8/17/2019 Traduire Le Bilinguisme Beckett
1/14
CHIARA MONTINI, université paris S
Traduire
le
bilinguisme
l'exemple de Beckett
lie
assumai
an
expression
af profundiiy.
«In
that
connexions
lie
said
«l
recall
one
superb
pun
tinyway:
"
...
qui vive la
pietà quand'è
ben inoria..."»
She
said
nolliing.
«ls il noi
a
gréai phrase ?» lie guslieri.
She said notliing.
«Now»
lie said
like afool
8/17/2019 Traduire Le Bilinguisme Beckett
2/14
REFLEXIONS CRITIQUES
traduction?
C'est justement à
cette question que je
voudrais
répondre
ici
tout
en
esquissant
des propositions de
traduction
de
l'tuvre
bilingue.
Benjamin écrit
que
la traduction est la seule raison
plausible
de
répéter
plusieurs fois
la
même chose 3 . Beckett,
dont la
poétique a parmi
ses thématiques fondamentales la répétition4 (la
répétition
des mots
par
l'écriture, la répétition
des mêmes histoires avec
des mots
toujours
diffé¬
rents, la répétition maniaque des
phrases,
des situations,
les petites diffé¬
rences contenues
dans ces
répétitions, etc.),
retrouve
dans
la réécriture
une
façon
de
dire,
et
de
répéter «presque
la
même
chose»
'
.
Le
résultat
est une «écriture
de
la variation»,
résultat
atteint aussi grâce
à
la réé¬
criture
de
toute l'uvre.
Ainsi,
par la réécriture. celle qui a
été souvent
définie
comme «auto-traduction», Beckett
enrichit
son
texte, tout en
le
modifiant graduellement,
et manifeste
son intention
de
répéter tout en
confirmant
l'impossibilité
de répéter
exactement
la même chose.
L'importance
de la répétition de
même que
sa richesse
ont
été bien
illus¬
trée
par
Borges dans «Pierre Ménard. auteur du Quichotte».
Ici Borges
montre comment «le
texte de
Cervantes et celui
de
Ménard sont verba¬
lement identiques, mais le second est presque
infiniment
plus
riche.» En
d'autres termes, toute
circonstance temporelle et
spatiale, toute
modifica¬
tion
(inévitable)
du
contexte
de récriture contribue aussi à faire évoluer
le texte, à faire de récriture un phénomène mobile, limité,
circonscrit
et
non pas. comme on
l'avait
si longtemps cru. absolu. Scripia manent,
sans
doute, mais la
perpétuité de l'écriture est, elle aussi,
atteinte par les
modifications
dues aux phénomènes
extérieurs tels
que le temps,
l'espace
ou
le lecteur
(et
sa
langue).
La
poétique
de la
répétition,
dont
le
bilinguisme fait
partie,
trouve
sa
nécessité
dès lors que Beckett commence à
écrire en français (' et
atteint sa maturité
dans
la
trilogie
romanesque. Ici Beckett montre
bien
l'intérêt
qu'il porte au langage
et
au rapport du
langage
à la réalité et au
sujet.
Cet
intérêt, il
le
manifeste aussi en écrivant dans une
langue qui
lui est étrangère pour ensuite revenir à la sienne propre,
devenue
comme
étrangère. Le sujet écrit et parle dans une langue qui «ne lui appartient»
pas et à
laquelle
il
n'appartient pas, comme
si
(et il
en va bien
ainsi) il
ne pouvait exister
que grâce
au
langage sans pour autant se reconnaître
3. Walter
Benjamin. «La lâche
du
traducteur», in Mythe et
violente,
traduit de l'allemand
et
préfacé par
Maurice
de Gandillac.
Dossier des
Lettres Nouvelles. 1937. p.
261-276.
4. Voir aussi à
ce
sujet le beau livre de
Connor
Steven: Samuel Beckett. Différence. Theoiy
and
Text.
19S8.
5. Umberto Eco utilise
cette expression dans son
dernier
essai
sur
la
traduction qui
a
pour
titre: Dire quasi
la
slessa cosa. Bombiani.
2004.
6. On pourrait même dire: au moment où il commence
à
concevoir
son
Áuvre
en français.
1 02
c'est-à-dire à partir de
Murphy. quand
pour
la
première fois l'auteur fait une subtile référence
à la
traduction
en
insérant
à l'intérieur de
son
roman un Monsieur Cooper.
«serviteur
de deux
i m'ÉRATlRE maîtres».
Voir
à
ce propos
Bruno
Clément. L' sans
qualités. Rhétorique
de Samuel
xc I4i - mars
:iioci Beckett.
Paris. Le
Seuil.
1994.
REFLEXIONS CRITIQUES
traduction?
C'est justement à
cette question que je
voudrais
répondre
ici
tout
en
esquissant
des propositions de
traduction
de
l'tuvre
bilingue.
Benjamin écrit
que
la traduction est la seule raison
plausible
de
répéter
plusieurs fois
la
même chose 3 . Beckett,
dont la
poétique a parmi
ses thématiques fondamentales la répétition4 (la
répétition
des mots
par
l'écriture, la répétition
des mêmes histoires avec
des mots
toujours
diffé¬
rents, la répétition maniaque des
phrases,
des situations,
les petites diffé¬
rences contenues
dans ces
répétitions, etc.),
retrouve
dans
la réécriture
une
façon
de
dire,
et
de
répéter «presque
la
même
chose»
'
.
Le
résultat
est une «écriture
de
la variation»,
résultat
atteint aussi grâce
à
la réé¬
criture
de
toute l'uvre.
Ainsi,
par la réécriture. celle qui a
été souvent
définie
comme «auto-traduction», Beckett
enrichit
son
texte, tout en
le
modifiant graduellement,
et manifeste
son intention
de
répéter tout en
confirmant
l'impossibilité
de répéter
exactement
la même chose.
L'importance
de la répétition de
même que
sa richesse
ont
été bien
illus¬
trée
par
Borges dans «Pierre Ménard. auteur du Quichotte».
Ici Borges
montre comment «le
texte de
Cervantes et celui
de
Ménard sont verba¬
lement identiques, mais le second est presque
infiniment
plus
riche.» En
d'autres termes, toute
circonstance temporelle et
spatiale, toute
modifica¬
tion
(inévitable)
du
contexte
de récriture contribue aussi à faire évoluer
le texte, à faire de récriture un phénomène mobile, limité,
circonscrit
et
non pas. comme on
l'avait
si longtemps cru. absolu. Scripia manent,
sans
doute, mais la
perpétuité de l'écriture est, elle aussi,
atteinte par les
modifications
dues aux phénomènes
extérieurs tels
que le temps,
l'espace
ou
le lecteur
(et
sa
langue).
La
poétique
de la
répétition,
dont
le
bilinguisme fait
partie,
trouve
sa
nécessité
dès lors que Beckett commence à
écrire en français (' et
atteint sa maturité
dans
la
trilogie
romanesque. Ici Beckett montre
bien
l'intérêt
qu'il porte au langage
et
au rapport du
langage
à la réalité et au
sujet.
Cet
intérêt, il
le
manifeste aussi en écrivant dans une
langue qui
lui est étrangère pour ensuite revenir à la sienne propre,
devenue
comme
étrangère. Le sujet écrit et parle dans une langue qui «ne lui appartient»
pas et à
laquelle
il
n'appartient pas, comme
si
(et il
en va bien
ainsi) il
ne pouvait exister
que grâce
au
langage sans pour autant se reconnaître
3. Walter
Benjamin. «La lâche
du
traducteur», in Mythe et
violente,
traduit de l'allemand
et
préfacé par
Maurice
de Gandillac.
Dossier des
Lettres Nouvelles. 1937. p.
261-276.
4. Voir aussi à
ce
sujet le beau livre de
Connor
Steven: Samuel Beckett. Différence. Theoiy
and
Text.
19S8.
5. Umberto Eco utilise
cette expression dans son
dernier
essai
sur
la
traduction qui
a
pour
titre: Dire quasi
la
slessa cosa. Bombiani.
2004.
6. On pourrait même dire: au moment où il commence
à
concevoir
son
Áuvre
en français.
1 02
c'est-à-dire à partir de
Murphy. quand
pour
la
première fois l'auteur fait une subtile référence
à la
traduction
en
insérant
à l'intérieur de
son
roman un Monsieur Cooper.
«serviteur
de deux
i m'ÉRATlRE maîtres».
Voir
à
ce propos
Bruno
Clément. L' sans
qualités. Rhétorique
de Samuel
xc I4i - mars
:iioci Beckett.
Paris. Le
Seuil.
1994.
8/17/2019 Traduire Le Bilinguisme Beckett
3/14
TRADUIRE LE BILINGUISME:
L'EXEMPLE
DE
BECKETT
dans les
mots qui le disent.
La dichotomie langage/réalité,
qui entraîne
celle,
bien plus
complexe,
du
langage/sujet,
prend
force
dans
le
bilin¬
guisme.
Dans
la
trilogie le
bilinguisme a pour tâche
de
reproduire en
deux
langues
ce
même
sujet, montrant
qu'il
se trahit et
qu'il
est
en
même
temps
trahi
par le
langage,
d'abord, et ensuite par les différentes
langues.
Cette
trahison a
lieu
malgré le
souci
du narrateur de
vérité et de
«respect»
du
texte.
D'ailleurs.
Sam
n'avait-il pas
voulu
faire
la même
chose quand il
avait essayé
de
répéter
l'histoire de
Watt comme
il
la lui
avait
racontée ' ?
Ce
court
rappel
de
ee
qui
est
à
la
base
du
bilinguisme
de
Beckett
me permet
ainsi
de formuler un
postulat indispensable
à
mon
essai, à
savoir: l'uvre bilingue
est un tout unique et
elle
est
par
conséquent tra-
duisible, car toute
uvre doit
apodictiquement «permettre
une traduction
et
conformément au signifié
de cette forme, l'exiger»
Z
Ainsi,
on trouve une
réponse
à
notre
première question: non
seu¬
lement on peut traduire
l'uvre
bilingue de
Beckett.
mais sa traduction
est
une
exigence. Reste à
voir comment
la traduire.
Pour
répondre à cette
deuxième
question, j'ai
essayé d'analyser
certaines
traductions en italien
des
uvres
de
Beckett
en
m'inspirant
de
l'ouvrage
de
Berman.
Pour
une
critique des traductions,
John
Donne.
L'analyse
de la
situation
des traductions italiennes de
l'uvre
de
Beckett
jusqu'à
1996, m'a d'abord permis de constater
qu'elles
ont été
un empêchement à l'accomplissement de la «translation
littéraire»'
de
l'uvre, et
par conséquent à
sa
diffusion. Je
me
réfère ici aux
textes
romanesques que j'ai pu
étudier de près et dont
de nouvelles traductions
ont récemment
vu
le
jour,
et notamment à Murphy. Watt.
Mercier et
Camier]0
.
Molloy, Malone
meurt
et
L'Innommable.
Les
premières
traduc¬
tions
allaient en titubant: elles étaient souvent littérales ou
bien beau-
7.
Beckett
décide
de réécrire
Watt
plus de vingt ans
après
sa rédaction à cause, sans doute, des
difficultés formelles
du
texte, mais aussi en
conséquence du
fait que le roman est l'aveu d'une
rupture
avec
la
langue
anglaise
et
qu'il avait été conçu comme un
point
de non retour
et
no¬
tamment comme la prémisse de
l'Auvre
bilingue.
Dans
l'uvre
dc Beckett Watt représente un
texte
à
dépasser, le dernier roman écrit d'abord en anglais, la prémisse au bilinguisme comme
alternative et
complément
de
la variation du même
thème
qui caractérise la poétique de
Bec¬
kett.
Un point de non
retour
donc,
un
livre qui. par son bilinguisme
latent
tics gallicismes, les
mots étranges, les jeux
de miroir
entre les deux personnages, etc.). n'avait peut-être pas été
conçu
pour
être
réécrit
tout
en
préconisant
l'uvre
bilingue
qui commence
véritablement
dans
la
langue étrangère.
S.
Benjamin.
Walter.
«La tâche du traducteur»,
op. cil.
D'après Benjamin une signification
donnée,
propre aux originaux, se manifeste
dans
leur iraduisibilité.
9.
A
ce propos
Berman
parle
d' «.étayuge de
la
traduction»
qui
«comprend tous les paratexles
qui viennent la soutenir: introduction, préface, postface,
notes,
glossaires, etc.
La
traduction
ne
peut pas être
"nue"
sous
peine
de
ne
pas accomplir la translation lilléraire» (p. 6$). C'est
peut-être à
cause de la «translation
manquée»
que même de nos jours
l'éditeur
de
Beckett
re-
0
chigne
à publier les
nouvelles
traductions de même que les ouvrages critiques le concernant. J 03
10. Une nouvelle traduction
de Mercier
et Camier
efl
censée êlre prête à sortir, mais encore
une
fois
l'éditeur retarde
la publication.
On parlera plus loin
dc Mercier ei Camier et
.Mercier
t
|-nTp.-vruRE
antl Camier qui se distinguent des autres romans pour plusieurs
raisons.
n"
mi
- maks :ooi'
TRADUIRE LE BILINGUISME:
L'EXEMPLE
DE
BECKETT
dans les
mots qui le disent.
La dichotomie langage/réalité,
qui entraîne
celle,
bien plus
complexe,
du
langage/sujet,
prend
force
dans
le
bilin¬
guisme.
Dans
la
trilogie le
bilinguisme a pour tâche
de
reproduire en
deux
langues
ce
même
sujet, montrant
qu'il
se trahit et
qu'il
est
en
même
temps
trahi
par le
langage,
d'abord, et ensuite par les différentes
langues.
Cette
trahison a
lieu
malgré le
souci
du narrateur de
vérité et de
«respect»
du
texte.
D'ailleurs.
Sam
n'avait-il pas
voulu
faire
la même
chose quand il
avait essayé
de
répéter
l'histoire de
Watt comme
il
la lui
avait
racontée ' ?
Ce
court
rappel
de
ee
qui
est
à
la
base
du
bilinguisme
de
Beckett
me permet
ainsi
de formuler un
postulat indispensable
à
mon
essai, à
savoir: l'uvre bilingue
est un tout unique et
elle
est
par
conséquent tra-
duisible, car toute
uvre doit
apodictiquement «permettre
une traduction
et
conformément au signifié
de cette forme, l'exiger»
Z
Ainsi,
on trouve une
réponse
à
notre
première question: non
seu¬
lement on peut traduire
l'uvre
bilingue de
Beckett.
mais sa traduction
est
une
exigence. Reste à
voir comment
la traduire.
Pour
répondre à cette
deuxième
question, j'ai
essayé d'analyser
certaines
traductions en italien
des
uvres
de
Beckett
en
m'inspirant
de
l'ouvrage
de
Berman.
Pour
une
critique des traductions,
John
Donne.
L'analyse
de la
situation
des traductions italiennes de
l'uvre
de
Beckett
jusqu'à
1996, m'a d'abord permis de constater
qu'elles
ont été
un empêchement à l'accomplissement de la «translation
littéraire»'
de
l'uvre, et
par conséquent à
sa
diffusion. Je
me
réfère ici aux
textes
romanesques que j'ai pu
étudier de près et dont
de nouvelles traductions
ont récemment
vu
le
jour,
et notamment à Murphy. Watt.
Mercier et
Camier]0
.
Molloy, Malone
meurt
et
L'Innommable.
Les
premières
traduc¬
tions
allaient en titubant: elles étaient souvent littérales ou
bien beau-
7.
Beckett
décide
de réécrire
Watt
plus de vingt ans
après
sa rédaction à cause, sans doute, des
difficultés formelles
du
texte, mais aussi en
conséquence du
fait que le roman est l'aveu d'une
rupture
avec
la
langue
anglaise
et
qu'il avait été conçu comme un
point
de non retour
et
no¬
tamment comme la prémisse de
l'Auvre
bilingue.
Dans
l'uvre
dc Beckett Watt représente un
texte
à
dépasser, le dernier roman écrit d'abord en anglais, la prémisse au bilinguisme comme
alternative et
complément
de
la variation du même
thème
qui caractérise la poétique de
Bec¬
kett.
Un point de non
retour
donc,
un
livre qui. par son bilinguisme
latent
tics gallicismes, les
mots étranges, les jeux
de miroir
entre les deux personnages, etc.). n'avait peut-être pas été
conçu
pour
être
réécrit
tout
en
préconisant
l'uvre
bilingue
qui commence
véritablement
dans
la
langue étrangère.
S.
Benjamin.
Walter.
«La tâche du traducteur»,
op. cil.
D'après Benjamin une signification
donnée,
propre aux originaux, se manifeste
dans
leur iraduisibilité.
9.
A
ce propos
Berman
parle
d' «.étayuge de
la
traduction»
qui
«comprend tous les paratexles
qui viennent la soutenir: introduction, préface, postface,
notes,
glossaires, etc.
La
traduction
ne
peut pas être
"nue"
sous
peine
de
ne
pas accomplir la translation lilléraire» (p. 6$). C'est
peut-être à
cause de la «translation
manquée»
que même de nos jours
l'éditeur
de
Beckett
re-
0
chigne
à publier les
nouvelles
traductions de même que les ouvrages critiques le concernant. J 03
10. Une nouvelle traduction
de Mercier
et Camier
efl
censée êlre prête à sortir, mais encore
une
fois
l'éditeur retarde
la publication.
On parlera plus loin
dc Mercier ei Camier et
.Mercier
t
|-nTp.-vruRE
antl Camier qui se distinguent des autres romans pour plusieurs
raisons.
n"
mi
- maks :ooi'
8/17/2019 Traduire Le Bilinguisme Beckett
4/14
REFLEXIONS CRITIQUES
coup trop explicites par rapport aux originaux " . Parfois
elles
semblaient
vouloir
restituer
au
texte
son
côté
«absurde»
même quand
il
ne
s'agis¬
sait que d'un passage volontairement ambigu. C'était en quelque sorte se
conformer
à
la catégorisation où Beckett avait été enfermé, «écrivain de
l'absurde», et c'était aussi
une
façon de contourner
l'ambiguïté,
la
dupli¬
cité
dont l' fait
preuve et qui, à l'évidence, n'avait pas été
saisie
comme un des traits fondamentaux de la
poétique
de Beckett.
Je
pense,
par exemple,
à
un échange entre
Mercier et
Camier qui montre comment
Fauteur
n'a pas
laissé
échapper
un
jeu sur les assonances:
«A quoi
acquiesces-tu?
dit Camier
À
quoi à qui est-ce
tu?
Mais tu perds le nord, Camier.
dit Mercier»12
Ce passage,
traduit
à la lettre
(distraitement?)
dans la seule traduc¬
tion italienne du roman
13
,
non seulement perd le
jeu
d'assonances qui
semble
avoir amusé Beckett. mais
donne
comme résultat un échange
effectivement
«absurde».
Deuxième
constatation: les
traductions italiennes
n'ont
pris en
compte
qu'une
seule des deux versions et pas nécessairement la
pre¬
mière
l4
.
De
plus,
elles
ont
été
rédigées
à
une
époque
(entre
1
957
et
1971) où, surtout
au début,
l'
de
Beckett
était
peu
connue en Italie
et, de
par
son caractère fort novateur, peu comprise.
À
l'époque,
les
traducteurs italiens
ont dû
travailler
comme
à
tâtons, dans un
espace
flou
et
indéfini.
Le
fait qu'aucune
des
premières traductions
ne
soit pourvue
d'introduction ni de note du traducteur qui aurait pu mieux illustrer son
approche de
l'uvre et
de
la
traduction en
est la confirmation.
À
partir de
1996
de nouvelles traductions en italien des
romans
cités b
ont
heureusement vu le jour. Des critiques bien
connus
dans
le
milieu
beckettien
en sont les
auteurs.
Aldo
Tagliaferri,
qui
a
écrit,
entre
autre,
Samuel
Beckett el
la
surdétermination
littéraire,
traduit la trilogie
(publiée en
1996).
tandis que
Gabriele Frasca,
auteur de Cascando.
Tre
snidi
su
Beckett, traduit Watt (publié
en
1998) et Murphy (2003).
Ces
nouvelles traductions sont accompagnées de longues introductions. De
plus, elles
ont toutes
une «Nota
del
traduttore». Ici les traducteurs ex¬
pliquent
qu'ils
ont traduit conformément à la
première
édition
publiée,
mais
qu'ils
ont
aussi
eu recours
aux deux textes écrits
par
Beckett de
même
que,
dans le
cas
de
la
trilogie,
à
la
traduction
allemande
de
Elmar
Tophoven en collaboration avec Beckett :
1 1
. An
cours
d'une
conversation
avec
Ludovic
Janvier, j'ai pu
apprendre que
Beckett
avait
renoncé
à
lire ses traductions cn
italien car
il
les trouvait
«mauvaises».
1
2.
Traduction
italienne:
«A chi aceonsenli. Mercier'.' disse
Camier.
A chi che
eosa
? disse
. _ A
Mercier...»,
trad. de
Luigi
Buffarini.
Ce
passage
a été supprimé dans
la
version
anglaise.
1 .
U~t
13. La traduction, de Luigi
Buffarini.
fut publié par Sugaco en
1971.
avant donc la
parution
du texte
anglais.
i ittératire '^- La traduction de
Murphy,
par exemple était
faite
à
partir
du texte français.
n= i4i - maks :ooi. 15. A l'exception de Mercier
el
Camier.
REFLEXIONS CRITIQUES
coup trop explicites par rapport aux originaux " . Parfois
elles
semblaient
vouloir
restituer
au
texte
son
côté
«absurde»
même quand
il
ne
s'agis¬
sait que d'un passage volontairement ambigu. C'était en quelque sorte se
conformer
à
la catégorisation où Beckett avait été enfermé, «écrivain de
l'absurde», et c'était aussi
une
façon de contourner
l'ambiguïté,
la
dupli¬
cité
dont l' fait
preuve et qui, à l'évidence, n'avait pas été
saisie
comme un des traits fondamentaux de la
poétique
de Beckett.
Je
pense,
par exemple,
à
un échange entre
Mercier et
Camier qui montre comment
Fauteur
n'a pas
laissé
échapper
un
jeu sur les assonances:
«A quoi
acquiesces-tu?
dit Camier
À
quoi à qui est-ce
tu?
Mais tu perds le nord, Camier.
dit Mercier»12
Ce passage,
traduit
à la lettre
(distraitement?)
dans la seule traduc¬
tion italienne du roman
13
,
non seulement perd le
jeu
d'assonances qui
semble
avoir amusé Beckett. mais
donne
comme résultat un échange
effectivement
«absurde».
Deuxième
constatation: les
traductions italiennes
n'ont
pris en
compte
qu'une
seule des deux versions et pas nécessairement la
pre¬
mière
l4
.
De
plus,
elles
ont
été
rédigées
à
une
époque
(entre
1
957
et
1971) où, surtout
au début,
l'
de
Beckett
était
peu
connue en Italie
et, de
par
son caractère fort novateur, peu comprise.
À
l'époque,
les
traducteurs italiens
ont dû
travailler
comme
à
tâtons, dans un
espace
flou
et
indéfini.
Le
fait qu'aucune
des
premières traductions
ne
soit pourvue
d'introduction ni de note du traducteur qui aurait pu mieux illustrer son
approche de
l'uvre et
de
la
traduction en
est la confirmation.
À
partir de
1996
de nouvelles traductions en italien des
romans
cités b
ont
heureusement vu le jour. Des critiques bien
connus
dans
le
milieu
beckettien
en sont les
auteurs.
Aldo
Tagliaferri,
qui
a
écrit,
entre
autre,
Samuel
Beckett el
la
surdétermination
littéraire,
traduit la trilogie
(publiée en
1996).
tandis que
Gabriele Frasca,
auteur de Cascando.
Tre
snidi
su
Beckett, traduit Watt (publié
en
1998) et Murphy (2003).
Ces
nouvelles traductions sont accompagnées de longues introductions. De
plus, elles
ont toutes
une «Nota
del
traduttore». Ici les traducteurs ex¬
pliquent
qu'ils
ont traduit conformément à la
première
édition
publiée,
mais
qu'ils
ont
aussi
eu recours
aux deux textes écrits
par
Beckett de
même
que,
dans le
cas
de
la
trilogie,
à
la
traduction
allemande
de
Elmar
Tophoven en collaboration avec Beckett :
1 1
. An
cours
d'une
conversation
avec
Ludovic
Janvier, j'ai pu
apprendre que
Beckett
avait
renoncé
à
lire ses traductions cn
italien car
il
les trouvait
«mauvaises».
1
2.
Traduction
italienne:
«A chi aceonsenli. Mercier'.' disse
Camier.
A chi che
eosa
? disse
. _ A
Mercier...»,
trad. de
Luigi
Buffarini.
Ce
passage
a été supprimé dans
la
version
anglaise.
1 .
U~t
13. La traduction, de Luigi
Buffarini.
fut publié par Sugaco en
1971.
avant donc la
parution
du texte
anglais.
i ittératire '^- La traduction de
Murphy,
par exemple était
faite
à
partir
du texte français.
n= i4i - maks :ooi. 15. A l'exception de Mercier
el
Camier.
8/17/2019 Traduire Le Bilinguisme Beckett
5/14
TRADUIRE LE
BILINGUISME: L'EXEMPLE
DE BECKETT
Per qitanio aliiene
ai
problemi
rii
iradiizione, la
cui
solitzione
rende i tesli
qui
ptthblicaii
ancora
più distanti
da
quiili
finora
posti
in coimnercio
in
lingua
haliana, ci
si
è anche avvalsi rii un confronte) crilico
con
la traditziane che
Beckett stesso effettuù per
queste
opère nclla
lingua
inglese. e
con
quella di
Elmar Tophovcn. che Beckett
verifïcà
mila
lingua
tedesca. '"
La connaissance approfondie de l'°uvre, et
notamment de
l'uvre
bilingue,
de même que l'emploi de deux textes
«originaux»
ont ainsi
permis d'obtenir des traductions qui sont, à mon avis, convaincantes
en
ee
qu'elles
sont «respectueuses» de
l'original.
Cela signifie, d'après
Berman,
qu'elles
répondent
aux
deux
critères
sur lesquels
on
doit fonder
l'évaluation
de
la
traduction, à savoir, la
poéiiché
et Yétlriciié ''
de
l'tuvre.
En
choisissant
de
traduite un
texte
sans pour autant
négliger
l'autre
version. Tagliaferri
et
Frasca
adoptent
une solution de compromis
(mais
quelle
traduction
n'est pas un compromis?)
par
rapport
à l'uvre
bilin¬
gue, solution
que
seules leurs oreilles
habituées
au «beckettien»
lb
et
leur
connaissance approfondie
de
l' uvre
bilingue
et de l"«étayage traduc¬
tif».
ont
pu rendre efficace. Les deux traducteurs reproduisent le rythme
serré
des
originaux,
et
«parviennent
à
conserver
et
à
restituer
la
plupart
des «signifiants»
fondamentaux de l'original» ' . voire du double de
l'original.
Mais la
question
«comment traduire le bilinguisme?» reste
ouverte.
Frasca et
Tagliaferri
semblent avoir
réussi à
respecter
le caractère double
du
texte du fait
même
qu'ils n'ont aucunement
négligé
le bilinguisme de
l'auteur.
Cependant, de
leur
propre
aveu, ils
se conforment à la
première
version écrite par l'auteur, effectuant ainsi un choix. Choix qui n'est pas
«exclusif»,
au
contraire:
je
crois
qu'on
pourrait
se
conformer
à
la
deuxième
rédaction
tout
en se
référant à
la première
et
obtenir
le
même
résultat en termes de respect de l' Mais on pourrait,
aussi,
comme
le
fait
Beckett en se réécrivant, essayer
d'adapter
les différents choix
16.
Aldo
Tagliaferri.
«Nota del
traduttore». in
Molloy. Malone
miiore.
Linnominabile.
Finaudi. 1996. p. LXV.
«Pour
ce
qui
est des problèmes
de traduction,
dont
la solution rend
les
lexies ici
publiés encore plus
éloignée de
ceux qui
sont disponibles en langue
italienne,
nous
nous
sommes appuyés
sur
une confrontation critique
avec
la
traduction
en
anglais
que Beckett
fit
de ees
ouvrages, ainsi que
celle d'IEImar
Toplioven. en
allemand, que Beckett révisa.» Je
traduis.
17.
«
La
poétieiié
d'une
traduction
réside
en
ce
que
le
traducteur
a
réalisé
un
véritable
travail
textuel, a
fait
texte, en correspondance
plus
ou moins étroite avec la textualité
de l'original.
L.-] L'élhicité. elle,
réside
dans le respect, ou plutôt, dans un certain respect
de
l'original».
A ce
sujet
Berman
cite
Jean-
Yves
Masson:
«Les concepts
issus
de la réflexion
éthique
peu¬
vent
s'appliquer à la
traduction
précisément
grâce
à
une
méditation sur la
notion
de respect.
Si la
traduction respecte l'original,
elle
peut
et doit
même
dialoguer avec
lui.
lui
faire face,
et
lui
tenir télé». Berman. op. cit..
p.
92.
1
S.
Néologisme
que j'emprunte
à
Ludovic Janvier
pour
définir le langage
hybride
de
Beckett. inc
19. Berman. dans Pour
une critique des traductions.
John Donne.
Par
exemple, dans la tra- ] 03
duetion
de la poésie «A Nelly» dans \l'
8/17/2019 Traduire Le Bilinguisme Beckett
6/14
REFLEXIONS CRITIQUES
dans les différents
textes
originaux, à la culture du pays récepteur de la
nouvelle
traduction.
Je
veux
dire
par
là
que
si,
comme
c'est
souvent
le
cas
dans les
romans
de Beckett
cités,
les modifications
aux
textes
dans
l'autre langue, sont dues
aussi à
une
sorte
de
souci
d'adaptation
non
seulement à la langue, mais aussi à la culture
du pays
(adaptation qui
peut se faire tantôt par
contraste
tantôt par
analogie
avec cette langue
et
cette culture), le traducteur
pourrait essayer de faire son choix entre
les
deux
textes
se référant à
ses
propres
langue et
culture.
On peut
remar¬
quer, par
exemple, que dans les textes allemands d'Elmar
Tophoven.
révisée par
Beckett.
les
noms
de
lieux
sont
adaptés
au
pays
récepteur
de
même qu'ils
avaient été adaptés
dans
la deuxième
version.
Ainsi
«Berne
en Bresse» devient en anglais «Essy in Possy»20 et
en
allemand «Burg
am Berg» 2'
.
ou encore «Seine
Seine-et-Oise
Seine-et-Marne Marne-et-
Oise»
devient
en
anglais «Feckham Peckham
Fulham
Clapham»22
et en
allemand «Rhein
Rhein und Ruhr Rhein und
Main Main
und
Ruhr»2'
.
Dans
Murphy les
adaptations
à la culture
du
pays
récepteur
sont
parfois
importantes.
L'incipit, par exemple, en est une
démonstration.
Ici
Beckett
fait une
référence explicite
à l'Ecclésiaste, référence qui est sans
doute
moins
explicite
aux
oreilles
du
français
moyen.
Cel
écart
entre
la
culture
anglosaxonne
qui
jouit d'une très
forte tradition biblique et la
culture
francophone
moins
adonnée aux lectures bibliques est compensée
par l'ajout
de «l'Impasse de l'Enfant Jésus»
dans
le texte
français.
Cet
ajout souligne le
déterminisme
de la
situation de Murphy
(qui
esl dans
une impasse)
rejoignant ainsi le
sens
de
l'allusion
à l'Ecclésiaste24
. De
même,
le narrateur
joue
ensuite en
alternant des
spécifications
plus
détaillées
tantôt en anglais tantôt en
français,
obtenant une sorte
de
chqur
à
deux
voix,
une
variation
sur
le
même
thème2''
.
20. Waiiing for
Codât. Faber and Faber. 19S6. p. 43.
21.
Dranialische Diehiungen
in
ilrci
Spraclien
Suhrkamp.
p. 91-92.
22. Waiiing for Godol.
p.
44.
23.
Dranialische Dichlungcn
in
dici Spraclien Suhrkamp. p.
92-93.
24. Beckett nomme et transforme la
ruelle
à West Brompton («n
mew in
West Brompion») où
Murphy était
prisonnier, aspirant à la
liberté, en
l'«Impasse
de
l'Enl'ani
Jésus. West Bromton.
Londres».
25. Pour
le
lecteur
curieux,
je
reporte ici les
deux incipit du texte
dans les
deux langues:
The sun
shone.
having
no alternative, on
lhe
notliing
new. Murphy sui mu
of
it. as
though
he
were
free.
in
a
mew in
Wesi
Brompion.
Hère
for
what
mighi
have
been
six inonilis
lu- hiul
eaten.
tlrunk.
.v/e/j/. and
pui
lus eloihes on antl off.
in
a
mctiinm-
sizett
cage
of
south-easiern
aspect.
Soon
he
would have lo
huekle
lo
and
srari
eating.
tlriiiking.
slce/fing. tintt putling his
clothcs
on and off. in quiie
alien
sur-
nmndings.
iMurpliy.
Grove Press, p.
I
)
Le
soleil
brillail. if
ayant
pas
d'alternative,
sur
le
rien
de
neuf. Murphy. comme s'il
élail l ibre, s'en tenait à l'écart, assis, dans
l'impasse de
ITîiifant-Jésiis. West
Brompton. Londres. Là.
depuis
des mois, peul-être des années, il
mangeait,
buvait,
donnait,
s'habillait et
se
déshabillait,
dans une cage
de
dimensions moyennes.
j 0(\ exposée
au
nord-ouest,
ayant sur
d'autres
cages
de dimensions moyennes exposées
au
sud-est
une vue
ininterrompue.
Bientôt il lui
faudrait s'arranger
autrement,
car
l'impasse
de ITînfant-Jésus venait d'être
condamnée.
Bientôt
il lui faudrait rap-
UlTÉRATURE
prendre, dans un
cadre lotit
à
fait
étranger, à manger, à
boire,
à
dormir,
à
s'habiller
N-- 141
-maks:oo(>
et
à se déshabiller. (Murphy. Paris.
Les
Editions
de Minuit, p.
7)
REFLEXIONS CRITIQUES
dans les différents
textes
originaux, à la culture du pays récepteur de la
nouvelle
traduction.
Je
veux
dire
par
là
que
si,
comme
c'est
souvent
le
cas
dans les
romans
de Beckett
cités,
les modifications
aux
textes
dans
l'autre langue, sont dues
aussi à
une
sorte
de
souci
d'adaptation
non
seulement à la langue, mais aussi à la culture
du pays
(adaptation qui
peut se faire tantôt par
contraste
tantôt par
analogie
avec cette langue
et
cette culture), le traducteur
pourrait essayer de faire son choix entre
les
deux
textes
se référant à
ses
propres
langue et
culture.
On peut
remar¬
quer, par
exemple, que dans les textes allemands d'Elmar
Tophoven.
révisée par
Beckett.
les
noms
de
lieux
sont
adaptés
au
pays
récepteur
de
même qu'ils
avaient été adaptés
dans
la deuxième
version.
Ainsi
«Berne
en Bresse» devient en anglais «Essy in Possy»20 et
en
allemand «Burg
am Berg» 2'
.
ou encore «Seine
Seine-et-Oise
Seine-et-Marne Marne-et-
Oise»
devient
en
anglais «Feckham Peckham
Fulham
Clapham»22
et en
allemand «Rhein
Rhein und Ruhr Rhein und
Main Main
und
Ruhr»2'
.
Dans
Murphy les
adaptations
à la culture
du
pays
récepteur
sont
parfois
importantes.
L'incipit, par exemple, en est une
démonstration.
Ici
Beckett
fait une
référence explicite
à l'Ecclésiaste, référence qui est sans
doute
moins
explicite
aux
oreilles
du
français
moyen.
Cel
écart
entre
la
culture
anglosaxonne
qui
jouit d'une très
forte tradition biblique et la
culture
francophone
moins
adonnée aux lectures bibliques est compensée
par l'ajout
de «l'Impasse de l'Enfant Jésus»
dans
le texte
français.
Cet
ajout souligne le
déterminisme
de la
situation de Murphy
(qui
esl dans
une impasse)
rejoignant ainsi le
sens
de
l'allusion
à l'Ecclésiaste24
. De
même,
le narrateur
joue
ensuite en
alternant des
spécifications
plus
détaillées
tantôt en anglais tantôt en
français,
obtenant une sorte
de
chqur
à
deux
voix,
une
variation
sur
le
même
thème2''
.
20. Waiiing for
Codât. Faber and Faber. 19S6. p. 43.
21.
Dranialische Diehiungen
in
ilrci
Spraclien
Suhrkamp.
p. 91-92.
22. Waiiing for Godol.
p.
44.
23.
Dranialische Dichlungcn
in
dici Spraclien Suhrkamp. p.
92-93.
24. Beckett nomme et transforme la
ruelle
à West Brompton («n
mew in
West Brompion») où
Murphy était
prisonnier, aspirant à la
liberté, en
l'«Impasse
de
l'Enl'ani
Jésus. West Bromton.
Londres».
25. Pour
le
lecteur
curieux,
je
reporte ici les
deux incipit du texte
dans les
deux langues:
The sun
shone.
having
no alternative, on
lhe
notliing
new. Murphy sui mu
of
it. as
though
he
were
free.
in
a
mew in
Wesi
Brompion.
Hère
for
what
mighi
have
been
six inonilis
lu- hiul
eaten.
tlrunk.
.v/e/j/. and
pui
lus eloihes on antl off.
in
a
mctiinm-
sizett
cage
of
south-easiern
aspect.
Soon
he
would have lo
huekle
lo
and
srari
eating.
tlriiiking.
slce/fing. tintt putling his
clothcs
on and off. in quiie
alien
sur-
nmndings.
iMurpliy.
Grove Press, p.
I
)
Le
soleil
brillail. if
ayant
pas
d'alternative,
sur
le
rien
de
neuf. Murphy. comme s'il
élail l ibre, s'en tenait à l'écart, assis, dans
l'impasse de
ITîiifant-Jésiis. West
Brompton. Londres. Là.
depuis
des mois, peul-être des années, il
mangeait,
buvait,
donnait,
s'habillait et
se
déshabillait,
dans une cage
de
dimensions moyennes.
j 0(\ exposée
au
nord-ouest,
ayant sur
d'autres
cages
de dimensions moyennes exposées
au
sud-est
une vue
ininterrompue.
Bientôt il lui
faudrait s'arranger
autrement,
car
l'impasse
de ITînfant-Jésus venait d'être
condamnée.
Bientôt
il lui faudrait rap-
UlTÉRATURE
prendre, dans un
cadre lotit
à
fait
étranger, à manger, à
boire,
à
dormir,
à
s'habiller
N-- 141
-maks:oo(>
et
à se déshabiller. (Murphy. Paris.
Les
Editions
de Minuit, p.
7)
8/17/2019 Traduire Le Bilinguisme Beckett
7/14
TRADUIRE
LE BILINGUISME: L'EXEMPLE
DE
BECKETT
Parfois. Beckett profite aussi de la
langue
étrangère pour régler ses
comptes,
comme
dans
cet
exemple
où
il
critique
explicitement
le
purita¬
nisme
«anglo-irlandais» :
Célia déclara que. s'il
ne
trouvait
pas
de travail incessamment, elle retourne-
rail au sien. Murphy savait ce que cela voulait dire. Plus de musique.
Cette phrase,
lors de la rédaction
en anglo-irlandais, fut choisie
avec
soin,
de
crainte qu'il ne
manquât
aux
censeurs
l'occasion de pratiquer leur synec-
doche [sic ]
alors
qu'en
anglais
il
est
moins
explicite:
Celia
sait iliat
if
lie did
iiotfind
work at
once
she should
have to
go back lo
tiers.
Murphy knew
whal thaï ineam.
No more
music.
This phrase
is cliasen
with
care.
lest the fritliy censors
should lack
an occa¬
sion to
commit
their
fritliy
synecdochc. 2t>
Grâce
à de telles modifications Beckett
réécrit les textes sans
opérer
ni dans un sens destructeur ni vers une réhabilitation de l'uvre. II réé¬
crit
et.
en réécrivant, il
veille
à
se conformer
au signifié de la
première-
version sous
la
«forme2''
»
d'une
nouvelle langue. Ainsi, malgré les diffé¬
rences
entre
les
deux textes,
malgré
les
modifications d'auteur
dans
la
réécriture. la deuxième version par Beckett peut
aider à
clarifier des
ambiguïtés
ou
à
résoudre
les difficultés
d'interprétation 2S . C'est pourquoi
dans
la
majorité
des
cas les
modifications que
les
réécritures apportent
aux cinq
romans ne sont
perceptibles qu'avec
une
lecture attentive
et
comparée
des
deux versions. De plus.
Beckett demande
à travailler avec
des traducteurs, du moins pour ce qui
concerne
les deux romans en
anglais
et
Molloy.
Ensuite, il
ne faut
pas
négliger
le fait que la
réécriture
de
Murphy
a
lieu
au
moment
où
Beckett
a
décidé
de
rédiger
son
Euvre
directement en français (et cela pendant une décennie) et qu'elle repré¬
sente aussi une
façon de
s'approcher
de
la
langue
étrangère
à
l'aide
d'un
autochtone,
son
ami
Alfred Péron. En
d'autres
termes,
pour
la réécriture
de
ces textes Beckett puise directement dans
les premiers originaux
où la
deuxième version trouve effectivement son sens, d'après
les
mots de
Benjamin. Mais,
dans tous les
romans,
et notamment
dans
ceux
de la
trilogie,
l'anglais
reste latent dans l'original
français et vice-versa. Ne
serait-ce
que
par
les
noms des protagonistes, la description des
paysages,
les
allusions
au
«génie
de
votre
langue» (je souligne),
les
expressions
qui renvoient
à l'autre langue,
et nombre d'autres détails dont nous
avons vu
quelques
exemples.
Dans ces romans20 .
c'est
justement le
détail
que
Beckett élabore d'une langue à l'autre
:
tantôt c'est
une expression
26. Le texte français
est
à la page
60
de Murphy. Paris.
Les
Editions
de
Minuit,
tandis que
le
deuxième esl à la page 76 de Murphy. Grove Press.
..
^y-,
27. « Li irtuliizione è una
forma.
Per
coglierla coine laie,
occorre risti/ire
aU'originalc.
Infatli
1.0
I
la legge
délia
iraduzione si irova in
esso.
» Benjamin. 222.
2S.
C'est
d'ailleurs
ce
que
dit
Tagliaferri
dans
sa
«Nota del
traduttore». littérature
29.
A l'exception de Mercier ei
Camier.
n- mi - m.vks :co
8/17/2019 Traduire Le Bilinguisme Beckett
8/14
REFLEXIONS CRITIQUES
clichée modifiée,
renversée ou
supprimée,
tantôt
c'est
le renversement
du
registre
(populaire
dans
une
langue,
plus
recherché
dans
l'autre
-,0
),
tantôt la modification ou la non modification d'un
nom
de lieu ou
de
personne étranger, tantôt
une critique
plus ou
moins
discrète du texte
1,
tantôt une latence
du
texte
II déjà présent
à
la première rédaction.
C'est
par
ces
stratagèmes que Beckett contribue au bilinguisme du
texte,
à
sa
duplicité, à son
caractère
variable.
Et
c'est justement sur
cela que.
dans
mon
idée, le «traducteur idéal»
de
Beckett,
devrait pouvoir
habilement
jouer
en
utilisant
les
deux textes,
en
montrant la
ductilité,
la malléabilité
du
langage,
des
langues
tout
en
puisant
dans
deux
versions,
et
surtout
en
rendant
manifeste,
par la langue dont
il se
sert, le
jeu de fon/da du sujet.
Cependant,
dans les cas cités, le choix
des
deux
traducteurs
italiens
de
l'ester
proches de la
première
rédaction tout en faisant
référence
à la
deuxième, se
conforme à
ce que Berman définit comme «un certain res¬
pect du
texte», grâce
surtout
à
la
dynamique
de
leur
bilinguisme
telle
qu'on
l'a
résumée.
Pour aller un
peu
plus loin, je
propose une
autre
piste de réflexion.
Nous
savons que
tout double
de
l'uvre
de
Beckett
n'entretient
pas
la
même relation au texte 1. Les textes qu'on a vus jusqu'ici ont
plusieurs
caractéristiques
communes qui peuvent
les
apparenter, mais chaque texte
développe une relation différente
à
son double.
Le
bilinguisme
de
Bec¬
kett se modifie
notamment
par
rapport aux
périodes d'écriture
et
de
réé¬
criture,
et
aussi par
rapport
au laps de
temps
qui sépare la rédaction en
une
langue
de
celle dans l'autre langue. Si,
par
exemple,
par
un saut
dans le temps, nous
passons
aux années 70. nous remarquerons
que
la
façon
qu'a
Beckett
de
se
réécrire
subit
une
transformation
importante,
À
cette époque la réécriture est presque contemporaine de la rédaction,
comme
si
les textes naissaient
en
même temps dans
leur
double
forme,
l'anglaise
et
la française. Mais c'est aussi à cette époque que
Beckett
reprend de vieux
textes,
qu'il
avait
auparavant refusé de
publier,
notam¬
ment Mercier el Camier (écrit en 1946 en français et réécrit
entre
1970
date de la publication du texte
français
et
1974 en anglais), Premier
Amour
(écrit en 1946 en
français, publié en
1970.
et réécrit en anglais en
1973). et les
Foirades
(écrites en fiançais
dans les
années 60, publiées
dans les années
70.
et
réécrits
en
anglais
entre
1973
et
1974).
Comme
les dates l'indiquent, Beckett
commence
à les réécrire au
moment
où il
décide d'en publier la
première
rédaction.
Dans
le
premier
cas. celui de récriture
presque contemporaine.
la
version
anglaise,
du
moins
quand
elle
suit
de
près le texte
en
français.
1
qo tend
à insister davantage
sur
la répétition
et
souvent
aussi
à
resserrer
les
30.
Dans
cet exemple. Fauteur
utilise
un registre
encore
plus
informel
dans la
langue
anglaise
littérature P0l,r
expliciter
l'expression
«tutoiement
torrentiel
» «torrent of
civilities»
en
anglais
où
k° i4i -M,\Rs200f>
le
tutoiement ne
se distingue pas
du
vouvoiement.
REFLEXIONS CRITIQUES
clichée modifiée,
renversée ou
supprimée,
tantôt
c'est
le renversement
du
registre
(populaire
dans
une
langue,
plus
recherché
dans
l'autre
-,0
),
tantôt la modification ou la non modification d'un
nom
de lieu ou
de
personne étranger, tantôt
une critique
plus ou
moins
discrète du texte
1,
tantôt une latence
du
texte
II déjà présent
à
la première rédaction.
C'est
par
ces
stratagèmes que Beckett contribue au bilinguisme du
texte,
à
sa
duplicité, à son
caractère
variable.
Et
c'est justement sur
cela que.
dans
mon
idée, le «traducteur idéal»
de
Beckett,
devrait pouvoir
habilement
jouer
en
utilisant
les
deux textes,
en
montrant la
ductilité,
la malléabilité
du
langage,
des
langues
tout
en
puisant
dans
deux
versions,
et
surtout
en
rendant
manifeste,
par la langue dont
il se
sert, le
jeu de fon/da du sujet.
Cependant,
dans les cas cités, le choix
des
deux
traducteurs
italiens
de
l'ester
proches de la
première
rédaction tout en faisant
référence
à la
deuxième, se
conforme à
ce que Berman définit comme «un certain res¬
pect du
texte», grâce
surtout
à
la
dynamique
de
leur
bilinguisme
telle
qu'on
l'a
résumée.
Pour aller un
peu
plus loin, je
propose une
autre
piste de réflexion.
Nous
savons que
tout double
de
l'uvre
de
Beckett
n'entretient
pas
la
même relation au texte 1. Les textes qu'on a vus jusqu'ici ont
plusieurs
caractéristiques
communes qui peuvent
les
apparenter, mais chaque texte
développe une relation différente
à
son double.
Le
bilinguisme
de
Bec¬
kett se modifie
notamment
par
rapport aux
périodes d'écriture
et
de
réé¬
criture,
et
aussi par
rapport
au laps de
temps
qui sépare la rédaction en
une
langue
de
celle dans l'autre langue. Si,
par
exemple,
par
un saut
dans le temps, nous
passons
aux années 70. nous remarquerons
que
la
façon
qu'a
Beckett
de
se
réécrire
subit
une
transformation
importante,
À
cette époque la réécriture est presque contemporaine de la rédaction,
comme
si
les textes naissaient
en
même temps dans
leur
double
forme,
l'anglaise
et
la française. Mais c'est aussi à cette époque que
Beckett
reprend de vieux
textes,
qu'il
avait
auparavant refusé de
publier,
notam¬
ment Mercier el Camier (écrit en 1946 en français et réécrit
entre
1970
date de la publication du texte
français
et
1974 en anglais), Premier
Amour
(écrit en 1946 en
français, publié en
1970.
et réécrit en anglais en
1973). et les
Foirades
(écrites en fiançais
dans les
années 60, publiées
dans les années
70.
et
réécrits
en
anglais
entre
1973
et
1974).
Comme
les dates l'indiquent, Beckett
commence
à les réécrire au
moment
où il
décide d'en publier la
première
rédaction.
Dans
le
premier
cas. celui de récriture
presque contemporaine.
la
version
anglaise,
du
moins
quand
elle
suit
de
près le texte
en
français.
1
qo tend
à insister davantage
sur
la répétition
et
souvent
aussi
à
resserrer
les
30.
Dans
cet exemple. Fauteur
utilise
un registre
encore
plus
informel
dans la
langue
anglaise
littérature P0l,r
expliciter
l'expression
«tutoiement
torrentiel
» «torrent of
civilities»
en
anglais
où
k° i4i -M,\Rs200f>
le
tutoiement ne
se distingue pas
du
vouvoiement.
8/17/2019 Traduire Le Bilinguisme Beckett
9/14
TRADUIRE
LE BILINGUISME: L'EXEMPLE DE BECKETT
choix lexicaux tout en insistant sur l'utilisation du même mol. Pour ne
donner
qu'un
exemple,
dans
Bing
(première version
en
français.
1966),
Beckett
alterne l'onomatopée
du titre à «hop» lout au
long
du
texte,
tandis
que dans Ping. la version anglaise,
«ping»
traduit aussi bien
«bing»
que
«hop». Ou encore. Ping
maintient
(presque toujours)
l'expression
récurrente «joined like sewn», là où le
français,
après avoir
une fois spécifié «joints comme cousus»,
se
contente souvent
de
répéter
«joints». D'autres petites variations
ont
lieu,
et
elles visent
notamment
à
aplatir, appauvrir davantage
ce deuxième
texte en le
répétant
dans
l'autre langue.
Dans
son analyse du
bilinguisme
de Bing/Ping,
Brian
T. Fitch part
de
l'hypothèse que la deuxième version
serait
une évolution
ultérieure
du
texte, pour ensuite s'apercevoir, après une
analyse
détaillée,
que
la
version
anglaise (donc
la deuxième) est
plus exactement
une
réorga¬
nisation, par
une redistribution
des différentes unités de sens.
Mais
les
manuscrits montrent que la deuxième version peut
être
aussi une
régression, car parfois
Beckett
reprend
en
anglais
les
mots et
les
phrases
qui avaient été
modifiés
dans les
manuscrits de
la version
française
avant
publication
M
.
Toutes
ces
différentes
attitudes
dans le passage
d'une version à l'autre
seraient,
pour Fitch, la preuve
que
le texte 2 est
un autre
texte,
un «recasiing» du premier. 11 me semble cependant que
les
modifications apportées par la réécriture ne
compromettent
pas
la
validité de ce que Berman appelle les «zones signifiantes» du texte.
Au
contraire. L'impression générale du même texte lu dans sa version
anglaise
ou française
reste souvent
la même, presque
la même.
Voyons, par exemple,
l'incipit
de Bing/Ping:
Tout
su
tout
blanc
corps
nu
blanc
un
mètre
jambes
collées
comme
cousues.
Lumière chaleur sol blanc un
mètre
carré
jamais vu. Murs blancs un mèire
sut-
deux plafond blanc un mètre carré jamais vu.
Cotps
nu blanc
fixe seuls les
yeux à
peine.
Traces fouillis
gris pâle presque
blanc sur blanc. Mains
pendues
ouvertes
creux
face pieds blancs talons
joints
angle droit.
Lumière chaleur
faces blanches rayonnantes. Corps nu blanc fixe
hop
fixe ailleurs'-.
.4//
known
ail while hure white
body
fixed one yard
legs
joined like sewn.
Lighl hcai
while floor one square yard never seen.
White
walls
one
yard by
iwo white ceiling one square yard never seen.
Bare
white
botly
fixai only rite
eyes
only
just.
Traces
blurs
lighl
grey
almost
while
on
white.
Hands
lianging
palais
front while feet
lieds
logeilter right angle.
Lighl
lient white
planes shi¬
lling white hure white
botly
fixed ping jixetl clsewhere.
Cet extrait montre
d'emblée l'extrême
économie syntaxique de
Bing et
Ping, économie
si
caractéristique
des
textes
de Beckett
écrits
à
partir de la
deuxième
moitié des années 60. Cette
syntaxe
dépouillée. iqq
3
1 .
Voir
celte analyse
dans
Beckett
and
Babel. An
Investigation
imo the Suints
ofhis
Bilingiial
Work.
Toronto.
Universitv
of Toronto Press. 19SS. p. 65 et suiv.
littérature
32. Je souliene. " n iji-maks:iw.
TRADUIRE
LE BILINGUISME: L'EXEMPLE DE BECKETT
choix lexicaux tout en insistant sur l'utilisation du même mol. Pour ne
donner
qu'un
exemple,
dans
Bing
(première version
en
français.
1966),
Beckett
alterne l'onomatopée
du titre à «hop» lout au
long
du
texte,
tandis
que dans Ping. la version anglaise,
«ping»
traduit aussi bien
«bing»
que
«hop». Ou encore. Ping
maintient
(presque toujours)
l'expression
récurrente «joined like sewn», là où le
français,
après avoir
une fois spécifié «joints comme cousus»,
se
contente souvent
de
répéter
«joints». D'autres petites variations
ont
lieu,
et
elles visent
notamment
à
aplatir, appauvrir davantage
ce deuxième
texte en le
répétant
dans
l'autre langue.
Dans
son analyse du
bilinguisme
de Bing/Ping,
Brian
T. Fitch part
de
l'hypothèse que la deuxième version
serait
une évolution
ultérieure
du
texte, pour ensuite s'apercevoir, après une
analyse
détaillée,
que
la
version
anglaise (donc
la deuxième) est
plus exactement
une
réorga¬
nisation, par
une redistribution
des différentes unités de sens.
Mais
les
manuscrits montrent que la deuxième version peut
être
aussi une
régression, car parfois
Beckett
reprend
en
anglais
les
mots et
les
phrases
qui avaient été
modifiés
dans les
manuscrits de
la version
française
avant
publication
M
.
Toutes
ces
différentes
attitudes
dans le passage
d'une version à l'autre
seraient,
pour Fitch, la preuve
que
le texte 2 est
un autre
texte,
un «recasiing» du premier. 11 me semble cependant que
les
modifications apportées par la réécriture ne
compromettent
pas
la
validité de ce que Berman appelle les «zones signifiantes» du texte.
Au
contraire. L'impression générale du même texte lu dans sa version
anglaise
ou française
reste souvent
la même, presque
la même.
Voyons, par exemple,
l'incipit
de Bing/Ping:
Tout
su
tout
blanc
corps
nu
blanc
un
mètre
jambes
collées
comme
cousues.
Lumière chaleur sol blanc un
mètre
carré
jamais vu. Murs blancs un mèire
sut-
deux plafond blanc un mètre carré jamais vu.
Cotps
nu blanc
fixe seuls les
yeux à
peine.
Traces fouillis
gris pâle presque
blanc sur blanc. Mains
pendues
ouvertes
creux
face pieds blancs talons
joints
angle droit.
Lumière chaleur
faces blanches rayonnantes. Corps nu blanc fixe
hop
fixe ailleurs'-.
.4//
known
ail while hure white
body
fixed one yard
legs
joined like sewn.
Lighl hcai
while floor one square yard never seen.
White
walls
one
yard by
iwo white ceiling one square yard never seen.
Bare
white
botly
fixai only rite
eyes
only
just.
Traces
blurs
lighl
grey
almost
while
on
white.
Hands
lianging
palais
front while feet
lieds
logeilter right angle.
Lighl
lient white
planes shi¬
lling white hure white
botly
fixed ping jixetl clsewhere.
Cet extrait montre
d'emblée l'extrême
économie syntaxique de
Bing et
Ping, économie
si
caractéristique
des
textes
de Beckett
écrits
à
partir de la
deuxième
moitié des années 60. Cette
syntaxe
dépouillée. iqq
3
1 .
Voir
celte analyse
dans
Beckett
and
Babel. An
Investigation
imo the Suints
ofhis
Bilingiial
Work.
Toronto.
Universitv
of Toronto Press. 19SS. p. 65 et suiv.
littérature
32. Je souliene. " n iji-maks:iw.
8/17/2019 Traduire Le Bilinguisme Beckett
10/14
REFLEXIONS CRITIQUES
aide, en
un
sens, le traducteur qui peut traduire mot à mot dans la majo¬
rité
des
cas.
J'ai
souligné
les
quelques expressions
qui
s'éloignent
de
la
traduction
mot à mot, «yard»
pour
«mètre»,
l'omission
de
«ouvertes»
en anglais après
main car
ce mot semble être contenu dans
«palms
front» qui
traduit «creux
face». Ensuite «hop», traduit par «ping» est
emblématique du fait que le
texte anglais, en
répétant
le mot
du
titre,
va
vers une
plus grande
économie de
mot
que le
texte
français lotit
en
insis¬
tant davantage sur la répétition. On voit alors comment un texte traduit
«mot à mot» comporte,
dans
les deux langues, des différences subtiles
qui
confirment que les
deux versions sont presque les mêmes.
Cepen¬
dant, au
fur et
à
mesure
qu'on avance dans la lecture, on peut remarquer
des
écarts
plus importants
entre
elles:
Lumière chaleur
murmures
à peine
presque
jamais toujours les mêmes
tous
sus.
Mains blanches
invisibles pendues
ouvertes creux
face.
Corps
nu blanc
fixe
un
mètre hop
fixe
ailleurs. Seuls
les yeux
à
peine bleu pâle presque blanc
fixe face. Murmure
à
peine
presque
jamais une seconde peut-être une issue.
Tête boule bien
haute
yeux bleu pâle presque blanc bing murmure
bing
silence.
Ail white ail known
îiuirmurs
only
just almost never
always
the saine
ail
known.
Lighl
beat hands
liaiiging
palms
from
white
on
white
invisible.
Bare
while body fixai ping fixai elseuiiere. Only the eyes only
just
light blue
al¬
most white fixed
front.
Ping
mttrnntr
only just almost
never one
second per-
haps
a way ont. Head haughi eyes
light
blue almost white fixed
front
ping
murinur ping
silence.
Dans
ce passage l'auteur intervient
sur
le texte en le réécrivant
non
pas comme un
traducteur respectueux
le ferait, mais aussi en
tant
que
créaient:
Ici. la version
anglaise
devient plus longue, même si elle n'est
aucunement
plus
riche
que
la
française,
au
contraire.
l'anglais
contient
plus de
répétitions.
À remarquer tout
d'abord
l'insistance
sur
le
mot du
titre dans la
version
anglaise,
moins
marquée
dans le texte
français.
Ensuite.
«.-4//
while
ail
known». expression
ici
recourante,
semble associer
au concept de
netteté et peut-être aussi
de
stérilité («ail
while»).
celui
de
répétition
(«ail known». souvenons-nous du passage de
Murphv
cité
auparavant:
«soleil brillait sur le rien
de neuf»): tout est blanc
et
connu
cependant
«jamais toujours les
mêmes tous
sus». De
même
la
réécriture.
et
avec elle la traduction, n'est jamais toujours la même. Ici. comme
dans
les
romans,
les
changements
apportés
au
texte
réécrit
soulignent
la
variabilité du
langage
et par conséquent de son système des
langues,
son
caractère
mobile,
changeant et, sans
doute, peu
fiable.
Cependant, une
fois
de
plus,
l'impression
générale qu'on
reçoit
en lisant le
texte
en fran¬
çais el le texte en anglais reste presque la même malgré les
quelques
] ] Q
modifications
qui
semblent
insister davantage
sur l'intention du
texte qui
promeut sa langue
sèche, dépouillée,
essentielle.
Ainsi,
les modifications
littérature foni_
elles
aussi,
pailie
de
cette
poétique
de la répétition, répétition
REFLEXIONS CRITIQUES
aide, en
un
sens, le traducteur qui peut traduire mot à mot dans la majo¬
rité
des
cas.
J'ai
souligné
les
quelques expressions
qui
s'éloignent
de
la
traduction
mot à mot, «yard»
pour
«mètre»,
l'omission
de
«ouvertes»
en anglais après
main car
ce mot semble être contenu dans
«palms
front» qui
traduit «creux
face». Ensuite «hop», traduit par «ping» est
emblématique du fait que le
texte anglais, en
répétant
le mot
du
titre,
va
vers une
plus grande
économie de
mot
que le
texte
français lotit
en
insis¬
tant davantage sur la répétition. On voit alors comment un texte traduit
«mot à mot» comporte,
dans
les deux langues, des différences subtiles
qui
confirment que les
deux versions sont presque les mêmes.
Cepen¬
dant, au
fur et
à
mesure
qu'on avance dans la lecture, on peut remarquer
des
écarts
plus importants
entre
elles:
Lumière chaleur
murmures
à peine
presque
jamais toujours les mêmes
tous
sus.
Mains blanches
invisibles pendues
ouvertes creux
face.
Corps
nu blanc
fixe
un
mètre hop
fixe
ailleurs. Seuls
les yeux
à
peine bleu pâle presque blanc
fixe face. Murmure
à
peine
presque
jamais une seconde peut-être une issue.
Tête boule bien
haute
yeux bleu pâle presque blanc bing murmure
bing
silence.
Ail white ail known
îiuirmurs
only
just almost never
always
the saine
ail
known.
Lighl
beat hands
liaiiging
palms
from
white
on
white
invisible.
Bare
while body fixai ping fixai elseuiiere. Only the eyes only
just
light blue
al¬
most white fixed
front.
Ping
mttrnntr
only just almost
never one
second per-
haps
a way ont. Head haughi eyes
light
blue almost white fixed
front
ping
murinur ping
silence.
Dans
ce passage l'auteur intervient
sur
le texte en le réécrivant
non
pas comme un
traducteur respectueux
le ferait, mais aussi en
tant
que
créaient:
Ici. la version
anglaise
devient plus longue, même si elle n'est
aucunement
plus
riche
que
la
française,
au
contraire.
l'anglais
contient
plus de
répétitions.
À remarquer tout
d'abord
l'insistance
sur
le
mot du
titre dans la
version
anglaise,
moins
marquée
dans le texte
français.
Ensuite.
«.-4//
while
ail
known». expression
ici
recourante,
semble associer
au concept de
netteté et peut-être aussi
de
stérilité («ail
while»).
celui
de
répétition
(«ail known». souvenons-nous du passage de
Murphv
cité
auparavant:
«soleil brillait sur le rien
de neuf»): tout est blanc
et
connu
cependant
«jamais toujours les
mêmes tous
sus». De
même
la
réécriture.
et
avec elle la traduction, n'est jamais toujours la même. Ici. comme
dans
les
romans,
les
changements
apportés
au
texte
réécrit
soulignent
la
variabilité du
langage
et par conséquent de son système des
langues,
son
caractère
mobile,
changeant et, sans
doute, peu
fiable.
Cependant, une
fois
de
plus,
l'impression
générale qu'on
reçoit
en lisant le
texte
en fran¬
çais el le texte en anglais reste presque la même malgré les
quelques
] ] Q
modifications
qui
semblent
insister davantage
sur l'intention du
texte qui
promeut sa langue
sèche, dépouillée,
essentielle.
Ainsi,
les modifications
littérature foni_
elles
aussi,
pailie
de
cette
poétique
de la répétition, répétition
8/17/2019 Traduire Le Bilinguisme Beckett
11/14
TRADUIRE
LE
BILINGUISME: L EXEMPLE DE BECKETT
jamais
identique, de la variation. Les variations sont donc éclairantes au
regard
du
texte
et
soulignent,
par
leur
subtilité,
les
«zones
signifiantes»
que la
traduction
doit à son tour pouvoir
souligner.
Ce sont justement les
«zones
signifiantes» qui ont changé
dans
récriture
de
Beckett
par
rap¬
port à la trilogie. Bing/Ping joue
en
effet sur l'économie du mot. sur une
sorte
de
neutralisation absolue du sujet '-' qui semble disparaître
derrière
une pure
image,
créée par
les
mots du texte.
Dans
la trilogie, le sujet en
voie
de disparition s'acharnait
à s'affirmer par
un
flux de mots incessant
qu'il
ne
voulait que
continuer à dire (pour continuer à se dire, à
exister).
Ce changement
dans
récriture a évidemment
des
conséquences
sur
la
pratique
du
bilinguisme.
Le
fait
même que les deux
textes Bing/Ping
naissent
presque
en
même
temps en dit beaucoup.
L'autre
langue tient
lieu de «calmant»,
de contrôle
sur
le discours, sur
les mots,
elle sert
aussi l'effacement ultérieur du sujet. Elle empêche d'aller
plus
loin,
en
répétant d'abord le texte
en
même temps qu'il esl
créé.
C'est ainsi
que
Ping et Bing.
presque
simultanément,
insistent sur les
«zones signifiantes»
(Y« économie» du texte, du
mot). La réécriture aide
le traducteur
dans sa
tâche. Dans ce deuxième
cas. plus
que dans celui des
romans cités, les
deux textes
semblent indispensables
à
la
réalisation
d'une
traduction. La
variation
sert aussi d'explication.
Reste ouvert le problème du choix:
quel
texte
choisit?
Ou bien,
est-il
envisageable de traduire les deux
textes
à la fois? Et, dans
l'affir¬
mative,
lequel
traduire
quand les divergences sont patentes?
On pourrait
commencer par
traduire
ce qui semble mieux
convenir
au mode de
tra¬
duction choisi,
à
la culture réceptrice (que ce soit
dans
un rapport de
proximité
ou
d'étrangeté).
voire à la
subjectivité
du traducteur.
Si
un tel
mélange
et
de tels
choix
étaient possibles
ce
n'esl pour l'instant
qu'une
proposition
on aurait alors une seule
traduction
de
deux
textes
où la
subjectivité
du
traducteur
jouerait un rôle fondamental, et où les
variations puiseraient directement dans
les
trois
langues. Ainsi, la
tra¬
duction deviendrait une ultime variation.
N'oublions
pas que Beckett
aussi avait
été traducteur, et parfois
même
adaptateur.
Dans
les
maximes
de
Chamfort,
par exemple,
il montre comment l'adaptation, parfois très
libre en apparence, agit
dans
le
respect
du
texte.
Quand il traduit Cham¬
fort. Beckett élimine
les
prémisses pour ne donner que la morale,
car
elle
englobe
les
prémisses.
En
voici
un
exemple:
La
pensée
console de tout
et
remédie
à
tout.
Si quelquefois elle
vous l'ait du
mal.
demandez-lui
le remède
du mal qu'elle vous a fait, elle vous
le
donnera.
Dans
la traduction de Beckett:
111
33. Cette neutralisation du sujet,
devrait,
d'ailleurs, permettre une plus
grande «objectivité»
dans
la traduction, où le
mot
prime
sur
le sujet écrivain. Cependant. Beckett réaffirme, par les littérature
changements
apportés
à
la deuxième
version, le pouvoir
du sujet sur
le
lexie.
m'
mi - m
u;s
:n;):>
TRADUIRE
LE
BILINGUISME: L EXEMPLE DE BECKETT
jamais
identique, de la variation. Les variations sont donc éclairantes au
regard
du
texte
et
soulignent,
par
leur
subtilité,
les
«zones
signifiantes»
que la
traduction
doit à son tour pouvoir
souligner.
Ce sont justement les
«zones
signifiantes» qui ont changé
dans
récriture
de
Beckett
par
rap¬
port à la trilogie. Bing/Ping joue
en
effet sur l'économie du mot. sur une
sorte
de
neutralisation absolue du sujet '-' qui semble disparaître
derrière
une pure
image,
créée par
les
mots du texte.
Dans
la trilogie, le sujet en
voie
de disparition s'acharnait
à s'affirmer par
un
flux de mots incessant
qu'il
ne
voulait que
continuer à dire (pour continuer à se dire, à
exister).
Ce changement
dans
récriture a évidemment
des
conséquences
sur
la
pratique
du
bilinguisme.
Le
fait
même que les deux
textes Bing/Ping
naissent
presque
en
même
temps en dit beaucoup.
L'autre
langue tient
lieu de «calmant»,
de contrôle
sur
le discours, sur
les mots,
elle sert
aussi l'effacement ultérieur du sujet. Elle empêche d'aller
plus
loin,
en
répétant d'abord le texte
en
même temps qu'il esl
créé.
C'est ainsi
que
Ping et Bing.
presque
simultanément,
insistent sur les
«zones signifiantes»
(Y« économie» du texte, du
mot). La réécriture aide
le traducteur
dans sa
tâche. Dans ce deuxième
cas. plus
que dans celui des
romans cités, les
deux textes
semblent indispensables
à
la
réalisation
d'une
traduction. La
variation
sert aussi d'explication.
Reste ouvert le problème du choix:
quel
texte
choisit?
Ou bien,
est-il
envisageable de traduire les deux
textes
à la fois? Et, dans
l'affir¬
mative,
lequel
traduire
quand les divergences sont patentes?
On pourrait
commencer par
traduire
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