Download - Une politique extérieure de la France à la peine... mais réactive

Transcript

UNE POLITIQUE EXTÉRIEURE DE LA FRANCE À LA PEINE... MAISRÉACTIVE Didier Billion et Farida Belkacem Armand Colin | Revue internationale et stratégique 2011/3 - n° 83pages 149 à 158

ISSN 1287-1672

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2011-3-page-149.htm

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Billion Didier et Belkacem Farida, « Une politique extérieure de la France à la peine... mais réactive »,

Revue internationale et stratégique, 2011/3 n° 83, p. 149-158. DOI : 10.3917/ris.083.0149

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin.

© Armand Colin. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

1 / 1

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

McM

aste

r U

nive

rsity

-

- 13

0.11

3.11

1.21

0 -

21/0

5/20

13 0

0h35

. © A

rman

d C

olin

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - McM

aster University - - 130.113.111.210 - 21/05/2013 00h35. ©

Arm

and Colin

149

D O S S I E R

Didier Billiondirecteur des publications de l’IRIS

Farida Belkacemchercheur à l’IRIS

LL’onde de choc qui traverse le monde arabe depuis le début de l’année 2011 a partout surpris, voire déstabilisé, responsables politiques, diplomates et chercheurs. Les acteurs et observateurs français ne font pas exception à ce constat, fait surprenant au vu des liens étroits qui unissent la France à cette région. Il importe d’en saisir les raisons pour parer à la répétition de ce type

de déconvenues qui a, un moment, paralysé la politique extérieure de la France.

Malaise, chuchotements et turbulences au sein de la politique extérieure française

La première précaution méthodologique consiste à nettement diff érencier la politique extérieure de la France, qui est défi nie par l’Exécutif et singulière-ment la présidence de la République, de l’outil diplomatique français chargé pour sa part de mettre en œuvre ladite politique. Bien que souvent dénigré, l’appareil diplomatique français n’a pas démérité et reste probablement l’un des meilleurs du monde. Il n’est certes pas exempt de critiques, et il lui a ainsi été souvent reproché de ne pas entretenir de relations suivies avec les segments de la popu-lation contestant les régimes en place. L’erreur est évidemment très regrettable,

Une politique extérieure de la France à la

peine… mais réactive

P001-000-IRIS-83.indd 149P001-000-IRIS-83.indd 149 08/08/11 17:1008/08/11 17:10

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

McM

aste

r U

nive

rsity

-

- 13

0.11

3.11

1.21

0 -

21/0

5/20

13 0

0h35

. © A

rman

d C

olin

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - McM

aster University - - 130.113.111.210 - 21/05/2013 00h35. ©

Arm

and Colin

150

D O S S I E R

même si elle doit être nuancée. Elle est en réalité l’expression d’une politique de soutien actif aux régimes autoritaires de la région parce que considérés comme les remparts les plus effi caces contre ce que d’aucuns ont caractérisé durant des années comme le danger islamiste. Nous y reviendrons. Le défaut d’analyse et le manque d’anticipation n’en demeurent pas moins problématiques. Les causes en sont multiples.

Financières d’abord. Comme le soulignaient fortement trois anciens secré-taires généraux du Quai d’Orsay, l’état de l’outil diplomatique français devient critique par manque de moyens. En vingt ans, le ministère des Aff aires étran-gères a perdu 20 % de ses eff ectifs. Pourtant, rappelaient-ils, il ne représente, bon an mal an, que 1 % du budget de l’État, moins de 0,2 % du PIB1… La commission des Aff aires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat s’était pour sa part déjà préoccupée de la réduction des crédits et des eff ectifs pour la période 2009-2011 pour un ministère s’étant vu amputé de 21 % de ses moyens de fonc-tionnement entre 2000 et 20082.

Psychologiques ensuite. Le peu d’attention que trois ministres des Aff aires étrangères successifs, de Philippe Douste-Blazy à Michèle Alliot-Marie en pas-

sant par Bernard Kouchner, ont porté à l’administration du Quai d’Orsay, pourtant traditionnellement jalouse de ses prérogatives, constituait un indicateur très négatif des relations tendues entre le pouvoir exécutif et le corps diplomatique. On le sait pourtant, la quintessence du travail diplomatique s’accommode mal des coups médiatiques dont furent friands certains de ces ministres. La fl oraison de tribunes anonymes de diplomates

français parues dans la presse – groupe Marly, groupe Rostand ou encore groupe Albert Camus3 – pour certaines d’une tonalité très critique à l’égard de la politique extérieure impulsée par l’Élysée indique le profond malaise qui taraude l’outil diplomatique français. Le mépris affi ché à son égard par le candidat Sarkozy durant la campagne présidentielle de 2007 faisait son œuvre sournoise…

Structurelles enfi n. L’appareil diplomatique français ne peut être absous de ses propres défauts. Au nombre de ceux-ci, une réelle diffi culté à intégrer les

1. François Scheer, Bertrand Dufourcq, Loïc Hennekinne, Le Monde, 25 août 2010.2. Communiqué de presse du 19 novembre 2008, disponible sur www.senat.fr.3. Respectivement dans Le Monde, 23 février 2011, Le Figaro, 24 février 2011, Libération, 27 février

2011.

La règle est plutôt de porter une oreille attentive à ceux dont la fonction est d’illustrer et de défendre la politique extérieure du gouvernement, plus qu’à ceux qui font éventuellement entendre une musique différente

P001-000-IRIS-83.indd 150P001-000-IRIS-83.indd 150 08/08/11 17:1008/08/11 17:10

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

McM

aste

r U

nive

rsity

-

- 13

0.11

3.11

1.21

0 -

21/0

5/20

13 0

0h35

. © A

rman

d C

olin

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - McM

aster University - - 130.113.111.210 - 21/05/2013 00h35. ©

Arm

and Colin

151

Une pol i t ique ex tér ieure de la France à la peine… mais réact ive

apports externes pour une meilleure compréhension des pulsions du monde. La tradition étatique française, centralisée et jacobine, lui rend diffi cile la prise en compte des analyses, études et notes produites par les instituts de recherche et les think tanks qui travaillent dans le domaine des relations internationales. Ces derniers sont plus souvent considérés comme des éléments perturbateurs que comme des organismes avec lesquels il est utile de créer de véritable syner-gies, plus complémentaires que concurrentes. Facteur aggravant, la règle est – malheureusement mais naturellement – plutôt de porter une oreille attentive à ceux dont la fonction est d’illustrer et de défendre la politique extérieure du gouvernement, plus qu’à ceux qui font éventuellement entendre une musique diff érente…

C’est dans ce contexte tendu que l’onde de choc qui va se propager à travers le monde arabe au départ de la Tunisie interpelle brutalement la diplomatie fran-çaise. Nous ne considérons pas juste de faire écho à tous ceux, nombreux, qui ont dénoncé l’incapacité de la France à avoir anticipé les mouvements de contesta-tion et de révolte du monde arabe. En réalité, personne n’avait prédit ce qui allait se dérouler et l’honnêteté intellectuelle impose de le reconnaître. Beaucoup a été dit sur les turbulences initiées par les péripéties tunisiennes de Michèle Alliot-Marie, inutile d’en rajouter. La véritable question est celle qui nous per-met de saisir pourquoi un pays qui est légitimement fi er d’être l’initiateur des droits de l’homme et du citoyen a été à ce point sourd aux aspirations d’un peuple dont toute l’énergie était mobilisée pour le départ de son oppresseur. Il semble donc nécessaire de mettre à jour les racines politiques de cet autisme.

Les lignes de force de la politique extérieure initiée

par Nicolas Sarkozy

Après quatre années de mandat présidentiel, trouver le fi l conducteur de la politique étrangère de Nicolas Sarkozy s’avère un exercice complexe. Des carac-téristiques se dégagent cependant : affi rmation d’un occidentalisme assumé, discours qui oscillent entre pragmatisme et dogmatisme, omniprésence et réactivité.

Contradictions et promesses non tenues

Nicolas Sarkozy est élu président de la République au moment où la montée en puissance des pays émergents s’affi rme, où le multilatéralisme semble avoir du mal à s’imposer et l’Union européenne (UE) moins apte que jamais à peser sur le cours des événements. Les Français, tout comme les Européens, traversent

P001-000-IRIS-83.indd 151P001-000-IRIS-83.indd 151 08/08/11 17:1008/08/11 17:10

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

McM

aste

r U

nive

rsity

-

- 13

0.11

3.11

1.21

0 -

21/0

5/20

13 0

0h35

. © A

rman

d C

olin

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - McM

aster University - - 130.113.111.210 - 21/05/2013 00h35. ©

Arm

and Colin

152

D O S S I E R

une période de remise en question identitaire et le discours présidentiel sera celui d’une France sûre et fi ère d’elle-même.

Tout au long de la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy affi che sa volonté de rupture avec les orientations et les pratiques de la politique étrangère de ses prédécesseurs. Il prône le rapprochement avec Washington et la réinté-gration au sein du commandement intégré de l’OTAN. Il se dit l’ami d’Israël, et proclame la nécessité d’une redéfi nition de la relation avec le monde arabe et l’Afrique francophone. Il affi rme sa volonté de remettre l’éthique et les droits de l’homme au cœur de la diplomatie : « Je n’accepte pas le sort qu’on fait aux dissi-dents dans de nombreux pays […]. Je ne veux être complice d’aucune dictature à travers le monde »1. Une fois élu, sa politique de rupture va également prendre la forme d’une pseudo-ouverture à gauche, avec notamment la nomination de Bernard Kouchner comme ministre des Aff aires étrangères.

À l’instar des néoconservateurs américains, Nicolas Sarkozy aime à séparer les régimes en famille (la « famille occidentale »), amis (les régimes de Moubarak et de Ben Ali par exemple) et infréquentables (l’Iran, la Bande de Gaza). Mais sa défi nition des pays « amis » soulève de nombreuses interrogations. C’est ainsi avec beaucoup d’indulgence qu’il disserte sur le régime de Ben Ali, pourtant notoirement connu pour sa négation systématique des droits démocratiques. Il expliquera ainsi à quelques journalistes qui l’accompagnaient à Tunis : « Je ne vois pas au nom de quoi je me permettrais, dans un pays où je suis venu en ami, de m’ériger en donneur de leçons »2. Peut-être au nom des promesses qu’il avait faites ? Connu pour oser poser les questions qui fâchent, il refusera pourtant d’écouter – et de dialoguer avec – les opposants des régimes du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Ses fréquentes visites à Hosni Moubarak l’amènent d’ailleurs à considérer le régime égyptien comme un exemple de modération dans la région qui mérite de ce fait d’être soutenu3.

Le déni des situations et des faits semble être la marque de l’entourage de Nicolas Sarkozy. En février 2011, en pleine débandade de la diplomatie française en Afrique du Nord et alors que les discours du gouvernement sur l’importance des droits de l’homme ont défi nitivement perdu toute crédibilité, Henri Guaino, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, persiste et signe : « La France est dans son rôle : elle veut la régulation, le droit et la justice. Elle est la voix de ceux qui n’en ont pas. Elle se bat pour que tous les continents aient leur part dans la gouver-nance du monde. Elle est l’avocat des pauvres et de l’Afrique »4.

1. Congrès de l’UMP, 14 janvier 2007, http://www.election-presidentielle.fr/?p=743.2. Le Figaro, 29 avril 2008.3. Frédéric Charillon, La France en 2008, La documentation française, 2009, p. 111.4. Le Monde, 28 février 2011.

P001-000-IRIS-83.indd 152P001-000-IRIS-83.indd 152 08/08/11 17:1008/08/11 17:10

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

McM

aste

r U

nive

rsity

-

- 13

0.11

3.11

1.21

0 -

21/0

5/20

13 0

0h35

. © A

rman

d C

olin

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - McM

aster University - - 130.113.111.210 - 21/05/2013 00h35. ©

Arm

and Colin

153

Une pol i t ique ex tér ieure de la France à la peine… mais réact ive

Le clash des civilisations

En 2007, dans son discours aux ambassadeurs, Nicolas Sarkozy explique que le premier défi consiste à savoir « comment prévenir une confrontation entre l’Islam et l’Occident, voulue par les groupes extrémistes tels qu’Al-Qaïda qui rêvent d’instaurer, de l’Indonésie au Nigéria, un califat rejetant toute ouverture, toute modernité, toute idée même de diversité. Si ces forces devaient atteindre leur sinistre objectif, nul doute que ce siècle serait pire encore que le précédent, pourtant marqué par un aff rontement sans merci entre idéologies »1.

Le refus obstiné de l’adhésion de la Turquie à l’UE, l’intransigeance de l’atti-tude adoptée envers l’Iran, l’obsession d’un aff rontement à éviter entre l’Islam et l’Occident… Les discours tenus par le Président sur le monde arabe et musulman sont imprégnés de l’idée d’une altérité fondamentale. Cette vision du monde a eu un impact réel sur le quotidien de millions de Français : on se souvient ainsi que Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, n’avait pas hésité à se tourner vers les institutions religieuses de l’étranger (Al-Azhar en Égypte) pour valider les mesures prises en termes de gestion du religieux en France, perturbant ainsi les évolutions naturelles de l’islam de France, en l’empêchant de s’autonomiser par rapport aux États d’origine et des pays musulmans en général.

Par ailleurs, la menace du clash des civilisations appelle une défense achar-née de l’identité française. Nicolas Sarkozy revêt ainsi fréquemment la France des habits de la chrétienté, y compris dans une de ses formes les plus odieuses en évoquant avec lyrisme les Croisades en de maintes occasions, exaltant dans le même temps la colonisation2.

Ses discours récurrents pour justifi er l’intervention militaire en Afghanis-tan se réfèrent systématiquement à la lutte contre la barbarie en défense de la civilisation, ce qui est, nous en conviendrons, un peu court. S’adressant à Hamid Karzaï, lors de la conférence internationale de soutien à l’Afghanistan, organisée à Paris le 12 juin 2008, il déclare : « Parce que votre victoire ne sera pas simple-ment votre victoire, ce sera la victoire des valeurs d’un monde libre, respectueux de la dignité des femmes et des hommes. J’ai accepté parce qu’il faut que nous gagnions. Nous n’avons pas le droit de perdre. J’ai accepté parce que nous avons le devoir moral d’aider le peuple afghan qui a été martyrisé. J’ai accepté parce que ce qui est en cause, c’est l’avenir d’un islam de paix et d’un islam de tolérance »3. Classique et péremptoire antienne néo-conservatrice que celle d’imposer la démocratie de l’extérieur.

1. Palais de l’Élysée, 27 août 2007, Allocution de Nicolas Sarkozy, à l’occasion de la 15e Conférence des Ambassadeurs.

2. Voir par exemple à ce propos le discours prononcé à Toulon le 7 février 2007.3. Site de l’Élysée, Conférence de soutien à l’Afghanistan, Discours du président de la République,

12 juin 2008.

P001-000-IRIS-83.indd 153P001-000-IRIS-83.indd 153 08/08/11 17:1008/08/11 17:10

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

McM

aste

r U

nive

rsity

-

- 13

0.11

3.11

1.21

0 -

21/0

5/20

13 0

0h35

. © A

rman

d C

olin

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - McM

aster University - - 130.113.111.210 - 21/05/2013 00h35. ©

Arm

and Colin

154

D O S S I E R

Un discours biaisé sur le monde arabe

La relation de la France au monde arabe est parasitée par deux points : le « Tout sauf Ben Laden », et la peur des migrations. Cette relation subira donc les conséquences de l’amalgame de ces deux « menaces » dans les discours du Pré-sident. Le premier réfl exe de Nicolas Sarkozy lors du déclenchement des soulè-vements arabes n’a-t-il pas été celui de la prudence, face à des « fl ux migratoires devenus incontrôlables » et face au « terrorisme »1 ? Un « Tout sauf Ben Laden » qui empêchera d’engager le dialogue avec les opposants des régimes, notam-ment les islamistes2.

Pour parer à ce qui est présenté comme un danger, des régimes autoritaires ont été considérés comme amis. Pourtant, Nicolas Sarkozy promettait en 2007 de rompre « défi nitivement avec d’anciennes pratiques » dans les rapports avec la Méditerranée et l’Afrique3.

Ainsi, la création de l’Union pour la Méditerranée (UpM) avait pour objectif affi ché de défi nir un nouveau mode de relation entre l’UE et les pays des rives méridionales et orientales de Mare Nostrum. La coopération achoppa toutefois rapidement sur de nombreux points. Soulignons au passage que la création de

l’UpM comme instance d’échanges et de coopération a d’autant plus de mal à convaincre qu’on commence à l’évoquer au moment où est inventé un ministère de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité natio-nale4 et que la politique des visas est de plus en plus restrictive. Dans un

monde globalisé, où les choix politiques internes ont un impact immédiat sur la politique extérieure et inversement, les contradictions du Président Sarkozy dans son approche de l’étranger et plus particulièrement de l’étranger dit « arabo-musulman » sont d’autant plus fl agrantes.

Lors de la 18e Conférence des Ambassadeurs, le 27 août 2010, soit quelque quatre mois avant l’immolation de Mohamed Bouazizi et l’embrasement d’une

1. « Si toutes les bonnes volontés ne s’unissent pas pour les faire réussir, ils peuvent aussi bien som-brer dans la violence et déboucher sur des dictatures pires encore que les précédentes. Nous savons ce que pourraient être les conséquences de telles tragédies sur des fl ux migratoires devenus incon-trôlables et sur le terrorisme. C’est toute l’Europe alors qui serait en première ligne ». Allocution télévisée du 27 février 2011.

2. Alain Juppé, allocution du 16 avril 2011 prononcée à l’Institut du monde arabe de Paris lors du col-loque intitulé « Printemps arabe : enjeux et espoirs d’un changement ».

3. Palais de l’Élysée, 27 août 2007, allocution de Nicolas Sarkozy à l’occasion de la 15e Conférence des Ambassadeurs.

4. Thierry Fabre, « Nicolas Sarkozy et la Méditerranée, des lignes de failles », La Pensée du midi, 2007/3, n° 22, p. 4-13.

La relation de la France au monde arabe est parasitée par deux points : le « Tout sauf Ben Laden », et la peur des migrations

P001-000-IRIS-83.indd 154P001-000-IRIS-83.indd 154 08/08/11 17:1008/08/11 17:10

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

McM

aste

r U

nive

rsity

-

- 13

0.11

3.11

1.21

0 -

21/0

5/20

13 0

0h35

. © A

rman

d C

olin

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - McM

aster University - - 130.113.111.210 - 21/05/2013 00h35. ©

Arm

and Colin

155

Une pol i t ique ex tér ieure de la France à la peine… mais réact ive

grande partie du monde arabe, le discours du Président français consiste à répé-ter l’urgence de la lutte contre le terrorisme : « La France se tient aussi aux côtés de l’Algérie, du Maroc, de la Tunisie et de la Libye : leur combat contre le terro-risme est le nôtre car leur sécurité ne peut être séparée de la nôtre ». L’aveugle-ment du pouvoir sur la situation réelle du Maghreb s’explique en partie par une vision essentialiste et schématique de la rive Sud de la Méditerranée. Une vision qui, selon Khadija Mohsen-Finan et Pierre Vermeren, est due à la pauvreté crois-sante des moyens alloués à la recherche sur cette zone pourtant historiquement liée à la France. Pour eux, « la France ne connaît plus le Maghreb, ni ne se donne les moyens de le connaître. […] Nul besoin de dépasser les clichés, puisque com-paré au Proche Orient, « il ne se passait rien au Maghreb ». […] L’attitude de la France à l’égard de la Tunisie durant l’insurrection ne fut ni surprenante, ni acci-dentelle. Elle s’inscrit dans un désintérêt, qui relève du mépris, pour le Sud de la Méditerranée »1.

Tout se passe comme si, dans cette partie du monde, il ne fallait pas trop exiger… En avril 2008, le Président explique à propos des « progrès » réalisés en termes de droits de l’homme par la Tunisie depuis quelques années : « Tout n’est pas parfait en Tunisie, certes. Tout n’est pas parfait en France non plus [...] mais je veux le dire aussi parce que je le pense, quel pays peut s’enorgueillir d’avoir autant avancé en un demi-siècle sur la voie du progrès, sur la voie de la tolérance, et sur la voie de la raison ? »2

Une politique étrangère à la peine

Si, en réalité, la politique étrangère de Nicolas Sarkozy n’a pas entraîné les ruptures annoncées en fanfare durant la campagne présidentielle et a fi nalement conservé une certaine continuité, elle n’en a pas moins marqué de réelles infl exions. Ainsi l’affi chage d’un atlantisme à contretemps, symbolisé par la réintégration du commandement intégré de l’OTAN, en son époque interrogée par Alain Juppé3, est une incontestable modifi cation des fondamentaux gaullo-mitterrandiens. La proclamation répétée de sa proximité et de son amitié avec Israël, ne lui a aucunement cas permis d’infl échir le gouvernement de Netanyahou, mais a réduit a contrario la marge de manœuvre de la France.

La politique étrangère adoptée par Nicolas Sarkozy n’en est alors que plus déconcertante, plus diffi cile à suivre et à défendre pour le personnel diploma-tique, d’autant que l’hyper présidentialisation qu’il incarne s’est accompagnée de

1. « La France ne se donne pas les moyens de connaître le Maghreb », L’Express, 2 février 2011.2. Discours prononcé à l’Institut national des sciences appliquées et de technologie (INSAT)

de Tunis, le 30 avril 2008. http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/europe_828/union-europeenne-monde_13399/relations-exterieures_853/union-pour-mediterranee_17975/discours-m.nicolas-sarkozy-devant-les-etudiants-institut-national-sciences-appliquees-techno-logie-30.04.2008_62792.html.

3. Alain Juppé, Le Monde, 21 février 2009.

P001-000-IRIS-83.indd 155P001-000-IRIS-83.indd 155 08/08/11 17:1008/08/11 17:10

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

McM

aste

r U

nive

rsity

-

- 13

0.11

3.11

1.21

0 -

21/0

5/20

13 0

0h35

. © A

rman

d C

olin

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - McM

aster University - - 130.113.111.210 - 21/05/2013 00h35. ©

Arm

and Colin

156

D O S S I E R

la montée en puissance de ses conseillers (Claude Guéant, Jean-Daniel Lévitte…) qui entrent en concurrence avec le Quai d’Orsay.

Malgré les causes profondes de l’incapacité de l’Exécutif français à saisir la dynamique impulsée par la révolution tunisienne, puis par la crise égyptienne, il n’en demeure pas moins qu’une incontestable capacité à réagir est démontrée à partir du mois de mars 2011.

Un sursaut… contradictoire

En eff et, après les nombreuses vicissitudes qui ont aff aibli la voix de la France, la nomination d’Alain Juppé au poste de ministre des Aff aires étrangères incarne une incontestable volonté de se replacer, pour le meilleur et pour le pire, au centre des bouleversements régionaux.

Le meilleur tout d’abord. Très rapidement, le nouveau ministre exprime une modifi cation radicale de la perception des mouvements se réclamant de l’islam politique. Se rendant en Égypte le 6 mars, Alain Juppé, outre les réunions avec

des responsables politiques chargés d’organiser la transition, fait une brève mais symbolique visite sur la place Tahrir, où il rencontre et dialogue avec une délégation de jeunes contestataires dont plusieurs Frères musulmans et déclare que « la présentation qui est par-fois faite de ce mouvement mérite sans doute d’être révisée. »1

La réfl exion initiée va se poursuivre et s’approfondir lors du colloque orga-nisé par le ministère des Aff aires étran-gères, le 16 avril, à l’Institut du monde

arabe de Paris. Prononçant l’allocution de conclusion, Alain Juppé développe une critique en règle des erreurs d’un passé récent, attitude suffi samment rare chez un responsable politique de premier rang pour être soulignée. « Il faut bien le reconnaître, pour nous tous, ce « printemps » a constitué une surprise. Trop long-temps, nous avons pensé que les régimes autoritaires étaient les seuls remparts contre l’extrémisme dans le monde arabe. Trop longtemps, nous avons brandi le prétexte de la menace islamiste pour justifi er une certaine complaisance à l’égard des gouvernements qui bafouaient la liberté et freinaient le développement de leur pays. […] C’est enfi n le message que j’ai adressé à nos ambassadeurs dans les

1. Le Figaro, 7 mars 2011.

La formidable onde de choc qui traverse le monde arabe aura aussi eu cette vertu positive d’obliger la politique extérieure de la France à procéder à un nécessaire et salutaire aggiornamento

P001-000-IRIS-83.indd 156P001-000-IRIS-83.indd 156 08/08/11 17:1008/08/11 17:10

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

McM

aste

r U

nive

rsity

-

- 13

0.11

3.11

1.21

0 -

21/0

5/20

13 0

0h35

. © A

rman

d C

olin

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - McM

aster University - - 130.113.111.210 - 21/05/2013 00h35. ©

Arm

and Colin

157

Une pol i t ique ex tér ieure de la France à la peine… mais réact ive

pays arabes que j’ai réunis hier à Paris, en leur demandant d’élargir le spectre de leurs interlocuteurs à l’ensemble des acteurs de la société civile »1. Dans le même discours, le ministre reconnaissait aussi que la politique de boycott des forces d’opposition avait été infructueuse et soulignait la nécessité de dialoguer avec toutes les forces, y compris islamiques, le seul critère étant le respect des valeurs et des pratiques démocratiques.

La formidable onde de choc qui traverse le monde arabe aura aussi eu cette vertu positive d’obliger la politique extérieure de la France à procéder à un néces-saire et salutaire aggiornamento.

Le plus discutable ensuite. La crise libyenne a en eff et constitué un test du nouveau cours de la politique extérieure française, mais n’a pas su éviter de nouvelles erreurs. Ce dossier a fourni à Nicolas Sarkozy la possibilité de se remettre au centre du jeu diplomatique régional en déployant un fort activisme. On sait le rôle déterminant de Paris dans l’adoption de la résolution 1973 du Conseil de sécurité, menant au passage un jeu solitaire en négligeant notamment de consulter ses partenaires allemands, ce qui fut fort peu apprécié à Berlin. L’objectif initial de la résolution 1973, rédigée de façon volontairement ambiguë pour permettre l’abstention de la Russie et de la Chine, était de protéger la population civile de Benghazi à laquelle le colonel Kadhafi avait promis un bain de sang. La décision était actée au nom du principe nouveau, adopté par l’ONU en  2005, de la « responsabilité de protéger », pour parer aux accusations de néo-impérialisme suscitées par le concept kouchnérien du droit d’ingérence. Or, l’objectif, explicitement affi rmé par l’OTAN, est rapidement devenu le départ, ou la mort, de Kadhafi . Cette conception est au mieux une interprétation très extensive de la résolution du Conseil de sécurité, au pire une violation du cadre de ladite résolution et donc du droit international.

Il avait initialement été expliqué que la vague de bombardements aériens allait rapidement mettre à bas le colonel Kadhafi et permettre au Conseil natio-nal de transition (CNT) de prendre le pouvoir. Or les événements résistent à tout raisonnement binaire ou manichéen, comme le montrent, dans un autre contexte, les exemples syrien et afghan. Les responsables politiques français,

1. Alain Juppé, allocution du 16 avril 2011 prononcée à l’Institut du monde arabe de Paris lors du col-loque intitulé « Printemps arabe : enjeux et espoirs d’un changement ».

Les responsables politiques français, britanniques ou otaniens,

fortement infl uencés par la rapidité avec laquelle Ben Ali et Moubarak

avaient été obligés de quitter le pouvoir, n’ont pas su anticiper la

capacité du colonel Kadhafi à reprendre la situation en main

P001-000-IRIS-83.indd 157P001-000-IRIS-83.indd 157 08/08/11 17:1008/08/11 17:10

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

McM

aste

r U

nive

rsity

-

- 13

0.11

3.11

1.21

0 -

21/0

5/20

13 0

0h35

. © A

rman

d C

olin

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - McM

aster University - - 130.113.111.210 - 21/05/2013 00h35. ©

Arm

and Colin

158

D O S S I E R

britanniques ou otaniens, fortement infl uencés par la rapidité avec laquelle Ben Ali et Moubarak avaient été obligés de quitter le pouvoir, n’ont pas su anticiper la capacité du colonel Kadhafi à reprendre la situation en main sur une grande partie du territoire libyen.

Les États qui combattent sous l’égide de l’OTAN ont ainsi pris le parti d’un camp contre un autre dans la guerre civile libyenne sans mandat de l’ONU. Les conséquences en seront négatives quelle que soit l’issue du confl it. En cas de vic-toire du CNT, ce dernier apparaîtra pour une partie de la population comme le produit d’une intervention militaire occidentale. Nous savons pourtant que la démocratie ne s’importe pas de l’extérieur et encore moins dans les soutes des bombardiers. Le zèle militaire mis par Nicolas Sarkozy – déconsidéré par son incapacité à comprendre les dynamiques de la révolution tunisienne et du sou-lèvement égyptien – à intervenir en Libye est l’expression d’un échec politique. Que dire, au passage, de la reconnaissance précipitée du CNT sur le perron de l’Élysée par la voix de Bernard-Henri Lévy… sans que visiblement Alain Juppé n’ait été mis au courant.

En laissant penser aux dirigeants du CNT que la victoire est possible grâce aux bombardements, l’OTAN s’est fourvoyée dans une direction lourde de dan-ger. La réaffi rmation systématique que la condition à toute négociation est le départ préalable de Kadhafi , ferme les portes d’une sortie de crise ménageant l’avenir d’une Libye restant unifi ée.

L’activisme français à propos du dossier libyen fait contraste avec la discré-tion observée à l’égard des contestataires de Bahreïn violemment réprimés par la soldatesque saoudienne, ou encore avec l’impuissance à faire cesser le bain de sang en Syrie, en dépit, il faut le reconnaître, des tentatives répétées de la France pour faire adopter une résolution de condamnation du régime de Damas par le Conseil de sécurité. Deux poids-deux mesures ?

La diffi culté, pour la réussite d’une politique extérieure digne de ce nom est de parvenir à lier et rendre compatible de nombreux paramètres et exigences. Au nombre de ceux-ci : la nécessaire réactivité sans céder à la précipitation ; l’af-fi rmation ferme, mais sans morgue, de principes universels ; le refus du deux poids-deux mesures… Dans le monde arabe, la France a incontestablement failli ces dernières années, sera-t-elle capable de se ressaisir ? Il faudra pour ce faire se débarrasser du tropisme occidentaliste adopté par Nicolas Sarkozy. La France fait partie de la famille des nations humaines avant que celle des familles occiden-tales, et il lui faut réacquérir le sens de l’Universel. L’onde de choc qui se propage dans le monde arabe l’y invite.

P001-000-IRIS-83.indd 158P001-000-IRIS-83.indd 158 08/08/11 17:1008/08/11 17:10

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

McM

aste

r U

nive

rsity

-

- 13

0.11

3.11

1.21

0 -

21/0

5/20

13 0

0h35

. © A

rman

d C

olin

D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - McM

aster University - - 130.113.111.210 - 21/05/2013 00h35. ©

Arm

and Colin