7/27/2019 Robert Badinter _ _Comme la torture hier, la peine de mort est voue disparatre_
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Robert Badinter : "Comme la torture
hier, la peine de mort est voue disparatre"LE MONDE | 09.10.2013 10h05 Mis jour le 11.10.2013 09h32 |
Propos recueillis par Nicolas Truong
C'est un document d'histoire, une part oublie de notre mmoire, un
tmoignage sobre et saisissant que l'ancien garde des sceaux Robert
Badinter a confi au Monde. Il s'agit du "procs-verbal" intime de la dernire
excution capitale en France. Le 9 septembre 1977, Hamida Djandoubi,manutentionnaire tunisien coupable du meurtre de sa compagne, Elisabeth
Bousquet, est guillotin la prison des Baumettes de Marseille. Juste aprs
l'excution, la doyenne des juges d'instruction de la ville, Monique Mabelly
(1924-2012), commise d'office pour y assister, consigne par crit ce qu'elle a
vu et ressenti.
L'ancien garde des Sceaux, Robert Badinter. | AFP/ERIC PIERMONT
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Trois pages sobres et retenues mais aussi d'effroi et de colre contenue pour
dcrireles dernires minutes d'Hamida Djandoubi. De la cellule o l'on vient
chercherle condamn jusqu' l'endroit o il sera guillotin, l'auteur dcrit avec
prcision les circonvolutions autour de la dernire cigarette, les vaines
tentatives pour retarderle moment fatal, le couperet qui fend le corps en deux.
Quelques lignes crites au retour d'une excution qui suscite en elle "une
rvolte froide" afin de tmoigner. Monique Mabelly lguera dix ans plus tard
ce manuscrit son fils, Rmy Ottaviano, qui l'a remis il y a quelques
semaines Robert Badinter.
Lire le document :Vingt minutes avant la mort : rcit de la dernire
excution franaise(/idees/article/2013/10/09/c-est-a-ce-moment-qu-il-commence-a-realiser-
que-c-est-fini_3492565_3232.html)
En quel sens le tmoignage de M Mabelly, juge d'instruction commise
d'office pour assister l'excution d'Hamida Djandoubi, est-il un
document historique de premier plan ?
Ce document a une grande valeur historique, car il a t crit par une
magistrate, tmoin de la dernire excution capitale en France. Son authenticit
et sa qualit sont indiscutables. Cette juge, dsigne pour assister l'excution
d'un homme dont elle n'avait pas instruit l'affaire, a voulu conserverle souvenir
prcis de cette excution. Elle a rdig son tmoignage comme un procs-
verbal, de son arrive la prison des Baumettes Marseille jusqu' son dpart.
Elle a crit sa propre dposition. C'est tonnant et mouvant de voirmergerun
tel document, prs de quarante ans plus tard. En 1977, la magistrate ne pouvait
pas le savoir, mais elle venait d'assister la dernire excution capitale enFrance. Je ne suis pas un amateur de rcits de supplices, mais je me suis dit
qu'il fallait fairesortirce document de l'ombre, pour que les jeunes gnrations
mesurent ce qu'il se passait il y a quarante ans dans les prisonsfranaises.
Monique Mabelly a lgu ce manuscrit son fils, Rmy Ottaviano, qui l'a remis il y a
quelques semaines Robert Badinter. En accord avec la famille, M. Badinter a transmis
ce document exceptionnel au "Monde". | DR
me
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Quel regard portez-voussur la teneur de son rcit ?
La force de ce document rside dans sa sobrit et sa prcision. C'est un
tmoignage dpouill qui laisse transparatredes motions trs matrises. Il
n'tait pas destin trelu. La juge laisse filtrersessentiments de rvolte, sans
songer l'effet qu'elle peut produiresur un lecteur. Aprs l'excution, la juge est
rentre chez elle, a bu un caf et crit dans la foule le rcit de ce qu'elle avait
vu sans mme mentionnerson existence ses proches. Son fils, qui a retrouv
ce texte, me l'a remis en me donnant son accord pour qu'il soit publi.
Pourquoi n'a-t-elle pas refus d'assister cette excution ?
Un juge devait treprsent chaque excution. Celui qui avait suivi l'affaire
n'tait pas disponible. Comme elle tait la doyenne des juges d'instruction de
Marseille, elle a t dsigne par le prsident du tribunal pour y assister . Elle
aurait sans doute pu refuser, mais, comme elle avait la conscience de ses
devoirs, elle ne s'est pas drobe.
La dernire excution capitale a eu lieu en 1977, mais de nombreuses
condamnations mort ont t prononces jusqu'en 1981...
Entre l'excution d'Hamida Djandoubi et l'abolition de la peine de mort, le 9
octobre 1981, il y a eu de nouvelles condamnations mort, mais plus aucune
excution. En effet, ces verdicts de mort ont tous t casss par la chambre
criminelle de la Cour de cassation. A l'poque, il n'y avait pas d'appel des arrts
de Cour d'assises. C'tait donc le seul moyen de susciterun nouveau procs.
J'ai t appel dfendreainsi, pendant cette priode, cinq accuss qui avaientt condamns mort et dont la condamnation avait t casse. Les cinq fois,
la Cour d'assises de renvoi a refus de prononcer nouveau la peine de mort.
Jusqu'en 1980, la peine de mort semblait sur le dclin, le courant
abolitionniste faisait de plus en plus d'adeptes auprs des magistrats.
Pourtant, il y a eu une nouvelle vague de condamnations mort, juste
avant votre arrive au ministre de la justice, en juin 1981. Pourquoi un
tel regain ?
A l'automne 1980, tout a bascul pour le pire. Le climats'est durci et l'opinionpublique tait saisie de dnonciations incessantes de l'inscurit. La campagne
tait conduite par Alain Peyrefitte (1925-1999), ministre de la justice du
prsident Giscard d'Estaing. Il voulait s'opposer tout le courant humaniste de
l'poque et la gauche intellectuelle trs inspire par les travaux de Michel
Foucault, ceux qu'il appelait "les laxistes". En un an, entre l'automne 1980 et l't
1981, il y a eu neuf condamnations mort : une vritable avalanche ! La peine
de mort avait repris de la vigueur.
A Paris, on a condamn Philippe Maurice, accus de meurtre, alors que cela
faisait dix-sept ans qu'aucune peine capitale n'y avait t prononce. La Cour
de cassation avait rejet le pourvoi. Il ne restait plus que le recours en grce.
Nous avions demand qu'une trve des excutions soit marque pendant la
campagne prsidentielle, trve que le prsident Giscard d'Estaing a d'ailleurs
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observe. Mais, aprs l'lection de Franois Mitterrand, il y a eu encore trois
nouvelles condamnations mort jusqu'en juin 1981. Les jurs taient en faveur
de la peine capitale, mais ils savaient que Mitterrand gracierait les condamns,
d'o cet emballement.
Ainsi la peine de mort tait devenue l'un des grands sujets de la bataille
lectorale de 1981. Franois Mitterrand a eu le courage de direqu'il tait
abolitionniste. Le prsident Giscard d'Estaing dclarait qu'il fallait attendreque le
sentiment d'inscurit s'apaise. Autant direqu'on aurait encore la peine de mort
aujourd'hui...
A cette poque, l'opinion publique n'tait pas du tout favorable
l'abolition...
Le jour du dbat sur l'abolition l'Assemble nationale, Le Figaroavait fait un
sondage : 62 % des personnes interroges se dclaraient en faveur de la peine
de mort, 33 % contre. Pour les crimes "atroces", les opinions favorables
atteignaient 73 %. Je savais qu'il fallait attendreune nouvelle gnration pour
que les esprits changent et que les Franais mesurent qu'ils pouvaient vivre
sans la guillotine, qui s'est rvle comme dans tous les Etats abolitionnistes
inutile dans la lutte contre la criminalit. Il a fallu attendrevingt ans pour que soit
commmore l'abolition, et qu'elle soit considre comme un honneur pour la
gauche. Pour moi, c'est un grand privilge d'avoirservi cette cause en France et
de l'avoirvue triompherde mon vivant.
Vous tes aujourd'hui devenu une grande figure de l'abolitionnisme, non
seulement en France mais galement l'tranger. A quel moment la luttecontre la peine de mort est-elle devenue votre combat ?
L'affaire Buffet-Bontems de 1972 a t pour moi dcisive. Jusque-l, j'tais un
partisan de l'abolition. Aprs l'excution de Bontems, je suis devenu un militant
de l'abolition. J'avais dfendu Bontems avec Philippe Lemaire dans la terrible
affaire des otages de Clairvaux. J'avais prouv devant la Cour d'assises de
Troyes que, compte tenu de l'arme utilise, Bontems ne pouvait pas avoirtu les
otages. C'tait donc Buffet. La Cour d'assises l'a reconnu dans son verdict.
Mais Bontems a pourtant t condamn mort en tant que complice de Buffet.
J'avais toujours pens que le prsident Pompidou marquerait son humanit en
pargnant la vie de Bontems et sa fermet en faisant excuter Buffet,
rcidiviste d'assassinats et qui voulait treexcut. Bontems n'avait jamais
vers le sang, mais on l'a malgr tout guillotin. En quittant la prison de la Sant,
je me suis dit que je n'accepterais jamais cette justice qui tuait. J'ai dcid que
je dfendrais dsormais tous ceux qui encourraient la peine de mort quoi qu'ils
aient fait. Et j'ai tenu parole.
Vous n'avez jamais t tent d'abandonnerface une opinion publique
largement rtive mais aussi devant le comportement de certainsmeurtriers rcidivistes ?
Aprs l'affaire Norbert Garceau, au printemps 1980, j'ai dit Elisabeth : "C'est
simple, soit Mitterrand sera lu et la peine de mort abolie, soit Giscard
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d'Estaing gagnera et je claquerai du cur l'audience..."Garceau tait un
vtran d'Indochine, condamn vingt ans de prison pour le meurtre d'une
femme qu'il courtisait et qu'il avait tent de violer. Aprs avoirpurg sa peine, il
avait t libr. Puis il avait rcidiv : mme scnario, mme crime. Garceau
avait t condamn mort par la Cour d'assises d'Albi. Le verdict avait t
cass. Garceau allait trerejug Toulouse. Il m'avait demand de le dfendre
aux cts de ses avocats. Une cause indfendable, disaient mes
collaborateurs. Je ne vous dis pas dans quel tat tait le public autour du palais
de justice et dans la salle d'audience. C'tait terrible, comme Troyes dans
l'affaire Patrick Henry. J'ai cru que je ne parviendrais jamais convaincre les
jurs de le laisservivreencore. Pourtant, ils l'ont finalement pargn, un miracle.
J'tais totalement puis.
Quelle tait l'atmosphre de ces procs de la France giscardienne ?
L'impossibilit de faireappel de la dcision des jurs donnait ces procs une
incroyable intensit dramatique. L'atmosphre dans laquelle tait plonge ladfensetait inimaginable. Pour entrerau palais, les avocats devaient traverser
la foule et, croyez-moi, les regards et les propos n'taient pas tendres... La salle
d'audience suintait le dsir de mort. Une salle de Cour d'assises en province,
c'est souvent petit. Vous plaidez moins de trois mtres des jurs, des parents
de la victime. Vous entendez l'accus respirer derrire vous, pendant que la
partie civile et l'avocat gnral demandent sa tte. Et que reste-t-il pour le
sauver? Des mots, votre plaidoirie. Il ne fallait jamais lire un texte, surtout ne
jamais perdrele regard des jurs. Je savais que la qualit oratoire n'avait
aucune importance, il fallait les convaincreque ce que je disais venait du plus
profond de moi et que je leur parlais d'trehumain trehumain. Il n'y avait plus
de place pour l'loquence.
Je savais que, si je n'atteignais pas le cur des jurs, mon client se retrouverait
dans la cellule des condamns mort. Suivrait un recours en grce et si le
prsident le refusait, c'tait l'excution. Dans son tmoignage, la magistrate ne
se sent aucunement coupable, mais, quand vous tes avocat et que vous
accompagnez celui que vous avez dfendu la guillotine, vous tes l parce
que vous n'avez pas t capable de sauvercet homme qui vous avait confi sa
vie. La justice le tue et vous n'avez pas pu l'empcher. Lors de l'excution deBuffet, je regardais les visages crisps, nous avions tous des gueules
d'assassins.
A quel moment la peine de mort est-elle devenue une question de socit
dbattue dans l'espace public ?
Aprs l'chec de Briand et de Jaurs en 1907 lors du grand dbat sur l'abolition,
le problme de la peine de mort s'est vritablement pos dans la France des
annes 1970. Avant, du temps du gnral de Gaulle, il n'en tait pas question.
C'tait un ancien officier, pass par l'cole de guerre de Saint-Cyr, combattantde la guerre de 1914. De tels hommes n'avaient pas de doutes philosophiques
sur la peine de mort. Tout le monde n'est pas Victor Hugo. En matire de droit
commun, le gnral de Gaulle n'tait pas particulirement rpressif, mais ce
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n'tait pas non plus un disciple d'Albert Camus !
Les choses ont chang depuis 1981, en France et dans le monde entier.
Les pays abolitionnistes sont majoritaires aux Nations unies. Quels sont
les pays et les rgions du monde qui renclent le plus abolirla peine de
mort ?
L'histoire n'est pas finie, il reste encore parvenir l'abolition universelle. Maisjamais nous n'aurions cru que a irait si vite, si loin. Aujourd'hui, la peine de mort
a disparu du continent europen et de la plus grande partie du continent
amricain, except quelques les des Carabes et des Etats du sud des
Etats-Unis, notamment le Texas. Le nombre d'excutions, depuis George W.
Bush, a diminu de moiti, et, dans les dernires annes, six Etats dont New
York et l'Illinois ont aboli la peine de mort. L'abolition totale ne saurait tarder . Les
derniers noyaux durs sont en Asie : la Chine, l'Indonsie, le Vietnam, mme
l'Indeet le Japonqui ont repris les excutions. Et les Etats islamistes du Moyen
et Proche- Orient : Iran, Irak, Pakistan, Arabie saoudite, et les Emirats dugolfe.
Quand l'abolition a t vote, la France tait le 35 pays abolitionniste.
Aujourd'hui, on dnombre une centaine d'Etats abolitionnistes en droit et prs de
50 abolitionnistes de fait. L'abolition est largement majoritaire aux Nations unies
alors que c'tait l'inverse il y a moins de trente ans. Le mouvement vers
l'abolition universelle s'acclre, et il n'y a pas de retour en arrire, sauf cas
rarissime.
Le plus significatif n'est-il pas que l'abolition face l'objet de conventionsinternationales, notamment europennes ?
Dans le Conseil de l'Europe, les 6 et 13 protocoles la Convention
europenne des droits de l'homme interdisent aux Etats qui les ont ratifis de
recourir la peine de mort. La Charte des droits fondamentaux de l'Union
europenne, qui a aujourd'hui valeur normative, stipule que "nul ne sera
condamn mort ou excut". Le deuxime protocole au Pacte sur les droits
civils et politiques des Nations unies interdit galement tout recours la peine
de mort. La France a ratifi tous ces traits et depuis 2007, grce au prsident
Chirac, continuateur du prsident Mitterrand, l'abolition est inscrite dans la
Constitution. Aujourd'hui, la France est parmi les Etats leaders dans la
campagne internationale pour l'abolition universelle.
L'abolition de la peine de mort peut-elle tremenace par la monte du
national-populisme, en France et en Europe ?
La peine de mort est morte en France comme dans toutes les dmocraties
europennes. Le discours lepniste qui appelle son rtablissement pousse la
dmagogie jusqu'au cynisme. Il joue avec les passions. Mais Marine Le Pen ,
comme son pre Jean-Marie, tant avocats, savent qu'il faudrait une rvision
constitutionnelle pour rtablirla peine de mort. Pour qu'une telle rvision soit
envisageable, il faudrait que chaque Chambre se prononce en sa faveur. Et
supposerqu'on obtienne ensuite cette rvision constitutionnelle par rfrendum,
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R o b e r t B a d in t e rAvocat la cour d'appel de Paris (1951-1981), professeur de droit
(1965-1981), puis garde des sceaux (1981-1986), Robert Badinter a
fait voter l'abolition de la peine de mort en France le 9octobre 1981.
Prsident du Conseil constitutionnel de 1986 1995, snateur des
Hauts-de-Seine (1995-2011), il a notamment crit "L'Excution"(1973,
rd. LGF, 2008), "L'Abolition"(Fayard, 2000) et "Contre la peine de
mort"(Fayard, 2006).
encore faudrait-il que la France quitte l'Union europenne et dnonce ses
engagements internationaux. C'est inimaginable pour une dmocratie
europenne qui se proclame la patrie des droits de l'homme. Aujourd'hui, vous
n'avez pas une juridiction pnale internationale qui pratique la peine de mort, pas
une ! Tous les statuts l'ont carte, y compris le trait de Rome de 1998 qui a
cr la Cour pnale internationale pour jugerles auteurs de crimes contre
l'humanit, de gnocides, de gazages. Comme la torture hier, la peine de mort
est voue disparatre. Et ce sera une victoire pour l'humanit.
Nicolas Truong
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