Post on 15-Sep-2018
Yukiya Murasaki
Altina, la Princesse à l’épée
Tome 1
Traduit du japonais par Skythewood Translations
Traduit de l’anglais par la Mugetsu no Fansub
6
7
CHAPITRE 1 : LA FILLE AUX CHEVEUX DE
FEU ET AUX YEUX VERMEILS
Des nuages colorés parmi un ciel nuageux. Tel était le ciel
lorsqu’il reçut sa convocation l’exilant à la frontière. Régis était
pensif, le regard tourné vers le sol. Cette ville, qui était similaire
en couleurs au ciel, était très différente de la capitale. Les briques,
le marbre et l’éclairage des rues ne lui manquaient pas, mais les
rues fortifiées lui rappelaient une prison.
La ville frontalière de Tuonvell. Située à 100 lieues1 de la
capitale, soit cinq jours de voyage en calèche. Les rues étaient
sombres, même en journée et le vent glacial pouvait même faire
souffrir. Le temps nuageux était chose normale en hiver pour un
endroit si boréal, près de la frontière. Mais c’est comme si tout
ceci n’était qu’un présage de son avenir.
Suis-je un raté ? se demanda Régis. Il avait perdu son maître,
son statut, son avenir et était exilé vers la ligne de front nordiste.
Quoique, tout ne va pas si mal… La vie ne se résume pas au
travail. En fait, je vais même avoir plus de temps pour lire.
Dans l’église, la cloche annonçant midi sonnait lorsque la
caravane arriva. Les gens du convoi se séparèrent pour trouver
un lieu où déjeuner. Régis se promenait dans une échoppe mais
qui n’avait rien à voir avec l’alimentaire. Les fenêtres du
1444km.
8
magasin étaient recouvertes de livres. Des rangées d’étagères
traversaient le bâtiment construit en pierre. Des odeurs de papier
et d'encre flottaient dans l’air.
« Ah, je me sens libre avec tous ces livres, et ce bâtiment sera
ma maison. » dit Régis, avant d’ajouter silencieusement pour lui-
même : « Citation du Journal de Bourgui par Cello Romeros ».
Régis se prétendait être un amoureux des livres, mais en fait
il était plutôt un bibliophile. Il cherchait avec passion de
nouvelles éditions à travers les rayons. Sa bouche s’élargissait au
fur et à mesure que la panique le gagnait.
« Mais... mais qu’est-ce qu’il se passe…
— Hum ? Il y a un problème M. le soldat ? » questionna le
boutiquier barbu derrière son comptoir, au fond du magasin. La
cicatrice sur son visage et son corps musclé faisaient plus penser
à un instructeur militaire qu’à un commis de librairie.
Régis continuait de chercher malgré l’air oppressant.
« Je n’arrive pas à trouver la dernière édition de Cello, ou du
Comte Ludocell, ou encore du Professeur Illusi… Sont-elles
toutes vendues ? Je sais qu’elles sont populaires, mais ce serait
cruel.
— M. le soldat, venez-vous de la région centrale ?
— Euh, je viens de la capitale…
— Voilà pourquoi vous ne savez pas. Les livres que vous
mentionnez ne se vendent pas dans cette ville, alors la plupart
des échoppes ne les importent pas.
— Quoi ? Qu’avez… vous dit ? »
Régis était tel un homme échoué dans un désert dénué d’eau.
Sa gorge devint sèche en un instant.
Le boutiquier haussa les épaules, il ne semblait pas plaisanter.
« C’est une zone de guerre. Les histoires héroïques et
nouvelles érotiques sont les seules à se vendre ici. Regardez,
voici ma meilleure vente. »
Il montra alors un livre intitulé « Comment rédiger ses
dernières volontés sans regret ».
9
Impossible ! pensa Régis qui se tenait la tête. « Juste, juste
un instant… Vous n’avez aucun stock d’auteurs célèbres ? Suis-
je réellement encore en Belgaria ? Ai-je débarqué dans un
campement barbare ?
— Eh bien, il y a encore 50 ans, il s’agissait du territoire de
la nation voisine.
— Argh ! Et c’est quoi ces prix ? C’est dix fois plus cher qu’à
la capitale… »
Il trouva finalement un livre qui l’intéressait, mais Régis était
sur le point de craquer lorsqu’il y arriva.
Le boutiquier barbu dit nonchalamment : « Vous voyez, les
livres sont lourds et les bandits rôdaient dans la région encore
récemment. Cela nécessite donc beaucoup d’efforts pour qu’ils
parviennent jusqu’ici. Et la clientèle est mince si près de la
frontière… Les livres sont un passe-temps des classes
supérieures.
— Pourquoi cela m’arrive-t-il ?
— Désolé pour vous… »
Le boutiquier voulut prendre le livre que Régis tenait. Régis
serra alors fort le livre dans un mouvement de panique.
« Attendez une minute, je n’ai pas dit que je ne l’achetais pas !
— Hein ? Vous êtes sérieux ? Vous semblez être un jeune
soldat. C’est peut-être malvenu de ma part, mais… excusez-moi,
ça ne va pas vous coûter une semaine de paye ?
— Argh… C’est l’enfer… » se lamenta Régis.
À ce moment, le boutiquier laissa échapper un étrange
« Oh ! » en regardant fixement devant lui, les yeux grands
ouverts. Régis suivit son regard et se retourna. À l’entrée du
magasin, se trouvait une jeune fille, dos à la lumière. Une jolie
jeune femme aux cheveux roux flamboyants et aux yeux couleur
rubis. Elle avait environ entre 13 et 14 ans. Ses traits étaient
encore enfantins, mais son charme était tel qu’il attirait le regard,
vous rendant incapable de vous en détourner.
Son index se dressa devant ses lèvres.
10
11
Silence ? Pourquoi ? Que veut-elle dire ?
Les autres clients du magasin n’avaient rien de particulier.
Mais Régis était étrangement troublé par celle-ci. La jeune fille
abaissa sa main et ouvrit ses lèvres roses.
« De nombreuses recrues envoyées au front se plaignent des
conditions infernales des zones de guerre, mais je crois que tu es
le premier à le faire dans une librairie. »
Sa voix était tel le froid d’une brise. La jeune fille sourit alors
gaiement.
« Nous nous rencontrons enfin ! Tu es Régis Alric, officier
administratif de cinquième classe, n’est-ce pas ?
— Hein ? Euh, moi ?
— Fais-je erreur ?
— Non, tu as raison ! Je suis Régis…
— Super. Je me demandais comment rattraper le coup si ce
n’était pas toi. »
Son sourire de soulagement avait une innocence
correspondant à son âge. Les joues de Régis devinrent chaudes.
Non pas parce que la jeune fille devant lui était jolie. Ce n’est
pas ça. Il se sentait simplement gêné et honteux qu’une fille bien
plus jeune que lui l’appelle par son nom.
« Euh, mon nom… Comment le connais-tu ?
— Il va de soi de connaître le nom de la personne que l'on
cherche. Merci de ne pas me rabaisser parce que je suis une
enfant.
— Non, non, ce n’est pas ça… Je vois, tu es ici pour
m’emmener. »
Régis regarda de nouveau la fille. Elle portait un pantalon de
cuir et des bottes sous son manteau brun. Une tenue banale pour
les conducteurs de chariot.
« Si tu viens de la forteresse pour moi, alors tu es soldat ?
— Yep, est-ce que j’en ai l'air ?
— Non… C’est impossible, tu n’as pas l’âge ?
— En effet, je viens d’avoir 14 ans. »
12
En Belgaria, la majorité est à 15 ans. À l’exception de cas
extrêmes, les mineurs ne peuvent pas s’engager.
« Je vois, tu dois être une conductrice temporaire… J’avais
prévu de prendre la diligence publique. Mais m’envoyer
quelqu’un, quel privilège.
— En es-tu heureux ?
— Je me sens un peu maussade d’être poussé si vite au travail.
— Héhéhé, tu as le mérite d’être honnête.
— Je ne suis pas du genre à mentir.
— Vraiment ? Mais tu es… un tacticien2, n’est-ce pas ? »
La fille l’observait de ses yeux cramoisis. Régis se sentait
oppressé de parler à une fille de 4 ans sa cadette.
« Eh bien, certains diraient que… je suis un libraire dans une
bibliothèque militaire.
— Voilà qui est intéressant. Continuons en route.
— D’accord… »
Régis avait du mal à respirer et massa alors ses tempes. La
fille sortit tout en le pressant de se dépêcher.
« Allez, viens. Les nuages deviennent plus épais, il va
probablement neiger.
— En effet… Ah, j’allais oublier ! »
Alors que Régis sortait à son tour, il se rappela de quelque
chose et fit demi-tour vers le boutiquier afin de déposer l’argent
au comptoir pour le livre.
« J’achète ce livre… Hmm ? Vous allez bien ? Vous avez
l’air malade...
— Non, ce n’est rien. Merci pour votre achat, M. le soldat.
2 La tactique concerne des opérations ponctuelles à but limité et à déroulement rapide. La stratégie est quant à elle une action d'ensemble, planifiée sur du long-terme et mobilisant un certain nombre d'opérations tactiques différentes en vue de la réalisation d'une politique. Pour une bonne compréhension du LN, la différence est importante et doit être prise en compte.
13
Le boutiquier barbu couvrit sa bouche avec sa main et baissa
sa tête pour une raison inconnue. Il semblait endurer quelque
chose. La fille s’approcha de Régis affichant une expression
acerbe.
« Es-tu stupide ?
— Quoi, que t’arrive-t-il ?
— Les livres sont un passe-temps de riches en zones
frontalières. Seuls les gens aisés et les idiots dépensent autant
d’argent.
— Eh bien, j’ai bien peur de ne pas être très intelligent
alors… La soif de savoir est une fierté de l’humanité, je cède à
ce désir et la lecture en est le moyen. Qu’importe les obstacles et
la dépense, me dire de renoncer à la lecture c'est comme me dire
de renoncer à la vie. »
Régis se tût après cette envolée lyrique, gêné d’être si sérieux
face à une enfant. La fille prit alors une expression sérieuse
inattendue. Elle hocha la tête.
« C’est comme de renoncer à la vie… Si c’est ainsi, alors je
peux comprendre. Moi aussi…
— Toi aussi ?
— Non, rien ! Allons-y !
— Ah, d’accord. »
Tout en suivant la fille, Régis coinça son livre sous son
aisselle et traîna son bagage hors du magasin. Un petit chariot
tiré par un seul cheval était garé devant la boutique. Un mince
cheval brun regardait dans leur direction. La jeune fille sauta
aisément jusqu’au siège du conducteur qui se situait à hauteur du
cheval.
« Eh, dépêche-toi !
— Ouais… Au fait, quel est ton nom ? »
Régis regarda la jeune fille. Ses yeux le fixèrent brutalement
et elle s’exprima à voix basse, lentement, syllabe par syllabe.
« Je-vais-te-lais-ser-i-ci. »
Régis monta sur le siège juste à côté. Ce n’était pas le bon
moment pour demander.
14
Taratara… Les roues en bois grinçaient sur la route. Ils
faisaient route vers la porte Nord, cerclée de murailles de pierre.
C’était la position la plus avancée, connue comme la Forteresse
de Sierck.
Une fille tenant une rêne était à la place du conducteur. À sa
droite, se trouvait Régis et son bagage. Derrière eux, du bois et
des briques recouverts d’un drap.
« Donc, quel est mon nom ?
— Eh bien oui, comment dois-je t’appeler ?
— C'est vrai… »
De sa main gantée de cuir, la fille tenait sa mâchoire bien
formée et réfléchissait.
« Ai-je vraiment besoin de savoir ? » se demanda Régis.
La jeune fille détendit ses lèvres crispées.
« Ouais, tu peux m’appeler Altina.
— C’est un surnom ? »
Il avait demandé sans réfléchir, mais il avait fait erreur. La
jeune Altina fronça les sourcils.
« Ce que t’es malpoli… N’est-ce pas un prénom merveilleux ?
Je souhaitais te donner le privilège de l’utiliser, devrais-je le
récupérer ?
— Désolé, s’il te plaît, laisse-moi t’appeler Altina.
— Bah, je t’y autoriserai si tu y tiens vraiment.
— J’y tiens vraiment.
— Eh bah… Tu ne te comportes pas du tout comme un soldat.
— Haha, je pense pareil. »
Régis sourit amèrement, et Altina fit de même.
De chaque côté d’eux s’étendaient de vastes champs de blé.
Les plants poussaient malgré l’hiver. Le monde était coloré selon
une palette de ciel gris et de sol marron.
« Tu n’es pas venu volontairement, n’est-ce pas ?
— Mon objectif, depuis que j’ai rejoint l’armée, est d’être
libraire. Pour être tout à fait franc, je me suis engagé à cause de
problèmes financiers… Au fait, y a-t-il une bibliothèque à la
forteresse de Sierck ?
15
— J’imagine que ta chambre pourra être appelée ainsi, un
jour.
— Arf ! N’y a-t-il aucun dieu ici ?
— Tu n’oserais quand même pas faire un jeu de mots avec
papier et dieu ?3 C’est nul.
— Je ne faisais pas de jeu de mots.
— Que faisais-tu dans ta dernière unité ?
— Pourquoi ? Remets-tu en cause ma condition de soldat ?
— Ce n’est pas ça, je me demande comment tu as pu avoir la
malchance d’être affecté au front ?
— Je pense que c’est ma sanction pour avoir perdu une
bataille.
— Et tu l’as acceptée ? Tu es juste un jeune sous-officier. Tu
n’as même pas un quelconque pouvoir de commandement, n’est-
ce pas étrange que tu en prennes la responsabilité ? »
Régis regardait au loin. Le champ était rempli de rangées de
blé. Il pouvait voir la chaîne montagneuse ondulant à l’horizon.
« C’est un homme bon…
— Qui ?
— Mon précédent supérieur. J’étais nul en escrime et en
équitation, le dernier de l’académie. C’est le Marquis Tennessee
qui m’a engagé.
— Le dernier ? Mais j’ai entendu dire que tu n’as jamais
perdu en classe de stratégie militaire.
— Tu en sais beaucoup. Je me demande qui a bien pu te dire
ça… J’ai remonté mes notes grâce à la stratégie militaire, mais
c’est semblable aux échecs.
— Mais le Marquis Tennessee t’a engagé pour être un
tacticien, et non pas un joueur d’échecs ?
— Je suis juste un tacticien junior. J’avais à peine 15 ans
quand je fus diplômé de l’académie, c’était donc comme un
travail d’apprenti.
3Papier et dieu se disent « kami » en japonais.
16
— Que ce soit débutant ou apprenti, je pense que c’est
incroyable d’être tacticien à un si jeune âge… N’en es-tu pas
heureux ?
— Absolument pas ! Je pense que le Marquis m’a employé
sur un coup de tête… Mais je lui suis reconnaissant pour sa bonté,
encore aujourd’hui. »
Les yeux de Régis étaient humides quand il fut séparé du
Marquis. Il serra son bagage, écrasant son sac.
« Le Marquis disait qu’ils avaient besoin de moi… Mais…
je l’ai juste laissé face à la mort. »
Son ton était si bas qu’on aurait cru que c’était la voix de
quelqu’un d’autre. Altina afficha une mine grave.
« Oui je me souviens, le Marquis Tennessee, lors de cette
bataille estivale…
— Ah… »
Régis pensait qu’elle en savait beaucoup pour une recrue
temporaire. Était-elle concernée par la guerre de par sa proximité,
ou est-ce qu’Altina était dingue ? Ou peut-être autre chose
encore…
« L’avoir laissé face à la mort ? Que s’est-il passé ?
— C’est juste ce que je pense…
— Je veux connaître ta version. Pas à travers les rumeurs,
mais de toi-même… Allez, tu peux me le dire ? »
Régis y réfléchit. C’était un long voyage. Il n’avait rien à
cacher, d’autant que cela avait été publié dans les journaux après
le verdict du tribunal militaire.
« C’est arrivé un jour durant l’été. » Il se rappelait clairement
les mots et les expressions de tout un chacun, mais il ne savait
par où commencer. Il prit le temps d’organiser ses pensées.
« Pendant le conseil de guerre… le Marquis Tennessee a suivi
les conseils dispensés par le tacticien en chef. Et… bon, peu
importe les détails mineurs. Nous étions 3 000 soldats impériaux
à combattre 500 barbares. La victoire était à notre portée, le
conseil s’intéressait davantage au vin qui devait accompagner le
canard au dîner, qu’à la prochaine bataille.
17
— Du coup, ils se voyaient victorieux avant même d’avoir
livré bataille ?
— C’était une attitude banale, l’armée impériale est
puissante… Mais le problème est que nous n’avions pas de plan
d’urgence si les sauvages nous attaquaient de flanc et par derrière.
— C’étaient des barbares, non ? Ne serait-ce pas une perte
de temps que de préparer un tel plan ?
— En effet, les sauvages indisciplinés sont incapables d’un
tel plan, alors ils préfèrent foncer pour un face-à-face. Mais selon
des rapports passés, ils ont déjà adopté de telles tactiques quand
ils étaient complètement dépassés en nombre. Il fallait faire
attention… Je l’ai proposé par deux fois. Mais le tacticien en
chef m’a congédié pour couardise et suggéra au Marquis
d’observer la victoire depuis l’arrière… quelque chose dans le
genre.
— Donc tu as été expulsé du quartier général.
— Ah… »
Le tribunal militaire avait eu un débat semblable, et ça avait
pris la tournure d’un interrogatoire de Régis. Aurait-il dû
proposer une troisième fois, même si c’était pour être montré du
doigt ? C’est ce qu’il se disait, à cet instant. S’il avait insisté pour
défendre son plan, ils auraient pu se défendre contre une telle
tactique.
Altina était muette.
« Est-ce que tu t’en veux ?
— J’avais peur d’un châtiment plus sévère qu’un
bannissement du QG… alors je n’ai pas proposé une troisième
fois.
— Le tacticien en chef était noble, n’est-ce pas ?
— Ouais, je pense qu’il l’était…
— Si tel était le cas, il n’aurait jamais accepté la proposition
d’un roturier, peu importe le nombre de fois que tu aurais essayé.
Le Marquis Tennessee ne pouvait rien faire si le statut d’un noble
était compromis.
— Ah… »
18
Régis était un roturier non-accoutumé à l’aristocratie, alors il
n’avait pas imaginé que le Marquis puisse être hésitant à
rabaisser le tacticien en chef. Si seulement il y avait pensé. Il
avait la connaissance du statut social des aristocrates.
Altina le consola : « C’est pourquoi tu ne devrais pas t’en
vouloir.
— Oui, maintenant que tu le mentionnes, je comprends la
raison de son comportement… C’est ma faute d’avoir ignoré les
relations compliquées entre nobles… Si j’avais approché le
Marquis en personne plutôt que durant le conseil de guerre…
Peut-être que… Aargh ! »
Régis serra les dents. Il avait l’estomac lourd et les yeux
rouges. Les larmes obscurcissaient sa vision. Altina s’adressa
soudain à lui d’un ton impérieux.
« Régis Alric !
— Hein ? »
C’était bien plus l'énergie de la voix qui le choqua que
l’énonciation de son nom. Il se demanda si cette fille était
vraiment une simple conductrice.
« Ne sois pas trop dur avec toi-même. Tu as fait de ton mieux,
n’est-ce pas ?
— Oui, c’est bien vrai. Mais je ne veux pas croire que le
Marquis soit mort pour protéger la réputation d’un noble… Mais
parce que j’étais trop naïf. »
Mais je le comprends désormais, pensa Régis.
Altina hocha la tête. Regardant en l’air, ils virent plusieurs
ombres blanches dérivant vers le bas du ciel.
« De la neige… » murmura-t-elle.
Régis haussa les épaules.
« De la neige pour mon premier jour… C’est pour me
souhaiter la bienvenue… Hahaha.
— Tu ne seras plus capable de rire si ça se transforme en
blizzard.
— Ouais, je sais.
— Tu as déjà vécu dans le Nord ?
19
— Je l’ai lu dans les livres.
— Ah, je vois… Je dois accélérer, accroche-toi et ne tombe
pas ! »
Altina laissa échapper un son mêlant colère et surprise alors
qu’elle fouettait le cheval.
Les loups hurlaient au loin.
Ah ouhhhhh ! Les cris des bêtes sauvages intimidaient les
voyageurs. Il en était de même pour le cheval tirant le chariot.
Celui-ci secoua tout à coup la tête et vira de trajectoire.
« Reviens ! »
Altina tira les rênes. Le cheval se mit à hennir. Régis était
stupéfait.
Le chariot dérapait sur la route enneigée lorsque les roues
perdirent leur traction. Il pencha fortement d’un côté. La
cargaison de briques et de bois rangée sous le drap culbuta
bruyamment. Le bruit s’arrêta avec un désagréable son de
claquement de bois.
L’impact projeta Régis dans les airs.
« Ouah !
— Tiens bon ! »
Régis criait, tandis qu’Altina saisissait ses épaules et le
retenait. Ils évitèrent de tomber du chariot. Celui-ci s'échoua au
milieu de la route. Le cheval s’arrêta et commença à hennir.
Après un moment, il se calma et regarda le siège conducteur.
J’ai merdé, sembla réaliser le cheval. Tout comme un enfant
capricieux qui fait des bêtises.
Altina sauta du siège conducteur et caressa la tête du cheval.
« Est-ce que tu vas bien ? Où es-tu blessé ? »
Le cheval hennit en réponse. Régis ne savait pas ce que ça
signifiait, mais il vit Altina examiner la patte arrière droite du
cheval.
« Est-il blessé ?
— Il peut galoper si on l’y force… Mais si sa patte ne guérit
pas, il sera abattu. »
20
Elle soupira en caressant le cheval. Elle défit le harnais du
cheval pour le laisser se reposer, et noua les rênes vers le bas
pour l’empêcher de vagabonder.
Régis regardait vers l’horizon enfumé, par-delà la plaine
enneigée.
« À combien sommes-nous de la forteresse de Sierck ?
— Environ 5 lieues4… Mais c’est impossible d’y aller à pied.
— Pourquoi ?
— Parce qu’un blizzard arrive. Sans lumière, il fera
totalement sombre la nuit tombée. Si nous coupons à travers ce
champ de blé, nous n’atteindrions pas la forteresse même si nous
marchions jusqu’à l’aube. Nous pourrions même tomber dans un
fossé.
— Bien, de toute façon, je ne veux pas marcher 5 lieues avec
mon bagage.
— Es-tu vraiment un soldat ?
— Hahaha, mes notes pour la marche avec charge étaient
épouvantables. Il s’agit plus ici d’un entraînement à la survie. »
« Ah… » soupira Altina en se tenant la tempe.
Régis inclina la tête.
« Et maintenant ?
— N’est-ce pas le rôle du tacticien de trouver une solution ?
— Eh bien, mes compétences de commandement ont été
vantées par le passé… mais cette situation est davantage pour
des soldats, marchands ou aventuriers.
— N’es-tu pas soldat ?
— Ah, si, en effet.
— Quel homme plein de surprises tu fais.
— Eh, calme-toi Altina. Les humains peuvent s’en sortir si
nous mettons nos idées en commun.
— Mais bien sûr… Geler dans un blizzard jusqu’à ce que
mort s’ensuive est une situation dont on peut se sortir.
— Que d’esprit.
422km.
21
— Donc tu n’as vraiment aucune idée ?
— Hmm, eh bien… lisons ça. »
Régis prit le livre qu’il avait acheté en ville.
« Ah, tu veux dire que ce livre va nous être utile en pareille
situation ? Bien joué !
— J’aimerais. Cet ouvrage décrit la vie d’un jeune homme
qui rencontra une fée et six magnifiques femmes autour de lui.
C’est un roman fantastique et de tranche de vie.
— Es-tu stupide ? Ce n’est pas le moment pour des histoires
absurdes !
— C’est impoli de le traiter d’absurde. Excuse-toi envers
l’auteur.
— Tu vas geler comme un glaçon si ça continue, et tu ne
pourras plus jamais lire ! Le prêtre par contre lira quelques
écritures pour toi.
— C’est pourquoi… je veux lire le dernier livre que j’ai
acheté.
— Tu abandonnes bien trop vite !
— Je plaisante. Il n’est pas bon de paniquer. Nous devons
nous calmer et réfléchir. Remontons dans le chariot. Cela nous
offrira un bien meilleur abri.
— Tu as raison. »
La tête et les épaules d’Altina étaient couvertes de neige
quand elle monta dans le chariot. Le bois et les briques étaient
empilés d’un côté à cause du dérapage du chariot plus tôt.
Régis s’assit à une place vide. Altina s’assit à côté.
« C’est une bonne chose qu'on soit à l'abri du vent.
— Mais il fait encore froid.
— On n’y peut rien. Je prendrai une douche chaude lorsque
nous atteindrons la forteresse. Pour sûr !
— Quel luxe pour une conductrice… Se pourrait-il que tu
connaisses quelqu’un de haut placé à la forteresse ?
— Gloups... »
Altina bégaya pour une raison inconnue. Sa supposition était-
elle proche de la vérité ?
22
« Bah, je le découvrirai une fois rendu là-bas.
— Si nous atteignons la forteresse… »
La neige et le vent s’intensifiaient. Le blizzard soufflait à
plein régime. La brise était suffisamment forte pour pénétrer leur
abri, faisant frissonner les épaules d’Altina.
« Ah gagaga… »
Régis chercha dans sa mémoire un livre qu’il aurait lu.
« Comme je le pensais, il vaut mieux ne pas vagabonder en
pareille situation…
— Vraiment ?
— Comparé à une dépense d’énergie pour se déplacer, il vaut
mieux attendre qu’un chariot passe par ici. À quel point penses-
tu que les gens de la forteresse seront inquiets pour toi ? Vont-ils
penser à une conductrice temporaire ? Ou as-tu des amis qui
t’attendent ?
— Eh bien, je pense qu’ils ne vont pas m’oublier. Ils doivent
être… inquiets à mon propos. Probablement.
— Dans ce cas, il y a de fortes chances qu’une unité de
secours vienne à nous avant la tombée de la nuit. Il y a seulement
une route entre la forteresse et la ville. Ils nous verront s’ils vont
vers la ville pour nous secourir.
— Je vois… Tu réfléchis plutôt vite.
— Ce sont juste mes connaissances. »
Il ajouta pour lui-même, qu’il avait lu une histoire similaire,
car pour Régis tout se résumait à cela.
« La prochaine étape est de trouver de quoi nous réchauffer.
— Ouais, on a quelque chose pour ça !
— Hmm ?
— Il y a un vêtement dans le compartiment à bagages. Mais
il est plutôt petit. »
Altina sortit un vieux vêtement de sous le tas de bois alors
qu’elle parlait.
« C’est vraiment petit.
— Mais il est épais et chaud, alors utilise-le.
— Merci… Prends-le, Altina.
23
— Hein ?
— Je n’y ressemble pas beaucoup, mais je suis encore un
soldat. Protéger les citoyens est le devoir d’un soldat, non ?
— C’est juste une expression.
— Mais je suis sérieux.
— Pffiou, quel personnage intéressant tu fais… Que dis-tu
de ça ? »
Altina prit le vêtement, s’assit à gauche de Régis et se pencha
sur lui. Le bras gauche de Régis était entremêlé au bras droit
d’Altina.
« Quoi ?
— De cette manière, un vêtement peut réchauffer deux
personnes, non ?
— Ah… je vois, devrait-on ? »
À côté du vêtement, la chaleur corporelle de la jeune fille
était bien plus importante. Son cœur battait si vite que son dos
suait. Régis lui ordonna de se calmer. Elle n’avait que 14 ans. Ce
n’était encore qu’une petite fille, plus jeune que lui. Certes, elle
était très jolie, mais de là à en perdre son calme parce que leurs
bras étaient entremêlés, voilà qui était très honteux pour un
adulte. Le visage d’Altina se rapprocha.
« Tu vas bien ? Ton visage est tout rouge…
— Ce… Ce n’est rien.
— Si tu le dis… »
Régis se calma. Il pouvait seulement entendre le vent et la
respiration d’Altina.
« Régis…
— Hein ? Quoi ?
— Je pense que tu es quelqu’un d’intéressant.
— Haha… On me le dit souvent.
— Le soldat doit protéger les civils, c’est juste une devise qui
se dit, mais qui n’est pas suivie. La plupart pensent que les
soldats sont plus précieux.
— Peut-être bien… Mais ceux qui ont le pouvoir ne
devaient-ils pas protéger ceux sans défense ? C’est la raison pour
24
laquelle les humains s’organisent en société. Tout comme les
parents protègent leurs enfants, il en est de même du fort
protégeant le faible… Donc les soldats devraient protéger les
civils, c’est ce que je pense.
— Ça voudrait dire que les aristocrates doivent protéger les
roturiers, que l’Empereur doit protéger ses citoyens, n’est-ce pas ?
— Il devrait en être ainsi. Bien que les nobles combattent
dans des guerres dénuées de sens à gaspiller les vies et fortunes
des citoyens.
— Est-ce que la guerre contre les barbares est inutile ? Nous
ne pouvons pas négocier la paix avec eux, et nous serions
massacrés si nous perdions au cours d’une guerre, non ?
— C’est vrai, les sauvages sont terrifiants… Mais ils
devraient attirer les barbares sur des positions plus facilement
défendables et ériger de longs et solides murs s’ils voulaient
vraiment protéger la nation.
— Ne peuvent-ils pas escalader les murs facilement ?
— C’est difficile pour la cavalerie et les chariots de passer,
donc ce serait suffisant pour dissuader de grandes armées
d’essayer.
— Oh, je vois… Pourquoi les généraux ne le font-ils pas ?
Ils n’y ont pas pensé ?
— Ce que je dis vient de sources aussi communes que les
livres. Les classes aisées veulent combattre car ça leur rapporte.
Repousser les barbares leur assure du prestige en tant que soldat.
Les armes et la nourriture se vendent chères en temps de guerre.
L’entraînement des soldats à l’académie militaire constitue aussi
une source de revenus. Cela pèse sur la nation toute entière, mais
ceux qui détiennent l’autorité y gagnent…
— C’est impardonnable ! »
Le visage d’Altina s’approcha si près qu’il faillit le cogner.
Régis fut repoussé par l’air intimidant d’Altina et recula.
Cependant il ne put s’échapper puisque leurs bras étaient liés.
25
« Calme, calme-toi Altina… Je ne dis pas que tous les
aristocrates sont comme ça. Je pense que le Marquis Tennessee
n’agissait pas ainsi.
— Vraiment ?
— Ouais, il avait même proposé à l’Empereur de ne pas
chercher à continuer l’expansion de l’empire, et de se concentrer
plutôt sur le renforcement de la sécurité de la nation. Il faisait
partie de ceux qui suggérèrent de construire un mur défensif
durant la conférence aristocratique.
— Très bonne idée ! Ça devrait réduire les blessés et le taux
de pauvreté après une bataille ! »
Les yeux d’Altina pétillaient suite aux mots de Régis. Les
deux devinrent silencieux peu après. Régis vit l’expression
horrifiée d’Altina un court instant.
« Se pourrait-il que ce soit cet incident ?
— Hmm ? Qu’y a-t-il Altina ?
— Nan, je pensais juste à un truc sans importance. Tu as
raison. Il y a toutes sortes de personnes parmi les nobles.
— Ouais, c’est pourquoi c’est problématique si l’Empereur
ne les gère pas tous correctement. »
Régis le dit avec un sourire amer. Le corps d’Altina trembla.
Régis le sentit vu qu'ils étaient collés l’un à l’autre.
« Penses-tu que l’Empereur actuel… soit mauvais ?
— Si je dis qu’il l’est, je serai condamné pour trahison… »
Peut-être était-ce déjà trop tard. Mais il l'avait dit au beau
milieu d’un blizzard. Seule Altina et le cheval écoutaient. Régis
débuta son monologue.
« L’Empereur actuel a régné trop longtemps. Son corps est
trop faible pour supporter ses devoirs administratifs. Le prince
aîné aurait dû lui succéder il y a 5 ans de ça. Mais il est malade
et faible, tandis que le second prince a démontré ses talents
politiques et militaires. Il a aussi de meilleurs soutiens.
— Ça semble compliqué.
— Le prince aîné est le fils de la seconde concubine. Le
second prince est né ensuite de la Reine. La Reine jouit
26
également d’un meilleur statut en tant qu’aristocrate. De ce fait,
l'empire rencontre des problèmes de succession. Le combat pour
la couronne entre les princes… est un combat entre leurs
partisans. C’est la raison de l’allongement du règne de
l’Empereur. Cela conduit des nobles à faire comme ils veulent et
à une vague de corruption.
— Il y a d’autres enfants impériaux.
— Eh bien, le troisième prince est juste un étudiant de 15 ans.
Il est un mouton noir ne pouvant se hisser au niveau de ses frères.
— Il y a quelqu'un d'autre… non ?
— Hmm ? Ah… oui, la commandante de la Forteresse de
Sierck est de sang royal.
— Oui ! Qu’en est-il de cette personne ? »
Altina se pencha de nouveau et Régis recula vers la droite. Il
était sur le point de tomber du compartiment à bagages.
« Euh, la Princesse Carreau-Moineau. Personne ne se
rappelle du nom entier car il est trop long.
— Oui, il est plutôt long…
— Je crois que c’est Marie Garter Argentina de Belgaria…
J'arrive à me souvenir des histoires que je lis, mais pas à
mémoriser un nom aussi long.
— Ne te force pas trop. D’ailleurs, pourquoi la Princesse
Carreau-Moineau ?
— Je vais être sous son commandement désormais, ce serait
embêtant d’être médisant à son égard… C’est son surnom à la
capitale.
— Et que signifie-t-il ?
— Ce que je sais provient de rumeurs… Mais, on a du temps
devant nous. C’est l’histoire d’une jeune princesse forcée de
rejoindre la frontière de la nation…
***
Il y a 15 ans.
27
Pour se mettre dans le contexte, commençons par parler de
la mère de Marie Garter.
Dans la capitale impériale Versailles, l’Empereur assistait à
la fête d'anniversaire organisée pour ses cinquante ans.
L’orchestre de la cour jouait une valse. Les plats fastueux
s’enchaînaient, les généraux partageaient leurs récits de victoire
comme cadeaux. La haute noblesse et les riches bourgeois
n’étaient pas les seuls présents, la petite noblesse et leur famille
étaient également invitées. Voilà à quel point la fête était
somptueuse.
Parmi les paysans assis au bout du banquet, se tenait une
jeune fille dont la beauté était à couper le souffle. Ses cheveux
noirs comme la nuit et ses yeux noirs comme l’obsidienne,
faisaient contraste avec sa peau blanche comme la neige, la
rendant plus blanche encore.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, celui qui discutait
avec cette fille de 16 ans, était l’Empereur lui-même, qui avait
quitté son trône et marchait lentement à travers la salle.
« Danserez-vous avec moi, mademoiselle ? »
Selon la transcription du scribe impérial, Claudette
Bartholomew s’inclina alors dans une révérence polie et
répondit : « Tout le plaisir est pour moi. Comment puis-je vous
appeler ? »
Quant à savoir pourquoi elle avait demandé le nom de
l’Empereur, plusieurs théories :
« Ne pas y prêter attention aurait été trop offensant », « par
curiosité et continuer les rites de la fête » et « elle est une femme
audacieuse qui ose plaisanter avec Sa Majesté » sont les théories
les plus convaincantes. Mais c’est bien la seule à connaître la
vérité.
La magnifique brune tendit sa main, et l’Empereur la prit tout
sourire.
« Pardonnez-moi. Je suis Liam Fernando de Belgaria. On
m’appelle Liam XV.
— Alors, veuillez m’appeler Claudette. »
28
Le chef d’orchestre, reconnu comme le meilleur de l’empire,
agita sa baguette après un moment d’hésitation et l’orchestre prit
vie.
C’est communément connu comme l’incident de Claudette.
6 mois plus tard.
Claudette, qui avait maintenant 17 ans, devint la quatrième
concubine de l’Empereur. Son nom changea pour « Marie
Claudette de Belgaria ». Des rumeurs couraient qu’elle était
enceinte lors du mariage. La concubine donna naissance au
quatrième successeur de l’Empereur avant son cinquante-et-
unième anniversaire. Il s’agit de Marie Garter Argentina de
Belgaria. Elle est officiellement la fille légitime de l’Empereur,
mais considérée comme illégitime par la population.
Quand Liam XV apprit la naissance de son quatrième enfant,
il est dit qu’il demanda : « Est-il roux ? ». Le premier Empereur
de Belgaria connu comme « l’Empereur Flamboyant » avait la
chevelure cramoisie, des yeux rouges et une corpulence ordinaire.
Il défie les tribus barbares environnantes et posa les fondations
de l’empire.
Liam XV était le même, grand, roux aux yeux cramoisis,
malgré un corps frêle. Bien que les trois princes avaient les yeux
rouges, ils avaient hérité des cheveux blonds et châtains de leur
mère, et ils n’étaient pas non plus très costauds. Liam XV ne
s’occupait pas lui-même des affaires financières ou militaires,
mais l’appauvrissement des gènes du premier Empereur le
rendait triste.
Le chambellan frétillait alors qu’il s’inclinait et rapportait :
« Votre Majesté, ses cheveux sont roux, mais c’est une fille. ».
La préoccupation de Liam XV pour l’enfant s’arrêta à cet instant.
Une roturière devenant une concubine et ayant un enfant en
moins d’un an, c’était une honte insupportable pour la noblesse
avide de gloire. Si l’enfant de Claudette avait été un garçon, il
aurait pu être assassiné. Des rumeurs avaient déjà circulé, disant
29
que le corps du premier prince était frêle parce qu’il avait été
empoisonné.
Heureusement, Marie Garter était née en tant que fille et
grandit tranquillement jusqu’à ses 13 ans. Elle apprit le
maniement de l’épée et la politique, même si c’était une fille.
Son étrange comportement était sujet de blagues à la cour.
Mais alors qu’elle devenait suffisamment âgée pour intégrer
la vie mondaine, un problème se posa. La beauté de Marie Garter
excédait celle de sa mère.
À cette époque, un beau barde à la voix solide était très
populaire dans le milieu mondain. Cet homme fut invité à la cour
par la reine. Mais quand il vit Marie Garter, le barde commença
à chanter les louanges de sa beauté :
« Oh, quelle splendeur, journée pleine de splendeur ! Ce
soleil digne d’un ange m’étourdit ! Vos flammes brûlent mon
âme, ce rubis éclatant vole mes mots et mes malheurs ! »
Et évidemment, cela enragea la reine. Le barde fut chassé de
la cour et banni de la vie mondaine.
Cela ne s’arrêta pas là. Le fils de la reine, le second prince
Alan de Laterleo Belgaria était un homme dangereux, à l’esprit
aussi aiguisé qu’une épée. Bien qu’il n’était, à la base, que le
commandant de la première armée, il fut promu général en chef
à partir de 23 ans, représentant son père âgé et son fragile frère.
Laterleo fit une proposition au vieil Empereur : « Si la
magnifique princesse commandait, elle enflammerait la passion
parmi les troupes. Je suggère d’assigner la princesse à la zone de
guerre nordique.
— Quel plan merveilleux. »
À cet instant, l’adoration de Liam XV pour Claudette
s’envola complètement.
Empire, an 850.
Le vieux roi s’assit sur son trône, des nobles au sourire froid
étaient alignés des deux côtés du tapis rouge. La quatrième
30
concubine n’était pas présente. Marie Garter remit ses cheveux
cramoisis en arrière et s’agenouilla.
« Salutations, Votre Majesté. »
Liam XV hocha simplement de la tête en guise de réponse.
Le chambellan ouvrit l’édit impérial et le lut au nom de
l’Empereur. L’âge requis pour Marie Garter fut levé de par sa
lignée royale, et elle fut nommée commandante du régiment
frontalier de Beilschmidt.
Des ricanements éclatèrent parmi les aristocrates. Aucun de
ceux présents n’avait idée de ce que pensait la princesse. Après
avoir congédié le chambellan, le vieil Empereur demanda
gentiment :
« Que voudrais-tu comme cadeau de départ ? »
Il s’agissait d’une question traditionnelle qui était posée aux
parents de l’Empereur qui quittaient la capitale. Selon la tradition,
la réponse était « Les mots de Votre Majesté me motivent bien
davantage que n’importe quel cadeau ». Mais… Marie Garter
gonfla sa poitrine et dit : « Veuillez m’accorder une épée de
l’Empereur Flamboyant. »
La foule devint tapageuse. Les nobles jetaient d’évidents
regards de dédain.
« Ne savez-vous faire preuve d’aucune bonne manière,
mendiante ? » lança quelqu’un d’insultant.
L’Empereur réfléchit un instant.
« L’Empereur fondateur avait sept épées. Tu es ma quatrième
enfant, alors je vais t’accorder la quatrième épée. Quand tu
retourneras à la capitale, tu la redéposeras dans la salle des
trésors. »
La quatrième épée.
Un soldat en armure portait une épée surdimensionnée à
double tranchant. Elle était nommée le « Quatuor Foudroyant de
l’Empereur ». L’épée géante fut forgée conformément à la taille
du premier Empereur, 26 palmes5 de long.
5192 cm.
31
Bien que Marie Garter soit grande pour une fille, l’épée était
trop grosse et grande. Une telle différence était d’un grand
comique.
Les rires méprisables des aristocrates emplissaient la salle
d’audience. « La princesse s’en ira probablement sans même
toucher l’épée » pensaient la plupart de ceux présents.
« Je vous suis reconnaissante… Je vais l’emprunter…
Ouah ! »
Marie Garter usa de toute sa force. Le sol en marbre craqua
sous la pression. Elle souleva l’épée. Les ricanements se turent
et devinrent surprise. La princesse avait soulevé une épée plus
grande qu’elle.
« Je vais prendre toute la mesure des responsabilités de ma
nomination. »
Elle s’inclina face au vieil Empereur, regarda le visage fermé
du second prince et la haine luisante de la reine. Seule Marie
Garter savait ce qu’elle pensait, tous les autres ne pouvaient que
supposer. Elle se retourna et quitta la salle d’audience,
silencieuse.
***
« Eh bien, voilà l’essentiel de l’histoire. »
Le blizzard secouait l’abri.
Une fois qu’il eut terminé, Altina demanda à Régis :
« Attends une minute.
— Hmm ?
— D’où vient le surnom Princesse Carreau-Moineau ?
— Eh bien, la princesse ne porte-t-elle pas l’épée à la taille ?
— Est-ce un problème ? Ce n'était pas possible autrement,
l’épée est trop grande. Elle traînerait par terre si on la portait sur
le dos.
— Tu l’as vue ? La princesse porte l’épée ainsi dans la
forteresse de Sierck ?
— Hein ? Eh bien, oui… Je l’ai déjà vue.
32
— Et tu n'y as pas pensé ? Quand les soldats et paysans
voient la petite Marie Garter porter l’épée de cette manière, ils
pensent que ça ressemble à un moineau touché par un carreau
d’arbalète.
— Quoi ?
Altina écarquilla les yeux, stupéfaite.
— Il est du coup difficile de magnifier son nom. Elle n’a fait
aucune apparition publique et n’a aucun fait d’arme célèbre à son
actif. Tout le monde a adopté son surnom Princesse Carreau-
Moineau. J’étais loin dans la ligne de front donc je ne l’ai jamais
vue.
— Gagaga…
— Est-ce que ça va, tes épaules tremblent… As-tu froid ?
— Ce n’est pas ça ! Je n’ai pas de raison de me plaindre de
toi, mais c’est inévitable !
— S’il te plaît, garde ça secret. Ça va être difficile de vivre
ici si elle me déteste.
— Ne t’inquiète pas. Elle n’est pas suffisamment idiote pour
haïr le messager de la rumeur. »
Régis haussa les épaules.
« Ça va être génial… Au fait, as-tu faim ? Tu n’as pas encore
déjeuné, n’est-ce pas ?
— Qu’est-ce que tu as ?
— Je me suis gardé du pain pour quand je lirais. »
Régis ouvrit son sac, déplaça l’épée et prit le pain grillé.
« Je préférerais plutôt du lait chaud en ce moment.
— Tu le partages avec moi ?
— Je t’ai expliqué mes valeurs. Je ne vais pas te forcer.
— J’en veux bien. »
Régis sourit alors qu’il coupait le pain en deux parts égales
et en donna une à Altina.
« Voilà.
— Merci… Il y a différentes sortes de sourires. » marmonna
Altina alors qu’elle dévisageait le pain.
33
Après avoir fini le pain dur, Régis demanda : « Tu as dit
quelque chose ?
— J’ai vu des sourires plus froids.
— Hmm… Où ça ?
— À la cour impériale. »
Aussitôt, Altina prit une bouchée de pain. Le cheval hennit
soudainement. C’était un hennissement d’urgence implorant de
l’aide. Ils regardèrent en direction du siège conducteur.
« Il y a quelque chose…
— Là ! »
Altina pointa de son doigt l’avant du chariot, où les pattes
avant du cheval pointaient également. Il y avait cinq ombres dans
le blizzard. Une lumière noire chatoyait dans leurs yeux dorés. Il
y avait cinq gueules ensanglantées. Régis sentit comme si un
démon serrait son cœur.
« Des loups…
— Des loups gris.
— Faisons-leur peur… On a besoin de torches qu’on va leur
lancer. Ah, as-tu un briquet ?
— Calme-toi Régis ! Il n’y a aucune raison que j’en ai un.
— Argh… T’as raison.
— Si ça continue, le cheval va être en danger.
— Et après, ce sera notre tour… Gagaga… Tss ! »
Régis se retira dans le compartiment à bagages près de l’abri.
Il attrapa son épée et sauta hors du chariot. Altina loucha et
soupira.
« Eh bien, il a dit qu’il protégerait les citoyens mais… »
Qu’importe à quel point il était cool quand il avait dit ça,
c’était une toute autre situation quand sa propre vie était en jeu.
Altina le savait. Va-t-il garder son courage ? se demanda-t-elle.
Mais Régis se posta à l’avant du chariot. Il ne s’était pas enfui.
Il leva son épée et fit face au loup le plus imposant.
« Ah gagaga !
— Mais, mais qu’est-ce que tu fais ? Même un chevalier
aurait du mal face à des loups gris !
34
— Je sais ça ! C’est pourquoi je fais ce que je fais ! »
Les mains de Régis ne tremblaient pas à cause du froid. Sa
posture était celle d’un novice. Non, c’était même pire que ça.
Son dos était voûté et il n'avait aucune force dans les hanches.
On aurait cru qu’il se retournerait et s’enfuirait à tout moment.
Même un enfant du coin aurait une posture plus droite.
Altina attrapa sa tête dans ses bras.
« Crois-tu que tu vas gagner de cette façon ?
— Haha… Il n’y a pas de quoi être fier, mais je n’ai jamais
gagné lors d’un entraînement à l’épée.
— Il n’y a vraiment pas de quoi être fier.
— Va-t’en, Altina… Prends le cheval et force-le à galoper.
Nous allons devenir leur dîner si on ne fait rien…
— T’es sérieux ? Tu vas mourir ? »
C’était un cri empli de tristesse. Régis sourit. Ce n’était pas
un sourire pour soulager Altina, ou parce qu’il avait un tour dans
son sac. C’était un sourire tout ce qu’il y a de plus naturel. Même
Régis ne comprenait pas pourquoi.
« Après tout… la mort est préférable à une vie bizarre.
— Ah ! »
Altina haletait.
Même Régis trouvait ça bizarre. Pourquoi souriait-il ? Se
moquait-il de sa propre stupidité ? Non, c’était trop négatif.
C’était uniquement pour avoir respecté ses principes malgré une
situation désastreuse.
« Même moi pourrais te faire gagner du temps. Les loups
n’attaqueront pas si facilement un ennemi qui s’approche d’eux
au lieu de courir. Ils vont d’abord évaluer sa force et ne se
rapprocher qu’une fois certains de leur victoire… Ah, euh ? Je
crois qu’ils se rapprochent de moi !
— Tout à fait, ta posture est trop faiblarde. »
La voix d’Altina était gaie pour une raison inconnue. Était-
ce comme un sourire pour elle ?
35
Le plus gros loup s’approcha. Il ouvrit sa gueule aux crocs
acérés et grogna. Bien qu’il restait encore une bonne distance,
Régis agitait son épée pour intimider les loups.
« Eh ! Eh ! »
Il finit par pencher d’un côté à cause du poids de l’épée. Sa
pointe tapa le sol. Un son de cognement retentit. La poignée de
l’épée frappa le genou gauche de Régis.
« Ouille !
— Merci Régis. Tu as protégé avec succès la citoyenne. Tu
as protégé la conductrice de chariot Altina.
— Hein ? »
Régis tourna la tête, surpris par ce ton gai. Les yeux
cramoisis d’Altina brillaient. Elle prit quelque chose en argent
du compartiment à bagages. Il brillait de mille feux même dans
l’obscurité du blizzard. Repoussant les briques et le bois, la jeune
fille sortit l’objet caché sous son maigre bras.
Un cliquetis se fit entendre. Quelque chose de stupéfiant et
d’incroyable était en train de se produire. C’était lourd, large,
épais et énorme. Il lui fallut du temps pour comprendre quel était
cet objet de grande taille.
Le chariot cachait à peine toute sa longueur. Un morceau de
métal trop lourd à manier pour des humains. En dehors de sa
taille colossale, il avait été poli proprement et sans tâche. La lame
était tel un miroir. Les lèvres de Régis tremblaient.
« Le Quatuor Foudroyant de l’Empereur... »
Altina tenait l’épée des rois dans sa main droite.
Le manteau qu’elle portait flottait au vent comme la cape
d’un dirigeant. Ses cheveux roux flamboyants étaient retenus en
arrière par sa main gauche.
« C’est à mon tour de te protéger, Régis. Regarde
attentivement.
— Quoi ?
— Cette épée est-elle juste un carreau surdimensionné sur un
moineau, ou est-ce une lame maniée par un roi ? »
36
37
Les jambes d’Altina s’enfoncèrent dans la neige. Elle
dégagea la neige du pied et avança. L’épée dans sa main hurlait
alors qu’elle tranchait l’air.
« Aaaah ! »
Elle frappa le sol, fracassant la terre. La neige au sol
éclata. Ce n'était pas une frappe, mais un véritable coup de
canon… pensa Régis.
Il pouvait sentir les tremblements du sol. Les loups gris
allaient probablement reculer. Et il avait vu juste. Seule la neige
avait éclaté, les loups gris s’étaient retirés à bonne distance,
échappant à une mort certaine.
Altina prit le pain caché dans sa poitrine et le lança aux loups.
« Eh ! »
À cause du vent, le pain tomba loin des loups.
« C’est pour vous ! Dépêchez-vous et rentrez chez vous ! »
Un loup renifla le pain, le mangea et s’enfuit. Ils disparurent
dans le brouillard blanc du blizzard.
Régis détendit sa posture et s’effondra. Altina coinça l’épée
dans le sol et lui fit face.
« Tu es blessé ?
— Aïe ! Outch… Mon genou gauche me fait mal.
— Tu ne te l’es pas tapé avec ta propre épée quand même ?
— J’étais en train de rêver à ce moment-là, je ne me souviens
pas. »
Altina sourit maladroitement tandis que Régis se grattait la
tête.
« Tu m’impressionnes… Non… Votre Altesse Marie Garter
Argentina de Belgaria, quatrième princesse royale… Est-ce bien
cela, Madame ?
— N’est-ce pas trop tard pour ça ?
— Ah, tu es méchante. »
Régis ne put que soupirer. Altina était tout sourire d'avoir
accompli son plan avec succès.
« Tu n’avais vraiment pas remarqué ?
38
— Eh bien, j’avais remarqué tes cheveux et tes yeux rouges,
mais Altina me semblait un peu trop éloigné d’Argentina.
— C’est ainsi que ma mère m’appelle.
— Argentina est le nom de la terre natale de Claudette
Bartholomew. Et Altina est le surnom de ce lieu…
— Pourquoi n’as-tu rien remarqué si tu savais ça ?
— Tout ceci était trop grotesque, alors je me suis dit que non.
La commandante de l’unité où je suis transféré est la quatrième
princesse royale. Que la Princesse vienne me chercher en tant
que conductrice de chariot, c'est un peu trop.
— Je pensais que j’allais être démasquée à la librairie et
j’étais nerveuse tout du long.
— Je comprends maintenant le comportement suspect du
boutiquier. Fais-tu toujours des trucs pareils ?
— Non ! Si je continue comme ça, des rumeurs concernant
une princesse stupide se répandront.
— Nous étions en ville tout à l’heure, la nouvelle s’est peut-
être déjà répandue… Princesse Coursière.
— Ça sonne mieux que Princesse Carreau-Moineau. »
Elle était très troublée à ce sujet. Régis pencha la tête.
« Tu disais ne pas toujours faire des trucs pareils… Alors
pourquoi moi ? Tu comptes me tenir rancune ?
— Rancune ?
— Peu importe comment on regarde, j’ai été irrespectueux
envers l’Empereur. Mes manières quand à ton rôle joué mises de
côté, critiquer l’Empereur est un crime majeur.
— Pourquoi l’as-tu dit si tu savais que c’était un crime ?
— Ce genre de conversation est tout ce qu’il y a de plus
naturel chez les roturiers. »
Altina posa ses mains sur ses hanches et fronça les sourcils.
Après une accalmie, la situation empirait de nouveau. La
tempête battait encore tandis que la température chutait suite au
coucher de soleil.
39
« Je ne veux pas d’incompréhension entre nous. Je ne te tiens
aucune rancune et n’ai aucune intention de te traduire en justice
pour critiques envers l’Empereur.
— Alors pourquoi ?
— Parce que j’ai entendu une rumeur comme quoi tu étais un
tacticien hors pair.
— Tu parles de moi ? Je pense que c’est exagéré.
— Je pense que c’est possible… J’ai besoin de l’aide
d’hommes compétents… Pas juste doués, mais aussi qui ont de
bonnes valeurs et principes. Je devais investiguer plus en
profondeur.
— C’est pourquoi tu t’es déguisée en conductrice ?
— Il y a des choses qui ne peuvent être dites en face d’une
figure royale, non ? Je voulais écouter tes vraies pensées, Régis
Alric.
— Tout ce que tu as découvert aujourd’hui, c'est que j’ai zéro
passion pour les affaires militaires.
— Et pour l’escrime également. »
Altina riait alors que Régis se grattait la tête. Elle regarda
soudainement au loin.
« Ah… Il semble que ton pressentiment était bon.
— Comment ça ? »
Altina écoutait attentivement. Régis en fit de même. Peu
après, des sons de sabots trottant sur la route enneigée pouvaient
être entendus.
« Elle m’en a parlé juste avant, son ouïe est fine. » se dit
Régis impressionné.
« Ah… Mais si c'était des bandits ou des barbares ?
— J’entends les cliquetis des armures métalliques, c’est donc
eux.
— Tu arrives aussi à entendre ça ? »
Alors qu’elle parlait, cinq cavaliers apparurent à travers le
blizzard. Le chevalier en armure mit pied à terre devant Altina.
Ils s’agenouillèrent.
40
« Princesse, allez-vous bien ? » demanda un homme chauve
d’âge moyen à la barbe noire.
Altina hocha de la tête.
« Merci d’être venu me chercher. Je vais bien… Mais le
cheval est blessé.
— Je vois ! Laissons mon cheval tirer le chariot.
— Oui, je vous le laisse. »
Le chariot se remit en route une fois les chevaux interchangés.
Le cheval blessé allait suivre le chariot, ses rênes étant attachées
à l’arrière de ce dernier. Deux soldats soulevèrent l’épée d’Altina
et la déposèrent dans le compartiment à bagages.
Après avoir observé les soldats accomplissant leur devoir,
Altina s’approcha de Régis. Elle tendit sa main blanche vers
Régis qui était assis, épuisé.
« Lève-toi, il est temps d’y aller.
— Euh… Votre Altesse, Princesse ?
— Oublie ça, c’est trop tard pour que tu t’adresses à moi ainsi.
— Non, je pensais que vous étiez alors une simple
conductrice…
— Ça va gâcher ma bonne humeur. Tu disais que tu
m’appellerais par mon surnom tout à l’heure. Mentais-tu ?
— Euh… »
C’est parce que tu étais déguisée en conductrice de chariot,
pensa Régis, mais il ne pouvait le dire.
Le dos de Régis était trempé de sueurs froides. Il se rappela
que c’était un calvaire d’être banni aux régions frontalières. Mais
il aurait pu se retrouver dans un lieu invraisemblable. Il leva la
tête et regarda le ciel. Régis prit la main qui lui était tendue.
« Je ne voudrais pas compromettre ton humeur… Mais est-
ce vraiment ce que tu veux, Altina ?
— Évidemment ! » sa voix était pleine d’énergie.
« Bienvenue parmi mon régiment frontalier ! Je vais te faire
travailler dur, Régis Alric ! »