Nous attendons de l'histoire une certaine objectivit,
l'objectivit qui lui convient : c'est de l que nous devons partir
et non de l'autre terme. Or qu'attendons-nous sous ce titre ?
L'objectivit ici doit tre prise en son sens pistmologique strict :
est objectif ce que la pense mthodique a labor, mis en ordre,
compris et ce qu'elle peut ainsi faire comprendre. Cela est vrai
des sciences physiques, des sciences biologiques; cela est vrai
aussi de l'histoire. Nous attendons par consquent de l'histoire
qu'elle fasse accder le pass des socits humaines cette dignit de
l'objectivit. Cela ne veut pas dire que cette objectivit soit celle
de la physique ou de la biologie : il y a autant de niveaux
d'objectivit qu'il y a de comportements mthodiques. Nous attendons
donc que l'histoire ajoute une nouvelle province l'empire vari de
l'objectivit.
Cette attente en implique une autre : nous attendons de
l'historien une certaine qualit de subjectivit, non pas une
subjectivit quelconque, mais une subjectivit qui soit prcisment
approprie l'objectivit qui convient l'histoire. Il s'agit donc
d'une subjectivit implique, implique par l'objectivit attendue.
Nous pressentons par consquent qu'il y a une bonne et une mauvaise
subjectivit, et nous attendons un dpartage de la bonne et de la
mauvaise subjectivit, par l'exercice mme du mtier
d'historien.
Ce n'est pas tout : sous le titre de subjectivit nous attendons
quelque chose de plus grave que la bonne subjectivit de
l'historien; nous attendons que l'histoire soit une histoire des
hommes et que cette histoire des hommes aide le lecteur, instruit
par l'histoire des historiens, difier une subjectivit de haut rang,
la subjectivit non seulement de moi-mme, mais de l'homme. Mais cet
intrt, cette attente d'un passage - par l'histoire - de moi
l'homme, n'est plus exactement pistmologique, mais proprement
philosophique : car c'est bien une subjectivit de rflexion que nous
attendons de la lecture et de la mditation des oeuvres d'historien;
cet intrt ne concerne dj plus l'historien qui crit l'histoire, mais
le lecteur - singulirement le lecteur philosophique -, le lecteur
en qui s'achve tout livre, toute oeuvre, ses risques et prils. Paul
RICOEUR
Histoire et Vrit, d. du Seuil, pp. 23-24
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