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ALBUM

AZIKIWE - Mon fils !

Jacques Henri Prévost

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AZIKIWE mon fils !.

© Jacques Henri Prévost - 2017

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AZIKIWE, mon fils !

AZIKIWE (Celui qui tire, celui qui entr'ouvre )

© Jacques Henri Prévost – 2017

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AZIKIWE mon fils !.

Un masque épouvantable Recouvre son visage,

Et ses membres crispés sortent bizarrement D’un flot de raphia blond.

Au bas d’un gros rocher, Prostré, il gît, couché,

Immobile comme un cadavre.

Le froid du sombre abîme Glace déjà son sang,

En étreignant son cœur.

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Sur la terre mouillée de latérite rouge, Brûle dans une lampe, une petite flamme, Et sa grise fumée noircit le grand rocher.

Dans la caverne des ancêtres,

Azikiwé, se tient, Couché au coeur d’un cercle,

Sinistre et mystérieux De douze crânes blancs, solennels et magiques

Dans leurs grandes orbites vides,

De rondes pépites de cuivre Rendent à ces yeux morts l’illusion d’un regard.

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Autour d’Azikiwé gisant, Les vieux crânes blanchis

Impassibles veilleurs, Montent une garde sûre.

Mais tandis que son corps s’enlise Dans la rouge boue du sépulcre,

L’esprit aigu d’Azikiwé Darde comme une lance, au cœur sacré des dieux.

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Il a longtemps marché Sous le soleil brûlant

Déversant sur la terre sa torpeur étouffante,

Allant sans laisser d’ombre, Sous ce zénith de feu,

Il a franchi le marigot pourri Où dérivaient des crocodiles,

Courant jusqu’au piton glaiseux Où les ancêtres avaient jadis

Fondé leur demeure de cadavres.

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Au bas moussu de la colline, Une sombre blessure béait.

L’entrée d’une caverne fermée des toiles grises

De noires araignées dont la seule morsure Etait toujours mortelle.

Azikiwé, est alors descendu

Dans le dédale obscur, Fort inquiétant, des salles.

Et dans les noires entrailles,

Il a suivi tracées sur les murailles, Les vieilles marques du chemin

Laissées par les mains ancestrales.

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Dans l’obscurité des couloirs, Les longues stalactites, éplorées de la voûte,

Pleuraient de lourdes gouttes d’eau Dans le cœur des gours de calcite,

Et la chute rythmée des larmes cristallines

Eveillait les murmures des échos chuchotants.

Tandis que dans l’eau noire, on voyait fluorer Des poissons transparents

Aux arêtes opalines

La flamme de sa torche chassait dans les rochers Des ombres fantastiques Et leurs sombres reflets

Gesticulaient sur les grises murailles,

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Ces fantômes ombreux ont suivi sa descente Jusqu’à la salle rouge où les crânes polis

Luisaient légèrement Au devant de sa lampe.

Couché au centre même de ce cercle inquiétant,

Azikiwé rappelait ses paniques d’enfant

Quand il fut initié à ce sinistre rite, Magique et terrifiant. Interminable rotation

Que la vie et la mort des hommes, Ou des enfants,

Imprimaient au cadran de la funèbre horloge.

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A quelque temps de là, Azikiwé portait Un crâne bien poli dans une calebasse.

Il l’appelait « Abatou, Père », car il l’était

Tant lustré, sec et nu que des siècles semblaient Avoir poli ses os de blancheur opaline.

Abatou était mort la veille, Azikiwé Avait, suivant le rite des ancêtres,

Livré son pauvre corps, dénudé et paré, A la grande Reine Taka,

La fourmi promeneuse de la vaste forêt.

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Et la Reine Taka offrit à Abatou D’horribles et délectables noces.

Déversant sur le corps offert

Ses myriades affamées, En palpitant manteau qui ne se désunit

Que bien longtemps plus tard.

Quand l’union de la vie Ardente et frénétique

A la mort impassible, fut enfin consommée, Abatou et Taka se remirent en marche,

Et Abatou marchait sur les pattes de Taka,

Il voyait par ses millions d’yeux, Et il sentait par ses antennes,

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Quand il partit avec Taka, Abatou laissa là son squelette inutile.

Azikiwé appela le crâne « Abatou Père ».

Il l’amena dans la tombe ancestrale.

Et lui posa dans les deux yeux Les pépites de cuivre de l’Ancien des anciens

Dont il précipita le crâne dans l’abîme.

L’antique horloge de la vie Et de la mort des hommes,

Avança d’un pas dans le temps.

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Voici qu’Azikiwé, en ce jour, descendit Dans le sombre tombeau antique,

Avec un oiseau dans un sac,

Et son couteau de fer égorgea l’animal, En ses mains tremblantes il garda Quelque temps le corps frémissant.

La sensibilité exacerbée par le sang

Qui tachait de rouge le sol, Azikiwé éprouva dans les douloureux spasmes

Les signes affreux de l’agonie

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Pour s’assurer de reconnaître L’ultime instant qui rompt le lien Du quasi mort à l’encore en vie,

L’imperceptible instant qu’il fallait éviter

Dans la terrible épreuve qu’il s’apprêtait à vivre.

Puis, dans un vase, il a mêlé Des baies de népenthès,

A du suc d’agaric et du venin de basilic.

Il a lentement absorbé Un peu de ce philtre magique

Qui brouilla sa vue, affola son cœur Et tordit ses reins.

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Et là, Azikiwé muet, Se tient devant la lampe.

Dans le profond silence de son corps immobile, Laissant venir en lui tout le savoir des Pères

Son esprit libéré suivant sa quête ardente,

Tranche l’un après l’autre Les nombreux liens subtils

Qui enchaînent sa chair à ses vitaux instincts.

Voici qu’au terme ultime du douloureux tourment, Qu’enfin, il flotte libre,

Epouvanté, muet, et grand comme le Monde.

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Alors il peut plonger sa nouvelle conscience Dans une connaissance qui risque de le perdre. Tout en gardant pourtant le lien vers le retour,

Le précieux fil d’argent, Le fil de vie de la légende !

Azikiwé rassemble son énergie mentale,

Dans un ultime effort d’immatérialité

Et les Elémentaux relâchent leurs puissances, Terre et Eau, Air et Feu,

Et toutes les vertus Du Ciel et de l’Enfer tombent son pouvoir.

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Acharnement ! Atroce effort ! Elan furieux de volonté !

Ultime assaut de l’énergie ultime !

Le barrage qui rompt et le mur qui s’écroule,

La ruée dans la brèche !

Le fil d’argent !

Le fil d’argent surtout ! Le lien de vie qu’il faut garder !

Par la magie des Pères,

Azikiwé apprend tous les secrets du temps. Et emprunte la voie des dieux

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Il peut voir le passé et tout le cours des âges, Contempler les sauriens géants

Lutant sous les ombrages des immenses fougères.

Il surprend les anciens rampants Franchissant la boue des rivages

Pour submerger la Terre.

Il pourrait partager les débuts des étoiles Et le savoir de l’Univers.

Mais c’était l’avenir qu’il cherchait.

Il regarde le jour prochain.

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Alors pour l’homme Azikiwé, Le Livre d’or des prochains jours

Vient de s’ouvrir Sur le secret du lendemain,

Choc vital ! Et douleur !

Le fil d’argent claque comme un fouet,

Les Elémentaux se réveillent

Reprenant à l’instant leurs pouvoirs oubliés.

Puis les portes forcées du Ciel et des Mystères Se referment à tout jamais.

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Le terrible réveil !

L’épouvantable chute ! Jusqu’au fond du corps révulsé !

La connaissance et la révolte,

Puis l’instinct du refus de la révélation.

Et la conscience qui revient,

Et la raison enfin ! Abaissant les barrages et formulant l’idée,

Bâtissant les images pour accepter que vienne

Enfin, l’intelligence Du fantastique instant présent !

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Alors, Azikiwé en chancelant se lève,

Son regard transparent Fixe à travers l’abîme l’imminent cataclysme.

Indicible tristesse !

Voila qu’il se souvient

De la page si blanche du tout prochain matin.

Car la page était vierge et c’était la dernière.

Il n’y aurait pas de demain !

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Sur le sol de latérite rouge, L’horloge de la vie et de la mort des hommes,

Dans sa ronde funèbre, enfin s’est arrêtée.

Claire comme une lune, La lumière de la lampe, A l’instant, s’est figée.

Les stalactites désolées ne pleurent plus dans l’ombre,

Et les échos se taisent.

L’eau noire retient son cours.

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L’obscurité des profondeurs attend L’ordre muet,

Le verbe impératif Montant du fond des âges.

Soupir !

Balancement !

Un tout dernier instant hésite

Encore, Au bord du temps,

Ultime grain désespéré au sablier cosmique.

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Sanglot ! Combat violent !

Vie de la mort !

Mort de la vie !

Les deux avides ! Les deux géants !

Les deux fureurs !

Les deux menteurs !

Les deux amours ! Les deux amants !

Ruée d’apocalypse ! Duel ardent !

Silence ! Obscurité !

Angoisse !

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La boue des origines en amples filaments, S’écoule,

En protoplasmes transparents

Souffle léger ! Candeur !

Virginité !

Ballet d’atomes effervescents !

Chaos ! Passion !

Printemps !

Frisson ! Rumeur !

Commencement !

Au loin, dans les abysses, Rampent des bruits mouillés.

Dans les recoins obscurs, un coeur géant palpite.

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L’eau du petit ruisseau a repris sa musique.

Et là bas dans les gours, dessous les stalactites,

Les gouttes ont rétabli leurs notes argentines.

Au crochet de la lampe, Flambe une étoile d’or.

La glaise humide, au sol, a des reflets de sang.

Des lucioles éblouies

S’allument, au rond magique.

D’étranges regards blancs, Illuminés d’étoiles,

Clignent dans la candeur de voiles transparents.

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Les ombreuses orbites des faces ivoirines Retrouvent soudain des paupières,

Eblouis par l’éclat du tout nouveau matin,

Les époux de Taka n’ont plus leurs yeux de cuivre.

La glaise originelle leur a rendu des membres. Et voici qu’une voix appelle doucement :

« Azikiwé ! Mon fils ! »

« Azikiwé, mon cher enfant ! «

Fin

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© Jacques Henri Prévost – 2017

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AZIKIWE, mon fils !

AZIKIWE (Celui qui tire, celui qui entr'ouvre )

© Jacques Henri Prévost - 2017