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© Éditions Cybele 2008
H A R C O W I L L E M S
LES TEXTES DES
SARCOPHAGES ET LA
DÉMOCRATIE ELÉMENTS D'UNE HISTOIRE CULTURELLE
DU MOYEN EMPIRE ÉGYPTIEN
Quatre conférences présentées à l'École Pratique des
Hautes Etudes. Section des Sciences religieuses.
Mai 2006.
X
A JAC. J. JANSSEN
SOMMAIRE
PRÉAMBULE XI
A V A N T - P R O P O S XIII I N T R O D U C T I O N l
C H A P I T R E I . L A C U L T U R E N O M A R C A L E :
DIMENSIONS POLITIQUES, ADMINISTRATIVES,
SOCIALES E T RELIGIEUSES 5
L 'ORIGINE DES N O M E S 8
LES N O M E S PENDANT LA V DYNASTIE 25
L'ADMINISTRATION DES N O M E S PENDANT LA V I ' DYNASTIE 31
L 'ADMINISTRATION RÉGIONALE PENDANT LA
PREMIÈRE PÉRIODE INTERMÉDIAIRE ET AU M O Y E N EMPIRE 36
LE TITRE DE N O M A R Q U E EN ÉGYPTIEN ET DANS L'ÉGYPTOLOGIE 59
C H A P I T R E I I . U N CIMETIÈRE N O M A R C A L
D U M O Y E N EMPIRE : D E I R E L - B E R S H A 67
LES FOUILLES DE 2006 DANS LA Z O N E 10 83 LES TOMBES DU DÉBUT DU M O Y E N EMPIRE DE LA Z O N E 2 87
LE PAYSAGE RITUEL DE DEIR EL-BERSHA 103
C H A P I T R E I I I . L E S T E X T E S DES C E R C U E I L S
E T LA D É M O C R A T I E 1 3 1
LES RACINES DE « L'HYPOTHÈSE DÉMOCRATIQUE » 133
TRANSFORMATIONS DE L'ÉQUIPEMENT FUNÉRAIRE
PENDANT LA PREMIÈRE PÉRIODE INTERMÉDIAIRE
ET AU M O Y E N EMPIRE 142
I X
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
U N E PERSPECTIVE DÉMOGRAPHIQUE
SUR LES TEXTES DES CERCUEILS 149
Quantification des sarcophages décorés à Deir el-ßersha 156
Quantification des sarcopfiages décorés à Beni Hasan 160 Quantification des sarcop/iages décorés à Assiout 161
LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE DES TEXTES DES CERCUEILS 172
Saqqara et Abousir 174
Tfièbes et Licht 178 La Moyenne Egypte 182
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA RELIGION FUNÉRAIRE
DANS LES HAUTS-LIEUX NOMARCAUX 184
U N E HYPOTHÈSE SUR LA PORTÉE DES TEXTES DES CERCUEILS 189
Les lettres aux morts 192 Les formules 131 à 146 des Textes des Cercueils 193
La formule 14c des Textes des Cercueils 194
Les formules 30-41 des Textes des Cercueils 196 La formule 312 des Textes des Cercueils 2 01
Une conclusion 203
Le cas d'Heqafa 204
Le cas des sarcophages du milieu de la XII' dynastie 207
Conclusion 21 2
La vie familiale au Moyen Empire 21 4 Les Textes des Cercueils et les cours nomarcales 220
C O N C L U S I O N 225
A P P E N D I C E . Q U A N T I F I C A T I O N DES CERCUEILS
D É C O R É S D U M O Y E N EMPIRE 229
É P I L O G U E 233
B I B L I O G R A P H I E 239
T A B L E DES FIGURES 2 71
T A B L E DES PLANCHES 275
I N D E X 277
PRÉAMBULE
I arco Willems, professeur à la Katholieke Universiteit Leuven, directeur du chantier de fouilles de Deir el-Bersha, et spécialiste incontesté des Textes des Cercueils est venu donner, en mai 2006,
dans le cadre de l 'École Pratique des Hautes Études, quatre conférences qu'il a accepté ensuite de publier. L'ouvrage qui en découle est véritablement novateur. Il permet tout d'abord de resituer l'organisation politico-administrative de l'Egypte depuis les origines jusqu'au Moyen Empire. Or, c'est une question qui a fait et fait encore l 'objet de nombreuses controverses, l'argumentation en faveur de tel ou tel point de vue (création des nomes, expansion et déclin) étant parfois peu étayée. Après cette analyse indispensable, Harco Willems présente les résultats majeurs des campagnes de fouilles à el-Bersha. C'est un nouveau « paysage rituel » que nous découvrons avec, en particulier, la route qui mène de la rive orientale du Nil jusqu'aux pentes où furent creusés les hypogées des nomarques, dont le célèbre Djéhoutihotep. On mesure aussi combien l'extension du cimetière est plus vaste que celle qu'on lui attribuait traditionnellement.
X I
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Dans son troisième chapitre, l 'auteur remet profondément en
cause ce qu'on continue d'appeler la « démocratisation » ou
« démotisation » de la religion funéraire du Moyen Empire, en
se fondant sur la lecture des textes (Lettres aux morts , chapi
tres des Textes des Cercueils) étroitement associée à une ana
lyse critique de la situation politique, administrative et sociale
de l'Egypte de la Première Période Intermédiaire et du
Moyen Empire. Il en résulte que les Textes des Cercueils, loin
d'être le reflet de la religion funéraire de l'Egypte tout
entière, et toutes catégories sociales confondues, apparaissent
comme l'apanage d'une élite très spécifique qui est celle des
nomarques de Moyenne Egypte. Harco Willems offre avec ce
livre une vision profondément originale, et du coup déran
geante, de cette religion funéraire qu'on ne doit plus, ni ne
peut plus, séparer de son contexte historique et social.
L'accent que met l 'auteur sur l'influence des courants de pen
sée contemporains ou des opinions politiques sur la recherche
égyptologique, influence trop souvent méconnue ou occultée,
me paraît aussi devoir être souligné.
Je tiens à remercier très chaleureusement Harco Willems
pour ces nouvelles perspectives qu'il nous propose, sans
oublier Jean-Pierre Montesino, directeur des Éditions Cybèle
qui a bien voulu prendre en charge la publication de cet
ouvrage, pas plus que Gwenola de Metz qui, une nouvelle fois,
a mis ses talents de graphiste au service de sa réalisation.
C H R I S T I A N E Z I V I E - C O C H E
Paris, le i 2 septembre 2007
AVANT-PROPOS
C e volume a été écrit sur la base de quatre leçons académiques que j 'a i présentées comme directeur d'études invité à l 'Ecole Pratique des Hautes Études, Section des Sciences Religieuses à Paris entre le 4 et le 2 4 mai 2 0 0 6 . Je tiens à
remercier très vivement ma collègue, Christiane Zivie-Coche, directeur d'études, pour l'honneur de m'avoir invité à donner cette série de conférences. Elle a aussi corrigé mon texte français. De surcroît, au cours des conversations que j 'a i eues avec elle durant mon séjour à Paris, elle a fait quelques remarques précieuses, qui m'ont incité d'approfondir divers éléments de mon étude. Les pages consacrées à la « démographie des Textes des Cercueils » en sont largement le résultat.
Ce volume a une longue histoire, et constitue une sorte d'assemblage d'idées, d'abord très disparates, que j 'a i développées pendant près de vingt ans. Une première version du premier chapitre a été conçue en 1 9 9 5 , dans le cadre d'un cours intitulé « Samfund og historié » que j 'a i délivré pendant un séjour comme professeur invité à l'Institut Carsten Niebuhr de l'Université de Copenhague. Le deuxième chapitre offre une
X I I I
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
sélection des acquis récents de la Mission de la K.U. Leuven à
Deir el-Bersha'. La thèse principale traitée dans le troisième cha
pitre a été exposée pour la première fois dans la conférence
« The Coffin Texts and democracy » que j 'ai prononcée au cours
de la table ronde intitulée « Textes des Pyramides et Textes des
Sarcophages », qui s'est déroulée à l'Institut français d'archéolo
gie orientale du Caire, du 2 4 au 26 septembre 2 0 0 1 \ Une ver
sion très préliminaire et simplifiée a été publiée dans mon article
« Het nomarchaat als politieke, sociale en religieuze factor in de
Egyptische provincie », Phoenix 4 6 . 2 ( 2 0 0 0 ) , p. 7 2 - 1 0 4 .
H A R C O W I L L E M S
Orp-le-Grand, 1 0 septembre 2 0 0 6
1. Projet de fouil les réalisé grâce au support f inancier du Bi jzonder
Onderzoeksfonds de la K.U.Leuven et du Fonds voor Wetenschappel i jk
Onderzoek - Vlaanderen. En 2 0 0 6 , notre projet bénéficiait aussi d'une subvention
de la Nat ionale Bank van België.
2. Communication que, par manque de temps, je n'ai pas pu publier dans les actes
de ce colloque.
I N T R O D U C T I O N
E n lisant le grand nombre d'études consacrées aux nomarques égyptiens depuis plus d'un siècle, on s'apercevra aussitôt que ces fonctionnaires ont été prioritairement considérés sous leur aspect administratif et politique, ce qui est compréhensible. Il s'agit sans aucun doute
d'une catégorie de hauts fonctionnaires régionaux qui ont exercé une influence capitale pendant l 'époque qui s'étend de la fin de la V e dynastie jusqu'à l'extinction de la XII e dynastie. Il n'a pas échappé aux spécialistes que la plupart d'entre eux remplissaient aussi des fonctions religieuses, par exemple comme chef des prêtres dans les temples provinciaux. Mais, si leurs autobiographies font état de leur rôle sacerdotal, les informations concernant ces tâches, probablement importantes, ne sont souvent que très laconiques. Dans la plupart des cas, les textes ne nous renseignent que sur le fait que le nomar-que portait un titre tel que im.y-r hm.w-ntr, sans détailler les spécificités de cette occupation. Moi aussi, je vais également m'occuper principalement de l'aspect administratif de leur situation dans la société égyptienne. Néanmoins, il me semble que, si l 'on recense toutes les indications disponibles, il s'avère
1
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
possible de décrire d'une manière assez approfondie ce qu'était leur activité religieuse. Mais pour arriver à ce résultat, ce serait une erreur que d'aborder dès le début les aspects rituels et théologiques qui seront le point d'aboutissement de ma présentation.
Une religion ne fonctionne pas dans le vide. Les individus qui ont produit les sources religieuses que nous connaissons n'élaboraient pas seulement des idées religieuses, ils étaient aussi membres d'une société qui, comme toute autre, poursuivait des buts économiques et politiques. De nos jours, ces aspects sont assez strictement liés à des domaines sociaux différents, en tout cas dans le monde occidental, bien que les dernières années montrent malheureusement un certain mouvement dans la direction opposée. Pour les Égyptiens, une telle ségrégation n'a jamais existé. En fait, toutes les sources dont nous disposons, même celles que les égyptologues préfèrent appeler « textes autobiographiques » ou « textes historiques », ont pour origine le cadre architectural des tombes, donc un milieu profondément religieux. Il est important de ne pas perdre de vue ce fait capital.
Une des fonctions de la religion qu'on peut retrouver dans plusieurs cultures, c'est qu'elle offre un fondement idéologique à la structure sociale. Sur un plan bien connu et presque banal, c'est aussi le cas en Egypte, où le roi lui-même revêtait un rôle divin — ou plutôt plusieurs rôles divins à la fois. Beaucoup d'égyptologues se sont occupés de telles questions, en étudiant, par exemple, par quels moyens s'exprimait la divinité du pharaon. Mais on pourrait aussi aborder la question dans un sens opposé : en analysant d'abord la structure sociale (dans le cas présent, celle des provinces de Haute Egypte) pour mettre en lumière dans quelle mesure cette structure correspond à celle de la mythologie ou au scénario des rituels.
Le premier chapitre traite du rôle historique, social, politique, administratif et, bien sûr, religieux des nomarques. Notre
2
INTRODUCTION
documentation provient principalement des cimetières nomar-
caux. Un tour d'horizon des renseignements disponibles sur
ceux-ci montre tout de suite un biais à la fois dans la documen
tation et dans le genre de questions que se sont posés les égyp-
tologues. Ainsi, concernant le site bien connu de Beni Hasan ce
sont surtout les grandes tombes des gouverneurs qui ont
retenu l'attention. Il existe, par exemple, de nombreuses étu
des qui tentent de situer ces personnages dans le cadre histori
que de leurs temps. Il n'est évidemment pas sans intérêt
d'aborder ce type de problématique, mais les tombes des gou
verneurs n'occupent qu'une partie du site. Près de mille tom
bes appartenant à l'entourage des gouverneurs et aux membres
de la communauté qu'ils dirigeaient ont été découvertes, il y a
plus d'un siècle, par G A R S T A N G . Malheureusement ce professor
of the methods and practice of archaeology à l'université de
Liverpool a détruit les contextes archéologiques de ces centai
nes de tombes au lieu de les documenter. De surcroît, les objets
découverts ont été dispersés à travers le monde. La tentative de
S. O R E L qui, il y a quelques années, a entrepris de reconstruire
les contextes archéologiques, est certes importante, mais n'en
donne qu'une idée très approximative. Ce qui implique que nos
informations sur l'organisation du site — organisation qui doit
refléter l'organisation sociale de cette communauté nomarcale
— sont assez restreintes.
Malheureusement, le site de Beni Hasan n'est pas une
exception. Le genre de fouilles entreprises au début du X X E siè
cle à Deir el-Bersha, Meir, Assiout, Deir el-Gabrawi, Qaw el-
Kebir, ou, plus récemment, à el-Hawawish, avaient toutes pour
but de collecter des objets d'art, des textes, et des copies de
tombes décorées. Pour la plupart de ces sites, qui n'ont guère
attiré l'attention depuis les années trente du siècle passé, il
n'existe même pas un plan.
Le second chapitre sera consacré au cimetière nomarcal de
Deir el-Bersha où l'équipe de la Katholieke Universiteit Leuven
3
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
a entrepris des fouilles depuis cinq ans. Là, se pose la question de ce que l'organisation du site, c'est-à-dire la distribution spatiale des tombes et des différents types de mobilier funéraire, pourra apporter de nouveau pour évaluer dans quelle mesure les coutumes funéraires étaient — ou n'étaient pas — partagées pas tous les citoyens de la métropole provinciale d'Ashmounein. Sur cette base il sera possible d'avancer des hypothèses pour estimer comment ce que l'on appelle « la religion funéraire » se répandait à travers les différentes couches sociales.
A cet égard, la signification des textes funéraires inscrits sur les sarcophages du Moyen Empire est d'importance primordiale. Ces « Textes des Cercueils » (ou « Textes des Sarcophages ») sont généralement considérés comme témoins de ce qu'on appelle la « démocratisation », ou bien « démotisation », des croyances funéraires royales de la fin de l'Ancien Empire. Cette religion « démocratisée » est parfois considérée comme un trait cardinal de la religion égyptienne du Moyen Empire (et de la Première Période Intermédiaire) dans sa globalité. Le troisième chapitre traitera des origines de cette idée, et essaiera de formuler une critique de son bien-fondé. Dans ce chapitre, il est dans mon intention d'établir plus clairement qui étaient les utilisateurs de ces textes et, pourquoi et dans quelles conditions, ils les utilisaient. Je crois pouvoir montrer que les Textes des Cercueils ne reflètent pas du tout les sensibilités religieuses de l'Egypte entière, mais qu'il s'agit plutôt de la religion d'une couche influente, mais quantitativement très restreinte, de la population égyptienne. Il me semble aussi possible de démontrer que les soucis des membres de cette couche sociale se traduisent nettement dans le contenu des Textes des Cercueils.
CHAPITRE I LA CULTURE NOMARCALE :
DIMENSIONS POLITIQUES, ADMINISTRATIVES, SOCIALES
ET RELIGIEUSES
« WAS UND WER IST ÜBERHAUPT EIN "NOMARCH" ? »'
L e titre de nomarque remonte à l'époque gréco-
romaine. Traduit littéralement, il signifie « chef
de nome ou province ». Bien que les nomar-
ques gréco-romains n'aient pas été des gouver
neurs provinciaux au sens plein du mot 2 , le
terme est généralement utilisé par les égypto-
logues pour désigner les administrateurs, du rang le plus élevé,
des provinces.
Le terme « nomarque » ainsi défini est donc une invention
égyptologique. Mais même parmi les égyptologues, tous n'at
tribuent pas à ce vocable la même signification. Aussi est-il
important tout d'abord de discuter de ce qu'étaient un nome
et un nomarque. Ces réalités sont moins faciles à définir qu'on
ne pourrait le supposer. De surcroît, on verra que les « vrais »
1. FRANKE, ß i O 62 (2005), col. 466. 2. Au début de la période ptolémaïque le nomarque partageait le pouvoir avec le sfra-tègos (commandant militaire du nome) qui, déjà à partir du règne de Ptolémée III, assumait aussi des fonctions civiles, tandis que le titre de nomarque ne désignait qu'un fonctionnaire subalterne (voir pour la structure de l'administration provinciale à l'époque gréco-romaine BOWMAN, Egypt after the Pharaohs, p. 56-88 ; HÖLBL, Geschichte des Pto/emäerreiches, p. 59 et passim). A l'époque des premiers Ptolémées, la situation n'est pas très claire (information de mon collègue Wil ly CLARYSSE).
5
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
nomarques, c'est-à-dire les gouverneurs provinciaux, apparte
naient à une couche sociale plus large, composée d'individus
qui, sans porter le titre explicite de nomarque (hr.y-tp f j n
N O M E ' ) , jouaient un rôle très semblable dans leurs communau
tés. Il faudra alors faire la distinction entre les « nomarques » au
sens restreint et un mode d'organisation sociale à plus grande
échelle que B. K E M P a appelé « la nomarchie » (Nomarchy/.
C'est cette culture nomarcale, plutôt que les nomarques pro
prement dit, que je me propose d'étudier. Mais il n'est évidem
ment pas possible de pénétrer la culture nomarcale, même dans
le sens de B. K E M P , sans comprendre ce qu'étaient les nomar
ques et les nomes.
Dans les temples de l'époque tardive, on trouve souvent des
« listes de nomes » (fig. I ) 5 . Elles se présentent généralement
comme des processions de personnages personnifiant les
nomes dont ils portent le symbole sur la tête. La base de ces
symboles est souvent formée d'un signe qui rend l'image d'une
série de terrains agricoles carrés, bordés de petites digues (row),
comme on les voit encore en Egypte, de nos jours. Ce hiérogly
phe signifie « district », et il supporte, dans le cas des nomes,
un symbole renvoyant à une région spécifique. Par exemple, le
quinzième nome de Haute Egypte, où sont établis la ville d'el-
Ashmounein et le cimetière de Deir el-Bersha, était « le Nome
du Lièvre ». Ce symbole est arboré par une des personnifica
tions de nomes reproduites à la figure 1.
3. Voir par exemple la remarque de BAER : « It is only the hrj tp 'j who seems in all
cases to be an official actually heading the administration of a nome ; only this title
should therefore be translated "nomarch" » (Rank and Title, p. 281). Voir aussi
M O R E N O GARCIA, dans : Des Néferkarê aux Montouhotep, p. 220. 4 . KEMP, C A J 5 (1995L P- 38. 5. O n trouvera la documentation de base dans BEINLICH, Studien zu den
« Geographischen Inschriften », p. 1-19.
6
LA CULTURE NOMARCALE
FIG. 1 : PARTIE DE LA LISTE GÉOGRAPHIQUE DE KÔM OMBO,
MONTRANT LES PERSONNIFICATIONS DES XIV S ET XV S NOMES
DE HAUTE EGYPTE
(D'APRÈS DE MORGAN, KOM OMBOS I I.3, P. 2 5 5 [891]) .
7
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
L ' O R I G I N E DES N O M E S
Dans le cadre des temples tardifs, les listes de nomes n'of
frent plus qu'une image figée des divisions régionales tradition
nelles remontant à une haute antiquité, qui dans la plupart des
cas n'avaient plus rien à voir avec les unités administratives de
l 'époque 6 . Mais ces listes ont des ancêtres plus anciens. Un des
plus beaux exemples se trouve sur la Chapelle Blanche de
Sénousret I" à Karnak (fig. 2 ) 7 . Là, chaque nome n'est indiqué
que par son nom. La liste de Sénousret I e r donne des précisions
concernant la superficie des provinces, le niveau atteint dans
chacune d'elles par la crue du Nil, et la longueur de la coudée
conservée dans le temple principal de chaque nome. Ce qui
suggère un lien étroit, au moins à cette époque-là, entre l'ad
ministration civile et le temple.
Plus ancien encore, le dit « temple bas » de la pyramide
rhomboidale de Snéfrou à Dahchour, du tout début de la IV1
dynastie, comporte des représentations de processions de
dames personnifiant les domaines royaux (hw.t) de ce roi
6. Voir les remarques de YOYOTTE, Orientalia 35 (1966), p. 46. Plusieurs auteurs se
montrent les victimes du jargon égyptologique en affirmant, par exemple, que les
nomoi de l 'époque gréco-romaine étaient « the established geographical divisions
from time immemorial » ( B O W M A N , op. cit., p. 58-59]. La confusion pourrait être due
au fait que même HELCK, un des plus grands spécialistes en la matière, s'exprime
d'une manière incohérente. D'une part, il soutient que les « nomes » (ég. sps.t)
avaient disparu pour être remplacés par d'autres unités régionales (« villes », et
autres catégories de régions administratives, comme les w et les k'h, et, finalement,
les nomoi des époques tardives) qui, de surcroît, pouvaient être agrandies, rédui
tes, jumelées ou abolies. D'autre part, il décrit toutes ces unités très variées (excepté
les « villes ») comme « Gaue », mot généralement utilisé en allemand pour « nome » :
voir HELCK, « Gaue », LÀ I I , col. 385-408, qui donne un aperçu condensé du livre
Die a/ragyptisc/ien Gaue du même auteur. Dans la présente étude on utilisera le
terme nomos pour désigner les provinces gréco-romaines à la différence du terme
« nome », qui désigne les spj.wt.
7. LACAU, CHEVRIER, Une chapelle de Sésosfris I" à Karnak, p. 220-237 ; pl. 25-26 ; 40-42.
8
LA CULTURE NOMARCALE
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FLG. 2 : DÉTAIL DU SOUBASSEMENT DE LA CHAPELLE BLANCHE,
MONTRANT LA LISTE DES NOMES DE HAUTE EGYPTE
(D'APRÈS LACAU ET CHEVRIER,
UNE CHAPELLE DE SÉSOSTRIS I" À KARNAK, PL. 3) .
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
(fig 3 ) 8 En tête des domaines ainsi figures on trouve des désignations de nomes, de sorte qu'un groupe de domaines est rattaché à un nome spécifique. Il s'agit de la plus ancienne liste de nomes, mais il existe des inscriptions encore plus anciennes qui ont été interprétées comme symboles de nomes. Si cette hypothèse s'avérait correcte, les figurations de nomes remonteraient alors aux premières dynasties de l'époque historique''.
Cette brève introduction montre que les symboles de nomes sont de haute antiquité. Mais il est certain que leur signification n'est pas demeurée aussi résistante au changement que leur forme. A l'époque tardive, les nomes ne jouaient plus d'autre rôle que dans la topographie religieuse de l'Egypte. Auparavant, ils avaient désigné des entités administratives, mais, les égypto-logues ne sont pas d'accord sur la date à laquelle les nomes
8. A. FAKHRY, The Monuments of Sneferu at Dahshur l l . l , p. 17-58. Faute d'alterna
tive, je continuerai d'utiliser la traduction « domaine » pour le mot égyptien hw.t.
M O R E N O GARCIA a suggéré dans une monographie fort intéressante que les hw.wt étaient des institutions royales établies à travers le pays. Le bâtiment central serait
un palais en forme de tour, qui constituerait le noyau d'une unité administrative
régionale dirigeant non seulement la production agricole, mais aussi l'emmagasi
nage et la distribution des produits, ainsi que le contrôle des localités soumises à la
hw.t. De surcroît, les hw.wt fonctionneraient aussi comme forteresses. Elles étaient
soumises directement à la couronne et n'étaient à aucun égard des propriétés pri
vées, comme on l'a souvent pensé [hwt et le milieu rural). J'accepte les conclusions
de M O R E N O GARCIA mais, malgré sa critique, la traduction « domaine royal » me
semble très appropriée pour une telle institution.
9 . Pour une liste des symboles des nomes, voir W . HELCK, « Gauzeichen », LÀ II,
col. 423-424. Pour la possibilité qu'une empreinte de sceau du règne de
Khâsekhemoui désigne un nome, voir MARTI N-PARDEY, Provinzialverwaltung, p. 35, renvoyant à KAPLONY, IÄF III, f ig. 781. Pour une interprétation récente, selon
laquelle certaines inscriptions datant du début de la « dynastie zéro » contien
draient des symboles de nomes, voir J. KAHL, CdE 78, N ° 155-156 (2003), p. 124-130. Je dois avouer que je trouve l'argumentation de KAHL hautement hypothétique,
aucun des signes ne ressemblant clairement aux hiéroglyphes plus tardifs désignant
les nomes. Il a récemment été suggéré qu'une inscription à l'encre sur un vase pro
venant de la tombe U-j à Abydos désignerait une sorte de nome (ENGEL, MDAIK 6 2 [ 2 0 0 6 ] , p. 1 5 9 , cat. 1 9 ) . L'hypothèse est peu probable, étant donné que les
« inscriptions » sur ce groupe de vases ne montrent pas de caractéristiques de
l'écriture hiéroglyphique (REGULSKI, Pa/aeographic Study I, p. 3 4 8 - 3 5 8 ) . Ainsi, il
n'existe aucun indice en faveur de l'existence d'un « nome du scorpion ».
10
LA CULTURE NOMARCALE
F I G . 3 : DÉTAIL DE LA PROCESSION DE DOMAINES
F I G U R É S DANS LE « TEMPLE DE LA VALLEE » DE S N É F R O U À D A H C H O U R .
LES DEUX DAMES DE DROITE REPRÉSENTENT DEUX DES TROIS DOMAINES
DU NOME DU LIÈVRE (XV S ). INSÉRÉ ENTRE LES DAMES 2 ET 3
ON VOIT LE SYMBOLE DU NOME DE L'ORYX, SUIVI DE DEUX DES C I N Q
DOMAINES DE CE NOME (D'APRÈS FAICHRY, THE MONUMENTS OF
SNEFERU AT DAHSHUR II, FIG. 1 6 ) .
1 1
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
furent remplacés par d'autres types de districts administratifs. Il
semble clair que les nomes étaient de vraies unités administrati
ves vers la fin de l'Ancien Empire ; cependant, à nouveau, les
débuts du système sont difficiles à repérer.
La première source qui présente les nomes intégrés dans un
système couvrant la totalité du pays est la liste de nomes du roi
Snéfrou déjà mentionnée. Comme le montre la figure 3, ce
document définit deux éléments d'organisation régionale à la
fois : un système de domaines royaux et un système de nomes.
Les domaines sont arrangés par groupes dont chacun appartient
à un des nomes 1 0 . Ces derniers sont déjà agencés dans l'ordre
qui deviendra canonique. Tout se présente donc comme si les
domaines étaient subordonnés aux nomes.
Selon une hypothèse émise il y a longtemps par K. S E T H E ,
les symboles de nomes auraient désigné, à l'époque prédynasti
que, des entités politiques indépendantes ; celles-ci auraient été
absorbées dans le nouvel état au cours du processus d'unifica
tion de l'Egypte. Mais ces territoires auraient survécu sous la
forme des nomes, les provinces constituant alors la forme rudi-
mentaire des royaumes miniatures de la préhistoire".
Nos connaissances archéologiques actuelles montrent que
l'hypothèse de S E T H E n'a que peu de vraisemblance 1 2. De nos
jours, les nomes sont plutôt envisagés comme le point d'aboutis
sement, non de l'époque prédynastique, mais du début de l'épo
que dynastique. W . H E L C K suggère par exemple que les nomes
pourraient avoir été originellement des territoires administrati-
vement subordonnés aux domaines royaux établis à travers le
pays". Pour lui, cette évolution aurait pris place pendant les deux
10. Voir aussi l'ostracon Leiden J 426, de la IV" dynastie (GOEDICKE, JEA 54 [1968], p.
24-26 et pl. V.] ), mentionnant les hw.wt du dixième nome de Haute Egypte.
1 1 . SETHE, Urgeschichte und älteste Religion, § 38-68. L'idée a déjà été rejetée par
HELCK, Verwaltung, p. 194. 1 2 . Pour un aperçu des unités régionales prédynastiques, voir KEMP, Ancient Egypt.
Anatomy of a Civilization', p. 73-92 ; 98-99. 1 3 . HELCK, Beamtenrife/n, p. 78-80 ; IDEM, « Gaue », LÄ II, col . 385.
12
LA CULTURE NOMARCALE
premières dynasties, et plus probablement durant la seconde.
Dans l'une de ses publications, il suppose même que les nomes
ne furent constitués que sous le règne du roi Djoser, période à
laquelle des jarres portant des mentions de nomes furent dépo
sées dans les couloirs creusés sous la pyramide à degrés 1 4. La
création des nomes s'expliquerait par les besoins nés des projets
de construction des pyramides, qui débutaient à cette époque. E .
M A R T I N - P A R D E Y a souscrit dans les grandes lignes au raisonne
ment de H E L C K , mais elle relève que de grands programmes
royaux furent déjà mis en œuvre pendant les deux premières
dynasties. Selon elle, il est vraisemblable, pour cette raison, que
les nomes soient apparus dès ce moment-là' 1 .
Pour les deux auteurs, la conception d'entités provinciales
présuppose l'existence d'un système d'administration et, consé-
quemment, d'un système d'écriture. Mais depuis que les fouilles
allemandes dans la tombe U-j à Abvdos ont révélé un nombre
important de textes 1 6 , on pourrait également repousser la créa
tion des nomes vers le début de la « dynastie zéro ». Selon une
hypothèse un peu aventureuse de J . K A H L , ces textes contien
draient même, possiblement, des références à plusieurs nomes".
Pour ma part, je crois que la documentation est trop res
treinte pour pouvoir déterminer avec certitude quand les
nomes ont été élaborés et, en raison de l'absence d'une base
1 4 . HELCK, SAK 1 (1974], p. 218. 1 5 . MARTIN-PARDEY, Pmvinzialverwahung, p. 14-40 (accepté par W I L K I N S O N , Early Dynastie Egypt, p. 142, qui plus tard admet une datation de l'introduction du sys
tème des nomes sous la II e dynastie comme la plus vraisemblable). Quelques ins
criptions à l'encre trouvées sous la pyramide de Djoser font état du nome de
l 'Oryx. Elles appartiennent à un groupe plus large, datable, selon une étude
récente de I. REGULSKI, du règne de Khâsekhemoui (dans : Egypt at its Origins, p. 949-970, et communication personnelle). Elle me renvoie aussi à l'inscription
KAPLONY, IÄF III, pl. 129 (781), que j 'a i déjà mentionnée. Un parallèle récemment
découvert à Umm el-Qaab montrerait qu' i l s'agit en fait d'un nome dont le nom
s'écrit avec un taureau.
1 6 . DREYER, Umm el-Qaab I, p. 113-145; 173-187. 17. Cf. supra, n. 9, p. 10.
1 3
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
chronologique fiable, il me semble tout aussi incertain d'envi
sager les raisons pour lesquelles ils furent institués. Plus sérieu
sement encore, même si j 'accepte l'hypothèse qu'il ait existé
des nomes sous le règne de Djoser et peut-être un peu avant,
leur signification d'un point de vue administratif ne me semble
pas du tout claire.
Les égyptologues qui se sont occupés du sujet ont générale
ment travaillé en s'appuyant sur l'hypothèse que l'existence de
nomes équivaut à l 'existence de provinces. H E L C K écrit par
exemple :
La mention la plus ancienne d'un nome et de son admi
nistration se trouve sur un tesson provenant de la pyra
mide à degrés, qui fait état d'un « chef du nome de la
gazelle ». Sous le règne de Djoser il existait donc une
répartition en nomes et une administration de nomes]i.
Le fait que ce texte inclut un signe qui, plus tard, désigne
rait une province est ainsi interprété comme indice,
1 0 que ce signe avait déjà sous la III e dynastie la même signi
fication que plus tard, et
2° qu'à cette époque-là déjà, toutes les régions égyptiennes
étaient organisées selon le même modèle. L'hypothèse est évi
demment envisageable, mais la documentation ne permet
aucune certitude à cet égard.
Même dans la liste de domaines et nomes de Snéfrou, rien ne
prouve qu'on a affaire à des nomes en tant que provinces, c'est-
à-dire en tant que subdivisions régionales dirigées par un gouver
neur. Il me semble, ainsi, tout aussi possible que les domaines
aient été rassemblés en groupes régionaux désignés par un sym-
18. HELCK, Beamtentiteln, p. 78 : « Die älteste Erwähnung eines Gaues und seiner
Verwaltung ist auf einer Scherbe aus der Stufenpyramide, auf der ein "Leiter des
Gazel lengaues" . . . genannt wi rd . Unter Zoser bestand also eine Gaueinteilung und
damit eine Gauverwaltung ».
1 4
LA CULTURE NOMARCALE
bole qui, pour des raisons qui nous échappent, identifiait un cer
tain espace. Mais le reste du territoire de cet espace, où l'on
n'avait pas créé de domaines, pourrait bien avoir été géré par
d'autres systèmes administratifs, systèmes qui n'ont pas nécessai
rement laissé de traces dans les témoignages écrits. D'autres
explications sont également concevables. P A R D E Y , par exemple,
a récemment émis l'hypothèse que les nomes, étant associés à
des symboles probablement d'origine religieuse, étaient des uni
tés régionales originellement organisées autour de centres reli
gieux". Dans cette perspective, il faudrait envisager un dévelop
pement d'unités régionales d'ordre religieux qui, au fil des
années, auraient été transformées en unités administratives. Sur
la base de la documentation existante, il n'est pas évident de
déterminer à quelle époque cette transformation aurait com
mencé, et quand elle aurait été achevée. Il semble aussi imagina
ble que les nomes aient conservé un aspect religieux même après
leur conversion en « provinces », ce qui pourrait expliquer pour
quoi les nomarques plus tardifs combinent souvent des fonctions
civiles avec des charges dans les temples locaux. Mais, en vérité,
toutes ces suggestions appartiennent au domaine de la spécula
tion, et il est peu utile de poursuivre cette piste.
Bien que les textes du début de l'Ancien Empire témoi
gnent de l'existence de différents types d'administrateurs
régionaux, tels que les 'd mr, les hic hw.t 'j.t, les ssm tJ et les hqj
spj.t, il me semble difficile de prouver que l'un quelconque de
ces titres ait désigné un individu qui, à lui seul, gouvernait une
province dans sa totalité 2 0 .
19- « Provincial Administration », dans : The Oxford Encyclopedia of Ancient Egypt I, p. 17.
20. Voir par exemple MARTIN-PARDEY, Provinzia/verwa/tung, p. 43-63, qui interprète en
tout cas les titres (d mr, ssm V et hqj (+ nom de nome) comme désignations de nomar
ques. Mais ses propositions ne tiennent pas suffisamment compte des réserves de
K. BAER qui remarque que les divers titres d'administrateurs régionaux de cette époque
pourraient renvoyer à des responsabilités plus restreintes que celles d'un gouverneur :
Rank and Title, p. 274-285. Même si ses suggestions ne concernent pas explicitement
les titres 'd mr et hqj (+ nom de nome), elles pourraient bien s'appliquer ici aussi.
1 5
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Ce qui rend difficile la compréhension du système adminis
tratif à ces époques reculées, c'est le manque de textes explica
tifs. Sans doute, les différentes régions étaient-elles dirigées par
des chefs locaux, mais il n'est pas du tout certain que ces per
sonnages aient déjà été entièrement intégrés dans ce que B.
K E M P 2 1 a appelé la culture formelle, autrement dit la culture
officielle qui se servait de l'écriture hiéroglyphique et d'une
culture matérielle typiquement « pharaonique » 2 2 . Au tout
début de l'Ancien Empire, pendant les III1 et IV' dynasties, il
n'existe, ainsi, que très peu de tombes provinciales bâties selon
les principes de l'architecture formelle développée dans la
région memphite. Les exemples connus sont les suivants :
1. Mastabas de la IIP dynastie2 1 et du début de la I V 2 4 à el-Kab.
2.Tombe à el-Gebelein datant de la IVe dynastie. Rien n'est
connu concernant le type de la tombe, et l'identité de son
propriétaire, mais la présence d'une boîte contenant l'archive
d'el-Gebelein montre que la sépulture devait appartenir à un
fonctionnaire qui était intégré dans un réseau d'administra
teurs ayant, au moins partiellement, adopté la culture for
melle 2 '. Tout récemment, un mastaba datant probablement de
la I V dynastie a été découvert sur le site 2 6. À el-Gebelein, il
existait aussi un temple d'Hathor, dont les vestiges les plus
anciens remontent à la IIP dynastie, ou même à la IP 2 7 .
21. KEMP, Ancient Egypt. Anatomy of a Civilization2, p. 111-160. 22. Tout récemment, le même raisonnement a également été adopté par M O R E N O
GARCIA, RdE 56 (2005], p. 98 ; IDEM, dans : Des Néferkarê aux Montouhofep,
p. 219-220. 23. HUYGE, EA 22 (Spring 2003), p. 29-31. 24. QUIBELL, El Kab, p. 3- Plusieurs textes trouvés dans ces tombes mentionnent le
roi Snéfrou.
25. POSENER-KRIÉGER, / papiri d i Gebe/ein, p. 13. Pour les textes sur la boîte même,
voir POSENER-KRIÉGER, dans Hommages Leclant I, p. 315-326. 26. G. BERGAMINI , ASAE 79 (2005], p. 34-36. Le mastaba est tout à fait compara
ble à ceux découverts à el-Tarif.
27. CURTO, Aegyptus 33 (1953), p. 105-124 ; SMITH, H E S P O K , p. 137 ; SMITH, Art and Architecture2, p. 256, n. 45 ; W I L K I N S O N , Early Dynastie Egypt, p. 3 1 1 - 3 1 2 .
16
LA CULTURE NOMARCALE
3. Mastabas du début de la IV' dynastie à el-Tarif (Thèbes) 2 8 . Les noms et les titres des défunts ne sont pas connus. Non loin de là existait aussi un temple datant probablement de l'époque « archaïque » sur une colline au nord de la Vallée des Rois 2 9 .
4 . Mastabas à Abydos, datant des III'-IV1 dynasties, bien que le seul objet inscrit — un sceau cylindrique — renvoie au roi Sahourê de la V' dynastie. Les noms et titres des défunts ne sont pas connus™.
5. Mastabas à Beit KhallâP 1. Ces tombes ont fourni une masse de matériel inscrit, surtout des empreintes de sceaux de l 'époque des rois Djoser et Sanakht. Aujourd'hui, l'hypothèse du fouilleur selon laquelle le mastaba le plus grand appartenait à Djoser lui-même n'est plus acceptée. Il s'agit plutôt de membres d'une élite locale dont la nature reste, malheureusement, difficile à établir". Il n'est pas possible de dire si les titres attestés sur les scellements, et qui incluent quelques titres sacerdotaux, mais d'autres aussi, peut-être d'ordre strictement administratif, font référence aux propriétaires des tombes ou non.
6. Mastabas des IIP et IV e dynasties à Naga el-Deir. Les noms et titres des défunts ne sont pas connus. Une tombe contenait un objet inscrit au nom de Snéfrou".
28. ARNOLD, Gräber des Alten und Mittleren Reiches in El-Tarif, p. 11-18 ; G INTER,
K O W O W S K I , PAWLIKOWSKI, SHWA, KAMMERER-GROTHAUS, Frühe Keramik und Kleinfunde aus El-Târif, p. 59-99. 29. Site qui a reçu le nom peu appropr ié de Thoth Hill ; voir VORÖS, PUDLEINER,
MDAIK 53 (1997), p. 283-287 ; VÖRÖS, Temple on the Pyramid of Thebes, p. 55-64. 30. PEET, LOAT, The Cemeteries of Abydos III, p. 8-22. 31. GARSTANG, Mahâsna and Beit Khallâf, p. 8-27. 32. Voir très récemment W I L K I N S O N , Early Dynastic Egypt, p. 97 ; 324 ; 357. 33. REISNER, Provincial Cemetery, p. 186-190.
1 7
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
7. Mastabas des IIIe et IV'- dynasties à Raqaqna. Les noms et titres
des défunts ne sont pas connus' 4 . Plusieurs des tombes sont
très grandes. Peu d'objets portent des inscriptions, mais dans
les tombes ont été trouvés un graffito mentionnant le roi
Snéfrou et une empreinte de sceau de Khâfrê.
8. Le cimetière de Nuweirat (pl. 1) . Nuweirat se trouve à une
dizaine de kilomètres au sud du site de Zawiyet el-Mayyitin,
bien connu par la petite pyramide à degrés qui y fut
construite probablement avant le règne du roi Houni (fin de
la IIIe dynastie)' 5. Le cimetière de Nuweirat contient un très
grand nombre de tombes rupestres, mais le site n'a guère été
étudié jusqu'à présent. G A R S T A N G l'attribuait aux IIIe et IV e
dynasties' 6. Cette proposition a, depuis, été contestée par
34. GARSTANG, The Third Egyptian Dynasty, p. 31-60. 35. PIACENTINI, Zawiel el-Mayetin ; pour la pyramide, voir p. 37-43. La pyramide de
Zawiyet el-Mayyitin est généralement supposée faire partie du groupe de pyramides
miniatures érigées par le roi Houni à travers l'Egypte. Mais, en fait, G . DREYER et W.
KAISER émettaient déjà quelques doutes à partir de la constatation que la pyramide
de Zawiyet el-Mayyitin est pourvue de blocs de revêtement, ce qui implique aussi que
sa taille est plus grande que celle des autres pyramides de Houni : DREYER, KAISER,
MDAIK 36 (1980), p. 50-54. Selon PIACENTINI, sa dimension serait comparable à
celle des pyramides plus méridionales de Houni si l'on suppose que celles-ci aussi
avaient été revêtues de blocs en calcaire, mais elle ne peut guère présenter d'argu
ments en faveur de cette thèse. De surcroît, depuis les fouilles récentes du Conseil
Suprême des Antiquités, il est apparu clairement qu'il existe une chambre sous le mas
sif de la pyramide (observation faite durant une visite en avril 2006) ; ce dispositif est
apparemment absent dans les autres pyramides du même type. Cette chambre avait
déjà été insérée de manière hypothétique dans un dessin de J.-Ph. LAUER, Histoire monumentale des pyramides I, fig. 62. La pyramide occupe donc une place à part,
ce qui ne rend pas invraisemblable qu'elle date d'une autre période que celle de
Houni : soit avant Houni, soit, comme la pyramide d'el-Sayla, après lui, pendant le
règne de Snéfrou. Étant donné que la pyramide de Zawiyet el-Mayyitin diffère aussi,
typologiquement, de celle d'el-Sayla (voir la liste de DREYER et KAISER, /oc. cit.), la pre
mière option pourrait être la plus vraisemblable. La conséquence en serait qu'elle
daterait du règne de Djoser, de Sekhemkhet, ou de Sanakht. Pour la position chrono
logique de Sanakht, à la fin de la III* dynastie, mais avant Houni, voir SEIDLMAYER,
dans : Haus und Palast, p. 198-200, n. 14.
36. GARSTANG, Burial Customs, p. 14-16 ; 26-30. Son plan suggère même que quel
ques tombes pourraient être plus anciennes.
18
LA CULTURE NOMARCALE
K E S S L E R qui suggère une date contemporaine des V e et VI'
dynasties, sans doute surtout parce qu'à cette époque, la
coutume d'enterrer les grands chefs provinciaux dans des
tombes rupestres était répandue dans toute la Haute
Egypte". Mais, comme l'équipe de la K.U.Leuven à Deir el-
Bersha a pu le constater lors d'une visite récente du site, la
céramique date de manière homogène du début de la IV
dynastie' 8. Nuweirat se présente donc comme le premier
cimetière connu, comportant ce type de tombes" .
Ces huit cimetières appartiennent sans doute à des élites
locales qui ont dû assurer des charges administratives. Dans la
plupart des cas, on ne possède malheureusement pas de tex
tes nous renseignant sur leur statut. On pourrait supposer
qu'ils étaient responsables de l'administration d'une pro
vince, mais cela n'est pas du tout certain. Il est en tout cas
frappant de noter que la plupart de ces cimetières est locali
sée sur des sites différents de ceux plus tardifs où l'on a
enterré les nomarques.
Les propriétaires d'une des tombes à el-Kab portait les
titres sacerdotaux de ir.y-ih.t nsw.t et de im.y-r hm-titr, un autre
était ir.y-ih.t nsw.t et shd hm-ntrm. Rien n'étaye l'idée qu'il s'agit
de nomarques 4 1 .
Les papyrus d'el-Gebelein font régulièrement état d'un hqJ
« responsable », et du fils d'un hqj. Selon l'éditeur de ces docu
ments, il s'agirait « sans aucun doute » d'un hqj niw.t, « respon-
3 7 KESSLER, Historische Topographie, p. 190-199, et particulièrement p. 197. 38. Sur la base de la céramique recueillie dans le secteur nord de Nuweirat. Nous n'avons pas encore pu nous occuper du secteur sud qui, selon GARSTANG, serait plus ancien.
39- Cette découverte est due à M . DE MEYER, S. HENDRICKX, L. O P DE BEECK et S. VEREECKEN. Une étude sur la date de ces tombes par S. HENDRICKX, M . DE MEYER, L Op DE BEECK, S. VEREECKEN, H . WILLEMS est en préparation.
40. Q U I B E L I , e/-Kab, p. 3-4 et p l . XVIII.
41. Voir aussi M O R E N O GARCIA, dans : Séhel entre Egypte et Nubie, p. 9-10-
19
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
sable d'un vill(ag)e (c. à d. domaine) » 4 2 . Elle avance clairement
que tous les documents sont à mettre en rapport avec le
domaine (pr d.t) mentionné dans le papyrus IV, recto C. Cette
explication est possible, mais deux autres solutions peuvent
aussi être proposées sur la base du contenu de l'archive elle-
même.
Le recto D l du papyrus Gebelein I fait état de la construc
tion ( ?) d'un « temple de Snéfrou » Qrw.t-ntr n.t •Sn/hv)4', qui
pourrait être, selon l'interprétation de P. P O S E N E R - K R I É G E R ,
soit une chapelle de Snéfrou à Mo'alla, soit son domaine hw.t-
Snfrw dont le nom survit dans celui de la ville moderne de
Asfoun el-Mata'na 4 4 . On se demandera s'il ne s'agit pas plutôt
d'un agrandissement du temple d'el-Gebelein lui-même, dont
les vestiges les plus anciens, qui remontent à la III' dynastie ou
même à la IL, témoignent déjà d'un intérêt royal 4 ' . Une inscrip
tion de la tombe de Métjen indique que celui-ci portait le titre
de hqJ hw.t-ntr n.t Snfrw, « responsable du temple du roi
Snéfrou » 4 6 . Le papyrus Gebelein I, lui, fait référence à un éta
blissement religieux du même ordre que celui dirigé par
Métjen, qui en était le hqj. Il se pourrait donc que le hqj des
papyrus de Gebelein ait été un collègue de Métjen.
Un passage du recto du papyrus Gebelein III mentionne des
livraisons au hqj juste à côté de celles faites au hw.t 'j.t, terme
qui désigne, selon M O R E N O G A R C I A , « une sorte de palais 4 7 qui
dirigeait de vastes exploitations agricoles de la couronne, com
prenant des domaines, des localités, du bétail et des travail-
42. POSENER-KRIÉGER, RdE 27 (1975), p. 219. Ce point de vue a été accepté par
M O R E N O GARCIA [hwt et te milieu rural, p. 95 ; 113), bien que son interprétation du
concept de « domaine » diffère de celle de POSENER-KRIÉGER.
43. POSENER-KRIÉGER, I papir i di Gebe/ein, pl. 3.
44. Op . cit., p. 14. 45. CURTO, Aegyptus 33 (1953), p. 105-124 ; SMITH, H E S P O K , p. 137 ; SMITH, Art
and Architecture 2, p. 25a, n. 45.
46. Urk. I, p. 7,3. 47. Il envisage un palais royal.
20
LA CULTURE NOMARCALE
leurs ; exploitations qui étaient fondées dans des régions peu organisées du point de vue administratif ou qui avaient un grand potentiel agricole, là où la couronne avait intérêt à affirmer sa présence et à développer les ressources locales ». Selon son enquête, plusieurs villages pouvaient être soumis à un hw.t (J.tn.
Les chefs de telles institutions portaient le titre de hqJ hw.t 'j.l. Même si ce titre est encore rare au début de l'Ancien Empire dans le sud de l'Egypte, il ne serait pas surprenant que l'administrateur d'un hw.t 'j.t ait été désigné dans sa communauté par l'appellation abrégée de hqs.
Il est difficile de choisir entre les hypothèses que je viens d'énoncer, mais pour notre discussion les conséquences de chacune d'elles sont les mêmes. Selon une des manières de voir, le hqs était un fonctionnaire chargé du temple local érigé pour le culte du roi, selon l'autre, d'un domaine pr d.t. Les deux villages d'Inr.ty et de l'r.w dont les papyrus d'el-Gebelein nous présentent les comptes, peuvent avoir été subordonnés soit à l 'une, soit à l'autre des deux institutions. Les deux hypothèses ne sont d'ailleurs pas forcément contradictoires. En effet, Séchemnéfer I e r remplissait non seulement la fonction de prêtre à lnr.ty, mais il finançait aussi partiellement son culte funéraire grâce à un domaine (pr d.t) appelé l'r.w. Il semble ainsi certain que l'r.w ait vraiment été un domaine. Cependant, les domaines pr d.t n'étaient pas des propriétés privées, comme on l'a souvent pensé, mais dépendaient de l'administration royale qui manifestait sa présence dans la campagne surtout par le biais des domaines hw.t49. Il n'est donc pas exclu qu'on ait ici affaire à un contexte où un domaine hw.t se trouvait dans la région dont dépendait l'r.w. On sait également qu'un domaine royal
48. Op . cit., pl. 20. M O R E N O GARCIA, ZÄS 125 (1998), p. 45-55 ; pour la citation, v o , r P- 55- O n notera qu'un type de personnel attaché à un hw.t 'j.t, les hm.w nsw.t, apparaît aussi fréquemment dans les papyrus d'el-Gebelein.
49- M O R E N O GARCIA, hwt et le milieu rural, p. 222-229.
21
1
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
5 0 . Voir SEIDLMAYER, dans : Haus und Palast, p. 195-214. 5 , MARTIN-PARDEY, op . cit., p. 18 : « "terminus ante quem" für die Einteilung Ägyp
tens in Gaue ».
5 2 Je n'ai pas pu vérifier une impression de sceau récemment découverte à Umm
e|-Qaab qui, selon les informations que je dois à ILONA REGULSKI, représenterait un
autre nome : voir supra, n. 15, p. 13-
2 2
J
pouvait héberger un lieu de culte pour le roi s 0 , de sorte que son chef était aussi susceptible d'être responsable du « temple de Snéfrou » mentionné dans les papyrus d'el-Gebelein.
Cela montre la présence, dans la région d'el-Gebelein, de fonctionnaires étroitement liés, soit à la cour royale, soit au culte local du roi , soit à un niveau plus bas, celui de chefs de domaines (hqj niw.t). Quoi qu'il en soit, ces personnages étaient nettement intégrés dans la culture formelle. Mais il n'existe aucun indice en faveur de l'existence dans la région d'un gouverneur provincial.
O n ne sait rien des membres de l'élite dont nous connais
sons les tombes à el-Tarif, mais l 'existence, à une date très
reculée, du temple du Thoth Hill rend vraisemblable l'hypo
thèse que, là aussi, un culte religieux avait dû jouer un rôle
important.
Comme on l'a vu, les textes écrits sur les vases trouvés sous la pyramide du roi Djoser, mais datés de la fin de la II e dynastie, comportent les premières mentions certaines d'un nome, et ils ont été généralement interprétés, pour cette raison, comme un « terminus ante quem pour la division de l'Egypte en cantons » s l . On doit néanmoins tenir compte d'un trait remarquable : ces textes ne font état que d'un seul nome, celui de la gazelle". O n peut supposer que le fait que seul ce nome est attesté sur ces documents est simplement dû au hasard, mais ce n'est évidemment pas du tout certain. On constate que le nome de la gazelle qui apparaît de manière tellement insistante dans les Topfmarken de Djoser était une région qui, au début de l'Ancien Empire,
LA CULTURE NOMARCALE
semble avoir été relativement importante. Une manifestation de cet intérêt en est la pyramide miniature construite probablement entre les règnes de Djoser et de Sanakht, à Zawiyet el-Mayyitin. Une autre marque réside dans l 'existence du grand cimetière de Nuweirat, l'un des plus considérables, consacré à une élite provinciale, qui soit connu dans toute l'Egypte pour le début de la IV e dynastie, et peut-être déjà plus tôt, et qui « annonce » l 'émergence des cimetières rupestres provinciaux des V e et VI1 dynasties. Finalement, le nombre de domaines royaux dans cette région est, selon la liste de Snéfrou, plus élevé que dans aucun autre nome de Haute Egypte 5 ' .
Bien qu'il me soit impossible d'expliquer la situation dans cette région, il me semble évident que le nome de la gazelle jouissait d'un prestige extraordinaire, ce qui pourrait justifier les mentions dans les textes du complexe de Djoser à Saqqara 5 4. Ces inscriptions attestent l 'existence de deux administrateurs régionaux : un ssm V mJ-hd et un hqj mJ-hd^, ce qui est l'indice, soit d'une hiérarchie entre ces fonctionnaires, soit d'une organisation avec des chaînes de responsabilité séparées 5 6 . On verra que le deuxième principe était peut-être aussi en vigueur pendant la V e dynastie. En tout cas, il n'est pas du tout certain que
53- Voir la liste comparative dans KANAWATI, Governmenfa/ Reforms, p. 9, f ig. 3.
54- Dans un article récent, E.-M. ENGEL a démontré que des nomes existaient cer
tainement dans plusieurs parties de l'Egypte durant le règne de Khâsekhemoui
[MDAIK 6 2 [ 2 0 0 6 ] , p. 152-157]. L'auteur tente aussi de montrer que les nomes
existaient déjà pendant la I™ dynastie, et même avant. Les sources auxquelles elle
renvoie pour prouver cette dernière hypothèse ne sont, à mon avis, pas convain
cantes. Malheureusement, l'article a été publié après que la présente étude avait
été mise sous presse, de sorte que, dans mon texte, je n'ai pas pu en tenir suffisam
ment compte.
55- FIRTH-QUIBELL, Step Pyramid I, p. 137 ; I I , pl. 106 (5-6] ; PD V , pl. 28, 4-5. Le
nom du nome apparaî t aussi dans plusieurs autres inscriptions de vases trouvés
sous la pyramide de Djoser, mais en dehors du cadre d 'un titre administratif : voir
PD V , pl. 28. 56. Étant donné l'incertitude sur la nature du régime administratif qui régnait alors,
je doute que l'on soit en droit de qualifier ces personnages de « nomarques »,
comme semble le faire M O R E N O GARCIA, hwt et te milieu rural, p. 230.
2 3
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
les autres régions aient déjà été administrées de la même
façon".
Si j ' a i assez longuement discuté ces différents points, c'est pour montrer que, même là où nous pouvons percevoir la présence d'une élite régionale, il n'est pas du tout assuré qu'il s'agisse de gouverneurs de nome. Au contraire, les indices en faveur de la présence de ce genre de fonctionnaires font totalement défaut, tandis qu'il existe des traces montrant que plusieurs des élites régionales ont pu être liées à un lieu de culte royal et peut-être également divin 5 8.
Pour la IV' dynastie, les textes disponibles nous renseignent surtout sur les fonctionnaires attachés à l'administration centrale. Il est vrai que le nombre de titres provinciaux témoigne aussi d'un accroissement. Mais si l'on jette un coup d'œil sur les sources, on s'aperçoit aussitôt que la plupart des mentions sont concentrées dans trois tombes du début de la dynastie : celles de Métjen (déjà citée), de Netjer-âperef, et de Péhernefer. Dans tous les exemples il s'agit de fonctionnaires attachés à la Résidence qui exerçaient aussi plusieurs tâches dans différentes
57. Il est important de mentionner brièvement le projet peut-être « national » de
construire des pyramides miniatures à travers le pays qu'entreprit le roi Houni. La
distribution spatiale de ces monuments suggère que chaque pyramide de ce
groupe appartenait à un nome : SEIDLMAYER, dans : Haus und Palast, p. 209-210. Selon une interprétation récente, la petite pyramide d'Éléphantine était l'élément
central d'un domaine royal (SEIDLMAYER, op. cit., p. 205-214, avec renvois bibl iogra
phiques à d'autres études sur les pyramides miniatures). Il semble évident qu'un tel
domaine cum pyramide devait avoir une importance plus grande qu'un domaine
sans pyramide. Le fait que plusieurs domaines pouvaient exister à faible distance
l'un de l'autre (dans la liste des domaines de Snéfrou, il n'est pas exceptionnel d'en
trouver trois, quatre, ou même cinq dans un seul nome) suggère la possibilité d'une
certaine hiérarchie administrative. On se demandera si de tels groupements ne
pourraient pas avoir été à l'origine du système de nomes tel que le présente la liste
de Snéfrou.
58 . Le temple d 'Hathor à el-Gebelein était évidemment consacré à une déesse,
mais en raison des liens étroits entre Hathor et le roi, ce cas n'est pas clair. Le culte
royal doit avoir joué un rôle conséquent.
24
LA CULTURE NOMARCALE
régions d'Egypte, régions qui sont désignées par des symboles de
nomes. Il est clair que l'on ne se trouve pas en présence de gou
verneurs résidant de manière permanente dans un nome, mais de
fonctionnaires qui remplissaient une série de fonctions passagè
res. Il se pourrait que ces charges aient été confiées aux porteurs
des titres dans le cadre de l'exécution de projets spécifiques. Il
n'y a, me semble-t-il, aucun argument pour prouver que ce
modèle avait été adopté de manière globale, partout en Egypte,
pour l'administration quotidienne des provinces 5 9. Peut-être est-
il plus vraisemblable qu'on ait affaire à des cas assez particuliers.
Même si l'on doit reconnaître que cette hypothèse reste à
démontrer, cela est aussi vrai pour la proposition inverse 6 0 qui
considère Métjen, Netjer-âperef et Péhernefer comme des figu
res typiques du mode d'administration provinciale de la IV'
dynastie. Au vu de ces incertitudes, la meilleure solution me
semble être d'accepter l'idée que les principes de l'administra
tion régionale nous échappent largement pour cette époque. Par
conséquent, l'hypothèse selon laquelle les nomes constituaient
les noyaux administratifs régionaux par excellence reste dou
teuse, bien qu'ils soient dès cette période fréquemment men
tionnés dans les textes. Si l'on doit admettre qu'ils jouaient un
rôle dans l'administration, il n'est pas moins difficile pour la IV'
dynastie que pour l'époque précédente de percevoir de quel
genre d'administration il s'agissait.
LES N O M E S PENDANT LA V E DYNASTIE
Des changements profonds se produisirent dans l'état égyp
tien au cours de la V e dynastie. Jusque là, les plus hauts fonc-
59- M O R E N O GARCIA a récemment émis l'hypothèse que les activités de Métjen et
de Péhernefer pourraient être mises en relation avec « la politique très active d'éta
blissement de fondation de hwwt et de hwwt 'st en Egypte » qu'entreprit Snéfrou :
hwt et (e milieu rural, p. 156. 60. Accepté, par exemple, par KANAWATI, Governmental Reforms, p. 1-2.
25
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
tionnaires de l'administration centrale avaient été d'importants
membres de la famille royale. Ils semblent avoir été remplacés
à partir du règne de Niouserrê par des particuliers qui étaient
des administrateurs professionnels 6 '. De plus, les inscriptions
funéraires, maintenant plus nombreuses, montrent que ces per
sonnages portaient toute une série de titres, titres qui sont
arrangés en séries cohérentes, les title strings de K. B A E R . Elles
sont généralement interprétées comme le reflet d'une tentative
de professionnalisation administrative 6 2.
Pendant la V' dynastie, le nombre de fonctionnaires aug
mente considérablement. Leurs tombes restent concentrées
dans la région memphite, mais on constate parallèlement
l 'émergence d'un nombre croissant de tombes de hauts admi
nistrateurs régionaux en dehors de la capitale. Cette évolution
s'explique au moins partiellement par la tendance des adminis
trateurs régionaux à s'installer de manière permanente loin de
la Résidence. Mais on ne doit pas exclure une hypothèse com
plémentaire selon laquelle les élites régionales, qui doivent
avoir toujours existé, adoptaient de plus en plus fréquemment
la culture formelle dont les tombes inscrites, qui forment la
base de nos connaissances, sont une manifestation. De cette
hypothèse découle une conséquence importante : la visibilité
des administrateurs régionaux dans nos sources pourrait reflé
ter, non seulement un essor du régime administratif, mais aussi
une formalisation de la culture matérielle qu'embrassaient les
élites locales déjà existantes 6 3 .
61. BAER, Rank and Title, p. 296 ; 299-300 et passim ; STRUDWICK, Administration,
P- 337 et passim.
62. Bien que le système de BAER ait été critiqué à juste titre (STRUDWICK,
Administration, p. 4-5), la tendance générale ne doit pas être remise en cause.
6 3 . Pour ce raisonnement, voir aussi, tout récemment, M O R E N O GARCIA, RdE 56
(2005), p. 95-128 (particulièrement p. 109] ; IDEM, dans : Des Nélerkarê aux
Montouhotep, p. 215-228 ; IDEM, dans : Séhel entre Egypte et Nubie, p. 19-22.
26
LA CULTURE NOMARCALE
Quoi qu'il en soit, au cours de la V 1 dynastie on compte un
grand nombre d'individus chargés de tâches administratives
régionales et, fréquemment, ils utilisent le symbole d'un nome
dans leurs titulatures, présence souvent comprise comme un
indice militant en faveur de l'existence de nomarques, et donc,
des nomes en tant que provinces 6 4. Pour en citer un exemple, la
tombe de Khou-nes à Zawiyet el-Mayyitin contient la série de
titres ir.y-ih.t nsw.t mj-hd, ssm V et im.y-r wp.t, qui a été inter
prétée par M O R E N O G A R C I A comme désignation du statut d'un
nomarque 6 5 . En étudiant les textes dans cette perspective, il
n'est malheureusement pas facile de cerner quels titres carac
térisent un « nomarque », parce que les séries de titres qui ont
été associées par les égyptologues au nomarcat sont non seule
ment très nombreuses, mais aussi très variables. 11 s'agit de
titres comme 'd mr ( + nom de nome) , h<l>hw.t 'J.t, ssm V (+
nom de nome) 6 6 , ir.y-ih.t nsw.t ( + nom de nome) , im.y-r wp.t,
im.y-r swnw, im.y-r niw.wt mJw.t, et d'autres. La compréhension
de ces titres s'avère complexe. D'une part, plusieurs d'entre
eux n'étaient utilisés que dans certaines parties du pays 6 7. De
l'autre, certains qui ont été interprétés comme titres nomar-
caux, ne le sont vraisemblablement pas. C'est par exemple le
cas pour le AgJ hw.t 'J.t qui dirigeait une institution royale
domaniale directement soumise à la couronne 6 8 . D'autres char
ges attestées dans les provinces ne sont pas nécessairement atta
chées exclusivement à l'administration locale. On peut ainsi
mentionner le im.y-r wp.t, titre qui signifie « chef de mission »
64. Récemment, par exemple, M O R E N O GARCIA, hwt et le milieu rural, p. 238-239. 6 5 . M O R E N O GARCIA, ZÄS 125 (1998], p. 47. Voir aussi, par exemple, FISCHER,
Dendera, p. 9-12 ; MARTI N-PARDEY, Provinzialverwaltung, p. 43-63 ; 78-108. 66. Selon M O R E N O GARCIA, « une sorte de nomarque » : hwt et le milieu rural, P- 234 6 7 . 'd mr dans le Delta, ssm tJ en Haute Egypte.
68. MARTIN-PARDEY, Provinzialverwaltung, p. 54-57 ; M O R E N O GARCIA, ZÀS 125 (1998), p. 45 sq. ; IDEM, hwt et le milieu rural, p. 39 ; 234.
2 7
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
et qui peut s'appliquer aussi bien à une tâche dans les provinces qu'à d'autres fonctions 6 9 . Étant donné que les associations de titres qu'on rencontre au gré des exemples ne sont pas très stables, il semble clair que leur mode d'acquisition pouvait différer, dans une certaine mesure, d'un cas à un autre 7 0 . Il en résulte qu'ils sont liés à différentes responsabilités qui pouvaient être combinées entre elles par un même individu, mais ne devaient pas obligatoirement l 'être. On est donc en droit de dire que ces personnes sont des administrateurs fonctionnant dans les
69. Je ne vois pas vraiment la nécessité de traduire im.y-r wp.t comme « overseer
of the division », ou « Vorsteher der Teilung », ce qui a été proposé pour quelques
exemples du titre au moins : FISCHER, Dendera, p. 221-223 ; MARTIN-PARDEY, S A K 11 (1984), p. 231-251. Les raisons pour supposer que le même titre lié à des offrandes,
im.y-r wp.t htp-ntr, devrait comporter un autre mot wp.t que « mission », « charge »,
comme le propose FISCHER, m'échappent. De même, je ne comprends pas pour
quoi le titre « chef de mission(s) » ne serait pas suffisamment spécif ique pour être
celui d'un fonctionnaire provincial, comme l'a avancé MARTIN-PARDEY. De plus, pour
elle, la traduction « chef de mission(s) » serait inadéquate, parce que cela implique
rait que le système des nomes ne se serait pas encore imposé {p. 235-236). N o n
seulement ces remarques ne sont pas nécessairement pertinentes, mais surtout, elles
tiennent comme un fait acquis l'existence d 'un système nomarcal b ien établ i . C'est,
certes, une possibilité, mais qui reste à prouver. Ainsi, une part ie importante des
prémisses du raisonnement de MARTIN-PARDEY n'est pas f iable. Plusieurs auteurs
admettent que le titre im.y-r wp.t suivi du nom d'un nome aurait été le titre le plus
important d'un nomarque, comme l'affirment FISCHER, Dendera, p. 9 ; MARTIN-
PARDEY, Provinzialverwaltung, p. 66 ; KANAWATI, Governmental Reforms, p. 2 ;
MARTIN-PARDEY, SAK 11 (1984), p. 231-251. Dans cette perspective, il est gênant que
ce titre, après la réforme administrative du début de la V I ' dynast ie, ne semble pas
être spécifiquement attribué aux hr.y.w-tp 'j ( M O R E N O G A R C I A , RdE 56 [2005], p. 116). En outre, s'il ne s'agit pas du titre de nomarque même, mais seulement de
son titre le plus important, quel autre titre signifie « nomarque » ? C e qu 'on déplore
dans la discussion, c'est la manière très vague dont les auteurs utilisent parfois les
termes « fonctionnaire provincial » et « nomarque ». Cela rend dif f ic i le de compren
dre de quel niveau administratif on discute.
70. La liste publ iée dans KANAWATI, Governmental Reforms, p. 2-4, démontre bien
la variabilité des title strings. Dans ses publications les plus récentes, M O R E N O
GARCIA aussi semble avoir changé d'avis (cf. n. 65, p. 27), situant « la création du
système des nomarques vers la fin de la V et le début de la V I ' dynast ie » : RdE 56
(2005), p. 106-107 ; IDEM, dans : Des Néferlcarê aux Mon touho fep , p. 220 ; IDEM,
dans : Sériel entre Egypte et Nubie, p. 20.
28
LA CULTURE NOMARCALE
nomes, mais pas encore qu'ils sont des nomarques, bien que,
dans les circonstances où une personne portait de nombreux
titres, la différence devait être, en pratique, minime.
Pour comprendre la raison d'être de ce système administra
tif fragmenté il convient de reprendre les idées énoncées par
N. S T R U D W I C K sur le développement de l'administration cen
trale. Il montre l'émergence, pendant la V1 dynastie, de cinq
« directorats » ou « ministères », subordonnés respectivement
au Chef des Scribes des Documents du Roi (im.y-r ss<.w> '
nsw.t), au Chef des Six Grandes Maisons (c. à. d. le Ministère de
la Justice, im.y-r hw.t-wr.t 6 ) , au Chef des Travaux du Roi (im.y-r
Ic.t nsw.t)1], au Chef du Double Trésor (im.y-r pr.wy-hd), et au
Chef du Double Grenier (im.y-r snw.ty). Selon S T R U D W I C K , tous
ces titres peuvent apparaître accompagnant celui du vizir (tJy.ty
Vb tJ.ty), mais la plupart d'entre eux sont également utilisés par
d'autres personnes. Le Ministère de la Justice est le seul à être
spécifiquement réservé au vizir. Les fonctionnaires dirigeant les
autres institutions ne sont donc pas forcément des vizirs, mais ils
peuvent porter des titres de rang aussi élevé que ceux accordés
à celui-ci. A cette époque, on constate donc l'existence d'un
système de cinq directorats plus ou moins indépendants, le vizir
n'étant qu'un primus inter pares entre leurs directeurs. Dans plu
sieurs cas, le vizir était seulement à la tête du directe rat de la
Justice, dans d'autres il bénéficiait aussi d'un ou plusieurs autres
titres 7 2 . Ce processus ressemble fortement à celui que nous
venons d'évoquer pour les fonctionnaires provinciaux. Dans
certaines conditions, lorsqu'un individu parvenait à réunir un
grand nombre de titres locaux, ses pouvoirs approchaient, dans
71- Dans une note récente, KREJCI aussi discute ce titre, mais il lui attribue une place
moins prééminente dans la hiérarchie que STRUDWICK (Ä&L 10 [2000], p. 67-75, particulièrement p. 71). Mais du fait que KREJCI n'entre pas dans une analyse du
dynamisme du système administratif, discutant les occurrences datant de la I V
dynastie à la VI" en bloc, je préfère suivre STRUDWICK.
7 2 . STRUDWICK, Administration, p. 337-346 et passim.
29
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
la réalité des faits, ceux d'un gouverneur ; dans d'autres, plu
sieurs administrateurs pouvaient être actifs simultanément sans
que l'un soit nécessairement subordonné à l'autre.
Vizir
Justice
Administration centrale
Archiv Travaux publics Greniers Trésor
i • i • i ^7 ^7 ^7 ^7 ^7
Administration régionale
FIG. 4 : ORGANIGRAMME SIMPLIFIÉ DE L'ADMINISTRATION ÉGYPTIENNE
ENTRE LES RÈGNES DE NIOUSERRÊ ET DE DJEDKARÊ-ISÉSI.
3 0
LA CULTURE NOMARCALE
Ce qui est frappant, c'est que l'administration centrale se
présente aussi morcelée que l'administration provinciale. Il n'y
a pas de vizir avec des responsabilités générales, il n'y a pas non
plus de gouverneur responsable de toute l'administration pro
vinciale. Je ne crois pas que ce parallélisme puisse être dû au
hasard. Il est possible que la répartition administrative qui se
manifeste si clairement au niveau central ait conduit à une frag
mentation de même nature dans les provinces. Une tentative de
visualiser et d'expliquer de manière très simplifiée comment
un tel système pourrait être envisagé a été rendue à la figure 4
— il s'agit donc d'un modèle hypothétique, qui ne prétend pas
être exact dans les détails, mais qui propose un modèle général
susceptible d'éclairer pourquoi les responsabilités sont répar
ties de manière si fragmentée aussi bien dans l'administration
centrale que provinciale. Elle montre une situation où les fonc
tionnaires envoyés temporairement en province, ou stationnés
là de manière permanente, ressortaient tous d'un directorat de
l'administration centrale. Au niveau provincial, cela implique
une segmentation administrative qui correspond exactement à
celle qu'on rencontre dans les textes autobiographiques des
administrateurs locaux 7 3 .
L'ADMINISTRATION DES N O M E S PENDANT LA V I E DYNASTIE
Vers la fin de l'Ancien Empire, à partir du règne de
Djedkarê-Isési, on voit apparaître une nouvelle structure dans
73- Comme hypothèse, on pourrait envisager qu'un titre tel que im.y-r wp.t, « chef de mission », a été utilisé par une personne envoyée, par exemple, par le bureau du im.y-r ks.t pour un projet spécifique : ainsi, dans l 'autobiographie de Nékhébou on lit que ce directorat dirigeait le creusement d'un canal dans le Delta. Le bureau du im.y-r snw.ty pourrait avoir été responsable d'institutions agricoles locales, etc. Le modèle de la figure 4 est certainement beaucoup trop simple, parce qu'i l est probable que le palais royal avait aussi son propre réseau administratif dans les provinces. Dans ce contexte, des titres comme hqj hw.t 'j.t et im.y-r swnw (voir pour ce dernier M O R E N O GARCIA, ZÄS 124 [1997], p. 116-130) peuvent être envisagés.
3 1
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
l'administration centrale, processus qui s'achève au cours de la
VT dynastie 7 4. Les cinq directorats continuent d'exister, mais le
vizir obtient d'office la plus haute responsabilité au Ministère de
la Justice et des Archives, tandis que les chefs des autres dépar
tements perdent leurs titres de rang les plus élevés. Ainsi chaque
département est désormais clairement subordonné au vizir.
Il me semble important que, parallèlement à cette transfor
mation de l'administration centrale, on constate l'apparition
d'un nouveau fonctionnaire : le nomarque, appelé en égyptien
hr.y-tp R J n N O M E , « grand chef d'un nome » 7 5 . Dans la plupart
des cas, la région dont le gouverneur est responsable s'écrit
avec le symbole du nome 7 6 . Ainsi, le nouveau titre exprime clai
rement que cette unité géographique est désormais placée sous
la direction d'un seul fonctionnaire. Dès lors, personne ne
doute que, vers le début de la VI' dynastie, le nome est une pro
vince. Le titre hr.y-tp 'J n s p j . l / N o M E suggère que le nomarque
assume la responsabilité générale de celle-ci, de sorte que je
crois pouvoir élaborer l'organigramme présenté à la figure S 7 7 .
Désormais, tout comme le vizir a obtenu l'autorité globale
pour tous les directorats de l'administration centrale, le nomar
que a plein pouvoir dans sa province. Aux deux niveaux, on
opère sur la base d'une structure top down.
74. STRUDWICK, Administration, p. 337-346 et passim ; M O R E N O GARCIA, hwt et le milieu rural, p. 242-248. 75. Selon BAER, ce changement se manifeste déjà à partir de la fin de la V* dynastie (Rank and Title, p. 274-284), mais les exemples les plus anciens, Isi d'Edfou et Ounas-ânkh de Thèbes, sont, aujourd'hui, plutôt datés du début de la VI" dynastie, ou même, dans le cas du dernier, plus tard dans cette dynastie : voir KANAWATI,
Governmental Reforms, p. 132-147. 76. Dans les nomes méridionaux, le titre a toujours la forme hr.y-tp rj n spj.î, sans mention du nom du nome. Pour cette raison, le titre sera, dans les pages suivantes, souvent rendu comme hr.y-tp 's n spJ.r /NOME. 77. Le système n'apparaît pas partout en Haute Egypte. Les nomarques ne sont pas attestés dans les nomes septentrionaux, probablement parce qu'ils étaient gérés directement par des fonctionnaires memphites : M O R E N O GARCIA, hwt et le milieu rural, p. 242-248.
3 2
LA CULTURE NOMARCALE
Comme dans le cas de la figure 4 , on doit garder présent à
l'esprit que le schéma n'a pour but que de figurer de manière
facilement compréhensible le principe d'organisation, et non
pas les détails de la structure. Ainsi, là non plus, le réseau admi
nistratif du Palais Royal n'a pas été inséré. De surcroît,
Administration centrale
X 7 ^7 <7 ^ 7 ^
Administration régionale
FIG. 5 : ORGANIGRAMME SIMPLIFIÉ DE L'ADMINISTRATION ÉGYPTIENNE
À LA V I ' DYNASTIE.
33
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
M O R E N O G A R C I A a récemment montré que, dans le cas du neu
vième nome de Haute Egypte, la situation était en réalité plus
complexe que celle que j e viens de décrire 7 8 . Deux branches
d'une même famille s'y occupaient de différents aspects de
l'administration. L'une, qui avait comme base de pouvoir le
temple local, fournissait aussi le nomarque, tandis que l'autre
dépendait directement des bureaux de l'administration centrale.
La raison d'être de cette répartition des charges n'est pas tout à
fait claire, mais on peut imaginer qu'il s'agissait d'un système
dans lequel les pouvoirs effectifs des nomarques devaient être
contrôlés par les représentants de l'autre branche familiale.
Le cas du neuvième nome de Haute Egypte n'est peut-être
pas unique. En fait, beaucoup d'autres nomarques portaient
non seulement le titre de hr.y-tp 'J n spj.tfNoME, mais aussi,
surtout vers la fin de l'Ancien Empire, celui de chef des prêtres
locaux (im.y-r hm.w-ntr). Selon M O R E N O G A R C I A le temple
était, en fait, l'assise des représentants des élites locales qui se
transformèrent pendant la VI1 dynastie en nomarques. D'après
lui, l ' importance de ces cultes régionaux a été si grande que les
rois auraient fondé leur politique régionale, dès le début de
l'Ancien Empire, sur des alliances avec les prêtrises locales 7 5 .
Ce dernier point me semble douteux comme explication
générale. L'analyse de M O R E N O G A R C I A ne permet pas de com
prendre pourquoi les cultes divins régionaux étaient, au début
de l'Ancien Empire, concentrés dans des temples de petite
échelle et d'organisation préformelle, une situation qui s'expli
que mal si l 'on suppose, c o m m e lui, que ces temples fonction
naient sous le haut patronage du roi 8 0 . Un exemple révélateur,
78. RdE 56 (2005), p. 105-118 ; voir dé jà IDEM, hwt et le milieu rural, p. 242-248 ;
256-257. 79. M O R E N O GARCIA, RdE 56 (2005), p. 95128 ; IDEM, dans : Séhel entre Egypte
et Nubie, p. 5-22.
80. Voir pour le matériel utilisé dans ce débat , et pour les points de vue de M O R E N O
GARCIA, RdE 56 (2005), p. 9°-97-
3 4
LA CULTURE NOMARCALE
qui me semble très clair malgré la position critique de M O R F . N O
G A R C I A , est celui d'Eléphantine. L'attention royale pour le
culte du temple de Satet et celle pour le culte du roi lui-même
sont, pendant la III e dynastie, d'un ordre totalement différent 8 ' .
Dans le cas des autres temples régionaux (Médamoud, Abydos,
Tell Ibrahim Awad) on trouve bien sûr des indices en faveur
d'un intérêt royal, mais guère avant la VP dynastie.
M O R E N O G A R C I A a traité le même thème avec un point de
vue différent et, je crois, plus vraisemblable, dans une étude
légèrement plus ancienne" 2. Il montrait que dans quelques
nomes (les troisième, cinquième et neuvième nomes de Haute
Egypte), les temples locaux jouaient un rôle conséquent dès le
début de l'Ancien Empire, et que leur présence semblait avoir
bloqué l'implantation de certaines innovations administratives
qui étaient courantes ailleurs. Dans une telle situation, la posi
tion des élites locales a dû s'appuyer très tôt déjà sur les tem
ples.
Mais il est beaucoup plus difficile d'entrevoir comment et
pourquoi les autres temples locaux avaient obtenu une position
influente, si manifeste dans la documentation de la fin de
l'Ancien Empire 8 ' . Cela dit, on ne peut que souscrire à l 'idée
que, vers la fin de la V e dynastie, ces temples avaient acquis une
importance fondamentale, non seulement sur le plan théologi
que, mais aussi, à en juger par les mentions fréquentes de ter
res et de personnel attachés au temple, sur le plan économique.
Les chefs des temples jouaient alors un rôle décisif dans leurs
communautés, rôle qu'ils parvenaient souvent à combiner avec
81. SEIDLMAYER, dans : Haus und Palast, p. 207. Voir aussi KEMP, C A J 5 (1995), p. 46-50. 82. M O R E N O GARCIA, hwt et le milieu rural, p. 252-265. 83. O n vient de voir qu' i l existait, au début de l 'Ancien Empire, des élites importan
tes dans plusieurs régions : Elephantine, el-Kab, el-Gebelein, Thèbes, Zawiyet
el-Mayyit in. Mais il me semble clair qu'elles étaient liées au culte royal plutôt qu ' à
celui d'une divinité régionale.
3 5
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
84. M O R E N O G A R C I A souligne que dans certains nomes où l'on ne connaît pas de
hr.y tp 11 spj.t/ttOHE, l'installation d 'un nomarque pourrait avoir été bloquée par
les prêtrises locales : Séhel entre Egypte et Nubie, p. 20. Bien que le lien de cau
salité qu' i l suggère reste de l'ordre de la spéculation, l 'hypothèse n'est pas exclue.
La documentat ion montre en tout cas a) qu'un degré de variabil ité continuait à exis
ter d'un nome à l'autre et b) que les rôles de nomarques et chefs des prêtres
devaient être en part ie du même ordre dans le réseau social local.
85. J'ai abordé ce thème de façon plus détaillée dans Phoenix 46.2 (2000], p. 76-78.
3 6
celui de n o m a r q u e 8 4 . Le lien entre la gestion du nome et celle
du temple local peut être d'un grand intérêt pour éclairer la
compréhension de la « Nomarchie » du Moyen Empire.
Pendant la V I e dynastie, le régime provincial s'organisa selon
ces lignes. J e n 'a i pas l'intention de spéculer sur les conditions
qui ont conduit à la chute de l'Ancien Empire, mais il est clair
que, pendant l 'écl ipsé du pouvoir royal au commencement de
la Première Pér iode Intermédiaire, une classe dirigeante était
déjà disponible pour combler le vide.
Dans les conditions parfois chaotiques du début de cette
époque, le système administratif de l'Ancien Empire perdit sa
cohérence. Plusieurs nomes, surtout dans le sud, semblent
s 'être désintégrés ; d'autres continuaient à exister, mais avec
une plus grande autonomie qu'auparavant ; et d'autres encore
se montraient si entreprenants qu'ils réussirent à conquérir des
nomes avoisinants. Sans que j e puisse entrer ici dans les détails,
il me semble que les tendances à la désintégration se manifes
taient le plus clairement dans les nomes les plus méridionaux
du pays, tandis que la situation en Moyenne Egypte était appa
remment beaucoup moins chaotique 8 5 .
L'ADMINISTRATION RÉGIONALE PENDANT
LA PREMIÈRE PÉRIODE INTERMÉDIAIRE ET AU M O Y E N EMPIRE
Après la Première Période Intermédiaire, l'état égyptien fut
réunifié par le roi thébain Montouhotep II qui inaugura le Moyen
LA CULTURE NOMARCALE
Empire. La réapparition de la titulature nomarcale dans nos sour
ces de cette époque pourrait donner l'impression soit d'une
continuité administrative, soit d'une sorte de restauration du sys
tème administratif de la fin de l'Ancien Empire. On serait alors
conduit à croire que l'administration provinciale de cette époque
opérait sur la base d'un système monolithique qui aurait existé à
travers toute l 'Egypte, avec une répartition en nomes.
Mais cette manière de voir est certainement trop simple. La
plupart des égyptologues travaille à partir du modèle déve
loppé par le savant allemand W. H E L C K 8 6 . Il supposait que le sys
tème du Moyen Empire était plus ou moins identique, non à
celui de l 'Ancien Empire, mais à celui du Nouvel Empire, épo
que à laquelle les chefs régionaux n'étaient plus des nomar
ques, mais des maires de grandes villes. Ils portaient des titres
tels que hJ.ty-' n Dr.ty, « maire d'el-Tôd », titre qui contient le
nom de la ville capitale de la région, mais ne renvoie pas à celui
du nome 8 7 . Cette situation a conduit H E L C K à penser que le
nome n'était plus une entité administrative. Ce rôle aurait été,
dès lors, revêtu par les grandes villes provinciales. Les maires
étaient, dans le cadre de cette structure administrative, respon
sables à la fois de ces villes et des zones agricoles avoisinantes.
On doit avouer que plusieurs inscriptions du Moyen Empire
décrivent un tel état de fait. Par exemple, le graffito 8 7 du
Ouadi Hammamat, daté du règne de Sénousret I , r , relate une
86. HELCK, Verwaltung, p. 207-211. Pour une critique de la théorie de HELCK, voir
infra, p. 62-65. 8 7 . Pour une liste de ces fonctionnaires durant le Moyen Empire, voir FISCHER,
Dendera, p. 71, n. 289 ; GAUTHIER, ASAE 26 (1926], p. 273 ; CZERNY, Ä&L 11 (2001), p. 23-25 et, pour les chefs des forteresses nubiennes, M O R E N O GARCIA,
dans : Séhel entre Egypte et Nubie, p. 165-166. PARDEY a récemment choisi de tra
duire aussi ce nouveau genre de titre par « nomarque » (cf. « Provincial
Administration », dans : The Oxford Encyclopedia of Ancient Egypt, p. 18-19). Bien
que des arguments puissent être avancés à l 'appui de cette approche (les nomoi
de l 'époque gréco-romaine étaient aussi désignés par le nom de la capitale), elle
tend à masquer la différence réelle entre les deux conceptions administratives que
HELCK a mises en lumière.
3 7
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
expédition dont l'équipe était mobilisée par les maires (hJ.ty-()
de plusieurs villes du sud de la Haute Egypte, aucune mention
n'étant faite des nomes 8 8 . On n'est donc pas en droit de mettre
en doute l'existence des maires pendant le Moyen Empire 8 9 .
Mais il est aussi certain qu'un nombre assez important de
personnages continue à porter le titre de nomarque ; ainsi, plu
sieurs chefs régionaux à Assiout, Meir, Deir el-Bersha, et Beni
Hasan. H E L C K reconnaît ces données, mais il croit que la péren
nité de la titulature ancienne ne reflète pas une réalité adminis
trative, mais seulement un souci, on pourrait dire un « sno
bisme », de certains maires, qui les aurait conduits à s'arroger
des titres administratifs peu réels, mais néanmoins glorieux 9 0 .
H E L C K remplace donc une théorie monolithique (« Les pro
vinces égyptiennes furent conduites par des nomarques ») par
une autre théorie non moins monolithique (« L'Egypte provin
ciale fut dirigée par des maires » ) . Depuis, cette dernière hypo
thèse a été acceptée par plusieurs égyptologues.
En 1987, L. G E S T E R M A N N publiait une nouvelle étude sur la
question 9 1. Sa collection de données, très systématique, permet
facilement d'examiner pour quelles provinces il existe des men
tions de nomarques (hr.y-tp 'j), et également, pendant quelles
périodes. Elle donne aussi une interprétation qui, d'une part,
reprend plusieurs éléments de l'hypothèse de H E L C K , en particu
lier sur l'importance croissante des villes depuis la fin de l'Ancien
Empire, mais qui, d'autre part, apporte des vues nouvelles. Par
exemple, elle établit que, pendant la Première Période Intermé
diaire, le système de gouvernorat dans la région héracléopolitaine
88 . Hamm. no. 87. Pour une récapitulation récente de la problématique, voir
FRANKE, Das Heiligtum des Heqaib, p. 1 0 - 1 2 .
89 . Mais les stèles évoquées infra dans la note 110, p. 47, montrent que la situation
pourrait avoir été plus complexe que HEICK ne le pensait.
90. HELCK, Verwaltung, p. 2 0 O - 2 1 0 : dans les cas où les maires dirigeaient des villes avec
une tradition nomarcale, « ... legten sie sich noch den Titel eines "Großen Oberhauptes" bei,
der aber nur eine historizierende Bezeichnung darstellt und kein Amts- oder Rangtitel ».
91. GESTERMANN, Kontinuität und Wandel.
3 8
LA CULTURE NOMARCALE
différait sensiblement de celui de la région thébaine. Dans le premier, en Moyenne Egypte, le système nomarcal de l'Ancien Empire survivait, tandis que les rois thébains avaient établi un nouveau régime où il n'y avait plus de place pour les nomarques, et où les chefs des villes assumaient un rôle prépondérant. Il existait alors une grande différence entre les deux parties du pays"'.
La disparition du système nomarcal dans le sud de l'Egypte s'explique probablement comme une réaction aux graves problèmes politiques que connut cette partie du pays pendant la période qui suivit directement la fin de l'Ancien Empire. Les textes d'Ankhtifi à Mo'alla montrent, d'un côté, une tendance de certains nomarques à élargir leur territoire. Ankhtifi lui-même était nomarque du troisième nome de Haute Egypte, mais, apparemment, il prit également le pouvoir dans les premier et deuxième nomes. Ses textes décrivent une alliance comparable entre les quatrième et cinquième nomes qui s'opposaient à lui 9 i . À la même période, un nomarque appelé Ab-ihou dirigeait les sixième, septième et huitième nomes de Haute Egypte, tandis que Inheret-nakht commandait les huitième et dixième nomes 9 4 . Les sources
92. GESTERMANN, Kontinuität und Wandel, p. 135-144 ; voir aussi WILLEMS, Chesfs
of Life, p. 60 ; FRANKE, Das Heiligtum des Heqaib, p. 11. 93. VANDIER, Mo'alla, inscriptions 2 et 6. 94. Pour Ab-ihou, voir FISCHER, Dendera, p. 195. Pour les deux planches du sarco
phage de Inheret-nakht, voir GOEDICKE, dans : Gold of Praise, p. 149-152. Il date cette
personne du début du Moyen Empire, mais n'offre qu'un seul argument : l 'apparition
de l'épithète mi' hrw après le nom du propriétaire du cercueil. À vrai dire, l'épithète
est connue déjà depuis la fin de la Première Période Intermédiaire (voir SCHENKEL,
FmäS, p. 76, renvoyant à TPPI, § 23). Toute une série d'autres indices suggère que le
cercueil d'Inheret-nakht doit être sensiblement plus ancien que ne l'admet GOEDICKE :
1 ) le contenu des formules d'offrandes ; 2) l'apparition du titre im.y-r sm'.w, « com
mandant de Haute Egypte », pour lequel GOEDICKE ne peut citer que des exemples
datant de l'Ancien Empire et du début de la Première Période Intermédiaire ; 3) la
séquence d'épithètes d'Osiris ; 4) le fait même qu'lnheretnakht était un nomarque diri
geant plus d'un seul nome, situation inconnue au Moyen Empire ; et 5) l'implication
qu'il serait un nomarque fonctionnant dans le territoire thébain - cas sans parallèle
pour le début du Moyen Empire. Pour toutes ces raisons il me semble clair qu'il vivait
au plus tard au début de la Première Période Intermédiaire.
39
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
évoquent aussi une tendance opposée, conduisant vers une désintégration régionale. Par exemple, bien qu'Ankhtifi présente les quatrième et cinquième nomes comme des unités, son texte laisse entrevoir que le « général d'Armant » qui était installé dans une ville du quatrième nome, occupait une position plus ou moins indépendante, et entrait dans une alliance militaire avec le chef de Mo f alla'\ La situation dans la région se complique encore avec l'existence d'un nomarque appelé Ini dont le sarcophage a été trouvé à el-Gebelein, ville qui ne semble jamais avoir été siège de nomarque 9 6 . Dans le cinquième nome aussi, la fragmentation est très apparente, car plusieurs villages (Khozam, Nagada, Quft [Coptos]) avaient leurs propres chefs dont les titres suggèrent un degré extraordinaire d'indépendance 9 7 . L'image de la Première Période Intermédiaire comme une période de problèmes politiques, de guerres, et de famines, a été construite largement sur la base des autobiographies
95. VANDIER, Mo'alla, inscription 6 .
96. Pour le sarcophage Turin 13.268, voir BROVARSKI, dans : Studies Hughes, p. 31-37. Selon BROVARSKI, le nom ini serait une abréviation de l 'anthroponyme ini-it=f porté par plusieurs rois de la XI e dynastie et leurs prédécesseurs, qui étaient encore
nomarques. Il suppose que le propriétaire du sarcophage de Turin était un de ces
nomarques thébains, et que le choix d'un enterrement à el-Gebelein est le reflet
d'un déménagement de la cour nomarcale thébaine vers la frontière avec le terri
toire d'Ankhtifi. Cela est possible, mais le fait qu' lni porte un autre titre strictement
local, « chef des prêtres dans le temple de Sobek maître de Soumenou », suggère
qu'i l pourrait plutôt s'agir d'un fonctionnaire responsable de la région d'el-
Gebelein. Dans ce cas, le titre de nomarque aurait une valeur très dévaluée,
comme on le rencontre parfois avec d'autres titres. Z ITMAN a récemment proposé
une datation d'Ini pendant le règne de Montouhotep II : The Cemetery of Assiut,
p. 8 6 - 8 7 , n. 6 1 9 . Cette proposition s'appuie sur une comparaison entre la cérami
que trouvée avec le sarcophage d'Ini et celle de Qurna. Mais, en fait, tous les types
de céramique auxquels il renvoie sont déjà attestés dans la phase Qurna I de
SEIDLMAYER, phase qui remonte à une date très haute dans la Première Période
Intermédiaire : Gräberfelder, p. 395. De surcroît, si Z ITMAN avait raison, Ini serait
le seul nomarque connu du territoire des rois de la XI ' dynastie.
9 7 . FISCHER, Coptite Nome ; MOSTAFA, ASAE 70 (1984-1985), p. 419-429 ; IDEM,
ASAE 71 (1987), p. 170-184 ; GILBERT, JEA 90 (2004), p. 73-79.
4 0
LA CULTURE NOMARCALE
de ces chefs locaux 9 8 . En fait, la répartition géographique des textes faisant état de ce genre de difficultés semble montrer que la
crise, en réalité, n'affectait pas toute l'Egypte dans la même
mesure, et qu'elle se concentrait dans la région méridionale du
pays. On ne dispose pas d'éléments pour penser que la même
situation prévalait de manière aussi grave en Moyenne Egypte. La
politique diébaine qui conduisit à 1'eradication du nomarcat dans
le sud de l'Egypte est alors compréhensible et explique l'appari
tion d'un nouveau type de fonctionnaires, dont deux exemples
sont connus. Le premier est un certain Hétepi, dont la stèle funé
raire fut trouvée à el-Kab. Hétepi, qui vécut sous le règne d'Antef
II Ouah-ânkh, écrit :
L'humble serviteur (c.à d. Hétepi) prononçait sa (c.à d.
le roi) parole au sein des sept nomes méridionaux ainsi
que (dans) Abydos dans le nome thinite, tandis qu'il n'y
avait personne qui prononçait sa parole dans les troi
sième, deuxième et premier nomes de Haute Egypte"''.
Ainsi, Hétepi semble avoir joué le rôle d'administrateur en
chef de toute la région entre Assouan et Abydos. Bien que les
nomes existent encore, les nomarques (hr.y-tp 'J n spJ.t) ne sont
pas mentionnés. Hétepi avait une responsabilité particulière
pour les trois nomes méridionaux. Il paraît significatif que cette
région coïncide exactement avec le territoire d'Ankhtifi avant
la conquête thébaine.
98. M O R E N O GARCIA, dans : Séhel entre Egypte et Nubie, p. 13-14, utilise le même
matériel pour en déduire sur un plan général que l'administration régionale ne doit
pas être comprise comme un système rigoureusement fondé sur les nomes. Bien que
je sois d 'accord avec l'esprit de cette argumentation, elle semble méconnaître les
circonstances très spécifiques du début de la Première Période Intermédiaire. La
fragmentation régionale de cette époque ne doit certainement pas être mise en
paral lèle avec la structure diversifiée du niveau provincial pendant l 'Ancien Empire.
99. GABRA, MDAIK 32 (1976), p. 48, f ig. 2, I. 4-5.
41
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Juste après la lin de la Première Période Intermédiaire, un
autre fonctionnaire appelé Hénenou déclare dans son autobio
graphie qu'il recouvrait des taxes dans la région comprise entre
les huitième et dixième nomes de Haute Egypte'"". Bien que
légèrement plus tardif que l'époque qui nous occupe, il se
pourrait que Hénenou relève du même système administratif
qui opérait sur la base d'administrateurs suprarégionaux.
La disparition des nomarques dans le sud de l'Egypte coïn
cide avec l 'émergence du grand cimetière d'el-Tarif, àThèbes-
Ouest. On y trouve non seulement les tombes gigantesques des
rois thébains de la Première Période Intermédiaire, mais aussi
des centaines d'autres grandes tombes"" . Dans le reste du ter
ritoire soumis aux rois thébains, les cimetières de l'élite dispa
raissent presque entièrement. Cela, et la création d'un nouveau
genre d'administrateur supraregional, semblent refléter une
politique centraliste des rois thébains, qui ne laissait plus de
place pour les nomarques.
La politique thébaine s'explique donc comme une réaction
contre les événements du début de la Première Période
Intermédiaire, période durant laquelle les administrateurs des
nomes méridionaux avaient joué un rôle actif dans la crise poli
tique et économique qui se développait. Pour les rois héracléo-
politains, qui ne se voyaient pas confrontés à des problèmes de
cet ordre, il n'y avait aucune raison d'abolir le nomarcat.
Selon G E S T E R M A N N , les données concernant les nomar
ques, après que les Thébains eurent pris le pouvoir dans la
région héracléopolitaine, sont inexistantes, et ce fait suggére
rait que les Thébains avaient également supprimé les nomar
ques dans cette partie du pays"". On verra plus tard que ce
100. HAYES, J E A 35 (1949), pi- 'V et p. 46, n. d .
101. ARNOLD, Gröber des Alten und Mitt leren Reiches in el-Taril.
102. Kontinuität und Wandel , p. 138-139 ; p. 142-143-
4 2
LA CULTURE NOMARCALE
point de vue n'est pas sans poser problème, mais on doit avouer
que le processus serait compréhensible. Le succès évident dans
le territoire du royaume thébain pourrait avoir poussé les rois
de la XL dynastie à imposer un régime similaire dans les régions
qu'ils venaient d'acquérir.
Mais cette interprétation a aussi quelque chose de naïf.
Même en Allemagne après la Deuxième Guerre Mondiale, où
les alliés suivaient une politique forte de denazification, beau
coup de postes de responsabilité étaient occupés par d'anciens
nazis. Il me semble peu probable que dans la situation de
l 'Egypte après l 'Unification — période sans doute moins
politisée et moins conflictuelle que celle de l'Allemagne de
1945 — le premier but des Thébains ait été de remplacer tous
ceux qui avaient exercé des charges sous le royaume héracléo-
politain 1 0 5 .
Néanmoins, c'est exactement ce qui se serait passé, selon
G E S T E R M A N N . Elle essaye de montrer que les nomarques, qui
avaient déjà disparu dans le sud de l'Egypte avant l'Unification
du pays, perdaient aussi leurs postes dans le nord. Mais, moins
de vingt ans plus tard, les nomarques auraient resurgi, vers la
fin de la XL dynastie, comme le montrent par exemple les
cimetières de Moyenne Egypte.
La lecture de la thèse de doctorat de G E S T E R M A N N suggère
donc l'évolution suivante :
1. Fin de l'Ancien Empire : système de gouvernement
monolithique ; l'Egypte est subdivisée en nomes gérés
par des nomarques et des chefs des prêtres, les deux
fonctions pouvant parfois être assumées par la même per
sonne.
103. En fait, on sait que les Thébains engageaient souvent des fonctionnaires qui
font état de manière explicite dans leurs autobiographies du fait d'avoir aussi tra
vaillé pour les rois héracléopolitains.
4 3
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
2. Première Période Intermédiaire : développement de sys
tèmes de gouvernement différents dans les régions thé-
baine et héracléopolitane ; disparition des nomarques
dans la région thébaine, continuité du système nomarcal
dans la région héracléopolitaine.
3. Réunification du pays par Montouhotep II : nouveau sys
tème monolithique ; le modèle « thébain » est introduit
à travers toute l'Egypte ; les nomarques disparaissent.
Les villes sont devenues les centres les plus importants.
4 . Fin de la XI' dynastie et XII' dynastie : nouveau système
monolithique ; remise en fonction des nomarques, mais
le rôle des villes ne diminue pas. Dans le Nome de
l 'Oryx , par exemple, les nomarques et les chefs des
grandes villes coexistent et sont, en fait, les membres
d'une même famille. D. F R A N K E a travaillé à partir de ces
données, et suggère que les nouveaux nomarques en
fonction sous Amenemhat I" et Sénousret I e r auraient été
nommés comme « hommes nouveaux qui jusqu'alors
n'avaient pas occupé une position de pouvoir dans leurs
villes » 1 0 4 .
Depuis G E S T E R M A N N , le problème n'a jamais fait l 'objet
d'une nouvelle étude systématique 1 0 5 , mais il me semble que
son hypothèse, ainsi que celles de H E L C K et P A R D E Y 1 0 6 , souffrent
de plusieurs faiblesses. Pour chacun de ces auteurs, les nomes
et les villes sont des entités administratives incompatibles, opi
nion qui donne matière à réflexion ! Certainement, les nomar-
104. FRANKE, Das Heiligtum des Heqaib, p. 12 : « neue Männer, die bisher über
keine Machtstel lung in ihrer Heimatstadt verfügten ».
105. Dans son étude récente, Nomarque, FAVRY définit les rôles et responsabilités
des nomarques à l 'époque de Sénousret I " sur la base d 'une col lect ion de phrases
tirées de leurs autobiographies, mais elle n'offre pas vraiment une étude historique
du problème.
106. PARDEY, « Provincial Administration », dans : The Oxford Encyclopedia of Ancient Egypt I, p. 18-19.
4 4
LA CULTURE NOMARCALE
ques avaient toujours vécu dans des villes et si, dans certains
cas, un chef régional s'appelle « nomarque », cela ne peut guère
signifier qu'il n'était pas responsable de la ville capitale du
nome 1 0 7 . Autrement dit, le fait que les textes font état, de plus
en plus fréquemment, de l'administration de villes ne peut pas,
à lui seul, être utilisé comme l'indice de la mise à l 'écart des
nomarques.
Par ailleurs, il semble clair que chacun de ces chercheurs est
animé par le souci de présenter l'administration égyptienne
comme un système très rigoureux, dans lequel chaque région
est organisée d'une seule et même manière. Pendant la
Première Période Intermédiaire, alors que le pays était frag
menté, cette unité de conception aurait été rompue temporai
rement, mais elle aurait resurgi très vite après le début du
Moyen Empire.
Pour comprendre ce qui se passait réellement, nous allons
reprendre les données de base sur lesquelles repose l'hypothèse
de G E S T E R M A N N . Pour nous, ce qui compte surtout, ce sont les
transformations juste après la victoire de Montouhotep II et
pendant le reste du Moyen Empire. On va donc étudier la
documentation concernant chacune des provinces pour les
quelles il existe des informations.
Pendant la X I e dynastie, immédiatement après l'Unification
de Montouhotep II, G E S T E R M A N N ne trouve aucun nomarque
dans le pays tout entier. Les nomarques d'Assiout, les alliés les
plus forts des rois héracléopolitains, disparaissent tout de suite,
et aucun administrateur s'appelant hr.y-tp 'J n'apparaît dans sa
documentation. Mais elle doit avouer que plusieurs textes
continuent de mentionner les nomes comme unités administra
tives. Il s'agit de plusieurs cas semblables à celui, déjà cité, de
107. Pour MORET, le lien entre le nomarcat et la capitale du nome était encore évident, dans : Recueil d'études égyptologiques dédiées à la mémoire de J.-F. Champollion, p. 339.
45
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Hénenou, d'hommes remplissant des charges dans des régions désignées par le symbole d'un nome 1 0 8 . G E S T E R M A N N explique ce phénomène de la manière suivante :
Au moins partiellement, la mention de nomes comme
désignation des zones d'activités pourrait aussi être le
reflet du titre hr.j-tp 'j (nj) + nome, qui demeurait,
durant la Période Héracléopolitaine, en usage dans le
nord du pays, et qui laisse entrevoir un maintien de
cette forme d'administration'"''.
La citation suggère que les nomes étaient une particularité
héracléopolitaine. Mais on vient d'étudier le cas de Hétepi ;
c'était un fonctionnaire thébain qui s'occupait de tout un
groupe de nomes qui ne paraissent pas avoir été dirigés indivi-
108. O n doit aussi renvoyer au temple construit par Montouhotep II à el-Gebelein.
Parmi les fragments du décor de ce bâtiment se trouvent plusieurs éléments d'une
liste de nomes. Ce qui subsiste contient des mentions de nomes de Basse Egypte :
voir la publication récente de FIORE MAROCHETTI, dans : Des Néferhotep aux
Montouhotep, p. 147-148 et f ig. 2-8. Selon FIORE MAROCHETTI, l 'édifice daterait du
début du règne de Montouhotep II parce que son nom y figurerait sous la première
des trois formes que ce roi a adoptées au cours de son long règne. En fait, le décor
offre la deuxième forme du nom d 'Horus du roi. D'autres auteurs datent la chapel le
de l 'époque juste postérieure à l'Unification ; GESTERMANN énonce la « Vermutung
daß diese Reliefs in zeitl icher Nähe zur Reichseinigung entstanden sind » :
Kontinuität und Wandel, p. 46, avec une discussion des autres opinions. FIORE
MAROCHETTI utilise l 'argument du style des reliefs en faveur de sa datation au début
du règne de Montouhotep II. En effet, on doit admettre qu'un changement profond
se produisit quand, après la réunification du pays, des artisans memphites s'instal
lèrent à Thèbes, y introduisant le canon classique. Cependant, comme l'a remarqué
JAROS-DECKERT, le style local continuait à être utilisé à côté du style memphite (Das
G r a b des Jnj-jtj.f, p. 135-136). La présence de la liste de nomes septentrionaux sug
gère plutôt une datat ion après l 'Unif ication du pays qu'avant.
109. GESTERMANN, Kontinuität und Wandel, p. 139: « Zumindest teilweise dürfte d ie
Nennung von Gauen zur Bezeichnung des Tätigkeitsbereiches auch auf den im
Norden des Landes während des Herakleopol i tenzeit noch gebräuchl ichen Titel
hr.j-tp 's (nj) + G a u und dem daraus zu erschließenden Festhalten an dieser
Organisat ionsform zurückgehen ».
46
LA CULTURE NOMARCALE
duellement par un nomarque. La stèle Caire CG 2 0 ^ 4 3 , 1. 10 et suivantes, datée de la fin de la Première Période Intermédiaire, semble en effet décrire un processus de réorganisation dans les dix nomes méridionaux de l'Egypte, processus dans lequel le texte mentionne des chefs des domaines hw.t, mais pas de nomarques" 0 . Vers la fin de la Première Période
110. Pour la stèle, voir PÉTRIE, Denderefi, pl. XV. La stèle Leiden V3 est également inté
ressante parce qu'elle décrit, encore pendant le règne de Sénousret P , le cas d'un
directeur des champs, im.y-r jh.t, dans « la Tête du Sud et à Abydos ». Le texte spéci
fie ensuite exactement quelle zone de ce territoire était sous sa responsabilité : la
région entre les sixième et neuvième nomes (voir BOESER, ßeschri/ving I, pl. II). Bien
qu'aucun nomarque ne soit connu pour cette région, des fonctionnaires subalternes
comme le propriétaire de la stèle pouvaient, apparemment, encore définir leur ressort
d'autorité en termes de nomes. Récemment, M O R E N O GARCIA a démontré que le terme
spJt « nome » devient plus commun au début du Moyen Empire, fait explicable, selon
lui, comme le reflet « d'une nouvelle manière d'organiser l'espace après les boulever
sements de la Première Intermédiaire » [hwt et le milieu rural, p. 148).
Il convient de discuter brièvement le cas du général Ip, dont la tombe, publiée
récemment par FISCHER, contiendrait la titulature d'un nomarque des vingtième et
vingt et unième nomes de Haute Egypte, et qui daterait de l 'époque entre
l 'Unification du pays et la fin de la XI ' dynastie (voir FISCHER, The Tomb of Ip ; pour
la datat ion, voir p. 29-32). Cette manière de voir impliquerait que Ip appartenait
à l'administration thébaine récemment créée dans l'ancien territoire héracléopoli-
tain. Celte hypothèse me semble très invraisemblable. Ce qui étonne tout d 'abord ,
c'est que le « nomarque » des vingtième et vingt et unième nomes ait été enterré à
el-Saff, site qui se trouve, comme le reconnaît d'ailleurs FISCHER, dans le vingt-
deuxième nome (p. 29) . FISCHER remarque aussi que les graphies dans la tombe
d'el-Saff sont dépourvues du signe du bras qui accompagne normalement celui de
l 'arbre désignant les deux nomes, ainsi que des adjectifs « supérieur » et « infé
rieur », qui servent à distinguer les deux provinces (p. 25) . De surcroît, le titre d ' Ip,
lu par FISCHER comme im.y-r n'r.t, ne suit pas le modèle commun de hr.y-tp 'j + désignation géographique. Je ne connais pas d'autres exemples du modèle de titre
envisagé par FISCHER. Enfin, les titres de rang de Ip (htm.ty bi.ty smhr w'.ty) sont
très modestes pour un nomarque. Prenant aussi en compte le fait que le titre de
général a clairement été considéré comme le plus important par Ip lui-même, il est
peu vraisemblable qu' i l ait été nomarque.
En fait, le mot lu par Fischer comme nom de nome, serait écrit de façon assez irré
gulière. Je propose de lire îbôi plutôt comme im.y-r w, « commandant d'un
district ». O n sait que ce type de fonctionnaires portaient parfois les titres de htm.ty
bi.ty smhr w'.ty sdm sdm.t w'i.w im.y r sny tj aussi porté par Ip : voir WILLEMS, JEA 76 (1990), p. 31, n. d ; DAOUD, Corpus of Inscriptions, p. 72, qui lit le titre i , incorrectement, comme im.y-r hrp.w.
4 7
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Intermédiaire, les nomes continuaient apparemment à être per
çus comme des unités administratives, même en plein territoire
thébain. En conséquence, ce qui s'est passé n'est pas l'abolition
des nomes, mais plutôt l'abolition de la classe administrative
des nomarques.
G E S T E R M A N N souligne que les nomarques avaient disparu
dans l'ancien territoire héracléopolitain après que celui-ci avait
été soumis par les Thébains, mais que ce genre de fonctionnai
res était réapparu vers la fin de la XL dynastie.
Le chapitre suivant montrera que cette évolution ne se pro
duisit certainement pas dans le nome du Lièvre, où une série
ininterrompue de nomarques existe.
Dans les autres nomes, la situation est moins claire. Pour
Assiout, on considère communément que la lignée des nomar
ques s'arrête avec l'Unification du pays. Dans ce cas précis, on
est vraiment en droit de supposer que les Thébains avaient de
sérieuses raisons pour vouloir les supprimer, parce qu'ils
avaient été les partisans les plus acharnés des Héracléopolitains,
qui s'étaient fortement opposés aux Thébains. Aussi, affirme-t
on, de manière très générale, que le fameux groupe des tombes
V, III et IV à Assiout n'a pas connu de suite après l'Unification,
jusqu'au moment où l 'énorme tombe de Djefaihâpi I" fut bâtie
sous le règne de Sénousret I' r. Mais les recherches récentes
entreprises sur le site par J . K A H L ont démontré l 'existence de
plusieurs autres tombes de très grandes dimensions, dont quel
ques unes pourraient être datées entre Montouhotep II et
Sénousret I ' r ' " . La remarquable thèse de doctorat défendue
récemment à Leyde par M. Z I T M A N offre un aperçu très com
plet du matériel, fondé sur une masse de documentation non
publiée. Ce matériel prouve clairement qu'un nombre impor-
111. KAHL, EL-KHADRAGY, VERHOEVEN, S A K 33 (2005), p. 159-167 ; KAHL, EL-
KHADRAGY, VERHOEVEN, S A K 34 (2006), p. 241-247.
48
LA CULTURE NOMARCALE
tant de vastes tombes jusqu'alors inconnues doit dater, soit de
la Première Période Intermédiaire, soit de la fin de la XI' dynas
tie ou plus tard. D'autres tombes pourraient combler l'inter
valle entre l'Unification du pays et la fin de la XI ' dynastie.
Malheureusement, ce matériel reste d'ordre si imprécis qu'il
n'est pas possible de déterminer s'il a existé ou non une inter
ruption dans la séquence des gouverneurs locaux après la chute
du royaume héracléopolitain. Si, pour des raisons politiques, une
interruption ne semble pas invraisemblable, le matériel impose la
conclusion que, si elle s'est produite, elle a probablement été de
courte durée. Malencontreusement, plusieurs des tombes proba
blement datables de cette époque sont anépigraphes. Il reste donc
difficile de dire si leurs propriétaires furent hr.y-tp 'J et s'ils com
blent, ou non, la période entre l'Unification du pays et le règne de
Sénousret I". En tout cas, l'un d'entre eux, le fameux Mésehti
dont les modèles funéraires, figurant des pelotons de soldats, sont
bien connus, daterait, selon Z I T M A N , des règnes de Montouhotep
IV et Amenemhat I e r " : . L'échelle même de ces tombes ne laisse, à
mon avis, que peu de doute sur le fait qu'un type de fonction
naire, qu'on peut qualifier de « nomarcal », était à nouveau en
poste, même si le titre hr.y-tp CJ n'apparaît pas'".
À Beni Hasan, la situation est un peu plus claire, en dépit du fait
que plusieurs nomarques ne peuvent pas être datés individuelle
ment. Le plan (fig. 6) montre une rangée assez large de tombeaux
dont huit contiennent des inscriptions indiquant que leurs proprié
taires étaient des nomarques. La tombe 1 4 appartenait au nomarque
Khnoumhotep I" qui signale qu'il fut nommé sous le règne
d'Amenemhat I". Il est généralement admis que les propriétaires des
tombes 2 9 , 33 et 2 7 , qui étaient aussi nomarques, avaient précédé
112. Z I T M A N , The Necropolis of Assiuf, p. 11-33. 113. Je viens d'apprendre qu'une tombe récemment découverte à Assiout appartenait
à un chef des prêtres dont le père s'appelait Khéty, et le fils Mésehti. S'il s'agit du fils
du nomarque Khéty I I , comme le suggère prudemment J. KAHL, on aurait ici le chaînon
manquant. Je remercie vivement J. KAHL pour ces informations.
4 9
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Him* kip E (flu» mu i ihn
FIG. 6 : PLAN DE LA PARTIE MÉRIDIONALE DES TOMBES NOMARCALES
DE BENI HASAN. LES PETITS POINTS INDIQUENT LA POSITION
DES TOMBES INFÉRIEURES SITUÉES AU BAS DES GRANDES TOMBES
RUPESTRES (D'APRÈS WILLEMS, CHESTS OF LIFE, PLAN l).
5 0
LA CULTURE NOMARCALE
Khnoumhotep I , r, et il est vraisemblable que les propriétaires des
tombes i ç et 1 7 , Baqet III et Khéty, le précédaient également" 4.
Ce dernier point a été critiqué par G E S T E R M A N N , qui soutient
que Baqet III et Khéty auraient succédé à Khnoumhotep I ' r " s .
Mais comme H Ö L Z L le remarque ajuste titre, c'est peu probable,
étant donné que la tombe de Khnoumhotep I" ( 1 4 ) semble avoir
été creusée dans un petit recoin qui subsistait après que la tombe
de Baqet III ( 1 c) avait été construite. H Ö L Z E développe aussi des
considérations architecturales pour montrer que la tombe de
Baqet III précédait non seulement celle de Khnoumhotep I", mais
aussi celle de Khéty (tombe 1 7 ) " 6 .
On doit avouer que la datation de ces tombes reste très pro
blématique. Mais, même la position minimale de G E S T E R M A N N
présuppose que le nomarque Baqet I e r (tombe 2 9 ) était déjà en
fonction pendant la XI e dynastie. En acceptant une datation pour
les très grandes tombes 1 c et 1 7 , antérieures à Khnoumhotep I",
il devient presque certain que l'intervalle entre l'Unification de
l'Egypte et la fin de la XI e dynastie pourrait parfaitement être
comblé, et cela impliquerait, comme à Deir el-Bersha, une conti
nuité du régime nomarcal. On doit aussi rendre compte du fait —
admis d'ailleurs par G E S T E R M A N N — que plusieurs des grandes
tombes anépigraphes de Beni Hasan pourraient avoir été occu
pées par des nomarques" 7 . Il me semble alors que la chute tem-
1 1 4 . Pour un aperçu de la problématique, voir WILLEMS, JEOL 28 (1983-1984), p. 92. 115. Kontinuität und Wandel, p. 180-189 ; on notera que l'auteur n'a pas encore pu
tenir compte de mon article mentionné dans la note précédente.
116. HÖIZL , dans : Sesto congresso internaziona/e di egittologia II, p. 279-283. 117 II convient également de rappeler un fragment de stèle encore inédit, provenant
d'une tombe à Dendara, qui fait état d'un <hr.y>-tp 'J n nu-hd, « nomarque du nome
de l 'Oryx ». La datation en est malheureusement incertaine. La stèle appartenait à un
certain Rediouikhnoum qui, selon certains, serait un descendant du Rediouikhnoum,
propriétaire de la stèle bien connue du musée du Caire C G 20543. Sur la base de
cette hypothèse, le deuxième Rediouikhnoum a été daté du règne de Montouhotep II
(GOMAÀ, Erste Zwischenzeit, p. 116 et 152-153 ; GESTERMANN, Kontinuität und Wandel, p. 171 )• Si cette datation peut être confirmée, on aurait une preuve indépendante de
l'existence de nomarques à Beni Hasan à cette époque.
5 1
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
poraire des nomarques, que supposait l 'hypothèse de
G H S T H R M A N N , n'a que peu de vraisemblance' 8 .
Le cas assuré de Deir el-Bersha, et les cas vraisemblables de
Beni Hasan et Assiout, peut-être avec une courte interruption
pour cette dernière, semblent indiquer qu'en Moyenne Egypte,
le régime nomarcal n'a pas été interrompu par la chute des
Héracléopolitains. Il n'est pas exclu que des circonstances com
parables aient prévalu dans d'autres nomes de Moyenne Egypte.
Par exemple, le cimetière des gouverneurs du dix-septième
nome de Haute Egypte, à Tehna el-Gebel, a été largement
détruit, de sorte qu'on ne peut pratiquement rien dire sur l'his
toire de ces fonctionnaires.
Pendant la XII' dynastie, l 'existence des nomarques peut
clairement être mise en évidence en Moyenne Egypte. Dans le
sud de ce qui avait été la région héracléopolitaine, à Akhmim,
on ne connaît qu'une référence à un nomarque appelé Antef, et
datable du règne d'Amenemhat I " "\ Dans le onzième nome, à
Deir Rifa, il y en a deux 1 2". Dans le douzième nome, régnait une
famille très influente dont les tombes énormes à Qaw el-Kebir
sont parmi les plus grandes de l 'époque, bien que le titre hr.y-
tp fasse défaut dans la documentation. Pour l'instant, on ne
s'occupera donc pas de ces personnages 1 2 1 . A Assiout, dans la
nécropole gigantesque qui s'y développait, il n'y a que deux
individus qui se qualifient de « nomarque » : le fameux
Djetaihâpi 1 e r, daté du règne de Sénousret I e r 1 2 2 et Djefaihâpi II
118. Point de vue implicitement accepté par PARDEY, « Provincial Administration », dans :
The Oxford Encyclopedia of Ancient Egypt I, p. 18, et RABEHL, Amenemrief, p. 11-17. 119. Stèle Caire C G 20024. Pour la datation de ce document, voir FRANKE,
Personendaten, p. 112 (132]. 120. Tombes I et VII à Deir Rifa : voir MONTET, Kêmi 6 (1936), p. 138-143 et 156-163. 121. Pour ces personnages, voir W . GRAJETZKI, GM 156 (1997), p. 55-02. 122. Tombe I à Assiout ; voir pour les inscriptions GRIFFITH, Siût and Dér Rîfeh, pl.
1-8 ; MONTET, Kêmi 3 (1930-1935), p. 45-86. Pour la b ib l iographie, voir Z I T M A N ,
The Necropolis of Assiut, p. 34.
52
LA CULTURE NOMARCALE
qui, selon Z I T M A N , aurait vécu à la même époque 1 ' ' . Plusieurs
propriétaires de grandes tombes d'Assiout étaient essentielle
ment dotés du titre sacerdotal im.y-r hm.w ntr porté aussi par
bien des nomarques. Le fait que les tombes ont été si mal
publiées laisse soupçonner que d'autres notables enterrés dans
cette nécropole pourraient également avoir été des nomarques.
A Meir, cimetière des notables du quatorzième nome, se trouve
un groupe de tombes de chefs de prêtres dont l'un, daté du
règne de Sénousret I", s'appelle explicitement nomarque 1 2 4 .
A Deir el-Bersha et à Beni Hasan, on décompte une dizaine
environ de nomarques si bien connus qu'il n'est pas nécessaire
de les évoquer plus longuement 1 " . L'autobiographie de
Khnoumhotep II à Beni Hasan fait aussi état de son grand-père
maternel qui aurait été nomarque du dix-septième nome 1 ' 6 .
L'emplacement des tombes de ce dernier groupe de fonction
naires a été clarifié, assez récemment, grâce aux fouilles japo
naises àTehna el-Gebel, qui ont apporté la preuve que le tem
ple romain creusé dans la falaise de Tehna est, en fait, une vaste
tombe du Moyen Empire, réutilisée. A côté, il en subsiste plu
sieurs autres 1 2 7 . Enfin, l'équipe de l'Université de Pise a décou
vert, il y a quelques années, deux grandes tombes à Kôm el-
Khalwa, dans le Fayoum. Malheureusement, ces monuments
123. Tombe I I à Assiout ; voir pour les inscriptions GRIFFITH, Siût and Dêr Rifeh, pl. 10 ; MONTET, Kêmi 3 (1930-1935], p. 86-89. P ° u r 1° bibl iographie, voir Z I T M A N ,
loc. cit. Pour la datation, voir Z I T M A N , op. cit., p. 28-29 et p. 33. On doit avouer
que les arguments en faveur de cette datation ne sont pas suffisamment solides
pour pouvoir exclure une date plus basse.
124. Il s'agit de Oukhhotep fils de Senbi : voir M e i r I I , pl. XII. Bien que les autres
fonctionnaires enterrés au même endroit ne portent pas ce titre, le cimetière semble
appartenir à une seule famille d'administrateurs. Il n'est pas douteux que les autres
font partie de la même couche sociale, même s'ils ne portent pas le titre hr.y-tp CJ.
Pour l'histoire de cette famille, voir WILLEMS, Chests of Life, p. 82-87. 125. Pour un aperçu des sources, voir WILLEMS, JEOL 28 (1983-1984], p. 81-86 ; 92 ; 102 ; IDEM, Chests of Life, p. 62-81 ; GESTERMANN, Kontinuität und Wandel, p. 173-189 ; FAVRY, Nomarque, p. 309-314. 126. À en juger par le titre hqj Inpw : ßeni Hasan I, pl. XXVI, 123.
127. Akoris, p. 27-33. P ° u r un p ' a r i de la zone des tombes, voir p. 44.
53
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
très mal préservés n'ont pas encore été publiés ; mais, à partir
d'articles préliminaires, on peut conclure que le propriétaire
Ouadj était non seulement hj.ty-' im.y-r hm.w-ntr I im.y-r hw.t-
ntr, mais aussi hr.y-tp sh.t. Ce dernier titre semble être
construit selon le modèle du titre hr.y-tp 'j n spJ.t/NoME, la
désignation géographique étant ici sh.t, « champ », sans doute
pour désigner le Fayoum 1 2 8 . Pour finir, une fausse-porte trouvée
à Héliopolis, et probablement datable de la fin de la XI e dynas
tie ou du tout début de la XIL, fait aussi état d'un nomarque du
treizième nome de Basse Egypte' 2 9 .
Il va sans dire que notre documentation est très incomplète,
mais on ne peut nier le fait que les nomarques n'étaient pas une
rareté en Moyenne Egypte, et qu'il semble possible sur la base
du dernier document cité qu'ils aient aussi existé dans le Delta.
Pour le sud de l'Egypte, la situation est complètement dif
férente. Là, trois nomarques seulement sont connus selon
G E S T E R M A N N " 0 , auxquels F A V R Y en ajoute un quatrième 1 3 1 . 11
est nécessaire d'étudier cette liste de plus près.
Une stèle du Pétrie Museum de Londres mentionne un cer
tain Montouhotep qui aurait été nomarque du quatrième
n o m e " 2 . Mais, en fait, la stèle ne contient aucun indice prou-
128. Voir BRESCIANI, EVO 20-21 (1997-1998), p. 11 ; 14 ; 17-18 (pilastre 4, face B, D) ;
31, f ig. 7. Le titre hr.y-tp sh.t est discuté par BRESCIANI, EVO 4 (1981), p. 9 et n. e.
129. Texte publié par S IMPSON, JARCE 38 (2001), p. 12, f ig. 1 ; p. 14 ; p. )8 ; voir
aussi FRANKE, Das Heiligtum des Heqaib, p. 13, n. 26. Je remercie DETLEF FRANKE
pour m'avoir communiqué la référence de l 'article de S IMPSON.
130. GESTERMANN, Kontinuität und Wandel, p. 172-173; point de vue accepté par
MÜLLER-WOLLERMANN, DE 13 (1989), p. 112. 131. FAVRY, Nomarque, p. 72-75. 132. Stèle UCL14833; voir GOEDICKE, JEA 48 (1962), p. 25-35; STEWART, Egyptian
Stelae II, p. 20 et pl. 18. L'étude la plus récente de ce document est celle de BEYLAGE,
dans : Ägypten - Münster, p. 17-32. Le point de vue selon lequel Montouhotep aurait
été nomarque est attribué par GESTERMANN, Kontinuität und Wandel, p. 172, et FAVRY,
Nomarque, p. 71-72, à BERLEV ; voir BiOr 38 (198 IJ , col. 318-319. Mais, en fait,
BERLEV ne fait pas cette suggestion, et, étant donné que GESTERMANN et FAVRY n'appor
tent aucun indice nouveau, l'hypothèse n'a que peu de vraisemblance.
5 4
LA CULTURE NOMARCALE
vant que Montouhotep était nomarque, sa titulature étant res
treinte à ir.y p'.t ItJ.ty-' im.y-r hm.w Mr. De surcroît, il ressort
clairement de son autobiographie qu'il menait ses activités dans
la ville d'Armant qui, autant qu'on sache, n'a jamais été le siège
du gouverneur du quatrième nome de Haute Egypte'" . Il en est
de même pour Oupouaoutaâ qui, selon FAVRY , aurait aussi été
nomarque. Cette interprétation se fonde sur la ligne i 2 de la
stèle Leyde V4 , lue par cet auteur comme « Je suis le fils d'un
dignitaire, (un homme) important du nome thinite » H 4 . Bien
que cette traduction soit possible, on peut également compren
dre « J e suis le fils d'un grand dignitaire du nome thinite ».
Dans les deux cas, le texte renvoie, certes, à un homme impor
tant résidant dans le huitième nome, mais ce n'équivaut pas for
cément à un nomarque.
Une statue aujourd'hui conservée au musée du Caire (CG
4 0 4 ) représente un personnage appelé Horhotep qui porte la
titulature de ir.y-p'.t hc.ty-' hr.y-hb.t im.y-r hm.w-ntr hr.y-tp 'J n
Nhn. On a indubitablement affaire à un homme qui se nomme
nomarque. Malheureusement, le contexte historique nous
échappe" 5 . On ignore la datation exacte de la statue et, à la dif
férence des nomarques de Moyenne Egypte, on ne connaît pas
non plus de tombe monumentale appartenant à son proprié
taire. S'il date vraiment de la XII e dynastie, on doit conclure
qu'il ne descend pas d'une ancienne lignée nomarcale puisque,
on vient de le voir, ces fonctionnaires semblent avoir été sup
primés au cours de la Première Période Intermédiaire dans le
sud de l'Egypte. Il s'agirait donc d'un individu qui pourrait
avoir été nommé au cours de la XII e dvnastie. j
>33- FRANKE, lui, considère qu' i l s'agit d'un maire d'Armant : Das Heiligtum des Heqaib, p. 13 ; IDEM, ß iOr 62 (2005), col. 464. 134. FAVRY, op. cit., p. 72-75, et particulièrement p. 75. Pour le texte, voir BOESER,
Beschrijving I, p l . IV.
'35- BORCHARDT, Statuen und Statuetten I I , p. 17 et p l . 66 ; voir aussi FRANKE, op. cit., p. 13, n. 26.
5 5
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Il reste le cas très important de Sarenpout I e r , le grand chef du premier nome de Haute Egypte, qui a obtenu son poste pendant le règne de Sénousret I". La famille des dirigeants d'Assouan est très bien documentée sur la base de leurs tombes et des textes de la chapelle de Héqaib" 6 , mais la titulature nomarcale n'y est pas attestée avant le règne de Sarenpout I ". En revanche, celui-ci inclut deux fois le titre de nomarque dans les inscriptions de sa tombe gigantesque au Qubbet el-Hawa' M 7 . Plus tard, le même titre figure aussi sur la statue de Sarenpout II (règne de Sénousret II), qui se trouvait dans la chapelle de Héqaib à Elephantine n s .
L'apparition de ce titre pendant le règne de Sénousret I" dans la région d'Assouan n'est probablement pas due au hasard. A cette époque, les Egyptiens commencèrent la colonisation de la Nubie, signalée sur le plan archéologique surtout par la construction des grandes forteresses nubiennes. Assouan, ville méridionale du pays, devait avoir acquis une importance capitale, comme point de passage pour les troupes militaires, pour les bâtisseurs, et pour les exploitants des mines d'or de la Nubie, dont le contrôle devait être assuré par les forteresses. L'autobiographie de Sarenpout ne laisse aucun doute sur le fait que, dans ces conditions très spéciales, un rapport étroit s'était établi entre lui et le roi. Elle explique que le roi envoyait des serviteurs et des centaines de bâtisseurs pour construire la tombe monumentale du nomarque. Un passage du texte montre de manière inhabituelle que Sarenpout I" avait une pleine confiance en lui-même :
136. Pour une discussion approfondie, voir FRANKE, Das Heiligrum des Heqaib, p. 207-210. 137. Urk. VII, p. 6, 5 et 17 ; dans Urk. VII, p. 2,11 et dans la stèle 10, x + 13 (HABACHI ,
The Sanctuary of Heqaib I, p. 38 et II, pl. 25), il se compare à d'autres « chefs de
nomes », hqs.w spj.wt. Pour la titulature de Sarenpout, voir aussi FRANKE, op. cit., p.
215.
138. Voir HABACHI , The Sanctuary of Heqaib I, p. 4 2 , f ig. 4 et II, pl. 37 b.
5 6
LA CULTURE NOMARCALE
Les dieux qui sont dans la suite d'Elephantine mettent en place pour moi sa Majesté en tant que roi, et façonnent pour moi le roi de nouveau, de nouveau, de sorte qu'il répète pour moi des millions deßtes-sed' ".
Sarenpout semble formuler son texte d'un ton arrogant presque sans parallèle dans la documentation égyptienne, puisque le pharaon est réduit à une créature mise au monde pour le seul bien-être de son gouverneur du premier nome de Haute Egypte. Le reste de son autobiographie dresse aussi l'image d'un fonctionnaire sans égal. Même si l'on suppose que le texte force la note, il reste que le statut de Sarenpout semble avoir dépassé les limites traditionnelles, sans doute dans le contexte des entreprises militaires et économiques en Nubie. Ce n'est donc probablement pas une coïncidence si précisément Sarenpout a été doté du titre de nomarque, titre qui réapparaît dans la même famille au temps de son successeur Sarenpout II ' 4 0 . Le système administratif montre alors une tendance aux variations : tandis que les nomarques de Beni Hasan et Deir el-Bersha étaient membres d'une lignée de gouverneurs munis du titre hr.y-tp le cas de Sarenpout relève d'un système dynamique, puisque, sans être originaire d'une lignée de gouverneurs, il fut nommé en tant que nomarque. Un phénomène comparable s'est peut-être produit également en Movenne Egypte, à Meir 1 4 1 , et pourrait aussi expliquer l'apparition de nomarques solitaires comme Horhotep d'Hiérakonpolis et Antef
'39- Urk. VII, p. 4,3-6. Voir le commentaire de FRANKE, op. cit., p. 24, qui traduit ce
passage comme une série de vœux.
140. Cette description suit les grandes lignes de l'analyse de FRANKE, Das Heiligtum des Heqaib, p. 8-27. Mais je crois qu'i l va trop loin quand il dit que Sarenpout I"
était un « parvenu » dont aucun des ancêtres ne portait de titres officiels. Pour une
interprétation différente, voir WILLEMS, Heqata, p. 18-20. 141. WILLEMS, C/iesfs of Life, p. 85-87.
5 7
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
d'Akhmim que je viens de mentionner. Cependant, même si
l 'on admet qu'il était possible, en principe, de nommer des
nomarques partout en Egypte, la comparaison quantitative
entre la Moyenne Egypte et les nomes méridionaux montre
sans le moindre doute que les nomarques sont beaucoup plus
rares dans le sud. Cette différence ne peut guère relever du
hasard.
Il me semble clair que le système administratif provincial
n'était donc pas du tout un système monolithique applicable à tra
vers toute l'Egypte. Je crois pouvoir reconnaître deux principes
partiellement contre-productifs : traditionalisme et dynamisme.
Traditionalisme : On a examiné l'idée de G E S T E R M A N N
selon laquelle, pendant une période d'une vingtaine d'années
après la victoire thébaine, le système administratif thébain aurait
été implanté dans toute l'Egypte, en supprimant les nomes dans
le nord. Par la suite, et dans toute l'Egypte encore, la subdivi
sion en nomes aurait été réintroduite. L'enquête que je viens de
mener montre que cette vision est inexacte. Premièrement, les
nomarques n'ont pas disparu avant la fin de la XIL dynastie. Il
continuaient d'exercer leur fonction au moins dans certaines
parties de la Moyenne Egypte et, peut-être, dans le Delta, ce qui
équivaut au territoire originairement héracléopolitain. Mais
dans le sud de l'Egypte, on ne connaît que très peu de nomar
ques et il n'y a aucun indice attestant l 'existence de lignées de
nomarques dans cette région. Il semble donc que l'unification
du pays sous Montouhotep II n'ait guère affecté l'administration
régionale. Dans le sud, il n'y avait pas de nomarques avant cet
événement, situation qui a perduré par la suite. Dans le nord, les
provinces avaient été gérées par des nomarques, et cet état de
fait se maintint également après la victoire thébaine. Ainsi, il
semble que, même après l'établissement du Moyen Empire, une
différence administrative a subsisté entre les deux régions. Il
n'existe pas d'élément permettant de supposer l'existence d'un
système monolithique dans les deux moitiés du pays.
5 8
LA CULTURE NOMARCALE
Dynamisme : Bien que je sois convaincu que le système
administratif différait, ou bien continuait à différer, entre le
nord et le sud, certaines nuances sont à apporter. Même dans
ces territoires, on ne dispose pas de preuves pour démontrer
l'existence d'un régime monolithique. Pour plusieurs régions,
on ne possède aucune information sur le genre d'administra
teurs en fonction. Dans une autre publication, j 'ai ainsi essayé
de montrer qu'avant le règne d'Amenemhat I' r, il n'est pas cer
tain que des nomarques aient existé dans le quatorzième nome
de Haute Egypte 1 4 2 . On vient aussi de voir que le nomarque
Sarenpout I e r fut installé, apparemment sans précédent local,
pendant le règne de Sénousret I" et, dans ce cas isolé, il semble
qu'un nomarque ait été nommé dans une région où ce type
d'administrateur n'avait jamais existé auparavant — jamais,
parce que même à l'Ancien Empire, époque où l'on suppose
que les nomarques étaient en poste presque partout en Haute
Egypte, ce n'était évidemment pas le cas dans le premier
nome 1 4 3 . Il faut avouer qu'il est possible que des circonstances
particulières aient conduit à l'installation, ou à la suppression,
des nomarques. Ce qui me semble clair néanmoins, c'est qu'en
Moyenne Egypte de vraies lignées de nomarques restaient en
place ici et là.
LE TITRE DE N O M A R Q U E EN ÉGYPTIEN
ET D A N S L ' É G Y P T O L O G I E
Notre enquête à propos des nomarques a été jusqu'ici
concentrée presque entièrement sur les hr.y.w-tp CJ n
'42. WILLEMS, Chests of Life, p. 82-87. M3- Plusieurs égyptologues ont défendu l'hypothèse qu'un exemple isolé du titre
hr.y-tp 'j n Spj.t existe sur une jarre inscrite à l 'encre, qui fut découverte par EDEL à
Qubbet el-Hawa'. Mais selon une enquête récente de M. MÜLLER, la transcription
de EDEL est à revoir : GM 194 (2003), p. 51-57.
5 9
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
spJ.t/NoME, « grands chefs de nome », en suivant la remarque
de K . B A E R , selon laquelle eux seuls étaient des vrais nomar
ques' 4 4 . Mais il n'est peut-être pas réaliste de supposer qu'il
existait toujours un rapport direct entre fonctions effective
ment remplies et dénominations de fonctionnaires. Il pourrait
être utile de faire la comparaison avec le système actuellement
utilisé aux Pays-Bas pour l'administration provinciale. Chacune
des provinces y est dirigée par un gouverneur qui porte le titre
de « commissaire de la reine ». Il y a, toutefois, une exception
à cette règle. Le chef de la province de Limbourg, qui a les
mêmes responsabilités que ses collègues dans les autres provin
ces, peut aussi être appelé, pour des raisons que j ' ignore, « gou
verneur du Limbourg ». Si, dans un pays moderne et haute
ment bureaucratisé comme les Pays-Bas, un seul type de fonc
tion peut être désigné par des titres différents, ne serait-il pas
vraisemblable qu'en Egypte ancienne la terminologie adminis
trative ait pu être encore moins homogène ?
Tout récemment, S. Q U I R K E a publié un petit livre sous le
titre Titles and Bureaux in Ancient Egypt où il fait des remarques
très significatives. Il souligne a juste titre que l'égyptologie a eu
tendance à considérer les titres administratifs comme le reflet
d'une hiérarchie hautement formalisée. Mais, pour lui, il est
vraisemblable que la hiérarchie véritable nous échappe dans
une grande mesure, étant dominée par des relations informel
les, comme celles de parenté ou de statut' 4 5 . C'est en fait dans
ce domaine scientifiquement presque invisible que se jouaient
les vrais enjeux du pouvoir, camouflé par le manteau de la titu
lature qui confère une impression de formalité et d'impartia
lité. Selon Q U I R K E , ce qui aggrave encore la situation, c'est que
les chercheurs scientifiques, dans leur désir de comprendre « le
144. Voir supra, n. 3, p. 6.
145. Q U I R K E , Titles and Bureaux, p. 4-5.
6 0
LA CULTURE NOMARCALE
système », créent des structures que les Égyptiens eux-mêmes
ne reconnaîtraient peut-être pas.
Une acceptation totale de ce point de vue impliquerait que
la titulature des fonctionnaires n'est pas significative et ne tra
duit pratiquement pas les répartitions réelles du pouvoir dans
l'administration. Il me semble évident que ce serait là une posi
tion de beaucoup trop extrême. Étant donné le nombre d'étu
des fondamentales consacrées aux titres administratifs par
Q U I R K E lui-même, il est clair que, lui non plus, ne suppose pas
que la titulature ne signifie rien. Ce qu'il me semble suggérer,
c'est qu'il faut accepter l'administration en tant que système
dynamique comportant à la fois des éléments formels et d'au
tres informels. Ce qui implique que la titulature ne nous
informe pas complètement sur ce qui se déroulait dans le
monde des administrateurs.
Par exemple, pour l'Ancien Empire, on connaît beaucoup
de hr.y.w-tp 'J, mais à Assouan, ce titre n'existait pas. Là, les
plus hauts fonctionnaires, comme Hirkhouf et Heqaib, étaient
désignés par le titre de « chef d'expéditions ». Leurs tombes
présentent des caractéristiques de monumentalité comparables
à celles des gouverneurs dans les autres provinces, et leurs
autobiographies donnent l'impression que ces gens apparte
naient au moins à la même couche sociale que les nomarques
plus au nord 1 4 6 . Étant donné que les hr.y.w-tp 'j font, là, totale
ment défaut, n'est-il pas plausible que les fonctions locales des
« chefs d'expédition » aient été plus ou moins comparables avec
ce qui était désigné ailleurs comme hr.y-tp 's, mais avec une res
ponsabilité supplémentaire pour les expéditions ? De la même
manière, n'est-il pas raisonnable de supposer que les /îgj.w
whj.t, « chefs de l'oasis », résidant à rAyn Asil dans l'Oasis de
Dakhla remplissaient plus ou moins les mêmes tâches que les
146. L'hypothèse que les nomarques résidaient à Kôm O m b o est, comme l'a remar
qué FRANKE, Das Heiligtum des Heqaib, p. 11, sans preuve.
6 l
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
nomarques, à côté de leur responsabilité évidente de chefs de
caravanes ?
Dans ces deux cas, la conclusion que je propose paraît vraisemblable du fait que ces hauts fonctionnaires provinciaux étaient les seuls dans leur région. Un cas un peu plus difficile à cerner est celui des im.y.w-r hm.w-ntr, « chefs des prêtres ». Pendant l 'Ancien Empire, il semble possible qu'ils aient parfois revêtu une fonction différenciée de celle des nomarques, mais il est généralement admis que cette répartition des rôles n'est pas facile à dégager, surtout vers la fin de l'Ancien Empire et pendant la Première Période Intermédiaire. Désormais, en effet, beaucoup d'entre les nomarques portaient aussi le titre de chef des prêtres. Il était apparemment devenu normal pour un nomarque de diriger à la fois les institutions civiles et religieuses du nome. Il existe même des indices laissant supposer que les temples ont pu, à maintes reprises, constituer la base du pouvoir des nomarques à la fin de l'Ancien Empire 1 4 7 .
Après la Première Période Intermédiaire, la situation changea à nouveau. La Moyenne Egypte était conduite, au moins dans plusieurs nomes, par un hr.y-tp " J 1 4 8 . Mais dans d'autres cas, parfois très significatifs, comme Assiout, ce titre fait presque entièrement défaut. Néanmoins, les énormes tombes dans ces nécropoles ne laissent aucun doute sur le rôle primordial de ces personnages. Est-ce que le statut de ces chefs de prêtres était très différent de celui des nomarques (hr.y-tp ' j / 4 9 ?
Nous ne pouvons nous faire une idée sur ces fonctionnaires qu'en nous appuyant sur deux types d'informations. Le pre-
147. Voir n. 8o, 82, p. 34-35. 148. Fréquemment, ces personnes étaient aussi des chefs de prêtres.
149. Pour compliquer encore plus la situation : est-il certain que tous les chefs des
prêtres avaient les mêmes pouvoirs ? Pendant l 'Ancien Empire, il existait des diffé
rences concernant l ' importance des divers temples, ce qui se reflète dans le rôle
polit ique des porteurs des titres. La même situation pourrait avoir existé pendant le
Moyen Empire : voir un cas possible d'un tel chef de prêtres, un certain
Montouhotep, discuté n. 132, p. 54.
6 2
LA CULTURE NOMARCALE
mier est leur titulature qui est très variée, et peut différer d'une
région à l'autre. Il est néanmoins un fait capital : les maires de
H E L C K sont pratiquement absents, sauf à Beni Hasan, mais là,
on rencontre aussi des « vrais » nomarques du type hr.y-tp
Deuxièmement, un nombre assez restreint de « maires de
villes » sont connus par les textes de l 'époque 1 5 1 . Mais on n'a
retrouvé aucun cimetière de maires comparable aux cimetières
traditionnellement appelés « nomarcaux ». À mon avis, cette
situation ne laisse aucun doute sur le fait que la classe des mai
res existait bel et bien, mais qu'il s'agissait d'un groupe de per
sonnes encore restreint et d'un statut social très différent de
celui des grands seigneurs provinciaux. Ces derniers, surtout
en Moyenne Egypte, possédaient de vastes monuments funérai
res d'un type qui n'est guère connu ailleurs.
Ce point de vue va à l 'encontre de l'opinion de plusieurs
égyptologues. Dans une étude récente , par exemple ,
G R A J E T Z K I décrit les propriétaires des grandes tombes à Qaw
el-Kebir comme des « maires » (hs.ty-')'''2. La titulature du type
très répandu hJ.ty-' im.y-r hm.w-ntr a également été interprétée
comme désignation de personnes qui réunissent les fonctions
de « maire » et de « chef des prêtres » ' " . Cette titulature est
très fréquente à Assiout 1 5 4 , ainsi qu'à Qaw el-Kebir. Le titre
hj.ty-' associé avec im.y-r hm.w-ntr ou im.y-r hw.t-ntr apparaît
150. O n connaît plusieurs cas de personnages qui étaient hJty-( n Mn't-Hwi-f-wi,
« maire de Menat-Khoufou ». Il semble que pour plusieurs d'entre eux, cette fonc
tion ait correspondu à une phase intermédiaire dans une carrière qui aboutissait au
nomarcat : voir le schéma dans GESTERMANN, Kontinuität und Wandel, p. 187.
151. Voir n. 87, p. 37.
152. GRAJETZKI, G M 156 I1997), p. 55-62. 153- FRANKE, Das Heiligtum des Heqaib, p. 11, n. 21, avec des renvois à d'autres
publications.
154- Voir la liste dans Z I T M A N , The Necropolis of Assiuf, p. 34-38, où l'on consta
tera que le titre hJ.ty-' apparaît aussi seul. Z I T M A N , qui évite judicieusement de pren
dre position dans le débat, désigne systématiquement les propriétaires des grandes
tombes d'Assiout comme « mayors/nomarchs ». Pour un « nouveau » hj.ty-' a
Assiout, voir BECKER, G M 210 (2006), p. 8.
6 3
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
également dans les tombes monumentales récemment découvertes à Kôm el-Khalwa (Fayoum).
A Qaw el-Kebir, à Assiout et à Kôm el-Khalwa'", on aurait
donc affaire à un groupe social distinct de celui des nomarques
de Deir el-Bersha et de Beni Hasan. Il s'agirait des sites où sont
creusées les tombes des maires qui, apparemment, dans la plu
part des cas, étaient aussi « chefs des prêtres ».
Je crois qu'on est ici en présence d'une confusion de termino
logie. J'accepte la proposition de H E L C K avançant que l'existence
des « maires » est déjà bien établie pendant le Moyen Empire, et
que ces hommes étaient nommés hj.ty-' n N O M D E V I L L E . Mais ceci
n'implique aucunement que le titre hj.ty-' avait la même connota
tion dans d'autres constructions, comme hj.ty-' im.y-r hm.w-ntr'5t.
Pour ma part, je pense que le titulaire était fonctionnellement
chef des prêtres, et qu'il portait, comme d'autres hauts fonction
naires, le titre de rang de hJ.ty-ail. Dans d'autres cas, où le titre
hj.ty-' est suivi d'un nom de personne, il doit s'agir d'une abrévia-
155. Si l'on interprète le titre hr.y-tp sh.t comme variante du titre nomarcal hr.y-tp
'J, les tombes de Kôm el-Khalwa devraient être écartées de cette liste : voir n. 128,
P- 54-156. HELCK, Verwaltung, p. 208-210. Les pages citées du livre de HELCK ont exercé une
grande influence, mais elles ne me convainquent pas du tout. Il décrit une situation où
l'on voit, d'un côté, l'apparition d'un hj.ty-' n Mit.t-Hwi-f-wi, « maire de Menat-
Khoufou » à Beni Hasan et, de l'autre, le titre hj.ty-' placé directement devant le nom
d'un administrateur. Le seul fait de la position de ce terme suffit à HELCK pour affirmer
qu'il s'agit, non d'un titre de rang, mais d'un titre désignant une profession : celle de
maire. Il en résulte un nombre très élevé de maires, parce que beaucoup de gouverneurs
sont désignés dans leurs tombes comme hj.ty-' N. Mais le principe général selon lequel
un titre placé dans cette position doit forcément désigner une fonction réelle ne m'a
jamais paru probant ; j 'ai discuté d'un exemple problématique dans Dayr a/-ßarshä I,
p. 100-102. Dans le cas spécifique des hj.ty-', la situation est particulièrement délicate
parce que ce titre très répandu était souvent utilisé dans un sens honorifique (voir les
remarques de FISCHER, Dendera, p. 71-72), et était employé comme titre d'adresse, un
peu comme dans notre « monsieur » (voir Conte du Naufragé, I. 2). O n ne parlera donc
d'un maire que dans le cas où le titre hj.ty-' est suivi du nom de la ville.
157- M o n interprétation va à l'inverse de celle de QUIRKE, qui écrit : « Following
regular M idd le Kingdom practice, the post of temple manager was held by the lea
ding official of the main settlement (fury-') to form a composite position hjty-' imy-
r hw.t-nlrlhmw-ntr » [Administration, p. 161).
6 4
LA CULTURE NOMARCALE
tion d'un title string comportant l'élément Iv.ty-'. Ce qui implique
que le titre peut indiquer un maire, mais ne le fait pas forcé
ment 1 5 8 . En outre, les propriétaires des grandes tombes de Qaw
el-Kebir, Assiout, et Kôm el-Khalwa bénéficiaient d'une titulature
dont les éléments (hj.ty-' et im.y-r hm.w-ntr) sont des traits régu
liers dans les titulatures des nomarques.
Il est possible qu'il ait existé une differentiation réelle entre
seigneurs locaux appelés « nomarque » ou « chef des prêtres ».
Dans les cas fréquents où les nomarques étaient aussi chefs des
prêtres, il est envisageable que leurs responsabilités aient été
plus diversifiées que celles d'un « simple » hJ.ty-' im.y-r hm.w-
ntr . Mais, on vient de le voir, un tel raisonnement fondé sur une
traduction littérale des titres pourrait conduire à des simplifica
tions. La dimension des tombes de Qubbet el-Hawa', Qaw el-
Kebir, Deir Rifa, Assiout, Meir, Deir el-Bersha, Beni Hasan,
Tehna el-Gebel et Kôm el-Khalwa est sans parallèle dans le
reste de la Haute Egypte, ce qui suggère qu'on a affaire à une
couche sociale très réelle, et probablement différente de celle
des « maires ». Il est vraisemblable que la taille de leurs tombes
est le reflet de l ' importance de leur position durant leur vie.
Tout semble indiquer qu'on se trouve en face d'un groupe
peut-être hétérogène en titulature, mais homogène en statut.
La répartition géographique montre , de surcroît , que ces sei
gneurs régionaux étaient actifs surtout en Moyenne Egypte.
Dans les chapitres suivants, j e m e propose d'envisager ces
personnages non comme fonctionnaires, mais c o m m e membres
d'une couche sociale, comme représentants de ce que j e vais
appeler, à la suite de K E M P , la « Nomarchie ».
158. Pour la variabilité des fonctions de personnes intitulées hJ.ty-'. voir CZERNY, A&L 11 (2001 ), p. 23-25. Un exemple existe encore où on peut entrevoir le contexte dans lequel
vivaient les hsty-' im.y-r hm.w-ntr. Il s'agit du palais des gouverneurs de Tell Basta ; voir
VAN SICLEN, dans : Akten des 4. int. Ägypto/ogenfcongresses IV, p. l 8 7 - l ° 4 •' I D E M ' D A N S :
Haus und Palast im alten Ägypten, p. 239-246. De ces publications, il ne ressort pas
assez clairement qu'une partie seulement du palais a été fouillée ; le palais, estime par
VAN SICLEN à une superficie d'un hectare, devait être sensiblement plus vaste.
CHAPITRE II UN CIMETIÈRE NOMARCAL
DU MOYEN EMPIRE : DEIR EL-BERSHA
L es hauts-lieux de la « Nomarchie » du Moyen
Empire sont bien connus. Il s'agit des sites de
Qaw el-Kebir, Deir Rifa, Assiout, Meir, Deir el-
Bersha, Beni Hasan, Tehna el-Gebel et, en
dehors de la Moyenne Egypte, de Qubbet el-
Hawa' et Kôm el-Khalwa (voir fig. 7 ) . Mis à
part Tehna el-Gebel et Kôm el-Khalwa, qui n'ont été partielle
ment fouillés qu'assez récemment mais qui restent mal
publiés, tous ces cimetières ont été l 'objet de fouilles entre les
années 1 8 9 0 et 1 9 3 0 , approximativement. A cette époque, ils
suscitaient l'intérêt pour deux raisons surtout.
En premier lieu, les tombes monumentales de ces sites
contiennent un décor parfois de haute qualité. Il s'agit non
seulement de représentations picturales, mais aussi de longs
textes autobiographiques dont plusieurs avaient déjà attiré
l 'attention au X I X E siècle, et qui sont devenus, depuis, les
sources classiques de l'historiographie du Moyen Empire.
L'établissement de copies de ces tombes était dès lors
une tâche prioritaire dont l ' importance fut pleinement com
prise après la publication des inscriptions des tombes
d'Assiout et de Deir Rifa, effectuée par F. LL. G R I F F I T H en
6 7
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
DEIR EL-BERSHA
1 8 8 9 1 . Aussitôt après, d'autres missions, surtout britanniques,
s'occupèrent de la documentation épigraphique des autres
sites 2. À la même période, des fouilles commencèrent aussi
dans ces cimetières. Ces opérations de très grande échelle,
comme celles d 'E . S C H I A P A R E L L I à Assiout et à Qaw el-Kebir
( 1 9 0 Ç - 1 9 1 3 ) , sont tout à fait remarquables à plusieurs égards.
D'une part, le matériel trouvé se chiffre à des milliers d'objets
qui sont en grande majorité du plus haut intérêt. De l'autre,
S C H I A P A R E L L I ne prenait apparemment que peu de notes pen
dant ses fouilles et ne s'intéressait guère à la publication du
matériel. Le premier volume de la publication définitive d'une
partie du matériel — il s'agit de la tombe de Henib de Qaw el-
Kebir — n'a paru qu'en 2 0 0 3 ' . Le reste est encore, de nos jours,
en très grande majorité inédit. On peut s'étonner de ce man
que de sérieux de la part du fouilleur mais, en fait, son appro
che ne diffère pas tellement de ce qui se passait sur d'autres
sites similaires. Seules les fouilles de C H A S S I N A T et P A L A N Q U E à
Assiout 4, de G A R S T A N G à Beni Hasan 5, et de P É T R I E et
B R U N T O N dans la région de Qaw el-Kebir 6 furent rapidement
publiées, bien que, là aussi, on manque parfois d'éléments de
documentation essentiels comme, par exemple, un plan du site,
des descriptions détaillées des contextes fouillés ou une liste du
matériel trouvé. Seules les publications de B R U N T O N permet
tent de se faire une idée de l'ampleur de la documentation.
Dans d'autres cas, on ne possède que des articles donnant un
1. GRIFFITH, Siût and Dêr Rîfeh. Ces textes furent copiés à nouveau par MONTET, Kêmi 6 (1936), p. 138-163. 2 . Beni Hasan l-IV (1893) ; El Bersheh l-ll (1895) ; Meir l-VI (1915-1951) ; PÉTRIE,
Antaeopo/is ; pour les autobiographies de Qubbet el-Hawa', l'editio princeps est
celle de GARDINER, ZÀS 45 (1908), p. 123-140 ; voir aussi MÜLLER, Felsengräber. Les plus importantes des ces inscriptions ont été republiées dans Urk. VII. Voir aussi
les commentaires de EDEL, Seiträge.
3- C I A M P I N I , La sepoltura d i Henib.
4- CHASSINAT, PALANQUE, Fouilles d'Assiout. 5- GARSTANG, Burial Customs.
6. BRUNTON, Qau and Badari l-lll ; PÉTRIE, Antaeopo/is.
6 9
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
aperçu général. Ainsi, les rapports d'A. K A M A I . et J . CLF.DAT sur
leurs fouilles à Meir ne laissent que très rarement entrevoir où
ils travaillaient, et n'offrent qu'une présentation très incohé
rente, en forme de listes, de panneaux de sarcophages et d'au
tres objets retenus 7 . Les fouilles conduites en 1 9 1 c par G . A .
R E I S N E R à Deir el-Bersha sont restées entièrement inédites,
mais à sa décharge, on doit remarquer qu'il rassembla au moins
une documentation assez abondante, actuellement conservée
au Museum of Fine Arts de Boston 8 . Alors que K A M A L avait
fouillé une demi-année dans la plaine de Deir el-Bersha, aux
frais d'un certain M. A N T O N I N I , directeur de la sucrerie de la
ville de Mallawi, un seul objet fut considéré comme digne
d'une publication — une table d'offrandes en albâtre
q u ' A N T O N I N I offrira plus tard au Musée du Louvre 9 . Aucune
forme de documentation ne permet de se faire une idée sur le
déroulement des ces fouilles importantes.
L'aperçu précédent n'a pas pour but d'être complet, mais il
donne un panorama représentatif de la qualité de la documen
tation disponible sur les fouilles de ces sites. Depuis les travaux
de B R U N T O N et P É T R I E à Qaw el-Kebir, les grands projets
archéologiques dans les cimetières nomarcaux sont arrêtés.
Tout égyptologue qui a l'intention d'entreprendre des enquêtes
nouvelles sur la culture nomarcale doit, dès lors, travailler à
partir d'une documentation fort ancienne, incomplète, et biai-
sée. Cela se reflète, par exemple, dans le livre récent de W.
G R A J E T Z K I 1 0 qui se fonde essentiellement, en ce qui concerne le
7. CLÉDAT, BIT AO 1 (1901), p. 21-24 ; BIFAO 2 (1902), p. 41-43 ; KAMAL, ASAE 11 (1911), p. 7-39 ; ASAE 12 (1912), p. 97-127; ASAE 14 (1914], P- 45-87 ; ASAE 15 (1915), p. 246-258. 8. Voir pour la publication d'un objet de ces fouilles et un bref aperçu du déroule
ment de la campagne, TERRACE, Egyptian Paintings of the Middle Kingdom.
9. Je remercie Christophe BARBOTIN et Geneviève PIERRAT pour m'avoir fourni des
renseignements sur cet objet (Louvre D72). Pour la publication, voir KAMAL, ASAE 3
(1902), p. 276-277. 10. The Middle Kingdom of Ancient Egypt (London, 2 O 0 6 ) .
7 0
DEIR EL-BERSHA
problème de la culture nomarcale, sur des publications très
datées. Il ne peut en être différemment, étant donné les condi
tions décrites, mais il est clair qu'il est difficile sur cette base de
développer des approches nouvelles". C'est pourquoi il est
nécessaire de rouvrir des chantiers de fouille dans les cimetiè
res nomarcaux. En 2 0 0 2 , la K . U . Leuven a, pour cette raison,
mis en œuvre un tel projet à Deir el-Bersha 1 2 . Récemment, une
équipe germano-égyptienne, dirigée par J . K A H L , a conçu un
programme similaire et a entrepris des travaux archéologiques
et épigraphiques à Assiout".
Ce chapitre présentera quelques résultats des fouilles
conduites entre 2 0 0 2 et 2 0 0 6 à Deir el-Bersha. L'objectif n'est
pas d'offrir un rapport condensé de tous les travaux qui ont été
menés. Il ne s'agit non plus d'une présentation des objets les
plus remarquables. Il est surtout dans mon intention de pren
dre le site de Deir el-Bersha comme point de départ pour une
approche analytique de la culture nomarcale du Moyen Empire.
Bien sûr, on évoquera aussi les types de sources qui ont toujours
attiré l'attention, comme les textes autobiographiques et les
Textes des Cercueils. Mais il est important de ne pas isoler ces
sources de leur contexte social, historique, archéologique et
religieux.
11. Une exception est l'étude de SEIDLMAYER, Gräberfelder, qui essaye d'interpréter
les publications anciennes sur la base d'une familiarité profonde avec les différents
types de matériel archéologique souvent publiés de manière si lacunaire dans ces
ouvrages.
12. Pour une présentation de ce projet, voir WILLEMS, MDAIK 60 (2004), p. 243-247. Je remercie vivement les docteurs GABALLAH ' A L I GABALLAH et Z A H I HAWASS,
Secrétaires Généraux successifs du Hout Conseil des Antiquités et les membres du
Conseil, dont je mentionne spécialement M. SAMIR A N I S , Directeur Général des
Antiquités de Moyenne Egypte. Les fouilles sont rendues possibles grâce aux cré
dits importants fournis par le Fonds de Recherche de la K.U.Leuven et du F.W.O. -
Vlaanderen.
13. EL-KHADRAGY, KAHL, ENGEL, SAK 32 (2004), p. 233-243 ; KAHL, EL-KHADRAGY,
VERHOEVEN, SAK 33 (2005), p. 159-167.
7 1
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Si je mentionne l'aspect religieux en dernier lieu, il y a de
bonnes raisons à cela. Les bibliothèques égyptologiques four
millent d'études sur les dieux, les temples, et la théologie.Tout
égyptologue sait que ces aspects sont d'importance primordiale
dans les Textes des Cercueils, souvent inscrits sur les parois
intérieures des sarcophages du Moyen Empire 1 4 . La publication
de ce matériel correspond à 3 4 1 2 pages de textes hiéroglyphi
ques dont plus de la moitié a été trouvée à Deir el-Bersha. La
masse même de cette documentation implique qu'il s'agit d'un
corpus de la plus haute importance pour la compréhension de
la religion du Moyen Empire. Mais, bien que j 'espère pouvoir
apporter du nouveau sur la religion funéraire égyptienne, les
renvois aux Textes des Cercueils vont être épars. Je ne m'inté
resse pas tellement ici aux détails du contenu religieux des tex
tes, mais au fonctionnement de la religion funéraire dans la cul
ture nomarcale. Ce que je vais essayer de déterminer est, tout
particulièrement, qui utilisait le cimetière, comment, et, fina
lement, pourquoi. Comme on le verra, une approche contex-
tualisée de ce matériel sur la base d'un site spécifique permet
tra de nuancer le point de vue que les Textes des Cercueils sont
la source par excellence pour comprendre la religion funéraire
égyptienne du Moyen Empire.
L'exemple retenu de Deir el-Bersha est évidemment dû au
fait que ma recherche est axée prioritairement sur ce site. Mais
le choix de ce chantier de fouilles a été délibéré. Dans le chapi
tre précédent, on a vu qu'il s'agit d'un des principaux cimetiè
res nomarcaux. Toutefois, de grands secteurs n'en ont pas
encore été fouillés — à la différence de sites également impor
tants comme Beni Hasan où presque mille tombes ont été
vidées, il y a un siècle, par G A R S T A N G . L'intérêt du site
14 Publiés entre 1935 et 2006 par l'Université de Chicago dans les huit volumes
des CT.
7 2
DEIR EL-BERSHA
d' Assiout pourrait bien être plus grand encore que celui de Deir el-Bersha mais, là aussi, le terrain a été fouillé à plusieurs reprises. De surcroît, la zone archéologique d'Assiout est, d'une part, très vaste, et de l'autre, coupée de son environnement par les structures modernes au pied de la colline et par les banlieues de la grande ville d'Assiout.
Le site de Deir el-Bersha n'échappe pas non plus à l'expansion des zones habitées, des routes asphaltées et des terrains agricoles. Malgré tout, le paysage l'entourant est encore en grande mesure accessible à la recherche. Cela offre des possibilités pour une enquête qui englobe non seulement les vestiges archéologiques, mais aussi l 'environnement naturel dans l'Antiquité. Notre projet envisage, dès lors, l'étude de la répartition spatiale des différents cimetières et leur implantation sur le terrain. De cette manière, on espère pouvoir retrouver des indices concernant le fonctionnement du site dans sa globalité. Cela inclut, dans une certaine mesure, les relations avec la communauté à laquelle il appartenait. Deir el-Bersha était le cimetière principal de la ville d'el-Ashmounein, ancienne capitale du nome du Lièvre, où les nomarques et leurs cours ont sans doute vécu.
Deir el-Bersha est aussi un site-clé pour l'histoire du Moyen Empire. Les nomarques du nome du Lièvre sont bien connus, non seulement sur la base des textes autobiographiques de leurs tombes, mais aussi grâce aux graffiti rupestres qu'ils ont laissés dans les carrières de travertin, l'albâtre égyptien, à Hatnoub (voir fig. 7 ) 1 5 . Les deux groupes de sources permettent de suivre les événements dans cette partie de l'Egypte avec plus de détails que sur les autres sites nomarcaux.
La région de Deir el-Bersha se trouve à environ deux cent quatre-vingts kilomètres au sud du Caire, sur la rive orientale
15. Pour la publication de ces graffiti, voir ANTHES, Hatnub.
7 3
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
du Nil (fig. 8 - 9 ) . Le site constituait au Moyen Empire la nécropole la plus importante de la ville d'el-Ashmounein, centre de culte du dieu Thot. Tandis que la capitale se situait sur la rive ouest, le cimetière était installé de l'autre côté du Nil.
La rive orientale forme une zone restée, même de nos jours, très isolée. A cinq kilomètres approximativement au sud de Deir el-Bersha, juste au sud du site d'el-Sheikh Said, les falaises du Désert Oriental avancent jusqu'au bord du Nil, coupant presque, ainsi, la communication avec la zone d'Amarna plus loin au sud. Au nord du village de Deir Abou Hinnis, le dépôt du Ouadi 'Ibada a créé un désert sablonneux qui s'étend aussi jusqu'au Nil. Plus loin au nord, au sud du village de Sheikh Timay, les montagnes du Désert Oriental touchent à nouveau le fleuve.
Le terrain entre el-Sheikh Said et Deir Abou Hinnis se subdivise en trois zones différentes sur le plan géomorphologique. A partir du Nil vers l'est, on aperçoit d'abord d'une zone alluviale qui, de nos jours, atteint une extension ouest-est d'à peu près deux kilomètres (zone blanche sur le plan). Plus vers l'est, s'étend une zone désertique relativement plane qui se compose de dépôts de sable et de calcaire érodé. Cette zone est indiquée en gris clair sur le plan et occupe le centre de la photographie (pl. 2 ) . Plus à l'est encore, s'élèvent les falaises du désert oriental, coupées, à l'est de Deir el-Bersha, par la gorge impressionnante appelée Ouadi Nakhla (voir pl. 2 ) . La Mission de la K.U.Leuven s'est donné pour but de comprendre l'occupation humaine dans toute la zone que je viens de décrire, la concession actuelle comprenant, à côté du site de Deir el-Bersha lui-même, celui de Deir Abou Hinnis 1 6 au nord et celui d'el-Sheikh Said au sud.
16. Notre équipe y travaille en col laboration avec l'Université de Leyde et
l'Université Libre de Bruxelles, qui s'occupent des vestiges coptes de la région.
7 4
DEIR EL-BERSHA
7 6
F I G . 9 : P L A N D U S I T E DE D E I R E L - B E R S H A ,
A V E C I N D I C A T I O N D E S Z O N E S A R C H É O L O G I Q U E S
( P L A N C H R I S T O P H P E E T E R S ) .
DEIR EL-BERSHA
À Deir el-Bersha, la recherche jusqu'au début de nos enquê
tes s'était concentrée sur les tombes nomarcales situées dans une
zone au sommet de la pente nord de l'Ouadi Nakhla, zone que
nous appelons actuellement la zone 2 (pl. 3 ) . La figure 9 montre
que cette zone fameuse ne constitue en fait qu'un petit secteur
de la totalité du site. Notre plan (fig. 1 0 ) encore préliminaire
révèle qu'il existe là un assez grand nombre de tombeaux. Déjà
au XVI I E siècle, puis au XIX' , le site fut souvent visité par des
curieux désireux de voir la tombe célèbre du nomarque
Djéhoutihotep de la fin de la XII e dynastie, indiquée sur le plan
comme 1 7 L 2 0 / 1 ". Cette tombe attirait l'attention à cause d'une
scène renommée (pl. 4 ) qui montre comment la statue colossale
du gouverneur fut transportée des carrières d'Hatnoub vers un
emplacement dont on discutera plus tard. La scène est tout à fait
remarquable, puisqu'il s'agit d'une des très rares représentations
qui figure la façon dont les Égyptiens étaient capables de trans
porter de grands blocs de pierre. Mais, à côté de la tombe de
Djéhoutihotep, plusieurs autres nomarques ont construit leurs
sépultures dans la zone 2 , fait dont, jusqu'aux années 1 8 8 0 , très
peu d'égyptologues avaient connaissance.
A cette époque, ces tombes ont été endommagées par un
vandalisme à grande échelle, et c 'est probablement après avoir
été informé de ces activités que P.E. N E W B E R R Y décida d'enre
gistrer ce qui subsistait du décor de toutes les tombes de Deir
el-Bersha. Sa campagne se déroula entre novembre 1 8 9 1 et
mars 1 8 9 2 , et la publication, qui parut en 1 8 9 c , reste la source
principale sur le site*.
Cette campagne avait comme but essentiel d'établir des
relevés épigraphiques que N E W B E R R Y réalisa avec l'aide de
H. C A R T E R et de M. B L A C K D E N . Étant donné la durée de l'en-
V- Pour notre système de numérotation des tombes à Deir el-Bersha, voir PEETERS,
WILLEMS, dans WILLEMS e.a., MDAIK 60 (2004], p. 249-250. 18. Bersheh l-ll.
7 7
IFS TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
F I G . 1 0 : P L A N P R É L I M I N A I R E D E LA Z O N E 2 .
P O U R N O T R E D I S C U S S I O N , LES T O M B E S LES P L U S I M P O R T A N T E S
S O N T C E L L E S D ' A H A N A K H T I " ( 1 7 K 8 5 / 1 ) , DjÉHOUTINAKHT,
K H N O U M N A K H T ET I H A ( 1 7 K 7 4 / 1 - 3 ) , A H A N A K H T I I ( 1 7 K 8 4 / 1 )
ET D J É H O U T L H O T E P ( 1 7 L 2 O / 1 ) . L E S S T R U C T U R E S À L ' O U E S T
D E C E T T E D E R N I È R E T O M B E ( N O T A M M E N T LA T O M B E D U N O M A R Q U E
D J É H O U T I N A K H T V I ) N ' O N T PAS E N C O R E PU ÊTRE I N C L U S E S
( P L A N C H R I S T O P H P E E T E R S ) .
7 8
DEIR EL-BERSHA
treprise, et le fait que la mission ne comportait que quatre per
sonnes qui, de surcroît, ne s'entendaient pas très bien", le
résultat est remarquable. Mais N E W B E R R Y n'a guère entrepris
de fouilles. Pendant les années 1 8 9 9 - 1 9 0 2 , G. DARESSY 2 " et A.
K A M A L 2 1 menèrent des travaux archéologiques d'assez grande
envergure, activité qui fut reprise en 1 9 1 j par l'Américain G. A.
R E I S N E R . Ces archéologues mirent au jour les sarcophages çrâce
auxquels Deir el-Bersha est, à juste titre, devenu célèbre. Non
seulement ils contiennent une masse énorme de Textes des
Cercueils, mais ils sont aussi décorés de frises d'objets et autres
scènes de la plus haute qualité 2 2. Après 1 9 1 j , les fouilles mar
quèrent un temps d'arrêt pour une période prolongée.
Bien que les fouilles dans la zone 2 , le plateau des tombes
nomarcales, soient les seules à avoir retenu l'attention scienti
fique, D A R E S S Y , K A M A L et R E I S N E R avaient également fouillé au
pied de la montagne, dans ce que nous appelons actuellement
les zones 8 et 9 (voir fig. 9 ) . D A R E S S Y n'a presque rien publié
sur ses travaux ; du moins, donne-t-il quelques précisions.
K A M A L travaillait dans la plaine, mais, pratiquement rien n'a fait
l 'objet d'une publication. Les fouilles de R E I S N E R , elles, sont
restées inédites. Dès lors, peut-on dire que les zones 8 et 9
constituent une terra incognita.
Dans les années 1 9 9 0 , le Haut Conseil des Antiquités de
l'Egypte a fouillé dans la zone 1 1 (voir fig. 9 ) , ce qui a mis en
lumière l'extension de la nécropole dans ce secteur également.
L'organisation spatiale suggère l 'existence d'un cimetière
ancien ininterrompu, mais actuellement largement couvert par
le cimetière moderne et le village, entre les zones 9 et 1 1 . En
19. Voir JAMES, CRIPEL 13 (1991), p. 79-84. 20. DARESSY, ASAE 1 (1900), p. 17-43. 21. KAMAL, ASAE 2 (1901), p. 14-43 ; 206-222 ; IDEM, ASAE 3 (1902), p. 276-282. 22. La publication en couleur d'un de ces sarcophages (TERRACE, Egyptian Paintings
of the Middle Kingdom) donne une bonne idée de la qualité artistique de ces cer
cueils. Voir aussi la couverture de ce livre.
79
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
effet, nos ouvriers font parfois état de trouvailles d'antiquités quand de nouvelles tombes sont creusées dans le cimetière moderne. En avril 2 0 0 6 , un ouvrier en a apporté la preuve définitive quand il nous donna une cruche en céramique presque entière, datant du début du Moyen Empire, qu'il avait trouvée à côté d'un puits funéraire récent. L'endroit où cette découverte fut faite se trouve à mi-chemin entre les zones 9 et 1 1 .
Il est donc clair que la limite ouest de la zone 9 n'est qu'apparente. En fait, au centre du village, dans ce que nous nommons la zone 1 0 , le cimetière se poursuit également (voir fig. 9 ) . Ce secteur n'a heureusement pas été détruit par des constructions récentes. Vers la fin des années i 9 6 0 , le conseil du village avait décidé de bâtir une école à cet endroit, mais aussitôt des vestiges de tombes émergèrent. Entre 1 9 6 9 et 1 9 7 3 , plusieurs fouilles y ont été effectuées par les autorités égyptiennes. Depuis, la zone 1 0 a été protégée par le gouvernement égyptien. Malheureusement, ces opérations sont restées pratiquement inédites. Pour la première fouille de 1 9 6 9 , le seul rapport dont on dispose est celui que je reproduis dans sa totalité :
Les travaux de prospection archéologique dans la région de Deir el-Borsha, à Mallawi, dans le gouvernorat d'Assiout, ont mené à la découverte de tombes remontant à la Jin de l'époque gréco-romaine. Même une tombe du Moyen Empire a été également mise au jour. En effet, 2 7
tombes ont été découvertes remontant à l'époque de la décadence gréco-romaine. Ces tombes se trouvent à des niveaux différents du sol, entre un mètre et trois mètres. Chaque tombe se compose d'une seule chambrefunéraire, de la longueur du cadavre. Un puits est relié à la chambre funéraire et contient des pièces d'ornement".
23. Citation empruntée au Journal d'Egypte du 17 juillet 1970 par LECLANT, Orientalia 40 (1971), p. 234.
8 0
DEIR EL-BERSHA
Plus tard, pendant la saison 1 9 7 1 - 1 9 7 2 , les fouilles furent
poursuivies. On ne dispose que du rapport suivant :
L'inspecteur Osiris Ghobrial a poursuivi ses recherches
sur le site d'El-Bersha. Des tombes remontant à diffé
rentes époques ont été exhumées. La plus importante est
celle d'un nommé Khouou, où l'on a ramassé des blocs
ornés de reliefs peints. Un des puits était surmonté d'un
mastaba. Les sépultures gréco-romaines, toutes pillées,
n'ont livré que quelques poteries2*.
Assez récemment, les fouilles des autorités égyptiennes ont été
reprises2', mais il n'a pas été possible de rouvrir les tombes décou
vertes il y a plus de trente ans par Osiris G H O B R I A L , à cause d'une
montée de la nappe phréatique d'à peu près trois mètres, en raison
de l'intensification récente de l'irrigation. Les tombes dégagées dans
les années i 9 6 0 - 1 9 7 0 sont donc très difficiles à atteindre actuelle
ment. Selon des personnes qui avaient vu l'intérieur de ces sépultu
res, leurs parois seraient ornées d'une décoration assez intéressante,
impression confirmée par quelques copies qu'a effectuées l'inspec
teur Osiris G H O B R I A L lui-même, et dont je possède des doubles26.
L'intérêt des tombes réside aussi dans l'existence d'un certain
nombre de grands blocs laissés par nos prédécesseurs, qui incluent
d'énormes fausse-portes pesant plus de deux tonnes chacune,
dont l'une, aujourd'hui totalement illisible, appartenait à un vizir
nommé Khouou 2 7. Il y a trois ans, la mission avait déjà récupéré
24. LECLANT, Orierttatia 42 (1973}, p. 405. Nos tentatives pour récupérer la documen
tation de fouille d'Osiris GHOBRIAL n'ont pas, jusqu'à présent, été couronnées de succès.
25. Fouilles de l'inspecteur Helmi Hussein SULEIMAN. Nous le remercions pour ces
informations. Une publication du matériel qu'i l a trouvé est en préparation.
26. Je remercie Edward BROVARSKI de m'avoir envoyé ces copies en 1 9 9 0 .
27. Heureusement, ce document a été publié par BAKRY, RSO 46 (1971], p. 7-8 et
pl. V . Je dois cette référence à Marleen DE MEYER. Le fait que ce monument soit
passé inaperçu jusque là pourrait être dû au fait que BAKRY l'avait publié dans un
article sous le titre « Recent discoveries in the Delta ».
8l
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
ces blocs inscrits qui se trouvent maintenant dans la maison de
fouille.
En résumé, le site comporte, selon nos connaissances
actuelles, non seulement le cimetière bien connu des nomar
ques du Moyen Empire, mais plusieurs autres, qui se répartis
sent chronologiquement comme suit :
IIIe dynastie Zone 8, nord 2 8 , zone 9, sud-est
Fin de l'Ancien
Empire
Zones 4 et 779
Première Période Intermédiaire
Zone 4 , zone 9 ( ?),
zone 10'°
Moyen Empire Zones 1 " , 2, 4 3 2 , 8, 9 " , 10 ( ?)'*
Seconde Période Intermédiaire et début du Nouvel Empire
Zones 2, 4 3 5 , 9 ' 6
Période tardive/ gréco-romaine
Zone 4 "
Incertain Zone 1 1 3 8
8 2
DEIR EL-BERSHA
Pour la présente étude, il est surtout intéressant de noter
que les cimetières furent, à l'évidence, très largement agrandis
au cours du Moyen Empire. On en déduit que la population qui
y fut alors enterrée devait être quantitativement plus impor
tante qu'auparavant. Dans ce qui suit, on tentera de compren
dre quand, pourquoi et comment cette évolution s'est opérée" .
LES FOUILLES DE 2006 DANS LA Z O N E 10
Une des zones jusqu'à présent la moins connue est la zone
1 0 . Cela nous a incités, pendant la campagne de mars-avril
2 0 0 6 , à rouvrir un des puits fouillés au début des années 1 970
par Osiris G H O B R I A L .
28. Découvert par Stan HENDRICKX.
29. Voir pour ces deux zones, la thèse de doctorat en cours de préparation de
Marleen D E MEYER. Ses fouilles ont conduit, en mars 2007, à la découverte de la
tombe inviolée de Hénou, datée de la fin de la Première Période Intermédiaire.
Mais il semble que, pour le reste, les tombes de cette région remontent en grande
majorité à l'Ancien Empire.
30. Informations de l'inspecteur Helmi Hussein SULEIMAN et fouille de HENDRICKX et
WILLEMS en 2006. 31. WILLEMS, MDA/K 60 (2004], p. 255-256. 32. La preuve en sera apportée dans la thèse de doctorat de Mar leen DE MEYER,
en cours de préparation.
33- Voir la thèse de doctorat en cours de préparation de Christoph PEETERS.
34- Informations de l'inspecteur Helmi Hussein SULEIMAN.
35- BOURRIAU, DE MEYER, O P DE BEECK, VEREECKEN, Ä&L 15 (2005], p. 101-129. 36. Voir la thèse de doctorat en cours de préparation de Christoph PEETERS.
37- Voir la thèse de doctorat de Marleen DE MEYER, en cours de préparation.
38. Je me fonde sur des informations du fouilleur de cette zone, l'inspecteur
Muhammad HALLAF de l'inspectorat de Ma l law i .
39- La cause n'est pas forcément à chercher dans un accroissement de la popula
tion. On sait que, pendant la Première Période Intermédiaire, un cimetière existait
aussi à el-Ashmounein même : SPENCER, Asfimunein III, p. 51-71. Il était donc possi
ble de choisir entre plusieurs cimetières. Les motivations sous-jacentes qui prési
daient à ce choix n'ont pas encore été élucidées.
8 3
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Ces travaux furent assez difficiles4". Avant le début de nos acti
vités, le terrain se présentait comme une surface très irrégulière,
situation causée par les fouilles, anciennes et plus récentes, du
Haut Conseil des Antiquités. Les cratères visibles sur la planche
S sont le fruit de ces sondages. En outre, ce terrain ouvert au
centre du village a été utilisé depuis des années pour y jeter les
ordures. Par conséquent, aujourd'hui, les puits vidés pendant les
fouilles précédentes ont non seulement été atteints par la nappe
phréatique, mais ont aussi été remplis par des déchets, produi
sant ainsi une soupe dégoûtante. Néanmoins, nous avons finale
ment réussi à vider la fosse de la tombe 0 C P 6 3 / 1 , qui conduit à
une pièce entièrement bâtie en calcaire, encore couverte de son
toit, et close par deux blocs de fermeture qui avaient sans doute
été remis en place par nos prédécesseurs.
Evidemment, après des dizaines d'années sous l'eau, les
parois de la tombe étaient complètement couvertes d'algues,
de sorte qu'on ne pouvait reconnaître aucun décor. Petit à
petit, grâce aux travaux de notre conservatrice, L. B L O N D A U X ,
des restes du décor commencèrent à réapparaître. Après un
nettoyage complet, la tombe s'est avérée être soigneusement
construite en blocs très réguliers de calcaire. La chambre pos
sède aussi un dallage en calcaire (pl. 6 ) . Il s'agit d'une sépulture
de deux mètres quatre-vingts de longueur et d'un mètre cin
quante de hauteur, avec une grande niche à canopes dans la
paroi sud. Dans le dallage de la niche, nous avons découvert un
bloc de fermeture encore scellé par du mortier. Bien que l'in
térieur de la chambre ait déjà été entièrement vidé par nos
devanciers, on a retrouvé des fragments de feuilles d'or sous le
bloc de fermeture, qui devaient avoir couvert un objet en bois
maintenant entièrement disparu.
40. Ce qui suit expose les résultats des travaux exécutés en commun par Stan
HENDRICKX, Marleen DE MEYER, et l'auteur. Une publication complète est en prépa
ration.
84
DEIR EL-BERSHA
La décoration des parois n'est plus en bon état (pl. 6 ) . Toutes les couleurs se sont effacées, sauf, partiellement, le rouge et le noir. La paroi du fond conserve encore une frise d'objets dont on peut aisément reconnaître les éléments principaux : un vase à bec verseur, trois vases hes, un étendard supportant peut-être un ibis, un chevet, et plusieurs tables portant des objets.
Sur la paroi ouest, le registre supérieur comporte encore le texte d'une formule d'offrandes et, plus bas, dans la moitié sud, une procession de porteurs d'offrandes avançant vers le nord. La peau de ces hommes est peinte de la couleur rouge-brunâtre que le canon égyptien réserve pour les individus de sexe masculin. Ce qui est intéressant, parce que sur la moitié nord de la paroi figure une seconde procession d'hommes et de femmes, dont la peau est uniformément indiquée en noir. Il est ainsi clair que la procession se compose d'une part d'Égyptiens, et d'autre part de Nègres.
De la paroi est, seule la moitié nord semble avoir été décorée. On y voit une deuxième procession de porteurs d'offrandes. Parmi les premiers d'entre eux, un homme est affublé d'un vêtement noir avec ce qui ressemble à la queue d'un animal suspendue entre ses jambes, peut-être un prêtre-sem. Cette paroi comporte aussi une fausse-porte. Enfin, les montants de porte sont ornés de représentations de vases.
La tombe semble avoir appartenu à une femme appelée Djéhoutinakht. Son nom apparaît aussi sur un des blocs en calcaire récupérés, il y a deux ans, au centre du village, et qui se trouvent actuellement dans la maison de fouille. Le bloc offre la même orthographe de l'épithète îmsh.t suivie du nom Djéhoutinakht, et le début du nom est écrit par le signe du pain pointu ( A ) - Il e s t donc vraisemblable que nous disposons non seulement de l'appartement souterrain de cette dame, mais aussi d'un bloc qui avait orné, un jour, sa chapelle de culte funéraire.
8 5
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Ce bloc conserve encore des éléments d'une autobiographie traditionnelle. Les débuts des lignes ont disparu, mais la nature répétitive des formules reproduites permet de reconstituer à peu près la longueur originale de cette paroi. Bien que les passages autobiographiques soient des plus banals, ils ne sont pas sans intérêt, car les biographies ne sont pas très courantes dans des tombes appartenant à des femmes. Dans le cas présent, ces éléments se trouvent dans une tombe qui doit avoir été une structure considérable.
Le statut spécial de cette femme est souligné par le titre qu'elle porte : ir.yt p'.t nu.t, « nouvelle princesse héréditaire ». Le titre ir.y p'.t, dont on rencontre ici la forme féminine, est le plus haut titre de rang en Egypte 4 1 . L'adjectif exceptionnel qu'utilise Djéhoutinakht implique qu'elle ne bénéficiait pas de ce titre simplement parce qu'elle appartenait à une famille où il était héréditaire, mais qu'il lui avait été conféré par le roi comme une faveur « nouvelle ».
Malheureusement, nous n'en savons pas davantage sur cette dame sans doute remarquable. Néanmoins, la céramique assez mélangée provenant du puits de sa tombe, et que nous avons analysée, contient du matériel de la fin de la Première Période Intermédiaire ou du tout début du Moyen Empire. Le style décoratif des peintures suggère clairement qu'une date au cours de la Première Période Intermédiaire est la plus vraisemblable.
Dans les prochaines années, nous espérons poursuivre nos fouilles, mais, dès à présent, il est patent que ce nouveau cimetière est de la plus haute importance. A en juger par la céramique trouvée en surface, la région fut surtout utilisée comme cimetière durant la Première Période Intermédiaire et le début du Moyen Empire. Pour l'instant, on connaît la tombe d'une dame de très haut rang, une tombe du même type qui n'a pas
41. GRAJETZKI, Die höchsten Beamten, passim.
8 6
DEIR EL-BERSHA
encore été ouverte, celle du vizir Khouou, et une autre cham
bre funéraire en pierre plus à l'est. Bien que ces tombes ne
soient pas visibles en surface, le témoignage de personnes qui
ont assisté aux fouilles d'Osiris G H O B R I A L et aux activités plus
récentes du Haut Conseil des Antiquités dans ce secteur laisse
entrevoir qu'elles sont probablement organisées selon une ran
gée, ce qui suggère une contemporanéité entre elles.
Les graffiti d'Hatnoub nous informent sur toute une lignée
de nomarques datant de la Première Période Intermédiaire, mais
dont, jusqu'à présent, on ne savait presque r ien 4 J . Il semble vrai
semblable que ces personnages ont été enterrés là, au centre de
l'actuel village de Deir el-Bersha. Le fait qu'au moins l'un d'en
tre eux portait le titre de vizir, titre jusqu'alors inconnu pour la
Première Période Intermédiaire 4 ', suggère que cette famille de
gouverneurs disposait d'une influence considérable, mais encore
insoupçonnée, pour le royaume des Héracléopolitains.
LES TOMBES DU DÉBUT DU M O Y E N EMPIRE DE LA Z O N E 2
On va maintenant se déplacer vers la zone 2 , au sommet de
la pente nord du Ouadi Nakhla, où se trouvent les tombes des
nomarques du Moyen Empire (fig. 9 et 1 0 ) . Notre but ne sera
pas de faire un tour d'horizon des résultats de nos fouilles
depuis 2 0 0 2 , mais plutôt de présenter quelques détails spécifi
ques qui nous permettront de mieux comprendre l'évolution
du cimetière rupestre et sa raison d'être 4 4 . On s'occupera sur
tout des premières tombes du Moyen Empire qui y furent
42. Voir BROVARSKI, dans : Studies Dunham, p. 22-23 ; DE MEYER, dans : Genealogie, p. 125-136.
43- GESTERMANN, Kontinuität und Wandet, p. 147-153. La date de la stèle fausse-
porte de Khouou sera traitée dans la thèse de doctorat de DE MEYER.
44- La présente discussion est partiellement fondée sur les résultats d'une étude
parue en 2007 (WILLEMS, Dayr al-Barshä I) , et n'offre, dans certains cas, qu'un
aperçu bref de l'argumentation plus poussée qu'on trouvera dans cette publication.
8 7
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
bâties, et qui fournissent des renseignements sur les transformations socio-politiques dans la région après la Première Période Intermédiaire. Sur la base non seulement des textes de ces tombes, mais aussi des graffiti laissés par les mêmes personnages dans les carrières d'albâtre à Hatnoub 4 5 , on est très bien renseigné sur la généalogie de cette lignée de nomarques 4 6 .
La reconstitution chronologique de la suite des nomarques du début du Moyen Empire reposait, jusqu'ici, presque entièrement sur les données concernant le nomarque Nehri I". Sa tombe est actuellement dans un état très ruiné, mais nos fouilles récentes ont mis au jour de nombreux fragments nouveaux qui lui appartiennent (voir pl. 7 ) . Néanmoins, les graffiti qu'il a laissés à Hatnoub restent essentiels pour la compréhension de l'histoire du site. Ces textes décrivent une guerre civile qui déchirait la Moyenne Egypte pendant le gouvernorat de Nehri I". Sans qu'il soit possible de dater cette guerre très exactement, il apparaît que Nehri décrit des circonstances de la fin de la XL dynastie, ou du tout début du règne d'Amenemhat l " 4 7 . Ce qui a des conséquences pour la datation d'un autre nomarque, Ahanakht I", le propriétaire d'une des tombes les plus grandes du site (voir fig. 1 0 , no. 1 7 0 ^ / 1 ) .
45. Voir pour ces textes : ANTHES, Hatnub, graffiti IO -32. 46. Après que ce chapitre avait été écrit, la dernière campagne de fouilles (2007) a apporté des indices suggérant que la compréhension de l'évolution de cette zone
pose encore problème, puisqu'il devient de plus en plus clair que celle-ci comporte
non seulement les tombes bien connues des nomarques du Moyen Empire et de
leur entourage, mais aussi deux autres types de tombes qui, jusque là, n'ont jamais
été étudiées. Il s'agit tout d 'abord d'un groupe limité de tombes qui souvent n'ont
pas été achevées avec des petits puits carrés, et qui pourraient remonter à l'Ancien
Empire. Le deuxième groupe est bien représenté à travers toute la zone 2, et com
porte des petits puits rectangulaires qui sont peu profonds. La date de ce dernier
groupe reste pour l'instant incertaine, faute de matériel associé. Ces tombes n'ont
pas encore pu être étudiées, mais il est patent que certains éléments de l'analyse
qui va suivre pourront être remis en cause ultérieurement. Quelques réflexions pré
liminaires seront présentées en fin d 'ouvrage.
47. Voir WILLEMS, JEOL 28 (1983-1984), p. 80-102 ; des arguments supplémentai
res seront donnés dans WILLEMS, Dayr al-ßarshä I, chapitre 7.
8 8
DEIR EL-BERSHA
Amencmhat I" 30 ans
Montouhotep IV 2 ans
Montouhotep III 12 ans
Montouhotep II 51 ans
An 39 ou 4 1 -
An 14 _UllJil_t£g]
Nehri I" 8 ans
Ahanakht II 5 ans ?
Djéhoutinakht IV 5 ans î
Ahanakht I" 30 ans
Djéhoutinakht III durée de règne inconnue
Période où l'unification de l'Egypte doit avoir pris place
F I G . n : R E C O N S T R U C T I O N D E LA C H R O N O L O G I E D E S N O M A R Q U E S
D U N O M E D U L I È V R E A U D É B U T D U M O Y E N E M P I R E
( D ' A P R È S W I L L E M S , JEOL 2 8 ( 1 9 8 3 - 1 9 8 4 ) , P. 8 0 - 1 0 2 ;
I D E M , DAYR AL-BARSHÄ I, C H A P I T R E 7)
Nous savons non seulement que celui-ci était gouverneur
avant Nehri I e r , mais aussi que lui avaient succédé ses deux fils
Ahanakht II et Djéhoutinakht IV 4 8 . A Hatnoub, il n'existe qu'un
seul graffito renvoyant à Djéhoutinakht IV (gr. 4 2 ) , et aucun
datant du règne de Ahanakht II. A Deir el-Bersha aussi, la docu
mentation concernant les deux hommes est très restreinte.
Nous avons probablement découvert la tombe d'Ahanakht II,
mais elle est très petite, et les vestiges de sa décoration mon
trent qu'elle fut exécutée dans un style très grossier, peut-être
48. La séquence des deux derniers n'est pas claire.
8 9
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
parce que la sépulture avait dû être achevée à la va-vite (fig. 1 o :
la tombe i 7 K 8 4 / 1 juste à l'ouest de la tombe d'Ahanakht I e r ) 4 9 .
J 'ai des raisons de penser que Djéhoutinakht ne possédait
même pas de tombe propre, mais qu'il fut enseveli dans celle
de son père. Il semble ainsi assez clair que les deux hommes
n'ont pas dû régner très longtemps. Dans le schéma de la figure
1 1 , j ' a i attribué un maximum de cinq ans à chacun.
La longueur exacte de ces règnes n'est cependant pas un
point crucial, parce que Ahanakht I" a été nomarque pendant
une très longue période. Le graffito Hatnoub 11 fait état de sa
trentième année, et il est possible que la durée totale de son
nomarcat ait même été plus longue. Nous savons aussi que son
père était Djéhoutinakht III et, lui aussi, était probablement
nomarque"'. Cela a des conséquences pour notre compréhen
sion de la situation politique dans le quinzième nome de Haute
Egypte. Tout d'abord, on doit constater qu'une série ininter
rompue de nomarques v fut en fonction entre la fin de la
Première Période Intermédiaire et la fin de la XII' dynastie ;
apparemment, la conquête thébaine ne conduisit pas à des
changements au niveau de l'administration de ce nome, comme
l'avait supposé L. G E S T E R M A N N 5 1 .
Il n'y a pas de certitude sur la date à laquelle l'Unification
eut lieu. La plupart des égyptologues pense, pour des raisons
que je ne peux pas détailler ici, que cet événement doit être
placé entre les années 1 4 et 3 9 (ou 4 1 ) du roi Montouhotep II s 2 .
En raison de la longue durée de son règne, Ahanakht pourrait
49. Le même style grossier apparaît sur une table d'offrandes d'Ahanakht II
(Hildesheim 1891) qui pourrait provenir de la même tombe : voir MARTIN-PARDEY,
CM 21 (1976), p. 33-36 ; EADEM, CAA Hildesheim VI, 6, 49-51. 50. DE MEYER, dans : Genealogie, p. 133, avec références bibl iographiques.
51. Voir p. 43-52. 52. GESTERMANN, Kontinuität und Wandel , p. 35-47 ; FRANKE, Orientalia 57 (1988), p. 133, avec bibl iographie ; WILLEMS, Chests of Life, p. 58-60 ; Q U A C K , Merikare, p. 106 ; SEIDLMAYER, G M 157 (1997), p. 81 ; DARNELL, Z Ä S 131 (2004), p. 34, avec
bibl iographie.
90
DEIR EL-BERSHA
avoir été nommé nomarque immédiatement après que le roi
thébain avait pris le pouvoir en Moyenne Egypte, mais il est
aussi concevable qu'il ait été désigné par un roi héracléopoli-
tain. Dans ce cas, Ahanakht aurait dirigé son nome pendant la
transition entre les périodes héracléopolitaine et thébaine. Tout
au moins, il a été témoin de cet événement capital. Cette
reconstitution chronologique repose non seulement sur les
idées que j'avais déjà conçues dans les années 1 9 8 0 " , mais aussi
sur des renseignements nouveaux, obtenus à partir de l'analyse
des tombes d'Ahanakht I" et d'autres, aux alentours de celle-ci.
La plus importante de ces informations ressort de l'analyse de
la céramique trouvée dans la tombe d'Ahanakht par R E I S N E R ,
et par nous-même dans une tombe d'un contemporain du
nomarque. Ce matériel inclut trois vases-modèles très grossiè
rement façonnés à la main, et avec une base pointue (voir pl. 8 ) .
Ce matériel est très abondant dans les tombes de la Première
Période Intermédiaire et du début du Moyen Empire à
Dendara, mais très peu de parallèles sont connus ailleurs. La
présence de ce type de céramique à Deir el-Bersha doit remon
ter à une époque où un contact direct entre le sud du pays et la
Moyenne Egypte avait été rétabli, ce qui suggère une date pos
térieure à la prise du pouvoir par les rois thébains en Moyenne
Egypte, c'est-à-dire après la fin de la Première Période
Intermédiaire. Comme l'a remarqué R . F R E E D , le style du
décor de la tombe d'Ahanakht pourrait aussi montrer des
signes d'influence du style thébain". Pour ces raisons, il semble
maintenant clair qu'Ahanakht L r a été nommé soit par les rois
thébains", soit par un roi héracléopolitain, restant dans la posi
tion de gouverneur local après l'Unification du pays. Dans les
53- WILLEMS, JEOL 28 (1983-1984), p. 80-102. 54. ßersho Reports I, p. 53-59. 55- Idée énoncée récemment par ALLEN, dans : The Theban Necropolis. Past,
Present and Future, p. 23 ; 26.
91
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
deux cas, la tombe devrait avoir été décorée plutôt après
l'Unification du pays.
Le nouveau projet belge s'est donné comme l'un de ses axes
prioritaires de recherche, de renouveler l'étude de la tombe
d'Ahanakht I" et du groupe avoisinant. Il s'agit d'un ensemble
de cinq tombes dont l'analyse n'avait pas beaucoup avancé
depuis le temps de N E W B E R R Y . De surcroît, trois de ces tom
bes contiennent des textes autobiographiques dont l'un était
jusqu'ici presque totalement inconnu, tandis que même celui
d'Ahanakht n'avait guère été commenté depuis son édition en
1 8 9 c .
Malheureusement, la publication des tombes d'Ahanakht I" et
Ahanakht II n'a pas encore pu être poursuivie à cause de leur
état très fragile. Mais l'étude des trois petites tombes en face
de celle d'Ahanakht L r a été terminée, et vient d'être
publiée 5 6 .
La tombe d'Ahanakht Pr ( 1 jK8ç/ 1 , voir fig. 1 0 ) consiste en
deux pièces, mais de celle du sud, il ne subsiste que très peu.
Par endroits, des éléments du décor sont encore préservés. Le
montant est de la porte entre les pièces sud et nord est décoré
d'un beau relief figurant Ahanakht I' r (pl. 9 ) . Le mur intérieur
oriental derrière cette scène est encore intact et comporte des
scènes de prêtres offrant la plante bjq au gouverneur, et une
scène de combat de taureaux 5 7 . La partie sud du mur oriental
subsiste également. Elle montre le nomarque assis devant une
procession de porteurs d'offrandes 5 8 . La plus grande partie de
ce mur a malheureusement été détruite par les carriers. Il ne
reste que le registre inférieur de la suite de la scène d'offran-
56. Tombes 17K74/1-3 a la figure 10 ; voir WILLEMS, Dayr al-Barshä I.
57. La partie supérieure de la paroi a été publiée dans ßersheh II, pl. XVII, bas. La
partie inférieure est inédite.
58. Voir BROVARSKI, dans : Studies Dunham, p. 17, f ig. 6. Pour une photographie,
voir WILLEMS, dans : Zij schreven geschiedenis, p. 65.
92
DEIR EL-BERSHA
des. À travers le trou créé par les carriers, on distingue les
effondrements dans la tombe avoisinante.
Un peu au sud de la tombe d'Ahanakht I e r , mais à un niveau
plus bas, se trouvent les tombes de trois fonctionnaires de la
cour nomarcale (voir fig. 1 0 , les numéros 1 7 K 7 4 / 1 - 3 ) . Le fait
que les formules d'offrandes dans ces tombes sont dédiées, non
aux propriétaires des tombes, mais à Ahanakht, indique sans le
moindre doute qu'il s'agit de collaborateurs proches de celui-ci.
Il s'agit de trois tombes de petite taille. Celle du milieu n'a
pas été achevée. Elle ne contient pas de puits et, quand
N E W B E R R Y la découvrit, il a encore pu établir que la porte avait
été bloquée par de grandes herses. Ainsi, le sarcophage devait
avoir été déposé directement derrière ces blocs. Les deux
autres tombes ont une structure un peu plus courante : elles
consistent en une chapelle funéraire accessible, un puits funé
raire, et une chambre sépulcrale. Le cas illustré à la figure 1 2
est celui de la tombe ouest ( 1 7 K 7 4 / 1 ).
Cette tombe, qui appartient à un homme nommé
Djéhoutinakht, avait déjà été décrite par N E W B E R R Y . Selon lui,
elle était pourvue d'un long texte autobiographique qui aurait
été endommagé si gravement qu'il ne méritait plus une publi
cation intégrale. Il ne publia que les formules d'offrandes et une
copie partielle et assez médiocre du grand texte autobiographi
que 5 9 . Quand je visitai le monument pour la première fois en
1988, je fus alors fort surpris de trouver une tombe en assez
bon état, et de constater que pratiquement chaque signe hiéro
glyphique pouvait encore être lu, au moins partiellement (pl.
1 0 - 1 1 ) .
Le texte principal, qui se trouve sur la paroi ouest, est sur
monté d'une longue formule d'offrandes dédiée au nomarque
59. Bersheh II, p. 43-46.
9 3
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
9 4
F I G . 1 2 : C O U P E D E LA T O M B E 1 7 K 7 4 / 1 V E R S L ' O U E S T
( D E S S I N M A R T I N H E N S E ) .
DEIR EL-BERSHA
Ahanakht. En revanche, tout ce qui suit ne le concerne pas, lui, mais Djéhoutinakht. La partie gauche du texte, à gauche de la fausse-porte, contient quelques lignes d'un texte autobiographique traditionnel. La composition ne comporte que des phrases laudatives sans aucun intérêt réel : Djéhoutinakht y est décrit comme un homme d'un comportement irréprochable. Ce qui est important, néanmoins, est que ce texte déploie des phrases dont le seul véritable parallèle est un autre texte de la région hermopolitaine : le graffito d'Hatnoub i 2 . Celui-ci date de l'an i 3 du nomarque Ahanakht I", et ses auteurs sont deux hommes dont l'un s'appelle Djéhoutinakht. On se demandera si le propriétaire de notre tombe ne pourrait pas être identique au Djéhoutinakht du graffito.
Tout d'abord, la liste des banalités « autobiographiques » continue de l'autre côté de la fausse-porte. Djéhoutinakht aurait été un homme de confiance, qui savait tout et qui même assure : « il n'y a rien que je n'ai fait ». Mais à partir de la colonne 1 2 , le texte devient à la fois plus difficile et plus intéressant. Au milieu de la colonne 1 3 , Djéhoutinakht se décrit comme un être « aux ongles acérés » (nsd 'n.wt), expression qui, dans les temples de l'époque gréco-romaine, est utilisée pour décrire des divinités de type faucon 6 0 . Il est assez étonnant de rencontrer une épithète que l'on retrouvera à l'époque tardive pour des dieux, dans le cadre de la description d'un homme ordinaire. Pour le reste de la colonne, j 'a i envisagé plusieurs possibilités dont aucune ne me convainc vraiment. La meilleure est peut-être la proposition de lecture suivante : i-skj drf r inh, « dont le trait est clairement visible sur le sourcil ». En spéculant un peu plus, on pourrait penser à une métaphore comparant l 'homme à un faucon, avec des ongles dangereux et des sourcils bien marqués, comme c'est aussi le cas pour les faucons dans l'iconographie égyptienne. On peut s'interroger
60. Wb. Il, p. 342, 13-14.
9 5
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
sur le sens de cette formule ; peut-être Djéhoutinakht se vante-
t-il de s'être comporté violemment dans un rituel auquel par
ticipaient des hommes-faucons, qui est effectivement attesté
dans certains Textes des Cercueils 6 ' . Bien que je doive avouer
que tout cela reste incertain, on notera que des rituels pour
combattre l 'ennemi sont aussi mentionnés dans les autobiogra
phies d'Ahanakht I" et d'Iha, dans le même groupe de tombes 6 2 .
D'autres textes du Moyen Empire nous renseignent sur le
déroulement de tels épisodes. Par exemple, plusieurs stèles
d'Abydos décrivent la participation de leurs propriétaires aux
rituels osiriens qui y furent célébrés annuellement. L'élément
le plus important de ces festivités semble avoir été une grande
procession pendant laquelle la barque processionnelle d'Osiris
était portée de son temple à Abydos vers la tombe du dieu dans
le désert. Sur la route vers cette destination se déroulaient des
combats rituels entre deux groupes de participants, dont l'un
protégeait la barque d'Osiris contre l 'autre qui jouait le rôle
des partisans du dieu Seth, et qui essayait de mettre un terme à
la procession osirienne. Ce dernier groupe devait être soumis
avant qu'Osiris puisse poursuivre son voyage". Il est certain
que des rituels comparables furent célébrés ailleurs, et peut-être
Djéhoutinakht veut-il dire dans son autobiographie qu'il parti
cipait à de telles joutes, combattant les ennemis du dieu local.
Les colonnes suivantes sont des plus intéressantes. Tout
d'abord, Djéhoutinakht signale qu'il connaissait les heures de la
nuit dans toutes ses périodes, et aussi « les premiers jours de la
saison d'akhet, qui conduisent aux premiers jours des saisons de
61. Bik rmt.y ; voir par exemple la formule 149 des Textes de Cercueils : CT II, 226b-253g [149], texte qui doit être récité par un homme vêtu, selon 227b, comme un ritualiste.
62. Bersheh II, pl. XIII, 8 ; XXI, 2 (haut] = WILLEMS, Dayr al-Barshä I, p lanche LIV, col . 2.
63. La source la plus révélatrice pour ce rituel abydénien est la stèle Berlin 1204
d'Ikhernofret, lignes 17-21 ; voir SCHÄFER, Mysterien des Osiris, p. 20-32 et la planche en fin de volume.
9 6
DEIR EL-BERSHA
peret et de shemou ». Il est clair que la première phrase signifie que Djéhoutinakht était au courant des techniques pour déterminer l'heure pendant la nuit. Dès lors, il devait utiliser une horloge stellaire diagonale, semblable à celles souvent reproduites sur les sarcophages de l 'époque 6 4 . Comme j 'a i essayé de le montrer dans un article récent, dans la deuxième phrase, Djéhoutinakht explique qu'il était capable d'ajuster son instrument horologique quand son schéma ne correspondait plus à la réalité astronomique 6 5 .
Normalement, les Égyptiens anciens n'utilisaient pas les heures. Le seul contexte où il importait de connaître le temps exact était celui de rituels comme la veillée horaire (Stundenwachen) et le Stundenritual, qui étaient déterminés par une périodicité précise. Par exemple, dans les Stundenwachen, l'équipe de prêtres changeait de composition, chaque heure 6 6 .
Le reste du texte concerne des tâches plus mondaines. Tout le long, Djéhoutinakht évoque son rôle dans l'administration provinciale. On peut discerner deux catégories d'activités.Tout d'abord, on rencontre une variété de missions liées à des titres fonctionnels. Tous impliquent que Djéhoutinakht travaillait dans le désert. Il était hr.y-tp hjs.wt « commandant des déserts », im.y-r nw.w « commandant des chasseurs », im.y-r mdjy.w « commandant des Nubiens mds » et im.y-r kJ.t m w'r.t tn « commandant des travaux dans cette nécropole ». Le dernier titre suggère que c 'est probablement Djéhoutinakht qui construisit les tombes dont il est question. On devrait ajouter que toutes ces tâches — même celle d'horologue, bien que cette dernière ait facilité l 'exécution de rituels religieux — étaient d'ordre pratique.
64. Voir NEUGEBAUER et PARKER, Egyptian Astronomical Texts I.
6 5 . WILLEMS, dans: Timelines I, p. 437-445. 66. Voir pour le texte de ce rituel selon sa version gréco-romaine, JUNKER,
Stundenwachen. Pour la veillée horaire au Moyen Empire, voir WILLEMS, Heqota, p. 382-384.
97
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
C'est aussi le cas pour les autres activités de Djéhoutinakht,
mais là, il ne fait mention d'aucun titre réel, saul un. C'est le
titre de ir.y ssp.t qui, selon Q U I R K E , n'indique pas une personne
de haut rang, mais plutôt un commis chargé de la distribution
de rations aux ouvriers qui travaillaient pour les divers bureaux
de l'administration 6 7 . Or, Djéhoutinakht fait état de plusieurs
bureaux qu'il approvisionnait : un département des briques, un
département de la viande, et un département des dattes. Tous
semblent avoir fait partie du sri provincial, une institution de
production et de stockage.
Pour le reste, il mentionne les types de personnel qui lui
étaient subordonnés : des jardiniers, des cuisiniers, des blan
chisseurs, et même des gens « attachés à la presse, qui produi
saient "l 'odeur de l ' é té" », sans doute des producteurs de par
fum.
Il semble donc que notre Djéhoutinakht était une personne
qui possédait peu de titres importants, et qui était surtout char
gée de l'approvisionnement de plusieurs catégories d'ouvriers.
Même les titres qu'il porte effectivement nous confortent dans
l'idée qu'il n'était pas un fonctionnaire de très haut rang, parce
que, dans ce cas, il n'aurait pas eu besoin d'inventer des titres
aussi inédits que ridicules, tels que « commandant de millions,
de centaines de milliers, de dizaines de milliers, de milliers, de
centaines, et de dizaines de pâtisseries ».
Les autres autobiographies, celles de Ahanakht et de Iha, ne
sont pas moins intéressantes, mais elles sont déjà connues depuis
1 8 9 c , et j e les évoquerai donc de manière moins détaillée.
La tombe d'Iha ( 1 7 K 7 4 / 3 ) se trouve à côté de celle de
Djéhoutinakht et a été conçue de manière comparable. La paroi
orientale est entièrement ornée d'une scène d'offrandes qui
n'offre rien d'extraordinaire. Mais les parois ouest et nord,
67. Q U I R K E , RdE 37 (1080), p. 119.
9 8
DEIR EL-BERSHA
dont la seconde est présentée à la planche i 2 , portent un long texte autobiographique 6 8. Ce texte décrit un homme tout différent de celui que je viens d'évoquer. Djéhoutinakht semble presque avoir travaillé de ses mains ; en tout cas, il exécutait des travaux d'ordre hautement pratique. Iha était plutôt un intellectuel. Sur la paroi ouest, il explique, par exemple, qu'il était précepteur des enfants du roi. Sur la paroi nord, on lit de surcroît qu'il était chargé des scribes de la Maison de la Vie, le scriptorium, peut-être celui du temple deThot à el-Ashmounein. On verra plus tard que cette charge jette une lumière très intéressante sur l'évolution de la culture funéraire dans la région. Il participait aussi au rituel d'abattre l 'ennemi, rituel auquel, comme nous venons de le suggérer, Djéhoutinakht prenait peut-être part avec « ses ongles acérés ». Iha était, en outre, responsable des musiciens, peut-être ceux du temple local. Finalement, il était chargé de Vîp.t nsw.t, les appartements privés du roi.
A côté de ces autobiographies de fonctionnaires subalternes, on possède le récit autobiographique du nomarque Ahanakht lui-même qui donne, évidemment, un précis de l'administration locale d'un tout autre point de vue. Ce texte très instructif n'a jusque là été traduit que trois fois, et n'a guère été exploité comme source historique' 9 . C'est cependant un texte riche en informations. À l'ouest de la porte, Ahanakht commence par décrire son rôle, non comme nomarque, mais comme chef des prêtres. Il était responsable du culte journalier
68. L'autobiographie d'Iha a été publiée dans ßersfiefi II, pl. XXI, et a été fréquem
ment commentée depuis. Une étude approfondie vient de paraître dans WILLEMS,
Dayr al-Barshâ I, chapitre 6.
69. L'autobiographie d'Ahanakht I" a été publiée dans Bersheh II, p l . XIII, et a été
commentée par BROVARSKI, dans : Studies Dunham, p. 16-21, et WILLEMS, dans : Zij schreven geschiedenis, p. 57-70. Ce qui suit s'appuie largement sur mon étude plus
approfondie dans Dayr al-ßarsftä I, chapitre 7.
9 9
IFS TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
du temple, dont il offre une des plus anciennes descriptions. Ensuite, il déclare qu'il était vizir. En tant que tel, il établissait, entre autres choses, les stèles-frontières des nomes en Haute et Basse Egypte. Plus tard dans son précis, il explique qu'il était président d'un conseil de nomarques, au sein duquel, dans une période troublée qu'Ahanakht ne spécifie malheureusement pas, il se conduisait en administrateur énergique. Il fait état de jours difficiles, et même, me semble-t-il, de problèmes d'ordre militaire, mais dans de telles circonstances également, il était capable de trouver une solution.
Finalement, en nomarque, il prenait soin du cadastre, et était responsable de l'exploitation des carrières d'Hatnoub.
Grâce aux inscriptions de ces carrières, nous pouvons vérifier la véracité de ces informations. Ahanakht avait envoyé six cents hommes à Hatnoub pour fournir du calcaire pour une construction dans le temple deThot à Ashmounein 7 0. La biographie donne plusieurs précisions à cet égard. Ahanakht prétend avoir bâti un nouveau sanctuaire pour le temple deThot , qu'il inscrivit avec son propre nom. Il présidait aussi au rituel d'abattre l 'ennemi, déjà mentionné dans la biographie d'Iha et, à cette occasion, il distribuait la viande d'un taureau parmi la population.
De prime abord, les récits de Djéhoutinakht, d'Iha, et d'Ahanakht ne semblent montrer que peu de cohérence. Mais si l 'on prend en compte le fait qu'on a affaire à trois hommes qui vécurent à la même époque et qui semblent avoir appartenu à la cour nomarcale d'Ahanakht, il est certain qu'ils se sont bien connus et qu'ils décrivent les différents aspects d'un seul contexte historique : celui de l'époque juste après que les rois thébains avaient pris le pouvoir dans ce qui avait jusqu'alors été le royaume héracléopolitain. Ahanakht, Iha et Djéhoutinakht avaient leurs racines dans ce dernier royaume. Mais le boule-
70. Hamub, graffiti. 12-13.
100
DEIR EL-BERSHA
versement politique que représenta sans doute l'Unification du pays ne paraît pas avoir gravement déséquilibré leur position sociale. On a au contraire l'impression que la situation évoluait pour eux de manière très positive.
Djéhoutinakht semble avoir été un factotum qui s'occupait de la gestion quotidienne de certaines institutions dans le nome. Dans son autobiographie, la distribution de rations à divers ateliers et bureaux paraît avoir constitué l'aspect le plus important de ces activités. En outre, il organisait aussi des opérations dans le désert où il se procurait du calcaire, et il construisait des tombes.
L'intellectuel Iha pourrait avoir été attaché au temple local de Thot, bien que son autobiographie ne le dise pas catégoriquement, où il dirigeait le scriptorium et les musiciens/danseurs, et participait à l'exécution de rituels. Sans doute à cause de ses qualités de scribe, il fut nommé précepteur à l 'école de la cour royale, où il enseignait aux princes — et, en se fondant sur la datation de ce groupe de tombes, il est vraisemblable qu'il se soit agi des princes de la cour royale thébaine. Ce membre important de la cour nomarcale hermopolitaine doit, par conséquence, avoir passé beaucoup de temps à Thèbes et, bien que le texte ne le précise pas, il pourrait aussi avoir servi comme intermédiaire entre la Résidence nationale et le bureau nomarcal d'Ahanakht.
Ce dernier combinait, comme c'était fréquemment le cas, les tâches de nomarque et de prêtre en chef du temple local. Jusqu'à présent, une autre fonction n'a guère retenu l'attention, mais elle ne devait être nullement moins importante que les activités que je viens de mentionner : celle de vizir.
Les égyptologues qui ont rendu compte de ce fait l 'ont généralement expliqué comme un vizirat honoraire. Mais si on lit attentivement les textes de la tombe d'Ahanakht, il apparaît qu'il prétend avoir joué un rôle très réel dans le cadre politique
101
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
de son temps. On rencontre plusieurs renvois à ses interventions en Haute et Basse Egypte, clairement en dehors du territoire d'un simple nomarque.
Ce contexte explique aussi un aspect extraordinaire de sa tombe. Ce monument comporte deux pièces. Bien qu'elles soient actuellement très endommagées, on peut toujours discerner, aux quatre angles de chacune d'elles, qu'on y avait représenté une colonne. L'angle sud-est de la pièce nord est encore intact, et il présente une colonne papyriforme (voir pl. 1 3 A) . Aucune des colonnes de l'autre pièce n'est complète, mais, bien que sévèrement endommagé, le chapiteau de celle de l'angle sud-est reste reconnaissable ; il s'agit d'une colonne lotiforme (voir pl. 1 3 B ) . Nul doute, donc, que cette tombe était décorée dans la pièce nord avec la plante héraldique de Basse Egypte, et dans la pièce sud avec celle de Haute Egypte 7 1 . Pour autant que je sache, il n'existe pas de parallèle à ce dispositif dans une tombe privée, mais sa présence pourrait s'expliquer par le fait qu'Ahanakht, en tant que vizir, revêtait une très grande responsabilité dans le pays qui venait d'être réunifié. Les plantes héraldiques ont pu être un moyen pour Ahanakht d'exprimer sa fierté due au fait que, non seulement il était en mesure de poursuivre la lignée nomarcale, mais également que le nouveau roi lui confiait une position centrale dans le réseau administratif de l'Egypte entière.
Nous savons aussi qu'à la même époque, un autre vizir résidait àThèbes même : ou le vizir Bebi ou le vizir Dagi 7 2 . Comme les vizirs provinciaux de la fin de l'Ancien Empire, Ahanakht était probablement un vizir secondaire qui coordonnait l'admi-
71. Voir déjà ßersheh II, p. 8 -0 .
72. ALLEN suppose même qu'Ahanakht I" était le seul vizir en fonction à l 'époque,
et qu'i l était le prédécesseur de Dagi et de Bebi, dans : The Theban Necropolis.
Past, Present and Future, p. 14-29. Cela semble moins vraisemblable, parce qu' i l
aurait alors été le plus haut administrateur du pays dans un système administratif
qui, pour le reste, était entièrement thébain.
102
DEIR EL-BERSHA
nistration provinciale du nord de l'Egypte. Si l'on suit cette
piste, on commence également à comprendre comment les
Thébains réussirent à s'emparer du territoire héracléopolitain.
LE PAYSAGE RITUEL DE D E I R EL-BERSHA
Cette interprétation historique facilite aussi la compréhen
sion globale du site de Deir el-Bersha. Ce qui est notable, c'est
qu'avant Ahanakht, personne n'avait eu l'idée de bâtir une
grande tombe décorée dans la zone 2 . L'élite locale de la
Première Période Intermédiaire semble avoir été enterrée dans
la plaine, dans la zone 1 0 . Dans cette perspective, la décision
d'Ahanakht de faire construire sa tombe dans un endroit pres
que vierge, mais impressionnant, pourrait être comprise
comme une rupture consciente avec la tradition. Sans doute
avait-il pour but d'exprimer par tous les moyens possibles le
statut de la lignée dirigeante à Ashmounein.
Un nouvel élément archéologique doit maintenant être
décrit brièvement. En 2 0 0 2 , au début de nos fouilles, T.
H E R B I C H a entrepris une prospection géomagnétique dans les
zones 8 et 9 . Celle menée dans la zone 9 a abouti à des résul
tats très importants. L'aire ouest de la zone 9 a une forme trian
gulaire, due au fait que l'ouadi a abandonné des dépôts en face
de son embouchure, créant un terrain plus élevé au milieu. Là
se trouvent de nombreux tombeaux signalés, dès avant le début
de nos travaux, par les grands cratères laissés par nos prédéces
seurs. Entre ces cratères se situe une zone longitudinale
d'orientation est-ouest, qui est beaucoup moins accidentée. La
prospection géomagnétique y a révélé l'existence d'une ano
malie clairement visible (pl. 1 4 ) 7 1 .
73. PEETERS, HERBICH, Archaeologia Polona 41 (2003), p. 245-247; HERBICH,
PEETERS, Archaeological Prospection 13 (2006), p. 14-19.
103
I f S TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Pendant les fouilles de 2 0 0 2 et de 2 0 0 6 , nous avons pu
constater que cette anomalie correspond à un dépôt d'argile
alluviale, matériau qui doit avoir été déposé dans le désert par
des activités humaines. Sans doute l'anomalie correspond-elle à
une ancienne rue traversant le cimetière d'ouest en est, le
limon humidifié fonctionnant comme une surface glissante
pour les traîneaux utilisés pour transporter les sarcophages vers
les tombes.
Le plan géomagnétique fait aussi apparaître plusieurs lignes
droites qui, après fouille, s'avèrent correspondre à des com
plexes funéraires entourés d'un mur d'enceinte. Nous n'avons
pas encore pu dégager tous ces complexes, mais le tracé des
murs est révélateur : tous sont nettement orientés vers la rue
que je viens de mentionner (voir fig. 1 3 ) .
Il convient de remarquer que la relation spatiale entre ces
tombes et la rue doit refléter la structure sociale de la popula
tion. Il est clair que la plupart des fouilles précédentes ont été
effectuées au sud de la route, et à courte distance de celle-ci.
Comme l'observe C. P E E T E R S , le fouilleur de la zone 9 , l'atten
tion des archéologues du début du X X E siècle a dû être attirée
vers ce secteur parce que des structures importantes étaient
toujours visibles à la surface. En effet, à plusieurs endroits, on
peut encore voir des puits funéraires ouverts (voir fig. 1 3 ) .
Ceux-ci sont de grandes dimensions et sont pourvus de murs
parfois assez importants. On peut en déduire que leurs proprié
taires étaient relativement riches.
A une plus grande distance de la rue, et surtout au nord de
celle-ci, P E E T E R S a découvert au moins cinq complexes funérai
res contenant parfois un grand nombre de tombes assez simples,
entourant quelques tombes de plus grande échelle. Mais dans
cette zone, même les tombes les plus vastes sont de dimensions
beaucoup plus modestes que celles situées à proximité de la rue.
Il semble manifeste qu'il existe un rapport direct entre, d'une
part, le statut social des propriétaires des tombes et, d'autre
104
DEIR EL-BERSHA
F I G . 1 3 : P L A N D U « G A Z Î R A » D A N S LA P A R T I E O U E S T D E LA Z O N E 9
( D E S S I N C H R I S T O P H P E E T E R S ) .
105
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
part, la proximité entre les tombes et la rue. Il est aussi important de noter que les seuls fragments de Textes des Cercueils que nous ayons trouvés dans la zone 9 ont été mis au jour dans une très grande tombe située au voisinage de la rue 7 4 .
L'existence d'une rue présuppose une nécessité de circulation, et on se demande alors quel était le point d'arrivée de la rue, et quel était son point de départ. Les deux problèmes ne sont pas difficiles à résoudre. Si l 'on projette le tracé de la rue vers l 'est, la ligne aboutit au pied de la côte nord de l'Ouadi Nakhla, exactement à l 'endroit où commence la montée vers les tombes rupestres des zones 2 et 4 (fig. 1 4 ) . La projection de la rue dans l'autre direction conduit presque en ligne directe vers la ville d'el-Ashmounein dont Deir el-Bersha hébergeait le cimetière. Chaque fois qu'un habitant de la ville était enterré, et chaque fois qu'on célébrait des fêtes religieuses dans le cimetière, la population de la cité devait alors se déplacer selon un trajet qui suivait plus ou moins le tracé de notre rue. Aussi sem-ble-t-il clair que la rue a été créée pour être utilisée à de telles occasions. Une deuxième conséquence de cette interprétation est que les tombes nomarcales constituaient le point d'orgue de ces processions, même si, peut-être, tous n'étaient pas autorisés à suivre la route jusqu'à son extrémité. Ainsi, les fêtes devaient commencer sur le quai, sur la rive est du Nil. Ensuite, la population se déplaçait, en empruntant la rue qui longeait les tombes les plus grandes, situées sur ses bords. Probablement, une majorité de la foule tournait vers la gauche ou vers la droite pour rejoindre les tombes familiales d'échelle plus modeste, qui occupaient des positions plus reculées. Mais même ceux qui ne continuaient pas vers le haut de la montagne
74. Voir pour les fouilles dans cette zone, PEETERS, dans W I U E M S e.a., M D A / K 6 0
(2004), p. 266-269; IDEM, dans WILLEMS e.a., M D A / K 62 (2006), p. 3 2 8 - 3 3 7 ;
WILLEMS, PEETERS, VERSTRAETEN, Z Ä S 132 (2005), p. 181-185.
1 0 6
F I G . 1 4 : P R O J E C T I O N D E LA « R U E » S U R LE « G A Z Î R A » V E R S L'EST
( D ' A P R È S W I L L E M S , P E E T E R S , V E R S T R A E T E N , Z Ä S 1 3 2 ( 2 0 0 5 ) ,
p. 1 8 3 , F I G . 3 ) .
107
i f 5 TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
pour rallier les tombes nomarcales, devaient être conscients de
leur présence visuellement dominante. Ce paysage rituel a sans
doute été utilisé assez longtemps, mais pour nous il est impor
tant de se demander quand il fut mis en œuvre.
Une solution pourrait être que la rue avait été tracée au
moment où les premières grandes tombes avaient été construi
tes. On peut dater ce moment avec une grande précision, car, à
côté du sentier qui escalade la montagne, il existe une tombe
exactement datée. C'est la tombe, aujourd'hui en grande par
tie détruite, d'un certain Ia-ib. Sur sa façade, il a fait graver la
copie d'un décret royal qu'a recopiée M Ö L L E R , et qui fut
publiée en 1 9 2 8 par A N T H E S . Bien que cette publication soit de
qualité médiocre, il en ressort clairement que la tombe date de
l'époque du roi Néferefrê de laV 1 dynastie 7 5.
Mais l'hypothèse que la rue remonterait à cette époque
pose problème. Cette rue était entourée d'un grand nombre de
tombeaux construits à ses abords. Nous avons fouillé quelques
dizaines d'entre eux, et presque tous contiennent de la cérami
que de la fin de la Première Période Intermédiaire ou du tout
début du Moyen Empire, avec quelques exceptions légèrement
plus récentes. Une prospection de terrain effectuée dans le
même secteur, mais couvrant une surface beaucoup plus
grande, a conduit au même résultat. Dans la zone 1 0 , c'est-à-
dire la continuation du cimetière au centre du village, on a
trouvé du matériel copte et de la période tardive, dont on ne
tiendra pas compte ici, et, de nouveau, du matériel de la fin de
la Première Période Intermédiaire ou du début du Moyen
Empire. L'Ancien Empire fait totalement défaut, de sorte qu'il
est peu vraisemblable que la rue doive être mise en relation
avec les tombes de l'élite de cette époque.
75. ANTHES, Hotnub, pl. 2 (inscription XV). Une copie améliorée et une interpréta
tion chronologique seront publiées par Mar leen DE MEYER. Voir déjà DE MEYER,
dans : Proc. 9th ICE I, p. 421 -422 .
1 0 8
DEIR EL-BERSHA
Il me semble aussi peu probable que la rue conduise vers des tombes nomarcales datant de la Première Période Intermédiaire. Comme nous l'avons noté, ces tombes se concentrent probablement au centre du village.
Les grandes tombes nomarcales de la zone 2 n'apparaissent qu'à partir du gouvernorat d'Ahanakht I". La taille énorme des sarcophages qui y furent dès lors enterrés pourrait bien avoir conduit à la construction d'une piste en limon glissant. On se demandera s'il n'est pas vraisemblable de dater la rue de cette époque. La céramique trouvée aux alentours de celle-ci correspond d'ailleurs très bien à une telle date 7 6 . Dans cette perspective, la rue peut être envisagée comme un élément du programme d'adaptation de l'organisation spatiale du site, dont l 'élément essentiel a consisté en la création du cimetière nomarcal dans la zone 2 .
Si l 'on accepte cette hypothèse, on constate alors diverses évolutions parallèles. D'une part, le statut administratif et politique d'Ahanakht I", non seulement nomarque, mais aussi chef des prêtres et vizir, lui donnait une position prépondérante à travers le pays, mais tout spécialement dans le nome du Lièvre. Ce statut doit s'être reflété dans sa position sociale, et on semble en apercevoir un indice dans la création d'un paysage rituel englobant tout le site de Deir el-Bersha. Ce paysage facilitait des célébrations funéraires et mortuaires de très grande échelle, incluant la circulation d'une bonne partie de la population d'el-Ashmounein, circulation culminant dans la zone 2 qui fut instituée à cette époque.
On sait que, jusque vers le règne de Sénousret III, la zone 2 avait continué à être utilisée, et qu'on y construisait des tombes de belle allure. L'une d'entre elles appartenait à un nomarque
76. Voir O P DE BEECK, PEETERS, WILLEMS, dans : SCHIESTL, SEILER (éd.). Handbook of
Middle Kingdom Pottery, sous presse. Pour quelques considérations qui pourraient
nuancer ce point de vue, voir ici, p. 237.
109
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
appelé Djéhoutinakht (VI) . La tombe s'est complètement effondrée, mais elle est probablement encore complète. Un jour, j 'espère pouvoir y entreprendre un programme de restauration, mais cela ne sera pas envisageable avant que les fouilles dans la région ne soient terminées 7 7 .
D'autres tombes de grande échelle existent, la plus célèbre d'entre elles étant celle de Djéhoutihotep ( 1 7 L 2 0 / 1 ) . La fouille dans et aux alentours de cette tombe a commencé en 2 0 0 2 et va continuer encore plusieurs années. Pour l'instant nous avons déjà trouvé environ quatre mille fragments nouveaux du décor de cette tombe. Les plus intéressants d'entre eux proviennent d'un texte autobiographique, mais malheureusement je n'ai pas encore pu m'en occuper. On ne peut que souhaiter qu'il soit possible, un jour, de reconstituer non seulement ce texte, mais aussi les autres parties détruites de la tombe.
L'élément le plus connu de cette tombe est la scène fameuse qui montre comment la statue colossale de Djéhoutihotep fut transportée des carrières d'Hatnoub vers son emplacement final (pl. 4 ) . Étant pratiquement le seul document qui représente la façon dont les Égyptiens déplaçaient des blocs d'un grand poids, cette scène a été souvent étudiée comme source d'information sur la technologie pharaonique. Mais la question de savoir dans quel but la statue fut érigée n'a guère été posée.
La scène se trouve sur la paroi ouest de la tombe. De nos jours, des éléments importants en ont malheureusement disparu. La perte la plus grave est celle d'une surface carrée derrière le dos de la statue, où, jusque vers 1 8 8 0 , on lisait un texte historique. Heureusement, plusieurs égyptologues l'avaient copié avant sa disparition. De surcroît, une photographie prise,
77. A cause de l'accessibilité réduite de cette tombe, elle n'a pas encore été insé
rée dans le p lan reproduit à la f igure 10. Le monument se trouve directement à
l'ouest de celle de Djéhoutihotep (no. 17L20/1).
1 1 0
DEIR EL-BERSHA
juste avant la destruction des textes, par le Major H A N B U R Y
B R O W N a été récemment publiée 7 8 . Ainsi, possède-t-on une
documentation presque complète pour ce texte. Il relate que la
statue, d'une hauteur de presque sept mètres, provenait des
carrières d'Hatnoub et que de grandes difficultés durent être
résolues avant qu'elle n'arrive à destination. Là, elle était atten
due par une foule excitée qui est représentée au registre supé
rieur de la scène, accompagnée du texte suivant :
[La ville entière est en] fête, son cœur est en joie. Ses
vieillards sont rajeunis, ses jeunes gens sont vigoureux,
ses enfants poussent des cris, leur cœur étant en fête,
tandis qu'ils voient leur maître et le fils de leur maître
(étant) dans la faveur du souverain, en construisant
son79 monument™.
Plus bas, on voit quatre compagnies d'hommes, soit un total
de cent soixante-douze personnes qui sont en train de tirer le
traîneau de la statue.
Le site de son emplacement n'est pas clairement identifié
dans le texte. N E W B E R R Y supposait qu'elle avait été érigée à el-
Ashmounein, point de vue qui, depuis, a été généralement
accepté. Dans un article récent, ce problème a été à nouveau
discuté, ce qui a conduit à des conclusions assez différentes 8 1 .
La première indication sur l'emplacement ressort du texte
accompagnant la compagnie de traîneurs inférieure. Chacune des
compagnies est dite appartenir à un district du nome du Lièvre.
Dans le cas présent, il s'agit de la compagnie de l'est de ce nome.
Selon le texte écrit au-dessus de leurs têtes, ils chantent :
78. Voir DAVIES, dans : Studies James, p. 29-35. 79- C. à d. de Djéhoutihotep.
80. ßersheh I, p l . XV, registre supérieur.
81. Pour les détails de ce qui suit, voir WILLEMS, PEETERS, VERSTRAETEN, ZÀS 132
(2005), p. 173189-
m
I f 5 TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Notre maître s'est dirigé vers (la ville de) Tjerty. Le dieu Nemty se réjouit à cause de lui. Ses ancêtres sont en
fête, leur cœur étant en joie, se réjouissant de [ses] beaux monuments"2.
Peu importe de déterminer qui est le maître mentionné dans le chant. Il pourrait s'agir de la statue, mais aussi de Djéhoutihotep qui, selon la scène et le texte l'accompagnant, marche derrière celle-ci. Dans les deux cas, l'implication est qu'on est arrivé à une ville ou un village appelé Tjerty. La localisation de Tjerty n'est pas vraiment connue mais, du moins, il ne s'agit pas d'el-Ashmounein (appelée en égyptien Hmnw). Le fait que la destination soit mentionnée dans le chant de la compagnie orientale suggère que Tjerty se trouvait sur la rive est du Nil. En tout cas, aucun élément dans les descriptions détaillées du transport de la statue ne renvoie à el-Ashmounein, ou n'implique que la statue traversait le Nil en bateau. En revanche, un passage du grand texte nous informe que les traîneurs étaient « accompagnés » de bateaux de ravitaillement, remarque qui laisse plutôt supposer que la statue était tirée parallèlement au Nil. Il semble donc clair que son emplacement définitif doit être recherché sur la rive droite.
La scène ne montre pas seulement le transport de la statue, mais aussi, dans l'angle droit de la paroi, sa destination (voir fig. i r ) . Il s'agit d'une chapelle appelée « L ' a m o u r de Djéhoutihotep dans le nome du Lièvre est durable » 8 Î . Il semble donc que le contexte pour lequel la statue avait été créée était un lieu de culte pour le nomarque.
82. Bersheh I, p l . XV, registre inférieur.
83. ßersfieh I, pl. XII. Le contexte cultuel évident dans la scène et dans le texte qui
l 'accompagne ne laisse que peu de doute sur le fait qu' i l s'agit d 'une chapel le, et
non d'un palais de gouverneur ; pour cette dernière suggestion, voir KEMP, Ancient
Egypt. Anatomy of a Civilization2, p. 340-341.
112
DEIR EL-BERSHA
LA D E S T I N A T I O N D E LA S T A T U E D E D J É H O U T I H O T E P
ÈS N E W B E R R Y , EL BERSHEH I , PL. X I I ET X V I ) .
1 1 3
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Finalement, le texte précise que Djéhoutihotep était le premier gouverneur local à avoir eu l'idée de construire un monument personnel de telles dimensions. Il écrit :
Les administrateurs (hj.ty.w-') qui étaient en Jonction auparavant, et les gouverneurs provinciaux (sJb<.w> 'd mr) qui étaient en Jonction [...] dans cette ville, et qui établirent ces autels sur la rive de laßeuve, ils n'ont même pas considéré ce que j'aiJait, (c. à d.) la construction, que j'ai entrepris pour moi-même, d'une [chapelle de ka/ inférieure établie après que cette mienne tombe s'était mise en repos de son travail pour l'éternité"*.
La fin de ce passage semble signifier que Djéhoutihotep avait d'abord terminé la construction de sa tombe avant d'édifier un nouveau bâtiment dont, malheureusement, la désignation a partiellement disparu. Mais il s'agit sans doute de l'édifice destiné à la statue, qui était une chapelle. Il est donc vraisemblable que le mot détruit était hw.t-kj, « maison de ka », terme désignant souvent les lieux de culte de potentats régionaux. Quoi qu'il en soit, l 'adjectif « inférieur » sous-entend que la structure se trouvait plus bas que la tombe que Djéhoutihotep venait d'achever. Le texte, en tout cas, suggère un lien entre la tombe et la chapelle.
Djéhoutihotep compare cette structure aux autels qu'avaient bâtis ses prédécesseurs sur la rive du Nil. Apparemment sa chapelle n'était pas une structure isolée, mais faisait partie de toute une concentration de bâtiments similaires, mais de dimensions plus réduites. Cette concentration se trouvait sur le bord du Nil.
84. Bersheh I, pl. X I V , 1 0 - 1 2 . Pour la justification de cette traduction, voir WILLEMS,
PEETERS, VERSTRAETEN, Z Ä S 132 (2005), p. V 4 - V 5 -
1 1 4
DEIR EL-BERSHA
De nos jours, la rive orientale se situe à deux kilomètres
approximativement à l 'ouest du centre du village de Deir el-
Bersha, mais les recherches menées par notre équipe dans la
plaine alluviale semblent indiquer qu'il est tout à fait possible
que le lit du Nil ait été beaucoup plus proche du village au
Moyen Empire. Une branche ancienne se trouve à environ cent
cinquante mètres au nord-ouest du vieux centre du village. La
campagne de 2007 a même fourni des indices selon lesquels
une autre branche passait dans ce qui est actuellement le centre
du village 8 5. Toutes les indications justifient la conclusion que
probablement, à l'ouest du village moderne, était installé le
port où débarquaient les processions funéraires. C'est là, au
début de la rue vers le cimetière, que se dressait le quartier des
chapelles de gouverneurs, dont, à la fin de la XII e dynastie, celle
de Djéhoutihotep était la plus impressionnante. On peut com
parer ces données à la situation presque contemporaine à
Biahmou. Selon la reconstruction de D. A R N O L D , le commen
cement de la rue conduisant de la rive du lac Moeris vers la
ville de Crocodilopolis était bordé de deux statues du roi
Amenemhat III, qui avaient la même allure et la même échelle
que celle décrite par Djéhoutihotep (voir fig. 1 6 ) 8 ' .
On constate, alors, que probablement durant toute la
période entre Ahanakht I e r (fin de la XL dynastie) et le gouver-
norat de Djéhoutihotep (fin de la XII e dynastie), la circulation
rituelle sur le terrain de Deir el-Bersha se déroulait entre deux
pôles entièrement consacrés au culte de la lignée des gouver
neurs : les chapelles proches du quai, et les chapelles des tom
bes sur le haut de la montagne. Il semble évident que la rue
reliant ces deux extrémités devait servir à un cérémonial où le
culte des gouverneurs était non moins important.
85. L'étude géographique de la plaine alluviale de la région est dirigée par Gert
VERSTRAETEN.
86. ARNOLD, Die Tempe/ Ägyptens, p. 188.
115
DEIR EL-BERSHA
Le cas de Deir el-Bersha n'était certainement pas unique. À Qaw el-Kebir, les tombes nomarcales possédaient des routes architecturalement très impressionnantes, de nos jours encore, qui, par leur forme et leurs dimensions, rappellent les chaussées conduisant vers les pyramides royales (fig. 1 7 ) . La même situation se présente dans le cas de quelques tombes du Moyen Empire à Qubbat el-Hawa', dont l 'une appartenait à Sarenpout I e r . ÀThèbes , les tombes des grands dignitaires du début du Moyen Empire, situées à Deir el-Bahari et dans l'Assasif, disposaient de cours en face de l 'entrée de la tombe proprement dite. Il est vraisemblable qu'une chapelle se dressait à l 'entrée de ces cours. À Beni Hasan, on trouve des dispositifs de structure plus simple : des pistes dont les bords sont limités par des alignements de pierres non travaillées. A Assiout, site peu accessible et largement détruit, on ne peut plus rien reconnaître sur le terrain, mais dans l 'énorme tombe de Djefaihâpi, contemporain de Sénousret I e r , l ' inscription autobiographique fait état de la statue du gouverneur qui aurait été placée m rd hr.y n i.i=f « à l 'escalier inférieur de sa tombe » 8 7 . La sépulture était ainsi pourvue d'un escalier descendant vers la vallée, et une statue se situait au bas de celui-ci. Si l 'on n'a pas d'autre renseignement sur cette dernière, on sait que Djefaihâpi possédait au moins une très grande statue en bois, actuellement conservée au Louvre 8 8 . Je ne serais pas étonné que la statue au pied de l'escalier menant à sa tombe gigantesque ait aussi été de dimensions
87. Siut I, 308 ; voir GRIFFITH, Siût and Dêr Rîfeh, pl. 8. 88. DELANGE, Statues égyptiennes, p. 76. Il n'est pas tout à fait certain qu' i l s'agisse
du Djefaihâpi qui possédait la grande tombe I à Assiout. Sinon, la statue doit avoir
appartenu à une personne enterrée à proximité de lui et qui portait le même nom.
Dans ce cas, la trouvaille d'une pièce de proportions colossales, dans une sépul
ture sans doute beaucoup moins grande, suggère qu' i l ne devait pas être très
exceptionnel de posséder une statue de telles dimensions.
" 7
DEIR EL-BERSHA
Dans les autobiographies nomarcales on trouve assez sou
vent de telles descriptions". Il en ressort que les gouverneurs
89. Selon une inscription de visiteur récemment découverte à Assiout, il existait
encore, au Nouvel Empire, un temple de Djefaihâpi sur le site. L'emplacement de ce
monument reste inconnu, mais il pourrait avoir été situé dans la plaine : voir KAHL, CM
211 (200a), p. 27. Dans une publication récente, M. EL-KHADRAGY suppose aussi
qu'une chapelle de statue se dressait au pied de la montagne où se trouve la tombe
de Djefaihâpi : G M 212 (2007), p. 4 2 ; 54. Le même article suggère de surcroît
qu'une statue de culte de dimensions colossales se trouvait à l'intérieur de la tombe
(p. 43, n. 18 et p. 57, fig. 2). L'auteur fonde cette hypothèse sur une remarque de
GRIFFITH, Siût and Dêr Rffeh, p. 9 ; mais cette remarque est si imprécise qu 'on n'est
guère en droit d'en conclure à l'existence d'une statue monumentale.
9 0 . Siuf III, 13-15 : voir GRIFFITH, op. cit., pl. 11. Voir l 'analyse de WILLEMS, Phoenix 46 (2000), p. 99-IOO. 91. Voir les sources répertor iées par D O R N , dans : Des Néferkarê aux
Montouhotep, p. 134-135.
1 1 9
colossales 8 ' . La situation à Deir el-Bersha n'était peut-être pas
si exceptionnelle qu'on pourrait le penser.
Que se passait-il dans un tel paysage rituel ? On n'en est
informé que très partiellement par les textes. Une inscription
dans la tombe du nomarque It-ib à Assiout contient le passage
suivant :
Finalement j'ai abouti ici (c. à d. dans la tombe) tandis
que mon fils est sur mon trône,... après qu'il avait com
mencé de régner comme un enfant d'une coudée. La ville
pousse des cris de joie à cause de lui, tandis qu'elle se
souvient de ma bonté. Quant à chaque sah qui fait ce
qui est bien pour les hommes .... c'est quelqu'un dont le
souvenir reste vivant sur terre, un esprit dans la nécro
pole, tandis que son fils reste dans sa maison. Sa
mémoire dans la ville est bonne, lui étant glorifié quand
sa statue est portée sur les épaules des serviteurs de sa
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
120
se vantent d'avoir régné comme de bons seigneurs, jouissant
d'une grande popularité dans leurs communautés. Cela est pré
senté sans doute comme une qualité personnelle, mais surtout
dans le cadre de la continuité de la lignée nomarcale : le fils
poursuit les actions bénéfiques de son père, et les deux sont
glorifiés publiquement pendant des célébrations où leurs sta
tues sont portées à travers les rues de la ville, probablement à
l'occasion de fêtes religieuses. Plusieurs tombes de l'Ancien Empire contiennent des
reliefs montrant de telles festivités. Par exemple, une scène dans la tombe de Pépi-ânkh Heny-kem à Meir représente une procession de porteurs d'offrandes dont l'un tient une châsse portable abritant la statue du gouverneur ainsi qu'un vase qbh à bec verseur". Le même type de châsse est figuré dans la tombe de Nékhebou à Giza 9 ï . Dans d'autres exemples, on rencontre un modèle identique, mais sans la statue 9 4. Dans la plupart des cas, de telles scènes sont orientées vers l'intérieur des tombes où elles sont représentées, suggérant que les châsses sont apportées de l 'extérieur vers l'intérieur. Le contexte serait alors celui d'une procession conduisant vers la tombe.
Le même type d'objets a récemment été découvert à Elephantine, et là, les conditions dans lesquelles les statues des notables étaient portées en procession sont heureusement plus claires. Dans le contexte cultuel de cette ville, le culte du saint Heqaib occupait une place prépondérante. Heqaib avait été, vers la fin de la VP dynastie, chef d'expéditions en Nubie et, sans doute, bien que sa titulature n'en fasse pas état, un des fonctionnaires dirigeant le nome méridional de l'Egypte. Déjà pendant l'Ancien Empire, et peut-être de son vivant, une petite
92. Meir V, pl. XXVI. 93. SMITH, HESPOK, p. 209, f ig. 80. 94. Voir les sources réunies dans D O R N , op. cit., p. 132-133.
DEIR EL-BERSHA
chapelle en son honneur avait été créée dans le palais des gouverneurs. Dans ce cas particulier, le culte du gouverneur s'était transformé en un culte de saint, le sah Heqaib. Au cours de la Première Période Intermédiaire, celui-ci était devenu d'une telle importance que le roi Antef II érigea une chapelle plus grande, non loin de l'ancienne. Au fil des ans, cette dernière avait évolué en dépotoir pour les objets de culte utilisés pendant les fêtes célébrées en l'honneur de Héqaib 9\ Dans ce qui suit, je l'appellerai « la sacristie ».
Pendant le Moyen Empire, la nouvelle chapelle fut agrandie plusieurs fois, se transformant en un centre de culte, non seulement pour Heqaib lui-même, mais aussi pour tous les gouverneurs successifs à partir du gouverneur Sarenpout I " % . L'archéologie montre que le culte se déroulait non seulement à l'intérieur de la chapelle, mais aussi à l'extérieur. En quittant la chapelle, on se trouve dans ce qui était, au Moyen Empire, la plus grande rue de la ville, et l'absence totale d'ordures entre les couches successives de cette rue atteste que celle-ci fut nettoyée régulièrement'' 7. Il est alors évident que cette voie revêtait un rôle assez particulier.
La chapelle ancienne de Heqaib, convertie en dépotoir pour les objets de culte, a été récemment redécouverte dans un état de conservation remarquable. On y a retrouvé des objets du même style que les châsses portables représentées sur les parois des tombes que je viens d'évoquer. En fait, plusieurs châsses de ce type ont été mises au jour, ainsi que des fragments de plusieurs autres. Quelques-unes d'entre elles étaient inscrites et portaient les noms des dirigeants de la ville. Elles ne contenaient pas de statues, mais, par ailleurs, des statues furent
95- Pour le développement des chapelles de Heqaib, voir maintenant V O N PILGRIM, dans : Timelines I, p. 403-418.
96. Pour l'interprétation de cette chapelle plus récente, voir FRANKE, Das Heiligtum des Heqaib.
97- V O N PILGRIM, Elephantine X V I I I , p. 124-126 ; 219-220.
121
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
découvertes dans le même contexte 9 8 . On peut ainsi voir les objets concrets qui furent portés pendant les processions. Il est remarquable que ces châsses exhumées dans des niveaux du Moyen Empire soient inscrites non seulement au nom de Heqaib, mais aussi de Sabni, un autre chef d'expéditions de l'Ancien Empire. Dans le cadre du culte du sah Heqaib, on semble donc avoir affaire à la vénération non seulement de Heqaib lui-même, mais encore d'autres grands hommes du passé. Le texte d'Assiout cité plus haut laisse entrevoir que les statues de nomarques récemment décédés étaient également portées en procession. Étant donné que la « nouvelle » chapelle de Heqaib à Elephantine contenait des chapelles pour toute une lignée de gouverneurs, il est vraisemblable que les effigies de ces personnages aient pu être associées à celles des grands hommes de l'Ancien Empire. Il faut alors imaginer que toute une série de telles châsses était transportée en procession. Peut-être que la châsse contenant la statue du gouverneur régnant était la première d'entre elles.
Pour comprendre le déroulement des processions il est important de prendre en compte la topographie du site d'Élé-phantine. La première chapelle de Heqaib, qui sera plus tard transformée en sacristie, se dressait dans le palais du gouverneur. Juste en face du palais se trouvait le début d'une rue conduisant vers la porte ouest de la ville. Au cours de la Première Période Intermédiaire, une digue fut construite plus vers l'ouest'", constituant la voie de communication avec ce qui avait été , jusqu'alors, l 'île de l 'ouest, qui abritait un cimetière datant de la fin de l'Ancien Empire et de la Première Période Intermédiaire' 0 0 . A l 'entrée de la tombe de Heqaib, qui se situe
98. Pour une discussion détail lée sur les châsses, voir D O R N , op. cit., p. 129-143. 99. Voir Z I E R M A N N , MDA/K 51 (1995), P- 138-140 et f ig. 1 ; pour une analyse plus
récente, voir SEIDLMAYER, Historische und moderne Ni/sfände, p. 81-82. 100. Pour ce cimetière, encore inédit, voir SEIDLMAYER, dans : Social Aspects of
Funerary Culture, p. 205-252.
1 2 2
DEIR EL-BERSHA
encore plus vers l'ouest, sur la rive gauche du Nil au Qubbet el-Hawa', on voit une scène montrant comment une châsse mobile était portée vers la tombe 1 0 1 . On peut donc reconstruire le scénario suivant : les participants à la procession s'assemblent à proximité du palais du gouverneur. Les châsses sont récupérées dans la chapelle qui se trouve à l'intérieur du mur entourant le palais. Ensuite, la procession quitte la ville par la porte ouest, traverse le cimetière sur l'ancienne île ouest, puis franchit le Nil pour rejoindre la tombe de Heqaib (et d'autres) sur le Qubbet el-Hawa'.
La construction de la nouvelle chapelle de Heqaib nécessitait une adaptation du circuit rituel. Une grande rue fut tracée en face de la chapelle, qui conduit vers l'ancien parcours rituel. Dès lors, la procession commençait probablement dans la nouvelle chapelle, utilisant les objets de culte stockés dans la sacristie. Pour le reste, le scénario rituel doit être resté plus ou moins le même.
La situation à Elephantine ressemble à certains égards à celle de Balat. La mission de l'Institut Français d'Archéologie Orientale du Caire y a découvert, à rAyn Asil, une grande ville de l'Ancien Empire et, à l'ouest de celle-ci, un cimetière de la même époque, à Qila r ed-Dabba. La zone sud de la ville est actuellement bien connue (voir fig. i 8 ) . Elle comporte le palais du gouverneur local. À l'ouest de celui-ci subsistent les vestiges de quatre chapelles destinées au culte des gouverneurs ; une cinquième fut découverte au sud du palais 1 0 2 .
Comme à Elephantine, le palais de l'Ancien Empire incluait donc un lieu de culte pour les gouverneurs. La présence de tables d'offrandes pour les gouverneurs morts dans l'habitation
101. Voir D O R N , op. cit., p. 132.
102. Pour les chapelles des gouverneurs à 'Ayn Asil, voir SOUKIASSIAN, W U T T M A N N ,
PANTALACCI, Balat VI.
123
DEIR EL-BERSHA
de la famille du gouverneur également montre que ces gens pouvaient célébrer le culte des membres défunts de la famille en privé ; fait qui suggère que les chapelles desservaient une activité cultuelle plutôt publique. Cette conclusion est corroborée par un deuxième parallélisme avec la situation à Elephantine : la plupart des chapelles est clairement associée à un système de circulation. La rue la plus large de la ville relie le palais des gouverneurs à la porte ouest de la cité. Quatre des cinq chapelles se dressent au sud et au nord de cette grande rue. Leur emplacement facilite donc la réunion d'un nombre important de personnes en un point qui assure la jonction entre le palais et le lieu de culte des gouverneurs. De surcroît, en quittant la porte ouest, on se dirige presque en ligne droite vers le cimetière de Qila' ed-Dabba. Le scénario proposé d'une procession rituelle entre le palais du gouverneur et le cimetière semble avoir été en vigueur là aussi 1 0 '.
Le paysage rituel de Deir el-Bersha n'est pas comparable à tous égards à la situation à Balat et à Elephantine, mais il n'y a pas de raison de penser que le modèle du culte des gouverneurs ne permettait aucune variation 1 0 4. Les similitudes sont, en tout
103- Le fait que tes chapelles des gouverneurs ont à peu près la même structure
avec un sanctuaire tripartite que les chapelles funéraires des mastabas II et V à
Q i l a ' ed-Dabba suggère un lien entre la pratique cultuelle aux deux endroits.
104. Comme l'a déjà remarqué KEMP, CAJ 5 (1995), p. 45-46. Dans quelques cas,
des tombes de reines ou de particuliers étaient transformées en lieux de culte per
sonnel (le cas d'Isi à Edfou ; maintenant aussi le cas des reines défuntes de Pépi I",
voir BERGER-EL-NAGGAR, dans : Des Néferkarê aux Montouhotep, p. 15-29 ; BERGER-
EL-NAGGAR, LABROUSSE, BSFE 164 [2005], p. 18-22). Dans d'autres exemples, les
lieux de culte de personnes privées se trouvaient dans des chapelles de fca dans les
temples, comme c'était le cas pour les administrateurs de Coptos de la VI 11" dynas
tie, ou pour Djefaihâpi I" dans le temple d 'Oupouaout à Assiout. O n notera qu'un
texte récemment découvert à Assiout fait état d'un « temple » de Djefaihâpi, suggé
rant qu' i l a existé, en outre, un lieu de culte indépendant de ce gouverneur (KAHL,
GM 211 [2006], p. 27). Dans ce cas, la situation pourrait avoir été très compara
ble à celle de Deir el-Bersha.
1 2 5
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
cas, aussi évidentes. À Deir el-Bersha, comme sur les autres sites évoqués, le culte s'ordonne entre deux pôles formés par les chapelles de culte des gouverneurs et leurs tombes.
Malheureusement, les informations relatives aux occasions spécifiques où des fêtes religieuses étaient célébrées dans les chapelles des gouverneurs ne sont pas nombreuses. À Balat et à Deir el-Bersha, on ne possède aucun renseignement. En revanche, à Elephantine, les textes montrent que la célébration la plus importante de l'année prenait place le jour de la fête de Sokar, du moins pendant le Moyen Empire 1 0 5 . Dans son lieu d'origine, à Memphis, la fête comportait des cérémonies processionnelles qui débutaient dans la ville, suivies par une procession autour des murs de la cité pour finalement rejoindre la nécropole. Les conditions à Elephantine, assez différentes, ne permettaient pas de processions autour des murs mais, pour le reste, la situation s'accorde bien avec le scénario de la fête de Sokar 1 0 6 . Dans les deux cas, on est en présence d'un paysage rituel autorisant une circulation processionnelle qui relie les lieux du culte personnel des administrateurs locaux avec le cimetière de la ville. En ce qui concerne le principe, la situation à Deir el-Bersha me semble être du même ordre 1 0 7 .
A Elephantine, l'occasion à laquelle cette procession se déroulait était la fête de Sokar. Il est important de noter, cependant, que dans les textes religieux de la région d'Assouan, Sokar ne joue pas un grand rôle. Comme l'a montré F R A N K E ,
les textes d'Elephantine mentionnent comme élément essentiel de la fête la possibilité de « voir la perfection de Sokar » 1 0 8 .
105. FRANKE, Das Heiligtum des Heqaib, p. 128-131. 106. Le scénario a été étudié par FRANKE, /OC. cit., avec renvois bibl iographiques.
Voir maintenant aussi GRAINDORGE-HEREIL, Le dieu So/car.
107. Je souligne que cela n'implique pas nécessairement que la fête de Sokar était
aussi l 'occasion des festivités à Deir el-Bersha ou à Balat. Mais il pourrait bien
s'agir d'une fête organisée selon des principes comparables.
108. HABACHI , The Sanctuary of Heqaib I, p. 92 et II, pl. 158-159 (no. 67).
1 2 6 J
DEIR EL-BERSHA
D'autres textes font état de « voir le sah Heqaib, le matin de la
fête de Sokar » 1 0 9 . Il semble au moins que les participants aient
reconnu un degré de similitude entre l 'homme devenu saint,
Heqaib, et le dieu Sokar. Ce qui est non moins remarquable,
c 'est que les autres gouverneurs, les successeurs de Heqaib,
recevaient aussi un culte personnel. La différence entre le culte
personnel des gouverneurs locaux, de Heqaib, et d'une divinité
comme Sokar n'est alors pas très marquée.
B. K E M P a attiré l'attention sur le fait qu'une comparaison
entre la dimension, d'une part, des temples divins de l'Ancien
et du Moyen Empire et, de l'autre, des chapelles de culte per
sonnel des gouverneurs de la même époque, généralement les
chapelles funéraires, montre que les premiers étaient de beau
coup plus petits que les secondes" 0 . De surcroît, des dispositifs
pour un culte personnel pouvaient être établis dans les temples
divins. C'était, par exemple, le cas pour le culte de Djefaihâpi
à Assiout. Selon K E M P , de telles indications suggèrent que le
culte d'individus ayant joué un rôle de premier plan dans la
communauté semble avoir occupé une place plus importante
que le culte divin. Les rapports sociaux entre le patron et sa
clientèle constituaient la matrice de la pensée religieuse, plutôt
qu'une théorie théologique. Dans ce climat, on comprend bien
le rôle des « saints » (s'h-w) qui sont en fait des morts qui ont
gagné dans la mémoire collective une place particulière. K E M P
renvoie dans ce contexte à l'ambiance des lettres aux morts , où
les vivants s'adressent à des morts plutôt qu'aux dieux.
Une variante intéressante, que K E M P ne mentionne pas, est
offerte par le papyrus Berlin 1 0 4 8 2 . Ce document ressemble à
une lettre aux morts parce que, comme dans d'autres exemples
109. HABACHI , op . cit., I, p. 76 et I I , p l . 126-128 (no. 49) ; I, p. 88-89 et I I , pl. 144-146 (no. 61). " o . KEMP, CAJ 5 (1995), p. 41-50.
127
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
du genre, l 'expéditeur demande l'intercession d'un ancêtre
mort pour qu'il puisse avoir des enfants. Mais à la différence
d'autres lettres aux morts, on ne réclame pas au défunt d'exau
cer lui-même la prière, mais seulement d'exercer son influence
auprès des dieux 1 " . Ainsi, le document témoigne de l 'existence
parallèle de deux formes de religion, axées d'un côté sur les
morts , et de l'autre sur les dieux, sans qu'une tension semble
avoir été ressentie entre les deux.
Pour en revenir aux cultes des gouverneurs, il s'agit bien
sûr d'une pratique religieuse, mais d'une pratique où des hom
mes de haut rang occupaient une position particulière dans la
pensée religieuse de la population, celle d'un « patron mort
vénéré », selon les termes de F R A N K E " 2 . Bien que ce dernier ait
clairement montré que même le « noble » (s'h) Heqaib n'a
jamais atteint la stature d'un « dieu », il est clair que la distinc
tion n'est pas facile à définir 1 " .
J e crois que les remarques de K E M P et de F R A N K E , qui n 'ont
guère été prises en compte dans le débat sur le rôle des Textes
des Cercueils, sont en fait d'une importance cruciale. Dans le
prochain chapitre, j e tenterai de poursuivre cette piste. Mais on
ne peut pas discuter de ces questions sans se confronter direc
tement à quelques points de vue qui sont enracinés dans la pen
sée égyptologique d'une façon telle qu'ils ont, généralement,
presque obtenu le statut de fait acquis. Je veux parler du mythe
égyptologique de la « démocratisation des textes funéraires ».
Bien que ce terme ait perdu une partie de son attrait, étant
remplacé par l 'euphémisme « démotisation », les présupposés
sous-jacents sont restés les mêmes. Mais ce modèle théorique
m . JÜRGENS, G M 116 (1990], p. 61-63. 112. FRANKE, DOS Heiligtum des Heqaib, p. 140 : « verehrten toten Patron ».
113. FRANKE, op. cit., p. 131-142. Il en est de même pour le « saint » Isi d 'Edfou. Dans
ce cas, on utilise parfois le mot ntr « dieu » pour désigner le « patron mort ».
1 2 8
DEIR EL-BERSHA
me semble aussi trompeur qu'il a eu d'influence. Le chapitre
suivant va donc revenir sur les racines de cette expression pour
déceler les considérations qui en sont à la base. De cette
« déconstruction » il ressortira que la théorie de la démocrati
sation des textes funéraires méconnaît entièrement le milieu
des Textes des Cercueils.
CHAPITRE III LES TEXTES DES CERCUEILS
ET LA DÉMOCRATIE
L 'origine du terme « démocratisation » dans le discours égyptologique remonte au début du X X E siècle, où il fut introduit dans le cadre plus large de l 'étude de l'histoire politique de la fin de l'Ancien Empire et de la Première Période Intermédiaire. L'expression m'a toujours un
peu étonné. Bien que le mot « démocratisation » soit très répandu, même de nos jours, dans les travaux sur cette époque', il devrait être évident que ni la fin de l'Ancien Empire, ni la Première Période Intermédiaire, ni le Moyen Empire n'étaient, à aucun égard, démocratiques. Il n'a jamais existé, en Egypte ancienne, un système d'administration où la couche dirigeante était contrôlée par les masses de la population. Et, de fait, quand les égyptologues utilisent le terme « démocrati-
1. Le mot apparaît pour la première fois, autant que je sache, chez MORET, dans : Recueil d'études égyptologiques dédiées à la mémoire de J.-F. Champollion (Paris, 1922), p. 331-360, et particulièrement p. 332 et 359. Quelques autres exemples : BONNET, RÄRG, p. 347 ; M O R E N Z , Ägyptische Religion, p. 58-59 ; PODEMAN
S0RENSEN, dans : The Religion of the Ancient Egyptians, p. 109-125 ; A S S M A N N , Tod und Jenseits, p. 503 ; IKRAM, D O D S O N , The Mummy in Ancient Egypt, p. 17 ; RICHARDS, Society and Death, p. 8-9 ; W A S M U T H , BiOr 63 (2006), col . 68.
1 3 1
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
sation », ils n'envisagent pas un tel système d'administration.
Ce qu'ils appellent « démocratisation » traduit plutôt une
manière de « prolifération » : des privilèges originellement
réservés au roi deviennent accessibles à des segments de la
population de plus en plus larges, de sorte que, finalement,
même les couches inférieures de la société les adoptent. La dis
sémination des Textes des Cercueils est souvent comprise dans
cette perspective. L'idée est qu'à l'origine, les Textes des
Pyramides étaient strictement destinés à l'usage royal, mais
que, sous la forme des Textes des Cercueils, de tels textes
furent « usurpés » par le grand public. Plusieurs égyptologues
ont récemment utilisé le terme plus faible de « démotisation »
pour désigner ce processus.
Selon les égyptologues des années 20 et 30 du siècle der
nier, et encore largement après, ce changement s'était effectué
approximativement pendant la période de la chute de l'Ancien
Empire et surtout durant la Première Période Intermédiaire'.
La théorie est actuellement moins à la mode 4 , et ceux qui conti
nuent à utiliser le terme de démocratisation le mettent souvent
entre guillemets. Néanmoins, les grandes lignes de « l'hypo
thèse démocratique » restent prépondérantes, comme dans la
citation suivante, où J . A S S M A N N fait une remarque au sujet de
« la démo(cra)tisation de l'image du roi à la fin de l'Ancien
Empire et après » s :
2. Par exemple A S S M A N N , Ma'al, p. 114 ; 118 ; 119. 3. Fondamentalement MORET, /OC. cit. ; KEES, Toteng/auben, p. 160-229 ; VANDIER,
Religion, p. 86-87 M O R E N Z , loc. c/t ; voir encore, entre autres, MEEKS, FAVARD-
MEEKS, Daily Life of the Egyptian Gods, p. 5. 4. Voir par exemple les remarques de QUIRKE, Ancient Egyptian Religion, p. 155-158 ; MATHIEU, dans : D'un monde à /'autre, p. 256-257. 5. « ... die Demo(kra)tisierung dieses Königsbildes mit und nach dem Ende des
Alten Reichs ».
1 3 2
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
Avec l'extension théorique et potentielle de cette desti
née exclusiveb dans l'au-delà à tous les Egyptiens,
l'au-delà royal s'élargit en un espace élyséen de l'au-
delà. La distinction entre monde de la mort et Elysée
perdit son sens politique (l'Elysée pour le roi, le monde
de la mort pour les hommes)'.
LES RACINES DE « L'HYPOTHÈSE DÉMOCRATIQUE »
Je suis enclin à situer le « prélude » de « l'hypothèse démo
cratique » en 1 9 0 9 , au moment où A . G A R D I N E R publiait son
étude magistrale sur le papyrus Leyde 3 4 4 recto : le poème
d'ipouer 8 . Ce document, daté de la X I X e dynastie, est écrit en
moyen égyptien et représente un des exemples les plus connus
de la littérature pessimiste égyptienne. Dans ce texte, Ipouer
décrit une société déchirée. La hiérarchie sociale traditionnelle
n'est plus observée, de sorte que les paysans et les serviteurs
prennent la place de ceux qui, jusqu'alors, avaient été leurs
maîtres. Dans ces circonstances troublées, l'administration ne
fonctionne plus. Les lois ne sont plus respectées. Personne ne
se préoccupe plus de sa propre tâche, ce qui conduit à des fami
nes. Dans ces conditions, la violence règne partout.
Le texte est relativement clair dans ses descriptions, mais
n'offre pas d'indices décisifs pour préciser l'époque historique
qu'il évoque. G A R D I N E R , comme de coutume, s'exprimait avec
prudence :
6. C.-à-d. : « réservée au roi » (H.W.).
7. C'est moi qui souligne. Traduction française, M o r t et au-delà dans l'Egypte
ancienne, p. 5 6 0 . « Erst mit der Ausweitung dieses hochexklusiven
Jenseitsschicksals auf theoretisch und potentiell alle Ägypter weitete sich auch das
königl iche Jenseits zu einem elysischen Jenseitsraum. Damit verlor d ie
Unterscheidung zwischen Todeswelt und Elysium ihren politischen Sinn (dem König
das Elysium, den Menschen die Todeswelt) » : Tod und Jenseits, p. 503.
8. GARDINER, Admonitions. Pour une nouvelle édition du texte, avec plusieurs cor
rections, voir ENMARCH, The Dialogue of (puwer.
Y'
É ] 3 3
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
The view that our Leiden papyrus contains allusions to
the Hyhsos has the better support from the historical
standpoint, but philological and other considerations
seem rather to point to the seventh to tenth dynasties as
those which have provided the background of events. It
is doubtless wisest to leave this question open for the
present9.
Mais cette dernière remarque n'a, au début, guère retenu
l'attention. Après 1 9 0 9 , l'égyptologie suivit, presque sans
exception, l'idée que le texte décrivait les conditions de vie de
la Première Période Intermédiaire. On sait maintenant que cela
est certainement faux. En 1 9 6 4 , J . V A N S E T E R S a remis en cause
la datation traditionnelle, et sur la base d'une masse d'indices
historiques a proposé une date à la fin de la XIII' dynastie' 0. De
nos jours, une date à la fin de la XII e dynastie, au plus tôt, est
généralement admise, et l'historicité du texte n'est plus consi
dérée comme un fait acquis". Mais au début du X X E siècle, il fut
généralement accepté que le texte reflétait le chaos social de la
Première Période Intermédiaire. C'est un élément important
pour pouvoir comprendre le climat dans lequel « l'hypothèse
démocratique » fut lancée juste après la Première Guerre
Mondiale.
Au cours de cette période, l 'Europe fut bouleversée par une
transformation sociale et culturelle profonde. A la fin de la
guerre, l 'Ancien Régime avait disparu en Russie, en Autriche,
en Allemagne et en Turquie, étant remplacé dans ces pays par
des systèmes, soit démocratiques, soit communistes. En Russie,
où le tsar avait été détrôné, le pouvoir avait été pris par les
9. GARDINER, Admonitions, p. 18.
10. V A N SETERS, JEA 50 (1964), p. 13-23. 11. Voir ENMARCH, The Dialogue of Ipuwer. Edition, Commentary and Analysis (non vidi), et IDEM, EA 28 (2006), p. 35 ; BURKARD, THISSEN, Einführung, p. 1 2 7 - 1 3 3 ;
QUIRKE, Egyptian Literature, p. 1 4 0 .
1 3 4
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
Menchéviks puis les Bolcheviks et, jusqu'au début des années
1 9 2 0 , le pays fut plongé dans une guerre civile. L'Allemagne
après l'abdication du Kaiser se trouvait également dans une
situation précaire, avec le gouvernement de Weimar, qui était
aussi démocratique qu'instable, et qui se voyait confronté à de
grands mouvements révolutionnaires et contre-révolutionnai
res. En avril 1 9 1 9 , Munich fut même contrôlée temporaire
ment par un comité d'ouvriers inspirés par les soviets russes,
état qui ne prit fin qu'après des combats sanglants. La situation
n'était pas aussi grave partout, mais il est clair que ces événe
ments dominaient le débat public de l 'époque.
Si l 'on admet que chaque chercheur est un enfant de son
temps, il va de soi que le discours social et politique dut avoir
un effet profond sur le discours scientifique, bien que cela ne
fût sans doute pas clairement perçu à l'époque.
Je crois que l'étude de la Première Période Intermédiaire
doit rétrospectivement être comprise dans cette perspective. Il
s'agit ici aussi d'une période de transformations sociales pro
fondes, pendant laquelle la monarchie succombait pour être
remplacée par une alternative rapidement baptisée « démocra
tique ». Et, en effet, les bouleversements décrits dans le poème
d'Ipouer ne sont pas sans rappeler la situation dans certaines
parties de l'Europe à cette époque. Dans la manière dont les
égyptologues utilisèrent le terme « démocratisation », on sent
encore un peu les émotions des élites face aux masses populai
res et, selon certains, incultes.
« L'hypothèse démocratique » a pris son essor avec un arti
cle d'A. M O R E T 1 2 sur « l'accession de la plèbe égyptienne aux
droits religieux et politiques sous le Moyen Empire ». M O R E T ,
à l'époque conservateur au Musée Guimet, directeur d'études
1 2 . MORET, dans : Recueil d'études égyptologiques dédiées à la mémoire de J.-F. Champollion, p. 3 3 1 - 3 6 0 .
1 3 5
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
à l 'École Pratique des Hautes Études et chargé de conférences
à la Sorbonne", écrit son étude sur un ton académique et déta
ché qui évite les comparaisons directes avec la situation politi
que contemporaine. Mais quand il envisage les transformations
qui s'opèrent entre la fin de l'Ancien Empire et le Moyen
Empire, époque où le décorum religieux royal serait devenu
accessible à « tout homme, qu'il soit roi, laboureur ou artisan »
(p. 3 3 i ) , il utilise néanmoins des termes tels que « prolétaires,
laboureurs et artisans », « révolution politique et sociale »
(p. 3 4 2 , 3 4 j ) , et « plèbe » (p. 3 4 4 ) . L'Egypte se trouvait « aux
mains des révolutionnaires » (p. 3 4 J ) , et les privilèges royaux
étaient devenus « le bien commun de toutes les classes de la
population » (p. 3 4 9 ) . « La divulgation des secrets religieux et
magiques faisait tomber le monopole des classes privilégiées, et
annonçait un régime social » (p. 3 4 7 ) . « Cela prouve », selon
M O R E T , « que l'administration royale a été, elle aussi, séculari
sée ; tous les secrets 1 4 n'étaient-ils pas divulgués ? Les emplois
sont souvent quasi héréditaires, et peuvent être légués comme
un bien de famille, ou un atelier ( . . . ) . La plèbe exerce ces droits
politiques en fournissant un fort contingent de fonctionnaires.
Tels ont été les résultats de la révolution discernables avec les
documents actuellement connus. Le socialisme monarchique
assure aux plébéiens une partie des droits que le régime démo
cratique leur a donné ailleurs » (p. 3 4 7 ) . Mais, finalement,
« l 'Egypte n'était pas assez évoluée pour aboutir au régime
démocratique à la suite de la révolution sociale » (p. 3 4 8 ) 1 S . On
a l'impression que la démocratisation qui englobait l 'Europe
était perçue par M O R E T avec une certaine empathie.
13. Un an après la publication de son article, il fut aussi nommé professeur au
Collège de France (DAWSON, UPHILL, BIERBRIER, WWW3, p. 295). 14. Il parle de la possibilité pour une large partie de la population de disposer de
textes religieux.
15. MORET semble faire là une comparaison implicite avec la France d'après la
Révolution de 1789.
1 3 6
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
Son article a exercé une influence énorme nui se ressent
encore de nos jours ; mais pas directement. C'est surtout par
l'intermédiaire de l'Allemand H . KEF.S , dont les études sur
l'administration provinciale et la religion funéraire sont bien
connues", que ces idées se répandirent. K E E S avait une attitude
beaucoup moins bienveillante envers les tendances politiques
de l'époque que M O R E T , attitude qui se traduit clairement dans
ses publications 1 7. Pour comprendre sa manière de voir, il est
nécessaire de saisir la personnalité de K E E S .
En juin 1 9 4 c , G. S T E I N D O R F F , un égyptologue juif qui avait
quitté l'Allemagne dans les années 1 9 3 0 , écrivait à J . W I L S O N ,
alors directeur de l 'Oriental Institute de l'Université de
Chicago, une lettre qui contenait un rapport sur les antécédents
politiques des égyptologues allemands. De l'avis de
S T E I N D O R F F , certains d'entre eux auraient dû être exclus de la
vie universitaire allemande de l'après-guerre. Dans ce cadre il
avance quelques suggestions. Sur K E E S , il écrit :
/ accuse
(...)
3. Dr Hermann Kees, professor of Egyptology,
University of Göttingen, a member of an old Saxon
land-owning family, a militarist and Junker. He was an
army officer in the First World War, andfought later by
all means in his power, openly and secretly, the Weimar
Republic. He is anti-democratic from the bottom of his
soul. A conservative, he at first opposed Hitlerism, but
afterwards became a Nazi. Though I do not know whe
ther he actually joined the party, I would not trust him,
16. KEES, Provinzialkunst (1921]; IDEM, Tofeng/ouben (1926 et 1956); IDEM,
Provinzialverwaltung ( 1932-193 3 ). 17. A la suite de deux présentations où j'avais développé les grandes lignes de ce qui
suit, j 'ai eu des discussions avec Katja GOEBS et Wil lem HOVESTREYDT ; je les remercie
pour leurs renseignements pertinents qui m'ont amené à repenser mon texte.
1 3 7
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
even if he should say that he became Nazi only by com
pulsion".
Voilà un portrait assez vif d'un des principaux promoteurs
de « l'hypothèse démocratique ». Je n'insisterai pas sur l'élé
ment nazi évoqué dans ce texte ' 9 , mais sur les racines élitistes,
antidémocratiques et autoritaires attribuées à K E E S . Avec la
connaissance de ces faits, ce qu'il a écrit sur les transformations
qui conduisirent à la chute de l'Ancien Empire apparaît dans
une lumière différente.
L'exposé le plus clair et le plus condensé qu'il a publié sur
ce thème se trouve dans la première moitié du chapitre sur la
Période Héracléopolitaine dans son livre Totenglauben und
Jenseitsvorstellungen der alten Ägypter, chapitre portant le titre
« Zeichen der Zeit », « Signes du temps », et qui n'est pas sans
rappeler la littérature pessimiste égyptienne. La première édi
tion de ce livre parut en 1 9 2 6 . K E E S avance l'idée que
l'égoïsme des nomarques — bien entendu des individus qui
18. Cette lettre, conservée dans les archives de l 'Oriental Institute à Chicago, a été
publiée le 25 octobre 1993 sur la ANE discussion list : voir ht tp: / /o i .uchicago.
e d u / O I / A N E / A N E - D I G E S T / V 0 1 / v 0 1 . n 0 2 1 . En effet, KEES pourrait avoir adhéré à
la NSDAP « by compulsion ». Jusqu'en 1933, il était président de la section
Göttingen du Deutschnationale Front, un parti qui avait été créé juste après la
Première Guerre Mondia le sous le nom de Deutschnationale Vo/kspartei pour
défendre les intérêts politiques et économiques des élites de l 'Allemagne impériale.
Le parti coopérait de plus en plus avec les nazis et en 1933 rejoignait le gouverne
ment al lemand, facilitant ainsi la nomination d'Hitler comme Reichskanzler. En juin
1933, le part i était forcé de s'intégrer à la NSDAP : voir pour le contexte histori
que généra l , KERSHAW, Hit ler I, p. 416-420 ; 477-478, et TOLLMIEN,
Nationalsozialismus, p. 99-105 ; pour le rôle de KEES à cette époque, voir p. 104-105. Je remercie Wi l lem HOVESTREYOT pour ses renvois à l 'ANE discussion list et au
livre de TOLLMIEN.
19. On remarquera néanmoins que KEES perdit son poste de professeur à
Göttingen après la guerre (voir BEHLMER, H O R N , MOERS, Ägyptologie in Göffingen).
O n sait que KEES signait, en 1933, une pétition de quarante-huit professeurs de
l'Université de Göttingen adressée aux autorités universitaires, les incitant à révo
quer les professeurs juifs (voir ht tp: / /www.goest.de/noether.htm].
1 3 8
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
n'étaient pas d'origine royale! conduisit à l'érosion du pou
voir royal. Dans une période où la cour du pharaon n'était plus
capable de prendre soin du pays et de bâtir des pyramides, la
population non-éduquée se tournait vers la magie, terme
employé avec peu de bienveillance par K E E S . Selon lui, les mots
vides se substituaient à la capacité d'agir. De plus en plus, des
gens ordinaires commencèrent à usurper des privilèges royaux
comme l'usage des Textes des Pyramides, mais, selon lui, sans
saisir vraiment la portée des ces textes difficiles. Les masses
populaires auraient simplement utilisé autant de textes que
possible, mais sans aucune compréhension réelle. « Le caractère
de ces temps est incertain et avide : on veut posséder, que cela soit
convenable ou non. Comparée à la doctrine aristocratique du
temps des pyramides, cette période se caractérise donc par la
vulgarité » 2 0 .
Cela expliquerait pourquoi les Textes des Cercueils, succes
seurs dégénérés des Textes des Pyramides, furent écrits sur les
parois des sarcophages sans aucune logique apparente. K E E S
commente ce phénomène en renvoyant aux capacités intellec
tuelles restreintes des masses populaires. Un indice de ce man
que de compréhension serait que l'on commença alors à
inclure des titres et des appendices explicatifs. Pendant
l'Ancien Empire, époque à laquelle les textes funéraires furent
rédigés par des prêtres compétents, cela n'avait pas été néces
saire, mais les ignorants qui copiaient les Textes des Cercueils
avaient besoin d'un tel support intellectuel. A cette période de
déclin culturel, on constate aussi l'apparition de thèmes
repoussants dans les textes religieux, comme ceux, par exem
ple, concernant la consommation d'excréments. Voilà le reflet
des sensibilités grossières de la population.
20. KEES, Toteng/auben, p. 161 : « Der Charakter dieser Zeit ist unsicher und
begehrlich: man wil l besitzen, gleichgültig ob es paßt oder nicht. Der aristokrati
schen Lehre der Pyramidenzeit gegenüber hat also diese Zeit ein durchaus vulgä
res Gebaren » (édition de 1956).
1 3 9
i f 5 TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
2 1 . SCHENKEL, FmäS, p. 1 1 6 - 1 2 3 . Voir aussi SCHENKEL, dans : Göthnger
Torenbuc/is/udien, p. 2 6 - 3 6 .
1 4 0
Avant de continuer, je dois souligner que je n'ai pas essayé
de dresser une caricature. Les paragraphes précédents offrent
une récapitulation assez exacte du contenu des pages 1 6 0 - 1 6 1
du livre cité dans l'édition de 1 9 C 6 . A travers l'image des mas
ses incultes de l'Egypte ancienne, on reconnaît aisément les
soucis d'un membre de l'ancienne noblesse allemande qui
vécut à l'époque où le Kaiser disparaissait dans un climat révo
lutionnaire.
Bien que K E E S ait probablement été le représentant le plus
extrémiste de cette manière de voir, il n'était certainement pas
le seul. De surcroît, il était un des égyptologues les plus répu
tés de son temps et, ce à juste titre. Cela explique l'acceptation
plus ou moins générale de cette hypothèse. Tout en abandon
nant les formulations les plus radicales et les jugements mora
listes de K E E S , on persiste à expliquer la Première Période
Intermédiaire comme le résultat d'une volonté des administra
teurs provinciaux, des personnes d'origine non royale, d'obte
nir plus de pouvoir personnel. L'émergence de provinces plus
ou moins indépendantes continue à être envisagée comme
l'origine d'un climat social permettant que des privilèges
d'origine royale se soient répandus à travers la population. Que
la démocratisation des Textes des Pyramides sous la forme des
Textes des Cercueils s'inscrive dans cette évolution culturelle
est une manière de voir qui a encore beaucoup d'adeptes.
Mais là, se pose un problème sérieux. En 1 9 6 2 , S C H E N K E L
était le premier à énoncer le point de vue que les Textes des
Cercueils ne sont apparus qu'au début du Moyen Empire 2 ' .
Quarante ans après, on doit avouer que des ancêtres plus
anciens existent : par exemple, un cas dans le cimetière de la fin
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
de l 'Ancien Empire à Balat 2 2 . Toutefois, la position de
S C H E N K E L s'est, dans l 'ensemble, avérée correcte, et il n 'y a
plus qu'un petit nombre d'auteurs qui persistent à considérer
la masse des Textes des Cercueils comme datant de la Première
Période Intermédiaire 3 ' . L'implication évidente de ce constat
est que la théorie de la démocratisation des textes funéraires est
à revoir dans sa totalité.
Les recherches récentes ont également montré que l'orga
nisation des Textes des Cercueils sur les parois des sarcophages
était régie par des considérations assez subtiles 2 4 . Après plus de
vingt ans de recherche sur ces textes, je suis convaincu que leur
raffinement est, en fait, comparable à celui qui régit les textes
dans les temples de l'époque tardive. Ainsi, à l'instar de
D E R C H A I N , on pourrait parler aussi bien d'une « grammaire du
sarcophage » que d'une « grammaire du temple » 2 ' . Cela étant
posé, il est clair que la dérision des capacités intellectuelles des
décorateurs des cercueils par K E E S ne doit pas être prise au
sérieux. De surcroît, il est apparu de plus en plus clairement
que plusieurs textes considérés à l 'époque de K E E S comme
appartenant au corpus des Textes des Cercueils sont déjà attes
tés dans les pyramides de l'Ancien Empire. Il devient alors très
22. Voir VALLOGGIA, Balat I, p. 74-78 et pl. LXII ; pour d'autres cas, voir WILLEMS,
Chests of Life, p. 245-246.
23. Ici, « date » renvoie à la date de l'utilisation des textes pour être inscrits sur les
cercueils privés. Il n'y a pas de doute que beaucoup de textes avaient été compo
sés bien antérieurement à ce moment. Cela est le cas pour les Textes des Pyramides
qui apparaissent sur les cercueils ; ils viennent d'être publiés dans CT VIII. Selon
VERNUS, il est difficile de situer les Textes des Cercueils dans un seul état de lan
gue. On constate les affinités les plus fortes avec l 'égyptien de la Première Période
Intermédiaire, mais les Textes des Cercueils seraient encore en voie d'être remaniés
ou même élaborés pendant le Moyen Empire (dans : The World of the Coffin Texts,
p. 170-172). 24. WILLEMS, Heqafa ; IDEM, dans : Studies te Velde, p. 343-372. 25. L'idée de la « grammaire du temple » fut introduite par DERCHAIN, CdE 37,
N " 74 (1962), p. 31-35.
141
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
difficile de distinguer le fondement intellectuel des Textes des
Pyramides de celui des Textes des Cercueils 2 6 .
Pour conclure, l'apparition des Textes des Cercueils sur les
sarcophages privés n'est certainement pas la conséquence du
climat culturel du début de la Première Période Intermédiaire.
Au contraire, il s'agit de textes profondément enracinés dans la
culture du Moyen Empire, même si plusieurs d'entre eux ont
été composés antérieurement. Cela dit, on doit se demander
dans quelle mesure il est encore légitime de les considérer
comme le reflet d'une « démocratisation » au sens égyptologi
que du mot.
TRANSFORMATIONS DE L'ÉQUIPEMENT FUNÉRAIRE
PENDANT LA PREMIERE PÉRIODE INTERMÉDIAIRE
ET AU M O Y E N EMPIRE
Avant d'envisager cette question, il est utile de jeter d'abord
un coup d'oeil sur les transformations de la culture funéraire :
autrement dit, sur l'ensemble du mobilier funéraire, et pas seu
lement sur les documents inscrits. Ce matériel a été récemment
étudié par S . S E I D L M A Y E R 2 7 qui reconnaît une évolution nette
dans la nature des équipements funéraires. D'après lui, la plupart
des tombes jusqu'à la fin de l'Ancien Empire ne possédait guère
d'objets spécifiquement funéraires. Le défunt était enseveli avec
un choix d'objets du même genre que ceux qu'il avait employés
de son vivant. Dans de nombreux exemples il est en fait clair que
ces pièces avaient été utilisées avant d'être déposées dans la
tombe. Et même là où ce n'était pas le cas, il s'agissait souvent
de types d'artefacts connus dans la vie quotidienne. La présence
d'objets d'usage courant dans les tombes suggère, selon lui, que
26. Cf. BAINES, dans : D'un monde à l'autre, p. 30-31 ; MATHIEU, dans : D'un monde
à Courre, p. 247-262.
27. Voir pour les quatre paragraphes suivants SEIDLMAYER, Gräberfelder, p. 426-
4 2 9 ; IDEM, dans : Social Aspects of Funerary Culture, p. 2 0 5 - 2 5 2 .
1 4 2
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
la vie dans l'Au-delà était considérée comme une prolongation d'une manière de vivre terrestre. Bien entendu, il ne s'agit pas nécessairement de la continuité des circonstances de la vie individuelle. Le contenu des tombes suggère plutôt qu'on sélectionnait des objets renvoyant au style de vie de l'élite. Si ce mobilier funéraire reflète donc l'aspiration de vivre la vie d'un grand seigneur ou d'une grande dame après la mort, on constate également que le monde des morts avait la structure du monde terrestre. C'est aussi l'impression que donne la lecture des lettres aux morts de l 'époque 2 8 .
Déjà assez tôt, ce type d'équipement funéraire commença à être remplacé par un autre dans les tombes de l'élite. Un nouveau symbolisme apparaissait. Cela conduisit, entre autres, à la pratique de la momification. Une momie ne ressemble à aucun égard à un état connu du corps humain durant la vie terrestre. Son aspect est tout à fait différent, par exemple, de celui d'un dormeur. La momie est surtout un objet utilisable dans le rituel. Dans le mobilier funéraire, on constate des transformations similaires. A côté d'objets quotidiens, on note la présence d'artefacts non utilitaires, qui ne peuvent avoir eu qu'une finalité rituelle ou symbolique. On peut mentionner, entre autres, l'apparition de modèles ou de masques funéraires.
Finalement, la nouvelle coutume d'orienter le corps, non plus vers la ville où avait vécu le mort , mais en fonction des axes astronomiques, suggère l 'émergence d'idées funéraires qui considèrent l'Au-delà, non comme une continuation de la vie terrestre, mais comme un monde céleste, désormais détaché de l'environnement où avait vécu le mort .
Cette tendance se manifesta d'abord dans les cimetières royaux, se répandit dans la haute élite et, graduellement, à travers toute la population égyptienne. Au début du Moyen
28. Voir DONNÂT, La peur du morf I, p. 298-307. Cette étude approfondie des let
tres aux morts n'a malheureusement pas encore été publiée.
1 4 3
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Empire, presque tous les enterrements étaient orientés nord-
sud, face à l'est ; et des objets symboliques sont présents aussi
bien dans les tombes de l'élite que dans celles du reste de la
population.
Ainsi, on voit clairement que des idées funéraires d'origine
royale, ou au moins élitaires, se diffusaient. Suivant la coutume
égyptologique, on pourrait désigner ce processus comme une
« démocratisation » de la culture funéraire. Mais il faut retenir
ici que, dans l'analyse de S E I D L M A Y E R , les Textes des Cercueils
ne jouent aucun rôle ; ce qui est compréhensible du fait que ces
textes n'étaient encore (pratiquement) pas utilisés dans les
tombes de la Première Période Intermédiaire étudiées par lui.
Ils n'apparaissent qu'au moment où le pouvoir royal sur un pays
unifié se rétablit, évolution très difficile à expliquer selon
« l'hypothèse démocratique ». Il faut en conclure que l 'émer
gence des Textes des Cercueils doit être étudiée comme un
phénomène indépendant des bouleversements sociaux de la
Première Période Intermédiaire.
Avant de poursuivre notre enquête sur ces textes, tour
nons-nous une dernière fois vers la composition des équipe
ments funéraires. Il est évident que ces objets furent déposés
dans la tombe dans un cadre rituel. Or, de nombreuses scènes
montrent ces artefacts portés vers la tombe au cours des funé
railles. Cet ensemble d'objets, nommé en égyptien qrs.t<.y>to\i
dbj.wt<.y>t, fait son apparition, avec le même nom et avec la
même sélection, dans les « frises d'objets » peintes sur les
parois intérieures des sarcophages du début du Moyen Empire
(on comparera un exemple des deux catégories à la fig. 1 9 ) . Les
éléments caractéristiques en sont le chevet, le miroir, les col
liers wsh et leurs contrepoids, les bracelets, les colliers de peti
tes perles rondes et ovales, les arcs et les flèches, les bâtons, et
enfin les sandales. Ils sont apportés à la tombe dans cet ordre et
sont représentés sur les parois des cercueils de la même
manière, les objets associés à la tête, par exemple, étant peints
1 4 4
FIG. 1 9 : A. SCÈNE MONTRANT UNE PROCESSION DE PORTEURS
DU MOBILIER FUNÉRAIRE (D'APRÈS BENI HASAN I I , PL. VII) .
. FRISE D'OBJETS D'UN SARCOPHAGE DU DÉBUT DU MOYEN EMPIRE
MONTRANT UNE SÉLECTION D'OBJETS COMPARABLES
(D'APRÈS ID II, PL. 147B).
1 4 5
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
à proximité de cette partie du corps 2 9 . Parallèlement, dans plusieurs tombes de l'époque on a retrouvé les objets réels qui doivent avoir été déposés dans la tombe pendant le rituel dbj.wt<.y>t Toutes ces pièces sont soit des artefacts effectivement utilisables, soit des modèles se rapprochant de la forme d'objets employés au cours de la vie terrestre. Ils n'incluent pas de pièces d'origine royale, de sorte qu'on a ici affaire à un « rituel privé d'offrande d'objets ».
Au cours du Moyen Empire, les frises d'objets commencent à inclure de plus en plus d'objets de provenance royale. L'origine des ces éléments nouveaux est claire. Un choix presque identique est visible sur la paroi nord des pyramides royales de l'Ancien Empire, l 'exemple le plus patent étant celui de la reine Neith". Comme les Textes des Pyramides accompagnant ces représentations le montrent explicitement, ces éléments de l 'ornement royal étaient offerts au défunt pendant un « rituel royal d'offrande d'objets ». Le fait que la source la mieux conservée apparaisse dans une tombe de reine démontre que, déjà à la fin de l'Ancien Empire, à tout le moins les femmes royales avaient accès au même type de rituel. La présence de ces objets dans le cadre des frises d'objets du Moyen Empire suggère qu'à cette époque, les particuliers avaient aussi commencé à s'intéresser à cet équipement. En m'appuyant sur l'apparition régulière des objets royaux dans les frises d'objets, j ' a i longtemps présumé que les tombes des particuliers incluaient fréquemment de tels artefacts à cette époque. Mais il a récemment été démontré que cette hypothèse n'est pas fondée. Les objets réels ne sont que très rarement attestés dans les tombes
2 9 . Pour une analyse plus poussée, voir WILLEMS, Chests of Lite, p. 2 0 0 - 2 0 9 .
3 0 . Voir, par exemple, le mobilier funéraire de Gémeniemhat à Saqqara : cf., entre
autres, J0RGENSEN, Egypt I, p. 1 4 8 - 1 4 9 .
3 1 . JÉOUIER, Neith et Apouif, pl. VIII et XII. Pour cette analyse, voir WILLEMS, op. cit.,
p. 2 0 5 - 2 0 8 et 2 2 1 - 2 2 8 .
1 4 6
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
des particuliers du Moyen Empire" . À partir d'une analyse de
huit sites, O P D E B E E C K renvoie au seul exemple du mobilier
funéraire de Nakhti, trouvé dans le cimetière d'Assiout" et, en
dehors de ce matériel, aux tombes de la dame Sénebtisi à Licht
et des membres de la famille royale à Dahchour". A cette petite
collection on peut ajouter d'autres exemples, mais ils sont peu
nombreux. Mésehti, propriétaire d'une des grandes tombes
d'Assiout, semble avoir possédé une sélection comparable
d'objets" . A Deir el-Bersha, le cercueil de Néferi, l'intendant
(im.y-r pr wr) du nomarque Djéhoutihotep, contenait un choix
de modèles des mêmes pièces"".
Le matériel originaire de Licht et de Dahchour provient
d'un roi et de l'entourage immédiat des rois de la fin du Moyen
Empire, Il n 'est pas exclu que les coutumes funéraires dans ce
groupe aient différé de celles des autres Égyptiens, et ces équi
pements datent majoritairement d'une époque plus récente
que celle dont nous nous occupons ici. Nous ne pouvons donc
retenir que trois exemples attestant que le « rituel royal d'of
frande d'objets » avait été célébré pour un particulier au Moyen
Empire" .
32. O P DE BEECK, A Functional Analysis of Egyptian Burial Equipment, p. 663. 33. CHASSINAT, PAIANQUE, Fouilles d'Assiout, p. 110-111. 34. M A C E , W I N L O C K , Senebtisi, p. 76-103 et pl. XXVII-XXXII ; DE M O R G A N , Dahchour I , p. 96 ; 100 (le roi Hör) ; 109-114 (la reine Noubhotep) ; Dahchour II, p. 45-46 et
f ig. 105 (Ita) ; p. 60 (Khnoumit) ; p. 97 et f ig. 141 (Sénousret III).
35. Z ITMAN, The Necropolis of Assiut, p. 202.
36. DARESSY, ASAE 1 (1900), p. 42, f ig. 1.
37. On pourrait songer à ajouter à ces exemples les bâtons trouvés dans la tombe
de Gémeniemhat à Saqqara (HASSAN, Stöcke und Stäbe, p. 78-80 et f ig. 21). La
plupart de ces objets ne peut pas être attribuée avec certitude au rituel royal, mais
un d'entre eux, le pd-h', appartient à ce groupe.
Très récemment, j 'a i pris connaissance de plusieurs ensembles du même type de
matériel exposés au Musée du Caire, mais je n'ai pas encore pu déterminer s'il
s'agit de matériel supplémentaire : groupe 1 : Registre temporaire no. 3 /11 /25/1 -3 ; 6-7 ; 9 ; 12-16 ; 18 ; 20-21 ; 23 ; 25 ; groupe 2 : no. 1 5 / " / 2 5 / ' - 3 ; 5 i 7-8 ; 11-12 ; 15-16 ; groupe 3 : no. 7 / 1 1 /25/ ' ; 3-4 ; 6 ; 8 ; 12 ; 15 ; 19.
1 4 7
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Sans cloute notre documentation est-elle biaisée. Les chances de préservation d'un plancher de sarcophage montrant tout un choix d'objets sont probablement plus grandes que celles d'un ensemble intact des objets eux-mêmes. On est donc en droit de présumer des pertes importantes. Par ailleurs, chaque sarcophage décoré avec une frise d'objets ne comporte pas des objets royaux. Il ne s'agit que de quelques dizaines d'exemplaires. Néanmoins, la différence quantitative entre les deux groupes est frappante. Il semble que le rituel royal fut moins régulièrement célébré de manière effective pour les individus non royaux que représenté sur les parois de leurs sarcophages. Le cas n'est pas sans rappeler les renvois réguliers au rituel de l 'embaumement dans l'iconographie et dans les Textes des Cercueils, qui contrastent avec la rareté de la momification des particuliers à la même époque 1 8 .
Les indications que nous possédons concernant la célébration du rituel royal sont intéressantes d'un point de vue sociologique. Dans le cas de Mésehti, il s'agit d'un chef des prêtres d'Assiout, titre qui désigne régulièrement l'administrateur le plus élevé d'une communauté locale. Dans le cas de Nakhti et de Néferi, nous n'avons pas affaire à des « nomarques », mais à des administrateurs agissant à un niveau juste en dessous de celui des chefs locaux. C'est donc dans ce spectre social qu'on peut s'attendre à trouver des rituels funéraires d'inspiration rovale. Cependant, même là, les indices conservés ne sont pas fréquents.
La quantité, de beaucoup plus importante, des sources des Textes des Cercueils pourrait suggérer que leur diffusion était d'ordre plus large. Et, de fait, l'égyptologie moderne semble considérer ceux-ci comme l'expression de la religion funéraire du Moyen Empire dans son ensemble. Pour faire la preuve de la légitimité de ce point de vue, on devrait démontrer, première-
38. Voir infra, p. 149-150.
1 4 8
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
ment, que les Textes des Cercueils étaient accessibles au moins
à une grande partie de la population, et, deuxièmement, qu'ils
sont attestés partout en Egypte. Les pages qui suivent seront
consacrées à l'analyse de cette problématique.
U N E PERSPECTIVE D É M O G R A P H I Q U E
SUR LES TEXTES DES C E R C U E I L S
L'égyptologie, comme toute discipline qui s'occupe d'un
passé lointain, est condamnée à produire des généralisations sur
la base d'une documentation dont on ne peut guère estimer la
représentativité. De cette manière, on est souvent arrivé à des
conclusions qui, pour un Égyptien, pourraient avoir été assez
étonnantes. Prenons comme exemple la question de la momifi
cation. Dans de nombreuses publications on peut lire que, pour
les Égyptiens anciens, il était d'importance capitale que le
corps soit conservé après la mort . Sinon, le ba n'aurait plus de
point sur terre auquel se rattacher, et le défunt subirait « la
deuxième mort ». C'est pour cette raison que les Égyptiens
auraient embaumé leurs morts. Cette manière de voir est très
répandue", mais elle n'est pas sans poser problème. On s'ex
plique mal, entre autres, que la grande majorité des Égyptiens
n'ait pas été momifiée avant les époques tardive et copte 4".
39- Voir, par exemple, SPENCER, Deafh in Ancient Egypt, 29-30, qui parle d'un
« Egyptian belief in a continued existence in which survival depended upon the pre
servation of the body in a recognizable form. This belief was to become the driving
force behind much of Egyptian funerary practice ... » ; ou IKRAM, D O D S O N , The
Mummy in Ancient Egypt, p. 108, qui écrivent : « The Egyptians bel ieved that the
intact body was necessary for the afterlife ».
40. Pour la période qui nous occupe, un indice de cet état de fait est, entre autres,
la présence de vases et de boîtes à canopes. A Deir el-Bersha, de tels artefacts ont
été retrouvés dans la tombe de la dame Djéhoutinakht de la Première Période
Intermédiaire, dans quelques tombes de la zone 2 (un vase à canopes découvert en
2006 contenait encore les viscères momifiés), et dans une tombe dans la plaine.
Ma is la grande masse des corps exhumés ne présente aucun signe d'avoir été momi
fiés. Le cas de Deir el-Bersha n'est pas unique, comme le montre, par exemple,
149
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Doit-on vraiment penser que les masses populaires n'avaient pas d'espérance d'une survie après la mort ? Je ne peux guère le croire.
La conception égyptologique des Textes des Cercueils comme expression générale de la religion funéraire égyptienne de la Première Période Intermédiaire et du Moyen Empire pourrait être d'ordre non moins problématique, surtout si l'on croit que ces textes reflètent la pensée des couches inférieures de la société égyptienne. Un tel point de vue implique que ces textes expriment des idées valables pour tous. Si cela était vrai, on s'attendrait à ce que les fouilles aient mis au jour des sarcophages inscrits avec des Textes des Cercueils à travers toute l'Egypte, et que ces sarcophages aient eu des propriétaires appartenant à toutes les couches sociales.
L'archéologie montre, en effet, que posséder un sarcophage n'était pas un fait exceptionnel pendant la Première Période Intermédiaire et le Moyen Empire. Malencontreusement, les publications sont généralement très laconiques quand il s'agit de sarcophages non décorés. Pour cette raison, il est certain que
l 'analyse faite par Z ITMAN du cimetière d'Assiout, où la plupart des défunts ne
furent apparemment pas non plus momifiés. En effet, il cite très régulièrement des
corps non momifiés (The Necropolis of Assiut, passim). Même la présence de vases
à canopes ne prouve pas que le défunt avait été embaumé, puisque ces objets
n'avaient souvent pas été utilisés ; fréquemment, ils ne pouvaient pas l'être, car il
s'agissait de simulacres massifs (SEIDLMAYER, Gräberfelder, p. 427). Un cas compa
rable est celui de la dame Hétep dont ENGELBACH a trouvé la tombe à Riqqa
(ENGELBACH, Riqqeh and Memphis VI, p. 28 et pl. XXVI). La dépouil le mortelle de
Hétep n'avait pas été embaumée, mais elle possédait un sarcophage du type IVaa,
sarcophage dont les parois sont décorées avec des colonnes à textes ornemen
taux. Comme on le sait depuis l'étude par J. A S S M A N N du texte inscrit sur le couver
cle du sarcophage du roi Mérenptah, ce modèle sert à perpétuer la situation de la
salle d'embaumement (MDAIK 2 8 / 2 [1973], p. 130 ; pour la signification de la
décoration du type IV, voir aussi WILLEMS, ChesH of Life, p. 136-159). Le mobilier
funéraire de Hétep affirme donc la valeur de l'idée de la momification pour la
morte, mais aussi qu'elle n'avait pas été réellement momifiée. De tels indices sug
gèrent qu'une momification effective n'était pas essentielle, bien qu'une allusion
optionelle au rituel de momification ne fût pas gênante.
1 5 0
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
la documentation doit être très incomplète, surtout en ce qui
concerne les tombes les plus pauvres. Il se pourrait aussi que les
coutumes n'aient pas été identiques d'un site à un autre. A Deir
el-Bersha, très rares sont les cas où même une tombe pauvre ne
dispose pas d'un cercueil, et la situation pourrait être similaire
sur bien d'autres sites 4 1 . En revanche, les fouilles de H O G A R T H
à Assiout ont révélé beaucoup de tombes sans cercueils 4 2 , fait
remarquable, parce qu'aucun site n'a fourni autant de sarco
phages qu'Assiout !
Quoi qu'il en soit, les cercueils ne constituent pas un élé
ment rare. Malheureusement, dans la plupart des cas, ils ont été
fabriqués en bois local de qualité médiocre. Ce matériau se
conserve mal, même dans des conditions désertiques, comme à
Deir el-Bersha. Mais l 'expérience m'a montré que, si l 'on net
toie très soigneusement ce qui reste de ces sarcophages, on
peut encore déterminer qu'ils sont généralement non décorés
ou, tout au plus, peints en rouge ou en jaune monochrome.
D'ordinaire, toute forme d'ornementation en est absente.
Les égyptologues, la plupart du temps, ne s'occupent que
des sarcophages décorés. On doit se rendre compte que la pré
sence même de tels objets montre déjà qu'on a affaire à un
mobilier de choix. Ils sont normalement confectionnés en bois
d'une bonne qualité ; il s'agit parfois de bois de cèdre importé
du Liban, qui devait être très coûteux. La grande majorité de la
population ne possédait pas un tel artefact. De surcroît, parmi
les sarcophages décorés, une minorité seulement comporte des
Textes des Cercueils. Il est évident que l ' intérêt presque exclu
sif des archéologues pour cette minorité a introduit une distor
sion à la fois dans la documentation et dans l'interprétation. La
chance qu'un sarcophage soit publié dépend en grande mesure
de la présence de décoration, et surtout de textes. Cela dit, le
41- O P DE BEECK, A Functional Analysis of Egyptian Burial Equipment, p. 587. 42. Voir Z ITMAN, op. cit., possim.
1 5 1
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
fait qu'un défunt possède un sarcophage inscrit avec des Textes
des Cercueils est, en soi, un indicateur d'une position sociale
d'un certain niveau. Le problème est de déterminer plus exac
tement quelle était la probabilité, pour un Égyptien, de dispo
ser d'un ou plusieurs sarcophages portant des Textes des
Cercueils ou d'un sarcophage décoré mais sans ces textes.
Pour arriver à une conclusion fiable, il faudrait pouvoir
comparer le nombre de propriétaires de tels sarcophages avec
le nombre total de morts. Évidemment, il n'est pas possible
d'établir une quantification très exacte, mais il me semble tout
de même envisageable de proposer un ordre de grandeur.
Pour aboutir à un résultat, il convient tout d'abord d'esti
mer la population égyptienne au Moyen Empire. Les égyptolo
gues qui se sont occupés de la démographie égyptienne se sont
surtout intéressés à la situation à l'époque ramesside et aux
époques tardive et gréco-romaine. Même pour ces périodes
relativement bien documentées, les renseignements ne sont
malheureusement pas très clairs.
Selon l'étude récente de K R A U S , l'évolution de la popula
tion entre l'époque saïte et le premier siècle de notre ère aurait
probablement obéi à la courbe suivante :
i,2ç av. J .C . 7 millions
2 8 2 av. j . C . 3 millions
£ 9 av. J .C . $ millions
7 5 de notre ère 8 millions
Cette évolution, y compris la baisse énorme de la popula
tion entre ç 2 j et 2 8 2 , serait compatible avec les modèles
démographiques courants 4 ' . Mais on doit avouer que le calcul
repose, à un degré non négligeable, sur les remarques de quel
ques auteurs classiques comme Diodore de Sicile, dont le bien-
43. KRAUS, Demographie, p. 57-64.
1 5 2
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
fondé ne peut guère être vérifié. Des nombres entièrement dif
férents ont récemment été proposés sur la base de documents
fiscaux concernant le Fayoum, qui donnent une idée de la den
sité de la population dans cette région. A partir de cette base,
C L A R Y S S E et T H O M P S O N ont calculé que la population égyp
tienne du début du n f siècle avant notre ère atteignait un mil
lion et demi d'habitants 4 4.
Pour le Nouvel Empire, S C H A E D E L décomptait huit à neuf
millions d'individus, nombre qui est encore parfois utilisé, mais
dont K R A U S a montré qu'il était très douteux 4 5 . JANSSEN admet
une évaluation oscillant entre quatre millions et demi et sept
millions 4 6 . B A E R a estimé une population d'environ quatre mil
lions et demi d'habitants 4 7. Intuitivement, les deux estimations
me semblent très hautes. L'enquête plus poussée de B U T Z E R
arrive à un total d'environ trois millions pour le Nouvel
Empire, nombre qui a récemment été accepté par K E M P 4 S et,
avec des réserves, par K R A U S 4 9 .
Pour le Moyen Empire je ne peux renvoyer qu'à l'étude de
B U T Z E R , qui calcule la population entre un million et demi et
deux millions' 0 . Mais notre documentation provient presque
entièrement de Haute Egypte. Pour cette région, B U T Z E R
estime la population à un million cent mille habitants 5 1.
44. CLARYSSE, THOMPSON, Counting the People I I , p. 100-102. 45. KRAUS, Demographie, p. 116-117. 46. JANSSEN, SAK 3 (1975), p. 136. 47 BAER, JARCE 1 (1962), p. 43-44. 48. BUTZER, Early Hydraulic Civilization, p. 82-98; voir surtout f ig. 13, p. 85 ; KEMP,
Ancient Egypt. Anatomy of a Civilization2, p. 29-30. 49. « Zum einen fehlen Daten zu Verteilung und Größe, die über das von Karl
BUTZER zusammengestellte Material hinausgehen » : KRAUS, Demographie, p. 115 ; aux p. 233-234, il opère prudemment sur la base du calcul de BUTZER.
50. Renvoyant à la même étude, KEMP estime la population entre un et un million
et demi d'habitants : TRIGGER, KEMP, O ' C O N N O R , LLOYD, Ancient Egypt, p. 103. Cela
doit être une erreur. Malheureusement, l'étude de KRAUS ne contient pas de com
mentaire sur l'estimation de BUTZER.
51. BUTZER, op. cit., p. 84.
1 5 3
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Dans son étude sur la démographie égyptienne, J . K R A U S
exprime des doutes sur les estimations de B U T Z E R , qu'il quali
fie de « relativement basses » 5 2 . Pour l'instant, il n'existe pas de
données indiquant quelle correction pourrait être réaliste ;
mais, pour ce qui suit, il est important d'avoir à l'esprit que
chaque augmentation du nombre d'habitants aurait comme
effet de renforcer les conclusions que nous allons tirer.
Par ailleurs, on doit envisager la durée de vie moyenne. Sur
ce point, les études sont aussi très éparses. Ce qui donne peut-
être une indication est la situation à Tell el-Dab ca pendant la
Seconde Période Intermédiaire. La mission autrichienne de M.
B I E T A K a pu déterminer que les hommes atteignaient alors un
âge moyen de 3 4 , 4 ans, et les femmes un âge de 2 9 , 7 ans, soit
une moyenne globale de 3 2 ans". Cette espérance de vie au
moment de la naissance est légèrement plus haute que la limite
supérieure de 3 0 ans supposée par H O P K I N S pour l'époque
romaine sur la base de modèles démographiques, et par K R A U S
pour l'Egypte ancienne en général 5 4 . Elle correspond plus ou
moins à l'estimation de J . N U N N qui conclut que la durée de vie
moyenne était d'environ 3 ^ ans pour les membres de la famille
royale, mais certainement plus basse pour la grande masse de la
population 5 5. Par conséquent, si l 'on suppose que la moyenne
5 2 . KRAUS, op. cit., p. 2 3 3 : « relativ niedrige [..] Bevölkerungszahlen ». Tout
récemment, B. KEMP a aussi suggéré d'après les données archéologiques que les
chiffres de BUTZER sont probablement trop bas. Il se demande : « should we double
it ? » ; KEMP, Ancient Egypt. Anatomy of a Civilization2, p. 406, n. 7. En effet, BUTZER
lui-même écrit que « none of the numerical data are to be taken literally » : Early
Hydraulic Civilization, p. 76. 53. Pharaonen und Fremde, p. 53 ; WINKLER, WILF ING, Tell el-Dab'a VI, p. 139. Les cal
culs suivants donnent l'espérance de vie moyenne au moment de la naissance, ce qui
veut dire que la moyenne inclut les enfants. Le taux de mortalité pour les enfants jeu
nes, qui devait être très haut, a une forte influence sur la moyenne calculée.
54. HOPKINS, Comparative Studies in Society and History 2 2 (1980), p. 318-320 ; KRAUS, Demographie, p. 2 3 6 .
55- N U N N , Ancient Egyptian Medicine, p. 2 2 . Je remercie Emiel KUIJPER pour cette
référence.
1 5 4
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
pour Tell el-Dab'a est applicable à toute l'Egypte, on peut en
déduire que le nombre annuel de morts avoisinait trente-qua
tre mille trois cent soixante-quinze personnes dans la région
qui nous intéresse particulièrement, la Haute Egypte.
D'autres estimations proposent une espérance de vie, au
moment de la naissance, beaucoup plus basse. Pour le cimetière
prédynastique N 7 0 0 0 à Naga el-Deir, M O R T E N S E N a estimé une
durée moyenne de 2 8 , 4 1 ans 5 6 . Pour la population d'Assouan,
qui date en grande majorité de l'époque qui nous occupe, et est
culturellement comparable, on a atteint une estimation de
2 c , 8 2 ans 5 7 . L 'espérance de vie moyenne calculée par B A G N A L L
et F R I E R pour l'époque romaine est encore inférieure : 2 2 , c
ans pour les femmes, au moins 2 ç ans pour les hommes" . Avec
un calcul fondé sur une telle moyenne d'environ 2 c ans, la
mortalité annuelle monterait à quarante-quatre mille individus.
Dans l'hypothèse où l'on suivrait ce dernier calcul, les tendan
ces que nous croyons pouvoir déceler concernant la popularité
des Textes des Cercueils deviendraient encore plus claires. Par
souci de prudence, on n'utilisera pas ce chiffre, mais celui, plus
modeste, de trente-quatre mille trois cent soixante-quinze
morts par an.
56. MORTENSEN, Ä&L 2 (1991], p. 28. Pour quelques autres cimetières de la même
époque, MASALI et CHIARELLI ont atteint une estimation similaire de 30 ans (Journal
of Human Evolution 1 [1972], p. 161-169]. 57- RÖSING, Qutfaet el Hawa ' und Elephantine, p. 112, tab. 18, colonne e, à l 'âge
de o ans, et p. 115. Un nombre comparable peut être calculé pour la populat ion
d'une tombe de la fin du Moyen Empire récemment découverte à Tbèbes (voir
GRAEFE, Die Doppelgrabanlage « M », p. 64, f ig. 1). 58. BAGNALL, FRIER, The Demography of Roman Egypt, p. 100. TOSHA DUPRAS, une
anthropologue qui étudie, depuis des années, le matériel anthropologique du cime
tière romain d'Ismant al-Kharab (Oasis de Dakhla), m'informe qu'elle a l'impres
sion que cette estimation doit être trop basse.
Il a été suggéré que l'espérance de vie moyenne à l 'époque romaine n'atteignait
même pas l 'âge de 20 ans (MESKELL, Archaeologies of Social Life, p. 169). Ici, on
ne tiendra pas compte de ce point de vue extrême, pour lequel aucun argument
n'est avancé.
1 1 5 5
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
On doit aussi estimer le nombre de sarcophages décorés qui
ont originellement existé. Evidemment, les exemplaires qui
subsistent de nos jours ne représentent pas le total. Beaucoup
de tombes ont été pillées, souvent plusieurs fois et, de prime
abord, on pourrait avoir l'impression qu'il est impossible
d'aboutir à une quantification utilisable. Mais cette perspective
me paraît trop sombre.
QUANTlflCATION DES SARCOPHAGES DÉCORÉS À DEIR EL-BERSHA
A Deir el-Bersha, les sarcophages décorés et inscrits de
Textes des Cercueils font presque entièrement défaut dans la
plaine (zones 8 - 1 0 ) et dans la zone 4 , mais on les trouve en
grande quantité dans les zones 1 et 2 (voir fig. 9 ) : le secteur des
tombes nomarcales. Les cinquante-cinq (parties de) sources qui
ont jusqu'ici été recensées dans la littérature proviennent pro
bablement toutes" de ce dernier secteur du cimetière. Sept
d'entre elles ne sont pas des sarcophages, mais des boîtes à
canopes ou des parois de tombes. Neuf autres sarcophages
décorés, mais sans Textes des Cercueils, ont également tous été
trouvés dans cette zone 6 0 . J 'ai connaissance de deux (fragments
de) sarcophages supplémentaires, sans doute aussi originaires
de la zone 2 et porteurs de Textes des Cercueils. Le total atteint
alors soixante-six, dont cinquante-huit cercueils. En dehors des
zones 1 et 2 , ce type de matériel est presque totalement absent.
Dans la zone 8 , au pied de la montagne, R E I S N E R a mis au jour
un très grand mastaba qui a fourni un morceau de sarcophage
inscrit. Nos propres fouilles ont conduit à la découverte d'une
autre tombe dans la zone 9 , qui avait contenu un sarcophage
59. À vrai dire, il existe un nombre restreint de sarcophages dont la provenance
n'est pas connue avec certitude, mais ces sarcophages ressemblent fortement à
ceux dont l 'origine est documentée, et qui proviennent tous des zones 1 et 2.
60. Voir les listes dans LESKO, Index, p. 7 ; WILLEMS, Chests of Life, p. 20-21, p. 35 ; LAPP, Typologie, p. 274-279-
1 5 6
i fS TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
6 1 Voir recrus, MÙÂIK 60 (2004), p. 2 6 8 .
6 2 . DARESSY, ASAE 1 (TOOO), p. 18-22.
> 5 7
décoré avec des Textes des Cercueils. Il s'agit d'une tombe de très grandes dimensions, qui n'a, dans ce secteur, aucun parallè le 6 1 . Un fragment de sarcophage inscrit de Textes des Cercueils a été trouvé dans une tombe de la zone 4 . Il est clair que les Textes des Cercueils avaient, sur ce site, une distribution spatiale pratiquement restreinte aux zones 1 et 2 .
La zone 1 ne contient que deux puits funéraires dont le plus petit abritait les cercueils de la dame Sathedjhétep ( B 3 C , B 4 C ) , et l'autre des morceaux de sarcophage inscrits avec des Textes des Cercueils, qui n'ont, malheureusement, pas été publiés 6 2. Chacun des deux individus enterrés là possédait donc ce type de matériel.
Dans la zone 2 , quarante-sept puits funéraires sont actuellement connus, dont fa plupart est indiquée sur le plan de la figure 1 0 . Au moins trois d'entre eux n'ont pas encore été explorés, de sorte qu'ils ne seront pas inclus dans la présente enquête. Tous ces puits se trouvent dans une région qui a été intensément fouillée, où la roche vierge est, de nos jours, presque partout visible. Le seule exception est le secteur immédiatement à l'est de la tombe du nomarque Ahanakht 1 E R, où se trouve une tombe entièrement écrasée. Là, on petit s'attendre à l'existence de trois puits nouveaux, de sorte que le nombre total de puits s'élèverait à une cinquantaine. Pour le reste, il est presque certain qu'aucun puits supplémentaire n'y sera découvert. Cette aire occupe une surface d'environ 4 0 x l o j mètres ( 4 2 0 0 m 2 ) . La densité moyenne des puits y est de 1 , 2 par 1 0 0 m 2 .
Plus à l 'ouest, le cimetière a également été attaqué par nos prédécesseurs, mais il est évident qu'on n'y a pas travaillé de manière aussi soutenue. Le sol y est encore couvert, de nos jours, par d'énormes quantités de déblais des carrières de calcaire et, bien que des tombes soient visibles çà et là, on ne
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
connaît pas leur nombre total. Ce secteur est moins grand, et
sa surface pourrait avoisiner I J O O m' environ. Si l'on suppose
que la densité des tombes était la même que dans l'autre par
tie, on devrait s'attendre à trouver dix-huit puits supplémentai
res, avec un total pour la zone 2 de soixante-huit puits.
Presque tous les puits y sont de très grande taille, générale
ment avec une longueur d'environ 3 mètres et une largeur
approximative de 1 mètre et demi, et une profondeur variant
entre 4 et plusieurs dizaines de mètres. Il s'agit donc certaine
ment d'un cimetière de la haute élite. Dans le cas de la tombe
de Djéhoutihotep ( 1 7 L 2 0 / i ) 6 ' , des cinq puits en face de celle-
ci, et des tombes nomarcales avoisinantes d'Amenemhat (à
l'est) et de Djéhoutinakht VI (à l'ouest, mais non représentée
sur la fig. 1 o) chaque individu possédait au moins un sarcophage
décoré dont tous, sauf un, étaient ornés de Textes des
Cercueils. Plus à l'est, dans la tombe de Nehri I", le seul puits
que nous avons exploré a fourni des fragments infimes d'un ou
plusieurs sarcophages décorés de Textes des Cercueils. Dans la
partie centrale, les informations disponibles ne sont pas claires,
mais encore plus à l'est, on rencontre la fameuse tombe 1 0 de
Djéhoutinakht trouvée par R E I S N E R . Le nomarque et sa femme
possédaient cinq sarcophages, tous avec des Textes des
Cercueils. D'autres furent découverts dans un puits dans la
cour d'accès de la tombe 6 4 . La tombe 1 7 K 8 4 / 1 n'a pas encore
été fouillée, tandis que celle d'Ahanakht I e r renfermait les deux
cercueils du nomarque, actuellement à Philadelphie ( B i - 2 P h ) ,
et je pense avoir identifié des fragments d'un autre cercueil qui
pourraient provenir de cette même tombe. Les autres cham
bres funéraires de ce complexe, ainsi que les petites tombes
1 7 K 7 4 / 1 - 3 , conservaient des fragments de cercueils, mais je
63. Fragments découverts par la mission belge ; voir B. VERREPT, dans : WILLEMS et
al, MDAIK 62 (2006), p. 309. 64. Les cercueils B1-8B0 ; voir pour la fouille de REISNER, TERRACE, Egyptian Paintings of tfie Middle Kingdom.
1 5 8
IFS TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
n'ai pas de renseignement sur la présence, ou non, de décoration. En ce qui concerne les tombes encore plus à l'est, les informations disponibles sont, à nouveau, éparses ; la tombe la plus orientale, celle du nomarque Nehri II, contenait un panneau fragmentaire de sarcophage inscrit avec des Textes des Cercueils 6 5 . Enfin, deux grands puits à l'ouest (dont l'un seulement est indiqué sur la fig. 1 0 ) recelaient trois cercueils décorés qui ne portent pas de Textes des Cercueils 6 6 .
Bien qu'il soit clair que nos connaissances restent lacunaires, il est vraisemblable que chaque nomarque du Moyen Empire possédait des sarcophages ornés de Textes des Cercueils, et que tous les défunts enterrés dans ce cimetière devaient disposer au moins d'un sarcophage décoré. On connaît actuellement des (fragments d') ensembles appartenant à environ trente-sept personnages du Moyen Empire, dont neuf avaient un cercueil décoré, mais sans Textes des Cercueils. Dans l'hypothèse que cette répartition soit statistiquement significative, on peut estimer que 2 4 % des défunts avaient un cercueil décoré, mais sans textes, tandis que le reste (76 % ) bénéficiait des Textes des Cercueils. En outre, on constate qu'il n'était pas très commun dans les zones 1 et 2 d'enterrer plus d'une personne dans une chambre funéraire, bien qu'un puits funéraire conduise, parfois, à deux ou même trois salles.
Les soixante-huit puits pourraient donc avoir contenu au plus cent trente corps environ. De ces cent trente individus, une centaine au plus (—76 % ) disposaient d'un sarcophage avec des Textes des Cercueils. Étant donné la rareté des indices en faveur de la présence des Textes des Cercueils dans le reste du cimetière, le nombre total de personnes oossédant cette sorte de documents ne pourrait guère avoir dépassé cent dix.
05- Non publié. Trouvé par la mission des Universités de Leyde et Philadelphie et
le Museum of Fine Arts de Boston en 1990.
66. DARESSY, ASAE 1 (1900), p. 2 4 2 5 ; WILLEMS, Chests of fife, p. 79 (B14C ; B4-5).
1 5 9
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Comme nous connaissons vingt-huit de ces individus, on peut
conclure prudemment qu'à Deir el-Bersha, on conserve envi
ron 2 j % du matériel originel, bien que souvent dans un état
très fragmentaire.
QUANTIFICATION DES SARCOPHAGES DÉCORÉS À BEM HASAN
Un autre exemple intéressant est celui de Beni Hasan. Bien
que très peu de ce matériel ait été publié d'une manière utili
sable, et que la plupart des cercueils ait été dans un très mau
vais état de préservation, on dispose néanmoins de renseigne
ments précieux. Dans les années 1 9 0 2 - 1 9 0 4 , G A R S T A N G avait
fouillé huit cent quatre-vingt huit tombes. Sa publication inclut
une liste d'objets groupés par tombe. En dépit d'un certain
nombre d'erreurs avérées dans cette enumeration, elle fait état
de (fragments de) cent trente-trois sarcophages environ 6 ' .
La plupart des tombes contenait une seule inhumation, mais
il en existe aussi où l'on en a trouvé plusieurs. En supposant
que les huit cent quatre-vingt huit tombes contenaient les
dépouilles de mille morts, les (restes de) cercueils que nous
connaissons pourraient représenter 1 3, 3 % de la quantité ori
ginelle (on opère ci-dessous sur la base du chiffre rond de 1 j % ) .
Bien que la liste de G A R S T A N G manque de précision, il sem
ble que le fouilleur spécifiait les cas où les sarcophages étaient
inscrits ou décorés. Il s'agit de quatre-vingt sept exemplaires à
peu près, donc 6 j % des cent trente-trois sarcophages. Dans
l'hypothèse que ce nombre aussi représente 1 j % de la quan
tité originelle, on devrait compter avec six cent cinquante cer
cueils décorés.
Parmi le matériel exhumé par G A R S T A N G , quatorze sarco
phages portaient un décor à l'intérieur et donc, probablement,
67. GARSTANG, Burial Customs, 211-244. GARSTANG décrit ce matériel en termes très
vagues ; par exemple, quand il stipule avoir trouvé des « fragments of wooden cof
fins », doit-on vraiment en déduire que les fragments appartenaient à plus d'un seul
cercueil ? Le chiffre pourrait donc être plus bas que je ne le suppose ici.
1 6 0
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
des Textes des Cercueils. Si l'on suppose qu'on possède égale
ment i { % de ces sarcophages, le total originel serait d'un
ordre de grandeur d'une centaine.
On peut remarquer que la documentation de Beni Hasan
fait une impression relativement pauvre, à en juger par les pho
tographies assez vagues de la publication de G A R S T A N G , et par
son matériel conservé actuellement à Liverpool 6 8 . G A R S T A N G se
réfère continuellement à un nombre restreint de sarcophages
décorés à l'intérieur. S'il en avait trouvé davantage, on s'atten
drait à ce qu'il ait également mentionné ce matériel, ce qui
n'est pas le cas. Aussi nos calculs opèrent-ils sur la base de l'hy
pothèse que chaque mort , sur ce site, possédait un cercueil, ce
qui n'est pas forcément exact. Il se pourrait donc que la pré
sence d'un sarcophage décoré (ou même d'un sarcophage) dans
chaque tombe ne soit pas systématique. Dans ce cas, l'estima
tion que je viens de donner pourrait bien être trop haute.
QUANTIFICATION DES SARCOPHAGES DÉCORÉS À ASSIOUT
Pour finir, jetons un coup d'œil sur le site d'Assiout. Dans
sa publication des Coffin Texts, D E B U C K n'utilisait que vingt-
sept sources. Mon étude sur les sarcophages du Moyen Empire
ne s'occupait pas vraiment du matériel d'Assiout dont l'évolu
tion typologique se distingue sensiblement de ce qui était nor
mal dans le reste de l'Egypte, mais ma liste dénombrait déjà
soixante dix-huit sources, tandis que l'étude de L A P P renvoie à
quatre-vingt huit. Bien sûr, il s'agit, dans la plupart des cas sup
plémentaires, de sarcophages que de Buck connaissait égale
ment, mais qui ne sont pas ornés de Textes des Cercueils. Il a
toujours été clair que ces listes plus récentes doivent, elles
aussi, être incomplètes, étant donné l'apparition fréquente de
nouveaux exemplaires d'Assiout sur le marché des antiquités
ou dans des collections privées. À cet égard, Assiout diffère
68. J'ai étudié ce matériel en 1084.
l 6 l
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
entièrement des autres sites égyptiens. L'étude approfondie de
Z I T M A N a permis de dresser une liste de deux cent quatre-vingt
douze sources inscrites 6 9 . De surcroît, il fait état de l'existence
d'un groupe supplémentaire de quatre-vingt treize sarcophages,
dont neuf modèles de sarcophages, conservés au musée de
Turin, qu'il n'a pas pu étudier. Avec ce matériel, le total s'élè
verait à trois cent quatre-vingt quatorze exemplaires.
Cependant, plusieurs de ces sources remontent à l'Ancien
Empire et à la Première Période Intermédiaire. En outre, sa
liste inclut quelques boîtes à canopes, sarcophages anthropo
morphes, sarcophages provenant de sites avoisinants, et des sar
cophages dont l'attribution à Assiout est discutable. Dans ce qui
suit, j e pars d'une liste légèrement modifiée de deux cent
soixante-treize sarcophages, nombre auquel on peut ajouter les
quatre-vingt treize artefacts de Turin qui existent certainement,
mais sur lesquels je n'ai pas de renseignements ; un total, donc,
de plus de trois cent soixante-six sarcophages. Tous sont des
exemplaires décorés. Assiout doit être considérée comme le
site de loin le plus riche en sarcophages décorés du Moyen
Empire. Deux questions s'imposent ici.
D'abord se pose la question de la proportion de sarcopha
ges ornés de Textes des Cercueils. Avant d'aborder ce point, on
doit faire une remarque préliminaire.
Sur la plupart des sites, deux grands groupes de sarcopha
ges décorés peuvent être définis :
1 ° sarcophages décorés à l 'extérieur, mais non à l'intérieur.
Ces exemplaires ne portent généralement que peu de textes. Il
s'agit de bandes de formules d'offrande et d'autres textes sté
réotypés, écrits en hiéroglyphes ornementaux. Bien que repro
duits sur des sarcophages, l'égyptologie ne considère pas ces
textes comme Textes des Cercueils.
69. Pour une liste de sources, voir Z ITMAN, The Necropolis of Assi'ut, p. 105-152. L'étude récente de H A N N I G , opère sur la base de plus de deux cents sarcophages
(Zur Paläograph/e der Särge aus Assiut, p. VII).
l62
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
2° sarcophages décorés à l 'extérieur et à l'intérieur. Les
Textes des Cercueils constituent normalement un des éléments
les plus significatifs de la décoration intérieure. Bien qu'il existe
des cercueils décorés à l'intérieur qui ne portent pas de Textes
des Cercueils, cela n'est pas très habituel.
A Assiout, le premier groupe diffère du matériel des autres
parties de l'Egypte car les textes ornementaux y sont plus variés
qu'ailleurs. Les formules d'offrande elles-mêmes sont souvent
constituées de manière entièrement différente, et on introduit
aussi des formules religieuses nouvelles dont on trouve, sur d'au
tres sites, des variantes parmi les Textes des Cercueils. Il s'agit
des formules 3 0 , 3 1 , 3 2 , 3 4 c et 6 0 9 . Parfois, on rencontre éga
lement des combinaisons de formules d'offrande et de ce groupe
de textes. Cet accroissement du nombre de textes à l'extérieur
des cercueils est possible parce que les cercueils d'Assiout pré
sentent parfois, au cours de la XII' dynastie, un dédoublement,
ou même un triplement, des bandes de textes ornementaux. On
pourrait regrouper ces sarcophages avec l'ensemble comportant
des Textes des Cercueils. Mais il me semble plus objectif de dire
qu'on est en présence, à Assiout, d'une tradition différente dans
la formulation des textes ornementaux ; ils peuvent non seule
ment consister en formules d'offrande, mais aussi en une sélec
tion très réduite du matériel utilisé ailleurs sous la forme des
Textes des Cercueils. Du reste, même dans les cas les plus élabo
rés, le programme textuel attesté à l'extérieur reste très res
treint et relativement invariable. Pour toutes ces raisons, les cer
cueils contenant les formules 3 0 - 3 2 , 3 4 ^ et 6 0 9 parmi leurs for
mules ornementales sont considérés ici comme appartenant au
groupe 1 . Dans cette perspective, nous définissons donc un Texte
des Cercueils comme un texte écrit en hiéroglyphes de petit
module ou en hiératique, surtout à l'intérieur des cercueils, et
non pas en hiéroglyphes de grand module à l'extérieur.
La liste de Z I T M A N contient deux cent soixante-treize sarco
phages provenant d'Assiout, de type rectangulaire, et datant du
1 6 3
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Moyen Empire. Cinquante-neuf sont décorés à l'extérieur et à l'intérieur, dont au plus cinquante-deux portent des Textes des Cercueils, donc au plus 1 9 % . Malheureusement, ce matériel est en grande partie inaccessible, de sorte que je ne suis pas en mesure de déterminer s'ils portent, vraiment tous, des Textes des Cercueils. J 'en suis certain dans vingt-neuf cas ; dans vingt-trois autres, je n'ai pas pu vérifier la situation. De plus, une grande partie du matériel est dans un état si fragmentaire qu'on ne peut pas exclure la possibilité que plusieurs fragments répertoriés sous des numéros différents appartiennent en fait à un seul sarcophage. Ces incertitudes ont comme effet de réduire le nombre effectif de pièces. Mais pour ne pas introduire un « facteur de correction » impossible à estimer, on part ici simplement de la présomption qu'à Assiout, 1 9 % des sources contiennent des Textes des Cercueils. Si l'on inclut les quatre-vingt treize sarcophages de Turin qui ne sont pas accessibles à l'étude, on obtient un total de trois cent soixante-six sarcophages décorés. Si l'on suppose que 1 9 % de ce total est inscrit avec des Textes des Cercueils, on a affaire à soixante-dix sarcophages de cette catégorie.
Il est plus difficile d'estimer quelle proportion du nombre originellement déposé dans le cimetière représente cette quantité. Si l 'on présume que sont conservés, comme à Deir el-Bersha, 2 c % du matériel originel, même sous forme fragmentaire, le total pour Assiout atteindrait plus de mille quatre cent soixante-quatre sarcophages décorés, dont deux cent soixante dix-huit ( 1 9 % ) avec Textes des Cercueils. Sur la base de l'hypothèse qu'on a retrouvé i c % du matériel, comme à Beni Hasan, on aurait deux mille quatre cent quarante sarcophages, dont quatre cent soixante-trois ( 1 9 % ) avec des Textes des Cercueils. Il est certain que ces deux estimations sont artificielles. La seule chose qu'on puisse dire, c'est que la comparaison avec deux cimetières rupestres très similaires, et le nombre très élevé de sarcophages d'Assiout connus, suggèrent qu'on possède une proportion significative du matériel originel.
1 6 4
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
Pour éviter la possibilité d'une sous-estimation, je travaille
rai par la suite sur la base de l'hypothèse, probablement beau
coup trop négative, qu'on possède, sur tous les sites d'Egypte,
un maigre c % des sarcophages (complets ou fragmentaires) qui
y furent originellement déposés. En fonction de ce qu'on vient
de voir dans l'étude détaillée de Deir el-Bersha, Beni Hasan et
Assiout, on sera, je l 'espère, d'accord sur le fait que ce n'est pas
une quantification trop optimiste 7 0 .
À la figure 2 0 , j 'ai établi une liste quantitative des cercueils
connus à travers toute l'Egypte. Je n'ai pas tenu compte des rares
sarcophages anthropomorphes qui ne portent jamais de Textes des
Cercueils, mais seulement des artefacts rectangulaires décorés.
J'ai aussi généralement omis les exemples où une personne pos
sède une tombe ou un autre type d'objet inscrit avec des Textes
des Cercueils ou des Textes des Pyramides. Mais j 'ai inclus cette
documentation dans le cas où l'on ne connaît pas d'autre matériel
portant ces textes, appartenant au même individu. Par exemple,
la liste ne comporte pas le décompte global des masques funérai
res. Mais à Meir, ces masques sont, dans quelques cas, les seuls
vestiges du mobilier funéraire de certaines personnes. Si ces mas
ques sont inscrits avec des Textes des Cercueils, il est clair que le
propriétaire de la tombe avait accès à ce type de textes. Étant
donné que notre étude envisage l'accessibilité de ces textes pour
les Egyptiens, j 'ai pris en compte ces exemples. La figure qui suit
est fondée sur une comparaison de la liste que j 'ai publiée dans
Chests of Life avec celle de L A P P ; pour Assiout, je me suis entière
ment appuyé sur celle de Z I T M A N 7 1 . Les nombres pour Beni Hasan
sont basés sur les mêmes listes et sur la liste de G A R S T A N G .
70. Comme on vient de le voir, on possède, pour le premier site, (des restes de)
environ 25 % du matériel originel et, pour le deuxième, 15 % ou plus du matériel
originel.
71. WILLEMS, Chests o f Life, p. 10-40 ; UPT», TYPOIOGIE, p. 272-313 ; Z I T M A N , The Necropolis of Assiuf, p. V05-152.
1 6 5
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Sites Sarcophages
avec Textes
des Cercueils
N o m b r e
d'individus
Sarcophages
sans Textes
des Cercueils
N o m b r e
d'individus
N o m b r e
total
de cercueils
N o m b r e
total
d'individus
Assouan 1 1 1 1 2 2
el -Gebclcin ; 2 9 9 12 11
Thèbes 2 6 2 3 2 7 17 53 3 7 "
D c n d a r a 7 1 1 ? 1 ? 1 ? 1 ?
Farshut 1 1 1 1
Abydos 3 3 5 5 8 8
Naga el -Deir 4 3 3 3 7 6
Akhmim Non inclus 1 4
Qaw e!-Qebir 2 2 2 2 4 4
Deir Rifa 3 3 8 7 II 10
Assiout 2 9 ( + 2 3 ?) 2 4 ( + 2 3 ? ) 221 2 1 9 2 5 0 ( + 23 ?) 2 4 3 ( + 23 ?)
Meir 7 1 6 4 61 5 9 1 3 2 1 2 2
Deir el-Bersha 5 0 28 9 9 5 9 37
Beni Hasan 14 9 7 3 7 2 8 7 81
Ihnasiya el Medina 2 2 2 2
Sedment el-Gebel 7 5 8 7 15 12
Haraga 2 2 9 9 11 11
Hawara 1 1 1 1
Riqqa 1 1 12 12 13 13
Liebt 10 1 0 8 7 18 17
Mazghouna 1 1 1 1
Dahchour Non inclus'*
Saqqara 3 6 2 8 2 6 2 6 6 2 5 4
Abousir 4 3 11 II 15 14
Kôm el Hisn 1 1 1 1
Q a t t a 1 1 1 1
Origine inconnue 1 0 9 3 3 13 12
Total 2 8 1 ( + 2 3 ?) 2 2 5 ( - 2 3 ?) 4 9 9 4 8 1 7 8 0 ( + 2 3 ?) 7 0 2 ( + 2 3 ?)
FIG. 2 0 : QUANTIFICATION DES SARCOPHAGES DÉCORÉS SANS TEXTES
DES CERCUEILS ET DÉCORÉS AVEC DES TEXTES DES CERCUEILS.
1 6 6
i f S TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
L'annexe en fin de volume reprend la même liste, augmen
tée de renvois bibliographiques aux listes de W I L L E M S et de
L A P P et, parfois, de notices explicatives.
La figure 2 o présente une quantification de sarcophages par
site, et établit une distinction entre les sarcophages avec des
Textes des Cercueils (colonne 2) et les autres sarcophages
décorés (colonne 4 ) . Il arrive régulièrement qu'une seule per
sonne possède plus d'un sarcophage. Le décompte du nombre
de cercueils n'indique donc pas exactement le nombre des pro
priétaires, qui nous intéresse le plus. Les colonnes 3 et c offrent
cette information pour les sarcophages comportant les Textes
des Cercueils et pour les autres cercueils décorés. La colonne 6
donne le nombre total de sarcophages par site, et la colonne 7
le nombre total de propriétaires.
Le nombre de sept cent quatre-vingt ( + vingt-trois ?) cer
cueils corrobore l'impression qu'on a affaire à une masse
énorme de matériel. De surcroît, on sait qu'il existe encore
quatre-vingt treize sarcophages d'Assiout à Turin, de sorte que
le montant s'élève à huit cent quatre-vingt seize. Finalement, si
l 'on opère sur la base de l'hypothèse qu'on ne possède que ç %
du matériel, les quantités doivent être multipliées par 2 0 . Dans
la table suivante, le registre 2 (« total de base ») offre les totaux
de la figure 2 0 . Le registre 3 offre la même quantification, mais
tient compte d'une estimation fondée sur les quatre-vingt
treize sarcophages supplémentaires d'Assiout (« estimation de
base » ) . Le registre 4 donne le total sur la base de l'hypothèse
que les sarcophages et les propriétaires actuellement connus ne
représentent que ç % de la réalité (« quantité originelle » ) .
72. Non pas quarante individus, parce que plusieurs personnes possèdent à la fois
un sarcophage orné de Textes des Cercueils et un sarcophage sans ces textes.
73- Cette source avec Textes des Cercueils doit être antérieure au Moyen Empire,
ce qui explique le point d' interrogation.
74- Voir p. 172.
75- Voir p. 172073.
1 6 7
i f S TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Sarcophages
avec Textes
des Cercueils
Nombre
d'individus
Sarcophages
sans Textes
des Cercueils
N o m b r e
d'individus
N o m b r e
total
de cercueils
N o m b r e
total
d'individus
'lotal de base m 2 4 8 4 9 9 4 S I 8 0 3 7 2 0
Estimation
de base m 2 6 3 5 7 4 5 5 3 8 9 6
Quant i tc
originelle (S 4 4 0 5 2 6 0 1 ! 4 8 0 11 0 6 0 17 9 2 0 16 1 6 0
FIG. 2 1 : ESTIMATION DU NOMBRE ORIGINEL DE CERCUEILS DÉCORÉS
(AVEC ET SANS TEXTES DES CERCUEILS) ET DU NOMBRE DE PROPRIÉTAIRES.
Mais même ces dernières quantités sont-elles vraiment si
énormes ? Les cercueils ont été produits entre le début du
Moyen Empire pendant le règne de Montouhotep II (pas avant
2 0 4 0 ) et la fin de la XII e dynastie. On admet généralement que
cette catégorie de matériel a disparu pendant le règne de
Sénousret III ( 1 8 7 0 - 1 8 3 1 ) ou, au plus tard, pendant celui
d'Amenemhat III ( 1 8 3 1 - 1 7 8 6 ) 7 6 . On doit ainsi compter avec
une durée d'environ 2 2 j ans.
La table suivante réduit la quantification des sarcophages
originels et leurs propriétaires à une moyenne annuelle pour le
Moyen Empire :
Sarcophages
avec Textes
des Cercueils
N o m b r e
d'individus
Sarcophages
sans Textes
des Cercueils
N o m b r e
d'individus
N o m b r e
total
de cefaïci ls
N o m b r e
total
d'individus
Quanti té
originelle 6 4 4 0 I l 4 8 0 11 4 8 0 I l 0 6 0 17 9 2 0 16 1 6 0
Quanti té
annuelle 2 8 , 6 2 3 , 4 51 4 9 , 2 7 9 , 6 7 1 , 8
FFG. 2 2 : QUANTITÉ ANNUELLE ESTIMÉE DE CERCUEILS DÉCORÉS
ET DE LEURS PROPRIÉTAIRES.
76. Dates sur la base de l 'Oxford History of Ancient Egypt, p. 480.
T 6 8
(FS TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
N o m b r e de propriétaires
d'un (ou plusieurs)
sarcophages inscrit(s)
avec des Textes des Cercueils
N o m b r e de propriétaires
d'un (ou plusieurs)
sarcophages dccoré (s ) ,
mais sans Textes des Cercueils
N o m b r e total de propriétaires
d'un (ou plusieurs)
sarcophages décoré(s)
Quant i té
annuelle 2 3 , 4 51 7 1 , 8
Mortal i té
annuelle en
Haute Égvpte Ï4 3 7 5 34 3 7 5 3 4 3 7 5
Pourcentage de
la population
avec un
sarcophage
décoré 7 *
0 , 6 8 %o 1 ,5 %o 2 , 0 8 %o
FIG. 2 3 : ESTIMATION DE LA PROPORTION DE LA POPULATION TOTALE
POSSÉDANT DES CERCUEILS
(AVEC ET SANS TEXTES DES CERCUEILS).
Le tableau montre clairement que disposer d'un sarcophage
décoré était très exceptionnel pour un Égyptien. Les proprié-
77- Voir p. 154-155. 78. Étant donné qu'une personne peut posséder à la fois des sarcophages avec et
sans Textes des Cercueils, le pourcentage total n'équivaut pas exactement à la
somme des colonnes 2 et 3.
1 6 9
Il convient aussi de comparer ce résultat avec la mortalité
totale au Moyen Empire. La table suivante offre une comparai
son entre celle-ci et le nombre de morts possédant des cer
cueils décorés. Ces derniers proviennent dans leur presque
totalité de Haute Egypte, le Delta faisant pratiquement défaut
dans la documentation. C'est pourquoi on comparera la quan
tité annuelle des propriétaires de monuments funéraires ornés
de Textes de Cercueils avec la mortalité annuelle totale pour
la Haute Egypte 7 7 . Cette relation est également exprimée en
pourcentages.
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
taires d'un sarcophage inscrit avec des Textes des Cercueils étaient encore beaucoup plus rares 7 9 . Dans l'hypothèse que j % seulement de ces cercueils ont laissé une trace, un seul Égyptien sur mille quatre cent soixante-dix en détenait un. On peut m'accuser d'être parti d'un point de départ trop pessimiste, et qu'originellement le nombre de sarcophages de ce type était plus élevé. Cela impliquerait que les chances de préservation étaient encore bien pires que je ne l'ai supposé. Même si l'on croit justifiable que i % seulement des cercueils ait été entièrement ou partiellement préservé, il ne reste pas moins qu'un faible 3 ,4 %o de la population en possédait un, donc une personne sur trois cents 8 0 . Mais en se fondant sur une analyse détaillée, surtout de Beni Hasan et de Deir el-Bersha, cette supposition me paraît totalement insoutenable.
Une vérification indépendante est possible pour le site de Deir el-Bersha, où il est relativement facile d'aboutir à une estimation quantitative du nombre d'individus ayant eu accès aux Textes des Cercueils. Les sarcophages comportant ces textes y sont presque entièrement concentrés dans les zones 1 et 2 , et on a pu établir un pronostic sur le nombre d'individus susceptibles d'y avoir été enterrés. Notre calcul assez optimiste aboutissait à un total de cent dix individus pour la période de deux cent vingt-cinq années que nous étudions. Donc, une moyenne de presque o, j morts par an possédait un ou plusieurs sarcophages avec des Textes des Cercueils. Aucun autre site dans le nome du Lièvre n'a fourni des sarcophages comportant ces textes.
79. Selon l'estimation plus basse de l'espérance de vie de 2 5 ans environ (voir
P- 155) ° n atteint une mortalité annuelle de quarante-quatre mille personnes par
an. Sur cette base, un faible 0,53 % o de la populat ion aurait possédé un sarco
phage décoré de Textes des Cercueils.
80. On retiendra aussi que les calculs démographiques de BUTZER ont été qualifiés
de relativement bas par KEMP et KRAUS. Une estimation plus haute aurait comme
effet de réduire le pourcentage de propriétaires de cercueils décorés.
1 7 0
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
L'étude démographique de K . B U T Z E R a établi une estimation
de la densité de la population des nomes au Nouvel Empire. Pour
le nome du Lièvre, avec une surface de 6 ^ 0 km 2 , il calcule une
population moyenne par km 2 de cent vingt-trois personnes. Sur
cette base on aboutit à une population de soixante dix-neuf mille
neuf cent cinquante personnes pour le nome 8 1 . Après correction
pour le Moyen Empire, où la population ne se montait, selon
B U T Z E R , qu'à environ 6 9 % de ce nombre 8 2 , on a affaire à cin
quante-cinq mille personnes à peu près, soit une mortalité
annuelle d'environ mille sept cent dix-neuf personnes. Si l'on
compare ce nombre aux o,ç morts possédant des Textes des
Cercueils, on arrive à une proportion de 0 , 2 9 %o (autrement dit
un individu sur trois mille quatre cent cinquante possède des
Textes des Cercueils) 8 ' . Il est évident que ce décompte n'est pas
exact, mais il constitue une vérification indépendante, d'ordre
très général, qui suggère que notre premier calcul, d'une propor
tion de 0 , 6 8 %o, ne devait pas être trop pessimiste. Cette conclu
sion s'impose d'autant plus, si l'on tient compte du fait i ° que le
site de Deir el-Bersha est un des plus riches en sources desTextes
des Cercueils dans l'Egypte entière ; 2 ° que la quantification du
nombre originel de cercueils inscrits de ces textes y est plus
claire qu'ailleurs et 3 0 qu'il n'y a aucun indice, dans le nome du
Lièvre, témoignant de l'existence d'autres cimetières où ce type
de matériel aurait été déposé.
On doit en inférer que l'idée courante selon laquelle les
Textes des Cercueils étaient « en principe » accessibles à tous
méconnaît entièrement la réalité. Disposer des Textes des
Cercueils était, au Moyen Empire, aussi rare qu'il ne l'est chez
81. BUTZER, Early Hydraulic Civilization, p. 74, table 3. 82. Quantification fondée sur le décompte de la population de l'ensemble de l'Egypte, de
deux millions neuf cent mille pour le Nouvel Empire et deux millions pour le Moyen Empire.
83. Sur la base d'une espérance de vie moyenne de 2 5 ans, on arrive à deux mille
deux cents morts par an, dont 0,5 possèdent un sarcophage inscrit de Textes des
Cercueils, donc une personne sur quatre mille quatre cents ou bien 0,22 % o .
171
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
nous de posséder une Rolls Royce. Il faut en conclure que les
termes de « démocratisation », « démotisation », et même
« prolifération » sont inappropriés.
LA DISTRIBUTION G É O G R A P H I Q U E DES TEXTES DES C E R C U E I L S
La position sociale n'est pas le seul facteur déterminant
pour savoir qui possédait ce type de textes. Si tel avait été le
cas, on s'attendrait à ce que des cercueils inscrits, aussi rares
soient-ils, aient été découverts à travers toute l'Egypte. Mais si
l'on observe à nouveau la figure 2 0 , il est clair que les choses se
présentent différemment.
A première vue, on pourrait avoir l'impression que la liste
confirme l'hypothèse que les Textes des Cercueils sont présents
partout en Egypte. Le Delta manque, bien sûr, presque entière
ment dans rémunération, mais en raison des conditions de pré
servation dans cette partie du pays, cela n'a rien d'étonnant.
Pour le reste, toute l'étendue de la Haute Egypte, entre Assouan
et Memphis, est représentée. On doit alors tirer la conclusion
qu'il était en principe possible d'avoir un sarcophage décoré avec
des Textes des Cercueils n'importe où dans le pays. Néanmoins,
la liste montre aussi que les chances de trouver un document avec
ces textes ne sont pas les mêmes partout.
La liste que j 'a i dressée ne prend pas en considération l'évo
lution chronologique des sarcophages. Aussi, quelques groupes
particuliers ont-ils été laissés entièrement de côté.
L'ensemble des cercueils d'Akhmim a été omis parce qu'ils
appartiennent à la Première Période Intermédiaire, avant
l'Unification du pays. On n'y rencontre pas de Textes des
Cercueils.
Le groupe relativement important des cercueils de
Dahchour a également été laissé de côté, car il date en grande
majorité de la fin de la XIL dynastie ou du début de la XIII', et
leurs propriétaires étaient presque tous membres de la famille
1 7 2
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
royale. Dans mon étude qui envisage la culture funéraire des
particuliers, ce matériel doit conséquemment être exclu" 4.
De surcroît, on constate que les dix-sept monuments ins
crits de Licht n'appartiennent que partiellement à la tradition
générale du haut Moyen Empire. Dans plusieurs cas il s'agit de
salles funéraires de la fin de la XII' dynastie ou même de la XIII',
décorées, dans un style caractéristique de Licht, avec des Textes
des Pyramides. Les sarcophages du prêtre Sesenebenef ( L i - 2 L i )
datent de la XIIL dynastie et sont ornés d'une manière qui ne
connaît aucun parallèle en Egypte". Ces sources se situent
typologiquement hors du développement national des cercueils
privés. Si on ne les prend pas en considération, le matériel de
Licht se réduit à un nombre de douze monuments dont dix
contiennent des Textes des Cercueils. Il est remarquable que
Licht, le cimetière de la résidence, soit comparativement pau
vre en documents comportant des Textes des Cercueils.
On peut clairement déterminer trois groupes quantitative
ment importants dans la documentation. Le premier est celui
de la zone memphite, avec une quarantaine de sources des
Textes des Cercueils , provenant surtout des cimetières
d'Abousir et du voisinage de la pyramide deTét i . Le deuxième
consiste en matériel de Moyenne Egypte, entre Qaw el-Kebir
et Beni Hasan, avec quelques centaines d'exemplaires. Enfin,
quelques dizaines de sources sont originaires deThèbes.
84. La mission japonaise à Dahchour a récemment découvert un sarcophage
décoré, mais sans Textes des Cercueils. Par son apparence, ce sarcophage, du
type IVaa, se range parmi ceux de la deuxième moitié de la XII" dynastie, mais les
fouilleurs datent l 'objet de la XIII" dynastie. En fait, le masque funéraire pourrait
conforter une telle date (Waseda University Expedition 1966-2006, no. 248-249), et le couvercle bombé milite aussi en faveur d'une date pas antérieure à la fin de
la XII* dynastie. Robert SCHIESTL m'informe que la céramique relève également
d'une datation à la XIII e dynastie. Ces indices suggèrent qu 'on a affaire à un sar
cophage encore décoré selon le modèle classique de la XII* dynastie après la
période qui nous intéresse dans ce livre.
85. Pour les détails, voir ALLEN, dans : Tfie Wor ld of the Coffin Texts, p. 1-15, parti
culièrement p. 2 (type IV Var.) et p. 14-15.
1 7 3
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
II me semble significatif qu'un nombre si élevé d'exemplaires ait été retrouvé sur ces sites, tandis qu'on n'en connaît que très peu d'autre origine. Ainsi, Abydos était un cimetière considérable, et les conditions de préservation y sont tout aussi favorables que, par exemple, à Assiout. Néanmoins, on ne recense que trois sarcophages décorés de Textes de Cercueils, en provenant. Ce qui est assez étonnant, car le culte abydénien d'Osiris jouait un rôle primordial dans la religion funéraire de l 'époque. Dans la mesure où les conceptions religieuses d'origine abydé-nienne sont très fréquemment mentionnées dans les Textes des Cercueils, on aurait pu supposer que le site ait fourni une quantité importante de sources. Mais le fait que les contextes funéraires à Abydos n'incluent que très exceptionnellement des Textes des Cercueils ne peut pas être nié 8 6 .
On doit en conclure que ces textes auraient pu apparaître partout, mais qu'apparemment, la nécessité de les posséder n'était pas ressentie de la même manière d'un site à un autre. Il devient alors intéressant de savoir qui étaient les personnes particulièrement soucieuses d'en disposer.
SAQQARA ETABOUSIR
Dans le cas des cercueils de Saqqara, la situation est claire. Il n'y a pas de doute que la grande majorité date du début du Moyen Empire, de la fin de la XI e dynastie jusqu'au début du règne de Sénousret I e r , au plus tard. Des exemplaires plus tardifs existent, mais ils sont rares.
Ces sarcophages contiennent beaucoup de textes déjà connus dans les pyramides de l'Ancien Empire. Plusieurs d'entre eux ont été publiés par de Buck comme des Textes des Cercueils ; mais dans le cas des formules d'offrande, très sem-
86. Un groupe de sarcophages inscrits de textes religieux de provenance abydé-
nienne, qui a été récemment publié, est typologiquement et chronologiquement
(Deuxième Période Intermédiaire) différent du matériel envisagé ici (GRAJETZKI, S A K
34 [2006], p. 205-216).
1 7 4
IFS TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
blables à celles présentes dans les Textes des Pyramides, on est
en droit de se demander s'il ne s'agit pas simplement de
« Textes des Pyramides » dont, par hasard, on ne possède que
des exemples du Moyen Empire. Il est vrai, cependant, qu'on
rencontre également des Textes des Cercueils bien attestés
comme les formules jç ou 3 3 c . Et, en fait, il n'est pas invrai
semblable que les scriptoria d'Héliopolis et de la région mem-
phite, qui avaient élaboré les textes utilisés dans les pyramides
de l'Ancien Empire, aient aussi conçu d'autres types de docu
ments. Une partie au moins de ceux-ci pourrait avoir été trans
mise au Moyen Empire sous la forme des Textes des Cercueils.
Ces sarcophages de la région memphite proviennent en
grande majorité du cimetière lié à la ville de la pyramide du roi
Téti (dd s.wt Tti), qui abritait également, semble-t-il, la prêtrise
de la pyramide du roi Mérikarê (wjd s.wt Mr.y-lo-R'). Cette der
nière se trouvait probablement à l'est de celle de Tét i 8 7 .
Beaucoup de ces pièces appartenaient certainement à des prê
tres funéraires attachés à ces complexes royaux.
Selon H. K E E S , les attestations du culte de Mérikarê mon
treraient que ce cimetière date de la Première Période
Intermédiaire 8 8 . Mais Mérikarê régnait à la fin de cette période,
et il est difficile de replacer tous les prêtres attachés à son culte
avant l'Unification du pays par Montouhotep II. On sait aussi,
maintenant, que Gémeniemhat, le propriétaire de S q i - 2 X et
prêtre de Mérikarê, vécut au début de la XII' dynastie 8 9. Il est
donc clair que les Thébains n 'ont pas supprimé le culte funé
raire de leur opposant défunt. La liste suivante offre un aperçu
des monuments mentionnant les pyramides de Téti et de
Mérikarê.
87. MALEK, dans : Hommages Ledant IV, p. 203-214. 88. Par exemple KEES, Tofeng/aufaen, p. 167. Le raisonnement de KEES est encore
suivi, mais sans arguments supplémentaires décisifs, par DAOUD, Corpus of
Inscriptions, passim. 89. A L I E N , dans : The Theban Necropolis. Past, Present and Future, p. 17.
V 5
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Sources Culte (leTéti Culte de Mérikarê Autres titres
Sq4C mt.y n SJ ss ntr hr.v-hb.t im.y-r hw.î-nîr hr.y-hb hr.y-tp hr.y sstJ hr.y-hb wr im.y rnp.i
Sc|8C im.y-r hw.t-ntr ss ntr im.y-r hw.t-ntr hr.y-hb im.y rnp.i hr.y sstJ sh-nîr
SqlOSq shd n SJ sdm sdm.t w'i.w im.y-r w niy m sr.wi hnt.x-s hks hw.i-nsw.t hrp kj.t htm.ty-bi.ty smhr w'.ty ir.y-ih.t nsw.t m:r
S q l - 2 X mt.x n sJ mi.y n sJ htm.w-bi.ty smhr w'.ty im.y-r pr ir.y-ih.t nsw.t mj' im.y-r snw.ty. L a m ê m e
p e r s o n n e é t a i t a u s s i im.y-r pr rh nsw.t w'.w™
Scjl^X mt.y n SJ ss ntr
Fausse-por te" mî.y n sJ hnt. y-s
htm.w-bi.ty smhr w'.ty niy m sr.i rh nsw.t mj' hr.y-tp nsw.t hkj-hw.t rh-nsw.i mj' hrp ks.i m imn.t.t Lb.t.t
Fausse-porte^' mt.y n SJ im.y-r ms'
Fausse-porte '" mî.y n sJ hnt.y-s
mt.x n sJ htm.w-bi.ty smhr w'.ty sdm sdm.t w'i.w ss sjb im.y-r w im.y-r sn-fJ nb sjb ir.x Nhn rh-nsw.t shd ss.w n hw.t-wr
Fausse-porte^ 1 ss pr-hd ss 'pr.w n nfr.w im.y-hî pr.wy-hd
Fausse-por te 1 ' mî.y n SJ
Fausse-porte"" Titre incomplet mentionnant la pyramide
Plâtre"" Mention incomplète de la pyramide
FIG. 2 4 : MONUMENTS MENTIONNANT LES PYRAMIDES
DE TÉTI ET DE MÉRIKARÊ.
90. Voir sa stèle dans DAOUD, Corpus of Inscriptions, p. 59-61 et pl. XXIA. 91. QUIBELL, Saqqara IÇ05-1006, pl. XIII ; DAOUD, op. cit., p. 66-69. 92. QUIBELL, op. cit., pl. XII.
93. QUIBELL, op. cit., pl. XV ; DAOUD, op. cit., p. 71 - 7 3 et pl. XXV.
94. QUIBELL, Saqqara lÇOô-lço/, pl. VI ; DAOUD, op. cit., p. 73-75. 95. FIRTH, G U N N , TPC I, p. 202 (50) ; DAOUD, op. cit., p. 155.
96. FIRTH, G U N N , TPC I, p. 202 (51) ; DAOUD, op. cit., p. 155. Mention fragmentaire dont ne subsiste qu'une partie du nom de la pyramide de Mérikarê. 97. DAOUD, op. cit., p. 155 (impression d'un texte en plâtre contenant une mention fragmentaire du culte de la pyramide de Mérikarê).
176
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
On est frappé par la fréquence de l 'élément Gémeni -
dans les noms des personnages dont nous connaissons les cer
cueils, comme Gémeniemhat. Il est bien établi que cet é lé
ment est le nom abrégé du vizir Kagemni de l 'Ancien
Empire, dont la tombe se trouvait à proximité de la pyramide
de Tét i , et dont le culte jouissait apparemment d'une tel le
popularité que les parents donnaient à leurs enfants des noms
comportant l 'é lément Gémeni- 9 8 . Étant donné le caractère
purement local de Kagemni, on est en droit de supposer que
les porteurs de noms du type Gémeniemhat étaient originai
res de la ville de la pyramide de Tét i . Tout donne donc à pen
ser qu'on a affaire à une communauté locale qui continuait à
fonctionner après la conquête thébaine autour des pyramides
de Téti et de Mérikarê. Il s'agissait certainement d'une com
munauté importante , ce dont témoigne le fait que
Gémeniemhat fut nommé chef des greniers et majordome,
fonctions du plus haut niveau dans le gouvernement égyp
t ien 9 9 .
La situation à Abousir est comparable : les cercueils furent
trouvés dans le cimetière utilisé pendant le Moyen Empire par
les prêtres attachés au culte du roi Niouserrê 1 0 0 .
Enfin, on sait que le culte du roi Pépi I" était toujours en
service pendant la Première Période Intermédiaire et peut
être après. En 2 o o j , A. LABROUSSF, et C . B E R G E R ont décou
vert une nouvelle pyramide dans ce complexe"". Il s'agit d'une
pyramide de très petite dimension, datée du Moyen Empire ou
de la fin de la Première Période Intermédiaire 1 0 2 , et appartc-
98. Voir DAOUD, op. cit., p. 60, n. 637, avec références bibl iographiques.
99. Pour la position de cette personne, voir ALLEN, dans : The Theban Necropolis.
Past, Present and Future, p. 17. 100. SCHÄFER, Pn'estergràber.
101. BERGER-EL-NAGGAR, LABROUSSE, B S F E 164 (2005), p. 14-28. 102. C'est maintenant l'opinion de Catherine BERGER-EL-NAGGAR (communication
orale, 11 juin 2006].
1 7 7
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
nant, non pas à un membre de la famille royale, mais à un particulier. Son seul titre actuellement connu (imy-r htm.t) conforte l'hypothèse qu'il relevait des cercles les plus élevés de l'administration de l 'Egypte"". Par ailleurs, la situation analogue à Abousir et autour de la pyramide de Téti laisse envisager que cet homme pourrait avoir été attaché au culte d'un roi de l'Ancien Empire.
Un papyrus rituel avec des Textes des Pyramides, mais daté du Moyen Empire, a été mis au jour, il y a quelques années, dans le temple de la pyramide de Pépi L r l 0 4 . Dès lors, il est certain que ces textes étaient vraiment en circulation dans la pratique rituelle du Moyen Empire.
La présence de Textes des Pyramides et de Textes des Cercueils dans ces cimetières peut être comprise aisément par le fait qu'un nombre assez élevé de la population participait activement au culte royal pour lequel on utilisait effectivement ces textes. Ces personnes occupaient une position sociale prépondérante, et on ne s 'étonne pas que, dans le souci de bénéficier d'un culte funéraire faisant justice à ce rôle, ils n'aient pu résister à la tentation d'inclure ces textes religieux dont ils avaient une connaissance professionnelle profonde 1 0 5 .
THÈBES ET LICHT
Le groupe thébain date majoritairement de la même époque, durant la XI e dynastie après l'Unification du pays et jusque sous le règne d'Amenemhat I". Ce qui est remarquable, c'est que la tradition des Textes des Cercueils à Thèbes se réduit énormément à partir du règne de ce roi. Des vingt-six sarcophages ornés de Textes des Cercueils, sept seulement, apparte-
103. Voir sur ce titre P. VERNUS, dans : Grund und Boden, p. 253-260. 104. BERGER-EL-NAGGAR, dans : D'un monde à l'autre, p. 85-90. 105. Pour une explication complémentaire, voir p. 184.
1 7 8
i f S 7fX7fS DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
nant à six personnes, sont plus récents 1 0 6 . Il n'est pas difficile de
trouver une explication à cette concentration au début du
Moyen Empire, bien que ce phénomène, autant que je sache,
n'ait pas attiré l'attention jusqu'à présent. L'utilisation de ces
textes à Thèbes coïncide chronologiquement avec la présence
dans la ville d'une cour royale. Ils émergent à l'époque où
Montouhotep II est installé comme monarque du royaume
réuni, et ils disparaissent au moment où Amenemhat I" démé
nage la résidence vers Itji-taouy, aux environs de Licht. Ce
changement s'explique très aisément si on suppose que les pro
priétaires de cercueils et de chambres funéraires appartenaient
directement à la cour du roi. Et, en fait, la liste de ces proprié
taires se lit comme la nomenclature! de l 'époque. On compte
quatre reines 1 0 7 , un vizir 1 0 8 , plusieurs « ministres » ' m , un « géné
ral dans le pays entier »"°, ou des porteurs de titres de rang,
respectables, mais peu spécifiques 1".
Dans la région thébaine, on peut déterminer deux groupes
de sarcophages et chambres funéraires, distincts. D'une part,
il existait un style décoratif qui s'était apparemment déve-
106. TlBal, Tl-3Be, T2-3L. J'ai omis les cercueils noirs de la XIII" dynastie, qui consti
tuent, non pas une continuation du style classique des sarcophages, mais un déve
loppement typologique complètement nouveau. J'ai aussi omis de la quantification
le sarcophage récemment découvert par Daniel POLZ à Dra Abou el-Naga, sur
lequel peu d'informations sont actuellement disponibles (EA 26 [2005], p. 29 et
photographie à la p. 28). Je trouve difficile d'accepter, en me fondant sur la pho
tographie, l'hypothèse que le sarcophage daterait de la XIII" dynastie, comme le
suggère POLZ.
107. Les propriétaires de T3C, T8C, T3NY, et TT319. 108. Dagi, propriétaire de la tombe TT 103 et du sarcophage T2C.
109. BWJW, le propriétaire du sarcophage T9C était htm.ty bi.ty smhr-w'.ty im.y-r pr (m tJ r-dr=f) im.y-r snw.ty im.y-r pr.wy-hd im.y-r ip.t nb.t m sm'.w tJ mh.w ; Snnw, propriétaire de T3X et TT313 était ir.y-p'.t [fu.ty-'] htm.ty-bî.ty smhr-w'.ty im.y-r prmtJ r-dr=f ; Hty (propriétaire de TT311), Mrw (propriétaire de TT240), et
Mk.t-R' (propriétaire de T2NY) étaient des « directeurs du trésor » (im.y-r htm.t) ; pour ce titre, voir VERNUS, dans : Grund und Boden, p. 251-260. 110. Le général Antef, propriétaire de T4X.
111. Horhotep, le propriétaire de TlC, était htm.ty bi.ty smhr w'.ty.
1 7 9
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
loppé localement, entre Thèbes et Assouan. Ces cercueils étaient ornés d'un genre très spécifique de frises d'objets, et présentaient un programme de textes funéraires incluant quelques formules qui ne sont pas attestées en dehors de la région" 2 .
Par ailleurs, il est clair que certains cercueils et chambres funéraires furent décorés selon des types également connus dans le cimetière au voisinage de la pyramide d e T é t i m . Cela suggère soit que les Thébains ont importé ce modèle depuis la région memphite après qu'ils avaient pris le pouvoir dans le nord de l'Egypte, soit qu'un modèle commun s'était imposé à cette époque.
Dans le contexte particulier de l'utilisation de ces textes à Thèbes, on doit prendre en compte un fait important. On a constaté que les propriétaires des cercueils étaient des personnages très haut placés. C'étaient des membres du gouvernement égyptien, et leurs tombes se trouvaient directement autour de la tombe du roi.
Dans le passé, l'utilisation des Textes des Cercueils et des Textes des Pyramides a fréquemment été décrite comme un processus d'usurpation de prérogatives royales par des particuliers. A Thèbes, il me semble difficile d'accepter cette hypothèse, car les tombes de ces « usurpateurs » ont été bâties à proximité du temple funéraire de Montouhotep II à Deir el-Bahari. Il est clair que le roi n'aurait pas admis une telle usurpation s'il y était opposé : on ne doute pas que Montouhotep II aurait eu le pouvoir de l ' interdire s'il l'avait voulu. On doit en conclure que le roi n 'y avait pas d'objection. Ce qui, dans cette situation, est tout aussi notable, c 'est que ni lui, ni, pour autant qu'on sache, aucun autre roi du Moyen Empire, n'incluait ces textes funéraires dans sa pro-
112. WILLEMS, Heqata, p. 52-54.
113. WILLEMS, Chesrs of Life, p. 106 ; IDEM, Heqata, p. 24, 47-48.
180
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
pre t o m b e " 4 . Dans ces circonstances, il n'y a plus aucun sens à parler d'une usurpation des prérogatives royales. Il serait plus exact de dire qu'un modèle de culture funéraire, qui avait connu son essor à la cour royale à la fin de l 'Ancien Empire, était désormais utilisé par la couche dirigeante du pays, tandis qu'un modèle nouveau de culture funéraire était, dès lors, adopté par le roi l u i - m ê m e " 5 .
Quand le roi Amenemhat I" déplaça le siège du gouvernement dans la capitale nouvelle d'Itji-taouy, son entourage dut déménager avec lui. Cela conduisit à la création du nouveau cimetière royal de Licht. Plusieurs fonctionnaires y possédaient des sarcophages ornés des Textes des Cercueils. Mais cet usage ne se perpétua pas de manière très vigoureuse. Dix sources décorées avec des Textes des Pyramides et des Textes des Cercueils sont connues, datant de la période comprise entre Sénousret I e r et Sénousret III. Deux de ces sources sont d'un type très différent du matériel dont je m'occupe ici. Les autres sources de Licht sont encore plus tardives et représentent une tradition complètement distincte" 6 .
114. On connaît deux sarcophages de Montouhotep. Le premier fut découvert par CARTER au Bab el-Hosam. Bien que la tombe ait été retrouvée intacte, le sarcophage ne contenait pas de corps. Evidemment, il s'agissait d'un ensevelissement symbolique du roi. Le sarcophage, du type I, ne portait pas de décoration à l'intérieur ( CARTER, ASAE 2 [1901], p. 204]. Un fragment qui pourrait avoir appartenu à un sarcophage décoré à l'extérieur avec le nom royal et une fausse-porte ou façade de palais, mais non décoré à l'intérieur, a été découvert dans la tombe royale par É. NAVILLE et CT. CURRELY (voir ARNOLD, Der Tempel des Königs Mentuhotep III, p. 48 et pl. le, 6la). Le cercueil du roi Hor, de l'extrême fin de la XIle dynastie ou de la XIII* comporte une sélection très réduite de Textes des Pyramides à l'extérieur (voir DE M O R G A N , Dahcfiour I, p. 101-105 et pl. XXXVI. Pour la date, voir AUFRÈRE, BIFAO 101 [2001], p. 1-41). Aucune salle funéraire royale du Moyen Empire n'est inscrite avec des textes religieux.
115. QUIRKE, Ancient Egyptian Religion, p. 155-156, exprimait déjà ce point de vue. 116. ALLEN, qui prépare la publication de ce matériel, reconnaît six « styles ». Les styles I et II comportent des cercueils en bois et en pierre du modèle étudié ici. Ces huit sources s'échelonnent entre le règne de Sénousret I" et Sénousret III ( ALLEN, dans : The Wor ld of the Coffin Texts, p. 13-14). ALLEN n'inclut pas dans sa liste deux morceaux de feuille d'or décorés avec des textes funéraires et provenant de
l8l
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
LA MOYENNE EGYPTE
La présence des Textes des Cercueils à Thèbes et dans la
région memphite est donc concentrée au début du Moyen
Empire. Bien que la coutume ne s'éteigne pas totalement sur
ces sites, il ne s'agit plus d'une tradition dominante. En
Moyenne Egypte, l'évolution suit un cours tout à fait différent.
Non seulement on y trouve le nombre le plus élevé de sources
(voir les colonnes 3, ç et 6 de la figure 2 0 ) , mais il est égale
ment clair que la popularité des Textes des Cercueils ne s'éteint
pas après Sénousret I e r . Entre Assiout et Beni Hasan surtout, le
nombre de sarcophages avec ces textes reste assez important.
Cette particularité, me semble-t-il, n'a pas été remarquée
jusqu'à présent. Pourtant, c 'est un fait capital, comme on le
constatera plus loin.
Une enquête récente de L. G E S T E R M A N N a apporté des ren
seignements singulièrement intéressants sur le problème de la
dissémination des Textes des Cercueils dans cette région" 7 . Elle
prend comme point de départ l'observation que la cour thé
baine de Montouhotep II s'était emparée des textes funéraires
en circulation dans les archives memphites. On pourrait suppo
ser que cette politique fut mise en œuvre par le biais du trans
fert des archives memphites àThèbes, mais G E S T E R M A N N argu
mente autrement.
Elle constate que les sarcophages de Deir el-Bersha contien
nent une masse de textes si variée, si originale, et si considéra-
cercueils de Licht (L2-3NY) ; voir WILLEMS, Chests of Life, p. 24. Ces dix sources sont
prises en compte dans les figures 20 et 21. Il existe en outre deux chambres funé
raires, mais elles sont décorées dans un style entièrement différent, bien qu'elles
contiennent des Textes des Pyramides. Elles sont datables du règne d'Amenemhat
Il (ALLEN, dans : The World of the Coffin Texts, p. 13-14). O n pourrait également
ajouter la chambre funéraire L4NY et le bloc appartenant à une chambre funéraire
L6NY, qui sont aussi décorés dans un style qui n'a rien à voir avec notre matériel.
Je ne dispose pas de suffisamment d'informations sur le fragment de sarcophage
L5NY.
117. GESTERMANN, dans : D'un monde à /'autre, p. 201-217.
1 8 2
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
ble, qu'il semble certain que, durant le Moyen Empire, cette
région devait avoir un accès direct à une archive exceptionnel
lement importante — plus importante, en fait, que dans le reste
de l'Egypte. De surcroît, les Textes des Cercueils apparaissent
plus ou moins au même moment à Thèbes et à Deir el-Bersha.
Elle en déduit que les archives de textes religieux memphites
avaient été transférées, non à Thèbes, mais à Ashmounein /
Hermopolis. Cette ville se transforma en un centre de diffusion
pour les Textes des Cercueils, d'abord à Thèbes et à Deir el-
Bersha et, plus tard, à d'autres localités de Moyenne Egypte,
également.
Nos propres investigations, présentées dans le chapitre pré
cédent, offrent un cadre historique dans lequel on comprend
mieux cette politique. On a vu que les Thébains avaient élevé le
nomarque Ahanakht I™ au poste de vizir provincial, de sorte
qu'il supervisait les régions nomarcales récemment acquises
par ces Thébains. O n a également constaté que des fonctionnai
res enterrés à Deir el-Bersha étaient en poste à Thèbes. Le cas
le plus intéressant dans ce contexte est celui d'Iha qui, comme
précepteur des princes thébains, jouait sans doute le rôle d'of
ficier de liaison entre la cour royale à Thèbes et la cour nomar
cale / vizirale à Deir el-Bersha. Il était en même temps respon
sable d'une Maison de Vie, probablement à el-Ashmounein.
C'était donc un intellectuel qui travaillait dans un scriptorium
vraisemblablement rattaché au temple de Thot . Si, dans le
contexte établi par G E S T E R M A N N , on voit cet homme occuper
une position de liaison entre Thèbes et le nome du Lièvre, exac
tement au moment où les Textes des Cercueils apparaissent
dans les deux villes" 8 , il me paraît séduisant de supposer qu'Iha
était un des hommes personnellement responsables de la diffu
sion des Textes des Cercueils. Le fait que, de cette manière,
118. Autant qu'on sache, le nomarque Ahanakht est la première personne enterrée
à Deir el-Bersha qui possédait des sarcophages ornés de Textes des Cercueils.
1 8 3
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Ahanakht I e r obtenait, lui aussi, accès à ces textes extraordinai
res, peut être interprété comme un autre privilège que le roi
thébain lui accordait" 9 .
Quoi qu'il en soit, la politique des Thébains semble, si l'on
suit l'hypothèse très convaincante de G E S T E R M A N N , avoir
conduit au développement conséquent du scriptorium d'el-
Ashmounein. Il constitua le point de départ de l'apparition des
Textes des Cercueils non seulement à Thèbes et à Deir el-
Bersha, mais aussi, légèrement plus tard, dans des régions
nomarcales, ailleurs en Moyenne Egypte. On doit se demander
si la grande popularité de ces textes à Saqqara après
l'Unification du pays peut aussi être mise en relation avec les
activités du centre de dissémination textuelle du scriptorium
hermopolitain.
LES TEXTES DES C E R C U E I L S ET LA RELIGION FUNÉRAIRE
DANS LES HAUTS-LIEUX NOMARCAUX.
La répartition géographique des Textes des Cercueils me
paraît hautement significative. Dans le premier chapitre j 'a i
essayé de montrer qu'au Moyen Empire, la « nomarchie » était
un phénomène plutôt régional, dont l'influence n'était pas du
même ordre dans les différentes parties du pays. A la fin de
l'Ancien Empire, il semble que la plupart des régions ait été
dirigée par un « nomarque », même si le titre hr.y-tp 'j n'est pas
mis en évidence partout. Au cours de la Première Période
Intermédiaire, les nomarques disparurent dans la région thé
baine, mais ils persistèrent dans la portion du pays gouvernée
par les Héracléopolitains. Finalement, pendant le Moyen
Empire, on constate l'existence d'un cadre assez diversifié. Le
type de système d'administration n'apparaît pas aussi claire-
119. Pour d'autres privilèges, voir p. 99-103.
1 8 4
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
ment dans chaque région. Mais ce qui appert de manière certaine, c'est qu'en Moyenne Egypte, des lignées de nomarques restaient sur le trône çà et là. Les exemples les plus patents sont les nomes où se trouvent les cimetières de Qaw el-Kebir, d'Assiout, de Deir el-Bersha, et de Beni Hasan. Dans la région de Meir 1 2", un nouveau nomarcat semble avoir été installé pendant le règne d'Amenemhat I", de sorte que toute la région entre Qaw el-Kebir et Beni Hasan tut dirigée par des lignées de nomarques. Il s'agit exactement des sites qui ont fourni le nombre le plus élevé de sarcophages inscrits de Textes des Cercueils 1 2 1 . Cette coïncidence serait-elle due simplement au hasard ?
En examinant ce point, on doit avoir présent à l'esprit un autre phénomène : celui de la disparition des nomarques. C'est une question qui a été intensément discutée.
Les nomarques disparurent vers la fin de la XII' dynastie dans des circonstances qu'on ne comprend, pour l'instant, que très mal. Selon E. M E Y E R qui supposait encore que les nomarques étaient présents à travers toute l'Egypte, ces administrateurs auraient développé une force si menaçante pour la monarchie, que Sénousret III les aurait abandonnés brusquement pour avoir les mains libres 1 2 2 . Cette hypothèse, largement acceptée pendant longtemps, a été, dans les dernières années, l 'objet de beaucoup de critiques. Actuellement, on admet géné-
120. W I U E M S , Chesfs of Life, p. 84-85. 121. A Qaw, le nombre de sources des Textes des Cercueils n'est pas important,
mais les grandes tombes nomarcales qui ont été fouillées ne semblent commencer
qu 'à l 'époque d'Amenemhat II ; pour la chronologie, voir GRAJETZKI, G M 156
(l997)/ P- 55-65. Par ailleurs, on ne sait pas du tout précisément quelle quantité de
matériel a été trouvée par des fouilleurs comme SCHIAPARELLI. O n rappellera que
les cent cinquante-neuf sarcophages qu'i l a découverts à Assiout et qui sont actuel
lement conservés au musée de Turin étaient, jusqu'à la thèse de doctorat de
Z I T M A N , presque entièrement inconnus. Il existe aussi du matériel dans d'autres col
lections : voir C I A M P I N I , La sepo/fure d i Henib, p. 11. 122. MEYER, Geschichte des Altertums l 2,2, p. 252-253 = l 3,2, p. 276.
1 8 5
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
ralement que la disparition des gouverneurs ne doit pas être interprétée comme un coup de force du roi, mais plutôt comme un processus lent qui dura plusieurs décennies. D. F R A N K E essaye de montrer que les « nomarques » de la XII e
dynastie étaient les derniers représentants d'un passé glorieux, mais il suppose qu'il n'y avait plus de place pour eux dans le climat socio-politique de l'époque. Il considère qu'au moment où un de ces derniers « fossiles vivants » mourut, on avait simplement perdu tout intérêt pour lui donner un successeur. Cela expliquerait pourquoi l'abolition de la « nomarchie » fut une évolution lente englobant une bonne partie des règnes de Sénousret II, Sénousret III, et Amenemhat III.
En étudiant la famille des gouverneurs du nome de l 'Oryx, F R A N K E décrit également ce qu'il advint des descendants des derniers nomarques. Le fils de Khnoumhotep II de Beni Hasan, lui aussi appelé Khnoumhotep, fut nommé à un poste important dans la capitale où sa tombe, un très beau mastaba, a été retrouvée 1 " .
Bien que j 'accepte plusieurs éléments du raisonnement de F R A N K E , j e pense que les nomarques du Moyen Empire n'étaient aucunement des « fossiles vivants ». En Moyenne Egypte, ils restèrent une puissance redoutable durant une bonne partie de la XII e dynastie. Aussi, leur disparition est-elle à revoir sur quelques points. Selon la liste établie par F R A N K E ,
les derniers représentants de la « nomarchie » seraient les suivants :
• dans le premier nome, le hj.ty-' im.y-r hm.w-ntr Heqaib, daté des règnes de Sénousret III / Amenemhat III.
• à Qaw el-Kebir, le hj.ty-' im.y-r hm.w-ntr Ouahka II, daté des règnes de Sénousret III / Amenemhat III.
123. FRANKE, dans : Middle Kingdom Studies, p. 51-67. Pour une reconstitution de ce monument, voir ARNOLD, dans : Timelines I, p. 37, f ig. 1 ; voir aussi ARNOLD, OPPENHEIM, ASAE 79 (2005), p. 27-28.
1 8 6
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
• à Assiout, les hj.ty-' im.y-r hm.w-ntr Djefaihâpi III et IV (Amenemhat II / Sénousret II).
• à Meir, le h-l-ty-' im.y-r hm.w-ntr Oukhhotep IV (Sénousret III / Amenemhat III).
• à Deir el-Bersha, le hj.ty-' im.y-r hm.w-ntr hr.y-tp 'j n Wn.t Djéhoutihotep (Sénousret III).
• à Beni Hasan, le h^-ty-' im.y-r hm.w-ntr Khnoumhotep II et son fils Khnoumhotep III (Sénousret II / III).
Ces dates sont à reprendre sur quelques détails significatifs. A Assiout, on connaît maintenant la tombe d'un hJ-ty-' et idnw Khéty, datable du règne de Sénousret III / Amenemhat III' 2 4 . Par ailleurs, provenant de Deir el-Bersha, est conservé au musée du Caire le sarcophage CG 2 8 0 9 9 , appartenant à un hj.ty-' Djéhoutinakht qui pourrait être plus tardif que le nomarque Djéhoutihotep. Ce dernier mentionne les rois Sénousret II et III dans sa tombe. Si Djéhoutinakht était un dignitaire local qui avait succédé à Djéhoutihotep, il pourrait, comme l'a déjà suggéré B R O V A R S K I , avoir été encore en fonction au début du règne d'Amenemhat III 1 2 5 . A Beni Hasan, la datation proposée par F R A N K E repose sur la mention de l'an 6 de Sénousret II dans la tombe de Khnoumhotep II 1 2 6 . Cette date apparaît dans la scène célèbre montrant l'arrivée d'un groupe de bédouins du désert oriental, apportant de la galène. Ils sont introduits devant le nomarque par un scribe qui lui présente un document officiel. L'en-tête du papyrus commence avec la date citée. Il est clair que Khnoumhotep devait être en fonction pendant l'an 6, mais le
124. MAGEE, dans : Proceedings of the Seventh Internationa/ Congress of
Egyptologists, p. 717-729 ; datation et interprétation admises par Z ITMAN, Tfie
Necropolis of Assiut, p. 25-33. 125. Voir BROVARSKI, dans : Studies Dunham, p. 23 et n. 68 ; 25 et 29. On doit
avouer que sa position chronologique n'est pas aussi certaine que le suggère
BROVARSKI : voir WILLEMS, Chests of fife, p. 79.
126. Beni Hasan I, pl. XXXVIII.
187
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
moment où il mourut peut se situer sensiblement plus tard et, bien que Khnoumhotep III n'ait pas achevé sa tombe, l'inscription qui y a cependant été gravée montre qu'il fut gouverneur 1 2 7.
Les dates disponibles s'échelonnent donc au cours d'une période beaucoup moins longue que ne le pensait encore F R A N K E : la deuxième moitié du règne de Sénousret III et (le début de) celui d'Amenemhat III. Il est possible, dans ces conditions, qu'on ait quand même affaire à un coup politique. Mais je ne me prononcerai pas sur cet aspect. Pour nous, il est plus important de noter qu'aucun de ces chefs les plus tardifs ne s'appelle plus nomarque (hr.y-tp 's), ce qui pourrait signifier qu'ils ne furent pas « démissionnes » directement, mais qu'ils avaient déjà auparavant subi une certaine perte de statut. A l'exception de Ouahka II de Qaw el-Kebir, leurs tombes sont également plus petites que celles de leurs prédécesseurs. Il est aussi intéressant de renvoyer à un hJ.ty-' Wn.t, appelé Oupouaouthétep, donc un notable d'el-Ashmounein. A la différence des nomarques du nome du Lièvre, celui-ci porte le titre de maire. Il ne peut pas être rangé parmi les nomarques de la XII e dynastie. Typologiquement, le scarabée où apparaît sa titulature, est datable dans un laps de temps compris entre Sénousret II et la fin de la dynastie 1 2 8 . On pourrait être en présence d'un successeur des nomarques avec un statut moins élevé. Ce ne doit pas être une simple coïncidence que l 'on ne connaisse pas de tombe pour ce personnage.
Les résultats de la discussion précédente ne sont malheureusement pas très précis, mais on peut néanmoins reconnaître trois phases historiques. Au début de la XII e dynastie, les chefs de province sont encore très puissants, situation qui perdura
127. Beni Hasan I, p. 7. Le titre très élevé de ir.yp'.t hj.ty-' ne peut guère être inter
prété autrement sur ce site : voir W A R D , G M 71 (1984), p. 51-57.
128. M A R T I N , Egyptian Administrative and Private Name Seals, p. 36 (406) ; pour
l'interprétation, cf. BROVARSKI, loc. cit.
1 8 8
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
jusque pendant le règne de Sénousret III, où plusieurs d'entre eux portaient toujours le titre explicite de nomarque (hr.y-tp 'j). Pendant le règne de ce roi, et même encore après, on constate que les potentats locaux restent en place, mais que le titre de nomarque n'apparaît plus, et que les tombes semblent devenir plus petites. À la fin du règne de Sénousret III et au début ( ?) de celui de son successeur, les anciennes lignées des chefs locaux s'effacent finalement aussi en Moyenne Egypte.
Ce qui est notable pour nous, c'est que parallèlement au processus de perte de pouvoir, les Textes des Cercueils disparaissent également : en effet, peu de sarcophages les comportant peuvent être datés avec certitude d'une époque postérieure au règne de Sénousret III 1 2 9 .
U N E H Y P O T H È S E S U R L A P O R T É E D E S T E X T E S D E S C E R C U E I L S
L'évolution telle qu'elle est décrite ci-dessus suggère que les Textes des Cercueils étaient, au début du Moyen Empire, les textes funéraires des couches dirigeantes du pays, mais non pas du roi lui-même. Aussitôt après, les membres de l'élite égyptienne perdirent apparemment leur intérêt pour eux, sauf dans les cours nomarcales, où ils demeurèrent en usage pour les gouverneurs et les membres de leurs familles, mais aussi pour les hauts fonctionnaires de l'administration du nome. Il semble que ces textes, pour une raison ou une autre, y exerçaient encore une attraction qu'ils n'avaient plus ailleurs. A cette époque, on pourrait dire que les Textes des Cercueils étaient l 'expression, non des idées funéraires du Moyen Empire en géné-
129. Tout récemment, GRAJETZKI a établi une liste de sources s'échelonnant entre la XIII" dynastie et la XVII", liste qui montrerait, selon lui, que « the tradition of placing religious texts on coffins never really ceased » (SAK 34 [2006], p. 213-214). Mais cette liste est très courte et suggère plutôt une baisse énorme de l'intérêt pour ces textes. De surcroît, comme j 'a i l'intention de le montrer ailleurs, les textes dont parle GRAJETZKI, bien que placés sur des sarcophages, dérivent d'un cadre théologique tout à fait différent de celui des Textes des Cercueils dont il est question ici.
1 8 9
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
ral, mais surtout des couches dirigeantes de Moyenne Egypte. La question se pose de savoir pourquoi ce groupe, sociologi-quement très spécifique, était attiré avec tant de force par des textes funéraires qui, dans le reste de l'Egypte, n'étaient plus à la mode. Il est vain d'espérer que les textes nous renseignent de façon directe, et l'interprétation que je vais proposer ne peut être, pour cette raison, qu'une hypothèse.
Tout d'abord, on doit avoir présent à l'esprit qu'il s'agit d'une problématique complexe, qui ne s'explique probablement pas comme la conséquence d'une seule cause.
La présence de la Maison de Vie à el-Ashmounein, où de grandes archives de textes funéraires avaient été déposées depuis le début du Moyen Empire au moins 1 " , doit avoir joué un rôle important. Là, au centre du « territoire nomarcal », une institution qui étudiait et élaborait ces textes était disponible. Cela ne constitue sûrement pas l'unique raison de la popularité persistante de ces textes en Moyenne Egypte, mais ce fut certainement une conditio sine qua non.
Par ailleurs, le contenu des textes a dû être jugé important. Il faut donc que ces textes renferment des éléments qui, dans une perspective conceptuelle, aient continué à être considérés comme d'une haute validité. Il n'est malheureusement pas facile de déterminer quels sont ces éléments. Les textes sont très nombreux, très variés, et très difficiles à comprendre. Si l'on ne veut pas suivre le verdict apodictique de K E E S (« Bei der Beschriftung der Särge herrschte kein System » ' " ) , on doit essayer de déceler les principes directeurs de ces formules. Mais ne sachant pas ce que nous cherchons, notre quête ressemble à celle d'une aiguille dans une meule de foin.
130. L'hypothèse de GESTERMANN (voir p. 182-183), que je suis, mais que je n'ai pas analysée dans sa totalité ci-dessus, implique non seulement que des textes d'origine memphite furent transférés à el-Ashmounein, mais aussi qu' i l existait dans cette ville un fonds proprement hermopolitain.
131. KEES, dans : H d O Literatur, p. 61.
I Ç O
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
Mon point de départ sera complètement différent de celui de K E E S . Bien qu'il essaye sans cesse de repérer les liens entre la complexité des textes anciens et le monde réel — la nature, l'astronomie, la vie quotidienne —, la manière dont il organise sa discussion expose le lecteur, dès le début, à un bombardement de citations de textes très ardus. Ce n'est pas un reproche. On ne peut qu'admirer la profondeur des connaissances de K E E S . Mais ayant lu son livre, on reste avec le sentiment, d'ailleurs pas entièrement injustifié, que la religion égyptienne s'apparente à un nœud gordien d'associations mythologiques.
Pour éviter ce problème, je ne vais pas immédiatement envisager les textes les plus classiques et les plus riches en allusions mythologiques et interprétations théologiques. Je me concentrerai, au contraire, sur des aspects plutôt terrestres. Il existe un petit nombre de Textes des Cercueils « sans mythologie », et un deuxième groupe quantitativement plus important où la mythologie ne semble jouer qu'un rôle secondaire. Dans ces textes, ce qui compte avant tout c'est la relation entre les morts et les vivants, et aussi le monde où demeurent les morts. Dans les Textes des Pyramides, et en grande partie également dans lesTextes des Cercueils, c 'est le monde stellaire ou solaire où les morts vivent avec les dieux qui prend la première place. L'ensemble dont je vais d'abord m'occuper évite largement une telle complexité symbolique. Le monde des morts semble n'y être pas tellement différent de celui des vivants, et il existe un grand nombre de liens entre les deux.
On rencontre la même tonalité dans les lettres aux morts déjà évoquées en passant 1 3 2. La théologie y fait presque entièrement défaut. Les problèmes qui se posent au traducteur ne sont
132. Pour la publication de base d'un grand nombre de ces textes, voir GARDINER, SETHE, Egyptian Letters to the Dead ; pour des références bibl iographiques plus récentes et pour une interprétation de la façon de délivrer ces lettres aux destinataires, voir WILLEMS, dans : Social Aspects of Funerary Culture, p. 3 3 7 - 3 5 5 ', 357-361. Voir aussi DONNÂT, fa peur du mort.
i c i
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
pas à minimiser, mais il s'agit surtout d'incertitudes sur les liens entre les personnes mentionnées ou de détails de traduction. L'aspect général de l'Autre monde tel qu'il apparaît dans ces documents est, par ailleurs, relativement facile à comprendre, et notre enquête commence donc là.
Les expéditeurs des lettres évoquent leurs soucis, ainsi le désir d'avoir des enfants, d'être guéri d'une maladie, ou d'être délivré de problèmes sociaux ou financiers. Dans la dernière catégorie s'inscrivent des situations où les survivants se trouvent confrontés à des membres de leur famille ou à des voisins qui s'emparent de leur propriété. Dans leur désespoir, ils appellent le mort à l'aide.
LES LETTRES AUX MORTS
Les expéditeurs sont toujours des proches parents du mort : le fils ou la femme, par exemple. Techniquement, ils approchent le défunt dans le contexte du rituel d'offrande. Après avoir rétabli le contact avec lui au cours de la cérémonie, ils terminent avec un épisode rituel qui a pour but de combattre les influences nocives, soit pour le mort lui-même, soit pour la famille qui exécute le rituel. Ce moment offre le cadre propice où l 'on peut s'adresser au défunt. Fréquemment, la lettre est écrite sur un bol qui vient d'être utilisé pour lui présenter les offrandes. Donc, de manière très pragmatique, on considère apparemment que le mort (jh) qui vient chercher les offrandes ne peut rester ignorant du contenu des textes écrits sur le contenant.
Les demandes sont plutôt d'ordre pratique. Ainsi, dans une lettre datée de la fin de l'Ancien Empire, les expéditeurs écrivent qu'une autre famille de leur village cause des problèmes qui peuvent mettre en péril la continuité de leur maisonnée. Il est sous-entendu qu'un membre aîné de cette autre famille, appelé Béhesti, est déjà mort et se trouve donc dans le domaine des morts où demeure aussi le destinataire de la lettre. On
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LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
demande à ce dernier : « Éveille ton père I i i " contre Béhesti ! . . . Lève-toi contre eux avec tes ancêtres, tes frères, et tes amis, que tu puisses combattre Béhesti et 'An'ankhi, fils d'Aai" 4 ». Il est clair que les familles sont envisagées comme des lignées dont quelques membres habitent la terre tandis que d'autres résident dans le monde des morts. En cas de problème, on peut s'adresser aux parents morts qui ont la possibilité de se mettre en contact avec les parents défunts de l'autre famille. Par l'intermédiaire des morts, une famille essaye donc d'influencer le comportement d'une autre famille avec laquelle les relations quotidiennes se trouvent dans une impasse.
Le passage cité montre un monde de l'Au-delà qui ressemble assez fortement au monde des vivants. O n y vit avec des parents et des amis, et on communique avec d'autres familles, même si, dans le cas cité, la forme que prend la communication ne semble pas très agréable. L'Au-delà s'apparente à un village égyptien.
On se met en contact avec les parents morts pendant le rituel d'offrande, moment crucial pour les défunts, parce qu'ils en sont dépendants pour obtenir leur nourriture. Fréquemment, les lettres aux morts contiennent des remarques dépourvues de subtilité qui suggèrent que l'expéditeur de la lettre ne pourra plus offrir ces offrandes si le mort ne s'engage pas en sa faveur. Les défunts et les vivants vivent donc dans une interdépendance mutuelle.
LES FORMULES 131 À 146 DES TEXTES DES CERCUEILS1^
Plusieurs formules des Textes des Cercueils expriment une perception du monde des morts , très proche de la tonalité des
133. Le determinant montre que lui aussi était mort. 134. Apparemment un membre mort de la même famille que Béhesti. Le passage cité se trouve dans GARDINER, SETHE, Egyptian Letters to the Dead, pl. I, 9-11.
135. CT II, I5la-205e [131-146] ; pour l'interprétation de ces formules, voir en détail WILLEMS, dans : Religion in Context, à paraître.
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IFS TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
lettres aux morts. Le groupe des formules 1 3 1 à 1 4 6 en offre
un bon exemple. Ces textes ont pour but d'« unifier la zb.t d'un
homme avec lui dans la nécropole » 1 3 6 . Le terme Ji>.f est souvent
traduit par « famille », mais il renvoie en fait à un groupe social
d'un caractère un peu différent : une sorte d'ensemble domes
tique. Le mort veut donc être réintégré dans un groupe de
parenté conçu comme une unité spatiale — il est difficile de
s'imaginer un groupe domestique autrement. Mais il ne s'agit
pas d'une simple maisonnée, car, par exemple, l'épouse d'un
homme n'appartenait pas à sa 2b.t. Le groupe semble plutôt
avoir été une unité sociale avec un statut juridique bien défini,
qui était responsable de la gestion de la propriété familiale.
L'idée sous-jacente qui en ressort clairement est que cet aspect
matériel et juridique importait dans l'autre monde.
À plusieurs reprises, ces textes décrivent d'ailleurs des cir
constances remarquablement « ordinaires » de la vie funéraire.
Quand le mort arrive dans l'Au-delà, ses parents travaillant dans
les champs jettent à terre leurs outils pour le recevoir dans leur
milieu. De plus, le défunt possède un décret — selon la formule
1 3 1 , un décret promulgué par un roi qui n'est autre que le dieu
Geb — qui stipule que ses parents ne sont plus obligés de travail
ler pour Isis et certains autres dieux' 3 7 . Sans doute, avec l'aide de
ce document, les morts pouvaient-ils vivre la vie seigneuriale, un
souhait qui est aussi, on l'a vu, la raison de déposer certains types
de mobilier funéraire dans les tombes depuis l'Ancien Empire' 3 8 .
LA FORMULE 1 4 9 DES TEXTES DES CERCUEILS'™
Un autre texte assez répandu fait état de la « famille »-Jb.t :
c'est la formule 1 4 9 . Lui aussi n'offre que peu d'éléments
136. cru, 180a [146].
137. CT II, 20lb-204b [146], 1510152c [131]. L'atmosphère n'est pas sans rappeler la formule des ouchebtis (CT VI, la -2k [472]), et le chapitre 6 du Livre des Morts.
138. Voir p. 142-149.
139. CT II, 22ôb-253g [149].
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LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
mythologiques. On doit même se demander s'il s'agit d'un texte religieux utilisé sur terre par un prêtre dans le contexte de certains rituels, ou d'un texte écrit purement pour l'usage par un défunt dans l'Au-delà. Les deux possibilités ne s'excluent d'ailleurs pas. Certains détails de la formule montrent que le protagoniste est mort , mais il n'est pas impossible qu'une Vorlage légèrement différente ait été utilisée dans un cadre rituel. En tout cas, dans ce texte, le défunt doit, selon l'introduction, se dresser comme un prêtre 1 4 0 , avant que l 'action, qui est très hargneuse, ne débute.
La formule a pour but de faire triompher un homme sur ses ennemis. Le contexte est juridique : le protagoniste combat son ennemi devant un tribunal (djdj.t), parce que le second a mal agi envers le premier. L'ennemi et sa Jb.t sont présents ; on supposerait sur la base des formules i 3 1 - 1 4 6 que la Jb.t du défunt est aussi présente, mais le texte ne contient pas de spécifications à cet égard. L'opposant est, de surcroît, accompagné d'un conseiller, mais finalement le défunt sort en vainqueur. A ce moment-là, le texte prend un tour violent. Le mort , qui a adopté la forme d'un « faucon humain », déchire son ennemi en présence de sa famille. L'ennemi ayant été abattu, sa maison — dans l'Au-delà ou sur terre ? — est détruite, et sa famille terrestre souffre également.
On voit des familles dans l'Au-delà se combattant entre elles, sous la direction du défunt d'un côté et de « l'ennemi » de l'autre. On a l'impression que ce qui se passe dans ces circonstances est comparable à l'intervention réclamée par Iii contre Béhesti, selon la lettre au mort citée auparavant. Comme dans cet exemple, les agissements envers les ennemis morts sont supposés avoir des conséquences pour les membres de la famille encore vivants. Dans la lettre au mort, leur sort n'est pas précisé, mais il est cer-
140. CT I I , 226b-227b [149]. Pour une bonne traduction et interprétation du texte,
voir GRIESHAMMER, Jense/tsgericht, p. 131-148.
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LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
tain qu'après l'action que doit entreprendre Iii, ils ne seront plus capables de gêner les expéditeurs de la lettre. Dans la formule 1 4 9 , on dit qu'ils sont « chassés » ' 4 ' .
Les événements décrits dans la formule 1 4 9 n'ont rien de mythologique. Mais des faits miraculeux se produisent : le défunt se change en un oiseau prédateur pour s'emparer de son ennemi. En outre, bien que leur présence ne soit pas essentielle pour comprendre la trame de l'histoire que raconte la formule, des dieux entrent en scène à l'arrière-plan, comme déjà dans les formules 1 3 1 - 1 4 6 . Car le tribunal est dit être celui d'Osiris Khentamenti, et ce dieu se réjouit du succès du défunt 1 4 ' . Tout donne l'impression que les défunts se trouvent dans l'autre monde de concert avec les dieux, mais sans encore s'identifier eux-mêmes aux dieux.
LES FORMULES 3 0 - 4 1 DES TEXTES DES CERCUEILS'**
Pour pouvoir survivre, le mort était dépendant des offrandes qui lui sont apportées régulièrement par sa famille. Le groupe de formules 3 0 - 4 1 constitue une liturgie récitée pendant certains jours de fête dans la nécropole, au moment où la famille dépose les offrandes. Le texte est prononcé par le fils d'un père défunt.
Le fils se présente comme le successeur du père, qui prend soin du mort. Dans la culture égyptienne il existait un lien étroit entre les deux : pour avoir droit à la succession, on devait s'occuper des funérailles — et, sans doute, du culte funéraire — du père 1 4 4 .
141. cru, 245b [149]. 142. CT I I , 2 3 3 b , 246a [149]. 143- CT I, 82/83a-177h [30-41]. Pour les détails de ce qui suit, on consultera WILLEMS, dans : Social Aspects of Funerary Culture, p. 2 5 3 - 3 7 2 . 144. Pour le Nouvel Empire on s'exprimait même de manière proverbiale à cet égard ; on lit dans le P. Caire JE 58092, r ° 10-11 : « "C'est à celui qui enterre qu'on donne les possessions" dit-on, c. à d. la loi de Pharaon » ; JANSSEN, PESTMAN, JESHO 11 (1968), pl. 1 ; voir aussi O . PÉTRIE, r" 7 - vs. 1 ; vs. 4-7 : CERNY, GARDINER,
H O I, pl. X X I . Pour d'autres sources, voir JANSSEN, PESTMAN, op. cit., p. 1 6 8 .
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LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
La relation entre père et fils est donc, même après la mort du père, une sorte de symbiose, car le fils ne peut pas obtenir sa position sociale sans montrer un intérêt actif pour le défunt, tandis que le père dépend du fils pour sa survie. Dans les textes qui nous occupent, cette symbiose est parfois formulée d'une manière particulière. Le fils déclare pendant le rituel :
7u14' es ici dans ce pays sacré où tu te trouves comme mon avocat'4'' qui est dans le tribunal du dieu"7, tandis que je suis ici dans ce pays des vivants [comme] ton avocat qui est dans le tribunal des hommes"".
Ce passage oppose un tribunal dans l'Au-delà avec un autre dans le monde terrestre, ce dernier étant apparemment une cour de justice où les vivants peuvent déposer plainte contre un mort . On pourrait douter de l'existence réelle de cette alternative ; cependant, Diodore de Sicile, I, 9 2 , écrit qu'avant le départ de la barque funéraire,
la loi permet à tous ceux qui le veulent de déposer plainte contre le défunt. Donc, si quelqu'un s'avance pour l'accuser et peut apporter la preuve qu'il a vécu une vie mauvaise envers tous, les juges annoncent ce verdict à tous et refusent au corps un enterrement normal.
Ce texte fait aussi état de quarante-deux juges, ce qui prouve de manière indubitable le lien avec le tribunal divin du chapitre 1 2 c du Livre des Morts. Bien qu'il reste difficile d'entrevoir ce qu'était en réalité un tel tribunal, le passage de la for-
145. Le père. 146. Littéralement : « parleur ». 147. Osiris, comme dans la formule 149 ?
148. CT I, V6d -g [40] ; cf. CT I, \y\y\j2e [39]. On comparera avec CT VII, 908r
[908].
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LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
mule 4 0 des Textes des Cercueils, traduit ici, pourrait bien contenir une allusion à une pratique comparable ; pratique exécutée non pendant les funérailles, mais durant une fête mortuaire' 4 ' . Le père défunt est donc déclaré en mesure de soutenir son fils devant un tribunal dans l'Autre Monde, tandis que le fils est capable de soutenir son père dans le cas d'une affaire judiciaire entreprise contre lui sur terre.
La position sociale du fils dépend du soin pieux qu'il montre envers son père mort. Mais quelle est la base de celle du père dans la société de l'Autre Monde? Selon les formules 3 0 - 4 1 ,
cette situation se fonde sur les mêmes critères que celle de son fils. Le père mort mais ressuscité est conçu comme un fils qui assume ses responsabilités dans le cadre du traitement du corps de son père défunt que la liturgie identifie clairement à Osiris. On peut visualiser les relations personnelles comme suit 1 5 0 :
fils vivant (A) père mort (B)
pere ressuscité (B) devenu Horus le dieu mort
Osiris (C)
Dans le rituel des formules 3 0 - 3 7 , le fils (A) transforme son père (B) en un dieu-fils qui traverse l'Autre Monde pour accéder au bâtiment où le corps de son père Osiris (C) attend d'être
149. Encore au XX* siècle, Ahmad FAKHRY assistait à des funérailles dans l'oasis de Bahariya assez comparables : « When they arrive at the tomb, they lower the bier to the ground, and one of the men addresses the others: " W h a t do you testify about the deceased?" The answer is always: " W e testify that he (or she) was a good person." If, on a rare occasion someone in the group accuses the deceased of theft, failure to repay a loan, or causing some sort of harm to him, the relatives of the dead apologize or promise to pay. On ly when everything is settled, all has been forgiven, and al l have repeated that the deceased was " g o o d " , the group recites together a short prayer, takes the body out of the bier and places it in the grave » : FAKHRY, The Oases of Egypt II, p. 53-54.
150. Ici A -> B signifie : « A exécute des rituels pour B ». La flèche verticale indique la transfiguration du mort qui est la conséquence du rituel.
198
i f S TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
embaumé. Au cours de la liturgie, le fils (A) s'adresse à son père pour le guider à travers l'Autre Monde vers son lieu de destination, à Osiris pour lui annoncer la venue de son père, et à d'autre divinités pour affirmer que son père doit passer.
Les lettres aux morts et les formules i 3 1 - 1 4 6 , 1 4 9 et 3 0 - 4 1
des Textes des Cercueils mentionnent bien sûr des dieux, mais, de manière générale, l'Au-delà qu'elles évoquent est un monde qui ressemble de près au monde terrestre. Les défunts y travaillent dans les champs, travail auquel les seigneurs échappent ; ils y demeurent avec leur famille et leurs amis ; et ils s'y querellent, problèmes qui doivent être résolus devant un tribunal. De surcroît, aussi bien dans l'Autre Monde que sur terre, on gagne sa position sociale en accomplissant le devoir de s'occuper du père mort . Rien de mythologique dans ce processus.
Mais à la ligne inférieure du schéma on voit apparaître un défunt en tant que dieu. Bien que le modèle ne soit pas enraciné dans la mythologie, on constate néanmoins que l'auteur de la composition a ressenti la nécessité d'attribuer une identité divine au mort , identité qui n'est pas exprimée de manière abstraite (« le mort est un dieu » ) , mais de manière individualisée (« le mort est Horus » ) ' S 1 . De même, le père mort du défunt est décrit comme Osiris. Je crois que deux facteurs probablement complémentaires peuvent expliquer pourquoi des identités divines sont introduites dans ce cadre qui, pour le reste, n'a rien de mythologique.
La première explication est que le père obtient ce rôle dans un contexte rituel. Il est en route vers la Place d'Embaumement où se trouve son propre père mort . On sait bien que l'accès à un tel lieu saint n'était possible que si l'on se montrait au courant de certains « secrets » sacrés, pendant des rites de passage. Ces secrets ont un rapport avec le drame rituel qui se déroule
151. En fait, l'auteur ne va pas si loin, n'appelant le père que « le dieu jeune ». Mais la constellation dans laquelle il opère montre clairement qu'i l joue le rôle d'Horus.
1 9 9
IFS TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
à l'intérieur. Pendant les funérailles terrestres, les prêtres
jouaient des rôles divins comme celui d'Anubis, d'Horus, d'Isis
ou de Nephthys. Les formules 3 0 - 4 1 montrent qu'on a téles
copé ce contexte rituel avec celui de l'Autre Monde. Là-bas, les
acteurs dans le rituel sont des êtres surhumains (morts, dieux),
et il est naturel d'élaborer une image où les acteurs ne sont pas
des prêtres « jouant » Horus, etc . , mais sont identiques à ces
dieux.
La seconde est que l'identification du défunt à un dieu évite
certains problèmes existentiels. L'idée sous-jacente à propos du
monde de l'Au-delà, telle qu'elle est exprimée dans les formu
les 3 0 - 4 1 , est que le défunt gagne sa raison d'être en fonction
de son engagement dans la pratique des rituels funéraires pour
son père défunt. Si les rôles n'avaient pas été divinisés, on aurait
le schéma suivant :
fils vivant (A) père mort (B)
père ressuscité (B) père de B (C)
On est en droit de présumer que le prédécesseur (C) de B
était, lui aussi, un défunt ressuscité, mais pour permettre au
défunt B de jouer son rôle de fils et successeur, le défunt C
devait mourir à nouveau dans l'Au-delà. Le concept de la
« deuxième mort » existe dans la religion égyptienne, mais
celle-ci a la connotation d'une mort définitive, dont l 'on ne
pouvait pas être sauvé. Suivant ce modèle, la survie après la
mort impliquerait pour un défunt dans la position de C que
cette survie serait de très courte durée : une génération au
plus. Pour permettre une perspective plus acceptable, la posi
tion C était remplie, non par un individu humain, mais par l'ar
chétype divin d'Osiris, dispositif par lequel tout mort restait
dans la position B, et était considéré comme le fils d'Osiris,
Horus. Mais, bien qu'on utilise dans ce processus des noms
2 0 0
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
mythologiques, les rôles sous-jacents n'évoquent pas un mythe,
mais un rituel funéraire transposé à un niveau divin.
LA FORMULE 3 1 2 DES TEXTES DES CERCUEILS]V-
Dans les formules 3 0 - 4 1 , seules les personnes mortes reçoi
vent une identité mythologique. La personne A qui figure
comme officiant dans le rituel exécuté sur terre, en revanche,
s'appelle simplement « fils ». Mais, on vient de le voir, il était
très commun d'attribuer également des rôles divins aux parti
cipants, dans le rituel. Evidemment, on ne considérait pas ces-
individus comme des « dieux », mais les dieux se manifestaient
dans le cadre rituel sous la forme de ces personnes. Pour men
tionner un exemple beaucoup plus tardif, mais très clair, le
Papyrus Bremner-Rhind I, 2 - c , concernant un rituel où deux
prêtresses jouent le rôle d'Isis et de Nephthys, spécifie :
Alors on amènera deuxjemmes dont le corps est pur, et qui
n'ont pas encore été ouvertes'^, dont les poils ont été
rasés, et dont la tête est ornée d'une perruque, j...], por
tant des tambourins dans leurs mains, leurs noms, (c. à d.)
Isis et Nephthys, ayant été écrits sur leurs épaules'^.
Dans le cadre du rite, Isis et Nephthys sont donc présentes
sous la forme de ces deux jeunes dames. De la même manière,
Anubis est susceptible d'agir sous l'aspect d'un prêtre-embau
meur qui, à la Basse Époque, pouvait porter un masque avec les
traits d'Anubis 1 ". Ce ne sont que des exemples d'une coutume
152. Pour une discussion plus approfondie de ce qui suit, voir WILLEMS, dans : Social Aspects of Funerary Culture, p. 370-372. 153. En accouchant ; on comparera avec la pierre de Chabaka, col. 17a, qui utilise l'expression wpi h.t, « qui ouvre le ventre », pour désigner Horus comme l'enfant d'Osiris. Le texte fait clairement allusion à sa naissance. 154. FAULKNER, The Papyrus Bremner-Rhind, p. 1. 155. Je renvoie ici au masque Hildesheim Pelizaeus-Museum 1585 '• voir SEIPEL, Ägypten, p. 158-160 (125).
201
I f 5 TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
fort bien connue et ancienne ; par ce biais, le mort peut aussi se voir attribuer le rôle d'Osiris et le prêtre sJ-fmr.y=f (« le fils qu'il aime ») celui d'Horus. Si l'on introduit cette distribution des rôles dans le schéma des formules 3 0 - 4 1 , on obtient le modèle suivant :
fds vivant
= Horus (A) ^ père mort
= Osiris (B)
I père ressuscité (B)
devenu Horus le dieu mort Osiris (C)
La formule 3 1 2 des Textes des Cercueils traduit cette situation, mais est confrontée au problème évident que les rôles d'Horus et d'Osiris sont joués deux fois, et par des personnes différentes. Le texte fait une tentative pour différencier les personnalités sans rompre la répartition des rôles mythologiques.
Au début du texte, les dieux demandent à Horus (A), sur l'ordre d'Osiris (C) , de rejoindre ce dernier dans l'Au-delà pour l 'embaumer 1 5 6 . Horus répond qu'il n'a pas cette intention ; il se trouve encore sur terre, où il souhaite « se promener et copuler parmi les hommes » ' " ; formulation destinée à indiquer, me sem-ble-t-il, qu'il est encore jeune et veut continuer sa vie terrestre afin d'avoir des enfants qui pourront poursuivre la lignée. Ce souci est également apparent dans les formules 3 8 - 4 1 .
En guise de remplaçant, Horus (A) envoie sa « forme » (Ir.w)"*, autrement dit une personne qui n'est pas identique à lui, mais qui lui ressemble étroitement. Je crois que c'est son
156. CT IV, 68b-70b [312]. 1 5 7 -CT IV, 72b [312]. 158. CT IV, 7 3 f - 7 4 f [312].
2 0 2
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
père déjà mort (B) . Dans la suite du récit, ce dernier se rend, à
travers l'Au-delà, vers Osiris, avec l'intention de l'embaumer.
Plusieurs passages de ce texte difficile sont tout à fait compara
bles à d'autres dans les formules 3 0 - 4 1 .
UNE CONCLUSION
Le monde de l'Au-delà peut être compris comme la projection du milieu social terrestre. Les morts interagissent selon les rôles sociaux qui sont les leurs dans la vie quotidienne. Mais un aspect important de la vie après la mort est de fonctionner, dans l'Au-delà également, dans un contexte rituel, contexte qui s'exprime de préférence par un vocabulaire emprunté à la mythologie. Le mort devient un dieu jeune qui embaume son père mort qui est lui-même un dieu. Finalement, un dédoublement des rôles mythologiques est possible, les officiants vivant sur terre entrant, eux aussi, dans un cadre où le discours rituel se décline en termes mythologiques. Ce stade, qu'on atteint dans le cas de la formule 3 1 2 , a pour conséquence qu'aucune personne n'est plus désignée en tant que personne humaine, et que l'action semble se dérouler entièrement dans le monde mythique. Ce dernier modèle est celui qui domine dans le reste des Textes des Cercueils. Ces textes se présentent donc a prima vista comme des récits n'ayant rien à voir avec la vie terrestre. Mon impression est qu'on a affaire, là, à un déguisement voulu qui revêt les relations sociales régissant la vie quotidienne d'une enveloppe surnaturelle. Dans la plupart des textes, seule cette enveloppe est thématisée. Pour nous, lecteurs qui ne sommes pas accoutumés à penser selon les catégories sociales égyptiennes, cela conduit facilement à méconnaître le déguisement mythologique, en l'interprétant comme le fond de l'affaire.
Dans ce qui suit, nous nous occuperons de compositions plus extensives et tout à fait fondamentales du corpus des Textes des Cercueils pour pouvoir déterminer les thèmes centraux de ces textes.
203
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
LE CAS D'HEQATA
C ' e s t une matière que j 'a i étudiée de manière approfondie
pour le cas du sarcophage d'Heqata ( A i C ) 1 ' 9 . Ce sarcophage
date du début du Moyen Empire et a été découvert à Assouan.
Il contient une quarantaine de formules des Textes des
Cercueils. Le programme textuel est donc assez important, et
il inclut plusieurs textes qui étaient très répandus à travers
l'Egypte, comme les formules 7 j et 3 9 8 . Ils doivent donc se
rattacher à des courants théologiques particulièrement repré
sentatifs. L'importance de cette source provient aussi du fait
qu'elle nous offre la possibilité d'étudier un ensemble de tex
tes comme une composition cohérente. Evidemment, un trai
tement identique pourrait être entrepris pour tous les autres
cercueils inscrits 1 6 0 , mais le seul sarcophage qui a été, jusqu'à
présent, soumis à une telle enquête est celui d'Heqata 1 6 1 .
Dans les textes d'Heqata, l 'axe fils / ritualiste - père mort
/ bénéficiaire du rituel occupe aussi une place centrale. Le
défunt peut jouer les deux rôles. D'un côté il acquiert une vie
nouvelle parce qu'une autre personne exécute le rituel pour
lui. De l'autre, il mérite une position prépondérante parce qu'il
joue le rôle d'un fils qui embaume son père mort .
En second lieu, le discours des textes associe ces rôles à des
personnalités mythologiques. Comme dans les textes déjà ana
lysés, le modèle dans lequel le ritualiste est un Horus, et le
bénéficiaire un Osiris est très commun, mais ce n'est pas la
seule possibilité. Dans les formules empruntées au Livre de
159. Ce qui suit se fonde sur les conclusions de WILLEMS, Heqata ; voir surtout
p. 374-384-160. L'auteur a entrepris une étude d'ensemble sur les cercueils de Sesenebenef de Licht (Ll-2Li), dont la publication est en cours de préparation. 161. MEYER-DIETRICH, Nechet und Ni l , a fait la même tentative sur la base de l'analyse du sarcophage M5C. Je dois avouer que je trouve son traitement des textes et leur contextualisation culturelle insuffisamment poussés, et l 'application de la méthodologie de base, l 'approche de la Re/igionso/co/ogie, trop prématurée pour tenir compte de ce travail dans la présente étude.
2 0 4
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
Chou (ici, les formules 7 c , 7 7 , 7 8 , 8 0 ) , le père défunt est Atoum, le fils-prêtre est Chou. Probablement, le rituel évoqué avait pour but de donner le souffle de vie au père mort . Pour ce faire, il était plus commode de mobiliser un fils-Chou qu'un fils-Horus, puisque Chou était le dieu de l'air.
Le monde théologique évoqué dans les textes peut donc varier énormément, mais le modèle sous-jacent dans le sarcophage d'Heqata opère sur la base des mêmes modules. Il serait peu utile de répéter ici ce qui a été montré dans le détail, ailleurs. Je me limiterai à une présentation du modèle récapitulatif de mon étude sur ce sarcophage (voir fig. 2 c ) . Dans la figure, les flèches horizontales indiquent une action bénéfique des ritualistes pour un défunt, une flèche verticale (avec pointe vers le bas) une transformation d'un défunt, et la flèche verticale (avec pointe vers le haut) un lien de communication entre deux divinités. Les chiffres romains indiquent les différents rites auxquels il est fait allusion dans le sarcophage d'Heqata.
Tous les textes s'intègrent dans un modèle qui comprend la vie dans l'Au-delà comme un phénomène cyclique. Quand le défunt meurt, il est momifié. A la fin de ce procédé plutôt « technique », on le transforme rituellement d'un mort en un être qui a acquis une vie nouvelle. Puis, on le transfert vers la tombe, la procession étant aussi conçue comme un rite important pour la résurrection du mort (phase I ) .
Cette transformation est régulièrement répétée pendant les rites mortuaires célébrés dans le cimetière. Comme l'a montré J . A S S M A N N , pendant la transmission des offrandes, on récite des formules de « glorification » qui ont comme but d'introduire le défunt dans le monde divin. Ce type de rituel réitère donc les effets déjà atteints auparavant par la momification 1 6 2. Ainsi, ces rituels périodiques ont aussi pour finalité de ressusciter, c'est à dire de transformer, le défunt en un dieu jeune (phase II).
162. A S S M A N N , Totenliturgien I, p. 13-17 et 67-68.
2 0 5
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
le fils
(et la famille) bénéficiaire (Heqata)
proc i funéraire
fe fils
(et la famille) I I
bénéficiaire (Heqata) visitent la tombe
pendant les jours de fêtes
M o n d e terrestre
Autre monde
déesse
I I I
rite d'embaumement
veillée horaire
bénéficiaire (Heqata)
le défunt ressuscité
se transforme
en fils/ritualiste
ritualiste (Heqata) I V
rite d'embaumement
veillée horaire
bénéficiaire
(père mori divi
Osiris commande l'exécution de ritiels funéraires pour Heqata
FIG. 2 5 : LES CONTEXTES RITUELS REPRÉSENTÉS
DANS LA DÉCORATION DU SARCOPHAGE D'HEQATA
(D'APRÈS WILLEMS, HEQATA, P. 3 8 6 ) .
2 0 6
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
Les deux types de rituels ont ainsi tous les deux la même fin :
le mort qu'on peut, dans la dialectique de la théologie égyp
tienne, identifier à divers dieux morts, comme Osiris ou
Atoum, se transforme en un dieu jeune et renaissant comme
Horus ou Chou.
Selon les textes funéraires d'Heqata, ces dieux-fils n'ont
qu'une seule responsabilité : celle de momifier leur père mort
(phase IV). Par conséquent, Osiris (ou Atoum) acquiert une vie
nouvelle. Ce qui est original dans le cercueil d'Heqata, c'est
que 1'Osiris vivant ordonne aux dieux de donner une vie nou
velle au défunt (phase V ) . D'autres textes décrivent l 'exécution
de rituels funéraires pour le défunt qui doit, à ce stade, entrer
dans le rôle d'un dieu-père mort , comme Osiris (ou Atoum)
(phase III). Mais après ces rituels, il apparaît comme un dieu
rajeuni, qui peut à nouveau jouer le rôle de fils / ritualiste
(phase IV).
Ainsi, Heqata dépend pour sa survie d'une décision
d'Osiris, qui le transforme en Horus. Mais pour sa propre sur
vie, Osiris dépend de l'activité rituelle d'Horus, dieu avec
lequel Heqata s'identifie dans les textes de son sarcophage. La
vie après la mort ressemble fortement à la relation fils-père
mort comme vue dans une perspective humaine 1 6 3 .
LE CAS DES SARCOPHAGES DU MILIEU DE LA XIIE DYNASTIE
Le sarcophage d'Heqata (A i C) est un cas un peu particulier.
Sa décoration inclut plusieurs éléments qui n'apparaissent que
dans un nombre très restreint d'autres sarcophages ( G i T , T 3 C ,
partiellementT3L, et quelques autres exemplaires très endom
magés). Ces sources datent d'une époque où la décoration des
cercueils différait considérablement d'un site à un autre, phé-
163. Voir p. 198-200.
2 0 7
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
nomène qu'on peut aussi observer pour d'autres catégories d'objets. Il est donc, en principe, possible que le sarcophage d'Heqata reflète une tradition strictement locale et peut-être peu représentative. Il serait donc important de savoir comment les choses se présentent dans le cas des autres sarcophages. Malheureusement, l'étude ne serait-ce que d'un seul sarcophage prend beaucoup de temps, et il faudrait disposer de résultats concernant un nombre significatif d'artefacts avant de pouvoir se prononcer de manière plus assurée.
Il serait particulièrement utile de posséder une analyse des sarcophages réalisés entre les règnes de Sénousret I e r et Sénousret III, période où l'on peut observer une tendance à décorer les cercueils selon un modèle plus ou moins rigide. Bien sûr, les concepteurs possèdent encore, à cette époque, une grande liberté dans les détails, et dans le choix des textes. Mais quelques principes sont néanmoins très apparents. Bien que le matériel soit vaste et n'ait pas encore fait l 'objet de recherches poussées, quelques lignes directrices me semblent néanmoins claires 1 6 4 .
A l'extérieur, ces sarcophages ne sont pas seulement décorés avec une bande horizontale de textes ornementaux et une paire d'yeux oudjat sur le côté est, comme dans les cercueils plus anciens (type I) . Sous les registres d'inscriptions ornementales, on trouve maintenant des colonnes supplémentaires de textes, également en hiéroglyphes ornementaux (types IV et V ) . Les panneaux entre ces colonnes sont souvent ornés d'une façade de palais (type V I ) 1 6 5 . Pour les différents types de cercueils, on verra la figure 2 6 .
A l'intérieur, un changement très important réside dans l'introduction d'une frise d'objets sur le côté ouest, de sorte que, désormais, les quatre parois possèdent chacune une frise.
164. Voir WILLEMS, dans : Studies te Velde, p. 343-372.
165. Voir WILLEMS, Chests of fife, p. 136-164, pour les types IV-VI.
208
FIG. 2 6 : TYPOLOGIE DE LA DÉCORATION EXTÉRIEURE
DES SARCOPHAGES DU MOYEN EMPIRE,
LA FIGURE N'OFFRE QUE LES MODELES LES PLUS COURANTS
(D'APRÈS IKRAM ET DODSON, THE MUMMY IN ANCIENT EGYPT, P. 1 9 8 ) .
209
I f S TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
La thématique des frises change aussi, car elles sont presque entièrement réservées à des objets rituels et des éléments de l 'ornement royal 1 6 6 . Dans la plupart des exemples, ces cercueils portent la formule 3 3 £ des Textes des Cercueils sur le couvercle, et la formule 3 9 7 sur le fond 1 6 7 . Ces textes sont parmi les plus connus du corpus. Dans le premier cas, il s'agit de la version originelle du chapitre 1 7 du Livre des Morts, dans l'autre de celle du chapitre 9 9 . Déjà au Moyen Empire, les deux textes étaient très répandus, et du fait qu'ils apparaissent souvent dans un programme qui régit la décoration des cercueils dans leur totalité, il n'est pas douteux qu'on est en présence de sources-clé pour comprendre la raison d'être des Textes des Cercueils.
La formule 3 9 7 évoque le thème du bac que le défunt veut utiliser pour traverser le Canal Sinueux dans l'Au-delà. La destination qu'il a l'intention d'atteindre se trouve dans le Champ des Roseaux, proche de l'horizon oriental du ciel. Le texte, comme celui qui l'a précédé dans la pyramide d'Aba, laisse entrevoir que le corps d'Osiris se trouve en ce lieu, et que le défunt, le fils d'Osiris, a pour but de rattacher la tête de son père et de procéder au rituel d'Ouverture de la bouche sur ce dernier 1 6 8 . Sur la base du texte lui-même et d'une comparaison avec d'autres formules concernant le passeur du bac, on est en droit de conclure qu'on a affaire à un thème assez général dans ces compositions 1 6 9 .
Dans la formule 3 3 J , l 'embaumement d'Osiris est lui aussi thématisé. C T IV, 2 ^ 2 / 3 C - 2 7 2 C [ 3 3 ^ ] contient une description
166. Voir p. 146.
167. WILLEMS, Chests of Life, p. 200-228, 233 et 235. 168. CTV, 780-810 [397] ; JÉQUIER, La pyramide d'Aba, pl. X I , I. 591-592. Un texte très proche, mais offrant une version légèrement différente de la formule 397,
contient le même passage (voir BICKEL, dans : D'un monde à l'autre, p. 99 ; 116, I. 22-2). 169. WILLEMS, Heqata, p. 156-177, et surtout p. 173-177 ; IDEM, dans : Studies te Velde, p. 360.
2 1 0
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
de la Place d'Embaumement et offre une liste de sept divinités qui constituent une partie conséquente du personnel momifiant Osiris, selon les textes ptolémaïques de la veillée horaire 1 7 0 .
L'autre protagoniste du texte est le dieu solaire, mais il endosse toute une série de noms différents, comme Min et Harendotès. Ce dernier nom' 7 1 , en particulier, est notable, parce qu'il signifie « Horus qui protège son père » ; nom qui évoque les actes pieux d'Horus pour son père mort Osiris. Le texte fait ressortir que le dieu solaire est en route vers Osiris, avec l'intention patente de le faire revivre. Après cela, Rê doit quitter Osiris pour réapparaître comme soleil renaissant — le « sortir au jour » auquel renvoie le titre de la composition 1 7 2 . Ce long texte fort complexe ne peut être traité en détail ici, mais il semble clair qu'il concerne un thème qui nous est déjà familier : celui d'un dieu-fils — non pas Chou ou Horus, mais le dieu solaire parfois aussi appelé Horus — qui rejoint son père défunt pour l 'embaumer 1 7 ' .
Le reste du programme décoratif des sarcophages étudiés s'intègre aisément à cette conclusion. Par exemple, les bandes verticales de textes ornementaux ont pour fonction de représenter un groupe de dieux qui participent aux rituels dans la Place d'Embaumement 1 7 4 . Par ailleurs, les objets royaux qui apparaissent dans les frises d'objets sont souvent mentionnés dans les textes décrivant les rituels d'embaumement. En effet, les sources interprètent souvent la momification comme la victoire du mort osirien. Lorsque Seth tua Osiris, celui-ci perdit aussi sa fonction de roi d'Egypte. Après la momification
170. JUNKER, Stundenwachen, p. 3-5 et passim. 171. CT IV, 2 0 4 / 5 C [335].
172. CT IV, l 8 4 / 5 a - i 8 6 / 7b [335]. 173. Pour une analyse plus poussée, voir WILLEMS, dans : Studies te Velde, p. 359-
364.
174. Voir supra, n. 40, p. 149-150.
211
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
d'Osiris, les dommages causés par le crime de Seth étaient réparés. Comme signe de victoire, Osiris fut à nouveau couronné, désormais dans l'empire des morts. Dans les scènes de momification, on voit souvent les éléments de l 'ornement royal sous le lit d'embaumement. Les mêmes objets ont également été retrouvés dans quelques tombes du Moyen Empire 1 7 ' . La momification place donc le mort dans le rôle d'Osiris roi de l'Au-delà.
Cependant, les éléments de l 'ornement royal ne sont pas seulement à rapprocher d'Osiris, mais aussi du fils-ritualiste responsable de l 'enterrement de son père. On a vu que celui-ci avait le droit de succéder à son père, et les textes concernant l 'embaumement renvoient parfois au fils comme à un roi et successeur 1 7 6 .
Au terme de cet examen, on doit conclure que les textes et l'iconographie de ces sarcophages accordent à nouveau une place centrale au rituel d'embaumement, où les rôles de ritualiste / fils et bénéficiaire / père mort sont des thèmes primordiaux. La dialectique de la décoration des cercueils n'attribue pas un seul de ces rôles au propriétaire, mais les deux à la fois. Dans un contexte, il peut donc figurer comme un Osiris qui acquiert une vie nouvelle grâce aux rituels pérennisés pour lui dans la décoration du cercueil. Dans d'autres contextes, il apparaît comme un fils en route pour rejoindre la salle d'embaumement d'Osiris. Bien que les détails diffèrent, on reconnaît aisément les rôles, actif et passif, que peut jouer Heqata dans les phases différentes de son destin dans l'Autre Monde.
CONCLUSION
Dans chaque texte, groupe de textes, sarcophage, ou classe de sarcophages que je viens de passer en revue, je crois pouvoir
175. Voir p. 146-148.
176. Par exemple CT I, 25lf [60].
212
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
retrouver un élément récurrent : l'emphase sur le lien familial, et surtout sur le lien entre le fils et le père défunt. Nos sources soulignent l'importance des rituels exécutés par le fils pour son père. Sans eux, le père mort ne pourrait pas survivre dans l'Au-delà, et le fils n'aurait pas de droit à lui succéder. On a constaté que ce rapport entre père mort et fils vivant semble avoir été projeté dans l'Au-delà, le défunt jouant fréquemment dans l'Autre Monde le rôle d'un fils qui momifie son père.
J 'ai dû me concentrer sur ce qui me paraît essentiel dans ces textes, mais je dois admettre que d'autres spécialistes auraient peut-être souligné d'autres éléments des Textes des Cercueils 1 7 7 . Il est inutile de nier que ces textes complexes se prêtent à plusieurs interprétations. Cependant, il me semble aussi difficile de contester que l'axe père-fils occupait une place prépondérante dans la pensée des hommes qui composèrent ces Textes des Cercueils, axe dont le rôle fondamental pour la religion égyptienne a d'ailleurs été reconnu par d'autres' 7 8 . En outre, le choix de textes que je viens de présenter (6 ^ 0 pages environ, donc plus de 2 0 % de l'ensemble des Textes des Cercueils) est si considérable que les résultats obtenus ne peuvent être dus au seul hasard' 7 5.
177. En fait, dans une étude en préparation, je crois pouvoir montrer que, dans un groupe de cercueils qui, chronologiquement et culturellement, sont à différencier de notre matériel, les Textes des Cercueils évoquent une philosophie entièrement différente.
178. Voir A S S M A N N , dans : Vaterbild, p. 12-49 et 155-162 ; IDEM, Tod und Jenseits, P- 74-75-179. Dans le passé, on a souvent exprimé l 'opinion que les Textes des Pyramides et les Textes des Cercueils représentent deux corpus strictement séparés. On ne peut plus souscrire à cette manière de voir. Dans une étude récente, B. MATHIEU a tenté de déceler les critères qui pourraient faciliter une distinction entre les deux groupes, mais finalement, il a abouti 6 la conclusion qu' i l reste pour l'instant malaisé de définir une différence entre les deux, et qu'ils puisent à un fonds commun (dans : D'un monde à l'autre, p. 247-262). Pendant le col loque où il a présenté cette hypothèse, le sentiment général était, en effet, qu'une différence clairement identifiable ne pouvait pas être établie. Cinq ans plus tard, je ne suis plus aussi
213
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
LA VIE FAMILIALE AU MOYEN EMPIRE
Dans les ouvrages de vulgarisation surtout, on lit souvent que les scènes des chapelles funéraires montrent que les Egyptiens supposaient que la vie après la mort était un doublet de la vie terrestre. C'est certainement une exagération. Même là où la vie terrestre constituait le point de repère, le défunt n'aspirait pas simplement à continuer son existence, mais plutôt à acquérir dans l'Au-delà une position seigneuriale, même si son sort pendant la vie avait été très différent. Comme on l'a vu plus haut" 1 0, le mobilier funéraire entre la fin de l'Ancien Empire et le début du Moyen Empire suggère que le défunt ne vit pas une copie de sa vie avant la mort, mais entre dans un scénario où certains éléments agréables de la vie terrestre dominent.
Dans les textes que nous venons d'étudier, un procédé de sélection similaire est évident. Bien que les formules 1 3 1 - 1 4 6 ,
pour unifier un homme avec sa jb.t dans la nécropole, aient été interprétées comme l'indice que le mort désirait poursuivre sa vie familiale, une enquête plus poussée montre que la Jb.t n'est pas la famille dans le sens occidental, mais un groupe de personnes entretenant des liens d'ordre juridique et surtout financier. J e ne peux pas aborder le thème dans le détail ici, mais le fait que la femme du défunt n'appartienne pas à la Jb.t indique
convaincu sur ce point. D'une part, depuis la publication de CT VIII on peut constater que les Textes des Pyramides ne sont certes pas exceptionnels dans les cercueils du Moyen Empire, mais aussi que les cercueils n'offrent qu'une sélection assez restreinte du matériel connu des pyramides de l'Ancien Empire. De l'autre, les Textes des Cercueils contiennent quelques formules qui proviennent certainement d'un cadre non-royal, comme les formules 131-146 et 30-41, bien qu'elles contiennent des citations des Textes des Pyramides. Même s'il est difficile de suivre avec certitude les mécanismes qui régissaient la transmission des textes, j 'a i l'impression que les cercueils du Moyen Empire comportent des textes partiellement non-royaux et partiellement royaux. Ces derniers n'étaient sans doute pas choisis au hasard, mais plutôt parce qu'ils comportaient des thèmes familiers à leurs utilisateurs, comme celui du lien entre père et fils, ou qu'ils appartenaient à des liturgies utilisables dans le cadre du culte funéraire des particuliers. 180. Voir p. 142-144.
214
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
très clairement que ces textes ne visent pas simplement à une continuité de la vie familiale dans toute son ampleur 1 8 ' . De plus, bien que les formules i 3 1 - 1 4 6 ne soient pas rares, elles ne constituent qu'une petite minorité dans la masse des Textes des Cercueils. Dans le reste du matériel, on ne thématise qu'un seul élément du système de parenté : le lien entre le père mort et le fils vivant. Les relations mutuelles entre, par exemple, frères et sœurs, ou entre ceux-ci et la mère morte, ne jouent aucun rôle dans le discours des Textes des Cercueils.
Evidemment, on n'a pas affaire, ici, au reflet de la vie normale, mais à un choix conceptuel. Or, ce choix n'est pas propre aux seuls Textes des Cercueils. Dans les textes autobiographiques et dans les enseignements, l'axe père-fils domine aussi. Bien sûr, on trouve des cas exceptionnels de textes qui laissent entrevoir la réalité de la vie familiale, comme l'autobiographie d'Horemkhâouf. Il écrit :
J'ai nourri mesjrères et mes sœurs. Je n'ai pas permis que l'un (d'entre eux) réclame les propriétés d'un autre, de sorte que chacun ouvre la porte pour l'autre. J'ai pris soin de la maison (pr) de ceux qui m'ont nourri après qu'ils avaient été enterrés et avaient été ressuscites'1".
Dans cet exemple, le soin du fils aîné pour ses parents est thématise, mais, détail réaliste absent des Textes des Cercueils, il s'occupe de ses deux parents, et non seulement du père. De même, le texte signale que, après la mort des parents,
181. Pour la femme qui n'appartient pas à la A i de son mari, voir déjà GOEDICKE,
PRAR, p. 66 ; FRANKE, AVMR, p. 278, 2 8 3 , 2 8 7 ; A S S M A N N , dans : Vaterbild, p. 17, n. 2 2 . Pour l'interprétation générale de la Jb.t, voir WILLEMS, dans : Religion in
Context, à paraître.
182. Stèle N e w York M M A 35.7.55,11-13 : voir HAYES, JEA 3 3 (1947], p. 3-11. Un
cas semblable est décrit sur la stèle de Mérer à Cracovie : CERNY, JEA 47 (1961), P- 5-9-
215
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Horemkhâouf veillait sur ses sœurs et frères. Cela ne devait certes pas être inhabituel, mais il est difficile de trouver des textes, en tout cas dans la littérature autobiographique ou dans les enseignements, qui offrent de tels détails 1 8 ' . Même en dehors de ces genres littéraires, de semblables renseignements sont fort malaisés à repérer' 8 4 .
Ce que les autobiographies mettent surtout en lumière, c'est que « le » fils ou, plus explicitement, « le fils aîné » établit la maisonnée. On lit souvent qu'il s'agit de la maisonnée du père, qu'il entretient et même enrichit. Le fait que les deux possibilités — établir ou entretenir une maisonnée — sont toutes les deux exprimées par la même tournure (grg pr) rend parfois délicat de décider de quelle alternative il s'agit. Mais les renvois à une situation où le fils aîné continue la maisonnée de son père sont, en effet, très courants. Dans la réalité, de tels cas doivent correspondre au fait que le fils avait continué de vivre avec ses parents, durant toute sa vie.
Il n'est guère probable que ses frères et sœurs aient fait la même chose. On sait que les habitations égyptiennes sont normalement assez petites, et ne contiennent que peu de pièces 1 8 5 . Il est vrai que ce point de vue repose en partie sur l'hypothèse que les maisons égyptiennes ne possédaient qu'un seul étage, et que cette idée a été récemment nuancée, en tout cas pour le Nouvel Empire, avec des arguments probants' 8 6. Mais ce qui vaut pour le Nouvel Empire n'est pas nécessairement applicable au Moyen
183. Un cas similaire dans son réalisme se trouve sur la stèle Caire JE 46048,1. 6,
où un homme déclare qu'il a bâti des maisons pour chacun de ses enfants, qui étaient comparables à celle qu'i l possédait lui-même (ABDALLA, J E A 79 [1993], p. 248-253 ; FRANKE, SAK 34 [2006], p. 167-172). 184. Une liste très complète de la documentation sur la maisonnée (pr) a été rassemblée par FRANKE, AVMR, p. 257-276. 185. Pour la simplicité des plans au Moyen Empire, on consultera BIETAK, dans : Haus und Palast, p. 24-43 (Gruppe A ) et V O N PILGRIM, Elephantine XVIII, passim (pour un résumé, voir p. 217-218).
186. SPENCE, JEA 90 (2004), p. 123-152.
2l6
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
Empire 1 8 7 ; et même si les maisons avaient possédé plusieurs étages, cela ne prouve à aucun égard que les enfants mariés continuaient à cohabiter avec leurs parents. En effet, ainsi que le remarque F R A N K K ,
il y a plusieurs allusions à des maisonnées dans la littérature du Moyen Empire et, dans ces cas, il s'agit normalement de familles nucléaires188. Comme il le souligne, il est alors question de familles de paysans. Un groupe de trois papyrus fragmentaires actuellement conservés au musée de Turin, le fameux stato civile, contient des fragments de l'état civil de la rive gauche thébaine, à la f in de la XX'' dynastie. Ces documents regroupent les renseignements sur les habitants par maisonnée, et il s'agit presque sans exception de familles nucléaires. Les cas rares où un enfant marié continue de vivre avec ses parents sont indiqués en rouge, et, selon R. D E M A R É E , il s'agit probablement de situations passagères189. Parfois, on rencontre aussi des exemples où une personne âgée se joint à la famille nucléaire d'un de ses enfants. Pour le Moyen Empire, on ne possède malheureusement pas de document comparable, mais trois listes d'une seule maisonnée à Lahoun semblent refléter une situation très similaire à ce qu'on trouve dans le stato civile''10.
187. Les arguments en faveur de maisons de plusieurs étages à cette époque ont été évalués de manière critique par V O N PILGRIM, op. cit., p. 231 -233. 188. FRANKE, AVMR, p. 275.
189. Les documents seront publiés par Rob DEMARÉE et Dominique VALBELLE ; voir déjà VALBELLE, CRIPEL 7 (1985), p. 81-84. Je remercie le premier pour les renseignements qu'il m'a donnés. Ces remarques remplacent celles de KRAUS, Demographie, p. 100-101, qui suppose une situation beaucoup plus variée.
190. Ces documents sont étudiés par VALBELLE, CRIPEL 7 (1985), p. 75-87. On peut suivre cette maisonnée pendant une période prolongée. Bien qu'on n'ait pas affaire à une famille nucléaire, on reconnaît aisément la dynamique du groupe. 1]
Un homme et une femme ont un fils et plusieurs filles. Les filles quittent la maisonnée, probablement quand elles se marient. 2) La mère de l'homme se joint à la maisonnée, probablement quand son mari meurt ; il ne s'agit certainement pas de la situation habituelle. 3) Le fils reste dans la maisonnée après son mariage, mais à ce moment, son père est déjà mort. Il se peut qu'on ait affaire au cas d'un fils aîné restant chez ses parents, thème fréquent dans les autobiographies. Mais il est aussi possible qu'i l n'ait pas établi une nouvelle maisonnée pour pouvoir soigner sa mère et sa grand-mère restées veuves après la mort de leurs maris. Dans ce cas, on a clairement affaire à une situation qui n'est pas la règle.
217
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
II semble donc qu'une maisonnée régulière se composait d'une famille nucléaire (parents, entants), avec exceptionnellement des serviteurs et des personnes supplémentaires 1 9 1.
L'impression que, normalement, les enfants quittaient la maison parentale au moment de leur mariage semble être confirmée par nombre de textes autobiographiques où une personne dit être sortie de « la pièce de derrière de la maison du père ». Selon l'interprétation convaincante de F R A N K E , cette partie de la maison abritait les pièces privées, où vivait la famille 1 9 ' .
Les plans des maisons ordinaires de l'époque ne comportent pas de pièces à l 'arrière, mais les textes autobiographiques sont issus, per definitionem, d'une couche sociale relativement élevée. Or, dans les grandes maisons de l'élite, on trouve parfois des espaces qui peuvent être identifiés à « la pièce de derrière de la maison ». La planche i j en présente un exemple : une des grandes maisons à Lahoun 1 9 ' .
Il s'agit d'une très vaste demeure où habitent plusieurs familles. Au premier coup d'ceil, on pourrait en retirer l'impression qu'on a affaire à une structure très différente des habitations de familles nucléaires qu'on vient d'évoquer. Mais il faut prendre en compte le fait que cette maison n'a pas une organisation comparable, par exemple, à celle d'un château européen, bâtiment qui, à lui seul, contient les quartiers d'un grand nombre de personnes. A Lahoun, la structure est très différente : on voit un espace entouré par un mur, contenant plusieurs maisons indépendantes qui ont plus ou moins le même aspect : les mai-
191. Plusieurs auteurs ont énoncé l'hypothèse que les Égyptiens vécurent plutôt en familles étendues (« extended families »] ; voir, par exemple, JANSSEN, GM 48
(1981 ), p. 62-65, avec références bibliographiques. Mais on ne comprend pas très clairement si ces auteurs parlent de maisons regroupées en un ensemble, ou de grandes maisons contenant plusieurs familles. Il est évident que les deux alternatives ne reflètent pas la même réalité sociale.
192. FRANKE, AVMR, p. 266-267. 193. Reproduit par BIETAK, dans : Haus und Palast, p. 32, f ig. 12.
2 l8
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
sons I , I I , I I I et IV. Les petites maisons V, V I et V I ont un plan différent, probablement du fait qu'il s'agit simplement de pièces où sont logés les serviteurs. Le modèle généralement adopté consiste en une cour d'entrée ( H ) , suivie d'un vestibule transversal ( V ) , une salle de réception, souvent avec des colonnes ( W ) , et une ou deux pièces supplémentaires ( N , S) .
La maison centrale I est la plus grande unité et appartenait sans doute à un haut fonctionnaire. On peut supposer qu'il utilisait la pièce W comme bureau où il recevait les visiteurs. Pour cette raison, l'unité W a, dans ce cas, été dédoublée. On employait, en effet, la pièce W i , comme salle de réception officielle, tandis que la pièce W 2 et la pièce latérale N 2 devaient constituer les pièces privées de la famille. Je suggère qu'il s'agit des « pièces de derrière de la maison » mentionnées dans les autobiographies. C'est là que vivaient les enfants qui, après leur mariage, quittaient la maison pour s'installer ailleurs.
La maison I I mérite une attention particulière. Par son ampleur, il s'agit de la deuxième maison du complexe, possédant une cour entourée de colonnes, et une salle de réception avec une colonne. Les personnes qui y habitaient étaient sans doute parmi les plus importantes du complexe. On constate par ailleurs que les quartiers privés de la maison I sont directement reliés à ceux de la maison I I (porte entre les pièces 8 et 2 0 ) . Ce dispositif ne se retrouve nulle part ailleurs, et indique un lien très étroit entre les familles vivant dans les maisons I et I I .
B I E T A K explique la situation en supposant que la maison I était celle du père, et la maison I I celle du fils aîné 1 9 4 .
Cette explication est convaincante. On voit donc qu'un des enfants, probablement le fils aîné, reste dans le complexe domestique de son père, tandis que les autres quittent « les pièces de derrière de la maison du père » pour s'établir ailleurs. Quand le fils aîné se marie, il obtient la maison I I ; quand son
194. Op . cit., p. 34.
219
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
père meurt, sa famille déménage vers la maison I. Le moment venu, son propre fils aîné s'installe avec sa famille dans la maison II. Voilà l'atmosphère concrète d'où dérive l'axe père-fils, si largement mis en lumière dans les textes autobiographiques, les enseignements, et les Textes des Cercueils.
Tout comme les textes, ces complexes domestiques sont caractéristiques de la plus haute élite d'Egypte. Je vois un lien entre ces deux constats : les Textes des Cercueils pourraient bien avoir été écrits pour les gens qui habitent ces grandes maisonnées. Si l 'on me suit dans ce raisonnement, on tient à nouveau un argument pour considérer les Textes des Cercueils comme marqueurs de la culture élitaire plutôt que d'une culture « démocratique ».
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LES COURS NOMARCALES
Il est ainsi clair que les thèmes évoqués par les Textes des Cercueils offrent un cadre théologique admirablement en accord avec les soucis sociaux des propriétaires des sarcophages. Mais un problème se pose tout de même. L'importance de la légitimité de la succession familiale, et de l'exécution de rituels funéraires par le fils aîné ne se rencontre pas seulement dans les autobiographies des régions nomarcales, mais partout en Egypte. On a alors du mal à comprendre pourquoi les Textes des Cercueils disparaissent largement au cours de la XIL dynastie, sauf dans les régions caractérisées par la culture nomarcale.
Pour être plus précis : les maisons déjà décrites soulignent clairement l'intérêt accordé à l'axe père-fils, mais ces maisons se situent à Lahoun, endroit où il n'y a presque pas de Textes des Cercueils. Depuis quelques années, on sait que des maisons très comparables ont également existé à Abydos, dans la communauté attachée à la tombe / cénotaphe de Sénousret JII 1 9\
195. WEGNER, J A R C E 35 (1998], p. 1-44 ; IDEM, EA 17 (2000), p. 8-10 ; IDEM,
M D A / K 57 (2001), p. 281-308.
2 2 0
(FS TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
Comme je l'ai signalé plus haut, à Abydos le nombre de sour
ces des Textes des Cercueils est aussi très restreint.
On doit donc admettre que, jusqu'à un certain niveau, les élites partageaient le même climat intellectuel, mais que c'était surtout les élites provinciales qui continuaient à utiliser l 'expression de ces idées sous la forme des Textes des Cercueils. Pourquoi cette différence ?
Sans que je puisse en apporter la preuve définitive, il me semble qu'on peut reconnaître des écarts entre la structure sociale dans les nomes de Moyenne Egypte — et parfois ailleurs —, et celle en vigueur dans l'entourage plus immédiat du roi.
Peut-être, les nomarques n'étaient-ils pas plus influents ou plus importants que les hauts fonctionnaires, par exemple, à Licht ou à Lahoun. Pourtant, il existait une différence de perspective. A la résidence, on comptait certainement de très hauts fonctionnaires. Mais il y en avait beaucoup, de sorte que chacun d'entre eux jouait un rôle relativement moins marqué, considéré du point de vue de la population en général. De surcroît, dans la communauté de la résidence, même les fonctionnaires les plus élevés étaient de rang secondaire par rapport au roi.
Dans les provinces, la situation était évidemment perçue de manière très différente. Il est peut-être vrai que, dans l'organigramme de l'état, un chef provincial pouvait occuper une position comparable à celle de certains fonctionnaires attachés à l'administration centrale, mais pour la population du nome, il se trouvait sans doute à l'apex de la pyramide hiérarchique localement visible.
Dans ce cadre, on constate, depuis la fin de l'Ancien Empire déjà, le développement de l'institution du hw.t-kj, la chapelle où les chefs locaux recevaient un culte personnel. Cette forme de vénération est bien attestée depuis la fin de l'Ancien Empire autour des palais et des tombes des gouverneurs régionaux, et de tels lieux de vénération ont probablement existé au Moyen
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LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Empire, en Moyenne Egypte. La maison de ka contenant la statue colossale du nomarque Djéhoutihotep à Deir el-Bersha pourrait en avoir constitué un des exemples les plus impressionnants.
Grâce à l'étude de la chapelle de Heqaib menée par F R A N K E , on sait que le culte célébré dans ce genre de sanctuaires n'est pas sans rappeler le culte des ancêtres qui constitue l'assise de la religion funéraire égyptienne. Probablement dans chaque famille égyptienne, les rituels mortuaires prenaient l'apparence d'un tel culte. On sait aussi que le culte des « ancêtres » en Egypte était susceptible de s'adresser non seulement à des membres défunts de la famille, mais également à un éventail d'autres personnes, comme des collègues 1 9 6 . Dans cette perspective, on peut comprendre que le culte de personnes importantes de la communauté se soit répandu à travers des groupes plus larges. Cela doit avoir conduit à un type de vénération qu'on est tenté d'appeler le « culte du patron ». Dans le cas des gouverneurs, on a affaire aux patrons de toute une région ; la forme que pouvait adopter le culte de ces personnages dépasse alors les limites normales de ce qui se passait généralement dans les chapelles attachées aux tombes. Comme le montre l 'exemple des chapelles des gouverneurs à Balat, à Deir el-Bersha et à Elephantine, on est en présence d'édifices qui ont été conçus en vue de célébrations publiques à très grande échelle. Les gouverneurs, comme bénéficiaires de cultes, se rapprochent, dans ce cadre, de personnalités d'essence presque surnaturelle — dans le cas de Heqaib d'Elephantine, d'Isi d'Edfou, ou des nomarques d'Assiout on leur a, en effet, conféré le statut spécial de sah, et Isi est parfois même appelé ntr, « dieu » 1 9 7 .
196. Voir par exemple FITZENREITER, CM 143 (1994), p. 51-71. 197. FRANKE, Heiligrum, p. 136, n. 407.
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LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
On ne connaît que peu de choses des liturgies utilisées pendant les cultes des gouverneurs. Seul le sanctuaire de Heqaib a fourni un certain nombre de formules rituelles. O n trouve, par exemple, une stèle comportant la formule 2 1 9 des Textes des Pyramides" 8 . Ce texte apparaît parallèlement sur plusieurs cercueils ornés de Textes des Cercueils' 9 9 . La même stèle contient également une formule concernant la table d'offrandes, attestée aussi, de manière régulière, sur les sarcophages du Moyen Empire 2 0 0 . D'autres monuments dans la chapelle de Heqaib contiennent des textes rappelant les formules 2 2 2 , 2 2 3 , et 4 3 7
des Textes des Cercueils 2 0 1 , et les paragraphes 8 7 , 2c, 2 0 0 , ^ 9 8 ,
2 3 , 3 3 , 8 2 - 9 6 , 1 0 8 et sq., 2 1 3 et 2 1 4 des Textes des Pyramides 2 0 2 . Cette dernière collection provient de la chapelle de culte de Sarenpout I". Un autre texte n'est pas (encore ?) attesté dans le corpus des Textes des Cercueils, mais il appartient au même genre. Selon l'analyse de F R A N K E , il s'agit d'un texte de glorification (sJh.w)m\
On est donc en droit de présumer que, dans le culte des gouverneurs, on utilisait des textes dont on connaît, dans plusieurs cas, des parallèles exacts sur les cercueils de l'époque, et qui appartiennent au domaine des formules d'offrande et des glorifications. Les textes relevant du second genre déploient une technique rhétorique dans laquelle l 'objet de culte est invoqué avec des qualificatifs divins, ou avec des phrases exprimant le désir qu'il puisse s'intégrer dans le monde des dieux.
Bien que quelques-uns de ces textes soient attestés pour la première fois dans les pyramides des rois de l'Ancien Empire,
198. HABACHI, The Sanctuary of Heqaib I, p. 35 ; II, pl. 2 3 b ; voir FRANKE, Das
Heiligtum des Heqaib, p. 2 2 3 - 2 3 5 .
199. C7VII I , 158-191.
200. Voir FRANKE, op. cit., p. 235-240. 201. IBID., p. 241.
2 0 2 . IBID., p. 219. Pour une grande partie des ces textes on trouve aussi des paral
lèles dans CT VIII.
2 0 3 . IBID., p. 245-251 .
2 2 3
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
il est certain que plusieurs d'entre eux n'avaient rien de spécifiquement royal. C'est sans doute pour cette raison qu'on les rencontre dans des compositions rituelles plus tardives 2 0 4 . Il n'est évidemment pas impossible qu'il existe, parmi les Textes des Pyramides, des compositions qui aient été spécifiquement rédigées pour être employées par un roi. Mais, en fin de compte, cette idée qui, pour beaucoup d'égyptologues, semble être une certitude pour l'ensemble des Textes des Pyramides, est impossible à prouver. De surcroît, les Textes des Pyramides utilisés par des particuliers pendant le Moyen Empire ne forment qu'une sélection assez restreinte du corpus. A titre d'hypothèse, on peut envisager que ce groupe appartient à un fonds de textes qui n'étaient pas nécessairement royaux, mais qui furent simplement mobilisés dans une perspective rituelle pour glorifier le bénéficiaire du rite, quel qu'il soit, roi, dieu, ou « patron vénéré ». De cette hypothèse découle, par conséquence, le fait que l'emploi de ces textes dans le cadre du culte des chapelles de ka ne constituait pas nécessairement une usurpation d'un privilège royal.
On suppose généralement que le culte des chapelles de ka, malgré le fait que celles-ci avaient certainement une fonction funéraire, commençait déjà durant la vie du bénéficiaire, et il n'y a aucune raison de penser que cela n'était pas le cas dans les hw.t-k: nomarcales 2" 1. Cela implique que, déjà du vivant du
204. Voir par exemple A S S M A N N , Tod und Jenseits, p. 3 2 3 ; MATHIEU, dans : D'un monde à l'autre, p. 256-258.
205. Plusieurs indices peuvent être évoqués en faveur de cette hypothèse. Par exemple, la scène de la statue colossale de Djéhoutihotep montre que celle-ci arrive à une chapelle où des rituels d'offrande sont déjà en train d'être célébrés (voir f ig. 15 : les meilleures pièces de la table d'offrande sont dites être apportées). Deuxièmement, le graffito Hatnoub 24, I. 3-4, décrit Kay comme quelqu'un dont l 'approche de ses statues de culte (hn.ty.w) causait la joie des hommes et des dieux, le jour où elles se rendaient vers le temple. Du contexte il ressort clairement que Kay fait allusion à une fête pendant laquelle lui-même officiait comme prêtre. Le texte, écrit de son vivant, utilise la forme relative sdm.n-f pour relater l'événement, montrant clairement que ses statues avaient déjà été portées en procession,
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LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
nomarque, il existait un culte qui utilisait des textes avant
comme but de le transformer en un être divin.
C O N C L U S I O N
La conclusion que je voudrais tirer pourrait être formulée
de la manière suivante. Au début du Moyen Empire, la création
de l'état nouveau conduit à l 'émergence d'une élite nationale
dont les monuments funéraires, essentiellement, nous sont
accessibles. À ce moment-là, le culte funéraire royal n'utilise
probablement plus les Textes des Pyramides 2 0 6 ; mais une collec
tion de textes qui en sont très proches, lesTextes des Cercueils,
s'est développée pour donner expression au statut religieux de
la très haute élite, qui se sert aussi d'une sélection des Textes
et donc, qu'une chapelle fonctionnait déjà avant sa mort (à comparer ßeni Hasan I, pl. XXV, 83-84]. Dans une des chapelles de ka, à Balat, on a trouvé un décret royal où le roi déclare qu'il a permis la construction de la chapel le, mais aussi la mobilisation d'un corps de prêtres pour celle-ci. Le texte déclare également qu 'on avait agi de la même manière pour les prédécesseurs du destinataire du décret, fait qui suggère qu'on n'a pas affaire à un événement singulier (SOUKIASSIAN, W U T T M A N N , PANTALACCI, Balat VI, p. 310-314 ; p. 521]. Un autre décret fragmentaire, trouvé dans une chapelle avoisinante, devait avoir contenu des stipulations similaires (op. cit., P- 315)- Troisièmement, le gouverneur Médounéfer possédait une chapelle de ka
qui fut restaurée après l'incendie qui avait dévasté la ville. Or, il existe un indice que cet incendie s'était produit pendant le règne de Médounéfer même (voir SOUKIASSIAN, W U T T M A N N , SCHAAD, BIFAO 90 [1990], p. 355). Le décret Coptos K est adressé au vizir Shemai. Il est sous-entendu qu ' i l existe dé jà plusieurs chapelles de ka lui appartenant ainsi qu'à sa femme, et, dans le décret, le roi ordonne la nomination de probablement plus de cinquante-huit prêtres de ka. De la même manière, les chapelles de ka du vizir Idi semblent déjà être pourvues de domaines pour le financement du culte, lorsque le roi Démedj ibtaoui fait rédiger le décret Coptos R. Il est clair qu'à ce moment, Idi est encore vivant ; pour les décrets discutés, voir GoEDiCKE, KDAR, p. 207-225. Pour l'idée que le culte des chapelles de ka était déjà activé pendant la vie des bénéficiaires, voir aussi FRANKE, Das Heiligtum des Heqaib, p. 122-125, qui fait encore état d'autres exemples qui furent déjà institués du vivant du propriétaire. Il semble donc clair que le bâtiment fonctionnait déjà de son vivant. Voir aussi BOLSHAKOV, A O F 18 (1991), p. 204-218, qui soutient que le culte, dans les tombes également, commençait déjà du vivant des propriétaires. 206. En tout cas comme élément de la décorat ion du monument funéraire.
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LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
des Pyramides. Un centre important de diffusion des ces textes était la Maison de Vie attachée au temple de Thot à el-Ashmounein. Il ne s'agit certainement pas d'une démocratisation, ou même d'une démotisation, pour utiliser l'euphémisme plus à la mode de nos jours. Le point de départ de cette évolution réside peut-être dans l'existence de chapelles de ka, dans lesquelles les grands seigneurs de l'état recevaient un culte, parfois déjà durant leur vie. Les Textes des Cercueils, où les particuliers s'assimilent à des dieux après leur mort , avaient donc des antécédents dans les liturgies des chapelles de ka, qui attribuaient des rôles divins aux hauts fonctionnaires.
Cela ne signifie pas forcément que cous les fonctionnaires mentionnés aient disposé de chapelles de ka. En fait, je n'en connais pas d'exemples pour l'élite des villes des pyramides et de la capitale de l'Ancien Empire. Mais il existe des indices qu'au moins quelques membres de l'administration thébaine du début du Moyen Empire en possédaient 2 0 7. Quoi qu'il en soit, l 'existence de cultes personnels dans les provinces est bien attestée depuis la fin de l'Ancien Empire. À Elephantine et à Deir el-Bersha, mais probablement aussi sur les autres sites nomarcaux du Moyen Empire, ces cultes ont continué au moins jusqu'à la fin de la XII e dynastie. On a, en effet, l'impression que leur importance y devenait de plus en plus grande, si l'on peut en juger sur la base de la chapelle contenant l 'énorme statue de Djéhoutihotep, ou des tombes colossales à Qaw el-Kebir et à Assiout.
Dans le cadre de la continuité, et même de l'intensification, du culte du gouverneur en Moyenne Egypte, il semble crédible que le statut de son entourage immédiat ait également augmenté. Sans doute ces gens étaient-ils en bonne position pour
207. Je peux renvoyer au cas d'Antef fils de Myt, un haut fonctionnaire thébain de l 'époque de Montouhotep III (TPP/, § 33,12-13), qui possédait un «temple de sah » (r-pr n s'h pn) où travaillaient des prêtres de ka.
2 2 6
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE
avoir accès à un rituel funéraire correspondant à leur niveau social durant la vie. J 'a i l'impression que l'utilisation des Textes des Cercueils est alors un élément de tout un appareil religieux visant à traduire leur rôle social prépondérant. Cela n'a rien à voir avec une tendance « démocratique ».
Les chapelles de ka peuvent donc être interprétées comme un lieu où des textes religieux furent mobilisés pour le culte des particuliers. Mais je ne vois pas, pour autant, de raison d'en déduire que toute personne ayant un sarcophage inscrit de Textes des Pyramides ou des Cercueils ait aussi possédé une chapelle de ka. Bien plutôt, ces chapelles pourraient avoir été les premiers lieux où apparut l'utilisation de textes rituels pour des particuliers 2 0 8 . Il n'est pas étonnant qu'ils aient voulu continuer de bénéficier des effets de tels textes après leur mort , ce qui conduisit à l 'émergence de textes religieux dans le cadre de leurs tombeaux. Mais on ne doit pas exclure la possibilité qu'à partir de ce moment, ces textes aient aussi été adoptés par d'autres membres de l'élite qui ne disposaient pas de chapelle de ka indépendante de la chapelle funéraire. Cette dernière — qui était parfois aussi appelée « chapelle de ka » 2 m ! — pourrait avoir conduit à une dissémination de ces textes en dehors du groupe probablement très restreint qui possédait un culte personnel. Mais comme notre enquête démographique l'a montré, le nombre d'utilisateurs de ces textes est toujours resté très faible.
A la fin de la XIL dynastie, les cours nomarcales disparaissent et, avec elles, les derniers utilisateurs des Textes des Cercueils. A vrai dire, il existe quelques autres sources que D E B U C K a inclus dans son édition des Coffin Texts. Il s'agit bien sûr
208. Il est peut être significatif que le plus ancien exemple d'un sarcophage inscrit
avec des textes qui peuvent être comparés aux Textes des Cercueils appart ienne
au gouverneur de l'Oasis de Dakhla, Médounefer. O n sait qu'i l possédait aussi
une chapelle de ka : SOUKIASSIAN, W U T T M A N N , PANTAIACCI, Balat VI, p. 57-84. 209. Par exemple la chapel le funéraire de Hétep à Saqqara : FIRTH, G U N N , Tefi
Pyramid Cemeteries I, p. 275-
2 2 7
IFS TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
de textes écrits sur des sarcophages, mais leur étude montre qu'ils proviennent d'un cadre religieux totalement différent, qui annonce déjà le Livre des Morts 2 1 0 .
210. Une étude de ce matériel extrêmement intéressant est en préparation.
APPENDICE QUANTIFICATION
DES CERCUEILS DÉCORÉS DU MOYEN EMPIRE
L a table suivante est accompagnée des renvois bibliographiques aux publications de cercueils parues depuis les listes établies par W I L L E M S ,
Chests of Life, p. 1 9 - 4 0 et par L A P P , Typologie, p. 2 7 2 - 3 1 3 . Elle complète les informations de la figure 2 o.
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Sites Sarcophages
avec Textes
des Cercueils
N o m b r e
d'individus
Sarcophages
sans Textes
des Cercueils
N o m b r e
d'individus
N o m b r e
total
de cercueils
N o m b r e
total
d'individus
Assouan 1 1 1 1 2 2
el-Gebelein 3 2 9 9 12 11
T h c b c s 2 6 2 3 2 7 17 53 3 7 ' "
D e n d a r a " 1 ? 1 ? 1 ? 1 ?
rarshut 1 1 1 1
Abvdos S" ( 3 5 ' " 5 8 8
Naga el-Deir" 4 3 3 3 7 6
Akhmim N o n inclus' 1*
Qaw cl-Qebir 2 ' " 2 2 2 4 4
Deir Rifa 3'™ 3 8 7 11 10
Assiout 2 9 " " ( + 2 3 ?) 2 4 ( + 2 3 ? ) 221 2 1 9 2 5 0 ( + 23 ?) 2 4 3 " ° ( + 2 3 ?)
Meir 71-'-" 6 4 61 59 132 1 2 2 " '
Deir el-BershaJ" 50 28 9 9 5 9 3 7
Beni H a s a n " ' 14 9 1 8 ' " 17 32 2 6
Ihnasiyi el-Medina 2 " ' 2 2 2
Sedmcnt el-Gebel 7 ' " 5 8 7 15 12
Haraga 2 2 9 9 11 11
Hawara 1™ 1 1 1
Riqqa 1 1 12 12 13 13
Lieht 1 0 " " 10 8 7 18 17
Mazghouna 1 1 1 1
Dahchour N o n inclus'" 1
Saqqara 3 6 : " 28 2 6 2 6 6 2 5 4
Abousir 3 1 1 ' " 11 15 14
Kôm el 1 iisn 1 ' " 1 1 1
Qatta 1 ' " 1 1 1
Origine inconnue 10 9 3 3 13 12
Total 281 ( + 2 3 ?) 2 2 5 ( + 2 3 ? ) 4 4 4 4 2 6 7 + 8 6 7 0
2 3 0
APPENDICE
211. Non pas quarante individus, parce que plusieurs personnes possèdent à la fois un sarcophage orné de Textes des Cercueils et un sarcophage sans ces textes. 212. La source doit être antérieure au Moyen Empire ; ce qui explique le point d'interrogation.
213. Aux listes de WILLEMS et LAPP on ajoutera Aby lX, de [...]-iri/Sébekhotep (PEET, Cemeteries of Abydos, p. 61 (X3) ; p. 123, et pl. XIII.4 ; pl. XXXVI) et Aby2X,
d'Amenemhat (op. cit., p. 62 (Z2a, 122-123)).
214. Aux listes de WILLEMS et LAPP on ajoutera Aby2 (GRAJETZKI, GM 166 [1998], p. 3 2 ; Aby3 ( PEET, op. cit. Il, p. 58 et f ig. 27) ; Aby4 ( PEET, op. cit., p. 60 (C66),
f ig. 28 et pl. XIV.15) ; Aby5 ( PEET, op. cit., pl. XIII.5).
215. Il n'est pas sûr que toutes les sources appartiennent à la période étudiée ici. Quelques unes pourraient être plus anciennes.
216. Le matériel d'Akhmim semble être généralement plus ancien que les sarcophages présentés ici. 217. Aux listes de WILLEMS et LAPP on ajoutera la publication de C I A M P I N I , Le sepo/-fura di Henib.
218. Une des sources est un masque funéraire décoré avec des Textes des Cercueils. 219. A la liste de Z ITMAN, The Necropolis of Assiut, p. 110-151, j 'ai ajouté la tombe I de Djefaihâpi I", qui est partiellement décorée de Textes des Pyramides. Bien qu' i l ne soit pas certain qu 'on connaisse le(s) cercueil(s) de cette personne, la présence de ces textes dans sa tombe montre qu'i l y avait accès.
2 2 0 . Deux propriétaires d'un sarcophage sans Textes des Cercueils possèdent aussi un sarcophage avec Textes des Cercueils. 2 2 1 . La liste inclut cinq masques funéraires (Ml -2Ann, M16C, M 3 5 C , M36C) de personnes dont on ne connaît pas de sarcophage. Bien qu'i l ne s'agisse pas de cercueils, le fait que les masques sont inscrits avec des Textes des cercueils montre que le propriétaire y avait accès.
2 2 2 . Hâpi-ankhtifi possédait à la fois un sarcophage inscrit avec des Textes des Cercueils et deux sarcophages sans ce genre de textes. 2 2 3 . Ici on ne tient pas compte des calculs hypothétiques signalés, p. 170-171, mais on donne seulement les sources actuellement connues.
2 2 4 . Même remarque qu 'à la note précédente. 2 2 5 . Aux listes de WILLEMS et LAPP, on ajoutera le sarcophage de chien BH16
(TOOLEY, JEA 74 [1988], p. 207-211) ; BH17, de la dame Hétepout (Freiburg Museum für Völkerkunde Inv. Ae20, non publié) ; BH18 de Netjer-nakht (CALLAGHAN, ßACE 8 [1997], p. 19-32). 2 2 6 . En fait il ne s'agit pas de sarcophages mais de tombes décorées avec des Textes des Cercueils. Les sources sont incluses parce que les propriétaires de ces tombes disposaient de ce genre de textes. 227. Au matériel inclus dans les listes de WILLEMS et de LAPP, on ajoutera les trois sarcophages publiés récemment : Abdel FATTAH, BICKEL, BIFAO 100 (2000), p. I -36.
2 2 8 . Cercueil de Néferou-Ptah, reconstruit par GRAJETZKI, GM 2 0 5 (2005), p. 5 5 -65. On pourrait aussi attribuer ce cercueil au groupe des sarcophages avec Textes des Cercueils, mais en fait, la décoration est restreinte à une série de formules religieuses de forme ornementale à l'extérieur.
2 3 1
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
2 2 9 . La tombe de Sénousret-ânkh a été incluse ici ; bien que le sarcophage ne soit pas connu, le fait que le propriétaire disposait d'une tombe décorée avec des Textes des Pyramides montre qu'i l avait accès à ce genre de textes. Cette liste ne comprend pas les sarcophages Ll-2Li (SNlA selon la nomenclature d'AuENJ, ni les sarcophages ZJl et X28 d'AuEN (dans : The World of the Coffin Texts, p. 13-15) qui datent de l'extrême fin de la XII" dynastie et de la XIII* dynastie.
230. Il s'agit d'un groupe de sarcophages de personnes appartenant à la famille royale et à la cour. Ils sont d'un autre type que les sarcophages analysés dans ce volume et sont aussi plus tardifs (Moyen Empire tardif).
231. Cela inclut quelques chambres funéraires décorées exactement comme un cercueil du Moyen Empire. Aux listes de WILLEMS et LAPP, ajouter le sarcophage Sq23X mentionné dans G IDDY, EA 6 (1995), p. 2 9 , et la pyramide de Rêhérichefnakht : BERGER-EL NAGGAR, LABROUSSE, BSFE 164 (2005), p. 28.
2 3 2 . Aux listes de WILLEMS et LAPP on ajoutera A b l C de Khoui-ânkh : BARES, ZÀS 118 (1991), p. 89-96). 2 3 3 . Aux listes de WILLEMS et LAPP on ajoutera Ab7-8 : BARES, ZÄS 118 (1991), p. 89-96).
234. En fait, il ne s'agit pas d'un sarcophage mais d'une tombe décorée avec des Textes des Cercueils. Les sources sont incluses car les propriétaires de ces tombes disposaient de ce genre de textes.
2 3 5 . En fait, il s'agit d'une chambre funéraire décorée avec des Textes des Cercueils.
ÉPILOGUE
L es hypothèses que j 'a i proposées dans les pages précédentes, ont eu pour but de remettre en cause certaines opinions répandues sur la société et la religion du Moyen Empire égyptien. Les données que j 'a i utilisées comprenaient, d'une part, une masse de documenta
tion archéologique et philologique publiée et, de l'autre, les acquis nouveaux des fouilles en cours à Deir el-Bersha.
Pour l'auteur, l 'exercice de formuler de manière consistante des idées, jusque là éparses, eut comme conséquence inattendue que, pendant la campagne de 2 0 0 7 , le site de Deir el-Bersha s'est présenté à lui sous une lumière légèrement différente. Aussi, les fouilles reprises, des informations parfois inattendues, dont la portée n'est pas encore tout à fait claire, sont-elles apparues, qui permettent de nuancer, ou de renforcer, certaines propositions que j'avais énoncées dans mes conférences à l 'EPHE. Sans qu'il me soit possible de présenter ici tous les détails, je crois utile d'en offrir un bilan préliminaire.
2 3 3
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Un projet important de la campagne de 2 0 0 7 était la réalisation partielle de la stabilisation de la tombe nomarcale d'Ahanakht I' r. La salle d'entrée de cette tombe s'était déjà effondrée avant que Newberry n'y travaille en 1 8 9 1 - 1 8 9 2 ;
mais son rapport fait aussi état de mouvements de rochers qui se produisirent pendant sa campagne même. La situation ne s'est pas améliorée depuis. Les fouilles de G.A. Reisner de 1 9 1 ç conduisirent à un enlèvement de déblais, lui permettant de trouver un nombre important de puits funéraires nouveaux. Mais en évacuant ces matériaux — souvent en dynamitant des grands blocs de calcaire tout autour de la tombe d'Ahanakht — il déstabilisa en même temps les tombes nomarcales. En comparant des photographies de son époque avec la situation actuelle, il est clair que les rochers bougent encore, l'aire présentant le plus de risques de s'effondrer étant celle de cette tombe.
Le projet de consolidation n'est pas encore terminé. Le but est, d'abord, de dresser des piliers de soutènement en trois points-clé et, ensuite, de reconstruire partiellement les parois détruites pendant que la tombe fut exploitée comme carrière. Évidemment, certains aspects ne seront plus visibles après que la restauration sera achevée.
Avant d'aborder ces travaux, il était donc nécessaire d'enregistrer chaque détail qui pourrait être important ultérieurement pour l'interprétation de l'architecture de la tombe d'Ahanakht et de celles, peu connues, qui l'entouraient, mais qui ont été presque entièrement démolies. R D I L S a documenté tous ces indices. Mais, en fait, il a procédé à une étude architecturale de plus grande échelle qui autorise une compréhension beaucoup plus précise de la moitié orientale du plateau des tombes nomarcales.
Simultanément, les recherches autour de la tombe de Djéhoutihotep se sont poursuivies. Les fouilles de L. K U I J P E R
ont permis d'identifier une tombe déjà partiellement explorée
2 3 4
ÉPILOGUE
par l'équipe de Newberry : la tombe « K » de Fraser 1. Il est apparu clairement que les fouilles dont fait état Fraser n'étaient que très superficielles.
Ce qui rend importante cette tombe, c'est que ses trois puits funéraires, que nous n'avons pas encore pu vider, sont, par comparaison avec la plupart des puits dans la zone 2 , assez petits : ils sont carrés, les côtés ayant une longueur d'approximative -ment un mètre. Le même module existe dans un puits que nous avons découvert récemment dans le caveau funéraire de Djéhoutihotep même. Un autre, non terminé, se trouve dans le complexe funéraire du même nomarque'. Un sixième puits du même type, lui aussi inachevé, est creusé non loin de là.
Il est donc patent qu'il existe un groupe de tombes, typologi-quement très distinct et jusque là non identifié : les tombes à puits carrés. Étant donné que deux de ces puits appartenaient à l'évidence à des tombes dont la chapelle a été détruite quand la tombe de Djéhoutihotep fut construite, il s'agit clairement de tombes plus anciennes que celles des nomarques du Moyen Empire.
Ces dernières possèdent des puits d'un caractère tout à fait différent. Ce sont des puits rectangulaires, avec une longueur souvent de plus de trois mètres, et une largeur d'un mètre cinquante environ. Je les appellerai « les grands puits rectangulaires ».
Une autre observation n'avait pas été faite auparavant : on reconnaît encore un troisième type de puits, qui est, comme ceux du Moyen Empire, rectangulaire, mais d'un module beaucoup plus petit, n'étant que légèrement plus long qu'un corps humain. De surcroît, ce dernier groupe, qu'on nommera « les petits puits rectangulaires », est peu profond, et partage certains éléments architecturaux qui devront être décrits ailleurs. On compte une dizaine de tombes environ pourvues de ce dispositif.
1. FRASER, dans : ßersheh II, p. 59. Selon lui, le complexe contenait deux puits funé
raires.
2. Voir la reconstruction dans VERREPT et WILLEMS, dans WILLEMS e.a., MDAIK 62
(2006), p. 317, f ig. 4 .
2 3 5
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Les conséquences de ces découvertes ne sont pas encore claires. Cependant, on doit conclure à la présence de trois groupes de tombes nettement différenciés, et au fait que les tombes à puits carrés sont antérieures au Moyen Empire. Leur forme suggère qu'une datation à l'Ancien Empire serait envisageable. Les tombes à petits puits rectangulaires pourraient, elles, appartenir à des contemporains des nomarques du Moyen Empire. Mais il est aussi concevable qu'elles constituent le trait d'union entre les tombes à puits carrés et les grands tombeaux nomarcaux du Moyen Empire. Cette dernière option permettrait d'expliquer pourquoi les tombes nomarcales du Moyen Empire s'échelonnent en deux groupes distincts : l'un vers l'est, et l'autre vers l'ouest. La zone entre les deux n'a jamais révélé aucune trace de tombes décorées, mais on y rencontre plusieurs petits puits rectangulaires, qui pourraient avoir déjà existé avant que les nomarques du Moyen Empire n'aient construit leurs sépultures.
Il est clair que cette dernière hypothèse, si elle se confirme, entraîne diverses conséquences. Plusieurs questions se posent. Si les petits puits rectangulaires datent vraiment de la Première Période Intermédiaire, qui étaient leurs propriétaires ? Les gouverneurs ? Mais on a vu que des tombes datant aussi, probablement, de cette époque existent dans la zone 1 0 , au centre du village. Ces tombes sont d'une allure beaucoup plus conséquente ; et on sait que les personnes enterrées là appartenaient aux couches supérieures de l 'époque. S'agit-il donc de membres de l'élite, mais d'un statut inférieur, comparé à celui des nomarques inhumés dans la zone 1 0 ? Nous l'ignorons.
Mais il reste que l'hypothèse que des tombes de la Première Période Intermédiaire soient installées dans la zone 2 a des retentissements pour l'interprétation que j 'a i présentée plus haut 3. J'avais suggéré un lien entre trois constats indépendants :
3. Cf. supra, p. 91 sq. ; 108-109.
2 3 6
ÉPILOGUE
i ) le fait que Ahanakht I" fut le premier à construire une grande tombe décorée dans la zone 2 ; 2 ) le fait qu'il fut nommé vizir ; et 3 ) le fait que, vers la fin de la Première Période Intermédiaire ou au début du Moyen Empire, tout le site fut réorganisé autour d'une rue reliant l'embarcadère sur la rive du Nil avec la zone 2 . Ma supposition était que, dans le climat politique juste après l'Unification du pays, le nouveau roi thé-bain avait trouvé un allié en Ahanakht. Dans ce contexte, il lui avait attribué des privilèges importants, y compris la création d'un paysage rituel destiné à sa vénération, dans lequel la position visuellement impressionnante de sa tombe jouait un rôle.
Je ne vois aucune raison pour mettre en doute l'essentiel de cette proposition. Il est tout de même possible qu'Ahanakht I" n'ait pas été le premier de son temps à ériger sa tombe dans la zone 2 , poursuivant la démarche des propriétaires des petits puits rectangulaires. Par ailleurs, l'existence même de ce dernier groupe pourrait être à l'origine de la rue traversant le cimetière dans la plaine. Elle aurait donc possiblement été conçue dès avant le Moyen Empire. Même dans ce cas, la datation des tombes alignées sur les deux côtés de la rue suggère que cette dernière ne peut pas remonter très en deçà de cette date.
Je dois souligner que cette alternative est une possibilité, mais ne prouve pas que mon explication de la situation, développée dans le chapitre II, est à écarter. Si cette alternative nouvelle s'avère correcte, cela modifie également la chronologie de l'établissement de certains éléments de la topographie locale, mais non pas l'interprétation fonctionnelle du paysage rituel, qui est fondée, pour l'essentiel, non sur les données de l 'époque de Ahanakht, mais sur le texte concernant la statue colossale de Djéhoutihotep 4 . C'est cette interprétation fonctionnelle qui importe le plus pour le présent ouvrage.
4. Cf. supra, p. 110-114.
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LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
La découverte des puits carrés et des petits puits rectangulaires a aussi d'autres effets. Dans le troisième chapitre, j 'a i élaboré une tentative d'explication visant à comprendre quel segment de la population utilisait les Textes des Cercueils. Dans ce cadre, j 'a i proposé des estimations sur le nombre de tombes dans la zone 2 . Mais je n'avais pas pu tenir compte du fait que trois types de tombes existent. Autant que je sache, tous les sarcophages inscrits avec des Textes des Cercueils proviennent des grands puits rectangulaires. Il n'existe aucun indice que ces textes aient aussi été reproduits sur les sarcophages trouvés dans les petits puits. Et, en fait, dans la plupart des cas, les cercueils célèbres de Deir el-Bersha sont simplement trop grands pour être introduits dans les puits carrés et les petits puits rectangulaires. J'avais fait la remarque qu'il n'existe pas d'informations sur des documents portant des Textes des Cercueils, qui proviendraient de la partie centrale de la zone 2 5 . C'est peut-être parce que cette zone n'abrite que des petits puits rectangulaires qui ne contenaient pas ce type de matériel.
La conséquence en est que la base de mes calculs était une estimation, de beaucoup trop haute, du nombre de sarcophages avec des Textes des Cercueils. Même l'hypothèse qu'un faible 0 , 2 9 %o des morts dans le nome du Lièvre en possédait 6 serait encore trop optimiste.
5. Supra, p. 158.
6. Supra, p. 171.
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TABLE DES FIGURES
1 . Détail de la procession géographique dans le temple de Kôm Ombo, montrant les personnifications des XIV" et X V e
nomes de Haute Egypte (d'après D E M O R G A N , Kom Ombos II. 3 , p. 2 J C [ 8 9 . ] ) .
2 . Détail du soubassement de la Chapelle Blanche, montrant la liste des nomes de Haute Egypte (d'après L A C A U et C H E V R I E R , Une chapelle de Sésostris 1" à Karnak, pl. 3 ) .
3 . Détail de la procession de domaines figurés dans le « temple de la vallée » de Snéfrou à Dahchour. Les deux dames de droite représentent deux des trois domaines du nome du Lièvre ( X V e ) . Inséré entre les dames 2 et 3 on voit le symbole du nome de l 'Oryx , suivi de deux des cinq domaines de ce nome (d'après F A K H R Y , The Monuments of Sneferu at Dahshur II, fig. 1 6 ) .
4 . Organigramme simplifié de l'administration égyptienne entre les règnes de Niouserrê et Djedkarê-Isési.
ç. Organigramme simplifié de l'administration égyptienne à la VI e dynastie.
6. Plan de la partie méridionale des tombes nomarcales de Beni Hasan. Les petits points indiquent la position des tombes inférieures situées au bas des grandes tombes rupestres (d'après W I L L E M S , Chests of Life, plan 1 ) .
7 . Les hauts-lieux de la nomarchie du Moyen Empire. 8. Plan de la région de Deir el-Bersha (plan Christoph P E E T E R S ) .
2 7 1
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
9. Plan du site de Deir el-Bersha, avec indication des zones archéologiques (plan Christoph P E E T E R S ) .
1 0 . Plan préliminaire de la zone 2 . Pour notre discussion, les tombes les plus importantes sont celles d'Ahanakht I" ( 1 7 K 8 5 / 1 ) ,
Djéhoutinakht, Khnoumnakht et Iha ( 1 7 K 7 4 / 1 - 3 ) , Ahanakht I I ( 1 7 K 8 4 / 1 ) et Djéhoutihotep ( 1 7 L 2 0 / 1 ) . Les structures à
l'ouest de cette dernière tombe (notamment la tombe du nomarque DjéhoutinakhtVI) n'ont pas encore pu être incluses (plan Christoph P E E T E R S ) .
1 1 . Reconstruction de la chronologie des nomarques du nome du Lièvre au début du Moyen Empire (d'après W I L L E M S ,
JEOL 2 8 ( 1 9 8 3 - 1 9 8 4 ) , p. 8 0 - 1 0 2 ; I D E M , Dayr al-Barsha I ,
chapitre 7 )
1 2 . Coupe de la tombe 1 7 K 7 4 / 1 vers l'ouest (dessin Martin H E N S E ) .
1 3 . Plan du « gazîra » dans la partie ouest de la zone 9 (dessin Christoph P E E T E R S ) .
1 4 . Projection de la « rue » sur le « gazîra » vers l'est
(d'après W I L L E M S , P E E T E R S , V E R S T R A E T E N , ZAS 1 3 2 ( 2 0 0 5 ) ,
p. 1 8 3 , fig. 3 ) .
i c . La destination de la statue de Djéhoutihotep (d'après N E W B E R R Y , El Bersheh I , pl. XII et XVI) .
1 6 . Reconstruction du début de la rue processionnelle à Biahmou (d'après A R N O L D , Die Tempel Ägyptens, p. 1 8 8 ) .
1 7 . Reconstruction des tombes de Qaw el-Kebir (d'après S T E C K E W E H , Die Fùrstengràber von Qâw).
1 8 . Plan du quartier sud de la ville d' rAyn Asil (d'après S O U K I A S S I A N , W U T T M A N N , P A N T A L A C C I , BalatVI, p. 1 4 , fig. 2 ) .
1 9 A . Scène montrant une procession de porteurs du mobilier funéraire (d'après Beni Hasan II, pl. VII).
B. Frise d'objets d'un sarcophage du début du Moyen Empire montrant une sélection d'objets comparables (d'après LD II, pl. 1 4 7 b ) .
2 7 2
TABLE DES FIGURES
2 o . Quantification des sarcophages décorés sans Textes des Cercueils et décorés avec des Textes des Cercueils.
2 i . Estimation du nombre originel de cercueils décorés (avec et sans Textes des Cercueils) et du nombre de propriétaires.
2 2 . Quantité annuelle estimée de cercueils décorés et de leurs
propriétaires.
2 3 . Estimation de la proportion de la population totale possé
dant des cercueils (avec et sans Textes des Cercueils).
2 4 . Monuments mentionnant les pyramides de Téti et de
Mérikarê.
2 c . Les contextes rituels représentés dans la décoration du sar
cophage d'Heqata (d'après W I L L E M S , Heqata, p. 3 8 6 ) .
2 6 . Typologie de la décoration extérieure des sarcophages du
Moyen Empire. La figure n'offre que les modèles les plus
courants (d'après I K R A M et D O D S O N , The Mummy in Ancient
Egypt, p. 1 9 8 ) .
TABLE DES PLANCHES
1 . Partie du cimetière du début de l'Ancien Empire à Nuweirat
(photographie Harco W I L L E M S ) .
2 . Vue du nord-ouest vers le Ouadi Nakhla. A gauche du ouadi, la pente nord, où les tombes de la zone 4 sont clairement visibles. Les tombes des nomarques du Moyen Empire se trouvent plus haut. En avant-plan, les fouilles des tombeaux de la zone 9 (photographie Marleen D E M E Y E R ) .
3 . Vue de la zone 2 prise du sommet de la pente sud du Ouadi
Nakhla (photographie Harco W I L L E M S ) .
4 . La scène du transport de la statue colossale de Djéhoutihotep (photographie Bruno V A N D E R M E U L E N ) .
r. Vue de la place centrale du village de Deir el-Bersha (zone 1 0 ) (photographie Harco W I L L E M S ) .
6 . Vue de l'intérieur de la tombe de la dame Djé[houtinakht]. La photographie a été prise du nord, où se trouve l 'entrée du caveau (photographie Marleen D E M E Y E R ) .
7 . L'entrée de la tombe de Nehri IER (photographie Harco W I L L E M S ) .
8 . A. Coupe miniature trouvée dans la tombe 1 7 K 7 4 / 1 de l'époque d'Ahanakht Ie r.
B. Coupe du même type découvert par G.A. R E I S N E R dans la tombe d'Ahanakht I" (Boston MFA 1 5 - 4 - 1 0 6 ) (Courtesy Museum of Fine Arts Boston).
9 . Relief sur le montant de porte nord séparant les salles sud et nord de la tombe d'Ahanakht I " (photographie Harco W I L L E M S ) .
2 7 5
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
1 0 . Vue générale de la paroi ouest de la tombe 1 7 K 7 4 / 1 (photographie Bruno V A N D E R M E U L E N ) .
1 1 . Détail de l'autobiographie sur la paroi ouest de la tombe 1 7 K 7 4 / 1 (photographie Bruno V A N D E R M E U L E N ) .
1 2 . Paroi nord de la tombe d'Iha (17K74/3) (photographie Bruno V A N D E R M E U L E N ) .
1 3. A. La colonne dans l'angle sud-est de la salle nord de la chapelle funéraire d'Ahanakht I e r .
B. Le chapiteau de la colonne dans l'angle sud-est de la salle sud de la chapelle funéraire d'Ahanakht I e r (photographies
Harco W I L L E M S ) .
1 4 . Scan géomagnétique du « gazîra » dans la partie ouest de la zone 9 (Tomasz H E R B I C H ) .
1 ç. Plan d'une des grandes maisons à Kahoun (d'après B I E T A K ,
dans : Haus und Palast, p. 3 2 , fig. 1 2 ) .
INDEX
ROIS ET REINES
A b a , p . 2 io .
A m e n e m h a t I " , p . 44, 49, 52,
59, 88, 89, 178, 179, 1 8 1 ,
,8c .
A m e n e m h a t II , p . 18 2, 185,
187.
A m e n e m h a t III, p . 1 1 5 , 168,
186-188.
A n t e f II O u a h - â n k h , p . 4 1 , 1 2 1 .
C h a b a k a , p . 201 .
D j c d k a r ê - I s é s i , p . 3 1 .
D é m e d j i b t a o u i , p . 22c.
D j o s e r , p . 13 , 14, 17, 18, 22,
23-
H o r , p . 147, 1 8 1 .
H o u n i , p . 18, 24.
K h a f r ê , p . 18.
K h â s e k h e m o u i , p . 10, 13 , 23.
M é r e n p t a h , p . 1 50.
M é r i k a r ê , p . 1 7 5 - 1 7 7 .
M o n t o u h o t e p II, p . 36, 40, 44-
46, 48, 5 1 , 58, 89, 90, 168,
1 7 5 , 1 7 9 1 8 2 .
M o n t o u h o t e p III, p . 89, 226.
M o n t o u h o t e p IV, p . 49, 89.
N é f e r e f r ê , p . 108.
N e i t h , p . 146.
N i o u s e r r ê , p . 26, 177 .
N o u b h o t e p , p . 147.
P c p i I 1 T , p . i 2 c , 177 , 178.
P t o l é m é e III, p . 5.
S a h o u r ê , p . 17.
S a n a k h t , p . 17 , 18, 23.
S e k h e m k h e t , p . 1 8.
S é n o u s r e t I " , p . 8, 37, 44, 47-
49, J 2 , si, c6, 59, 1 17,
174, 1 8 1 , 182, 208.
S é n o u s r e t II, p . c6, 186-188.
S é n o u s r e t III, p . 109, 147, 168,
1 8 1 , 1 8 5 - 1 8 9 , 208, 220.
S n é f r o u , p . 8, 12 , 14, 1 6 - 1 8 , 20,
22-25.
T é t i , p . 173 , 1 7 5 , 177, ' 7 8 ,
180.
2 7 7
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
ANTHROPONYMES
A a i , p . 1 9 3 -
A b - i h o u , p . 3 9 .
A h a n a k h t I " , p . 8 8 - 9 3 , 9 c , 9 6 ,
9 8 - 1 0 3 , 1 0 9 , n e , 1 C7, i c 8 ,
1 8 3 , 1 8 4 , 2 3 4 , 2 3 7 .
A h a n a k h t II, p . 8 9 , 9 0 , 9 2 .
A m e n e m h a t , p . 1 5 8 , 2 3 1 .
A n k h t i f i , p . 3 9 - 4 1 •
A n t e f , p . S7, ' 7 9 , 2 2 6 -
' A n ' a n k h i , p . 1 9 3 .
B a q e t I " , p . 5 1.
B a q e t III, p . ç 1.
B e b i , p . 1 0 2 .
B é h e s t i , p . 1 9 2 , 1 9 3 , 1 9 c .
B o u a o u , p . 1 7 9 .
D a g i , p . 1 0 2 , 1 7 9 .
D j e f a i h â p i , p . 1 1 7 , 1 1 9 , 1 2 5 ,
1 2 7 .
D j e f a i h â p i I " , p . 4 8 , 5 2 , 2 3 1 .
D j e f a i h â p i I I , p . 5 2 .
D j e f a i h â p i III, p . 1 8 7 .
D j e f a i h â p i IV, p . 1 8 7 .
D j é h o u t i h o t e p , p . X I , 7 7 , 1 1 0 -
1 1 2 , 1 1 4 , i i j , 1 4 7 , i c 8 ,
1 8 7 , 2 2 2 , 2 2 4 , 2 2 6 , 2 3 4 ,
2 3 i > 2 3 7 -
D j é h o u t i n a k h t , p . 8 5 , 8 6 , 9 3 ,
9 6 - 1 0 1 , 1 4 9 , 1 r 8 , 1 8 7 .
D j é h o u t i n a k h t III, p . 8 9 , 9 0 .
D j é h o u t i n a k h t IV, p . 8 9 , 9 0 .
D j é h o u t i n a k h t V I , p . 1 1 0 , i r 8 .
G é m e n i e m h a t , p . 1 4 6 , 1 4 7 , 1 7 5 ,
1 7 7 .
H â p i - a n k h t i f i , p . 2 3 1 .
H é n e n o u , p . 4 2 , 4 6 .
H e n i b , p . 6 9 .
H é n o u , p . 8 3 .
Heqaib, p . 4 6 , 6 1 , 1 2 0 - 1 2 3 , 1 2 7 ,
1 2 8 , 1 8 6 , 2 2 2 , 2 2 3 .
H e q a t a , p . 2 0 4 - 2 0 8 , 2 1 2 .
H é t e p , p . 1 5 0 , 2 2 7 .
H é t e p i , p . 4 1 , 4 6 .
H é t e p o u t , p . 2 3 1 .
H i r k h o u f , p . 6 1 .
H o r e m k h â o u f , p . 2 1 5 , 2 1 6 .
H o r h o t e p , p . 5 4 , 4-7, 1 7 9 -
Ia- ib , p . 1 0 8 .
I d i , p . 2 2 4 .
I h a , p . 9 6 , 9 8 - 1 0 1 , 1 8 3 .
Ii i , p . 1 9 3 , 194", 1 9 6 .
I k h e r n o f r e t , p . 9 6 .
I n h e r e t - n a k h t , p . 3 9 .
I n i , p . 4 0 .
In i - i te f , p . 4 0 .
I p , p . 4 7 .
I p o u e r , p . 1 3 3 .
I ta , p . 1 4 7 .
I t - i b , p . 1 1 9 .
Isi , p . 3 2 , 1 2 5 , 1 2 8 , 2 2 2 .
K a g e m n i , p . 1 7 7 .
K a y , p . 2 2 4 .
K h é t y , p . 5 1 , 1 7 9 , 1 8 7 .
K h é t y II , p . 4 9 .
K h n o u m h o t e p , p . 1 8 6 .
K h n o u m h o t e p I e r , p . 4 9 , 5 1 .
K h n o u m h o t e p II , p . 4-3, 1 8 6 ,
1 8 7 .
278
INDEX
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Khnoumit, p. 1 4 7 .
Khoui-ânkh, p. 2 3 2 .
Khounes, p. 2 7 .
Khouou, p. 8 1 , 8 7 .
Médounefer, p. 2 2 c , 2 2 7 .
Méketrâ, p. 1 7 9 .
Mérer, p. 2 1 c .
Mérou, p. 1 7 9 .
Mésehti, p. 4 9 , 1 4 7 , ' 4 8 -Métjen, p. 2 0 , 2 4 , 2 5 .
Montouhotep, p. 5 4 , c e , 6 2 .
Myt, p. 2 2 e .
Nakhti, p. 1 4 7 , 1 4 8 .
Néferi, p. 1 4 7 , 1 4 8 .
Néferou-Ptah, p. 2 3 1 .
Nehri I", p. 8 8 , 8 9 , 1 5 8 .
Nehri II, p. 1 S 9 -
Nékhébou, p. 3 1 , 1 2 0 .
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Netjer-nakht, p. 2 3 1 .
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Sabni, p. 1 2 2 .
Sarenpout I", p. c 6 , 5 7 , 5 9 , 1 1 7 ,
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Sathedhétep, p. 1 5 7 .
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TITRES
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im.y-r hw.t-ntr, p. 6 4 , 1 7 6 .
im.y-r hm(.w)-ntr, p. 1 , 1 9 , 34>
S3-SS, 6 2 > 63> im.y-r hrp.w, p. 4 7 .
2 7 9
(FS TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
im.y-r htm.t, p . 1 7 8 , 1 7 9 .
im.y-r swnw, p . 2 7 , 3 1 .
im.y-r ss<.w> ' nsw.t, p . 2 9 , 3 2 .
im.y-r sm'.w, p . 3 9 .
im.y-r sn-tz nb, p . 1 7 6 .
im.y-r sny tz, p . 4 7 .
im.y-r snw.ty, p . 2 9 , 3 1 , 1 7 6 ,
1 7 9 .
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hz.ty-', p . 3 8 , 6 3 - 6 4 , 1 1 4 , 1 8 7 .
hz.ty-' im.y-r hm.w-ntr, p . 4 4 , 6 3 ,
6 4 , 1 8 6 , 1 8 7 .
hz.ty-' Wnt, p . 1 8 8 .
hz.ty-' n Mn'.t-Hwi=f-wi, p . 6 4 .
hz.ty-' n Dr.ty, p . 3 7 .
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2 8 , 3 8 , 4 0 , 4 ç , 4 7 , 4 9 , 5 2 ,
5 B , 5 7 , 6 1 - 6 4 , l 8 4 , ' 8 8 >
1 8 9 .
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<hr.y > -tp 'z n mz-hd, p . 5 1.
hr.y-tp 'Z n Nhn, p . 44.
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3 4 , 3 6 , 4 ' . 4 6 , 5 4 , 5 9 , 6 0 .
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hqz whz.t, p . 6 1 .
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Är/J fc;.;, p . 1 7 6 .
hrp kz.t m imn.t.t izb.t.t, p . 1 7 6 .
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280
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Stratègos, p . c.
DIVINITÉS
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A t o u m , p . 2 o { , 2 0 7 .
C h o u , p . 2 0 c , 2 0 7 , 2 1 1 .
G e b , p . 1 9 4 .
H a r e n d o t è s , p . 2 1 1 .
H a t h o r , p . 1 6 , 2 4 .
H o r u s , p . 1 9 8 - 2 0 0 , 2 0 2 , 2 0 4 ,
2 0 { , 2 0 7 , 2 1 1.
Isis , p . 1 9 4 , 2 0 0 , 2 0 1 .
M i n , p . 2 1 1 .
N e p h t h y s , p . 2 0 0 , 2 0 1 .
O s i r i s , p . 3 9 , 9 6 , 1 7 4 , 1 9 7 - 2 0 0 ,
2 0 2 - 2 0 4 , 2 0 7 , 2 1 0 - 2 1 2 .
O s i r i s K h e n t a m e n t i , p . 1 9 6 .
O u p o u a o u t , p . 1 2 c .
R ê , p . 2 1 1 .
S a t e t , p . 3 c.
S e t h , p . 9 6 , 2 1 1 , 2 1 2 .
S o b e k , p . 4 0 .
S o k a r , p . 1 2 6 , 1 2 7 .
T h o t , p . 7 4 , 9 9 , 1 0 0 , 1 0 1 , 1 8 3 ,
2 2 6 .
TOTONYMES A b o u s i r , p . 1 6 6 , 1 7 3 , 1 7 7 , 1 7 8 ,
2 3 0 .
A b y d o s , p . 1 0 , 1 3 , 1 7 , 3c, 4 1 ,
4 7 , 9 6 , 1 6 6 , 1 7 4 , 2 2 0 , 2 2 1 ,
2 3 0 .
A k h m i m , p . c 2 , j 8 , 1 6 6 , 1 7 2 ,
2 3 0 , 2 3 1 .
A m a r n a , p . 7 4 .
A r m a n t , p . ç c .
A s f o u n e l - M a t a f n a , p . 2 0 .
A s s a s i f , p . 1 1 7 .
A s s i o u t , p . 3 , 3 8 , 4 c , 4 9 , c i , 5 3 ,
6 2 - 6 c , 6 7 , 6 9 , 7 1 , 7 3 , 1 1 9 ,
1 2 2 , 1 2 7 , 1 4 7 , 1 4 8 , I C O ,
I C I , 1 6 1 - 1 6 7 , 1 7 4 , 1 8 2 ,
1 8 c , 1 8 7 , 2 2 2 , 2 2 6 , 2 3 0 .
A s s o u a n , p . 4 1 , 4 8 , 5 6 , 6 1 , 1 2 6 ,
i c c , 1 6 6 , 1 7 2 , 1 8 0 , 2 0 4 ,
2 3 0 .
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2 8 1
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
Beit Khallâf, p. 1 7 .
Beni Hasan, p. 3 , 3 8 , 4 9 , 5 1 - 5 3 ,
5 7 , 6 3 - 6 5 , 6 7 , 6 9 , 7 2 , 1 1 7 ,
1 6 0 , 1 6 1 , 1 6 4 - 1 6 6 , 1 7 0 ,
1 7 3 , 1 8 2 , 1 8 5 - 1 8 7 , 2 3 0 .
Biahmou, p. 1 1 5 .
Canal Sinueux, p. 2 1 0 .
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Coptos : voir Quft. Crocodilopolis, p. 1 1 5 .
Dahchour, p. 8, 1 4 7 , 1 6 6 , 1 7 2 ,
' 7 3 . 2 3 ° -
Dakhla (oasis de), p. 6 1 , 1 5 5 ,
2 2 7 .
Deir Abou Hinnis, p. 7 4 .
Deir el-Bersha, p. XI, XIV, 3 , 6 ,
1 9 , 3 8 , 51-Çî, 5 7 , H , 6 5 ,
6 7 , 7 0 - 7 2 , 7 4 , 7 7 , 7 9 - 8 i ,
8 7 , 8 9 , 9 1 , 1 0 3 , 1 0 6 , 1 0 9 ,
1 1 5 , 1 1 7 , 1 1 9 , 1 2 5 , 1 2 6 ,
1 4 7 , 1 4 9 , 1 5 1 , ! 4 6 , l é ° ,
1 6 4 - 1 6 6 , 1 7 0 , 1 7 1 , 1 8 2 -
1 8 5 , 1 8 7 , 2 2 2, 2 2 6 , 2 3 0 ,
2 3 3 , 2 3 « -
Deir el-Bahari, p. 1 1 7 , 1 8 0 .
Deir el-Gabrawi, p. 3 .
Deir Rifa, p. 5 2 , 6 5 , 6 7 , 1 6 6 ,
2 3 0 .
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Dra Abou el-Naga, p. 1 7 9 .
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el- Ashmounein /H er mop olis (Hmnw), p . 4 , 6 , 7 3 , 7 4 , 8 3 ,
9 9 , 1 0 0 , 1 0 3 , 1 0 6 , 1 0 9 , i i i ,
1 1 2 , 1 8 3 , 1 8 4 , 1 8 8 , 1 9 0 ,
2 2 6 .
el-Gebelein, p. 1 6 , 1 9 - 2 2 , 2 4 ,
3 5 , 4 0 , 4 6 , 1 6 6 , 2 3 0 .
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1 2 0 , 1 2 2 , 1 2 3 , 1 2 5 , 1 2 6 ,
2 2 2 , 2 2 6 .
Farshut, p. 1 6 6 , 2 3 0 .
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Mazghuna, p. 1 6 6 , 2 3 0 .
Meir, p. 3 , 3 8 , 5 3 , 5 7 , 6 c , 6 7 , 7 0 ,
1 2 0 , 1 6 c , 1 6 6 , 1 8 c , 1 8 7 , 2 3 0 .
Médamoud, p. 3 c.
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Naga el-Deir, p. 1 7 , i c c , 1 6 6 ,
2 3 0 .
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Nome du Lièvre, p. 6 , 4 8 , 7 3 ,
1 0 9 , m , 1 1 2 , 1 7 1 , 1 8 3 ,
1 8 8 , 2 3 8 .
Nome de l'Oryx, p. 1 3 , 2 2 , 2 3 ,
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1 8 c , 1 8 6 , 1 8 8 , 2 2 6 , 2 3 0 .
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1 0 1 , 1 0 2 , 1 1 7 , 1 5 c , 1 6 6 ,
1 7 3 , 1 7 8 - 1 8 0 , 1 8 2 - 1 8 4 ,
2 3 0 .
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2 8 3
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
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Caire Registre temporaire n°
3 / 1 1 / 2 5 / 1 - 3 ; 6-7 ; 9 ; 1 2 -
1 6 ; 18 ; 2 0 - 2 1 ; 23 ; 2 5 ,
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Caire Registre temporaire n°
1 5 / 1 1 / 2 5 / 1 - 3 ; c ; 7 - 8 ; n -
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Caire Registre temporaire n°
7 / 1 1 / 2 5 / 1 ; 3 - 4 ; 6 ; 8 ;
1 2 ; ! 5 ; 1 9 . P- H 7 -
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TEXTES
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p. 1 9 6 , 1 9 8 - 2 0 3 , 2 1 4 .
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2 8 4
INDEX
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CT II, i c i a - 2 o ç e [ 1 3 1 - 1 4 6 ] ,
p. 1 9 3 , 1 9 4 , 1 9 6 , 1 9 9 , 2 1 4 ,
2 1 5 .
CT II, 2 2 6 b - 2 ç 3 g [ 1 4 9 ] , P- 9 6 ,
1 9 4 - 1 9 7 , 1 9 9 .
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c n v , 7 2 b [ 3 1 2 ] , p. 2 0 2 .
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CT IV, i 8 4 / c a - i 8 6 / 7 b [33c],
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Ostracon Pétrie, r° 7-vs. 1 ; vs.
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1 1 , p. 1 9 6 .
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Pierre de Chabaka, col. 1 7 a ,
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Diodore de Sicile, I, 9 2 , p. 1 9 7 .
1. Partie du cimetière du début de l'Ancien Empire à Nuweirat (photographie Harco Willems).
Ci-contre : 9. Relief sur le montant de porte nord séparant les chambres sud et nord de la tombe d'Ahanakht 1' (photographie HARCO WILLEMS).
Ci-dessus : 10. Vue générale de la paroi ouest de la tombe 17K74/1
(photographie BRUNO
VANDERMEULEN).
Ci-contre : I I. Détail de l'autobiographie sur la paroi ouest de la tombe 17K74/1 (photographie BRUNO VANDEMIEULEN).
Ci-dessus : 12. Paroi nord de la tombe d'Iha (17K74/3) (photographie BRUNO VANDERMEULEN).
Pages précédentes : 13. A. La colonne dans l'angle sud-est de la chambre nord de la chapelle junéraire d'Ahanakht I".
B. Le chapiteau de la colonne dans l'angle sud-est de la chambre sud de la chapelle funéraire d'Ahanakht I". (photographies HARCO
WILLEMS).
Ci-dessus : 1 4 . Scan géomagnétique du « gazîra » dans la partie ouest de la zone 9 (TOMASZ HERBICH).
Ci-contre : 1 i . Plan d'une des grandes maisons à Kahoun (d'après BlETAK, dans : Haus und Palast, p. 32,
fia- '2).