Post on 01-Mar-2018
7/26/2019 Baroni R. 2007 Une Mise a Jour Des Outil
1/17
Lectures lttraires
Volume
dit
par
Chiara Bemporad
et Thrse
Jeanneret
Ce volume
fait le
point
sur
les
diffrents courants
de
la
didactique
de
la littrature
et explore
diverses tentatives
d enseigner la littra-
ture en classe de langue
trangre. Il
part
de
I hypothse
que
la lit-
trature
procure
I apprenant
des
accs la langue si riches
et si
diversifis
que
ce dernier ne
saurait s en
passer.
La manire
dont la
littrature
est institue
en objet d enseignement
est alors cruciale:
elle
doit
rendre I apprenant
attentif
telle
ou
telle
donne
culturelle
et
ses encodages
langagiers, elle
doit
lui
permettre
d identifier
progres-
sivement
un mouvement
de sens
grce
tel
ou tel
regroupement
de
textes, elle doit lui fournir
les outils d analyse
et de
problmatisation
qui
lui
permettent
de
poursuivre
seul sa trajectoire
de
lecture.
Dans
ce
volume,
on dcouvrira les
solutions
proposes
par
des didacticiennes
et didacticiens de
pays
francophones
s attelant
I enseignement
de lit-
tratures europennes
-
souvent franaise, mais
galement
anglaise,
espagnole et italienne
-
pour
lever les difficults
et thoriser les
apports de cet enseignement
de littrature et
en saisir
les
renouveaux
mthodologiques.
ISSN
0014-2026
llil
llil
il ll
lllillllililllllll
I
--
Etudes
de
Lettres
4
.
2007
7/26/2019 Baroni R. 2007 Une Mise a Jour Des Outil
2/17
ruons
DE
LETTRES
Revue
de la Facult des lettres de I'Universit de Lausanne
fonde
en 1926par la Socit des tudes de lttres
LECTURES LITTRAIRES
ET
APPROPRIATION DES LANGUES TRANGRES
Chiara Beuponln et
Thrse
JRNNsn r
Langues trangres:
Quelles
lectures
pour quelles
appropriations
?
PnnvrnB
PARTIE
Du
ct des
didacticiens.
Approches thorques de la
lecture
littraire
Karl
CnNvnr
Lire
du
ct de chez soi. Rhabiliter la lecture
>
Luc
Colls et
Jean-Louis
Dunnvs
Du texte littraire
la lecture
littraire:
les
enjeux
d'un dplacement en classe de FLE/S
Nol ConooNIen
Le
texte
littraire,
en
rgime
postmoderne,
du
primaire
au
tertiaire
Franois
Ross'r
Littrature et
langue
trangre
en
monde
francophone:
au-del
des
poncifs
et
des
alibis
19
7t
Dpuxrvrn PARTTE
Du ct de I'apprenant :
quelles
pratiques
de la
lecture
littraire ?
Chiara Bslvlpon
Attitudes
et reprsentations face
la lecture littraire
en
italien
langue trangre
Arnaud
Bucss
et
Myriam Monz
Littrature
et contextes
105
Tnorsrvrn
PARTTE
Du ct
de l'enseignant:
outils ddactiques
mthodologiques
et
pratiques
pour
l'enseignement
de la littrature
en lngue trangre.
Francine
Crcunsl
Postures
et mdiations pdagogiques
pour
la
lecture
littraire 155
5
UNE
MISE
OUN
DES
OUTILS
NARRATOLOGIQUES
POUR
UENSEIGNEMENT
DE
LA LITTRATURE
Cet
article
propose une mise
jour
des
principaux outils
pdagogiques drivs
de
la
narratologie,
qui
sont aujourd'hui
encore
largement
utiliss
pour
l'enseigne-
ment
de
la
littrature
en classe
de FLE. Il s'agit
avant
tout
de lier les
questions
relatives
la
forme de
I'intrigue
avec celles
qui
concernent
sa
manifestation
dis-
cursive,
et
de rarticuler
par
ailleurs
la distinction entre
et
,
de
manire
mieux clairer
les
liens
entre
la
logique
propre
de I'histoire
narre,
la
forme
potique
de sa
narrativisation,
les lments
relatifs
la scne noncia-
tive
et les effets esthtiques
qui
dcoulent de
son
actualisation par
la
lecture.
Cette
approche
pragmatique,
qui
recontextualise
les outils
narratologiques
et met
en
rapport
les dimensions
potique
et esthtique
des
rcits, vise enn
rappro-
cher
l'nalyse
littraire
de
la
pratique effective de
la lecture,
de ce
qui
fait
l'in-
trt de
cette activit
dans nos
vies
et
qui
tient
des aspects
inextricablement
cognitifs
et
passionnels.
L Introduction
Cette tude
vise
faire le
point
sur
certains outils
drivs
des
travaux
narratologiques rcentsl
pouvant
tre
utiliss en
classe de FLE,
soit
pour traiter
directement
des
questions
de
langue (par
exemple I'usage
des temps
verbaux en
franais
pour
raconter
une
histoire)
soit
pour
soutenir des
activits
de
production
ou d'interprtation:
rsum,
arti-
culation des
parties
du discours,
reprage
des
marques nonciatives,
I
La
plupart
de ces
rflexions sont tires
de
mon ouvrage,
La Tension narrative,
et de
I'article de Jean-Michel
Adam, Gilles
Lugrin et Franoise
Revaz
paru
en
1998
intitul
.
53
87
t29
7/26/2019 Baroni R. 2007 Une Mise a Jour Des Outil
3/17
t76
ETUDES
DE LETTRES
analyse
des effets
potiques,
rflexions
sur la
construction
de l intri-
gue,
etc.
Dans
un
premier
temps,
j introduirai
ces notions
dans un
langage
clair, en vitant d entrer
dans
des discussions
thoriques.
Ces
explications visent
tre accessibles
des
apprenant e.s
avanc.e.s
et elles devraient
pouvoir
tre
rutilises
en classe de
FLE
sans
trop
d altrations. Les
points
introduits
paratront
peut-tre
banals
pour
les
enseignant e.s, et en
effet,
ils
relvent en grande
partie du bon
sens
et de I exprience que
nous
faisons
quotidiennement
des fictions
qui
nous
entourent.
Cette banalit
doit
cependant
tre
considre
comme
rassurante: il
est vident
que
nous
sommes
tous comptents pour
lire
un rcit
de
ction,
il n y a ds
lors
pas
de raison d attendre
d une
tho-
rie littraire qu elle
soit surprenante
par
rapport
notre
pratique
quoti-
dienne
et notre langage
commun. Tout
au
plus peut-on
esprer
qu elle
formalise
cette
exprience,
qu elle
fournisse
un lexique
de notions
adquates, mieux
dfinies
et bien articules, qui
rende
la lecture
un
peu
moins transparente,
qu elle
enrichisse l usage
intuitif
du texte
et nous
ouvre
de nouvelles
perspectives
sur la manire
dont le
rcit
oriente notre
interprtation.
Recourir
une
thorie littraire,
ce n est
au
fond
que chercher
des
mots pour raconter l exprience
esthtique et
pour
tenter
d en
comprendre
les fondements potiques.
Il
faut
cependant
prciser
que
les
travaux des
narratologues
struc-
turalistes,
puis
ceux
des linguistes
qui
s en sont inspir.e.s,
ont
sou-
vent
masqus
certaines de
ces vidences
ou
les
ont
rendues
difficiles
expliquer dans
le
cadre d une
conception internaliste
du texte.
Or,
ces
travaux
ont
engendr
des outils
pdagogiques
qui
sont aujourd hui
encore largement
utiliss
en classe de
FLE
et
dans les
cours de
litt-
rature franaise.
Ces
instruments
heuristiques
ont
eu
le malheur
de
se
figer une
poque
o toute
l attention
des narratologues
tait
focali-
se
sur diverses formes
de logiques
actionnelles
qui recelaient, pen-
sait-on,
les
cls de la
grammaire
des rcits,
c est--dire
le
fondement
des
rgles
de
structuration
transphrastique
des
textes
narratifs.
Cette
approche
oubliait ainsi
la fois
l exprience
concrte
de la
lecture,Ie
temps
qu elle
rclame
etles
motions
qu elle
suscite. Elle
marquait
galement
le
divorce
des
rflexions
menes
sur la forme
de l histoire
raconte
et sur celle
du
discours
rqcontant.
C est
prcisment
sur
ce
terrain
que
la
(>
2
est venue
complter
les
OUTILS NARRATOLOGIQUES
t71
travaux
d orientation
structuraliste
et apporter
des claircissements
sur
la porte
esthtique
des modles thoriques
antrieurs,
ce
qui
revient
simplement
ractiver des
rflexions
menes depuis
Aristote
jusqu
Sartre.
Il s agissait
de
rappeler
par
exemple
que,
dans
le
rcit,
des
motions3
ou
que
4.
A cela s ajoute
un
autre
problme,
qui
avait ttrait
dans
un
article
dj
vieux de
presque
une
dcennie
mais
qui
n a
malheureusement
pas
reu
I attention
qu il
mritait.
Cet article
de
Jean-Michel
Adam,
Gilles
Lugrin et
Franoise
Revaz intitul
>
remettait
en
question
une
dichotomie
qui
connat
encore
une
grande fortune dans
les manuels
de FLE.
J essaierai
de
montrer
qu il
existe
une faon
relativement
simple
de
conserver
le
pro-
fit heuristique
de
la distinction
introduite
par
Emile
Benveniste,
sans
pour
autant
rduire
la complexit
des textes
en essayant
de
les
ranger
de
force
dans
I une ou I autre
de
ces
catgories.
Il
s agira
avant
tout
de
rappeler
que
cette
distinction
ne
doit
pas
tre
comprise
comme
for-
mant
la base d une typologie
de
textes,
mais
comme
la
mise
en vi-
dence
de I inscription
dans
le texte de
deux niveaux
logiques
propres
toute
reprsentation
discursive
d une
action
qui
ne
se
rattache
pas
directement
la
scne
nonciative
s.
La
deuxime
partie
de
cette tude visera
ensuite
souligner
les
points
de
divergence
existant entre
les
quelques
outils
narratologiques
qui
auront
t
introduits et
certaines
conceptions
antrieures;
il
s agira
galement
d expliquer
brivement
les raisons
d un tel cart.
Cette
mise
en
perspective ne s adresse
donc
qu aux
enseignant e s
de
FLE
et
elle
vise
les faire
rflchir
sur
leurs
pratiques d enseignement
et sur les
3
Aristote,
Potique,
p.
67. Pour Aristote,
ce sont
surtout
la crainte
et la
piti
qui
sont
associes
la tragdie,
mais
les
poticiens
modernes
(notamment
Meir
Sternberg)
mettent
quant
eux
en avant
le suspense,
la
curiosit
et la
surprise.
4
J.-P. Sartre,
Qu esl-ce
que
la littrature ?
5
La
reprsentation
d une action
qui
se
rattache
la
scne
nonciative
res-
semblerait
ces
dont
parlait
usr\n
(Quand
dire, c est
faire),
qui produisent un vnement en
mme temps
qu ils
s y
rfrent. Cf
p.
ex.
I expression:
prononce
par
un ofcier
d tat
civil dans
une
mairie.
oir
G. Prince,
.
7/26/2019 Baroni R. 2007 Une Mise a Jour Des Outil
4/17
.
7 ,8 ETUDES
DE
LETTRES
outils
didactiques
(manuels
scolaires, ouvrages thoriques, ouvrages
de vulgarisation, etc.)
qui
font encore
rfrence dans
le
domaine
de
I analyse des
rcits. Cette
partie plus
critique
ne
prtend
pas
rgler
dfinitivement
des
problmes
trs
anciens et
relativement
complexes,
mais
elle
constitue une simple mise
jour
et
permet pour
le
moins
de
complter
des travaux antrieurs
qui
restent encore,
quand
ils
sont
bien
utiliss,
trs pertinents.
Il
ne
faut donc
pas
voir
dans ces
propos
une vise
polmique
ou
militante,
mais simplement
un effort
d ac-
tualisation d une thorie
narratologique
qui
n est
jamais
reste fige
dans la forme
qu elle
avait
prise
l poque de
son apoge, au milieu
des annes 1960
et
au dbut des
annes 1970, mais qui a connu de
nombreux dveloppements, tant du ct de la
pragmatique,
des tho-
ries
de
la rception
et
de la linguistique nonciative,
que
des sciences
cognitives.
Il
faut enfin
prciser
la
porte
des outils
narratologiques
qui
seront
voqus,
car la conception trs troite
que
je
donne
de I intrigue
(notamment
travers
I articulation
entre
tension
et
composition, entre
nud
textuel
et effets de suspense ou de curiosit)
rend
son applica-
tion
sur des
corpus
de
rcits factuels
assez
problmatique.
Mais
peut-
tre
y
a-t-il
quelque
abus
de
langage6
dans la tendance actuelle
voir de l partout,
dans
le moindre
rcit
de
presse,
dans un
manuel d histoire ou dans
n importe
quel
rcit oral
?
Cette
limitation
de la
porte
de
mon modle
de
I intrigue n est
peut-tre qu une
occa-
sion
supplmentaire de rflchir,
selon I expression de
Dorrit
Cohn,
au
>7, au
rle
particulier
que
jouent
les rcits
littraires
dans nos
vie
et
la force
esthtique
qui
les
caractrise.
J espre
que
cette
tude ne sera
pas
seulement
une aide
pratique pour
les
enseignant e s
de
FLE
mais
qu elle
dmontrera au
passage
que
la
narratologie
reste
une discipline
vivante
(c est--dire
falsifiable
et
en
constante
volution)
et
qu elle
demeure une ressource
fconde
pour
6
L-abus de langage consisterait confondre, sous
I influence des travaux de
P.
Ricoeur
(Temps
et rcit), le
concept
plus
gnral
de
avec
celui
plus
troit
de
. La confusion
porterait
galement
sur
les
rapports
supposs entre les
liens
de
causalit
qui permettent de
saisir rtros-
pectivement I unit
de
I histoire
et les effets de
nouement
et de
dnouement,
qui
rythment effectivement l actualisation du rcit en s appuyant sur les souvenirs
(rtention)
et les attentes
(protention)
du lecteur, mais
qui
tirent leur force de leur
,
de la
temporalit
qui
se
creuse entre ces deux bornes.
7
C est le titre
d un
ouvrage rcent
de
Dorrit
Cohn.
OUTILS
NARRATOLOGIQUES
179
toutes
celles
et
ceux
qui
se
proccupent
de
dvelopper
les
savoirs
des
apprenant e s
confront e s
aux
uvres
littraires.
2.
Une
mise
jour
des
outils narratologiques
2.1.
Forme
de
l intrigue
du
rcit
littraire
La
plupart
des
rcits
littraires
possdent
une structure
appele
intrigue.
Cette
structure
squentielle,
qui
rythme
le texte
au-del
des
limites
de
la
phrase,
s articule
de la
manire
suivante:
une
phase
initiale
de nouemenl
succde
gnralement une
phase
ultrieure
de
dnouement,
qui
vient
clore
le
rcit
ou
un
pisode
de
celui-ci8
Le
dnouement
possde
par
consquent
une fonction
anaphorique,
c est-
-dire
qu il
rpond
aux incertitudes
introduites
par
le
nud,
qui
apparat
pour
sa
part comme
une
forme
de
questionnement
implicite
adress
au
lecteur, comme
un
inducteur d incertitude
encourageant
sa
participation
active
llaboration
du
sens
du texte.
Entre
le nud et
le
dnouement est
intercale une
phase
d attente
caracfrise
par
une
certaine
forme de
rticence
textuelle
dans la
livraison d informations
que
le lecteur
souhaiterait
connatre
d emble.
Par
le biais
de
cette
rticence,
qui
introduit
des
pripties entre le
nud et le dnouement,
le rcit
tient en
haleine le
lecteur,
ce
qui
cre une
tension
donnant
du
relief
la
reprsentation
de l action.
Cette
tension,
dans
le contexte
des
rcits
fictionnels,
n est
pas
vcue
comme
un affect
dsagrable,
mais comme
une dimension
passion-
nante
du discours,
un lment
qui lui
donne du relief,ce
qui
explique
que,
dans
la majorit des
cas, les
lecteurs
se
gardent
de
lire
I avance
les dernires
pages
du
livre
dans lequel
ils sont
engags,
bien
qu ils
soient
impatients de
connatre
le
dnouement
de
I histoire.
A I inverse
de la
plupart
des
discours
fonctionnels, qui
ont
gnralement
pour
mission
de
rsoudre
tJe
tension
externe
dj
prsente
dans
I interac-
tion
(ils
7/26/2019 Baroni R. 2007 Une Mise a Jour Des Outil
5/17
180
ruoBs
DE LETTRES
dcoule de
la
production puis
de la
rsolution d une tension interne
au
discourse,
ce
qui
ne les
empche
pas,
I occasion,
de se
subordonner
d autres
actes
de langage,
par
exemple
lorsqu une fiction
vient tayer
une argumentation ou clarifier une explication.
Aux
phases
de
nouement,
de
priptie
et
de dnouement, s ajoutent
encore, dans
certains
rcits,
des
phases
introductives
et conclusives
qui
correspondent
un
cadrage
prliminaire
de
l action
(description
des
lieux, temps,
personnages,
fonction
d orientation thmatique du
rcit, etc.) et son valuation finale
qui,
dans
les cas les
plus
explicites,
prend
la
forme d une morale.
S tructure dve I opp e de I int ri
g
ue
Cadrage
(lieu,
temps,
personnages,
etc.)
-
Nud
(marquage
d une incertitude
orientant
le
discours
vers
son
dnouement)
-
Pripties
(rticence
textuelle
entretenant
une tension
interne)
-
Dnouement
(rsolution
anaphorique
de
I incertitude introduite
par le
nud)
Evaluation/Conclusion
(donnant
du sens ou
tirant
une leon
des
vnements)
2.2. Deux modalits alternqtives
de la
mise
en
intrigue
On
observe
deux formes
principales
de
mise en intrigue.
Dans
le
premier
cas,
l intrigue
repose sur une nigme
initiale et sur
sa
rso-
lution diffre. Le
nud
encourage alors
la
participation
de
I inter-
prte
en
I invitant
produire
lui-mme
un
diagnostic
de
la
situation,
son anticiption du dnouement restant marque
par
une incertitude
jusqu
la
fin de
la
squence.
La rticence
textuelle
se
manifeste alors
surtout par un manque
de
clart
provisoire
dans
I exposition
des v-
nements. Divers lments du rseau
conceptuel de l action sont
sus-
ceptibles
de
faire
I objet
d une reprsentation incomplte: trs souvent,
I intention
d un
personnage
reste nigmatique
jusqu
ce
que
le
but
de son action
soit
atteint,
mais
il
peut
arriver
galement
que
l on
soit
e
Sur
cette distinction,
voir F. Cicurel,
,
p.
291-303.
OUTILS NARRATOLOGIQUES
181
amen
s interroger
sur une
identit
(qui
est
le coupable
?),
un lieu
(o
se trouve-t-il ?), un
accessoire, une motivation, etc. Ce
procd
de mise
en intrigue
est souvent
utilis
dans les incipit des
romans
ralistes, comme
dans
cet extrait tir
du Cousin Pons
deBalzac:
Vers
trois heures de
I aprs-midi,
dans
le mois d octobre de
I anne
1844, un
homme
g
d une
soixantaine d annes,
mais
qui tout
le
monde et donn
plus
que
cet ge,
allait le
long du boulevard des
Italiens,
le
nez
la
piste,
les lvres
papelardes,
comme
un
ngociant
qui
vient
de
conclure
une excellente
affaire,
ou comme un
garon
content de lui-mme au sortir d un boudoir
10.
Dans les
premires
lignes
du
roman,
nous voyons
se
profiler
I effacement de
plusieurs
lments
qui
seraient
ncessaires
une
comprhension
optimale
de I action:
d une
part,
le
sourire
du
person-
nage nous est dcrit indirectement
par
des comparaisons, et
non
par
des causes directes; d autre
part,
nous ignorons
encore un lment
crucial,
savoir
le but du
dplacement,
cette dimension intention-
nelle n tant
probablement
pas
insignifiante
puisque
le
rcit
choisit de
focaliser
d emble notre
attention
sur cette
action.
Il
faudra attendre
le
milieu
du huitime chapitre
(une
trentaine de
pages dans
l dition
Folio)
pour
que
ces
lments
nous
soient
enfin
rvls. Entre-temps,
un rcit circonstanci, revenant sur
plusieurs
dcennies
de la vie
du
personnage,
nous relate
progressivement
le
>
et
la
>
qui
constitueront le mobile
de
la visite, le but
que
cherche
atteindre le
protagoniste
(c est--dire
le
motif de sa visite), et les
causes de son sourire.
Tous ces lments seront expliqus en mme
temps
que
sera
introduite
la
prsentation
de
l accessoire requis,
dfini
comme
le moyen de raliser le but de l opration. Balzac n hsite
pas
mettre en
scne
explicitement
les
incertitudes
et
les hypothses
qu il
prte
son
lecteur:
Si
vous
aviez
t,
l,
vous
vous
seriez
d.emand
pourquoi
le sourire
animait cette figure
grotesque
dont I expression habituelle
devait
tre triste
et
froide
[...].
Mais
en
remarquant
la
prcaution
mater-
nelle
avec laquelle
ce
vieillard
singulier tenait
de
sa main droite un
objet videmment
prcieux
[...]
vous
I auriez
souponn
d avoir
f
o
H. de Balzac, Le Cousin
Pons,p.2l.
7/26/2019 Baroni R. 2007 Une Mise a Jour Des Outil
6/17
r82
ETUDES DE LETTRES
retrouv
quelque
chose d'quivalent
au bichon d'une marquise et
de
I'apporter
triomphalement, avec la
galanterie
empresse d'un
homme-Empire,
la charmante femme
de soixante ans
qui
n'a
pas
encore su renoncer
la
visitejournalire
de son attentiflr.
Si Balzac dfinit un lien
de causalit entre l'objet
et
le
sourire,
il
oriente malgr
tout son
lecteur
dans une impasse
en
activant le
st-
rotype
de
la
dj voqu dans la premire
phrase,
faisant mine de dresser des conjectures
partir
de sa
propre
textuali-
sation nigmatique de la situation narrative. Plus loin, l'interrogation,
qui porte
sur
l'identification
de I'objet mystrieux,
est
reprise
et
la
des-
cription, bien
que
toujours incomplte, s'affine
encore
par
sa mise en
relation avec le contexte
des brocantes, dont on nous dit
que
Pons
est
un amateur c,lair:
12.
Malgr ces
progrs,
il faudra
attendre le moment
ultime de
la
prsentation
de I'objet son
destinataire
pour qu'il
soit
enfin dcrit comme une
13.
Mais
ce
qui qualifie
l'objet avec le
plus
de
per-
tinence, et
que
I'on ne ralise
qu'
ce
moment
prcis,
c'est surtout sa
fonction dans l'interaction
entre
Pons
et sa cousine la
prsidente.
De
la mme manire, ce n'est
que
trs
tardivement
que
la destina-
tion
du
dplacement est
prcise
et
que
le soupon
de
la
visite
galante,
que
Balzac
prtait
son lecteur, est dfinitivement
cart:
>
15.
Uaction
aussi bien
que
I'objet,
qui
en constitue l'accessoire requis,
deviennent
alors limpides, car il est
possible
de
les
mettre en relation avec la bio-
graphie
qui prcde,
dans laquelle
on apprend le
got
immodr du
vieillard
pour
les
,
sa
profonde
avarice
et le fait
que
le foyer
de son cousin reprsente I'une
des dernires
tables
qui
lui demeurent
tt
Ibid.,p. 25,
jesouligne.
t2
lbid..p.3l.
t3
tbid.,p.52.
t4
Ibid.,p.48.
Is
lbid., p.
s2.
OUTILS
NARRATOLOGIQUES
183
ouvertes,
son
principal
tant incarn
par
la
prsidente,
qui
ne supporte
pas
la
compagnie
du vieillard
dont elle a honte.
Cet exemple
dmontre comment tn incipit
ambigu
peut
servir
structurer
une
partie
importante d'un rcit en
dployant
la narrativi-
sation d'une action
simple sur
plus
de
trente
pages.
On constate
par
ailleurs
que
ce travail
de mise en intrigue
par
la curiosit s'accompa-
gne dans
ce cas
d'un retour
des
traces nonciatives: dans
les
termes
de Benveniste, cela correspondrait
une
mise en relief du discours
at
dtriment de
la
transparence
de l'histoire. On
pourrait
imaginer de
r-
crire
le
passage
de manire
aussi cooprative
que possible,
en effaant
toute trace
des instances nonciatives
et en
y
intgrant la description
des lments
qui
sont ncessaires
pour
dsambiguser
I'action:
Vers trois
heures de I'aprs-midi,
dans le mois d'octobre
de I'anne
1844, Sylvain
Pons allait le long du boulevard
des Italiens
pour
se
rendre chez son cousin,
Monsieur Camusot
de Marville. Pons,
un
homme d'une
soixantaine d'annes dont
l'apparence
faisait honte
sa
famille, tait
un avare
qui
n'avait
qu'un
seul autre vice: le besoin
froce de
dner en ville. Aussi
mettait-il tous ses soins
tcher
d'adoucir
l'pouse de
monsieur
de
Marville,
qui
ne
I'aimait
gure,
car
sa
demeure
tait I'une des
dernires adresses o
il avait conserv
droit de
fourchette. Il
se
rendait chez
son cousin dans
I'intention de
solder tous
ses
dners
par
I'offrande d'un objet
de valeur
sa
parente,
une bolte oblongue en
bois de Sainte-Lucie
divinement sculpte.
On constate
qu'une
textualisation
aussi cooprative
possde
un
degr
d'informativit
nettement suprieur
au texte original:
elle se
rapproche
probablement du type de rsum
que pourrait
produire
un
lecteur
qui
tenterait
d'expliquer le rcit
quelqu'un
qui
ne I'a
pas
lu
en
ne retenant
que
les
temps
forts de la squence.
En revanche, une
exposition directe
ne
permet
d'accder
qu'
des
informations super-
flcielles
concernant l'agent
qui
sera
au cur de
I'histoire,
alors
que
restent sous-dtermins
son caractre
(dons
pour
la musique et
pour
la brocante, absence
d'ambition, mode de vie, etc.),
ses
attributs
(rpu-
tation envole,
fortune cache), son
valuation thique
(distance
iro-
nique non dnue de
piti
ou de compassion) et,
surtout, ses relations
avec
les autres
personnages
du rcit
(son
amiti avec Schmuck
par
exemple,
les
raisons de l'inimiti de
la
prsidente,
etc.).
Au contraire,
7/26/2019 Baroni R. 2007 Une Mise a Jour Des Outil
7/17
184 ruBs DE LETTRES
la reprsentation rticente de la situation narrative
permet
de
rattacher
cette
seule
action
(la )
toutes
ces
informa-
tions
qui
seront
exploites
dans
la
suite du
rcit,
et
de
tenir en
haleine
le
lecteur, ds
la
premire
ligne du
roman,
pendant
I introduction
progressive
de
ces
lments.
La deuxime forme de mise en
intrigue
repose sur
un
suspense
qui
est
cr lorsque
le
dveloppement,
I issue ou les
consquences
d un
vnement demeurent
incertains.
Par
exemple,
dans
le
cas
qui
prcde,
aprs s tre interrog sur
la
nature de I action de Pons, on
pourrait
se
demander
si
son
geste
de
rconciliation
sera couronn
de
succs ou
s il
essuiera un
chec
mmorable. L interprte est alors
encourag
produire
un
pronostic
sur le dveloppement ultrieur de
l histoire. La
rticence
textuelle
se
manifeste dans
ce cas
par
un
res-
pect
au
moins partiel
de la
chronologie
des vnements, ce
qui
a
pour
effet
de
retarder I exposition
d informations situes
dans le futur
que
le
lecteur
souhaiterait connatre d emble.
Diverses formes de
situations
actionnelles ou
interactionnelles instables
peuvent
entraner l attente
d un dnouement,
les
plus
frquentes tant
les
suivantes:
-
les buts difficiles
atteindre
(qui
nous
projettent
vers
leur
accomplissement
incertain)
;
-
les
relation
polmiques
(qui
dessinent les contours
d un conflit
devant dboucher sur
une
issue
indcise);
-
les mfaits
ou
les transgressions
(qui
ouvrent sur la
virtualit
d une
sanction
probable
ou
possible);
-
les catastrophes
imminentes
qui
menacent un
protagoniste.
On considre en
gnral que
ces
processus
vnementiels
instables,
qui
fournissent I armature
de
nombreuses
intrigues, se dploient
selon
une
logique
en triade
comprenant
des tapes
marques
par
une
ouverture
des
possibles
actionnels
:
-
une
situation
qui
>
la
possibilit
d un
comportement ou
d un vnement;
-
le
passage
l acte de cette virtualit;
OUTILS
NARRATOLOGIQUES
185
-
I aboutissement
de cette action qui
le
processus
par
un
succs
ou un checl.
Dans
ce schma, l irrversibilil
temporelle
du droulement action-
nel et
la rversibilit
ouverte
par
les alternatives
qui
se
rencontrent
chaque tape
du
processus
produisent
une tension susceptible
d tre
exploite,
sur un
plan
narratif,
pour
crer
du
suspense
enmlant
anti-
cipation
et
incertitude
dans le
processus
interprtatif17. Pour
faire la
synthse
de
ce
qui prcde,
il
s agit
de
distinguer clairement,
quand
on
traite
la
question
de
la mise en intrigue, ce
qui
relve de la
textua-
lisation d un
vnement
marqu
par
une incertitude
provisoire
(niveau
potique),
ce
qui
touche aux efforts
cognitifs
du
lecteur
visant
sur-
monter cette incertitude
et
prenant
la forme
d un pronostic
orient
vers
I avenir
de
I action ou
d un diagnostic
portant
sur son
prsent
ou
son pass
(niveau
cognitif), et ce
qui
relve enf,n d un effet esthtique
dont I identit
(suspense
ot
curiosit) dpend
de
la forme
que
prend
ce
traitement
cognitif, ce
dernier
point
mettant
en vidence des
motions
diffrencies
engendres
par
I incertitude
du
rcit.
Nouement du
rcit narration chronologique
d un
vnement
dont
I issue est
incertaine
reprsentation
provisoirement
obscure
d un
vnement
Type
d activit
cognitive
interprtation
visant
anticiper
le
dveloppement futur de
l vnement
interprtation visant
dsambiguser
l vnement
partir
d indices
pe
de
tension
narrative suspense
curiosit
A
ct de
la curiosit
et
t
suspense,
qui
sont les deux modalits
principales
de
la
tension
narrative,
il
faut enfin mentionner la surprise,
qui
est un
effet
qui permet
de souligner rtrospectivement
l incertitude
16
Voir C.
Bremond, Logique du rcit,
p.
32.
t7
Sur la
question
de cette
rversibilit
qui
ouvre
les
virtualits
de
l action, voir
les travaux dAndr Petitat. Cf.
A. Petitat,
, A. Petitat et
R.
Baroni,
.
7/26/2019 Baroni R. 2007 Une Mise a Jour Des Outil
8/17
186
runBs DE LETTRES
des
pronostics
ou
des diagnostics
produits par
I'interprte
en cours
de
lecture.
La
surprise
a
gnralement pour
fonction de faire
prendre
conscience
des codes
sur
lesquels
s'rige I'interprtation
et
de
renou-
veler
par
ce biais
la comprhension
des
textes.
Par
exemple,
la
surprise
finale
dans un
rcit
policier permet
de mettre en
lumire les normes
qui
dfrnissent
ce
genre
narratif
et
qui
orientent
notre horizon
d'at-
tente:
on
sera
ainsi surpris par
I'intrusion
du hasard dans
l'explication
finale
ou
par l'chec
ou le dcs
de l'enquteur
18.
Lorsque
les
textes
s'cartent d'une
forme
attendue, ils
produisent
ainsi une surprise
plus
ou moins
marque dans
laquelle rside souvent
l'intrt
majeur du
rcit,
o il
trouve
son originalit et son
sens.
2.3.
Voix,
point
de
vue,
ordre et
dure
Pour comprendre
pleinement
la dynamique
de I'intrigue, il
est
nces-
saire
de
tenir compte de la voix
(qui
raconte?)
et
du
point
de vue
(qui
est responsable de l'nonc ?). Si,
dans un rcit
oral,
la
voix
du
narrateur se confond avec celle de l'nonciateur empirique,
les
cho-
ses
sont
plus
complexes dans les
rcits littraires.
Dans une
fiction,
il
importe
de
diffrencier
I'auteur
du
narrateur, car
il arrive
souvent
que
les vnements soient narrs
par
un
personnage
imaginaire
(nar-
ration la
premire
personne),
qui
peut
se
confondre
avec le
prota-
goniste de
I'histoire
(hros
racontant ses
aventures)
ou n'tre
qu'un
personnage
secondaire
qui aurait t tmoin des vnements ou
qui
en aurait
pris
connaissance d'une
manire
ou
d'une autre. Il arrive
galement, dans
un rcit
de
fiction,
que
la voix narrative
ne soit
pas
dfinie explicitement
(narration
la troisime
personne),
ce
qui
tend
donner I'impression d'un rcit objectif. Mme
quand
le
narrateur
n'est
pas
spcifi, il ne
faut
pas
confondre
sa
voix avec
celle
de
I'auteur, car
ses
assertions ne
peuvent pas
tre
simplement
imputes
au
personnage
rel
qui
acritcette
histoire.
t8
Le
premier
cas
est exemplaire
des rcits
policiers
de F. Drrenmatt, notam-
ment La Promesse, et
il
se
retrouve
galement
dans un conte clbre de J. Borges,
La Mort et la
boussole,
que
j'ai
dj
comment
ailleurs
(,,Genres
littraires et
orientation de la
lecture
>).
OUTILS NARRATOLOGIQUES
t87
Que
le rcit
soit
narr
la
premire
personne
ou
la
troisime
per-
sonnele, le
point
de vue adopt
peut
varier
trs souvent, soit
qu'il
reste
distanci
(point
de vue
du
narrateur
omniscient),
soit
qu'il
adopte
la
perspective
limite
de
tel
ou tel
personnage.
Ladoption du
point
de
vue d'un
personnage
est
ralise linguistiquement
par
l'
du discours
20
:
il
peut
s'agir d'une incarnation
dans
des
perceptions physiques
dont
I'horizon
est
limit
(vue,
oue,
etc.),
de
monologues
intrieurs,
de passages
en discours
indirect
libre, etc.
Des variations
du
point
de
vue
I'intrieur d'un rcit
visent
souvent
accentuer ou,
au
contraire,
neutraliser
la tension
de I'intrigue,
ainsi
qu'on peut
le constater dans
ce
passage
tir
du conte
de
Flaubert
Un
Cur simple,
qui
constitue le seul moment vritablement
dramatique
de
la
vie
de
Flicit,
et le seul
galement,
avant
son
apothose
finale,
qui
adopte son
point
de vue,
Mais
quand
I'herbage
suivant
fut
travers, un beuglement
formida-
ble
s'leva. C'tait
un
taureau,
que
cachait le
brouillard.
Il avana
vers
les
deux femmes.
Mme Aubain
allait
courir.
-
Elles
pressaient le
pas
cependant, et entendaient par-
derrire un
souffle sonore
qui
se rapprochait. Ses sabots, comme
des
marteaux, battaient I'herbe de la
prairie;
voil
qu'il
galopait
mainte-
nant Flicit se retourna, et
elle
arrachait
deux mains
des
plaques
de terre
qu'elle
lui
jetait
dans les
yeux.
Il baissait le
mufle,
secouait
les
cornes et tremblait de fureur en
beuglant
horriblement2t.
En l'occurrence,
le
suspense de
cette
scne est
gnr
par
une
situa-
tion conflictuelle et il
est
accentu
par
une
incarnation
du
point
de vue
dans
la
perspective
des agresss. Les
personnages
fuyant leur agres-
seur
lui
font dos et ne
peuvent
ds lors
percevoir
sa
prsence que par
l'ouie
(le
,
les sabots
qui
>.
2r
G. Flaubert, Un Cur
simple,p.55.
7/26/2019 Baroni R. 2007 Une Mise a Jour Des Outil
9/17
188
ruoes
DE
LETTRES
maintenant
>
apparat
pour
sa
part
comme un
cas
de discours indi-
rect libre
-
ou de
>
-
dont
le
caractre
exclamatif ajoute
encore dupathos
la
scne.
L'ordre. Dans un rcit, la chronologie
des vnements
n'est
pas
ncessairement respecte
par
la
mise
en
discours.
Ces
distorsions
tem-
porelles
entre l'ordre
du discours
(la
tlologie) et
I'ordre des
vne-
ments
(la chronologie)
peuvent
prendre
la
forme
d'nalepses (appeles
awsiflshback)
ou
de
prolepses (ouflashforward).Dans
le
premier
cas, l'analepse
relate un
vnement
antrieur
la
srie
dj raconte,
alors
que
dans
le
second,
la
prolepse
introduit
de manire anticipe
un
lment futur de I'histoire. Du fait
qu'elles
rduisent
en
gnral
la
clart
des
vnements
ou
qu'elles
introduisent
par
anticipation
des
lments
nigmatiques, les
prolepses
et les analepses ont souvent
pour
fonction
d'intriguer le
lecteur ou
d'introduire
un dnouement
ayant
une valeur rgressive.
Ilincipit
du
Cousin
Pons
est
exemplaire
de
cet
usage
massif
des
analepses,
qui permettent progressivement
de dsam-
biguser une action nigmatique.
Dans
ce cas, les analepses
servent
dnouer une
nigme
reste
l'tat d'ouverture,
mais
elles
servent
ga-
lement
intercaler un dlai plus ou moins
important
avant
la
rsolu-
tion
complte. On
peut
aussi imaginer des cas de
prolepses
ambigus
visant
accentuer
le
suspense,
comme
dans
cet
exemple
imagin
par
Franois Truffaut:
Un
personnage
part
de chez lui, monte dans
un taxi
et
file
vers
la
gare
pour
prendre le
train.
C'est
une scne
normale
I'intrieur
d'un
film
moyen,
Maintenant,
si avant de
monter
dans
un taxi,
cet
homme regarde
sa
montre et
dit:
>,
son trajet
devient une
pure
scne
de
suspense
car chaque
feu rouge,
chaque
croisement, chaque agent
de
la
circulation, chaque
panneau
indicateur, chaque
coup
de freins,
chaque
manipulation du levier
de vitesse
vont intensifier la valeur
motionnelle
de
la
scne22.
La dure. Le
jeu
d'invention
des
fictions
littraires ne
cesse
de sou-
ligner le fait
que
si la
temporalit des
vnements
peut
tre imagine
comme continue, celle du discours
narratif
qui
relate
cet vnement
est ncessairement discontinue et son
rythme
ne cesse de varier.
OUTILS NARRATOLOGIQUES
189
Le
rcit fait rgulirement
des ellipses
(entre
deux
phrases
peuvent
s'couler
des annes),
on
peut
rsumer une vie
en
quelques
mots,
ou
au
contraire
crire un roman de
plusieurs
centaines
de
pages
qui
ne
nar-
rerait
qu'un
voyage
en
train
de
quelques
heures
(c1.
L
Modification
de Michel
Butor). Cette
extension relative de la reprsentation
discur-
sive de l'vnement
peut
tre
exprime
par
la
mtaphore de
7/26/2019 Baroni R. 2007 Une Mise a Jour Des Outil
10/17
190
ETUDES DE LETTRES
dans I acte de raconter: le
plan
de l nonciation
du discours
(ou
plan
dictique) et le
plan
de I histoire
(ou
plan
digtiquezs).
Le
plan
dictique correspond
tout ce
qui
se
rapporte
I action
de narre
qui
se droule
dans un
temps et un lieu dnis, et
qui
met
en rapport des agents
particuliers
qui
jouent
le rle de narrateur ou
de narrataire, d auteur
ou de lecteur. Tous
ces
paramtres
sont
sus-
ceptibles
de
laisser
des
traces dans
le
discours
-
appeles
traces
nonciatives ol noncs
dictiques
-
qui
forment,
selon les termes
de Benveniste,
.
A I oral, il
s agit
des marqueurs
qui
se rfrent I interaction
discursive actuelle
(jei
tu-
vous
/
ici
/
maintenant)
et lcrit,
ce sont toutes les rfrences relatives
aux activits d criture
et de lecture impliques
par
le texte
26
et aux
contextes auxquels ces activits
renvoient2T. Des
exemples de ces tra-
ces nonciatives
-
prsentes
mme dans les rcits
ralistes les
plus
classiques
-
ont t donns
plus
haut
dans les adresses
que
Balzac
adresse
occasionnellement ses lecteurs.
D une manire
gnrale,
on constate
en effet
que
ces
traces nonciatives sont
plus
nombreuses
quand
le rcit intrigue le lecteur
par
le biais d une reprsentation
nig-
matique de
l action,
car
la matrialit
du discours,
qui
renonce
dans
ce cas la transparence,
tend devenir
plus
visible.
Il arrive cepen-
dant
que
ces traces restent discrtes,
mme dans un rcit
nigmatique,
quand
on adopte la
perspective
limite
d un
protagoniste
menant
une
enqute.
Quant
au
plan
digtique,
il correspond
tout ce
qui,
dans le
texte, se rfre
au monde construit
par
le
rcit et aux
vnements
qui
s y droulent,
qui
correspondent
un vcu f,ctif ou rel disjoint
de
25
En
grec,
deiktikos signifie
>,
deixis
et digsis
.
26 Ainsi
que
nous I avons dj
signal, dans le
texte
littraire,
la distinction
entre narrateur
et
auteur
empirique,
de
mme que
celle entre narrataire
et lecteur
empirique, complique
encore cette distinction
entre
plan
dictique
et
plan
dig-
tique, mais compte
tenu
de
la brivet
de
cette
prsentation,
nous
n entrerons pas
dans le dtail
et considrerons
que
les
noncs dictiques renvoient
indiffrem-
ment
ces
quatre personnages,
rels
ou virtuels, et leurs contextes.
27
La mise
en abyme des activits d criture
et de lecture au
cur de la nar-
ration
est
parfois
associe la figure
de la
qui
a rcemment fait
I objet
d tudes approfondies,
cf.
J.
Pier et J.-M.
Schaeffer, Mtalepses. Entorses
au
pacte
de la
reprsentation.
OUTILS
NARRATOLOGIQUES
191
la
situation actuelle
d nonciation. Dans
ce
>,
on
retrouve
de nouveaux
agents
(les
personnages
de I histoire, protago-
niste,
antagoniste,
etc.), et
de
nouveaux
contextes
(temps
et lieux
de
I action narre). L existence,
dans
tout rcit, de
ces deux
plans
fait
qu il
est
possible,
mme dans une
narration la
premire
personne,
de distinguer
entre un
dictique,
qui
dsigne le
sujet nonciateur
actuel,
et
un
digtique,
qui
se
rfre
au sujet dans un tat
pass,
en
relation
avec
l action raconte:
Il faut absolument
que
je
(sujet
dictique)
te raconte la
fois o
je
(sujet
digtique) suis all au
Cambodge.
Il
existe
plusieurs
formes
de
reprage
de l action
raconte
suivant
que
le
plan
digtique est li
ou, au contraire, indpendant
du
plan
dictique.
Ces diffrents
types de reprage
de I action
correspondent
deux
distincts
du rcit
qui
correspondent
certaines valeurs
des
temps verbaux
propres
la langue franaise:
Pour
construire
un monde rvolu
pass
ou
fictif,
on
a
le choix
entre
une digtisation
sur un mode actualis
-
c est--dire
rattache, lie
I actualit
d un narrateur
-
et une digtisation
sur un mode
non-
actualis
-
c est--dire
dtache
de l actualit de la
voix nonciative.
En franais,
ces deux modes
correspondent
I opposition
du
pass
compos
et du
pass
simple
28.
Il ne s agit
donc
pas
d opposer
systmatiquement
le discours
l his-
toire comme
s il s agissait
de
deux
modes narratifs
opposs, mais
de
tenir compte
d au moins
trois formes
possibles
d noncs, qui
sont
susceptibles
de se rencontrer
dans n importe
quel
type de rcit,
qu il
soit littraire
ou
non,
et
qui
articulent
diffremment
ces
deux
plans
dictique
et digtique
:
28
J.-M.
Adam,
G.
Lugrin,
F. Revaz,
r,
p.
90.
I
7/26/2019 Baroni R. 2007 Une Mise a Jour Des Outil
11/17
t92
DIEGESIS
ou HISTOIRE
monde
construit
par
le rcit
personnages
de 1 histoire
temps et lieux de
l action
raconte
nonc
digtique
pur:
ruoBs
DE LETTRES
\/
DEIXIS ou
DISCOURS
situation nonciative
:
narrateur
et
narrataie
temps et
lieu
de l nonciation
et de
la du
discours
nonc dictique
pur:
nonc digtique
li
la
situation nonciative
:
OUTILS NARRATOLOGIQUES
r93
rcits historiographiques).
Il
faut
nanmoins
prciser
que
des
marques
dictiques occasionnelles se rencontrent
galement dans des
narrations
domines
par
le
pass
simple, ainsi que
je
l ai
dj signal
plus
haut
en
commentant un rcit balzacien,
ce
qui
a
pour
effet
de
rappeler
qu il
y
a
bien
quelqu un
qui < parle
>>
et
qui
s adresse
quelqu un
d autre.
Le
pass
compos,
quant
lui,
est
un temps
typique
des rcits
conversationnels, mais
il
s utilise
galement
frquemment
dans
la
littrature,
surtout dans les histoires narres
la
premire
personne.
Dans
un rcit
au
pass
compos, les liens
entre
l vnement
racont
et la
situation d nonciation
peuvent
tre
envisags; en outre, des
tra-
ces nonciatives
se
retrouvent
plus
frquemment
dans le texte, voire
mme,
comme
dans
I exemple
suivant,
des traces dbralit:
Alors voil;
voil
ce
qu ils
ont fait, Jrmy
et
Louna,
sans
pren-
dre I avis de
personne. Ils
ont enlev Julie,
tout
simplement.
Ils I ont
fait
sortir de I hosto, sous
prtexte
de
I emmener
la
radio. Ils I ont
charge sur
une
civire roulante,
lui
ont
fait
traverser des kilomtres
de couloirs, Louna dans
sa
blouse
d infirmire
et Jrmy en
larmes
jouant
le
rle
de
la
famille
(),
puis
ils
sont sortis, bien pnards,
l ont
charge toute dormante
dans la bagnole de Louna
et,
fouette
cocher, I ont
grimpe
dans ma
chambre. Voil. Une ide
de
Jrmy.
Et ils
sont
fiers
d eux, mainte-
nant, tout
contents, attendant les
flicitations
du
grand
frre,
parce
que
rapter un malade dans un hpital,
selon eux,
a
doit mriter
une
dcoration.
. .
D un
autre
ct,
ils
m ont rendu ma
Julie
31.
Si
le
prsent
apparat
premire
vue comme le
temps dictique
par
excellence, il existe un usage
trs
rpandu de
ce temps
qui
permet
de
raconter
des
vnements disjoints de
la situation nonciative.
Cet
usage
du
prsent permet
d obtenir
une
forme
d intensification de la
reprsentation
(effet
d hypotypose)
et il se
retrouve
aussi bien
dans les
rcits
littraires
et historiographiques
que
dans
les
narrations
journa-
listiques
ou
les
rcits
conversationnels. C est
un
temps
qui
donne un
caractre moins
dfinitif
aux
vnements
narrs,
car
il est davantage
ouvert sur le futur32.
Cet usage
du
prsent
est
trs
voisin
de
celui
pro-
pre
aux
rsums
et
il
peut
parfois
tre confondu
avec
lui,
mme
si
sa
valeur
est assez
diffrente.
3l
D. Pennac, La Fe
carabine,p.222.
32
Cf. F. Revaz,
.
Ces distinctions
sont essentielles
pour
expliquer
la
valeur
particu-
lire
que prennent
les
temps de
I indicatif
en franais
quand
ils
ser-
vent
raconter une
histoire.
Elles
permettent par
exemple de
montrer
qlcre
le
pass
simple
est
un
temps
qui
marque une
certaine autonomie
de
I action raconte
par
rapport
la
situation
nonciative, et
qu il
se
retrouve
par
consquent
le plus
souvent dans les
fictions littraires,
mais galement dans
certains
livres d histoire et, occasionnellement,
dans
la
presse
crite,
lorsque cette dernire voque
un pass
lointain
ou
>,
comme dans
I exemple
suivant:
Sa facilit
battre ses victimes
lui
vient
de sa seule
passion
honorable:
la
pratique
de la boxe thae,
qui
lui
permit,
en 1998,
d accder au titre de champion
de Suisse
2e.
Dans
les
rcits rdigs
la troisime
personne
et
au
pass
simple,
on
a
I impression, selon I expression
de Benveniste,
que
30.
Le recours ce
mode
de
narra-
tion
non-actualis a
pour
but soit
de
faciliter
I effet d immersion, ce
qui
a
pour
consquence
d intensifier
I effet de suspense, soit de
don-
ner
un semblant
d objectivit
aux vnements dcrits
(but
vis
par
les
2e
V.
Fingal,
Le
[4atin,14fvrier2005.
30
E. Benveniste,
7/26/2019 Baroni R. 2007 Une Mise a Jour Des Outil
12/17
194
ETUDES DE LETTRES
Prsent narratif :
ou
-
le
plus
souvent
pour
viter une
rptition dans la
phrase.
[...]
Les diverses dfinitions nous donnent
bien I'impression
que
les deux notions sont lies, mais comment?
38
F.
Egly,
7/26/2019 Baroni R. 2007 Une Mise a Jour Des Outil
13/17
t96 ruoBs DE
LETTRES
Pourquoi? A
quel
moment? Aucune
rponse
n est
propose.
Nous
restons
dans le domaine
de l vidence
et de I intuition
40.
Dans
un
ouvrage
plus
rcent,
Johanne Villeneuve
insiste
pour
sa
part
sur
la
ncessit de lier la
perspective proprement
actionnelle avec
celle
qui
relve du discours, ce
qui
la conduit mettre en vidence
la
force
esthtique
de l intrigue,
ses
effets
rhtoriques sur
le
lecteur,
le
suspense
ou
la curiosit qu elle permet
d induire
chez
ce
dernier
:
Le
Littr,le
Larousse
etle
Quillet
accordent
I intrigue la vertu
de crer du suspense et
d veiller la curiosit du
lecteur-spectateur.
C est sur
ce
plan que
se dmarque
pour
la
peine
le
couple nud-
dnouement. Les complications,
les
enchevtrements,
les combi-
naisons d vnements sont
intimement lis
au
pouvoir
de
sduction
qu exerce
I intrigue
sur
le lecteur
ou
le spectateur.
Grce
ce
second
plan,
on
comprend mieux la spcificit du
pre-
mier
[celui
des actions]. On saisit
pourquoi
la
confusion
rgne entre
I action et I intrigue.
Une
fois de
plus,
la notion d intrigue
permet
de
lier lafable
att discours,
la
puissance
formelle
aux effets
de
lecture,
I action aux effets
rhtoriques,
pour
ne
pas
dire
la rhtorique des
formes
41.
Ainsi
que
je
l ai soulign, de nombreux lments
concourent
produire
une
> des vnements:
il
ne s agit
pas
simplement de la slection d une trame
vnementielle
intrigante
(v-
nements
mystrieux ou
conflits
dont
le
dveloppement est incertain),
mais
les
effets de
suspense
ou de curiosit dpendent
aussi des
effets
de voix, de
point
de
vue, d ordre, de dure, d effacement ou
de mani-
festation des
traces nonciatives, de
jeux
sur les temps verbaux,
etc.
Tous ces lments s intgrent
la dynamique complexe de la mise
en
intrigue
et il
n y
a donc
pas
lieu
de
sparer
I analyse squentielle
de
I action
de
celle
des
dispositifs discursifs
qui
la mettent en
scne.
C est
galement les dimensions inextricablemenl cognitive
et
pas-
sionnelle
de
I actualisation
de
l intrigue
par le lecteur
qui
taient
lais-
ses en marge
par
les approches structuralistes,
puisque
ces
dernires
visaient analyser
les
textes
hors de leurs contextes d nonciation
et
de
rception.
La
logique actionnelle
-
fonde sur I analyse de
la suc-
cession
chronologique
et
causale
des
vnements
-
semblait suffisante
40
B. Valdin,
,
p.47
et49.
al
J. Villeneuve, Le sens de
I intrigue,p.46-47
OUTILS NARRATOLOGIQUES
r97
pour
dcrire
les
liens transphrastiques structurant
les textes narratifs,
mais cette logique
ne
pouvait
tre, en fait,
que
rtrospective, thorique
et
dsincarne. Dans I acte de lecture concret, les liens transphrasti-
ques qui
rythment l actualisation
du rcit
reposent
bien
davantage sur
les attentes du
lecteur,
sur
ses
anticipations
incertaines
du toutprojet
de
l histoire
(ou
de
la
squence),
qui prennent
la forme de
pronostics
ou
de
diagnostics.Le
caractre sous-dtermin
de ces attentes
donne
par
ailleurs naissance
une tension narrative
(suspense
ou curiosit)
rendant la lecture aussi
passionnante
qu intrigante
et stimulante
pour
la rflexion. La narratologie
post-classique
permet
ainsi de
renouveler
la description
des
rcits
en
rapprochant l analyse
formelle du
texte
des
lectures concrtes
qu en
font
les apprenant e s
et
du plaisir qu ils ou
elles
en
tirenta.
Par ailleurs, en commentant en dtail
l inciplt
d un
roman
de
Balzac,j ai
mis l accent sur les rcits
qui
se
nouent
partir
d un mys-
tre, ce
qui
permet
de rappeler I existence d une forme trs courante
de
mise
en
intrigue
que
les modles
structuraux
centrs sur
le deve-
nir de I action
(et
non
sur
celui
de
la lecture)
ne
permettaient
de
trai-
ter
que sous
la
forme
de schmas
dviants. Cette interprtation
du
schma
quinaire qui
considre les dbuts in medias res comme un
bouleversement
de
I ordre
canonique
du rcit
apparat clairement
dans
ce
commentaire
manant
d un
didacticien
des
langues:
Ayant observ de tels textes
qui
ne
correspondent
pas
au
modle
prototypique,
les
lves
pourront
analyser
ces
nouvelles caract-
ristiques structurelles
(un
plan
organis comme suit:
rsolution,
situation
initiale,
complication, actions, fin de la rsolution, situa-
tion finale; c est
la structure du roman
d Hemingway
lLes
neiges
du
Kilimandjarol) et
les
imiter
dans leurs
propres productionsa3.
Il
parat
beaucoup
plus
logique, et
plus
en
accord avec
ce
que
nous enseigne
la
stylistique historique,
de considrer que
le
roman
d Hemingway se noue de manire relativement classique, en
a2
Sur ce
point,
voir notamment les travaux de
M.
Picard
(La
lecture comme
jeu)
etde V.
Jouve
(L efferpersonnage
dans
le
roman),
qui prolongent
certaines
rflexions entames
par
R. Barthes dans Le
plaisir
du texte,tout en surmontant
la condamnation
(le
complexe)
de la lecture en immersion,
de I identification
au
personnage
et
du
plaisir propre
au suspense.
43
R. Blain,
.
OUTILS NARRATOLOGIQUES
799
tension,
puis
la
rsoudre,
et
le
suspense ainsi tabli contribue au
maintien de I'attention du destinatairea5.
A
la
suite de Bronckart,
j'ai
essay de montrera6
que
c'est effec-
tivement la
mise
en
intrigue,
par
la tension
narrqtive
qu'elle
contri-
bue
engendrer,
qui permet
de
rinscrire le
rcit
dans
sa
dynamique
communicationnelle,
et cette
perspective
renouvelle
ainsi les
travaux
des
narratologues sur
la
squence
narrative
dans
le
sens
que
df,-
nissent Ruth Amossy et Dominique Maingueneau
dans un ouvrage
rcent:
Les apports de la
pragmatique,
avec son insistance
sur
la force de
la
parole,
sur le caractre actif et interactif du
discours,
permet-
tent
la
potique,
et en
particulier
la
narratologie, de
penser
le
fonctionnement textuel
en des
termes
nouveaux4T.
J'ai suffisamment
insist
jusqu'ici
sur
la ncessit
de
repenser la dia-
lectique
de
I'action
et de sa reprsentation
discursive
pour
ne
pas
avoir
besoin de
prciser
les
raisons
pour
lesquelles il me semble
particuli-
rement dommageable d'opposer simplement
les
termes
>48
et
et de s'en
servirpour
classer
les textes sous ces tiquettes
grossires.
Cette opposition,
telle
qu'on
s'en
sert
aujourd'hui
couram-
ment,
est
improprement drive
des
travaux
de
Benveniste et
elle me
semble triplement
dommageable
pour
l'enseignement
de la littrature.
Premirement,
elle tend
ngliger le style narratif
(
li
>
la
situation
nonciative, dont tmoigne
l'usage
du
pass
compos en
franais
et
la
fonction spcifique de marqueurs
dictiques tels
que ,
7/26/2019 Baroni R. 2007 Une Mise a Jour Des Outil
15/17
200
ruoes
DE LETTRES
de textes
diffrents,
plaant
d un ct
le corpus indistinct
des
rcits
littraires et de
I autre I ensemble
des discours
oraux ou
simple-
ment
non-fictionnels. Voil
qui
ne doit
pas
manquer
de
perturber
les apprenant e s
qui peuvent lgitimement
se
demander
ce
qu ils ou
elles doivent
faire des discours
narratifs
la
premire
personne
et
au
pass
compos ou
au
prsent
(narrations
littraires,
orales,
mdiati-
ques,
pistolaires
ou autres)
dont on leur
affirme qu ils
ne sont pas
des
>
au
sens
propre
du terme.
A I inverse,
il s agit d afrmer
que
toute
narration, orale ou
crite,
factuelle ou
fictionnelle,
possde
la
fois une dimension
relevant de
la
logique actionnelle et une
dimension
discursive ou nonciative.
Ainsi
que
l affirme
R.
Amossy:
En
gnralisant
cette
description de
deux formes
possibles
d utili-
sation
du
langage, les tudes
littraires
ont
parfois
oubli
que
toute
parole
relve en
dernire instance
de
I interlocution.
Elles ont
fait
comme
s il
pouvait
ne
pas y
avoir d adresse
-
comme si un discours
romanesque
pouvait se dvider sans
s adresser
personneae.
La distinction avance
par
Benveniste
vise
mettre
en vidence
I inscription
dans
le discours
de
deux plans logiques, ou deux
>,
qui
co-existent dans
tout texte
narratif, et
que
certains noncs
mettent en
scne avec
plus
ou
moins de clart.
Il
ne s agit
donc
pas
d une typologie de textes:
plutt que
de vouloir
classer
tous
les rcits
oraux, du fait
de
leur ancrage
dictique
explicite,
dans la catgorie du
>,
et
tous
les rcits littraires,
du fait de
la
prsence
fr-
quente
de
narrations
impersonnelle
et
au
pass simple,
dans la catgo-
rie
>,
il est beaucoup
plus productif de mettre en vidence
leur
complexit compositionnelle
:
par
exemple
I apparition
occasionnelle,
dans
un roman balzacien, de ces adresses
au
lecteur
que
j ai
commen-
tes
plus
haut. Ainsi
que
I affirment Adam,
Lugrin
et Revaz,
s0.
Enfin,
il
me
parat
tout
aussi
dangereux
et
rducteur
de
vouloir rat-
tacher
globalement
tel ou tel
temps
de l indicatif
I un
ou
I autre
des termes de
cette
dichotomie, car on
rduirait
nouveau
la diversit
OUTILS
NARRATOLOGIQUES
201
de
leurs
usages
potentiels:
on ne
peut
pas
dire
du
prsent
qu il
est
un
temps exclusivement
dictique, ni du
pass
compos
qu il
est
un temps
purement
digtique,
sans
rduire considrablement la
complexit
de
leurs valeurs
smantiques.
Les enseignant.e.s de
franais
sont confront e.s une
double
contrainte:
d un ct,
ils
ou elles
doivent
tre en mesure de transmet-
tre
leurs apprenant e s un rpertoire
d outils
heuristiques facilement
comprhensibles
et transposables dans de nombreux
contextes,
et
de
l autre,
ils ou elles doivent les aider
enrichir
leurs
pratiques
de lec-
ture
effectives,
les
complexifier et
les
faire fructifier.
J ai
essay
de montrer
que
les outils
hrits
de
la narratologie
et
des
travaux
plus
contemporains
qui
I ont rcemment
renouvele, restaient
assez faciles
apprhender
et
expliquer, et
qu ils
pouvaient
contri-
buer
dcrire les fondements
potiques
qui
donnent forme
l exp-
rience
esthtique
que
nous faisons des
uvres
-
exprience
qui
est
la
fois
passionnelle
et
intellectuelle.
De
fait,
la relative
simplicit
de
ces
outils ne devrait
pas
nous
conduire rduire
la
richesse
des
uvres,
ce qui
n arrive que
dans le cas
o
I on
tente
de classer
(de
force) des
textes complexes dans
des
typologies prtablies.
Dcrire
la
manire dont
se
noue
une
intrigue
devrait nous amener
commenter
non
seulement
la
trame de I histoire
ou
la
7/26/2019 Baroni R. 2007 Une Mise a Jour Des Outil
16/17
202
ETUDES DE LETTRES
objet
littraire.
C est
pour
encourager
la
pratique
ce
genre
d analyses
en classe de FLE, ouvertes
la
complexit des textes et
l intrt
qu ils
ont
dans
nos vies,
que
j ai
essay de
dresser ce
bilan critique
-
ncessairement
partial
et
partiel
-
des
apports didactiques
de la
narratologie contemporaine. J aimerais
suggrer
pour
terminer
que,
si
I on tait
capable de faire
abstraction
des changements de
modes aca-
dmiques, on s apercevrait peut-tre que la narratologie demeure
une
science
jeune
qui
n a
pas
encore
ft son cinquantenaire
s2.
Raphal
BRnoNI
Universit de Fribourg
s2
On
peut
videmment
faire
remonter les origines de
la
narratologie la
Potique
dAristote et
la rhtorique
classique
ou
aux travaux
des
formalistes
russes
et
de Vladimir
Propp
sur le conte
merveilleux,
mais
la
ne
s est vritablement
dveloppe
sous
sa
forme
actuelle
qu au
milieu
des annes
soixante et le terme lui-mme n est apparu,
pour
la
premire
fois,
qu en
1969
dans I ouvrage de Tzvetan Todorov, Grammaire du Dcamron.
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