Interview choc sur Charlie Hebdo

Post on 11-Mar-2016

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Une interview d'Ali Amar et des caricatures à mourir de rire sur la "transition démocratique " marocaine

Transcript of Interview choc sur Charlie Hebdo

CHARLIE HEBDO : Ce livre, c’est lerécit d’une déception…t Ali Amar: En 1997, deux ans avant l’ar-rivée de Mohammed VI, Hassan II, ausoir de sa vie, comprend qu’il lui faut des-serrer son pouvoir. Le monde a changé. Ily a une pression très forte. Le livre deGilles Perrault, Notre ami le roi, fait uncarnage. Hassan II commence à lâcherdu lest. Il ne peut plus être le dictateurchaperonné par les puissances occiden-tales. Il octroie le gouvernement à sesanciens opposants, il libère les prison-niers politiques. Je ne dis pas qu’il estdevenu démocrate, bien sûr, il agit sousla contrainte. Mais il y a cette alternance.Donc, pour nous, c’est un momentchargé d’espoir. Et puis il meurt. Lavitesse de changement à cette époque-lànous disait que Mohammed VI allait pro-bablement continuer sur cette lancée.Mais très vite il a repris les habits de sonpère. Il n’est pas comme Hassan II, le dic-tateur sanguinaire qui pouvait tout se per-mettre. Mais, derrière une modernité defaçade, il n’arrive pas à couper le cordonombilical. Effectivement, je suis déçu. Jepense qu’il aurait pu aller beaucoup plusloin Ce qui est terrible aujourd’hui, c’estque dix ans ont passé et on nous bassineencore avec la transition démocratique…

« On veut être des citoyens,pas des sujets. »

Le livre fait aussi l’histoire du Journal,qui est aux premières loges pourmesurer cette « transition ».En 1997, quand Le Journal apparaît, onest dans cette phase d’espoir. On est dansune exaltation qui s’est construite petit àpetit. On n’est pas politisé comme on l’estdevenu aujourd’hui. Mais, à l’orée de cettetransition, on essaye de repousser leslimites de la liberté de la presse. Pourpouvoir nous projeter dans l’avenir, il fal-lait que l’on comprenne notre histoirerécente, qui est complètement occultée.Dans les écoles au Maroc, on ne t’apprendrien. Alors, quelle mémoire peut-onreconstruire? Peut-on tout dire et abordertoutes les questions concernant notrepays en rendant compte de tous les pointsde vue? On avait le premier journal indé-pendant fait par des jeunes qui avaientdes référents universels. La liberté d’ex-pression en particulier. On a commencéà écrire « le roi ». Tout le monde écrivait« Sa Majesté » dans la presse… Et très viteon a buté contre cette sacralité. C’est lenœud gordien du système. MohammedVI est une personne constitutionnelle-

ment sacrée, parce que prétendumentdescendant du Prophète. Tu ne peux pasêtre de droit divin et responsable politi-quement. L’un est exclusif par rapport àl’autre. La transition se révèle vite généa-logique, mais pas démocratique, avec desévolutions et des progrès qui ne touchentpas au fond. On est passé d’un roi à unautre, mais pas d’un régime à un autre.La grande force de Mohammed VI, c’estd’avoir su s’attirer l’indulgence du mondeparce qu’il était jeune et que son image estplus sympathique que celle, révulsive, deHassan II…

Votre livre est sévère, mais n’est pasbêtement manichéen. Vous analysez unrégime rempli de contradictions avec,malgré tout, un mouvement interne…Le Maroc, ce n’est pas la Tunisie, qui estun commissariat avec un maton à sa tête.Au Maroc, il y a les attributs d’institu-tions. Il y a un Parlement. Il y a une viepolitique. Mais on prend vite conscienceque tout cela ne sert au bout du comptepas à grand-chose. Le pouvoir est tou-jours ultra-concentré. Parce que je suiscritique, comme n’importe quel journa-liste doit l’être, on me dit souvent : regar-dez vos voisins. Évidemment, quand oncompare avec le reste du monde arabe,tout va bien au Maroc… Est-ce qu’on doitêtre condamné à cette comparaisonrégionale-là ? Le Maroc est à 14 kilo-mètres de l’Europe… La monarchie, c’estvrai, y est extrêmement populaire, maiselle a besoin d’être réformée. Il faut qu’ily ait une vraie séparation des pouvoirs. Ilfaut un Premier ministre qui soit rede-vable auprès des citoyens. Il faut cassercette sacralité du monarque. On veut êtredes citoyens, pas des sujets…

Vous montrez que la capacité dupalais à pouvoir leurrer les médiasoccidentaux, notamment français, estun de vos grands problèmes.La France a, en gros, gobé le mythe de ceroi démocrate. Les Français, diplomatesou journalistes, se font avoir par unegénération de jeunes Marocainsmodernes qui ont, comme moi, fait lesmêmes études qu’eux et leur racontentleur Maroc. En faisant Le Jour-nal, on subissait d’ailleurs unegrosse pression de ces gens dela génération Mohammed VI,qui sont au pouvoir, écono-mique ou politique, et qui necomprenaient pas le sens denos enquêtes. Ils s’étonnaientque des gens qui devaient êtreformatés comme eux ne lesoient pas. Parce que les élitessont domestiquées par la coop-tation et l’argent. Il suffit d’unminimum de participationactive au système pour vivre

dans un confort insolent. Alors, on a beauleur dire qu’on est avant tout des démo-crates et des pluralistes, rien n’y fait. Der-rière notre simple travail de journalistesindépendants, on nous prête des inten-tions cachées. Parfois, on dit que l’on estdes crypto-islamistes, parfois des athéesmécréants, ou des nihilistes à la solde duMossad quand on parle d’Israël, ou à lasolde de la DGSE française ou de l’Algé-rie si on parle du Sahara occidental…

Comment définir le type de capita-lisme qui sévit au Maroc?On est dans un système de prédationéconomique. Le roi possède une sociétéqui agit à tous les rouages de la vie éco-nomique. Il façonne le business. Lescapitalistes marocains sont des gens quiont toujours profité du parapluie dupalais pour évoluer dans un capitalismede rentier. Il faut toujours être dans lesjupes du pouvoir. C’est un système d’ap-paratchik. Ceux qui ont le pouvoir poli-

tique ont le pouvoir économique. Ilssavent ce qui est bien pour le pays. Unenouveauté du régime : Mohammed VIaccapare plus de biens et de contrôle queson père. C’est un businessman entouréd’affairistes mafieux.

« Mohammed VI : un businessmanentouré d’affairistes mafieux »

Comment Mohammed VI gère-t-il l’hé-ritage de Hassan II en ce qui concernel’oppression des opposants, la tor-ture?…Il y a eu un processus de réconciliation,mais ce qui est terrible, c’est comment ilest arrivé à engloutir les opposants dansle système. Le rapport a lieu, il y a unecatharsis, c’est vrai, mais ça n’a rienchangé institutionnellement. Des cri-minels qui agissaient sous Hassan IIsont toujours dans l’entourage influentdu roi. Qu’est-ce qui pourrait empêcher

que cela se reproduise? Et,le fait est, après le 11 sep-tembre, le Maroc a rouvertdes prisons secrètes et pra-tiqué la torture. C’est docu-menté… Tout ça au nom dela lutte contre le terrorisme.

Quelle est la situation del’islamisme radical auMaroc?Le grand danger, pour Has-san II, c’était la gauche. Il afavorisé l’émergence d’uneclasse politique islamiste

en pensant sincèrement qu’en tant que« commandeur des croyants » il pourraitcontrôler. Il a ouvert la porte du wahha-bisme saoudien. Pour des raisons de fricaussi. Le Maroc a ouvert ses mosquées.Ils ont alimenté le terreau de l’isla-misme. Une partie de la jeunesse,aujourd’hui, se reconnaît dans l’inter-nationale djihadiste. Et la ligne de frac-ture économique épouse cette ligne defracture idéologique… Il faut voir Casa-blanca. Son centre, c’est une villemoderne, européenne. La banlieue, c’estl’Afghanistan. Au Maroc, il n’y a pas unefracture sociale, mais un gouffre béant.Un petit bantoustan d’opulence aumilieu d’un océan de bidonvilles, où il ya une influence très forte des radicaux.Ce modèle de société gagne du terrainà cause des tensions qui existent.

« Le Maroc, un petit bantoustand’opulence au milieu d’un océan

de bidonvilles »

Il y a beaucoup de chapitres sur l’en-tourage de Mohammed VI, maisaucun ne lui est exclusivement consa-cré. Pourquoi?Parce qu’il reste une énigme. On ne saitpas ce qu’il pense sur le fond. Il ne s’ex-prime jamais. On doit extirper les infor-mations qui le concernent. Cette ques-tion ultime de la prise de décision auMaroc reste mystérieuse. On ne saitrien. On sait qu’il a tous les pouvoirs enmain, mais on doit toujours décrypterles mécanismes internes du palais,même en étant initié. C’est le systèmedu makhzen, un système féodal de cour-tisanerie et d’allégeance. Il y a un cabi-net de l’ombre qui prend toutes les déci-sions importantes. En marge dugouvernement, il y a des commissionsroyales qui coupent l’herbe sous le piedaux mécanismes institutionnels et auxlogiques un peu plus démocratiquesqu’il pourrait y avoir. En permanence,c’est le fait du prince. Mohammed VI estprisonnier du système dans lequel il aété élevé.

Comment le livre va-t-il être reçu auMaroc?Je ne crois pas que mon livre y seravendu. Le plus grand grossiste du paysn’a pas fait de commande. Alors, je nesais pas. Il y a un bureau de la censurepour les périodiques, mais pas pour leslivres… Ce serait stupide de l’interdire !Mais la presse va sortir les bonnesfeuilles. C’est l’actualité du moment.C’est la première fois qu’un journalistemarocain fait un livre d’enquête sur lamonarchie.

PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANE BOU

« La France a gobé le mythe d’un Mohammed VI démocrate »Ali Amar a été l’un des fondateurs du Journal, premier titre indépendant du Maroc. Il fête à sa manière le 10e anniversaire du règnede Mohammed VI: en publiant une enquête qui fait tomber les masques. Derrière l’image marketing d’un Maroc en mouvement? Unpays plombé par une monarchie affairiste qui, tout en prétendant avoir rompu avec l’héritage de Hassan II, se révèle incapablede couper le cordon ombilical. Rencontre avec l’auteur de Mohammed VI, le grand malentendu. Dix ans de règne dans l’ombre deHassan II, Calmann-Lévy.

ENTRETIENAVEC ALI AMAR

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