter les beatboxeurs pour la somme de douze euros. L’affiche était

composée des vainqueurs des championnats de quelques pays européens,

d’équipes internationales, de beatboxeuses et d’artistes reconnus dans le milieu.

Une régie s’affairait à diffuser la soirée sur le site de l’organisation tandis qu’une

fois de plus, l’énergique BeeLow tentait de faire réagir le public attentif aux

démonstrations. La fête ne devait pas s’arrêter là, elle s’est poursuivie dans un

club qui a consacré la fin de soirée à un nouvel « open mic » intitulé « beatbox for

beer » à la manière des soirées slam qui pratiquent ce genre de procédé… L’atelier

du dernier jour a été annulé pour des raisons que j’ignore. À l’issue de ces jours

passés au contact d’un panel de beatboxeurs, il m’est apparu qu’ils formaient

réellement une communauté mais cette fois-ci à l’échelle internationale. On peut

parler de révélation pour la plupart des participants qui pouvaient désormais

communiquer ou partager leurs avis mais surtout « jammer » au sein de cette «

grande famille ». J’ai, en outre, pu constater une certaine uniformité dans les

60 Compilation de pistes audio enregistrées originellement sur cassette audio. 61 Littéralement « vitrine », il s’agit de concerts qui visent à présenter un ou plusieurs artistes.

29

Page 30: Le beatbox et ses pratiquants

références vestimentaires, linguistiques et musicales qui m’a surpris par rapport à

la relative hétérogénéité de la communauté française (dont j’aurai l’occasion de

reparler).

La Chaufferie, lieu de musiques actuelles

La ville de Grenoble s’est lancée en 2002 dans la mise en place

d’équipements dédiés aux musiques actuelles : La Régie2C, qui comprend La

Chaufferie et la salle de concert Le Ciel. Dans une logique de développement

culturel, la ville a cherché à mettre l’accent sur la formation, l’accompagnement

des pratiques et la médiation. Situé au cœur de trois quartiers dits « sensibles »,

l’équipement se veut en lien avec la population locale ce qui explique la présence

d’une salle festive essentiellement destinée à la location. L’accueil des personnes

s’effectue dans un espace café avant l’accès aux quatre studios de répétition ou à

la salle de concert d’une capacité de 250 personnes. Pour ma part, j’ai effectué

mon stage principalement dans les bureaux isolés du reste des équipements, ce qui

m’a plongé dans la réalité du travail administratif. J’étais ainsi au contact de

l’administrateur, de la comptable, de la chargée de communication, de la chargée

d’action culturelle, de la responsable de La Chaufferie et de la directrice de La

Régie2C. Celle-ci a été par ailleurs la responsable de stage qui m’a accueilli

durant deux mois, de février à avril 2008, à la suite d’une entrevue concluante.

Mes missions étaient multiples, je devais réaliser une enquête sur les musiciens

amateurs en formation dans le dispositif qui allie le Conservatoire à Rayonnement

Régional de Grenoble et la Régie2C. L’autre motif était la participation à

l’organisation de quatre journées de formation et d’une soirée de concerts liés au

beatbox à l’initiative de Sophie Boucher, chargée d’action culturelle. Rapidement,

une planification et une liste de tâches à effectuer pour le bon déroulement de

l’opération a été établie. Celle-ci prévoyait un travail de communication sur les

évènements, des questions d’ordre logistique, technique et administratif. Le

dossier m’a été en partie remis et une phase importante de préparation a donc

débuté. Au fil des réunions d’équipes, des informations recueillies, des problèmes

réglés par des courriers électroniques et des appels téléphoniques, les journées du

9 au 12 avril se sont précisées. Ont donc eu lieu : deux stages organisés en

partenariat avec le Centre de Formation des Musiciens Intervenants de Lyon, deux

concerts pédagogiques proposés à des publics scolaires, un atelier d’initiation au

30

Page 31: Le beatbox et ses pratiquants

sein d’une classe du collège Olympique et un concert tout public. Il semble utile

de préciser que le beatboxeur pédagogue EZRA avait signé un contrat pour

intervenir sur la totalité des actions. Mais il se trouve qu’il était demandé

expressément par la maison de production de la chanteuse Camille pour faire la

promotion de l’album sur lequel il a travaillé. Il a donc partiellement délégué ses

fonctions à un autre beatboxeur capable d’assumer le rôle de formateur.

L’implication d’EZRA dans le domaine musical professionnel est un fait marquant

de cette année en matière d’évolution de la pratique. En ce qui concerne les quatre

jours de stage, ils ont été des moments riches en observations participantes, que ce

soit dans les dialogues avec le formateur remplaçant, Gaspard Herblot, ou dans

ma propre participation à la formation. EZRA avait ajouté qu’il s’agissait d’une

sensibilisation à la pratique, d’un apport d’outils pour se « débrouiller tout seul ».

Les groupes de « stagiaires » étaient composés d’une majorité de musiciens dont

des musiciens intervenants. Ils ont pu assister à un bref historique de la pratique et

de ses références avant de s’impliquer dans des exercices d’échauffement corporel

et vocal. Des travaux collectifs sur le rythme ont été suivis d’une présentation des

différents sons et rythmes propres au beatbox. L’écriture du beatbox a été abordée

par Gaspard qui a proposé ses « partitions » personnelles et expliqué la façon de

les lire. Les personnes étaient disposées en cercle ce qui rappelait la forme des

« jams » des beatboxeurs. J’ai pu constater une fois de plus que l’exécution d’un

son maîtrisé incitait à la reproduction ; on assistait à un mimétisme permanent qui

poussait les individus à « essayer » le son entendu. EZRA cherchait à décomposer

les sons présentés en placements différents de la langue, des lèvres ou de la

respiration pour mieux les expliquer. La mise en pratique finale de tous ces sons

découverts a donné lieu à la formation de petits groupes où les pupitres étaient

répartis pour former une orchestration. Des échanges entre EZRA, Gaspard et le

personnel de la Régie2C ont donné lieu à des projets de rassemblements des

pédagogues de la discipline dans une volonté d’harmoniser sa transmission. Les

concerts de la soirée, qui clôturaient les quatre jours et mon stage, ont permis de

réunir sur scène les trois artistes invités pour présenter la discipline. De précieuses

informations sur le monde des institutions culturelles, la pédagogie propre au

beatbox et les liens existants entre les deux ont donc été recueillis durant cette

période.

31

Page 32: Le beatbox et ses pratiquants

Un atelier d'initiation au Conservatoire de Grenoble

Durant le mois de novembre 2008, la Maison de la Culture de Grenoble,

le Festival des 38e Rugissants, le Conservatoire de Grenoble et la Régie 2C se

sont associés pour proposer des stages et rencontres avec les artistes programmés

à la MC2. Parmi ces artistes, la chanteuse Camille qui, pour sa tournée, a fait

appel aux services de trois percussionnistes corporels et de deux beatboxeurs. L'un

d'entre eux, EZRA, avait déjà eu l'occasion d'animer des stages à la Chaufferie et

cette fois-ci c'est le Conservatoire qui a accueilli un atelier d'initiation d'une durée

d'une heure. Composée essentiellement de musiciens habitués aux institutions ci-

dessus, la séance commença par un historique de la pratique. Le discours d'EZRA,

souvent répété, est une succession d'exemples de pratiques vocales préexistantes

comme le Scat qui ont inspiré les beatboxeurs. À travers la présentation d'artistes

ou d'outils comme le forum « beatboxfrance », EZRA a cherché à, je cite,

« donner des pistes ». Les personnes étaient assises sur des chaises et formaient un

cercle qui rappelle ceux des « jams-sessions ». EZRA aborda différents sons de

human beatbox en tentant de les décomposer pour les rendre plus intelligibles. La

méthode se voulait empirique et mimétique, le « pédagogue » indiquait les

placements des différents éléments de la bouche pour produire un son donné et les

« élèves » tentaient de le reproduire. Certaines personnes concentrées sur un

« exercice » détournaient le regard en essayant d'écouter au maximum les sons

proposés. Cette façon de faire marque un habitus avec un enseignement musical

plus académique qui, à défaut de partitions écrites, fait appel « à l'oreille » comme

dans les cours de solfège. Il était intéressant de voir se confronter lors de cet

atelier deux approches, l'une que l'on qualifiera d'« intellectuelle » et l'autre de

« corporelle ». « Si vous ne l'avez pas en cinq minutes, c'est normal... » confia

EZRA au sujet de la maîtrise d'un son techniquement difficile. Ses démonstrations

provoquaient d'ailleurs des rires ou de l'étonnement manifestant le caractère

déroutant et impressionnant de la pratique. Suite aux différents exercices où

chacun était amené à reproduire un son précis, EZRA proposa une improvisation

collective afin de mettre en pratique les découvertes effectuées. Certains d'entre

eux balançaient leurs corps en marquant le tempo quand d'autres tentaient

timidement de s'essayer à émettre leurs premiers sons de human beatbox. Une fin

en decrescendo aboutit sur des applaudissements qui vinrent clore la séance.

32

Page 33: Le beatbox et ses pratiquants

Le troisième championnat de France de human beatbox à Montpellier

Organisé, les 14 et 15 Novembre 2008, par l'association 1Beat2Bouch' et

la Méridionale des Spectacles62, le championnat a été l'évènement majeur de cette

année pour la communauté des beatboxeurs. C'est donc avec un grand intérêt que

je me suis rendu sur place pour mener de nouvelles observations. Comme j'ai pu

le constater auparavant, ces rassemblements sont le théâtre de nombreuses

interactions qui témoignent de « l'état d'esprit » des pratiquants. Résolument hip-

hop, la compétition avait pour but de faire s'affronter 40 beatboxeurs, 10

beatboxeuses et 10 équipes. Les phases finales ont eu lieu l'après-midi du 15

novembre dans un bar disposant d'une grande scène, l'Antirouille, situé au coeur

de la ville. « Est-ce que beatboxfrance est dans la place ? » prononcé par Moino,

un beatboxeur-organisateur, donna le ton. Animé par un Maître de Cérémonie, la

compétition fut une succession de « battles » à l'issu desquels le vote du jury,

composé de beatboxeurs étrangers et d'autres musiciens, décida du vainqueur sous

les applaudissements du public. Dans les prémices de la compétition, les

beatboxeurs discutaient entre eux, émettant des pronostics, des commentaires sur

l'amplification ou encore sur la difficulté du défi à relever. Nous incluons, pour

étayer la description de ce championnat, des commentaires laissés sur le forum :

« Je dirais que j'ai été grandement surpris par l'ambiance, le niveau et l'humanité qui en a découlé, c'était vraiment énorme la déambulation dans les rues de Montpellier, gros souvenir pour moi. Une autre claque c'est le niveau de chacun qui pour la plupart a vraiment augmenté, le système son à l'Antirouille y a joué pour beaucoup parce que les basses bavaient beaucoup, du coup la puissance des sons était là et s'en était impressionnant parfois... »63

Même si le titre de champion de France a son importance, les accolades

systématiques à chaque fin de duel, les encouragements ou les « jams-sessions »

témoignent du respect et de la solidarité qui régnaient lors de cette édition.

L'émulation collective semble une des composantes essentielles de ce type de

rencontre.

« Je tiens à tous vous remercier, quand je suis arrivé à Montpellier j'ai eu l'impression de revoir ma famille, je sais que pour la plupart on se connait pas beaucoup mais cette solidarité du mouvement beatbox est très forte et ça me donne

62 Association à l'origine du festival « Monpellier à 100 % » 63 Posté par LOS, le 16 novembre 2008.

33

Page 34: Le beatbox et ses pratiquants

l'impression d'une fraternité, ça fait juste du bien... Merci à vous. »64

Outre des phénomènes redondants, déjà observés lors des précédents

championnats, l'édition 2008 comportait tout de même des « nouveautés ». Les

beatboxeurs ont manifesté une plus grande familiarité avec les outils de

sonorisation, l'ingénieur du son devenant un partenaire à qui on peut demander

d'affiner un réglage. Le port de T-shirts où figurent le « blaze » du beatboxeur

et/ou le « crew » auquel il appartient devient courant. L'esthétique est hip-hop

avec l'emploi de lettrages de couleurs vives empruntés au graff. La dimension

agonistique étaient prégnante, les beatboxeurs ont fait preuve de stratagèmes de

plus en plus élaborés pour provoquer l'adversaire. La caricature, l'indifférence ou

l'ennui sont autant d'attitudes susceptibles de distraire ou d'agacer. A l'issu des

multiples « battles », c'est le beatboxeur DAWAN PLAYER qui l'a emporter. Sa

victoire n'est pas anodine, surnommé « Tonton » par ses pairs aux vues de son

âge et de son ancienneté dans le milieu, il est également celui qui a éliminé

POOLPO, un beatboxeur rendu célèbre par une émission de télé-réalité musicale.

Son succès médiatique fut mal perçu par une majorité de beatboxeurs, jugeant ses

prestations pauvres en créativité. Sa participation au championnat était donc très

attendue comme en témoignent des messages laissés sur le forum plusieurs mois

auparavant.

« Oh zut POOLPO n'est pas inscrit , pfff je suis trop triste ! ! ! »65

« Il peut toujours le faire si c'est encore ouvert, poussez-le à s'inscrire il habite dans la ville même !! Faut pas se foutre de la gueule du monde non plus. »66

« POOLPO ne veut pas venir quand je lui ai demandé de ta part si tu venais car il m'a dit que "soi-disant", le jury ne va pas le prendre car ce sont tes amis ou un truc quasi-similaire. En gros, il a peur et il ne veut pas le dire. Moi personnellement, je me suis inscrit et pourtant ça fait seulement près d'un an que je pratique le human beatbox... »67

Après la compétition, la question de la rencontre avec POOLPO a été

soulevée à plusieurs reprises même si sa présence n'a pas provoqué d'incident

particulier. Suite à son élimination, il a directement quitté les lieux.

64 Posté par LOS, le 16 novembre 2008.65 Posté par SUPERDAWAN, le 27 août 200866 Posté par HOX, le 28 août 200867 Posté par BMG, le 28 août 2008

34

Page 35: Le beatbox et ses pratiquants

« Juste un mot par rapport à POOLPO. Certaines choses pendant l'évènement me laissait penser qu'il allait peut-être finir par s'intégrer et oublier son mauvais esprit, très déçu qu'il n'ait pas essayé d'échanger et de se repentir et qu'il aie préféré s'enfuir dès sa défaite contre DAWAN. »68

Milieu masculin, le human beatbox cherche cependant à inciter les filles à

participer en ouvrant les portes du championnat. NASTY, le Maître de Cérémonie

a déclaré à ce propos lors d'une interview télévisuelle :

« C'est plus subtil, elles se prennent moins au sérieux dans l'attitude mais j'ai bien aimé parce que il y avait de l'agressivité dans les passages, beaucoup de dynamique. »

La championne 2008, PETIT PONEY, habituée aux matchs

d'improvisation théâtrale, était déjà présente en tant que spectatrice les années

précédentes. La volonté de rivaliser avec les hommes paraît de plus en plus

importante et ceux-ci ne semblent pas s'y opposer.

« Pour les filles : allez, on se dit qu'un jour on sera 40, nous aussi ! »69

« En espérant que le nombre de participante ne cesse d'augmenter au fil des championnats et qu'un jour les battles soient mixtes : tremblez messieurs ! »70

A la manière des « battles » de « breakdance » par équipe, les « crews » de

beatboxeurs se sont affrontés en proposant cette année des performances

scéniquement et techniquement travaillées en amont. Les vainqueurs de cette

édition, UNDER KONTROL, ont poussé le mimétisme à son paroxysme. Ils ont

procédé à une répartition de lignes rythmiques et mélodiques en s'inspirant de

« crews » de DJ's. Cette « division du travail » permettait à l'un d'entre eux de

prendre le rôle de MC71, ce qui avait pour effet d'accentuer la dimension théâtrale

et musicale. Leur prestation a d'ailleurs eu un retentissement important, ensuite

confirmé par la décision du jury.

« UNDER KONTROL, j'ai halluciné la puissance, les compos, les jeux de scènes, la musicalité super propre quoi. Respect les gars franchement et comme je disais a SPAWN, c'est pas un groupe de beatboxeurs. A ce niveau la ça devient un quatuor... »72

68 Posté par BLACK ADOPO, le 22 novembre 200869 Posté par PETIT PONEY, le 17 novembre 200870 Posté par Camillle, le 6 décembre 200871 Ici au sens de « Mic Controller », autrement dit celui qui contrôle le microphone en rappant et

interpellant le public.72 Posté par NT4, le 16 novembre 2008

35

Page 36: Le beatbox et ses pratiquants

Autoproclamés « human sound system »73, ces derniers ne manquaient pas

non plus de rappeller leurs différents « blazes » par l'intermédiaire de « scratchs »

vocaux. Le but n'était pas essentiellement d'entrer en lutte directe avec l'équipe

adverse mais d'impressionner grâce à la précision de l'imitation.

Beaucoup d'aspects de la rencontre ont marqué la prégnance de la culture

hip-hop dans la discipline. Il semble que les « battles » soient les lieux privilégiés

de l'expression de l'appartenance à cette culture. Les attitudes des beatboxeurs lors

du championnat sont communes à celles des pratiquants d'autres disciplines. Les

propos tenus par le Maître de Cérémonie viennent confirmer les manifestations

identitaires qui font du human beatbox une forme artistique qui possède des

origines, des règles et des valeurs communes : celles de la culture hip-hop. A

travers le récit quasi mythologique de la naissance du mouvement, il a souhaité

contextualiser le human beatbox et de fait, participer à sa reconnaissance.

Élément moteur des évènements dédiés à la pratique, le beatboxeur EZRA

ne participait pas à la compétition mais a proposé une improvisation en duo avec

la chanteuse Camille pour clore l'après-midi. Il n'a pas manqué de rappeler que le

human beatbox est une pratique qui peut s'adapter à tout les styles musicaux. Cette

volonté d'ouverture montre une fois de plus la forte présence d'éléments

esthétiques ou comportementaux issus de la culture hip-hop dans cette troisième

édition du championnat de France de human beatbox.

Les rencontres sur la pédagogie du beatbox à La Chaufferie

Organisées, les 5, 6 et 7 mars 2009, de la même manière que les

évènements de mon stage décrit précédemment, ces journées étaient axées sur une

thématique jusqu'ici inexplorée : la transmission du beatbox. Il s'agissait

principalement, pour les organisateurs, de permettre aux beatboxeurs de

confronter leurs méthodes pédagogiques pour transmettre le beatbox à des publics

différents. En pratique, des différents ateliers en milieux scolaires, un stage

destiné à des adultes (dont des musiciens-intervenants issus du CFMI) et de

nombreux temps d'échanges ont eu lieu dans les locaux de La Chaufferie. Une

partie des beatboxeurs présents étaient chargés d'animer les ateliers et le stage

73 Littéralement « système son humain », cette expression fait directement référence aux « sound-systems » animés par des DJ's.

36

Page 37: Le beatbox et ses pratiquants

tandis que d'autres beatboxeurs novices dans ce domaine se positionnaient en tant

qu'observateurs.

Cet événement inédit débuta par une présentation de chacun des

participants, qu'ils soient beatboxeurs, beatboxeurs-observateurs, musicien-

intervenants ou responsables des structures organisatrices. Ce premier temps

permis aux personnes de s'exprimer vis-à-vis des enjeux de la transmission de la

pratique. D'une manière générale, la confrontation des beatboxeurs aux autres

personnes issues d'institutions musicales a été le thème qui a le plus retenu mon

attention. Je n'ai pas manqué de me concentrer sur les différences de vocabulaire,

de manière de pratiquer mais surtout d'enseigner la musique et les relations avec

les publics visés qui marquent une césure entre deux « mondes de la musique ».

Pour autant, ces divergences ont été sources de curiosité donc d'échanges et en

aucun cas d'opposition. Par exemple, aux techniques pédagogiques enseignées au

CFMI, le beatboxeur LOS répondait « moi j'y vais et je fais à ma sauce ! » avant

de dire que toutes ces questions posées autour de la pédagogie du beatbox étaient

synonymes d'enrichissement. Il fut d'ailleurs particulièrement ému à l'issue d'une

scène ouverte organisée le dernier soir durant laquelle diverses personnes

(débutants, beatboxeurs expérimentés, enfants, musiciens, musiciens-

intervenants...) ont pris le micro pour proposer quelques rythmes.

Je ne m'étendrai pas ici dans la description de ces trois jours qui m'ont

principalement permis de réaliser les entretiens, nécessaires à mon étude, avec des

beatboxeurs de toute la France, réunis pour la première fois à Grenoble. Les

thèmes abordés durant les moments de débats réapparaissent d'ailleurs au sein de

ces entretiens. Il me semble tout de même intéressant de relever le fait que je n'ai

pas pris parti aux discussions de groupes même si des beatboxeurs faisaient

parfois appel à moi, à la manière d'une encyclopédie, me signifiant ainsi la place

qu'il me confère au sein de leur communauté.

La deuxième édition du Human Beatbox Festival de Dijon

Cet événement est à retenir comme le premier festival d'une importante

ampleur qui a su rassembler sur quatre jours une vingtaine d'artistes74 ayant un

point commun : le human beatbox. De la simple démonstration « solo » en passant

74 Cf. annexes

37

Page 38: Le beatbox et ses pratiquants

par des créations mêlant différents musiciens jusqu'au « shows » de groupes de

beatboxeurs, le public venu nombreux a pu assister à l'expression des multiples

facettes de la discipline. En revanche, la faible présence de beatboxeurs souvent

présents dans d'autres manifestations est à noter. Cela s'est traduit par une faible

quantité de moments de « jams » aux abords des salles de concert, chose qui se

produit d'ordinaire. Ici, les prestations des différents beatboxeurs invités ont

retenu toute leur attention de par les répétitions, les balances, les déplacements...

La présence de pionniers de la discipline comme l'américain KID LUCKY

ont donné lieu à de nombreux échanges. Celui-ci a notamment fait un été des

lieux de la discipline dans son pays en déclarant par exemple que les « battles »

avaient fortement nuit à une bonne entente entre les beatboxeurs qui, aujourd'hui,

ne coopèrent plus mais s'insultent. C'est avec étonnement qu'il découvrit

l'important soutien de la part de partenaires publics qu'a reçu le festival pour

exister.

L'utilisation quasi-systématique de pédale de « samples » ou de divers

effets est un phénomène récent mais pour beaucoup, il convient de préciser au

public que les sons ne proviennent pas des machines mais sont enregistrés ou

modifiés par celles-ci.

BEELOW, responsable de Beatbox Battle TV, était sur place pour réaliser

des interviews. Accompagné d'une équipe technique, il parcourt les évènements

pour recenser les différents beatboxeurs et leur permettre de se présenter dans des

vidéos déposées ensuite sur internet. Les beatboxeurs interrogés durant ce festival

m'ont fait part de leur difficultés à se mettre en scène lors de ces interviews.

2. Des lieux virtuels pour de réels échanges

Le forum « beatboxfrance », un lieu fédérateur et d’échanges

Pour les beatboxeurs, internet est l’outil qui les a rassemblés et leur a

permis de construire ensemble un réseau. La communauté beatbox s’est organisée

de manière informelle autour de l’internet qui a permis la convergence virtuelle de

38

Page 39: Le beatbox et ses pratiquants

ses membres au sein d’un forum75. Créé en 2005 à l’initiative d’un beatboxeur

ayant pour pseudo ATOX, aujourd’hui le forum français consacré au beatbox est

modéré par LOS et compte environ 4 000 inscrits. Il est divisé en six grandes

catégories : général, évènements, multimédia, tutoriaux, battles et divers. Elles se

déclinent en sous catégories comportant des « topics »76 et « posts »77. Dans la

catégorie battles par exemple, on trouve la section audio qui comporte des

enregistrements de battles proposés par les utilisateurs. Le nombre de « topics »

est affiché selon chaque sous-catégorie et porte un titre qui en précise le sujet. Un

compteur indique le nombre de visites ou de réponses et la date de mise en ligne

de chaque « topic » est affichée. Tous les utilisateurs peuvent à tout moment créer

un « topic » ou prendre part à un échange en répondant par un « post ». La

création d’un nom d’utilisateur et d’un mot de passe est cependant nécessaire pour

accéder à toutes les pages ; l’accès reste libre, la structure du forum est rédigée en

anglais.

Un rapide coup d’œil sur la liste des inscrits permet de juger de la faible

proportion de personnes participant activement à la vie du forum. Sur cette liste

figure non seulement le « blaze »78 et la date d’inscription de la personne mais

également le nombre de « posts » qu’elle a déposés qui est ensuite traduit en

pourcentage par rapport au nombre total. Plus ce dernier est important, plus le

niveau de la personne augmente. Des insignes représentant des micros

accompagnés de commentaires s’ajoutent donc au fil des messages laissés.

Lorsque l’utilisateur n’en possède pas, c’est un « newbie79 du forum », un micro

signifie qu’il « commence à causer… », deux micros qu’il « s’exprime », trois que

c’est un « blablateur confirmé », quatre qu’il « parle beaucoup », à cinq micros il

atteint le maximum. Chaque « post » déposé est automatiquement signé en faisant

apparaître le nom de son émetteur, son niveau de participation, sa date d’entrée et

éventuellement une photo en macaron. Il est également possible de se créer une

signature personnelle qui apparaîtra à toutes les fins des messages. Certains

75 Les différents sens du terme correspondent particulièrement bien à ce cas précis. Le mot forum désigne à la fois une place publique d’échange, un espace de débat et de négociations autour d’un thème et un espace virtuel qui permet de discuter librement de divers sujets selon une charte établie par l'administrateur et appliqué par un modérateur.

76 Littéralement « thème ».77 Utilisé ici dans le sens de « message ».78 Littéralement « balise ». C’est le nom donné aux pseudonymes hip-hop.79 En informatique, c’est une personne qui débute dans un domaine particulier d’Internet.

39

Page 40: Le beatbox et ses pratiquants

proposent des liens vers des sites personnels quand d’autres placent un message

tel que « peace, unity, love and having fun » cité plus haut ou encore « Respect

pour la Nature, pas pour les murs ! Wild Familya Crew !!! ».

Un système de « chat »80 est présent sur la page d’accueil pour permettre

aux personnes connectées au forum de discuter en direct de manière publique.

D’autres biais de communication sur Internet sont employés par les beatboxeurs,

d’autres outils de messagerie instantanée et bien évidemment les boîtes mail

viennent compléter l’usage du forum. La principale caractéristique du forum est

de relier entre elle les personnes animées par la même passion. C’est ainsi que le

thème « discussion générale » placé en tête de la page d’accueil possède un

nombre important de « topics » qui se trouvent parmi les plus visités. Les sujets

sont variés, il peut s’agir d’interrogations, d’appels à projet, d’idées,

d’informations : « ici c’est discussion autour du beatbox ». Un espace est dédié à

l’échange de contacts qui n’apparaissent pas dans le profil des utilisateurs, j’ai

moi-même tenté, sans succès, de connaître l’existence de beatboxeurs dans les

environs de Grenoble. Les concerts et autres évènements « beatbox » sont

annoncés par leurs organisateurs, des tutoriaux de différentes natures sont

consultables et un espace de discussion sur des sujets libres est prévu.

Nous nous limiterons ici aux échanges et matériels présents sur le forum et

aux témoignages recueillis à son sujet pour justifier l’emploi de ce terrain d’un

genre nouveau. C'est ainsi que des messages jugés pertinents déposés par les

différents utilisateurs apparaitront au fil de l'analyse. Au delà de la simple citation,

il s'agit également de chercher à les interpréter. En dehors des discussions

« quotidiennes », les discours (datés et signés) des beatboxeurs sont souvent

éloquents et témoignent la plupart du temps de leur ressenti vis-à-vis d'un artiste,

d'un événement, d'une vidéo... La confrontation de ces avis permet d'accéder aux

débats actuels qui animent la communauté. Les réactions laissées au fil du temps

constituent des indicateurs des différentes personnalités qui composent la

communauté et de son évolution. Véritable cordon ombilical qui les relie les uns

aux autres en dehors des rencontres nationales, le forum est également un lieu de

rencontre et de découverte. Par exemple, on peut suivre en ligne l'intégration d'un

jeune beatboxeur qui demande conseil aux plus expérimentés et qui reçoit en

80 Messagerie instantanée permettant l’échange de messages en temps réel entre plusieurs personnes.

40

Page 41: Le beatbox et ses pratiquants

retour des encouragements. Il semble qu'une quantité importante d'évènements

interpersonnels se produisent sur le forum et méritent ainsi tout notre attention. De

la simple information qu'ils délivrent jusqu'aux interprétations envisageables, les

mots des beatboxeurs resteront des données nécessaires à la compréhension de la

pratique.

Enfin, le lieu incontournable de cet environnement virtuel est sans aucun

doute la section intitulée multimédia qui a pour mission de recueillir des liens vers

de nombreuses vidéos et enregistrements liés au beatbox. Un « topic » de ce genre

est généralement créé par une personne désireuse de partager une vidéo

personnelle ou celle d’un autre beatboxeur accompagnée la plupart du temps d’un

commentaire. S’en suivent des réponses d’autres personnes qui se prononcent sur

le visionnage ou l’écoute de l’enregistrement en question en proposant parfois

d’autres liens. Ces liens amènent l’internaute à se rendre sur des sites spécialisés

dans la mise en ligne et le visionnage de vidéos en tout genre. Il semble donc utile

de décrire ici comment ces sites particuliers se présentent.

Les sites de mise en ligne de vidéos

Ces nouveaux outils, qui ont pour but d’héberger des vidéos de toutes

sortes et de les diffuser en « streaming »81, jouent un rôle prépondérant dans

l’usage que font les beatboxeurs d’internet. Là encore, une inscription est

nécessaire pour pouvoir mettre en ligne du matériel audiovisuel ou déposer des

commentaires. En revanche le « visionnage » des vidéos reste accessible à toute

personne qui se rend sur ces pages. Un lien précis peut y amener mais si l’on

entreprend soi-même de trouver des vidéos, un moteur de recherche permet de

cibler les vidéos ayant trait au beatbox. Ces dernières peuvent être de nature très

différentes, on rencontre des extraits de concerts capturés à l’aide de téléphone

portable, des passages télévisuels, des comptes-rendus de championnats, des

courts-métrages, et surtout des enregistrements personnels de différents

beatboxeurs. Ces documents sont souvent tournés au domicile même du

beatboxeur qui utilise, la plupart du temps, une webcam et un micro. Le but est

simple : exécuter une démonstration technique pour ensuite la diffuser. Dans

81 Littéralement « écoulement ». Il s’agit d’un procédé de diffusion en direct, sans temps de téléchargement, de séquences audiovisuelles.

41

Page 42: Le beatbox et ses pratiquants

certains cas, il s’agit d’un tutoriel permettant à d’autres de s’initier ou

d’apprendre, mais la majorité des vidéos est soumise aux appréciations du

« visionneur » qui se transfome en jury. La lecture des commentaires permet de

savoir si elle a reçu les honneurs des internautes qui n’hésitent pas à émettre de

vives critiques dans le cas contraire. Aux abords d’une vidéo sur ce type de page,

on trouve différentes informations comme le nombre de « visionnages », de

commentaires laissés et le nombre de votes échelonnés sur cinq étoiles. Il est

possible, comme sur le forum, d’afficher le profil de l’utilisateur qui n’est pas

obligatoirement la personne filmée sur la vidéo proposée. Ces sites comportent

une dimension hypertextuelle qui met en lien des objets ayant des points

communs ou qui font partie d’un même domaine. Il est donc possible de naviguer

d’une source à une autre tout en restant focalisé, dans notre cas, sur la pratique du

beatbox. Toutes ces caractéristiques font des sites de mise en ligne de vidéos des

lieux propices à la mise en évidence de la pratique mais surtout de ses pratiquants.

Ces derniers procèdent, par ce biais, à des échanges de compétences et laissent les

visiteurs juger celles-ci. Internet devient un espace scénique alternatif qui diffuse

les « prouesses » musicales des beatboxeurs. Celles-ci sont rendues accessibles en

permanence à toute personne désireuse de les voir. Le public n’est plus confiné

dans une salle à un horaire précis, plus personne ne peut manquer la séance, un

« clic » et le numéro est rejoué devant une audience internationale.

3. Les beatboxeurs interviewés

Cet échantillon de beatboxeurs ne se veut en aucun cas représentatif mais

il m'a tout de même permis d'observer des parcours différents et de mettre en

évidence différents point de vue sur la pratique. Ils sont présentés ici dans l'ordre

chronologique de réalisation des entretiens.

- Matthieu alias JOOS, 30 ans, 5 ans de pratique. Né à Aurillac, il a étudié

les arts plastiques à Nîmes et vit à Marseille. Il a pratiqué la batterie dans un

groupe rock pour découvrir ensuite le hip-hop en pratiquant notamment le graffiti.

Il a prit connaissance du beatbox en rencontrant à Marseille les membres du PHM

crew. Il monte sur scène et anime des ateliers, par l'intermédiaire de l'association

42

Page 43: Le beatbox et ses pratiquants

Petit K qu'il a formée, depuis un an et demi. Il vit des différents ateliers qu'il

propose (film d'animation, beatbox, musique assistée par ordinateur...) Il est à

l'initiative de soirées marseillaises intitulées « Apéro Beatbox » qui ont lieu dans

des bars et permettent la rencontre.

- David alias GARCIA, 28 ans, 5 ans de pratique. Né en Normandie, il vit

à Angers. Avant d'être coordinateur et intervenant au sein de l'association Aladesh,

il a enchaîné des petits boulots suite à l'bandon de ses études secondaires. Il a

passé plusieurs diplômes dans l'animation et est actuellement formateur BP

JEPS82. Pluri-instrumentiste, il fait partie de plusieurs groupes de musique et

propose des ateliers « musique et chant » dans lesquels il inclut la pratique du

beatbox. Il ne se considère pas beatboxeur car il ne participe pas aux « battles » et

ne donne pas de concerts de beatbox, en revanche il possède un regard éclairé sur

ses collègues (Laurent et Vincent), la pratique et ses rapports avec les institutions.

- Renaud alias MICLEE, 27 Ans, 4 ans de pratique. Il a vécu à Grenoble, à

Châteauroux, en Martinique et à Lyon avant de s'installer à Montpellier. Il a passé

des diplômes en topographie mais est actuellement technicien du spectacle dans

des théâtres. Il a commencé par écrire des textes et jouer de la guitare avant de se

mettre à beatboxer. Il a déjà participé à différents battles et a organisé le

championnat de France dans sa ville. Il joue au sein d'un duo de beatboxeurs

« 1Beat2Bouch' ». Il souhaite mettre en place des ateliers mais n'envisage pas une

vie professionnelle liée uniquement au beatbox.

- Yvan alias OSLIM, 28 ans, 5 ans de pratique. Né à Précigné, il vit à

Sablé-sur-Sarthe. Il a pratiqué parallèlement le rap et le human beatbox. Il a suivi,

contre son gré, un bac technique en communication/administration. Il a ensuite

travaillé trois ans comme intérimaire dans diverses usines de sa région. Il a changé

de cap en passant des diplômes dans l'animation et a pu ainsi mener des ateliers de

beatbox. Il a participé à plusieurs compétitions et fait partie du duo « Hooked

Clowns » avec LOS. Il est actuellement en train d'élaborer un spectacle et

d'enregistrer des chansons.

82 Créé en 2001, le Brevet Professionnel de la Jeunesse, de l’Education Populaire et du Sport atteste de la possession des compétences professionnelles indispensables à l’exercice du métier d’animateur dans le champ de la spécialité obtenue.

43

Page 44: Le beatbox et ses pratiquants

- Nicolas alias TIKO, 27 ans, 9 ans de pratique. Né à Nevers, il a étudié les

Lettres modernes à Dijon et vit actuellement à Lyon. Ses premiers pas dans la

musique se sont faits avec l'apprentissage éclair de la guitare, puis de la basse

avant de s'adonner principalement à la pratique du beatbox. Il a fait partie de

diverses associations culturelles et a enchaîné des petits boulots pendant deux ans.

Depuis un an, il mène des ateliers gérés par association dijonnaise qui lui a permis

d'organiser le second championnat de France. Il fait d'ailleurs partie d'une équipe

de quatre beatboxeurs, Under Kontrol, qui a remporté le dernier championnat de

France, à Montpellier. C'est un des des membres très actifs de la communauté

française.

-Vincent alias EZRA, 24 ans, 8 ans de pratique. Né à Saint-Nazaire, il est

basé au Mans. Il a fait des études d'arts du spectacle à Paris. Il est à l'origine du

premier championnat de France à Angers et est souvent cité comme l'élément

fédérateur de la communauté. Véritable carnet d'adresses des pratiquants français,

il cherche en permanence à mettre en lien les personnes afin de favoriser les

échanges, la constitution d'un réseau, donc le développement de la pratique. Il a

participé à des compétitions mais préfère être de l'autre côté, celui de

l'organisation. Repéré par la chanteuse Camille, il a effectué à ses côtés une

tournée internationale ce qui lui a permis de devenir intermittent du spectacle. Il

continue cependant, dès qu'il en a l'opportunité, à animer des ateliers. Il travaille

actuellement sur un nouveau spectacle qui mêle le beatbox et nouvelles

technologies.

Tableau récapitulatif

Noms AgeNb d'années de

pratique du beatbox

Autres instruments

pratiqués

JOOS 30 5 Batterie et MAO

GARCIA 28 5 Guitare, chant...

MICLEE 27 4 Guitare et rap

OSLIM 28 5 Rap

TIKO 27 9 Guitare et basse

EZRA 24 8 -

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Page 45: Le beatbox et ses pratiquants

Les beatboxeurs interviewés affichent une moyenne de 27 ans et ont

presque tous eu une pratique instrumentale avant celle du beatbox. Ces

beatboxeurs appartiennent à une première génération de pratiquants qui se ont

débuté assez tardivement. La pratique d'un autre instrument témoigne d'une

certaine sensibilité musicale qui a vraisemblablement aidé les individus à

progresser dans le monde du beatbox. Les outils techniques ou artistiques acquis

par le passé ont été réintégrés dans leur pratique du beatbox.

Au sein de cette partie essentiellement descriptive, nous avons pu nous

rendre compte des différents évènements et lieux de la pratique. Les récits des

moments passés sur le terrain ont fait entrevoir certaines thématiques qu'il s'agit à

présent d'approfondir. C'est le terrain qui est venu nourrir ma façon d'interroger

cette discipline artistique. C'est pour cette raison qu'il m'a semblé important de

rentrer dans le détail. Ces évènements sont les premiers du genre et sont les

fondations du beatbox sur lesquelles les pratiquants peuvent construire ensemble

une nouvelle façon d'envisager la musique. On cherchera donc à présenter le

beatbox sous différents angles avant de voir les facteurs qui ont fait se réunir les

individus autours de cette discipline artistique. Enfin nous observerons les modes

d'organisations et les divers positionnements des beatboxeurs vis-à-vis de leur

pratique.

45

Page 46: Le beatbox et ses pratiquants

IV. UN ART LUDIQUE ET UNIVERSEL

1. Le beatbox est un jeu

La frénésie avec laquelle les beatboxeurs se livrent à des « jams » lors de

diverses rencontres est un trait particulier de cette pratique et témoigne de l’envie

de partager, de jouer à plusieurs, de sortir d’une recherche isolée. À entendre les

beatboxeurs parler d’un événement comme le festival présenté plus haut, il semble

qu’il s’agisse pour eux d’une « cour de récréation » dans laquelle se déroulent des

« parties de jeu » chaque fois différentes. Les beatboxeurs possèdent une vision

de leur pratique souvent liée à l’idée de loisir. « A la base beatboxer c'est... se

procurer du plaisir, en tuant l'ennui… »83 De plus, ils font souvent appel à leurs

souvenirs d’enfance pour parler de leurs débuts dans la pratique des bruitages. En

imitant des bruits de voiture ou d’explosions lors de leurs parties de jeu, les

enfants cherchent à les rendre plus « réels » en ajoutant eux-mêmes les sons

correspondants à l’objet imité. Le principe même d’enchaîner, de cumuler, de

mélanger des sons définis est une forme ludique. Lorsque que l’historien Huizinga

parle du jeu, il l’entend comme une action libre, sans fonction utilitaire et fondée

sur le sentiment de plaisir. Caillois propose par ailleurs une classification des jeux

selon leurs caractéristiques : l’idée de lutte « agôn » , l’imitation « mimicry » , le

vertige « ilinx » et le hasard « alea »84. Le beatbox comporte à la fois une

dimension agonistique, visible durant les battles (dont nous reparlerons plus tard) ;

mimique, qui définit la pratique ; et extatique, particulièrement lors des « jams ».

Dans ces petits groupes, les « joueurs » entrent de manière informelle dans la

partie qui vise seulement l’exaltation collective par le biais de la musique.

« C'est vrai que je vois a capella à dix, ça parait con mais c'est un kiffe énorme pour les beatboxeurs, moi souvent je le dis au gens, entre nous on préfère jouer a capella parce que c'est vrai que quand on a une scène avec un micro bon c'est super, on se fait kiffer les uns les autres mais après jouer tous ensemble a capella c'est vraiment très fort et y'a un truc primitif là dedans... comme les Massaï justement qui se mettent en cercle et qui rentrent en transe à faire des (…), je pense qu'on est pas loin de la transe des fois, quand on se met à jouer, là hier soir, on a joué de 9 heures à 2 heures du matin tous les 4, on a pas arrêté quoi, on a pas arrêté... ouais c'est ce partage là, ce partage là il est assez fort... »85

83 OSLIM84 CAILLOIS Roger, Les jeux et les hommes, Gallimard, 1958.85 JOOS

46

Page 47: Le beatbox et ses pratiquants

Comme le jeu, les « jams » ne se situent pas dans la vie courante, ils

constituent une parenthèse qui permet d’en sortir, même si leur pratique se déroule

dans un espace délimité temporellement. Le cercle des « jams » ou la scène sont

donc des terrains de jeu où les individus appliquent un ensemble de règles

spécifiques au beatbox. Le jeu crée un nouvel ordre doté de ses propres règles : les

beatboxeurs savent par expérience lors de « jams » à plusieurs, qu’il est nécessaire

de se répartir les instruments, de ne pas jouer en solo au détriment du groupe, de

garder le tempo, etc. Le jeu permet l'émulation collective tout en laissant un

espace d'expression à chaque individu. On peut ainsi expliquer l’enthousiasme

dont font preuve les beatboxeurs lors de rassemblements, les « jams » leur

permettent effectivement de s’isoler dans des formations en cercle. Ce caractère

exclusif provoque sans cesse « la mise en jeu » des beatboxeurs qui, ainsi, ne se

sentent plus concernés directement par ce qui les entoure. La tension créée par le

jeu engage intégralement les joueurs. Les beatboxeurs avouent qu’ils peuvent

s’adonner seuls à leur pratique tout au long de la journée mais que, la plupart du

temps, le jeu a plus d’intérêt en groupe et en présence d’un public les soirs de

concerts.

Pour Huizinga, on assisterait à une dégénérescence du facteur ludique. Les

individus se seraient trop attachés aux conditions matérielles et spirituelles de

leurs existences. Le beatbox, de par son immatérialité et son accessibilité, possède

une véritable « teneur ludique » ; de sa naissance jusqu'au « jams-sessions » en

passant par son apprentissage, il est marqué par le jeu. Phénomène présent dans la

culture hip-hop, le refus d'une certaine réalité transforme le beatbox en un

exutoire, un moyen d'échapper à la gravité de la vie quotidienne (en jouant).

En pratiquant le beatbox, on joue « à faire croire que » l’instrument imité

ou le rythme reproduit est présent sur scène. C’est un simulacre qui (nous) donne

l’illusion de la réalité. Caillois ajoute que ce caractère fictif participe à la

définition du jeu. La représentation d’un instrument par le mime et la voix

construit une image sonore qui interpelle notre imaginaire visuel et musical.

Intéressons-nous donc aux moyens visibles employés par les beatboxeurs pour

accentuer l’illusion. Nous verrons que les mains sont le prolongement des sons

émis, elles sont capables de (nous) confirmer la nature de l’instrument dont il

s’agit et la manière dont on en joue.

47

Page 48: Le beatbox et ses pratiquants

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Le beatboxeur EZRA reproduit sur scène le son du didjeridoo, il s'assoit et feint de le tenir entre ses

mains tout en le dirigeant de temps à autre vers le public.

Grenoble, le 12 avril 2008Photographie : R. Martino

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Ce beatboxeur se saisit d'un bouton pour augmenter ou baisser le volume sonore des sons qu'il émet.

Berlin, 1er février 2008Photographie : R. Martino

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Page 53: Le beatbox et ses pratiquants

2. « C'est humain de s'exprimer »

Les interviewés s'accordent tous pour faire du beatbox une discipline

universelle, accessible et ouverte. Les arguments formulés pour justifier ces

caractéristiques sont multiples et conduisent à démystifier la pratique. Mettre en

avant le fait que chaque individu est un beatboxeur potentiel permet de lever le

voile sur la pratique de la musique qui serait réservée à une élite artistique ou

sociale.

« La simplicité, l'universalité… tout le monde se retrouve à égalité devant cette pratique… tout le monde fait (...), après y'en a qui vont s'entraîner comme des oufs et qui vont devenir LOS et après y'en a d'autres comme moi par exemple qui sont fainéants, qui ne veulent pas chercher plus loin et qui vont s'arrêter à quelques sons mais en tout cas à la base on est sur le même pied d'égalité.. quelque soit ta condition sociale, quels que soient tes goûts, tes couleurs, tout ça machin… le violon c'est pas pareil, le violon, faut acheter le violon, faut payer les cours, le piano c'est pareil… tout le monde n'a pas accès à ce genre de trucs quand on est petit… le beatbox, tout le monde peut faire du beatbox… donc à un moment donné, on casse les codes et on met tout le monde au même pied d'égalité et on fait : “vas-y maintenant on fait ça”… »86

En s'appuyant sur ces caractéristiques, certains vont même jusqu'à qualifier

le beatbox de « pouvoir magique ». L'emploi de cette expression montre une

volonté de faire l'éloge de leur discipline qui agirait activement sur les pratiquants.

« C'est une discipline qui demande absolument rien, qui est très complète, et qui est humaine et qui est… qui permet… qui permet de jamais s'ennuyer, de… de se développer physiquement, psychologiquement… de rencontrer beaucoup de gens d'une, de pouvoir jouer avec des gens et de deux, à chaque fois qu'on fait du beatbox devant des gens, y'a des discussions qui en naissent…c'est un pouvoir magique pour tout ça... pour moi c'est aussi le moyen de rentrer dans... tous les tissus... de la société en fait, tous les tissus sociaux de la société... chez les riches, chez les pauvres, chez... chez de personnes qui sont mal ou qui sont bien... ouais voilà... »87

C'est en comparant le beatbox aux autres disciplines hip-hop que les

pratiquants remarquent son caractère ouvert. Certains d'entre eux cherchent

d'ailleurs à contredire les idées reçues à propos de la culture hip-hop. Sachant que

les beatboxeurs forment une entité hétérogène, la présence de différents goûts

musicaux permet de ne pas enfermer le beatbox dans une esthétique spécifique.

En cherchant à décrire, à justifier et à transmettre leur pratique, les

individus participent à sa reconnaissance dont nous reparlerons. Faire appel à des

pratiques préexistantes pour établir une filiation avec le beatbox rentre également

dans ce processus qui rend la pratique identifiable.

86 GARCIA87 EZRA

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Page 54: Le beatbox et ses pratiquants

V. COMMENT DEVIENT-ON BEATBOXEUR ?

1. Des origines et des trajectoires plurielles

Contrairement aux idées reçues sur le mouvement hip-hop, les beatboxeurs

de la communauté française ne sont pas tous issus de banlieues de grandes villes.

Ils sont littéralement éparpillés sur le territoire, même si l'Ile de France est

évidement le lieu d'habitation le plus cité, on trouve des beatboxeurs dans de

nombreuses régions. À Angers par exemple la présence des beatboxeurs a

contribué localement et nationalement au développement de la pratique.

Les appartenances sociales et culturelles des beatboxeurs sont des plus

variées. Il nous est impossible de définir un profil-type mais l'on peut tout de

même noter quelques tendances. Beaucoup sont issus de milieux populaires mais

pas tous. Bazin nous dit à ce propos que « les orientations du mouvement hip-hop

offrent la possibilité de développer un sentiment d'appartenance. Ouvertes à un

large éventail de comportements, elles permettent à chaque groupe

d'appartenance culturelle d'y déployer sa propre originalité. »88 On note

cependant que la majorité des références musicales transmises par les parents sont

elles aussi dites « populaires » à l'image d'OSLIM qui justifie lui-même cette

transmission culturelle :

« Ma mère écoutait de la funk aussi, elle écoutait du Kool and the Gang, elle y connaissait rien du tout, elle savait pas les noms de ce qu'elle écoutait, mais elle kiffait, elle écoutait ça, elle kiffait... ma mère a toujours voulu chanter quand elle était jeune, elle chantait des chansons en arabe aussi, ma mère est tunisienne à la base et je l'entendais beaucoup chanter en arabe, en faisant le ménage... grande enfant aussi ma mère... et du coup ça c'est mon enfance, donc environnement musical et artistique par ce que ma mère a ce truc là, ce truc de parler devant les gens, d'ouvrir sa gueule dans les repas, de parler fort, de faire rire les gens, de chanter toute seule... »

Certains beatboxeurs évoquent des membres de la famille qui jouaient d'un

instrument et qui les ont ainsi influencés ou même initiés à la musique. D'autres

ont appris, de manière autodidacte, à jouer d'instruments comme la batterie ou la

guitare avant de débuter le beatbox. En tout cas, la pratique beatbox, de par son

caractère récent et alternatif, n'a pas été encouragée comme peut l'être

l'apprentissage d'un autre instrument.

88 BAZIN H., op. cit.

54

Page 55: Le beatbox et ses pratiquants

« Mes parents ont essayé de me faire faire de la musique, mais c'est venu tout seul, ils voulaient par exemple que je fasse du conservatoire mais je voulais pas, j'aime pas trop l'école, je voulais pas m'enfermer... des fois je regrette un peu mais je me dis que non, je suis moins formaté. »89

Les beatboxeurs semblent nombreux à être entrés en conflit avec le

système scolaire et/ou s'être perdus dans les méandres de l'orientation

professionnelle. Pour d'autres, des années passées à l'université ont été synonymes

d'enrichissement et d'ouverture sur le monde. Mais même s'ils ont suivi des

études, ils sont très rares à avoir un parcours linéaire. Ils ont souvent été amenés à

changer de travail par manque d'intérêt et de perspectives. Le secteur de

l'animation a été, pour certains, un moyen de se rapprocher de leur statut actuel de

« beatboxeur-intervenant ».

2. Découverte et apprentissage

Avant de prendre conscience de l'existence du beatbox, les individus ont

été en contact, par des différents biais, avec la culture hip-hop. Pour certains, le

fait de vivre, à un moment de leur vie, dans de plus grandes villes a provoqué

cette rencontre. Pour d'autres, c'est par l'intermédiaire des médias qu'ils ont pu

découvrir cette culture. L'adhésion au hip-hop s'est manifestée, pour la plus part à

l'adolescence, par l'écoute de morceaux de musique ou, pour certains d'entre eux,

par la pratique d'une autre discipline comme le graff.

Lorsque les beatboxeurs parlent du début de leur pratique, ils remontent

pour la plupart jusqu'à l'enfance et ses bruitages vocaux. Ils font également

référence à des artistes référents que nous avons cités plus haut. En revanche pour

beaucoup d'entre eux, la réelle découverte de la pratique ne s'est effectuée qu'au

contact d'une tierce personne.

« L'histoire avec le beatbox, du coup elle est longue un peu comme tous les beatboxeurs, on a tous une trajectoire spécifique mais à peu près similaire... j'ai toujours fait des sons depuis tout-petit, la trompette, la bulle ou des choses comme ça... quand j'étais petit, du coup étant souvent seul à la maison, du coup je regardais souvent la télé et je regardais souvent Police Academy, j'étais fan de Mickaël Winslow qui m'a mit des grosses claques, le gars en 87 ou quelque chose comme ça, il faisait (…), enfin tu vois c'est... ça me faisait grave kiffer et du coup je pense que ça a grave imprimé mon cerveau mais j'ai pas tilté sur le coup, je m'amusais à l'imiter... et du coup c'est resté en suspens, au collège j'ai découvert un peu la musique, le rock et les

89 MICLEE

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Page 56: Le beatbox et ses pratiquants

trucs comme ça... je marchait beaucoup pour aller à l'école donc tu vois je reprenais James Brown, je faisais (…), sans absolument dire que je faisais de la musique, c'était juste... je kiffe une musique, ça me fait vibrer et j'aime bien faire de la recherche, écouter des sons, découvrir, partager la musique avec les autres, juste à travers l'écoute et du coup c'était naturel de chanter comme ça... au lycée, j'ai un pote qui m'a initié au graffiti, grosse période vandale... au graffiti et au hip-hop et là du coup à la fin du lycée, j'ai découvert Saïan Supa Crew et Rahzel alors là directement je me suis mis à reprendre le (…) de Ring my bell. Rahzel on m'en parlait à l'époque mais je connaissais pas encore, du coup j'ai vraiment découvert Rahzel à ma première année de fac en 2000, quand je suis arrivé à Dijon... c'est en rencontrant FatKab […] un jour je l'ai entendu faire des scratchs vocaux, je l'ai regardé genre amusé (…) et on s'est regardé “ouah chanmé ! Toi tu fais ça aussi ?”... tu vois genre “tu beatboxes ?”, “ouais, non je sais pas faire, je fais juste de scratchs vocaux” et moi je lui fais : “moi les scratchs vocaux je sais pas faire par contre tiens...” on s'est engrené, premier festival At Caméra en 2001 à l'Athéneum, et en fait avec Brice, un autre copain, on a formé Monkey Beat, on était 4, une soirée alcolisée, parce que lui il rappait, il reprenait des textes de Missy Elliot des trucs comme ça en anglais, Ben faisait juste le (…), et tous les 4 on a formé ça et les gens, dans l'ambiance du festival sur la fac, étaient vraiment réceptifs... »90

Même si les beatboxeurs possèdent tous des histoires singulières vis-à-vis

de la découverte de leur pratique, ce récit, placé ici volontairement en entier, est

assez représentatif. La prise de conscience de l'existence de la pratique ne

s'effectue qu'au contact d'un autre pratiquant qui constitue ainsi une preuve

tangible et bien souvent un initiateur.

Si je comprends bien c'est au contact des autres qui tu as appris en fait ?

« Ah ouais, ouais à fond ! Rien que le fait de suivre le PHM, d'aller souvent les voir en concert, de parler un petit peu avec eux, faire un petit boeuf, ça te fais progresser énorme, moi je pense que c'est ça, je pense que si j'ai ce niveau là aujourd'hui, c'est d'avoir été avec les champions de France, même si ils ne m'ont jamais vraiment appris, ils ne m'ont jamais dit : “ bon on va t'apprendre un truc ”, ça a jamais été ça, c'était juste à l'écoute, ils t'entendent faire un truc, ils te font : “ ah, fais-le plutôt comme ça ”... apprendre les techniques quoi... le beatbox c'est beaucoup des clefs à donner aux gens, les sons on peut tous les faire, donc si t'as la clef de comment on peut les faire, t'y arrives et après c'est bosser tout seul, ou c'est à la maison pour arriver à enchainer les sons... »91

À la suite de cette découverte, les beatboxeurs entament une phase

d'apprentissage en alternant « entraînement » individuel et prise de conseils auprès

de beatboxeurs plus expérimentés. L'autodidaxie et le mimétisme sont les piliers

de l'apprentissage de la discipline. Pour ce faire, les beatboxeurs débutants vont

pouvoir se tourner vers les « maîtres » de la discipline pour s’inspirer et travailler

leurs « gammes ». On parle alors de « routine » lorsqu’un rythme est acquis et ne

requiert plus d’efforts. En ce qui concerne les maîtres, ils sont pour la plupart 90 TIKO91 JOOS

56

Page 57: Le beatbox et ses pratiquants

étrangers mais devenus célèbres par leurs performances dans le passé. Plus

proches, on observe des personnes référentes qui n'hésitent pas à décomposer un

rythme ou donner leurs avis sur un son lorsqu'on leur demande. Ces beatboxeurs

sont reconnus en tant que tels non seulement en raison de leur niveau mais

également de par leur aptitude à partager leurs connaissances. Que ce soit sur

Internet ou lors de rencontres, les beatboxeurs n’hésitent pas à s’échanger des

techniques : l’apprentissage est empirique. Ces échanges et les vidéos sont la

matière première de la formation. L’écoute, l’observation et la pratique sont

privilégiées contrairement à l'enseignement des musiques « savantes ».

Même si les beatboxeurs ne suivent pas de cours, les notions de travail et

de progression sont présentes dans les discours, l'objectif étant d'améliorer son

niveau. On ne parle pas ici de professeur ou d'horaires, mais d'un entraînement

quotidien réparti à différents moments de la journée. Il arrive cependant que les

beatboxeurs s'adonnent à des répétitions pour préparer une compétition ou un

concert.

Combien de temps tu alloues à ta pratique par semaine ?

« Pff... par semaine... tous les jours je beatboxe, y'a des fois où je m'entraine plus, j'essaye de bloquer sur plus de sons, me forcer à travailler avec ça... »

Y'a un lieu particulier ?

« Non... dans les endroits où ça résonne bien, dans les toilettes, la salle de bains... sinon dans la rue, ça m'inspire des petits bruits de tous les jours, c'est au moment où j'ai envie d'en faire que j'en fais, c'est ça qu'est bien... par semaine... je sais pas... bout à bout, c'est des petits moments, c'est des petits 10 minutes, ou des petits un quart d'heure donc bout à bout ça fait quand même... tu t'entraines tout le temps... »

Est-ce que t'as des moments avant des concerts où tu te dis : “là tiens je vais répéter, je me prend une heure et je bosse au micro” ?...

« Ouais ça m'arrive... un jour ou deux avant un concert... avant de monter sur scène on s'échauffe toujours un peu quand même mais... ouais je me prends des phases, pas tout le temps mais quand je ressens le besoin d'évoluer, de travailler, de pousser mes limites, vraiment de... jusqu'à la fatigue, jusqu'à la rapidité, aller le plus vite possible, ça veut pas dire forcément que je vais l'utiliser dans le concert, c'est juste pour me pousser... c'est des mini rigueurs pour travailler ton instrument... »

Qu'est-ce qui te pousses à le travailler ?

« Ben évoluer, je vois que je rentre toujours les mêmes sons, toujours les mêmes trucs... aller envie de faire des nouveaux phrasés... après je me rend compte qu'on a des beats qui sortent un peu tout seul, même on a beau travailler peut-être une heure avant on va arriver sur scène et on va faire ce beat là, c'est notre beat mais bon ça permet d'évoluer, d'avancer, toujours, pour pas stagner... »92

92 MICLEE

57

Page 58: Le beatbox et ses pratiquants

Il semblerai que cette volonté de progresser est alimentée par, une fois de

plus, le contact avec d'autres pratiquants. Le fait d'entendre une personne dont le

niveau technique est jugé meilleur incite les beatboxeurs à travailler pour

améliorer leurs performances. La compétition devient le moteur de la progression,

le but étant de dépasser l'Autre. Huizinga nous dit à ce propos : « Dans le jeu

individuel, le fait d’atteindre le but du jeu ne signifie pas encore gagner. Cette

notion n’intervient que lorsqu’on joue contre autrui. »93 Les « battles » sont les

lieux privilégiés de cet affrontement et dans le même temps, de la formation d'un

beatboxeur. En partant du postulat selon lequel le beatbox est une activité ludique,

la confrontation revêt alors une fonction pédagogique. Il s'agit donc de faire

preuve de toujours plus de maîtrise de son appareil phonatoire en cherchant à

produire des rythmes toujours plus rapides, des sons toujours plus graves, des sons

de « scratch » toujours plus fidèles, etc. La composition même du nom donnée à

la pratique nous renseigne sur l’intention de l’homme (« human ») de vouloir se

battre (« to beat ») contre les autres mais bien souvent contre lui-même.

Confronter ses techniques à celles d'autres pratiquants permet l'évaluation

de son propre niveau. En fonction des personnes rencontrées, les beatboxeurs se

positionnent et constatent ainsi les progrès qu'ils doivent encore effectuer. Les

novices se nourrissent des performances des beatboxeurs « référents » et

cherchent, d'abord à les reproduire pour ensuite se forger un style propre.

Les « bœufs» sont aussi des moments importants dans la formation d'un

beatboxeur. Essentiellement liés au plaisir, des cercles se forment en fonction des

personnes présentes et intègrent tous ceux qui veulent y participer. Comme nous

l'avons vu précédemment, même si ces cercles sont ouverts ils sont régis par un

certain nombre de règles plus ou moins tacites.

« Les boeufs... c'est toute une écoute, c'est un peu ce qui se passe dans la vie au quotidien j'ai l'impression, c'est que chacun à sa place, faut pas bouffer l'autre, on est tous ensemble, on fait la même chose ensemble et faut écouter le tout... savoir écouter chaque personne, après écouter le tout, savoir ce que tu fais... faut vraiment que ce soit ton corps qui parle sans prendre le dessus, c'est un respect, c'est comme un dialogue avec quelqu'un, tu parles, l'autre répond... quand on chante tous ensemble ben faut... ouais c'est une écoute, un partage aussi... quand on fait tourner les solos, ça se fait beaucoup dans le jazz, chacun a son moment après bim on revient ensemble, c'est énorme... je trouve ça énorme, c'est ce que j'adore... »94

93 HUIZINGA J., Homo ludens, essai sur la fonction sociale du jeu, NRF Gallimard, Paris, 195194 MICLEE

58

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Page 60: Le beatbox et ses pratiquants

Certains beatboxeurs se chargent de faire respecter ces règles pour obtenir

un ensemble harmonieux. C'est ainsi que les plus débutants apprennent à jouer à

plusieurs, à écouter, à garder le tempo, à ne pas empiéter sur leur voisin...

Y'a quelques conditions minimum quand même pour que ça fonctionne ?

« L'écoute... essayer d'être complémentaire, ça c'est un truc... beaucoup de beatboxeurs et j'ai été comme ça et je le suis beaucoup moins maintenant, mais ça peut m'arriver encore de ne pas être assez à l'écoute et de refaire une rythmique alors que l'autre est en train d'en faire une autre à côté, que c'est pas complémentaire, on se marche dessus alors que... alors qu'en s'écoutant et en essayant d'être complémentaire, on fait quelque chose de plus joli... et c'est un super bon moment d'échange d'énergie... je sais pas si j'ai bien répondu à ta question... je redis ça de manière bateau mais c'est ça c'est de faire de l'échange...»95

Même si les beatboxeurs utilisent très peu de matériel, un temps de

familiarisation est nécessaire. Le micro est le premier outil technique employé et

dont l'usage requiert un certain savoir-faire. Les doigts de la main placés sur la

tête du micro servent à concentrer les sons émis pour les accentuer. Cette

technique se transmet de pratiquants à pratiquants et vient ainsi compléter la

formation d'un beatboxeurs.

« Je pense qu'il vaut mieux avoir travaillé longtemps a capella avant de commencer à travailler au micro, moi ça a été mon cas et je pense que ça te permet de dès que t'as un micro de commencer... tu sais déjà faire des rythmes et tout ça, c'est un peu plus facile... par contre c'est vrai qu'il faut s'adapter au micro et c'est un travail, c'est pas facile... »96

La « loopstation » nécessite elle aussi un apprentissage mais qui s'opère

cette fois-ci individuellement. En effet, il s'agit non seulement de connaître ses

différentes fonctions mais c'est également un outil qui demande une grande

rigueur rythmique. Il faut savoir appuyer sur les différentes pédales qu'elle

comprend au bon moment pour obtenir une boucle sonore correcte. Cette

machine, utilisée essentiellement par des beatboxeurs confirmés, permet de

parfaire les compétences musicales apprises au fil du temps que nous venons de

décrire.

« Les boucles c'est un instrument aussi, c'est tout un truc...comme je les fais en direct, il faut se poser, les faire bien régulières, sans variations, la basse aussi, si t'enregistres une variation, elle y est tout le temps donc c'est hyper chiant, c'est une discipline la boucle... il faut la faire bien du premier coup... »97

95 EZRA96 JOOS97 ANGE B.

60

Page 61: Le beatbox et ses pratiquants

3. Des valeurs défendues

Même si certains beatboxeurs cherchent à s'émanciper de la culture hip-

hop, la discipline conserve et véhicule un ensemble de valeurs caractéristiques de

cette culture. Le respect, la non-violence et le défi sont autant de valeurs prônées

par les pionniers du hip-hop qui se manifestent encore aujourd'hui, mais de

manière nuancée, dans le beatbox.

« Dans le hip-hop, y'a toujours cette valeur de respect mais toujours cette histoire du clash, y'a toujours l'histoire de se confronter à l'autre dans... le battle... c'est pour ça que c'est un peu bizarre... en beatbox on est moins... ça reste un instrument, donc on fait pas que du hip-hop donc c'est ça aussi fait garder ce respect, ce partage, si t'es pas hip-hop, c'est pas grave... dans d'autres disciplines c'est pas pareil, c'est vrai... dans la danse j'ai souvent beaucoup vu des rivalités entre d'autres personnes parce que lui il dansait comme ça... des trucs bizarres, des clans qui se font... » 98

Même si d'autres valeurs sont évoquées, la notion de partage occupe une

place centrale dans les discours des beatboxeurs. Lors d'un débat en marge du

premier championnat de France à Angers, les participants se sont d'ailleurs

accordés oralement pour faire du partage le pilier de leur discipline. Nous avons

vu que l'apprentissage du beatbox s'effectue au contact d'autres personnes qui

n'hésitent pas à accompagner les moins expérimentés. Cet apprentissage repose

donc sur l'échange et la mutualisation de leurs connaissances.

« Ce que je trouve génial c'est que entre eux, ils ne cherchent pas à dire : “putain j'ai un son, je le garde pour moi, je vais le sortir en battles et comme ça je vais tous les niquer !”, ils ont un son, ils se le montrent, ils se copient les uns les autres, tu vois... »99

En plus de savoir-faire techniques, les beatboxeurs « apprentis » acquièrent

au fil des rencontres un état d'esprit propre à la discipline, « basé sur des

principes fondamentaux dans une interaction continuelle entre expression

artistique et mode de vie. »100 Il s'agit pour les beatboxeurs « référents » de

transmettre en plus d'une pratique, sa philosophie. Cet état d'esprit est

essentiellement lié à la notion de plaisir, et bien souvent, d'un plaisir partagé.

Comme le jeu, le beatbox est présenté comme une fin en soi. C'est la raison pour

laquelle on retrouve tant d'énergie lors des « bœufs ». Jouer de la musique à

98 MICLEE99 GARCIA100 BAZIN H., op. cit.

61

Page 62: Le beatbox et ses pratiquants

plusieurs est le moyen de divertissement par excellence.

« Le beatbox c'est vraiment un moyen de passer du bon temps à plusieurs, chose que j'ai pas trouvée dans le rap, passer du bon temps à plusieurs, spontanément, n'importe quand, sans se poser de questions, on va à un endroit et on sait qu'à un moment donné ça va se dérouler et c'est ça qui est kiffant, tu sais qu'à un moment donné va y'avoir des gens autour, va y'avoir un cercle... »101

Du fait de leur nombre réduit, les pratiquants ont éprouvé le besoin de se

rassembler pour lutter contre un certain isolement. L'organisations d'évènements

locaux ou nationaux provient d'une volonté de se rencontrer entre semblables.

Pouvoir échanger ou se confronter avec une personne qui partage la même passion

leur permet de sortir de l'isolement.

« Quand on se retrouve, on retrouve des choses qu'on a vécues seul, on se les retrouve ensemble... »102

En se rassemblant entre pairs, ils célèbrent collectivement le fait de

partager une même forme d'expression artistique. Encore méconnus, les

beatboxeurs défendent au quotidien leur pratique et se chargent ainsi de la faire

(re)connaître. Il s'agit donc de partager la discipline avec des non-initiés par le

biais d'ateliers, de concerts, de tutoriaux sur le forum…

Bien que les beatboxeurs n'hésitent pas à s'échanger leurs techniques, ils

doivent, pour atteindre un certain degré de reconnaissance, être capables de se

forger une identité individuelle. Ainsi, la créativité est un élément moteur de la

pratique qui cherche à se nourrir d'un large panel de genres musicaux,

d'influences, d'approches techniques… Se démarquer des autres beatboxeurs en

proposant des sons ou des rythmes originaux permet une identification au sein du

groupe.

« On essaye de trouver, je dis “on” parce que je suis avec Moino, on beatboxe tous les deux... on essaye d'avoir notre style, on entend des sons incontournables, y'a des sons incontournables... mais je tiens vraiment à notre style, pas trop de recopier les autres, en fait on va prendre un son mais on va l'utiliser d'une autre manière... on essaye de faire plus dans le groove, on sait qu'on a pas une technique de malade, on sait qu'on est pas les meilleurs... là on va essayer de plus chercher notre style, s'amuser, faire des ternaires, même si les gens ils ne comprennent rien mais de faire des ambiances, voir tout ce qu'on peut faire avec le beatbox... ça va plus être ça... des sons avec des contretemps un peu chelou même si... tout en faisant une démonstration en fait... »103

101 OSLIM102 JOOS

62

Page 63: Le beatbox et ses pratiquants

Dans le hip-hop, comme dans le beatbox, la reconnaissance individuelle

s'opère principalement par l'intermédiaire des autres pratiquants qui jugent des

qualités ou de la virtuosité du beatboxeur concerné. Une fois érigés au rang de

« référents », les beatboxeurs se doivent de conserver une attitude cohérente et

notamment savoir conserver une certaine humilité.

« La plupart des beatboxeurs, même les plus doués ne se prennent pas du tout la tête sur le star-system et y'en a beaucoup qui auraient pu faire la Star Academy et se la jouer un petit peu mais c'est pas du tout le cas... ça reste très... ça fait dix ans que tu fais ça pour le plaisir, on te permet de le faire sur scène devant des gens, c'est trop l'éclate quoi... de là à se prendre pour une star c'en est loin et ça c'est bien cool et vraiment les mecs d'en haut, enfin je veux pas dire ça, mais je trouve qu'ils ont vraiment un super esprit positif... ça fait un moment qu'ils se connaissent tous aussi et je trouve qu'ils amènent vraiment cet esprit là pour tous les autres qui arrivent, pour garder cet esprit... »104

Devenir une célébrité n'est donc pas le but recherché par les beatboxeurs

qui voient dans le phénomène de « starification », la perte de toutes ces valeurs.

Les beatboxeurs les plus expérimentés cherchent à montrer l'exemple en restant en

accord avec l'éthique de la discipline. Par leurs actions et leurs discours ils

véhiculent des valeurs et en assurent la pérennité. Le rôle qu'ils doivent endosser

peut tout de même les interroger.

« Est-ce qu'on a la légitimité de dire : “nos valeurs, il-faut qu'on les transmette et qu'on les garde et qu'elle reste dans l'avenir” ? C'est aussi égocentrique peut-être un peu quelque part... après justement, on a tenu cette position là durant le séminaire à la Chaufferie, on est plusieurs à la partager et on se rend compte que ça convient à pas mal de beatboxeurs mais aussi aux gens en général dans la vie quoi... et... toujours dans un désir de positivité... ouais y'a aussi cette question pour nous-mêmes à se poser, de la légitimité à s'imposer comme gardien d'une discipline... on a quand même une part de légitimité dans le devenir du mouvement parce qu'on est quelques-uns à le créer, enfin je veux dire à l'accélérer en tout cas... à l'accélérer volontairement... »105

Au terme de cette partie, on voit se dessiner les traits caractéristiques des

beatboxeurs qui, malgré le partage d'une même passion et de ses valeurs,

proviennent d'horizons différents. Opérant par mimétisme, les apprentis

beatboxeurs se fient aux pratiquants « référents » et moteurs de la discipline.

Regroupés dans une communauté, les pratiquants s'insèrent dans un mouvement

plus global et n'hésitent pas à ce positionner vis-à-vis de celui-ci. Il s'agit donc à

présent d'observer les débats qui animent les beatboxeurs français.

103 MICLEE104 JOOS105 EZRA

63

Page 64: Le beatbox et ses pratiquants

VI. LE BEATBOX ET SES PROBLÈMATIQUES

1. Technique vs artistique

L'hétérogénéité des membres de la communauté française de beatbox

conduit à la confrontation de visions différentes de la pratique. Loin d'être en

conflit, les beatboxeurs expriment simplement leurs préférences pour certaines

facettes de la discipline. On peut aisément distinguer deux principales tendances

qui opposent le monde de la performance au monde de la recherche musicale.

Selon leurs positionnements, les beatboxeurs possèdent des représentations

différentes de la pratique quant à sa mise en œuvre et à son but. Le statut qu'ils

s'octroient et les outils qu'ils mobilisent dépendent également de cette dichotomie.

À travers l'analyse d'un débat recueilli sur le forum et des paroles des beatboxeurs

interviewés, nous essayerons de préciser la nature de ces deux mondes qui

coexistent au sein de la pratique.

Battle vs concert

Les multiples compétitions organisées par les beatboxeurs témoignent de

la vivacité d'une volonté de se mesurer les uns aux autres propre à la culture hip-

hop. Même si, pour la plupart, ils entretiennent des rapports amicaux, les

« battles » retiennent leur attention sans pour autant les engager dans des attitudes

propres aux « clashs », réputés violents, de MC's. L’ambiance des championnats

de France se veut conviviale même si, pour certains, il semble nécessaire d’y

ajouter « un esprit de compétition mais dans le respect. »106 C’est pour cette raison

que l’on voit apparaître, lors de « battles », des attitudes visant à provoquer

l’adversaire : on fait par exemple mine de ne pas l’écouter ou on tourne sa

prestation en dérision. Pour l’heure, on ne remarque pas d'agressivité entre les

concurrents, ce qui peut s’expliquer par les liens serrés qu’ils entretiennent. Il

serait intéressant d’observer si au niveau international, les beatboxeurs qui ne se

connaissent pas peuvent entrer en compétition de manière plus marquée. Le

caractère récent du beatbox encore méconnu inciterait plus ses pratiquants à

« faire de la démo » lors de « battles » au lieu de s’inscrire dans une tradition

106 Issu d’un échange avec un participant au championnat de France 2007.

64

Page 65: Le beatbox et ses pratiquants

agonistique prononcée comme dans d’autres disciplines du hip-hop. Le terme

« agonistique » définissait dans la Grèce antique une partie de la gymnastique qui

avait rapport aux combats et à la lutte armée. En littérature, il peut qualifier une

scène d’affrontement entre les personnages. Christian Béthune l’emploie dans ses

livres pour nous dire qu’il est un composant majeur de l’esthétique du rap. Il nous

dit que « l’artiste se manifeste d’abord par son aptitude à triompher des autres, à

affirmer sa suprématie sur ses rivaux par le jeu d’une surenchère. »107 Selon ce

philosophe, le hip-hop puiserait sa source dans la condition d’esclave qui a fait

naître le jazz. Ainsi, la concurrence était déjà présente dans les chants de travail

dans les plantations qui s’organisaient selon un appel et une réponse. Avec

l’apparition du jazz, de véritables joutes musicales avaient lieu entre différentes

fanfares ou musiciens. C’est par la victoire que ces derniers se faisaient une

notoriété. Le hip-hop a remis le défi et la confrontation au goût du jour. La forme

du « battle » se retrouve d’ailleurs dans toutes les disciplines où chaque année

leurs champions respectifs sont désignés. Pour reprendre le discours de Huizinga :

« dans le jeu individuel, le fait d’atteindre le but du jeu ne signifie pas encore

gagner. Cette notion n’intervient que lorsqu’on joue contre autrui. »108 Les

beatboxeurs s’efforcent ainsi de produire des rythmes toujours plus rapides, des

sons toujours plus graves, des sons de « scratch » toujours plus fidèles, etc. Le

défi est permanent, il semble le motif invariable qui les incite à s’entraîner

quotidiennement et à diffuser leurs performances. Contrairement au sport, les

prouesses techniques des beatboxeurs ne sont pas quantifiables, mais il existe tout

de même des moyens d’évaluation. Lors du championnat de France, le public,

composé essentiellement de connaisseurs, soulignait la maîtrise technique des

différents beatboxeurs en les acclamant. Les beatboxeurs acquièrent une certaine

reconnaissance parmi leurs pairs lors des démonstrations que constituent les

championnats.

Les championnats pour toi ça représente quoi ?

« Un défi à chaque fois »

Toi tu le prends à coeur ?

107 HUIZINGA, op. cit.108 Littéralement « conflit ». Un clash désigne un affrontement verbal ou physique entre deux ou

plusieurs personnes.

65

Page 66: Le beatbox et ses pratiquants

« Ouais je le prends vraiment à coeur parce que... moi j'ai toujours attendu que les choses arrivent, je me suis toujours dit : « on va te repérer un jour, on va te repérer un jour, on va te repérer un jour... » mais non, le monde il est fait comme ça, si tu veux qu'on te repère, y'a un moment donné où va falloir arrêter d'être tout en bas et va falloir faire un truc tout en haut et c'est pas de monter sur les autres, le message c'est : le travail ça paye, n'importe qui peut y arriver, il faut juste travailler et s'investir, le travail ça paye, je suis bien placé pour le savoir, j'avais vraiment un level très moyen, j'ai travaillé, je suis arrivé vice-champion de France... et cette année ça va être pareil, j'ai envie de continuer sur cette démarche là et même d'aller au championnat du monde, c'est vraiment mon ambition... »

La victoire elle représente quoi ?

« La victoire elle représente une crédibilité, ça veut dire que tu es crédible... « voilà moi c'est OSLIM, je suis beatboxeur » ça me permet de continuer à côté à dire de la merde, à être comme je suis mais tout en étant crédible parce que je sais les défauts que j'ai. »109

Sans public, la performance perd de sa valeur et ne peut plus attester des

compétences de la personne. Quant au jury, il évalue les prestations des

participants selon des critères comme la présence scénique, l’originalité, sans

oublier la technicité. Si l’on regarde du côté des autres disciplines de la culture

hip-hop les exemples de mise en relief de la performance ne manquent pas. Les

danseurs enchaînent les rotations, les DJ se mettent à « scratcher » les yeux

bandés, les graffeurs vont peindre des fresques dans des endroits risqués, etc.

En revanche, un excès de technicité peut, pour certains beatboxeurs, nuire

à la discipline. Dans le cas du beatbox, de nombreuses questions se posent quant à

la dimension artistique de la pratique. Pour un certain nombre de beatboxeurs,

savoir exécuter des rythmes compliqués ou reproduire à la perfection le son d’un

instrument de musique n’est pas une fin en soi. Le beatbox doit être un moyen

d’expression au même titre que d’autres formes musicales. Ce point de vue est

généralement défendu par des beatboxeurs qui se mêlent volontiers à d’autres

musiciens quand d’autres pratiquants revendiquent leur volonté d’avoir un son

« puissant » au détriment de l’harmonie. Cet échange en ligne témoigne de ces

deux positions.

« Bonjour à tous ! Cette année le contest a été marqué je pense par l'apogée de la technique. On a pu entendre des roulements d'une vitesse impressionnante, des sons variés, parfois bien puissants, des jolies superpositions rythme/chant... C'est bien d'être arrivé à ce niveau, mais si maintenant on se calmait un peu et on passait à autre chose ? En effet je suis ressorti un peu déçu du manque de musicalité dans les beatbox entendus ainsi que dans le comportement de la plupart. Bien sûr l'ambiance était excellente mais je ne parle pas de ça. J'ai remarqué un manque d'écoute et une

109 OSLIM

66

Page 67: Le beatbox et ses pratiquants

difficulté a mettre sa technique de côté, à faire des trucs simples pour construire quelque chose de musical. »110

« Je suis bien d'accord avec toi... et je m'estime être un sacré bourrin... mais après chacun son trip, chacun sa perception du truc... Honnêtement ce qui m'a fait aimer le beatbox moi c'est la performance plus que la musicalité ! Après c'est bien possible d'allier les deux je dis pas le contraire mais j'en suis pas là... Pour ma part (et je pense pas être le seul), je connais pas grand chose dans les bases de la musique et j'ai pas forcément le temps ni l'envie de m'y intéresser pour le moment... Après voilà pour moi le beatbox est un Art mais j'aime que ça reste dans le spectaculaire... c'est ce qui m'a fait aimer ça et c'est ce que j'ai envie de montrer... et je continuerai à être un bourrin même si je dois être recalé à cause de ça... Je préfère faire crier une salle avec mes basses de barbares que de plaire aux musicos minoritaires (mais je crache pas dessus loin de là, mais je suis pas tellement dans ce trip de la recherche absolue de l'harmonie...). »111

Cette discussion alimentée par d'autres beatboxeurs permet d'aboutir sur un

constat qui fait des « battles » un endroit peu propice pour une véritable

proposition artistique. Les courtes durées de passages et la confrontation avec

l'adversaire éloigneraient les amateurs de créations musicales plus élaborées vers

d'autres modes de pratique.

Technicien vs musicien

« Moi je me sens plus dans l'artistique, peut-être plus dans la recherche... c'est plus quelque chose de mélodieux, que ça fasse groover, que ça fasse bouger le tête et que ça fasse plaisir... »112

Les concerts sont le lieu de l'expression de cette envie de proposer des

compositions plus arrangées et qui place la dimension technique plutôt au second

plan. Ces beatboxeurs ne cherchent plus à être reconnus grâce au niveau de leurs

performances qui leur ont permis de remporter des compétitions. Il s'agit ici de se

plonger dans la recherche musicale afin de se créer une réelle identité artistique.

Plus qu'une simple orientation, le choix de ce versant de la discipline permet aux

beatboxeurs de se définir également comme musicien. Bien souvent, le fait de

pouvoir sortir du cadre simplement démonstratif en jouant avec d'autres musiciens

les conduit à se considérer comme tel. La déclaration de ce statut peut également

venir de l'extérieur ce qui peut nous interroger sur la définition même du

musicien.

110 Posté par DADY le 15 novembre 2007111 Posté par 2SPEE le 15 novembre 2007112 MICLEE

67

Page 68: Le beatbox et ses pratiquants

Est-ce que tu te considères musicien ?« Musicien ouais depuis peu de temps parce qu'on me considère comme un

musicien, c'est par la reconnaissance extérieure, par la reconnaissance... »

Tu la cherchais cette reconnaissance de passer de beatboxeur à musicien ?

« Pas vraiment non... je me voyais pas musicien vu que je suis plus scénique à faire des mîmes, du théâtre, comédie... quand on me dit : “t'es musicien” mais c'est le pompon pour moi, je ne sais pas jouer d'aucun instrument, à part un peu de percu et de didgeridoo vite fait... ”

Mais tu te considérais déjà comme artiste avant ?

« Comme un artiste ouais. et quand on me dit musicien je trouve ça donne une classe... t'as passé un cap, quand tu viens là et que tu fais des initiations à des gens qui ont été au conservatoire alors que toi à la base t'es un galérien, tu fais des initiations avec des gens du conservatoire qui ont eu des formations... c'est valorisant qu'on me dise que je suis musicien... »113

Dans le cas du beatbox, il semble que l'opposition beatboxeur/musicien

aille de pair avec l'opposition amateur/professionnel. Le mot amateur est ici

entendu simplement au sens du pratiquant qui ne fait pas du beatbox son activité

principale. Les personnes qui se positionnent dans le camp des musiciens étant

souvent celles qui cherchent à vivre de leur pratique. Ils font alors face à la même

réalité que tout autre artiste, c'est à dire la création et la diffusion d'œuvres

originales comme la finalité.

Homme vs machine

Les innovations technologiques des années 80 vont donner au hip-hop

toute son identité musicale. Le « sampler », ou échantillonneur, est sans doute

l’outil le plus utilisé dans la production des morceaux. Il permet de sélectionner

une mélodie, un riff, un rythme, etc., et de le rejouer à l’infini pour composer une

nouvelle bande sonore. L’appropriation des contenus est caractéristique de sa

forme et de son esthétique. Shusterman nous dit à ce propos : « le sampling du

rapper offre des plaisirs de l’art déconstructeur – la beauté saisissante qu’il y a à

démembrer et à dérober des œuvres anciennes pour en créer de nouvelles, à

démanteler le familier et l’ennuyeux pour en faire quelque chose de différent et de

stimulant. »114 L’autre petite révolution est la boîte à rythme, qui contient une série

113 OSLIM114 SHUSTERMAN Richard, L’art comme infraction : Goodman, le rap et le pragmatisme, Les

cahiers du Musée national d’art moderne, automne 1992.

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Page 69: Le beatbox et ses pratiquants

de rythmes de synthèses relativement simples. Elle présente l’avantage d’être plus

économique et plus pratique à déplacer qu’une véritable batterie mais répond

surtout à une volonté d’obtenir des sons plus typés et de pouvoir les modifier. Les

machines deviennent les nouveaux instruments des DJ's, ils peuvent composer en

toute liberté et s’abstenir de la participation de plusieurs musiciens. Le savoir faire

d’un batteur est directement inclus dans une machine mais cela n’a pas suffi à

remplacer totalement l’homme dans le domaine de la musique. Le beatbox est un

acte de détournement et de résistance face à la machine. En cherchant à reproduire

les rythmes électroniques, le beatboxeur répond par un nouveau savoir-faire.

Christian Béthune est l’un des rares à avoir traité ce sujet, il remonte jusqu’à la

condition des esclaves afro-américains pour comprendre les raisons de la pratique.

Les percussions corporelles étaient ainsi, « une façon inventive de détourner

l’interdiction qui était faite aux esclaves de posséder des tambours et autres

instruments à percussion, de peur que leur utilisation comme moyen de

communication ne permette aux Noirs captifs de fomenter la rébellion. »115 Le

beatbox est alors décrit comme issu d’une tradition de mimétique sonore et de

bruitage que la culture afro-américaine n’a cessé d’entretenir. Comme son nom

l’indique, c’est l’humain qui prime, la machine ne doit pas asservir mais doit être

utilisée à des fins créatives. C'est la raison pour laquelle certains beatboxeurs

affichent clairement, lors de concerts, l'absence d'effets pour éviter de mettre le

doute sur leurs capacités à reproduire, seulement avec leur voix, de multiples

sons. Mais il ne s’agit pas seulement de reproduire le plus fidèlement possible ses

sonorités, il faut dépasser la machine. À l’instar d’un joueur d’échec qui affronte

un ordinateur, le beatboxeur tient à se confronter à l’appareillage électronique et à

le surpasser. Mais les rapports entre l’homme et la machine sont paradoxaux, « la

rivalité avec la machine ne se limite pas à une simple relation de modèle à copie,

mais suggère plutôt une imbrication en abyme du machinal et de l’humain. » 116

Des artistes tels que Bobby McFerrin ou Razhel ont dû faire appel aux

compétences d’un ingénieur du son qui, par le biais de l’informatique et de divers

outils technologiques, est capable d’enregistrer, de superposer, de modifier la

matière sonore. Mais les possibilités qu’offrent ces procédés sont perçues comme

des moyens de parvenir à la mise en œuvre de la création artistique. Dans certains

115 BÉTHUNE Christian, « Le rap : une esthétique hors la loi », Paris, Éditions Autrement, 2003.116 Idem.

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Page 70: Le beatbox et ses pratiquants

cas, la machine fait alors l’objet d’une appropriation, elle est utilisée pour étendre

les possibilités du beatboxeur sans jamais le remplacer. La « loopstation » est à

l’heure actuelle une des seules machines dont l’usage semble légitime.

« La loopstation ça me permet de rendre plus vivant le truc, d'aller chercher la musique... c'est de facto... moi je suis pas un gros showman, je peux donner l'énergie aux gens mais je suis pas Ricoloop, je suis pas David X, ça c'est des choses évidentes, et du coup j'ai besoin de quelque chose et du coup sur scène sans rien, pour moi c'est un exercice difficile... je peux taper la démo d'un quart d 'heure, y'a pas de soucis mais même au bout d'un quart d'heure moi-même je me serais fait chier... »117

Le beatboxeur devient ainsi compositeur grâce à l’enregistrement

multipiste. Cette technique facilite la création et l’orchestration d’un morceau ; le

beatboxeur peut se concentrer sur chaque élément rythmique, mélodique ou

harmonique. Le but n’est plus de produire simultanément différents sons mais de

composer à la manière d’un groupe de musique entier. « Ici, comme dans toute

forme de réalisation artistique, invention et exécution cohabitent et

s’accomplissent simultanément dans l’élan du geste créateur. »118 Armé de son

micro et de sa « loopstation » le beatboxeur est non seulement pluri-instrumentiste

vocal, mais il devient son propre chef d’orchestre. Cette technique du

« layering »119 est à l’origine même de la musique hip-hop, elle lui confère une

esthétique singulière que les beatboxeurs reproduisent à leur tour. Par ce biais, le

beatboxeur n’est plus considéré simplement comme un technicien, il se charge

d’ouvrir de nouveaux horizons, d’étendre la portée de ses performances en les

transformant en œuvre unique.

2. Une communauté de beatboxeurs

Genèse et définition

Les récentes possibilités offertes par internet ont permis la formation de

réseaux sociaux où les individus se réunissent autour d'une même pratique. Le

forum « beatboxfrance » fait partie de ces nouveaux usages de la technologie. Plus

qu'un simple lieu d'échange, il a posé les fondations de ce que les beatboxeurs ont

117 TIKO118 SHUSTERMAN, op. cit.119 Superposition d’échantillons.

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Page 71: Le beatbox et ses pratiquants

appelé par la suite une communauté. Souvent isolés dans différents endroits de

l'hexagone, le forum leur a permis de communiquer entre eux en dehors de rares

évènements qui commençaient à s'organiser. L'objectif était de pouvoir rassembler

virtuellement, dans un premier temps, tous les beatboxeurs de France. Il faut

attendre le premier championnat à Angers pour que la quarantaine de beatboxeurs

présents déclare qu'ils forment une communauté. À l'heure actuelle, les

beatboxeurs déclarent qu'ils s'insèrent dans un mouvement global dans lequel des

communautés souvent nationales se sont constituées.

« C'est un mouvement... mais y'a la communauté aussi, c'est à dire que nous tous, on se voit pas mal de fois quand même, on est presque une famille, on se connait, on est sur les mêmes délires, on a l'impression qu'on est de la même famille parce qu'on a les mêmes gènes, on part de la même base et du coup cette communauté là, moi franchement gros big up parce qu'elle été bénéfique pour moi et je pense pour plein d'autres gens qui retrouvaient des repères là-dedans... »120

Pour Tönnies, la famille serait la forme la plus parfaite de communauté. Il

a défini la communauté comme « une masse indistincte et compacte qui n'est

capable que de mouvements d'ensemble, que ceux-ci soient dirigés par la masse

elle-même ou par un de ces éléments chargé de la représenter. »121 Selon le

sociologue et philosophe allemand, les membres d'une communauté sont unis

malgré toutes leurs différences et éprouvent en commun toutes leurs impressions.

Dans le cas de la communauté française de beatboxeurs, on peut parler d'une

« communauté d'occupation » où les individus sont réunis principalement par le

partage d'une même pratique.

« La différence avec le mot “communauté” c'est que là c'est une communauté choisie elle est pas une communauté ancienne avec des traditions, c'est une tradition qu'on invente et qui est artistiquement liée à une histoire avec des choses »122

Cette histoire, les beatboxeurs l'ont reconstituée en identifiant les différents

pionniers ou en consultant notamment un ethnomusicologue. La recherche des

racines de la discipline témoigne d'une construction identitaire. S'assurer des

origines de leur discipline leur permet de se revendiquer en tant que descendants

de diverses pratiques musicales souvent ancestrales.

120 OSLIM121 DURKHEIM Émile, « Commuanuté et société selon Tönnies », in Revue philosophique, 1889.122 Témoignage recueilli lors du premier championnat de France de beatbox à Angers en 2006.

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Le partage d'une même pratique et de son histoire serait donc le liant entre

les membres de cette communauté. Mais si l'on part du postulat que le beatbox est

un jeu, on peut l'envisager d'une autre manière. Huizinga parle d’une

« communauté joueuse » qui reste liée même une fois le jeu terminé, ses membres

étant séduits par « le sentiment de vivre ensemble dans l’exception, de partager

ensemble une chose importante, de se séparer ensemble des autres et de se

soustraire aux normes générales. »123.Ce sont donc les nombreuses heures de

« jams », d'échanges de techniques, de débats collectifs qui soudent les individus,

les incitant à rester en contact même en dehors des rassemblements. La

soustraction aux normes générales dont l'historien parle s'observe aisément lors

des réunions. Du fait d'une importante interconnaissance, les beatboxeurs ont des

comportements qui pourraient surprendre en temps normal. Utiliser sa bouche

dans un autre but que parler ou chanter, qui sont des activités jugées normales,

expose les beatboxeurs au regard de l'autre. Prenons un exemple, en entendant un

groupe de beatboxeurs « jammer » dans un train, les réactions des voyageurs

peuvent aller de l'étonnement à la stupéfaction, de l'incompréhension au mépris ou

encore de l'indifférence à l'agacement. Souvent confrontés à des remarques par

rapport à leur pratique musicale qui peut parfois être perçue comme dérangeante,

on comprend la raison pour laquelle les beatboxeurs souhaitent se réunir entre

eux. Lors de leurs évènements, ils se libèrent des normes générales et peuvent

s'adonner sans entraves à leur mode d'expression favori.

« Le beatbox c'est un plaisir... tu te fais plaisir à toi, tu sens que ça fait plaisir aux gens comme quand je sens que je casse les couilles aux gens, j'arrête... je suis pas con, je ferme ma gueule... tu vois, souvent quand on beatboxe à plusieurs et que je vois que ça casse vraiment les couilles aux gens... sauf sur un événement beatbox, je m'en branle, les gens si ils en ont marre, ils n'ont qu'à pas être là. »124

Fonctionnement

Aujourd'hui, la musique a tendance à se loger de plus en plus dans la

sphère privée. L'usage massif de baladeurs Mp3 démontre cette privatisation de

l'écoute musicale qui conduit également à se soustraire d'un environnement.

Contrairement à ce phénomène, le beatbox engage les individus autant dans sa

123 Huizinga J., Homo ludens, essai sur la fonction sociale du jeu, NRF Gallimard, Paris, 1951.124 TIKO

72

Page 73: Le beatbox et ses pratiquants

pratique que dans son écoute. Le caractère spontané du beatbox entre en

opposition avec une rigidité des pratiques musicales occidentales. Cette forme de

résistance face à aux normes en matière de musique inciterait une fois de plus les

beatboxeurs à s'unir. On trouve effectivement une grande solidarité entre les

membres de la communauté qui n'hésitent pas à demander de l'aide sur le forum, à

faire du covoiturage pour se rendre sur les évènements, à se rendre des services...

« C'est sûr que tu peux pas connaître tout le monde, mais si tu sens que t'es uni, que c'est comme à la limite des cousins, c'est que bon... voilà en ce moment j'ai pas trop d'appart', mais aussitôt que j'ai un appart', le beatboxeur il vient, y'a pas de problèmes c'est un peu comme une petite famille... je me suis déjà retrouvé en galère à Marseille, c'est BARBOUZ qui m'a hébergé, ouais c'est un peu un truc qui nous lie... »125

Constituée à l'origine d'une quarantaine de beatboxeurs, la communauté

s'est depuis élargie et a intégré de nouvelles personnes. Il ne semble n'y avoir

aucune condition à remplir pour faire partie de ce groupe, mis à part la volonté de

partager.

« Chacun a sa place... on est tous différents mais chacun a sa place, y'a pas de

jugement social, d'où tu viens, qui t'es, peut-être un petit peu mais vite fait, c'est pas très important, ce qui compte c'est l'esprit, c'est ce que tu dégages, dans le beatbox, moi je vois ça comme ça, souvent ce que je ressens c'est quelqu'un qui a un bon esprit, qui aime partager, qui a pas de pudeur envers ses trucs, qui donnent, donc il reçoit forcément... »126

L'ouverture d'esprit dont font preuve les beatboxeurs permet à toutes les

personnes désireuses de prendre part aux évènements, de « jammer » ou encore de

débattre sans entraves. Une fois le pas franchi, les nouveaux arrivants sont

identifiés et dans le même temps intégrés au groupe. Le simple fait de se rendre

visible conduit à cette intégration.

« C'est une communauté qui s'agrandit à chaque événement, à chaque rencontre... c'est un truc personnel mais j'ai l'impression du coup... tu vois par rapport à ce qui s'est passé à la Chaufferie ces derniers jours... dans ma vision à moi, pour moi, que des mecs comme ZEPH ou JOOS, prennent part à la communauté comme ça, même si ils étaient déjà présents sur d'autres évènements, y'avait pas forcément une visibilité forte par rapport aux autres, alors après c'est super personnel, c'est parce que moi je les ai vus plus à ce moment là, mais je pense que la communauté elle grandit comme ça par la vision de chacun... de la vision de chacun, de connaître plus de gens... »127

125 MICLEE126 OSLIM127 EZRA

73

Page 74: Le beatbox et ses pratiquants

Même si les beatboxeurs éprouvent le désir de voir s'agrandir leur

communauté ils formulent tout de même des craintes quant aux conséquences que

cela pourrait avoir.

« De toute façon là la communauté elle s'agrandit à fond, y'a plein de gens, des petits jeunes qui arrivent de partout, qui font du beatbox, forcément je pense qu'on va pas toujours avoir ce même esprit-là… »128

Le nombre réduit de membres favorisent des échanges et des liens plus

étroits, lorsqu'il augmente il devient plus difficile d'être en relation avec

l'ensemble des personnes. Tönnies nous dit à ce propos « que la pénétration des

consciences que suppose la communauté n'est possible que dans des groupes peu

étendus, car c'est à cette condition qu'on peut se connaître assez intimement. »129

Les actuels membres craignent de voir les valeurs, qu'ils défendent, s'évaporer ou

détournées avec l'arrivée de personnes qui n'y accorderaient pas d'importance. La

cupidité ou l'égocentrisme sont deux comportements qu'ils redoutent de voir un

jour apparaître chez les pratiquants. C'est la raison pour laquelle certains

beatboxeurs accordent beaucoup d'importance à la transmission de leurs valeurs et

d'un état d'esprit « positif ».

« On a une forte responsabilité aujourd'hui en essayant de diffuser cette culture, cette discipline... parce qu'on risque de se faire manger par nos propres idéaux... ou par toutes ces initiatives, le fait de... on passe le mot à dix personnes, dix personnes le passent à dix et on est déjà dépassé, on est déjà dépassé sans avoir... je veux dire dans le sens où on a pas forcément bien transmis... aussi les valeurs qu'on veut véhiculer... »130

Organisateur du premier championnat de France, EZRA fait partie de ces

beatboxeurs « référents » qui, par leurs expériences et leurs initiatives, servent de

repères. Ils ont fait le choix de s'engager dans la structuration ou le développement

de la pratique au niveau national et c'est ainsi qu'ils se distinguent des autres

pratiquants. Il ne s'agit pas de dirigeants ou de meneurs mais de pratiquants qui

souhaitent s'investir complètement dans la vie de la discipline. En mettant en

contact les pratiquants, en organisant des rassemblements, en diffusant des

informations, ces personnes font preuve d'altruisme mais en cherchant tout de

même à laisser une trace de leurs travaux.

128 JOOS129 DURKHEIM É., op. cit.130 EZRA

74

Page 75: Le beatbox et ses pratiquants

Quand tu dis marquer l'histoire, tu penses à quoi ?

« Marquer l'histoire c'est qu'on sache que y'a Tiko, un beatboxeur qui a fait des trucs... vu que c'est quelque chose qui me passionne... quelqu'un qui a fait avancer la pédagogie, qui a aidé à la structuration, « c'est un des gars qui a permis au mouvement de se développer » si il arrive vraiment à se développer un jour... et après j'ai le double espoir d'arriver à le marquer artistiquement... j'ai pas la prétention de le faire mais j'aimerais le faire... »131

Suite à diverses réunions, ils ont décidé de former l'association BeatBox

France qui a pour but d'« animer le réseau français de beatbox, d'accompagner

l’organisation du championnat en garantissant sa légitimité, son intégrité et son

bon déroulement à travers l'écriture d'une charte, de garantir l'itinérance annuelle

de cet événement en coopération avec des structures relais au niveau local,

d'assurer le rayonnement local, régional, national, international du beatbox et

enfin,d'être une ressource à destination de tous les beatboxeurs et de toutes les

personnes intéressées par la discipline. »132 Ces résolutions prises pour poser un

cadre à la discipline ne sont pas de l'avis de tous les beatboxeurs.

« J'ai peur que y'est une fédération de beatbox, j'ai pas trop envie que ça aille jusque là parce que y'a forcément un gars qui va vouloir gérer le truc, y'a forcément... et c'est là que ça va commencer à créer des problèmes, des histoires entre les gens... alors que si on est tous ensemble, à la rigueur... ça sera mieux, dans un autre esprit déjà... »133

Ce témoignage s'accorde cependant avec les discours des beatboxeurs

« référents » qui souhaitent que les décisions soient prises en consultant au

préalable les membres de la communauté. Le refus d'un schéma hiérarchique

empêche les personnes de s'octroyer une certaine forme de pouvoir qui n'a pas lieu

d'être dans une communauté car selon Tönnies, « la vie du groupe n'est pas

l'œuvre des volontés individuelles, mais elle est tout entière dirigée par les

usages, les coutumes, les traditions. »134 Reste à savoir si ce processus

d'institutionalisation sera suivi par l'ensemble des pratiquants qui ont parfois des

difficultés à projeter leur pratique dans l'avenir.

131 TIKO132 Extrait des statuts de l'association133 MICLEE134 DURKHEIM É., op. cit.

75

Page 76: Le beatbox et ses pratiquants

3. Transmission

Buts et motivations

L'organisation du premier séminaire autours de la transmission du beatbox

est issue d'une volonté de la part des beatboxeurs d'échanger, de se former donc de

se professionnaliser dans ce domaine. La rencontre entre des « pédagogues » du

beatbox avec des musiciens intervenants a révélé de nombreuses similitudes dans

les objectifs qu'ils poursuivent. Les moyens d'y parvenir ont fait l'objet de

démonstrations et de discussions afin de permettre une découverte mutuelle. Cet

événement était, une fois de plus, un moyen pour les beatboxeurs de se nourrir d'

expériences et de savoir-faire variés. Toujours est-il que ces pratiquants ont une

manière singulière d'envisager leur discipline, synonyme selon eux de

développement personnel. Que ce soit dans leurs discours ou au sein de

documents qu'ils rédigent, les beatboxeurs-intervenants n'hésitent pas à mettre en

avant le potentiel du beatbox.

« Avant de commencer tous ces ateliers j'ai voulu poser des valeurs essentielles caractérisant le beatbox pour transmettre une pratique suivant une certaine éthique artistique. Le beatbox est une approche originale pour découvrir son appareil vocal constitué de la bouche, du nez, de la gorge, de la langue et bien sûr des cordes vocales. Il permet de se dépasser soi-même, de comprendre que nous sommes capables de beaucoup de choses qu'on ne soupçonne pas, de développer sa créativité, sa réflexion et sa concentration. Le beatbox parle d'humanité, il fait naître un esprit de partage, sa pratique en groupe permet de casser certaines barrières concernant le jugement d'autrui et de soi-même. »135

Les ateliers menés par les beatboxeurs leur permettent de commencer à

vivre de leur pratique même si ils n'ont aucun statut, si ce n'est celui d'animateur

socio-culturel. Nous avons vu que les personnes cherchaient à légitimer le beatbox

en le définissant, ce qui le rend plus accessible. Les ateliers menés dans diverses

structures vont dans ce sens. En proposant de le découvrir et de s’y initier, les

beatboxeurs visent sa diffusion et sa reconnaissance. Ils sont à la fois la « vitrine »

de la pratique mais aussi le vecteur de l’idée selon laquelle tous les individus sont

susceptibles de beatboxer. Cette conception universaliste laisse entendre une

opposition à un système qui laisserait de côté certaines personnes. Dans ce cas

précis, c’est sans conteste l’enseignement musical traditionnel qui est pointé du

135 Extrait du dossier de présentation des ateliers du beatboxeur-intervenant LOS

76

Page 77: Le beatbox et ses pratiquants

doigt. En enseignant le beatbox, les individus apportent donc une visibilité à un

mouvement artistique qui transmet des valeurs comme le partage.

Au sujet des motivations qui les incitent à entreprendre des ateliers, des

stages ou encore des concerts pédagogiques, elles sont également diverses.

« Y'a pas mal de différentes choses... une des premières choses... je trouve pas le mot mais bref... c'est d'aller rencontrer des gens que j'ai pas l'occasion de voir tous les jours, de voir des enfants ou un tas de publics, les prisons, les hôpitaux... j'adore faire des ateliers, je pense en grosse partie par le fait d'aller à la rencontre de gens que j'ai pas l'occasion de rencontrer dans ma vie de tous les jours ou avec lesquels je prends pas le temps de discuter en tout cas, ça c'est un truc fort... le deuxième qui pour moi est à égalité, c'est le fait de transmettre cette discipline qui pour moi est un pouvoir magique, social et de développement personnel et musical et tout ça quoi... transmettre ce que c'est une... le troisième point qui est important aussi, il est économique... ça reste le troisième quand même parce que je fais pas mal d'ateliers sans qu'il y ait de sous aussi mais ça a été aussi à un moment donné un moyen de compléter la scène et de pouvoir vivre du truc complètement... »136

Avec l'expérience, les beatboxeurs ont pris conscience de ce que la

pratique, dont ils sont les ambassadeurs, peut produire. À travers les valeurs qu'ils

véhiculent et ses valeurs intrinsèques, le beatbox est alors perçu comme un moyen

de parvenir à une ouverture sur soi et sur les autres. La préparation à des

compétitions n'est pas ici la priorité des beatboxeurs-intervenants.

Tu verrais des cours particuliers ou collectifs à l'année, du genre deux heures par semaine ?

« Oui, oui mais par contre dans l'idée où on ne se contente pas du beatbox et genre dire : “voilà ce cours il va être pour que tous les gens, tous les minots, ils aillent faire un battle”, dans cet esprit là non... mais par contre justement s'ouvrir à plein de choses dont la musique, le côté théâtre, le côté articulation, travail du corps, connaissance du corps, connaissance vocale... imitation... donc musique, savoir jouer en groupe,savoir écouter... et connaissance musicale, en profiter pour écouter des choses aussi, écouter de la musique... tout ce que j'ai pu avoir dans mon parcours qui me font arriver là, je pense qu'y'a vraiment plein de choses à apprendre et de multiples cours à faire en partant d'une base beatbox mais seulement... »137

Enfin, transmettre une pratique et la voir vivre à travers des « élèves » qui

attrapent le « virus beatbox » est également une source de fierté pour les

« maîtres ». LOS n'hésite pas dans son dossier de présentation à faire part de

l'histoire d'un groupe de quatre adolescents qu'il a suivi durant un an. Les « Pillar

Box Sounds » se sont ainsi présentés au deuxième championnat de France de

beatbox pour le plus grand plaisir de leur « formateur ».

136 EZRA137 JOOS

77

Page 78: Le beatbox et ses pratiquants

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Page 79: Le beatbox et ses pratiquants

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Lors de stages, l'écriture de rythmes devient un moyen de transmettre le beatbox.

Grenoble, 10 avril 2008Photographie : R. Martino

Page 80: Le beatbox et ses pratiquants

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Page 81: Le beatbox et ses pratiquants

Pédagogie

La poignée de beatboxeurs-intervenants fait appel, pour transmettre le

beatbox, à des méthodes variées qui instaurent un rapport enseignant/enseigné

alternatif. Ces « pédagogues » du beatbox reproduisent la manière avec laquelle

ils ont eux-mêmes appris : par mimétisme. Pour ce faire, ils dressent généralement

en début de séance la liste des sons les plus utilisés en laissant les personnes

s’exercer. Ces différents sons sont ensuite placés dans des rythmes simples.

« L’objectif c’est de s’amuser, on a pas dix ans de musique derrière

nous... »138 Cette phrase montre non seulement le décalage avec l'enseignement

traditionnel de la musique mais aussi, une fois de plus, que le jeu tient un rôle

important. On observe ainsi des exercices sous formes d'activités ludiques que

l’on peut retrouver dans des pédagogies propres à d’autres disciplines. Certains

beatboxeurs-intervenants ont développé leurs propres exercices, en essayant par

exemple d'imager un rythme en le proposant sous la forme d'une comptine. En

pratique, l’initiation au beatbox semble à mi-chemin entre l’enseignement du

théâtre qui met en scène le corps et celui du chant qui fait appel à des techniques

de respiration, de placements de la voix ou de rythmes. Des méthodes sont ainsi

adaptées à la transmission du beatbox pour transmettre des contenus pédagogiques

originaux.

« Je suis très axé sur le jeu quoi... je suis un fervent adepte de François Delalande et tous ces mecs là qui ont écrit des choses sur l'enfant et le jeu... et je suis un grand adepte de la... ce qu'on appelle la pédagogie active, qui va mettre en action les gens et qui va sortir les trucs des gens et c'est pas “je te montre et tu fais pareil”, c'est “y'a des trucs de possibles, faites voir vous comment ça peut sortir...” et clac-clac, y'a des trucs qui sortent d'eux, je fonctionne vachement comme ça parce que c'est comme ça que j'ai appris la musique, je sais pas la lire la musique et je sais que dès qu'on commence à chercher les notes, ça me saoule, j'arrive pas et c'est pour ça que je suis plus à l'aise à faire des ateliers avec des enfants... c'est vachement sur la transmission, sur l'écoute, sur le jeu, “vas-y faut jouer, on s'amuse”, c'est comme ça que ça fonctionne, mais si j'ai deux mecs qui arrivent et qui m'ouvrent leurs livres de partoches et qui me disent : “bon ben je veux apprendre la guitare” et ben je leur dirai “je peux pas, c'est pas mon truc, il faut aller voir quelqu'un d'autre”… »

Même s'ils s'inspirent de diverses méthodes, les beatboxeurs-intervenants

possèdent une approche très intuitive et très sensitive lors d'ateliers. Ils ont

d'immenses capacités à s'adapter en fonction des publics auxquels ils ont à faire et

cherchent souvent à rompre avec l'idée d'un professeur qui dicte la voie à suivre.

138 Entendu lors d’un atelier de beatbox.

81

Page 82: Le beatbox et ses pratiquants

Outils

« Bonjour, je commence dans le beatbox et je voudrais savoir ce qu’il faut faire au début et savoir quels sont les sons de base merci et si vous pouvez envoyez-moi des vidéos qui pourraient m’aider. »

« Bonjour, as-tu déjà visité les tutoriaux du forum, l'ami ? »139

Les tutoriaux sont des outils pédagogiques qui permettent aux personnes

d’apprendre en autonomie. Ils se sont diffusés avec l’avènement d’internet qui

grâce à cela possède aujourd’hui un rôle didactique. Au sein du forum, la rubrique

des tutoriaux comporte essentiellement des documents rédigés par un dénommé

Foudou qui a pris en charge leur rédaction. Il a ainsi établi progressivement une

base de données concernant le beatbox et ses techniques. En voici un exemple

intitulé « Binaire et ternaire pour les nuls »140 :

Le beatbox étant un instrument rythmique (beat = rythme), la compréhension du rythme est vitale pour pouvoir avancer, elle peut se faire par la simple écoute/reproduction, mais on est en général assez vite bloqué soit par le côté répétitif des rythmiques qu’on entend, soit par un manque technique lié à une absence de compréhension. Même si c’est bref l’objectif est ici de donner des bases pour comprendre ce que vous ferez par la suite.

Il existe des rythme à deux temps (les 3⁄4 de la musique actuelle) ou à trois temps (comme le jazz, la musique africaine, le blues, etc...), ainsi un rythme binaire se base sur un compte 1234, un rythme ternaire 123. La sensation entre les deux est différente à l’écoute, et il faut savoir les distinguer. En général on peut se débrouiller assez facilement car la sensation trompe rarement, mais il est nécessaire de bien être capable de faire l’un et l’autre car nombre de musique du hiphop à la funk nécessite de savoir jouer des deux, un truc entre les deux, une sorte de subtilité qui permet au rythme de groover. Pour exemple la fonction « swing » de nombreuses boites à rythmes (MPC et autres) ne fait que ça : mettre un peu de ternaire dans du binaire. Ne serait-ce que pour placer les fameux roulements en ternaire que tous le monde apprécie.

Un rythme ternaire

1 2 3 /1 2 3 /1 2 3 /1 2 3B t t /Pf t t /B t t /Pf t t

Un rythme binaire

1 2 3 4 / 1 2 3 4/ 1 2 3 4/ 1 2 3 4B t t t / Pf t t t / t t B t /Pf t B t

L’écriture des rythmes est comparable à celle des tablatures utilisées par

les guitaristes. Ce système d’écriture de la musique est une alternative aux

139 Échange entre deux utilisateurs du forum « beatboxfrance »140 Issu du forum « beatboxfrance »

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Page 83: Le beatbox et ses pratiquants

partitions traditionnelles, il n’est pas nécessaire de connaître le solfège. Il existe

depuis les débuts de la transcription musicale et s’est, une fois de plus, répandu

grâce à Internet qui compte de nombreuses pages contenant des tablatures. Si les

partitions ont pris le dessus, c’est parce qu’elle sont universelles, elles sont

adaptées à tous les instruments. En revanche, la tablature possède des spécificités

en fonction de l’instrument auquel elle est dédiée ce qui explique la méthode

employée par les beatboxeurs pour écrire les rythmes. Ils ont créé un moyen

d’écrire les rythmes en traduisant les différents sons en onomatopées qui

s’enchaînent. Il n’existe pas encore un « langage » unique, chaque beatboxeur a le

sien, mais il est tout de même capable de comprendre celui d’un autre. Certains

beatboxeurs sont prêts à travailler sur l’élaboration d’un système basé sur des

symboles phonétiques dans un souci de précision et pour permettre d’orchestrer

un ensemble de beatboxeurs. Ce désir s’inscrit également dans un processus de

rationalisation de la pratique.

Les tutoriaux délivrent de nombreuses informations, ils se veulent

descriptifs et didactiques. Ils sont souvent organisés en fonction de leur difficulté

ce qui fait apparaître la notion de niveau. Ils permettent l’autoévaluation des

personnes qui peuvent ainsi constater leur progression dans l’apprentissage. En

dévoilant les différentes techniques, l’auteur du tutoriel est amené à rendre

intelligibles ces explications. Il doit formaliser un savoir-faire et des

connaissances qui jusque-là se transmettaient oralement. Il est en de même pour

les textes qui visent à présenter et à définir la pratique. On peut citer un travail

réalisé par un beatboxeur qui vise à justifier le genre du mot « beatbox » en tant

que pratique (Cf. annexes). En la décrivant, les beatboxeurs contribuent à

l’élaboration d’une mémoire collective. Ces écrits montrent la volonté de posséder

un patrimoine fait de références communes. Même si les tutoriaux sont

principalement destinés aux personnes qui souhaitent apprendre, ils restent

cependant les témoins du développement de la pratique. Il s'agit ici aussi d'une

forme de mutualisation des savoirs où chacun peut apporter sa pierre à l'édifice.

Dans l'optique de partager simplement, on trouve sur internet des beatboxeurs qui

décortiquent des rythmes ou dévoilent des techniques particulières. En rendant

plus compréhensible les rythmes, en cherchant à révéler les moindres secrets les

beatboxeurs rentre définitivement dans une logique d'ouverture et de partage.

83

Page 84: Le beatbox et ses pratiquants

4. Institutions culturelles et médias

Un bref exposé des politiques publiques menées pour soutenir les

musiques actuelles nous permettra ensuite de comprendre les rapports que le

beatbox entretient avec les institutions culturelles qui en dépendent. Dans un

second temps nous verrons comment se positionnent les beatboxeurs vis-à-vis des

médias qui ont participé à faire découvrir leur pratique.

Les politiques en faveur de musiques actuelles et du hip-hop

L’esthétique du beatbox s’inscrit dans le champ des musiques actuelles de

par son aspect « non académique », dominé socialement, urbain, ou encore du fait

de ses origines populaires. L’expression « musiques actuelles » a fait son

apparition dans les années 90 pour regrouper sous une même appellation les

différents courants et styles musicaux de notre époque. C’est aussi un secteur

économique qui se caractérise par des logiques différentes dans la production de

la musique qui vont du label indépendant à la « major company »141. Sachant que

seulement quatre multinationales dominent 70 % du marché de la musique, l’aide

des pouvoirs publics devient nécessaire pour protéger la création des contraintes

économiques. Les professionnels des musiques actuelles se sont donc mobilisés

pour obtenir une véritable reconnaissance et une prise en compte de ces pratiques

dans les politiques publiques. En septembre 1998, le rapport de la commission

nationale des musiques actuelles créée par Catherine Trautman, Ministre de la

Culture, marque un temps fort dans la reconnaissance institutionnelle du secteur,

notamment à travers le programme de soutien aux scènes de musiques actuelles

(SMAC) initié par l’État. Au nom de la « diversité culturelle », les politiques

nationales et territoriales en faveur des musiques actuelles visent à développer et

soutenir la création, la formation et la diffusion des musiques actuelles. Il s’agit

également de favoriser les pratiques artistiques amateurs et de veiller à

l’indépendance de la production musicale. La création d’un Conseil Supérieur des

Musiques Actuelles et des Concertations Territoriales a pour but de fournir aux

décideurs politiques des outils de compréhension du secteur des musiques

actuelles. Les politiques culturelles deviennent des missions de service public

141 Grandes sociétés d’édition de disques.

84

Page 85: Le beatbox et ses pratiquants

coordonnées entre l’État, les professionnels, et les collectivités territoriales. Un

phénomène de déconcentration des moyens de l’État donne un rôle prépondérant à

ces collectivités qui sont alors chargées de la majorité des affaires culturelles.

Quant au hip-hop, il a fait l'objet de politiques culturelles spécifiques. Il a souvent

été intégré dans les politiques de la ville car il était considéré comme un moyen

d'action sur la jeunesse des banlieues.

Le beatbox dans l’institution : effets et enjeux

Dans la lignée des politiques que nous venons de décrire, le beatbox s’est

vu intégré dans des projets d’actions culturelles et dans une logique de soutien aux

pratiques émergentes. Dès lors, on peut constater le rôle des dispositifs comme La

Chaufferie ou La Vapeur dans la prise en compte des formes d’expressions

artistiques mineures. Que ce soit pour animer des ateliers ou pour donner des

concerts, certains beatboxeurs commencent à percevoir des rémunérations. Leur

professionnalisation est à l’origine, comme nous l’avons vu précédemment, de la

mise en place d’une pédagogie particulière mais surtout d’une création artistique

approfondie. Pour se produire sur scène, les rares beatboxeurs qui se positionnent

en tant qu’artistes doivent être en mesure de répondre aux exigences de leurs

« employeurs ».

« Si on veut vraiment tourner, il va falloir faire autre chose que de la démo. La connaissance et la reconnaissance passe par le fait d’aller vers l’artistique, si t’es capable de faire danser les gens ou de leur faire écarquiller les yeux, là tu peux trouver des dates que tu fasses du beatbox ou n’importe quoi. »142

Un savoir faire supplémentaire est donc requis pour entrer dans une

logique professionnelle. Par exemple, pour construire un répertoire et améliorer

les qualités scéniques de son spectacle musical, le beatboxeur EZRA a fait appel à

différents professionnels comme un metteur en scène, un ingénieur lumière ou

encore un tourneur. En appliquant ces modèles d’organisation, le beatbox devient

« un monde de l’art »143 où l’artiste est entouré des personnes qui participent à la

création et la diffusion de ses œuvres. En prenant exemple sur le passé, les adeptes

du beatbox émettent tout de même des réserves quant aux relations établies entre

142 Témoignage recueilli lors du premier championnat de France de beatbox à Angers en 2006.143 Définit par Becker H.S. dans Les mondes de l’art, Paris, Flammarion, 2006.

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Page 86: Le beatbox et ses pratiquants

le beatbox et les institutions culturelles. Le cas de la danse hip-hop dans les

années 80 fait figure de référence, sa reconnaissance par le champ chorégraphique

et les projets d’action culturelle menés auprès de publics censés « réceptifs » n’ont

pas fait l’unanimité.

Par rapport aux institutions tu penses qu'il y a danger ou pas ? Par exemple comme pour la danse...

« Ouais !... (silence) Ouais notamment, depuis quelques mois, ils ont commencé à essayer de créer un DE, un diplôme d'état pour les professeurs de danse hip-hop, or les professeurs de danse hip-hop depuis un paquet de temps, c'est des gens qui à la base sont des pratiquants qui se sont développés par eux-mêmes comme ce qu'on est en train de faire en beatbox aujourd'hui... et qui sont extra-compétents mais à un moment donné, l'état a commencé à dire : “bon il va falloir donné un cadre à ça” et c'est eux-mêmes, sans consulter les acteurs qui ont commencé à fixer les règles de ça et à partir de là, ne peuvent être enseignants de danse, que ceux qui ont le diplôme d'état... or, c'est pas la réalité des acteurs et de certains des meilleurs enseignants de danse hip-hop qui pourtant n'ont parfois pas le bac... mais qui sont très très fort, et socialement, et pédagogiquement, et dans plein de trucs... du coup ça peut nous arriver avec le beatbox aujourd'hui aussi, on a la grosse chance aujourd'hui, en tout cas en France, de déjà se poser ces questions là alors que s'est en train d'exploser... »144

De peur que le beatbox soit détourné ou instrumentalisé, la pratique ne

souhaite pas uniquement se développer au sein des institutions. Les beatboxeurs

sont conscients des pièges à éviter pour conserver une certaine indépendance et

cherchent à conserver leurs réseaux informels. La situation du beatbox est donc

paradoxale, il se dirige vers une reconnaissance du beatbox dans le cadre des

politiques publiques en faveur des musiques actuelles, mais il ne souhaite pas

perdre ce qui fait son identité, celle d’une pratique musicale « underground » issue

d’une culture jugée marginale. Les beatboxeurs élaborent des stratégies qui leur

permettent de profiter des services d'institutions culturelles sans pour autant se

plier à toutes leurs exigences.

« Faut s'infiltrer, faut pas vendre ses fesses, faut toujours rester intègre... Je pense que c'est une bonne chose, par ce que l'art de rue a sa place dans la rue, il faut que l'art de rue reste dans la rue mais je pense que quelque part l'art de rue mérite de sortir de la rue, mérite d'être reconnu comme le graff, comme la danse... pour moi la danse elle est dans la rue mais elle sortie de la rue... c'est le coeur même de la discipline, de toute discipline du hip-hop, après c'est beau de voir que certaines figures du hip-hop arrivent à sortir de ce truc là, ils restent hip-hop mais voilà, ils donnent des cours au conservatoire... t'imagines le truc, c'est génial, le mec il vient de la rue, il donne des cours au conservatoire, c'est magnifique, c'est une espèce de victoire sur la ségrégation, on t'écoute, on t'observe, alors que y'a dix ans on prenait pour un fou, je faisais des « pouet-pouet »... une bonne revanche sur la loi du sort... »145

144 EZRA

86

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Le beatbox a fait le choix de se structurer lui-même en prenant appui sur

une communauté de pratiquants qui procèdent ainsi à une gestion interne de ces

questions. Beatbox France est la première instance officielle qui a cette vocation.

Beatbox et médias

La question du rôle des médias a été à plusieurs reprises soulevée à la suite

d'un événement particulier : l'apparition d'un beatboxeur sur le plateau d'une

émission musicale d'une grande chaîne de télévision. En 2007, Joseph alias

POOLPO, originaire de Sète est auditionné par le jury de l'émission de télé-réalité

la Nouvelle Star, diffusée sur M6. Il disparaît assez rapidement des écrans de

télévision mais sa vidéo est déposée sur internet et obtient un véritable succès. Sa

prestation fait l'objet de vives réactions de la part des membres de la communauté

française de beatbox qui accusent ce pratiquant méconnu de plagiat et dénigre

ainsi sa démonstration. Les beatboxeurs souhaitent se mesurer à lui durant le

championnat de France de Dijon mais il refuse et fait preuve lui aussi de mépris.

Un an plus tard, il se présente au championnat de Montpellier et, comme nous

l'avons vu, suscite de nouveau des commentaires. Ces évènements ont révélé des

avis tranchés sur les rapports que doit entretenir la pratique avec les médias.

« Médias et beatbox... ça peut pas forcément faire un mauvais ménage... sachant que d'une manière plus générale, je suis pas dans la dualité commercial/pas commercial, tu vois par exemple pour moi un groupe comme le Saïan Supa Crew qui est un groupe commercial et ben c'était très bien qu'ils fassent leur musique et j'ai kiffé... contrairement à d'autres qui sont des produits marketés qui me cassent les couilles... c'est la même logique beatbox et médias, après si un beatboxeur va faire ce que POOLPO a fait et que derrière il se laisse pas embarquer par tout le truc, j'y vois aucune objection, j'aurai de toute manière rien à dire quoi qu'il arrive... mais c'est des coups de projecteurs qui sont donnés sur une pratique donc ça me fait kiffé... après c'est vrai qu'il faut faire attention, j'estime que si l'artiste est pleinement conscient de ce qu'il fait et qu'il assume et qu'il gère bien son truc, tu vois qu'il garde une éthique forte, et ben il peut faire ce qu'il veut, moi je m'en bas les reins... c'est pas un souci du moment qu'il est capable d'expliquer... »146

Les médias ne sont pas, pour la plupart, diabolisés et parfois bien au

contraire, ils peuvent permettre de faire découvrir la pratique au plus grand

nombre. Une seul condition semble nécessaire, les médias ne doivent pas altérer

l'éthique de la pratique. Les beatboxeurs ne cherchent pas non plus à s'insérer

145 OSLIM146 TIKO

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Page 88: Le beatbox et ses pratiquants

totalement dans une économie marchande régie uniquement par l'argent.

« Il suffit à un moment donné qu'il y ait une mise sous les projecteurs de la discipline qui soit très médiatisée et avec... et avec une mauvaise énergie et... et puis les histoires de business... au niveau des pratiquants, le fait de se rendre compte... qu'on peut vivre de ça, qu'on peut faire que du beatbox... et puis simplement d'en vivre sans trop réfléchir à ce que ça implique pour soi, pour les autres, pour les valeurs de ce truc là... ouais, y'a des dangers qui sont liés forcément un peu aux thunes mais comme dans tout en fait... »

Si un jour on voit un beatboxeur millionnaire qui sert de référence, c'est là où ça peut être dangereux...

« Qu'il soit millionnaire c'est pas grave.. (rires) mais qu'il ne véhicule pas des valeurs positives ça peut être grave... »147

Une fois de plus, les beatboxeurs prêtent une attention particulière aux

valeurs qu'ils défendent. Ajouter un intermédiaire entre eux et le public peut

conduire à la déformation ou la disparition de ces valeurs. Ils préfèrent maîtriser

leur image en gérant eux-mêmes les moyens de communication susceptibles de

faire connaître et de diffuser la pratique. Internet en est le plus bel exemple, les

beatboxeurs déposent des vidéos qui leur correspondent et les présentent sous leur

meilleur jour. Ils sont donc leurs propres médias et ne cherchent pas à devenir des

stars.

147 EZRA

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Page 89: Le beatbox et ses pratiquants

Conclusion

Au terme de cette étude qui témoigne de deux années d'enquête et de

recherches sur le human beatbox, se situe dans une époque où d’autres pratiques

telle que le slam148qui, de la même manière, s’inspire de formes préexistantes pour

en constituer une inédite. C'est la raison pour laquelle il était important de

préciser, dans un premier temps, qu’il s’agit d’une discipline née dans les années

80 aux États-Unis, dans un contexte social et économique particulier et au sein du

mouvement culturel qui lui a conféré une esthétique singulière. Dans une seconde

partie, la description des différents terrains explorés a permis de peindre le portrait

de la discipline. Nous avons pu observer la prépondérance de l’Internet dans la

fédération d’une communauté faite de beatboxeurs de plus en plus nombreux. Par

l’usage de la photographie, il a été possible de rendre compte de certaines

caractéristiques « visibles » qui font du beatbox une forme d’expression musicale

et corporelle singulière. En leur laissant la parole, le but était d'observer les

parcours des beatboxeurs qui sont amené à se familiariser avec la discipline en

échangent avec les autres pratiquants avant de se forger une identité. Marqué par

le jeu et fondé sur la notion de partage, le beatbox réunit les individus qui

s'entendent sur des idées similaires. Selon eux, le beatbox peut être un formidable

catalyseur d'une véritable démocratisation de la pratique musicale, à condition que

les individus soient au centre de la pratique qui, par essence est humaine et se

transmet de bouche à oreille...

148 Littéralement « claque », le slam est défini comme un art d’expression populaire oral et déclamatoire. Cette pratique est également née dans les années 80 à New-York. Les individus peuvent ainsi s’exprimer librement sur des scènes ouvertes en proposant à un public et parfois un jury des textes de leurs compositions. Nous développerons au fil de cette étude les points communs que possèdent le slam et le beatbox.

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Page 90: Le beatbox et ses pratiquants

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Page 92: Le beatbox et ses pratiquants

Sitographie

www.beardyman.co.uk

www.beatbox.tv

www.beatboxcontest.fr

www.humanbeatbox.fr

www.beatboxfrance.tk

www.arteradio.com

www.beatboxconvention.com

www.humanbeatbox.com/history

http//:classicalbeatboxproject.blogspot.com

www.beatboxbattle.net

www.beatbox.be

www.beat-box.fr

www.youtube.fr et www.dailymotion.fr

Lexique

– B.Boy : ou Breaker Boy, qui pratique la breakdance mais il désigne aussi un membre de la culture hip-hop.

– Blaze : pseudonyme choisi par un membre de la culture hip-hop.

– Beat : littéralement « battre », d'où l'expression battre la mesure, s'emploie généralement au sens de rythme.

– Battle : littéralement « bataille », s'apparente à l'idée de joute, d'affrontement ou de duel, chaque discipline du hip-hop a ses « battles » où le défi et la confrontation sont essentiels

– Cover : reprise d'un morceau de musique.

– Crew : littéralement « équipe », regroupement par affinité de plusieurs personnes.

– DJ : ou Disc Jockey, personne qui sélectionne et diffuse de la musique lors de soirées ou à la radio, il brille par ses aptitudes à mixer ou scratcher.

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– Jam-session : moment d'improvisation libre pour plusieurs musiciens.

– Loopstation : appareil électronique, sous forme de pédalier, qui permet d'enregistrer et de superposer des boucles musicales en direct.

– MC : Maître de cérémonie, « Mic controller », l'abréviation est employée à la fois pour celui qui anime un événement hip-hop et pour désigner un rappeur.

– Post : message déposé sur le forum.

– Sampler : échantillonneur, instrument de musique électronique capable d'enregistrer, d'échantillonner des sons (échantillons ou samples) et de les rejouer en boucle.

– Scratch : littéralement « rayer », le « scratching » est une technique employée par les DJ's qui consiste à faire des va-et-vients sur un disque vynile en lecture. Le son caractéristique de cet effet est reproduit vocalement par les beatboxeurs.

– Sound-system : nom donné à une fête ou un rassemblement musical hip-hop.

– Topic : thème de discussions qui regroupe les messages.

– Underground : Littéralement « souterrain ». Terme utilisé à partir des années 60 pour définir un mouvement culturel alternatif, en marge de la société.

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Annexes

• Liste de sons établie par LOS, beatboxeur-intervenant

KICK / GROSSE CAISSE

P : pression des lèvres et ouverture de la gorge

B : lèvres à l’intérieur expulsées

Ob : pied techno gorge

On : pied nez sortant de la gorge

D : langue sous lèvre supérieure expulsée

HIHAT / CHARLEY CYMBALE

TS : prononcer ts avec un sourire pour un son aigue

NS : décoller la langue du palet (sans respirer)

NHS : décoller la langue du palet en inspirant un S

BOUS : bout de langue sur dent du bas, dent du haut sur langue,s ouffler,et B en

même temps

AHH : bouche grande ouverte, presser les cordes vocales et expulser un ahhhh

GONG : fermer la bouche et souffler dans le nez en compressant les cordes

vocales.

SNARE / CAISSE CLAIRE

ICH : prononcer ICH en poussant sur la gorge

KL : prononcer KLA enserrant un peu les dents.

PF : faire une grosse caisse en même temps que ffffff

K : prononcer K un coup sec

KI : comme pour appeler un animal, décoller la langue des dents sur le coté

KH : positionner la langue sur les dents du haut sur un coté, aspirer en décollant

la langue

TCH : pression de la langue sur le palet en TISH

UF : ouverture sèche des cordes vocales, en inspirant la bouche en U

TUS : langue sous lèvre supérieure expulsée avec un S

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• Article rédigé par Jefferson, beatboxeur et membre du forum

Human beatbox… Quel genre devons-nous donner à ce mot en français ? Féminin, masculin ? Devons-nous dire : « le (human) beatbox » ou « la (human) beatbox » ? Le terme beatbox (ou human beatbox) vient de l´anglais, et dans cette langue les noms communs n´ont ni de marque de féminin, ni de masculin, ni de neutre dans leurs déterminants contrairement au français où c´est le cas. Alors, comment connaître son genre ? Un petit rappel sur la grammaire anglaise s´impose… Les mots ont quand même un genre en anglais malgré qu´il ne soit pas présent dans les déterminants ! En effet, il existe sous d´autres formes… Tout d´abord, les anglais précisent parfois le sexe de la manière suivante : un étudiant se dit « a male student », une étudiante « a female student ». Il existe aussi woman doctor voire même lady doctor pour l´équivalent de notre « doctoresse ». Ensuite, la marque du genre se trouve quelques fois dans les noms eux-mêmes quand il existe des termes spécifiques pour chaque sexe (parfois c´est un autre mot, parfois c´est juste le suffixe qui change). Par exemple un chien se traduit en anglais par a dog et une chienne par a bitch (non ce n´est pas qu´une insulte…). Mais il est possible d´employer aussi a male dog pour le masculin et a female dog pour le féminin comme nous l´avons vu précédemment. […] Que faut-il en déduire ? Sur ces 5 mots il n´y en a donc aucun dans le dictionnaire qui soit présent à la fois sous sa forme longue et sous sa forme abrégée. De la même façon que pour breakdancing, skating, et skateboarding il conviendrait donc de ne plus utiliser « beatboxing » car il est moins utilisé que sa forme abrégé « beatbox ». Néanmoins, nous l´avons vu, son usage est toléré car il permet de faire une distinction entre l´art et le morceau de musique. De plus, comme je l'ai déjà dit le beatbox c´est quelque chose d´exceptionnel, il fera donc partie des exceptions une fois de plus ! Utilisez human beatboxing, human beatbox, beatboxing, beatbox, qu´importe !

[…] Conclusion Human beatbox ou tout simplement beatbox, beatboxing, beatboxer (le verbe), beatboxeur, beatboxeuse, tutorial, tutoriaux, mail… Ces termes rentreront-ils un jour dans les dictionnaires étant donné qu´ils sont de plus en plus utilisés dans le langage courant ? Après tout c´est arrivé à « kiffer, keum, meuf, SMS, et même rappeur et rappeuse » présents dans la plupart des dictionnaires dans leur édition 2007 (Larousse, Robert, etc.) alors à quand leur tour ? Nul ne le sait… La seule chose qui est sûre c´est qu´en attendant le débat sur leur utilisation reste ouvert…

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• Programmes des évènements beatbox

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