Post on 16-Feb-2020
MINISTÈRE DE LA JUSTICE
École Nationale de Protection Judiciaire de la Jeunesse
Formation préparatoire à la prise de fonction de Responsable d’Unité Éducative
8ème
promotion
Année 2015-2016
MALARTRE Daniel
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LE RESPONSABLE D’UNITÉ ÉDUCATIVE FACE À UNE PRATIQUE HORS CADRE
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Dossier d’expertise
Février 2016
Sous la guidance de Monsieur ZEZA REDON Jean-Jacques
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Préambule
Occupant actuellement la fonction d’éducateur, je brigue la fonction de Responsable d’Unité
Éducative (RUE). Aussi, dans ce dossier d’expertise destiné à exposer ma représentation de la
réalité fonctionnelle, institutionnelle et active du RUE, je fais le choix narratif d’un “je” projectif
dans la fonction.
J’exprime ainsi la manière dont j’envisage les rôles, actions et postures du RUE dans le
traitement des situations et problématiques diverses qui se posent à lui. _____________________________________________________________________________________
-SOMMAIRE-
INTRODUCTION……………………………………………………………………page 2
PARTIE I : A L'ÉPREUVE D'UNE LOI
Chapitre 1: Le constat…………………………………………………………………page 2
1-1 Le lieu, les acteurs
1-2 Le cadre des choses et les références
1-3 Le diagnostic
Chapitre 2: Analyse et orientation……………………………………………………..page 5
2-1 De la question au problème
2-2 Ce qui doit changer: le R.U.E. chef d'orchestre
PARTIE II : OPÉRER LE CHANGEMENT
Chapitre 1: Les leviers du changement……………………………………………….page 6
1-1 De la sociologie du changement aux choix d'actions
1-2 Les partitions des acteurs
Chapitre 2: Les perspectives pour une évaluation……………………………………page 9
1-1 L'échéancier et les critères
1-2 Faire savoir
CONCLUSIONS…………………………………………………………..page 11
BIBLIOGRAPHIE et SIGLES……………………………………………..page 12
ANNEXES…………………………………………………………………page 13
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INTRODUCTION
La loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale a intégré les services
de La Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) aux Établissements médico-sociaux. Ce qui a eu
pour conséquence, entre autres, de les impliquer dans l’utilisation de divers outils visant à
l'amélioration de l'accueil du public pris en charge dans ces structures. Le Document Individuel
de Prise en Charge (DIPC), en est un.
Il doit, comme l'indique la note de la Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (DPJJ)
du 16 mars 2007, être mis en œuvre pour toutes les mesures éducatives prises en charge par les
services, hormis les mesures d'investigation.
Cependant, il est une Unité Éducative de Milieu Ouvert (UEMO) de la PJJ où le nombre de DIPC
réalisés est loin d'être équivalent au nombre de jeunes pris en charges. Hormis le non-respect de
la loi qui interroge, on est enclin à se demander pourquoi cet outil pédagogique peut être à ce
point éludé? Où se cachent les freins à sa mise en œuvre? Comment faire pour améliorer la
situation?
Nouvellement affecté sur cette unité au poste de Responsable d'Unité Éducative, garant de la
légalité et en charge de l’animation pédagogique dans le respect du cadre règlementaire, il s'agira
donc pour moi de remédier à cette situation. Il me faudra comprendre pourquoi l'équipe éducative
n'utilise pas le DIPC et de trouver des solutions à ce problème, satisfaisantes pour le service et les
agents.
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PARTIE I A L'ÉPREUVE D'UNE LOI
CHAPITRE 1: Le Constat
1.1 Le lieu, les acteurs.
La PJJ a connu en 2005 un audit de la Cour des Comptes dont les conclusions ont
amené l’institution à considérablement changer son organisation. Un Projet Stratégique National
a vu le jour en 2006 qui se déclinait sur le territoire en Projet Stratégique Régional, Projet
Départemental puis Projet de Services.
En conséquence, l'année 2010 vit la réorganisation des services avec de nouvelles appellations:
Les Directions Régionales deviennent Directions Interrégionales, les Directions Départementales
deviennent Directions Territoriales et les services de Milieu Ouvert notamment deviennent des
Services Territoriaux de Milieu Ouvert, subdivisés en Unités Éducatives de Milieu Ouvert.
Cette nouvelle organisation doit, entre autre, permettre à l'institution, de mettre en œuvre les
orientations de la loi du 2 janvier 2002 évoquée ci-dessus.
Affecté récemment au poste de RUE, je constate avec circonspection que ce DIPC est
peu, voire pas, réalisé au sein de la nouvelle unité où j'interviens.
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Située à la périphérie d'une grande ville, l'UEMO est la seconde composante d'un
Service Territorial Éducatif de Milieu Ouvert (STEMO). Elle est constituée de six éducateurs, un
psychologue, un assistant de service social, un adjoint administratif et d'un Responsable d'Unité
Éducative, tous titulaires.
Parfois l'un des six éducateurs produit un DIPC parce que ce jour là le directeur de service en a
rappelé le caractère obligatoire. Aucune attention particulière n'est portée à ce document. Pire,
tout se passe comme si cet outil était un « objet repoussoir » à mille lieux de favoriser la mise en
œuvre de l'action d'éducation selon les acteurs en présence.
Ce faisant, l'équipe de l'UEMO dans son ensemble ne respecte ni la Loi évoquée plus haut, ni le
code de l'action sociale, ni les recommandations de l'Agence Nationale d’Évaluation des Services
Médico-sociaux (ANESM), et ne respecte pas non plus le projet de l'unité.
1.2 Le cadre législatif et réglementaire.
La loi du 2 janvier 2002 stipule tout d'abord que ce document doit permettre "la
définition avec l'usager ou son représentant légal des objectifs de la prise en charge". Ensuite est
précisé que doit apparaître "la description des conditions de séjour ou d'accueil." Enfin, plus
avant dans le texte est écrit: "Un avenant précise dans le délai maximum de six mois les objectifs
et les prestations adaptées à la personne. Chaque année, la définition des objectifs et des
prestations est réactualisée."
Le code de l'action sociale lui, dans son article L311-3 nous informe que :" L'exercice des droits
et libertés individuels est garanti à toute personne prise en charge dans les établissements
médico-sociaux." Ainsi, à l'alinéa 2 et 3, lui sont respectivement assurés: "Sous réserve des pouvoirs reconnus à l'autorité judiciaire et des nécessités liées à la protection
des mineurs en dangers [...] le libre choix entre les prestations adaptées qui lui sont offertes." "Une prise en charge et un accompagnement individualisé de qualité favorisant son
développement, son autonomie, son insertion, adaptés à son âge et à ses besoins [...] Et ce même code de l'action sociale de préciser, dans son article D311: " Le Document Individuel
de Prise en Charge est établi [...] par les établissements ou services mettant en œuvre les
mesures ordonnées par l'autorité judiciaire en application de l'ordonnance du 2 février 1945
[...]."
Toujours à ce sujet, en 2008, l'ANESM, dans ses recommandations de bonnes pratiques
professionnelles "Les attentes de la personne et le projet personnalisé" souligne dans son
introduction, à propos de ces documents individuels de prise en charge, qu'ils "...viennent
soutenir l'objectif des acteurs de terrain: répondre au mieux à la singularité de chaque
situation." La partie trois du chapitre quatre est intitulée: "Dans les situations encadrées par une décision de
justice, expliquer les décisions de justice prises dans l’intérêt de la personne et laisser le
maximum d'autonomie à la personne." Cette partie précise que pour ces situations: " si des décisions importantes sont prises, elles seront
expliquées précisément au cours d'entretiens entre les professionnels, la personne et son
représentant légal. Le cadre dans lequel ces décisions interviennent sera clarifié, les fonctions de
chaque partie prenante précisées et ce qui est attendu de chacun bien identifié."
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Quant au projet de l'unité, il stipule dans l’article 1.4.2 : “ Le Document Individuel de prise en
Charge est mis en place pour toutes les mesures, à l’exception des mesures d’investigation, il doit
être signé dans le premier mois d’intervention par les jeunes et les représentants légaux. Il est
placé dans le dossier administratif du mineur. ”
1.3 Le diagnostic
Hormis les Mesures Judiciaires d’Investigation Éducative (MJIE), l'UEMO prend en
charge actuellement 100 jeunes. Un comptage des DIPC présents dans les dossiers donne un
résultat de 39. Soit un écart considérable avec ce que l'on est en droit d'attendre puisqu'absent de
plus de la moitié des dossiers.
Au détour des conversations informelles tout comme lors des temps de réunion, les
arguments les plus couramment avancés par les éducateurs pour ne pas remplir ces documents
sont assez variés.
Certains lui reprochent de n'être qu'un "papier" de plus, arguant que son contenu est quelque
chose qu' “ on ” faisait déjà oralement voire par écrit pour certains: "on ne va pas perdre du
temps à remplir un formulaire de plus." La majorité s'offusque que l'administration puisse laisser croire à l'usager qu'il est acteur dans une
décision judiciaire pénale le concernant: "On l'illusionne!" D'autres diront que l'outil est trop standardisé, que l'on se doit d'individualiser à chaque jeune pris
en charge pour avoir une action éducative efficiente.
Beaucoup estiment, comme une évidence, que le DIPC "peut être utile en hébergement mais pas
en milieu ouvert" sans plus d'explication. L'argument le plus partagé reste le fait que c'est un outil pour les établissements médico-sociaux
où l'usager "à son mot à dire" dans la prise en charge, mais qui ne peut convenir à la PJJ où la
prise en charge est décidée par le magistrat. Enfin, il est dernier un argument entendu parfois: "Encore un outil de contrôle des éducateurs".
Si l'on compare ces "reproches" aux divers contenus résumés dans le paragraphe 1.2, il semble
bien que la vision du DIPC mise en avant par les éducateurs soit quelque peu erronée quant au
véritable contenu et objectif de ce document. À l’évidence, ils ne le mettent pas en œuvre parce
qu'ils ne lui trouvent aucun intérêt, ni pour eux, ni pour l'usager.
Connaissent-ils vraiment le DIPC? Son origine, son sens, sa portée, ses enjeux?
Dénigré par la plupart d'entre eux sur la base des représentations énumérées ci-dessus, un
consensus s'est fait jour dans les pratiques: on oublie le Document Individuel de Prise en Charge.
En tant que Responsable d'Unité je ne peux laisser perdurer cet état de fait où le service
n'applique pas la Loi et où, de fait, le RUE n'est plus garant du respect des droits des usagers dans
le cadre législatif et réglementaire actuel.
Partant de ce constat, comment faire évoluer les représentations du DIPC au sein de l'équipe?
Comment redonner de la valeur à ce document? Comment faire utiliser le DIPC dans cette
UEMO? Ainsi pour le RUE que je suis, un double enjeu se fait jour: comment mettre les pratiques
professionnelles de l'unité en conformité avec le cadre règlementaire tout en introduisant sens et
appropriation de celui-ci par l'équipe?
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CHAPITRE 2 : Analyse et orientations
2.1 De la question au problème
La plupart des services de milieu ouvert prévoient dans leur projet d'unité des temps
repérés entre le RUE et chaque éducateur pour aborder le déroulement et l'évolution des prises en
charge pour chaque jeune. Ces "points mesures", bimensuels pour l'unité au sein de laquelle
j'interviens, font ressortir un investissement conséquent de tous dans la conduite des mesures qui
leur sont confiées.
Pourtant, les éducateurs de l'UEMO fonctionnent comme si le DIPC était venu remettre en cause
leur pratique, comme si cet outil venait leur dire: "vous ne faisiez pas bien avant, maintenant vous
allez faire mieux parce qu'on vous dit comment faire".
Une dynamique réactionnelle et solidaire a vu le jour au sein de l'équipe contre ce "mauvais
objet" qu'est alors devenu le DIPC.
L'ignorer devenait la meilleure défense contre l'attaque de l'identité professionnelle ainsi vécue.
Et ce malgré la conscience indiscutée de contrevenir à la loi.
De plus, le relevé du nombre de DIPC dans les dossiers, effectué à mon arrivée montre que les
39% réalisés l'ont tous été à des moments différents de la prise en charge, avec des contenus très
disparates, deux critères qui visiblement relevaient du bon vouloir de l'éducateur.
Il s'agira donc de trouver les moyens de changer une habitude ancrée dans une pratique
professionnelle commune. Cette attitude laisse entrevoir deux possibilités pour cette équipe:
Soit une absence de culpabilité, probablement due au fait qu'il s'agit d'un document externe, qui
ne vient pas d'eux.
Soit une présence de culpabilité, probablement due au fait de ne pas même s'y intéresser.
Dans les deux cas, il s'agira de faire disparaître cette résistance, en les conduisant à s'approprier
ce document.
Au vu de la force de ce consensus, il faudra probablement amener l'équipe elle-même à être
moteur du changement de vision, de positionnement vis à vis du DIPC.
D'autre part, un tel refus de la mise en œuvre du DIPC interroge quant à la vision qu'ont
les éducateurs de l'usager dont ils ont la charge. Est-il possible qu'ils puissent le considérer
comme un être soumis, sans droits, à la seule merci de la stratégie éducative élaborée et décidée
par l'éducateur et lui seul puisque le juge en a décidé ainsi et qui plus est dans un cadre pénal?
Aborder cette question devrait permettre à chacun dans l'équipe de questionner son rapport au
mineur pris en charge et sa famille et ainsi soulever la contradiction probable entre la prise en
compte pleine et entière des usagers dans chaque mesure par chaque éducateur et le refus de leur
accorder un document officialisant la rencontre entre ces derniers et les objectifs des rencontres à
venir.
Ainsi le problème auquel je suis confronté en tant que RUE dans cette équipe semble relever d'un
paradoxe évident entre qualité effective de la prise en charge et absence prononcée de lisibilité de
cette qualité de prise en charge se traduisant par la non réalisation des DIPC.
2.2 Ce qui doit changer
Le projet que je souhaite mettre en place sur cette question devra aboutir à la
reconnaissance du DIPC par l'équipe éducative en tant qu'élément à la fois de respect du droit des
usagers à l'information sur leur prise en charge mais aussi comme outil pédagogique premier à la
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prise en compte de l'individu dans sa singularité pour l'action éducative à venir.
Flore CAPELIER, chargée de projet à l'observatoire national de l'enfance en danger, dans son
ouvrage: "Comprendre la protection de l'enfance: l'enfant en danger face au droit" se réfère à
une circulaire récente1 réaffirmant que "l'intervention judiciaire, pénale comme civile, poursuit
les mêmes finalités de protection, d'éducation et d'insertion que les actions de protection
administrative.[...]les services de la protection judiciaire de la jeunesse comme les services
départementaux qui interviennent au titre de l'assistance éducative, ont pour usagers à la fois
l'enfant et ses parents." Apparaît donc bien ici la "nature" des personnes sujettes aux mesures éducatives pénales. Elles
sont des usagers à part entière bénéficiant à ce titre des mêmes droits que tout autre usager de
l'administration. Elles ne peuvent donc faire l'objet de discrimination comme pourrait être
qualifié le fait que les éducateurs de l'UEMO ici concernée ne leur permettent trop souvent pas
d'avoir un DIPC.
Toujours dans le même ouvrage Flore CAPELLIER rappelle que l’alinéa 3 de l'article 311-3 du
code de l'action sociale et des familles précise: "La loi prévoit une participation directe de
l'usager, ou avec l'aide de son représentant légal, à la conception et à la mise en œuvre du projet
d'accueil et d'accompagnement qui le concerne."
Nous sommes donc ici au nœud du problème que le RUE, chef d'orchestre, doit résoudre: une
partition écrite (la loi de 2002) mal interprétée par les musiciens (l'équipe éducative).
Le chef d'orchestre doit amener chacun à jouer la même musique mais pour cela, il faut que tous
la connaissent et se l'approprient. Dès lors, j'informe le directeur de service de la situation,
échange avec lui sur les enjeux et après l’avoir convaincu de la nécessité d’agir, travaille avec lui
à une stratégie résolutive. Stratégie que, de ma place d’animateur pédagogique, je devrai mettre
en œuvre.
*********
PARTIE II OPÉRER LE CHANGEMENT
CHAPITRE 1: Les leviers du changement
1.1 Agir avec la sociologie du changement.
En tant que RUE de l'unité, constater un fonctionnement "hors la loi" tel que celui
instauré par les éducateurs à propos du DIPC est difficilement acceptable.
Ce positionnement doit être clairement énoncé, par le Directeur de Service (DS) d’abord, puis
repris par le RUE auprès de l'équipe dans son ensemble. Cet aspect directif et binomial légitime
le rôle de manager d'équipe du RUE. Ce lien DS/RUE et cette posture directive de départ sont
1 Circulaire d’orientation du 6 mai 2010 relative au rôle de l’institution judiciaire dans la mise en œuvre de la
réforme de la protection de l’enfance (NOR : JUSF1015443C)
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incontournables pour mettre en place des solutions au problème posé. Ils constituent un point de
démarrage non négociable. Néanmoins, le problème posé au service et les enjeux inhérents
peuvent être reconnus et acceptés par l’équipe, par ailleurs très respectueuse de
l'accomplissement des missions du service.
Philippe BERNOUX, sociologue, dans son ouvrage "Sociologie du changement des
entreprises et des organisations" remarque: "La première condition d'introduction du
changement est la bonne connaissance des problèmes réels. Or cette connaissance ne peut pas
s'obtenir sans son expression par les acteurs eux-mêmes."
Il faudra donc envisager un temps avec l'équipe sur le sens de la mise en œuvre du DIPC au sein
de l'unité. Pour ce faire, trois réunions devraient suffire.
Dans le même ouvrage, Philippe BERNOUX met en évidence que: "L'opposition aux décisions
est à comprendre d'abord non comme un problème de pouvoir, mais comme une volonté
d'affirmer sa propre logique et rationalité. En approfondissant ainsi le débat, on fait du
désaccord une controverse qui peut mieux permettre d'aboutir à un compromis". L'objectif de ce
temps sera d'aboutir non seulement au constat collectif d'infraction à la loi mais aussi à un
compromis sur comment remédier à cette situation.
L’aspect directif dès la deuxième réunion, ne devrait alors plus être de mise et pourra laisser
place à un management participatif durant la troisième réunion, permettant à chacun d'exprimer
sa propre logique et rationalité.
En effet il n'y a: "Pas de changement possible sans reconnaissance de ce qu'il engage la
rationalité des acteurs qui y sont mêlés. Faute de quoi, celui-ci n'aura pas lieu. L'impulsion du
sommet doit donner une direction, fixer des objectifs, mais laisser aux acteurs la possibilité
d'adapter le changement à leurs rationalités." (Philippe BERNOUX, ibidem)
Au delà de ce temps de confrontation des rationalités, Philippe BERNOUX ajoute: "Il n'y a
d'acceptation du changement que lorsque les acteurs sont convaincus de la nécessité de ce
changement et qu'ils peuvent donner leur avis sur le type de changement qui doit avoir lieu." Fort de cette réalité, je prends ici le risque d'obtenir une reconnaissance du besoin de changement
de la part de l'équipe principalement basée sur le non-respect de la loi mais aussi sur la
contradiction de leur pratique avec le contenu du projet d'unité qu'ils ont, pour la plupart,
contribué à élaborer. L'émergence de cette contradiction devient alors un levier rationnel que
nous pouvons utiliser ensemble pour questionner le sens de l'action éducative et la cohérence
qu'eux-mêmes lui attribuent.
" C'est en fonction du sens donné au changement que les acteurs acceptent de s'engager. Toute
action de changement devrait donc inclure la question du sens que ce changement peut avoir aux
yeux de ceux qui vont le mettre en œuvre.[...]Tout changement s'origine dans une histoire, un
passé." (Philippe BERNOUX, ibidem) Les éducateurs de l'UEMO rejettent le DIPC pour les motifs évoqués au 1.3 de la
première partie, mais aucun, dans ce rejet, ne fait référence à la symbolique et l’intention du
législateur, traduites par le DIPC. Il s'agira donc de permettre à l'équipe dans son ensemble
d'accéder à la genèse de ce document.
Cette démarche est impossible sans revoir le cadre historique qui a conduit à
l'élaboration de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale.
D'une telle démarche pourra naître une confrontation entre la représentation qu'a l'équipe du
DIPC et les textes qui le fondent. L'objectif sera alors de repérer les écarts entre les deux pour
pouvoir ensuite travailler collectivement sur leur réduction afin de remédier au problème repéré
dans la mise en œuvre du DIPC.
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1.2 Les partitions des acteurs:
• Concernant la relation au DS, je la pense comme régulière et planificatrice, concrétisée par une
intervention concertée et structurante auprès de l’équipe éducative. Notre collaboration
sur ce projet débutera bien en amont lorsqu'avant toute chose, je lui ferai part du
dysfonctionnement constaté. Nous travaillerons à l'élaboration du projet de changement
déroulé ci-dessus. Fort de son aval, il ne me restera plus qu'à engager la phase
opérationnelle du changement.
A cette fin, je le solliciterai pour ouvrir la première réunion évoquée ci-dessus. Il présentera la
situation et mettra en évidence la problématique. Il signifiera à toute l'équipe l'aspect hors la loi
des pratiques en usage vis à vis du DIPC. Je pourrai ainsi m'appuyer sur ce positionnement
hiérarchique pour lancer le chantier du changement.
De ma place de RUE, au vu de cet état des lieux, je prévois trois actions pour tenter de remédier
au problème ciblé:
• En premier lieu une réunion d'équipe avec pour seul thème à l'ordre du jour: la mise en œuvre
du DIPC L'objectif est de parvenir après un exposé de la situation et au fil des échanges
qui s'en suivront, au constat commun du dysfonctionnement. Je choisirai ici une démarche
directive afin d'amorcer au plus tôt le travail. Imposer une réunion à toute l'équipe relève
des attributions du RUE assez facilement acceptable par tous.
• Je prévois, au cours de cette réunion une posture et un discours persuasifs par une animation
visant à mobiliser les éducateurs autour de l'impossibilité de rester dans le statu quo vis à
vis du DIPC.
Ensuite, entre trois semaines et un mois plus tard, je proposerai une formation sur site destinée à
apporter à l'ensemble de l'équipe une connaissance approfondie du contexte et des outils de la loi
du 2 janvier 2002. Celle-ci sera mise en place en lien avec le Pôle Territorial de Formation. Le
sens premier de la volonté du législateur, avec sa contextualisation, éclairera les éducateurs sur
tout le manquement à la prise en considération des droits de l'usager au sein de l'unité. Il semble
opportun de pouvoir faire intervenir quelqu'un qui maîtrise l'historique de l'apparition de la loi du
2 janvier 2002 et de ses outils. Flore CAPELIER serait tout indiquée.
Cependant je solliciterai en outre le directeur de service pour envisager l'intervention d'un
personnel de l'administration centrale de la PJJ, probablement du bureau K2.
• En m’appuyant par la suite sur un management participatif, un troisième temps avec l'équipe
sera consacré à la réappropriation voire la modification de la partie du projet d'unité
consacrée au DIPC et pourquoi pas des modifications du DIPC lui-même dans le respect
des objectifs de son contenu. Les éducateurs seront associés à la réflexion, l'élaboration et
l'écriture.
• A cette occasion, pour les mesures mises en œuvre par le biais de l'article 12.3 de l'ordonnance
du 2 février 1945, je demanderai à l'équipe de prévoir la signature dudit document dès
l'entretien effectué dans ce cadre. À l’issue de cet entretien, les éducateurs me remettront
le DIPC rempli pour y apposer ma signature.
L'exemple de ce qu'a organisé Mme Marie BLONDY, RU E à l'UEMO d'Arras Est2, après avoir
2 « Les Cahiers Dynamiques » n°61 de mars 2015 relatent comment elle est parvenue à résoudre le problème.
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été confrontée à un problème similaire sur son unité, constituera un point d'appui des plus
intéressants.
En outre, afin d'éloigner le DIPC du simple "formulaire de plus" et de donner au plus tôt une
existence réelle aux personnes prises en charge, j'obtiendrai les Recueils de Renseignements
Socio-Éducatifs (RRSE) effectués par les collègues de l’Unité Éducative Auprès du Tribunal
(UEAT) pour ces mineurs et les diffuserai systématiquement aux éducateurs de l'unité concernés.
• Enfin, dans ma fonction organisatrice, j'écrirai une note de service reprenant les décisions
prises et les modifications de fonctionnement abouties lors de ces trois temps de travail.
Elle précisera les modalités techniques et structurelles visant à la traçabilité des actions,
comme par exemple la modification du projet d’Unité à propos du DIPC, une
protocolisation du transfert des RRSE depuis l’UEAT ou bien encore la validation du
nouveau document DIPC le cas échéant.
• Ce management directif pourra laisser place à un management délégatif en demandant aux
éducateurs, en référence à Philippe BERNOUX, de verbaliser et formaliser leurs logiques
et rationalités nouvellement impactées, vis à vis du DIPC. Ainsi, sous mon impulsion et
avec moi, l'ensemble de l'équipe devra travailler sur les modalités nouvelles de mise en
œuvre du DIPC, avec pour impératif incontournable: sortir de l'illégalité et les réaliser
systématiquement.
CHAPITRE 2: Les perspectives pour une évaluation.
2.1 Les indicateurs de changement
Avant tout, il semble opportun, tant pour laisser du temps aux acteurs que pour ne
pas laisser le projet se déliter, de prévoir six mois entre la première réunion et la diffusion de la
note de service.
Inévitablement, en dépit du déploiement de cette perspective opérationnelle, il est probable que le
déroulement du projet évoqué ici ne se fasse pas sans aléas. Les résistances au changement
verront le RUE “ reprendre, rassurer, réexpliquer ” le besoin, la démarche. Cela viendra très
probablement impacter la durée. C’est pourtant à l’aune de ces échanges, ces valses-hésitations,
ce temps d’ “ apprivoisement ”, que se tisseront la réalité et la présence relationnelles du
responsable. C’est ici que l’équipe verra ma capacité à délimiter et faire vivre le cadre,
l’environnement de travail.
Les indicateurs du changement à mettre en place seront issus du contexte et pourront être
instaurés par une démarche managériale de ma part en fonction de l'objectif à atteindre.
□ Tout d'abord en matière organisationnelle pour viser la traçabilité des actions:
▪ Le premier que j'utiliserai sera la vérification mensuelle du ratio nombre de jeunes pris en
charge et nombres de DIPC signés (auquel peut être associé l'adjoint administratif) et d'en
diffuser l'état sur la liste mensuelle des rapports à rendre que chaque éducateur reçoit dans son
casier.
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▪ Ensuite, je prévois d'évoquer le DIPC lors des points mesures pour toutes les prises en charge
nouvellement attribuées, pour rappeler qu'il doit être fait, comme pour échanger sur son contenu.
▪ Je rajouterai, lors de l'élaboration du rapport mensuel d'activité, un paragraphe spécifique sur
le nombre de DIPC à jour au regard du nombre de prises en charge afin de tenir le directeur de
service informé de l'évolution du changement instauré jusqu'à constater la pérennisation du
nouveau fonctionnement.
Dans un temps plus éloigné, environ douze mois, l'utilisation du questionnaire de satisfaction,
prévu dans la Loi du 2 janvier 2002, avec une partie ciblée sur le DIPC sera un atout précieux
pour obtenir le ressenti des usagers. Il permettra de mesurer les écarts (s'il y en a) entre le ressenti
des éducateurs quant à l'utilisation du DIPC et celui des familles et des jeunes pris en charge.
Si des écarts qualitatifs importants apparaissent, il s'agira alors de rapporter ce constat en réunion
de service et d'à nouveau tenter de trouver ensemble des solutions pour réduire ces écarts. Cette
indispensable évaluation illustre le cheminement itératif et réitératif inhérent à toute démarche
projet, afin, toujours, d’adapter la réalisation à la complexité du contexte, ses effets, prévus,
imprévus, prioritaires ou secondaires.
□ Ensuite, en matière humaine pour maintenir l'implication des acteurs:
J'instaurerai une veille provisoire sur le DIPC portée par les éducateurs en réunion d'étude de
situation. Chaque situation évoquée devra commencer par la lecture du DIPC. Ce qui permettra à
la fois de vérifier qu'il existe bien et à chacun de constater qu'il est bien la marque de la prise en
compte de l'usager et de l'individualisation de sa prise en charge. Cette disposition pourra cesser
une fois la signature des documents pérennisée afin d’éviter un effet de saturation du document
chez les éducateurs.
Je mentionnerai les efforts fournis par chacun dans la réalisation de ce projet à la rubrique idoine
des compte rendus d'entretiens professionnels et au-delà de la valorisation de l'agent quant à
l'accompli, remplir systématiquement le DIPC deviendra un objectif pour l'année suivante, pour
tous les éducateurs.
□ Enfin, en matière institutionnelle, pour vérifier l'état d'avancement du projet:
Il sera nécessaire d'instaurer des rencontres régulières de l'équipe de direction à ce sujet. Une
réunion mensuelle DS/RUE devra se mettre en place afin de faire face aux imprévus ou
simplement constater la bonne marche du projet.
En accord avec le Directeur de Service, une rencontre d'échange avec l'équipe de l'autre unité du
STEMO sur les pratiques vis à vis du DIPC se tiendra dans les six mois. Elle permettra, outre un
point supplémentaire d'évaluation, l'appropriation du changement par les éducateurs concernés.
2.1 Faire savoir
Une fois l'évolution constatée, en collaboration avec le directeur de service, nous
proposerons un article au sujet de cette initiative à la rubrique "actualité" de l'intranet PJJ avec
pour idée principale de partager une expérience qui peut être utile à d'autre et de valoriser l'effort
fourni par l'équipe. L’avantage ici pour l’équipe sera la portée fédératrice et dynamisante de la
démarche.
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Parallèlement, toujours avec le directeur de service, nous proposerons une rencontre entre les
deux unités du STEMO afin de créer, au regard du processus utilisé pour mettre en œuvre
l’utilisation du DIPC, un modèle d’action destiné à être réutilisé pour tous les changements à
venir conséquemment à de nouvelles dispositions législatives ou réglementaires.
Ou peut-être même pour aborder d'autres thèmes ou outils méritant qu'on s’intéresse de plus près
à leur mise en œuvre comme, par exemple, le Recueil d’Information Santé (RIS)
*********
CONCLUSION
Le document individuel de prise en charge est un outil phare de la loi du 2 janvier 2002. Il mérite
toute l'attention des équipes des organismes médico-sociaux car il laisse une trace de la prise en
charge des mineurs et leur famille. Il permet de mesurer les écarts entre les objectifs initiaux et la
réalité de cette intervention éducative. Participant ainsi d’un parcours cohérent pour les mineurs,
il permet aussi de réaffirmer le champ éducatif comme cœur de notre mission.
Dans le service qui nous intéressait tout au long de cet écrit, le chemin à parcourir pour son
application pleine et entière se voit confronté à bien des écueils, tous à prendre en compte et à
outrepasser.
Nous avons pu voir que pour y parvenir, les stratégies passent par une adhésion collective des
acteurs: "c'est le groupe qui provoque le changement" nous rappelle Didier ANZIEUX dans son
ouvrage "La dynamique des groupes restreints".
Le responsable d'Unité Éducative devra alors trouver les moyens de transformer l'énergie de
l'équipe éducative en une synergie au service d'un même but. Pour ce faire, dans l'exemple qui
nous occupe ici, j'ai pu utiliser plusieurs types de management:
Directif lorsqu'il s'agissait de décider le changement, persuasif pour conduire les éducateurs à
reconnaître la nécessité du changement, participatif pour transformer le conflit en controverse et
trouver ainsi un consensus, et délégatif pour favoriser l'appropriation par tous des innovations
produites.
Le DIPC dans cette unité aura bénéficié d'une dynamique nouvelle. Pour la capitaliser et assoir
les nouvelles compétences acquises par chacun dans cette démarche projet, il pourrait être
opportun dans un avenir proche de porter l'attention de l'équipe vers un autre outil de la Loi du 2
janvier 2002: le projet personnalisé du jeune pris en charge. Là où le DIPC n'était même pas pris
en considération, le projet personnalisé ne pouvait qu'être ignoré.
Il vient pourtant compléter la traçabilité des modalités d’association du mineur à notre
intervention à son endroit. Il vient également lui offrir une trace écrite de ce que nous faisons
avec lui dans sa prise en charge, même dans un cadre pénal3.
Un nouveau défi pour le RUE enrichi de l'expérience de la mise en œuvre du DIPC évoquée au
long de cet écrit.
3 Article L.2002-2 du code de l’action sociale et des familles. Recommandation de l’ANESM sur le Projet
Personnalisé, P.35 : « Inciter l’usager à posséder un exemplaire de son Projet Personnalisé ».
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BIBLIOGRAPHIE
- “Comprendre la protection de l’enfance. L’enfant en danger face au droit”, Flore
CAPELIER. Éditions DUNOD (La Gazette Santé Social), 2015.
- “Sociologie du changement des entreprises et des organisations”, Philippe BERNOUX.
Éditions “Seuil”, 2004.
- Revue professionnelle de la Protection Judiciaire de la Jeunesse “Les Cahiers dynamiques” numéro
61, mars 2015. Éditions “Eres”.
- Code de l’action sociale et des familles : articles 311
- Circulaire d’orientation du 6 mai 2010 relative au rôle de l’institution judiciaire dans la mise en œuvre
de la réforme de la protection de l’enfance (NOR : JUSF1015443C)
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LISTE DES SIGLES
PJJ : Protection Judiciaire de la jeunesse
DS : Directeur de Service
STEMO : Service Territorial de Milieu Ouvert
RUE : Responsable d’Unité Éducative
UEMO : Unité Éducative de Milieu Ouvert
DIPC : Document Individuel de Prise en Charge
MJIE : Mesure Judicaire d’Investigation Éducative
ANESM : Agence Nationale d’Evaluation des Services Médico-sociaux
UEAT : Unité Éducative Auprès du Tribunal
RRSE : Recueil de Renseignements Socio Éducatifs
Bureau K2 : Bureau des méthodes et de l’action éducative de la Sous-Direction des missions de
protection judiciaire et d’éducation de l’Administration Centrale de la PJJ
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ANNEXES
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Le quotidien professionnel du Responsable d’Unité Éducative (RUE) à la Protection Judiciaire de
la Jeunesse consiste à diriger une équipe pluridisciplinaire mettant en œuvre les mesures
éducatives prononcées par les juridictions pour les mineurs ou jeunes majeurs. Vaste domaine
pour lequel le RUE peut compter sur le soutien du Directeur de Service. Ensemble, ils encadrent
une équipe composée majoritairement d’éducateurs. Quel que soit le type de service où ils
officient (Détention, hébergement, activités de jour, milieu ouvert ou auprès du tribunal), ils sont
régulièrement confrontés à des situations professionnelles améliorables au regard de la prise en
charge du public concerné. Dans leurs rôles de managers, ils sont alors conduits à repérer et
analyser les enjeux de la dite situation. Suite à quoi, ils élaborent une stratégie et, parfois,
inventent les outils nécessaires à son amélioration. La mise en musique de ces nouvelles
partitions est alors portée par le RUE qui se doit de trouver le bon positionnement vis-à-vis de
l’équipe en vue d’introduire les changements repérés comme incontournables lors de l’analyse de
la situation.
Cet écrit déroule les étapes du travail du RUE visant à remettre en œuvre le DIPC dans une
UEMO dont les éducateurs ne remplissent pas, ou très peu, ce document.
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