Post on 06-Oct-2020
La jurisprudence européenne en matière de châtiments corporels
sur mineurs
Frapper un animal s’appelle cruauté.
Frapper un adulte s’appelle agression.
Frapper un enfant s’appelle éducation.
Olivier MAUREL,
« La fessée, Questions sur la violence éducative »
Comme pour la majorité des notions fondamentales, il est difficile de définir les
châtiments corporels. Bien que l’interdiction de ces agissements figure dans de grands textes
internationaux, aucune définition de ce terme n’est proposée explicitement, ce qui rend son
contenu relatif et sujet à interprétation. On peut rapprocher cette notion de celle de sévices ou
encore de traitements inhumains ou dégradants qui violent le respect de la dignité humaine et
de l’intégrité physique au sens des textes conventionnels.
Malheureusement, les châtiments corporels sont un phénomène planétaire et universel
qui touchent toutes les catégories d’individus, quelque soit leur origine sociale, leur
provenance géographique, leur sexe et leur âge. Cependant, dans la présente étude, il ne sera
question que des violences infligées aux mineurs gravement touchés du fait de leur
vulnérabilité. Nous ne traiterons que des châtiments corporels commis au sein des pays
Européens, et dans le cadre institutionnel, scolaire et familial puisqu’il est particulièrement
intéressant de noter que ce sont dans ces lieux que les enfants sont menacés alors qu’ils
devraient y être le plus en sécurité.
Se poser la question de l’évolution de la jurisprudence en matière de châtiments
corporels commis sur des mineurs oblige à penser la place que nos sociétés accordent à la
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violence en tant que procédé éducatif. Pourquoi est-il permis de frapper un enfant alors qu’il
est interdit de frapper un homme adulte, une femme, une personne âgée ? Nos lois ne
permettraient-elles d’agresser que les plus faibles ?
Comme le fait très justement remarqué Olivier Maurel, « les châtiments corporels
infligés aux enfants les perturbent gravement et si personne ne s’en aperçoit, pourtant ceux
qui ont été frappés présentent tous les mêmes séquelles, notamment celle qui consiste à dire
« une bonne fessée n’a jamais fait de mal à personne ». Cette phrase apparemment innocente
revient en fait à dire qu’on a le droit de frapper un plus petit que soi pour l’éduquer et de
faire aux autres ce qu’on ne voudrait pas qu’ils nous fassent, cumulant ainsi leçon de
violence et leçon d’incohérence ».
Cela oblige également à s’interroger sur la place du droit en la matière, droits
nationaux et droit européen. Pourquoi la coutume du droit de correction prime t-elle devant la
loi et les traités internationaux ? Pourquoi a-t-il fallu attendre le droit conventionnel européen
pour commencer à sanctionner ce qui apparaît aujourd’hui inacceptable ?
Force est de constater que le seul et unique pays européen ayant fait l’objet de condamnations
en la matière est le Royaume Uni. Force est de constater que c’est l’unique pays européen
ayant aussi longtemps institutionnalisé la violence éducative.
Pourtant, les textes internationaux protégeant les enfants des violences physiques et morales
existent :
Signée et ratifiée le 7 août 1990 par la France, la Convention internationale sur
les droits de l’Enfant stipule dans ses articles 19, 28 et 37 que l’Etat doit protéger
l’enfant contre toutes formes de mauvais traitements perpétrés par ses parents ou
par toute autre personne à qui il est confié.
L’ONU a également édicté un ensemble des règles et de recommandations :
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Les châtiments corporels sont expressément interdits pour les mineurs par les
Règles de Beijing (règle 17-3) et par l’ensemble de règles de l’ONU sur la
protection des mineurs privés de liberté (règle 67), et, de manière moins
explicite, par la Convention relative aux droits de l’enfant et par les Règles de
Riyad.
De plus, dans une résolution adoptée en avril 2000, la Commission des droits de l’homme des
Nations Unies estime que " les châtiments corporels, infligés aux enfants notamment, peuvent
être assimilés à des peines cruelles, inhumaines ou dégradantes, voire à la torture ".
Le rapporteur spécial du Comité sur la torture de l’O.N.U. a déclaré que l’usage des
châtiments corporels était contraire à l’interdiction de la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants. Les lieux où les châtiments corporels à l’égard des mineurs
sont les plus fréquents sont la famille et l’école.
Cependant, il est à noter que le Comité est assez nuancé en considérant que les châtiments
corporels dans les établissements scolaires peuvent parfois ne pas constituer une forme de
torture ou de traitement cruel, inhumain ou dégradant, mais qu’ils sont cependant
" incompatibles " avec la Convention relative aux droits de l’enfant, même si elle n’interdit
pas expressément les châtiments corporels.
Le Comité recommande l’extension à la sphère familiale de l’interdiction des châtiments
corporels. Nombreux sont les États qui autorisent les châtiments corporels ou les " corrections
administrées avec discernement " au sein de la famille, pratique que condamne le Comité,
constatant notamment : " S'agissant des châtiments corporels, peu de pays ont des lois claires
sur la question. Certains États parties ont essayé de faire la distinction entre le fait de
corriger un enfant et la violence excessive. Dans la réalité, la ligne de démarcation entre les
deux est artificielle. Il est très facile de passer d'un stade à l'autre. C'est aussi une question de
principe. S'il est interdit de battre un adulte, pourquoi n'en serait-il pas de même pour
l'enfant ? "
Par ailleurs, dans un communiqué de presse en date du 28 novembre 2003, la troisième
commission sociale de l’ONU recommandait d’éliminer les châtiments corporels dans les
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établissements scolaires et pénitentiaires mais décidait de ne pas se prononcer sur le texte
concernant le rôle des parents dans la prise en charge et le développement des enfants.
Au niveau européen, plusieurs dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH) présentent un intérêt particulier
pour la protection des enfants : il s’agit de l’article 3 interdisant les tortures et traitement
inhumains et dégradants. En matière de violences familiale et éducative, on oppose
généralement l’article 8 qui protège le respect de la vie privée et familiale. Ces articles
peuvent être invoqués dans les cas de maltraitance physique ou psychologique, voire d'abus
sexuels.
D’autres organisations internationales, gouvernementales ou non, se préoccupent également
du sort des enfants et prohibent les châtiments corporels à leur encontre.
Ainsi, en 2002, Amnesty international, notait que « Les châtiments corporels constituent
une autre question complexe, tant sur le plan législatif que dans leur application envers
les enfants. Dans de nombreux pays, la loi autorise les châtiments corporels des enfants, à
l’école comme à la maison. Cette attitude est essentiellement motivée par la conviction
qu'il est acceptable de châtier les enfants " avec discernement ". Dans un grand nombre
d’États, le châtiment corporel des enfants est d’ailleurs la seule forme de violence entre
individus avalisée par la loi, alors que la moindre agression commise contre un adulte y
est fermement sanctionnée .»
En novembre 2002, l’OMS dénonçait la violence éducative comme source de la violence
des adultes dans un rapport mondial sur la violence et la santé, en notant que l’idée de la
violence comme problème de santé publique était totalement nouvelle, et que seule la
formation des parents à d’autres techniques éducatives pouvait éradiquer durablement la
violence en tant que phénomène social.
Dans son essai « C’est pour ton bien », Alice Miller dénonçait cette « pédagogie noire »,
cette pédagogie traditionnelle qui a pour objectif de briser la volonté de l’enfant pour en faire
un être docile, et dont les conséquences sociales sont tragiques, car les schémas de violence
ainsi inculqués ressurgissent inévitablement à chaque génération.
Dans ce contexte international de prise de conscience de la gravité du phénomène que
constituent les châtiments corporels sur les mineurs, et alors que les mentalités n’ont pas
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encore forcément évolué en ce qui concerne la valeur éducative de la violence, nous nous
sommes attachées à rechercher au sein de la jurisprudence européenne ce qui était considéré
par la CEDH comme tolérable ou pas en la matière.
Je traiterai dans une première partie de l’interprétation de l’article 3 de la C.E.S.D.H. telle
qu’elle se dégage de la jurisprudence de la Cour et des limites que cela peut induit en matière
de sanction des châtiments corporels sur les mineurs. Anne-Sophie s’attachera, dans une
seconde partie à évoquer la prise en compte relative des châtiments corporels sur les mineurs,
en développant les conséquences néfastes de ces comportements.
1ère partie – Une interprétation de l’article 3 de la C.E.S.D.H. limitant la
sanction des châtiments corporels infligés aux mineurs.
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Lorsqu’on examine la jurisprudence de la C.E.D.H. en matière de châtiments corporels
infligés à des mineurs, l’article 3 de la C.E.S.D.H. apparaît comme celui dont la violation est
systématiquement alléguée par les requérants, l’article 8 n’étant que rarement invoqué. Aussi
essaierai-je dans une première sous partie de comprendre l’évolution de l’interprétation de la
Cour en la matière, et ce de manière générale, (A) afin d’éclairer, dans une seconde sous
partie, en quoi cette évolution limite les constats de violation en matière de châtiments
corporels infligés à des mineurs (B).
A/- L’article 3 de la C.E.S.D.H. et son interprétation.
L’article 3 est, avec l’article 6, l’article le plus invoqué devant la Cour de Strasbourg. Les
châtiments corporels sur mineurs, tant en terme de saisine que de constat de violation, ne sont
qu’une infime partie des affaires portées devant cette juridiction. Il apparaît donc intéressant
de mettre en perspective les critères d’interprétation de la Cour lorsqu’elle se trouve
confrontée à des violences selon que ce sont ou ne sont pas des châtiments corporels sur
mineurs.
1)- Les critères d’interprétation du constat de violation de l’article 3 de la C.E.S.D.H.
par la Cour de Strasbourg.
La C.E.D.H. n’a cessé, de façon permanente et répétée, de classer l’article 3 (interdiction de la
torture et des traitements inhumains) aux côtés de l’article 2 (droit à la vie), comme l’un des
droits les plus fondamentaux protégés par la Convention, dont l’objectif essentiel est de
protéger tant la dignité que l’intégrité physique des personnes.
Contrairement à d’autres articles de la C.E.S.D.H., l’article 3 est libellé en termes absolus et
sans aucune réserve. Il ne comporte pas de deuxième paragraphe indiquant les circonstances
dans lesquelles il serait acceptable d’infliger la torture ou des peines ou traitements inhumains
ou dégradants. Cette disposition ne supporte donc aucune restriction légale.
Le terme « sans réserves » de l’article 3 signifient qu’il ne peut y avoir, à aucun titre, en
vertu de la Convention ou du droit international, de justification pour des actes qui
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enfreindraient cet article. En d’autres termes, il ne peut y avoir de facteurs qu’un système
juridique national serait autorisé à considérer comme une justification pour recourir à un
comportement interdit : ni le comportement de la victime, ni la pression exercée sur l’auteur
de l’acte, ni aucune circonstance extérieures, ni aucun autre facteur. La Cour rappelle sans
cesse aux États que la conduite de la victime ne peut jamais être considérée comme une
justification pour recourir à un comportement interdit par la C.E.S.D.H.
Selon la Cour, la Convention doit être abordée sous l’angle de « son objet et de son but »,
celui-ci consistant à protéger les êtres humains par la protection des valeurs d’une société
démocratique, ce qui signifie que ses dispositions doivent toujours être interprétées et
appliquées de façon à rendre ses garanties efficaces. Ce principe d’efficacité a des
conséquences très concrètes concernant l’application de l’article 3 de la Convention.
Autre caractéristique essentielle de la Convention : son interprétation dynamique. Elle reflète
les changements de normes, de moeurs et d’attentes de la société. C’est dans une affaire
portant sur l’article 3, et plus précisément un constat de violation à l’occasion de châtiments
corporels sur mineurs, que la Cour a affirmé que la Convention est un instrument vivant qui
doit être interprété au regard des conditions de vie actuelles. (Arrêt Tyrer c/ Royaume- Uni du
25 avril 1978, A. 26.)
Pour reprendre l’expression récurrente de la Cour européenne des Droits de l’Homme,
« l’article 3 consacre l’une des valeurs les plus fondamentales d’une société démocratique, »
puisqu’il déclare que : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements
inhumains ou dégradants. »
Les trois grands domaines d’interdiction contenus dans l’article 3 sont à la fois distincts et
liés. D’après la Commission européenne des Droits de l’Homme, dans l’ « Affaire grecque »
: « Il est clair qu’il peut y avoir des traitements auxquels tous ces qualificatifs s’appliquent,
car toute torture ne peut être qu’un traitement inhumain et dégradant » (1969, Annuaire de la
Convention européenne des droits de l’homme, n°12).
La distinction entre la torture et les peines ou les traitements inhumains ou dégradants est
fondée en premier lieu sur la gravité plutôt que sur l’acte. Jusqu’à un certain seuil de gravité,
les traitements dégradants peuvent être qualifiés de traitements inhumains et les traitements
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inhumains particulièrement graves sont assimilables à la torture. Le critère du seuil de gravité
a été repris et suivi dans des décisions de la Cour et de la Commission
2- Les critères d’interprétation du seuil de gravité de l’article 3 CESDH par la Cour de
Strasbourg
La gravité ou l’intensité des souffrances infligées doivent être considérés au regard de
différents facteurs: la durée, les effets physiques et mentaux, le sexe, l’âge et l’état de santé de
la victime, le mode d’exécution. Les éléments subjectifs de ces critères – le sexe, l’âge et
l’état de santé de la victime – sont pertinents pour évaluer l’intensité d’un traitement.
La règle « de minimis » implique que tous les traitements éprouvants n’entrent pas dans le
champ d’application de l’article 3. Dès ses premières décisions, la Cour a expressément
déclaré que les mauvais traitements devaient atteindre un niveau minimal de gravité pour
pouvoir constituer une violation de l’article 3. Il a cependant été admis qu’il pouvait être
difficile de déterminer où se situe la frontière entre, d’un côté un traitement éprouvant, et de
l’autre, une violation de l’article 3 (Mc Callum c/ Royaume- Uni, rapport du 4 mai 1989,
série A. no 183 p. 29.).
Dans Irlande c/ Royaume-Uni (18 janvier 1978, série A no 25. 10 Ibid, § 162), , la Cour a
indiqué que l’évaluation du niveau minimal de gravité est toujours relative : elle dépend de
l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement, de ses effets
physiques ou mentaux, et dans certains cas, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la
victime.
Ces mots ne cessent de revenir dans la jurisprudence de la Cour (Voir entre autres Irlande c/
Royaume-Uni, p. 65 et plus récemment Tekin c/ Turquie, arrêt du 9 juin 1998, Recueil 1998-
IV, § 52, Keenan c/ Royaume- Uni, arrêt du 3 avril 2001, § 20, Valašinas c/ Lituanie, arrêt
du 24 juillet 2001, § 120 et, en relation directe avec la torture, Labita c/ Italie, arrêt du 6 avril
2000, CEDH 2000-IV, § 120).
Dans Soering c/ Royaume-Uni, la Cour a ajouté que la gravité dépendait « de l’ensemble des
données de la cause, et notamment de la nature et du contexte du traitement ou de la peine
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ainsi que de ses modalités d’exécution », ainsi que des facteurs ci-dessus (Soering c/
Royaume-Uni, arrêt du 7 juillet 1989, série A no 161, § 100).
Dans le domaine des mauvais traitements et de la protection accordée par l’article 3, il est
évident que la convergence croissante des normes et pratiques mène à une objectivité
beaucoup plus grande en matière d’appréciation du seuil minimal.
Cependant, d’autres critères que les normes et les pratiques juridiques amènent à une
application restrictive de l’article 3 en matière de châtiments corporels sur mineurs. Il me
semble que l’on touche là davantage à l’évolution des mentalités qu’à celle de la norme
juridique applicable, et ceci n’est pas sans conséquence sur les critères d’interprétation de la
C.E.D.H.
B/- Les conséquences négatives de l’interprétation de la C.E.S.D.H. en
matière de châtiments sur mineurs.
1)- La détermination des critères du seuil de gravité en matière de châtiments corporels
sur les mineurs.
En matière de châtiments corporels sur des mineurs, la violation de l’article 3 consiste le plus
souvent en peine ou traitements dégradants. Comme toutes les évaluations au titre de l’article
3, l’évaluation de ce minimum est relative.
Un traitement dégradant est celui dont il est dit qu’il suscite chez sa victime des sentiments de
peur, d’angoisse et d’infériorité propres à l’humilier et à l’avilir. La Cour a également estimé
qu’il suffit que la victime soit humiliée à ses propres yeux, même si elle ne l’est pas aux yeux
des autres.
Au regard des éléments développés par la Cour aux fins d’apprécier le constat de violation de
l’article 3, à savoir le sexe, l’âge, l’intensité, etc, il apparaît que c’est la combinaison de ces
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éléments objectifs qui permet l’établissement d’une échelle de gravité des traitements
allégués.
Néanmoins, et c’est là que l’on touche à l’évolution des mentalités, en matière de châtiments
sur mineurs, des critères supplémentaires s’ajoutent, celui du contexte familial, et par voie de
conséquences, celui du contexte scolaire, en tant que délégataire auprès du mineur du « droit
de correction paternel », celui de la tradition, mais aussi celui de la publicité du châtiment.
A la lecture de la jurisprudence de la Cour, on n’est pas très éloigné de l’argumentaire
développé par l’Attorney General dans l’affaire « Laskey, Jaggard et Brown (Queen's Bench
1980, p. 715) », dans lequel Lord Lane déclara devant la Cour d'Appel : "Il est contraire à
l'intérêt général que des individus tentent de se porter ou se portent effectivement des coups et
blessures sans raison valable. … [mais des ] exceptions apparentes peuvent se justifier par
l'exercice d'un droit dans le cas des châtiments ou corrections et, dans les autres cas, par leur
caractère nécessaire à l'intérêt général."
Et il semble que les juges de Strasbourg, de par l’adjonction de cet élément spécifique, qu’est
le contexte familial ou scolaire, procèdent à un rehaussement du seuil de constat de violation
au égard à ces contexte particuliers.
Il s’avère donc qu’un élément, qu’on ne peut considérer que comme aggravant au regard des
études menées par les psychologues et spécialistes de l’enfance, puisque émanant de
personnes détentrices à la fois d’autorité et de pouvoir, devienne, pour la juridiction
européenne, un facteur, sinon d’exonération, du moins de mansuétude.
Ceci est d’autant plus extraordinaire qu’une autre institution européenne, le Parlement, dans
une Recommandation 1666 (2004) indiquait qu’il convenait que tous les châtiments corporels
infligés aux enfants soient prohibés, et ce quelque soit le cadre dans lequel ils s’exerçaient. Le
Parlement s’inquiétait de constater que seule une minorité d’Etats membres l’avaient
effectivement inscrit dans leur législation lorsque ces châtiments s’exerçaient au sein de la
famille.
Les propositions émises visaient pour l’essentiel à sensibiliser enfants et parents à la violence
domestique, à fournir une aide de prévention aux parents maltraitants, et à sanctionner leur
comportement.
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Un autre critère spécifique à l’appréciation du constat de violation de l’article 3 en la matière
est celui de la tradition. Ceci sera développé dans le deuxième paragraphe, mais il me semble
intéressant, à titre liminaire, de constater qu’il ne viendrait à l’idée de personne de justifier de
l’usage de la torture dans les commissariats ou de la peine de mort au regard de la seule
tradition. Comme le disait très simplement et très justement une militante africaine engagée
dans la lutte contre l’excision : « Quand une tradition est mauvaise, il faut en changer. »
2)- Le refus de constat de violation en matière de châtiments corporels sur mineurs.
Le critère du seuil de gravité amène donc la Cour a avoir une vision large et quelque peu
ambiguë des traitements inhumains, qui s’appuie sur des conceptions discutables.
Ceci peut être illustré par l’Affaire « Campbell et Cosans c/R.U. » (25 février 1982, req.
7511/76 et 7743/76, A, série 48). Cette affaire concernait une menace de châtiments corporels
sur deux écoliers. Or, même si les châtiments n’ont pas eu lieu, la Cour a estimé que « le
risque d’agissements prohibés par l’article 3 peut se heurter lui-même à ce texte s’il est
suffisamment réel et immédiat. Ainsi, menacer quelqu’un de le torturer pourrait, dans des
circonstances données, constituer pour le moins un traitement inhumain ». Malgré cette
déclaration, de l’avis de la Cour, les peines en question n’étaient pas suffisamment graves
pour être qualifiées de tortures ou de traitements inhumains.
La nature et le contexte de la peine, ainsi que ses modalités d’exécution sont au cœur de
l’approche de la Cour. Ainsi, dans cette même affaire, la Cour à cherché à établir si elle
pouvait être qualifiée de dégradante. Elle a conclu que pour « dégrader, un traitement doit lui
aussi causer à l’intéressé – aux yeux d’autrui ou aux siens – une humiliation ou un
avilissement atteignant un minimum de gravité ». La Cour a dès lors estimé que les deux
écoliers n’avaient pas soufferts d’effets néfastes et que leurs sentiments d’appréhension
n’étaient pas suffisamment graves pour que l’article 3 entre en jeu.
Le considérant le plus intéressant de cet arrêt est le considérant 29, car il permet de conclure à
l’absence de constat de violation :
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« Les châtiments corporels correspondent à une tradition dans les écoles écossaises et une
forte majorité des parents y semble d'ailleurs favorable (paragraphe 18 ci-dessus). En soi,
cela ne résout pas la question à trancher par la Cour: la menace d'une mesure donnée ne sort
pas de la catégorie du "dégradant", au sens de l'article 3 (art. 3), par cela seul qu'il s'agit
d'une mesure consacrée par un long usage, voire en général approuvée (voir, mutatis
mutandis, l'arrêt Tyrer précité, p. 15, par. 31).
Toutefois, eu égard notamment à la situation existant ainsi en Ecosse, il n'apparaît pas établi
que les élèves d'une école où l'on recourt à de telles punitions soient, en raison du simple
risque d'en subir une, humiliés ou avilis aux yeux d'autrui au degré voulu ou à un degré
quelconque. »
La Cour estime donc que, compte tenu du fait que les châtiments corporels font partie de la
tradition, ceux qui en sont victimes ne peuvent se sentir humiliés, car ils ne font, en quelque
sorte, que vivre ce que tout un chacun, au sein de cette culture, est susceptible de vivre … Ce
que nous dit la Cour, c’est que la tradition de la « punition éducative » implique que celui qui
la subit ne permet pas de remplir l’une des conditions permettant la qualification de ce
traitement en traitement inhumain et dégradant.
Dans une autre affaire « Costello-Roberts c. R.U.» (25 mars 1993, req. 13134/87), la Cour
développe un autre aspect également lié à l’importance du critère de la publicité du châtiment,
et partant, de l’humiliation ressentie par celui qui la subit. Elle examine les circonstances de la
cause au regard de sa propre jurisprudence, et en conclut que la gravité du châtiment en lui-
même ne pouvant être retenu, il convient de s’attacher au déroulement des faits. En l’espèce,
M. Costello-Roberts avait reçu, en punition, trois coups de chaussures de gymnastique sur les
fesses, par-dessus son short, et en l’absence de tout témoin. La punition avait été infligée par
le directeur de l’établissement scolaire. La Cour en conclut donc que ni l’intensité du
châtiment, ni les circonstances dans lesquels il a été appliqué, ne permettent de constater une
quelconque violation de l’article 3.
Au regard de cette jurisprudence, on peut donc estimer que la Cour ne considère pas les
châtiments corporels infligés aux mineurs comme systématiquement prohibés, mais qu’il lui
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faut examiner les circonstances de l’espèce pour déterminer si ceux-ci entrent ou non dans le
cadre de l’article 3 de la C.E.S.D.H.
La juridiction européenne ne prend donc en compte ni la Convention internationale sur les
droits des enfants, ni la Recommandation 1666 (2004) du Parlement européen, ni les rapports
des O.N.G. qui considèrent les châtiments corporels envers les mineurs comme étant
systématiquement négatifs.
En acceptant d’examiner le degré d’intensité ou les circonstances dans lesquels les châtiments
ont été infligés, la C.E.D.H. accrédite l’idée qu’il y a des châtiments corporels acceptables, en
tant qu’ils sont issus de la tradition, scolaire ou familiale, ou ne présentent pas de
circonstances particulières, telles que la publicité.
Et cependant, la condamnation des Etats par la C.E.D.H., même si elle est imparfaite, permet
de faire évoluer les législations, à défaut des mentalités. C’est ce qui sera développé dans la
seconde partie de l’exposé.
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2ème partie – Une prise en compte relative des châtiments corporels infligés
aux mineurs, et sanctionnés par la Cour européenne au titre de l’article 3
de la CESDH
A/- Les motivations à cette reconnaissance des « violences invisibles et
ordinaires » sur les mineurs
La lente évolution qui s’amorce en vue d’une reconnaissance relative par la Cour
Européenne des Droits de l’Homme de certains châtiments corporels commis sur des mineurs
peut s’expliquer par différents motifs.
D’une part, en raison de la prise de conscience progressive par l’opinion publique que ces
sévices engendrent des séquelles irréversibles sur le devenir de l’enfant (1) ; et d’autre part en
raison des lacunes des législations nationales dans l’Europe pour lutter efficacement contre
ces agissements criminels (2).
1)- Les conséquences de ces châtiments corporels sur les mineurs
Dans son célèbre ouvrage C’est pour ton bien, Alice Miller déclare « l’opinion
publique est loin d’avoir pris conscience que ce qui arrivait à l’enfant dans les premières
années de sa vie se répercutait inévitablement sur l’ensemble de la société, et que la psychose,
la drogue, la criminalité étaient des expressions codées des expériences de la petite enfance…
Ma tâche est de sensibiliser cette opinion aux souffrances de la petite enfance, en m’efforçant
d’atteindre chez le lecteur adulte l’enfant qu’il a été ».
En effet, les châtiments corporels perpétrés sur l’enfant pour en faire un être docile et
obéissant provoquent des conséquences néfastes sur son devenir tant au niveau physique,
psychologique, que criminologique.
D’un point de vue physique, à court terme, les sévices sur les mineurs tuent des milliers
d’enfants par an. Beaucoup d’enfants sont blessés et nombreux sont ceux qui en gardent des
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handicaps. A plus long terme, ils ont des répercutions sur la santé de l’enfant et provoquent
des cancers, affections pulmonaires, et maladies du foie…
Au niveau psychologique, les mineurs battus présentent de graves déficiences intellectuelles,
la volonté de prise de risques, des dépressions et angoisses, des retards du développement, des
troubles de l’alimentation et du sommeil, un sentiment de honte et de culpabilité, une
hyperactivité, des mauvais résultats scolaires, une piètre estime de soi, des troubles de stress
post-traumatique, des troubles psychosomatiques, des comportements suicidaires et des
automutilations…
D’un point de vue criminologique, Le comportement des parents et le milieu familial jouent
un rôle essentiel dans le développement des jeunes. Plusieurs études ont montré que les
châtiments corporels sévères pour punir des enfants encouragent ce dernier à rejoindre des
gangs. Ils sont surtout des prédicteurs importants de l’alcoolisme, de la toxicomanie et de la
violence pendant l’adolescence et les premières années de l’âge adulte.
En effet, on sait qu’une agressivité parentale et une discipline sévère à l’âge de 10 ans font
nettement augmenter le risque d’arrestations ultérieures pour violence jusqu’à l’âge de 45 ans,
mais également- pour les garçons- la sévérité des châtiments qu’ils infligent à leur tour, par
identification, à leurs propres enfants et la violence qu’ils feraient subir à leur épouse…
Enfin, si ces conséquences néfastes sur le développement de l’enfant n’arrivent pas à
convaincre le gouvernement de l’urgence de prévenir et de sanctionner ces châtiments
corporels sur les mineurs, on peut également leur soumettre un argument financier puisque
l’impunité des auteurs de ces agissements coûte cher à la société (dépenses liées à
l’arrestation et aux poursuites judiciaires engagées contre les délinquants, coûts pour les
organismes sociaux, les foyers d’accueil, le système éducatif…).
Toutefois, l’exposé de ces conséquences néfastes sur le devenir de l’enfant en raison
des violences qu’ils subissent n’a pas abouti à l’élaboration d’une législation adaptée dans
certains pays d’Europe, comme nous allons le voir.
2)- Des législations contrastées en Europe : une répression à deux vitesses des
châtiments corporels sur mineurs
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En Europe du Sud, tous les pays ont interdit les châtiments corporels à l’école et dans
le système judiciaire. Cependant, il n’y a que l’Italie et la Croatie qui prohibent les sévices
familiaux, puisqu’ils sont tolérés avec modération, en Espagne et au Portugal.
En Europe de l’Est, tous les ex-pays communistes n’ont aucune législation en la
matière, pourtant une enquête menée par Médecins du monde en Pologne, en 1998, a montré
que 14% des enfants de 12 ans ont été punis physiquement par leurs parents d’une façon
durablement traumatisante et que 30% des enfants hospitalisés à la suite de mauvais
traitements avaient moins d’un an.
En Europe du Nord, le contraste est flagrant. D’un côté, sept pays ont interdit tous les
châtiments corporels sur mineurs, et de l’autre il existe deux pays où la tradition des sévices
infligés à l’école ou dans la famille est au contraire très résistante : l’Irlande et la Grande
Bretagne. (Nous reviendrons par la suite sur ces pays).
Les pays qui ont interdit toutes formes de violences éducatives sont sans surprise la Suède, la
Finlande en 1983, la Norvège en 1987, le Danemark en 1997, la Lettonie en 1998, l’Islande
en 2003, et les Pays-Bas en février 2005.
Il est intéressant de s’attarder quelques instants sur la situation de la Suède. Depuis 1979, la
loi stipule que « l’enfant doit être traité dans le respect de sa personne et de sa personnalité
et ne peut être soumis à des châtiments corporels ni à aucun traitement brutal ». Le nombre
de suédois considérant les châtiments corporels comme indispensables est passé de 53 % en
1965 à 11 % en 1995. En juin 2000, cette législation n’a donné lieu qu’à un seul procès. De
plus, une brochure intitulée « Peut-on élever des enfants sans leur donner la fessée ? » a été
diffusée et traduite dans plusieurs langues et des lieux de rencontre pour les parents ont été
créés pour les former à la pédagogie. Les résultats semblent probants, avec les réserves qui
s’imposent en matière de statistiques : entre 1982 et 1995, les placements en foyer ont
diminué de 26 %. Le pourcentage des jeunes de 15 à 17 ans condamnés pour vol a diminué de
21 % entre 1975 et 1996. La consommation de drogues, d’alcool et les suicides ont aussi
baissé.
A l’inverse de ces « pays abolitionnistes de la claque et de la fessée », la Grande Bretagne a
sa devise « Spare the rode and spoil the child » (« Epargner le fouet c’est gâter l’enfant »).
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Ainsi, une loi qui date de 1860 autorise officiellement les parents à recourir aux châtiments
corporels dans l’éducation et dans les écoles, en Grande Bretagne.
En Irlande, la violence à l’égard des enfants est reconnue comme un véritable problème
social. 92 % des mères et 87 % des pères ont recours à la fessée. C’est dans la classe ouvrière
que le recours aux punitions corporelles est le plus fréquent.
En Ecosse , des organisations chrétiennes se sont opposées à une interdiction des châtiments
corporels sur les enfants en février et en septembre 2002.
On s’aperçoit bien qu’en Europe, il y a ceux qui acceptent et ceux qui répriment les
sévices sur mineurs, puis il y a la France et son attitude équivoque en la matière.
Le cas de la France illustre très bien l’inefficacité ou, plus exactement l’extrême lenteur de
l’effet des lois d’interdiction qui ne s’appliquent qu’à l’école. Dans ce domaine, les premières
tentatives pour réduire la violence à l’école datent du XVIIIème siècle, sous l’influence de
Rousseau. Elles sont malheureusement restées lettres mortes puisque les châtiments corporels
sur mineur est un des seuls domaines où curieusement la coutume du droit de correction prime
devant la loi qui interdit ces agissements.
De plus, la chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 4 décembre
1908 précisait que « les instituteurs ont incontestablement par délégation de l’autorité
paternelle, un droit de correction sur les enfants qui leurs sont confiés ; mais, bien entendu,
ce droit de correction, pour demeurer légitime, doit être réalisé sans excès, limité aux
mesures de coercition qu’exige la punition de l’acte d’indiscipline commis par l’enfant, et ne
pas compromettre sa santé ».
Un siècle plus tard, la jurisprudence garantie toujours l’impunité des parents et enseignants
même si elle reconnaît que les châtiments corporels et le droit de correction ne correspondent
plus à l’état actuel de nos mœurs. La Cour d’appel de Caen dans sa décision du 7 juillet 1982,
confirmée par la Cour d’appel de Rennes le 27 mars 1991, déclare « il est certains que les
coups de pieds au derrière, la bousculade, les oreilles ou les cheveux tirés, les calottes, les
gifles et même les coups de règle ou de martinet ne saurait être considérés comme excédant le
droit de correction dès lors qu’il n’en est résulté non seulement aucune conséquence
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médicale, mais même aucune trace apparente établissant une brutalité excessive ». Le
commentateur de cet arrêt fait remarqué : « on imagine le tollé que susciterait à juste titre un
jugement de ce genre s’il s’était agi du procès d’une femme battue par son mari ».
Quant à la violence dans les familles, d’après l’article 222-13 du code pénal, les coups, même
sans blessures et quel que soit le mobile qui les aient inspirés, sont punissables d’amendes
(45000 Euros) et de peines de prison (3 ans), pénalités aggravées et portées à 5 ans
d’emprisonnement et 75000 Euros d’amende lorsque les victimes ont moins de quinze ans et
lorsque les coups sont donnés par des ascendants. Toutefois, les peines prévues par le code
pénal sont si lourdes qu’elles ne peuvent évidemment pas s’appliquer à des parents auteurs de
fessées et de gifles, ce qui revient à justifier la violence éducative ordinaire.
Devant les lacunes de ces législations nationales, la Cour Européenne des Droits de
l’Homme est intervenue afin de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant.
B/- Les condamnations prononcées par la Cour Européenne des Droits de
l’Homme pour violation de l’article 3 CESDH
Il s’agit ici de dresser un panorama de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg en
matières de châtiments corporels infligés aux mineurs dans le cadre institutionnel, scolaire et
familial (1), afin d’étudier les éventuelles répercussions de ces condamnations sur la base de
l’article 3 de la CESDH au niveau national (2).
1)- Les critères d’interprétation du seuil de gravité de l’article 3 CESDH par la
Cour de Strasbourg en matière de châtiments corporels sur mineurs
Dans une affaire « Tyrer c. R.U. » du 25/04/1978, la Cour Européenne des Droits de
l’Homme a condamné le Royaume-Uni, sur le fondement de l’article 3 de la CESDH. Les
faits de la cause étaient les suivants : le jeune Anthony Tyrer, citoyen du Royaume-Uni, âgé
de 15 ans à l’époque des faits, a été condamné par le tribunal local à une peine de fustigation,
pour avoir agressé un autre élève de son école. Antony Tyrer dû se rendre au poste de police
pour exécuter sa peine. Les policiers ont administré plusieurs violents coups de canne sur les
fesses nues du jeune, en présence de son père.
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Après avoir exercé un recours devant les instances locales, sans succès, il saisit la Cour. Cette
dernière jugea qu’Anthony Tyrer avait été humilié en raison de cette peine de fustigation. Elle
déclara que cette violence institutionnalisée, en l’occurrence autorisée par la loi, prescrite par
les organes judiciaires et infligée par la police, devait être considérée comme une peine
dégradante. Elle condamna le Royaume-Uni pour violation de l’article 3 de la CESDH.
Plus récemment, la France a elle aussi été condamné sur le fondement de l’article 3 de la
Convention par la Cour de Strasbourg. En effet, dans l’affaire « Rivas contre France » du 1er
avril 2004, un capitaine de police avait donné un coup dans les parties génitales du jeune
Rivas, placé en garde à vue pour le faire avouer. La Cour a condamné la France pour
traitements inhumains et dégradants sur mineur.
D’autre part, en matière de violence familiale, la Cour européenne est également intervenue
dans un arrêt « A contre Royaume Uni », en date du 23 septembre 1998. En l’espèce, le
requérant, citoyen britannique, âgé de 9 ans, a été victime à plusieurs reprises de coups de
bâton donnés avec beaucoup de force, par son beau père. Le certificat médical rendait compte
de meurtrissures, d’ecchymoses, et de contusions sur le corps de l’adolescent. Le beau père,
inculpé pour atteinte à l’intégrité physique, fût jugé en février 1994 et relaxé. Les juges
anglais ne contestaient pas qu’il avait donné des coups au garçon à plusieurs occasions, mais
ils décidèrent que cela était nécessaire et raisonnable en vertu du droit de correction, puisque
c’était un enfant difficile, indiscipliné à l’école comme à la maison. Les juges européens ne
furent pas de cet avis.
Ils rappelèrent que « des mauvais traitement devaient atteindre un minimum de gravité pour
tomber sous le coup de l’article 3 et qu’il fallait prendre en compte des facteurs tels que la
nature et le contexte du traitement, sa durée, ses effets physiques et mentaux, ainsi que le
sexe, l’âge, et l’état de santé de la victime ».
En l’espèce, la Cour juge que les coups de bâton assénés à plusieurs reprises avec beaucoup
de force, même dans un but éducatif, atteignent le degré de l’article 3 et condamne le
Royaume-Uni pour traitements inhumains et dégradants. Elle estime que tous les châtiments
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corporels infligés aux enfants violent leur droit fondamental au respect de leur dignité
humaine et de leur intégrité physique.
La Cour rappelle que « les Etats sont tenus de prendre de mesures pour mettre les individus à
l’abri de mauvais traitements et que les enfants ont droit à une protection, par des mesures
dissuasives efficaces, contre ces agissments ». Le gouvernement anglais s’est alors engagé
devant la Cour Européenne à modifier sa législation actuelle sur les « châtiments
raisonnables » sur les enfants.
Par ailleurs, tant la Commission européenne, jusqu’en 1998, que la Cour ont souligné
que l’interdiction de tout châtiment corporel dans les établissements pénitentiaires pour jeunes
délinquants, puis à l’école et dans le cadre familial n’était pas une violation du droit au respect
de la vie privée et familiale ou à la liberté de religion.
De plus, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe constate que tous les Etats
membres ont ratifié la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant. Cette
convention exige des Etats qu’ils protègent les enfants contre toutes formes de violence
physique ou mentale infligée par des adultes qui en ont la garde. Le Comité des droits de
l’enfant, qui veille à l’application de cette convention a constamment interprété cette dernière
comme exigeant des Etats membres à la fois qu’ils se dotent d’une législation appropriée qui
prohibe et sanctionne tous les châtiments corporels à l’égard des enfants, notamment au sein
de la famille, mais également qu’ils mènent des actions de prévention en matière de
sensibilisation et d’éducation du public en ce domaine.
Qu’en est-il réellement ?
2)- Les timides répercussions de cette jurisprudence européenne sur l’évolution
des législations nationales en matières de châtiments corporels sur mineurs
A la suite des condamnations du Royaume-Uni pour la Cour Européenne sur le
fondement de l’article 3 de la CESDH, une évolution commence toutefois à se
produire puisqu’en 1998, la Chambre des Communes a interdit les châtiments corporels dans
toutes les écoles du Royaume Uni. Coups de fouet, coups de canne, claques et autres
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punitions avaient déjà été interdits dans les écoles gérées par l’Etat, en 1986. En 1999, cette
interdiction a été étendue aux écoles privées.
Cependant, en ce qui concerne les violences familiales, la Grande Bretagne se refuse toujours
à les interdire, en laissant aux parents la liberté d’appliquer la punition de leur choix, à
condition que ce soit « dans un cadre aimant et affectueux » (formulation adoptée en janvier
2000). Le 15 avril 2000, devant la résidence du premier ministre britannique, Tony Blair, des
centaines d’enfants anglais ont manifesté en criant « stop aux fessées, arrêtez les claques ! ».
Même si l’idée d’interdire les punitions corporelles dans la famille commence à faire son
chemin, la Chambre des Lords a de nouveau refusé, le 5 juillet 2004, d’interdire tout
châtiment physique et laisse la liberté aux parents d’appliquer une punition corporelle
« raisonnable », en d’autres termes qui ne laisse pas de trace visible sur la peau.
La France n’a jamais été condamné par la C.E.D.H. pour des violences sur mineur,
commises dans le cadre familial ou scolaire. Pourtant, l’état de sa législation et les pratiques
françaises en la matière sont proches de celles qui existent en Grande Bretagne.
On sait par une enquête réalisée en janvier 1999 par la SOFRES pour l’association « Eduquer
sans frapper » que 84% des parents donnent à leurs enfants gifles, fessées quand ce ne sont
pas des coups de martinet ou de ceinture. Et ce, bien que 45% des personnes interrogées
pensent que ces châtiments ont des conséquences négatives sur le développement de l’enfant.
Au vu de la jurisprudence européenne en matière de châtiments corporels sur mineurs et la
condamnation de la Grande Bretagne à ce sujet, peut on espérer en France une évolution pour
pallier l’absence de législation spécifique pour réprimer les violences éducatives ? On en
doute. En effet, paradoxalement la défenseure des enfants Claire Brisset, dans un colloque
intitulé « Chronique des violences invisibles », le 13 octobre 2003, estime que la situation
n’est pas mûre pour demander une interdiction de la violence éducative.
D’ailleurs, un seul député jusqu’à présent, André Santini, s’est déclaré favorable à une loi qui
interdise toute violence éducative. Le 22 mai 2000, il a posé une question à la ministre
déléguée à la famille et à l’enfance pour lui signaler qu’un mouvement d’opinion s’était fait
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jour pour introduire dans le droit pénal, un délit de punition corporelle, à l’instar de ce que
certains pays, et notamment la Suède dès 1979 ont déjà fait. Mais cette intervention n’a pas eu
de suites, c’est le statu quo, et tout le monde ferme les yeux sur ces châtiments corporels
infligés au mineur dans un pays qui proclame les droits de l’Enfant.
Annexes
Signée et ratifiée le 7 août 1990 par la France, la Convention internationale sur les droits de
l’Enfant stipule :
Article 19
1. Les États parties prennent toutes les mesures législatives,
administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger
l'enfant contre toutes formes de violence, d'atteinte ou de brutalités
physiques ou mentales, d'abandon ou de négligence, de mauvais
traitements ou d'exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant
qu'il est sous la garde de ses parents ou de l'un d'eux, de son ou ses
représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié.
2. Ces mesures de protection comprendront, selon qu'il conviendra,
des procédures efficaces pour l'établissement de programmes sociaux
visant à fournir l'appui nécessaire à l'enfant et à ceux à qui il est
confié, ainsi que pour d'autres formes de prévention, et aux fins
d'identification, de rapport, de renvoi, d'enquête, de traitement et de
suivi pour les cas de mauvais traitements de l'enfant décrits ci-dessus,
et comprendre également, selon qu'il conviendra, des procédures
d'intervention judiciaire.
Article 28
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2) Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour
veiller à ce que la discipline scolaire soit appliquée d’une manière
compatible avec la dignité de l’enfant en tant qu’être humain et
conformément à la présente Convention.
Article 37
Les États parties veillent à ce que : a) Nul enfant ne soit soumis à la
torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants:
Plusieurs dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et
des libertés fondamentales présentent un intérêt particulier pour la protection des enfants :
- Article 3 : Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements
inhumains ou dégradants.
- Article 8 : 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale,
de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une
autorité publique dans l'exercice de ce droit […].
- Article 14 : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente
Convention doit être assurée, sans distinction aucune fondée notamment sur
le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou
toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une
minorité nationale, la fortune, la naissance ou tout autre situation. "
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Bibliographie
Ouvrages :
- Yann BUTTNER, André MAURIN, Blaise THOUVENY, Le droit de la vie scolaire , Ed.
Dalloz, 2è éd., 2003.
- Debra LONG, Guide de jurisprudence sur la torture et les mauvais traitements , Association
pour la prévention de la torture, Genève, 2002.
- Olivier MAUREL, La fessée, Questions sur la violence éducative , Ed. La plage éditeur, 2è
ed, 2004.
- Olivier MAUREL, Œdipe et Laïos, dialogue sur l’origine de la violence, Ed. l’Harmattan,
2003.
- Alice MILLER, C’est pour ton bien , Ed. Aubier, 1984.
- Aisling READY, L’interdiction de la torture - Un guide sur la mise en œuvre de l’article 3
de la Convention européenne des Droits de l’Homme , Précis sur les droits de l’homme, n° 6,
Conseil de l’Europe, 2003.
- Association Normande de Criminologie, Les sévices à enfants, Ed Vrin, Bibliothèque
Criminologique, 1979.
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- Roselyne NERAC-CROISIER et Jocelyne CASTAIGNEDE, La protection judiciaire du
mineur en danger. Aspects de droit interne et de droits européens, Ed l’Harmattan, Sciences
criminelles, octobre 2000.
Thèse :
- H. LAURENT, Les châtiments corporels, Thèse de droit, 1912.
Revue :
- Pascale QUINCY-LEFEBVRE, « Faut-il frapper les enfants ? Cent ans de répression des
violences à enfants », Le temps de l’histoire, n°2, 1999.
Webographie
http://alice-miller.com
http://monsite.wanadoo.fr/oliviermaurel
http:// www.amnesty.asso.fr
http://www.childrenareunbeatable.org.uk
http://www.corpun.com
http://www.defenseurdesenfants.fr
http://www.echr.coe.int/
http://www.endcorporalpunishment.org
http://www.europa.eu.int
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http:// www.un.org/french/
http://www.who.int/fr/
http://www.observatoire-international-de-la-violence-éducative.org
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