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Le 11 mars dernier, 1500 infirmiers anesthésistes en grève ont manifesté devantle ministère de la Santé à Paris (75). Les causes de leur mécontentement sontmultiples. Philippe Lamarche, livre ici son point de vue d'iade et de syndicaliste.Nous lui donnons volontiers la parole, en toute indépendance.

« lade, une disparition programmée »

R éingénierie, revalorisation sala-riale, pratiques avancées, et si ces

mots n'étaient pas simplement de lapoudre aux yeux pour faire oublier laréalité : l'organisation par le ministèrede la Santé de la pénurie infirmière etla disparition à terme de la professiond'iade?

REVALORISATION SALARIALEEN TROMPE-L'ŒILLe protocole d'accord sur l'intégrationdes professions paramédicales dans lecursus licence, master, doctorat (LMD)et en catégorie A de la fonction publi-que hospitalière, soumis à signaturedébut février 2010, est pour le gouver-nement un cuisant camouflet. En effet,seul le syndicat national des cadreshospitaliers (SNCH)-0,98 % de la repré-sentation syndicale nationale et 0% ducorps infirmier-a jugé bon d'apposersa signature en bas du document.Rappelons succinctement le contenude ce protocole. Pour les lade, le minis-tère propose le "chantage" suivant : soitvous acceptez une revalorisation, ridi-cule au regard des responsabilités quisont les nôtres, étalée sur cinq ans avecperte de la reconnaissance de la péni-bilité, donc suppression du gain de unan de bonification pour dixans travaillés,et le recul de l'âge de la retraite à 60 anspour les salaries de la fonction publiquehospitalière ; soit vous n'avez aucunerevalorisation salariale et vous intégrezun corps en extinction, sans discussionsalariale pour la fin de la carrière (lesseules progressions à attendre étantcelles du point indiciaire).Quelques remarques maintenant sur lacommunication de Roselyne Bachelot

Les lade ne gagneront pas avec ce pro-tocole l'équivalent d'un treizième mois,le vocable "infirmière" volontairementglobalisant employé par la ministrecache mal que très rares sont les IDE quipourraient bénéficier de cette augmen-tation, et encore dans un futur lointaind'une bonne dizaine d'années. De plus,l'augmentation salariale sera perduelors de l'établissement de la pension deretraite avec, notamment, les décotesinstituées pour insuffisance de trimes-tres cotisés. La communication du gou-vernement est purement et simplementmensongère. Pour notre spécialité, lecomble est atteint lorsque l'on entend"notre" ministre affirmer que la perte dela catégorie active1 est liée au passageen catégorie A. Elle fait abstraction denotre situation depuis 2002. Sûrementun manque de connaissance desdossiers...

LE DÉMEMBREMENT

DES COMPÉTENCES

La réingénierie du diplôme d'iade, néo-logisme barbare pour dire l'adaptationde notre programme d'études auxexigences universitaires est, à bien deségards, me semble-t-il, un cheval deTroie, ouvrant la possibilité de la dispa-rition de notre métier.Le travail effectué par les représentantsdes lade au ministère avait pour objectifde mieux définir les contenus profes-sionnels spécifiques de notre métier etla formation théorique et pratiquenécessaire à l'acquisition des compé-tences pour l'exercice de la professionafin d'intégrer cette formation dans lecursus LMD. L'enfer est, dit-on, pavé debonnes intentions. Les représentants

Philippe Lamarche

lade ont investi ce groupe de travaildans l'espoir de mieux définir les conte-nus professionnels des lade et demettre à profit cet espace de dialoguepour élargir leur champ de compéten-ces et induire une meilleure reconnais-sance du rôle de l'iade. Assez rapide-ment, nous avons souligné l'unicité dudiplôme d'État, le ministère a "souri" etapprouvé nos remarques avec des"bien sûr" condescendants.Le piège ainsi tendu fonctionne, enréalité, comme un outil de transfertd'une partie de nos activités à des pro-fessionnels moins qualifiés. Un exemplepour illustrer mes propos. La compé-tence d'intubation - ceci est volontai-rement réducteur - aune base théori-que (x heures d'enseignement) et unebase d'enseignement pratique (x heu-res de stage). Elle pourrait, dans lecadre de la "réingénierie", être acquiseen dehors du cursus complet menant

au diplôme d'État d'iade. Dans les faits,en créant les conditions d'une pénuried'iade, on donnera la possibilité auxprofesseurs d'université de mettre enplace des diplômes universitaires per-mettant l'acquisition de fractions denos compétences. L'intérêt économi-que est évident avec un gain sur lamasse salariale ; les salariés ayantacquis des compétences sans lediplôme d'État ne pourront revendiquerle salaire des infirmiers spécialisés.Il va sans dire que nous, personnels desanté, nous opposons à cette construc-tion technocratique et financièrecontraire à la prise en charge globaledes patients et à la qualité des soins,conceptions qui fondent notre pratiqueprofessionnelle. Mais pour "notre"ministre et ses cabinets de consultantsprivés, tout cela ne pèse pas lourd faceà un bilan comptable, une balancedébit/crédit.

24 OXYMAG - n° 111 - mars/avril 2010

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DES PRATIQUES AVANCÉES,

MAIS SANS LE GRADE

MASTER ASSOCIÉ

Début février, le ministère a convoquéles représentants de la profession pourparler des pratiques avancées. Le cabi-net de conseil qui menait les débats afixé le cadre : brainstorming sans cen-sure à propos des pratiques réelles duterrain. Nous avons exposé, tour à tour,les anesthésies locorégionales (AIR),la prise en charge de la douleur, l'anes-thésie "en solo", sans médecin anes-thésiste-réanimateur présent physi-quement, comme dans les interventionsSmur, etc. Les représentants des méde-cins crient à la déviance, à la mauvaisepratique et campent sur une positionde refus d'élargissement de notrechamp de compétences.Au décours de la discussion, apparais-sent dans les propos des représentantsdu ministère les raisons réelles qui ontmotivé la convocation du groupe detravail : montrer des pratiques avan-cées lade pour justifier le niveau licence,sans reconnaître pourautantque notremétier est, d'ores et déjà, une pratiqueavancée du métier infirmier, méritantpleinement, à ce titre, le niveau master.Une fois encore, le ministère utilise lesaspirations des lade à une meilleure

reconnaissance de la profession pouraffaiblir celle-ci.Un seul objectif demeure pour le minis-tère, après avoir attiré les lade par despromesses mensongères : permettrel'installation au moindre coût de la loiHôpital, patients, santé et territoires(HPST)2 et réaliser le plus d'économiespossibles même au prix de la casse deshôpitaux publics et de la disparition dessavoir faire des métiers.

L'ORGANISATIONDE LA PÉNURIEPour que le plan de réduction drastiquedes dépenses de santé fonctionne, il fautune sous qualification des profession-nels permettant leur moindre rémuné-ration. La restructuration, entendez danscet euphémisme la réduction de l'offrede soin et la destruction de pans entiersdu tissu sanitaire, doit s'accompagnerde la création de nouveaux salariés auxcompétences diverses mais non rému-nérées. Puisque le diplôme d'État et laformation des lade s'opposent à cesvisées, il faut tarir la source de la contes-tation. Fermons les vannes de la forma-tion, créons la pénurie et nous pourronsinciter à la mise en place de solutionsdégradées : tel apparaît le plan élaborépar le ministère.

Exagération, direz-vous ? L'Assistancepublique-Hôpitaux de Paris (AP-HP),premier centre de formation d'iadevient d'annoncer la disparition de laformation professionnelle pour lesdeux années à venir. Cela va se traduirepar la diminution de 140 sorties deprofessionnels diplômés d'État pources deux exercices. Rien ne dit quecette mesure ne sera pas prorogéedans le temps. Je pense, et je ne suispas le seul, que Roselyne Bachelot veutla mortde notre profession !Ce constat dresse un tableau très noirde l'avenir de notre profession. Leschoix politiques de dirigeants aveugléspar le Veau d'or peuvent et doivent êtrecombattus par la profession. Faireentendre notre voix n'est pas seule-ment une lutte catégorielle, mais aussila défense d'une certaine idée du soin,de la prise en charge des patients, dela qualité du système hospitalier, de sonexcellence, de sa survie tout simple-ment. Nous ne sommes pas seuls àmener ce combat ! •

Philippe Lamarche,lade, syndicaliste,

CHU Henri Mondor, Créteil (94)[email protected]

/. Sont classés en catégorie activeles emplois présentant un risqueparticulier ou des fatiguesexceptionnelles (les autres catégoriesd'emplois étant considérés commesédentaires).2. Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009portant réforme de l'hôpital et relativeaux patients, à la santéet aux territoires, disponiblesur www.legifrance.gouv.fr

La manifestation organisée le 11 mars dernier.

OXYMAG - n° 111 - mars/avril 2010 25