Constructivisme Et Reflexitivité

Post on 10-Jan-2016

17 views 0 download

description

Artigo interessante

Transcript of Constructivisme Et Reflexitivité

  • CONSTRUCTIVISME ET REFLEXIVISMEEN THORIE DES RELATIONS INTERNATIONALES

    par

    Thierry BRASPENNING (*)

    Prologue : positivismerflexivisme et constructivisme

    Ltiolement des frontires de la discipline des Relations Internatio-nales (1), ds le dbut de la seconde moiti des annes quatre-vingt, inau-gure un nouveau sujet dvaluation : la discipline elle-mme (le troisimedbat) (2). Cette auto-valuation, cette introspection, bref, cette rflexivitouvre la voie une laboration de typologies des diffrents paradigmes desRelations Internationales, insistant de faon variable sur des distinctionsmthodologiques, ontologiques, axiologiques et pistmologiques. Le troi-sime dbat ne cherche pas dpartager deux approches opposes. Il sagitplus de comparer que dexclure, de proposer et de complter que de vouerles anciens paradigmes aux gmonies. L o les premier (3) et second (4)dbats, engoncs respectivement dans les questions du sujet et de la mtho-dologie idoines des Relations Internationales, avaient propos successive-ment une thorie de ltre et du faire, le troisime dbat propose une thoriede la connaissance socialement construite.

    Cette sensibilit la construction sociale des disciplines est devenue lundes critres rcurrents de la rflexivit, renforce par le rle de la perceptionque le chercheur a de la thorie, et par la division positivisme/post-positi-visme, ce qui constitue, plus dun titre, le principal legs du troisimedbat. Pour la plupart des post-positivistes, la connaissance est socialementconstruite et la thorie est intrinsquement rflexive. Le rflexivisme, quiarbore une vision aux antipodes du positivisme, accepte les prsupposs sui-vants : il y a un foss entre les concepts et la ralit. On ne peut doncconnatre ou se reprsenter de manire directe la ralit parce que la

    (*) Chercheur au Centre dtudes des crises et conflits internationaux (CECRI) de lUniverist catholiquede Louvain et au Centre dtudes internationales (Centre of International Studies) de lUniversit de Cam-bridge.

    (1) Les majuscules dsignent la discipline alors que les minuscules renvoient au champ daction.(2) Yosef Lapid, The Third Debate : On the Prospect of International Theory in a Post-positivist Era ,

    International Studies Quarterly, vol. 33, no 3, 1989, pp. 325-254 ; Kal J. Holsti, The Dividing Discipline :Hegemony and Diversity in International Theory, Allen & Unwin, Boston, 1985, pp. 1-30.

    (3) Ralisme versus Idalisme.(4) Historicisme versus Bhaviorisme.

  • connaissance du rel passe par la mdiation de notre conscience. Ce qui doitanimer la recherche, cest lhermneutique des cas uniques. Ce qui assoit lamthode interprtative (5).

    Les positivistes quant eux, soutiennent tout juste le contraire. Le positi-visme est associ une ontologie tributaire du ralisme qui se concentre surla ralit des faits empiriques, indpendamment de notre conscience leursujet. Les concepts scientifiques correspondent des ralits factuelles. Lebut de lexplication en sciences sociales est identique celui poursuivi parles sciences naturelles : rechercher des lois invariantes qui prennent encompte les lments trouvs dans de nombreuses populations de cas indivi-duels. Ces explications sont lies la dmarche exprimentale et lanalysequantitative avec des variables statistiquement dfinies.

    Le positivisme soppose aussi au postmodernisme. En effet, selon le positi-visme, le monde existe objectivement et les images dans lesprit de lhommereprsentent la ralit travers lobservation. Le postmodernisme rejettecette conception des images comme rfrents rels. Le monde est textuel,cr par un entrelacement du discours et du texte. Cela veut-il dire que lepostmodernisme rsorbe toutes les bances du positivisme ? Non, bien sr.Il nest pas mieux inform pour offrir une analyse acceptable de la maniredont les hommes construisent activement un pont entre le signe et le rf-rent, entre la ralit et la thorie. Ce qui a pour consquence une oscillationentre une multiplicit dagents et une diversit de structures. Ni le positi-visme, ni le postmodernisme nessaient dtudier ou de dcrypter les lutteshumaines afin de construire leurs relations interactives dune part, et leurscoexistences avec la nature dautre part, via la standardisation des signes,des normes et des rgles. De tels manquements rendent difficile la thorisa-tion, dans la vie humaine, des rgularits qui rsultent de lactivit delusage des rgles (6).

    Le rflexivisme ouvre ainsi la voie une prolifration mtathorique, cequi pousse certains sociologues qui sen rclament rouvrir la voie plura-liste (7). Nanmoins, le pluralisme dont il est question ici nest pas celuiinhrent au second dbat. De fait, le pluralisme rflexif reste fidle savocation dtre une mtathorie polyphonique et non pas une architecture

    constructivisme et rflexivisme 315

    (5) Cf. Raymon A. Morrow/David D. Brown, Critical Theory and Methodology, Sage, Londres, 1994,pp. 25-33.

    (6) Les rcentes approches qui adoptent le structurationisme et le constructivisme permettent de sortirde la double impasse positiviste et postmoderniste. Selon ces approches structurationistes, les rgles et lesnormes peuvent tre des dterminants de laction. Les structures et les acteurs sont mutuellement constitus.Le constructivisme libre ainsi les Relations Internationales du postmodernisme en ralliant les vues de cedernier au monde extra-textuel, un monde pleinement vivant, avec ses contingences, un monde cr par leshommes pour leur propre ralisation. Cf. Nicholas G. Onuf, World of our Making. Rules and Rule in socialTheory and International Relations, University of South Carolina Press, Columbia, 1989, 327 pages ; Alexan-der Wendt, Levels of Analysis Vs Agents and Structures, Part III , Review of International Studies,vol. 18, no 2, 1992, pp. 235-270 ; David Dessler, What is at Stake in the Agent-Structure Debate ? , Inter-national Organization, vol. 43, no 3, 1989, pp. 441-473.

    (7) Par exemple, Yosef Lapid, The Third Debate : On the Prospects of International Theory in a Post-Positivist Era , International Studies Quarterly, vol. 33, no 3, 1989, pp. 235-254.

  • dont la prtention serait dlaborer un projet de recherche aux contoursclairs et distincts. Cela explique aussi son caractre relativement moins pol-mique puisque le pluralisme y est demble une vertu. Le troisime dbatnoffre pas une alternative thorique homogne aux autres paradigmes desRelations Internationales. La seule bannire sous laquelle les diffrentesinterventions rflexives se retrouvent est celle dun anti-ralisme trs pro-nonc. Voil pourquoi le rflexivisme apparat souvent comme une discus-sion quelque peu trique, reste simplement dans lantichambre de lanti-ralisme.

    Outre cette perception qui sapparente un jugement de valeur ngatifet qui en limite la porte, la critique rflexiviste du rationalisme thoriquecible le manque de dynamique endogne lidentit des acteurs. Larflexion individuelle et sociale capable de provoquer des changements dansles prfrences et les visions de la causalit est tout simplement ignore. Lesprfrences, dit-on, sont fixes une fois pour toutes. Or, cette prtentiondoptions fixes exclut une meilleure comprhension des modificationsmajeures lintrieur des institutions humaines. Les thories rationalistesobscurcissent plus quelles nclairent les sources des choix politiques desEtats. Le rsultat, selon Ashley, cest une attitude foncirement a-historiquedu monde politique, qui a rifi les agencements politiques et culturelscontemporains en rejetant lhistoire comme processus et la signification his-torico-spatiale de la pratique (8). Le rationalisme ne nous apprend rien ence qui concerne les valeurs que promeuvent les institutions. Les variationsculturelles sont, pour elles, un domaine o la thorie se doit dtre aphone.Le rflexivisme comme son nom lindique, se penche prioritairement sur lereflet de soi, sur limage de soi laquelle on adhre, bref, sur lidentit. Jus-tement, pour resituer la notion dimage et lui donner sa juste place afin deredcouvrir la construction sociale de lacteur, Nicholas G. Onuf va parler,pour la premire fois en Relations Internationales, du constructivisme (9).

    Arms de tous ces prsupposs, cest ce constructivisme, ce social-constructivisme, en somme, cette thorie sociale des Relations Internatio-nales que cet article entend prsenter. Nous ne ferons pas cho auxvariantes post-modernistes du constructivisme, mais lcole reprsentepar Alexander Wendt, cest--dire, celle qui tente de rsorber lcart entrerationalisme et rflexivisme. Le texte se dploie en trois grands axes : ilsouvre par ltude des rapports entre le constructivisme et les thories no-utilitaristes ; ensuite, il explore les lectures constructivistes des thmes tradi-tionnels des Relations Internationales : intrt, structure, systme, institu-

    thierry braspenning316

    (8) Richard K. Ashley, The Poverty of Neorealism , in Robert O. Keohane (dir.), Neorealism and ItsCritics, Columbia University Press, New York, 1986, 290 pages.

    (9) Nicholas G. Onuf, World of our Making : Rules and Rule in Social Theory and International Relations,University of South Carolina Press, Columbia, 1989, 327 pages.

  • tions, anarchie, puissance ; larticle sachve sur une valuation du statut dela rflexivit en Relations Internationales.

    Au commencement tait la pratique...

    Les constructivistes sappliquent combler le gouffre idel laiss bantpar les no-ralistes et les no-libraux rests no-utilitaristes (10) paressence. La rampe de lancement de lapproche constructiviste est constituedes omissions accumules par les thories existantes. La confrontation ter-minologique concerne surtout le degr dinfluence de lacteur sur la struc-ture (lanarchie et la distribution de la puissance) par rapport au processus(linteraction et lapprentissage) et aux institutions. Pour scruter laconstruction sociale de la ralit internationale, le constructivisme avancedeux hypothses bien dveloppes par J. Checkel : lenvironnement danslequel les acteurs oprent est la fois social et matriel ; ce cadre peutfournir aux acteurs lintelligibilit de leurs intrts (11).

    Lapproche constructiviste repose sur la dimension intersubjective desrelations politiques en gnral. Les Etats sont des existants culturelsayant la capacit et la volont dadopter des attitudes dlibres lgarddu monde et de lui donner sens. Cest cette capacit qui permet de donnernaissance aux faits sociaux, des faits qui dpendent de laccord des parte-naires rationnels, dinstitutions humaines pour exister (12). Lidentit etlintrt des acteurs sont socialement construits. Certes, le comportementdes acteurs subit des contraintes de divers ordres, mais on ne peut en fairele sujet dtude exclusif de lentreprise des Relations Internationales commele font les no-utilitaristes.

    Le no-utilitarisme

    Le no-ralisme et le no-libralisme sont rationalistes. Ceux-ci parlentdes identits et des intrts comme des donnes exognes et se focalisent surla question du pourquoi . Pourquoi le comportement des acteurs gnre-t-il des actions de tel type, des actions prcises ? Cest donc une conceptioncomportementaliste des processus et des institutions. Lacteur peut changer

    constructivisme et rflexivisme 317

    (10) Pour lesquels les interactions entre les Etats sont le rsultat de leurs calculs respectifs. John G. Rug-gie, Constructing World Polity. Essays on International Institutionalization, Routledge, Londres, 1996,312 pages.

    (11) Jeffrey T. Checkel, The Constructivist Turn in International Relations , World Politics, vol. 50,no 2, 1998, pp. 324-348.

    (12) Cf. John R. Searle, La Construction de la ralit sociale, Gallimard, Paris, 1998 (trad. Cl. Tierce-lin), pp. 35-45.

  • de comportement mais pas didentit ni dintrt (13). Les no-utilitaristescontinuent de considrer que les acteurs centraux en relations internatio-nales sont les Etats. La scurit y est dfinie en termes gostes. Le rationa-lisme rduit le processus relationnel aux dynamiques conflictuelles entreacteurs extrieurement constitus. Cet individualisme ontologique contreditlintersubjectivit ncessaire la pleine ralisation des phnomnes de lathorie des rgimes. Autrement dit, les no-ralistes interprtent diffrem-ment lanarchie internationale.

    Que disent-ils ? Lanarchie est ncessairement inhrente au systme indivi-dualiste gnrant la dynamique comptitive du dilemme de la scurit et ladifficult de mener des actions conjointes. Etant donn que les Etats qui nepeuvent se conformer cet individualisme ontologique seront balays ouexcommunis du systme, seuls lapprentissage et ladaptation comporte-mentale sont possibles et salvateurs. Lapprentissage complexe quimpliquela redfinition de lintrt ne lest pas, le jeu savrant compltementlibre (14). Le no-libralisme concde au no-ralisme le principe de la puis-sance causale de la structure anarchique. Cependant, il affirme, en senscontraire, que ce processus peut gnrer des attitudes coopratives dans unjeu rglement.

    Alexander Wendt, lun des prcurseurs du constructivisme, isole deuxgenres de no-libralisme : le fort et le faible. Le no-libralisme faible sou-tient que lanarchie constitue des Etats avec des identits gostes ext-rieures la pratique; il accepte la force causale de lanarchie de manire for-melle et substantielle, et quelques ides rationalistes. Ce sont en fait priori-tairement des ralistes avant dtre des libraux (15). Ils ne dpassent leslimites du ralisme que si les interactions internationales peuvent changerla rigidit de la puissance et des intrts (16). Lautre courant, le no-libra-lisme fort, est plus proche du constructivisme. On y rencontre les notionscardinales de lapproche constructiviste : lapprentissage complexe (17), le

    thierry braspenning318

    (13) John Turner/Penelope Oakes, The Significance of Social Identity Concept for Social Psychologywith Reference to Individualism, Interactionism and Social Influence , British Journal of Social Psychology,no 25, 1986, pp. 237-252 ; John Turner/Richard Bourhis, Social Identity, Interdependance and the SocialGroup : A Reply to Rabbie et al. , in Peter W. Robinson (dir.), Social Groups and Identities, ButterworthHeineman, Oxford, 1996, pp. 25-63.

    (14) Voyez la diffrence entre le jeu libre et le jeu rglement chez George H. Mead, LEsprit, lesoi et la socit, Presses Universitaires de France, Paris, 1963 (trad. J. Cazeneuve, E. Kallin et G. Thi-bault), pp. 130-139.

    (15) Alexander Wendt, Anarchy is what States make of It : The Social Construction of Power Poli-tics , International Organization, vol. 46, no 2, 1992, pp. 391-425.

    (16) Stephen Krasner, Regimes and the Limits of Realism : Regimes as Autonomous Variables , Idem,International Regimes, Cornell University Press, Ithaca, 1983, pp. 355-368.

    (17) Joseph S. Nye, Nuclear Learning and US Soviet Security regimes , International Organization,vol. 41, no 3, 1987, pp. 371-402.

  • changement de la conception de soi et des intrts (18), et la conceptionsociologique des intrts (19).

    Les auteurs qui se rattachent cette variante ont une conception plusforte du processus dinteraction et des institutions en relations internatio-nales. Ils sont plus prudents sur le privilgement de la structure sur leprocessus, dans la mesure o les mutations de lidentit et de lintrt tra-vers le processus dchange sont aussi des transformations de la structure.Lapport du no-libralisme fort par rapport la version faible, est daccor-der une plus grande importance aux institutions internationales et auxvaleurs quelles essaient de vhiculer. La structure institutionnelle nestmodifie, repense, que par le biais de la transformation de lidentit et delintrt. Ds lors, la question de dpart dans cette toile constructivisterevt une simplicit et une exigence de base : comment les pratiques bienformes (lhabitus au sens de Bourdieu), construisent-elles une identit et unintrt qui lui est consubstantiel ?

    Les axiomes du constructivisme

    Le constructivisme se penche sur la nature des acteurs (Etat, groupe etindividus) et sur leurs relations aux environnements structurels plus larges.La philosophie est celle dune constitution mutuelle dans laquelle aucuneunit danalyse acteur/structure nest rduite lautre. Lintrt desacteurs merge de et est endogne linteraction avec la structure aupremier niveau, et dautres acteurs, au second niveau, sans quaucun naitla primaut analytique sur lautre. Tout se passe par le biais de la pratiqueet des normes qui donnent sens laction. En labsence de ce cadre de prati-que, de cette structure normative, les actions seraient dnues de sens. Cesont des normes de symboles constitutifs qui montent en pingle une iden-tit accompagne toujours dun intrt et dactions spcifiques qui permet-tent aux autres de percevoir cette identit comme telle et dy rpondre parune action approprie ou pas, en cas de mauvaise perception.

    Les acteurs agissent lgard dobjets aussi bien que dautres acteurs, surla base du sens que ces objets et acteurs ont pour eux (20). Tel est le premieraxiome constructiviste (21). Le deuxime que nous pouvons mobiliser est lesuivant : le systme des Etats est enchss dans une socit dEtats quicomprend un ensemble de rgles, de valeurs et dinstitutions communmentacceptes et rgulant la vie internationale. Le chemin est tout trac : conci-lier et dpasser lobjectivisme des structures du systme international ind-

    constructivisme et rflexivisme 319

    (18) Robert Jervis, Realism, Game Theory, and Cooperation , in World Politics, vol. 40, no 2, 1988,pp. 317-349.

    (19) Robert O. Keohane, International Liberalism Reconsidered , in J. Dunn (dir.), The EconomicsLimits to Modern Politics, Cambridge University Press, Cambridge, 1990, pp. 165-194.

    (20) Ami ennemi rival.(21) Lide est dHerbert Blumer : cf. Symbolic Interactionism : Perspective and Method, Prentice-Hall,

    Englehood Cliffs, 1969, pp. 18-19.

  • pendant de laction des acteurs et le subjectivisme de ces mmes acteurs,cest--dire leurs modes de reprsentation et leurs actions.

    Dans le cadre de l idalisme structurel (22) ainsi dfini, les contraintesstructurelles et les interactions des acteurs entretiennent une relation dialec-tique au cours de laquelle les contraintes structurelles ne sexercent pasindpendamment des motifs et des raisons quont les acteurs de ce quilsfont. Retour la pratique donc. Retour aussi, cela on lavait dj pressentiet not, lanarchie, la coopration, la construction des identits, linteraction. Mais aussi ouverture au rejointoignage des intrts et lad-rification des structures.

    La d-rification des structures, des identits et des intrts

    Lidentit fournit une image de lautre en mme temps quelle projette lesoi. Par son identit, lacteur ouvre un espace de prdictibilit. Cest parceque tel acteur a telle identit quil se comporte de telle faon et non de telleautre (23). Un monde sans identit ou aux identits hypertrophies serait unmonde chaotique, imprdictible, vou aux angoisses de lincertitude. Liden-tit remplit donc deux fonctions ncessaires : elle permet lego de savoirqui est lalter et inversement ; elle prcise un stock dintrts et de prf-rences eu gard aux choix daction dans un domaine particulier et auxacteurs spcifiques (24). Un Etat ne comprend les autres que via les iden-tits quil leur attribue. On nest donc pas forcment matre de son identit.On peut mme en devenir esclave. Seule la pratique quotidienne peut don-ner lEtat loccasion de consolider ou de corriger son identit, son image :la structure intersubjective est larbitre du sens. Linteraction permet auxacteurs de tester des identits construites quils se sont mutuellement attri-bues.

    A titre illustratif, durant la Guerre froide, les pays de lEurope de lEstassimilaient lUnion sovitique la Russie, malgr les efforts de cette der-nire pour viter une telle image. Lidentit russe tait donc prisonnire des ides que se faisaient les Europens de lEst, mais aussi de la pratiquequotidienne qui impliquait, bien sr, le russe comme langue vhiculaire (25).

    Lidentit est, du point de vue constructiviste, une question empirique,qui doit nanmoins tre thorise dans un contexte historique. Les identitssont variables, elles dpendent en grande partie des contextes historico-

    thierry braspenning320

    (22) Alexander Wendt, Social Theory of International Politics, Cambridge University Press, Cambridge,1999, p. 2.

    (23) Cest aussi parce quil se comporte dune certaine faon quil a une identit prcise.(24) Ted Hopf, The Promise of Constructivism in International Relations Theory , International Secu-

    rity, vol. 23, no 1, 1998, pp. 171-200.(25) Cet exemple est tir dAlexander Wendt, Anarchy is What State of It : The Social Construction

    of Power Politics , International Organization, vol. 46, no 2, 1992, pp. 391-425. Sur lidentit et lintercom-prhension, cf. Roxanne L. Doty, Aporia : A Critical Exploration of the Agent-Structure Problematic inInternational Relations Theory , European Journal of International Relations, no 3, 1997, pp. 365-392.

  • culturels et socio-politiques. Ces rflexions mnent loin. Lidentit de lac-teur sinscrit dans une temporalit fondamentale. Elle est loin dtreimmuable. Cette variabilit est aussi la possibilit de dpassement dumodle de la prsomption de la souverainet de lacteur sur soi, de la fiertde lacteur fort. Ainsi, le risque subjectif, cest que lEtat a perdu ses qua-lits classiques de sret, de matrise de soi et de son image, de soi et de sondestin. Lacteur acquiert un nouveau statut paradoxal : le maintien de soiexiste toujours dans le constructivisme, mais il se ralise de lextrieur,comme disponibilit lentretien par lautre.

    Vu sous langle no-raliste, les Etats, seuls acteurs des relations interna-tionales, faut-il le rappeler, ont une identit unique, a-temporelle, inva-riable, rigide, donne ex ante une fois pour toutes. Cela est vrai si londtache compltement les intrts des pratiques sociales qui constituent lesacteurs et les structures. La non-contextualisation des intrts et leur rifi-cation sont, comme le note Robert Keohane, des faiblesses majeures dupositivisme international (26). Cependant, puisque lintrt est le produit delidentit et que celle-ci se dmultiplie et se transfigure, le constructivismecarte de son enqute des intrts qui prexisteraient ad vitam aeternam laction et au comportement rels des acteurs concerns (27). Lapprochesociale tudie lclosion ou non, la consolidation ou le dmantlement ven-tuel dune identit et dun intrt qui lui est concomitant. Lintrt ne sur-vient que par la pratique sociale. Les pratiques sociales qui construisent uneidentit ne peuvent que trs rarement entraner des identits qui seraientnon conformes aux pratiques et aux structures qui ont chafaud sa sourceoriginelle : lidentit.

    Identit et intentionnalit collective

    De ce qui prcde, on retiendra que lidentit est relationnelle. Nousallons nous y arrter. Il faut sy attarder car cest lun des picentres quidevra encore mobiliser nos ressources intellectuelles pendant un certaintemps. Mais ne jetons pas lancre ici. Explorons lau-del de la surface afinde quitter le terrain des truismes.

    Et dabord, cette citation en guise douverture du rideau scnique dialo-gal : [L]identit, avec son attachement adquat de la ralit psychologique, esttoujours identit au sein dun monde spcifique socialement construit (28).Chaque personne a plusieurs identits relies des rles institutionnels :frre, sur, professeur, citoyen... De faon similaire, lEtat peut se prvaloirde multiples identits : souverain, faible/fort, terroriste, puissance impriale/

    constructivisme et rflexivisme 321

    (26) Robert O. Keohane, International Institutions : Two Approaches , International Studies Quar-terly, vol. 32, no 4, 1988, pp. 379-396.

    (27) Jeffrey W. Legros, Culture and Preference in the International Cooperation Two-Steps , Ameri-can Political Science Review, vol. 90, no 1, 1996, pp. 118-137.

    (28) Peter Berger, Identity as Problem in the Sociology of Knowledge , in European Journal of Socio-logy, vol. 7, no 1, 1966, pp. 32-40.

  • civilisatrice... (29) Lattachement et la prvalence d une identit par-ticulire varie, mais chaque identit est ontologiquement une dfinitionsociale de lacteur fonde sur les thories que les acteurs ont deux-mmeset des autres.

    Linstitutionnalisation de lidentit et de la menace apporte, paradoxale-ment, la scurit. Lorsque lobjet de la peur a t clairement identifi, onsait mieux ce qui est menac et quelle attitude, quelle stratgie peut aider sen prmunir. La survie est une question didentification. Elle est uneinterrogation sur le qui , le quoi , le pourquoi et le comment . Quiou quest-ce qui est menac? Par qui ou quoi ? Pourquoi ? Comment en sor-tir? Ces interrogations assurent aussi le passage de langoisse du nimportequoi , du dsordre ontique sans objet, la peur de (30). Les reprsenta-tions sociales que sont les institutions insrent la peur dans un cadre quiscurise lenvironnement systmique.

    Au sens large, linstitution est une structure didentits et dintrts quitend asymptotiquement vers la stabilit. Ces structures sont souventcodifies dans des normes formelles et nont de force quen vertu de la socia-lisation des acteurs et de leur participation la connaissance collective. Lesinstitutions sont donc des entits cognitives qui nexistent pas en dehorsdes ides des acteurs sur la faon dont le monde fonctionne. La souverai-net, lgosme international, lEtat, lONU sont, chacun leur niveau, desinstitutions. Leur existence dpend de rgles constitutives et rgulatrices.

    Le no-ralisme de mme que le no-libralisme nont que des rgles rgu-latrices dans leur thorie. Ils nont pas de thorie des rgles constitu-tives (31). La saisie de la distinction rgles constitutives rgles rgulatricesremonte John Rawls (32). John Searle la reprend dans un ouvrage quimarque son tournant constructiviste et le passage la philosophiesociale (33). Certaines rgles ne font quharmoniser le dveloppement duneactivit. Elles peuvent apparatre avant, pendant ou aprs la cration duneactivit. Ce sont des rgles rgulatrices (34). Les rgles constitutives ont enrevanche un statut plus fondamental parce quelles sont endognes audroulement de lactivit dsigne. Elles crent la possibilit mme delactivit. Exemple, le jeu dchecs. Pour quil y ait jeu dchecs, on a creles rgles en mme temps que le jeu : les deux sont lis. Si vous liminezces rgles, il ny a plus de jeu dchecs. Selon Searle, les faits institutionnels

    thierry braspenning322

    (29) Cf. Kal Holsti, National Role Conception in the Study of Foreign Policy , International StudiesQuarterly, vol. 14, 1970, pp. 233-309.

    (30) Cf. Thierry Braspenning, Group Identity and the Desintegration of the Modern Link betweenSecurity and Fear , contribution prsente loccasion de la Graduate Conference in Political Theory lUni-versit dEssex, 12-13 mai 2000, 12 pages.

    (31) John G. Ruggie, What makes the World Hang Together ? Neo-utilitarism and the Social Construc-tivist Challenge , International Organization, vol. 52, no 4, 1998, pp. 855-885.

    (32) John R. Rawls, Two Concepts of Justice , Philosophical Review, vol. 64, no 1, 1955, pp. 3-32.(33) John R. Searle, La Construction sociale de la ralit, Gallimard, 1999 (trad. Cl. Tiercelin), pp. 20-

    55.(34) Ibid., p. 46.

  • ne sont prsents qu lintrieur des rgles constitutives. Cest lensemble,lossature, larsenal des rgles constitutives qui est la condition dexistencedes faits institutionnels (35). Les rgles constitutives sont la fondation insti-tutionnelle de la vie sociale. Aucun pan de lactivit humaine ou autre lexception de lactivit animale nest imaginable sans une gamme dergles rgulatrices.

    Plusieurs institutions sont sdimentes au point quon en vient oublierquelles sont le fait de rgles constitutives, que leur prennit dpend de lin-tentionnalit collective. Entendons-nous bien, lintentionnalit collectiveest, dans ce cas prcis, le fait davoir en commun des tats dits intention-nels (36) : croyances, volont de puissance ou de coopration. Tout fait quiimplique une intentionnalit collective est un fait social (37). En outre, lesfaits institutionnels nen sont quune sous-classe parmi dautres (38). Lin-tentionnalit collective cre du sens. Elle tablit le cadre de comprhensionintersubjective qui inclut un partage des conditions dmergence des institu-tions, les buts quelles servent, leurs grammaires ainsi que les critresdadhsion, de suspension et dexclusion.

    Lanarchie et la socit internationale

    Si la structure est dnue de signification en dehors des normes et des pra-tiques intersubjectives, lanarchie, composante structurelle pose axiomati-quement par le no-ralisme (39), na pas de sens sans un minimum de rglesdchanges. En effet, lanarchie ne peut socialiser les Etats aux desiderata dela structure du systme international sil ny a pas des normes et des prati-ques (40). Pour rendre cette assertion plus claire, reprenons une image quiillustre bien propos lextrmisme structurel (41) :

    Le scnario est celui dun incendie qui se dclare dans un thtre. En lab-sence de la connaissance des procdures sociales et des rgles constitutives,les structures, mme dans des circonstances surdtermines, demeurentindtermines. Imaginons, en effet, que ce soit un thtre avec une seuleissue de secours vers laquelle tous les spectateurs, devenus dramatiquementacteurs, se ruent. Qui va y aller en premier ? Les plus forts ou les inaptes?Les femmes ou les enfants ? Ou est-ce une lutte du chacun pour soi ? Pour

    constructivisme et rflexivisme 323

    (35) Ibid., p. 47. Le fait institutionnel saccompagne de lintentionnalit collective et de rgles agentives.Par exemple, lONU a pour rgle agentive , la promotion de la paix. La rgle agentive est la fonction essentielle attribue une entit.

    (36) Ibid., pp. 40-44.(37) Ibid., p. 45.(38) Ibid., p. 44.(39) Robert Jervis, Cooperation Under the Security Dilemma , World Politics, vol. 30, no 2, 1978,

    pp. 167-214.(40) Ronald L. Jepperson/Alexander Wendt/Peter J. Katzenstein, Norms, Identity, and Culture in

    National Security , in Peter J. Katzenstein (dir.), The Culture of National Security. Norms and Identity inWorld Politics, Columbia University Press, New York, 1996, pp. 33-78.

    (41) Ted Hopf, The Promise of Constructivism in International Relations Theory , International Secu-rity, vol. 23, no 1, 1998, pp. 173 et s.

  • apporter un dbut de rponse ces questions, il faut connatre le contexte,cerner la situation plus que la distribution de la puissance matrielle ou dela structure dautorit. On doit aussi connatre la culture, les rgles, les ins-titutions, les procdures et les jeux sociaux qui constituent aussi bien lesacteurs que la structure anarchique concerne. Comme la situation duthtre en feu le montre, lanarchie reste indtermine lorsque des pratiqueset des normes sociales font dfaut. Chaque acteur a une manire de perce-voir et de lire une situation anarchique. Prise isolment, cette lecture ne faitsens que pour soi. Pour faire sens collectivement, il faut des rgles sociales.Lanarchie nest pas a-temporelle, a-contextuelle, elle est ce que les acteursen font (42). Le pouvoir des jeux sociaux gt dans leur capacit reproduireles significations intersubjectives qui forment les acteurs et les structuressociales.

    Un exemple, un seul : lintervention de la France au Rwanda en 1994tait compatible avec un certain nombre didentits (dfenseur des droits delHomme et du droit dintervention humanitaire, mais aussi imprialiste,alli du pouvoir en dliquescence). Mais une chose est dattribuer une iden-tit, une autre est de la voir se confirmer dans la pratique. Ainsi, lidentit garant de laide humanitaire sest-elle concrtise par la construction descamps et la fourniture de laide alimentaire et sanitaire aux civils touchspar le gnocide. Evidemment, pour dautres, lintervention ntait que lex-pression dun attachement personnel au pouvoir en place, telle que leconfirme le rapatriement en premires urgences de la famille Habyarimanaordonn, semble-t-il, par le Prsident Mitterrand lui-mme (43).

    En ce sens, les pratiques sociales, non seulement reproduisent lacteur travers son identit, mais aussi la structure sociale interactionnelle via laperception sociale. Linteraction joue galement un rle de rducteur descarts et des horizons dincertitude permettant ainsi la prdictibilit lint-rieur dune communaut socialement structure. Nicholas Onuf parle dauto-rgulation rflexive (reflexive self-regulation), ce qui parat plonasti-que en soi. La rflexivit renvoyant toujours au soi, que serait une auto-rgulation non rflexive ? (44) Le pouvoir de la pratique nest donc riendautre que celui de produire, de construire et de reconstruire un sens inter-subjectif dans une structure sociale qui se mtamorphose au gr des mouve-ments actantiels (45). La pratique donne sens aux actions des membres

    thierry braspenning324

    (42) Alexander Wendt, Anarchy is what States make of it : The Social Construction of Power Politics ,International Organization, vol. 46, no 2, 1992, pp. 391-425.

    (43) Cf. Filip-X. Verschave, Connivences franaises au Rwanda , Le Monde diplomatique, mars 1995.(44) Nicholas G. Onuf, World of our Making : Rules and Rule in Social Theory and International Rela-

    tions, University of South Carolina Press, Columbia, 1989, p. 62.(45) Des travaux constructivistes avant la lettre, nous pouvons citer : Robert Jervis, Perception and Mis-

    perception in International Politics, Princeton University Press, Princeton, 1976, 432 pages ; The Logic ofImage in International Relations, Princeton University Press, Princeton, 1970, 276 pages. Jervis reprend plu-sieurs lments cls dvelopps par Goffman, connu pour ses travaux sur la comparaison entre les scnes dela vie quotidienne et le thtre. Voyez par exemple Erving Goffman, The Presentation of the Self in EverydayLife, Penguin Books, Londres, 1990, 251 pages.

  • dune communaut et aux xeno, aux trangers. On est, par la pratique,ramen aux frontires de la signification et de la prdictibilit. Ce qui faitcroire, juste titre, que le constructivisme revient toujours, quoique provi-soirement, au fixisme des thories traditionnelles de la discipline, tantdonn que les relations sociales disciplinent, forment les actions et les rac-tions, quelles ont le pouvoir de construire des communauts entires, ycompris la communaut internationale, en leur fournissant un panel diden-tits et dintrts bien reconnaissables.

    Le changement didentit : dimensions systmiques et psychologi-ques

    Lanarchie, rptons-le, est ce que les acteurs en font. Il y a plusieursvisions de lanarchie internationale, ce qui signifie que les actions des Etats,pour parler de cet acteur prcis, sont plus varies que le simple gosme danslequel le no-ralisme les avait figes. Cela nest que lobservation dun tatdes lieux, laffirmation sans gain dinformation dune vidence. En fait, leproblme nest pas la multiplicit de comprhension de lanarchie : cela, la limite, nest pas dun grand secours. En revanche, dire que ces compr-hensions sont profondment enracines dans des structures sociales, celadevient plus pertinent parce quayant une consquence plus dcisive : lesdiffrentes figures de lanarchie que lon trouve dans les structures socialessont soutenues par le pouvoir de la pratique sociale. Ce pouvoir consiste reproduire, discipliner et contrler lordre et les sens tablis. Ds que le pou-voir de la pratique a sorti tous ses effets, la ralisation du changementdevient difficile, quoique possible. En effet, des acteurs alternatifs avecdautres identits, dautres pratiques et des ressources suffisantes peuventprovoquer la transformation de la scne internationale par le truchementdinteractions denses.

    Nous sommes ce point tents de formuler une thse, peut-tre minime,mais non moins essentielle : ds quil y a diffrence, il y a possibilit dechangement. En revanche, ce nest pas parce que le monde est socialementconstruit quil est mallable souhait. Deux raisons plaident en faveur decette position.

    La premire est lide selon laquelle les systmes sociaux, ds quils sontconstruits, font face chaque membre comme un fait social objectif qui ren-force certains comportements et en dnonce dautres (Cf. Durkheim) : leself-help tend rcompenser la comptition et punir laltruisme ; la proba-bilit du changement dpend des actions dviantes par rapport au scna-rio impos par les exigences de la comptition. Sil ny a pas de vide daction

    constructivisme et rflexivisme 325

  • dans le systme, sil ny a pas despaces de libert, le systme resteraintact (46).

    FIGURE 1

    Un pattern dinteractions intra-systmiques

    (1) iinteraction normale ; (2) interaction biaise ; acteur dviant exclu du systme (47)

    La deuxime raison, cest que les acteurs peuvent aussi sopposer auxchangements systmiques pour prserver leurs intrts personnels. Les iden-tits sont sauvegardes dans le dsir de minimiser et de rduire lincertitudeet la peur, et dans la volont dviter les cots relatifs la rupture des enga-gements contracts lgard des autres parties prenantes danciennes inte-ractions. Le niveau de rsistance quinduisent ces engagements dpend dela pertinence et de lattachement de lacteur son rle (48). Un rle nestpas gal un autre ; de mme, le degr dattachement une identit nestque relatif. Les Etats-Unis peuvent, par exemple, renoncer aussi facilement leur identit de promoteur des droits de lHomme, qu celle de premirepuissance militaire mondiale. Toutefois, pour la plupart des rles, les prati-ques et les informations contraires peuvent crer des dissonances cognitiveset mme une perception de menace, ce qui peut causer des rsistances auxmtamorphoses du soi et donc de la scne sociale.

    Pour ces raisons systmiques et psychologiques, les intelligibilits et lesattentes mutuelles risquent davoir des effets conservateurs constituant desvoies de dpendance que des nouvelles ides propos de lun et de lautreauraient pu dpasser. A travers lexercice, les acteurs sont constamment entrain de produire et de reproduire des identits et des intrts, de choisiractuellement des prfrences quils pourront garder ou vacuer de leuraction plus tard.

    thierry braspenning326

    (46) Cf. ce sujet, Howard Becker, Notes on the Concept of Commitment , American Journal of socio-logy, vol. 66, no 1, 1960, pp. 32-40.

    (47) Les cas de la Libye et de lIraq sont assez paradigmatiques.(48) Cf. Howard Becker, Notes on the Concept of Commitment , American Journal of sociology,

    vol. 66, no 1 1960, pp. 32-40.

  • Post-scriptumComparaison et dbat rflexif

    Le monde vis par le constructivisme est doffice un monde intersubjectifet interculturel parce quil nest pas uniquement celui dun acteur isol,mais bien celui de tous les acteurs reconnus comme tels. En outre, il est faitde significations dont la sdimentation sest ordonne au cours de lhistoire.Il na y donc pas pure homognit ni du ct des acteurs, ni du ct dusystme social international. Les connaissances en prsence ne sont mani-festement pas les mmes pour tous les diffrents acteurs : il y a comme une distribution internationale de la connaissance elle-mme marque par la situation biographiquement dtermine de chacun (49).

    Faisons, par un mouvement rtroactif, un dernier pas au sein du troisimedbat qualifi de rflexif, dans lequel nous avons situ le constructivisme.

    Le dbat rflexif ne cherche pas trancher entre deux approches, mais dcouvrir les lacunes des diffrents paradigmes internationaux. Afin demener bien cette tche, il va insister sur la possibilit de comparabilit deces cls hermneutiques . Cependant, les choses ne sont pas si simples. Onpeut, en effet, dans la volont de diffrencier les paradigmes, adopter troispositions (50). La premire correspond la tradition positiviste de la vrit-correspondance, selon laquelle les paradigmes sont commensurables et com-parables : la comparaison est possible parce que les paradigmes peuvent trevalus la lumire dun principe commun, celui de la correspondance avecle monde rel. La deuxime position rompt, dit-elle, avec le positivisme,tant donn quelle considre que ce qui constitue le savoir, ce sont desconstructions humaines et des conventions sociales : en vrit, cette attituderenoue, malgr elle, avec le positivisme de la premire position, en particu-lier travers lide selon laquelle accepter lincommensurabilit impliquedirectement, sans faille, lincomparabilit des paradigmes. Enfin, les para-digmes rivaux sont incommensurables mais restent comparables : seule cetteapproche est totalement rflexive, car elle reconnat le fait que les principesde ce qui constituent un savoir fiable sont dpendants de la nature ducontexte et du vocabulaire usit par les diffrentes communauts scientifi-ques.

    A la question quel est le meilleur paradigme ? , on peut substituer quelest le programme social, le projet politique qui est appropri aux besoins dela plante ? , quel programme se rfre telle thorie? , quel programme

    constructivisme et rflexivisme 327

    (49) Alfred Schtz, Le Chercheur et le quotidien, Mridiens-Klincksieck, Paris, 1987, pp. 14-15. Il faut dis-tinguer le constructivisme de type phnomnologique de Schtz, qui part des individus et de leurs interac-tions, de celui de Bourdieu, qui part plutt des structures. Cf. cet effet Phlippe Corcuff, Les NouvellesSociologies, Larousse, Paris, 1995, pp. 14-46.

    (50) Mark Neufeld, Reflexivity and International Relations Theory , in W.S. Cox/Cl.T. Sjolander(dir.), Beyond Positivism : Critical Reflections on International Relations, Lynne Rienner, Londres, 1994,pp. 11-35.

  • politico-social, conomico-culturel, normatif, une thorie sert-elle ? (51).Dans la mesure o les paradigmes se valident eux-mmes en termes dac-teurs sociaux et de buts spcifiques, la question de lidentit et de lobjectifpolitique poursuivi consciemment ou non par ceux qui constituent la com-munaut des chercheurs ne peut plus tre vite.

    Dans cette perspective, adopter une position pleinement rflexive, cestprendre conscience des caractres politico-normatifs inhrents une thorieet considrer, dans son tude des faits, une mthode interprtative bien loi-gne du positivisme. Cest ici que semble se situer le vritable tournant durflexivisme : alors que le positivisme sidentifie, en sciences sociales, aumodle des sciences naturelles, qui est pour lui la meilleure mthode derecherche pour lexplication des phnomnes, lantipositivisme rflexif consi-dre que la diffrence entre les deux modes dapproche doit tre tenue. Cequi distingue les sciences sociales, cest la qute dun sens, dune subjectivitopratoire. Il ny a donc rien de tel quune thorie qui soit spare dunepoque, dun espace et dun projet socio-politique. La tche du thoricienest de prendre conscience de ces facteurs et de se faire rflexif sur le proces-sus de thorisation en soi.

    La comparaison entre des paradigmes et des approches incommensurablesest donc non seulement possible, mais aussi ncessaire ds lors que lontend le fondement de lvaluation aux dimensions politico-normatives desentreprises thoriques rivales. Adopter une position pleinement rflexive,cest accepter quen sinsrant dans un paradigme, une thorie, uneapproche, on soutient peut-tre un projet politique spcifique. Cest aussireconnatre quen prenant par exemple lorientation du problem-solving, oncontribue consciemment ou non au maintien dun ordre global bien prcis.Par suite, il est intellectuellement vital de cerner de manire critique, lesmrites relatifs des diffrents projets politiques et des ordres globaux encomptition. Enfin, on accepte que les principes de dfinition de la connais-sance ne sont pas neutres, mais ont un contenu politico-normatif indniablequil faut valuer rationnellement dans nos explications de la politiqueinternationale.

    Le tableau ci-dessous (figure 2) reprend une comparaison cible du ra-lisme et du constructivisme dans leur approche de la ralit internationale.

    thierry braspenning328

    (51) Mark Neufeld, Reflectivity and International Relations Theory , in W.S. Cox/C.T. Sjolander,Beyond Positivism : Critical Reflections on International Relations, Lynne Rienner, Londres, 1994, p. 33.

  • FIGURE 2

    Une comparaison Ralisme-Constructivisme (52)

    Paradigmes (53)

    Pointsde comparaison

    Ralisme Constructivisme

    Unit principale danalyse tat fort Individus (lites), groupes,tat faible

    Mots cls Puissance matrielle, expan-sion territoriale, intrt natio-nal, scurit

    Identits, ides, valeurs, puis-sances matrielle et discursive

    Sources des paradigmes Politique, histoire, conomie(no-ralisme surtout) et phi-losophie

    Politique, anthropologie struc-turale, sociologie et philoso-phie (Libralisme)

    Ethique et droit Lthique est la base dudroit mais elle est inexistantesur le plan international

    Lthique et le droit peuventtre des dterminants de lac-tion des acteurs sur le planexterne

    Propositions principales Les Etats sont constammentamens se battre pourdfendre, promouvoir ouconsolider leurs intrts

    Le systme des Etats estenchss dans une socitdEtats qui comprend unensemble de rgles, de valeurset dinstitutions commun-ment acceptes et rgulant lavie internationale

    Probabilit de changement Faible Forte

    Auteurs principaux H. Morgenthau et K. Waltz P. Katzenstein, N. G. Onuf, J.G. Ruggie et A.. Wendt

    Travaux reprsentatifs H.J. Morgenthau, Politicsamong Nations et K.N.Waltz, Theory of Internatio-nal Politics

    N.G. Onuf, World of ourMaking ; A. Wendt, Anarchyis what State Make of it ; Idem,Social Theory of InternationalPolitics ; J.G. Ruggie ,Constructing World Polity etP. Katzenstein (dir.), TheCulture of National Security

    constructivisme et rflexivisme 329

    (52) Ce schma est tir de Thierry Braspenning, Linteractionisme internationaliste : Constructivismeet scurit globale , Studia Diplomatica, ( paratre).

    (53) Le terme paradigme est usit ici dans un sens trs peu orthodoxe, car au sens classique, le para-digme dsigne un corpus de thories qui ont une perception similaire de ltre et du devoir-tre. Cf. Klaus-Gerd Giesen, LEthique des relations internationales. Les thories anglo-amricaines contemporaines, Bruylant,Bruxelles, 1992, pp. 2-17.